2 - Fastef - Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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2 - Fastef - Université Cheikh Anta Diop de Dakar
N° 20
Liens
Décembre
2015
Nouvelle Série
Revue francophone internationale
Editée par la
Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation
Université Cheikh Anta DIOP - Dakar (UCAD)
Sénégal
ISSN 0850 – 4806
FASTEF
B.P. 5036 Dakar – Fann / Sénégal
[email protected]
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Directeure de Publication
RABIAZAMAHOLY Harisoa Tiana
Directeurs Adjoints
Alassane TOURE
;
Ousseynou THIAM
Comité de Patronnage
Amadou Moctar MBOW, ancien Directeur Général de l’UNESCO
Amadou Lamine NDIAYE, Professeur, ancien Recteur, Président de l’Assemblée l’Université Gaston
Berger de Saint-Louis du Sénégal
Iba Der THIAM, Professeur, ancien Directeur de l’Ecole Normale Supérieure
Comité Scientifique
Jean-Marie DE KETELE, Professeur (UCL, Belgique) - Souleymane Bachir DIAGNE, Professeur (UCAD,
Sénégal), Professeur (Université de Montpellier, France) - André GIORDAN,
Professeur
(Univ.
de
Genève, Suisse) - Mamadou KANDJI, Professeur (UCAD, Sénégal) - Linda ALLAL, Professeur (Genève,
Suisse) - Hamidou Nacuzon SALL, Professeur (UCAD, Sénégal) - Kanvaly FADIGA, Professeur (FASTEF,
Côte d’Ivoire) - Ahmed CHABCHOUB Professeur (Université de Tunis 1, Tunisie.) -Jean-Louis MARTINAND
Professeur (FASTEF CACHAN, France) - Claudine TAHIRI, Professeur (IUFM AIX-Marseille France) Marie-Françoise Legendre, Professeure (Université de Montréal, Québec) - Dieudonné LECLERCQ,
Professeur (Université de Liège, Belgique) - Christian Sinna DIATTA, Professeur (UCAD, Sénégal) - Jean
DONNAY, Professeur (FUNDP Namur, Belgique) - Jean-Marie VANDER MAREN, Professeur (FSE,
Université de Montréal, Canada) - IN GELORE OOMEN-WELKE, Professeur, (Allemagne) - Abdou Karim
NDOYE, Professeur ( UCAD, Sénégal) – Abdoul SOW, Professeur ( UCAD, Sénégal) – El Hadji Ibrahima
DIOP, Professeur ( UCAD, Sénégal).. Kazimierz KORALEWSKI (Technical University of Gdansk, Pologne).
-
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Comité de Lecture
Belgique : Jean-Marie De Ketele - Marcel CRAHAY- Jacqueline BECKERS - Georges HENRY José Louis WOLF - Christian DEPOVER - Marc ROMAINVILLE - Cécile DEBUGER - Jean Emilie
CHARLIER - Marianne FRENAY - Léopold PAQUAY - Bernadette WILMET.
Canada : Guy PELLETIER - Marie Françoise LEGENDRE France : José FELICE - Marguerite ALTET - Pierre CLEMENT - Claudine TAHIRI - Jean-Louis
MARTINAND - Daniel CROSS
Suisse : Linda ALLAL - André GIORDAN
Afrique : Kanvaly FADIGA (C.I.) - T. Jean Baptiste SOME (Burkina Faso) - Ngasibiré (Burundi.) Mohamed MILLED (Tunisie.) - Galedi NZEY (Gabon) - Amoa Urbain (C.I.) - Boureima GUINDO (Gabon) Ahmed CHABCHOUB (Tunisie).
Sénégal : Boubacar KEÏTA (FST/UCAD) – Serigne SYLLA (FASTEF/UCAD) - Madior DIOUF
(FLSH/UCAD) - Lat Soukabé MBOW (FLSH/UCAD) – Boubacar NIANE (FASTEF/UCAD) – Sophie
BASSAMA (FASTEF/UCAD) - Aboubacry Moussa LAM (FLSH/UCAD) – Oumar BARRY (FLSH/UCAD) Fatou DIOUF KANDJI (FASTEF/UCAD) - Samba DIENG (FLSH/UCAD) – Mamadou DRAME
(FASTEF/UCAD) – Ibrahima WADE (ESP/UCAD) – Harouna SY (FASTEF/UCAD) - Tamsir BA (FLSH) (FASTEF/UCAD) - Abou SYLLA (IFAN/UCAD). Papa Mamour DIOP (FASTEF/UCAD)
Comité de Rédaction
Mme Harisoa T. RABIAZAMAHOLY - - Alassane Touré – Ousseynou THIAM
Assistant Informatique
Youssou DIOP
Assistante de direction
Ndèye Fatou NDIAYE
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AVANT- PROPOS
Revue scientifique pluridisciplinaire publiée par la Faculté des Sciences et Technologie de l’Education et de
la Formation, LIENS Nouvelle Série destinée à la fois aux chercheurs, aux enseignants, aux formés et au
grand public. elle livre son vingtième numéro qui porte l’empreinte et la signature de dix-neuf enseignantschercheurs issus des Universités sénégalaises et africaines.
La présente édition est particulièrement riche et féconde eu égard à la qualité des travaux et recherches
présentés, la diversité et l’actualité des problématiques abordées et l’exhaustivité des champs disciplinaires
et scientifiques d’ordres pédagogique, littéraire, didactique, environnementale, historique, linguistique,
psychosociologique et critique qui en constituent les réceptacles.
Il s’ouvre avec la réflexion praxéologique d’El Hadji Habib Camara autour de l’objectif pédagogique. En effet,
dans le cadre de la promotion de la pédagogie universitaire et la mutualisation des expériences et pratiques
enseignantes, Monsieur Camara propose un modèle pertinent de conceptualisation et d’opérationnalisation
de l’objectif pédagogique, élément de base de la planification des activités d’apprentissage.
Traquer les différents statuts et mutations du narrateur caméléonesque de Los hombres mojados no temen
la lluvia de Juan Madrid est l’objectif de recherche à caractère narratologique que poursuit et atteint
Maguette Dieng. Son étude fait une revue profonde et complète des fonctions assignées à la voix narrative
et lui confère le double rôle d’objet et de moteur de la fiction de l’écrivain de Malaga.
De son côté, Ivon Pierre Ndongo Ibara expérimente dans le cours d’anglais un matériel social de référence
tel que la chanson. L’auteur expose un package de stratégies didactiques propices au développement de la
compétence linguistique, en particulier phonétique auditive et articulatoire des apprenants à partir de
l’exploitation de ce document authentique.
Dans son travail de recherche, Klohinwélé Koné vient combler un vide dans la littérature africaine : la
théorisation des fêtes et célébrations festives et leur représentation littéraire et critique. Pour cette auteure,
le récit de ces réjouissances est tributaire des valeurs idéologiques, culturelles et esthétiques de l’époque
qui commandent les stratégies narratives et énonciatives utilisées.
C’est un regard historique et rétrospectif que Valy Faye pose sur l’impact de l’Eglise dans l’entreprise
coloniale française au Sénégal entre 1817 et 1872. Le chercheur lève un coin du voile sur la mission
évangélisatrice des Congrégations du Saint-Esprit, de Saint-Joseph de Cluny et de l’Immaculée Conception
avant de mettre à nu les écueils d’ordre naturel et physique, économique-matériel et crypto-personnel qui
ont minoré la portée de l’action ecclésiastique.
Dans le même ordre d’idées Mamadou Sarr met en exergue la dimension scientifique d’un ustensile aussi
usuel que la calebasse. Au-delà du corpus de connaissances théoriques et épistémologiques éclairant, M.
Sarr présente cet objet culinaire quotidien comme un élément-clé de la relation écosystème/sociosystème
avant d’en esquisser un projet de recherche-action et de formation pour les milieux scolaire et extrascolaire.
Par ailleurs, c’est dans l’univers sacré, ésotérique et mystique de la Basse-Casamance que Sidia Diaouma
Badiane, Edmée Mbaye, Adrien Coly et Alioune Kane situent leur recherche sur la pharmacopée
traditionnelle. Ces auteurs imputent l’érosion de la biodiversité à l’ouverture au marché et à l’appât du gain,
et le déclin du savoir médical ancestral à la survivance du secret gnei-gnei devenu l’apanage exclusif d’une
catégorie limitée de personnes détentrices de la théorie-pratique du rituel initiatique.
Dans un registre différent, à la fois linguistique et didactique, Moussa Fall fait l’archéologie du handicap et en
analyse le discours connoté, discriminatoire et stigmatisant présent dans les ethno-textes et dans le parler
quotidien ordinaire des interactions sociales. Il propose aussi des stratégies discursives et
communicationnelles idoines pour favoriser l’inclusion scolaire et sociale des personnes souffrant de
handicaps.
En se fondant sur une analyse documentaire exhaustive et une étude empirique circonscrite à l’Université
Cheikh Anta Diop, Ousmane Ba fait une typification des doléances des étudiants et examine la mécanique
revendicative estudiantine en rapport avec la violation des franchises universitaires et des libertés
académiques.
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Souleymane Diallo, quant à lui, présente le massage-bébé (“damp” en wolof) et le développement
physiologique intégral des tout-petits comme une exigence de santé publique. A travers une enquête menée
auprès de 80 mamans dakaroises, il réalise une typologie des masseuses, fait une radioscopie des raisons
pour lesquelles les bébés ne sont pas massés ou le sont avec une mobilisation musculaire déficiente et des
pathologies auxquelles ils s’exposent, le cas échéant.
A partir d’une lecture critique de l’historiographie de l’Islam maraboutique, Souleymane Dia traite de la survie
du mouvement maadyanke après la débâcle de Samba Saajo. Par ricochet, il met en relief le rôle éminent
qu’Amary Ndack a pu jouer dans la réorganisation de la communauté maadyanke et la renaissance
spirituelle du maadyankisme dans le Baol occidental.
C’est toujours une aventure que de vouloir définir et stabiliser la terminologie d’une discipline en constante
mutation et évolution aime à rappeler Robert Galisson. Cependant l’impérieux besoin scientifique,
intellectuel et métaprofessionnel le fait tenter à Maguette Ndiaye. Il passe en revue les difficultés
d’actualisation et de rénovation terminologiques auxquelles est confrontée la critique arabe moderne, dont
les plus prégnantes ont trait à l’accumulation des termes due à la vitesse de leur sécrétion et l’instabilité
conceptuelle sous-jacente.
C’est encore sur la langue arabe, son cycle de développement et les conditions linguistiques de son
épanouissement ou extinction que porte l’étude de Seydina Diop. Utilisant l’exemplification comme stratégie
pédagogique, il démontre comment les propriétés linguistiques comme la traduction, la mesure, la
reproduction, l’emprunt ou encore la dérivation sont gages de progression et d’enrichissement d’une langue.
En outre, dans son article-essai de dramaturgie, Ibrahima Ba s’intéresse au théâtre sénégalais de langue
française. Son étude, de haute portée didactique, pose un questionnement sur les causes de sa
désagrégation, les enjeux de sa redynamisation et les mesures drastiques nécessaires pour sa régénération
et son exportabilité.
A son tour Philippe Abraham Birane Tine nous plonge dans la tragédie grecque de Sophocle. Dans son
article, le spécialiste de littérature grecque antique, dépeint le personnage Néoptolème dans Philoctète
comme un enfant innocent et candide. Toutefois, l’auteur trouve que sa personnalité enfantine contraste
d’avec son désir de liberté et le respect des valeurs transmises par son père.
Mouhamadoune Seck propose une méthodologie exhaustive d’analyse des pratiques de classe fondée sur
l’utilisation des technologies de l’information et de la culture (TIC). Ainsi la vidéo, le logiciel d’analyse
qualitative (transana) et les tableurs (Excel ou autres) sont des outils idoines pour objectiver l’analyse des
pratiques enseignantes et pour favoriser l’apprentissage ciblé.
Enfin; Djibril Seck analyse l’évolution, dès 1962, de l’offre programmatique et des méthodes d’enseignement
de l’histoire scolaire (notamment celle enseignée à l’école élémentaire), dans la perspective d’y décler
différentes modalités de construction et de consolidation de la nation sénégalaise, les modes de gestion
publique de la demande sociale de mémoire et la logique du « tout scientifique » qui s’installe
progressivement à l’école.
En somme, cette édition de Liens Nouvelle Série offre du bon cru; un faisceau d’études empiriques et de
réflexions théoriques, d’orientation pratique et pas du tout théorétique. Il faut en féliciter le “savoir chercher”,
l’application et la perspicacité des auteures et auteurs qui apportent, dans ce volume, leur contribution
insigne à sa quête insatiable d’objectivité, de scientificité et de qualité.
Bonne lecture
La rédaction rappelle cependant, que les auteurs sont seuls responsables des contenus ici présentés
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SOMMAIRE
El Hadji Habib CAMARA
P. 8
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
Maguette DIENG
Statuts et mutations de la voix énonciative dans “Los hombres mojados no temen la lluvia” de
P. 23
Juan Madrid..
Yvon- Pierre NDONGO IBARA
P. 37
Framing English sound-letter parallelism teaching
Klohinwélé KONE
P. 48
Narrating the feast
Valy FAYE
L’action de l’Eglise Ctholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal : 1817-1872
P.67
Mamadou SARR
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
P. 81
recherche action
Sidia Diaouma BADIANE , Edmée MBAYE, Adrien COLY, AliouneKANE.
«Gnei-gnei»
et
pharmacopée traditionnelle
en
Basse
Casamance
(Sénégal):
Leçons
P. 99
d’investigations sur le sacré et la biodiversité
Moussa FALL
La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la problématique de l’inclusion sociale
P. 110
et scolaire des personnes handicapées
Ousmane BA
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires au
P. 125
Sénégal : Cas de l’UCAD
Souleymane DIALLO
Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
P. 141
Souleymane DIA
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au Baol
P. 154
Seydina DIOP
Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques
P. 173
modernes
Maguèye NDIAYE
« Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî » (la problématique de la terminologie dans la critique
P.184
arabe)
Ibrahima BA
P. 197
Le théâtre sénégalais de langue française
Philippe Abraham Birane TINE
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le Philoctète de Sophocle
P. 213
Mouhamadoune SECK
Stratégies d’enseignement-apprentissage mises en jeu lors d’une séance de travaux pratiques
P. 223
en classe de première scientifique
Djibril SECK
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
P. 244
d’enseignement
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El Hadji Habib CAMARA
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
Résumé
Certains enseignants-chercheurs, par manque de formation pédagogique systématique, éprouvent des difficultés à
formuler et à opérationnaliser un objectif pédagogique. Ce que révèle une partie importante des objectifs pédagogiques
tirés de la plateforme PPU de l’UCAD, ainsi que des plans de cours présentés lors d’ateliers sur la pédagogie
universitaire réalisés en Avril et Mai 2015. C’est un tel état de fait qui est à la base de cette réflexion portant sur la
conceptualisation de l’objectif pédagogique, en vue de doter l’enseignant d’outils lui permettant de mieux le circonscrire
et pouvoir ainsi en faire un usage approprié pour une meilleure gestion de sa pratique. La démarche adoptée dans le
cadre de ce travail consiste, après une évaluation critique des objectifs de la plateforme, à déterminer le régime de
conceptualisation auxquels ils se rattachent en se fondant sur la forme de la connaissance qu’ils ciblent , et à proposer
ensuite, un modèle d’opérationnalisation de l’objectif pédagogique en partant de la description de l’action exprimée par
le verbe de l’objectif, en vue de pouvoir déterminer les ressources et la stratégie d’apprentissage à mettre en œuvre .
Mots-clés : conceptualisation, formes de la connaissance, objectif pédagogique, opérationnalisation, théories de
l’apprentissage,
l’apprentissage,
ABSTRACT
Some faculty teachers, because of lack of systematic teacher training, find it difficult to formulate and operationalize a
learning objective. This reveal an important part of educational objectives from the platform of “ Projet de Pédagogie
Universitaire” of Cheikh Anta Diop University and lesson plans presented at workshops on university teaching conducted
in April and May 2015. This is such a state of affairs which is the basis of this reflection on the conceptualization of
educational objective, to equip the teaching tools to better circumscribe the power and thus make appropriate use for
better management practice. The approach taken in the context of this work consists, after a critical assessment of the
objectives of the platform to determine the regime of conceptualization which they relate, based on the form of the
knowledge they target, and then to propose, a model of operationalization of the educational objective, starting from the
description of the action expressed by the verb of the objective, to be able to determine the resources and the learning
strategy to implement.
Keywords: conceptualization, forms of knowledge, educational objective, operationalization, learning theories
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Liens Nouvelle Série
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
PROBLEMATIQUE
Toute activité d’apprentissage relève d’une intention énoncée en termes d’attente relative à l’acquisition d’un
savoir (au sens large) et désignée par l’expression « objectif pédagogique ».
Cet objectif qui sert de balise à l’activité d’apprentissage induit, ainsi, dans son énonciation, un acte de
langage indicatif d’une activité cognitive et/ou comportementale, visant l’acquisition de savoir. D’où
l’importance qu’on lui accorde dans le champ de l’enseignement-apprentissage et de la formation.
Cette énonciation est, cependant, une préoccupation pour beaucoup d’enseignants, rendant ainsi son
opérationnalisation difficile dans le cadre de leurs pratiques. D’ailleurs, la plupart d’entre eux ne se retrouve
pas dans cette « jungle » de taxonomies d’objectifs pédagogiques qu’on trouve dans la littérature : par
exemple, plus d’une vingtaine sont présentées dans « le dictionnaire actuel de l’éducation » que dirige
Legendre (2005). Même la taxonomie du domaine cognitif de Bloom (1969) qui est la plus vulgarisée au
Sénégal ne semble pas être toujours bien maitrisée, faute de formation pédagogique pour certains de ces
enseignants ou d’une appropriation systématique en rapport avec les matières universitaires pour d’autres
qui ont eu à bénéficier de cette formation, lors de leur passage dans l’enseignement secondaire. Tous
continuent de « peiner » pour formuler correctement ces objectifs en vue de les rendre opératoires.
Pour régler ce problème auquel sont confrontés beaucoup d’enseignants chercheurs, il convient donc de
réfléchir sur une forme de systématisation de l’objectif pédagogique pouvant permettre aux enseignants de
mieux le circonscrire en vue de le rendre opératoire dans le cadre des pratiques enseignantes.
Tel est l’objectif de ce travail qui s’appuie sur un corpus constitué par des objectifs pédagogiques tirés des
cours mis en ligne sur la plateforme du Projet de pédagogie universitaire(PPU) de l’Université Cheikh Anta
Diop (http://www.ucad-crete.edu.sn/pedagogie-universitaire/)et de plans de cours présentés lors des ateliers
PPU de la FST de Avril et Mai 2015 ; ce corpus est traité sur la base de définitions, de concepts et de
théories relevant de la psychologie des apprentissages.
La démarche adoptée, à cet effet, a consisté à
-
évaluer les objectifs du corpus identifié suivant les principes de formulation des objectifs tels que
rapportés par Legendre dans le dictionnaire actuel de l’éducation (2005)
-
déterminer les régimes de conceptualisation de l’objectif pédagogique (tels déclinés par Pastré,
2008) au regard des formes de la connaissance (telles que définies par Vergniaux, 1996), pour
ensuite l’inscrire dans deux grands cadres théoriques relevant de la psychologie des apprentissages
(béhavioriste ou constructivisme)
C’est, en somme, un double travail d’évaluation et de conceptualisation (ou systématisation), car il s’agit
une fois la bonne formulation de l’objectif consacrée (travail d’évaluation), de relier ce dernier à des
concepts et à des théories de la connaissance (travail de conceptualisation)
1. Etat des lieux en matière de formulation d’objectifs pédagogiques chez des
enseignants de l’UCAD
Une certaine confusion liée à la polysémie caractérisant cette notion d’objectif en pédagogie est, sans doute,
une des premières difficultés à surmonter pour la circonscrire convenablement.
L’objectif en pédagogie désignant le « résultat déterminé avec précision que le sujet doit atteindre pendant
ou à la fin d’une situation pédagogique ou d’un programme d’études » (Legendre, 2005, 943) ; Il renvoie
ainsi à *l’expression (par un formateur) d’une intention, d’une attente *concernant un sujet
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El Hadji Habib CAMARA
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apprenant*portant sur une habileté en termes d’opération cognitive et/ou comportementale (indiquant l’action
attendue de la part du sujet et exprimée par un verbe)* en rapport avec un objet.
Une telle expression se présente généralement sous la forme de phrase déclarative avec un sujet (souvent
élidé), un verbe (équivoque ou univoque) et un complément d’objet.
Dans une situation pédagogique, on fait, toutefois, référence à deux types d’objectifs qui sont certes
étroitement liés mais qui n’en sont pas moins distincts, donc différents : l’’objectif général et l’objectif
spécifique.
L’objectif général désigne « un objectif exprimant une intention éducationnelle abstraite et présentant un
large ensemble de caractéristiques anticipées ou de changements durables devant survenir chez un groupe
[ou un individu] au terme d’une séquence d’apprentissage prolongée » (Legendre, 2005, p. 950). Il « sert de
point de départ pour définir les objectifs particuliers » (op.cit)
Quant à l’objectif spécifique, c’est « un objectif faisant la jonction d’un contenu et d’une habileté, et
formulant, de la façon la plus précise possible, la compétence qu’un sujet doit acquérir ou améliorer pendant
ou au terme d’une situation pédagogique » (Legendre, 2005, 959) Il devient opératoire en « décrivant en
termes de comportements observables[ou mesurables] ce qui est attendu du sujet à la suite d’une situation
pédagogique » (ibid., p.952).
L’objectif général est , en effet, plus vague et nécessite plus de temps pour sa réalisation ; il est explicité par
au moins deux objectifs dits spécifiques qui sont formulés de la manière la plus précise possible; une telle
précision qui caractérise l’objectif spécifique est indiquée par l’univocité du verbe utilisé et l’évocation des
conditions de réalisation de l’action exprimée par ce verbe ; ce qui donne une phrase (déclarative)
comportant un sujet(souvent élidé), un verbe univoque, un complément d’objet, des compléments
circonstanciels(de manière, de moyen,…de temps).
Au demeurant, l’énonciation de tout objectif spécifique (verbe à sens univoque) dépend de celui d’un objectif
général (verbe à sens équivoque) qui lui sert de référence ; c’est ainsi qu’on s’attend à une congruence
entre l’objectif général et ses objectifs spécifiques ; ces derniers étant des déclinaisons du premier comme le
montre le tableau suivant :
Tableau 1 : exemple d’objectif général et d’objectifs spécifiques en congruence
Objectif général
A la fin de la situation pédagogique, l’étudiant
comprendre la notion d’objectif pédagogique
Objectif spécifique
A la fin de la situation pédagogique, l’étudiant doit être
capable de
-Définir un objectif pédagogique,
-décrire un objectif pédagogique
-identifier un objectif pédagogique
-expliquer un objectif pédagogique
doit
Qu’en est-il des objectifs pédagogiques formulés par les enseignants-chercheurs de l’Université Cheikh Anta
Diop de Dakar ?
Une revue des objectifs pédagogiques formulés dans le cadre des cours hébergés par la plateforme de la
pédagogie universitaire de l’UCAD(http://www.ucad-crete.edu.sn/pedagogie-universitaire/) ou de plans de
cours présentés en ateliers, laisse entrevoir un réel malaise chez la plupart des enseignants chercheurs en
matière de formulation d’objectifs ; les problèmes identifiés portent entre autres sur le manque de
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Liens Nouvelle Série
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
congruence entre les objectifs généraux et leurs objectifs spécifiques, l’usage de verbes à sens équivoque
dans la formulation des objectifs spécifiques, l’usage de deux verbes dans un même énoncé, une utilisation
peu rationnelle de la taxonomie de Bloom chez certains et l’absence systématique de référentiel
taxonomique chez d’autres.
Le tableau suivant donne des indications sur les problèmes identifiés dans la formulation des intentions
pédagogiques par des enseignants de l’UCAD
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El Hadji Habib CAMARA
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Tableau 2 : problèmes relatifs à la formulation des objectifs dans des cours à l’UCAD
Problème identifié
le manque de congruence entre les
objectifs généraux et leurs objectifs
spécifiques
illustrations
THEME :
OG : S'approprier la méthodologie de l'enseignement de l’Alimentation
de la femme enceinte
OS 1 : Expliquer les besoins alimentaire spécifiques de la
femme enceinte ;
OS 2 : Choisir les aliments indiqués en respectant les
règles d’hygiène et l’équilibre nutritionnel ;
OS 3 : Proposer une ration alimentaire en tenant compte
des réalités du milieu et des disponibilités alimentaires
THEME : Planification des apprentissages
OG1 : Planifier un programme d’enseignement pour une période
déterminée
OS. Répartir les différentes activités d’un enseignant dans
un trimestre
THEME
OG 2 : . Concevoir une fiche de préparation d’une leçon
OS. rappeler les différentes parties d’une fiche de
préparation de leçon
OS. établir une fiche de préparation d’une leçon 4.
rappeler quelques qualités indispensables d’une leçon
OS citer quelques applications d’une leçon dans la vie
courante
OS. citer quelques approches pédagogiques pour
introduire une leçon
THEME : les roches magmatiques
OG 3 : expliquer les mécanismes de formation des roches
magmatiques
OS : décrire les conditions de formation et de mise en place
d’un magma
OS : faire la classification des roches en fonction des cas
OS : décrire l’architecture et la constitution des roches
OS : identifier les milieux de mise en place de l’éruption
volcanique à partir des produits émis
OS : caractériser les roches magmatiques(plutoniques,
filoniennes et volcaniques)
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Observations
L’objectif général porte sur une appropriation de la méthodologie de
l'enseignement de l’Alimentation de la femme enceinte, mais aucun
des trois objectifs spécifiques ne renvoie dans son énoncé à cette
méthodologie
L’OG 1 ne correspond ici qu’à un seul objectif spécifique ; dans un tel cas
le verbe utilisé dans l’OG a un sens univoque rendant compte d’une
habileté complexe qui renvoie, ainsi, à différentes activités ; ainsi
chacune de ces activités doit faire l’objet d’une formulation en objectifs
spécifique
(ex.identifier les activités…établir un chronogramme etc)
Concernant l’OG 2, il n’est nullement en phase avec les OS en termes
d’habiletés
Le verbe de l’OG est non seulement de sens univoque, mais l’activité qu’il
indique est trop restrictive pour comprendre les roches magmatiques. Par
ailleurs expliquer est un verbe spécifique qui, dans la taxonomie de
Bloom, est une déclinaison du verbe comprendre, plus équivoque
De même l’objet sur lequel porte ce verbe ne couvre pas les objets
échantillonnés par les OS 2, 3 et 5 ; il n’y a donc pas de congruence entre
l’OG et ces OS
Liens Nouvelle Série
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
l’usage de verbes à sens équivoque
dans la formulation des objectifs
spécifiques
l’usage de deux verbes dans un même
énoncé
L’usage du même verbe dans la
formulation des deux types d’objectifs
une utilisation peu rationnelle de la
taxonomie de Bloom
l’ignorance/l’absence systématique de
référentiel taxonomique chez d’autres
THEME : Les règles et les usages de l’expression écrite
OG Renforcer ses capacités à s’exprimer correctement à l’écrit
OS1 :. Déjouer les pièges de l’orthographe, de la
grammaire)
OS2. Déjouer les pièges du vocabulaire
OS3. Déjouer les pièges de la conjugaison
OS4. Déjouer les pièges de la grammaire
THEME : Méthodologie de l’entrainement sportif
connaitre et expliquer les concepts liés à l'entrainement
sportif;
comprendre et appliquer les principes de l'entrainement
sportif et les effets de la charge sur l'organisme
THEME : Sémiologie médicale
OG : examiner cliniquement un patient de façon correcte afin
d’élaborer des diagnostics précis et rapides en milieu à faibles
ressources économiques
OS1 : Examiner un malade
OS2 : Décrire les symptômes des maladies
OS 3 :Faire une synthèse syndromique
THEME : Sémiologie médicale
OG - comprendre tous les tableaux cliniques et para cliniques
OS :Décrire tous les tableaux cliniques et para cliniques
OS :Enumérer 6 caractères sémiologiques de l’érysipèle de
jambe
OS :Citer 5 portes d’entrées de cette infection
OS :Enumérer les anomalies de l’hémogramme au cours de
l’érysipèle
OS :Citer les 3 circonstances de survenue de la
dermohypodermite nécrosante
OS :Citer les 3 groupes de signes cliniques qui la
caractérisent
OS :Décrire 2 autres dermohypodermites bactériennes non
streptococcique
THEME : une communication efficace
O.G 1 une connaissance des principes, des stratégies et des
techniques de communication
O.S 1 Maîtriser les concepts de la communication
O.S 2 Maîtriser les stratégies et les techniques de la
communication
O.G 2 une application des règles et des techniques pour une bonne
communication
O.S. 3 Appliquer les règles de façon efficace
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Dans le cadre d’un renforcement des capacités à l’expression correcte en
matière d’écrit, on doit plus se soucier d’appliquer des règles que de se
limiter à déjouer des pièges ; tel n’est donc pas le cas ici. Par ailleurs le
verbe déjouer n’est pas très explicite dans ce contexte ; il est équivoque
et renvoie donc à une diversité d’actions plus explicites susceptibles de
faire ou d’être l’objet de formulation d’objectifs spécifiques (identifier les
pièges ; appliquer les règles etc.)
Les énoncés portent chacun sur deux activités bien distinctes ; il convient
de distinguer chaque activité en lui réservant sa propre formulation en vue
de faciliter la déclinaison des objectifs spécifiques ; par ailleurs, nous
relevons dans les deux cas l’association d’un verbe à sens équivoque et
d’un verbe à sens univoque, ce qui dénote d’une méconnaissance des
règles de formulation des objectifs
Le verbe de l’OG (censé être de sens équivoque) ne peut se trouver dans
celui d’un des OS (censé être univoque) ;
Si l’on admet un verbe à sens univoque dans la formulation de l’OG, il doit
exprimer une action complexe susceptible d’être déclinée en deux ou
plusieurs sous-actions devant d’être l’objet de formulation d’objectifs
spécifiques
Si l’on se réfère à la taxonomie de Bloom, tous les verbes des OS
proposés relèvent non pas du niveau de la compréhension mais de celui
de la connaissance qui le précède. Sous ce rapport, l’OG devrait être
formulé comme suit « connaitre les tableaux cliniques et
paracliniques…. » pour être en congruence avec les OS sus-cités
L’utilisation de substantif dans la formulation des objectifs n’est pas
conventionnellement acceptée en pédagogie ; en outre le recours à des
verbes rendant compte d’une action complexe ne convient pas aussi dans
l’énoncé d’un objectif spécifique.
El Hadji Habib CAMARA
N° 20
Décembre
2015
De telles insuffisances sont donc caractéristiques de la formulation des objectifs en milieu
universitaire ; elles sont en partie imputables à un manque de formation pédagogique avérée, mais
aussi à l’absence de modèle épistémologique voire théorique systématisé permettant de mieux cerner
cet objet
Aussi devrions -nous chercher à circonscrire cet objectif d’apprentissage en le conceptualisant, en
vue de mieux rationnaliser son usage dans le discours et la pratique des enseignants, surtout ceux,
parmi eux, qui n’ont pas suivi une formation pédagogique.
2 .Une conception dichotomique de l’objectif pédagogique
Conceptualiser un objet c’est dépasser sa seule description (Vinatier, 2012), plus précisément, sa
configuration empirique ; il s’agit précisément d’un travail d’abstraction consistant à se représenter
rationnellement l’objet et à le ranger, grâce à une construction mentale, dans des catégories
réutilisables à chaque expérience nouvelle (Bayoux, 2009). C’est en somme par une interprétation
théorique que l’on parvient à saisir cet objet.
Dés lors, conceptualiser l’objectif pédagogique, c’est lui donner une interprétation théorique,
autrement dit l’inscrire voire le mettre en perspective dans un champ théorique. Ce travail consistera
à relier l’objectif pédagogique à des concepts, des modèles et des théories de la connaissance parce
que son énonciation implique l’acquisition d’un savoir par l’apprentissage. Il s’appuie, d’une part, sur
les travaux du psychologue Vergnaux (1996)et du didacticien Pastré (2008) relatifs aux deux formes
de la connaissance et aux deux registres de conceptualisation à travers lesquels ces formes
s’expriment si elles s’appliquent à un domaine donné ; il fait aussi référence à deux théories de la
connaissance : le béhaviorisme et le constructivisme.
En effet, tout apprentissage vise l’acquisition d’un savoir. Ce savoir exprimé sous la forme d’une
connaissance comporte selon Vergnaud (1996) deux formes distinctes certes, mais
complémentaires :
-
La forme « prédicative » représentant la dimension de la connaissance qui appréhende le
réel comme un ensemble d’objets, de propriétés et de relations ;
La forme « opératoire», constituant l’autre dimension de la connaissance, celle qui s’investit
dans l’action pour l’orienter.
En s’appliquant à un domaine donné, chacune de ces formes de la connaissance s’exprime selon un
registre de conceptualisation déterminée avec des visées bien distinctes (Pastré, 2008)
Tableau 3 : forme de la connaissance et régime de conceptualisation
modalités
Forme de la connaissance
prédicative
opératoire
Registre de conceptualisation
épistémique
pragmatique
Objectif
comprendre
Agir/rendre opératoire
Questions y afférentes
Qui ?quoi ?qu’est-ce que ?
Comment ? avec quoi ?, En quoi ?
D’après Pastré, 2008
-
- la forme prédicative se rapporte au registre épistémique en ce qu’elle vise la compréhension
d’un objet, à travers l’identification de ses éléments, leurs propriétés et leurs relations
Quant à la forme opératoire, elle renvoie au registre pragmatique de la connaissance qui
permet, dans une situation, de relier les prises d’information sur la situation aux répertoires de
règles disponibles avec pour but la réussite de l’action. (ibid., 2008)
14
Liens Nouvelle Série
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
Ainsi l’acquisition de savoir relatif à un objet donné vise principalement deux objectifs majeurs en
rapport avec les deux registres de conceptualisation identifiés : comprendre l’objet (registre
épistémique) et/ou le rendre opératoire, autrement dit, le mettre en forme ou en œuvre ou en
application ou en action ou à l’essai, selon sa nature (registre pragmatique) ; le premier met
l’accent sur la nature voire la quiddité de l’objet ; quant au second, il s’intéresse ,selon le cas, à
la fonction, l’utilité, l’usage voire l’utilisation de l’objet.
Aussi, dans tout apprentissage, l’atteinte de ces objectifs implique-t-elle la mise en œuvre
d’habiletés intellectuelles appropriées :
- des habiletés intellectuelles pour saisir l’objet (le comprendre)
- des habiletés intellectuelles
l’essai »/l’éprouver)).
pour rendre opératoire l’objet (en faire usage, « le mettre à
Au demeurant, si l’apprentissage vise la compréhension d’un objet et/ou son usage pour la
réussite d’une action, il convient, au préalable, d’identifier les habiletés intellectuelles attendues
d’un individu censé comprendre l’objet en question ou le rendre opératoire/en faire usage
Ainsi, pour la compréhension, si l’on se réfère à la forme prédicative de la connaissance en rapport
avec le registre épistémique (qui appréhende le réel comme un ensemble d’éléments, leurs
propriétés et leurs relations), il faut s’attendre, en termes d’habiletés, à ce qu’il soit un individu capable
de définir l’objet, le décrire, l’identifier/le reconnaitre, l’expliquer, l’analyser, l’interpréter, l’évaluer
(dégager ou déterminer sa portée) etc.
Pour la mise à l’essai, voire l’usage de l’objet en vue de la réussite d’une action le concernant , si l’on
s’appuie sur la forme opératoire de la connaissance, au regard du registre pragmatique, on s’attend,
en termes d’habiletés à ce que l’individu soit capable de mettre en œuvre, de mettre en action, de
mettre à l’essai, de mettre en forme quelque chose, en d’autres termes qu’il soit capable de faire
valoir un savoir acquis, de l’utiliser, de l’appliquer pour réaliser, concevoir, produire, construire
quelque chose.
On pourrait, ainsi, procéder à une première illustration avec un apprentissage ayant pour objet,
l’objectif pédagogique. On se fixerait deux objectifs généraux ou objectifs terminaux (se rapportant à
l’un des deux registres épistémique et pragmatique) avec leurs déclinaisons en objectifs spécifiques
en rapport par les attentes indiquées précédemment :
Tableau 4 : illustration avec l’apprentissage de la notion d’objectif pédagogique
Registre épistémique
Registre pragmatique
OG : comprendre un objectif pédagogique,
OS possibles :
-Définir un objectif pédagogique,
- décrire un objectif pédagogique
-identifier un objectif pédagogique
-expliquer un objectif pédagogique
-analyser un objectif pédagogique
-interpréter un objectif pédagogique
-évaluer un objectif pédagogique
OG: rendre opératoire un objectif pédagogique
OS possibles :
-formuler un objectif pédagogique
-utiliser un objectif pédagogique /mettre en œuvre un
objectif pédagogique dans…
-transformer un objectif pédagogique en consignes et en
question
A l’Université et dans toute autre structure de formation, les visées de l’apprentissage et de la
formation ne peuvent s’écarter de ces deux catégories d’objectifs ; ce que nous comptons démontrer
en traitant les objectifs que l’on trouve dans la plateforme de la pédagogie universitaire ; nous avons
aussi suggéré une reformulation de certains de ces objectifs pour corriger les insuffisances attestées
précédemment
15
El Hadji Habib CAMARA
N° 20
Décembre
2015
Tableau 5 : illustration avec les objectifs du corpus
Titre des cours
l’alimentation
de
femme enceinte
Planification
apprentissages
la
des
Objectifs tels énoncés dans les cours portés par la
plateforme
OG :
S'approprier
la
méthodologie
de
l'enseignement de l’Alimentation de la femme
enceinte
OS 1 : Expliquer les besoins alimentaire
spécifiques de la femme enceinte ;
OS 2 : Choisir les aliments indiqués en
respectant les règles d’hygiène et
l’équilibre nutritionnel ;
OS 3 : Proposer une ration alimentaire
en tenant compte des réalités du milieu
et des disponibilités alimentaires
OG1 : Planifier un programme d’enseignement
pour une période déterminée
OS. Répartir les différentes activités d’un
enseignant dans un trimestre
OG 2 : Concevoir une fiche de préparation
d’une leçon
OS. rappeler les différentes parties d’une
fiche de préparation de leçon
OS. établir une fiche de préparation d’une
leçon 4. rappeler quelques qualités
indispensables d’une leçon
OS citer quelques applications d’une leçon
dans la vie courante
OS. citer quelques approches pédagogiques
pour introduire une leçon
Classement
suivant les 2 registres, sans
modification des énoncés
Registre épistémique
OS 1 : Expliquer les besoins alimentaire
spécifiques de la femme enceinte ;
Registre pragmatique
OS 2 : Choisir les aliments indiqués en
respectant les règles d’hygiène et
l’équilibre nutritionnel ;
OS 3 : Proposer une ration alimentaire en
tenant compte des réalités du milieu et
des disponibilités alimentaires
Reformulation suggérée
OG 1
Registre épistémique
OS. rappeler les différentes parties d’une fiche
de préparation de leçon
OS. rappeler quelques qualités indispensables
d’une leçon
OS citer quelques applications d’une leçon
dans la vie courante
OS. citer quelques approches pédagogiques
pour introduire une leçon
OG2
Registre pragmatique
OS. Répartir les différentes activités d’un
enseignant dans un trimestre
OS. établir une fiche de préparation d’une
leçon
OG 1
Registre épistémique
OS : Identifier les activités
Registre pragmatique
OS : -établir un chronogramme
16
Registre épistémique
OS1 :Identifier les contenus à enseigner
OS2 : Définir les stratégies appropriées
Registre pragmatique
OS3 :
Formuler
les
objectifs
d’apprentissage
OS4 : Planifier les apprentissages
OG 2
Registre épistémique
OS :Identifier les contenus
OS : Identifier les activités
Registre pragmatique
OS : Enoncer des objectifs
OS : Choisir les stratégies d’apprentissage
OS : Planifier le déroulement
Liens Nouvelle Série
Les
magmatiques
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
roches
Les règles et les usages de
l’expression écrite
Méthodologie
l’entrainement sportif
Sémiologie médicale
de
OG : expliquer les mécanismes de formation des
roches magmatiques
OS : décrire les conditions de formation et de
mise en place d’un magma
OS : faire la classification des roches en
fonction des cas
OS : décrire l’architecture et la constitution
des roches
OS : identifier les milieux de mise en place
de l’éruption volcanique à partir des
produits émis
OS :
caractériser
les
roches
magmatiques(plutoniques, filoniennes et
volcaniques)
OG Renforcer ses capacités à s’exprimer
correctement à l’écrit
OS :. Déjouer les pièges de l’orthographe, de
la grammaire)
OS. Déjouer les pièges du vocabulaire
OS. Déjouer les pièges de la conjugaison
OS. Déjouer les pièges de la grammaire
Registre épistémique
OS : décrire les conditions de formation et de
mise en place d’un magma
OS : décrire l’architecture et la constitution des
roches
OS : identifier les milieux de mise en place de
l’éruption volcanique à partir des produits émis
OS : caractériser les roches magmatiques
(plutoniques, filoniennes et volcaniques)
Registre pragmatique
OS : faire la classification des roches en
fonction des cas
Registre épistémique
OS : décrire les conditions de formation et de
mise en place d’un magma
OS : décrire l’architecture et la constitution
des roches
OS : caractériser les roches
Registre pragmatique
OS : faire la classification des roches en
fonction des cas
Comparer les différents types de roches
magmatiques
Registre pragmatique
OS :. Déjouer les pièges de l’orthographe, de la
grammaire)
OS. Déjouer les pièges du vocabulaire
OS. Déjouer les pièges de la conjugaison
OS. Déjouer les pièges de la grammaire
- connaitre et expliquer les concepts liés à
l'entrainement sportif;
- comprendre et appliquer les principes de
l'entrainement sportif et les effets de la
charge sur l'organisme
Registre épistémique
OS :
expliquer
les
concepts
liés
à
l'entrainement sportif
Registre pragmatique
OS : appliquer les principes de l'entrainement
sportif et les effets de la charge sur l'organisme
Registre épistémique
OS : Identifier les pièges
OS : Analyser les pièges
Registre pragmatique
OS : Appliquer les règles de l’orthographe,
OS : Appliquer les règles du vocabulaire
OS : Appliquer les règles de conjugaison
OS : Appliquer les règles de grammaire
Registre épistémique
OS : Identifier les concepts liés à
l'entrainement sportif
OS : expliquer les concepts liés à
l'entrainement sportif
Registre pragmatique
OS :appliquer les principes de l'entrainement
sportif et les effets de la charge sur
l'organisme
Registre épistémique
OS : Décrire les symptômes des maladies
Registre pragmatique
OS :Faire une synthèse syndromique
OS : Examiner un malade
-
OG : examiner cliniquement un patient de façon
correcte afin d’élaborer des diagnostics
précis et rapides en milieu à faibles
ressources économiques
OS1 : Examiner un malade
OS2 : Décrire les symptômes des maladies
OS 3 :Faire une synthèse syndromique
Registre épistémique
OS : Décrire les symptômes des maladies
Registre pragmatique
OS : Faire une synthèse syndromique
OS1 : Examiner un malade
17
El Hadji Habib CAMARA
Sémiologie médicale
Communication efficace
N° 20
OG - comprendre tous les tableaux cliniques et
para cliniques
OS :Décrire tous les tableaux cliniques et
para cliniques
OS :Enumérer 6 caractères sémiologiques de
l’érysipèle de jambe
OS :Citer 5 portes d’entrées de cette infection
OS :Enumérer
les
anomalies
de
l’hémogramme au cours de l’érysipèle
OS :Citer les 3 circonstances de survenue de
la dermohypodermite nécrosante
OS :Citer les 3 groupes de signes cliniques
qui la caractérisent
OS :Décrire 2 autres dermohypodermites
bactériennes non streptococcique
O.G 1 une connaissance des principes, des
stratégies et des techniques de communication
O.S 1 Maîtriser les concepts de la
communication
O.S 2 Maîtriser les stratégies et les
techniques de la communication
O.G 2 une application des règles et des techniques
pour une bonne communication
O.S. 3 Appliquer les règles de façon efficace
Décembre
2015
Registre épistémique
OS : Décrire tous les tableaux cliniques et para
cliniques
OS :Enumérer 6 caractères sémiologiques de
l’érysipèle de jambe
OS :Citer 5 portes d’entrées de cette infection
OS :Enumérer les anomalies de l’hémogramme
au cours de l’érysipèle
OS :Citer les 3 circonstances de survenue de
la dermohypodermite nécrosante
OS :Citer les 3 groupes de signes cliniques qui
la caractérisent
OS :Décrire 2 autres dermohypodermites
bactériennes non streptococcique
Registre épistémique
idem
Registre pragmatique
OS :Concevoir un tableau clinique
OS : Exploiter un tableau clinique
Registre épistémique
O.S 1 Maîtriser les concepts de la communication
Registre pragmatique
O.S 2 Maîtriser les stratégies et les techniques de la
communication
O.S. 3 Appliquer les règles de façon efficace
Registre épistémique
OS :Identifier les concepts de la communication
OS :expliquer les concepts de la communication
Registre pragmatique
OS : mettre en œuvre les stratégies et les
techniques de la communication
OS : Appliquer les règles de façon efficace
18
Liens Nouvelle Série
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
Tout apprentissage peut porter sur les deux registres en sur-ordonnant ou subordonnant l’un à l’autre,
comme le montrent les exemples suivants :
-. L’apprentissage de la formulation d’un objectif pédagogique peut être subordonné à l’apprentissage
de l’identification ou de la caractérisation d’un objectif pédagogique
-. L’apprentissage de la description des symptômes d’une maladie peut être précédé ou et surordonné par l’apprentissage de l’examen d’un patient
3. Opérationnalisation de l’objectif
Une fois la catégorisation des objectifs établie suivant les types de registres de conceptualisation
identifiés, il convient d’envisager leur opérationnalisation, c'est-à-dire leur mise en œuvre en termes
d’action cognitive et comportementale à réaliser.
En effet un objectif pédagogique est un énoncé qui renvoie à un acte de langage impliquant de facto
une situation d’énonciation, laissant ainsi entrevoir la manière dont l’action projetée devrait se
dérouler.
L’objectif, ainsi formulé par l’enseignant à l’intention de l’étudiant, porte sur une capacité cognitive ou
comportementale (à acquérir ou à développer ou à déployer) exprimée sous la forme d’une action en
latence à réaliser ou une attitude à développer dans des conditions (spatiale et temporelle), avec des
ressources et une manière appropriées.
Nous considérons ici la capacité ciblée par l’objectif comme l’expression d’une action en latence ;
l’action (indiquée par le verbe de l’objectif) étant l’expression descriptible, en latence ou en puissance
d’une capacité à acquérir par l’apprentissage pour être en mesure de la faire valoir dans d’autres
circonstances.
Ainsi, pour la réussite de l’action par l’étudiant, les conditions, les ressources et la stratégie doivent
être circonscrites au préalable par l’enseignant ; ce qu’il pourrait faire en s’appuyant, surtout sur le
procès et l’aspect du verbe de l’objectif(le procès désignant l’action exprimée par le verbe ; quant à
l’aspect, il indique la manière dont se déroule l’action exprimée par le verbe).
C’est parce qu’une telle action est descriptible, montrable, décomposable, qu’elle peut servir de
référence voire de balise à l’enseignant pour opérationnaliser l’objectif, autrement dit être en mesure
de déterminer les ressources et de formuler les questions et ou les consignes d’apprentissage. Pour
cela , il faut partir de la définition opératoire du verbe de l’objectif en vue cerner l’action exprimée par
le verbe, et sur cette base, se faire une idée précise des ressources et de la démarche
d’apprentissage appropriées que nécessite la réalisation de l’objectif, en cherchant à répondre aux
questions suivantes induites par l’action : avec quoi et comment ?
Par ailleurs, l’opérationnalisation pourrait bien épouser, une des deux principales théories de
l’apprentissage (béhavioriste et constructiviste) suivant les circonstances
à déterminer par
l’enseignant.
En effet, la formulation d’un objectif relève originellement de la tradition béhavioriste : on conditionne
pour obtenir le comportement souhaité, qui doit être observable ; dans ce cas l’enseignant est amené
à procéder au découpage de l’activité d’apprentissage en taches simples indiquant au besoin la
démarche à suivre ou l’algorithme à mettre en œuvre ; l’activité pourrait ainsi porter sur une
exemplification d’un savoir à transmettre (Vergniaux et al, 2004, Pastré, 2008)
Comme l’apprentissage ne se limite pas toujours à un comportement observable, car pouvant porter
sur une action cognitive et eu égard à la responsabilisation de l’apprenant qu’induit le contenu de
l’énoncé de l’objectif, son affiliation aux théories constructivistes est attestée surtout si le résultat
attendu renvoie à une action ou un comportement de haute tension intellectuelle /professionnelle ;
19
El Hadji Habib CAMARA
N° 20
Décembre
2015
aussi l’activité d’apprentissage, proposée à cet effet, par l’enseignant, renvoie-t-elle à une tache
globale, complexe, présentée sous la forme d’un problème (à résoudre seul ou avec l’aide d’un
tuteur), qui , a priori, ne donne aucune indication sur la démarche à suivre ou l’algorithme à mettre en
œuvre.( Brousseau , 1998 ; Vergniaux et al, 2004 ;, Pastré, 2008,).
Illustrons avec quelques objectifs choisis dans le document
20
Liens Nouvelle Série
Une conceptualisation de l’objectif pédagogique
Tableau 5 : démarche d’opérationnalisation d’objectifs pédagogique
Objectifs spécifiques
Définition opératoire
Ressources nécessaires
pour l’acquisition d’une
telle capacité
Stratégies
nécessaires
pour l’acquisition d’une
telle capacité
Un exemple de consignes
dans
une
formulées
perspective béhavioriste ()
Un exemple de consignes
formulées
dans
une
perspective
constructiviste
Décrire les symptômes des maladies
Capacité à présenter ou à montrer ou à
représenter ou à rendre compte par écrit
ou oralement les indices révélateurs de
l’existence d’une maladie chez un patient
Expliquer les besoins alimentaire
spécifiques de la femme enceinte
Capacité à donner les raisons ou les
motifs qui justifient l’utilité ou la
nécessité d’une alimentation spécifique
pour la femme enceinte
-la présence d’un patient ou sa
représentation
-données sur les indices révélateurs de la
maladie
Travail d’observation, de monstration,
d’analyse
Ou Capacité à donner des indications
sur ce dont a besoin une femme
enceinte en matière d’alimentation
-.
données.sur
les
exigences/les
risques/les
nutriments/la composition
des aliments/l’état sanitaire de la femme
enceinte
Travail d’analyse, d’interprétation,
de
justification
Exercices d’appariement : reliez par une
flèche les symptômes (de vrais
symptômes + des distracteurs) figurant
dans la première colonne et les maladies
indiquées dan la seconde colonne
Après avoir pris connaissance de l’état
ou s’être informé sur l’état de la femme
enceinte, donne des indications sur les
aliments qui lui sont indispensables, en
précisant ce qu’ils lui apportent sur le
plan sanitaire et en indiquant les risques
encourus en cas de privation ou de
manque
Observe et si possible interroge le patient
pour ensuite rendre compte de son état
de santé en l’étayant avec des indices
précis
Donne les raisons pour lesquelles une
femme
enceinte
a-besoin
d’une
alimentation spécifique
21
Appliquer les
grammaire
règles
de
la
Planifier les apprentissages
Capacité à mettre en pratique
les règles ou à respecter les
règles
Capacité à préparer, à organiser
d’avance le déroulement ou
l’accomplissement des activités
d’apprentissage
-données sur les règles de
grammaire
données
sur
les
apprentissages
(activités,
stratégies/, la cible/la durée/le
lieu
Travail de structuration, de
coordination de programmation
Travail de mise en pratique
Rédige un texte d’une dizaine de
phrases
comportant
des
adjectifs qualificatifs rendant
compte des activités et des
attitudes d’un groupe (composé
de deux
hommes et trois
femmes) en respectant la règle
suivante : le masculin l’emporte
sur le féminin
Rédige correctement un texte de
d’une dizaine de phrases
comportant
des
adjectifs
qualificatifs rendant compte des
activités et des attitudes d’un
groupe (composé de deux
hommes et trois femmes)
Après avoir identifié les objectifs
pédagogiques, propose des
activités
d’apprentissage
et
détermine les modalités de
réalisation ainsi qu’ un timing
pour chaque activité
Conçois une fiche pédagogique
pour tel cours
El Hadji Habib CAMARA
N° 20
Décembre
2015
CONCLUSION
Ce travail de conceptualisation propose une lecture plus systématique de l’objectif pédagogique, en
référence à des concepts et des théories relatifs à la connaissance ; il offre, ainsi, aux enseignantschercheurs des «balises » leur permettant de circonscrire l’objectif pédagogique et d’en maitriser la
formulation pour un usage efficient dans le cadre de leurs pratiques.
Cette capacité à formuler un objectif pédagogique rapproche ainsi le travail de l’enseignant à celui de
l’ingénieur, en ce qu’elle l’aide à élaborer son projet de cours, autrement dit à préparer de manière
systématique le déroulement des apprentissages(l’identification des activités, les ressources et les moyens
et stratégies de leur mise en œuvre, leur progression, leur coordination, leur programmation, les feedback
etc) en vue de réduire autant que possible la part d’incertitudes et d’improvisation manifeste dans toute
activité d’enseignement –apprentissage.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bayoux, J-J. (2009). La géographie : objets, méthodes, débats. 2é édition Paris : Armand Colin, 309 p.
Bloom, B-S. (1969). Taxonomie des objectifs d’apprentissage : le domaine cognitif. Montréal : Education
nouvelle
Brousseau, G.(1998).Théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée Sauvage
CDP/PPU(2013) : rapport général de l’Atelier de la stratégie 3 du Contrat de Performance. URL:
www.ucad.sn/pédagogie-universitaire.Consulté le 14/02/2014
Legendre R.(2005). Dictionnaire actuel de l’Education. 3é édition. Montréal : Guérin.
PPU : plateforme elearning de la pédagogie universitaire www.ucad.sn/pédagogie-universitaire
Pastre, P. (2008). Apprentissage et activité’’, In Lenoir Y., Pastré P., (dir.), Didactique professionnelle et
didactique disciplinaires en débat, 53-79, Toulouse, Octarés Editions.
Vergnaud, G. (1996) Au fond de l’action, la conceptualisation. In Barbier, J-M., (dir.), Savoirs théoriques et
savoirs d’action, 275-292, Paris, PUF.
Vinatier, I., (2013). Le travail de l’enseignant : une approche par la didactique professionnelle. Bruxelles :
De Boeck, 128 p.
Verhaeghe, J-C ; Wolfs, J-L ; Simon, X ; Compère, D.(2004) Pratiquer l’épistémologie : un manuel d’initiation
pour les maîtres et formateurs. Bruxelles : De Boeck Université
22
Maguette DIENG
Statuts et mutations de la voix énonciative dans “Los hombres
mojados no temen la lluvia” de Juan Madrid.
Résumé:
La dernière publication de Juan Madrid met au rebus le personnage fétiche de ses fictions antérieures,
Antonio Carpintero, pour nous plonger dans le monde rhétorique et polémique des virtuoses des barreaux,
les avocats. Liberto Ruano, conseil très à cheval sur ses nobles principes, se découvre subitement des
connexions plus qu’étroites avec les membres de la mafia calabraise. Tout comme Œdipe, il verra ses actes
le mener irrémédiablement à faire sienne la tortuosité morale qu’il a toujours reniée. Sans pour autant
déprécier la trame romanesque de l’œuvre, les lignes qui suivent s’intéressent à l’étude des signes et
caractéristiques de la voix énonciative responsable de la fiction.
Mots-clefs: Enchâssement, instance narrative, narrateur, narratologie, récit hypodiégétique.
Abstract:
Juan Madrid’s latest publication gets rid of the fetish character of his earlier fictions, Antonio Carpintero , in
order to immerge us in the rhetoric and controversial world of the virtuoses of the bar, the lawyers . Liberto
Ruano, a counsel very proud of his noble principles, suddenly appears more tightly linked to the members of
the Calabrian mafia. Like Oedipus, he will see his actions lead him hopelessly to adopt the moral
crookedness he has always denied. The following lines are not interested in the themes of the novel, but
rather to the study of signs and characteristics of the enunciative voice responsible for fiction.
Keywords: Embedding, hypodiegetic narrative, narrative instance, narratology, narrator,.
23
Maguette DIENG
N° 20
Décembre
2015
INTRODUCTION
La narratologie se propose d´étudier non pas l’œuvre littéraire mais plutôt les mécanismes internes
1
dont elle est le produit . La question du narrateur des événements de la diégèse marque de manière frontale
les préoccupations de cette poétique du récit dont les efforts de conceptualisation furent pris en charge par
divers théoriciens tels que Barthes, Greimas, Bremond, Genette, Metz, Todorov, Bal, etc. Ce présent article
se propose d’étudier la consistance que revêt la voix narrative dans le roman Los hombres mojados no
temen la lluvia de Juan Madrid. Un tel propos nous amènera tout d’abord à revisiter les thèses
contradictoires des théories communicationnelles et non communicationnelles au sujet de l’omniprésence de
la figure du narrateur dans les récits fictionnels, pour ensuite, dans un second mouvement, essayer
d’identifier et de caractériser le ou les sujets de l’acte d’énonciation dans ce roman lauréat du XIV Prix
Unicaja de Novela Fernando Quiñones. Pour ce faire, notre approche est d´ordre herméneutique, conciliant
la perspective théorico-conceptuelle et épistémologique avec la pratique textuelle.
1. De la voix énonciative
Le texte littéraire ne naît pas ex nihilo, il est tributaire de l’acte de narration qui détermine la manière selon
laquelle la fiction est racontée, mise en scène, c´est-à-dire « […] par qui, selon quelle perspective, selon
2
quel ordre, suivant quel rythme, selon quel mode, etc. » . La fiction désigne l’univers ainsi créé, l’histoire
3
racontée, telle qu’on peut la reconstituer, les personnages, l’espace et le temps . Toujours est-il que
l’histoire narrée reste médiée par le langage. Selon Roland Barthes, «Il y a un statut particulier de la
littérature qui tient à ceci, qu’elle est faite avec du langage, c’est à dire avec une matière qui est déjà
4
signifiante au moment où la littérature s’en empare.» . En sus de cette médiation du langage, nombre de
narratologues, tel que Gérard Genette, mirent en exergue dans leurs écrits l’importance d’un autre type de
médiation qui est le fait de l’instance fictive, émettrice du récit.
1.1. Le narrateur, pierre d’angle du récit.
5
e
Selon Sylvie Patron , la notion de narrateur fit suite à la naissance du roman moderne au XVIII , avec
l’exigence de prendre en charge certaines subtilités et impératifs qui ne pouvaient être appréhendés à l’aide
des simples concepts d’auteur ou de personnage. Nonobstant, la première attestation du terme fut
seulement enregistrée en 1804 quand Anna Laetitia Barbauld soutint dans sa nouvelle édition de la
correspondance de Richardson qu’il n’existait que trois manières de raconter une histoire. La première
narrative ou épique, la plus courante, dénote de la toute puissance de l’auteur qui raconte lui-même «toutes
les aventures de ses héros» (Don Quichotte, Tom Jones); la deuxième laisse libre bride au héros des
aventures, le narrateur, qui raconte sa propre histoire (Roderick Random, La vie de Marianne) ; et enfin la
1
Todorov, Tzvetan. L’analyse structurale du récit. Paris: Seuil, 1981, p.131.
Reuter, Yves. (2000). Introduction à l’analyse du roman .Paris: Nathan / HER, 38.
Ibid., p.380. Tomás Albaladego préfère, lui, parler de réalité fictionnelle du fait du lien fluctuant qu’entretient l’œuvre littéraire avec les
éléments des Mondes I et II de Karl Popper. Albaladejo, Tomás. (1992). Semántica de la narración: la ficción realista. Madrid: Taurus
Ediciones, 45.
4
Barthes, Roland. (1964). Essais critiques. Paris: Seuil, 262.
5
Patron, Sylvie.( 2009). Le narrateur. Introduction à la théorie narrative. Paris: Armand Colin, « U ».
2
3
24
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Juan Madrid
6
troisième qui correspond au roman épistolaire (La nouvelle Héloise) . De cet essai de distinction que nous
qualifierons de primaire, largement relayé par Patron puisqu’il constitue un étai non négligeable dans
l’échafaudage de sa théorie, nous retiendrons simplement ceci :
-le narrateur est un être fictif, à dissocier de la personnalité de l’auteur;
-l’auteur est une personnalité historique et biologique qui peut certes appartenir au monde fictionnel du texte,
7
mais son identité ontologique demeure intacte .
Ces assertions reviendront corroborées d’ailleurs par Bakhtine, à la suite de Barthes, en ces termes : «Si je
narre (ou relate par écrit) un événement qui vient de m’arriver, je me trouve déjà, comme narrateur (ou
écrivain), hors du temps et de l’espace ou l’épisode a eu lieu. L’identité absolue de mon "moi", avec le
8
"moi" dont je parle, est aussi impossible que de se suspendre soi–même par les cheveux !» . Le «je»
fictionnel de l’autobiographie ainsi que celui des Mémoires reste un «être de papier», personnage d’un
univers recréé qui, bien qu’ayant des référents plus que solides avec le monde réel, ne peut prétendre à une
totale véridicité.
Le narrateur reste celui qui raconte dans le texte :
Il peut s’agir d’un personnage de l’histoire racontée, d’un personnage central ou d’un témoin discret ; ou
encore d’un «narrateur absent» , qui nous donne l’impression que l’histoire se raconte toute seule, alors
même qu’il constitue un intermédiaire entre les lecteurs et les personnages informant les premiers de ce
9
que les seconds éprouvent, pensent ou ne pensent pas .
Ceci ne veut point dire cependant que le narrateur doit toujours faire partie de l’histoire qu’il raconte. On
distingue principalement trois types de narrateur: le narrateur autodiégétique, héros de sa propre histoire, le
narrateur homodiégétique qui participe seulement à la fiction mise en scène; et celui hétérodiégétique qui,
lui, se situe hors de la diégèse. Que la narration soit conduite en «je», comme c’est le cas dans les récits
homodiégétiques, ou en «il», dans les récits hétérodiégétiques, la figure du narrateur reste incontournable
pour la conduite de la fiction:
Le récit sans narrateur, l’énoncé sans énonciation, me semblent de pures chimères, et, comme telles, «
infalsifiables ». Qui a jamais réfuté l’existence d’une chimère ? Je ne puis donc opposer à ses fidèles que
cette confession désolée : «Votre récit sans narrateur existe peut-être, mais depuis quarante-sept ans que
je lis des récits, je ne l’ai rencontré nulle part. » Désolée est d’ailleurs une clause de pure courtoisie, car si
je rencontrais un tel récit, je m’enfuirais à toutes jambes : récit ou pas, quand j’ouvre un livre, c’est pour
10
que l’auteur me parle. Et comme je ne suis encore ni sourd ni muet, il m’arrive même de lui répondre .
La relation narrative, la distinction entre récit hétérodiégétique et récit homodiégétique ne saurait ainsi
adouber une quelconque théorie arguant la mort du narrateur. Le récit à la troisième personne ou «récit
6
Ibid., 12.
7
Bien que l’autofiction (tout comme l’autobiographie) prétend à une identité « auteur= narrateur = personnage», nous
ne saurions ne pas rappeler en ce lieu les mises en garde de celui qui est considéré comme le père de l’autofiction,
Serge Doubrovsky : «L'autofiction, c'est comme le rêve : un rêve n'est pas la vie, un livre n'est pas la vie. Comme disait
Sartre, vivre ou raconter, on ne peut pas faire les deux en même temps. En écrivant Le Monstre, j'étais bien conscient
que ce que j'offrais, c'était le rêve de ma vie. Dans notre appréhension de la réalité, il y a toujours une part de fiction. Et,
comme dit Jules Renard dans son Journal, dès que quelqu'un parle de soi, au bout de dix minutes, c'est du
roman… ». Crom, Nathalie. Serge Doubrovsky, inventeur de l'autofiction : “Un individu, ce n'est pas que beau à voir”.
[On line]. In: http://www.telerama.fr/livre/serge-doubrovsky-inventeur-de-l-autofiction-un-individu-ce-n-est-pas-que-beaua-voir,116117.php
8
Mikhaïl Bakhtine.(1978). Esthétique et théorie du roman. Paris: Gallimard,396.
9
Maurel, Anne. (1994). La critique. Paris: Hachette, p.82.
10
Genette, Gérard. (1983). Nouveau discours du récit. Paris: Le Seuil, coll. « Poétique », 68-69.
25
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anonyme»
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2015
n’exclut point l’intervention d’un «je» narrateur, ce dont témoigne Genette dans Nouveau
discours du récit: « […] à mes yeux tout récit est, explicitement ou non, «à la première personne», puisque
12
son narrateur peut à tout moment se désigner lui-même par ledit pronom. » .
La thèse de l’absence d’un narrateur dans les récits en «il » défendue dernièrement par Sylvie
13
Patron, sur la base des théories réductionnistes de Ann Banfield
et
14
Käte Hamburger , en rejetant
d’identifier ce « je intrusif» au narrateur fictionnel et en voulant l’attribuer à l’auteur ou à un quelconque
15
personnage intradiégétique, semble jouer à la roulette russe . Ce «je» narrateur ne pourrait être alors que
celui d’un être hybride ontologiquement incorrect qu’on serait amené à appeler « auteur-narrateur » ou le
16
fruit d’une polyphonie narrative qui influerait sur les informations transmises au narrataire .
1.2. Focalisation et fonctions du narrateur
Concernant la notion de focalisation, les appellations divergent selon les théoriciens, quoiqu’elles renvoient
plus ou moins toutes au même référent: «vision» chez Jean Pouillon, «perspective narrative chez Lintvelt».
Nous retiendrons principalement la terminologie Genettienne, «focalisation», qui se distancie de l’approche
énonciative de Rabatel d’un «point de vue (PDV)» désignant les moyens linguistiques grâce auxquels le
17
sujet, qu’il soit singulier ou collectif, «envisage» un objet concret ou langagier . En fait, le théoricien
souligne trois catégorisations du point de vue qu’il différencie ainsi qu’il suit:
En bref, avec le PVD représenté, le focalisateur perçoit, pense « sans parler », cependant, qu’avec le PVD
raconté, le focalisateur perçoit, pense en racontant. Ce point de vue raconté ne concerne donc pas les
paroles rapportées des personnages, ou les propos du narrateur, car dés lors que le centre de perspective
sort de l’activité de narrateur stricto sensu et qu’il se met à parler, qu’il s’agisse de commentaires explicites
du narrateur, qu’il s’agisse d’énoncés au discours direct des personnages, alors le PDV change de nature
18
et l’on a besoin d’un autre concept pour l’analyser, celui du PDV asserté .
Par focalisation, nous entendrons tout simplement:
[…] la perception du monde romanesque par un sujet percepteur : narrateur ou acteur.
La perception se définit «action de connaître de percevoir par l’esprit et les sens» (Larousse). La
perspective narrative ne se limite donc pas au centre d’orientation visuel, c’est-à-dire à la question de
savoir qui «voit», mais implique aussi le centre d’orientation auditif, tactile, gustatif et olfactif. Comme la
perception du monde romanesque se trouve filtrée par l’esprit du centre d’orientation, la perspective
19
narrative est influencée par le psychisme du percepteur .
Cette focalisation ou perspective narrative se décline sous trois formes différentes:
11
Rivara, René. (2000). La langue du récit. Introduction à la narratologie énonciative. Paris : L’harmattan, coll. «Sémantique »,22.
Genette, Gérard. Nouveau discours…op.cit.,65.
13
Banfield, Ann. (2014). Unspeakable sentences: narration and representation in the language of fiction.
Oxfordshire, England, New york : Routledge.
14
Prenant comme socle les différences qui existent entre les structures énonciatives des discours fictionnels et ceux ordinaires,
Hamburger conclut ce qui suit : « […] d’un point de vue terminologique, le concept de narrateur n’est adéquat que pour le récit à la
première personne. Le je narrateur n’engendre pas ce qu’il narre, il narre à ce propos sur un mode qui est celui de tout énoncé de
réalité, et comme s’il s’agissait de quelque chose qu’il ne peut présenter comme objet (et non s’agissant des personnages, en tant que
des sujets). Hamburger, Käte. (1986). Logique des genres littéraires. Traduit de l’allemand par Pierre Cadiot. Paris: Seuil, (1957).
15
La balle qui reste toujours à l’intérieur de la cartouche rend l’issue inévitable.
16
Reuter, Yves. (2000). Introduction à l’analyse op.cit., 68.
17
Rabatel, Alain (2007). «Analyse énonciative du point de vue, narration et analyse de discours». In Filol. lingüíst. port., 9, 348.
18
- . (2008). Homo narrans. Pour una analyse énonciative et interactionnelle du récit. Limoges: Lambert-Lucas, 101.
19
Lintvelt, Jaap. (1981). Essai de typologie narrative. Paris: Corti, 42.
12
26
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Juan Madrid
-La focalisation omnisciente (narrateur > personnage): c’est le traditionnel «narrateur – Dieu » ou
« narrateur omniscient » qui sait effectivement tout sur les personnages (leurs motivations, leurs pensées les
plus intimes, leurs secrets).
-La focalisation interne (narrateur = personnage) est « …une restriction de champ où un personnage devient
le sujet fictif de toutes les perceptions et où les personnages, les événements, les lieux sont vus à travers
son regard. Le lecteur voit aussi par ses yeux et partage ses émotions et ses pensées… »
20
. Le regard
porté sur l’objet retire, ainsi, de la personnalité du sujet témoin une qualité singulière.
-La focalisation externe ou «vision du dehors» (narrateur <personnage): le narrateur agit comme l’œil d’une
caméra. Excluant toute subjectivité, les faits et gestes des personnages sont présentés de l’extérieur de
façon neutre. Le narrateur est incapable de deviner les pensées des personnages.
Selon la focalisation utilisée, le narrateur signalera plus ou moins sa présence dans la narration, en assurant
diverses fonctions qui ne sont point exclusives. Celles-ci sont au nombre de sept:
-la fonction narrative (c’est une fonction de base car dés qu’il y a un récit le narrateur assume ce rôle);
-la fonction de régie ou de contrôle (le narrateur organise le discours et y insère les paroles des
personnages);
-la fonction communicative ou de communication (le narrateur s’adresse au narrataire pour agir sur lui ou
pour maintenir le contact);
-la fonction testimoniale ou modalisante (Cette fonction « […] peut être centrée sur l’attestation -le narrateur
exprime son degré de certitude ou sa distance vis-à-vis de l’histoire-, sur l’émotion -(il exprime les émotions
que l’histoire ou sa narration suscitent en lui-, ou encore sur l’évaluation -il porte un jugement sur les actions
21
et les acteurs-.» ;
-la fonction métanarrative (le narrateur commente son récit et signale son organisation interne);
-la fonction explicative qui consiste à donner au
narrataire des éléments jugés nécessaires pour
comprendre l’histoire;
-et, enfin, la fonction généralisante ou idéologique : le discours du récit adopte toujours certaines positions
idéologiques (une vision particulière du monde, un idéologème) qui souvent peuvent différer de celles du
narrataire, voire de celles du lecteur.
Les deux premières fonctions (la fonction narrative et la fonction de régie) sont assumées par tout narrateur
alors que les autres se manifestent à des degrés divers sous le mode narratif du Raconter ou Telling. On
retiendra principalement que le narrateur reste un être de papier affublé d’ un certain nombre d’attributs qui
peuvent être indiqués expressément par l’auteur ou donnés de façon éparse ou diffuse au lecteur qui devra
faire le travail de reconstitution. Un exercice appelant aussi bien l’identification du sujet de l’énonciation du
récit que les types de focalisations et de fonctions assumés par ce dernier.
20
21
Rogé, Sylvie.(1998). L’explication de textes à l’oral. Paris: Armand colin / Masson, 27.
Reuter, Yves. Introduction à l’analyse…op. cit.,64-65.
27
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2. La question du narrateur dans Los hombres mojados no temen la lluvia
Avec ce titre métaphorique Madrid nous immerge dans l’univers des temples de Thémis mais aussi dans les
milieux sombres, glauques, de la haute bourgeoisie corrodée par les pratiques mafieuses. Le terme
«mojado», comme l’indique l’auteur est un vocable argotique qui renvoie à tout homme ayant tué plusieurs
22
fois dans sa vie, à tout téméraire qui ne se soucie guère de son futur ni des conséquences de ses actes .
Le vocable apparaît seulement à la page 125 et s’applique à Aurelio Pescador, la main armée de la mafia
calabraise, dont les liens de sang plus qu’inattendus avec Liberto Ruano l’amèneront à devenir son ange
gardien et adjuvant. Le lourd passé pénal de Pescador nous est évoqué par ses réminiscences:
He matado de todas las maneras posibles. Siempre diferentes. Prefiero matar con mis propias manos, es
más limpio y simple. A veces he utilizado el cuchillo, la pistola, el fusil, la bomba, el veneno. Tengo que
hacerlo así. La policía actúa comparando los modus operandi, de esa manera localiza a los asesinos. […].
Me levanto por las mañanas, como, duermo, me acuesto, a veces tengo a una mujer en mi cama. Pero
soy un muerto, un mojado, un cadáver que finge vivir (p.125).
Le fragment ci-dessus est assez illustratif de la présence marquée du pronom de la première personne,
«je», dans la relation des vies singulières et destins tragiques des personnages impliqués dans la diégèse.
23
Ce «je» mis en avant nous renseigne déjà sur la présence d’un narrateur, autre que celui de Robe-Grillet ,
qu’il convient maintenant d’identifier.
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de Juan Madrid
2.1. Le niveau intradiégétique
Le roman s’ouvre sur l’exposition-ouverture du narrateur autodiégétique Liberto Ruano. Ce récit inaugural lui
sert de prologue à la manière des jongleurs qui faisaient toujours précéder leurs performances oratoires d’un
bref discours introductif leur permettant d’attirer et de gagner les faveurs du public: «Quand un jongleur se
produit devant un public de choix, il a beau être pauvre et vêtu de haillons, dés qu’il dit son prologue, il est
écouté avec attention…voilà que je vous ai bien débité mon prologue, maintenant vous allez entendre une
24
chanson de grand prix.» . Le prologue vient en fait du grec «pro-logos» qui signifie littéralement «avant
e
discours». Constante du théâtre grec à partir d’Euripide, vers la fin du V siècle, le prologue se présentait
sous l’aspect d’un monologue débité par une divinité à fin de réinscrire l’œuvre dans son contexte mythique.
Ce procédé, à l’origine, théâtral, finit par avoir une telle préséance dans les écrits romanesques que
Cervantès, outré, s’adresse au lecteur en ces termes :
[…] j’aurais voulu te la donner toute nue, sans l’ornement du prologue, […].Car je dois te dire que, bien
que cette histoire m’ait coûté quelque travail à la composer, aucun ne m’a semblé plus grand que celui de
22
Madrid, Juan. (2014). Los hombres mojados no temen la lluvia. Madrid: Alianza Editorial, 9. Dorénavant, nous citerons à partir de
cette publication et à l’intérieur du texte.
23
Un des précurseurs du nouveau roman qui prônait la dissolution de la figure du narrateur, vu sa présence quasi inutile pour la
compréhension de la trame romanesque.
24
Badel, Pierre-Yves.(1975). Rhétorique et polémique dans les prologues de romans au Moyen Age. In: Littérature, 20, 81.
28
cette préface que tu es à lire. Bien souvent j’ai pris la plume pour l’écrire, et je l’ai toujours posée, ne
25
sachant ce que j’écrirais .
La même réticence semble animer le narrateur autodiégétique Ruano et l’adjoint à utiliser le haut degré
d’improbabilité du comparatif « como si fuera un prólogo». Par sa composante évaluative, cette expositionouverture indique au lecteur tout l’intérêt de ce qui va suivre:
[…] supe que Aurelio y yo compartíamos una fatalidad común, la condena de asumir roles, que en mi
caso no habían sido elegidos, pero de los que ninguno de los dos podía eximirse. […]. Lo único cierto es,
quizás, que mi destino futuro, para el resto de lo que me queda de vida, lo trazó Aurelio Pescador. Y que
yo lo acepté como inevitable (pp. 9-13).
Le statut de narrateur autodiégètique renforce l’effet de réel en attestant l’authenticité de l’histoire
événementielle dont le narrateur est à la fois témoin et acteur. Et les réserves émises par Ruano,
concernant la véracité des faits qu’il nous rapporte sont autant d’artifices concourant à lui engranger
l’adhésion du narrataire: «Sé que todo texto literario o discurso narrativo, sobre todo los elaborados en
primera persona, es inevitablemente falso y encierra mentiras y máscaras (Lacan). Este no es una
excepción. A veces dudo de que las cosas ocurrieran tal como se narran aquí.» (p.11).
Sous le mode de la narration ultérieure, Liberto Ruano circonscrit l’incipit de son récit au procès ayant
opposé ses clientes prostituées au proxénète Gabeiras qui refusait de leur reverser les commissions
convenues. Un épisode assez expressif de l’éthopée du narrateur principal: ses qualités humaines, pour ne
pas dire humanistes, sont mises en exergue par le commerce étroit qu’il entretient avec cette frange de la
société trop souvent vouée aux gémonies:
La ONG de Ágata luchaba por conseguir estatus de trabajadoras a las prostitutas. […]. En un tiempo
contaron conmigo para redactar notas de prensa y comunicados. En cierta ocasión, aparecí en público
como abogado de su ONG en una manifestación de prostitutas –ellas se denominaban “trabajadoras del
sexo”-, que protestaban por sus derechos, reiteradamente conculcados (p.18).
Des analepses d’amplitudes et de portées diverses troublent l’ordre chronologique de l’histoire et lèvent le
voile sur ses relations avec les autres personnages du récit –telle que sa petite amie Julia- ou sur son
enfance marquée par l’absence oppressante de la mère:
Durante toda mi vida me he preguntado cómo habría sido mi vida si ella hubiera sobrevivido a mi infancia.
Elizabeth me decía: “Era muy guapa, ruisiñol, muy desgraciada, y le gustaba cantar. Te quería mucho”.
Sin embargo, recuerdo que mi padre jamás me habló de ella, a pesar de mis preguntas. Era Elizabeth
quien me respondía: “No te preocupes por tu mamá, está en el cielo”. Era todo lo que me decía. Preguntar
a mi hermano era peor: “Era una loca, loca como una cabra”, solía responderme. “Pero¿cómo era? ¿Me
quería? «No seas idiota, Liberto. Deja de decir tonterías (p. 150).
Ruano filtre les informations qui sont fournies au lecteur. Celui-ci ne sait que ce que le narrateur lui dit, que
ce qu’il
26
« perçoit ». Sa focalisation interne place le foyer dans sa conscience de sujet-témoin . La
perspective reste assez subjective car les personnages, lieux et objets -que le lecteur découvre à travers
ses yeux- acquièrent des qualités singulières:
Los Urbani vivían en la Moraleja, una urbanización de lujo al noroeste de Madrid. Contaba con policía
privada, que apuntaron mi carné de identidad y comprobaron el objeto de mi visita llamando por teléfono.
25
Cervantes, Miguel de. (1863). L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche. Tome 1. Traduction et notes de Louis Viardot.
Québec: La Bibliothèque électronique du Québec, Collection, 7-8.
26
Patillon, Michel. (1995). Précis d’Analyse littéraire. Les structures de la fiction. Paris: Nathan, 59.
29
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El taxi no podía pasar. […] Conté tres pisos y distinguí un porche con columnas. El ronroneo del riego por
aspersión sobre el césped parecía decirme: “Soy rico, soy poderoso, soy rico, soy poderoso”.
La sociedad se había refeudalizado. Los ricos tenían cada vez más miedo, se refugiaban en fortalezas
rodeados de guardianes. Hacía tiempo que habían abandonado el centro de las ciudades, se
resguardaban en sus nuevos castillos junto a lacayos y policías privadas (pp.185-186).
Cependant ses jugements subjectifs n’altèrent en rien la vraisemblance pragmatique défendue par
27
Cavillac . Les pensées intimes des personnages restent hors d’accès et Ruano ne relate que les choses
qu’il a vécues ou qu’on lui a racontées (le cahier d’Aurelio Pescador, les témoignages des autres
personnages). Le «je» du narrateur
autodiégétique
ne prétend en aucun moment à une quelconque
omniscience qui aurait mis en doute sa crédibilité:
[…] au nom du principe que l’on ne peut rapporter que des choses que l’on a apprises, en un mot, assurer
au récit une vraisemblance pragmatique, qui ne se confond ni avec la vraisemblance empirique des
énoncés, ni avec leur vraisemblance diégétique. Alors que la deuxième porte sur la conformité à
l’expérience commune, mesurée à l’aune de la raison et/ou de l’opinion, et la
troisième sur la cohérence de la mise en intrigue, la première concerne la fictivité de l’acte de narration:
28
mode d’information du narrateur, circonstances de l’énonciation .
Outre les fonctions de base que sont la fonction narrative et la fonction de régie, le narrateur de Los
hombres mojados no temen la lluvia s’en confère d’autres raffermies par le caractère autodiégétique de la
fiction:
-la fonction communicative: elle se manifeste exponentiellement tout le long de l’ouverture-exposition.
Ruano, «je-narrant et je-acteur», usurpe le rôle de l’auteur. Il met en garde le narrataire contre la mise en
texte de son récit de vie et revient sur les diverses péripéties de son acte d’écriture:
La inestimable ayuda de mi amigo, el escritor Juan Delforo, convirtió algo que podría haberse clasificado
como unas Confesiones, al estilo de las de Agustin de Hipona, en algo parecido a un texto literario. A él
se deben algunos entresijos y recovecos del carácter y la personalidad que él me atribuye. Los acepto
como una licencia poética, o exigencia del texto […]. Aunque, conviene aclararlo una vez más, no todo lo
que se narra aquí responde a la más estricta verdad. Es muy posible que las cosas sucedieran de otra
manera, y que los culpables no sean los que aparecen en estas páginas (p.13).
- une fonction modalisante : comme nous l’avons vu plus haut, le narrateur Ruano –dans le prologue et
l’incipit– souligne le caractère aléatoire de vraisemblance de sa diégèse. Instance productrice du récit dont il
est le personnage principal, Liberto Ruano fait part aussi au narrataire de ses sentiments et émet des
appréciations sur les personnages et sur l’histoire. Ce qu’attestent d’ailleurs les deux extraits ci-dessous:
El cliente que me esperaba se llamaba Alfonso Novo. Había sido alcohólico, al reformarse había decidido
ponerle una demanda a su mujer por torturas y malos tratos, acogiéndose a la Ley de Violencia de
Género. […].
-Pruebas, Alfonso. Necesito pruebas.
Me dijo que las traería y se despidió. Yo debería haberme quedado en el despacho atendiendo los casos
pendientes. Pero se escuchaban voces de mujer desde el despacho de mi socio, decidí intervenir.
Nunca me arrepentiré lo suficiente de aquella decisión (p.28).
El trabajo que estaban haciendo con nuestros archivos era ímprobo. Tenían que consultar todos los casos
y cotejar a las personas relacionadas con ellos, comprobando si alguna de ellas figuraba en sus listas de
mafiosos. Otros compararían las minutas, los pagos que habíamos recibido, con el listado de nuestras
cuentas bancarias y las declaraciones de impuestos. Podrían pasar meses antes de terminar el trabajo.
27
28
Cavillac, Cécile. (1995). Vraisemblance pragmatique et autorité fictionnelle. In Poétique, 101, 23-46.
Ibid., 24.
30
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Juan Madrid
Mis pequeños ahorros se acabarían enseguida. Tendría que buscar trabajo en un bufete. Pero ¿quién
contrata a un abogado intervenido judicialmente (p.271).
-une fonction explicative, coïncidant généralement avec les analepses, qui «[…]lèvent le plan de la jungle, y
29
traçant de longues avenues, plantant même aux carrefours des poteaux indicateurs.» : les circonstances
de sa rencontre avec Julia, alias Ada, la genèse de la relation amicale qui le lie à son associé Andrés
Feiman, la mort tragique de son frère dont il avoue être l’auteur à la page 230. Le narrateur pose alors le
haro sur le lourd sentiment de culpabilité qui l’anime: son frère s’est suicidé en apprenant de la bouche de sa
fiancée que celle-ci le trompait avec son jeune frère:
Priscila le comentó a mi hermano que se veía conmigo. Selo dijo para presumir, como una broma. Fue
unos días antes de la boda. Ella me lo contó después del entierro, en sus ojos no había la más mínima
sombra de piedad. Mi hermano tenía treinta y cinco años; yo, veintidós. Era notario, el más joven de
España. Se subió en su coche y se despeñó en Navacerrada. Nunca tuvimos una conversación (p.236).
- Fort de sa fonction idéologique, le narrateur de Los hombres mojados no temen la lluvia interrompt à tout
moment l’histoire événementielle pour émettre des propos didactiques sur la profession d’avocats
(«Escuchar, esperar,observar. Tener paciencia.» (p.29), des jugements généraux sur le caractére liberticide
de la religion («No hay documentos de la época sobre la vida sexual cotidiana de los antiguos persas. De
todas maneras, debía de ser mejor que ahora, ellos no tenían una religión que prohibía los goces carnales.»
(pp.39-40), les maux du capitalisme («Se han tirado cuarenta años fingiendo que no existía el capitalismo ni
su terrible crueldad, su hambre de poder y riqueza.» (p.51), l’amour («El amor no es una obra de arte,
aunque lo parezca. Es un sentimiento fundamental que nos une a la vida, al mundo y a nuestros
semejantes. Si lo separas del sentimiento, se puede convertir en un bonito ejercicio de gimnasia.» p.44), la
littérature («La peor venganza que se puede hacer a un escritor es no leerlo. ¿Verdad? […] Es posible que
escribáis para no morir. Es una manera de conjurar la muerte […]» (p.85), etc.
Le mode du Telling diversifie les fonctions du narrateur qui assure le captatio illusionis ou pacte d’illusion
signé avec le lecteur. Sujet narrant et actant à la fois, l’autorité fictionnelle dés l’entame usurpe la fonction
productrice de l’auteur en signant de son nom le prologue du roman: l’effet de réel s’en retrouve amplement
fortifié. L’architecture diégétique dénote cependant de l’existence d’une autre source d’énonciation.
2.2. Le jeu des matriochkas ou poupées russes: le niveau hypodiégétique
L’inclusion d’un récit second à l’intérieur d’un récit premier est un procédé usuel dans les pratiques
narratives des auteurs. Il existe prou ou peu d’histoires linéaires, plates, qui ne renferment pas en leur sein
quelque autre histoire satellitaire: «Une parenthèse de quelques lignes sur le destin d’un personnage
secondaire, une digression explicative constituent déjà un récit dans le récit, présent dans les œuvres
30
31
narratives les plus anciennes. ». Dans Les mille et une nuits , le récit de la captivité de Schéhérazade est
parsemée d’histoires aussi rocambolesques les unes que les autres que Schéhérazade raconte au prince
e
chaque nuit pour sauver sa vie. Au début du XX siècle, l’allemand Moritz Goldstein conceptualisa les
29
Nous empruntons l’image qu’utilisa, en son temps, Aubrun Charles-V.Pierre le Gentil pour se référer au travail de synthèse et de
codification que réalisèrent ses prédécesseurs concernant les productions lyriques péninsulaires de la fin du moyen âge. Le gentil,
Aubrun Charles-V.Pierre. (1949). La poésie lyrique espagnole et portugaise à la fin du moyen âge. Première partie : les thèmes et les
genres. In Bulletin Hispanique, vol 51, 4, 429
30
Bourneuf, Roland & Quellet, Real. (1972). L’univers du roman. Paris : Presses Universitaires de France, 71.
31
Anonyme. (1949). Les Mille et une Nuits. Traduits par Antoine Galland.Paris : ÉDITIONS Garnier frères.
31
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Décembre
2015
dénominations de «Récit encadré» («umrahmte Erzählung») et de «récit dans le récit» («Erzählung inder
Erzählung» dans ses études consacrées respectivement aux contes de Theodor Storm et des Mille et une
32
nuits . Dans Forme et Signification, Jean Rousset revint sur les structures littéraires d’un certain nombre
d’œuvres mais peine à trouver une appellation heureuse pour désigner de tels types de récits:
«digressions», «hors d’œuvre», «histoires annexes», etc. Des
33
34
divergences terminologiques furent également notées chez André Gide , Barbara Hardy , Gérard Prince
36
35
37
et Susan Sniader Lanser , qui forgèrent assertèrent respectivement les concepts de «mise en abyme» , d’
38
«histoires insérées » (inserted stories) , de «narration intercalée» (intercaled narration)
39
et de «récits
40
intradiégétiques» (intradiegetic narratives) .
Mettant en exergue l’existence au moins de deux niveaux narratifs distincts, Gérard Genette désigna sous
41
l’appellation de «récit au second degré»
ou «métarécit» ce deuxième récit présent dans la structure
narrative et qui n’est pas pris en charge par le narrateur primaire. Le préfixe «méta» marque le «[…]
segment textuel supporté par un narrateur interne auquel auteur ou narrateur cèdent temporairement la
42
parole, dégageant ainsi leur responsabilité de meneurs de récits.» . Le sens singulier que Genette confère
au préfixe «méta» diffère fort de celui logico-linguistique, soulevant à cet effet des objections parmi ses
pairs. Récusant cet emploi abusif du préfixe (objet de toutes les variations possibles: métalanguage,
métadiscours, métacritique, métaroman etc.) Mieke Bal appelle à une clarification conceptuelle dont le seul
43
dessein est de réserver le préfixe à un emploi plus approprié et correct . Le «métarécit» genettien, ne
44
renvoyant pas en fait à sa propre fictionnalité
45
hypodiégétique»
devient tout simplement et «faute de mieux» un «récit
pour mieux illustrer ce passage au second degré. D’ailleurs, c’est en ces termes que nous
désignerons dans cette étude les récits qui ne sont pas pris en charge par l’instance narrative primaire de
Los hombres mojados no temen la lluvia, Liberto Ruano.
Ces récits insérés sont majoritairement des extraits du journal intime d’Aurelio Pescador dont l’acte
d’écriture n’est motivé que par l’imminence de la mort:
[…] soy un muerto, un mojado, un cadáver que finge vivir.
Por eso escribo esto.
Cuando lleve a cabo lo que tengo que hacer aquí, me mataré yo también. No puedo vivir sin honor
(p.125).
32
Goldstein, Moritz.( 1906). Die Technik der zyklischen Rahmenerzählugen Deutschlands. Von Goethe bis Hoffmann. Berlin: Bernhard
Paul, 109.
33
Gide, André. (1951). Journal 1889-1939. Paris: Gallimard.
34
Hardy, Barbara. (1975). Tellers and listeners, the narrative imagination. London: The Athlone Press.
35
Prince, Gérard. (1982). the form and functioning of narrative. Berlin-New York-Amsterdam: Mouton Publishers.
36
Lanser, Susan Sniader.(1981). The narrative act. Princeton New Jersey: Princeton University Press.
37
Gide, André. (1951). Journal …op.cit., 41.
38
Hardy, barbara. tellers and listeners…op.cit., .222.
39
Prince, Gérard. The form and functioning of narrative…op.cit. 35.
40
Lanser, Susan Sniader. The narrative act…op.cit.,37
41
Genette, Gérard. (1972). Figure III. Paris: Seuil, 239
42
Dällenbach, Lucien. (1977). Le récit spéculaire. Paris: Seuil, 72.
43
La confusion était déjà établie par l’œuvre de Robert Scholes, pour qui le métarécit était tout simplement un récit expérimental,
«L’œuvre consciente d’elle-même qui, en explicitant ou en parodiant, met à nu le procédé. ». Scholes, Robert. (1971). Métarécits. In
Poétique, 7, 403.
44
Le métarécit genettien ne se préoccupe guère des étapes et autres péripéties de sa composition, il n’est ni un « récit narcissique », ni
une «littérature autocentrique » qui « […], en dénudant ses systèmes de fiction aux yeux du lecteur, parvient effectivement à intégrer le
processus de fabrication. » Hutcheon, Linda. (1977). Modes et formes du narcissisme littétaire. In : Poétique, 29,90-93.
45
Bal, Mieke. (1972). Narratologie. Paris: Klinksieck, 35.
32
Liens Nouvelle Série
Statuts et mutations de la voix énonciative dans Los hombres mojados no temen la lluvia de
Juan Madrid
Chaque récit fait l’objet d’un chapitre entier du livre (respectivement les chapitres 12, 20 et 23) et est
clairement signalé par la mention à caractère épigraphique «Cuaderno de Aurelio Pescador (Manuscrito)».
Le chapitre 13 a ceci de particulier qu’il alterne les récits des deux narrateurs primaire et secondaire.
Hospitalisé à l’hôpital suite à l’attaque meurtrière dont il fut la cible, Liberto Ruano lors
de ses intermittents états de veille continue de conduire le récit et nous narre le diagnostic des médecins et
les réactions de ceux qui vinrent à son chevet:
Desperté otra vez.Ágata se encontraba en la habitacion junto a Feiman. Los dos me miraban y sonreían.
En otra ocasión era Carmela. Me di cuenta de que se había puesto su ropa de los domingos. Vino con
una mujer joven, a la que no reconocí al principio. Carmela y la muchacha se pusieron a llorar.
-Qué te han hecho, Líber, qué te han hecho.
-Ya estoy bien, Carmelita.¿Me ves? Estoy estupendamente.
La muchacha continuaba llorando. La reconocí. Era Cristina, la que querí divorciarse de su marido
homosexual.[…].
Se encontraban conmigo dos médicos y el enfermero.
-Ha tenido usted suerte-dijo uno de los médicos, un hombre grueso con el cabello blanco-. La noche que
ingresó estaba de visita el doctor Arteche, un eminente urólogo y cirujano de gran valía, colega y amigo.
[…]
-Lo vamos a arreglar, no se preocupe. Estudiaremos dentro de unos meses un programa hormonal
(pp.135-137).
Les médecins et infirmiers ne furent pas les seuls à veiller au prompt rétablissement et à l’intégrité physique
de l’avocat, Aurelio Pescador lui en fit aussi la promesse en compagnie de la jeune Cristina qu’il lui suggéra
d’épouser:
Lo estamos protegiendo, abogado. No debe temer nada.
¿Puede escucharme ?
Sí, le escucho.
Fíjese en esta mujer. Es bella, honesta. Me gustaría que fuera su esposa. Pero usted debe decidir
(p.138).
Ses passages qui se présentent en caractère italique traduisent les échanges de Ruano et d’Aurelio
Pescador. Ils illustrent les moments de torpeur et de semi-veille du narrateur du récit cadre et ponctuent les
prises de parole, les récits fragmentés du deuxième narrateur. Encadrés par des guillemets, ces récits
hypodiégétiques reviennent sur la généalogie de Liberto Ruano, ses liens de sang d’avec Aurelio Pescador,
la dure initiation de celui-ci pour devenir ‘ndrangheta, etc :
«Su estirpe, abogado, comenzó con miabuelo, Melquiades Pescatore, sargento garibaldino de infantería
durante la guerra patria de 1861. Fue un hombre alto y guapo de grandes bigotes, natural de una aldea
del Aspromonte, que se afincó en San Luca, en el centro mismo de Calabria, en 1882, con el cargo de
capitán de carabinieri. En 1901 se casó, ya mayor, con una rica heredera, casi una niña, de gran belleza,
Anita del Prado Continenti, hija del barón Giuseppe del Prado, que aportó al matrimonio haciendas,
negocios de alimentación, un palazzo en San Luca, un piso en Madrid y otro en Roma… (p.138)»
Au nombre de dix, ces paragraphes coïncidant avec l’effacement de la figure du narrateur primaire et les
trois extraits du journal d’Aurelio Pescador présentent le roman sous la forme de «récits emboités». Et l’effet
qui en résulte est aussi surprenant que celui des poupées russes: «An embedded unit is by definition
subordinate to the unit which embeds it : but it can acquire relative independence. This is the case when it
46
.
can be defined as a specimen of a more or less well-delimited genre. »
46
Bal, Mieke. (1981). Notes on Narrative Embedding . In Poetics Today, vol2, winter, .53.
33
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La sensibilité notée au niveau de l’écriture des récits (alliant descriptions sensuelles, transcriptions imagées
de la puissance du sentiment amoureux, l’évocation de l’innocente et allègre enfance de Pescador)
contraste avec la cruauté des actes commis par le deuxième narrateur autodiégétique. Le
seul vocable «Tuer » (matar) est utilisé 21 fois dans le récit du chapitre 12 qui ne s’étale que sur dix pages,
compte non tenu de ses synonymes ni de son champ lexical. Pescador confesse lui-même son modus
operandi: «[…] he matado o ayudado a matar muchas veces, a mucha gente, no siempre de la familia. Ni
siquiera las he contado. No sé su número (p.124).».
Selon la typologie fonctionnelle des récits seconds établie par Genette dans son Nouveau Discours du
47
récit , les récits enchâssés de Los hombres mojados no temen la lluvia assurent tous une fonction
explicative par le biais d’analepses qui sont de portées et d’amplitudes variées. Relativement longues au
niveau des chapitres, 12,13 et 20, elles se retrouvent très courtes dans le chapitre 23 dont la diégése se
situe dans les mêmes circonstances temporelles que la narration de Liberto Ruano: l’année 2012. Le lecteur
accède ainsi à des informations essentielles de nature à remplir les vides communicationnels du narrateur
primaire. Le tableau ci-dessous synthétise les pièces manquantes que les trois extraits du journal de
Pescador apportent au puzzle qu’était devenue la vie de Liberto Ruano:
0
0
0
Récit N 1
Récit N 2
Récit N 3
-Raisons de la présence d’Aurelio
Pescador à Madrid ;
-Ses origines et l’histoire de sa
famille, su ndrine;
- Son rôle au sein de la maffia
calabraise;
-Son lourd passé jonché de crimes
impunis;
-Les circonstances de sa rencontre
avec la mére de Liberto Ruano :
Elisabeth;
-Les orientations sexuelles de la
sœur de celle-ci;
-Les origines d’Elisabeth : son
adoption ;
-L’amour platonique qu’il éprouva à
l’endroit d’Elisabeth, suite à la
supercherie dont il fut victime (la
petite
sœur
lui
fit
croire
qu’Elisabeth était déjà promise à
quelqu’un d’autre) ;
-Les relations platoniques de Aurelio Pescador et Elisabeth;
-Les folles sorties nocturnes à
trois: lui et les deux femmes
(Elisabeth et sa sœur) déguisées
en homme ;
-Ses souffrances de ne pas
pouvoir vivre son amour;
-L’aveu d’Elisabeth, le jour de son
anniversaire: elle et sa sœur se
sont joué de lui depuis le début de
leur
rencontre,
la
situation
matrimoniale dont elle se réclame
est celle de sa sœur;
-L’ire de Aurelio Pescador;
-Leur
réconciliation
et
les
romantiques nuits qui s’ensuivir
rent;
-Son départ de l’Espagne ;
-La naissance de son fils Liberto
Ruano;
-Les visages des hommes qui
motivent sa présence en
Espagne se précisent: Gerardo
Barrera et Carlos Urbani
dont les sentences de mort
avaient été prononcées par la
Ndrine ;
-les circonstances de leur
mise a mort respective.
47
Le théoricien ajouta en fait trois autres fonctions à son premier essai de typologie dont il nous fait l’économie : «Je distinguais trois
types fondamentaux, selon que le récit second, évoquant les causes ou les antécédents de la situation diégétique où il intervient,
remplit une fonction explicative (Ulysse aux Phéaciens :"Voici ce qui m’amène ici") ; ou qu’il raconte une histoire liée à celle de la
diégése par une relation, purement thématique, de contraste ou de similarité, qui peut éventuellement si elle est perçue par le
narrataire avoir un effet sur la situation diégétique et la suite des événements (apologue de Menenius Agrippa) ; ou que, dépourvue de
pertinence thématique, il joue un rôle dans la diégése par la seule vertu de l’acte narratif lui-même (Schéhérazade repoussant la mort à
coup de récits).» Genette, Gérard. Nouveau discours…op.cit..,62.
34
Liens Nouvelle Série
Statuts et mutations de la voix énonciative dans Los hombres mojados no temen la lluvia de
Juan Madrid
-Le supposé mariage d’Elisabeth;
-Ses échanges de correspondances avec Elisabeth et son déménagement à Santiago Bernabéu
pour être à coté de la femme
aimée.
1958→1961→
-Les frasques lesbiennes de la
petite sœur d’Elisabeth dans une
Espagne encore sous l’emprise
du franquisme, le film et les motifs
de son assassinat par Aurelio
Pescador;
-Le départ précipité du narrateur
de l’Espagne, après avoir épargné la vie d’Elisabeth
1961→1964→
2012
La focalisation demeure interne tout comme dans le récit cadre. Les ellipses signalées par les espaces
blancs, les points de suspension, ainsi que les déictiques temporels (Más tarde, Tiempo después, Después,
etc.) accélèrent le récit de Pescador qui de toute évidence ne veut aucunement distraire son lecteur. La
gravité du sujet n’aurait pas pu s’en accommoder, l’incipit du premier extrait réclamait déjà toute l’attention
du récepteur : « Nunca he contado la historia que voy a contar ahora. Nadie la sabe (p.124).».
CONCLUSION:
La structure imbriquée et spéculaire de Los hombres mojados no temen la lluvia résulte d’un dédoublement
de l’instance productrice de la fiction. Le récit cadre est le fait d’un narrateur primaire autodiégétique qui, au
nom de la performance narrative, laisse beaucoup de zones d’ombre dans sa relation des événements
fictionnels. Le narrateur second des récits hypodiégétiques, lui aussi autodiégétique, comble ce déficit
communicationnel et participe de l’illusion réaliste, de l’effet de vraisemblance entretenu par l’écrivain, Juan
Madrid. Les références aux œuvres d’autres auteurs à l’intérieur du texte, les noms des lieux et divers autres
annexes tiennent tous à cela : « […] le lecteur, reconnaissant dans le texte ce qui existe hors du texte, sera
48
poussé à recevoir l’ensemble de l’histoire comme issu de la réalité.»
.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES:
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Yvon- Pierre NDONGO IBARA
Framing English sound-letter parallelism teaching
Résumé
MoTS-Clés: language learning and teaching, letter, non-English speakers sound
Abstract
This contribution is focused on the elaboration of some strategies that can put forward the teaching of
English sounds as any other English language issues. It results from the discussion that the teaching of
language sounds follows the same pedagogical practice as that of other language issues as grammatical
notions such as tense, determiners or quantifiers. In this perspective, English vocalic and consonant sounds
are going to be taught to learners as other language issues on pedagogical grounds. This will reinforce
learners’ predictability skills on pronunciation.
Keywords: language learning and teaching, letter, non-English speakers sound.
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INTRODUCTION
To develop a strong command of spoken abilities requires a number of particular emphases on the L2
phonic. This paper aims to scrutinize both the national curriculum and syllabus in relation to the teaching and
learning of English phonic driving particular attention from Congolese facts. Putting things differently, we
want to examine whether the Congolese teaching of English phonic contributes to bad or good pronunciation
and hence eases or complicates the English learning. Are the techniques used by teachers suitable to
enhance and motivate students’ desire to learn English? Is there any possibility to attempt searching
possible solutions to that issue? After scrutinizing some facts about teaching and learning English sound
patterns, I’ll focus on some new perspectives in teaching language sound system.
1- Phonetics and language learning and teaching
We are concerned with the relevance of phonetics in the learning and teaching of any natural languages. It
is necessary to acknowledge that the sounds of the language are very essential and central for a better
learning and teaching of the language although the message can be transmitted via other means of
communication like drums, gestures, body, fog-horn, morse-key, writing systems, etc.
In fact, phonetics plays an important role in language learning and teaching. As a science of the sounds
produced by human being, phonetics enables learners and teachers to deal with language with confidence
and certainty. Accordingly, teachers then learners should be well trained in phonetics, not only in the way to
pronounce words but also in order to be able to predict sound pronunciation. To quote O’Connor (1984:16)
Yet by the nature of things most of the meaningful distinctions of the language must be capable
of being given distinctive shape in sound, and it is this close dependence of sound and meaning
which justifies the study of speech sounds, i.e. phonetics.
This means that phonetics is determinant to someone who wants to learn or teach a language because its
mastery can alleviate the task of the language learners or teachers. In this respect, a good pronunciation can
help to avoid confusing ‘then’ and ‘den’, ‘cane’ and ‘can’, ‘taught’ and ‘taut’, ‘bye’ and ‘buy’. Similarly, the
non mastery of a language phonetics is taken as enormous awkwardness that generally blocks learners’
endeavour to speak the language. One of the consequences of the non mastery of the phonetic is to
proceed by sound to letter correspondence what is hazardous. Ingo Plag et al.(2009:2-3) contend that
… we have to strictly distinguish between letters and sounds, since we do not always get the
same sound for the same letter. Even within a single language, there is no one-to one
correspondence or sound and orthographic symbol. […] spelling and pronunciation are two
pairs of shoes and ought to be kept apart.
The above argumentation shows that phonetics should be considered very attentively when learning and
teaching a language. It is worth mentioning that phonetics must be dealt with differently as far as learning
and teaching a language. Language phoneticians should be different from didactic phoneticians in the extent
that the two phoneticians approach language on a different angle. If the former is concerned with describing
language sounds scientifically with the purpose to point out different acoustic, auditory and articulatory
features of the sounds; the latter is chiefly based on finding out procedures to teach and learn language
sound in the objective of speaking the language.
Finally, the relevance of undertaking this didactic investigation on the teaching and learning of English
speech sounds is reinforced by the fact that the sound-letter connection is not apparent. That is the
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Liens Nouvelle Série
Framing English sound-letter parallelism teaching
reason why Nambiar (2009:1) writes “English does not have a spelling pronunciation, i.e., there is no one-toone correspondence between the letters of English alphabet and the sounds that they represent in different
words.” This can explain why many textbooks (Hancock, 2003) rather proceed by a number of exercises
where a list of words is provided with their pronunciation than explaining why such and such a letter is
pronounced like this but not like that. In addition, many teachers select some words that they transcribe as
though transcription is the best way to teach English sounds. I am strongly convinced and persuaded that
transcription is a very poor way of teaching English language sounds because it only illustrates, but it does
not state the whys of the physical appearance of a sound. It shows a combination of letters giving rise to a
combination of sounds when the connection between the two is hazardous and risky. To quote Jones
(1909:27):
Phonetics transcription has often been defined as a kind of alphabetic writing in which each
letter represents one sound and never any other ‘one sound one symbol’. This description is not
strictly accurate. For in phonetics transcription we write k at the beginning of ki:p (keep) and
also at the beginning and the end of kuk (cook), but a little experimenting easily shows us that
these k’s differ each other. […] The use of these different sounds is determined by the other
sounds adjacent to them in the word or sentence.
This is the reason why we advise teachers to be tactful, creative and audacious to explain the sound-letter
connection with practical tasks in connection to course teaching based on English language vocalic and
consonantal sounds. In the same way that all grammatical notions are not taught the same year, so would be
the speech sounds.
This paper falls in a linguistic approach to language teaching and learning. In the words of Ronald Carter
(1982,1) ‘Linguistics should be a central element in the pre and in-service education of teachers’. That is to
say, during their training and the practice of their work, language teachers should be required to have a good
background in linguistics. In fact, further to our own experience first as learner, then teacher, finally a linguist,
we have observed that most teachers of language, (English in our case) face many problems that could be
sorted out by considering linguistic knowledge. Under this consideration, language teachers should be
exempted from some levels of linguistic formalism so that they get familiar with the internal functioning of
languages. As Carter (op.cit.,4) admits that languages should be studied as ‘a living entity of which teachers
should seek to give children experience rather than mere techniques of analysis’. This becomes true if we
consider Ronald Carter’s (op.cit.,2) argument ‘There is a presumption that teachers are incapable of doing a
real analysis of language because it is too difficult’. It is not that teachers are going to become linguists, but
they are going to be informed about language complexity so that during their teaching they can make use of
their knowledge to explain language facts easily. To cite one example from many, when a teacher is
teaching English consonants for instance, the information concerning the place of articulation (bilabial, labiodental, dentals, alveolars, …), the manner of articulation (stops, fricatives, affricates, nasals, …) the
airstream mechanisms (pulmonic airstream, velaric airstream, glottalic airstream, …) the states of the glottis
(voiceless, voiced, narrowing, …) is not important for learners at secondary schools. In this regard we
disagree with Nikolov’s (2011, 11 foreword) assertion in Herry-Bénit book that:
La spécificité de ces difficultés au niveau phonétique de la description linguistique est liée au
fait que l’apprentissage des sons des langues de la langue et de leur organisation dans la
chaine parlée implique non seulement l’acquisition d’un bagage important de connaissances
théoriques, de savoir-faire et de compétences méthodologiques (de méthode et de réflexion),
mais aussi la maîtrise d’un grand nombre d’habitudes nouvelles- motrices (articulatoires) et de
perception (auditives et de traitement mental du signal sonore).
The mastery of articulatory, acoustic and auditory phonetics is not appropriate to learners from secondary
schools, but rather those who intend to specialise in phonetics. This is the reason why we
strongly believe that what is important for these learners is what affects the pronunciation of a given sound
according to its position in the word as well as its combination with other sounds.
In addition to linguistics, this paper also takes into account Gattegno’s (1962, 1971, 1976) works. What is
strongly stated in his pedagogical approach is that the teaching is centered on the learner. His approached is
apparent to cognitivist view on languages as a learner is biologically endowed with language faculty. HerryBénit (2011, 31) provides the following comment:
39
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L’enseignant réalise un premier pointage à travers les différentes structures, qui guide les
apprenants dans leur démarche. Cette activité regroupe plusieurs sens pour l’apprenant qui
voit, entend, pointe, et ainsi augmente ses chances d’apprendre par l’action. Les énoncés sont
soient donnés par l’enseignant soit proposés par les apprenants eux-mêmes.
Herry-Bénit’s assertion presents the method to teaching sounds which is akin to one of the key requirements
for a scientific approach notable explanatory adequacy. Andrew Radford (1981:26) describes explanatory
adequacy in the following terms:
A grammar attains explanatory adequacy just in case it correctly predicts which sentences are
and are not well-formed in the language, correctly describes their internal structure, and also
does so in terms of highly restricted sets of optimally simple, universal, maximally general
principles which represent the psychologically plausible natural principles of mental
computation.
Following Radford, we should assert that lessons on sound aims to help learners predict which letters are
and are not pronounced like that in such environments. It is in this light that teachers help learners discover a
path for themselves through the presentation, practice and production steps regarding the teaching card
layout. The next section explores the practice of learning and teaching the English sound patterns basing our
analysis on Congolese reality.
2. The teaching of English speech sounds
It is generally observed that teachers consider the alphabet as the key practice in teaching the sound
patterns of English. This practice has proven obsolete as it blocks learners’ capability of becoming fluent
speakers as well as demotivate learners. This alphabet teaching tendency tends to expose learners to risky
behavior of pronouncing words as they should be spelt.
(1)
Another wrong step followed by teachers is the fact of teaching English vocalic system through a noncontext based teaching. What I mean is teaching sounds as though they were isolated segments. In other
words, teaching vocalic sounds as though they were mechanic spare parts for fixed solutions. This teaching
totally highlights the ignorance of one of the language features, that is, creativity. That is to say, language
must not be compared to spare parts which are set according to mechanic dimensions; but language should
be compared with adjustable spanner as it can adapt to any situation. Language is something dynamic,
changing and irregular. In this respect, we can wonder whether the use of the following teaching process of
vocalic sounds is helpful or not.
(2)
Short vowel
[ɪ],
[e],
[ə],
[æ],
[ʌ],
[ʊ],
[ɒ]
Examples
Hit, beverage, delete
Admit, pen, pet
Defarge, about, acquire
Act, bad, adequacy
Son, sun, couple
Look, good, hook
Hot, dog, body
long vowels
[i:]
[a:]
[u:]
[ɔ:]
[ɜ:]
40
examples
Feat, been, receive
Car, glass, heart
Hoof, loo, lute
Ball, hoarse, morn
Hurl, bird, murk
Liens Nouvelle Série
Diphthongs
[ɪə]
[eə]
[ʊə]
[eɪ]
[aɪ]
[ɔɪ]
[əʊ]
[aʊ]
Framing English sound-letter parallelism teaching
Examples
beard, fear, near
scare, aired, cairn
poor, tour
pay, face, make
tide, mine, buy
boy, coin, loin
load, go, home
house, loud, how
triphthongs
[eɪə]:
[əʊə]:
[aɪə]:
[aʊə]:
[ɔɪə]:
Examples
player, layer
mower, lower
tyre, liar
power, hour
royal, loyal
When these details are given to learners, they are provided in such a way that the students cannot guess
any possibility to predict some sound letter links. In addition, teachers seldom elaborate some classwork
exercises on checking students’ mastery of the English language sound system. This is simply limited to an
oral exercise with no particular attention on arousing students’ attention nor their awareness regarding this
neglected competence, listening and pairing sounds with their different spellings.
3- New perspective in teaching English phonic
The aim of this section is to suggest a didactic perspective regarding the teaching of English sounds
following teaching card requirements based on presentation, practice and production of the taught item.
3.1 The teaching of consonants
Since almost all languages have consonants despite their spellings in different languages, when teaching
English consonants, the teacher has to deal with individual consonants gradually. This part is based on the
consonant sound [k].
When introducing the consonant sound [k], the teacher will state that this consonant can be written
as: c, ch, k, and q. As this paper is didactic based, we are going to deal with one spelling namely ch so that
the reader can follow our argumentation easily as illustrated below:
Written as c
[k]
Conditions
Examples
c+a
Call
c+o
Code
c+h
Most words with French accent
Choral
c+l
Clinic
c+u
Cup
What is important to signal out here is the fact that the consonant cluster c+h is the only one which can
have different pronunciations. Of interest is that this cluster is generally pronounced [k] with many words
with French letter similarities such as chameleon, cholera, choreography, character, chaos, archive,
chemotherapy, chiropody, etc.
41
Yvon- Pierre NDONGO IBARA
N° 20
Décembre
2015
After introducing this first step in teaching the consonant sound [k], the teacher asks learners to
provide some more examples with each spelling of [k] so as to enlarge and enrich the list provided in the
above chart. The next step will be exercises as below:
a- Multiple choice
Choose among the letters a, b, and c which contains the sound representing the bold letter(s)
1- Chalcedony,
2- machine
3- Celt
4-chios
a- [k]
a- [k]
a- [k]
a-[k]
b- [ʧ]
b- [ʧ]
b- [ʧ]
b-[ʧ]
c- [ʃ]
c- [ʃ]
c-[ʃ]
c-[ʃ]
b- Matching up
Match the words in A up with their corresponding transcriptions in B. Consider numbers (A) and letters
and letters (B) only.
A
B
1-cant
a- [kaimərik]
2- Charon
b- [ka:nt]
3-chemeric
c- [kærəkæl]
4- can’t
d- [keərən]
5-caracal
e- [kænt]
c- [k] or another consonant
Say whether the underlined letters sound [k] or another consonant in the following list of words: achieve,
Achish, ache, chorus, Caesar, chemist, Eucharist, chiromancy, charisma.
It is worth stating that it is forbidden to deal with all the different spellings of a sound the same day
because this practice will increase learners’ hardships as well as raise confusion. In addition, the best
time to focus on sound teaching is the beginning of the course as learners are still fresh and motivated.
Finally, this course must not exceed twenty minutes.
3.2 The teaching of vowels
As vowels are the most challenging sounds to teach, teachers are advised to be more tactful, technical
than normative. In the words of Nambiar (2009: v) “the first letter of the alphabet a can represent up to
ten different sounds or phonemes, by itself or in combination with other letter of alphabet.” In this
respect, vowels should be divided into three classes namely short, long and diphthongs.
3.2. a The teaching of short vowels
To begin with, the teachers have to list all the simple short vowels then select one of them. The course
will last as long as possible regarding the different spellings of the vowel. The English short vowels are:
ɪ, e, ə, æ, ʌ, ʊ, ɒ. As a starting point, let us consider the vowel [ɪ].
Written as c
[ɪ]
Conditions
Examples
I
Tit
-a
cabbage
E
elect
-y
heavy
42
Liens Nouvelle Série
Framing English sound-letter parallelism teaching
Regarding vowels and specifically short ones, it should be emphasized that when a letter vowel is
followed by a combination of two distinct letter consonants, it is generally realized, i.e. pronounced as a
short vowel. Then the teacher asks some more examples from learners. The following examples are
worthy of attention.
A- Multiple choice
Choose among the letters a, b, and c which contains the sound representing the bold letter(s)
1- [ɪ],
a- collage
b- college
c- colleague
B12345-
2- [ɪ]
a- carnage
b-carbonade
c-indict
3- [ɪ]
a-cry
b-ego
c-linkage
4-[ɪ]
a- equip
b-epenthesis
c-effect
Provide the phonetic transcription of the bold letter only.
Emit;
Couplet
Cattegat
Cartage
Cozy
C- [ɪ] or another vowel
Say whether the bold letter sounds [i] or another vowel in the following list of words: breadalbane,
bricolage, belligerent, bisect, bison, beta, brokerage, benefactive.
3.2. b The teaching of long vowels
The introduction of this section starts with the distinction between a short and a long vowel. As the vowel
[ɪ] has been taken as an illustration above, the best choice for the long vowel will be [i:]. English long
vowels are: [i:], [a:], [u:], [ɔ:], and [ɜ:]. When presenting the long vowels in English,
the teacher must insist on the fact that lengthening is related to the combinations of vowels with some
consonant letters or double vowel letters.
Written as c Conditions
Examples
aesthetic
-ae
deed
-ee
[i:]
Afrit
-i
aheap
-ea
achieve
-ie
people
-eo
albeit
-ei
It comes out from the above chart that the long vowel [i:] is the result of the combination of two identical
vowel (ee) or two distinct vowel letters (ea, ei, eo, or ie). When these combinations of vowels are
followed by the consonant ‘r’, their pronunciations will be automatically affected so as some will be
realized as diphthongs or long vowels as in George, theory, engineer, heir, dear, heart, pier, fierce, dirk,
etc.
Teachers give learners the opportunity to provide further examples to complete the list of words given in
the chart above.
A- Multiple choice
Choose among the letters a, b, and c which contains the sound representing the bold letter(s)
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Yvon- Pierre NDONGO IBARA
1- [i:],
a- height
b- eight
c- either
N° 20
2- [i:]
3- [i:]
a- toffee
b- coffee
c- fee
Décembre
2015
4-[i:]
a- women
b-secret
c- men
a-feat
b- lead (n)
c- death
B- Matching up
Match the words in A up with their corresponding transcriptions in B. Consider numbers (A) and letters
and letters (B) only
1- Egypt
a-[i:ʤipt]
b-[eʤipt]
2- Scene
a- [si:n]
b-[sen]
3- Featly
a-[fi:tli]
b- [fitli]
4- Topee
a-[təʊpi:]
b-[təʊpɪ]
5- Friel
a- [fri:l]
b-[fril]
C- [ɪ] or another vowel
Say whether the bold letters sound [i:] or another vowel in the following list of words: Geoff, Geode,
coulee, Leavitt, Beaven, height, foreign, dead, egret, friend, ceiling, Beal, toupee.
3.2.c The teaching of diphthongs
The first step in teaching diphthongs is to draw the distinction between two written vowels and a
diphthong. That is to say, the teacher draws a chart to show if the combination of two vowels is always
pronounced as a diphthongs. Consider the following:
(3)
Two vowel combination
ai: [eɪ]tail, [e]said, [aɪ]aisle, [æ] plait
au : [ɔ:]audio, [ɑ:] laugh, [ɔ]because
ea: [e]bread, [i:]bead,[ei]break
[ɪə]idea,
[ɪ.eɪ] create
Diphthongs
[aɪ] : -i ‘bite’, -y ‘by’, uy ‘buy’, -igh ‘light’, ie ‘die’…
[aƱ]:-ou ‘pout’, -ow ‘row’
[eɪ]: -a case ; -ai ‘vain’ ; -ay ‘day’; -ea ‘break’; ei ‘eight’…
The scrutiny of the examples above shows that there are very few words with two letters –ai pronounced [aɪ].
Another support of this controversy is highlighted by the collocation of two vowels made of –au opposed to
[au]. In short, it should be pointed out that the combination of two vowel letters must not be an input to the
production of a diphthong.
The second step in teaching diphthongs will be to lay emphasis on the fact that a diphthong can
derive from a one vowel letter or a two vowel letter combination. As a result of one vowel letter, the
diphthong is possible thanks to the combination of any of the following vowel (a, e, i, a, and o). To make
things more obvious, we should divide diphthongs according to their last vocalic sounds.
(4)
a) [-ə]
b) [-ɪ]
44
Liens Nouvelle Série
Framing English sound-letter parallelism teaching
c) [-Ʊ]
The [-ə] diphthong presupposes that in the combination of vowels there is the letter ‘r’ followed by another
vowel or a consonant as illustrated in the following list of words:
(5)
[ɪə]
sphere, clear, weird, copier, ear, sepia, theory
[Ʊə]
boor, secure, during, hewer, dour
[eə]
scare, pair, tear
There are some remarks worth of attention. Firstly, it should be noticed that the combinations of the
vowel letters (e, o, a) + r + (Vowel or consonant) will be pronounced as a diphthong if only we find them at
word mid or final position because elsewhere and mainly in word initial position, they are pronounced as
short vowels. Secondly, this phenomenon is mainly attested when we consider the Received Pronunciation
(henceforth RP). Gimson, when explaining the relevance of Received Pronunciation writes:
Such a definition of RP I hardly tenable today, […] If I had retained the traditional, though
imprecise, term ‘received pronunciation’, it is because the label has such wide currency in
books on present –day English and because it is a convenient name for an accent which
remains generally acceptable and intelligible within Britain,
Quoted by Roach et al. (2003: v)
Finally, when teaching these diphthongs, depending on the level, the teachers can signal out some
exceptions based on the American English. This is to show the English language variety and dynamism.
The [-ɪ] diphthong supposes that in the combination of vowel letters there is the vowel ‘i’ or its variant
‘y’. The following examples are good illustrations.
(6)
[aɪ]
whine, by, light, tie, dye
[eɪ]
aim, hay, veil, prey, steak
[ɔɪ]
poise, coy, coin,
Finally the [-Ʊ] diphthong mainly depends on the vowel letter ‘u’ or its variant ‘w’ which can be illustrated
through the following examples.
(7)
[aƱ]
hound, cow
[ǝƱ]
[oƱ]
poke, soak, hoe, bough, bow
After presenting the different diphthongs as being generated by single vowel letters followed by
either another vowel or a consonant, the time is now to deal with diphthongs as an output of two vowels. The
following chart summarises all diphthongs resulting as a combination of two vowels.
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Décembre
2015
(8)
[aɪ]
pie, buy, dye
[aƱ]
hound, row
[ǝƱ] or [oƱ]
[eɪ]
[ɔɪ]
[ɪǝ]
[eǝ]
[uǝ]
soak, hoe, though,
May, mail, veil, prey, great
loin, coy
sepia, theological, dear, copier, weird
chair, bear, heir
dour, boor, brewer
It appears that diphthongs can represent the pronunciation of two vowel letters or the pronunciation of one
vowel letter followed by a semi vowel letter ‘y’ or ‘w’. Generally speaking, when there are two vowels, they
are rarely identical.
CONCLUSION
The paper has been concerned with the issue whether language sounds can be compared with other
language issues in connection to language learning and teaching. With regard to the battery of arguments, it
comes out that language sounds can be taught in the same way we teach grammar lessons. In the same
way teachers teach grammar lessons like passive voice, so can we proceed with vowels or consonants.
Furthermore, repetition, story-telling or drills used to teach language sounds without a descriptive
and explanatory grounds are pointless as they are worthy for sound identification, but not for sound
understanding. What this means is that if teachers only use drills and repetition without explaining learners
the whys and the hows, this will not alleviate the hardship that goes with English sounds which are irregular
in their connection with letters.
Finally, the fact that teachers did not evaluate language sounds because they did not know how to
proceed leads learners to consider language sound learning as obsolete and otiose. This contribution stands
as an example, an illustration regarding pedagogical techniques for teaching English language sounds to
learners.
BIBLIOGRAPHY
Ashby, M. & Maidment, J. (2005) Introducing Phonetic Science. Cambridge: CUP
Carter, R. (ed). (1982) Linguistics and the Teacher. London: Routledge & Kegan Paul.
Gattegno, C. (1962) Words in Color and the Silent Way. Chicago: Educational Explorers
Gattegno, C. (1971) What We Owe The Children, The Subordination of Teaching to Learning. New York:
Outerbridge and Diensfrey.
Gattegno, C. (1976)The Common Sense of Teaching Foreign Languages. New York: Educational Solutions
Hancock, M.(2003) English Pronunciation in Use. London: CUP.
Heery-Benit, N. (2011) Didactique de la phonétique anglaise. Rennes : PUR.
Jones, D. (1909) The Pronunciation of English. London: CUP.
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Jones, D. (1956) An Outline of English Phonetics. Cambridge: Heffer.
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Framing English sound-letter parallelism teaching
Jones, D. (2003) The English Pronouncing Dictionary. 16th edition Cambridge: CUP.
Nambiar, K.C. (2009) Speaking Accurately: A Course in International Communication. New Delhi:
Cambridge University Press India Pvt Ltd.
O’Connor, J. D. (1984). Phonetics. Edinburgh: Penguins.
Plag, I. et al. (2009) Introduction to English Linguistics, Berlin: Mouton de Gruyter.
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rd
Roach, P. (2000) English Phonetics and Phonology. 3 ed. Cambridge: CUP.
Yule, G. (1985) The Study of the Language: An Introduction. Cambridge: CUP
.
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Klohinlwélé Koné
Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations
in African literature.
Résumé:
Le récit de la fête dans l’histoire de la littérature africaine a une longue tradition depuis les récits
exotiques d’écrivains étrangers aux récits ambivalents de la littérature africaine postcoloniale. Les
descriptions des célébrations festives y obéissent à des impératifs à la fois idéologiques et esthétiques.
Le récit de la fête est à la fois métaphore de la résistance culturelle, de la crise qui affecte la vie sociale
et offre des perspectives de sortie de crise.
Mots clés : récit – ethnologie – carnaval – ambivalent – postcolonial – péjorisme -
Abstract :
Narrating the feast has always been a motif of literature about Africa with foreign writers who had
recourse to it for the exotic flavor they sought for. In the postcolonial narratives, though, the description
of festive celebrations has ideological and aesthetic motives. These narratives of feasts are not only the
metaphor of cultural resistance but also of the crisis prevailing in the postcolony. But this motif also offers
the ethic and aesthetic instruments for a way out of the cultural crisis that the continent goes through.
Key words: narrative – ethnology – carnival – ambivalent – postcolonial – pejorism –
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Liens Nouvelle Série
Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
INTRODUCTION
If festivals and celebrations are part of the everyday life of any human society and have been largely
represented in artistic and cultural creations, the theoretical reflection on their meanings and occurrence
suffers from a lack of a similar interest. In the literary productions of Africa in particular, celebrations and
other festive events have been the subjects of several literary representations but have not been given
an equally similar interest by critics and theoreticians. This has been so despite the impact of the
representation of these events on narrative strategies, the structures and formal devices initiated by
African writers.
This study reflects on the feast in the postcolonial literature of Africa and the meaning of its literary
representations. Representation shall not be understood as a mere description of what is in the social
milieu or real life. Representation, as J.M.Kouakou argues, shall be understood in the sense of passing
what is perceived by our senses through the analysis of the psyche of the writer which works by a
selection or affective decision. The social reality of the text is never the same as the referential one. The
text’s reality is therefore a partial, biased, fragmented reality. It is never a faithful copy of the initial reality
captured by our senses. Representation is therefore to be regarded as a game the artist/narrator
indulges in, a make-belief device which aims at giving the illusion of reality through narrative and
enunciative strategies. (J-M Kouakou 2010)
To give an air of authenticity or reality to their narratives, authors indeed often present feasts in their
literary works. The minute descriptions of these feasts reveal the skills of a narrator who borrows from
the scientist the latter’s depth perception of all details, his critical and objective look at the realities
described. Such a narrator is also endowed with artistic skills that make his literary arguments sound real
and pleasing to senses and the mind.
th
For some literary movements like 19 century Romantic Movement in Europe, the insertion of long
descriptions verging on scientific reports of festive celebrations as a way of asserting ethical and cultural
8
values was and is still analyzed as an obstacle to the autonomy of the literary “field” . The proponents of
such a trend conceive of literature as a pure field that must state its autonomy from other fields like
th
economics, politics and pure science etc. This trend is best summarized by 20 century Czech writer
Milan Kundera who claims for an aesthetic that aims at “cleansing the novel from all elements that do not
specifically belong to the novel.” (lettres.ac-rouen.fr/français/fx_gide/faux/depouil.htm)
Yet the
introduction of descriptions of feasts often borrow a lot from the ethnological and anthropological
discourses that aim to study the cultural practices and minds of non-western people.
In African literature, the narrative style that is strongly influenced by this “scientific” discourse is a key
motif that can be traced back to literature produced during colonial era by colonial agents that supported
explicitly or implicitly the colonial enterprise. Motives about this use of the feast in literature are different
9
according to whether the author is African or a “colonial writer” . For the colonial writer, feasts and rituals
achieved a sense whose aim was to justify the epistemic, institutional and political domination. That
literature can be referred to as colonial ethnological fiction. With this literature, analysts stood to learn
more about the writer himself than about the people whose values he was representing as cultural
practices were perceived through the lenses, phantasms and prejudices of members of the community of
the dominator. For the African writer, on the other hand, who also has recourse to this ethnological style,
the aim is different. Beyond the impact this style has on its literature, the topic itself is used in an
ambivalent way. Sometimes it embodies the social crisis that African countries are faced to, sometimes it
is used as a device to assert one’s cultural exception. In all cases, it is never used gratuitously. It has
aesthetic and ethic purposes.
Basing ourselves on Pierre Bourdieu’s sociology of literature, Frantz Fanon’s analysis of celebrations
in the neocolonial society, M. Bakhtin’s theory of the carnival and A. Mbembe’s theory of
8
Field is to be understood as French sociologist P.Bourdieu conceived it as a relatively autonomous thinking system
with its own rules, norms, agents and institutions.
9
By colonial writer we refer to these writers whose literary works justified, supported or announced the coming of
colonial enterprise. These works go from the travel narratives of D.Livingstone, R.Haggard, to pure fictions by Joyce
Cary, Evelyn Waugh, G.H.Nicholls, Karen Blixen, etc.
49
Klohinlwélé Koné
N° 20
Décembre
2015
postcolonialism, we shall analyze the novels of two outstanding figures of modern figures of modern African
literatures: Fragments by Ghanaian novelist Ayi Kwei Armah and C. Achebe’s Arrow of God and Anthills of
the Savannah.
In this study, we shall analyze the impact the feast with its traits of celebrations, carnival, display of
colors, emotions, etc has on a literature that has made it one of its key motifs. This impact will be analyzed at
the level of the use of language, style and narrating strategies. In another move we shall discuss the use of
the feast as a narrative device to embody the social crisis but also as a way of asserting one’s cultural
resistance. In a final analysis, we shall discuss the recourse to the feast as a way out of the general crisis
Africa has been faced with since new leaders have been in power.
I-
The impact of the narrative of celebrations on African literature.
The first consequence of the insertion of descriptions of local feasts and rituals in postcolonial
literature is the advent of a particular type of narrator. The latter displays a wide range of skills that
shows his familiarity with the events and contexts narrated. He is an expert in the geography, history,
customs and traditions of the people whose lives and stories he is narrating.
The narratives in this context are pervaded by long descriptive texts which halt the development of
the story itself to present some cultural facts and try to justify the rationale behind these practices. The
focus is now from the perspective of a narrator who is no longer biased against the local people and their
cultural practices. He is a member of that community and does not allow any indifference to the
descriptions of the local feasts. He has a deep respect for these practices and provides the keys for
decoding their meanings.
This committed narrative strategy borrows from the resources of oral narrative strategies where the
performer has to entertain an audience with the only resource of his voice, improvisation and other
performing techniques on a story whose main content is known to all. How the story starts and how it
ends are often following the same pattern. The storytelling is about the personal variations of each
performer on a common story. Digressions, whether internal or external, descriptions of characters,
settings, dancing, songs, miming, etc are used as devices for making long a story that could be told in a
few minutes in its general patterns. Arrow of God, for instance, is the story of an Igbo traditional chief
priest whose stubborn and unavowed ambition is thwarted by the introduction of colonial administration
and his local rivalries with other equally ambitious opponents. This local story which could pass for the
narrative of the normal life of a common member of the society in an igbo village is given a local flavor
and an ethnological basis with whole chapters devoted to the local calendar of feasts, rituals and other
celebrations. The village meetings and their appropriate decorum, the celebration of the yam festival,
mourning rituals, etc amply occupy two-thirds of the novel.
African writers have sometimes been criticized for being mere spokespersons for their communities,
a position which they claim with a certain pride. In fact they often borrow from local myths, take local
storytellers as their models and the patterns of folktales as the model for their creations. Most of them
want to give a fair picture of their communities, which communities have their strengths and ambiguities.
But above all, modern writers want the cultural practices of their people to be known and better
understood.
The narrative of local celebrations could not but impact the forms of modern African literature. If we
consider the feast in its bakhtinian carnivalesque sense, we could analyze some of the stylistic and
linguistic experimentations as a consequence of the specific narrative of the feast.
Under the colonial system the imperial language was the language of the centre. It was claimed by
the colonial ideology as the universal means of communication which embodied universal values and
could speak for or in the name of all human communities. It was a ‘pure’
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N° 20
Décembre
2015
language that reached agreement of all its members and suffered no breaking of its established
rules. In the postcolonial context, the theoretical category of ‘impurity’ becomes the dominating mark.
Instead of its negative connotation, impurity acquires a positive meaning. Its features of disruption of
norms, of cultural and aesthetic hybridity are set against the authentic, original, pure categories of the
50
Liens Nouvelle Série
Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
former colonial values and language. The preeminence of the “impure” is ideally illustrated by the
feast, the popular celebrations and manifestations. The feast becomes an aesthetic category. Its actors
are marginal characters such as the crowd, the mad or the popular anti-hero figure.
Lots of experimentations with the western languages and the way narratives are built can be
analyzed as a celebration as they are experienced as a literary carnival. Suffice here to take the works in
our corpus to establish this pleasant and humorous atmosphere that is created with the interplay of
various and sometimes contradictory linguistic codes. In Achebe’s works, in general, and in Anthills of
the Savannah in particular, we have interplays of various voices: that of the African traditions, the
wisdom of rural communities with their representatives like the head of the delegation from Abazon and
Elewa’s uncle and the urban ambivalent world which is represented by its equally ambivalent language.
Both universes are presented in a light tone though the novel addresses important issues of survival for
the African communities. The tone of the traditional storyteller is set next to that of a modern African poet
inspired by the styles of poets like Walt Whitman, Wordsworth, Coleridge, Keats, Tennyson, etc. whose
names are explicitly mentioned in intertextual references. This in no way implies any claim of any purity
either in traditional context or the modern one. Each of these categories have their own internal mixtures
and we have a juxtaposition of impure categories. Everything in the postcolony bears the stamp of that
impurity.
Another feature of these novels is the colorful interplay of languages of various and conflicting
interests and origins. The “englishes” of Achebe and Armah are not the English of the BBC from all
points of view. This is no consequence of some illiteracy in the English language the two writers having
established their reputation and been to the best and most elitist institutions of the colonial educational
system. In these narratives, in addition to these codes, we have these different linguistic systems such
as academic English, pidgin and local languages all of them juxtaposed one next to the others in a
colorful language which is sometimes close to making the reader feel dizzy with having to move from
one code to the other. Some local words occur in the middle of a sentence which were not expected
there without the slightest attempt to explain them. Most of these words or expressions could be
perfectly translated into academic English but are kept untranslated for that sole purpose of disrupting
the assurance of the English language. They serve as a dissenting voice, a marginalizing voice that
fights for existence in a dominating language. Just as the carnival which generally celebrates the
marginal, this feast of the language contests the dominating language and celebrates the peripheric
language.
The experimentation is sometimes pushed a bit further with whole syntactic occurrences from differing
languages overlapping. That is the case when a sentence starts in one language and ends in another
one. Illustrations of this can be found in almost all novels from this generation.
Like the language of this literature which is colorful, full of unprecedented and unexpected
experimentations, the narratives can also be characterized as colorful and carnivalesque with the
narrator assuming different figures. He sometimes borrows from the traditional “griot” with his gleeful and
amusing figure who wants to enlist the empathy of his listeners by his caustic, comic but also his artistic
and sustained narrative tone. Some other times he is a narrator in the best tradition of the western
postmodern narrator with his ambivalent tone which verges on cynicism, indifference to the facts he
presents as a way of taking his distances from the ideological discourses of the new elite and also the
traditional dominating class. He shows no sympathy for his hero and characters and makes their
discourses pass through the filter of his ironic, ambivalent or even acerbic tone. When the same narrator
does not assume all these instances, he juxtaposes
characters in the same storyline who displays allegiances to these various and contradictory sociocultural categories.
Such an experimentation is carried out along what can be regarded as a carnival of genres. Indeed
literature as inspired by the modern western world is traditionally divided into fixed genres that are not
expected to overlap. Literature is therefore divided into categories of prose and verse, narratives and
51
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drama, etc. There are even subgenres in each of these general categories. A folktale is not a
narrative in the academic sense. There is a difference between myth and folktale, between tragedy and
comedy. This is a consequence of the modern Cartesian approach to realities. Yet that characteristic has
long been contested by western literature itself. In spite of that, this classification of literature into fixed
genres still serves as one of the identifying traits of western literary categories that African writers have
inherited from the educational background they had in colonial schools.
Although they were educated in that tradition of writing according to genre categories, most modern
African writers seem to have opted for the oral traditional mind whose option is for a holistic perception of
the universe. Such a worldview stands out clearly in their artistic, philosophic and religious practices. In
such a context, poetry, comedy or drama, proses writing, etc, are not categories that exclude one
another. That is what can be analyzed as a carnival of genres. Here mythological and cosmological
narratives appear next to secular prosaic narratives and versed poems along with dialogues which
remind readers of a piece of drama.
The opening chapter of Fragments is revealing about this state of affairs. It is poetic prose or prosaic
poetry interspeded with whole poems presented like evocations and libation prayers to ancestral spirits
who are spoken to in the sacred and poetic tone: the novel closes in the same way with Naana
assuming the narrating voice. The other chapters which are written in the form of prose and dialogues
appear to be guided by the spiritual poetic language inspired by the living representative of the traditional
life. Libation prayers in a poetic language open the novel which ends in similar poetic paragraphs
interspeded into the prosaic narrative.
Where you are going, / go softly./Nanamon,/you who have gone before,/see that his body/does
not lead him/into snares made for the death of spirits/ You who are going now,/ do not let your
10
mind become persuaded/ that you walk alone./ (Fragments: 3-4)
In the case of Anthills of the Savannah, Ikem’s poems are interspeded into the prose narrative. In the
middle of a narrative made of a dialogue, a long poem is sometimes introduced with the graphic marks of
an inserted or quoted external text to the rest of the narrative without any transition and when it ends, the
narrator resumes his prose narrative without any further transition. (27-28) The poem Hymn to the Sun
ends chapter 3 on pages 30-31-32. In this chapter, not more than four pages are devoted to the narrative
that keeps to the storyline while the poetic texts run over five pages. These, on the other hand are not
classical versed poems but narrated or “prose” poems with social concerns rather than subjective lyrical
poems. (211) Chapter 8 presents a mythological narrative on four pages before introducing the character
Beatrice who is to conduct the narrative. In a paratextual note serving as an incipit to the chapter, David
Diop’s poem “Africa” opens chapter 10 on pages 209-210. The reader is taken unawares with an extract
of Ikem’s unpublished and unsigned poem Pillar of Fire: a Hymn to the Sun.(209) Narrative mythologies
and cosmological poems appear side by side in a regular prose narrative.
To this generic melting pot must be added a whole list of sociolects that seem to vie with one another for
integration into the economy of the whole narrative. The biblical discourse stands next to the prayers to
ancestors, the military lexis often gives way to the Marxist rhetoric or the students’ Union sociolect as
evidenced during the conference pronounced by Ikem a few days before he is murdered by Sam’s
regime.
To sum up we can simply say that the two voices that are vying for ascendancy are the traditional oral
voice and written texts, the traditional way of life and the modern urbanist one. It is the attempt to make
10
This organization of verses separated by slashes is my own. In the text, each verse appears down the preceding one
making the poem running on several pages.
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Liens Nouvelle Série
Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
the two worlds coincide that is interpreted according to Bakhtin’s fruitful theoretical tool of carnival which
is a feature of the feast. By this shifting from one reality to the other through ideas and aesthetics, the
writers succeed in marginalizing the two universes and their ideologies but in so doing, they also
emphasize and assert them. Like the feast which breaks the time and space continuums and also the
norms of a group, modern African literature breaks the norms of the literary world. This joyful, funny,
colorful, blasphemous language and narrative strategies also convey a sense of resistance to foreign
cultural values.
II- The feast as the metaphor of cultural resistance.
That feasts have a political use is no specific trait of African communities. They are used to
strengthen the society’s sense of community by the assertion of its values. Founding myths and the
collective history of the community are recalled through festivals as a way to mobilize collective energies
towards a common goal: that of the survival and perpetuation of the society and its values.
The denial of their humanity or the status of inferiority that was conferred on the colonized people by
colonial masters has been the cause of a counter discourse whose main aim has consisted of a narrative
of self-assertion. Such a narrative claims one’s identity, the existence of specific cultural values.
Funerals, ritual celebrations, popular festivals are used by many novelists as the metaphor of that
cultural assertion. Feasts are therefore the ritualized forms of one’s belonging to a civic space which is
one’s home.
This sense of the feast seems to have been kept by modern African writers. In their narratives, the
introduction of descriptive texts of traditional celebrations generally serves as a means of asserting one’s
cultural values. The ethnological and anthropological intertexts about festivals and other celebrations are
used as metaphors of the quest of the authors’ communities for authenticity and assertion into a world of
colonial and postcolonial domination. This cultural resistance has mirrored an active political resistance
since the colonial era. The recourse to the narrative device of describing local feasts appears as a
hypertext to colonial texts in their expository, interruptive and detailed factual presentation even though
this colonial hypotext is generally not explicitly evoked.
The role of the African novelist in line with most traditional conceptions, according to Achebe himself, is
to be a “teacher” coupled with an ambassador. He has a social role which consists of educating those
whose education remains to be perfected about the values of their community. The influence of western
education on African writers in this conception of the role of the writer seems clear here. Despite the
movement to separate colonial literature from African postcolonial literature, this role of the writer seems
to be executed in a very “western” sense with a teacher instructing a class not as an integrated part of
the traditional society. This obviously is one of the many contradictions of the postcolonial situation and
states the evidence that many colonial influences have not been expunged. In this context, the narrator
or the artist also has to instruct a class of foreign students, outsiders to the African societies, the values
of his community.
53
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Such a conception reduces the artist to a spokesperson. He speaks in the name of the community as he
speaks from inside that community and presents its many cultural features. It is through the relentless
presentation of local festivals, celebrations, folklore that this role of “teacher” of the values of the
community is executed.
In the postcolonial context, the meanings of celebrations are explained. Where the colonial writer would
have presented a celebration with an undertone of denigration or an erroneous interpretation, the
modern artist is concerned about providing what he considers as a fair picture of a cultural practice in its
dynamic development.
In an interesting story centered on a main character, a festival is often described by the narrator in
minute details sometimes forcing the story to a halt for that descriptive purpose. If for the colonial writer,
“the crocodile writer” (Obiechina 1977) the intertext of the ethnological and anthropological descriptive
text often served exotic aims, i.e to satisfy the audience’s thirst for thrills and adventurous literature, here
the aim is to assert the existence and presence of his society into a world which seems to deny any
relevance to the world of the writer. With J.Conrad, we have “unimaginable orgies” at “midnight dances”
executed by hordes of natives and [b]lackmen howling with “terrible frankness and dance around lurid
midnights fires ” (Conrad)
Festivals and celebrations in postcolonial literature seem to take precedence over issues of personal
angst as a way of giving a communal perspective to their narratives. In the context of the dominating
culture of the former white master, such a perspective is a form of resistance to cultural domination.
Even if the traditional society and its practices are presented as faced with some crises, which shows
their vitality and dynamism, these crises are internal to the society and do not always originate directly
from the presence of foreigners. Such is the case of the novels Things Fall Apart, Arrow of God by
Achebe and Ayi Kwei Armah’s Fragments. Before the coming of the colonial administration, the Ibo
society Achebe’s narrator presented experiences its first precolonial crisis with the killing of Ikemefuna,
the abandonment of twin babies in the evil forest, etc. It is in this sense that Obierika questions some of
the traditional rules of the village when his friend Okonkwo is compelled to leave Umuofia to Mbanta, his
mother’s village, for an offense committed by accident during the funeral of Ezeudu. The hero’s gun
exploded and one piece of iron pierced a boy’s heart. “Why should a man suffer so grievously for an
offense he had committed inadvertently?” questions the hero’s friend (125) For Armah’s Naana, it is the
deviation from established original rules and values that triggered the “long destruction of our people
when the elders first – may their souls never find forgiveness on this head – split their own seed and
raised half against half, part selling part to hardeyed buyers from beyond the horizon” (199)
In Arrow of God, Ezeulu seems to regain his authority during the new moon celebrations. His authority
which had seemed at a moment to be in crisis is asserted during the feastival of the Pumpkin Leaves
54
and the priest of Ulu can enjoy the collective commitment to his authority. This celebration served no
exotic purpose in the narrative. Rather, the celebration serves to explain the development of internal
issues of power.
The celebration is the dramatization of social concerns among which is the management of traditional
power. During the New Moon festival, a cord is tied around the priest’s waist. The cord is held by some
assistants who seem to be in control of the movement of the priest. This scene tells us that the ruler
does not seem to hold all the cards in hand. This mirrors a collaborative management of power. These
seem to be political safeguards against individual power abuse. The mask’s moves are tightly controlled
which means that people entrusted with some parcel of power do not enjoy unrestrained power even if
the community knows it has to show honor and respect to the person vested with some authority. It also
teaches readers that there is no power outside the people as there is no feast without the people. The
ceremony is no individual show but a collaborative celebration of a communal ritual. The actors are the
crowd and the priest. It is for the people and in their names that the feast is held.
In the scene where the priest is running after a crowd, we have a lesson on the exercise of power. The
priest runs after the crowd in a threatening way. The crowd runs for escape to avoid the flogging of the
priest. Ezeulu runs as if to catch someone in the crowd but refrains from using his authority to sanction
the crowd. In a word, it is a mock battle. This episode of the festival teaches a lesson on the way to use
power. It also shows how power is to be balanced and exercised without any misuse. How to rule over
the very people from whom and in whose name
authority is vested? It is all about knowing how to behave with power in hand: to have power and restrain
from misusing it, to know when to stop. All these issues of power in Igbo society are
addressed in this episode thus giving the narrator the opportunity to distance himself from the prejudiced
clichés of the sense of perversity and cultural backwardness of local people and asserting a new sense
of celebrations and feasts.
When Ezeulu is back from the city where he had been imprisoned for weeks without any reaction of
solidarity from the very people for whom he officiates their religious belief, he ruminates his anger
against his people on whom he resolves to vent his frustrations. They will pay for their lack of solidarity to
their priest. There will be no New Yam Festival. Yet social life is punctuated by these celebrations
around which traditional life is organized. By refusing to listen to his clansmen who ask him to organize
the feast and perform the ritual of yam eating, the priest of Ulu is contesting the proverb which states that
“No man however great can win judgment against his clan” (287) By so doing, Ezulu seems to forget
that the rules of Ulu are for the benefit of the community. He forgets that a priest or even a divinity with
no support of the people over whom they rule is doomed to die. The tragic end of his son and his final
sink into madness during the traditional ceremony shows to envy that power is the people’s after all. Just
unlike Okonkwo’s suicide by hanging which is given a paragraph or a footnote reference in the intertext
the colonial administrator’s book, this incident when narrated by an African narrator is presented with the
complexities and the tragic flavor characteristic of Achebe’s fiction. In Things Fall Apart, the feast of the
new yam is rendered in a narrative that conveys a happy mood into the whole village and readers are
expertly led to feel the same festive atmosphere. To this feeling of elation is added a whole lesson on the
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history and meaning of that feast over several pages. The preparation of the festival and the recipe for
the feast food, the cooking pots and ustensils used, etc are all recorded with a festive lexis: “occasion for
joy”, “enthusiastic”, “excited”,”enjoyed”, etc.
The Feast of the New Yam was approaching and Umuofia was in a festival mood. It was an occasion of
giving thanks to Ani, the earth goddess and the source of all fertility. Ani played a greater part in the life
of the people than any other deity. She was the ultimate judge of morality and conduct. And what was
more, she was in close communion with the departed fathers of the clan whose bodies had been
committed to earth. (TFA: 36-37)
The tragic atmosphere after the accident that causes Okonkwo’s exile to his mother’s village is rendered
even more tragic as it happens during a funeral ceremony when people are dancing in honor of the
deceased. In works by western writers of the colonial era, these celebrations were reduced to
monotonous meaningless drumbeats that Europeans could hear from far. Here they acquire a meaning
and are put into a meaningful context.
So through these celebrations are addressed human issues which reveal a particular weltanschauung
that vies to exist along with the values of a world that considers itself as the “centre” and looks down at
others as the “periphery”. The descriptions of festivals and celebrations are therefore an artistic attempt
of decentering the western values and bringing the periphery into the center and the center into the
periphery.
III-
The feast as the metaphor of cultural crisis in the modern novel.
In most African novels which use the detribalized and urban contexts of independent Africa, festivals and
celebrations are inserted into narratives with a new sense. It is also important to be cautious not to
overuse sweeping generalizations about the classical opposition between village and city as most
cultural practices are taken from the villages to the cities. Descriptive paragraphs of local feasts are more
about the elite and the dominated, Haves and Have-Not, exploiters and exploited who share the
“national cake” and those who are excluded from it. The same cultural crisis that is found in fictions set in
urban areas is also present in the novel which uses the rural background as a setting. The crisis that
affects these countries in almost all spheres of their social lives, i.e, at political, economic, cultural and
moral levels, is reflected in the discourse through which traditional and modern celebrations are
represented in fictions. The anomy, liminality, obsession with fragmentation, chaos, intrigue and
nonsense of life which have become the motifs of this literature are the same lexicon with which these
celebrations are described. Descriptions of feasts are affected with tones of the grotesque, ridicule and
paradox so as to reflect the crisis that erode the fundamental cultural practices. This literary style of
pejorism and bathos is instrumental into conveying the deep crisis eating into the fabric of cultural
practices. The ambiguous and paradoxical attitudes of the communities portrayed in narratives show
authors’ wish to question the new ideologies that often make a manipulative use of traditional rites and
festive celebrations. People are therefore portrayed as celebrating their dependence, their chains and
defeat. Such an attitude during parties can be equated with dancing one’s own domination.
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Liens Nouvelle Série
Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
One of the most fundamental uses of literature in this context is to denounce fake conventionalism,
which affects in a negative way human relations in both traditional and modern African societies. The
description of the folklore is often imbued with this negative conventionality. Traditional ideologies and
modern ones are often put into the same basket and denigrated in a similar way. Ideological and
institutional conventions which have become hypocritical are denounced by the novelists. Against these
hypocritical norms is opposed the figure of a naïve and unconventional narrator. The latter is generally
presented as a character who finds it hard to understand the prevailing values, an option that sets him
apart as a marginal member of the community. Through this character, we have a parodic denunciation
of the conventional norms. The naivety and incomprehension displayed by this anti-hero figure is used to
decry the fake conventionality prevailing in the postcolonial society. Elewa’s uncle in Anthills of the
Savannah is a figure of that marginal character, a “buffon”, a jester with a potential force for denunciating
pernicious conventions prevailing in the society.
In Fragments, the intertext of the “cargo cult” can be understood as a ritual of one’s dependence on
foreign “cargo” (material things as opposed to spiritual values) which consists in waiting for foreigners to
provide the cargo when they travel to the Island. Africans have become people who depend on others for
their own survival. They consume things which they take no trouble to produce thus perpetuating their
dependence. Those who should produce are content with the status of conveyor of the cargo. Hedonist
non-stop parties are portrayed in these narratives with undertones of irresponsibility, ludicrous collective
unconsciousness which reveals the complacency of the elite. Most characters in the narrative invite
Baako and those of his like to their spending spree and binges but the hero sees their feasts as a moral
catastrophe. They are celebrating their dependency and enslavement. It also reveals the industrialization
of pleasure, an industry producing feasts, a commercialization of cultural and festive events.
In Anthills of the Savannah, the party Sam organizes at the President Guest House at Abichi Lake is
the opportunity for the writer through his narrator to make an acerbic criticism about the leader who
embezzles public funds, twenty millions for its refurbishment when the civilian regime had spent some
forty-five millions for its building. The Presidential Retreat, as the castle is named, is regarded as
“irresponsibly extravagant [in the present] circumstances” (73) by the narrator as the buying for this
palace was not passed through the normal Ministry of Finance procedures. At the sight of such a blatant
act of mismanagement for the mere complacency and enjoyment of one man, the female narrator recalls
the reaction of Ikem with whom she shows her total agreement:
“Retreat from what? From whom?” I recall [Ikem] demanding with characteristic heat. “From the
people and their basic needs of water which is free from Guinea worm, of simple shelter and food.
That’s what you are retreating from. You retreat up the hill and commune with your cronies and
forget the very people who legitimize your authority. (73)
The feast is therefore celebrated at the expense of the basic needs of the majority of the population. The
insightful analyses of F.Fanon on the post-colonial society provide the theoretical tools for analyzing the
attitudes of the black elites and the common people. In the colonial and neo-colonial worlds, to use
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Fanon’s own terminology, the new black elite which takes after the white master encourages
celebrations and festive events of the dominated as a way to offer an outlet for the latter’s embittered
emotions that are being contained, a relief valve for their frustrations. Dances and celebrations are also
used as a way of channeling the frustrations and angers of the dominated. Through these celebrations,
the inherent violence of the dominated is channeled, processed and deviated as is theorized by Fanon.
“When they set out,” Fanon argues, “ the men and women were impatient, stamping their feet in a state
of nervous excitement; when they return, peace has been restored to the village; it is once more calm
and unmoved.” (Fanon, 23) This serves as a political and psychological device for improving upon the
dominating system
and therefore perpetuating it as it provides victims with an outlet for their humiliations and frustrations. By
so doing, it makes the unbearable bearable.
Public celebrations therefore appear as a pretext for hidden motives which are not always known to
the celebrants. The same way rituals and discourses of authenticity were encouraged in colonial era,
here festivals, independence celebrations, funerals, naming ceremonies, New Year’s Days, etc are
encouraged and even fostered in the interest of the new leadership.
What is more, these festive events are described with all the features of the postcolonial situation,
i.e., its hybrid and ambivalent figures. They reflect the multidimensional crises that the continent goes
through. Popular celebrations become the mode of exercise of political power in independent Africa. It is
through celebrations that the men in power secure the prestige and ostentation on which their power
rests. That is why, in this society, there is a tendency to turn any futile event into a big feast as a way of
asserting a power and authority that lack legitimacy and substance.
When the traditional feast is kept in the detribalized and urbanized context, it acquires a new
meaning and its original sense is lost or corrupted through and through. Rituals intended to celebrate
religious fervor, to assert and strengthen solidarity or unity are corrupted to celebrate new values which
are the consequence and cause of the crisis that is pervasive at all levels of the society. When tradition
is recalled, it is in an ideological perspective, to serve the selfish interests of one individual or group to
the detriment of the larger community. Tradition becomes a factor of power politics. Chief Nanga in A
Man of the People plays the politics of authenticity as a way to mobilize his electorate in his
constituency. His real concern is not traditions per se. The narrator is not fooled by this interested
recourse to the local folklore and describes these celebrations with terms that suggest the grotesque. There
is no complicity between the narrator and the festivities. He seems to stand aloof and cast a critical look at
events. He describes them with scorn and shows disdain for its actors as the quotation shows to satiety:
As I stood in one corner of that vast tumult waiting for the arrival of the Minister I felt intense
bitterness welling up in my mouth. Here were silly, ignorant villagers dancing themselves lame and
waiting to blow off their gunpowder in honor of one of those who have started the country off down
the slopes of inflation. I wished for a miracle, for a voice of thunder, to hush this ridiculous festival
58
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Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
and tell the poor contemptible people one or two truths. But of course it would be quite useless. They
were not only ignorant but cynical. Tell them that this man had used his position to enrich himself
and they would ask you – as my father did – if you thought that a sensible man would spit out the
juicy morsel that good fortune placed in his mouth. (2)
Popular celebrations require the bodies and energies of the people as if the latter would need to
dramatize their subordination so as for them to show their partaking into the pomp and splendors of the
elite. They are not only required to sing and dance, they also must show their happiness. The new elite,
like the former colonial master Fanon describes, is an exhibitionist who always needs to show his power.
His concern for his security leads him to remind others that he is the one in power. (19)
The term “contemptible people” tells much about the narrator’s view on crowds whom he regards as
an unintelligent and undifferentiated mass characterized by its irrational and impulsive reactions. The
truth however is that the narrator is not in any position to understand that these people are no mass of
“silly” and “ignorant” people. This attitude of disdain for the crowd stems from a psychological conception
which has been theorized by thinkers like Sigmund Freud, Gustave le Bon, Gabriel Tarde, etc for whom
the crowd’s behavior is often heavily influenced by a lack of responsibility and critical sense. (Le Bon,
1896) In the postcolonial theoretical frame, the crowd becomes a favorite character endowed with a
critical function. Here the narrator ought to go beyond this disdain and see that these people are not the
innocent and naïve mob he portrays. In Fanon’s understanding, the world of the new elite attracts and
repulses at the same time. By their attitudes and practices, their world is seen as a hostile universe
which excludes the people but it also raises envy. The latter envy those in power and dream to be in
their shoes. The universe of
the Nanga is no hell from which one must stand aloof but a paradise at close hand to be secured by
the new elite against the people. (18-19)
As Fanon put it, they are playing their part in a national sport in which a group is always using
strategies to deprive another one of its privileges. It is not about putting an end to oppression or
domination but managing one’s way to the privileges others are enjoying. This mob does not hate Nanga
and his likes. They rather envy them and are biding their time, ready to jump at the latter’s throats and
deprive them of their privileges they would like to have for themselves. Nobody is silly and ignorant (19).
They (elite and common people) are all calculating beings more concerned about their own selfish
interests than any other value. They are actuated by their own secret motives and devise strategies to
deprive the others of the latter’s privileges. That is why the very people who were celebrating a dictator
will be the same people dancing themselves lame to the announcement of the fall of the same dictator
the next moment he loses power. Some dancers in A Man of the People are awarded a few pound notes
while others are “waiting for the promised palm-wine” (14). To put it simply, the Minister has something
these dancers and singers want. He has the wealth and power they are all dreaming to have. As for the
dancers, they have something Nanga wants: their support and votes during elections. The general
theoretical background of an irrational mob is not valid here. The narrator who seemed to have taken
distances form this “contemptible people” is very soon driven to adopt the latter’s attitude when he is
seduced by the demagogue’s attractive proposals and manners. He ends up praising the man’s
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“charisma” and “assurance” which are “simply unbelievable” (9). “The man’s charisma had to be felt
to be believed. If I were superstitious I would say he had made a really potent charm of the variety called
‘sweet face’. (10)
In Ayi Kwei Armah’s Fragments, the naming ceremony which is a cultural religious ritual is used by
Efua and Araba as a pretext to collect money from their guests whose egoes are pushed to their
extremes. When Naana asks Baako to save the baby from the farce or parody of what the true traditional
ritual is, Baako tells the old woman that “it’s a new festival” (184). He is not wrong and the old woman is
convinced that the baby was a sacrifice they made to a new divinity:
The baby was a sacrifice they killed, to satisfy perhaps a new god they have found much like the one
that began the same long destruction of our people when the elders first – […] split their own seed
and raised half against half, part selling part to hardeyed buyers … (1974: 199)
In the whole process of celebration, ancestors are forgotten, “there was no libation” (184), which to
Naana is an unpardonable offense. The date prescribed by tradition is not followed and the argument for
that breach is that “[a]n outdooring ceremony held more than a few days after payday is useless” (88)
Money has precedence over tradition turning the whole celebration into a parody of a traditional or
cultural rite. The ceremony is a pretext for other goals which are not spiritual. It is money which goads all
these ceremonies.
The deconstructive and contesting potential with which Bakhtin’s theory entrusts the common people
and their celebrations show the limits of the Russian theory in the postcolonial context. Here we rather
have intimate relationships between victims and persecutors. The usual category of social classes is not
valid for this situation for there is a permanent gateway between the two groups of people who actually
originate from the same social class.
The trouble with our new nation – as I saw it then lying on the bed – was that none of us had been
indoors long enough to be able to say ‘To hell with it’. We had all been in the rain together until
yesterday. Then a handful of us – the smart and the lucky and hardly ever the best – had scrambled
for the one shelter our former rulers left, and had taken it over and barricaded themselves in.
(Achebe, 1984: 37)
Contrary to Bakhtin’s conception which analyzes feasts as mainly the prerogative of the masses
who use it as a way to contest the established norms, here this contestation is not the permanent
questioning of the norms. There is no order of the Noble and another one for the masses. During the
feast, if the person in authority is requested to listen and hear the criticisms of the people, he must. But
beyond this specific occasion, any criticism of
meetings of the masked egwugwu. In A Man of People, on the other hand, we have a different
picture the ruling body is decoded like an act of rebellion. In Arrow of God, the festival of the Pumpkin
Leaves is the opportunity to reassert the traditional norms. If Nwaka is allowed to discuss and oppose
Ezeulu during village
meetings, during the festival he has to submit to the authority of the chief priest. He is therefore
present and takes part in the ritual. The feast is opposed to Bakhtin’s carnival understood as a
permanent contestation moment.
60
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Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
In a nutshell, feasts inherited from traditions, in the new context, symbolize the corruption that has
eaten into all social practices. They are the metaphor of the cultural crisis. The feast becomes the
measure of the corruption society is going through. For the elite, the feast becomes the mask that hides
the corruption. The feast is therefore subject to an ambivalent interpretation in African literature
according to contexts. In the traditional rural context where cultural practices still have some of their
moral integrity, the feasts instruct leaders on inclusive ways to lead and suggest a certain degree of
democracy. They lead to good governance. In the postcolonial urban context, feasts reflect a tool used
to perpetuate corruption. These two contradicting figures of the feasts appear sometimes juxtaposed in
the same novel with sequences which present various celebrations as negative; in some other
sequences or works, they are presented as offering positive alternatives to the cultural deadlock in which
African countries are trapped. Things Fall Apart and Arrow of God illustrate this positive figure during the
festival of the Pumpkin Leaves, or during the.
IV-
How to end the crisis: the new sense of celebrations.
Celebrations and feasts in postcolonial literatures are given an original understanding and are dealt
with in a personal perspective. Though the celebration remains a social issue, it goes through the critical
insightful analysis of the individual observer. In the postcolonial society which has experienced the
disillusionment subsequent to the betrayal of the elite and bad governance, the individual and his critical
mind remain a safety valve against manipulation and ideology.
The new personal and original
approach to the presentation of these celebrations is therefore the metaphor of the writer’s freedom to
established codes of behavior and also his contribution to the dynamic development of cultural values.
Characters’ attitudes to rituals and celebrations bear the stamp of ambivalence which is an efficient tool
against ideologies and their manipulative effect. In such a context, there is a rejection of two extremes both
of which tend to deny cultural values their dynamism: the ideology of authenticity and that of modernity which
is confused with turning one’s back on one’s cultural values for new foreign ones. Both extremes are equally
to blame.
The positive thing with this approach is the reconciliation that is effected by such an ambivalent and
critical approach to humans’ practices. We witness a reconciliation of tradition and modernity, rural and
urban lives, the past and the present or even the future, etc. Tradition here is interpreted with a critical
mind. It is adapted to the new situation or is given a new meaning. Traditional rituals and celebrations
are put at the service of the people. A contrary attitude is observed in the extremist veneration for
traditional norms. People, in the new context, are not at the service of their traditions and do not have to
sacrifice their true personality and freedom on the altar of the so-called discourse of authenticity. They
exercise their freedom and are not the slaves of their traditions whose codes were established once and
ad eternam by ancestors. These cultural practices are kept in cities and their previous meanings are
given new interpretations. This attitude reconciles traditional practices with their true original spirit and
61
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goal of harmonizing human relations, contributing to the happiness of human beings and providing
answers to the existential concerns.
Like the hybrid personality of the detribalized Africans portrayed in the narratives, the festive
practices acquire an equally hybrid sense to which people adapt their meanings and practices. This new
adaptation of local feasts to the complexities of the new realities also helps present traditions in their
complexities. In “colonial literature”, African rituals were presented in a partial and simplistic way. With
African writers, cultural celebrations regain their complexities and dynamism. They contest the colonial
ideology of the simple mindedness of the African. These celebrations may be going through some crises
in their autonomous dynamism and development, but they usually portend good outcomes and present
an image on integrity. Thus with Wole
Soyinka, Yoruba cosmology and festivals are revealed in their complexities and offer an outlet for the
social and cultural crisis in which the modern society is tangled up in. In a similar way, Ayi Kwei Armah
tries to reconcile people with their local myths by a good use of the latters. “The myths here are good, …
Only their use …” (120) Akossua Russels through her poem inspired by a traditional myth has thus
perverted its true meaning to celebrate contrary ideals that serve her selfish purpose.
Baako is close to his grandmother Naana for their common loathing of the materialistic turn that is
affecting cultural values like the naming ceremony. But the young man has a new approach to these
practices. If according to the matriarchal traditional way of life of the Akans Baako has authority over his
sister’s baby as its true protector, he can’t overstep his role in the modern African society. A child is first
and foremost that of mother and father. “Naana” he says, “... I understand what you have said, but the
world has changed. I am only a relative. I cannot stop [father and mother] from doing what they want with
their own child.” (98)
The naming ceremony of Ikem and Elewa’s baby is one of those instances where traditional and
modern ways of life are fused together and allowed to coexist. The participants to that ceremony do not
belong to the ethnic group of the parents of the baby as it is likely to be the case in a rural and traditional
context. New identities are thus negotiated. Here we have assembled a group of people who come from
various ethnic groups of the post-colonial country of Kangan. Many aspects of the ritual therefore need
to be explained to some of the participants: Agatha, Aina, Braimoh, Beatrice, Braimoh, Abdul, Captain
Medani, Emmanuel. All the regions of the country are represented along with their traditions and
religious beliefs at this ritual and feast.
Not only are the participants from various regions but they symbolically represent the whole Kangan
society with its rich and poor, illiterate and university graduates, its Muslims, Christians and adepts of
traditional religions. The main actors of this ceremony are referred to as an “ecumenical fraternization”
(224) where Muslims sing and dance to a Christian hymn. When Beatrice expresses her surprise to see
Aina the Muslim dancing to a hymn to the glory of Jehovah-Jireh sung by Agatha, Aina herself provides
an explanation which is only a rhetorical question in the language of her social class: “Dem talk say
make Moslem no dance when Christian de sing?” (224) Beatrice only has to join that ecumenical
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Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
fraternization as the representative of the traditional religion: “Well, if a daughter of Allah could join his
rival’s daughter in a holy dance, what is to stop the priestess of the unknown god from shaking a leg?”
(224)
The best approach to celebrations inherited from traditions is well illustrated by two outstanding
figures who are the living embodiments of traditional values. The first one is the spokesperson of the
delegation of Abazon. His comprehension of the sociocultural ceremonies is ambivalent and dynamic.
He is no blind follower of the traditions. He is intellectually equipped to contradict those who are not
prepared to question their traditional values. When the MC registers relentlessly his disappointment that
Ikem does not take part into the tribal gatherings of his people in Basa, the old man finds resources in
the same tradition to excuse Ikem:
Going to meetings and weddings and naming ceremonies of one’s people is good. But don’t forget
that our wise men have said also that a man who answers every summons by the town crier will not
plant corn in his fields. So my advice to you is this. Go on with your meetings and marriages and
naming ceremonies because it is good to do so. But leave this young man alone to do what he is
doing for Abazon and for the whole of Kangan; (122)
The old man sees beyond the tribe and ethnic group. What Ikem does for the whole country is more
important than his partaking into tribal celebrations. Through the voice of the representative of the
tradition, we are being taught a lesson of “nationalism” as having precedence over ethnicity. Too often in
the post-colony, is often experienced a retrogression process which is harmful to national unity.
Allegiance to one’s sectarian ethnic group is more asserted than allegiance to the
interest of the whole nation in the name of fidelity to traditions. But with proverbs, insightful and
humorous arguments, the old man convinces readers that the whole is more important than the part.
“[T]he cock that crows in the morning belongs to one’s household but his voice is the property of the
neighborhood. You should be proud that this bright cockerel that wakes the whole village comes from
your compound.” (122) Ikem should not be led to stop the tremendous work he is doing for the country
as a whole. He should not sacrifice his endeavor for a better nation on the altar of his ethnic allegiance.
“I have heard of all the fight [Ikem] has fought for poor people in this land. I would not like to hear that he
has given up that fight because he wants to attend the naming ceremony of Ogeke’s son and Mgbafo’s
daughter.” (123)
This sequence is the occasion for the old man to teach his listeners a lesson on what to be modern
means: to adapt traditions to one’s specific time and needs. His comprehension of tradition is a
dialectical and ambivalent one. It teaches openness and tolerance for, as he argues, “what is true comes
in different robes”. (123)
During the naming ceremony, Elewa’s uncle, that other representative of the traditional world, shows
another picture of how traditional values are to be approached and dealt with. Tradition for him is no
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object of worship, no fetish to worship. It should be adapted to one’s time and needs even if these needs
can sometimes be selfish as it is the case with that old man. He won’t be any blind follower of an
outmoded tradition that cannot be of any help in the modern context of Basa. When he gets at the venue
of the naming ceremony and realized with some surprise that some of his prerogatives have been
assumed by another actor, he shows no sign of being frustrated. He adapts to the development of the
ceremony that had already started. Beyond the selfish opportunism displayed by this character which
consists in accepting what an intransigent follower of the traditions would reject, he accepts things the
way they come to him and tries to adapt his own norms to the actual facts. Elewa’s mother plays the role
of the austere observer of the traditions and is soon marginalized by the group. When the old man
proceeds to name the baby and is told that the baby has already been named, his first expression of
surprise soon gives way to a burst of laughter to the surprise of the other members of the group present
at the ceremony. Elewa’s mother is the only person who remains unaffected by the bombshell of gaiety
that his humorous attitude brings to the whole group as the narrator presents her: “Elewa’s poor mother
was left high and dry carrying the anger of outraged custom and usage”. (226) The old man creates a
humorous atmosphere that affects the group.
The woman heaps this desecration of traditions on the opportunism of the old man which she likens
to the ironic situation of a “medicine–man hired to chase evil spirits whom evil spirits were now chasing.”
(226) Instead of interpreting what the young people have done as desecrating and taking offense of such
a revolutionary attitude, he has this to say:
“Do you know why I am laughing like this? I am laughing because in you young people our world has
met its match. Yes! You have put the world where it should sit …[…] That is how to handle this
world.” (227)
In a world where numbers of traditional practices are desecrated, it would be inappropriate to cling
desperately to practices that cannot survive in the modern society. For the postcolonial baby, i.e., an
intertribal and interclass infant, is organized something that can be termed as a postcolonial naming
ceremony. It is at the same time national (crossing ethnic borders) and ecumenical. The assembly taking
part into this ceremony is a heteroclite group which gives a heterogeneous ceremony with its undertones
of cultural scandal and blasphemy. It is at the same time a Christian, Muslim and traditional ceremony.
The naming ceremony of Ikem and Elewa’s baby symbolizes the ambiguous characteristic of the new
postcolonial nation, its invention of new identities. Then the old man proceeds with the rest of the
ceremony and company which end in a happy mood.
CONCLUSION
Descriptions of traditional festive events which verge on ethnological discourse against the Romantic
Movement’s claim of a “pure” literature have a long history in African literature. This descriptive style was
used by colonial writers to give an exotic flavor to their fictions. When this
64
Liens Nouvelle Série
Narrating the feast: the ethics and aesthetics of celebrations in African literature.
nomos of postcolonial African literature is recaptured by African writers, the feast acquires a
meaning and a goal that were not expected. It was used to foster the autonomy of African literature from
the tutelage of western colonial literature. Postcolonial narratives represent feasts used to reinforce
positive outcomes but are also used to combat the elite’s recourse to these feasts to reinforce corruption
and illegitimate power. This is achieved by taking distances from the sense these traditional celebrations
have acquired.
The presence of that pervasive descriptive text of African feasts did not go without any consequence
on the development of this literature. It left an impact on the ethic and aesthetic growth of that art. Thus
language and style of postcolonial literature reflects the joyful, colorful and carnivalesque atmosphere of
the feast. Such a literature is full of stylistic experimentations that constitute a break from both former
traditional aesthetic forms and the linguistic and stylistic experimentations initiated by colonial literatures.
As for that impact on ethical values, we have shown how feasts are presented with a new sense: they
sometimes appear as enhancing good governance and conveying qualities that can offer alternatives to
the social crisis or are sometimes used to reflect the cultural crisis that African societies are going
through.
The theories of Fanon, Bakhtin and Bourdieu associated with postcolonial theories have provided
the hermeneutic tools for decoding this thematic occurrence. Bakhtin’s theory of the carnival has been
used to analyze some of the shifts in ethic, aesthetic and
narrative strategies of this specific literature in its quest for autonomy. But the limits to the Russian
theoretician have been revealed in Fanon’s analysis of the colonial and neocolonial contexts. To these
critics has been added A.Mbembe’s insightful understanding of the postcolonial situation. In the works of
these critical thinkers, feasts have lost their contesting potential and are now used by the new elites in an
ideological perspective so as to perpetuate the system of domination set during the colonial era but
which these new elites intend to pursue. Feasts are used in the new context to support the ideology of
authenticity which hides the bad governance of their elite and frustrations of the people. The helpless
masses are encouraged to dance themselves lame and sing themselves voiceless thus offering an outlet
to their frustrations and humiliations. Such a manipulative use of celebrations serves to perpetuate a
system of domination that was initiated during the colonial era and is still used to perpetuate domination.
This is one of the criticisms writers address to the new elites about their manipulative use of local cultural
values and practices. These writers seem to initiate and propose a new critical artistic approach to these
festive events. Through their ambivalent representations, feasts sometimes embody the social crises
prevailing in the new African societies; they are also used to represent a claim for a cultural exception to
be respected. They also serve to suggest solutions toward a better governance. For this to come true,
the cultural values must have been expunged from the corruption that has eaten deep into some others
so as to recapture their true positive meanings which have been lost. The ambivalent figure of the topic
makes the feast an instrument to gauge the state of African literature and use it to teach important
lessons about power-sharing that can produce peace and greater stability.
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Valy FAYE
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale
française au Sénégal, 1817-1872.
Résumé
L’Eglise catholique, par ses activités d’évangélisation et d’éducation, a été d’un grand apport à l’entreprise
coloniale française au lendemain de la reprise du Sénégal des mains des Anglais en 1817. Des
congrégations comme celle du Saint-Esprit, grâce à l’appui du gouvernement ont ainsi favorisé
l’évangélisation des indigènes par la construction de lieux de culte, la formation d’un clergé indigène (18251840) et leurs œuvres sociales. Les sœurs de Saint-Joseph de Cluny et de l’Immaculée Conception ainsi
que les Frères de Ploërmel ont porté le nombre de classes d’une unité à huit de 1817 à 1872. Cependant,
ces deux activités sont confrontées à des difficultés comme les rivalités entre prêtres, des différends entre
ceux-ci et les administrateurs et l’insuffisance de moyens matériels et financiers. Mgr Alexis Kobès (18481872) a entrepris un grand projet agricole sur une concession attribuée par le gouvernement à Ngasobil. Ce
projet est une contribution à la reconversion économique du Sénégal après la traite. Il n’a pas toutefois
survécu aux calamités naturelles, aux différends entre prêtres et administrateurs et au développement de
l’arachide par les communautés musulmanes.
Mots-clés :
église,
entreprise,
colonisation,
évangélisation,
éducation,
administration,
Sénégal,
congrégation.
Abstract
The Catholic Church, by its activities of evangelization and schooling was very useful to the French colonial
undertaking in the next day of the resumption of the Senegal in the hands of the English in 1817. Thank to
the support of the government, some congregations like the one of the “Saint-Esprit”, in this way, favored the
evangelization of the natives by the building of place of cult, the development of a native clergy (1825-1840)
and their social works. “Les soeurs du saint-Joseph de Cluny” and “the Immaculée conception” as “Les
frères de Poërmel” carried the number of classrooms from one to eight from 1817 to 1872. However these
two activities are confronted with difficulties such as the rivalries between priests, disagreements between
these and the administrators and the deficiency of material and financial means. Mgr Alexis Kobès (18481872) has undertaken a big agricultural project on a concession assigned by the government of Ngasobil.
This project is a contribution to the economic reconversion of the Senegal after the slavery. It didn’t survive
to the natural disasters, the disagreements between priests and administrators and the development of the
peanut by the Muslim communities.
Keywords: Church, undertaking, colonization, evangelization, education, administration, Senegal,
congregation.
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INTRODUCTION
ème
Le christianisme est présent au Sénégal depuis le 15
siècle avec l’arrivée des Portugais sur les côtes
11
12
ouest africaines. Sous l’impulsion de Dom Henrique , infant du Portugal et des Papes d’alors , les
explorateurs et les commerçants étaient accompagnés de missionnaires catholiques. C’est dire que la
collaboration entre le pouvoir politique et l’église catholique date de longtemps mais ses formes et ses
ème
conditions sont différentes au 19
siècle.
Il serait injuste de parler de complicité entre Eglise et colonisateur mais peut-être de convergence d’intérêts.
En d’autres termes, le colonisateur a peut-être retrouvé des éléments de ses missions dans le programme
13
de l’Eglise, le volet culturel, entre autres . Mieux, le colonisateur s’est également servi, plus tard, du clergé
musulman dans la réalisation de ses objectifs économiques.
L’église catholique et l’administration coloniale ont travaillé dans une période très importante (1817-1872)
caractérisée surtout par des difficultés rencontrées par la France dans la relance de ses activités sociales et
économiques au Sénégal au lendemain du départ des Anglais en 1817 et de l’abolition de la traite négrière.
Mais la France était plus préoccupée par sa reconversion économique que par ses activités sociales. Ainsi
confie-t-elle le volet social de son entreprise à l’église avec qui elle noue des relations très étroites. L’action
de l’église est ainsi très déterminante dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’évangélisation
jusqu’en 1872. Le soutien de la France à l’église dès 1817 favorise l’arrivée de nouveaux curés à Gorée et à
Saint-Louis et l’ouverture de la première école des Filles du Sénégal. L’action de l’Eglise faiblit toutefois, à
partir de 1872, après de réels progrès dans l’enseignement et des échecs dans le projet agricole, à cause du
décès de Monseigneur Aloys Kobès et du retrait de la gestion de l’enseignement du ressort de l’Eglise.
Ce travail est élaboré grâce à deux catégories de sources : des ouvrages et des documents d’archives. Les
premiers se composent de travaux de religieux catholiques et de chercheurs professionnels, de
correspondances administratives dont la plupart sont publiées par Scheffer et d’un recueil de textes
réglementaires. Les dossiers d’archives proviennent du CAOM/SEN sous forme de correspondances entre
les différents acteurs de l’entreprise coloniale.
Le présent article s’articule autour de deux grandes parties, l’une analyse la collaboration de l’Eglise et du
gouvernement français dans la promotion de l’éducation et de l’évangélisation et l’autre se penche sur
l’apport de l’Eglise dans la reconversion économique du Sénégal, avec notamment le projet agricole de
Ngasobil.
11
Henri le navigateur (1394-1460), fils du roi Jean Ier, il favorisa les voyages d’exploration sur les côtes ouest africaines dès 1417.
Ils sont assez nombreux mais ceux qui se sont le plus distingués dans le soutien à l’expansion coloniale portugaise sont : Eugène IV
(1431-1447) qui « confirme l’ordre du Christ sur les terres découvertes et à découvrir par les Portugais », Nicolas V (1447-1455) auteur
de la « bulle Romanus Pontifex », sorte de charte religieuse des découvertes portugaises et Calixte III (1455-1458). Cf. J. R. de
Benoist, Histoire de l’église catholique au Sénégal, du milieu du XVe siècle à l’aube du troisième millénaire, Paris, Karthala et
Clairafrique, 2008, pp.16-18.
12
13
Des défenseurs de la colonisation, d’horizons divers, sont unanimes sur la mission « civilisatrice » de la colonisation. Dès lors, la
civilisation étant, en partie, fondée sur la maîtrise de la langue et sur la religion, deux éléments que l’Eglise tente de répandre, le
colonisateur ne pouvait que s’associer à l’Eglise pour atteindre ses objectifs. Ces défenseurs de la colonisation sont des officiers de la
marine comme Francis Garnier (1864), des économistes comme P. Leroy-Beaulieu (1870), des littéraires à l’instar de R. Kliping (1899)
ou des religieux comme J.B. Piolet (1902).
68
Liens Nouvelle Série
1.
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal, 1817-1872.
L’Eglise catholique et le gouvernement français face à la problématique de
l’évangélisation et de l’éducation
L’abolition de la traite négrière plonge la France dans des difficultés économiques sans précédent. Il lui
fallait trouver des produits agricoles susceptibles de remplacer ceux que lui offrait l’Amérique par le
commerce atlantique. Préoccupée par cette quête de reconversion économique, elle confie la mission
culturelle de l’entreprise coloniale à
l’Eglise catholique qui désormais va s’occuper à la fois de
l’enseignement et de l’évangélisation.
1.1. L’évangélisation des populations indigènes
Les efforts d’évangélisation des missionnaires ont été enrayés par l’instabilité de la situation politique. Celleci est caractérisée par l’occupation de la colonie du Sénégal par les Anglais de 1809 à 1917. C’est pourquoi
le comte Joseph Fringant de Beaumont, premier gouverneur nommé au Sénégal, le 5 septembre 1914, à
l’annonce du retrait des Anglais, fit part au ministre de son intention de faire de l’exercice de la religion
14
chrétienne un des premiers bienfaits de son administration . Mais faute de prêtres, il n’a pu rien faire dans
ce sens. Toujours soucieux de rétablir l’église au Sénégal pour favoriser l’évangélisation des populations
indigènes, le gouvernement central français donne, le 18 mai 1816, les instructions suivantes au gouverneur
Julien Schmaltz :
« … Développer le christianisme, la pureté de sa morale favoriserait les progrès de la
civilisation en adoucissant les mœurs des populations et leur caractère ; et l’influence qu’on
pourrait s’en promettre serait d’autant plus précieuse que rien n’est plus propice à rapprocher
les hommes qu’une religion qui tend sans cesse à la paix et au bonheur des peuples (…) La
plupart des habitants de l’île Saint-Louis sont chrétiens catholiques et ont, avec les différentes
nations qui habitent les bords du Sénégal, des liens de parenté et d’amitié qui pourrait
15
contribuer à introduire et à propager parmi elles le christianisme » .
D’ailleurs, ces instructions données au gouverneur ne font relancer le soutien du gouvernement français à
l’église, un soutien qui date de très longtemps. Pour preuve, l’autorisation accordée aux missionnaires du
Saint-Esprit de s’établir au Sénégal dès 1779 pour « service rendu ». Autrement dit, d’après La Tourasse,
deux missionnaires de cette Congrégation, M. Bertoux et M. Glicourt, s’étaient investis pour la libération du
Sénégal de la domination anglaise
16
(1758-1763 pour Gorée et 1758-1779 pour Saint-Louis).
La préfecture apostolique de Saint-Louis peine toutefois à redémarrer à cause du manque de moyens et de
la mésentente entre le nouveau préfet, l’abbé Giudicelli nommé en septembre 1816, et le gouverneur
Schmaltz. Le préfet déplore l’absence d’église, l’exiguïté de la chambre servant de lieu de culte,
l’impossibilité de donner la bénédiction du Saint-Sacrement, l’absence d’état-civil et de sanctification du
dimanche, entre autres insuffisances. Il déplore son bas salaire qui, selon lui, ne lui permet pas de vivre
14
Lettre n°444 datée du 2 juin 1815, CAOM SEN.X, 1 bis
e
J. R. de Benoist, Histoire de l’église catholique au Sénégal, du milieu du XV siècle à l’aube du troisième millénaire,
Paris, Karthala et Clairafrique, 2008, p. 88.
16
J.S. de La Tourasse, De la Colonisation du Sénégal, Paris, Arthur Savaète, 1897, p. 31.
15
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décemment ; il dénonce également la fraude, la contrebande et la survivance de la traite négrière tolérée par
17
les autorités de Saint-Louis, en dépit de son abolition .
Cependant Schmaltz va avoir le dessus sur l’abbé Giudicelli. Le gouvernement français revenant sur les
premières instructions données au gouverneur lui demande de surseoir à l’évangélisation systématique des
noirs en ces termes :
« Le temps n’est pas encore venu d’introduire le christianisme parmi les indigènes des rives du
Sénégal et qu’ils y seront préparés beaucoup mieux quoique de loin par le travail libre et
l’instruction élémentaire que par des tentatives de prosélytisme prématurées et peut-être
18
dangereuses ».
L’abbé Giudicelli finit par quitter Saint-Louis, le 18 octobre 1818, mais continuait à dénoncer les injustices
constatées dans cette ville.
Les relations entre l’abbé Teyrasse, successeur de Giudicelli en mars 1819, et le gouverneur Schmaltz ne
sont pas, non plus, des meilleures. Cela parce que le curé manifeste un esprit d’indépendance et de révolte
envers l’autorité supérieure. Son séjour a été alors de courte durée car le gouverneur l’embarque le 17 avril
1919 dans un bateau en partance pour la France. Il continue néanmoins la lutte contre le gouverneur en
jetant « l’interdit sur Saint-Louis », c’est-à-dire en exhortant l’abbé Tabaudo de ne jamais quitter Gorée pour
dire la messe à Saint-Louis.
D’après J. R. de Benoist (2008), « les incidents qui se produisent au Sénégal préoccupent le ministre de la
19
Marine pour des raisons plus politiques que religieuses » . Le ministre essaie de résoudre les problèmes
par la nomination du baron Roger comme gouverneur du Sénégal et l’envoi d’un nouveau prêtre, l’abbé
Baradère et deux autres religieuses en renfort (en novembre 1820). Mieux, le ministre de la Marine revoit à
la hausse les traitements des curés de Saint-Louis et de Gorée qui passent respectivement de 2000 francs
par an à 3600 francs par an et de 2000 francs par an à 3000 francs par an. Et le ministre ordonne au
gouverneur de loger les deux ecclésiastiques de manière
convenable aux frais de la Caisse coloniale.
20
Fort du soutien de l’administration, l’abbé Baradère prend des
initiatives allant dans le sens de faciliter la pratique du culte et l’évangélisation des noirs. Il demande ainsi
aux populations de contribuer en espèces, en nature ou en journées de travail à la construction d’une église
digne de ce nom et, en plus songe à former des prêtres indigènes, solution la plus simple, à ses yeux, pour
évangéliser les populations noires.
L’abbé Baradère quitte Saint-Louis en mars 1822, après un séjour de deux années sans avoir réalisé ses
plus grands projets. Son projet de former des prêtres indigènes est néanmoins repris par la Mère Anne
Marie Javouhey qui arrive à Saint-Louis en fin février 1822. Ainsi au printemps 1825, en accord avec
17
Lettre du 12 juillet 1817 de Giudicelli au ministre de la Marine, CAOM, SEN X. 1.
Scheffer, Instructions générales données de 1763 à 1870 aux gouverneurs et ordonnateurs des Etablissements
français en Afrique occidentale, tome 1, société de l’histoire des colonies françaises, p. 308.
19
J.R. de Benoist, op. cit., p. 96
20
Ibidem, p. 97.
18
70
Liens Nouvelle Série
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal, 1817-1872.
l’évêque de Beauvais et le gouverneur Baron Roger, Mère Javouhey envoie onze enfants sénégalais (sept
garçons et quatre filles)
21
à Bailleul-sur-Thérain, près de Beauvais. Le voyage est pris en charge par
l’administration et les autres frais par la congrégation ; leur nombre passe à vingt-cinq quelques années
après. Mais de ce contingent, trois seulement vont terminer leurs études secondaires : Jean Pierre Moussa,
Arsène Fridoil et David Boilat, une partie était malheureusement décédée et une autre rapatriée pour
diverses raisons. Les trois jeunes sénégalais sont ordonnés prêtres le 19 septembre 1940 au Séminaire du
22
Saint-Esprit après un séjour de quatre ans à celui de Carcassonne (1834-1838) .
L’abbé Moussa rentre le premier à Saint-Louis en 1841 et assure l’intérim du préfet ; les deux autres arrivent
à Saint-Louis en janvier 1843. L’abbé Fridoil est nommé curé de Gorée et l’abbé Boilat directeur du collège
de Saint-Louis. Mais à cause des conflits internes à l’église, les abbés Boilat et Fridoil rentrent définitivement
en France et l’abbé Moussa termine sa vie en Haïti. Selon J. R. de Benoist (2008),
« Cette première expérience du clergé sénégalais des temps modernes s’achève donc après
douze ans. Tous les témoignages concordent pour dire que ces trois prêtres avaient reçu une
formation sérieuse, avaient tous d’innombrables qualités. Chaque fois qu’ils ont été placés dans
de bonnes conditions, ils ont fait preuve d’authentique zèle et leur apostolat a porté des fruits
23
indéniables »
C’est ainsi qu’un vicariat apostolique comprenant les deux Guinées et la Sénégambie est créé ; Mgr Truffet
en est le premier responsable. Et en août 1948 a lieu la fusion entre la Société du Saint-Esprit et la
24
congrégation du Sacré-Cœur de Marie. Le Père Libermann est ainsi élu supérieur général de la nouvelle
structure.
En 1860, l’administration épiscopale de la partie occidentale du vicariat des deux Guinées est confiée à Mgr
Alexis Kobs ; la Sénégambie est ensuite détachée du vicariat apostolique des deux Guinée pour former un
vicariat indépendant confié à Mgr Kobs en février 1863. Avec lui s’ouvre une nouvelle ère dans la vie de
l’église au Sénégal. Il reprend le projet de former un clergé local mais au Sénégal même parce qu’il fallait
éviter aux enfants le dépaysement et les rigueurs du climat métropolitain ; il fallait aussi éviter les pertes
énormes qu’entraîneraient d’éventuels rapatriements d’enfants et de cas de décès. Il va ainsi ordonner
prêtre trois jeunes sénégalais et accueillir une dizaine d’autres jeunes dans la voie sacerdotale mais sans
25
succès du fait de leurs décès prématurés.
I.2. L’église catholique et l’instruction publique au Sénégal
C’est sur la demande du gouverneur Schmaltz qu’Anne-Marie Javouhey accepte d’envoyer des membres de
sa congrégation
26
au Sénégal pour s’occuper surtout de l’hôpital de Saint-Louis. Elle confie la mission à
Mère Rosaly qui fait le voyage avec le gouverneur en compagnie de six autres sœurs. Arrivées à Saint-
21
J. Delcourt, Histoire religieuse du Sénégal, Dakar, Imprimerie Saint-Paul, 1976, p. 23.
J.R. de Benoist, op. cit., p. 114.
23
Ibid. p. 122.
22
24
J.S. de La Tourasse, op. cit., pp. 33-34.
J.R. de Benoist, op.cit., p. 145-147.
26
La congrégation de Saint Joseph de Cluny est fondée le 12 mai 1807, par Anne-Marie Javouhey et huit compagnes dont trois de ses
sœurs ; elles se consacrent à l’éducation des enfants et s’installent plus tard à Cluny
25
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Valy FAYE
N° 20
Décembre
2015
Louis en mars 1919, elles s’occupent non seulement de l’hôpital mais aussi elles ouvrent une école d’une
27
douzaine de « signares » . Anne-Marie Javouhey reçoit d’importants appuis financiers du gouvernement
avant son départ pour le Sénégal où elle arrive en fin février 1822. Elle réorganise l’hôpital et ouvre une
école de filles à Saint-Louis ; elle se rend ensuite à Gorée où elle ouvre une école qui démarre avec
soixante quatre élèves.
L’administration coloniale déploie d’énormes efforts pour doter le Sénégal d’un véritable service de
l’instruction publique entre 1834 et 1847. Ainsi le gouverneur prend un arrêté réglementant les écoles de la
colonie en 1838 ; puis un autre arrêté promulgué le 31 décembre 1847 achève de faire de l’instruction
publique un véritable service de l’administration. Mais, « à Saint-Louis, comme à Paris, on lie l’idée de la
réforme de l’enseignement primaire au Sénégal au projet de confier l’école des garçons aux Frères de
28
Ploërmel » , nous dit Denise Bouche (1975). L’abbé Jean-Marie de La Mennais semble favorable au projet
mais rejette le principe de mettre des chrétiens et des musulmans dans un même établissement ; il propose
la création d’une école pour les musulmans si cela ne pose pas de problèmes politiques. Le ministre de la
Marine (1837), rejette sa proposition et le renvoie à l’article 7 de l’arrêté organisant les écoles des sœurs qui
29
stipule clairement que : « les enfants seront élevés dans la morale et le culte de la religion chrétienne » . En
fait, l’abbé de La Mennais préférait envoyer les Frères de sa structure aux Antilles, terre qui lui semblait
30
présenter plus d’avenir que le Sénégal pour l’enseignement chrétien .
Finalement après plusieurs années d’hésitations et de tergiversations, de La Mennais finit par accepter
l’envoi de ses sujets au Sénégal. Les deux premiers frères (Euthyme et Héraclion) arrivent à Saint-Louis, le
22 novembre 1841, et procèdent, le 17 décembre 1841, à la réouverture de l’école primaire publique qui
accueille 80 élèves. Les effectifs passent à 110 élèves en avril de l’année suivante avant de culminer à 130
répartis en trois classes en 1846. Cependant l’école de Gorée tarde à redémarrer du fait du refus du
supérieur de la congrégation de laisser un seul des siens sur l’île et du mauvais accueil réservé aux deux
frères qui y sont affectés en novembre 1843. Sa situation ne va se stabiliser qu’à partir de 1848 avec la
nomination d’un nouveau directeur qui y reste vingt trois ans durant. Ainsi, à la rentrée scolaire de 1849,
l’école de Saint-Louis compte 200 garçons (dans quatre classes) et 160 filles (dont 17 musulmanes) et celle
31
de Gorée 100 garçons et 110 filles .
Après les Sœurs de Joseph de Cluny, une autre congrégation va également se consacrer à l’éducation des
32
filles. Il s’agit des Sœurs « bleues » de Castres .. Elles se sont installées à Dakar sur la demande du Père
27
Au Sénégal (surtout à Gorée et à Saint-Louis), mulâtresses vivant officiellement en concubinage avec un blanc.
D. Bouche, L’enseignement dans les territoires français de l’Afrique occidentale de 1817 à 1920, mission civilisatrice ou formation
d’une élite, Tome 1, Paris, Librairie H. Champion, 1975, p. 102.
29
CAOM, SEN X 2b, lettre du 18 novembre 1837 du ministre au gouverneur.
30
D. Bouche, op., cit., p. 103.
31
CAOM, SEN X 3b, mémoire sur la situation du service administratif au 31 janvier 1850.
32
En fait cette congrégation née en décembre 1836 dans une église de Castres s’appelle réellement « sœurs de Notre-Dame de
l’Immaculée-Conception ». Ces religieuses sont appelées « sœurs bleues de Castres » parce qu’elles portent un costume bleu avec un
voile blanc et que leur maison mère est à Castres.
28
72
Liens Nouvelle Série
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal, 1817-1872.
Bessieux, compagnon du Père Libermann en octobre 1847. En dépit des conditions difficiles, elles ouvrent
33
un dispensaire et une école de filles .
Vu les progrès notés dans le système éducatif (deux écoles de garçons et deux écoles de filles, un collège),
le gouverneur tente de réorganiser l’instruction publique pour la rendre plus performante. Il prend ainsi deux
arrêtés : le premier, daté du 23 juillet 1842, confie la haute surveillance des écoles primaires au préfet
apostolique
34
. Cette mission était autrefois confiée à des commissions composées de « fonctionnaires
éclairés et d’habitants notables ».
35
C’est en ces termes que D. Bouche (1975) justifie cette décision :
« A partir du moment où toutes les écoles de la colonie se trouvèrent confiées à des
congrégationnistes, le gouverneur Pageot de Noutières jugea convenable de donner à ces
instituteurs leur « protecteur naturel » pour être « leur intermédiaire efficace à l’occasion de
36
toutes les améliorations qu’ils pourraient solliciter dans l’intérêt de leur mission » .
Le second arrêté en date du 31 décembre 1847 règlemente le régime intérieur des différents
établissements d’enseignement de la colonie et confie à nouveau l’inspection des écoles à une commission
37
dont le préfet apostolique n’est qu’un simple membre . Aussi l’enseignement primaire a-t-il fait de grands
progrès durant les vingt-quatre années d’épiscopat de Mgr Kobès (1848-1872). Celui-ci est parvenu à éditer
des livres en Wolof en faveur des missionnaires parce que la maîtrise des langues locales est une nécessité
pour l’évangélisation. Ainsi les missionnaires pourront apprendre ces langues en Europe même avant de
38
venir au Sénégal. Le nombre d’écoles passe de quatre à huit et les effectifs de 570 élèves à 695 élèves .
Cependant pour Jean Suret Canale, malgré l’augmentation du nombre d’écoles, il n’y avait que deux
instituteurs pourvus du brevet élémentaire, les autres étaient des enseignants occasionnels et
essentiellement des frères de Ploërmel et des sœurs de Saint-Joseph de Cluny dont l’instruction était
médiocre. Mais l’administration ne semble pas chercher des cadres de haut niveau d’études car
« en élevant la qualification de la main-d’œuvre, elle la rend plus coûteuse d’une part ; d’autre
part elle conduit les masses colonisées à prendre cause de l’exploitation et de l’oppression
39
auxquelles elles sont soumises »
Il importe pour clore cette partie, rappeler les propos de La Tourasse (1897) rendant hommage aux
missionnaires quant à leur rôle dans la diffusion de la langue :
« Ce ne sont pas les commerçants obligés d’apprendre les idiomes divers du pays pour se
livrer au trafic, ce sont les religieux et religieuses, qu’ils s’appellent missionnaires du SaintEsprit, frères de Ploërmel, ou sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Ce sont ces modestes
instituteurs qui apprennent, sur ces lointaines plages, les premiers éléments que nous avons
40
bégayés étant enfants » .
Dès lors, l’apport de l’église dans l’œuvre civilisatrice de la colonisation est sans commune mesure.
33
J.R. de Benoist, op. cit., p. 133-134.
Cf. Bulletin administratif des actes du gouvernement, 1819-1842, p. 630
35
Ibidem, pp. 498-504.
36
D. Bouche, op. cit., p. 112
37
Cf. Bulletin administratif des actes du gouvernement, 1847-1848, pp.111-114.
38
J.R. de Benoist, op.cit., p. 164.
39
J.S. Canale, op. cit. 465.
40
J. S. de La Tourasse, op. cit., p. 59.
34
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Valy FAYE
2.
N° 20
Décembre
2015
La contribution de l’Eglise catholique à la reconversion économique de la
colonie du Sénégal : le grand projet agricole de Ngasobil.
A partir de 1848, l’Eglise catholique décide de soutenir le gouvernement français dans sa politique de
reconversion économique consécutive à l’abolition de la traite négrière. C’est ainsi qu’elle installe ses
exploitations agricoles à Ngasobil, sur la Petite Côte. Après des débuts assez prometteurs, l’expérience
échoue à cause des calamités naturelles, de l’instabilité politique et du choix porté sur les communautés
musulmanes pour développer l’arachide.
2.1. Origines et évolution du projet agricole
La première expérience de l’Eglise dans le domaine agricole remonte à 1848, au lendemain de l’installation
du clergé catholique à Ngasobil, près de Joal. Cependant cette première expérience de Ngasobil va avorter
à cause de la réticence du roi du Sine
41
à l’installation des missionnaires sur la Petite Côte ;
La colonisation agricole de Ngasobil par l’Eglise ne va reprendre que dix ans plus tard à la faveur de
l’installation de l’administration coloniale sur la Petite Côte suite aux différents traités signés avec le roi du
Sine. Dans ce contexte précis, l’administration coloniale compte sur le projet agricole de Ngasobil pour
répondre aux besoins de l’industrie cotonnière métropolitaine dont les sources d’approvisionnement, les
régions méridionales des Etats Unis en l’occurrence, sont en pleine guerre de sécession. C’est ainsi qu’ « un
décret impérial du 2 mai 1863 attribue à la mission catholique une concession de mille hectares, dont trois
cents immédiatement disponibles, et sur lesquels une redevance de 0,50 franc par hectare est payable au
42
bout de 10 ans » . Mgr Kobès accueille cette décision de l’administration avec enthousiasme. L’extrait cidessous, tiré de son rapport adressé aux Conseils de la Propagation de la Foi et de la Sainte Enfance traduit
clairement son optimisme (Benoist, 2008) :
« Cette œuvre nous permettra1°/ de prêcher par l’e xemple de l’utilité du travail aux indigènes
et le gain qu’ils en retireront leur fera aimer et estimer le travail qui, jusqu’ici, a été la condition
des esclaves et méprisé comme tel ; 2°/ elle nous d onnera une action directe sur un nombre
considérable d’ouvriers indigènes catéchisés pendant le travail ; 3°/ elle nous créera plus tard
des ressources pécuniaires pour réunir un plus grand nombre d’enfants et continuer l’œuvre
d’éducation primaire et professionnelle sur une échelle plus vaste que nous n’avons pu le faire
jusqu’ici, et par là, 4°/ elle nous fera préparer d e précieux éléments pour constituer la famille
chrétienne et pour développer l’œuvre du clergé indigène si nécessaire pour l’évangélisation du
43
pays » .
Le projet est prometteur car il bénéficie de l’appui de l’administration coloniale et d’une importante maind’œuvre. Celle-ci est constituée en majorité d’immigrants du Saloum chassés par les guerres religieuses
menées par Maba Diakhou Ba
44
contre le pouvoir thiédo (païen et guerrier) du Saloum entre 1860 et 1867.
Elle est également renforcée par des populations sérères du Sine réfugiées sur la Petite Côte à cause des
conflits de succession qui ont affecté le Sine de 1825 à 1853. Ces deux royaumes, du fait des troubles
politiques, sont exposés à la famine. L’espace est aménagé pour accueillir les colons et le clergé catholique.
41
Il s’agit du Bour (roi) du Sine Amat Diouf (1853-1871). Cf. C. Becker et V. Martin, Notes sur les traditions orales et les sources écrites
concernant le royaume du Sine, in BIFAN, série B, Sciences Humaines, T. 34., n°4, octobre, 1972, pp. 773-774 et p.777.
BENOIST J.R. de, Histoire de l’église catholique au Sénégal du milieu du XVème siècle à l’aube du troisième millénaire, Paris,
Editions Karthala-Clairafrique, 2008, p.151.
43
Rapport cité par J. R. de Benoist, op. cit. (Histoire de l’église), p. 151
44
C. Becker et V. Martin, Essai sur l’histoire du Saloum, Revue Sénégalaise d’Histoire, p. 10.
42
74
Liens Nouvelle Série
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal, 1817-1872.
Ainsi un bâtiment à un étage, d’une cinquantaine de mètres sur une dizaine de mètres, y est construit avec
45
du matériel solide et un village de 50 foyers installés . En plus,
« En janvier 1864, tous les ateliers sont transférés de Dakar à Ngasobil. Mgr Kobès fait
construire un noviciat pour les Filles du Saint-Cœur de Marie, et quelques cases pour le soin
46
des malades » .
Les autorités coloniales, vu tous les bénéfices qu’elles peuvent tirer du projet (pacification du pays,
occupation des populations, productions de matières premières agricoles pour l’industrie métropolitaine,
etc.), viennent encourager Mgr Kobès par les visites à Ngasobil de Pinet Laprade, alors gouverneur
47
intérimaire, et de Faidherbe (gouverneur), respectivement le 5 mai et le 12 juillet de l’année 1863 .
Cependant la première récolte de coton de 1864 faite sur les 120 ha cultivés n’a pas donné les résultats
escomptés à cause de la sécheresse intervenue vers la fin de l’hivernage. Mais, toujours déterminé à
atteindre ses objectifs, Mgr Kobès, grâce à l’appui financier de l’industriel alsacien Herzog, obtient une
machine à vapeur et des égreneuses. D’ailleurs Herzog se fait attribuer une concession de 1000 ha qui
reçoit beaucoup de travailleurs chassés par la famine inhérente à la sécheresse. Un nouveau village, SaintAntoine de Sarène, est créé sous l’égide de Mgr Kobès. La récolte de coton de 1865 est globalement
satisfaisante car les 308 ha ensemencés à Ngasobil ont donné 40 tonnes de coton, soit environ 50 000
francs à 60 000 francs de revenus. Le projet de Ngasobil s’agrandit grâce aux résultats de la campagne
1864-1865 : 125 enfants apprentis dans les ateliers ou cultivateurs, 400 travailleurs répartis équitablement
entre Ngasobil et Sarène. En plus, six villages sont installés le long de la mer : Saint-Joseph de Ngasobil,
Saint-Benoît le More, Saint-Michel, Saint-Antoine de Sarène et deux autres sur le domaine de Herzog. Les
paysans pratiquent également des cultures vivrières (manioc, céréales, arachides pour la consommation
48
domestique) . Ainsi, pour la campagne 1965-1966, 100 ha de mil et 200 ha de coton sont cultivés à SaintJoseph et 100 autres hectares de coton à Saint-Antoine de Sarène. Des investissements sont également
faits en bâtiments et en matériel, des voies de communication aménagées et un appontement construit.
Cependant, malgré les efforts consentis dans les investissements et la volonté des missionnaires
catholiques, l’entreprise de colonisation agricole est compromise et finit par être abandonnée.
2.2. Les facteurs de l’échec de la colonisation agricole par l’église catholique
2.2.1. Les calamités naturelles et les défaillances humaines
Des invasions répétées de sauterelles et une
sécheresse récurrente s’abattent sur la région et
compromettent les campagnes agricoles aux débuts souvent prometteurs. Le terroir voit se succéder trois
invasions acridiennes mais d’après de Benoist, seul le vol des 20, 21 et 22 décembre 1865 est
catastrophique : il ne reste plus rien, ni dans les champs, ni dans les jardins. C’est en ces termes que Mgr
Kobès décrit les ravages causés par les sauterelles dans un rapport adressé au ministre de la marine et des
colonies (La Tourasse, 1897) :
45
Extrait de la lettre de Mgr Kobès au ministre de la Marine et des Colonies (1er août 1863), citée par BENOIST, ib. , p. 152.
Id. ib., p. 152.
47
J. R. de Benoist, op. cit., p. 152.
48
Idem, Ibidem, pp. 152-153.
46
75
Valy FAYE
N° 20
Décembre
2015
« Dans le jardin de la mission, aucune plantation n’a été épargnée. Toutes les fleurs et les
plantes légumineuses ont disparu, sauf quelques semis qu’on a eu soin de couvrir de toiles,
tous les jours de neuf heures du matin à six heures du soir. Papayers, bananiers, maniocs,
goyaviers, manguiers, citronniers, caféiers, indigotiers, pépinières d’expérience des cotons
étrangers, le jardin et ses environs, excepté les rondiers, ont été rongés dans leurs parties
49
molles » .
Le clergé catholique explique tous ces revers par la volonté divine et recommence les plantations.
« Les cotonniers ravagés en décembre avaient déjà reverdi en janvier et on espérait qu’une
seconde récolte dédommagerait un peu de la perte de la première, mais la mission n’était pas
50
au bout de ses peines » .
Effectivement, les pieds sont détruits par de nombreuses sauterelles nées des œufs déposés au cours des
invasions antérieures et la récolte est ainsi anéantie.
La communauté est également éprouvée par le décès de deux de ses membres, les Pères Engel et Risch,
emportés par la fièvre jaune et la décimation de son troupeau de bovins par des épizooties. L’entreprise de
colonisation agricole traverse ainsi une crise financière sans précédent malgré une subvention de 8000
francs allouée par la colonie et la compréhension de M. Herzog qui ne réclame que 40 000 francs des
60 000 francs avancés pour le démarrage du projet.
Après une pause en 1867, une tentative de reprise de la culture du coton échoue de nouveau à cause d’une
51
invasion acridienne survenue en décembre 1868 . Le clergé finit par abandonner la colonisation agricole
que seule la culture du coton pouvait développer, car la main-d’œuvre était trop coûteuse pour être
supportée par les cultures vivrières. Les cultures maraîchères et fruitières, bien adaptées à la région,
auraient pu faire l’affaire mais les centres européens consommateurs étaient très éloignés des lieux de
production.
En plus, le choléra fait des ravages au sein de la population indigène en juin 1869. La région se vide ainsi de
sa main-d’œuvre non seulement à cause de la forte mortalité mais aussi du fait de l’émigration vers les
régions épargnées par ce fléau.
Par ailleurs, une bonne partie des installations est détruite par des incendies attribués à des défaillances
humaines. Le 14 janvier 1866, l’église de Joal, située à quatre kilomètres de Ngasobil, et le village de SaintMichel de la Fasma sont endommagés. L’établissement de Ngasobil est affecté en janvier et décembre 1867
et l’église ainsi que la maison des sœurs sont détruites à Mbodiène en janvier 1870.
2.2.2. Des contradictions d’ordre politique
Certains faits ont prouvé qu’en matière de colonisation, missionnaires et administrateurs partagent les
mêmes objectifs : dominer et exploiter. Ainsi les seuls problèmes qui les opposent proviennent du
comportement local (les méthodes de travail) et de la personnalité des uns et des autres. C’est parce que,
les relations entre certains administrateurs et missionnaires ne sont pas excellentes. D’ailleurs l’attitude
souvent hostile des administrateurs coloniaux de la première heure n’était pas seulement dirigée contre les
49
50
51
Mgr Kobès cité par J.S. de la Tourasse, De la colonisation du Sénégal, Paris, Arthur Savaète, 1897, p. 44.
Idem, Ibidem, p. 45.
J.R. de Benoist, op. cit., p. 153.
76
Liens Nouvelle Série
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal, 1817-1872.
missionnaires catholiques mais aussi contre toutes les autorités religieuses, musulmanes comme
chrétiennes et vers les aristocrates indigènes. En fait, les officiers de la marine qui étaient très nombreux
dans le système colonial français d’alors et les premiers directeurs de l’administration centrale coloniale
étaient pour la plupart des républicains antiroyalistes et anticléricaux qui accusaient les aristocrates
indigènes et les autorités religieuses d’avoir des attitudes conservatrices et réactionnaires.
En dehors de ces considérations d’ordre idéologique, les abus perpétrés contre les populations indigènes
par les missionnaires dans le cadre de leurs activités économiques (travaux agricoles) et la réalisation de
leurs infrastructures (églises, écoles, logements) sont sources de conflits avec l’administration coloniale.
Ainsi les missionnaires qui outrepassent leurs prérogatives sont remis à l’ordre par l’administration.
« Pour la population, la robe et la barbe mises à part, il n’y a bien souvent guère de différence
dans le comportement de ces Blancs d’une catégorie un peu à part et celui des autres. Comme
52
les autres, ils commandent, et exigent qu’on travaille à leur profit » .
Autrement dit, missionnaires et administrateurs coloniaux ont les mêmes pratiques vis-à-vis des indigènes :
travail obligatoire ou forcé, abus sur l’impôt ; si les uns exigent des populations une fiscalité « légale », les
autres leur imposent une contribution financière obligatoire et cela à l’insu des administrateurs à qui revient
le commandement.
Ces pratiques peu orthodoxes, du reste notées dans certaines régions de la colonie, discréditent les
missionnaires auprès des indigènes et constituent un frein à l’évangélisation. La colonisation agricole
demande des ressources humaines importantes que le clergé catholique ne peut trouver que par
l’évangélisation.
Mais ladite entreprise se trouve bloquée aussi bien par les erreurs de certains missionnaires (travail et
contribution financière obligatoires, autoritarisme) que par l’absence de prêtres indigènes. Et Suret-Canale
d’ajouter(1964) :
« On songe bien à la nécessité de former des prêtres autochtones. Mais les Pères sont
tellement persuadés de l’infériorité et de l’indignité des « indigènes », qui ne sont pas mûrs que
53
leur pratique décourage et fait échouer les vocations ».
Mieux, le Sénégal qui dispose d’un séminaire depuis 1857 n’a enregistré que trois ordinations de prêtres
entre 1870 et 1938 et lesdits prêtres n’ont même pas exercé au Sénégal : l’un est décédé, les deux autres
ont quitté le pays pour s’installer respectivement en France et à Haïti. Aux yeux de certains observateurs, le
retard noté dans la formation d’un clergé africain est ainsi attribué au racisme des membres de certaines
congrégations missionnaires.
Dans le contexte précis du Sine, les prémisses de l’échec de l’entreprise de colonisation étaient perceptibles
dès le début avec l’opposition farouche du Bour Sine à la construction d’infrastructures en dur parce que,
Valy FAYE
N° 20
Décembre
2015
pour lui, il fallait construire avec la paille et les branchages, seuls matériaux que la balle pouvait traverser.
Et les missionnaires n’avaient profité que du protectorat imposé au Sine par Faidherbe pour s’installer sur la
Petite Côte. Le fait de s’installer dans une région dont la cession n’avait été acceptée que par la contrainte
rendait incertain l’avenir de la colonisation agricole. Les souverains du Sine revenaient toujours sur les
52
J. Suret-Canale, op. cit., p. 451.
Ibidem, p. 458
53
77
traités de protectorat signés avec la France dès que le contexte le favorisait ; c’est ainsi que les traités de
1859 et de 1861 sont rejetés et chaque rejet est suivi d’une intervention militaire pour rétablissement. La
perte de la province maritime du Sine (la Petite) occasionnée par le traité de 1861 n’a jamais été digérée par
le Bour Sine Coumba Ndoffène qui a été d’ailleurs tué à Joal (province maritime) par un traitant.
54
En plus, l’installation des catholiques à Ngasobil en milieu sérère Diéghem , une région dont les velléités
d’indépendance vis-à-vis du Sine sont notoires, ne fait que fragiliser l’église face à la majorité sérère du
royaume. D’ailleurs, le catholicisme y est perçu comme une religion d’étrangers et d’indigènes politiquement
indépendants des structures politiques autochtones. Le rejet de la religion catholique par l’écrasante majorité
des Sérères du Sine et l’opposition entre le pouvoir colonial protecteur de l’église et l’aristocratie du Sine ne
favorisent guère l’évangélisation des populations. Ainsi, le projet agricole de Ngasobil était-il voué à l’échec
du fait du manque de main-d’œuvre, principal fondement de l’agriculture traditionnel.
En outre, la main-d’œuvre escomptée, c'est-à-dire les réfugiés des guerres religieuses de Maba, est presque
toute rentrée au Saloum et au Sine oriental à la mort du chef musulman.
2.2.3. Le réalisme économique du pouvoir colonial : la mobilisation des communautés musulmanes
pour développer l’arachide
Le pouvoir colonial, en dépit de ses convergences de vue avec l’église pour développer l’entreprise
coloniale, a fini par jeter son dévolu sur la communauté musulmane sénégalaise pour développer l’arachide.
Cela parce que la culture du coton nécessite des conditions écologiques limitées à une portion du territoire
sénégalais et, par conséquent, elle est incapable de fournir des quantités importantes. En outre, l’église n’a
ni les ressources humaines, ni les moyens matériels et financiers pour développer cette culture à grande
échelle et l’installation du projet agricole sur la Petite Côte, une région toujours revendiquée par le Sine ne
fait que réduire les chances de réussite du projet.
De même, le pouvoir colonial est préoccupé par la pacification des territoires conquis, condition sine qua non
à leur exploitation économique. Ainsi, après une période de conflits avec les marabouts, le pouvoir colonial
mène désormais une politique de collaboration avec eux. C’est, à ses yeux, la seule voie pour développer
l’économie de traite. Celle-ci doit être fondée sur la culture arachidière dans le cadre d’une économie
paysanne domestique mais aussi maraboutique. D’après Coulon, le contexte d’alors peut être décrit comme
une rencontre entre deux mouvements dont les intérêts convergèrent, celui de l’économie de traite qui
soumit la société sénégalaise aux besoins de la métropole à travers une spécialisation de la colonie, et celui
55
des marabouts qui virent dans l’agriculture un moyen de monétariser leur charisme .
La situation est profitable à tous les acteurs, le commerce en tire beaucoup de profits (exportations de
l’arachide et importation de biens de consommation courante), les finances publiques sont alimentées par
les taxes à l’exportation et la capitation payée par les paysans (une part de la vente de l’arachide) et enfin
les paysans musulmans, les marabouts en particulier, parviennent à satisfaire leurs besoins
matériels grâce aux revenus arachidiers. Et l’on parle même du passage d’un islam mystique à un islam
intégré dans l’économie de traite.
Le pouvoir colonial est d’autant plus réconforté dans ses rapports avec les autorités maraboutiques que
celles-ci sont devenues conservatrices de l’ordre colonial. Ainsi en attestent leur participation à l’effort de
54
55
Un sous-groupe sérère numériquement minoritaire vivant su la Petite Côte.
C. Coulon . Le marabout et le prince (Islam et pouvoir au Sénégal), Paris, A. Pedone, 1981, p. 164.
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Liens Nouvelle Série
L’action de l’Eglise catholique dans l’entreprise coloniale française au Sénégal, 1817-1872.
guerre 1914-1918, l’assimilation des difficultés de la crise économique des années trente au fatalisme et leur
réticence aux idées de changement exportées de l’étranger. Pour Coulon (1981),
« les avantages qu’ils avaient acquis grâce à l’Administration coloniale les rendaient méfiants à
56
l’égard d’une évolution qui risquait de remettre en cause la tutelle française » .
Tout compte fait, une agriculture de rente fortement exportatrice ne pouvait pas être l’affaire de l’église
catholique parce que ce type d’activité nécessitait des ressources humaines, des moyens techniques et des
capitaux importants. Elle devait également bénéficier de l’appui des autres acteurs de la colonisation, le
commerce et l’administration coloniale notamment, et de l’adhésion populaire. Pratiquement tous ces
facteurs faisaient défaut à l’église.
CONCLUSION
Entre 1817 et 1872, l’église catholique s’est beaucoup investie aux côtés du gouvernement français dans la
réalisation de l’entreprise coloniale. Avec le soutien matériel, moral et financier de ce dernier, l’église s’est
consacrée grâce aux prêtres du Saint-Esprit et de la Congrégation du Saint-Cœur-de-Marie, à
l’évangélisation, à la formation de prêtres sénégalais et à la construction de lieux de cultes. Elle a également
contribué au développement de l’enseignement avec l’ouverture de quatre écoles gérées par les Frères de
Ploërmel et les sœurs de Saint-Joseph de Cluny (1819-1848). Les progrès notés dans ce domaine ont
d’ailleurs poussé le gouvernement local à entreprendre la réforme de l’instruction publique en 1842 et 1847.
Toutefois, les nombreuses difficultés relatives aux différends entre prêtres et administrateurs coloniaux d’une
part et d’autre part aux rivalités entre prêtres, à l’hostilité des souverains musulmans locaux et au manque
de moyens matériels et financiers n’ont pas permis d’atteindre les résultats escomptés. Néanmoins l’église a
pu contribuer à l’implantation de la civilisation française dont la langue française et le catholicisme sont les
principaux fondements. En outre, elle a pu grâce à des prêtres comme le P. Chevalier, Bessieux et surtout
Mgr Alexis Kobès participer à la mise en valeur économique de la colonie par l’exploitation agricole dont les
objectifs prioritaires étaient d’offrir à l’église des ressources financières d’appoint et au gouvernement des
produits agricoles de substitution avec en prime l’abolition de la traite négrière. La mission d’évangélisation
de l’église par l’école s’est poursuivie jusqu’à ce l’administration lui retire la gestion des écoles publiques à
partir de 1903. Elle conserve toutefois celles qui sont directement rattachées aux missions et transformées
en écoles privées.
En définitive, tout laisse à penser que la France trouve son compte dans les missions d’évangélisation et
d’éducation effectuées par l’église pour réussir sa « politique d’assimilation ». En contrepartie, l’Eglise
bénéficie du gouvernement français et de l’administration locale d’appuis financier, matériel et législatif.
Leurs rapports sont toutefois ponctués de divergences conjoncturelles et de moindre importance.
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du Sine », in BIFAN, série B, Sciences Humaines, T. 34., n°4, octobre, Dakar, IFAN, pp. 702-777.
56
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Valy FAYE
N° 20
Décembre
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80
Mamadou Sarr
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche
environnementale et vers une recherche action
Simple et une, elle (la calebasse) sert les pauvres
principalement les mendiants qui s'en servent comme
sébiles pour demander l'aumône. Ornée et huilée elle
devient vaisselle du roi.
Hassane Dao
Résumé
La présente contribution procède d’un souci d’apporter quelques éclairages sur la connaissance de la
calebasse dans sa dimension environnementale. En tant qu’élément et trait d’union du couple
écosystème/sociosystème, la calebasse sera examinée relativement à son milieu de vie, aux interactions et
interrelations avec les autres éléments du milieu y compris l’homme. L’approche qui se veut académique et
didactique devra permettre de déboucher sur une proposition de recherche action et un canevas
d’élaboration d’une esquisse de programme de formation axée sur la calebasse dans le cadre de projet
d’école ou en direction du grand public.
Keywords : Calebasse Environnement Perception Programme de formation Recherche action
Abstract
The present contribution proceeds of a concern (marigold) to bring some lightings on the knowledge of the
gourd in its environmental dimension. As element and hyphen (link) of the couple ecosystem / sociosystem,
the gourd will be examined with regard to its environment (middle) of life, to the interactions and
interrelations with the other elements of the environment (middle) including the man. The approach which
wants so academic and didactic will have to allow to result in one
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Mamadou Sarr
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Décembre
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INTRODUCTION
La présente étude porte sur l’approche environnementale de la calebasse (Lagenaria siceraria), une plante
vivace qui est cultivée et utilisée dans les régions tropicales d’où elle serait originaire. Son importance
économique et sociale ne fait aucun doute et elle fait l’objet de différents usages culturels, cultuels et
sociaux.
Son environnement, comme la plupart des milieux, est de plus en plus menacé. En attestent les grands
problèmes mondiaux comme la désertification, le réchauffement de la planète, la dégradation des sols, les
pollutions multiformes, la pauvreté grandissante surtout dans les pays du sud. .
Le changement climatique est aujourd’hui un fait
scientifiquement prouvé. Plusieurs recherches
scientifiques l’attestent. Les différentes rencontres et négociations sur le changement climatique (Genève
1979 ; création du GIEC 1988 ; Sommet planète Terre de Rio 1992 ; protocole de Kyoto 1997 ;
Copenhague 2009 ; création du fonds vert, Cancun 2014 ; Cop 21 Paris 2015) sont autant de grandes
messes qui drainent des sommes considérables avec des résultats plus ou moins mitigés.
Le changement climatique impacte diverses activités humaines parmi lesquelles l’agriculture, y compris la
culture de la calebasse. Le monde rural, surtout en Afrique sahélienne, est durement affecté.
Les
productions végétales connaissent dans certains pays un recul conséquent.
Les acteurs de la calebasse (agriculteurs, opérateurs touristiques, artisans …) doivent s’interroger et jouer
leur partition dans la sauvegarde de ce produit qui joue un grand rôle dans le quotidien des pays exploitants.
Il s’y ajoute que la dimension environnementale de la calebasse peut et doit faire l’objet de recherches plus
approfondies.
Dans ce texte, il sera question de traiter d’abord de la problématique de la calebasse suivi de la
méthodologie de travail et des résultats de la recherche. Pour ce dernier point, l’accent sera mis sur la
clarification conceptuelle, l’examen bref de la biologie/physiologie de la calebasse, les perceptions
développées autour d’elle par les populations qui l’utilisent, de l’ environnement. Nous présenterons des
domaines de recherche-action possibles pour encourager des mesures d’adaptation face au changement
climatique, notamment, une esquisse de programme de formation sur la calebasse et une esquisse de projet
de recherche-action pluridisciplinaire.
I. Problématique
La calebasse est rencontrée dans des sites archéologiques datées de 12 000 ans. Elle est l’un des premiers
fruits domestiqués. Elle est cultivée dans plusieurs pays d’Afrique (Burkina Faso, Mali, Sénégal) et
d’Amérique Latine (Pérou). Elle constitue un enjeu économique et culturel pour la Sous-région Afrique de
l’Ouest.
82
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
En tant que plante cultivée, il est utile de comprendre l’environnement dans lequel elle pousse et se
développe. Mais les recherches dans ce domaine précis montrent que peu d’études ont été réalisées dans
57
ce sens en Afrique. Des instituts de recherche comme l’IRD , l’ISE
58
pourraient davantage se pencher sur la
question. Mais plus globalement, l’on pourrait s’interroger sue les réponses que les acteurs de la calebasse
pourraient apporter comme participation au formidable élan de construction d’un monde meilleur où le
changement climatique, la lutte contre la pauvreté et la désertification ne seront plus qu’un vieux et mauvais
souvenir ? En d’autres termes, quels types de recherches engager autour de la dimension environnementale
de la calebasse ? Que faire pour que tous les acteurs de la calebasse prennent conscience du rôle qu’ils
peuvent jouer dans le combat mondial contre le changement climatique ?
Quels effets aura le changement climatique sur la biologie, l’environnement et la production de calebasse ?
Quelles sont les variétés qui seront non seulement résistantes à ce changement, mais aussi aux mutations
induites sur les autres organismes parasites ou ravageurs de ces plantes ? Devrait-on à l’avenir être obligé
de recourir aux organismes génétiquement modifiés (OGM). La réponse à ces questions et à bien d’autres
sera un élément essentiel dans la perception moderne de la calebasse et du coup, un facteur nouveau de
marketing économique, social, culturel et environnemental.
II. Méthodologie de travail
Dans le cadre de cette étude, la méthodologie de travail utilisée pour le recueil des données s’est organisée
autour de quatre axes principaux :
1. la recherche documentaire qui a permis de procéder à la clarification conceptuelle, mais aussi à
appréhender les questions relatives à la biologie, à la physiologie
et à l’environnement de la
calebasse ; elle a permis de recueillir des données de qualité malgré le peu de travaux consacrés à
la thématique de la calebasse ;
2. les enquêtes auprès des acteurs de la calebasse (producteurs, organisateurs de festival autour de la
calebasse, grâce des fiches d’enquêtes ; celles-ci ont aidé à compléter l’information sur les
perceptions et les usages culturels et cultuels de la calebasse
3. les entretiens qualitatifs auprès de deux acteurs du tourisme (vendeur d’objet d’art et hôtelier). Pour
ce faire, nous avons utilisé un guide d’entretien.
4. à l’exploitation des données
Cette méthodologie a aidé à aborder différentes facettes de la problématique de la calebasse.
III. Présentation des résultats
La présentation des résultats porte dur la clarification des concepts, la biologie et l’environnement de la
calebasse, ainsi sur les proposition de recherche action et d’esquisse de programme de formation.
57
58
Institut de Recherche pour le Développement
Institut des Sciences de l’Environnement (Université Cheikh Anta Diop Dakar)
83
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III.1 Clarification conceptuelle
Il est tout à fait nécessaire de procéder à une clarification conceptuelle avant d’aborder le sujet proprement
dit. Aussi nous décrirons quelques concepts essentiels comme l’environnement, la recherche-action.
II.1.1 L’environnement
Le concept d’environnement est une création relativement récente. Sa définition technique anglo-axone
daterait des années 1920. Sa popularisation est intervenue dans les années 60. Avant, les concepts
réducteurs de milieu, de nature, etc. étaient les plus usités.
L’environnement est caractérisé par divers aspects : sa globalité, son caractère multidimensionnel, sa
délimitation dans un cadre spatial et temporel, sa référence à l’éthique et ses rapports à la réalité.
La perception individuelle ou collective de l’environnement dépend de plusieurs facteurs : culture, niveau
intellectuel, catégorie socioprofessionnelle ou socioéconomique, intérêt particulier, l’expérience personnelle,
les références disciplinaires, etc. Elle sera donc anthropocentrique, spiritualiste, etc.
Lucie Sauvé identifie diverses conceptions de l’environnement : environnement/nature (fournissant des
ressources et l’espace de vie) ; environnement/problèmes (gestion des ressources, qualité du milieu, gestion
des risques) ; environnement/ce qui entoure ; environnement/milieu ; environnement/qualité de vie.
Les attributs de l’environnement sont nombreux : global/local ; urbain/rural ; marin/terrestre ;
Plusieurs définitions ont été proposées par des scientifiques, des acteurs et des institutions actifs dans le
domaine de l’environnement
84
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
L’environnement « C’est l’ensemble des éléments physiques, chimiques, biologiques
et des facteurs sociaux, économiques, culturels relatifs à un groupe humain, à un
individu ou à un organisme vivant, qui agissent plus ou moins sur lui et qu’il peut plus
ou moins transformer ».
Jacques BUGNICOURT (1976)
L’environnement, « C’est l’ensemble à un moment donné, des agents
physiques, chimiques, biologiques et des facteurs sociaux, susceptibles d’avoir
un effet direct ou indirect, immédiat ou à terme sur les organismes vivants ou
les activités humaines ».
PIEROU H. et al (1979)
L’environnement est un système dynamique et complexe qui comprend deux soussystèmes en interrelation :
-
le sous-système naturel constitué par le milieu physique ou l’espace géographique
(sol, eau, air, énergie) bien délimité avec ses facteurs biotiques (faune, flore) ;
-
le sous-système humain avec l’homme et les acteurs socioculturels et économique.
PFIE -Sénégal (1998)
«Environnement»: l’ensemble des éléments naturels et artificiels ainsi que des
facteurs économiques, sociaux et culturels qui favorisent l’existence, la
transformation et le développement du milieu, des organismes vivants et des
activités humaines ».
Code sénégalais de l’environnement
L’environnement est un système dynamique défini par les interactions physicochimiques, biologiques et culturelles, perçues ou non, entre l’homme, les autres êtres
vivants et tous les éléments du milieu, qu’ils soient naturels, transformés ou créés
par l’homme.
Louis Goffin
Aujourd’hui, l’environnement est au centre d’enjeux planétaires de développement et de survie
extraordinaire. Ses ressources ne sont plus considérées comme inépuisables ou renouvelables à l’infini. La
première Conférence mondiale sur l’environnement tenu à Stockholm (Suède) du 5 au 16 juin 1972 avait
invité à repenser et à remettre en cause les comportements de l’homme vis-à-vis de la nature et surtout de
revisiter les théories économiques non soucieuses de la dimension environnementale. Elle avait défini les
grandes idées sur l’environnement et attiré l’attention du pouvoir que confère la science et la technologie en
ces termes (Rapport Stockholm 1972) : « Le pouvoir qu’à l’homme de transformer le milieu dans le quel il vit,
s’il est utilisé avec discernement peut apporter à tous les peuples les bienfaits du développement et la
85
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Décembre
2015
possibilité d’améliorer la qualité de la vie. Utilisé abusivement et inconsidérément, ce même pouvoir peut
59
causer un mal incalculable aux humains et à l’environnement. » .
La deuxième Conférence mondiale intitulé « Le Sommet Planète Terre » de Rio de Janeiro (Brésil) tenue en
1992 propose, entre autres, l’Agenda 21, mais aussi la Convention sur la désertification. Le protocole de
Kyoto (Japon) traite des changements climatiques qui constituent une des plus grandes préoccupations
mondiales actuelles, à côté de la désertification, de la perte de la biodiversité et des pollutions.
Il s’agit de voir comment les acteurs de la calebasse peuvent apporter leur contribution à la résolution de ces
préoccupations. Mais aussi quelle recherche-action envisager pour une plus grande efficacité des
interventions.
III.1.2 La recherche-action
La recherche-action est une méthode de recherche scientifique qui inclut dans le processus aussi bien le
chercheur que les acteurs. Créée par Kurt Lewin, père de la dynamique de groupe, la recherche-action
combine la recherche et l’action au sein d’une même activité.
Hugon et Siebel
60
la définissent au colloque de l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP, Paris
1986) comme des « recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ;
recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces
transformations ».
Marc Cantonas (2003)
61
souligne que cette démarche « favorise la production d’informations qualitatives
et/ou quantitatives » et permet « de trouver des réponses plus rapides en sensibilisant les acteurs à des
méthodes de travail créatives ». La recherche-action présente la particularité « de mettre en réseaux des
personnes sensibilisées, préparées à poursuivre réflexion et action ».
Une des caractéristiques de la recherche-action est sa souplesse méthodologique repérable à divers
niveaux : du mode d’investigation, de l’utilisation des techniques de recueil de données, des instruments.
Cette souplesse méthodologique est particulièrement manifeste dans la négociation et la participation des
acteurs au choix et à l’élaboration des instruments.
Contrairement à la recherche pure où la méthode est organisée en phases, étapes et donc temporellement
linéaire, la recherche action présente une conception non linéaire du temps. Des boucles de rétroaction
sont souvent observables, car la recherche nourrit l’action qui à son tour oriente la recherche.
L’idée de proposer une recherche-action relativement à la calebasse devrait donc inclure des scientifiques
(agronomes, biochimistes, environnementalistes) et des acteurs (agriculteurs, artistes et autres utilisateurs
de la calebasse).
59
Rapport de la Conférence mondiale sur l’environnement Stockholm, (Suède) 1972
http://fr.wikipedia.org/wiki/Recherche-action
61
http://www.cadredesante.com/spip/spip.php?article125
60
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Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
III.2 Bref aperçu de la biologie de la calebasse
La calebasse provient de deux familles végétales différentes : les Bignoniacées et les Cucurbitacées. Le
calebassier (Crescentia cujete) est un grand arbre tropical de la famille des Bignoniacées. On le trouve dans
les zones humides (Casamance).
Dans cette communication, nous nous intéresserons plutôt aux Cucurbitacées. A l’heure actuelle, environ
120 genres différents et plus de 800 espèces constituent la famille des Cucurbitacées. Outre les calebasses,
les cucurbitacées comprennent les melons, les cornichons, les concombres, les courges, etc…
La fleur des cucurbitacées est généralement unisexuée. L'inflorescence est souvent une cyme dont l'axe
principal est terminé par une fleur. Le fruit est généralement une baie.
La calebasse (Cucurbitacée) dont le nom scientifique est Lagenaria siceraria
est une plante herbacée
annuelle, rampante ou grimpante. Elle possède des vrilles spiralées permettant de s’attacher à des supports.
Il existe plusieurs variétés. Certaines espèces sont vivaces parce que les parties souterraines sont
charnues. La croissance est relativement rapide. Le fruit est protégé par une écorce dure. Non mûr, il peut
être consommé comme légume.
La calebasse produit une substance appelée cucurbitacine à l’origine du goût amer de certaines variétés.
Isabelle Grondin et ses collaborateurs de l’université de la Réunion
62
ont analysé les triacylglycérols (TAG)
produits par Lagenaria pour en apprécier les différentes composantes (acide palmitique, acide linoléique,
acide stéarique, acide oléique), leur proportion et leur dégradation chimique.
La composition chimique explique les propriétés médicinales et diététiques attribuées aux Cucurbitacées.
Elles renferment dans la partie comestible et dans les graines des principes actifs qui sont :
- antioxydants (bêta-carotène, Lutéine et zéaxanthine) qui protègent contre les effets des radicaux libres,
molécules très réactives impliquées dans des maladies cardiovasculaires et certains cancers
- anti-cancéreux et anti-inflammatoires ; les cucurbitacines
seraient actives dans la diminution de
la
.
croissance des cellules cancéreuses, particulièrement la cucurbitacine B « la cucurbitacine B pourrait aussi
protéger les cellules du foie contre certains composés toxiques, et aurait également des effets anti63
inflammatoires » .
62
Technical Briefs The qualitative and quantitative composition of triacylglycerols from four Cucurbitaceae seed oils of
the Lagenaria and Luffa species http://www.john-libbey-eurotext.fr/en/print/e-docs/00/03/36/B4/article.md
63
http://www.passeportsante.net/fr/Nutrition/EncyclopedieAliments/Fiche.aspx?doc=courge_nu#P154_22785
87
Mamadou Sarr
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2015
- hypoglycémiant : donc favorable à un meilleur contrôle du diabète.
Les courges sont aussi riches en vitamines (A, B2, B6, B9, C, K), en fer, en manganèse (cofacteur de
plusieurs enzymes, et prévention contre les dommages dus aux radicaux libres), en cuivre (nécessaire à la
formation de l’hémoglobine et du collagène), en acide pantothénique (coenzyme dans la fabrication des
hormones stéroïdiennes).
III.
3
Le
s
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rce
pti
on
s
de
la
cal
eb
as
se
La
calebasse est un vieux compagnon de l’homme. Elle fait partie des premiers fruits domestiqués, car il est
retrouvé dans des sites archéologiques datés de 12 000 ans avant J. C
Sa forme globuleuse rappelle le ventre de la femme enceinte, ce qui en ferait le symbole de la fécondité.
Elle est aussi perçue comme le symbole de la prospérité et de la bonne santé.
Elle est associée à plusieurs rituels chez certaines ethnies du Sénégal. Chez les sereer du Sénégal, les
enquêtes ont montré que l’eau qui sert à raser le nouveau-né est exclusivement mise dans une calebasse et
88
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
jamais dans un objet en fer ou en plastique. De même lors des libations et sanctifications, le lait caillé (ou la
farine de mil) est mis dans une calebasse.
La calebasse qui tombe et qui se brise est prémonitoire de difficultés à venir.
Un conte africain rapporte la calebasse avaleuse des hommes du monde entier à l’exception d’une femme
enceinte cachée et seule rescapée. De celle-ci naîtra deux jumeaux qui, devenus grands, partent à la
recherche de la calebasse avaleuse. Elle fut fendue et « les hommes étaient superposés comme les
rayons de cire dans une ruche, sur quatre couches. Sur le premier rayon, étaient les corps blancs,
c'est-à-dire les Européens de France ; sur le second : les corps jaunes, c'est-à-dire les Allemands ;
sur le troisième : les corps rouges, c'est-à-dire les Esquimaux des pôles nord et sud ; sur le
quatrième : les Noirs d'Afrique.
Après leur délivrance, les hommes repartirent dans leur pays. C'est grâce aux deux jumeaux que des
64
races de différentes couleurs vivent aujourd'hui sur terre » .
Selon le professeur Alain Sissao du Burkina Faso, la calebasse « fait l’objet d’un usage constant chez les 60
ethnies du pays…Chez les Turka, elle est donnée au mariage pour indiquer que l’épouse peut rejoindre son
mari et c’est l’un des principaux récipients du lait… Elle est symbole de l’accueil et de l’hospitalité. Il en est
fait usage dans les rituels religieux, les libations plus précisément, de même que pour les funérailles. Ainsi
chez les Nionionsé, la tête du mort est rasée et recouverte d’une calebasse. Sa présence est constante
dans les instruments de musique, entre autres : le balafon, l’arc musical, le Bendré – tambour de messages
- dont elle permet de reproduire les tons de la langue, avec la distinction d’un tambour mâle et d’un tambour
femelle. A ce titre, la fabrication du bendre impose parfois l’isolement et l’abstinence sexuelle pour conférer
même à l’instrument une efficacité contre les mauvais esprits. Symbole du ventre fécond de la femme …
Dans un conte de l’ethnie Gouin, la calebasse est assimilée à la femme qui avale tous les actants de son
parcours, mais qui sera écrasée pour libérer les être avalés, ce qui renvoie à la délivrance de la parturiente.
La calebasse se trouve toujours là où réside la femme et symbolise les savoirs humains. Un langage codé
lui est quelquefois associé.» Rapport Festival de la calebasse 2008
En Asie la calebasse fait partie des objets sacrés et elle est associée à la création du monde dans de
nombreuses légendes.
Ce que l’on peut retenir, c’est que la calebasse jouissait et jouit encore d’une grande considération en
Afrique du fait de ses différentes
utilisations.
III.4 Environnement de la calebasse
64
http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2007/12/index.html
89
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La calebasse est originaire des régions tropicales (offrant chaleur, ensoleillement et humidité) comme
l’atteste les sites archéologiques où elle a été trouvée. .
Elle pousse bien dans les sols sableux à la surface et argileux en profondeur. La partie argileuse retient
l’eau qui explique la vivacité de certaines variétés de calebasses.
La calebasse est cultivée au Sénégal, au Mali
dans le Nord-ouest du Burkina Faso et au Niger. Par
périodes pluvieuses, les sereer du Sénégal la cultivent.,
La calebasse est une composante de deux systèmes en interaction et en interrelations
L’écosystème comprend le biotope et la biocénose.
Le biotope représente le milieu avec ses facteurs physiques et chimiques : sol, eau, air, humidité, vent,
lumière, relief…
La biocénose est l’ensemble des êtres vivants dans le biotope : animaux (faune) et végétaux (flore),
microscopique et macroscopique.
La calebasse étant une plante cultivée, l’écosystème dans lequel elle pousse est classé parmi les
écosystèmes cultivés, modifiés.
Les interactions/interrelations seront ici appréciées du point de vue des facteurs (humidité, sol), des
associations des cultures (maïs/calebasse), des ravageurs (chrysomèle), etc…
90
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
1. Humidité. La trop grande humidité peut provoquer le pourrissement du fruit arrivé à maturité. Il faut donc
le retourner constamment pour éviter cette situation.
2. Plante rampante, elle crée un microclimat humide et frais qui fait obstacle à l’évaporation directe de l’eau
du sol. La durée de vie est d’environ 6 mois. Les graines semées au début de la saison des pluies (mi-juin)
germent et donnent des plantes dont la croissance est rapide. Les fruits mûrs sont récoltés entre décembre
et février quand ils sont complètement secs. Il est recommandé de la récolter avec son pédoncule. La
cicatrice laissée par ce dernier peut constituer une porte d’entrée de maladie de la calebasse.
Certaines variétés sont vivaces à cause de cette présence d’eau dans la couche argileuse profonde.
3. La pollinisation nécessite la participation des abeilles qui, en passant de fleurs en fleurs, déposent les
produits attachés à leurs pattes.
91
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4. La fabrication de cucurbitacine développe un chimiotactisme positif pour la chrysomèle rayée , l’un des
agents ravageurs. Selon Duval, les dommages faits aux cucurbitacées par la CRC sont de trois types :
- les adultes mangent les feuilles, les tiges, les fleurs et les fruits,
- les larves attaquent les racines et la tige
- les larves et les adultes servent de vecteurs à certaines maladies
5. La polyculture favoriserait la diminution des populations de chrysomèle. Concernant la chrysomèle rayée
du concombre, Duval souligne que « Bach (1980) a démontré que le fait de cultiver le concombre en
polyculture avec du maïs et du broccoli réduisait les populations de CRC de 10 à 30 fois par rapport à une
monoculture de concombre. Il semble que la polyculture avec ces deux espèces nuit aux déplacements de
l'insecte mais ne change rien à la colonisation des plants, la reproduction ou la prédation de l'insecte. La
densité des plants n'affecte pas le nombre de CRC que ce soit en monoculture ou polyculture ».
Rappelons que cette chrysomèle s’attaque aussi à la calebasse et à d’autres cucurbitacées.
La protection des calebasses contre certains déprédateurs comme la chrysomèle rayée peut se faire selon
des techniques biologiques, chimiques ou physiques.
Concernant la lutte biologique, les prédateurs de la chrysomèle sont les fourmis, les carabes et les oiseaux.
Des parasites comme des nématodes entomogènes permettent de contrôler la prolifération des larves.
Des extraits de plantes comme l’azadirachtine et la salannine sont toxiques pour la chrysomèle.
La lutte chimique utilise de kaïromones synthétiques qui imitent l’odeur de la cucurbitacine produite par les
fleurs. Mais aussi des insecticides répulsifs
Quant aux moyens de lutte physique, on peut noter la pose de grillages fins, mais aussi des tissus de fine
maille à retirer lors de la pollinisation.
Mais la dimension sociosystème ne se limite pas seulement à cultiver la plante et à la protéger. Il y a les
aspects économiques et les formes d’utilisation de la calebasse
Celle-ci est utilisée dans le monde entier à différentes fins : commerciale (du Mali vers le Sénégal pour
environ 2 milliards de F CFA/an), culinaires, médicinales, sacrés et artistiques. Les jeunes fruits tendres sont
utilisés comme légume et destinés à la consommation. Les fruits mûrs sont utilisés comme récipients. Leur
diamètre oscille entre 150 mm et 600 mm. En vidant le contenu, on obtient des ustensiles prêts à être
utilisés pour la cuisine et le transport de denrées. Elle sert de cuiller, de louche; Elle a d'autres fonctions :
baratte, gourde, écuelle, élément décoratif... Ces cuillers servent de mesures aux commerçants (troc) et aux
65
Jean Duval : La chrysomèle rayée du concombre.
92
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
vendeuses de lait caillé. Elle peut servir d’instruments de musique (kora, balafon, flûte, tambour, etc..) de
bijoux, de masques et d’objets décoratifs (lampe de chevet).
La calebasse avait aussi des usages thérapeutiques. Les vertus de la calebasse ne sont plus à démontrer
(voir ci-dessus).
Ce qu’on peut regretter aujourd’hui, au plan environnemental, c’est la concurrence énorme des sachets en
plastiques. Malgré certaines résistances liées à des faits culturels et cultuels, la calebasse est sérieusement
concurrencée en tant que récipient par le plastique.
Actuellement pour aller au marché, les femmes préfèrent utiliser des sachets plastiques. Or la dégradation
du plastique est très lente. En effet, il faudra environ 200 ans, c’est-à-dire huit (8) générations d’humains (25
ans) pour que le plastique qui nous utilisons soit dégradé. Il y a donc urgence à revoir nos modes de
consommations si nous voulons préserver un meilleur environnement pour nos descendants.
Compte tenu de l’importance de la calebasse dans la vie en Afrique, nous formulons les propositions
suivantes pour le développement de la culture de cette cucurbitacée.
1. Intensification des recherches sur la calebasse par des organismes de recherche comme l’IRD, l’ISE et
l’université
2. Mise en place d’une banque de gènes qui répertorie toutes les variétés de calebasse.
3. Développement d’un programme d’IEC et de promotion l’usage de la calebasse en vue de réduire l’usage
du plastique
4. Développement d’un marché sous régional de la calebasse (style marché de Diaobé au Sénégal).
5. Développement de réseaux des métiers de la calebasse
6. Développement de modules d’enseignement autour la calebasse et d’autres produits locaux propres.
IV Quelques directions de recherche et d’actions pédagogiques
Compte tenu de l’importance de la calebasse tant au plan environnemental, économique que culturel, il est
nécessaire de lui prêter une plus grande attention. Aussi pensons-nous que des recherches sectorielles
devraient être engagées ainsi qu’une recherche-action pluridisciplinaire et le développement d’un
programme parascolaire.
Au titre des recherches sectorielles, celles autour de la constitution d’une banque de gènes et de
l’agriculture durable semblent fondamentales. .
93
Mamadou Sarr
N° 20
Décembre
2015
La calebasse est cultivée dans beaucoup de pays subsahariens, du Sénégal jusqu’en Afrique du Sud. Elle
est aussi cultivée au Pérou. On rencontre plusieurs variétés : petites calebasse servant d’écuelles,
moyennes calebasse servant d’assiettes et de gourdes et grandes calebasses.
Quels effets auront les changements climatiques sur la biologie, l’environnement et la production de
calebasse ? Il est difficile à l’heure actuelle de répondre avec assurance à cette question. Mais il est
possible d’anticiper sur les problèmes futurs. D’où l’idée de banques de gènes, une réserve de capital
semencier et génétique pouvant aider à faire face. Cette banque de gènes serait un instrument pour étudier
les possibilités de résistances inhérentes aux ravageurs et aux maladies et de réduction de l’utilisation des
produits chimiques préjudiciables aux agriculteurs et à l’environnement.
66
La constitution de banques de gènes, entrepôt de ressources phyto-génétiques , pourrait donc offrir des
options futures dans l’agriculture durable de la calebasse dans un monde confronté au changement
climatique et serait une garantie d’assurance génétique pour les générations futures.
La conservation des semences dans des banques de gènes et les procédures de leurs manipulations
impliquent des connaissances sur la biologie et la physiologie des semences et leur comportement au
stockage. L’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) devenu Bioversity International
constitue une référence dans ce domaine.
Elles impliquent aussi la formation de personnel qualifié et des équipements adéquats. Une meilleure
connaissance et gestion de la biodiversité est à ce prix. L’Afrique de l’Ouest pourrait et devrait abriter un
établissement de banque de gènes non seulement pour la calebasse, mais aussi pour d’autres semences
endogènes.
Compte tenu du rôle joué par la calebasse et qu’il continue et continuera de jouer dans le quotidien des
populations ouest-africaines, un vaste programme de recherche et d’identification des variétés devrait être
engagé en vue de la constitution de cette banque de gènes. Ce programme impliquerait des institutions
comme l’Institut de recherche agronomique (ISRA), l’Institut de Recherche pour le développement (IRD), les
universités de la Sous-région.
La deuxième piste de recherche concerne l’agriculture durable de la calebasse. En effet, comme souligné
plus haut, il est difficile de prévoir les effets du changement climatique sur les variétés de calebasse et leurs
ravageurs. Il est, par contre possible, à l’heure actuelle, d’engager des recherches sur les possibilités
d’optimisation des associations culturales qui impliquent la calebasse et la lutte biologique.
66
N. Kameswara Rao et al (2006). Manuel de manipulation des semences dans les banques de gènes
94
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
Les associations culturales souvent rencontrées sur le terrain sont constituées des couples maïs/calebasse
ou mil/calebasse. Selon Bach (1980), la polyculture du concombre, une autre cucurbitacée, réduirait de 10 à
30 fois la population de chrysomèle rayée du concombre (CRC), principal ravageur de la plante, mais aussi
de la calebasse. Mais il précise « que la polyculture nuit aux déplacements de l'insecte mais ne change rien
à la colonisation des plants, la reproduction ou la prédation de l'insecte. La densité des plants n'affecte pas
le nombre de CRC que ce soit en monoculture ou polyculture ».
Le repérage des zones de polycultures de la calebasse et l’identification des associations culturales pourrait
être mené par plusieurs équipes de recherche dans divers pays sous la supervision d’un coordonnateur ou
d’un directeur de recherche. Des espaces pourraient aussi être aménagés en vue d’expérimentations qui
pourraient faire ressortir les meilleures possibilités d’associations. Les recherches seraient orientées sur la
nature des associations, les effets des associations sur l’environnement local (microclimat, enrichissement
en microorganismes du sol), sur la dynamique des populations de ravageurs (CRC) et les résistances aux
nématodes.
D’autres pistes de recherche peuvent aussi être explorées. La lutte biologique y prendrait une bonne place.
Elle consiste à utiliser des produits biochimiques ou des prédateurs des ravageurs dans la lutte contre ces
derniers. Il s’agit de méthodes propres sans dommage pour l’environnement et les agriculteurs.
L’azadirachtine et la salanine extraites des graines du nime (Azadiracta indica) sont réputées efficaces
67
contre la CRC. Le radis empêcherait les femelles de CRC de pondre . C’est pour dire qu’un vaste de
champ de recherche sur la calebasse peut être balisé et mené.
Outre les recherches de types scientifiques en laboratoire et in situ, des recherches de type social qui
impliqueraient les artistes actifs dans le secteur de la calebasse pourraient conduire à des résultats probants
sur la lutte contre les plastiques, un autre fléau de la modernité. La calebasse a toujours été utilisée comme
récipient. L’amélioration de sa portabilité serait un grand atout pour remplacer le plastique non
biodégradable. Des recherches pourraient être menées pour améliorer sa résistance à la casse, par le
durcissement de l’écorce. Il doit probablement exister des gènes qui commandent un tel caractère.
IV.1 Esquisse de recherche-action pluridisciplinaire
Objet de la recherche-action
L’objet de la recherche serait « la calebasse dans la modernité ». En d’autres termes, il s’agira de
rechercher les stratégies d’intensification de l’usage de la calebasse et d’incitation à une volonté politique de
prise en compte de la calebasse dans les politiques d’intégration ouest-africaines.
67
Jean Duval (1992. La chrysomèle rayée du concombre
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Mamadou Sarr
N° 20
Décembre
2015
La recherche-action porterait sur la géographie de la calebasse, les variétés de la calebasse, les usages de
la calebasse, les apports économiques de la calebasse, les politiques nationales en matière de culture de la
calebasse, les possibilités d’intégration sous-régionale autour de la calebasse.
Cette recherche-action comprendrait des enquêtes sur le terrain, des essais in situ ou en laboratoire, des
analyses chimiques et biochimiques, des moments de marketing, des phases de plaidoyer auprès des
populations et des décideurs
Participeraient à cette recherche-action agronomes, biochimistes, environnementalistes, économistes,
agriculteurs, artistes, consommateurs.
Les résultats attendus de cette recherche action sont, entre autres, une plus grande connaissance de la
calebasse, la mise sur pied d’une banque de gènes, la création d’emplois, la création d’un marché sous-
régional et l’intégration africaine.
96
Liens Nouvelle Série
Contribution à la connaissance de la calebasse : approche environnementale et vers une
recherche action.
IV. 2 Esquisse de programme transfrontier de formation sur la calebasse
L’importance de la calebasse dans l’économie et la culture africaine peut justifier l’élaboration d’un
programme de formation destiné à l’école élémentaire, mais aussi aux écoles d’ingénieurs agronomes. La
conception, l’élaboration et l’exécution de ce programme se feront sur la base d’un ensemble d’actions
planifiées au préalable autour de l’information, la sensibilisation, la communication et de la recherche-action.
Abstraction faite des finalités et buts, ce programme devrait cependant définir les compétences et les
objectifs spécifiques du programme, les démarches pédagogiques et didactiques, les cibles.
Ce programme serait destiné à des cibles diverses :
- d’abord, les élèves et les enseignants seraient les premiers bénéficiaires, si l’on se réfère rôle de vecteur
que peut constituer l’enfant auprès de ses parents, de sa famille et de son entourage ;
- ensuite, les écoles de formation d’ingénieurs agronomes ;
- enfin le grand public, dont surtout les agriculteurs, les artistes, le monde du commerce, des arts et du
tourisme.
5- Les thématiques
Le programme de formation pourrait s’organiser autour des modules suivants :
Module 1 : La biologie de la calebasse :
Module 2 : L’environnement de la calebasse
Module 3 : Les représentations sociales de la calebasse
Module 4 : Les métiers de la calebasse
Module 5. La calebasse et l’économie
6- Les stratégies de mise en œuvre
Il convient de souligner, entre autres, la formation des maîtres ou des animateurs du programme,
l’élaboration des supports et outils de communication.
Pour l’école, il s’agira du guide du maître et de manuels de l’élève, mais aussi d’autres supports comme les
affiches, les sketches, etc.
97
Mamadou Sarr
N° 20
Décembre
2015
Pour le grand public, des émissions radio ou télé seront organisées et planifiées à cet effet. Des films seront
réalisés ainsi que des affiches, des dépliants, des sketches, des calendriers, des jeux, des boîtes à images,
etc…
Le programme devra aussi intégrer l’élaboration d’un mécanisme de suivi et d’évaluation des actions et du
programme dans sa globalité, les stratégies de remédiation et l’élaboration d’un programme de rechercheaction pour nourrir les programmes d’enseignement
CONCLUSION
Cette contribution n’a pas la prétention d’avoir examiné l’ensemble des contours de la recherche action qui
pourrait être engagé autour de la calebasse. Elle propose seulement quelques pistes de réflexion qui, si
elles étaient empruntées, auraient pu grandement éclairer les enjeux et défis relatifs à l’insertion de la
calebasse dans la modernité, y compris la contribution à la lutte contre les effets des changements
climatiques, à la lutte contre la pauvreté et à la participation à l’intégration sous-régionale.
La calebasse constitue un véritable enjeu économique, mais aussi un enjeu dans la consolidation des
entités ouest-africaines en devenir (CEDEAO, UEMOA, OMVS).
Si elle sert en même temps « de sébile du mendiant et de vaisselles du roi », sa fonction sociale, culturelle,
cultuelle n’est plus à démontrer. Il est cependant utile de bien la connaître sur tous les aspects y compris
environnementaux et de la réhabiliter pour tirer le maximum de profit de ce don de la nature.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. CATANAS, Marc (2003) La recherche action ; http://www.cadredesante.com/spip/spip.php?article125
2. DUVAL, Jean (1994). La chrysomèle rayée du concombre Projet pour une agriculture écologique 12 p
3. RAO, N. Kameswara et al (2006). Manuel de manipulation des semences dans les banques de gènes
Biodiversity International. n° 8. 181 p
4. SARR, Mamadou (2008) : Contribution à la connaissance de la calebasse. Approche environnementale.
Symposium de la calebasse 10 p
5. SISSAO, Alain (2008). Une approche culturelle de la calebasse chez différents peuples du Burkina Faso
Symposium sur la calebasse 8 p
6. http://fr.wikipedia.org/wiki/Recherche-action consulté le 10 novembre 2008
7. UNESCO. Rapport de la Conférence mondiale sur l’environnement Stockholm, (Suède) 1972
8. USAID (2006). La filière pastèque en Guinée : situation actuelle et perspectives de développement des
exportations Rapport final 27 p
98
BADIANE Sidia. Diaouma., MBAYE Edmée. COLY Adrien. KANE Alioune
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« Gnei-gnei » et pharmacopée traditionnelle en Basse
Casamance (Sénégal): Leçons d’investigations sur le sacré et
la biodiversité
Résumé
La biodiversité est utilisée pour diverses applications dans plusieurs domaines de la vie humaine. Par leur
attachement à la nature et par le truchement des savoirs locaux, les communautés traditionnelles en BasseCasamance ont toujours trouvé dans celle-ci d’excellents remèdes aux problèmes de santé.
Les méthodes utilisées en médecine traditionnelle empruntent des approches magico-religieuses, mettant
en lien des pratiques mystiques ou secrètes dans l’emploi de la biodiversité comme moyen de soulager, de
guérir les personnes de plusieurs maux (physiques, moraux, mentaux, spirituels, etc.).
Les connaissances pharmacologiques résultent le plus souvent d’une transmission générationnelle,
répondant à un ensemble de normes et mécanismes traditionnels dont le côté sacré permet de sauvegarder
le secret et, en même temps, d’en limiter la diffusion. Ainsi, la perte de certains savoirs relatifs à la
pharmacopée traditionnelle semble imputée au refus de legs et pose le constat d’une érosion de la
biodiversité utilisée en médecine traditionnelle, en raison de l’ouverture au marché et de la recherche de
gain financier.
Cette contribution essaie de montrer que le secret gnei-gnei détenu par une catégorie de personnes
(tradipraticiens ou sociétés secrètes dans certains cas), est à la base de la faiblesse des stratégies de
conservation (traditionnelle ou moderne) des espèces végétales ayant des vertus médicinales et du déclin
du savoir médical traditionnel.
Mots clés : sacré, pharmacopée, biodiversité, plantes médicinales, Casamance, Sénégal
Abstract
Biodiversity is used for various applications in many areas of human life. By their commitment to nature and
through local knowledge, traditional communities in Lower Casamance have always found in it excellent
remedies to solve health problems.
Moreover, the methods used in traditional medicine borrow magico-religious approaches, by linking mystical
or secret practices in the use of biodiversity as a means to relieve, heal people from various diseases
(physical, moral, mental, spiritual, etc...).
Pharmacological knowledge most often result from a generational transmission, answering a set of
traditional norms and mechanisms that the sacred side saves and at the same time and limits the spread.
Thus, the loss of some knowledge related to traditional medicine seems to be related to the refusal of
legacies, and thus poses acknowledgement of an erosion of biodiversity used in traditional medicine, due to
the opening of the market and looking for financial gain.
This contribution tries to show that the "gnei-gnei" secret held by a class of people (traditional doctor or
secret societies in some cases), is the basis of the weakness of the preservation strategies (traditional or
modern) of plant species medicinal properties and the decline of traditional medical knowledge.
Keywords: sacred, medicines, biodiversity, medicinal plants, Casamance
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Terme diola (Kassa) qui renvoie dans le cadre de cette étude au secret.
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. Sidia. Diaouma BADIANE., Edmée MBAYE. Adrien COLY. Alioune KANE
N° 20
Décembre
2015
INTRODUCTION
Les pratiques médicinales de la majeure partie de la population en Casamance comme dans la plupart des
zones rurales, sont fondées sur l’utilisation « spontanée » des plantes ou le recours à un tradipraticien. Il
existe, dans les communautés traditionnelles et modernes, une forte empreinte de la biodiversité dans la
médecine populaire, avec une prééminence des savoirs endogènes. La pharmacopée s’associe chez les
peuples de la Basse Casamance à la notion de « gnei-gnei », secret qui entoure la connaissance des
tradipraticiens.
L’utilisation des plantes à des fins thérapeutiques est régie par un environnement socioculturel, mais aussi
phytobiologique, déterminant l’adoption de la « santé verte » dans les modes de soin des populations
locales.
Malgré les avancées de la médecine moderne et l’existence de structures de santé, les populations
fréquentent « l’hôpital du bois sacré » puisqu’elles gardent encore leur savoir médical souvent hérité des
ancêtres et continuent à l’utiliser.
Cependant, une perte des savoirs locaux affecte aussi bien la phytothérapie que sa base : la biodiversité. La
réduction des personnes détentrices des savoirs présage d’un affaiblissement de la pratique de la médicine
traditionnelle..
L’objectif de cette réflexion est de mettre en exergue, dans un premier temps, le rapport entre les savoirs
traditionnels (avec l’empreinte du sacré) et l’utilisation des plantes dans le domaine de la médicine populaire.
Dans un second temps, il s’agit d’analyser les pratiques de la médecine traditionnelle souvent associées à la
médecine moderne.
L’étude a intéressé essentiellement la Basse-Casamance, notamment autour d’Oussouye (extrême sudouest du Sénégal).
100
Liens Nouvelle Série
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« Gnei-gnei » et pharmacopée traditionnelle en Basse Casamance (Sénégal): Leçons
d’investigations sur le sacré et la biodiversité .
Figure 1. Zone d’étude
Le district phytogéographique d’Oussouye est centré autour de la ville du même nom. Cette zone forestière
est marquée par des formations sub-guinéennes. L’importance de la diversité biologique se traduit par des
usages multiformes.
A travers des investigations réalisées durant plusieurs séjours de recherche dans la zone, des informations
ont été collectées et servent de base de réflexion pour cette contribution.
I. METHODOLOGIEe
L’étude du lien biodiversité et santé a utilisé différentes méthodes qui, combinées, permettent une
cartographie et une analyse du rapport que les populations entretiennent avec la nature. L’inventaire des
espèces végétales a été d’abord fait, puis l’étude s’est orientée vers une approche ethno botanique.
I.1. Etude de la diversité végétale utilisée en médicine traditionnelle
Différents inventaires successifs (2005, 2006, 2008, 2010) ont constitué une base de référence du
diagnostic de la biodiversité. Ce diagnostic a permis d’apprécier la place de la biodiversité végétale dans les
usages médicinaux de la zone.
L’inventaire a concerné les localités d’Oussouye, Kalobone, Boukitingho, Siganar, Effoc, Emaye qui
s’inscrivent tous dans le district phytogéographique d’Oussouye (tableau 1).
69
Terme diola (Kassa) qui renvoie dans le cadre de cette étude au secret.
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. Sidia. Diaouma BADIANE., Edmée MBAYE. Adrien COLY. Alioune KANE
N° 20
Décembre
2015
Tableau 1. Cadre analytique de l’inventaire de la biodiversité
Sites
Forêts Oussouye
Forêts royale Kalobone
Forêts Effoc
Forêts Boukitingho
Forêts Siganar
Forêts Emaye
Coordonnées de site
X
16°32'28.24"O
16°32'40.85"O
16°31'41.81"O
16°35'37.39"O
16°31'28.09"O
16°34'14.33"O
Y
12°29'12.88"N
12°29'35.79"N
12°24'31.95"N
12°25'49.18"N
12°26'10.24"N
12°26'49.60"N
Observation
2005, 2 006, 2008
2005, 2006, 2008
2008
2010
2010
2010
L’inventaire des espèces ligneuses a été effectué par la méthode des placettes. Les sites ont été choisis à
partir d’une feuille cartographique (IGN, 1957) et confirmés par une vérification sur le terrain. Sur les
différents sites, la méthode a consisté à définir des dispositifs (placettes carrées de vingt cinq mètres de
côté). Le principe est d’inventorier tous les individus essentiellement ligneux au sol, dans les limites de l’aire
définie.
I.2. Enquêtes sur l’érosion des savoirs endogènes
L’étude sur l’érosion des savoirs s’appuie sur une enquête ethnobotanique pour recueillir les avis des
populations locales sur les pratiques de soins, ainsi que sur les biens et services socioéconomiques et
écologiques des plantes.
L’enquête ethnobotanique permettant d’identifier les espèces végétales fréquemment utilisées par les
populations locales, a été faite par l’UICN en 2011. Dans la liste des plantes répertoriées, l’ensemble des
arbres utilisés en médecine traditionnelle a été relevé. Une fiche, élaborée à cet effet, est utilisée pour
renseigner les formes d’utilisation des plantes.
Un autre aspect de la démarche a été de prospecter les savoirs médico-traditionnels. Il est avéré qu’une
catégorie de personnes détient les connaissances pharmacologiques. Une enquête populaire et un entretien
auprès de certaines personnes ressources, ont été faits dans le but de collecter des informations pertinentes
sur l’exploitation des plantes médicinales. Il a fallu alors analyser le mécanisme de legs des savoirs locaux
dans le domaine de la médecine traditionnelle.
I.3. Le recours à la médecine moderne
Pour illustrer l’association de la médecine traditionnelle et moderne, une exploitation des données
de
consultation au Centre de santé d’Oussouye a été entreprise. Cette approche aide à faire la corrélation entre
les motifs de consultation et la prise en charge réelle de certaines pathologies, en partant de l’hypothèse que
les patients commencent le traitement chez le tradipraticien et finissent par l’hôpital quand la maladie
persiste ou vice-versa.
II. RESULTATS
Les plantes en Casamance se situent dans un contexte paradoxal car le levier de leur préservation semble
être le déterminant de leur perte. Il semble qu’il y ait un abandon progressif de certains usages dont la
médecine traditionnelle.
II.1. Lien biodiversité et médecine traditionnelle, un intérêt pharmacologique réel
102
Liens Nouvelle Série
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« Gnei-gnei » et pharmacopée traditionnelle en Basse Casamance (Sénégal): Leçons
d’investigations sur le sacré et la biodiversité .
Les plantes utilisées par les populations pour se soigner sont nombreuses, précieux auxiliaires dans le
traitement de diverses pathologies (les dermatoses, le paludisme, les hémorroïdes, la jaunisse, les
conjonctivites, etc.). La pharmacopée occupe ainsi une place de choix dans les services fournis par les
plantes (figure 2). Elle arrive en deuxième position (20%) des usages à égalité avec le bois, derrière les
besoins alimentaires, (UICN, 2011).
Figure 2 : Services fournis par les plantes
La variété des essences végétales prisées pour leur vertu médicinale renseigne sur le nombre de
pathologies traitées. Parmi les essences forestières fournissant des produits médicaux figurent : Khaya
senegalensis, Bridelia ferruginea, Combretum micranthum, Alchornea cordifolia, Nauclea latifolia,
Newbouldia laevis, Annona senegalensis, Guiera senegalensis, Azadirachta indica, etc.
Plusieurs plantes ont été retrouvées lors des séries d’inventaire floristique et d’enquête ethnobotanique
(Badiane, 2005). La plupart de ces plantes ont été étudiées par Kérharo et Thomas (1962), Senghor (2000).
Les parties des plantes habituellement prélevées sont les feuilles, les tiges, les écorces, les fruits et les
racines. Chaque partie a des propriétés et la préparation des médicaments est spécifique.
A l’état frais, ces parties peuvent être bouillies ou pilées pour produire une macération. De même, elles sont
séchées puis transformées en poudre.
Tableau 2 : Utilité de quelques espèces
Nom scientifique
Espèces (nom local
Usages
diola)
Alimentation
Dialium guineensis
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Bu fulane
Bois
Clôture
Pharmacopée
Terme diola (Kassa) qui renvoie dans le cadre de cette étude au secret.
103
Parties utilisées
Fruits
Feuilles
Tronc/tige,
Tronc/tige
Feuilles
Nom scientifique
Espèces (nom local
Usages
diola)
Parties utilisées
Salacia senegalensis
Bu leul
Ecorce
Fruits
Feuilles
Alimentation
Pharmacopée
Cassia sieberiana
Bu cingcing
Nauclea latifolia
Bundufeul
Ritchiea capparoïdes
Bunana amata
Faidherbia albida
Bu bilik (Kad )
Parinari macrophylla
Bu ŋafaye
Carapa procera
Bu kunum
Bois
Pharmacopée
Alimentation
Bois
Pharmacopée
Alimentation
Pharmacopée
Bois
Combustion
Fourrage
Pharmacopée
Alimentation
Bois
Pharmacopée
Bois
Pharmacopée
Clôture
Ecorce
Racine
Tronc/tige
Racine
Fruits
Tronc/tige
Fruits
Fruits
Tige
Tronc/tige
Tronc/tige
Feuille, fruits
Racine, fruit, écorce
Fruits
Tronc/tige
Fruits
Tronc/tige
Racine
Fruits
Ecorce
Tronc
Diverses applications médico-magiques des plantes ont été découvertes chez les Diola (Senghor, op. cit.
p.6). A titre d’exemples, on peut citer :
•
Ficus lecardii (Moracée), bufok, dont le macéré des racines est utilisé en boisson et en bain, matin
et soir, pour prévenir les accidents, les graves maladies et toute sorte de problèmes.
•
Le rameau de Gardenia triacantha (Rubiacée), bukokay, est accroché au mur de la porte d’entrée
de la maison, contre les sorciers et les mauvais esprits.
•
La grande toxicité des graines d’Aphania senegalensis (Sapindacée), Buhl, est unanimement
reconnue. En Basse Casamance, le macéré d’écorce administré en boisson et en bain est considéré
comme préventif et curatif des morsures de serpents. Il est également prescrit comme préventif
antimigraineux, tandis que le macéré de feuilles pilées est donné aux enfants comme vermifuge.
•
Carapa procera (Méliacée), bu kunum, réputée pour ses grandes vertus médicinales, est la plante
miracle chez les Diola puisqu’on la retrouve dans divers traitements thérapeutiques ; le macéré
d’écorce en boisson est employé pour le traitement des parasites intestinaux. L’huile extraite des
graines possède un grand pouvoir de soulagement des douleurs musculaires, de la toux, du
rhumatisme, etc.
Tableau 3: Espèces à vertu médicinale et pathologies traitées
Espèces
Khaya senegalensis
Spondias mombin
Pathologies traitées
Fièvres paludéennes
Maladies oculaires
Combretum micranthum
Cola cordifolia
Toux, Bronchites
Abcès
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Liens Nouvelle Série
« Gnei-gnei » et pharmacopée traditionnelle en Basse Casamance (Sénégal):
Leçons d’investigations sur le sacré et la biodiversité .
Dialium guineensis
Annona senegalensis
Carapa procera
Fatigue
Diarrhées, Hémorroïde
Parasites intestinaux
II.2. Erosion des savoirs endogènes, le problème du remplacement des sages
La perte des connaissances traditionnelles est imputable à trois facteurs : l’introduction des religions
révélées, l’éducation moderne et le changement de modes de vie. Les pratiques culturelles n’ont plus, dans
certaines localités, la même valeur que par le passé. Le traditionnel commence à muter, les générations
nouvelles ont une connaissance insuffisante des savoirs locaux. D’ailleurs ces savoirs s’estompent à mesure
que les dépositaires, souvent des personnes âgées, décèdent en emportant leurs secrets...Le phénomène
peut être illustré à travers les mécanismes de transmission des savoirs locaux. La récolte des plantes
médicinales n’est, en effet, une activité pratiquée chez les Diola que par une poignée de personnes. Les
tradipraticiens sont reconnus grâce à leur longue expérience de la pratique de la médecine traditionnelle
dans leurs villages respectifs (figure 3).
Figure 3 : Localisation de quelques tradipraticiens dans le département d’Oussouye
L’exploitation des plantes médicinales tient compte de certaines règles traditionnelles que les nouvelles
générations ne connaissent pas totalement, les lieux de récolte non plus ! Le savoir linguistique de la flore
n’est pas transmis aux jeunes qui ne connaissent pas la nomenclature vernaculaire.
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. Sidia. Diaouma BADIANE., Edmée MBAYE. Adrien COLY. Alioune KANE
N° 20
Décembre
2015
On assiste à la disparition progressive des connaissances traditionnelles en phytothérapie, la toile de fond
de l’exploitation rationnelle des ressources végétales. On s’achemine vers un bouleversement dans l’usage
des plantes médicinales.
II.3. Déclin des pratiques traditionnelles ou le recours systématique à l’hôpital
Les insuffisances de la médecine traditionnelle seraient également à l’origine de l’engouement actuel pour la
médecine moderne. En effet, un vaste courant d’opinion est très critique à l’égard des pratiques médicinales
traditionnelles. Les pratiques thérapeutiques traditionnelles sont parfois assimilées au charlatanisme.
Le recours systématique au système de santé moderne procède en plus de l’accès facile aux structures
sanitaires, la proximité joue un rôle déterminant dans leur fréquentation, sans oublier la rémanence de
maladies difficilement curables par les méthodes traditionnelles.
Les complications médicales graves, dont le traitement nécessite un diagnostic clinique (test, analyse, etc.),
obligent les populations à s’adresser à l’hôpital, même pour le paludisme.
Les efforts de sensibilisation ont fait reculer de façon significative les pratiques populaires de médecine
traditionnelle. Plusieurs programmes de santé (en particulier le Programme Santé/Santé Communautaire PSSC) incitent les populations à recourir à la médecine moderne. La promotion de la santé communautaire
semble être le facteur principal d’abandon de la thérapeutique traditionnelle.
Les données de consultation au centre de santé d’Oussouye révèlent que la majorité de la population de
cette localité a recours à la médecine moderne. Cette tendance se justifie, pour certains, par le fait que la
médecine moderne est plus efficace : la maladie est diagnostiquée par des professionnels avant un éventuel
traitement, une ordonnance est prescrite, le dosage indiqué pour la prise des médicaments, ce qui n’est pas
souvent le cas en médecine traditionnelle où les procédés émanent d’un diagnostic entouré de secret et
l’administration des médicaments prend parfois l’allure d’actes rituels, symboliques ou magiques.
L’influence de la modernité est un facteur de changement de comportement des populations. Selon une
enquête réalisée par Djikoune (2008) dans le district sanitaire d’Oussouye, 97,9% de la population ont
recours à la médecine moderne dans les cas de maladies comme le paludisme et la fièvre (figure 4). Les
résultats de l’enquête concordent avec les données exploitées à partir des registres de consultation de 2008.
Figure 4: Fréquentation du centre de santé d’Oussouye selon les pathologies
106
Liens Nouvelle Série
71
« Gnei-gnei » et pharmacopée traditionnelle en Basse Casamance (Sénégal): Leçons
d’investigations sur le sacré et la biodiversité .
D’abord, les motifs de consultation au centre de santé d’Oussouye vont des maladies bénignes aux plus
graves. Le paludisme et la fièvre représentent la majorité des cas (32% des cas annuels), suivi des maladies
respiratoires (22%), des gastrites, des dermatoses et un nombre important d’affections non classées. La
plupart des pathologies sont diagnostiquées et traitées efficacement.
Par contre, il existe un grand nombre de pathologies pour lesquelles les populations explorent d’abord les
voies de la médicine traditionnelle, avant d’aller dans une structure de santé moderne, en cas d’aggravation
de la maladie. L’attitude de la population dans ce cas est déterminée par l’état de gravité et relève parfois
d’une perception populaire pour laquelle l’hôpital représente le dernier recours. Dans les milieux à traditions
fortes, le réflexe d’un malade est de se soigner à domicile avec quelques solutions médicamenteuses à base
de plantes.
Si pour certains, le recours immédiat aux soins de santé dans les services de santé modernes est limité par
la faiblesse des moyens économiques, d’autres, par contre, estiment que l’éloignement des structures de
santé pose un problème d’accès. Toutefois, ce facteur limitant s’estompe, ce qui donne une plus grande
place à la médecine moderne. La phytothérapie traditionnelle est sollicitée par la population qui, en même
temps se tourne de plus en plus vers la médecine moderne.
III. DISCUSSION
Le (secret) Gnei-gnei pratiqué en Basse Casamance est un mode de transmission des savoirs très sélectif
qui a un côté pervers pouvant menacer dans une certaine mesure les fondements de la conservation de la
biodiversité.
III. 1. Un mode restrictif de transmission des savoirs en médicine traditionnelle
Les connaissances empiriques ne facilitent pas un bon usage des plantes en médecine traditionnelle ; les
pratiques thérapeutiques traditionnelles sont en outre considérées comme relevant de la magie et de
l’occultisme. Il se pose un problème de fond sur l’efficacité de cette médecine douce : la plante peut-elle
guérir si le tradipraticien ne mobilise pas ses connaissances secrètes ? On ne peut comprendre la médecine
traditionnelle sans s’intéresser aux plantes et aux rituels qui président à leur récolte.
Le domaine de la pharmacopée traditionnelle relève du don divin selon certains tradipraticiens. Ce don de
guérir par les plantes peut être transmis de bouche à oreille ou être reçu en rêve. Le pouvoir et le don des
tradipraticiens sont jalousement gardés d’où la difficulté à perpétuer systématiquement les pratiques, à
donner la possibilité à d’autres générations d’exercer, puisque le don ne se transmet pas automatiquement.
III. 2. Le secret, un revers du sacré dans la conservation des plantes médicinales
Les stratégies de conservation perdent de leurs forces dans un espace traditionnel voué au sacré. Faizang
(1981) reconnaît, ainsi, qu’au niveau de la tradithérapie, le rationnel n’est pas donné comme tel, isolément, il
s’appuie sur le sacré, le mythe. Cette assertion montre que la médecine traditionnelle s’opère dans un
champ secret qu’il n’est pas donné à n’importe qui de transcender. Seules les personnes détenant le secret
(initié à la pratique de la médecine traditionnelle) peuvent s’en servir. Cependant, le mode de transmission
du secret s’étiole sous l’effet de facteurs multiples (brassage culturel, urbanisation, modernité, etc.). La
71
Terme diola (Kassa) qui renvoie dans le cadre de cette étude au secret.
107
. Sidia. Diaouma BADIANE., Edmée MBAYE. Adrien COLY. Alioune KANE
N° 20
Décembre
2015
régression des savoirs attachés aux plantes médicinales est étroitement liée à l’affaiblissement des
mécanismes de régulation sociale qui présidaient à l’usage des plantes médicinales. Autrement dit, les
cadres socioculturels « traditionnels » de transmission des secrets ont perdu de leur pertinence auprès des
populations locales qui, en fonction du contexte social, réagissent différemment aux nouveaux défis. La
rétention des connaissances, dans ce domaine, est une menace à la conservation des plantes puisque la
transmission des savoirs n’est pas systématiquement assurée. Les mutations sociales multiples ont des
répercussions sur le modèle ethnobotanique de conservation de la biodiversité.
L’évolution sociale fait que la société se détourne des usages traditionnels et privilégie L’exploitation à but
commercial est privilégie. Il est constaté aujourd’hui le développement d’une filière dans le marché local et
national des produits de la pharmacopée traditionnelle. La cueillette des plantes médicinale devient
l’apanage de gens qui n’ont pas les connaissances requises. Cela accroît la perte de la diversité biologique.
CONCLUSION
Comme pour de nombreuses sociétés traditionnelles, le sacré pénètre tous les domaines de la vie. Cet
article apporte une réflexion sur le lien entre le sacré et la pharmacopée traditionnelle en Basse-Casamance,
chez les Diola où l’utilisation judicieuse des plantes pour fabriquer des remèdes a été longtemps
expérimentée par les populations locales. Les savoirs, reçus de façon divine (par l’entremise de dieux, de
fétiches, de génies, de démons, d’esprits des morts, etc.) étaient transmis oralement pendant longtemps. Le
sacré restait donc prégnant dans le système de santé communautaire traditionnel, basé sur le secret et le
rituel accompagnant la pharmacopée traditionnelle.
Les populations se tournent de plus en plus vers la médecine moderne, mais la pharmacopée traditionnelle
connaît un regain d'intérêt, comme alternative aux problèmes de soins et d'accessibilité aux médicaments.
Cependant, ce regain d’intérêt est affaibli par l’érosion des savoirs locaux et de la biodiversité. Le sacré
reste tout de même un mécanisme efficace pour soulager plusieurs pathologies et qui mérite d’être valorisé.
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108
Liens Nouvelle Série
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Casamance. Rapport d’étude. 269 pages.
72
Terme diola (Kassa) qui renvoie dans le cadre de cette étude au secret.
109
Moussa FALL
La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la
problématique de l’inclusion sociale et scolaire des personnes
handicapées.
Résumé
Le concept de discursivisation prend en charge l’ensemble des procédures qui consistent à transposer dans
différents types de discours relatifs au handicap des stigmates et des stéréotypes de façon consciente ou
inconsciente pour autant que ceux-ci se développent à l’encontre de l’inclusion sociale et scolaire. Ainsi, cet
article traque le processus d’enchâssement et/ou d’emboîtement de segments textuels ou discursifs
discriminatoires et parfois blessants dans des ethno-textes (proverbes, dictons, textes littéraires, etc.) et
dans le discours quotidien relatif aux interactions sociales ordinaires (conversations, commérages, discours
du psychothérapeute et du charlatan).
Pour ce faire, il est d’abord question de l’archéologie du handicap qui permet de suivre l’évolution et
l’ancrage des représentations sociétales inhérentes au sujet. Ensuite, une analyse des types de discours
tente d’approfondir en contexte la connotation des stigmates, des stéréotypes, des représentations et le
fondement des croyances et leurs effets pervers. Enfin, il est proposé des pistes de réponses en abordant
des stratégies de communication avec des personnes handicapées pour neutraliser fondamentalement les
stigmates en cours de nos jours, tout en créant de nouveaux paradigmes de perception du handicap pour
réussir l’inclusion sociale et scolaire ainsi que l’autonomisation des personnes handicapées.
Mots-clés : discours, connotation, perception, représentation, personne handicapée, stigmates, énoncé,
inclusion, autonomisation, image de soi, discrimination, violence.
110
N° 20
Moussa FALL
Décembre
2015
INTRODUCTION
Aborder la question du handicap, aux plans de l’éducation inclusive, de l’inclusion sociale ou de
l’autonomisation, c’est entrer dans la complexité de processus où interviennent différents facteurs d’ordre
psychologique, sociétal,
environnemental, médical et linguistique en interaction. C’est dire que la
problématique est globale et demeure un enjeu de société. Déjà, l’Organisation des Nations unies avait
déclaré 1981, Année internationale des personnes handicapées. Ainsi, pour mieux promouvoir la personne
en situation de handicap dans les politiques et programmes de ses membres, les Nations unies avaient
également déclarée 1983-1992, décennie des personnes handicapées. Si cette décennie a enregistré en
Occident des avancées considérables parmi lesquelles on peut noter : l’information et la sensibilisation sur la
problématique du handicap, la création de plusieurs organisations et structures de promotion et d’inclusion
des personnes handicapées, la baisse de la stigmatisation des personnes handicapées grâce à l’adoption
des Règles standards pour l’égalisation des chances, en Afrique au sud du Sahara, les effets positifs, voire
les avancées sont encore timides. Aux sources de ce retard, les représentations négatives et stigmatisantes
sur le handicap qui affleurent encore dans différents types de discours.
Nous nous proposons d’analyser dans cet article le fonctionnement linguistique et discursif des stéréotypes
relatifs au handicap en Afrique pour traquer les impacts négatifs qu’ils pourraient avoir sur le plan de
l’inclusion et de l’autonomisation des personnes en situation de handicap. En effet, le vocabulaire que nous
utilisons, les clichés que nous reprenons souvent de façon inconsciente reflètent les attitudes et les
représentations que nous adoptons et développons à l’endroit des personnes handicapées. Or, pour
accéder à nos propres représentations individuelles, les comprendre, les faire évoluer, il est indispensable,
voire pédagogique de nous dissocier de celles-ci et de les analyser, les évaluer afin de les transformer
positivement. Pour ce faire, nous pisterons le processus d’enchâssement et/ou d’emboîtement de segments
textuels ou discursifs dans des ethno-textes (proverbes, dictons, textes littéraires dont principalement le
genre romanesque, etc.) et dans le discours quotidien relatif aux interactions sociales ordinaires sur le
handicap (conversations, théâtre, commérages, film, discours du psychothérapeute et du charlatan).
Étant donné l’ancrage social de cette étude, nous adoptons, dans un premier temps, une perspective
diachronique visant à saisir l’évolution
historique et le fondement sociologique des énoncés et des
représentations sur le handicap. Nous nous attachons, dans un deuxième temps, à faire émerger la
connotation péjorative des discours sur le handicap à travers l’épaisseur lexicale et sémantique des énoncés
et des représentations sur le handicap, les associations et les effets de sens permettant d’amorcer les
éléments nécessaires à l’analyse discursive. Du point de vue théorique, nous nous adossons aux théories
73
et aux réflexions relatives à la pragmatique et aux actes du langage . Nous savons aujourd’hui, plus que
jamais, que le langage ne sert pas seulement à décrire et à dire le monde ; il permet d’agir sur celui-ci et de
le transformer. Le langage a et est un pouvoir. Stigmatiser, c’est exercer une forme de violence ; les
personnes handicapées sont victimes d’un vocabulaire qui les blesse et engendre de la souffrance. Enfin,
73
Austin J. L., (1970), Quand dire, c’est faire, Paris, Ed. du Seuil.
Il considère que proférer un énoncé, c’est à la fois réaliser :
Un acte locutoire, c’est-à-dire produire une suite de sons dotée d’un sens ;
Un acte illocutoire, c’est-à-dire produire un énoncé auquel est attaché une certaine force comme dans la question, l’ordre, le
sermon, la menace ;
Un acte perlocutoire, c’est-à-dire provoquer des effets dans la réalité au moyen de la parole, par exemple, questionner pour
interrompre ou embarrasser le destinataire.
111
Liens Nouvelle Série
. La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la problématique de l’inclusion
sociale et scolaire des personnes handicapées
les conclusions de cette étude portent sur les enjeux argumentatifs et les retombées sociales de la
déconstruction des discours en termes d’évolution des représentations sur le handicap et d’émergence d’un
74
lexique positif . Autrement dit, il s’agit de proposer des pistes de réponses en abordant des stratégies de
communication avec des personnes handicapées
pour neutraliser fondamentalement les stigmates en
cours de nos jours, tout en créant de nouveaux paradigmes de perception du handicap pour réussir
l’inclusion sociale, l’éducation inclusive ainsi que l’autonomisation des personnes handicapées.
I.
ARCHÉOLOGIE DES PERCEPTIONS SUR LE HANDICAP
Il nous semble nécessaire de faire l’archéologie du handicap pour bien voir l’ancrage ou la sédimentation
des perceptions sur le handicap. Cette incursion dans l’histoire et le social permet, sans doute, de bien
comprendre la prégnance des stéréotypes et du lexique à connotation péjorative associés au handicap.
De tous temps, les sociétés ont cherché à comprendre et à expliquer la source ou la cause du handicap.
Pour Aurore Chanrion
75
, « Des théories populaires, culturelles, découle la manière dont on considère et
traite les personnes handicapées, notamment en fonction de l’origine supposée de la déficience…
Inconsciemment, nous en gardons tous une trace. » Il a donné quelques repères historiques assez
significatifs.
Dans l’Antiquité, il y avait des constructions sociales sur le handicap, où la difformité est le signe de la colère
des « dieux » à l’égard des hommes. « Pour se protéger, une solution : le rejet, l’abandon, l’exposition afin
que les dieux reprennent la vie de ceux qui ont subi leur courroux et qui annoncent des catastrophes. » Il y
eut même des traitements différenciés en fonction des perceptions du type de handicap : « la difformité
congénitale est exposée, rendue aux dieux, la maladie mentale est cachée, mais non exclue – on lui attribue
parfois un sens divin-, et les maladies et infirmités acquises sont soignées, traitées et prises en charge par
l’obole publique », précise Aurore Chanrion.
Au Moyen-Âge, si les pauvres, les voleurs et les handicapés sont assimilés dans la catégorie des indigents,
ils n’en demeurent pas moins une menace « parce qu’ils peuvent attaquer à tout moment les citoyens qui
ont ce qu’il faut pour vivre ». Au cours de cette période, et même au-delà, le handicap de naissance est
attribué à la faute et au châtiment divin.
Du XVIe au XIXe siècle, avec l’avènement de la médecine, il y a eu un changement de paradigme avec la
découverte des mécanismes de l’hérédité et de la contagion. Désormais, on commençe à culpabiliser les
parents, qui sont considérés comme responsables des problèmes de leurs enfants, en raison des liens de
filiation.
En Allemagne, l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en 1934, constitue un tournant dramatique dans la stigmatisation
des handicapés : les malades mentaux sont assassinés, parce qu’ils mettent en péril la pureté de la race,
74
En décembre 2014, nous avons dirigé une « Etude qualitative pour recueillir des données sur l’expérience des personnes
handicapées et de leurs familles en vue d’avoir une meilleure compréhension des instruments et des barrières à l’éducation et à
l’inclusion sociale au Sénégal »pour le compte de Sightsavers. Lors de cette recherche, nous avons rencontré un septuagénaire
aveugle qui nous donnait le conseil de manipuler avec prudence les termes à utiliser en nous adressant à des personnes handicapées.
Pour lui, certains termes provoquent le repli de la personne handicapée sur elle-même comme un mille-pattes égratigné qui se
recroqueville. C’est par exemple l’emploi de « gumba » à la place de « silmaxa » pour désigner l’aveugle dans la principale langue
véhiculaire au Sénégal, le wolof. Cette conversation a été un déclic pour nous intéresser à l’analyse linguistique des discours sur le
handicap.
75
Chanrion A. (2006), Une Souris Verte… pour la Courte Echelle, Formation A.V.S.
112
N° 20
Moussa FALL
Décembre
2015
considérée comme le modèle. Les théories sur la suprématie de la race arienne sont mises en œuvre par un
corps d’artistes et d’architectes à la solde du régime, dont Adolf Wissel, Arno Breker et Albert Speer. Celui-ci
se distingue par ses grandes toiles de facture réaliste représentant de robustes journaliers bavarois au
travail. Arno Breker, lui, parodiant des statues gréco-romaines, se focalise dans ses compositions sur des
figures de vigoureux ouvriers et athlètes. Devant un tel idéal, l’infirmité apparaît comme une tare.
En Afrique, nous retrouvons à peu près les mêmes constructions mentales sur le handicap. Il est considéré
dans certaines sociétés africaines comme l’incarnation d’un Être maléfique dans un corps humain ; alors,
76
ces êtres sont exorcisés par les charlatans et sont craints par les populations. Dans Le Monde s’effondre ,
on considère les jumeaux comme des êtres de malédiction qu’il faut exposer : laisser à l’abandon,
77
supprimer. C’est le même réflexe de rejet et d’abandon qui est développé à l’égard de la phocomélie . Dans
de nombreuses sociétés africaines, les phocomèles sont considérés comme des monstres qu’il faut garder
dans des arrière-cours, au secret du voisinage. En effet, en milieu africain, où on cultive le culte de l'enfant
parfait, la phocomélie est vécue comme un drame en réponse à la colère des ancêtres ou des dieux. Cette
conception a pour conséquence une culpabilisation accrue des parents et le désir d'élimination de ce «
nouveau-né porte-malheur ». C’est parce que dans l’imaginaire africain, l’endurance physique comme force
de travail a de la valeur : en conséquence, l’enfant doit d'être physiquement intact à la naissance car il est
un reflet et un espoir de la communauté.
Pour bien comprendre la prégnance et la persistance des représentations, il est important de rechercher
comment elles sont élaborées au plan individuel. Comment influencent-elles nos réactions et nos attitudes
dans la relation à l’autre ? A ce niveau de l’analyse, la place de la perception semble être fondamentale ; en
effet, comme nous l’enseigne la programmation neurolinguistique
78
: la carte n’est pas le territoire. Notre
perception du monde (carte) est subjective et correspond partiellement à la réalité (Territoire). Notre
perception résulte de nos « filtres », de nos « croyances », et de nos « sens». L’idée que nous nous faisons
d’une situation n’est pas la situation. Au demeurant, la perception que nous en avons va influencer la
manière dont nous allons gérer cette situation. Souvent, on ne réalise pas combien notre perception du
monde influe sur notre vie. Depuis notre naissance, nous créons et développons inconsciemment des
automatismes comportementaux (comme des programmes informatiques) ainsi que des représentations et
dans un contexte donné nous reproduisons des comportements répétitifs et nous en parlons d’une certaine
façon. Ainsi, quand on stigmatise quelqu’un, on a tendance à lui attribuer toute une série d’incapacités :
vulnérabilité, faiblesse, besoin d’aide, incapacité, etc. C’est dans nos attitudes et notre discours que se crée
véritablement le handicap social, peut-être le plus difficile à vivre car nous avons tendance à rappeler à
l’autre qu’il est différent de nous en lui collant cette étiquette de « handicapé », « une personne qui n’est pas
une personne à part entière », qui l’enferme et le maintient dans cet « entre-deux », dans une situation
d’assisté, d’incapable, dans un « no man’s land ».
76
Achébé CH., (1966), Le monde s’effondre, Présence Africaine.
Phocomèle : Selon le Larousse, c’est un « monstre dont les mains et les pieds semblent s’insérer directement sur le tronc. »
Pourtant des phocomèles ont eu à se réaliser dans la vie. C’est le cas de Nick Vujicic, à consulter sur le site : Film_Phocomélie_leçon
de vie.
78
C’est un processus de communication qui a été formalisé dans les années 1970 par deux chercheurs américains, Richard Blandler et
John Grinder, sous le nom de PNL: programmation neurolinguistique.
77
113
Liens Nouvelle Série
Dans une étude
79
. La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la problématique de l’inclusion
sociale et scolaire des personnes handicapées
que nous avons réalisée à l’intérieur du Sénégal, nous avons eu l’opportunité de
rencontrer des personnes handicapées dont un aveugle qui évoqué la connotation que contient tel ou tel
terme désignant le handicap. Un autre handicapé moteur, agent dans une structure publique, s’est confié à
nous en regrettant que l’empathie que les gens manifestent à son endroit lui rappellent constamment une
situation d’ « anormalité », d’« étrangeté » par leurs petits gestes, du genre : « Ne te déplace pas, je
t’apporte le dossier », « C’est lourd pour toi », « C’est risqué pour toi », etc. Ces types d’énoncés deviennent
blessants lorsqu’ils dévoilent des stéréotypes et des clichés dévalorisants. C’est ce lexique et ces discours
que nous cherchons à traquer dans notre corpus pour les analyser.
II.
ANALYSE DISCURSIVE DES STÉRÉOTYPES RÉDUCTEURS DU HANDICAP
1.
Présentation du corpus
La grève des bàttus ou les déchets humains, Aminata Sow Fall, NEA, 1979.
Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1980. Son auteur, Aminata Sow Fall, née le 27 avril 1941 à SaintLouis (Sénégal), porte un regard critique sur une société sénégalaise avec une centralité sur l'hypocrisie et
l’indifférence à l’égard des groupes vulnérables.
A la source d’inspiration de ce roman, l’auteur dit dans une interview
80
:
«
»
« Un jour, j’avais entendu quelqu’un qualifier les mendiants de déchets humains . Je me suis
dit : Non, il ne faut pas les qualifier de déchets humains. Il faut qu’on se ressaisisse, parce que
chaque être humain mérite respect et dignité. Ce, d’autant plus que c’est la société elle-même
qui sécrète le mendiant par ses peurs, ses angoisses existentielles et en retour, on leur offre le
mépris. »
Les actions principales se passent en ville, qui pourrait être Dakar ou n’importe quelle autre agglomération
de l’Afrique au sud du Sahara. Les autorités considèrent les mendiants comme des déchets humains qui
défigurent la ville et qui entravent le développement du tourisme. Mour N’diaye, le directeur du service de
salubrité décide de se débarrasser de ces « déchets humains ». Pour ce faire, il va s’appuyer sur son
adjoint, Keba Dabo, fonctionnaire zélé, sans scrupules. Deux camps s’affrontent : les autorités et les
mendiants. Celles-là
n’hésitent pas à exercer la violence sur ceux-ci pour les expédier à deux cents
kilomètres de la ville.
Le Regard de l’Aveugle, Mamadou Samb, EDISAL, 2009
Ce roman a reçu en 2011 le premier prix de la première édition du prix littéraire des lycéens sénégalais. Il
raconte les drames de la vie d’Oulimata. Il peut être considéré comme un document sociologique et
psychologique qui fait un diagnostic sans complaisance des mœurs dans la sous-région : des villages du
Mali à Dakar en passant par Bamako et d’autres villes du Sénégal.
En recevant le prix littéraire des lycéens, l’auteur disait : « C’était une manière pour moi de parler des
personnes avec qui nous vivons tous les jours et à qui nous devons porter attention.» Et dans
79
Op. cit. « Etude qualitative pour recueillir des données sur l’expérience des personnes handicapées et de leurs familles en vue d’avoir une meilleure
compréhension des instruments et des barrières à l’éducation et à l’inclusion sociale au Sénégal ».
www.h//ttp: Seneweb, 31/08/2010, consulté le 20 juillet 2015
80
114
N° 20
Moussa FALL
Décembre
2015
l’Avertissement de son roman, Mamadou Samb ajoute : « Si le roman en général est une œuvre de fiction,
et que certaines situations paraissent invraisemblables parce qu’elles sont ignorées, il reste que le fond de
chaque action décrite à travers ces lignes est réel. Seulement pour la forme, certains noms de personnages
et de lieux ont été changés afin de protéger la vie de ceux qui désirent garder l’anonymat. » p. 3.
e
Debout mon enfant, 2009. Roman, qui obtiendra le 2 prix du roman des lycéens du Sénégal en 2011.
Seydi Sow a été tour à tour agent sanitaire, infirmier d’Etat, Technicien supérieur de santé, superviseur des
Soins de Santé Primaires dans plusieurs régions et départements du Sénégal, Conseiller du Ministre de la
Santé pour les Affaires médicales. Il est l'actuel secrétaire exécutif de l'Association des écrivains du
Sénégal.
Cet ethos préalable explique les précisions que l’auteur a développées sur l’origine médicale de plusieurs
types de handicaps. Ainsi, il bat en brèche les croyances séculaires relatives aux explications irrationnelles
des handicaps pour démontrer qu’on peut sauver encore des milliers d’enfants grâce à la vaccination. Cette
conviction l’a poussé à créer Dinadé, le personnage principal, l’homme qui a fait ce que personne, à ce jour,
n’a osé faire au Sénégal, porter plainte contre ses parents pour qu’ils répondent de son handicap devant les
tribunaux.
Un Recueil des stéréotypes et énoncés réducteurs sur le handicap.
81
La Convergence des Aveugles pour l’Unité, la Solidarité et l’Entraide au Sénégal (CAUSE) et l’ONG
Sightsavers ont organisé les ateliers de partage avec les communicateurs traditionnels dans des régions du
Sénégal afin d’identifier et de collecter les préjugés sociaux discriminatoires à travers des commérages, des
proverbes, des maximes, des moqueries, etc. ; mais également de recueillir leur opinion sur l’impact de ces
types de discours réducteurs et stigmatisants par rapport à l’inclusion sociale des personnes handicapées.
2.
Analyse des types de discours
Pour bien cerner le sens et la portée des différents discours, nous nous intéressons d’abord aux romans ;
ensuite, nous analyserons ensemble les autres formes d’énoncés.
2.1. Dans les romans
Il est important de commencer par décrypter comment les personnes handicapées sont perçues à travers
les romans. En effet, au-delà de ses fonctions ludiques et didactiques, le roman peut prétendre reproduire le
réel,
exprimer une certaine vérité comme document sociologique établissant un diagnostic sans
e
complaisance sur le handicap ou tout autre fait de société. C’est ce qu’affirment divers romanciers du XIX et
e
du XX siècle parmi qui on peut citer Stendhal qui écrit : « On ne peut plus atteindre au vrai que dans le
roman (…) un roman est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. » Autrement dit, le roman est un
reflet de la réalité sociale.
81
Recueil réalisé en décembre 2014, inédit.
115
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sociale et scolaire des personnes handicapées
Nous sommes dans la maison de Sala Niang, l’un des principaux personnages du roman (La grève des
battù), chez qui, les mendiants feront leur retraite. Le narrateur nous décrit l’atmosphère dans la cours et
dépeint avec ironie les mendiants : « Parmi le visages aux yeux ténébreusement exorbités, parmi les têtes
moutonneuses et les membres rognés par les pustules de la gale ou rognés par la lèpre, parmi les haillons
recouvrant à peine des corps qui ont perdu depuis très longtemps le contact avec l’eau, parmi les béquilles,
les cannes et les bàttu, d’adorables petites créatures sourient à la vie, heureux de gazouiller au rythme de
pots en étain entrechoqués. » p. 21
La romancière nous présente les représentations qu’on se fait des mendiants. D’abord, au plan stylistique,
c’est surtout l’usage de la période, avec une anaphore parmi qui permet de présenter les différentes
catégories de mendiants : les aveugles, les lépreux, des sinistrés, des éclopés. Le champ lexical choisi
connote, d’une part, la déformation : exorbités, les membres rognés, les béquilles, les cannes ; et étale,
d’autre part, la misère et le dénuement : les haillons recouvrant à peine des corps, etc.
La même stratégie discursive est utilisée par Seydi Sow dans Debout mon enfant pour nous donner
différentes représentations sur les personnes handicapées. Mais, commençons d’abord à analyser le nom
Dinadé. Déjà, retenons que le choix du nom de ce personnage principal est très significatif. En effet,
82
83
84
85
Dinadé , Ken Bugul , Sën , Yaa Dikoon , etc. sont des prénoms qui procèdent d’un répertoire qui servirait
à conjurer le sort. En effet, dans l’imaginaire collectif, au Sénégal et dans certains pays africains, ces
prénoms connotent une valeur négative qui permet de conjurer le sort. Ainsi, on pense que les enfants qui
portent ces prénoms survivront car les génies n’en voudraient pas.
Dans le microcosme da la fiction (Debout mon enfant), au début de l’histoire relayée par la presse, on
pensait à un canular, que Dinadé ne pouvait pas avoir porté plainte contre ses parents pour une faute dont,
a priori, ils ne devaient point être tenus pour responsables ; que c’était insensé et ingrat de la part du
plaignant. Son père, accusé, dans son box, ne comprend pas et se demande : « Dieu, le Créateur, aurait dû
se tenir dans ce box à sa place. N’est-pas Lui qui qui distribuait la maladie ? S’il n’était pas comme les
autres, Dinadé, s’il ne pouvait pas trotter sur ses deux pieds, n’est-pas de la volonté de Celui qui crée ?
Depuis quand Dieu demandait-il avis aux parents pour estropier, aveugler, anéantir ? » P. 44.
Nous voyons que ce père avoue ne pas être acteur ; il
ne peut échapper au déterminisme de sa
communauté : il n’y a pas de place pour la liberté car pour lui, « Depuis quand Dieu demandait-il avis aux
parents pour estropier, aveugler, anéantir ? »
C’est aussi ce qui explique la mise en apposition du mot
« Créateur », l’emploi de l’interrogation rhétorique dans les trois phrases, mais aussi le retour de la lexie
« créer » qui mettent en relief les attributs de Dieu.
Par contre, pour convaincre Maître Kanouté - avocat à la cour - de défendre sa cause, Dinadé
lui dit :
82
Dinade : « Je vais mourir » et « qui peut bien être traduit par je vais souffrir. »
Ken bugul : « Personne n’en veut ».
84
Sën : « Saleté », « Immondice ».
85
Yaa Dikoon: “Le revenant”.
83
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N° 20
Moussa FALL
Décembre
2015
Maître, ce n’est pas pour moi qu’aujourd’hui je me bats. Il y a longtemps que j’ai compris que
j’ai tout perdu. Je me bats pour les autres : ces milliers d’enfants qui peuvent connaître le même
sort si on ne les sauve pas. Pour eux, tu dois m’accorder ton soutien. Eux aussi doivent
continuer de marcher, de respirer, de vivre comme n’importe qui.
Ici, apparaît clairement la conscience que Dinadé a de son handicap qui n’est pas une fatalité, mais une
négligence coupable de ses parents. Dès lors, il veut s’ériger en bouclier : « Je me bats pour les autres »,
« ces milliers d’enfants ». Pour lui, il est possible de les sauver. Cette générosité et cette détermination ont
dissipé le voile qui jusque-là avait masqué la conscience de l’avocat :
« Tout à coup, une image atroce, insoutenable heurta la conscience de Maître Kanouté. C’était
le tableau d’une myriade de culs-de-jatte, unijambistes, éclopés,…. Toutes ces loques
humaines qui se traînaient à même le sol, dans les rues de la ville, poussiéreux, habillés de
guenilles, les paumes tendues, le visage laid et souffreteux. Jamais, l’avocat n’avait songé que
ces déchets humains pouvaient avoir d’autres explications que celle de la simple fatalité ». p.
29
L’attitude de Dinadé est une provocation, un déclic qui a amené l’avocat à se dissocier de la situation pour
mieux l’appréhender. En effet, la plupart des gens, confrontés à une situation comme la question du
handicap, ont « la tête dans le guidon », ce qui les empêche d’analyser et de comprendre ce qui se passe et
les événements qui s’enchaînent. Nous devons être des spectateurs de la situation du handicap en prenant
un regard « méta » (= extérieur), de nous dissocier pour voir comme le ferait un observateur extérieur. C’est
cela qui nous permet de prendre de la distance par rapport à la situation et de réaliser une auto-analyse par
un travail d’introspection positif. En effet, apparaissent inconsciemment le lexique qu’on développe à
l’endroit des handicapés moteurs : culs-de-jatte, unijambistes, éclopés, loques humaines,
poussiéreux,
habillés de guenilles, les paumes tendues, le visage laid et souffreteux. Voilà des termes stigmatisants et
blessants qui affleurent dans notre conscience et dans nos discours.
C’est la même attitude que développe le juge qui trouva insolites la belle tenue de Dinadé et sa fière allure,
car évidemment, il était « trop habitué à ce visage misérable que lui offraient la plupart des éclopés », il
s’attendait à trouver en face de lui « un homme (Dinadé) en guenilles, intimidé par tous ces gens qui
bondissaient sur leurs deux jambes, et trop écrasé par le poids de sa tristesse. »
Nous classons dans ces types de représentations le regard et même le discours d’un journaliste qui avait cru
comprendre la personnalité ou les impulsions de la personnalité de Dinadé, poussant le bouchon un peu loin
en s’attaquant à la fibre émotionnelle du personnage et par ricochet aux personnes handicapées :*
« …En désertant ses jambes, la chaleur humaine avait de même abandonné le cœur de cet
homme qui, ramené par le mouvement au rang des bêtes, ne vivait désormais que pour refuser
la pitié. Et ne marchait qu’ « avec son orgueil », à défaut d’avoir ses jambes… » P. 36.
Malheureusement, ce type de discours est socialement ancré. Un autre journaliste en relayant le procès
ajoutait : « la chaleur humaine avait de même abandonné le cœur. », « Un cœur froid comme un fauteuil
roulant ».
117
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sociale et scolaire des personnes handicapées
De façon symétrique à la violence, la fatalité revient dans les romans de notre corpus comme un leitmotiv les
structurant même. Aussi pouvons-nous dire littéralement que la fatalité a bon dos. Nous la retrouvons dans
la bouche de plusieurs personnages comme dans le face-à-face entre les deux avocats au prétoire : Maître
Kanouté, partie civile et Maître Kémoko, la défense.
-
Maître, vous rendriez un grand service à votre client en l’aidant à accepter le destin qui le frappe.
-
Cruauté du destin ! Vous voilà déjà en pleine plaidoirie ! Maître Kanouté se rapprocha de son
collègue et lui chuchota : N’est-ce pas simpliste de dire : c’est le destin ? Quand la fièvre jaune fait
des ravages dans nos villages : c’est le destin. Quand le choléra nous tue des milliers de gens :
c’est le destin. Quand nos nouveau-nés meurent emportés par le tétanos : c’est toujours le destin.
Mais quand donc ce destin nous aidera-t-il à goûter au bonheur ? » p. 117
L’avocat rétorque avec beaucoup d’ironie. D’abord, l’emploi de la phrase nominale : « Cruauté du destin ! »,
avec inversion de polarité. En effet, ce qui est souvent employé est : « un destin cruel ». Cette technique lui
permet de mettre l’accent sur la tendance du destin à faire souffrir. En outre, le point d’exclamation marque
son indignation. Il l’incrimine en lui associant un certain sadisme rendu par la répétition de « quand » qui
marque l’acharnement du destin. En effet, son argumentaire se construit sur des prémisses entérinées par
l’opinion. C’est en s’appuyant sur cette topique (ensemble des lieux communs) qu’il tente de déconstruire,
sur un ton sarcastique, la prégnance du destin par le dernier emploi de « quand » : « Mais quand donc ce
destin nous aidera-t-il à goûter au bonheur? »
Cette stratégie argumentative de l’avocat de la partie civile est soutenue par Ruth Amossy qui estime que «
C’est toujours dans un espace d’opinions et de croyances collectives que l’orateur tente de résoudre un
différend ou de consolider un point de vue. Le savoir partagé et les représentations sociales constituent
donc le fondement de toute argumentation.»
86
Dans une réplique à l’endroit de Dinadé, l’avocat de la Défense ajouta :
-
« Si vous croyez en Dieu, je vous donne à méditer ces paroles de l’Evangile : Jésus vit, en passant,
un homme aveugle. Ses disciples lui firent cette question : Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses
parents, pour qu’il soit né aveugle ? Jésus répondit : Ce n’est pas que lui ou ses parents aient
péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » p. 139.
Le fondement de l’argumentaire de la défense mérite d’être analysé à bien des égards. Dès lors qu’un
argumentateur connaît avec clarté la conclusion à laquelle il veut parvenir, dès lors qu’il est en possession
de la thèse dont il veut convaincre son destinataire, il va pouvoir utiliser des faits ou des idées orientés vers
cette thèse et qui fonctionneront comme des arguments, c’est-à-dire serviront à justifier la thèse. Ici, on
s’appuie sur des valeurs en faisant référence à celles religieuses qui peuvent apparaître comme un dogme
qui ne peut souffrir de contestation : l’Evangile.
Ce face-à-face entre les deux avocats synthétisent les représentations et les discours lénifiants que la
communauté développe ou donne sur la cause du handicap et même de la mortalité infantile. Les
représentations sur le handicap sont très tenaces car elles trouvent leurs fondements dans l’imaginaire
86
Amossy R., (2000), L’argumentation dans le discours, Paris, Nathan, p.89
118
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Moussa FALL
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social. C’est ainsi que le père de Oulimata, aveugle de son état, dit : « J’étais atteint par l’onchocercose,
communément appelée ‘’cécité des rivières’’. Dès que j’ai senti que cela n’allait plus, j’étais allé voir les
médecins blancs, mais déjà c’était trop tard et ils m’ont tout expliqué étape par étape, de sorte que j’en ai
souffert certes, mais moins que les autres villageois qui soutiennent mordicus qu’un génie méchant s’est
introduit dans le village ; Il vole la lumière qui éclaire les vues et répand dans les yeux des personnes une
obscurité qui conduit à la mort. » p. 88.
L’emploi du lexique laisse apparaître le drame que vivent les villageois ; le fait de « soutenir mordicus », de
façon ferme et acharnée, souligne le caractère irréfléchi des villageois qui prêtent le mal à un génie qui
répand l’obscurité, et même la mort. Ainsi, la cécité est perçue comme une malédiction.
La même idée est développée par Thiécoura qui a accueilli Oulumata et son père chez lui, au Mali. Mais,
après une journée, il leur dit : « Il faut que tu (Oulimata) te rendes à l’évidence, un aveugle vit de la
mendicité, c’est Dieu le tout-puissant qui le veut ainsi. Il faut que l’aumône des gens riches tombe dans les
mains de quelqu’un. C’est pour cela que Dieu le tout-Puissant, qui sait ce qu’il fait, a créé des aveugles et
leur a donné des enfants pour les guider vers cette charité. Les aveugles ne peuvent rien faire d’autre que
demander la charité pour survivre. C’est leur destin on n’y peut rien disait le vieux Thiécoura en martelant
ses mots, avant de conclure en ces termes, l’index pointé vers moi : aujourd’hui, je vais donner à manger,
mais demain…Demain.» p. 99-100.
Ce passage laisse voir que les personnes handicapées manquent de protection sociale et elles sont livrées
à elles-mêmes. Pis, elles subissent parfois une violence morale qui les blesse. Ainsi, Oulimata et son père
qui étaient obligés de faire du porte-à-porte pour demander l’aumône, à leur grande surprise, arrivés à une
porte : « une dame bien habillée sortit. » Mais, à leur grande surprise, cria sur eux :
- « Que le ciel tombe sur toi ! Petite fille de malheur, tu ne pouvais pas te « faire entendre »
pour éviter de rencontrer un aveugle à ma porte, alors que je vais au travail. A cause de vous,
je n’aurai rien aujourd’hui. Je pense qu’il serait préférable que je regagne mon lit.
Elle rebroussa chemin et claqua la porte. Je n’avais rien compris au comportement de la dame.
Mon père, par contre, esquissa un sourire et dit d’un ton moqueur :
- C’est vrai les aveugles portent malheur. Elle a raison, allons ailleurs, mais cette fois-ci, il faut
se « faire entendre ».
Une porte, et papa cria d’une voix pitoyable.
- Gens de Dieu ! Donnez la charité au nom de Dieu ! » p. 100-101.
La violence que subissent les personnes handicapée peut même être physique car elles la subissent
atrocement dans leur chair, parfois jusqu’à la mort.
Kéba Dabo (Grève des battù) réunit dans son bureau une vingtaine d’hommes, des techniciens et leur
donne des ordres relativement à la situation qu’il considère comme une « guérilla » :
« Il faut les (mendiants) traquer partout où ils sont. Ils croient nous avoir à l’usure ; s’il faut
sévir, nous sévirons. C’est un problème grave, voyez-vous. On ne peut plus circuler librement,
ils nous attaquent partout. Voilà comment nous allons procéder dorénavant : relevons
systématiquement l’identité de tous ceux qui auront été raflés – évidemment, il faut établir un
119
Liens Nouvelle Série
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sociale et scolaire des personnes handicapées
fichier. S’ils en sont à leur première rafle, essayons de les raisonner, montrons-leur ce que ça a
de dégradant de s’exposer dans les rues et de montrer ses infirmités pour en tirer profit.
Faisons-leur savoir que la mendicité les déshonore…P. 30.
Tout ceci explique éloquemment les attitudes de repli que certaines personnes handicapées développent,
creusant le fossé d’incompréhension entre elles et la communauté. En effet, la société, par son regard et
son discours, les contraint à porter un masque. Ainsi, quand Mour Ndiaye (Grève des batttù) s’est rendu
chez Salla Niang pour les inviter à se rendre exceptionnellement aux endroits habituels pour recevoir une
aumône très importante, il voit les mendiants recevoir de la charité, intérieurement : « Il s’est dit peut-être
ces gens n’étaient pas aussi misérables qu’on pouvait bien le penser. ‘’Mais alors comment utilisent-ils tout
ce qu’ils reçoivent ? Pourquoi certains d’entre eux n’aspirent-ils pas à plus de décence, plus de propreté ?
Se seraient-ils confondus avec le masque qu’ils étaient obligés de porter pour exciter la pitié des gens au
point que maintenant, leur situation s’étant visiblement améliorée, ils continuaient à jouer le jeu de la misère
et de la famine ? » p. 153-154.
2.2.
etc.
Les stéréotypes contenus dans le lexique, les proverbes, les commérages,
Ces types de stéréotypes sont nombreux et blessants, nous avons choisi ceux qui sont les plus récurrents et
nous les présentons sous une forme tabulaire pour en faciliter la lecture et l’exploitation.
2.2.1.
Le lexique
LEXIQUE
TRADUCTION
DEVALORISANT
Les handicapés visuels
gumba
Aveugle, non-voyant
COMMENTAIRE ET PROPOSITION
men xel
La traduction littérale donne :
« qui n’a qu’un cerveau ou
une
seule
forme
d’intelligence »
Qui ne voit que d’un œil ou
qui n’a qu’un œil
Borgne
Ki Yalla mur ay gëtëm La traduction littérale donne :
« celui que Dieu a mis une
toile sur les yeux.
Les handicapés moteurs
lafañ
Infirme
Ben tank
Unijambiste
Waay wañeku
Personne diminuée
Les handicapés mentaux
dof
fou
xel mu welbatiku
La traduction littérale donne :
une intelligence renversée
nitadiku
Qui manque de facultés
humaines
(surtout
l’intelligence)
Les lépreux
ganagi
Lépreux
120
Les personnes handicapées interrogées préfèrent le
terme « silmaxa » qu’elles jugent moins chargé.
Le terme est jugé péjoratif car il évoque une
caractéristique de manque. On lui préfère le terme
plus générique de « wayi lago » qui signifie :
« personne en situation de handicap ».
La péjoration découle de l’idée sous-entendue de
« punition ».
La connotation péjorative vient de l’idée de manque.
Tous ces termes ont une connotation négative. On
préfère le terme générique : « wayi lago »
Le mot dans
négativement.
tous
ses
emplois
est
chargé
N° 20
Moussa FALL
2.2.2.
Décembre
2015
Les énoncés
Les énoncés ci-après sont employés dans des situations de vie courante, mais réfèrent à des stigmates du
handicap connotant un manque, une infirmité, une inaptitude, de l’ingratitude, etc., qu’un locuteur adresse à
son interlocuteur pour attirer son attention sur tel ou tel aspect négatif de la situation corrélée au stigmate
auquel il fait allusion. Nous estimons que c’est là où la communauté provoque les personnes handicapées et
les blesse moralement dans des situations qui ne les concernent guère.
ÉNONCÉS DÉVALORISANTS
gumba talna lenene ludul tëbi ten
(kamb)
TRADUCTION
L’aveugle doit se préoccuper
d’autre chose que de jouer à sauter
par-dessus des puits.
gumba du ras dem
Un aveugle ne récolte pas des
jujubes.
gumba du jite yoon
Un aveugle ne peut pas être un
guide.
lafañ borom mbaam lay faral
Celui qui souffre d’un handicap
fonctionnel
s’allie
avec
les
propriétaires d’ânes.
sofëeru gana xaar kosa wiiraas
L’incompétence d’un chauffeur
lépreux se manifestera au moment
d’aborder un virage.
xonk bët gi ci ngana
njambaar xol bu jex la
Les yeux rouges du lépreux ne sont
pas un signe de bravoure, c’est de
la rancœur.
2.2.3.
dug
COMMENTAIRE
On emploie cette expression pour
dire que quand on est sur des
choses sérieuses, on doit éviter de
se distraire par des futilités ou
encourir des risques inutiles
comme le ferait un aveugle qui
tenterait d’enjamber des fossés.
Quand quelqu’un entreprend des
choses difficiles et ne rencontre
que des obstacles et des échecs,
on lui assène ce type d’énoncé.
L’image est rattachée au référent le
jujubier
qui
a
des
épines
rapprochées et très piquantes. Un
aveugle ne saurait y récolter quoi
que ce soit au risque de se blesser.
L’ironie, c’est de dire qu’un
incompétent ne doit pas diriger
comme l’aveugle ne saurait le faire.
On s’allie toujours avec ceux qui
portent nos intérêts. C’est là que le
préjugé est blessant car on insinue
que l’infirme est un opportuniste.
L’incompétence se révélera à la
tâche.
Ici
aussi
c’est
la
comparaison
qui
blesse
la
personne handicapée car on lui
révèle ses inaptitudes.
L’idée contenue dans cet énoncé
est d’insinuer que le lépreux est
une personne méchante par nature.
Les préjugés et les croyances
Les préjugés et les croyances sont tenaces, parce qu’ils sont des constructions personnelles et collectives.
L’inclusion passe nécessairement par leur déconstruction pour en comprendre les facettes saugrenues et
fallacieuses.
ÉNONCÉS DÉVALORISANTS
nitu musiba day judu walé laago
TRADUCTION
Une personne maléfique naît
infirme.
xey suba daje ak gumba dey ume
Rencontrer un aveugle le matin
porte malheur.
Les
cheveux de l’albinos
donnent de la chance et enrichit.
Se procurer un membre d’un
albinos donne le pouvoir
Avoir des relations sexuelles
avec une albinos enrichit.
kawaru puune day ubi wersëg
cer u puune day joxe nguur
Sëy ak puune wola am ci ay ceram
day maye alal
121
COMMENTAIRE
C’est un préjugé à portée
destructrice très méchant de dire ou
de penser que l’infirme de
naissance est toujours maléfique.
C’est une forme de discrimination
insidieuse.
Ces types de croyances sur les
albinos sont très ancrés et sont
transfrontaliers. Ils sont entretenus
par
des
charlatans
et des
marabouts sans scrupules.
Les
conséquences
sont
dramatiques pour les albinos qui
sont « capturés » et assassinés,
surtout dans les périodes de
campagne électorale.
Liens Nouvelle Série
. La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la problématique de l’inclusion
sociale et scolaire des personnes handicapées
Ganar guy soox sax baaxul ci kër
waxumalaak nit kuy sox
Un coq boiteux dans une
maison est un mauvais signe, a
fortiori un infirme.
Nit ku wañeeku ken duko awaloo
On ne prend jamais comme
première
épouse
une
handicapée.
«
C’est un type de commérage que
des coépouses, des voisines
malintentionnées ou des marâtres
profèrent à l’endroit de femmes
infirmes pour leur faire mal.
Voilà une autre forme d’ostracisme.
C’est un isolement injuste et
discriminatoire qui n’a aucun
fondement rationnel.
»
En somme, nous disons avec Kerr David que « L’image personne handicapée provoque inconsciemment
une interférence psychique qui renvoie à l’image de soi, chez celui qui en souffre comme chez celui qui
regarde. II induit une idée de « contre-performance » qui engendre la peur et la gêne. »
87
Et Shakespeare
de s’interroger dans Hamlet: « L’homme que le hasard ou la nature a marqué, pourquoi faut-il que toutes
ses autres vertus en soient obscurcies dans le regard des autres ? »
Alors, qui plus est, la nécessité d’opérer un changement de paradigme pour modifier le prisme à travers
lequel nous regardons et considérons les personnes handicapées. En effet, nous disons avec Mamadou
Samb que :
« Le comportement de quelqu’un est largement influencé par le regard que l’on porte sur lui. J’avais
compris très tôt que le regard «était l’élément déterminant qui, porté sur quelqu’un créait la honte, la
vanité, l’envie, la fierté, l’honneur, le déshonneur et tant d’autres sentiments qui sommeillent en
nous. C’est aussi le regard de l’autre sur nous qui procure des changements qualitatifs, basés sur
88
une gestion responsable de soi, de son temps et de l’espace dans lesquels on évolue.»
CONCLUSION
La donnée handicap est on ne peut plus une réalité prégnante. Selon le rapport mondial sur le handicap de
2011 de la Banque Mondiale et de l’Organisation Mondiale de la Santé, plus d’un milliard de personnes
vivent avec un handicap sous une forme ou une autre et près de 200 millions d’entre elles ont de très
grandes difficultés fonctionnelles dans le monde. Le nombre, malheureusement, ne cesse de croître.
Au Sénégal, en décembre 2002, lors du recensement général de la population, la qualification extrême du
handicap était de 138 897 personnes handicapées sur une population de 9 858 482 habitants, soit une
prévalence de 1,4%. En 2013, le dernier recensement de la population, de l’agriculture et de la pêche a
révélé que cette prévalence du handicap est de 5,9%. Ce qui signifie que 59 Sénégalais sur 1000 souffrent
d’un handicap quelconque, et que les individus de sexe féminin sont plus concernés avec un rapport de
89
masculinité de 88 pour 100 femmes. Le handicap est sans conteste une donnée sociale, il faut alors agir.
87
Kerr David, (2006), « Mal nommer, c'est discriminer. Une comparaison entre France et Grande-Bretagne», VST - Vie sociale et traitements
(no92), p.17
URL : www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2006-4-page-71.htm.
DOI : 10.3917/vst.092.0071.
88
Samb M., (2009), Le regard de l’aveugle, p. 112
89
Source : Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, Recensement de 2014.
122
N° 20
Moussa FALL
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2015
Nous estimons que le premier levier qu’il faut actionner pour réussir l’inclusion et l’autonomisation des
personnes handicapées est sans doute le langage. En effet, les mots sont à l’origine de l’univers et de tout
ce qu’il renferme, car la Bible enseigne que pour créer le monde, Dieu s’est servi de mots. « Dieu dit : « que
90
la lumière soit » et la lumière fut » . « […] Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur
91
espèce : bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce » et il en fut ainsi » . Le mot est et a un
pouvoir : coller le mot « handicapé » à quelqu’un c’est le classer dans une catégorie, le caractériser et agir
sur sa conscience pour l’orienter dans une direction. Il y a tout un travail de déconstruction à faire aussi bien
du côté de la personne handicapée que du côté de celui qui le nomme ainsi pour le stigmatiser. Dès lors,
l’inclusion commence par l’usage d’un langage positif qui valorise au lieu de stigmatiser : recherchons
d’abord à contrôler notre langage et à le positiver.
La deuxième étape consiste à démonter les préjugés et les croyances sur les personnes handicapées et
montrer leur caractère irrationnel et leur conséquence souvent dramatique. En effet, le handicap est
considéré dans certaines sociétés africaines comme l’incarnation d’un Être maléfique dans un corps
humain ; alors, ces êtres sont traqués par les charlatans et par la société, où ils sont persona non grata, en
particulier les handicapés moteurs. Ils sont entourés de toutes sortes de préjugés, certains disent que
rencontrer une femme handicapée le matin porte malheur toute la journée ; en épouser, elle te donnera une
progéniture de handicapés. Les albinos sont quant à eux entourés de croyances aux conséquences
dramatiques : on abuse d’elles sexuellement ou on les tue pour leur arracher des membres dans le but de
jouir d’une ascension financière ou pour s’ouvrir les arcanes du pouvoir.
Troisièmement, en Afrique, cette approche de rupture ne peut se réaliser que par la consolidation et la
pérennisation des initiatives d’éducation inclusive, d’inclusion et d’autonomisation des personnes
handicapées. En effet, d’une éducation spéciale et intégratrice, la plupart des pays au Sud du Sahara
comme le Sénégal jettent les bases d’une éducation inclusive. Avec la première forme d’éducation, on
assiste à un enseignement spécialement conçu pour s’accorder aux besoins d’un élève ayant un ou des
handicaps, nécessitant des types d’enseignement particuliers assurés par l’enseignant et d’autres
professionnels. L’éducation inclusive, elle, est fondée sur le droit de tous à une éducation de qualité qui
réponde aux besoins d’apprentissage essentiels et enrichisse l’existence des apprenants. Axée en
particulier sur les groupes vulnérables et défavorisés, elle s’efforce de développer pleinement le potentiel de
chaque individu. Le but ultime de l’éducation inclusive est d’en finir avec toute forme de discrimination en
assurant l’éducation de tous dans une école classique ou ordinaire afin de favoriser la cohésion sociale et
l’inclusion sociale des personnes handicapées. Pour ce faire, il est important de commencer à sensibiliser et
à informer la communauté éducative. En effet, les attitudes des élèves,
celles des enseignants et du
personnel administratif des écoles peuvent affecter l’inclusion des enfants handicapés dans les écoles
ordinaires, tout comme les idées fausses - manque de productivité, absentéisme, etc. - développées par des
employeurs à l’encontre des personnes handicapées limitent l’inclusion sociale.
90
91
Bible de Jérusalem, Gn I, 3.
Ibid., 1, 3.
123
Liens Nouvelle Série
. La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la problématique de l’inclusion
sociale et scolaire des personnes handicapées
Quatrièmement, amener la personne handicapée à développer une bonne « image de soi » demeure un
92
préalable fondamental. La plupart des personnes handicapées ne développent pas assez leur intelligence
émotionnelle, surtout les dimensions de communication intra personnelle, de motivation (résilience) et de
connaissance de soi-même.
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DOI : 10.3917/vst.092.0071.
92
Les différents points abordés ne sauraient être linéaires, il est important d’avoir une approche systémique où les aspects évoqués sont appréhendés
de façon concomitante et solidaire.
124
Ousmane BA
Les revendications des mouvements étudiants et la violation
des franchises universitaires au Sénégal: Cas de l’UCAD
Résumé
Notre analyse porte sur les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises
universitaires au Sénégal : Le cas de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). En effet, pour mieux
cerner la problématique de cet article, nous avons recouru à l’étude documentaire et à l’observation
scientifique des faits. Ainsi, les résultats nous ont permis, d’abord, de ressortir le cadre de recherche.
Ensuite, de faire une analyse conceptuelle de la question tout en présentant sommairement les réformes.
Enfin, nous avons soulevé un certain nombre de défis à relever tout en procédant à une analyse des
revendications estudiantines et la violation des franchises universitaires
Mots clés: Académie, étudiant, franchises, Liberté, revendication, université.
Abstract
Our analysis focuses on student’s demands and the violation of university franchise in Senegal: for example
Cheikh Anta Diop university to Dakar. In fact to better define that matter we have resorted to a documentary
study and observation of the facts. So the outcomes allowed us to bring out first the frame work research.
Then to analyse the concept of the matter while showing briefly the reforms. At last we have raised a certain
number of challenges to taken up while analyzing student’s demands and the violation against the university
franchises.
Keywords: Academy, demands, franchise, liberty, students, University,.
125
Ousmane BA
N° 20
Décembre
2015
INTRODUCTION
Il faut noter que l’existence des universités en Afrique est très récente du fait de la colonisation. En effet, au
lendemain des indépendances, on dénombrait deux (02) universités dans les pays africains d’obédience
francophone. Il s’agissait du Sénégal et de la Côte d’ivoire. Ainsi, chaque pays était dans des dispositions de
créer sa propre université afin qu’elle puisse former non seulement des élites de haut niveau mais aussi de
prendre en charge les préoccupations des populations. C’est dans ce sens que Borrero Cabal pense que
l’université avait pour but pour ces pays de
former des cadres de haut niveau, qualifiés et aptes à prendre les rênes des différents secteurs
de l’économie nationale, créer et forger une image positive du nouvel État auprès de l’opinion
internationale par l’édification et l’expansion d’institutions rayonnantes, en état d’accueillir un
plus grand nombre d’étudiants. En outre, réduire, en dernier ressort, éliminer l’analphabétisme
des masses, enfin, faire en sorte que la productivité et les potentialités de ces diplômes
constituent un atout pour la production et l’accumulation de la richesse de la richesse nationale
93
dans les années qui suivent la scolarité reconnue .
Toutefois, depuis quelques décennies, on constate que l’enseignement supérieur est en pleine crise dans ce
continent. Cela peut-être expliqué non seulement par l’augmentation exponentielle des effectifs d’étudiants
au sein de ces universités mais aussi par une croissance démographique rapide de la population. Ceci a
pour conséquence la baisse du niveau des enseignements, des résultats catastrophiques, la baisse de la
qualité de la formation pédagogique, etc. Par ailleurs, cette crise peut-être due aussi par l’inadéquation entre
la forte demande en enseignement supérieur et les capacités d’accueil ainsi que la baisse du niveau de
financement de l’État dans le secteur de l’enseignement supérieur public. Or, le développement de
l’enseignement supérieur public ressort du domaine régalien de l’État même si ce dernier peut nouer des
partenariats avec le secteur privé pour avoir des ressources additionnelles. C’est dans ce sens que Louis
Althusser affirme que : « L’État a donc le devoir d’assurer au secteur de l’éducation le renouvellement de
ces conditions d’existence en garantissant la diversification et la spécialisation des structures de
94
formation ».
Au Sénégal, les pouvoirs publics (État) ne cessent de développer d’importantes politiques éducatives
capables de former un bon citoyen et de permettre à sa population d’accéder aux connaissances. A cet
effet, l’enseignement supérieur, un des sous-secteurs de l’éducation nationale, occupe une place de choix
dans ce dispositif. Elle a pour vocation la formation et la recherche. Mieux encore, elle est un lieu d’initiation
à la vie citoyenne avec tout ce que cela implique comme apprentissage d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un
savoir-être. Toutefois, le Sénégal traverse aussi, depuis plusieurs décennies, des crises estudiantines
récurrentes. Selon Hamidou Nacuzon Sall, ces crises se justifient par « l’explosion et la violence du
mouvement des étudiants ainsi que l’acuité des difficultés inhérentes aux systèmes éducatifs postcoloniaux
95
en Afrique ». Souleymane Gomis, pour sa part, pense que ces crises sont dues le plus souvent à une
massification des étudiants, aux problèmes de restauration, d’hébergement, de condition de vie et
93
Borrero Cabal, A. (1995). L’université Aujourd’hui : élément de réflexion. Paris, Edition Microfiche.
Althusser, L. (1965). Pour Marx, Paris, Maspero, p.48
95
Sall, H.N. (1996). Efficacité de l’enseignement supérieur. Quels étudiants réussissent à l’université de Dakar ?, Thèse de doctorat
d’Etat, Faculté des Lettres et Sciences humaines, UCAD.
94
126
Liens Nouvelle Série
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
96
d’existence, de paiement des frais de scolarité . Au-delà de ces facteurs, nous pensons aussi que ces
crises sont dues en grande partie à des entraves apportées aux franchises universités et aux libertés
académiques mais aussi aux différentes réformes engagées par les autorités publiques. Parmi ces réformes,
on peut noter : la Concertation Nationale sur l’Enseignement Supérieur (CNES) en avril 1992
97
et
98
la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur au Sénégal (CNAES) en mars 2013 .
Ces réformes ont fait l’objet de critiques par certains mouvements étudiants, qui semblent n’avoir pas été
impliqués dès le début de ces projets. Ceci a paralysé dans une certaine mesure l’université cheikh Anta
Diop de Dakar (UCAD) provoquant même la violation des franchises universitaires et liberté académiques.
Notre article a pour but de montrer en quoi les revendications estudiantines peuvent constituer une menace
pour les franchises universitaires et les libertés académiques. D’une façon générale, nous nous proposons
de voir également la violation récurrente et répétitive des franchises universitaires malgré l’existence d’une
loi garantissant l’autonomie des universités publiques. Pour cela, notre objet de recherche se focalise surtout
sur les deux (02) réformes précitées.
Le plan de notre article est ainsi structuré. Il s’agit de présenter, d’abord, le cadre de recherche. Ensuite,
faire une analyse conceptuelle de la question tout en présentant sommairement les réformes en question.
Enfin, nous allons soulever un certain nombre de défis à relever tout en procédant à une analyse des
revendications estudiantines et la violation des franchises universitaires
I.
Présentation du cadre de recherche
Dans cette partie de notre article, nous allons présenter, dans un premier temps, la démarche
méthodologique qui a été utilisée et, dans un deuxième temps, le cadre d’étude qui se trouve être
l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
1.
Démarche méthodologique
Dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons mis l’accent principalement sur la recherche
documentaire et l’observation des faits. Le fait de recourir à l’analyse documentaire s‘explique par le fait
qu’elle nous permet de voir largement ce qui a été fait dans ce domaine, dans un premier temps, et de
comprendre l’objet de recherche en question, dans un deuxième temps. Pour ce faire, nous avons eu à
consulter un certain nombre de documents tels que des ouvrages, articles, rapports, etc. En ce qui concerne
l’observation, elle peut se structurer sur deux (02) axes fondamentaux : celle indirecte et participante.
L’observation indirecte s’explique par le fait que nous n’étions pas présent lors de la Concertation Nationale
96
Gomis, S. (2013). Analyse sociale de l’enseignement supérieur public au Sénégal, L’Harmattan, Paris, p.20.
En avril 1992, les autorités sénégalaises ont lancé une Concertation Nationale sur l’Enseignement Supérieur (CNES) pour rassembler
les différents acteurs en vue de trouver des solutions aux divers problèmes de l’université.
98
La CNAES a proposé 78 mesures. Mais à la suite de cette concertation, il a été tenu un Conseil présidentiel sur l’Enseignement et la
Recherche qui a résumé les recommandations de la CNAES en 11 décisions.
97
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Décembre
2015
sur l’Enseignement Supérieur (CNES). L’observation directe se justifie par le fait que nous étions témoin lors
de la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES).
2.
Présentation de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Notre cadre d’étude porte sur l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Elle s’étend sur une superficie de 72
hectares. L’université de Dakar est l’héritière de l’École de Médecine de l’Afrique Occidentale Française
(AOF). En effet, elle est officiellement inaugurée le 09 décembre 1959. De même, elle est devenue
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) le 30 mars 1987. Sur ce, elle devient la première université
d’Afrique francophone. Ainsi, elle est répartie en deux (02) grands campus : celui pédagogique et celui
social. Le campus pédagogique comporte en son sein six (06) facultés, douze (12) instituts d’université, neuf
(09) instituts de faculté, cinq (05) Écoles Nationales Supérieures et l’Institut Fondamental d’Afrique Noire
(IFAN)). Quant au campus social, il est composé de plusieurs pavillons ou résidences ainsi que la Cité Aline
Sitoe Diatta (résidence exclusivement réservées aux étudiantes). Il faut noter que récemment (le 31 juillet
2015), le campus social a bénéficié de 03 nouveaux pavillons inaugurés par le Chef de l’État actuel Macky
Sall. Ainsi, l’UCAD comporte également des restaurants (Central, Argentin et Self), le Service Médical, la
direction du Centre des Œuvres Universitaires de Dakar (COUD), les infrastructures sportives et culturelles
(02 terrains de football, 02 terrains de basketball, 03 terrains de tennis, 01 terrain de volley-ball, 09 salles de
TV, 01 salle pour soirée dansante), les boutiques et les services (cybercafés et banque). L’université
comptait une population exponentielle qui est passée de 60.087 étudiants en 2008 et 1143 enseignants à
80097 étudiants pour 1287 enseignants en 2013. On voit alors une inadéquation entre l’espace physique et
99
la population qu’elle abrite . Aujourd’hui, ce nombre a augmenté avec le nombre exponentiel de bachelier
qu’a connu l’UCAD surtout avec l’inscription en ligne.
II.
Analyse conceptuelle et présentation des réformes
Dans cette partie de notre travail, nous allons définir le concept d’éducation, celui des franchises
universitaires et libertés académiques et aussi faire une brève présentation des réformes. Le choix de
l’éducation s’explique par le fait que l’université est un sous-secteur de l’éducation. En effet, en analysant ce
concept,
on
peut
comprendre
de
manière
générale
les
logiques
qui
expliquent
parfois
les
dysfonctionnements notés au sein de l’université. De même, l’élucidation des franchises universitaires et des
libertés académiques, nous permet de saisir en profondeur les contours des lois qui réglementent l’espace
universitaire. Enfin, la présentation des réformes nous permet de bien orienter notre objet de recherche.
1.
L’éducation
L’éducation occupe une place de choix dans le développement des sociétés humaines. Car, selon la banque
mondiale : « sans éducation pas de développement, seule l’éducation peut donner à un pays les
99
Gomis, S. (2013). Op.cit.p.102.
128
Liens Nouvelle Série
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
compétences dont il a besoin pour asseoir durablement la croissance et améliorer la qualité de vie de sa
population
100
». En effet pour Émile Durkheim, l’éducation est
«l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la
vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre
d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son
101
ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné ».
Mieux encore, il pense que l’éducation consiste à une « socialisation méthodique de la jeune génération en
fixant d’avance dans la conscience de l’enfant l’idéal que la société veut atteindre à un moment déterminé
de son développement
102
». Donc, on peut noter que l’homme est un être sociable en ce sens qu’il éprouve
le besoin de fréquenter d’autres personnes. Malgré sa sociabilité, l’homme possède aussi des tendances
antisociales. C’est pourquoi, selon Hoffman, il est appelé à vivre essentiellement dans un groupe social, et
cela nécessite une préparation
103
. Pour ce faire, l’individu est appelé à respecter les normes sociales de son
milieu ainsi que les règles intérieures de son groupe social. Ceci est important si l’on sait que tout
développement d’une société passe nécessairement pour ne pas dire forcement par l’éducation, la formation
et l’accompagnement. Donc, l’éducation est au cœur et à la base de tout développement d’une société dans
la mesure où elle éveille la conscience des individus à prendre en charge leurs problèmes. Dès lors, il faut
remarquer que toute société évolue en fonction de son milieu et de son contexte. Chaque fois qu’il y a
évolution, les mentalités des individus changent et cherchent à s’adapter aux phénomènes du changement
social tout en rejetant les valeurs antérieures.
Cette éducation était arrimée par l’école, qui était un des terrains privilégiés de la lutte des classes. C’est en
ce sens que les classifications qui existaient dans la société se sont répercutées dans les établissements
scolaires et universitaires. Ceci nous incite à poser la question suivante : quelle position occupe l’école dans
l’évolution permanente de la société ? Selon P. Bourdieu et J.C. Passeron, l’école
en ne donnant pas explicitement ce qu’il exige, le système d’enseignement exige uniformément
de tous ceux qu’il accueille qu’ils aient ce qu’il ne donne pas, c’est-à-dire le rapport au langage
et à la culture que produit un mode d’inculcation particulier à celui-là seulement. (...) La
dépendance du système traditionnel à l’égard des classes dominantes se lit directement dans le
104
primat qu’il accorde au rapport à la culture sur la culture
Pour eux, l’école, arrachée à l’obscurantisme, mise au service des citoyens ou des savants, de l’état ou du
prolétariat, devient un instrument du développement de l’humanité. Elle joue un rôle producteur, comme
levier institutionnel pour hâter l’évolution. Émile Durkheim, pour sa part, pense que l’école est un lieu
d’intégration sociale. Autrement dit, dans les progrès très complexes, des sociétés mécaniques aux sociétés
organiques, l’école joue un double rôle : d’une part, elle contribue à unifier les différentes branches des
activités sociales autour des valeurs centrales (éducation générale) ; d’autre part, elle prépare les individus
100
Banque mondiale (1988) : L’éducation en Afrique subsaharienne. Pour une stratégie d’ajustement de revitalisation et ‘expansion
(Étude de politique générale de la banque mondiale), Washington.
101
Durkheim, E. (1966). Éducation et sociologie, Paris, PUF, p.41.
102
Durkheim, E. (1999). Éducation et Sociologie, Paris, Quadrige, PUF, pp.130.
103
104
Hoffman, L-F. (1973). Le Nègre romantique : personnage littéraire et obsession collective, Paris, Payot.
Bourdieu, P. ; Passeron, J.C.J.(1970) La Reproduction, Ed. Minuit, p. 163
129
Ousmane BA
N° 20
Décembre
2015
aux divers milieux de travail (éducation spéciale). Il montre aussi que l’éducation ne peut donc pas être
définie dans l’absolue car elle varie d’une époque à l’autre au cours de l’histoire et d’un groupe social à
l’autre au sein de chaque société. Donc, le manque d’éducation peut inciter l’individu à utiliser la violence
comme moyen d’expression et d’affirmation de son identité.
Au regard de ces différentes assertions, on peut noter qu’à chaque société correspondent des valeurs et
des savoirs spécifiques. Il est nécessaire d’adapter l’école aux conditions changeantes, précisément pour
qu’elle puisse accomplir son rôle, c'est-à-dire maintenir l’intégration dans l’évolution contre les forces
centrifuges et les tensions sociales. C’est ce qui a incité, d’ailleurs, Durkheim à penser précisément que
l’école devrait adapter ses valeurs et il a lui-même esquissé le sens de cette adaptation : esprit de discipline,
attachement à la patrie et à la raison
105
. Nous avons fait appel ces auteurs pour essayer de comprendre les
différentes missions assignées à l’école, aux universités et les crises intempestives qui paralysent souvent le
système scolaire et universitaire dans sa globalité.
2.
Les franchises universitaires ou libertés académiques
En matière de libertés académiques, la conférence de Nice de 1950 a défini les contours que fondent les
principes suivants :
- « Le droit et la liberté de rechercher la science pour elle-même où que cette recherche peut conduire ;
- « La tolérance des opinions opposées et l’indépendance à l’égard de toute ingérence politique » ;
- « Le devoir, en tant qu’institution sociale, de promouvoir par l’enseignement et la recherche, les principes
de liberté, de justice, de dignité et solidarité humaine et de développer l’entraide matérielle et morale sur un
plan international »
106
. On constate qu’il y a une certaine protection du champ universitaire. Car, elle est
considérée comme un lieu d’échanges, de critiques et de dialogue.
En Afrique, la question des franchises universitaires et des libertés académiques s’est posée avec acuité. En
effet, elle continue même de susciter une grande polémique dans le champ universitaire. Ainsi, on constate
que depuis la déclaration de Kampala en 1998 sur « La liberté intellectuelle et la responsabilité », cette
question est toujours controversée. Mais, il faut constater que les libertés académiques et les franchises
universitaires constituent deux (02) éléments intimement liés. On peut définir la liberté académique comme
un outil qui permet à l’enseignant et au chercheur de bénéficier dans l’exercice de ses fonctions, des libertés
d’opinion, de conscience, d’association…de vivre dans des conditions adéquates afin de bien mener ses
activités scientifiques. En ce qui concerne les franchises universitaires, elles peuvent être perçues comme
un ensemble de droits, libertés et privilèges reconnus à l’université par l’État. En effet, elles peuvent être
divisées en deux (02) catégories : d’une part, on note des franchises territoriales, qui garantie l’espace
académique et d’autre part, la liberté de pensée de l’enseignant et du chercheur.
105
106
Durkheim, E. (1963), L’Éducation morale, Paris, PUF, 1, 242 pages.
Conférence de Nice, UNESCO, Paris, Décembre 1950.
130
Liens Nouvelle Série
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
Au Sénégal, la question des franchises universitaires et libertés académiques s’est posée dans les années
1969 suite aux violentes grèves de Mai 1968. Les autorités étatiques de l’époque avaient émis une loi qui
sera adoptée pour réduire considérablement la portée des franchises. De même en 1971, une autre loi a été
adoptée pour restreindre davantage ces libertés
repréciser les franchises universitaires
107
. Ce n’est qu’à partir de 1994, qu’une loi consensuelle va
108
. Depuis lors, il n’y a pas eu une autre concertation pour redéfinir
les franchise universitaires et libertés académiques à part la décision présidentielle numéro quatre (04)
relative aux conclusions de la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur au Sénégal
(CNAES). Pourtant à chaque fois, on constate des violations de ces franchises de la part des acteurs
extérieurs à l’université tels que les forces de l’ordre.
2.
Les Brèves présentation des réformes de 1992 et 2013
En avril 1992, les autorités sénégalaises ont lancé une Concertation nationale sur l’enseignement supérieur
(CNES) afin de rassembler les différents acteurs en vue de trouver des solutions aux divers problèmes. La
CNES a rassemblé un certain nombre de participants représentant des groupes d’acteurs tels que les
employés, les étudiants, les professeurs et les écoles privées pendant une période de 14 mois. Elle s’est
terminée avec près de vingt (20) recommandations qui devaient former le fondement de la réforme
universitaire. La plupart des recommandations étaient orientées vers des questions structurelles et de
gouvernance à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, telles que la rationalisation de certains instituts et la
redéfinition de la représentation sur certaines structures de gouvernance interne. Les principaux piliers des
politiques étaient les suivants :
- La limitation des bourses à l’étranger pour des études de niveau avancé dans des filières spécialisées
non disponibles au niveau local ;
- La sous-traitance des services de restauration et la récupération d’une partie des coûts ;
- Le contrôle de l’impact négatif de l’accès universel en permettant aux universités d’accepter seulement
le nombre d’étudiants qu’elles avaient la capacité de recevoir ; (Voici un des nœuds gordien de la
question d’orientation des nouveaux bacheliers aujourd’hui) ;
- L’ouverture simultanée de l’accès et la promotion d’une plus grande diversité des options de
programmes par la promotion de l’enseignement supérieur privé tout en planifiant un secteur public plus
diversifié et étendu tant au plan programmatique que géographique (par exemple l’UGB, le CUR de
Bambey).
107
Les décrets 71-993 du 6 septembre 1971, 73-127 du 7 février 1973, la Loi 94-79 du 24 novembre 1994 ont réduit considérablement
les franchises et libertés par la présence permanente de gardes et de la police dans l’espace universitaire.
108
La Loi N°94-79 relative aux franchises et libertés universitaires au Sénégal, p.1, 2 et 3, Dakar, Novembre 1994.
131
Ousmane BA
N° 20
Décembre
2015
En avril 2013, les autorités de la deuxième alternance avaient décidé d’organiser une Concertation Nationale
sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) au Sénégal. Effet, cette concertation se justifiait par le
fait que, depuis quelques années, le système d’enseignement supérieur au Sénégal connait une crise
multiforme nourrissant continument des revendications qui portent sur :
-La mise à niveau et le rééquilibrage des budgets des universités publiques ;
-la finition des infrastructures sociales et pédagogiques dans les universités publiques ;
-La révision du statut des personnels d’enseignement de l’enseignement supérieur ;
-La gouvernance des universités publiques et de l’enseignement supérieur ;
-L’environnement de travail et le logement ;
-L’attribution des bourses, leur renouvellement et le respect des échéances de leur paiement,
l’hébergement, la restauration, les frais de scolarité et les conditions de vie dans le campus social.
A l’issue de cette rencontre, 78 recommandations et 16 décisions présidentielles ont été prises. Parmi ces
décisions, celles relatives aux numéros 04 et 11 semblent poser problème. Celle numéro 04 porte sur
l’instauration d’une culture de la paix au sein des Établissements publics d’enseignement supérieur avec
comme soubassement :
-Actualiser les textes sur les franchises universitaires.
- Mettre en place une police universitaire dans les établissements d’enseignement supérieur afin d'assurer la sécurité
des personnes et des biens
- Mettre en place des comités de dialogue social et des structures de médiation dans les Espaces d’Enseignement
Supérieur.
En ce qui concerne celle numéro 11, elle porte sur l’investissement dans l’enseignement supérieur et la
recherche à la hauteur de notre nouvelle ambition comme point qui intéresse notre article : Établir les
nouveaux droits d’inscription dans les universités publiques pour la rentrée universitaire 2013-2014. Cette
décision constitue le point d’achoppement et de conflit entre le mouvement étudiants et les autorités
universitaires, académiques et étatiques.
III.
Analyse
des
revendications
estudiantines
et
la
violation
des
franchises
universitaires à l’UCAD
Cette partie de notre article va mettre l’accent, d’abord, sur les types de revendications des mouvements
étudiants. Ensuite, montrer l’impact de ces dites revendications sur les franchises universitaires à l’UCAD.
132
Liens Nouvelle Série
2.
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
La cartographie des revendications estudiantines
Au Sénégal, on constate que les crises scolaires et universitaires posent d’énormes problèmes aux pouvoirs
publics dans la mesure où il y a une grande différence entre l’offre et la demande. A cet effet, ce
déséquilibre provoque parfois des conflits sociaux entre les acteurs concernés. Si le conflit est inhérent à
toute organisation humaine et qu’il la permet de progresser et de s’affirmer davantage, alors force est de
reconnaître que les crises ne peuvent pas épargner le champ universitaire. Le conflit peut-être définie
comme : « une opposition entre des individus ou des groupes sociaux défendant des valeurs et des intérêts
divergents, et cherchant à instaurer un rapport de force en leur faveur
109
». Les crises universitaires ont
toujours occupé une place de choix dans la marche vers la progression du système éducatif national.
Beaucoup de crises ont marqué l’enseignement supérieur sénégalais de l’indépendance jusqu’à nos jours
avec comme corollaire des dégâts matériels, des pertes de vies humaines et la paralysie totale de
l’enseignement. En effet, ces crises ont pour nom le plus souvent la grève qui est un moyen qui permet aux
acteurs d’atteindre leurs objectifs. Il faut noter qu’il existe plusieurs types de revendications estudiantines.
Harouna Sy, dans un de ses articles, a fait la typologie de la violence scolaire au Sénégal. Selon lui, il y a
trois (03) formes principales de violence scolaire: « La violence militante, la violence délinquante et
l’indiscipline. La violence militante est constituée essentiellement par les grèves. C’est une violence motivée
par la défense d’intérêts spécifiques, légitimée par la défense d’une cause idéologiquement construite plus
ou moins consciente et qui résulte d’une agrégation de comportements individuels en tant que condition
sociale d’existence d’une action collective
110
». En faisant cette typologie, Harouna Sy montre que la violence
militante est la plus visible et la plus importante au regard du nombre de mouvements de grève par an et de
leur durée, de leurs conséquences pédagogiques et de leurs multiples connexions avec les champs politique
et social. Toutefois, il faut noter que l’auteur parle tantôt de violence tantôt de grève pour spécifier les
manifestions étudiantes. Dans le cadre de notre article, nous préférons utiliser le mot revendication en ce
sens qu’elle constitue un concept qui prend en charge les préoccupations de notre objet de recherche.
Dans une intéressante étude, Marina Diallo-Co Trung
111
(1992), cité par Harouna SY, a identifié trois types
de revendications des élèves et des étudiants. Il s’agit des :
-
revendications matérielles: effectifs pléthoriques, insuffisance des tables bancs, dégradation des
locaux, insuffisance ou absence d’infrastructures sanitaires et sportives, faiblesse numérique des
bénéficiaires des aides et des bourses, date de paiement des bourses non respectée, conditions
d’hébergement et de restauration non satisfaisantes. Pour l’essentiel, les revendications des étudiants ont
109
Lexique de Sociologie. (2007). Ed. Dalloz, Paris, P.61.
Sy, H. (2008). Grèves scolaires et universitaires au Sénégal. LIENS Nouvelles Séries n°11, p.1.
111
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Cathérine Coquery-Vidrovitch, Françoise Guitart (Eds.) : Les jeunes en Afrique. Évolution et rôle (XIXe-XXe siècles), T. 1, Paris,
L’harmattan, pp. 407-439. Cité par Harouna SY dans « Grèves scolaires et universitaires au Sénégal », LIENS Nouvelles Série n° 11,
2008, p. 73.
110
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porté sur la réduction du prix des tickets repas et des logements et sur l’augmentation du nombre et
du montant des bourses
-
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112
.
revendications pédagogiques : insuffisance ou absence d’ouvrages et du matériel didactique. Les
données que nous avons obtenues en révèlent d’autres : le manque d’enseignants dans les classes et
amphithéâtres et la mise en question de plus en plus fréquente de leurs compétences et de leur conscience
professionnelle.
-
revendications politiques : respect et extension des franchises universitaires, la sévérité de la
sélection et l’absence de débouchés pour les diplômés. L’échantillon de grèves fournit un élément qui
complète cette énumération de Diallo-Co Trung : les prises de position politiques au cours de certains
évènements (coup d’État, assassinat d’homme politique, la proclamation des résultats aux élections, les
réformes scolaires et universitaires).
Par ailleurs, il faut noter que les revendications des mouvements étudiants sont parfois arrimées par des
crises politiques et syndicales. Par exemple, dans les années 1960, il a été noté de nombreuses grèves et
luttent syndicales. Selon Mamamdou Sy « Albert » , ces revendications se justifiaient par le fait que
« l’université de Dakar, héritée du système d’enseignement français, perpétue un sentiment d’appartenance
à une communauté scientifique et à une élite convaincue qu’elle est porteuse d’une vision de société plus
juste, plus équitable et plus humaine. Les mouvements syndicaux crées en 1960 et ceux du milieu des
années 1980 ont en commun le combat aussi bien contre la dégradation des conditions de vie,
d’enseignement que la lutte pour le maintien du niveau académique et le prestige de l’université de
Dakar
113
». De ce fait, constate l’auteur, les revendications du mouvement syndical étudiant a été très
politique entre 1960 et 1980. Selon lui, cela s’expliquait par le fait que le pôle de gauche ou la gauche
révolutionnaire était très influent dans les structures estudiantines. Donc, on remarque nettement que la
politisation des mouvements étudiants ainsi que l’implication de leurs dirigeants aux côtés des organisations
politiques donnent une autre orientation à leurs revendications. En plus, selon l’auteur, une rupture sur les
revendications des étudiants va être notée à partir des années 1980. Car, les revendications vont porter sur
les mouvements de soutien aux luttes de libération des peuples ainsi que contre l’impérialisme. Enfin, à
partir de 2000, avec l’avènement de la première alternance politique au Sénégal, on constate que les
revendications des mouvements étudiants ont changé de paradigme du fait qu’elles sont devenues
principalement économiques.
Partant de cet état de fait, il importe de signaler que les crises universitaires sont des faits sociaux totaux
pour reprendre les termes de Marcel Mauss
114
. Car, elles touchent toutes les couches de la population
sénégalaise. En fait, l’université n’est rien d’autres que la société en miniature car elle reçoit en son sein des
individus de différentes sensibilités. Autrement dit, ces derniers ont des représentations et perceptions qui
112
ZEILI L. (2004). Enquête de changement politique: la mobilisation étudiante au Sénégal, 2000-2004 , in Politique
africaine, no 96, décembre, Éditions Karthala, Paris, pp. 39-58.
113
Sy, M.A. (2009). UCAD Cinquante après : les mutations profondes de la communauté universitaire, Presse
Universitaire de Dakar.
114
Mauss, M. (1968). Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 482 pages.
134
Liens Nouvelle Série
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
varient selon leur appartenance sociale. Et c’est à l’institution universitaire de définir des bases très claires
pour le respect des normes prescrites telles que les textes académiques. Sans cette barrière, les individus
peuvent développer des comportements qui sont en parfaite inadéquation avec les réalités universitaires.
2.
Impact des revendications des mouvements étudiants sur les franchises
universitaires
Comme nous l’avions noté ci-dessus, les mouvements estudiantins
115
ont différentes formes de
revendications. Ces revendications peuvent être accompagnées par des grèves violentes ou pacifiques.
Ainsi, les grèves violentes sont caractérisées par de nombreux dégâts matériels, de barrage des routes pour
empêcher l’avancée des forces de l’ordre, de l’utilisation d’armes blanches et d’allumage des pneus dans les
différentes artères de l’université. Quant aux grèves douces, elles consistent à rassembler les acteurs autour
d’une assemblée générale, de discuter sur les différents plans d’actions à adopter et à décréter un mot
d’ordre. Ce type de grève est rarement utilisé par les étudiants dans la mesure où elle ne permet pas aux
autorités compétentes de réagir. En quoi les revendications estudiantines constituent-elles une menace pour
les franchises universitaires et les libertés académiques? Il faut noter que l’exécution des revendications qui
s’effectue dans le cadre de relations entre les mouvements d’étudiants et les autorités académiques peuvent
se heurter à des difficultés qui sont susceptibles d’entraîner des blocages au sein de l’université. En effet,
des différends dans le système éducatif apparaissent tout naturellement dans les organisations humaines et
appellent une réaction rapide de la part des parties impliquées dans le conflit afin d’empêcher que la
situation ne pourrisse. Ainsi, les différends qui existent au sein du système universitaire sont des litiges qui
naissent entre les mouvements étudiants et l’administration universitaire à l’occasion de l’application des
différents points émis dans les plates-formes ou les réformes.
Abordant cette question, Adam. G et Reynaud J. D
116
considèrent que
« le conflit indique la place d’un problème persistant mal réglé ou demandant des ajustements
plus profonds que ceux qu’une partie est disposée à consentir. Il est une rencontre de groupes
sociaux dont les prétentions et les points de vus différents ; rencontre qui prend une forme
« violente » parce qu’un réajustement de ces rapports est demandé, au moins par l’une des
parties, et qu’il comporte novation, dans le fond et dans la procédure ».
Quant à March et Simon, ils donnent du conflit l’acceptation suivante : « blocage des mécanismes moraux
de prises de décisions de sorte qu’un individu ou un groupe éprouve des difficultés à opérer le choix de son
action »
117
. Les propos de ces auteurs nous incitent à penser que dans le cas sénégalais, à chaque fois qu’il
y a revendications alors il y a toujours problèmes de non respect des engagements signés entre les
mouvements étudiants et les autorités académiques.
115
Les organisations d’étudiants sont réglementées et encadrées par le Décret 68-860 du 24 juillet 1968 et celui 82-377 du 17 juin
1982). Les activités sont définies par la Loi 65-40 du 22 mai 1965.
116
Adam, G. ; Reynaud, J.D. (1978). Conflits du travail et changement social, PUF, p 118.
117
March, J. G. ; Simon, H. A. (1979). Les organisations, Paris, Dunod.
135
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En fait, ce non respect des engagements peut inciter les étudiants à rendre violent leurs mouvements en
utilisant des moyens et des stratégies de luttes qui peuvent parfois menacer les franchises universitaires et
les libertés académiques allant même jusqu’à une mort d’homme. Car, les forces de l’ordre pénètrent
régulièrement dans les campus pédagogique et social, affrontent les grévistes et violent délibérément les
franchises universitaires. La violence à l’Université a atteint son paroxysme en 2001 où un étudiant au nom
de Balla Gaye a été abattu par balle à l’intérieur du Campus social le 31 janvier 2001. Ceci montre que les
revendications estudiantines peuvent créer une situation inconfortable à toutes les parties impliquées dans
le champ universitaire et conduit, si des dispositions rapides ne sont pas prises dans le sens de trouver une
solution négociée, à des crises qui débouchent sur des conséquences néfastes. Sous l’angle sociologique,
la conflictualité est inséparable des organisations. Elle est inhérente à la vie en société. La revendication est
donc au cœur des organisations et se présente, à l’instar du suicide, comme une situation normale qui peut
affecter par moment les construits sociaux. Cela signifie que la revendication est un phénomène social. Par
conséquent, nous pouvons dire que s’il existe des règles pour adapter les revendications, il ne saurait y
avoir des règles pour les supprimer. La revendication est donc une relation sociale. Elle est un choc
intentionnel, oppose des individus entres-eux, appartenant au même monde social. Il est précisément
l’expression d’une divergence quant à l’évolution possible de la situation sociale commune. Toutefois, les
interprétations du système universitaire varient selon les auteurs, les époques et les milieux. Chaque auteur
donne son point de vue par rapport à l’évolution ou la progression de l’éducation. En outre, il faut noter que
ces revendications sont souvent dues aux manques d’infrastructures pédagogiques comme les
amphithéâtres, les salles de cours, de travaux dirigés, déficit de professeurs, de table-bancs, de laboratoires
de recherches, d’ouvrages aux programmes, etc. Tout ceci incite les étudiants à radicaliser leurs
mouvements pour amener l’autorité à satisfaire leurs plates-formes revendicatives.
Depuis 2013 et avec la mise en place des réformes universitaires ainsi que leur application au sein des
universités publiques du Sénégal de manière générale et à l’UCAD en particulier, on constate une opposition
radicale des mouvements étudiants. Ils s’intensifient et se développement surtout avec la dissolution des
différentes amicales des facultés, sauf celle de médecine, que comptait l’UCAD. Cette suppression des
amicales a permis certains étudiants de mettre en place des groupes stratégiques d’action échappant
souvent au contrôle des autorités universitaires. Sous ce rapport, ces groupes informels vont essayer de
développer des motivations et logiques d’action allant dans le sens de la prise en charges de leurs
revendications
118
.
En 2014, les points de choc qui opposaient les mouvements étudiants et les autorités universitaires étaient
entres autres l’augmentation des droits d’inscription. Selon les autorités, « Les étudiants ne versent
qu’environ 10 mille francs CFA par an pour leur inscription dans l’enseignement supérieur public. Pour
résorber le gap de financement de l’enseignement supérieur, il convient de faire participer les étudiants au
financement de leur éducation ». Autrement dit, les frais d’inscription doivent être amenés à 150 mille francs
CFA par an, soit 15 mille par mois, dès 2014 ; et à 200 mille francs CFA, soit 20 mille par mois, en 2022.
Cette mesure pourra porter selon eux, le taux de recouvrement des dépenses de fonctionnement par les
118
Ansart, P. (1990). Les Sociologies contemporaines, Paris, Seuil, 3ème édition, p.65.
136
Liens Nouvelle Série
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
frais d’inscription à 33,9% en 2017 et 42,7% en 2012
119
. Les autorités estiment, par ailleurs, que : « Le sous-
secteur, des bourses et de l'hébergement des étudiants, devant évoluer sous de fortes contraintes
budgétaires au cours des prochaines années, l’État ne pourra plus continuer à attribuer une bourse ou une
aide à tout étudiant accédant à l'enseignement supérieur public »
120
. Mieux encore, « Le déséquilibre entre
les dépenses publiques sociales et celles allouées à la pédagogie a atteint un niveau tel que c’est tout le
système d’enseignement supérieur public qui serait menacé d’effondrement s’il se poursuivait les prochaines
années »
121
.
En analysant le contenu de ce pré-rapport, on remarque bien que les volets pédagogique et social semblent
être privilégiés dans cette réforme. Ceci a incité certains mouvement étudiants a contesté vigoureusement
l’application de ces mesures qu’ils jugent « arbitraires et illégales » car n’étant pas fondées sur une
approche inclusive. C’est le début de multiples revendications et manifestations au sein du campus avec son
corollaire de violence. En effet, ces derniers utilisent toutes formes de violence : physique, verbale, morale,
psychologique et symbolique contre les autorités universitaires et étatiques pour la non application de ces
mesures. Ces violences ont lieu à la fois dans l’espace pédagogique et social et touchent tous les acteurs
universitaires allant même jusqu’à violer les franchises universitaires. D’ailleurs selon Babacar Diop, la
violence gangrène le mouvement étudiant et l’espace universitaire. Pour lui, la violence est le mal des
étudiants car la confrontation des idées a cédé la place à la violence physique. Il soutient que le mouvement
étudiant est aujourd’hui en panne d’idée. Cette irruption de la violence est d’une part relative à la déchéance
de l’exercice de conviction. Il ajoute que : « la violence est un mal qui menace les fondements de l’université
qui est par essence un espace de liberté et de dialogue ». Il pense que les étudiants doivent respecter les
franchises universitaires dont ils ont toujours revendiqué le caractère inviolable. Il revient dans son ouvrage,
sur la violence du 17 février qui a vu la police violer les franchises universitaires en mâtant les étudiants
dans leurs propres chambres. « Je les ai vécu la mort dans l’âme. J’en ai mesuré l’irresponsabilité dont font
preuve chaque jour les gens qui nous gouvernent. J’étais consterné par la violence sauvage et gratuite avec
laquelle les forces de l’ordre ont investi le campus universitaire », déclare B. Diop. Il dresse le bilan drastique
des évènements du 17 février. « Le bilan fut lourd : de nombreux blessés dont certains évacués en France
et paralysés à vie, portes défoncées, chambres calcinées, vitres cassées, matériel pédagogiques disparus
ou endommagés»
122
.
Ces différents témoignages de M. Diop sont pertinents surtout quant il s’agit du triptyque violence, libertés
académiques et franchises universitaires. En tant qu’ancien dirigeant du mouvement étudiant, il nous montre
que parfois ce sont les étudiants eux-mêmes qui violent les textes relatifs aux franchises universitaires. Or le
plus souvent, cette violation est souvent portée sur le dos des forces de l’ordre. La question ici est de savoir,
d’un côté, si les responsables des mouvements étudiants maîtrisent parfaitement le contenu de la loi sur les
franchises universitaires, et de l’autre, est-ce que les forces de l’ordre ont pris connaissance de cette loi ainsi
que son application sur le champ universitaire ? Sinon comment expliquer la violation récurrente et répétitive
119
Rapport CNAES : « Réorienter le système d’enseignement supérieur Sénégalais », Mars 2013.
Rapport CNAES, Ibid.
121
Rapport CNAES, Ibid
122
Diop, B. (2010). Le feu sacré de la liberté : Mon combat pour la jeunesse africaine, Paris, L’Harmattan, p.147 et 149.
120
137
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des franchises universitaires si l’on sait qu’il existe une loi garantissant l’autonomie des universités
publiques ? Nous avons soulevé ces questionnements du fait qu’en cas de grèves multiples et violentes de
la part des étudiants, l’intervention des forces de l’ordre est souvent musclée et occasionne des blessés
graves des deux (02) côtés voire mort d’hommes comme celui de Balla Gaye en janvier 2002 et de Bassirou
Faye en août 2015 au sein du campus social. De même, la simple revendication de certains mouvements
étudiants, un des acteurs clés du système universitaire, peut constituer une menace pour tout le reste des
acteurs à savoir les enseignants, les chercheurs, le Personnel Administratif, Technique et Services (PATS),
les autorités académiques. Mieux encore, il est souvent difficile d’identifier les acteurs clés qui ont tendance
à perturber les franchises universitaires d’autant plus que les mouvements étudiants sont divers et variés.
On a l’impression qu’il y a un une incertitude et une non maitrise du champ universitaire de la part de ces
acteurs en question
123
. Cette méconnaissance des franchises universitaires de la part de ces acteurs peut
constituer un danger fondamental pour non seulement l’autonomie de l’université Cheikh Anta Diop de
Dakar mais aussi aux libertés académiques.
IV.
Quelles perspectives pour les défis
Il faut rappeler qu’après les États généraux de l’Éducation et la Formation de 1981, une concertation
Nationale sur l’Enseignement Supérieur a eu lieu en 1993. Aujourd’hui, le Sénégal a encore enclenché une
Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) pour réformer le sous-secteur de
l’Enseignement Supérieur. Cependant, la mise en œuvre des conclusions issues de ces concertations pose
un problème majeur aux mouvements étudiants. Cet état de fait crée un malaise au sein du campus
universitaire et jusque-là des mesures idoines prises par les autorités universitaires semblent ne pas avoir
l’agrément des mouvements étudiants. Toutefois, vouloir pacifier le campus universitaire est loin d’être une
chose facile. On peut, en ce qui concerne l’UCAD, proposer un certain nombre de défis à relever :
-Interdire la violence des mouvements étudiants sous toutes ses formes quel qu’en soit le prix ;
-Mettre en place une police universitaire ou administrative en relation avec tous les acteurs universitaires.
Rappelons qu’un des points de revendications du SAES de cette est année est la suppression du projet de
loi portant création de cette police et la Loi cadre qui, selon eux, violent les libertés académiques en ce sens
qu’il n’y a pas eu de concertation de la part des acteurs ;
-Démocratiser l’espace académique en instaurant le dialoguer inclusif entre les mouvements étudiants et les
autres acteurs universitaires ;
-Former et renforcer les capacités des mouvements étudiants sur les franchises universitaires et les libertés
académiques ;
123
Crozier, M. ; Friedber, E.1 (977). L’acteur et le système, Paris, Seuil, P.37.
138
Liens Nouvelle Série
Les revendications des mouvements étudiants et la violation des franchises universitaires
au Sénégal: Cas de l’UCAD.
-Renforcer les capacités des étudiants en leadership et en des droits humains ;
-renforcer Médiature (omnbusman) de l’UCAD en méthodes et techniques traditionnelles et modernes de
prévention et gestion des crises universitaires.
Conclusion
En somme, nous pouvons dire que la revendication est un mouvement social dont l’intensité varie selon la
nature des groupes. Ainsi, au Sénégal, la revendication a toujours été la formule de protestation la plus
utilisée dans tous les secteurs d’activités. Toutefois, il faut signaler que dans le champ universitaire, elle
occupe une place de choix car constituant un des moyens d’action qui peut inciter les autorités académiques
à satisfaire les différentes plates-formes revendicatives des grévistes. L’université Cheikh Anta Diop de
Dakar a toujours connu des mouvements étudiants radicaux. Ils revendiquent souvent leurs actions en usant
de la violence ; ce qui incite les forces de l’ordre à pénétrer au sein du campus. Cette intervention parfois
musclée de ces dernières violent les principes sacro-saints des franchises universitaires et des libertés
académiques. Sous ce rapport, il faut noter qu’un réel problème se pose relatif à la connaissance ou non de
la loi sur les franchises universitaires et les libertés académiques de la part des ces deux (02) acteurs cités.
Aujourd’hui avec la réforme sur l’enseignement supérieur et la Loi cadre relative aux universités publiques
sénégalaises, la question du respect des franchises universitaires et des libertés académiques se pose avec
acuité. Ce qui semble constituer une menace pour l’avenir de l’enseignement supérieur sénégalais.
Références Bibliographiques
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revitalisation et ‘expansion (Étude de politique générale de la banque mondiale), Washington.
Borrero Cabal, A. (1995). L’université Aujourd’hui : élément de réflexion. Paris, Edition Microfiche.
Bourdieu, P. ; Passeron, J.C.J.(1970) La Reproduction, Ed. Minuit, p. 163
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Afrique. Évolution et rôle (XIXe-XXe siècles), T. 1, Paris, L’harmattan, pp. 407-439. Cité par Harouna SY
dans « Grèves scolaires et universitaires au Sénégal », LIENS Nouvelles Série n° 11, 2008, p. 73.
Décret 68-860 du 24 juillet 1968
Décret 71-993 du 6 septembre1971
139
Ousmane BA
N° 20
Décembre
2015
Décret 73-127 du 7 février 1973
Décret 82-377 du 17 juin 1982
DIOP, B., 2010, Le feu sacré de la liberté : Mon combat pour la jeunesse africaine, Paris, L’Harmattan, p.147
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DURKHEIM, E., 963, L’Éducation morale, Paris, PUF, 1, 242 pages.
DURKHEIM, E., 1966, Éducation et sociologie, Paris, PUF, p.41.
Durkheim, E. (1999). Éducation et Sociologie, Paris, Quadrige, PUF, pp.130.
GOMIS, S., 2013, Analyse sociale de l’enseignement supérieur public au Sénégal, L’Harmattan, Paris,
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HOFFMAN, L-F Hoffmann., 1973, Le Nègre romantique : personnage littéraire et obsession collective,
Paris, Payot.
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MARCH, J. G., SIMON, H. A., 1979, Les organisations, Paris, Dunod.
MAUSS, M., 1968, Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 482 pages.
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Rapport CNAES : « Réorienter le système d’enseignement supérieur Sénégalais », Mars 2013.
Sall, H.N. (1996). Efficacité de l’enseignement supérieur. Quels étudiants réussissent à l’université de
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Sy, H. (2008). Grèves scolaires et universitaires au Sénégal. LIENS Nouvelles
Séries n
°11, p.1.
Sy, M.A. (2009). UCAD Cinquante après : les mutations profondes de la communauté universitaire, Presse
Universitaire de Dakar.
ZEILI L., 2004, « Enquête de changement politique: la mobilisation étudiante au Sénégal, 2000-2004 », in
Politique africaine, no 96, décembre, Éditions Karthala, Paris, pp. 39-58.
140
Souleymane Diallo
Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
Résumé
Le massage-bébé ou ‘’damp’’ en wolof est une exigence biologique pour les tout-petits. Il est constitué d’un
ensemble d’exercices physiques appliqués au corps de ce dernier et dont l’importance sur le développement
intégral des enfants est prouvée par plusieurs études scientifiques. Mais les contraintes citadines liées
surtout aux activités lucratives des femmes à Dakar font que l’entretien correct des bébés et particulièrement
leur massage journalier pendant 8 à 12 mois pose problème. En effet, sur les 80 mamans dakaroises
enquêtées, 48 ne massent pas elles-mêmes leurs bébés. Parmi celles-ci, 25 sollicitent les services d’une
masseuse professionnelle à domicile à raison de 4000 à 5000fr la séance ou chez elle pour 2000 à 3000fr
par séance. En outre, les 26% des tout-petits sont massés par les grand-mères pendant 2 semaines et/ou
par une bonne volonté. D’autre part, les 15% de l’échantillon massent leurs bébés sans maitriser les 6
étapes indispensables. Les jeunes mamans n’y sont pas formées et leurs activités professionnelles sont
source de blocage. Au total, plus de 70 % des bébés dakarois sont exposés à l’inaptitude, les maladies, la
paresse etc.
Mots-clés : Massage-bébé, contraintes citadines, développement optimal, exercices physiques.
Abstract
Baby massage or the '' damp 'in Wolof is a biological requirement for toddlers. It consists of a set of physical
exercises applied to the body of the latter and whose importance in the integral development of children is
proved by several scientific studies. But the urban constraints primarily related to income generating
activities for women in Dakar make proper maintenance of babies and particularly their daily massage for 8
to 12 months is a problem. Indeed, of the 80 surveyed mothers in Dakar, 48 do not massage their babies
themselves. Of these, 25 are seeking the services of a professional masseuse at home due from 4000 to
5000fr session or home to 2000 3000fr per session. In addition, 26% of toddlers are massaged by
grandmothers for 2 weeks and / or goodwill. On the other hand, 15% of the sample massage their babies
without master the 6 essential steps. Young moms are not trained and their professional activities are a
source of blockage. In total, over 70% of babies are exposed to Dakar incapacity, illness, laziness etc.
Keywords: Baby Massage, urban constraints, optimal development, physical exercises.
141
Souleymane Diallo
N° 20
Décembre
2015
INTODUCTION
Les premiers mois après la naissance constituent une étape déterminante dans la vie. C’est un point de
départ pour toute une existence, une période à partir de laquelle les projections sur le devenir de l’enfant se
font. Mais la sensibilité de cet âge fait que son encadrement est fondamental. Ainsi, le développement sous
tous ses aspects est pris en compte. En plus de la santé-nutrition, les comportements du bébé font l’objet de
beaucoup d’attention. La fonctionnalité des organes de sens est régulièrement testée par les parents et
autres qui s’activent autour de lui. Il en est de même pour le développement physique qui fait l’objet d’une
préparation minutieuse et dont l’activité principale pour le bébé est le massage. C’est certainement pour
cette raison qu’ « on le retrouve chez la quasi-totalité des peuples du monde à une période allant 0 à environ
124
12 mois. »
Le Sénégal ne constitue pas une exeption. Cette pratique y est culturellement admise dans
toutes les ethnies et demande surtout beaucoup de précautions et du temps. Son impact positif sur le
développement intégral des bébés est démontré sur les plans physique, médical, socioculturel à court,
moyen et long terme.
Mais, force est de constater que les réalités villageoises et citadines diffèrent
fondamentalement notamment en ce qui concerne les compositions des familles et les activités lucratives
féminines accompagnées de manque persistant de temps. De ce fait, la gestion du massage des tout-petits
ne peut être la même dans ces deux types de localités. C’est pourquoi, la question suivante se pose de
manière évidente : A Dakar, les caractéristiques du massage du bébé de 0 à 12 mois peuvent-elles favoriser
son développement optimal ?
Nous nous proposons, dans un premier temps, d’étudier la réalité du
massage-bébé à Dakar en tant qu’activité physique importante et exigente dans un milieu citadin
contraignant pour les mamans. Ensuite, le temps, les techniques utilisées et la maitrise des étapes de
l’activité par ces dernières sont analysées. Enfin, le recours aux masseuses professionnelles et les
conséquences de ces manipulations corporelles sur le développement physique, sanitaire et social des
bébés dakarois sont exposés.
Les arguments développés ont été obtenus d’abord grace à une enquête par questionnaire écrit au cours
de laquelle nous avons d’abord interrogé 80 nouvelles mamans c’est-à-dire ayant accouché pendant les
mois de Juillet et d’Août 2015 et habitant chacune dans un des quatre départements de la région que sont :
Dakar, Rufisque, Guédiawaye et Pikine. Leur identification a été facilitée par l’exploitation des registres
d’accouchement des quatre grands hôpitaux ( Le Dantec, Principal, CHU Fann et l’hôpital de Thiaroye).
Après la répartition des mamans en fonction des départements de résidence, le choix de l’échantillon a été
fait au hasard simple. Ensuite, nous nous sommes entretenu de manière semi directive avec 5 masseuses
professionnelles. Enfin, cinq vielles femmes appartenant à des ethnies différentes (wolof, lébou, peulh,
sérère, diola) ont été interviewées sur les étapes et l’impact du massage sur le développement optimal des
bébés de 0 à 12 mois.
124
Kathleen Couillard, Les massages sont-ils bénéfiques pour le nouveau-né? In Maman Éprouvette du 24
mars 2013.
142
Liens Nouvelle Série
I.
. Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
Le massage du bébé à dakar, entre contraintes citadines et
exigences
biologiques.
La capitale sénégalaise est une ville complexe. Elle est en constentes mutations surtout sur les plans
culturel et économique occasionnant du coup des changements de comportements dans les rôles familiaux
des femmes mariées pouvant même aller jusqu’à la remise en cause d’activités aussi impotantes que
l’entretien de la progéniture et particulièrement le massage des bébés. En effet, Dakar est caractérisée par
une forte urbanisation où toutes les ethnies du Sénégal et des étrangers se retrouvent. Cette situation a
favorisé un véritable mélange culturel et une réorientation des normes de vie. La sauvegarde des valeurs et
habitudes villgeoises est devenue de plus en plus difficile. La course vers le gain économique, financier
prend le pas sur beaucoup de pratiques culturelles qui se dégradent en perdant leurs valeurs d’antan. C’est
le cas de l’esprit communautaire qui prévalait en Afrique traditionnelle, la structuration de la famille élargie, la
distribution des rôles selon le sexe etc. En outre, l’urbanité source de modernité et de chèreté de la vie, de
problèmes d’espace et de manque de temps, de melting pot et le brassage etc. a favorisé la nucléarisation
de la famille et la recherche d’emplois rénumérés des deux conjoints. Les femmes mariées qui y vivent sont
partagées entre les éxigences profesionnelles et celles liées au ménage. Elle sont fonctionnaires ou
s’adonnent à des activités porteuses de revenus. Devant ces constats, Agnès Adjamagbo et al.
les explications suivantes : «
125
donnent
Le défaut d’entretien pousse la femme à rechercher une activité
rémunératrice pour pallier aux défaillances du mari. Projetées hors du foyer conjugal à la recherche de
revenus, les femmes sont conduites à cumuler les rôles : elles se doivent désormais d’être épouses et
substituts du mari. L’institution familiale en milieu urbain se trouve ainsi bouleversée (…) ». En 1996, les
statistiques du Ministère de la femme de l’enfant et de la famille
126
faisaient état d’une progression nette
du pourcentage de femmes actives âgées de 15 à 29 ans. Entre 1989 et 2001, le taux est passé de 26 à
31%. Les tendances ont nettement progressées. Aujourd’hui, on se retrouverait à plus de 40 % de femmes
actives.
En outre, pour les femmes fonctionnaires, ce manque de temps est accentué par la législation. Le congé
de maternité est régi par la Loi 61-33
127
qui ne prévoie que six et huit semaines de repos respectivement
avant et après l’accouchement. L’entretien du bébé exige beaucoup plus de temps. Particulièrement, le
massage « damp » fait partie des activités les plus importantes qui
aident le tout-petit à grandir
convenablement. Cela supposent un accompagnement social, culturel, psychologique, biologique et surtout
physique. C’est certainement pour cette raison qu’Emile Durkheim
128
, en enumérant dans sa définition de
l’éducation les états à développer chez l’enfant, commençait par l’aspect physique. De manière plus précise,
125
Agnès Adjamagbo, Philippe Antoine et Fatou Binetou Dial, Le dilemme des Dakaroises : entre travailler et « bien travailler »,
document de travail DIAL /Unité de recherche CIPRE, IRD, Septembre 2003.
126
127
128
Ministère de la femme, de l’enfant et de la famille, Plan d’action de la Femme 1997-2001, Dakar, 1996, 126 p.
Loi 61-33 du 15 Juin 1961 portant statut général des fonctionnaires du Sénégal.
Durkheim (Emile), Education et sociologie, PUF Quadrige, 1922, p. 51.
143
Souleymane Diallo
Keller et Wiskott
N° 20
129
considéraient que ce développement représente «
Décembre
2015
la somme des processus de
croissance et de différentiation (maturation) de l’organisme qui conduisent finalement à sa grandeur, sa
forme et sa fonction définitive. » C’est ainsi que l’objectif visé par rapport au corps surtout est l’aptitude et la
santé. Les manifestations de ces dernières sont les augmentations mesurables de longueur, de force, de
poids, de volume et de quantité de sécrétions produites, etc. Pour le cas des bébés de 00 à 12 mois,
l’éducation pour le développement physique est constituée d’une série d’exercices physiques appelés
massage que Montagu Ashley en 1977 définit comme : « une approche douce, pratiquée avec une huile
végétale sur toutes les parties du corps.»
130
Cependant, les durs exercices physiques pour le bébé sont
passés sous silence par Montagu Ashley. La description assez exhaustive faite par Mandy Djitté après
avoir observé ces manipulations corporelles chez les ethnies du sud du Sénégal en général et les diolas et
mandings en particulier, est très illustrative. En effet, il constatait d’une part que :
en pays manding, le corps du bébé est nettoyé, baigné quotidiennement au savon noir. Il est
massé après chaque bain dès la guérison du cordon ombilical. Ainsi, pendant les premiers
mois, à chaque bain, la matrone ou une mère expérimentée procède aux massages : les
membres sont d’abord massés puis le tronc. La tête est tournée et retournée dans tous les
sens. Ensuite on procède aux étirements généraux de tout le corps. La matrone suspend
l’enfant pendant quelques secondes en le prenant uniquement par le menton et la nuque, puis,
en le prenant par les deux pieds joints, elle le renverse, la tête dirigée par le bas. Elle le soulève
et le suspend en le prenant par le bras droit, puis le bras gauche. Elle modèle la tête en
insistant sur le massage subtil du nez, des oreilles, du visage d’une manière générale. L’heure
de la toilette-exercice du corps est une séance paraissant traumatisante pour l’enfant.
Après le massage du corps, les étirements, il y a ensuite la mobilisation des principales articulations. Il
s’agit notamment de mobiliser celles-ci
dans leur plus grande amplitude et dans le sens naturel des
mouvements de flexion, d’extension, de torsion, de détorsion, de pronation, de supination et de rotation.
Pour cela, coucher l’enfant sur le dos, faire fléchir ses cuisses sur le ventre, mobiliser les articulations des
chevilles ; ensuite, le faire coucher sur le ventre et fléchir les jambes sur les cuisses, masser le bassin en
insistant sur les hanches particulièrement pour la petite fille. Le faire coucher sur le dos et continuer à
mobiliser les articulations coxo-fémorales. (…) « Chez les diolas on insiste d’avantage sur le croisement des
membres : - croiser les deux bras devant la poitrine, l’enfant maintenu en posture assise jusqu’à ce que les
deux coudes se superposent ; - tendre par la suite les deux bras devant la poitrine, les faire passer par
derrière et les croiser dans le dos jusqu’à ce que les deux coudes se touchent ; - coucher l’enfant sur le
ventre et bien tendre les pieds ; mobiliser toutes les articulations, suspendre le bébé par un bras, puis par
l’autre pendant quelques secondes. »
131
Les exercices sont suivis par un sommeil profond qui constitue le
moment de récupération pour les bébés. Ils sont faits entièrement et deux fois par jour pendant les trois
premiers mois. Le cas échéant, Mandy Djitté confirme tout en précisant les horaires : « le matin entre 8 h et
9 h et le soir entre 18 h et 19 h. »
132
. Pour sa part, Montagu Ashley recommandait : « Au début, on établit
une routine quotidienne de 10 minutes qui peut ensuite progresser jusqu’à 20 à 30 minutes. Le moment
idéal pour commencer à masser bébé se situe entre 2 mois et 8 mois, soit juste avant qu’il se mette à
129
Keller et Wiskott, Cours de psychopédagogie des APS intitulé « le développement de l’enfant : croissance
Université de Neuchatel, SEPS, 1977.
130
et maturation »,
Montagu Ashley, La peau et le toucher, Editions du Seuil, France 1979.
Mandy Djitté, Pratiques corporelles traditionnelles au Sénégal : pour leur exploitation et leur utilisation en
ième
pédagogie. In Revue Ethiopiques N° 31 publiée au 3
trimestre de 1982. P. 178.
132
Mandy Djitté op. cit. p. 179.
131
144
Liens Nouvelle Série
. Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
ramper et à explorer son environnement.»
133
Dans tous les cas, l’aménagement d’un temps réservé au
massage est obligatoire. Au Sénégal en général, les mamans étaient initiées à cette pratique dès le premier
accouchement ou même avant. Ainsi, la pérennisation et la maitrise de cette activité étaient assurées.
D’autre part, chez la quasi-totalité des peuples du monde, des produits divers sont utilisés pendant le
massage des bébés. Pour l’essentiel, il s’agit d’huiles ou de beurres dont l’application sur la peau des toutpetits la rendrait plus souple et plus malléable. Aussi, les vertus protectionnistes et thérapeutiques justifient
leurs usages. De manière plus scientifique,
Darmstadt et al.
134
(2005) ont démontré que
le massage accompagné d’huile peut améliorer la fonction de barrière de la peau empêchant
ainsi la contamination dans les premiers jours de vie ou durant les premières semaines de la
vie du bébé où les risques de vulnérabilité sont les plus élevés (…). Le massage accompagné
d’huile naturelle améliore la thermorégulation, renforce la peau, facilite la croissance et
empêche l’entrée des microbes à l’intérieur de l’organisme.
Dans la même logique Arora, Kumar et Ramji
135
(2005) ont comparé le massage avec huile et le massage
sans huile. Leurs résultats ont prouvé une amélioration de la croissance des bébés dans les deux cas. Ils
sont cependant convaincus que la bonne huile utilisée à bon escient peut donner des satisfactions surtout
pour la santé de ces enfants en devenir.
Sous un autre angle, l’importance du massage des bébés est étudiée et mis en exergue. Les conclusions
de quelques études pourraient suffire pour s’en convaincre. D’abord, en 1996, Field T., Grizzle N, et al.
136
ont réalisé un essai clinique sur 40 bébés âgés de 1 à 3 mois. Le test a consisté à les assigner
aléatoirement à des séances de 15 minutes de massage ou de bercement, 2 fois par semaine pendant
6 semaines. Les enfants du groupe massage ont pris plus de poids et ont manifesté un tempérament
plus calme et de meilleures
dispositions
émotionnelles
et
sociales. Ils
se sont aussi révélés
moins stressés, pleuraient moins et s’endormaient plus facilement. En somme, le massage du bébé impacte
positivement sur son bien-être
Ensuite, après leurs études faites en 2001, Jones JE et Kassity N., en sont venus à la conclusion
suivante : « Le massage peut faciliter le sommeil et la prise de poids du bébé, soulager les coliques et
favoriser le développement du lien affectif entre l'enfant et ses parents »
137
. Par conséquent, les bénéfices
du massage pour bébé se manifestent tant au point de vue physique que psychologique.
Enfin, l’étude de Dieter J. N. et al.
138
réalisée en 2003 et d’autres recherches encore ont permis de
démontrer qu’en plus de la diminution des risques d’infections nosocomiales et de l’intensité des coliques
qu’il occasionne, le massage des bébés favorise une augmentation de l’activité des cellules nerveuses et
des muscles, du cerveau et des fonctions visuelles. Aussi, ajoutent-ils,
133
134
Montagu Ashley, Op. Cit. 1979.
Darmstadt, G., Saha, S. K., Ahmed, N. U., Chowdhury, P. A. L., Alam, A. M., Black, R. E., Santosham, M. Effect of topical
treatment with skin barrier-enhancing emollients on nosocomial infections in preterm infants in Bangladesh: a randomised controlled
Trial. The Lancet, 2005
135
Arora, J., Kumar, A., Ramji, S. (2005). Effect of Oil Massage on Growth and Neurobehavior in Very Low Birth Weight Preterm
Neonates. Indian Pediatrics, 2005.
136
Field T., Grizzle N, et al. Massage therapy for infants of depressed mothers. Infant behavior and development, 1996, pp. 107-112
137
Jones JE, Kassity N., Varieties of alternative experience : complemetary care in the neonatal intensive care unit. Clin Obstet
Gynecol, 2001, pp. 750-68.
138
Dieter, J. N., Field, T., Hernandez-Reif, M., Emory, E. K., & Redzepi, M., Stable preterm infants gain more weight and sleep less
following 5 days of massage therapy. In Journal of Pediatric Psychology, 2003, pp. 403–411.
145
Souleymane Diallo
N° 20
Décembre
2015
« le massage pourrait être bénéfique au développement du lien entre les parents et l'enfant.
Du côté de la mère, cette approche améliorerait l'interaction entre celle-ci et son bébé. Du côté
du père, le massage permettrait de diminuer significativement le stress paternel. »
Au total, le massage est fondamental voire vital pour les bébés de 0 à 12 mois. Plusieurs études l’ont
confirmé. Cependant, en milieu urbain comme Dakar, les mamans sont de plus en plus partagées entre les
activités professionnelles ou génératrices de revenus et les devoirs familiaux en général et particulièrement
envers les bébés.
II.
Le temps et les techniques de massage pour les bébés dakarois.
L’appréhension de la réalité du massage des bébés dakarois par leurs mamans passe indubitablement
par une connaissance de l’ampleur du massage maternel et la maitrise des techniques de cette activité par
les mères.
II.1.
Le massage des bébés de 0 à 12 mois par les mamans.
La maitrise du massage-bébé s’acquiert par un apprentissage formel ou informel et une pratique. Au
regard des différentes contraintes en milieu urbain, la question du massage par les mamans dakaroises
nous a en premier lieu intéressé. Les réponses à la question : Massez-vous vos bébés vous-même ? sont
consignées dans le tableau suivant :
Tableau1 : Répartition des réponses Oui ou Non des mamans en fonction de l’âge.
Ages
Moins
(26 à 35
(36 à 45 ans)
Total
%
Réponses
25ans
ans)
Oui
04
11
16
31
39 %
non
13
23
12
48
60 %
abstention
00
00
01
01
01 %
total
17
34
29
80
100 %
Source : Enquêtes Souleymane Diallo, Août 2015.
Les mamans dakaroises qui ne massent pas leurs propres bébés sont très nombreuses. En effet, sur les
80 interrogées, les 48 ont répondu par Non. Elles représentent en valeur relative 60 % de l’effectif. Dans ce
nombre, celles qui se situent dans la tranche d’âge (26 – 35 ans) sont plus nombreuses. Les réponses Oui
sont données par 39 % des femmes enquêtées et ayant mis au monde un nouveau-né. Les plus âgées
constituent le gros du lot. Une seule abstention est notée. Cette tendance semble être confirmée. En effet,
avec le recul progressif de l’âge du mariage surtout en ville attesté par de nombreuses études, cette période
correspond généralement à l’acquisition du premier emploi et la fondation d’un foyer avec un conjoint.
Cependant, cela ne signifie pas que leurs bébés ne sont pas massés. Les explications fournies par ces
enquêtées sont exposées dans le tableau 2 :
146
Liens Nouvelle Série
. Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
Tableau 2 : Répartition des Non en fonction des raisons fournies.
Réponses
Effectifs
%
11
14 %
25
31 %
01
01 %
09
11 %
Autres réponses
02
03 %
Total des Non
48
60/80 %
Je vais chez ma mère après l’accouchement pour une deux
semaines. Elle s’en occupe.
Je ne sais pas le faire. Je loue les services d’une masseuse
du coin pendant 1 à 2 mois.
Mon bébé est massé à l’hôpital. C’est la bonne qui l’amène.
Le massage du bébé n’est pas obligatoire. Ma tante passe
une à deux fois par semaine pour le faire.
Source : Enquêtes Souleymane Diallo, Août 2015.
Les informations exposées par le tableau sont suffisamment éloquentes. Elles permettent de retenir trois
éléments essentiels. En effet, la plupart des mamans ne massent pas leurs bébés parce qu’elles ne savent
pas le faire. Elles sont au nombre de 25 sur les 80 qui constituent notre échantillon. Par conséquent, elles
représentent 31 % de l’effectif total. De l’avis des vieilles mamans,
« c’est une situation catastrophique. Le recours à une masseuse ne peut pas régler le
problème. Il faut une séance ou deux par jour. C’est un moment de communion et d’échange
d’informations tactiles qui permet au tout-petit de sentir la chaleur des mains de sa maman. »
Ensuite, les pratiques traditionnelles qui consistent à retourner auprès de sa mère pour se reposer après le
baptême sont respectées par certaines dames. Onze parmi elles utilisent ces occasions pour faire masser le
bébé par sa grand-mère. Malheureusement, ces moments sont parfois très courts. Ils durent deux semaines
si l’on se réfère aux dires de ces mamans. Cela signifie-t-il que le massage s’arrête avec la fin de ce séjour ?
Non, plusieurs personnes interviennent occasionnellement. Il s’agit de la masseuse du coin, de la tante qui
passe parfois et même de la colocataire avec laquelle la maman de l’enfant entretient de bonnes relations
de voisinage. Tout compte fait, cette situation est dommageable au bébé et est par conséquent non
souhaitée. Plusieurs mains de forces, de douceurs, de tendresses et d’amour différents envers le massé
manipulent ce petit corps. Il est important de noter que ces 11 mamans reconnaissent qu’il y a des jours où
leurs petits ne sont pas massés même si elles ne sont pas occupées. En réalité, elles ne maitrisent pas les
techniques du massage-bébé. Enfin, 11 % des nouvelles mères pensent que le massage-bébé n’est pas
obligatoire. Cette conception est rejetée en bloc par toutes les autres femmes interrogées. Mieux elles
soutiennent dans leur écrasante majorité que plus le massage est fait correctement, plus le bénéficiaire est
sain de corps et d’esprit et que ses parents achètent moins d’ordonnances pour lui. La tante est sollicitée
pour ce travail. Notons bien que les vieilles dames enquêtées découragent le massage des bébés par leurs
propres mères surtout pour le premier enfant. Les manipulations peuvent se faire de manière tendre à
l’image de Montagu Ashley qui l’assimile à une « approche douce ». Elles craignent que les exercices ne
soient pas faits correctement. Les mamans ont tendance à avoir pitié des bébés. La solidité des muscles et
des os en dépend pour une grande part. Il en est de même pour les articulations.
147
Souleymane Diallo
N° 20
Décembre
2015
En somme, trois enseignements peuvent être tirés des raisons qui expliquent que les mamans dakaroises
ne massent pas leurs bébés. En effet, premièrement, elles ne savent pas comment s’y prendre.
Deuxièmement, une ou des personnes différentes de la maman génitrice sont sollicitées pour suppléer aux
insuffisances des mères dans ce domaine. Troisièmement, les 4/5 soit 41 parmi elles travaillent. Les
femmes fonctionnaires y sont plus représentées. Pour bien cerner les difficultés liées à cette activité, nous
avons cherché à comprendre comment le massage-bébé se fait pour les femmes qui disent qu’elles
l’assurent chaque jour pour leur nouveau-né.
I.2. Des techniques de massage-bébé insuffisamment maitrisées.
La façon de s’occuper des bébés au Sénégal varie d’une ethnie à une autre et d’une zone géographique
à une autre. Le massage des tout- petits n’échappe pas à cette règle même si l’objectif est le même partout.
C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup de ressemblances sont aussi notées. Nous les avons
retenues comme baromètre pour apprécier le degré de maitrise des techniques et étapes de massage par
les mamans dakaroises :
-
Le bébé est lavé avec de l’eau tiède : La tête est d’abord nettoyée avec du savon dans le sens frontnuque puis le visage. Une éponge est généralement est utilisée. Le reste du corps suit. De la gorge
aux pieds, le même exercice est fait. Le bébé est ensuite essuyé avec une serviette ou un tissu en
coton.
-
Le beurre de karité est appliqué sur tout le corps. La masseuse commence par tirer les bras l’un
après l’autre afin qu’ils se déplient puis ils sont croisés jusqu’à ce que les deux coudes se
superposent (le coude droit sur le gauche et vice versa). Tour à tour, ils sont par la suite pliés sur le
dos ;
-
Les membres inférieurs du bébé sont généralement pliés au niveau des genoux. L’exercice consiste
d’une part à les tendre un par un. Les mains de la masseuse glissent du haut vers le bas. D’autre
part, en position couchée, les jambes du nouveau-né sont croisées avec insistance. Le membre
droit est posé sur le gauche et inversement. Puis ils sont massés en même temps. Enfin, le bébé est
mis en position couchée à plat ventre. Les jambes sont pliées au niveau des genoux jusqu’à ce que
les talons touchent les fesses.
-
Pour le massage du dos, la dernière position est maintenue. Il s’agit de faire glisser en appuyant
doucement les mains sur la colonne vertébrale. Les autres muscles du dos subissent le même
traitement.
-
La cinquième étape consiste à tenir le bébé par le menton et la nuque et laisser le reste du corps se
balancer entre 10 et 30 secondes. Ensuite, il est pris par le pied droit et renversé pendant environ la
même durée. Il en est de même pour le pied gauche.
-
Enfin, le nez est massé. Là il s’agit plutôt d’insister sur les formes du nez afin de lui donner une belle
forme.
148
Liens Nouvelle Série
. Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
Généralement, le massage se fait une fois par jour, le matin. La question : comment massez-vous vos
bébés ? est posée aux 31 mamans qui le font. Les réponses fournies nous ont permis de dresser un tableau
de synthèse basé sur le respect des différentes étapes.
Tableau 3 : Répartition des réponses Oui en fonction du respect des 6 étapes.
Effectifs
Respect des étapes du massage-
-25
26-36
36-45
Total
%
bébé par les mamans dakaroises
ans
ans
ans
Les 6 étapes maitrisées et respectées
01
06
12
19
24 %
Les 5 étapes maîtrisées et respectées
01
02
03
06
7.5 %
Les 4 étapes maitrisées et respectées
01
03
00
04
05 %
Les 3 étapes maitrisées et respectées
01
00
01
02
2.5 %
Les 2 étapes maitrisées et respectées
00
00
00
00
00 %
Total des Oui
31
39 %
Source : Enquêtes Souleymane Diallo, Août 2015.
Les 6 étapes standards sont respectées et correctement exécutées par les 24 % des mamans qui
constituent notre échantillon. En valeur absolue, elles sont au nombre de 19. Les plus âgées sont bien
représentées dans ce taux. En effet, 12 sont dans la tranche d’âge 36-45 ans. Une seule maman a 25 ans
ou moins. Les degrés de maitrise varient donc en fonction de l’âge. Plus la maman est âgée, mieux elle
maitrise le massage-bébé. D’une part, l’expérience peut être un atout considérable car elles sont toutes à
plus de deux accouchements. D’autre part, la formation de ces mamans à la gestion du foyer, du mari et à
l’entretien de la progéniture par leurs propres mères était assurée. Ces dernières pour la plupart d’entre elles
étaient femmes au foyer. Les plus jeunes c’est-à-dire celles qui sont à 25 ans ou moins n’ont pas eu cette
chance. Par conséquent, l’âge apparait comme un facteur déterminant dans la maitrise et le respect des 6
étapes du massage-bébé. En deuxième position viennent celles qui maitrisent et pratiquent les 5 étapes. La
même tendance est maintenue.
Par ailleurs, du lavage au massage du nez qui constitue la sixième et dernière étape, les descriptions ou
pratiques ont révélé que 6 mamans omettent ou escamotent deux à trois moments. Cette situation fait dire
aux cinq vieilles femmes interviewées que les enfants risquent de mal grandir. En effet, leurs massages vont
favoriser le développement de certains muscles au détriment d’autres. En toute chose, l’équilibre est
souhaité.
En somme, le massage des bébés dakarois de 0 à 12 mois n’est maitrisé et pratiqué correctement que
par les 24 % des mamans. Si on y ajoute les 6 qui respectent les 5/6 des exercices, on se retrouve à un taux
de 31.5 % de prise en charge acceptable. Plus la maman est jeune, moins elle maitrise les étapes et les
exercices. Dans les 68.5 % qui restent, la méconnaissance, le travail féminin etc. font que les mamans
génitrices ne massent pas leurs bébés. Cette situation favorise le recours à de tierces personnes dont les
149
Souleymane Diallo
N° 20
Décembre
2015
tantes, grand-mère, masseuses etc. L’insuffisance du massage est constaté de même que son irrégularité.
Les conséquences négatives sur le développement physique, sanitaire et socioaffectif sont évidentes. Pour
s’en convaincre, nous avons recueilli et analysé les sentiments des mamans sur les pratiques des
masseuses professionnelles. Ensuite, elles sont soumises à l’appréciation des cinq vielles femmes
interviwées.
III.
Le
massage
payant
comme
recours
et
ses
conséquences
sur
le
développement optimal des bébés.
Deux données importantes nous ont orienté vers les masseuses professionnelles : Les 33 % de notre
échantillon font appel à leurs services. Cette situation risque de s’accentuer dans les années à venir car en
plus de la non maitrise de l’activité, la jeunesses des mamans est un handicap. Egalement, les 25 bébés qui
y sont aménés sont-ils convenablement massés ?
III.1. Les caractéristiques du massage par les professionnels.
Dans la culture sénégalaise, le massage-bébé n’a jamais été une activité lucrative, du moins jusqu’à un
passé récent. Les grand-mères et les mamans s’en occupaient généralement. Mais avec les changements
sociaux liés à la modernité en ville, beaucoup d’activités dont le massage-bébé ‘’damp’’ sont devenues des
moyens pour gagner son pain. Toutefois, la spécificité de la cible fait qu’elle est très vulnérable. C’est
pourquoi, les 25 mamans de notre échantillon qui y amènent leurs bébés ont été invitées à se prononcer sur
leur degré de satisfaction.
Tableau 4 : Appréciations des mamans sur le massage de leurs bébés par les masseuses professionnelles.
Appréciations des mamans
Effectifs
%
Très satisfaites
04
05 %
Satisfaites
09
11 %
Peu satisfaites
10
13 %
Pas du tout satisfaites
02
03 %
total
25
31%
Source : Enquêtes Souleymane Diallo, Août 2015.
Les mamans très satisfaites et celles satisfaites du travail des masseuses sur leurs bébés sont au
nombre de 13 sur les 25 qui y amènent leurs tout-petits. Ils représentent 16 % de l’effectif total de
l’échantillon. Les raisons sont d’ordre financière. En effet, les 4 de la première colonne et 3 de la deuxième
ont recruté les masseuses pour des séances jounalières à domicile. Ces interventions coûtent entre 4000 et
5000 francs chacune. Certaines payent au jour le jour. D’autres le font à la fin du mois. Ces mamans sont
des cadres de la fonction publique c’est-à-dire de la hiérarchie A1 ou de grandes commerçantes. Leurs
maris sont plus nanatis qu’elles.
150
Liens Nouvelle Série
. Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
Par ailleurs, 12 ont des niveaux de satisfaction en dessous de la moyenne. En effet, la mentions ‘’peu
satisfaites’’ a été choisie par 10 mamans là ou celle intitulée ‘’Pas du tout satisfaite’’ n’a enregistré que 2
comme score. Les bébés sont envoyés aux domiciles des masseuses. Ce sont généralement les bonnes qui
les déplacent. Dans ces maisons, notamment aux HLM Fass, à Pikine Tally bou mak et au quartier Dangou
de Rufisque, il faut faire la queue. Les masseuses reçoivent en moyenne une douzaine de bébés qui sont
accuellis généralement dans des salles ou chambres aménagés en partie pour l’activité. Le matériel utilisé
est constitué de savon, de beurre de karité, de morceaux d’éponge et de l’eau. Le temps nécessaire pour
masser correctement et avec insistance les muscles, os et articulations est très court comparé à la durée de
l’activité faite à la maison par les grand-mères surtout pendant les 3 premiers mois qui suivent la naissance.
Des étapes sont donc sautées ou tout simplement escamotées. Aussi, les mamans se posent beaucoup de
questions sur les conditions d’hygiène dans lesquelles les petits sont mis. La recherche du gain financier qui
caractérise l’activité les fait douter. Ces séances sont payées à 2000 ou 3000 francs chacune. C’est
pourquoi, des jours sont sautés et la période de massage devant aller jusqu’à 08 - 12 mois est écourtée. Les
exercices spécifiques en fonction du sexe ne sont pas faits. Selon les vielles dames, cette façon de faire
porte préjudice à la croissance normale des bébés.
Au total, le payement journalier des séances favorise le massage au jour le jour qui est vivement
recommandé. Le massage-bébé satisfaisant ou très satisfaisant est celui fait à domicile. Il coûte plus cher
que celui qui nécessite le déplacement chez la masseuse. Les 12 mamans redoutent des problèmes
d’hygiène et faute d’argent, elles sont obligées de réduire les séances et d’écourter la durée normale de
massage. Les conséquences peuvent être catastrophiques pour les bébés.
III.2. Les conséquences selon les enquêtées.
Toutes les femmes interrogées dans cette recherche sont unanimes. Le massage correcte du bébé
favorise son développement intégral. Sur le plan biologique, les muscles, les os et les articulations sont
préparés à la croissance et à l’aptitude grace à des activités physiques. L’assertion de Mandy Djitté
139
résume en partie ce qui a été recueilli comme réponses : « On masse les bébés pour mettre les
articulations dans les conditions favorables à la croissance pendant les premiers jours, modeler le corps du
bébé et lui donner les bases de sa souplesse, la force, la santé et la vigueur, faciliter la formation des
muscles, habituer les articulations à opérer en amplitude, donner une meilleure circulation du sang, etc. »
Comme pour compléter, l’effet du massage sur les os est bien expliqué par Ducher et Blimkie
140
qui
affirment : « L’os est un tissu actif sur le plan métabolique; il est constamment renouvelé (…). L’activité
physique dont le massage-bébé permet de constituer un capital osseux plus élevé, facteur déterminant de la
santé osseuse présente et future, et de développer une architecture interne des os qui leur confère une plus
grande solidité. Il joue un rôle important dans les fonctions mécaniques de soutien, de locomotion et de
139
140
Djitté Mandy, Op. Cit. p. 180.
Ducher G et CJ Blimkie, Adaptations architecturales du tissu osseux en réponse à l’exercice physique:
intérêts et limites des méthodes non invasives utilisées chez l’homme. In Revue Science & Sports N°21,
2006 p.67.
151
Souleymane Diallo
N° 20
Décembre
2015
protection des organes vitaux. » . Toutefois, les vieilles femmes sont catégoriques. Ces résultats ne peuvent
être atteints que si le massage est fait de manière correcte et dans la durée normale. A Dakar, la bonne
santé et le développement optimal des tout-petits serait alors compromis. En effet, les 60 % de notre
échantillon ne massent pas leurs bébés elles-mêmes. Les 15 % de celles qui le font ne ne respectent pas
les 6 étapes obligatoires ou ne les maitrisent pas. Les 25 % sollicitent des masseuses profesionnelles dont
les services d’autres dépenses journalières supplémentaires pour les conjoints. Ainsi, le massage au
quotidien et la durée sont considérablement réduits. Cette situation fait dire à l’une d’entre elles que : « A
Dakar, il faut se préparer à vivre dans une société composée en majorité d’individus inaptes, malades,
paresseux etc. Ce n’est pas pour rien que ce sont les villageois, ceux de l’intérieur du pays qui réussissent
mieux dans la capitale (…). »
En somme, le massage des bébés à Dakar est devenu de plus en plus une activité lucrative. Les
séances jugées satisfaisantes ou très satisfaisantes sont celles faites à domicile. Elles exigent plus de
dépenses que celles qui se tiennent chez la masseuse. Les 12 mamans redoutent des problèmes d’hygiène
et faute d’argent, elles sont obligées de réduire les séances et d’écourter la durée normale de massage. Les
conséquences peuvent être catastrophiques pour les bébés.
CONCLUSION
L’importance du massage-bébé ou ‘’damp’’ en wolof sur le développement optimal des bébés est
démontrée scientifiquement par plusieurs études. Celles de Mandy Djitté, Dieter J. N. et al., Arora, Kumar
et Ramji, Field T., Grizzle N, et al. et Jones JE et Kassity N. ont mis l’accent notamment sur la bonne
croissance et la rigidité des os, le développement et l’aptitude des muscles, l’équilibre du corps, la souplesse
et la résistance des articulations etc. qu’il favorise. Mais sa pratique normale suscite bien des interrogations
à Dakar. En effet, les situations citadines caractérisées par un taux croissant de femmes actives, le manque
temps etc. font que les dames mariées sont partagées entre l’activité professionnelle et les charges
familiales dont la prise en charge correcte des enfants et particulièrement des bébés. Ainsi, les
caractéristiques du massage des bébés dakarois de 0 à 12 mois favorisent-ils leur développement optimal ?
Les données recueillies de retenir : Premièrement, la plus grande partie des mamans enquêtées ne masse
pas et ou ne maitrisent pas les 6 étapes de ces manipulations corporelles des tot-petits. Deuxièmement, une
ou des personnes différentes de la maman génitrice sont sollicitées pour suppléer aux insuffisances des
mères. Troisièmement, les 4/5 soit 41 parmi elles travaillent. Les femmes fonctionnaires y sont plus
représentées. Les bébés de 0 à 12 mois des mamans dakaroises enquêtées sont insuffisamment ou mal
massés. D’autre part, les 39 % des mamans de notre échantillon s’occupent du massage de leurs nouveaux
nés. L’activité exige le respect de 6 étapes obligatoires
que les 15 % parmi elles ne maitrisent pas
entièrement. Plus elles sont jeunes, moins elles en ont les compétences. Au total, plus de 70 % des bébés
dakarois de 0 à 12 mois ne sont pas massés correctement et dans la durée normale. Cette situation favorise
de plus en plus l’inaptitude, les maladies, la paresse etc. chez les enfants d’aujourd’hui, les adultes de
demain.
152
Liens Nouvelle Série
. Massage-bébé à Dakar et développement optimal du tout-petit
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153
Souleymane Dia
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak
dans sa renaissance au Baol
Résumé
Samba Saajo fut une hécatombe pour le mouvement maadyanke, et pour avoir surestimé l’impact de la
décapitation de son leadership, l’historiographie de l’Islam maraboutique, a conclu, un peu trop hâtivement
que « rien n’est resté de ce mouvement ». De nombreux foyers maadyanke ont survécu discrètement après
Samba Saajo
NDaak
141
, mais c’est dans le Baol occidental que va renaitre le maadyankisme, porté par Amary
142
, ancien Imam du Jihad.
Chef de guerre chevronné, Sheexu Ahmadu avait conscience que son armée affaiblie au lendemain de
Coowaan ne survivrait sans doute pas à la mobilisation franco ceddo. Mais en visionnaire, il comprenait
qu’afin de pérenniser l’implantation du maadyankisme en pays wolof, en dépit de la perte du contrôle
politique de ces territoires, il fallait songer à la préservation du patrimoine spirituel. En l’absence du
leadership tooroodo- ses frères- éliminée avant même Samba Saajo, ce basculement a été confié au
meilleur profil intellectuel et social, parmi les survivants.
Ainsi, après Samba Saajo, Amary NDaak s’est éloigné des terres hostiles du Jolof et du Kajoor, pour
s’installer dans le Baol occidental où il a réorganisé une communauté maadyanke.
Mots-clés :Amary,NDaak, Maadyankisme, Renaissance, Communauté, Héritage, Samba, Saajo-Cenaba-
Abstract
Samba Saajo was a massacre for Maadyanke movement, and because it has overestimated the impact
of the decapitation of its leadership, the historiography of Islam clerics concluded, too hastily, that "nothing
remained of the movement». Many maadyanke homes have discreetly survived after Samba Saajo. But the
maadyankisme will be reborn in the western Baol, led by Amary NDaak, the former Imam of the jihad.
Chief seasoned war, Sheexu Ahmadu was aware that his army, weakened after Coowaan battle,
probably will not resist the Franco ceddo mobilization. But as visionary, he understood that in order to
sustain the implementation of maadyankisme in wolof countries, despite the loss of political control of these
territories, it was necessary to consider the preservation of spiritual heritage. In the absence of leadership
tooroodo -his brothers - removed before Samba Saajo, this shift has been entrusted to the best intellectual
and social profile among the survivors.
Thus, after Samba Saajo, Amary NDack walked away from Jolof and Kajoor hostile lands, and settled in
the western Baol where he reorganized a maadyanke community.
Key words: Amary, NDaak, Maadyankism, Renaissance, Community, Heritage, Samba, Saajo, CenabaMomar Taala.
141
Samba Saajo est un champ de bataille, près de Cokki, où les troupes de Sheexu Ahmadu ont livré, le 11 février 1875, leur dernière
bataille contre une coalition de troupes françaises et ceddo conduite par la commandant Béguin.
142
Amary NDaak est un adepte du marabout Sheexu Ahmadu. Il l’a accompagné dans le jihad de 1871 à 1875, pour ensuite assumer
son héritage en fondant le village de Cenaba en 1882.
154
Liens Nouvelle Série
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
INTRODUCTION
Une des limites de l’historiographie de l’Islam maraboutique, dans ses analyses du mouvement
maadyanke, est de n’avoir pas fait la différence, ou plutôt le lien entre le projet politique et l’ambition
purement religieuse de Sheexu Ahmadu. Ainsi qu’il le laisse entendre clairement dans une correspondance
à Sidya, « Rien ne m’intéresse en ce bas monde, si ce n’est élever la parole de Dieu et vivifier la sunna de
son Prophète »
143
. La politique, au sens de contrôle du pouvoir par la conquête de royaumes, est juste un
moyen pour dérouler son projet spirituel, la rénovation de l’Islam. Dans le mouvement maadyanke, a prévalu
une relation assez subtile entre le support politico territorial et le projet religieux proprement dit. Si l’impulsion
initiale fut donnée à partir du support, le processus d’islamisation et de rénovation s’est révélé capable de se
dérouler ensuite tout seul, indépendamment du support.
L’objet de cet article est de montrer la survie et le rayonnement du maadyankisme, bien après
l’extinction de l’action politico-militaire, en clarifiant les fondements, les stratégies et les péripéties de la
transmission et de la pérennisation de l’héritage maadyanke. Plus spécifiquement, il s’agira d’analyser la
renaissance du maadyankisme au Baol occidental, sous l’impulsion de l’ex Imaam du jihad, survivant de
Samba Saajo, Amary NDaak Sekk.
Au plan méthodologique, se pose le problème des sources écrites au sujet de l’entourage des leaders
réformateurs. Leur charisme étouffant est une sorte de piège historiographique qui s’est refermé sur les
sources écrites. Les archives coloniales, notamment les rapports des affaires politiques, ne s’intéressaient
réellement qu’aux leaders des mouvements. De ce fait, ils sont très diserts sur des personnages pourtant
importants dans la vie et l’héritage de ces mouvements. Cette lacune est d’autant plus préjudiciable que ces
leaders ont en commun d’avoir tous disparu prématurément, en pleine activité politico-militaire, laissant leur
héritage entre les mains de personnages peu connus.
Ce tableau dépeint parfaitement le mouvement maadyanke, les rapports et correspondances étant
abondantes au sujet de Sheexu Ahmadu, mais peu loquaces sur des personnages centraux du mouvement
comme Ibra Penda, Bara Maadyu ou Amary NDaak. Toutefois, cette lacune est dans une certaine mesure
compensée par l’existence de sources écrites inédites et l’abondance des sources traditionnelles. Si les
premières sont dans l’ensemble assez objectives, les secondes, comme dans tout mouvement à caractère
messianique, ont souvent un accent hagiographique assez marqué dont l’atténuation, à défaut de
l’élimination, est un impératif méthodologique. Ensemble, ces sources détenues par des personnages les
tenant de proches d’Amary NDaak et par les griots officiels de la famille Sekk, ont permis de suivre les
traces de l’héritage maadyanke.
Notre démarche se décompose en trois grandes parties. La première, à travers sa figure, aborde les
fondements qui légitiment l’héritage d’Amary NDaak. La seconde retrace le long périple qu’il a effectué entre
143
Lettre de Sheexu Ahmadou à Banir et Sidya, ANS, 13 G 253, p.114
155
Souleymane Dia
N° 20
Décembre
2015
Samba Saajo et la fondation de Cenaba. La dernière partie analyse les atouts qui ont permis la renaissance
du mouvement maadyanke, loin de ses territoires historiques.
I.
La figure d’Amary ndaak : les fondements d’une légitimité spirituelle
Amary NDaak est né vers 1830 à Thiénaba Kajoor, à 3 km de Kébémer. Il est le produit d’un métissage
entre des ancêtres berbères originaires du Sud de la Mauritanie et de Garmi apparentés aux rois du Kajoor.
1.
Les origines d’Amary NDaak
A une période que la tradition ne précise pas mais que nous estimons correspondre aux années de
l’épisode Sharr Bubba
144
, un maure métissé de la Gebla, soucieux de fuir les territoires en guerre pour
s’adonner à ses dévotions, s’est installé dans le Kajoor occidental, non loin du village de NDaye
145
.
Pour
les habitants des villages environnants, comme Mbakari, Tegg Ndogui, Gadd et Ndaaye, le mystérieux
voisin venu de Gannar fut appelé Maam Sherif.
Avec le succès de Nasir ad Diin et l’instauration de l’ordre zawaya, Maam Sherif est retourné dans la
Gebla. Mais au bout d’un certain temps, un de ses descendants, du nom d’Ahmad Saïb serait venu
réoccuper les lieux
146
. Son arrivée au Kajoor étant située pendant le règne du Damel Birima Faatim Penda
(figure 1), il existe un gap de deux générations sur lesquelles la tradition ne se prononce pas
147
. Il est
probable que pendant ce temps personne n’est venu entretenir les lieux ou alors la durée des séjours a été
trop courte pour que la tradition s’en souvienne. Toujours est-il que la mémoire des lieux était bien gardée
car pendant le règne du Dammeel Amary Ngoone Ndeela (figure 1), est venu s’installer sur le site un
descendant de Maam Shérif que la tradition désigne sous le nom de Masekk Yoro. C’est de lui que date le
patronyme Sekk de Thiénaba, en référence à une herbe abondante appelée sikk qui poussait à proximité du
baobab. Le chérif vivant près du sikk finit par devenir Shérif Sekk
148
.
La wolofisation des noms maures peut être interprétée comme un indicateur d’intégration à la société
ajoor. C’est pourquoi nous estimons qu’il existe deux catégories dans l’ascendance d’Amary NDaak. Celle
des nomades qui apparemment allaient et venaient entre le Kajoor et la Gebla, avec plus d’attache dans
celle-ci. Cette présence perlée et leur faible intégration à la société ajoor explique l’oubli ou le faible souvenir
de la tradition en leur endroit. Cette catégorie va de Maam Shérif à Ahmad Saïb et englobe les générations
oubliées qui font gab entre eux deux (Figure 1).
144
Sharr Bubba est utilisé abusivement pour désigner la réforme de Nasr ad Dine, mais la réalité est plus complexe. En fait les
évènements renvoient à deux étapes différentes. La première évoque une guerre opposant Hassan et Zawayas avec à leur tête Nasir
ad Dine. C’est cette étape qui est Sharr Bubba, ou guerre de Bubba, en idiome berbère, en référence aux faits immédiats à l’origine du
conflit. La seconde étape renvoie au jihad mené par Nasir ad Dine contre les Etats noirs de la vallée du Sénégal.
145
La tradition raconte qu’il se déplaçait avec parmi ses bagages une jeune pousse de baobab qu’il plantait au moment de prier. S’il
observait que la pousse commençait à se flétrir, il l’enlevait et continuait sa route. Le dernier endroit où il l’a définitivement plantée est
l’emplacement actuel de Thiénaba Kajoor. Interview de Massaer Seck, Dakar, février 1998.
147
146
Interview de Massaer Seck, Dakar, février 1998.
Sur la succession des Dammeel, lire Tanor Latsoukabé Fall., 1974.
148
Interview de Serigne Talla Khar Seck, Thiénaba, mars 1993.
156
Liens Nouvelle Série
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
La seconde catégorie est constituée par les sédentaires ou installés définitifs qui, à la différence des
autres, ne sont pas retournés dans la Gebla. Mieux intégrés à la société wolof, ce sont eux qui ont
probablement développé une petite communauté zawaya au Kajoor en se consacrant essentiellement à
l’enseignement. C’est à cette catégorie qu’appartiennent Masekk Yoro et son fils et successeur Messaoud,
que la phonétique wolof transformera en Massaeer. Il a pris, en 1828-29 une initiative assez rare à l’époque
149
en raison du contexte, l’organisation du Gamou, anniversaire de la naissance du Prophète Mohammed
.
Figure 1. Ascendance paternelle d’Amary NDaak
Informé de l’évènement, le Dammeel Birima Fatma Cubb, très méfiant envers les marabouts, s’y serait
rendu pour sonder lui-même les intentions réelles de Masaeer
150
. La tradition
151
rapporte que non seulement
il fut rassuré par l’attitude du marabout, mais soucieux de s’attacher ses services, il se lia d’amitié avec lui.
Cette amitié aboutira au mariage, en 1829, entre le marabout et une parente du Dammeel. Elle s’appelait
149
La tradition, à ce propos concorde avec une généalogie sommaire rapportée par un document inédit. Serigne Mor
Guèye. Ya Allahou, ya Hayyu.Traduit par Amadou Makhtar Diop sous le titre O Toi Dieu, Maître de la vie.
150
Cette méfiance est due au fait que Birima Fatma Cubb, jeune prince, vivait dans la cour de son oncle Dammeel Amary Ngoone
Ndeela, quand l’Almamy Abdul Kader a attaqué le Kajoor, en 1796, avec le soutien actif des marabouts du royaume.Vaincu à Bunxooy,
l’Almamy fut emprisonné et les marabouts partirent en exil dans le Sud du royaume. Cela aboutira à la scission de la pointe Sud du
royaume, qui deviendra une République lébou. Sur cette guerre, lire O. Kane, 2004, La première hégémonie peule. Le Fuuta Tooro de
Koli Tengela à Almaami Abdul, Paris, Karthala, 662 p.
151
Interview de Serigne Talla Khar Seck, Thiénaba, avril 1993
157
Souleymane Dia
N° 20
NDaak Faal et était de la lignée de Maasigui
Décembre
2015
152
. C’est de ce mariage que naîtra, un an plus tard, en 1830,
Amary NDaak Sekk.
Pendant sa jeunesse, Amary NDaak a été éduqué par son père. En raison de son érudition, c’est lui le
puîné qui héritera la fonction de maître d’école à la mort de son père en 1860. Outre l’enseignement, il
cultivait la terre et se rendait de temps en temps à Saint-Louis pour écouler ses produits agricoles. C’est à
l’occasion de l’un de ses voyages à Saint-Louis qu’il fait la rencontre de Daahiru Maadyu, frère du marabout
toucouleur Sheexu Ahmadu. C’est lui qui l’a initié au Wird tijaan car il était auparavant d’obédience Xaadir,
et lui parla de leur maître à tous Sheexu Ahmadu.
2.
L’invitation au jihad
Dans la préparation de la riposte à la provocation de Lam Tooro qui a saccagé Wuro Maadyu au retour d’un
raid dans le Jolof, Sheexu Ahmadu fit appel à Amary NDaak
153
. Il importe de préciser qu’Amary NDaak n’a
pas été le seul à avoir été sollicité. Sheexu Ahmadu a pour ainsi dire convoqué tous ses adeptes et sollicité
l’appui de ses alliés comme les fils de Maba Jaxu. La lettre écrite à Amary NDaak est riche
d’enseignements. Elle commence ainsi : « Cette correspondance de paix est envoyée par Sheexu Ahmadu
à son grand ami, l’érudit Ahmadou NDaak
154
.»
Suit un passage pathétique qui raconte dans le détail les exactions perpétrées par Lam Tooro contre Wuro
Maadyu et sa propre famille. Il poursuit, révélant au passage que les deux hommes ne s’étaient jamais
rencontrés :
Je t’apprécie pour Dieu et son Prophète et sur la base de ce que j’ai entendu dire de ton
érudition et de ton engagement pour des relations saines entre les gens.
Il ne s’agit pas à vrai dire d’une invitation explicite à s’engager dans le jihad contre les
alliés noirs de la
colonie, mais les paragraphes fort sympathiques pour les qualités du destinataire, encadrant le tableau des
exactions infligées à son village, ne laissaient aucun doute sur la volonté de Sheexu de se faire
accompagner par de grosses pointures. Amary NDaak a du reste bien saisi le message, car la tradition
155
rapporte que dès la réception du courrier, il répondit sans délai à l’appel de Sheexu Ahmadu
. Il vida
Cenaba Kajoor de tous ses habitants, élèves, parents et voisins et partit rejoindre le marabout au Jolof. Il a
été de tous les combats contre les français ou leurs alliés ceddo entre 1871 et 1875
156
.
152
Sur ce lignage apparenté aux Dammeel, se référer à la figure 3, p. 11 et aux notes de la page 16 sur l’ascendance aristocratique
d’Amary NDack.
153
En mai 1871, Lam Toro Samba Umuhaane et Tuube Saanoor organisèrent un raid contre des villages du Jolof, saccageant au
passage Wuro Maadyu. En représailles, Sheexu Ahmadu rassembla la plus grande armée de son histoire. Elle comptait plus de trois
mille soldats parmi lesquels les troupes de Ibra Ba, fils de Maba Jaxu ; celles d’Ibra Penda composées par les Njaambur Njaambur, les
Dimarnaabe ; celles de Bara Maadyu constituées par les Peuls convertis du Jolof.
154
Lettre de Sheexu Ahmadu à Amary NDaak, ANS ,13 G 253, p. 122
Interview de Serigne Talla Khar Seck, petit fils d’Amary Ndaak, en mars 1995.
156
Dans un recueil de poèmes bilingues retraçant les batailles menées par Amary NDaak, « Yaa Qawmi waa Cenaba ». « O vous
peuple de Cenaba » Oustaz Alioune Guèye mentionne les mêmes batailles que la tradition telle que rapportée par les griots officiels de
la famille Sekk. Sans rejeter cette liste, nous estimons plus prudent de se limiter aux batailles qu’il est possible de localiser et de dater
et qui sont au nombre de huit : Njakiiw, Agnam, Pete, Belel, Kokki, Saqq, Coowaan, Samba Saajo (Figure 2).
155
158
Liens Nouvelle Série
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
L’estime a priori exprimée dans la correspondance prit une nouvelle dimension à l’occasion de la
157
. A l’approche du
rencontre entre les deux hommes. La tradition rapporte avec force détails cet évènement
Sheex, Amary NDaak défit son turban, enleva ses bottes, déposa le fusil par terre et parcourut, rampant sur
les genoux, les derniers mètres qui le sépareraient du marabout. Il lui serra la main et la baisa longuement.
La tradition précise que Sheexu Ahmadu, fort ému, s’adressa à Amary NDaak en ces termes :
Eskey Ahmadou NDaak ! Il te sera rendu, à toi, à tes enfants et à leur postérité les mêmes
égards. Ainsi en sera-t-il jusqu'à la fin des temps.
l faut souligner que si la rencontre a pris une telle dimension dans l’historiographie maadyanke, c’est parce
que les disciples de Sheexu Ahmadu n’avaient pas l’habitude de le saluer avec de tels égards. D’une
certaine façon, la culture du worma, c'est-à-dire l’art de traiter le Sheex avec égards a été introduite dans le
jihad et le maadyankisme par Amary NDaak.
3. L’épisode de Njakiiw et le rôle stratégique d’Imam du jihad
Deux jours après l’arrivée d’Amary NDaak, Sheexu Ahmadu a ordonné de lever le camp en direction du
Tooro. Sur la route, il se produisit un autre évènement, certes tragique, mais qui renforça encore la position
d’Amary NDaak dans le jihad. Il s’agit d’une embuscade tendue par les partisans de Lam Toro, sans doute
pour désorganiser l’armée maadyanke avant la confrontation. Cela s’est passé dans la petite forêt de
Njakiiw, près de Sagata. Cet incident est historiquement important car les embusqués ont tué neuf parmi les
partisans de Sheexu Ahmadu. Hamadan Haafiz, son frère et Imam du jihad en faisait partie. Il l’enterra et le
158
remplaça immédiatement par Amary NDaak promu Imam du Jihad
. Dans la lettre qu’il lui a adressée pour
le convier à la guerre sainte, Sheexu parle du « Moufassir », de l’érudit Ahmadu NDaak. Mais c’est l’acte pris
à Njakiiw qui
consacre la reconnaissance
de cette érudition. L’histoire a tendance à survaloriser la
dimension du combattant au détriment des autres, notamment celle de maître de daara
159
. Or Amary NDaak
était un authentique érudit qui enseignait de multiples spécialités des savoirs islamiques à de très nombreux
étudiants. C’est cette érudition mesurée par Sheexu Ahmadu dans leur aparté nocturne le jour même de leur
rencontre qui explique l’acte de Njakiiw.
Amary NDack, était un élément clé dans le dispositif du jihad, de par son rôle d’Imam. Mais de plus, il
était un des rares cadres du jihad à être constant auprès de Sheexu Ahmadu. Bara Madyu, depuis la
conquête du Jolof, était surtout basé à Yang Yang. Les assauts répétés des adversaires ceddo contre le
royaume et la mobilité de Sheexu Ahmadu rendaient nécessaire cette présence. Disposant d’un puissant
bataillon de Peuls du Jolof et apparenté à la famille des Buurba, il était à l’évidence la personne la mieux
indiquée pour gouverner ce vaste royaume. Mais du coup, il était peu fréquent dans les rangs du jihad.
157
Interview de Serigne Talla Khar Seck, Thiénaba, avril 1993
Interview d’El Hadji Talla Cissé, porte parole du Khalife de Thiénaba, mai 2003.
159
S. Dia, 2013, « La contribution d’Amary NDaak à l’islamisation du Sénégal », Communication présentée à la cérémonie officielle du
Gamou annuel de Thiénaba, Inédit, p. 3
158
159
Souleymane Dia
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Décembre
2015
Ibra Penda, l’autre grosse pointure du jihad, bien que commandant en chef de l’armée maadyanke,
effectuait des séjours fréquents dans ses deux fiefs qu’étaient Taareeji et Kokki, en compagnie de ses deux
bataillons Wolof et Dimarnaabe. Quant aux autres, il s’agissait essentiellement de volontaires qui allaient et
venaient à la faveur des combats et des saisons. Habituellement, les effectifs étaient réduits pendant les
périodes de forte activité agricole. En définitive seuls les Seloobe, garde rapprochée de Sheexu Ahmadu, se
distinguaient par une certaine constance. Pour Amary NDaak, cette constance était sans doute un choix, si
l’on se souvient de la façon dont il avait quitté son village, vidé de ses habitants au moment de son départ.
Le rôle stratégique d’Imam du jihad et cette présence ininterrompue auprès du marabout ont probablement
pesé sur le choix de ce dernier au moment de désigner son héritier.
4.
La transmission de l’héritage spirituel à la veille de Samba Saajo
Outre les péripéties militaires et les retombées géopolitiques immenses, à l’époque, Samba Saajo est un
évènement de haute portée spirituelle dans la mesure où il a été le moment de transmission d’un héritage
spirituel d’une façon peu ordinaire
160
. Habituellement, ce type d’héritage, hormis les khalifes orthodoxes,
successeurs immédiats du prophète Mohamed, obéit aux règles du sang. Du reste c’est sur ce mode que
Sheexu Ahmadu lui-même avait succédé à son père. Mais à Samba Saajo, Sheexu Ahmadu, plus qu’une
innovation, a introduit une démarche de rupture dans la transmission de l’héritage spirituel. Le discours
hagiographique sublime cet acte encore plus exceptionnel, corrélé au dénouement tragique de Samba
Saajo. A côté ou parallèlement, l’histoire est tenue d’explorer les conditions objectives ayant conduit Sheexu
Ahmadu à poser cet acte.
Un premier facteur explicatif semble être que le marabout, en fin stratège, a pris la mesure de sa
vulnérabilité militaire au lendemain de Coowaan
161
. Sa proclamation triomphale sur les rivages de
162
l’Atlantique a sonné comme la fin de l’engagement pour beaucoup de soldats conscrits
. La tradition
précise qu’au lendemain de la bataille de Coowaan, au petit matin, l’herbe jouxtant le campement était
littéralement couchée par le flot des départs nocturnes
163
. De plus, Ibra Penda Buyo, poutre essentielle de
l’architecture militaire maadyanke a été tué à Coowaan. Abdoul Bocar Kane était retourné au Boosea après
avoir été de la campagne du Kajoor
164
. De par ses informateurs, le marabout savait que le camp adverse
préparait l’une des plus grandes mobilisations de l’histoire coloniale au Sénégal. En leader clairvoyant,
conscient et confiant qu’une défaite militaire éventuelle ne devait pas enterrer son œuvre, Sheexu Ahmadu a
pris la décision, de son vivant, de transmettre l’héritage spirituel à une figure capable de le préserver. Alors,
pourquoi Amary NDaak ? Outre les fondements objectifs, déjà montrés, de sa légitimité spirituelle, il y avait
des circonstances tout aussi objectives qui, d’une certaine façon, limitaient les possibilités de choix de
Sheexu Ahmadu.
160
Le caractère massif des morts dans les rangs maadyanke de la part d’autres musulmans a soulevé une vague d’émotion et
d’indignation dont s’est fait l’écho la figure montante du jeune Ahmadu Bamba. Sur la polémique ayant opposé Ahmadu Bamba aux
marabouts courtisans à propos de Samba Saajo, lire C.A. Babou, 2007, p.73 à 74.
161
Bataille ayant opposé l’armée Sheexu Ahmadu et celle du Dammeel Lat Joor en septembre1874, dans le Kajoor central.
162
« Diine dari », « l’Islam a triomphé »
163
Interview de Serigne Talla Khar Seck, Thiénaba, avril 1993
164
Il était le chef du Boosea, allié traditionnel de Sheexu Ahmadu. Sur Abdul Bocar Kane, lire David Robinson, Chiefs and Clerics.
Abdul Bokar Kan and Futa Tooro. 1853-1891.
160
Liens Nouvelle Série
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
Parmi elles, la décapitation, au fur des campagnes militaires, du leadership de patronyme Ba, c'est-à165
dire les frères de sang de Sheexu Ahmadu
. Le seul survivant, à la veille de Samba Saajo était Baraa
Maadyu, au Jolof. Par ailleurs s’il était un guerrier intrépide, l’interrogation est possible sur ses performances
intellectuelles, comparé à Amary NDaak. Or, en ces moments critiques où les forces ennemies étaient plus
nombreuses et mieux armées, l’enjeu n’était plus militaire mais spirituel. Indépendamment de considérations
ésotériques que l’historien n’a pas les moyens d’explorer, c’est en toute objectivité que Sheexu Ahmadu a
confié l’héritage spirituel maadyanke au meilleur profil. Certes, la tradition rapporte avec force détails l’aparté
matinal avec des proches à qui il avait confié un « istixaar » nocturne afin de sonder l’issue du combat et
l’avenir du mouvement
166
.Mais, chef charismatique, Sheexu Ahmadu avait suffisamment d’ascendant sur
ses disciples pour imposer ses choix. L’aparté matinal comme la remise des insignes de la mission, -le
chapelet du cheikh tijaan, le bâton de l’Imam, la lance du guerrier-, relevaient d’un symbolisme très présent
dans les mouvements messianiques. Ils ne faisaient que sacraliser une décision déjà prise sur des bases
objectives. Investi de l’héritage maadyanke, de quels atouts Amary NDaak disposait-il pour le pérenniser et
porter la renaissance ?
Une fois établi sur un site définitif, Amary NDaak a mis en œuvre une stratégie de reconstruction fondée sur
plusieurs dimensions. Mais cette œuvre de reconstruction a été précédée par un long périple, motivé entre
autres par le souci d’échapper à la persécution ceddo et coloniale qui s’abattait sur les vétérans du jihad.
II.
Le périple : une stratégie d’évitement de la répression
Au lendemain de Samba Saajo, en dehors de Baraa Maadyu qui continuait à tenir tête au nouveau
Buurba Albury Njaay, au Jolof, les autres survivants de Samba Saajo avaient opté pour un profil bas afin de
ne pas s’exposer à la répression brutale des ceddos et de celle des autorités coloniales.
1. Deux modèles répressifs différents
Après avoir exécuté un maximum de Maadyanke dans la foulée de la bataille, les souverains noirs, de
retour au pouvoir, ont mis en œuvre une politique sélective d’élimination ciblant les partisans les plus en
vue de Sheexu Ahmadu. Parmi les exemples les plus célèbres, il y a eu l’assassinat, sur ordre du Dammeel,
de Muhamed Fati et d’Ale Lo, deux maadyanke originaires de Niomre. Ces deux meurtres ont été rendus
célèbres par le commentaire indigné qu’en fera Sheex Ahmadu Bamba, plus tard :
165
Hamdan Haafiz a été tué à Njakiiw ; Mawlud Faal Ba au siège de Guede ; Daahiru Maadyu au Ganjool ; Ibra Penda Buyo à
Coowaan, pour ne citer que les plus illustres.
166
Dans ces faits, rapportés par El Hadji Talla Cissé, la précision des détails milite pour l’authenticité. La mission avait été confiée à
Serigne Ngaye et Serigne Modu Ngom. Tous les deux ont survécu et rapporté les faits. Serigne Modu Ngom a rêvé avoir vu une poule
qui couvait ses poussins, mais s’est brusquement envolée, les abandonnant. Serigne Ngaye, quant à lui, a rêvé avoir vu trois
morceaux de savon de taille différente : un morceau complètement épuisé ; un qui était sur le point de l’être, et un troisième intact.
Sheexu Ahmadu a interprété les deux rêves de la manière suivante : le morceau de savon épuisé symbolise son père, disparu ; lui
même est le morceau en voie de l’être. Il est aussi la poule qui s’en ira, laissant orphelins ses poussins. Le morceau de savon intact est
Amary NDaak, Imam du jihad. Interview d’El Hadji Talla Cissé, Thiénaba, mai 2003.
161
Souleymane Dia
N° 20
Décembre
2015
J’ai perdu le moindre intérêt pour ce bas monde, lorsque, vivant au Kajoor, j’ai vu les corps de
Mohammed Fati et d’Ale Lo, deux personnes d’une famille musulmane respectable du
167
Njaambur, tuées par Dammeel pour de méprisables considérations politiques .
Quant à la colonie, elle avait opté pour une politique répressive dont l’objectif était l’intimidation des autres
musulmans. Elle ciblait toutes les catégories de Maadyanke. Des rapports détaillés étaient faits sur eux et
envoyés au Gouverneur du Sénégal. Celui concernant Babacar Anta est éloquent à plus d’un titre
168
.
Arrêté à Saint-Louis après Samba Saajo, il fut soumis à un interrogatoire violent. Les renseignements qui lui
ont été arrachés sur sa vie et sur l’entourage de Sheexu Ahmadu furent l’objet d’un rapport établi par la
Direction des affaires politiques à l’attention du Gouverneur
169
. Son analyse, sa conclusion et ses
recommandations en disent long sur le sort réservé aux partisans du marabout :
« On ne peut dire exactement quel rôle Babacar Anta a joué, quelle part il a pris dans les
opérations dirigées contre nous. Ce qui est sûr, c’est qu’élevé à Saint-Louis et, par
conséquent, connaissant bien nos usages, nos intérêts et notre intention au Sénégal, il s’est
fait le disciple et le serviteur d’un des plus sérieux ennemis de la colonie. [...] Babacar Anta est
peut être un caractère faible, mais en même temps un musulman égaré, fanatique, pouvant
devenir dangereux. Le laisser libre serait une faiblesse vis avis de la population de Saint-Louis
qui a compté de nombreux adeptes. [...] Un exemple est nécessaire pour montrer à tous qu’on
ne peut impunément devenir le partisan de ceux qui prêchent la guerre contre nous. »
Investi de la mission de pérenniser l’héritage maadyanke, Amary NDaak était sans doute une cible
recherchée par la colonie et les souverains des Etats hostiles. Il évitait, dans ses pérégrinations, les
royaumes hostiles qu’étaient le Jolof, le Kajoor et le Tooro (figure 2), et a ciblé le Baol, plus favorable en
raison de sa non implication dans le jihad et surtout, de liens de parenté avec le roi. Trois étapes
d’importance historique inégale ont marqué son périple. Si les deux premières semblaient relever de la
volonté de se soustraire aux représailles de la colonie et à celles de ses alliés, la troisième se distinguait par
le souci d’entamer la reconstruction.
2. Les étapes refuges : Saalum et Pir
La première étape fut Tagg Wëri New, au Saalum, auprès des descendants de Maba Jaxu, eux mêmes
vétérans d’un jihad. Le choix de cette localité était dicté par deux raisons. La première était que la plupart
des notables en mesure d’accueillir un homme de la trempe d’Amary NDaak craignaient, ce faisant, de
s’exposer aux représailles. La seconde raison est qu’il connaissait bien Ibra Ba, fils de Maba Jaxu, pour
avoir combattu à ses côtés à Agnam, en 1871. Le séjour au Saalum fut de courte durée. La tradition ne se
prononce sur les raisons objectives qui ont amené Amary NDaak à quitter le Saalum au bout de quelques
mois. Tout au plus avance t-elle des explications à caractère hagiographique selon lesquelles, des visions
170
insistantes lui rappelaient que le lieu de son installation définitive était vers le couchant .
La seconde étape fut Pirumndary, dans le Baol. Il allait à la rencontre d'un parent, Njaga Majigueen
171
Faal . La tradition ajoute qu’il était aussi motivé dans son choix par la présence d’une mosquée où il aurait
la possibilité de célébrer la prière du vendredi. Il fut accueilli par le chef du village de Pir qui l’hébergea et mit
à sa disposition des terres à cultiver. Il y passa un hivernage, mais quitta Pir avant même les récoltes. Sur
ce court séjour et ce départ inopiné, la tradition avance comme explication le fait qu’Amary NDaak, en
maadyanke orthodoxe, était déçu d'un certain laxisme dans la rigueur morale et les pratiques religieuses
dans ce milieu encore fondamentalement ceddo.
Mais nous estimons insuffisantes ces considérations uniquement religieuses. Il y avait sans doute, en
plus, une explication politique. Le Teegne du Baol Ce Yaasin avait été vaincu par Lat Joor en 1873 à la
bataille de Njëllbeer puis à celle de Sambe. Parti en exil au Saalum, il en était revenu pour réoccuper son
167
C.A. Babou, 2007, p. 71
Laptot Saint-Louisien ayant abandonné son emploi pour rejoindre Sheexu Ahmadu au Jolof. Il était un de ses proches, chargé
notamment de veiller sur la sécurité de sa famille. C’est ainsi que lors de la campagne du Kajoor et de la bataille de Samba Saajo, il
était resté à Yang Yang.
168
169
170
Rapport du Directeur des Affaires politiques au Gouverneur, ANS, 1D 34, p. 41
Interview de Serigne Ibrahima Diop, Thiénaba, février 1996.
171
162
Interview de Serigne Makhtar Seck, Thiénaba, avril 2001
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Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
trône à la faveur de la défaite du Dammeel par l’armée maadyanke en 1874. De retour au pouvoir après
Samba Saajo, Lat Joor conserva ses prétentions sur le Baol, et de multiples incidents se déroulèrent entre
le Kajoor et le Baol en 1875 et 1876. Il est probable que dans ce contexte, Serigne Pir craignant de
s’exposer à des représailles, si jamais le duel entre Ce Yaasin et Lat Joor tournait à l’avantage du Dammeel,
ait demandé à Amary Ndaak de chercher un autre refuge.
Figure 2. Le périple d’Amary NDaak, après Samba Saajo
3.
Jaayaan : étape de la refondation
La troisième étape du périple fut Jaayaan, toujours dans le Baol. La tradition souligne que ce village
était simplement sur le chemin d’Amary NDaak qui projetait d’aller encore plus à l’Ouest. C’est un concours
de circonstances qui en fera finalement l’étape la plus longue et la plus riche, historiquement. Dans un
premier temps, le contact entre le chef du village de Jaayaan Ma Njaga Gey et Amary NDaak semble avoir
particulièrement impressionné Serigne Jaayaan, au point de le décider de lui offrir l’hospitalité. La tradition a
172
gardé le verbatim de cet échange riche et imagé entre les deux hommes
:
- Un cavalier qui chevauche par une heure pareille doit sûrement poursuivre un fugitif d'exception.
- A moins que lui même ne soit le fugitif, répartit, avec malice, Amary Ndaak.
- Alors, qui êtes-vous ? Le chasseur ou le gibier ?
- Ni l'un, ni l'autre. Je ne fuis pas l'épreuve, ni ne poursuis pour châtier.
172
Interview de Serigne Talla Khar Seck, Thiénaba, avril 1993.
163
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-Alors, mystérieux cavalier, dites-nous quel est cet idéal. S'il vaut, comme vous le prétendez, une
chevauchée du njolloor
173
, je m'empresse de sceller ma monture.
- Il vaut davantage. Et d'ailleurs, nous ne pouvons cesser de courir. Qu'est-ce que la vie, sinon un
marathon dont la naissance est le départ et le tombeau la ligne d'arrivée ? Cette course est sans répit car
un démon impitoyable nous poursuit. Son funeste dessein est de nous rattraper et par la corruption faire
de nous les tocards de l'humanité. Alors, notre salut est dans la course. Pour tout dire, nous sommes des
fugitifs traqués par Satan et cherchons un refuge que le démon ne saura violer. Le fugitif vient de Dieu et
vers Dieu il se rend.
- Alors, je ne laisserai pas aller plus loin un tel voyageur. A quoi bon d'ailleurs, Dieu n'est-il pas partout ?
La seconde circonstance ayant renforcé l’estime réciproque entre les deux hommes est un procès qui
opposait Serigne Jaayaan lui même à un paysan qui souhaitait revenir sur une transaction à propos d’un
cheval vendu par le notable. Quelques jours après son arrivée, Serigne Jaayaan lui confia l’arbitrage du
différend, lui le juge habituel étant partie prenante. C’était probablement une sorte de mise à l’épreuve pour
tester les qualités d’Amary NDaak avant de prendre une décision sur la durée de son séjour. S’étant informé
sur les conditions de la transaction, Amary NDaak n’hésita pas à donner raison au paysan et à condamner
son hôte. Là aussi, la tradition a retenu par le menu détail les minutes du procès
174
:
-Que reprochez-vous à Serigne Jaayaan et au cheval ?
- Au cheval, rien. A Serigne Jaayaan, de m'avoir vendu un coursier qui refuse de se nourrir.
- Avec quoi le nourrissez-vous ?
- Comme tout le monde, je lui donne de la paille d'arachide et de l'herbe.
- Serigne Jaayaan, le cheval refusait-il de se nourrir lorsqu'il vivait dans vos écuries ?
- Pas le moins du monde, et tout Jaayaan peut en témoigner.
- Avec quoi le nourrissiez-vous ?
- Avec du mil, soit tel quel, soit sous forme de bouillie salée.
- Plaignant, dites votre intention en sollicitant ce procès.
- Revenir sur la transaction.
- Serigne Jaayaan, je suppose que vous n'êtes pas du même avis, sans quoi le procès serait sans
objet.
- Votre supposition est exacte car autrement, ce serait un aveu implicite d'escroquerie. Au fond, en
contestant la valeur de l'animal, le plaignant, d'une certaine façon met en cause ma bonne foi.
- Et pourtant vous êtes dans le tort, car avant de céder ce pur sang capricieux à un pauvre paysan,
vous deviez vous demander si un manant était à même d'entretenir un coursier habitué à un régime
princier. Votre probité n'est pas en cause, mais votre lucidité connut un moment de défaillance. Sans
174
164
173
Terme wolof désignant le milieu de la journée.
Interview de Serigne Talla Khar Seck, Thiénaba, avril 1993
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Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
conséquence pour l'homme ordinaire, ces faiblesses passagères sont graves lorsqu'elles émanent
d'individus exerçant, par la volonté de Dieu, un ministère sur leurs semblables. Dans le premier cas de
figure, elles seraient simple méprise, au pire escroquerie. Dans l'autre, elles deviennent oppression,
arbitraire d'un puissant qui échappe à la justice des hommes.
Le premier contact et le procès ont été pour beaucoup dans le long séjour d’Amary NDaak à Jaayaan. A
l’époque, les lettrés musulmans de qualité n’étaient pas nombreux et les dignitaires intéressés par la religion
étaient prompts à les retenir. C’était manifestement le cas de Serigne Jaayaan qui a mis une résidence et
des terres à la disposition d’Amary NDaak et en fit l’Imam et le Kadi du village. Jaayaan fut un tournant dans
le périple et au-delà dans la trajectoire historique d’Amary NDaak, car c’est là qu’il a refondé un foyer. En
plus de la progéniture appelée à pérenniser plus tard l’œuvre de reconstruction, les différentes épouses
accueillies à Jaayaan ont concouru à son intégration dans le système politique et social du Baol. En effet
elles étaient toutes des filles de dignitaires respectés. La première, Penda MBaye était la fille de NDongo
Penda Joom, un des plus grands notables du village. De cette union naitra Ibra Penda, en 1878. La
seconde épouse fut Roxaya Gey, fille du chef du village de Kër Magey qui donnera naissance en 1881 à
Madikke, futur Imam de la Mosquée. La troisième union était la plus politique de toutes car elle concernait
Penda NDaata Faal, fille du Dammeel Majoojo
175
. Si pour Amary NDaak il scellait la réintégration dans sa
famille maternelle, pour le Kajoor et le Baol, ce mariage entre un pouvoir temporel au crépuscule de sa
puissance et un pouvoir religieux à l'aube de son rayonnement, était le symbole d'une histoire en transition.
Amary NDack vécut ainsi sept ans à Jaayaan, mais à l’évidence, il était à l’étroit, son ambition étant de
dérouler le projet religieux hérité de Sheexu Ahmadu. Il va mettre à profit sa parenté avec le roi du Baol afin
de disposer d’un terroir et puiser dans son expérience pour poser les premiers actes de la renaissance.
III.
LES RESSORTS
DE LA RENAISSANCE MAADYANKE
1. L’ascendance aristocratique et l’expérience du leadership au service de
la reconstruction
En dehors du fait qu’il était investi de l’héritage spirituel maadyanke, Amary NDaak a tiré bénéfice de
certains atouts pour fonder la renaissance du mouvement maadyanke.
A la différence des autres
survivants, lui avait, de par sa mère, une ascendance aristocratique dont il a su tirer profit. Cela lui a
permis avant tout de pouvoir disposer d’un terroir. Le Teegne du Baol
175
176
, parent du côté de sa mère lui
Il s’agit du 28eme Dammeel du Kajoor ayant régné à deux reprises, en 1861, puis entre1864 et1868.
Il s’agit Ce Yassin Joor Galo Ganna Faal lors de son second règne qui a duré de 1874 à 1890. Maasigui Faal, ancêtre d’Amary
NDaak, partage avec Ce Yassin l’appartenance au patrilignage Faal Ce Yassin, mais aussi le matrilignage Soogno et se rejoignent au
niveau de Maxureeja Kuli, quatrième Dammeel. Par ailleurs, le Teegne était en conflit ouvert avec Lat-Joor qui prétendait à la couronne
du Baol depuis 1871 et l’avait combattu de ce fait à Njëlber et à Sambe en 1873. Défait et exilé au Saalum, Ce Yassin n’a pu retrouver
sa couronne qu’à la faveur de la défaite du Dammeel par les troupes de Sheexu Ahmadou en 1874. Or dans celle ci était présent
Amary NDaak. En plus du parent, c’est donc à un allié politique objectif auquel il était redevable, que le Teegne a offert l’hospitalité.
176
165
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N° 20
donna l’autorisation de s’installer où bon lui semblait dans le Baol occidental
Décembre
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177
. Il choisit, guidé par son
« istixaar », l’emplacement actuel de Thiénaba, entre Thiès et Khombole. Il s’y installa en 1882 et fut rejoint
progressivement par des rescapés dispersés après Samba Saajo, des parents, et d’anciens disciples de
Sheexu Ahmadu.
Un autre atout ayant porté la renaissance est l’expérience du leadership. Il faut se souvenir que le
disciple qui a rejoint Sheexu Ahmadu en 1871 était à la fois chef de village et Serigne dara c'est-à-dire à la
fois enseignant et une sorte de recteur local. Il disposait de terres étendues mises en valeur par de très
nombreux étudiants. Même si leur nombre n’est pas connu, la tradition rapporte un fait qui donne une idée
de l’importance des effectifs. Au moment de la pause, ils disposaient leurs tablettes autour du tronc d’un
gigantesque baobab encore debout aujourd’hui. Or, les tablettes formaient plusieurs couronnes autour du
baobab. Toute l’après midi et le début de la soirée étaient consacrés à dispenser des cours. Les étudiants
étaient divisés en trois catégories, en fonction de leur niveau. Les moins avancés occupaient le début de
l’après midi. Les moyens la fin de l’après midi. Les étudiants avancés le rejoignaient dans la maison où
étaient dispensés les cours nocturnes
178
. C’est donc cette expérience de leader acquise au Kajoor qu’il a
réinvestie dans la construction d’un nouveau fief au Baol.
2. La stratégie de reconstruction
Une fois installé à Thiénaba, Amary NDack a mis en œuvre son projet appuyé sur une stratégie à facette
multiple. Si la colonisation de domaines fonciers était portée par une stratégie essentiellement familiale,
l’extension de l’influence maadyanke était soutenue par l’intégration de leaders locaux influents.
2.1. L’approche familiale dans l’organisation de la communauté
Amary NDaak avait sans doute bien compris l’asymétrie de son appartenance familiale. L’ascendance
zawaya de sa famille paternelle lui valait, certes, un héritage intellectuel et spirituel de qualité, mais ne lui
donnait pas de solides attaches dans le système politique et social local. Par contre l’appartenance de sa
mère à la famille Faal lui donnait un potentiel relationnel important dans le Baol. Afin de le maximiser, il va
s’appuyer fortement sur sa famille maternelle, à la fois pour gouverner la communauté naissante et
construire des connexions avec l’aristocratie régnante du Baol. Dans ce cadre, toutes les branches de la
descendance de son ancêtre Maasigui seront mises à contribution. La descendance de celui-ci était
constituée de quatre femmes -Codu, Yaxa, Issa, NDaak -la cadette- et d’un homme, Masamba Anta.
A son cousin Baakar, de la branche de Yaxa, sera confiée la fonction de conseiller ; et c’est à ce titre
qu’il a eu le privilège de diriger la répartition de son héritage, après sa mort. A son petit fils Njuga Biigue de
la branche de Masamba Anta, fut confié le rôle de chef de village, en charge des relations avec
l’administration du Teegne. A son cousin Majoojo, petit-fils de Masamba Anta, qui l’avait accompagné
pendant le jihad, il confia la gestion du domaine de Cooty, à 3 kilomètres de Thiénaba. Il était assisté dans
177
Il s’est rendu personnellement à Lambaye le rencontrer en audience. Interview de MBaye Sarr NDiaye, Thiénaba, octobre, 2008.
Interview de Serigne Ibrahima Diop, Thiénaba, février 1996. Son père NDiaga Diop faisait partie des grands étudiants d’Amary
NDaak.
178
166
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Baol
cette tache par son neveu Yuusu Njaay de la branche de Codou. La terre étant le principal capital dans
cette société agricole, il développa aussi une stratégie foncière, à cet effet.
Figure 3. Famille maternelle d’Amary NDaak
2.2. L’approche collective dans la colonisation du terroir
Certes, le Teegne l’avait autorisé à occuper tout l’espace souhaité, entre Fandeen et Ngunjaan (figure 5),
mais il fallait des bras pour coloniser ce territoire, car le seul moyen d’y assurer un droit de propriété
incontestable, c’était d’être le premier défricheur. Ses enfants étant trop jeunes,
le rappel et le
regroupement de ses neveux et cousins autour de lui participaient de cette stratégie. Ainsi Majoojo, Yuusu,
Njuga Biigue et Daur défrichaient le matin pour le compte du marabout, et l’après midi pour leur propre
167
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compte. Cela transparaît aujourd’hui encore dans la structure du terroir, les grands domaines du marabout
étant toujours jouxtés par les exploitations, plus modestes de ses neveux. Toutefois, s’il a pu disposer de
terres aussi étendues, c’est parce que la colonisation de terres ne s’est pas limitée à cette approche
familiale. Il fut assisté dans cette tâche par les familles d’origine, comme les Ndongo et les Jaa, mais aussi
celles installées précocement comme les Taal. Elles disposaient toutes d’une main d’œuvre adulte
nombreuse qu’elles mettaient souvent à la disposition du marabout.
Cependant les arrivants précoces n’étaient pas tous des défricheurs. Certains, ayant rejoint, seuls, le
marabout, ne
e disposaient pas de main d’œuvre pour s’adonner au défrichement. Du reste, dans un premier
temps tout au moins, ils ne disposaient pas de leur propre résidence mais vivaient dans la cour du
marabout. C’est le cas, à titre d’exemple, de Tuutaan Sekk
179
. C’estt un des tout premiers à rejoindre Amary
NDaak afin de solliciter entre autres, ses talents de tradipratricien. Séduit par sa pratique religieuse, il a fait
allégeance et est resté au service du marabout.
Figure 4.
4 L’organisation de la communauté maadyanke
179
168
Interview de NDiaga Seck, petit-fils
fils de Tuutaan Sekk, mars 2014.
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Baol
2.3. Le rôle des leaders locaux dans renforcement de la communauté maadyanke
Si la communauté villageoise s’est construite sur une base familiale ensuite élargie à d’autres arrivants,
l’extension de l’influence maadyanke dans le Baol occidental a été portée par des leaders locaux influents
qui constituaient deux catégories distinctes : les allégeances spontanées et les vétérans jihadistes
autonomes.
S’agissant du premier groupe, il était formé par la plupart des chefs des villages environnants. Il ne faut
pas perdre de vue qu’à l’époque, aucune figure maraboutique d’envergure n’avait encore émergé dans cette
partie du pays. Beaucoup de chefs de communautés villageoises pratiquaient un Islam autodidacte
approximatif et s’empressaient d’aller à la rencontre de marabouts réputés. Ce fut le cas avec Amary NDaak
dont l’érudition et surtout le passé prestigieux de jihadiste ont attiré beaucoup de chefs de villages. A la
différence des premiers habitants de Cenaba, eux ne venaient pas s’installer, mais faire allégeance avec
leurs protégés qui étaient le plus souvent des parents. C’est ainsi qu’à une période qui n’est pas datée, mais
assez proche de la fondation de Cenaba, Serigne MBaye Sall et les habitants de son village Kër MBaye Sall
180
ont fait acte d’allégeance à l’ordre maadyanke
. Goora Ganna Gnang du village de Kër Njaga Saar en fera
de même et acquerra une certaine préséance dans la communauté au point de diriger la prière mortuaire à
la mort d’Amary NDaak.
L’adhésion de Gnakkur Saar est plus complexe. Habitant du village de Njooj, près de Bambey, il était
déjà maadyanke initié par Serigne NGaye, un vétéran du jihad. Lui ayant rendu visite au retour du jihad,
Serigne Ngaye lui aurait signifié qu’il n’était plus nécessaire de faire ce déplacement car le dépositaire de
l’héritage était son voisin dans le Baol occidental. A son retour, il a renouvelé l’acte d’allégeance auprès
d’Amary NDack, dont il deviendra l’un des plus proches collaborateurs
181
.
180
Il avait fait connaissance avec Amary NDaak lors du séjour de ce dernier à Pir en 1876.Apparenté au Teegne du Baol, il était à la
recherche d’un terroir dans le Baol occidental. En l’absence de terroirs vacants, le Teegne a prélevé sur ceux des villages environnants
afin de constituer pour lui le terroir de Kër MBaye Sall. Interview d’Aliou Sall, petits fils de MBaye Sall, Thiénaba, mars 2014.
181
Interview de NGagne Demba Sarr, petit fils de Gnakkkur Sarr, avril 2013.
169
Figure 5. Influence maadyanke dans le Baol au XIX
ème
siècle
Quant aux jihadistes autonomes, il s’agissait d’une catégorie bien à part de partisans d’Amary NDaak.
Comme lui, ils étaient des vétérans du jihad ayant survécu à Samba Saajo. Lorsqu’ils ont appris
l’installation du marabout au Baol, ils l’ont rejoint, certes, mais ont préféré constituer leur propre terroir dans
le voisinage de Cenaba. Ce fut le cas de Mayib Joob qui fonda le village de Kër Yaaba en 1895, à une
dizaine de kilomètres, à l’Est de Cenaba. Banda Gnang, fondateur du village de Kër Banda, en 1892 à 6
kilomètres, au Sud de Cenaba, appartient aussi à cette catégorie. Dans cette attitude, il est possible de lire
une double volonté. D’une part la reconnaissance du leadership spirituel d’Amary NDaak, en tant que
dépositaire de l’héritage maadyanke. Mais d’autre part, le souci de se démarquer de sa stratégie familiale
de contrôle des terroirs qui risquait de faire d’eux des propriétaires de second ordre, disposant de domaines
agricoles exigus. C’est pourquoi ils ont recherché ce voisinage qui les plaçait dans le giron spirituel du
marabout, tout en étant suffisamment distants pour construire une autonomie foncière.
CONCLUSION
Avant d’être historique, l’intérêt de cette étude est d’abord méthodologique. La tradition, délestée autant
que possible de sa coloration hagiographique et complétée par les sources inédites, a permis de faire
émerger la figure d’Amary Ndaak après la disparition de Sheexu Ahmadu. Sa posture pendant le dernier
quart du XIX
ème
siècle et le bilan de son action ont préservé et pérennisé l’héritage maadyanke. En affirmant
que « rien n’est resté de ce mouvement », ou que « le 11 février, la bataille de Samba Sajo consacra la fin
du mouvement politico religieux d’Ahmadu Sheku » E. Charles et M. Diouf ont
l’impact de la décapitation du leadership maadyanke à Samba Saajo
même veine, quand il oppose marabouts des « anciens régimes du XIX
182
sans doute surestimé
182
. Plus globalement, mais dans la
ème
siècle » et ceux de
Le premier propos est celui d’E. Charles, 1977, P. 52. Le second, celui de M. Diouf, 1990, p. 252
170
Liens Nouvelle Série
Le maadyankisme après Samba Saajo. Le rôle d’Amary NDaak dans sa renaissance au
Baol
l’ « accommodation », D. Robinson
183
, suggère une logique de sédimentation. Mais entre les générations de
marabouts, la logique historique n’est pas géologique, elle est spatiale. Il n’y a pas eu fossilisation des
réformateurs par les figures émergentes de la fin du XIX
territoires à la fois spécifiques et imbriqués. Dans cet
ème
siècle, mais plutôt cohabitation dans des
espace, le maadyankisme, loin d’avoir disparu,
constitue un pôle tijaan autonome à côté des autres obédiences.
Lexique
Buurba : titre porté par les rois du Jolof
Ceddo : au sens premier, désigne l’élite guerrière dans les royaumes wolof. Les ceddos se distinguaient par
leurs pratiques païennes et leur violence. Le terme a fini par désigner, au sens large, le pouvoir
aristocratique des royaumes wolof, par opposition au pouvoir maraboutique.
Dammeel : titre porté par les rois du Kajoor
Dimarnaabe : habitants de la province du Dimar, dans le Tooro. Ibra penda Buyo comptait de nombreux
adeptes parmi eux.
Garmi: membres de la famille royale, généralement dépositaires de charges et administrateurs de territoires.
En effet, en l’absence de trésorerie publique distributrice de prébendes, la plupart des charges politiques
étaient assorties de commandements territoriaux dont l’étendue et la richesse étaient fonction de la qualité
de la charge.
Gebla : Territoires du Sud-Ouest de la Mauritanie habité par les Hassan et les Zawayas et où se
développeront les émirats maures, après le déclin almoravide. Appelé Gannaar par les Wolof.
Istixaar : science divinatoire reposant sur le recours au texte coranique pour s’informer sur l’avenir.
Maadyankisme : branche tijaan dont le fondateur est Mamadu Hamme Ba de Wuro Maadyu. Rattaché au
fondateur de la tarixa par Abdoul Karim Diallo et Maouloud Fall, il s’agit d’une tijaanyya armée et orthodoxe
ayant affronté la colonie et les pouvoirs ceddo alliés entre 1869 et 1875. Pendant cette période, son
influence s’étendait essentiellement dans le Tooro, au Jolof, au Njambur ainsi qu’à dans Saint-Louis et sa
banlieue. Le maadyankisme y compte, aujourd’hui encore de nombreux adeptes, mais le principal pôle
maadyanke est Thiénaba, dans le Baol occidental.
Teegne : titre porté par les rois du Baol
Tooroodo : singulier de Toorrobe, qui désigne la classe dominante dans le Fuuta. Auparavant, la
communauté tooroodo renvoyait simplement à un groupe islamisé et possédant des rudiments de
connaissances islamiques. Elle comprenait alors des personnes d’origine sociale et ethnique diverse. Le
tournant dans l’évolution de cette communauté est la prise du pouvoir et la fondation d’un régime islamique
vers la fin du XVIIIème siècle. Les Tooroobe devinrent ainsi une classe politique et un groupe social au
sommet de la pyramide sociale du Fuuta.
Worma : terme
religieux.
d’origine arabe wolofisé, signifiant courtoisie, égards à l’endroit notamment d’un guide
Zawaya : tribus maures du Sud de la Mauritanie, versées dans l’enseignement et les sciences religieuses.
Les Zawayas se distinguaient ainsi des Hassan, tribus plus politisées et versées dans l’art de la guerre.
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183
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172
Seydina DIOP
Les moyens de progression de la langue
l’éclaircissement des études linguistiques modernes
dans
Résumé :
On peut considérer, en linguistique, la langue comme un être vivant du fait qu’elle est issue d’une autre
langue avec souvent une filiation et un développement plus ou moins précis et déterministe. En effet, l’être
vivant vient d’un autre, en passant par l’enfance, l’adolescence, l’adulte, la vieillesse et enfin la mort. La
langue, comme un être vivant, est issue d’une autre langue, se développe et peut vieillir et mourir.
La langue latine fut une langue vivante, du fait de sa popularité en Europe occidentale, qui eut une grande
ampleur et mourût après être dominée par d’autres notamment les langues françaises, espagnoles,
italiennes ou autres.
Seulement, pour qu’une langue progresse de manière naturelle, il faut qu’il y ait des nécessités et des
moyens de progression que sont : La traduction, la mesure, la reproduction, l’emprunt et la dérivation.
Notons également qu’il est impossible qu’une langue soit vivante s’il y a absence totale de ces éléments.
L’objet de cette étude est d’éclairer et de documenter ces propriétés linguistiques à partir d’exemple précis
tirés de la langue arabe.
Mots clef : dérivation, emprunt linguistique, mesure, reproduction, traduction.
173
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Seydina DIOP‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫اللغة تشبه الكائن الحي من حيث أنھا تولد لغة أخرى قديمة‪ ،‬كما يولد الكائن الحي من الكائن آخر‪ ،‬ثم تمر بمرحلة‬
‫الطفولة ثم تكبر لتبلغ مرحلة الشباب ثم تبلغ أشدھا ثم مرحلة الشيخوخة ثم تموت لتحل محلھا لغة أو لغات أخرى‪.‬‬
‫ھذا يعني أن اللغة تنمو كما ينمو الكائن الحي‪ ،‬ولكي تنمو نموا طبيعيا وتتسع‪ ،‬ال بد من تتوافر لھا متطلبات‪ ،‬تسمى وسائل نمو‬
‫اللغة‪ ،‬وھي كاآلتي‪:‬‬
‫‪1‬ـ الترجمة‪.‬‬
‫‪2‬ـ القياس‪.‬‬
‫‪3‬ـ التوليد وينقسم إلى‪:‬‬
‫أـ التوليد بالمعنى‬
‫ب ـ التوليد بالصيغة‬
‫ج ـ التوليد بالنحت‬
‫‪4‬ـ االقتراض‪ :‬وينقسم إلى‪:‬‬
‫أـ االقتراض الداخلي‪ :‬وھو إما أن يكون‪:‬‬
‫ـ االقتراض التوظيفي‬
‫ـ االقتراض من اللھجات المحلية‬
‫ب ـ االقتراض الخارجي‪ :‬وھو إما‪:‬‬
‫ـ اللفظ الدخيل‬
‫ـ أو لفظ التعريب‬
‫‪5‬ـ االشتقاق‪.‬‬
‫وال بد للوقوف على ھذه الوسائل كل منھا على حدة‪.‬‬
‫أوال‪ :‬الترجمة ‪:‬‬
‫تعد الترجمة مظھرا من مظاھر السلوك اللغوي عند اإلنسان‪ ،‬وبناء على ذلك يكون معنى شمولي أوسع من ذلك المعنى‬
‫المتداول والشائع لدى عامة الناس‪.‬‬
‫‪174‬‬
‫‪Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques‬‬
‫‪modernes‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫وھي عملية استبدال رموز لغوية بأخرى‪ .‬إما من اللغة نفسھا‪ ،‬وھذا ما يمارسه الفرد في لغته األم‪ ،‬أي‪ :‬أنه يعطي مرادفات‬
‫وبعض الشروحات لتلك الرموز اللغوية‪ ،‬أو أن تكون عملية استبدال الرموز من لغة إلى أخرى‪ ،‬وھذا ما يمارسه الفرد في عملية‬
‫استبدال رموز لغوية بأخرى من لغات مختلفة‪.184‬‬
‫يتضح مما تقدم أن الترجمة منفذ من منافذ توسع اللغة واستيعابھا للمستجدات الوافدة من اللغات األخرى‪ ،‬حيث يلجأ أبناء‬
‫اللغة إلى لغتھم للبحث فيھا عما يقابل ھذا الجديد‪ ،‬قد يكون ذلك بإحياء كلمات لم يعد لھا استخدام في الوقت الحاضر كما في‬
‫ترجمتھم كلمة ‪ Car‬بالسيارة و‪ Train‬بالقطار‪ ،‬الكلمة الفرنسية ‪ Haut parleur‬ب )مكبر الصوت( في العربية‪.‬‬
‫تعتبر ھذه الترجمة وسيلة ناجحة ألنھا تتعدى نقل اللفظ المفرد إلى نقل النصوص من لغة إلى أخرى‪.‬‬
‫ثانيا‪ :‬القياس‪:‬‬
‫نال القياس في العصر الحديث العناية كبيرة‪ ،‬فبحثت فيه المجامع اللغوية العربية في جلساتھم‪.‬‬
‫واألصل في القياس أن يبني على شيء سابق في اللغة وارد في السماع واالستعمال‪ ،‬وھو ما يذھب إليه المحدثون من‬
‫اللغويين‪ .‬يقول فندريس‪) :‬يطلق القياس على العملية التي بھا يخلق الذھن صيغة أو كلمة أو تركيبا أل ُ ْنموذج معروف(‪.185‬‬
‫وقد لخص إبراھيم أنيس القياس المؤدي إلى نمو اللغة واتساعھا كاآلتي‪" :‬يمكن تعريب الدخيل‪ ،‬وذلك بجعله نحو‬
‫الكلمات العربية ونسجھا‪ ،‬قياسا على أساليب القدماء من العرب في كلمات فارسية ويونانية"‪.186‬‬
‫قد يرد على الخاطر سؤال‪ ،‬ھل يحق لكل منا أن يقيس‪ ،‬وھل لھذا القياس مكان في اللغة التي نستعملھا اليوم؟‬
‫والجواب‪ :‬إن القياس لدى المحدثين من علماء اللغة ال يعدو أن يكون عملية عقلية يقوم بھا كل منا كلما احتاج إلى كلمة‬
‫من الكلمات أو صيغة من الصيغ‪ 187‬والحقيقة ھي أن أنيس ھنا يتحدث عن القياس الفردي وكالمنا ھنا عن القياس الجماعي‪.‬‬
‫وكم من ألفاظ ظھرت‪ ،‬ثم ماتت‪ ،‬كما أن ھناك ألفاظا وصيغا تستحدث‪ ،‬ومجاراة لروح العصر ومواكبة لمسيرة‬
‫الحضارة‪ ،‬ويعزز ذلك قدرة ھذه اللغة على النمو واالستيعاب‪ ،‬وقدرتھا على النبذ والطرح‪ .‬ھناك فرق بين نظر القدماء للقياس‬
‫اللغوي ونظر المحدثين ويظھر ذلك فيما يأتي‪:‬‬
‫‪1‬ـ ما يقاس عليه عند القدماء؛ ھو النصوص التي سمعت عن العرب‪ ،‬وقد حدد زمنھا ومكانھا عند جمھرة العلماء أما الذي يقاس‬
‫عليه عند المحدثين‪ ،‬فھو ما يختزنه المرء في ذاكرته من مسائل اللغة‪.‬‬
‫‪2‬ـ كان القدماء من علماء اللغة يظنون أن عملية القياس‪ ،‬إنما يقوم بھا أولئك الذين كرسوا حياتھم لخدمة العربية‪ .‬أما أصحاب‬
‫اللغة الذين احتجوا بكالمھم فال يكادون يلجأون إلى القياس في حياتھم ولھذا ظھر في بحوثھم ما سمي بالقياس وما سمي‬
‫بالسماع‪.188‬‬
‫‪184‬‬
‫توفيق عبد العزيز‪ ،‬حسيب اليأس مبادئ الترجمة‪ ،‬ص‪ ،13‬الموصل‪1989 ،‬م‪.‬‬
‫‪185‬‬
‫فندريس اللغة‪ ،‬ص‪ ،205‬تعريب‪ ،‬عبد الحميد الدواخلي‪ ،‬محمد القصاص‪ ،‬مكتبة األنجول المصرية‪ ،‬القاھرة ‪1950‬م‪.‬‬
‫‪186‬‬
‫من أسارا اللغة‪ ،‬ص‪.15‬‬
‫‪187‬‬
‫نفسه‪ ،‬ص‪.42‬‬
‫‪188‬‬
‫نفسه‪ ،‬ص ‪.45‬‬
‫‪175‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Seydina DIOP‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫ومن أمثلة القياس‪ِ :‬م ْن َظا ٌر‪ :‬وھو اسم آلة ينظر بھا لتقريب البعيد‪ (Téles-cop) ،‬قياسا على ِم ْف َتاح على وزن ِم ْف َعا ُل وھو وزن‬
‫معروف السم اآللة عند القدماء‪.‬‬
‫وكذلك ِمحْ َرارٌ‪ ،‬وھو آلة لقياس الحرارة ويعرف ب }‪.{Thermomètre‬‬
‫ِمجْ َھ ٌر قياسا على منجل على وزن ِم ْف َع ٌل وھو يسمى ب }‪ ،{Microscop‬وھو آلة لتكبير الكائنات الحية الدقيقة التي ال ترى‬
‫بالعين المجردة‪.‬‬
‫ِمرْ َو َح ٌة قياسا على م ِْك َن َس ٌة وھو على وزن ِم ْف َع َلة وتسمى ب }‪ {Fan‬باالنجليزية‪.‬‬
‫وقد جعل المصدر الصناعي كالجاھلية واللصوصية مصدرا قياسيا؛ وذلك لشدة الحاجة إلى ھذا المصدر في التعبير عن‬
‫كثير من حقائق الفلسفة والعلوم والفنون‪.‬‬
‫ويصاغ َف َعال للمبالغة‪ ،‬للداللة على صاحب الحرفة‪َّ ،‬‬
‫جزا ٌر حدَّاد‪ ،‬بحَّ ار‪ .‬جعل المصادر الدالة على التقلب واالضطراب قياسيا‪،‬‬
‫كالغليان والخفقان‪ ،‬والدالة على المرض كالعُقم وال َب َرص‪ ،‬والس َُّعال والزكام أي ما كان على وزن ) َف َعل( و) ُف َعال( مما كان داء‪.189‬‬
‫وھذه الصيغ التي ذكرت متداولة في ھذا العصر بكثرة ألنھا مالئمة للحس اللغوي‪.‬‬
‫ثالثا التوليد‪ :‬وينقسم إلى‪:‬‬
‫‪ 1‬ـ التوليد بالمعنى‪ :‬وھو أن يطلق على لفظ قديم معنى جديد إلى جانب معناه القديم‪.‬‬
‫ويدعى أيضا اإلحياء‪ ،‬أو االستنباط‪ ،‬مثاله الجريدة كانت تعني وما زالت جريدة النخيل ثم وُ لِّدَ لھا معنى جديد وھو مؤسسة‬
‫إعالمية‪ .‬وما أشبه ذلك من األلفاظ التي وُ لِّ ْ‬
‫دَت لھا معان جديدة إلى جانب معانيھا القديمة‪.190‬‬
‫‪ 2‬ـ التوليد بالصيغة‪ :‬ھو أن يستعمل الجيل الحاضر صيغة صرفية في غير ما وضع لھا عند السلف‪ ،‬من أجل استيعاب كلمة‬
‫جديدة من لغة أو معنى جديد من المجتمع نفسه‪ ،‬مثل‪ :‬الھوية والميزانية‪ ،‬الماھية‪.‬‬
‫يالحظ أن في ھذه الكلمات استخدام ياء النسب لغير ما وضع لھا عند القدماء‪ ،‬من أجل استيعاب معان جديدة وھذا معنى التوليد‬
‫بالصيغة‪.‬‬
‫‪ 3‬ـ التوليد بالنحت‪:‬‬
‫النحت صورة ومظھر لطبيعة اللغة العربية خاصة‪ ،‬واللغات عامة؛ ذلك أن اللغة بطبيعتھا تميل إلى االختزال‪ ،‬واإليجاز في بنية‬
‫بعض الكلمات كما تميل إلى تركيب العبارات األساليب‪.‬‬
‫وأول من تحدث عن النحت ھو الخليل بن أحمد في مجمعه العين‪،‬‬
‫وعرفه بأنه‪" :‬أخذ كلمة من كلمتين متعاقبتين‪ ،‬مثل قولھم‪ :‬عبشمي‪ ،‬نسبتھا إلى عبد شمس‪ ،‬وأسقط الدال والسين‪ ،‬فبني من الكلمتين‬
‫كلمة واحدة‪ ،‬فھذا ھو النحت"‪.191‬‬
‫‪189‬‬
‫كاصد ياسر‪ ،‬فقه اللغة‪ ،‬ص‪ 280‬ـ‪.281‬‬
‫‪190‬‬
‫حسن غزالة‪ ،‬ترجمة المصطلحات األدبية وتعريبھا‪ ،‬مجلة عالمات في النقد‪ ،‬ص ‪ ،17‬مج ‪48 ،12‬ع‪2003 ،‬م‪.‬‬
‫‪176‬‬
‫‪Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques‬‬
‫‪modernes‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫وأنشد قول الشاعر‪:‬‬
‫َو َتضْ َح ُ‬
‫ك ِمنِي َشي َْخ ٌة َع ْب َش ِمي ٌَّة‬
‫َكأَنَّ َل ْم َت َر َق ْبلِي أَسِ يرً ا َي َما ِنيًا‬
‫‪192‬‬
‫وھو أيضا عملية اختزال واختصار بين الكلمات والعبارات‪ ،‬إذ يعمد المتكلم إلى نحت كلمة واحدة من كلمتين أو أكثر؛‬
‫وح ْو َقل( من‪" :‬ال حول وال قوة إال با‪.193"j‬‬
‫بإحداث اختزال في عدد من حروفھا‪ ،‬كقولنا‪َ ) :‬سب َْحل( من "سبحان ‪َ ) "i‬‬
‫وتستخدم اإلنجليزية ھذه الوسيلة في نحت األلفاظ‪ ،‬مثل ‪ speaker Loud‬ومعناھا مبكر الصوت مكونة في األصل من‬
‫‪.Loud+speaker194‬‬
‫والنحت وسيلة مھمة من وسائل نمو اللغة وتطورھا في تلبية حاجات العصر‪ ،‬وما يتطلبه من اصطالحات عربية‪ ،‬أو معربة في‬
‫العلوم واآلداب وغيرھا‪.‬‬
‫يقول سميح‪ " :‬ومع أن بعض اللغويين قد شددوا في إباحة النحت معتبرين ما ورد من أمثلة قديمة سماعية ال يجوز‬
‫القياس عليھا‪ ،‬إال أن اللغويين في الوقت الحاضر يسمون بالنحت حين تدعو الحاجة إليه المستجدة‪ ،‬وال يرون ضيرا في قول )در‬
‫عمي( نسبة إلى )دار العلوم( و )أنفمي( نسبة إلى )األنف والفم( معا‪ ،‬فيقولون صوت أنفمي عن الصوت الذي يتخذ مجراه األنف‬
‫والفم معا"‪ .195‬ويعتبر النحت لونا من ألوان التوليد وھو جزء من التوليد بالصيغة‪.‬‬
‫ولم يكن موقف اللغويين المحدثين عامة يميل إلى فتح باب النحت على مصراعيه‪ ،‬ألنھم الحظوا قلة أمثلته المتداولة‬
‫وصعوبة تقبل أھل العربية له‪ ،‬وقد عبر مجمع اللغة العربية في القاھرة عن ھذا الموقف عندما أباح اللجوء إلى النحت عند‬
‫الضرورة‪.196‬‬
‫يقول صبحي الصالح‪" :‬اشترط العلماء في النحت انسجام الحروف عند تأليفھا في الكلمة المنحوتة‪ ،‬وتنزيل ھذه الكلمة‬
‫على أحكام العربية‪ ،‬وصياغتھا على وزن ممن أوزانھا ـ فبمثل ھذه الشروط يكون النحت كجميع أنواع االشتقاق ـ وسيلة رائعة‬
‫لتنمية ھذه اللغة وتجديد أساليبھا في التعبير والبيان‪ ،‬من غير تحيف لطبيعتھا‪ ،‬أو عدوان على نسيجھا المحكم المتين‪.197‬‬
‫رابعا‪ :‬االقتراض‪:‬‬
‫قد يلجأ المجتمع اللغوي إلى أسھل الطرق حين يواجه بالنقص أو القصور في الثورة اللفظية‪ ،‬أي‪ :‬ربما يعمد إلى اقتراض‬
‫‪191‬‬
‫أبو عبد الرحمن الخليل بن أحمد الفراھيدي‪ ،‬كتاب العين ‪1‬؛ ‪60‬ـ‪ ،61‬تحقيق محمد المخزومي‪ ،‬إبراھيم السامرائي‪ ،‬دار ومكتبة الھالل)د‪.‬ت(‪.‬‬
‫‪192‬‬
‫نفسه‪.61/1 ،‬‬
‫‪193‬‬
‫كاصر ياسر‪ ،‬فقه اللغة العربية‪ ،‬ص ‪.230‬‬
‫‪194‬‬
‫استيفن أولمان‪ ،‬دور الكلمة في اللغة‪ ،‬ص ‪) 164‬الھامش( ترجمة كمال بشر‪ ،‬مكتبة الشباب‪ ،‬القاھرة‪1998 ،‬م‪.‬‬
‫‪195‬‬
‫سميح أبو مغلي‪ ،‬فقه اللغة‪ ،‬ص‪.172‬‬
‫‪196‬‬
‫أحمد محمد قدور‪ ،‬مدخل إلى فقه اللغة العربية‪ ،‬ص‪149‬ـ‪.150‬‬
‫‪197‬‬
‫دراسات في فقه اللغة‪ ،‬ص‪.274‬‬
‫‪177‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Seydina DIOP‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫الكلمات أو المصطلحات التي يحتاجھا من لغات أخرى بدال أخرى بدال من أن يبذل أي مجھودا بداعي للحصول على ما يريده‪،‬‬
‫ھناك ثالثة مصادر رئيسية لالقتراض اللغوي‪ ،‬وھي‪:‬‬
‫‪ 1‬ـ الجماعات المتميزة في المجتمع‪.‬‬
‫‪ 2‬ـ اللھجات المحلية‪.‬‬
‫‪Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques‬‬
‫‪modernes‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪ 3‬ـ اللغات األجنبية‪.‬‬
‫ھذا االقتراض قد يكون داخليا وقد يكون خارجيا‪.‬‬
‫أـ االقتراض الداخلي‪ :‬وھو نوعان‪:‬‬
‫ـ االقتراض التوظيفي )االجتماعي(‪.198‬‬
‫كل مجموعة إنسانية مھما صغرت لھا لغتھا الخاصة بھا‪ ،‬فھناك في دائرة األسرة والمكتب والمصنع‪ ،‬تتولد الكلمات‪ ،‬والعبارات‪،‬‬
‫والمعاني الھامشية‪ ،‬واأللغاز وطرق التعبير األخرى التي تختص بھذه البيئات والتي يصعب إدراكھا على من ال ينتمي إليھا‪ .‬وھذا‬
‫يحدث في المجموعات الكبيرة التي يربطھا رباط المصالح المشتركة كالمھنة والصحابة‪ ،‬والتجارة فلكل منھا خصائصھا اللغوية‬
‫وھذه الخصائص تسھل اتصالھم بعضھم ببعض وھي تفصلھم عن غيرھم في المجتمع‪.‬‬
‫ومن أمثلة كلمة )الحج( التي أصلھا في اللغة القصد‪ .‬ولما جاء اإلسالم أتى بمفاھيم جديدة‪ ،‬تخص المسلمين دون غيرھم‪،‬‬
‫ومعروف أن المسلمين كانوا جزءا من المجتمع العربي‪ ،‬غير أنھم قد تميزوا بخصائص ومفاھيم عن غيرھم من ھذا المجتمع‪،‬‬
‫ولذلك أصبحت لھم خصائص لغوية‪ .‬ومن ھنا جاء استعمالھم لھذا اللفظ )الحج( لمعنى مختلف لھذا المعنى المألوف عند العرب‪.‬‬
‫وھو ھذا العبادة المعروفة‪ ،‬ثم اقترض المجتمع العربي ھذا المعنى الخاص‪ ،‬فتحول بذلك من الخصوصية إلى العمومية‪ .‬لذلك ال‬
‫يفكر أحد ممن يعرف العربية في معنى غير ھذا المعنى عندما يطلق ھذا اللفظ‪ .‬مع أنه ليس ھو األصل بل األصل ھو القصد‪.‬‬
‫ـ االقتراض من اللھجات المحلية‪:‬‬
‫ض َف َي ْن ُ‬
‫ْف‬
‫ظرُوا َكي َ‬
‫ومن ھذا النوع ما اقترضه القرآن الكريم من لغات القبائل ونورد أمثلة منھا‪ ،‬قوله تعالى‪} :‬أَ َو َل ْم يَسِ يرُوا فِي األَرْ ِ‬
‫‪199‬‬
‫ض َفأ َ َخ َذ ُھ ْم َّ‬
‫اق{‬
‫ان َل ُھ ْم ِمنْ َّ ِ‬
‫وب ِھ ْم َو َما َك َ‬
‫ان َعا ِق َب َة الَّ ِذ َ‬
‫َك َ‬
‫ين َكا ُنوا ِمنْ َق ْبل ِِھ ْم َكا ُنوا ُھ ْم أَ َش َّد ِم ْن ُھ ْم ُقوَّ ًة َوآ َثارً ا فِي األَرْ ِ‬
‫‪ِ i‬منْ َو ٍ‬
‫‪ِ ُi‬ب ُذ ُن ِ‬
‫‪200‬‬
‫ِين{‬
‫واق‪ :‬يعني من مانع بلغة خثعم ‪ .‬وقوله عز وجل‪َ } :‬و َال َط َعا ٌم إِ َّال ِمنْ غِ سْ ل ٍ‬
‫‪202‬‬
‫ُور{‪ 203‬المسجور‪ :‬يعني الممتلئ بلغة عامر بن صعصعة‪ .204‬وقوله تعالى‪:‬‬
‫أزد شنوءة ‪ .‬وقوله تعالى‪َ } :‬و ْال َبحْ ِر ْال َمسْ ج ِ‬
‫ال َو َك ْل ُب ُھ ْم َباسِ ٌ‬
‫} َو َتحْ َس ُب ُھ ْم أَ ْي َق ً‬
‫الوصِ ي ِد َل ْو َّ‬
‫يھ ْم َل َولَّيْتَ ِم ْن ُھ ْم ف َِرارً ا‬
‫اع ْي ِه ِب َ‬
‫ط ذ َِر َ‬
‫ِين َو ّذاتَ ال ِّش َم ِ‬
‫اط َلعْ تَ َع َل ِ‬
‫اظا َو ُھ ْم ُر ُقو ٌد َو ُن َقلِّ ُب ُھ ْم َذاتَ ْال َيم ِ‬
‫‪201‬‬
‫‪198‬‬
‫غسلين‪ :‬الحار الذي قد انتھى‪ ،‬من غليان‪ ،‬بلغة‬
‫استيفن أولمان‪ ،‬دور الكلمة في اللغة‪ ،‬ص‪158‬ـ‪.159‬‬
‫‪199‬‬
‫سورة غافر‪ ،‬اآلية ‪.21‬‬
‫‪200‬‬
‫ابن سالم الجحمي‪ ،‬ما ورد في القرآن من لغات القبائل‪ ،‬بھامش المصحف الشريف‪ ،‬ص ‪ ،469‬دار الفكر‪ ،‬بيروت‪ ،‬لبنان‪ ،‬سنة ‪1997‬م‪.‬‬
‫‪201‬‬
‫سورة الحاقة‪ ،‬اآلية ‪.36‬‬
‫‪202‬‬
‫ابن سالم‪ ،‬بھامش المصحف‪ ،‬ص‪.348‬‬
‫‪178‬‬
‫‪Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques‬‬
‫‪modernes‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪206‬‬
‫‪205‬‬
‫ْن آ ِن َي ٍة{‪ 207‬آنية‪ :‬حارة بلغة مدين‪.208‬‬
‫َو َل ُم ِل ْئتَ ِم ْن ُھ ْم رُعْ بًا{ ‪ .‬الوصيد‪ :‬بالفناء بلغة مذحج ‪ .‬وقوله تعالى‪ُ } :‬تسْ َقى ِمنْ َعي ٍ‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Seydina DIOP‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫وورد في القرآن كثير من لغات القبائل وما ورد في ھذا البحث على سبيل المثال وليس الحصر‪ .‬وقد نجد في اللغة العربية‬
‫الفصحى من اللھجات المحلية الحديثة‪ ،‬وذلك أن اللھجة لغة التخاطب اليومي‪ ،‬بينما الفصحى لغة الكتابة‪ ،‬ومعروف أن لغة‬
‫التخاطب أسرع في استيعاب الجديد من لغة الكتابة‪ ،‬فتضطر لغة الكتابة أن تستعير من لغة التخاطب كثيرا من األلفاظ الجديدة‪.‬‬
‫ب ـ االقتراض الخارجي وھو إما‪:‬‬
‫ـ اللفظ الدخيل‪:‬‬
‫فھو يسھم في إثراء اللغة بالمفردات ويربط التراث العلمي بالجديد من المصطلحات‪.‬‬
‫نجد أن الدخيل ال يفصل عن المعرب إال باعتبارات نادرة الحدوث‪ ،‬وھي أن تدخل الكلمة في اللغة العربية وتبقى مدة‬
‫طويلة من غير تغيير في ميزانھا الصوتي والصرفي‪ ،‬وعليه يمكن أن نعد الدخيل جزء ال يتجزأ من التعريب بھذا االعتبار‪ ،‬أمثلته‬
‫تلفزيون‪ ،‬وأوكسجين‪.‬‬
‫ـ اللفظ المعرب‬
‫وھو يعني اللغة بذخيرة من المفردات التي يتم نقلھا من لغة إلى لغة أخرى‪ .‬تعتمد عليه اللغة لمواكبة الحياة‪ ،‬ويلجأ إليه‬
‫في النقل عندما ال توجد كلمة عربية تترجم بھا الكلمة األعجمية‪ ،‬أو يشتق منھا اسم أو فعل‪ .‬وھذا االقتراض سنة طبيعية في لغات‬
‫البشر‪ ،‬واأللفاظ المعربة تكون غريبة وغير مألوفة‪ ،‬ولكن بعد التغيير تصبح جزءا من ھذه اللغة وتسھم في زيادة الثروة‬
‫اللفظية‪.209‬‬
‫وعملية التعريب ھذه‪ ،‬اتبعت فيھا حديثا اإلجراءات اآلتية‪:‬‬
‫‪1‬ـ أن يبقى اللفظ المنقول وفق القوالب العربية وأوزانھا فال يجوز أن يحتوي على أكثر من سبعة مقاطع وھي أقصى ما تتألف‬
‫منھا الكلمة العربية‪.‬‬
‫ك(‪ ،‬فلذلك عند ما‬
‫‪2‬ـ تخريج األصوات التي ال مقابل لھا في اللغة المنقول إليھا‪ ،‬فليس في العربية الفصحى الكاف المجھورة ) َ‬
‫وردت كلمة )أر َكوان( من الفارسية إلى العربية تحول ھذا الصوت إلى الجيم فأصبح اللفظ )أرجوان(‪.‬‬
‫‪203‬‬
‫سورة الطور‪ ،‬اآلية‪.6‬‬
‫‪204‬‬
‫ابن سالم‪ ،‬بھامش المصحف‪ ،‬ص‪.333‬‬
‫‪205‬‬
‫سورة الكھف‪ ،‬اآلية ‪.18‬‬
‫‪206‬‬
‫ابن سالم بھامش المصحف‪ ،‬ص‪.303‬‬
‫‪207‬‬
‫سورة الغشية‪ ،‬اآلية ‪.5‬‬
‫‪208‬‬
‫ابن سالم‪ ،‬بھامش المصحف‪ ،‬ص‪.370‬‬
‫‪209‬‬
‫سميع أبو مغلي‪ ،‬في فقه اللغة وقضايا العربية‪ ،‬ص‪.202‬‬
‫‪179‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Seydina DIOP‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫‪3‬ـ زيادة حرف الھاء في أول األسماء المبتدئة بحرف علة مثل ھوميروس‪ ،‬بدال من وميروس‪.210‬‬
‫خامسا االشتقاق‪:‬‬
‫االشتقاق وسيلة مھمة من وسائل نمو اللغة‪ ،‬وھو استخراج لفظ من لفظ بحث علماء اللغة العربية القدماء أھمية في نمو اللغة‬
‫واتساعھا‪ ،‬فقد أطلق عليھا ) اللغة االشتقاقية (‪ ،‬إذ ھي تلجأ إلي ھذه الظاھرة اللغوية التي تعد أقدم وساءل نمو اللغة العربية‪،‬‬
‫وأكثرھا قدرة علي التوليد وتكثير الصيغ من جذر واحد ثنائيا ‪:‬كان أم ثالثيا‪.211‬‬
‫المورفيم ‪ :‬ھو أصغر وحدة ذات معني‪ ،‬وينقسم إلي ‪:‬‬
‫‪ (1‬مورفيم حر وھو ‪ :‬الذي يمكن استعماله بمفرده‬
‫‪ (2‬مورفيم متصل وھو ‪ :‬الذي ال يستعمل منفردا بل متصل بمورفيم آخر ومثالھما ‪ :‬كلمة رجالن المكونة من‬
‫‪Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques‬‬
‫‪modernes‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪212‬‬
‫‪ (3‬مورفيم حر وھو‪) :‬رجل ( مورفيم متصل وھو األلف والنون عالمة التثنية‬
‫وعلي ضوء ھذا التعريف تأكد لنا أن الكالم الذي سبق ذكره ينطبق علي المورفيم الحر‪ ،‬أما المورفيم المتصل فخارج عن ھذا‬
‫الكالم‪.‬‬
‫ذكر علي عبد الواحد في كتابه فقه اللغة مثاال لالشتقاق العام ھو " أعلم ‪ ،‬نعلم‪ ،‬اعلم ‪ ،‬اعلمي ‪ ،‬علم ‪ ،‬عالم ‪ ،...‬بعد أن عرفه بأنه‬
‫‪ :‬ارتباط كل أصل ثالثي في اللغة العربية بمعني عام وضع له‪ ،‬فيتحقق ھذا المعني العام )العلم( مثال‪ ،‬وھو إدراك الشيء وظھوره‬
‫ووضوحه في كل كلمة توجد فيھا األصوات الثالثة مرتبة حسب ترتيبھا في األصل الذي أخذت منه‪ ،‬وھو )ع ل م( ثم قال ‪:‬‬
‫وعلي ھذه الرابطة يقوم أكبر قسم من متن اللغة العربية‪ 213‬ومنه كتب ‪ ،‬يكتب ‪ ،‬أكتب ‪ ،‬كتاب ‪ ،‬مكاتبة ‪....‬التي أخذت من )ك ت‬
‫ب( واعتمد العرب علي االشتقاق‪ ،‬لتمييز األلفاظ العجمية من العربية‪.‬‬
‫يقول حلمي خليل ‪ " :‬غير أننا ال نستطيع الحديث عن االشتقاق وخاصة االشتقاق العام دون التعرض لعالقته بالصيغ واألبنية‪،‬‬
‫وخاصة بالنسبة لنمو اللغة وتطورھا‪ ،‬ذالك ألن االشتقاق ال يتم دون قوالب تصاغ فيھا المادة اللغوية ‪ ،‬فالكلمة العربية في الحقيقة‬
‫تشتمل علي ثالثة عناصر أساسية ھي ‪:‬‬
‫‪ (1‬المادة األصلية والجزر اللغوي كما اصطلح علي تسميته اللغويون وھو يتكون من ثالثة حروف في العربية مثل )ع ق ل‬
‫( بالنسبة لكلمة عقل وھو يرمز في نفس الوقت للداللة األصلية للمادة‪.‬‬
‫‪210‬‬
‫مناف مھدي محمد‪ ،‬المصطلح العلمي العربي قدميل وحديثا‪ ،‬مجلة اللسان العربي‪ ،‬ص ‪137‬ـ‪ ،148‬ع‪1988،30‬م‪.‬‬
‫‪211‬‬
‫كاصد ياسر‪ ،‬فقه اللغة ‪،‬ص‪302.‬‬
‫‪212‬‬
‫ينظر أحمد مختار عمر‪ ،‬علم الداللة ‪ ،‬ص‪) 34.‬الھامش ( مكبة العروبة للنشر والتوزيع ‪ ،‬الكويت ‪1982،‬م‬
‫‪213‬‬
‫ص‪172 .‬‬
‫‪180‬‬
‫‪ (2‬الصيغة التي ركبت عليھا تلك المادة األصلية‪ ،‬وھي القالب الذي تصب فيه الكلمة فيعطيھا في النھاية الشكل والوزن أو‬
‫الداللة الوظيفية للكلمة‬
‫‪ (3‬ومن وجود العنصرين السابقين معا نصل إلي العنصر األخير وھو معني الكلمة أو داللتھا المعجمية أو االجتماعية‬
‫‪(4‬‬
‫وباالشتقاق تتسع اللغة ويزداد إثراؤھا بالمفردات‪ ،‬لذالك يكون ھو العملية التي بھا يتم التعبير عن اللفظ الجديد‬
‫مقارنة بين االقتراض ووسائل نمو اللغة األخرى‬
‫أوال‪ :‬الترجمة والتعريب‬
‫ أوجه الشبه‪ :‬الترجمة احدي طرق تنمية اللغة مثل التعريب‪ ،‬وكالھما يسھم في إثراء اللغة بألفاظ جديدة ويغني اللغة‬
‫بألفاظ متباينة‪.‬‬
‫ أوجه االختالف‪ :‬الترجمة نقل للمعني وأما التعريب فنقل للفظ‪ .‬الترجمة تمثل تكافؤ اللغتين المنقول منھا والمنقول إليھا‪،‬‬
‫بينما التعريب يمثل تفوق اللغة المنقول منھا علي المنقول إليھا في خصوص اللفظ المعرب من الناحية الداللية‬
‫الترجمة داللة علي سعة اللغة المنقول إليھا من الناحية الداللية بينما التعريب داللة علي مرونة اللغة المنقول إليھا‬
‫وقدرتھا علي االستيعاب‪ .‬التعريب أوسع من الترجمة من الناحية اللغوية‪ ،‬ألن الترجمة تكاد تنحصر في الجانب الدولي‬
‫فقط بينما التعريب يثمل الجوانب الصوتية والصرفية والداللية‪.‬‬
‫ثانيا‪ :‬القياس والتعريب‬
‫القياس وسيلة مھمة من وساءل تنمية اللغة ‪:‬‬
‫ أوجه الشبه‪ :‬القياس والتعريب كالھما يسھم بشكل واسع في إثراء اللغة باستحداث ألفاظ جديدة‪.‬‬
‫ أما أوجه االختالف‪ :‬فالقياس مرتبط بالصيغة التي استخدمت في اللغة المنقول إليھا في شيء مختلف عما أريد‬
‫استخدامھا في اللغة المنقول منھا‪ ،‬فھو غير مرتبط بالصوت‪ ،‬بينما التعريب مرتبط بالصوت‪ .‬القياس يشمل‬
‫جانب الصيغة والصوت‪ ،‬بينما التعريب أوسع منه ألنه يشمل جانب المعني والصيغة والصوت‪.‬‬
‫ثالثا‪ :‬التوليد والتعريب‬
‫ أوجه الشبه‪ :‬كل منھا يسھم في إثراء اللغة بالمفردات‪ .‬وكالھما وسيلة عامة لكل اللغات اإلنسانية‪.‬‬
‫كل منھما مرتبط بالداللة المعجمية‪.‬‬
‫ أوجه االختالف‪ :‬إن التعريب غالبا ما يكون تغييرا جزئيا في بنية الكلمة بينما التوليد غالبا يكون تغييرا كليا‬
‫لبنية الكلمة وقد ال يكون‪ ،‬كما في التوليد) بالمعني (‪.‬‬
‫‪181‬‬
‫التعريب ال بد أن يكون بين لغتين‪ ،‬أما التوليد فقد يكون سببه ورود كلمة من لغة إلي أخري‪ ،‬وغالبا ما يكون في لغة واحدة كما‬
‫في‬
‫التوليد بالصيغة‬
‫رابعا‪ :‬االشتقاق بالتعريب ‪:‬‬
‫ أوجه الشبه‪ :‬إن كال منھما يسھم في إثراء اللغة بالمفردات‪ ،‬وكالھما يعتمد تغيير بنية الكلمة من حيث‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Seydina DIOP‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫‪214‬‬
‫ الصوت المفرد أو المقطع‬
‫ أوجه االختالف ‪ :‬إن التعريب وسيلة عامة لكل اللغات اإلنسانية المختلفة بمستوياتھا‪ ،‬أما االشتقاق فوسيلة‬
‫خاصة باللغات التصريفية ) العربية ـ االنجليزية ـ الفرنسية (‪ .‬أما اللغات اللصقية فال تعتمد علي االشتقاق‬
‫وإنما تعتمد على اللصق‪.‬‬
‫التعريب يتعلق بجانب الداللة المعجمية ‪ ،‬أما االشتقاق فمرتبط بجانب الداللة الوظيفية )الصرفية(‪ .‬التعريب يكون في‬
‫أكثر من لغة‪ ،‬بينما يكون االشتقاق في لغة واحدة‪.‬‬
‫وكل ھذه الوسائل أدت إلي تطور اللغة وزيادة مفرداتھا والنھوض بھا إلي أعلي‪ ،‬وأصبحت تستوعب كل أأللفاظ التي‬
‫تأتيھا من جميع اللغات وتصوغھا علي أوزانھا وتنطق بھا كأنھا عربية األصل‪ .‬وھذا يدل علي مرونة ھذه اللغة وقدرتھا الفائقة‬
‫علي استيعاب كل ما يرد إليھا من األلفاظ األجنبية‪.‬‬
‫‪214‬‬
‫المقطع ھو الوحدة الصوتية‪ ،‬تبدأ بالصامت يتبعه صاءت‪ ،‬وتنتھي عند أول صامت يرد متبوعا بصاءت أو حيث ينتھي الكالم قبل تمام القيد " ينظر‬
‫جوب ‪ ،‬الدال والمدلول ‪.....‬ص‪. 169.‬‬
‫‪182‬‬
‫‪Les moyens de progression de la langue dans l’éclaircissement des études linguistiques‬‬
‫‪modernes‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫المصادر والمراجع‬
‫‪ 1‬ـ إبراھيم أنيس من أسرار اللغة‪.‬‬
‫‪2‬ـ ابن جني‪ ،‬الخصائص ط‪ ،3‬تحقيق محمد علي النجار ‪ ،34/1‬بغداد‪1990 ،‬م‪.‬‬
‫‪3‬ـ ابن السالم الجمحي ‪ :‬ما ورد في القران من لغات القبائل ـ بھامش المصحف الشريف ـ دار الفكر ‪ ،‬بيروت ‪1997‬م‪.‬‬
‫‪4‬ـ أبو عبد الرحمان ‪ ،‬الخليل بن أحمد الفراھيدي ‪ :‬كتاب العين‪ ،‬تحقيق محمد المخزومي وإبراھيم السامر إني دار‬
‫ومكتبة الھالل )د ـ ت (‬
‫‪5‬ـ أحمد محمد قدرو ‪ :‬مدخل في فقه العربية‪.‬‬
‫‪6‬ـ أحمد مختار عمر‪ :‬علم الداللة‪ ،‬مكتبة العروبة للنشر والتوزيع‪ ،‬الكويت ‪1982‬م‪.‬‬
‫‪7‬ـ استيقن أولمان ‪ :‬دور الكلمة في اللغة‪ ،‬ترجمة كما بشر‪ ،‬مكتبة الشباب القاھرة ‪1998‬م‪.‬‬
‫‪8‬ـ اسكندر المعلوف‪ ،‬اللغة الفصحى واللغة العامية‪ ،‬مجلة الھالل‪ ،‬ج ‪ ،1‬العدد ‪ ، 3‬بيروت ‪ ،‬آذار ‪1902‬م‪.‬‬
‫‪9‬ـ أميل يعقوب‪ ،‬فقه اللغة العربية وخصائصھا‪ ،‬ط‪ 3‬دار العلم للماليين‪ ،‬بيروت ‪1986‬م‪.‬‬
‫‪10‬ـ أنيس فريحة‪ ،‬نحو عربية ميسرة‪ ،‬دار الثقافة بيروت ‪1955‬م‪.‬‬
‫‪11‬ـ توفيق عبد العزيز وحسيب إلياس مبادئ الترجمة ‪ ،‬الموصل ‪1989‬م ‪.‬‬
‫‪12‬ـ حسن غزالة‪ :‬ترجمة المصطلحات األدبية وتعريبھا‪ ،‬مجلة عالمات في النقد مج ‪12‬العدد ‪2003 ،48‬م‪.‬‬
‫‪13‬ـ دراسات في فقه اللغة‪.‬‬
‫‪14‬ـ سميح أبو مغلي ‪ :‬في فقه اللغة وقضايا العربية ‪.‬‬
‫‪15‬ـ فندر يس ‪ ،‬اللغة ‪ :‬تعريب عبد الحميد الدواخلي ومحمد القصاص‪ ،‬مكتبة األنجلو المصرية‪ ،‬القاھرة ‪1950‬م‪.‬‬
‫‪16‬ـ كاصد ياسر فقه اللغة‪.‬‬
‫‪17‬ـ كمال الحاج‪ ،‬في فلسفة اللغة‪ ،‬ط‪ ، 3‬دار النھار للنشر‪ ،‬بيروت ‪1967‬م‬
‫‪18‬ـ مناف مھدي محمد‪ :‬المصطلح العلمي العربي‪ ،‬قديما وحديثا‪ ،‬مجلة اللسان العربي‪ ،‬العدد‪1988 ،3‬م‬
‫‪183‬‬
Maguèye NDIAYE
« Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî » (la
problématique de la terminologie dans la critique
arabe).
Résumé
Le progrès scientifique et technologique a engendré la prolifération d’une terminologie scientifique dans
toutes les disciplines du savoir, pour exprimer les différentes innovations. La langue arabe a, certes, prouvé
par le passé sa capacité de trouver un lexique technique, par divers procédés comme la dérivation, le sens
figuré ou métaphorique, la traduction, l’arabisation ou la conception de nouveaux termes. Cependant, force
est de reconnaitre que la critique littéraire arabe moderne est confrontée à des problèmes dus à la vitesse
de sécrétion des termes. Les problèmes les plus saillants sont l’accumulation des termes due à la vitesse de
leur sécrétion et l’instabilité des termes qui sont, souvent, perçus, différemment, par les lecteurs et les
critiques en particulier.
Mots-clés :Critique, rhétorique, terme, sens, expression, terminologie, instabilité, accumulation.
Abstract :
The scientific and technological progress has generated the proliferation of a scientific terminology in all the
fields of knowledge, to express the various innovations. The Arabic language has, admittedly, proved in the
past its capacity to find a lexical technique, through different procedures like derivation, fugurative
metaphorical sense, translation, arabization or the conception of new terms. However, it is important to know
that modern arabic literary critic faces some problems caused by the speed of terms secretion. The most
striking problems are the accumulation of terms due to the speed of their secretion and the instability of
terms that are, often, perceived differently by the readers and the critics in particular.
Key-words: Critical, rhetorical, term, sense, phrase, terminology, instability, accumulation.
184
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî‬‬
‫د‪.‬ماغي انجاي‪،‬قسم اللغة العربية‪،‬‬
‫جامعة شيخ أنتا جوب‪ ،‬دكار‪.‬‬
‫المقدمة‪:‬‬
‫أصبح الحديث عن المصطلح ذا أھمية كبرى في العالم الحديث بعدما عرفته العلوم‬
‫من تقدم وما تعيشه التكنولوجيا من نمو واتساع واكتساح لجميع مجاالت العلم والحياة‪.‬‬
‫وال يخفى على أحد أن المصطلح العلمي يوضع للتعبير عما ج ّد في جميع العلوم وال‬
‫يتص ّدى لوضعه إال العلماء ذوو االختصاص‪ ،‬وأصبح علم المصطلح علما له أصوله‬
‫الخاصة و مناھجه المحكمة وقواعده المحددة‪.‬‬
‫وقد برھنت اللغة العربية خالل العصور على قدرتھا الفائقة على إيجاد‬
‫المصطلحات المطلوبة وتوليدھا بشتى الوسائل والطرق المتوافرة لديھا من اشتقاق‬
‫ومجاز وترجمة وتعريب ونحت‪ ،‬ولكن يجب االعتراف بأن كل ھذه الجھود لم تصل‬
‫إلى استيفاء النتائج المرجوة في بعض العلوم كالنقد األدبي‪ .‬وإذا رجعنا إلى الدراسة‬
‫المصطلحية الحديثة للنقد العربي نجدھا تعاني الفقر والحداثة‪ ،‬والزالت ألفاظ النص‬
‫النقدي تتح ّدانا‪ .‬ويسعى ھذا العرض إلى تحديد المصطلح وإثارة إشكاليته في النقد‬
‫العربي‪.‬‬
‫المصطلح وعلمه ‪1 (:‬‬
‫إن مشكلة المصطلح ليست شأن النقد األدبي وحده ولكنھا مالزمة لجملة العلوم‬
‫واآلداب‪ .‬وعلم المصطلح علم مشترك بين اللسانيات والمنطق وعلم الوجود وعلم‬
‫المعرفة والتوثيق وحقول التخصص العلمي‪ .‬وھذا ما جعل الباحثين يصفونه بأنه " علم‬
‫العلوم"‪ ،‬وھو العلم الذي يبحث في العالقة بين المفاھيم العلمية واأللفاظ اللغوية التي‬
‫تعبر عنھا‪ .‬كل نشاط إنساني وكل حقل من حقول المعرفة البشرية يتوفر على مجموعة‬
‫كبيرة من المفاھيم التي ترتبط فيما بينھا على ھيئة نظام متكامل وتكون على عالقات‬
‫بمفاھيم الحقول األخرى‪.‬‬
‫‪185‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Maguèye NDIAYE‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫ولم يخل علم من علوم العربية من المصطلحات التي اتفق العلماء العرب‬
‫على‬
‫نقلھا من معناھا اللغوي لكي تكون مصطلحات في ھذا العلم أو ذاك‪ ،‬بل إن كل‬
‫طائفة منھم كانت تطلق على الشيء الواحد مصطلحا يختلف ع ّما عند الطائفة األخرى‪.‬‬
‫وإذا أردنا أن نتحدث عن معاجم المصطلحات العربية‪ ،‬وجدنا بعضھا خاصا بفرع معيّن‬
‫من فروع المعرفة العربية‪ ،‬كما نجد بعضھا عاما في كل ھذه الفروع‪ .‬وقد كان الوعي‬
‫بطبيعة المصطلح وشروط إطالقه من أبرز منجزات الفكر العربي القديم‪ ،‬وارتبط ذلك‬
‫بمشروع تأصيل المعارف اإلسالمية وتوثيقھا‪ ،‬وبوعي العلماء بأن المصطلح ينتمي‬
‫إلى المنظومة الفكرية والفلسفية للمحيط الذي يولد فيه‪ ،‬ويكتسب مناعته وخصوصيته‬
‫من طبيعة اللون المعرفي الذي يقتضيه ويلتزمه‪ .‬ويجب لفت النظر إلى سبق األصوليين‬
‫في مجال دراسة صلة اللفظ بالمعنى ورصد العالقة بين المنطوق والمضمون‪ .‬وقضية‬
‫البيان في مباحث الرسالة لإلمام الشافعي قد تكون ھي اللبنة األساس في صرح علم‬
‫أصول الفقه‪ .‬ولقد أفرد كثير من األصوليين بعده في مقدمات كتبھم مباحث منھجية‬
‫عالجوا فيھا المصطلح األصولي وحددوا مفھومه قبل أن يشرعوا في طرق‬
‫الموضوعات األصولية‪.‬‬
‫أما اللغويون فقد كان وعيھم بمشكلة المصطلح مرتبطا بإدراكھم لطبيعة تطور‬
‫الحياة العربية وما جد فيھا من علوم وفنون‪ .‬وال يمكن إحصاء كل المؤلفات العربية التي‬
‫تندرج تحت واحد من ھذين النوعين‪ .‬فمنھا ما ھي معاجم فقھية‪ ،‬مثل كتاب " المغرب‬
‫في ترتيب المعرب" للمطرزي‪ ،215‬ومنھا ماھي نحويه مثل كتاب " الحدود"‬
‫للرماني‪ ،216‬وماھي خاصة بالحديث مثل كتاب " شرح نخبة الفكر في‬
‫‪215‬‬
‫أبو الفتح ناصر بن عبد السيد بن علي بن المطرز النحوي األديب المشھور بالمطرزي‪ .‬ومؤلف الكتاب ولد سنة ‪538‬ھـ وھي‬
‫السنة التي توفي فيھا الزمخشري‪.‬‬
‫‪216‬‬
‫أبوالحسن علي بن عيسى بن علي بن عبد ﷲ النحوي الوراق المعروف بالرماني‪ .‬ولد سنة ‪296‬ھـ ‪ ،‬وتلقى العلم على أبي بكر‬
‫بن دريد وأبي بكر بن السراج‪ .‬وكان مفتيا في علوم كثيرة من الفقه والقرآن والنحو واللغة والكالم على مذھب المعتزلة‪.‬‬
‫‪186‬‬
‫‪Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪217‬‬
‫ما ھي صوفية مثل كتاب" اصطالحات الصوفية‬
‫للكاشاني‪.218‬‬
‫مصطلح أھل األثر" للكناني‬
‫ھذه بعض نماذج من معاجم المصطلحات الخاصة في العربية‪ .‬والمعاجم العامة‬
‫للمصطلحات العربية كثيرة نذكر منھا أربعة وھي‪ :‬مفاتيح العلوم‪ :‬للخوازري و"‬
‫التعريفات" للشريف الجرجاني و" الكليات" ألبي البقاء الكفوي و" كشاف اصطالحات‬
‫الفنون" للتھاوني‪.‬‬
‫وعلم المصطلح بمفھومه الحديث ترعرع في أواخر القرن التاسع عشر نتيجة‬
‫لمحاوالت علماء األحياء والكيمياء الرامية إلى توحيد قواعد وضع المصطلحات على‬
‫النطاق الدولي‪ .‬وفي علم المصطلح الحديث‪ ،‬يمكن اإلشارة إلى ثالث مدارس فكرية‬
‫متميزة‪:‬‬
‫أوالھا‪ ،‬مدرسة براغ )‬
‫( التي نمت من مدرسة براغ اللسانية الوظيفية والتي‬
‫( التي تؤكد الجانب الوظيفي للغة‪.‬‬
‫أرست نظرياتھا على أعمال دي سوسير )‬
‫‪PARAGUE‬‬
‫‪DE SAUSSURE‬‬
‫ثانيتھا‪ ،‬مدرسة فيينا )‬
‫( التي تنطلق من نظرية مؤسسھا المھندس النمساوي‬
‫فيستر )‬
‫الذي ينظر إلى المصطلحات بوصفھا وسيلة اتصال لصيقة بطبيعة (‬
‫المفاھيم‪ ،‬و العالقات فيما بينھا‪ ،‬وخصائصھا‪ ،‬ووصفھا وتعريفھا‪ ،‬وصياغة‬
‫المصطلحات‪ ،‬وتقييس المفاھيم والمصطلحات وتدويلھا‪.‬‬
‫‪VIENNE‬‬
‫‪WÜSTER‬‬
‫ثالثتھما‪ ،‬المدرسة السوفياتية التي تأثرت بالثانية وتؤكد أھيمة تقييس المصطلحات‬
‫وتوحيدھا‪.‬‬
‫‪217‬‬
‫أبو الفضل أحمد بن علي بن محمد الكناني‪ ،‬المعروف بابن حجر العسقالني وأصله من عسقالن بفلسطين‪ ،‬غير أنه ولد بالقاھرة‬
‫سنة ‪ 773‬ھـ ‪ ،‬وتوفي بھا سنة ‪ 852‬ھـ و كان له ولوع باألدب والشعر‪ ،‬ثم أقبل على الحديث‪ ،‬ورحل إلى اليمن والحجاز وغيرھما‪،‬‬
‫لسماع الشيوخ‪ ،‬وأصبح حافظ اإلسالم في عصره‪.‬‬
‫‪218‬‬
‫أبو الغنائم كمال الدين عبد الرزاق بن أبي الفضائل جمال الدين محمد الكاشاني‪ .‬من كبار المتصوفة وشيوخ الطريقة‬
‫السھروردية‪ .‬كان يعيش في شيراز وتوفي بھا سنة ‪ 730‬ھـ‪.‬‬
‫‪187‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Maguèye NDIAYE‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫وتتفق جميع ھذه المدارس الفكرية على أن لعلم المصطلح جانبين‪ :‬جانبا نظريا‬
‫وجانبا عمليا‪ ،‬فالجانب النظري يتمثل في البحث في النظرية العامة والنظرية الخاصة‬
‫لعلم المصطلح‪ ،‬أما الجانب العملي فيتبلور في وضع‬
‫المصطلحات وتوحيدھا وتوثيقھا‪ .‬وھنالك ثالثة اتجاھات في البحوث النظرية في‬
‫علم المصطلح ھي‪ :‬االتجاه الموضوعي‪ ،‬واالتجاه الفلسفي واالتجاه اللساني‪ :‬فاالتجاه‬
‫الموضوعي يركز على المفھوم وعالقاته بالمفاھيم المجاورة األخرى‪ ،‬وكذالك المطابقة‬
‫بين المفھوم والمصطلح‪ ،‬وتخصيص المصطلحات للمفاھيم‪ ،‬ويرتّب المصطلحات طبقا‬
‫لموضوعاتھا‪ .‬واالتجاه الفلسفي يؤكد ضرورة تصنيف المفاھيم طبقا إلى أصناف‬
‫دراسة مشتركة‪ .‬فلسفية‪ .‬وبھذا المفھوم يكون علم المصطلح وعلم التوثيق موضوع‬
‫وأما االتجاه اللغوي فيقوم على الفكرة القائلة بأن المصطلحات تشكل جزء من ألفاظ‬
‫اللغة‪ ،‬ولھذا فإن البحث في ظاھرة المصطلحات يستخدم وسائل لسانية مما فيھا الوسائل‬
‫المعجمية‪ .‬والمصطلحات األدبية والنقدية من ناحية االتجاھات ال تخرج عن ھذه‬
‫التقسيمات‪ ،‬سواء كانت المصطلحات قديمة أو حديثة‪.‬‬
‫‪ (2‬المصطلحات األدبية والنقدية‬
‫تنقسم ھذه المصطلحات إلى مصطلحات قديمة ومصطلحات حديثة‪.‬‬
‫أ( المصطلحات األدبية القديمة‬
‫فاألدب كما نعرف إعادة تشكيل دائم للغة ومحاولة لصھرھا‪ .‬وھي عملية خلق متصل‬
‫ألنساق وبعث دائب للكلمات وتقنين ھذه العمليات اإلبداعية في مصطلح نقده‪.‬‬
‫واالصطالح األدبي ھو االسم الصناعي الذي يطلق على قضايا األدب ومسائله‪ .‬ولقد‬
‫تأثرت الحركة العلمية التي دارت حول الحديث الشريف وضبطه وجمعه عند اللغويين‬
‫في أواخر القرن الثاني الھجري فھبّوا إلى ضبط اللغة و تقييد أصولھا‪ ،‬وبدأت نشأة‬
‫المصطلح اللغوي واألدبي تشيع‪ .‬ومن المسائل التي أثارت الجدل قضية اللفظ والمعنى‬
‫وقضية النظم الذي أثر خالفا بين المعتزلة واألشاعرة‪ ،‬وقضية البالغة التي امتدت إلى‬
‫البيان‪ ،‬والبديع‪.‬‬
‫‪188‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî‬‬
‫ب(‬
‫المصطلحات البالغية‬
‫ت(‬
‫ان للدراسات المتصلة بأسلوب القرآن وإعجازه البياني أثر كبير في‬
‫نشأة كثير من مصطلحات البالغة والنقد وتطور دالالتھا عبر العصور وخاصة‬
‫في أواخر القرن الثاني للھجرة‪ .‬وقد ظ ّل المصطلح البياني ينمو ويتطور في ظ ّل‬
‫الدراسات القرآنية ودراسات اإلعجاز خاصة‪ ،‬بل تحولت بعد الدراسة البالغية‬
‫المتصلة بإعجاز القرآن إلى دراسات في البالغة ال ّ‬
‫صرف وفي مصطلحاتھا‬
‫وأبوابھا‪.‬‬
‫ويمثل تطور كلمة "بالغة "مثاال صادقا لنشأة المصطلح من األلفاظ العادية إلى‬
‫تعبير خصائص لغوية‪ .‬فھي قبل القرن الرابع الھجري تشير إلى المعنى العام للقول‬
‫الجميل الذي يبلغ به األديب درجة من الجودة واإلبداع‪ ،‬أو بعبارة أخرى حسن التعبير‬
‫في شتى صوره اللفظية والشكلية‪ .‬ودرج النقاد على استخالص لفظ "بالغة " بمعناھا‬
‫األول‪ ،‬أي مجموعة من الخصائص التي توفر للقول الجودة‪ ،‬وألفوا فيھا دون إغفال‬
‫المعنى الثاني‪.‬‬
‫بعد القرن الرابع للھجرة‪ ،‬تجاوز معنى البالغة صفة لخصائص الكالم الجيد و‬
‫جعله النقاد طبقات وأقساما‪ .‬فأورد الجاحظ في مناسبات من كتابه " البيان والتبيين "‬
‫اللفظ مرادفا للبيان‪ ،‬وظھرت كلمة " بالغة " بمدلولھا االصطالحي المعروف‪ .‬والبيان‬
‫عنده " اسم جامع لكل شيء كشف لك قناع المعنى وھتك الحجب دون الضمير‬
‫حتى يقضي السامع إلى حقيقته ويھجم على محصوله كائنا ما كان ذلك البيان ومن أي‬
‫جنس‬
‫‪189‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Maguèye NDIAYE‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫كان ذلك الدليل‪ ،‬ألن مدار األمر والغاية التي إليھا يجري القائل والسامع إنما ھو‬
‫الفھم واإلفھام بأي شيء بلغت اإلفھام وأوضحت عن المعنى فذلك ھو البيان في ذلك‬
‫الموضع"‪.219‬‬
‫وح ّدد الرماني في كتابه " نكت اإلعجاز" مدلول الكلمة في مجراھا االصطالحي‪،‬‬
‫وأصبحت عنوانا لمجموعة الخصائص األسلوبية والجمالية األخرى في البيان والتي‬
‫تدخل ضمنھا أبواب البديع التي لجأ إليھا المحدثون ليكسوا أدبھم رونقا وجماال‪.220‬‬
‫وألف عبد القاھر الجرجاني كتاب " دالئل اإلعجاز" في علم المعاني وكتاب "‬
‫أسرار البالغة " في علم البيان على أساس ھذا المدلول االصطالحي حيث وضع أسسا‬
‫واضحة‪ .‬وقد عرف ك ّل من لفظ البيان والبديع مثل ھذا التطور دارجا من المضمون‬
‫اللغوي اإلشاري إلى المصطلح األدبي‪.221‬‬
‫ج( مصطلح اللفظ والمعنى‬
‫قضية اللفظ والمعنى يمكن اعتبارھا مصطلحا نقديا والحديث منھا يتكرر في‬
‫مواضع مختلفة‪ ،‬ومن األسباب أن استعمالھا شائع بين النقاد خصوصا وباقي العلماء‬
‫عموما‪ .‬وھي عالقة اللغة بالفكر‪ ،‬ألنه ال بد أن يوجد مصطلح يمثل جھة اللغة ويعبر‬
‫عنھا وھو اللفظ ومصطلح يعبر عن جھة المضامين وھو المعنى‪ .‬ومنھا أيضا أن ھذين‬
‫النوعين الكالميين ال يفھم إال بالمصطلحين المذكورين‪.‬‬
‫وقد اھتم بھما النقاد بعدما استحدثه الكتاب العباسيون من أساليب جديدة‪ ،‬ودارت‬
‫خصومة عنيفة بين ھؤالء النقاد ما بين أنصار اللفظ وأنصار المعني‪ .‬ومن ھذه القضية‬
‫نشأت قضايا فرعية كثيرة‪ ،‬لعل من أبرزھا قضية السرقات األدبية‪ ،‬وقضايا البديع‬
‫بأقسامه ومصطلحه العديد‪ .‬وقد أثار الجاحظ قضية اللفظ والمعنى في " البيان والتبيين "‬
‫باعتبارھا قضية ذوقية وناقشھا من خالل النصوص التي عرضھا‪ .‬وقد تنوع البحث في‬
‫ھذه القضية وتطور‪ ،‬فبدأ رجال البالغة في القرن الرابع بالحث على تجويد اللفظ‪،‬‬
‫أي مراعاة فصاحته وسالمته من العيوب التي تدخل على اللفظ المفرد كالغرابة‬
‫والحوشية‪ ،‬والسوقية‪ ،‬واالبتذال وااللتباس‪ ،‬ومن العيوب التي تدخل عليه مركبا كالتنافر‬
‫‪219‬‬
‫الجاحظ )أبو عثمان عمرو بن بحر(‪ ،‬البيان والتبيين الجزء األول‪ ،‬دار الكتب العلمية‪ ،‬بيروت‪ ،‬ص ‪ 42‬إلى ‪.43‬‬
‫قسم الرماني البالغة إلى عشرة أقسام ھي‪ :‬اإليجاز والتشبيه واإلستعارة والتالؤم والفواصل والتجانس والتعريف والتصريف‬
‫والتضمين والمبالغة وحسن البيان‪.‬‬
‫‪221‬‬
‫انظر تاريخ النقد األدبي والبالغة لمحمد زغلول ّ‬
‫سالم‪ ،‬منشأة المعارف‪ ،‬اإلسكندرية‪ ،‬د‪ .‬ت‪ ،‬ص‪ 20 .‬ـ ‪.30‬‬
‫‪220‬‬
‫‪190‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî‬‬
‫بين حروفه‪ ،‬وعدم التالؤم بين األلفاظ بعضھا بعضا‪ ،‬والقلق في مواضعھا في‬
‫سياق العبارة‪ .222‬ويقول الجاحظ‪:‬‬
‫" وكما ال ينبغي أن يكون اللفظ عاميا وساقطا سوقيا‪ ،‬فكذلك ال ينبغي أن يكون غريبا‬
‫وحشيا إال أن يكون المتكلم أعرابيا‪ .‬فإن الوحشي من الكالم يفھمه الوحشي من الناس‪.‬‬
‫كما يفھم السوقي رطانة السوقي‪ .‬وكالم الناس في طبقات كما أن الناس أنفسھم في‬
‫طبقات‪ .‬من الكالم الجزل والسخيف‪ ،‬والمليح والحسن‪ ،‬والقبيح والسمح‪ ،‬والخفيف‬
‫"‪ 223‬والثقيل‪ ،‬وكله عربي‪ ،‬وبكله قد تكلموا وبكل قد تمادحوا وتعايبوا‬
‫وقد ح ّول ابن قتيبة ھذه القضية إلى قضية منطقية ال تفي بمطالب النقد التي تدور‬
‫حول التذوق واالنفعال بالنص قبل أن يكون حكما مجردا أو تقريرا لحقائق جافة‪ .‬وقد‬
‫أفرض ھذا االتجاه نفسه على البحث البالغي وتأثر كثير من النقاد بھذه النظرة‪ .‬فنجد‬
‫ناقدا كقدامة بن جعفر يفرد أبوابا لعيوب اللفظ وأخرى لمحاسنه‪ ،‬وكذلك بالنسبة للمعنى‪.‬‬
‫وجرى على ھذا النحو نقاد أمثال أبي الھالل العسكري وابن سنان الخفاجي وابن األثير‬
‫والسكاكي وغيرھم‪ .‬كل ھؤالء شغلوا بالمحاسن والعيوب وفي تقسيماتھا الكثيرة‪ .‬بل‬
‫نجد البحث البالغي ينقسم إلى قسمين كبيرين ومبحثين أساسيين‪ :‬مبحث المعاني ومبحث‬
‫األلفاظ‪ .‬وعند عبد القاھر الجرجاني نلتقي بنظرة جديدة في اللغة وھي نظرية النظم‪.‬‬
‫د( مصطلح النظم‪:‬‬
‫وعند عبد القاھر الجرجاني في القرن الخامس الھجري وفي كتابه " دالئل‬
‫اإلعجاز" نلتقي بنظرة جديدة في اللغة‪ .‬فإن نظرية النظم قد قضت على كثير من‬
‫المفاھيم الخاطئة التي سادت تفكير النقد األدبي قبله‪ ،‬وأضافت إضافات جوھرية‪ .‬ويمكن‬
‫تحديد اإلضافات الحية التي أضافھا الجرجاني إلى أربع موضوعات أساسية ھي ‪:‬‬
‫ التوحيد بين اللغة والشعر؛‬‫ قضاؤه على ثنائية اللفظ والمعنى؛‬‫ قضاؤه على الفصل بين التعبير العاري والتعبير المزخرف؛‬‫ منھجه اللغوي في دراسة األدب ونقده‪.‬‬‫محمد زغلول سالم‪ ،‬المصدر نفسه‪ ،‬ص‪.67 .‬‬
‫الجاحظ ‪،‬البيان والتبيين‪.144/1 ،‬‬
‫‪191‬‬
‫‪222‬‬
‫‪223‬‬
‫وفكرة النظم تستند أساسا على التفريق بين استعمال اللغة بقصد اإلشارة‪ ،‬وبين‬
‫استعمالھا للتعبير عن االنفعال‪ .‬فاأللفاظ المفردة عنده ھي مجرد عالمات اصطالحية‬
‫إلشارة إلى شيء ما‪ ،‬واللفظة تؤدى معنى محددا إذا استخدمت في سياق‪ .‬فالسياق وحده‬
‫ھو القادر على أن يمنح اللفظة المفردة داللتھا‪ .‬واأللفاظ التي ھي أوضاع اللغة تستمد‬
‫كما انتبه عبد القاھر دالالتھا من عالقاتھا بالكلمات السابقة لھا أو الالحقة بھا‬
‫الجرجاني في كتابه " دالئل اإلعجاز" إلى أن للّفظ والمعنى مستويات قام بتحليلھا وھي‬
‫المستوى النفسي أو مقتضى العقل‪ ،‬والمستوى اللغوي أو مقتضى النحو‪ ،‬والمستوى‬
‫البالغي أو مقتضى الحال‪.‬‬
‫ويتبين تحليل المستوى األول من خالل مجموعة من النصوص‪ :‬ويقول في ترتيب‬
‫المعاني في النفس حسب مقتضى العقل‪:‬‬
‫" وأما نظم الكلم فليس األمر فيه كذلك ألنك تقتضى في نظمھا آثار المعاني وترتيبھا‬
‫على حسب ترتب المعاني في النفس‪ ،‬فھو إذا نظم يعتبر فيه حال المنظوم بعضه مع‬
‫بعض‪ ،‬وليس ھو النظم الذي معناه ضم الشيء كيف جاء واتفق "‪ 224‬الغرض بنظم الكلم‬
‫أن تناسقت داللة األلفاظ وتالقت معانيھا على الوجه الذي اقتضاه العقل‪.‬‬
‫وفي العالقة بين ترتيب ھذه المعاني في النفس والتعبير عنھا يقول‪:‬‬
‫»وإنك إذا فرغت من ترتيب المعاني في نفسك لم تحتج إلى أن تستأنف فكرا في‬
‫ترتيب األلفاظ‪ ،‬بل تجدھا تترتب لك بحكم أنھا خد ٌم للمعاني وتابعة لھا‪ ...‬وأن العلم‬
‫بمواقع المعاني في النفس‪ ،‬علم بمواقع األلفاظ الدالة عليھا في النطق‪"225‬‬
‫وفي المستوى اللغوي يھتم بالتعليق أي العالقات التي تربط أجزاء الكالم بعضه‬
‫ببعض‪ .‬وھذه العالقات أساسھا قواعد النحو التي تربط بين المعاني النحوية والمعني‬
‫اللغوي الحاصل فھو البنية الداللية للجملة‪.‬‬
‫وفي ھذا الصدد يذھب إلى‪:‬‬
‫"أنه ال يتصور أن يتعلق الفكر بمعاني الكلم أفرادا ومجردة من معاني النحو"‬
‫‪226‬‬
‫ويمضي في ضرورة احترام قواعد النحو قائال‪:‬‬
‫الجرجاني ‪ ،‬مرجع سابق‪ ،‬ص ‪.40‬‬
‫المرجع السابق‪ ،‬ص‪.44 .‬‬
‫المرجع السابق‪ ،‬ص‪.31 .‬‬
‫‪192‬‬
‫‪224‬‬
‫‪225‬‬
‫‪226‬‬
‫‪Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫" اعلم أن ليس النظم إال أن تضع كالمك الوضع الذي يقتضيه علم النحو‪ ،‬وتعمل على‬
‫قوانينه وأصوله‪ ،‬وتعرف مناھجه التي نُھجت فال تزيغ عنھا‪ ،‬وتحفظ الرسوم التي‬
‫رسمت لك فال تخ ّل بشيء منھا‪"227.‬‬
‫أما في المستوى البالغي فيشير عبد القاھر إلى أن المعنى مقامي و أن المعاني التي‬
‫يقتضيھا المقام أكثر من أن تنحصر في قاعدة واحدة‪ ،‬ألن المعاني متعددة بتعدد‬
‫المقتضيات‪.‬‬
‫وقد أوضح عبد القاھر أن وصف اللفظ ال يمكن وال يصح إال باعتبار أن معناه‬
‫موافق لمعاني األلفاظ المجاورة له‪ .‬وھكذا نرى عبد القاھر ينقل الفصاحة والنظم من‬
‫ساحة األلفاظ إلى ساحة المعاني‪ ،‬ويبين نظريته على أساس معاني النحو ووجوھھا‬
‫وفروقھا‪ ،‬ويؤكد أن دالئل اإلعجاز يجب أن تُلتمس في ھذه الوجوه‪.‬‬
‫إشكالية المصطلح في النقد العربي الحديث )‪4‬‬
‫المصطلح كلمة مفردة تدل على معان كثيرة متجانسة ومتكاملة فيما بينھا‪ ،‬إذا‬
‫أُطلقت دلت تلقائيا على مكوناتھا المعرفية أو الفنية بحسب حقول العلم واألدب والفكر‬
‫التي تنتسب إليھا‪ .‬وھو يمر بمراحل قبل االستقرار على صفته االصطالحية من المعنى‬
‫اللغوي المعجمي ثم الجمھوري حسب تسمية السجلماسي‪ ،228‬إلى المستوى‬
‫االصطالحي‪ .‬والمصطلح على حد وصف الدكتور ّ‬
‫غالل الغازي " جماعي وليس‬
‫فرديا‪ ،‬إال إذا كان ما يوضع فرديا قابال للتطور‪ ،‬كما أنه اتفاقي مشروط وليس‬
‫اعتباطيا‪ ،‬رھين بالحقل الذي ينتمي إليه‪ ،‬محدد بسياقه منھا كبر أو د ّق‪ ،‬وليس ارتجاليا‪،‬‬
‫مقصود لضرورة معرفية فنية‪ ،‬ومنھجية يفرضھا الحقل والواقع والتطور‪ ...‬وليس ترفا‬
‫لغويا أو منھجيا أو إبداعيا‪ ،‬واإلبداع من ذلك براء‪"229‬‬
‫وفي حقل األدب والفن عموما والنقد األدبي بالخصوص‪ ،‬يذھب الكاتب إلى أن "‬
‫المرجع السابق‪ ،‬ص‪.64 .‬‬
‫حجيج )عبد العلي(‪" ،‬اضطراب المصطلح في النقد العربي الحديث"‪ ،‬مجلة كلية اآلداب والعلوم اإلنسانية بفاس‪ ،‬عدد خاص ‪4‬‬
‫‪ ،1988 ،‬ص‪ 63 .‬نقال عن النضمون‪ ،‬د‪ .‬صفوت فرج‪ ،‬مجلة الفكر العربي‪ ،‬س ‪ ،4‬عدد‪ ،25 .‬ص‪.95 .‬‬
‫‪229‬‬
‫د‪ .‬الغازي )عالل(‪" ،‬تطور مصطلح التخييل في نظرية النقد األدبي عند السجلماسي"‪ ،‬مجلة كلية اآلداب والعلوم اإلنسانية‪،‬‬
‫فاس‪،‬عدد خاص‪ ،1988 .،4‬ص‪285 .‬ـ ‪.286‬‬
‫‪227‬‬
‫‪228‬‬
‫‪193‬‬
‫‪2015‬‬
‫‪Décembre‬‬
‫‪Maguèye NDIAYE‬‬
‫‪N° 20‬‬
‫المصطلح يصبح أھم ما يضبط المعنى واألداة واإلشارة والنسق ويحدد الداللة في‬
‫ضوء مجموع ذلك‪ ،‬مھما دقّت أو كبرت األدوات المعنية لحد اإليحاء والرمز واللمح‬
‫واألسطورة‪ ،‬ألن للفن لغته ومصطلحاته ومھمته‪ ....‬حتى لقد أصبح بعض المصطلحات‬
‫الضاربة في عمق التطور العلمي واألدبي واللغوي رمزا قابال وقادرا ـ بالعرف‬
‫واالستعمال ـ على حمل كل ما تفتّقت عنه قريحة التطور اإلنساني في الفن واألدب‬
‫‪230‬‬
‫والنقد "‬
‫ال شك في أن النقاد العرب بذلوا جھودا كثيرة لتقريب مناھج الدراسات األدبية‬
‫والنقدية من مناھج العلوم وإكساب ھذه الدراسات صفة الضبط والدقة والشمول المالئمة‬
‫لروح العصر‪ ،‬وحاولوا إيجاد لغة علمية للنقد من خالل مصطلحات تح ّدد بعض المفاھيم‬
‫لتقريبھا من أذھان المتلقّين‪ .‬ولكن المتتبع لھذه المصطلحات يالحظ فيھا ثالثة عيوب‬
‫رئيسية تتجلى فيھا إشكاليتھا‪:‬‬
‫ا ـ تكديس المصطلح وتراكمه وكثرته‪ ،‬وھو أمر قد وصل إلى درجة المبالغة‬
‫المفرطة حتى إن القارئ يجد فيه جملة تكاد تكون كلھا عبارة عن مصطلحات‪ .‬ويعطى‬
‫األستاذ حجيج في إحدى مقاالته مثاال في تعريف صاغه بعض األدباء لتحليل‬
‫المضمون‪ :‬إذ يصبح أسلوبا امبريقيا للوصف التخليصي والتجريدي ألبعاد المفاھيم‬
‫‪231‬‬
‫اإلدراكية للمادة اإليـصالية‬
‫وفي ذكر اآلثار السلبية عند المتلقي يذھب إلى‪:‬‬
‫" أن المبالغة في وضع المصطلح وتع ّمد اإلكثار منه‪ ...‬إنما تؤدي إلى التعقيد‬
‫والتشويش على القارئ وإشاعة الرھبة و الخوف في نفسه وتضخم المعلومات‬
‫وتصويرھا في شكل مھ ّول رغم بساطھا وسھولتھا في أصلھا‪ .‬إن القارئ العربي‬
‫وثقافته أن يقبل على دراسة مجموعة من العلوم األساسية الذي تلزمه ظروف تراثه‬
‫التي يقوم فھمھا واستيعابھا على معرفة مجموعة كبيرة من المصطلحات في النحو‬
‫والبالغة والعروض والفكر اإلسالمي وعلوم أخرى لھا ارتباط وثيق بثقافته األدبية‬
‫د‪ .‬الغازي )عالل(‪ ،‬المرجع السابق‪ ،‬ص‪.286 .‬‬
‫حجيج )عبد العلي(‪ ،‬المرجع السابق‪ ،‬ص ‪.64‬‬
‫‪194‬‬
‫‪230‬‬
‫‪231‬‬
‫واللغوية‪ ،‬ليتضاعف تعبه وتشتد حيرته وھو يواجه مصطلحات أخرى شائكة ورموزا‬
‫‪232‬‬
‫‪.‬وعالمات ش ّحنّا ثقافتنا األدبية بھا"‬
‫ب ـ عدم استقرار المصطلح واضطرابه‪.‬‬
‫فھناك كثير من المصطلحات المستعملة غير ثابتة تختلف أحيانا عند الناقد من‬
‫مقام إلى آخر ومن كتاب إلى آخر أو يختلف الفھم المراد من المصطلح الواحد عند النقاد‬
‫مما يؤدي إلى تضارب اآلراء أحيانا واختالف النتائج‪.‬‬
‫ولم يسلم من ھذا االضطراب حتى شيوخ النقد في العالم العربي‪ .‬وعلى سبيل‬
‫‪ ،‬يجعل الدكتور طه حسن كال من عمر بن أبي ربيعة وجميل بن معمر المثال‬
‫)بثينة( رئيس مذھب في الغزل‪ ،‬ھذا في الغزل العذري وذاك في الغزل اإلباحي‬
‫ويعتبر أن ھناك مذھبا شعريا متميزا عند كل شاعر‪ .‬وذلك في كتابه "حديث األربعاء"‪.‬‬
‫وھذا تلميذه محمد مندور في كتابه "األدب ومذاھبه" ال يوافق أستاذه على أن يعتبر‬
‫الغزل العذري مذھبا شعريا‪ .‬وھو ال يعترف إال بوجود مذھب واحد في األدب العربي‬
‫ھو مذھب البديع‪ .‬ومن جھة أخرى‪ ،‬نجد مندور يفرق بين المذھب والمدرسة ويعتبر‬
‫المذھب أعلى رتبة من المدرسة‪ .‬فالثالوث المشھور بين دعاة التجديد )العقاد والمازني‬
‫‪233‬‬
‫وشكري( يمثلون مدرسة وال يمثلون مذھبا‪.‬‬
‫وھذا الوضع المضطرب قائم حتى اليوم ويدعو جميع الباحثين إلى أن يقفوا وقفة‬
‫تأمل ويراجعوا مسار الدراسات األدبية والنقدية واإلنسانية ويحرصوا بالشروط التي‬
‫يجب توافرھا عند وضع المصطلحات‪ .‬وبعض ھذه الشروط اقترحھا المجامع اللغوية‬
‫والعلمية‪:‬‬
‫‬‫‬‫‬‫‪-‬‬
‫ال يمكن وضع أكثر من مصطلح واحد للمفھوم العلمي الواحد‪.‬‬
‫ينبغي تجنب تعدد الدالالت للمصطلح الواحد‪.‬‬
‫وجوب المحافظة على المصطلحات العلمية العربية القديمة‪.‬‬
‫مسايرة المنھج العلمي في اختيار المصطلحات العملية ومراعاة التقريب بين‬
‫المصطلحات العربية والعلمية‪.‬‬
‫المرجع السابق‪.‬‬
‫‪232‬‬
‫‪.‬‬
‫انظر كتاب النقد والنقاد المعاصرون لمحمد مندور‪ ،‬ص‪.162 .‬‬
‫‪233‬‬
‫‪195‬‬
‫‪Liens Nouvelle Série‬‬
‫‪Qadiyyat al-Muçtalah fî an-naqd al- ‘arabî‬‬
‫ إعطاء األسبقية للكلمة السھلة النطق والتي تسمح باالشتقاق‬‫ تفضيل األلفاظ الواضحة على المبھمة‪.‬‬‫ إخضاع المصطلح المعرب لقواعد العربية وإجازة االشتقاق‬‫والنحت منه على أن يقاس كل ذلك باللسان العربي الفصيح‪.‬‬
‫أضف إلى ذالك ضرورة تنسيق جھود جميع األطراف المعنية إلنجاز المعجم‬
‫التاريخي للمصطلحات الذي ھو خطوة من أھم الخطى في طريق تأليف المعجم‬
‫التاريخي للغة العربية‪.‬‬
‫وأخيرا أنذر قائال‪:‬‬
‫فقد آن ألدباء اللغة العربية أن يقفوا وقفة تأمل يحاسبون فيھا أنفسھم ويراجعون‬
‫المنھج الذي ساروا عليه حتى اآلن في الدراسات األدبية والنقدية واإلنسانية فيدركون‬
‫كيف أن ھذه الدراسات عاجزة على تكوين الشخصية العربية الناقدة القادرة على إثبات‬
‫فعاليتھا وعبقريتھا في ميدان الفكر واالجتماع والسياسة‪ ،‬وأنھا تكتفي في الغالب‬
‫بالتفاعل المستسلم مع ما تر ًوجه الثقافة الغربية دون فھم صحيح فتنقله إلى واقع تختلف‬
‫جذوره ومقوماته عن جذور ومقومات البيئة الغربية‪ ،‬ومع األسف فقد تعدى ھذا‬
‫القصور إلى غير العرب من المستعربين جنوب الصحراء ‪.‬‬
‫المراجع‬
‫ حجيج‪،‬عبد العلي‪ ،‬مجلة كلية اآلداب والعلوم اإلنسانية بفاس‪ ،‬عدد خاص ‪، 4‬‬‫‪.1988‬‬
‫ الجاحظ‪،‬أبو عثمان عمرو بن بحر‪ ،‬البيان والتبيين الجزء األول‪ ،‬دار الكتب‬‫العلمية‪ ،‬بيروت‪.‬‬
‫ الجرجاني‪،‬عبد القاھر‪ ،‬دالئل اإلعجاز في علم المعاني ‪ ،‬تحقيق محمد رشيد‬‫رضا‪ ،‬دار المعرفة‪. .1984 ،‬‬
‫ صفوت‪ ،‬فرج‪ ،‬مجلة الفكر العربي‪ ،‬س ‪ ،4‬عدد‪.25 .‬‬‫ الغازي‪ ،‬عالل‪ ،‬مجلة كلية اآلداب والعلوم اإلنسانية‪ ،‬فاس‪ .‬عدد خاص‪.1988 .4‬‬‫ ّ‬‫سالم‪ ،‬محمد زغلول‪ ،‬تاريخ النقد األدبي والبالغة حتى القرن الرابع الھجري‬
‫منشأة المعارف اإلسكندرية‪ ،‬د‪ .‬ت‪.‬‬
‫‪196‬‬
Ibrahima BA
Le théâtre sénégalais de langue française
Résumé
Le théâtre sénégalais de langue française a beaucoup marqué l’évolution intellectuelle et politique de l’élite
sénégalaise, en particulier. Sa désagrégation, plus de deux décennies après l’accession du pays à la
souveraineté, provient
de différents facteurs dont le plus prégnant reste l’application d’une politique
artistique et culturelle tatillonne et incohérente. Or, son existence suscite un enjeu qui dépasse la simple
revitalisation du théâtre pour impliquer les stratégies de maîtrise de la langue française, médium au cœur du
dispositif éducationnel et administratif du Sénégal. Des mesures hardies peuvent aider à régénérer l’art
dramatique d’expression française, l’unique forme apte à ouvrir notre théâtre au monde.
Mots clés : art, culture, décadence, formation, française ,langue, promotion , Théâtre.
Abstract
The French-speaking Senegalese theatre usually made a deep impression on the political and intellectual
development of the Senegalese elite . Its disintegration, more than two decade after the country’s accession
to sovereignty has been caused by many factors in which the most remarkable is the implementation of an
inconsistent artistic and political policy. But, its existence creates a stake which overtakes the simple
revitalization of theatre in order to involve the good command strategies of French. It is a medium at the
heart of the administrative and educational Senegalese system. Only the adoption of urgent measures can
help to regenerate the French-speaking dramatic art, the unique form which is able to open our theatre to
Africa and into the world.
Key words: adoption, art, culture, development disintegration, French language, theatre,.
197
Ibrahima BA
N° 20
Décembre
2015
INTRODUCTION
Le théâtre négro-africain d’expression française a pris une large part dans l’évolution des peuples et dans
l’engagement des intellectuels sénégalais. D’entrée de jeu, faudrait-il rappeler que le théâtre, outre sa
fonction ludique et esthétique, est demeuré un vecteur culturel et pédagogique puissant que tous les
peuples ont utilisé, en un moment donné de leur histoire, pour transmettre des valeurs et des vertus mais
aussi et surtout pour tenter d’extirper des travers et des écarts de conduite nuisibles à l’harmonie sociale. De
la période coloniale à nos jours, ce théâtre a influencé, au cours de leur formation, une bonne partie des
élites africaines en général et sénégalaises en particulier et permit la création d’un nombre considérable
d’ateliers et de troupes dramatiques. Cependant, compte tenu de l’existence abondante de plusieurs formes
d’expression qui s’apparentent aujourd’hui au théâtre, il apparaît plus que nécessaire de revenir sur la réalité
conceptuelle de la notion pour éviter toute équivoque ou tout autre abus de sens qui pourraient faire
confondre l’art dramatique à certains de ses dérivés tels les téléfilms, les séries télévisuelles, les spots
publicitaires et autres expressions audio-visuelles. Ensuite, dans un bref rappel historique,
il s’agira
d’évoquer la genèse et le développement de ce type de théâtre, d’indiquer les facteurs à l’origine de sa
décadence avant d’envisager son avenir au Sénégal. Les expériences de la troupe des Tréteaux sénégalais
et du Nouveau Toucan qui ont connu une vie plus longue et des options professionnelles plus affirmées
seront davantage sollicitées pour l’illustration à cette étude.
1 - La réalité sémantique du concept :
Le théâtre en général peut être défini, dans un langage simple, comme la représentation de faits, d’actions
relevant du réel ou imaginé, à travers une ou des scènes, dans une salle de théâtre ou dans tout autre
endroit, devant des spectateurs physiquement présents, face à des comédiens en chair et en os, incarnant
des rôles divers. Perçu sous cet angle, nous pouvons dire sans risque de nous tromper, que tous les
peuples connaissent une forme théâtrale, si spécifique, soit-elle. A ce titre, l’art dramatique se veut un
genre universel qui comprend néanmoins des attributs fondamentaux sans lesquels nous ne pouvons parler
de théâtre. La présence physique de comédiens et de spectateurs dans un cadre unique, autour d’une
intrigue ou d’une action jouée ou mimée, se déroulant dans un temps donné qui peut être fractionné mais
qui ne peut être reporté ni renvoyé, en constitue un préalable incontournable. Ces principes de base
indispensables rappellent la règle des trois unités chère au classicisme français : l’unité d’action, de temps et
de lieu. Aucun subterfuge ne donne la possibilité de déplacer l’espace de jeu mais le décor qu’on y met,
peut varier à l’infini. Sous cette acception, restent exclus du quatrième art tous ces montages audiovisuels
et transpositions cinématographiques dénommés abusivement théâtres. Néanmoins pour des besoins de
vulgarisation, des scènes théâtrales peuvent être filmées ; seulement reconnaissons, qu’en ce moment, il
ne s’agit plus de représentation théâtrale mais bien des « séquences théâtrales filmées ». Le spectacle
théâtral implique obligatoirement une présence physique autant des comédiens que du public. Le terme est
tellement galvaudé aujourd’hui que cet éclairage est nécessaire pour éviter les confusions
198
Liens Nouvelle Série
Le théâtre sénégalais de langue française
sémantiques possibles. Il existe certes un nombre important de troupes et d’ateliers de théâtre mais qui se
sont spécialisés dans la production de téléfilms en langue wolof. Ils font rarement du théâtre, autrement dit,
ils réalisent exceptionnellement des moutures physiques devant des spectateurs.
2. La genèse de l’avènement du théâtre en langue française au Sénégal
Vers les années 1930, les pères missionnaires, pour mieux faire passer leur message et expliquer certains
dogmes et mythes de la religion chrétienne aux communautés analphabètes des colonies, recoururent au
théâtre. Ainsi, les services liturgiques des églises sénégalaises usèrent subtilement
de cette forme
d’évangélisation par les chants, les danses et surtout par le théâtre. L’institution de l’école française pour la
formation des auxiliaires de l’administration coloniale offre
au théâtre
en langue française une autre
opportunité de se répandre. L’Ecole Normale William Ponty s’illustra particulièrement dans cette option.
2. 1 Le théâtre de l’école William PONTY
Le théâtre négro-africain d’expression française est étroitement lié à l’existence de l’Ecole Normale
Supérieure William PONTY
dont la vocation était de former des cadres subalternes dans le domaine
principalement de l’enseignement et de la santé. Cette élite, choisie parmi les élèves les plus brillants,
s’exerçait, pour se distraire aux heures de recréation, au théâtre sans s’apercevoir que leur directeur
Charles Béart suivait d’un regard amusé et intéressé ces saynètes. Il ne tarda pas à systématiser la
pratique, comprenant
que le théâtre
pouvait, du point de vue pédagogique et artistique, contribuer
pleinement à leur formation. Le rôle idéologique de ce théâtre était important en ce sens qu’il véhiculait les
préoccupations du colonisateur qui s’appuyait sur la jeune élite pour perpétuer les valeurs fondamentales de
la culture
française. D’une manière intelligente, la direction de l’école est
parvenue à intégrer l’art
dramatique dans les enseignements apprentissages en proposant aux élèves, comme devoirs de vacances,
de collecter des récits tirés des coutumes et mœurs négro-africaines et d’en faire des scénarii pour leur
dramaturgie, perdant de vue, qu’un théâtre africain a existé dés les premières heures de la civilisation
africaine, si tant il vrai que le théâtre tire sa source dans l’ensemble des mythes, rites, chants, danses ,
processions et que ces liturgies, mises en scène, s’expriment par les moyens de la parole, de la musique,
de la gestuelle et de la danse. Nous retiendrons que ces aspects illustrent bien l’action dramatique et
ressemblent, à s’y méprendre, à du théâtre mais empreint de sacralité.
C’est donc manifeste que ce théâtre pontin avait des relents folkloriques et culturalistes ; et de ce point de
vue, contribuait fortement à l’animation dans le cadre des expositions coloniales par des représentations en
Europe. Bakary TRAORE souligne :
« En réalité le besoin des « Pontins », c’était celui de se divertir. Ils ont éprouvé le besoin légitime et
naturel d’avoir un domaine de liberté où ils peuvent organiser eux-mêmes leur activité et se créer leur
propre discipline. Cependant il faut ajouter que dans leur effort de création et d’adaptation, les auteurs
ont bénéficié de cet enrichissement intellectuel offert à tout
199
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travail de cette nature. Il est certain également que le théâtre de William PONTY a rempli la fonction
latente qui est de renforcer la cohésion des élèves en donnant l’occasion périodique à des gens
dispersés de se réunir pour participer à une activité commune. »
234
Dans leur travail de recherche, les élèves s’évertuaient à démontrer que les évènements de la vie de tous
les jours en Afrique, reflétant le malheur ou le de bonheur, étaient une occasion de représentation publique,
par des acteurs doués, pour communier ensemble ou expier leur peine et douleur dans des incantations et
processions cathartiques. L’Afrique étant essentiellement orale, le langage avait une fonction primordiale
dans chaque spectacle sans oublier la gestuelle où l’expression corporelle et physionomique qui sont
l’essence de la création artistique.
2. 2 Le théâtre des centres culturels
L’administration coloniale, mesurant l’efficacité de l’art dramatique dans la politique de vulgarisation de la
culture occidentale, institua dans tous les Centres Culturels des grandes villes du Sénégal, des ateliers de
théâtres. Sous le prétexte de promouvoir le brassage des peuples, la diversité culturelle, ces centres
culturels avaient pour mission principale de faire connaître et faire aimer les valeurs de la civilisation
française. Comment ? En montrant par des saynètes comiques, les aspects désuets,
ridicules et
rétrogrades des traditions africaines à la manière des « pontins ». Ce théâtre des centres proposait
implicitement l’adoption du modèle européen. Même s’il puise l’essentiel de sa thématique dans les mœurs,
les coutumes, le passé et la vie des populations locales et entend réconcilier l’élite et la masse, il n’en
demeure pas moins un théâtre d’opérette, contrôlé par l’administration coloniale. Il perpétue l’esprit de
PONTY. Néanmoins, les populations venaient y découvrir le visage de leur propre univers culturel. Cela fait
dire à Alioune MBAYE :
« Les centres culturels devenaient le rempart trouvé contre la contagion des mœurs et des loisirs
américains notamment. Quel théâtre devait- on y jouer ? Pour l’épanouissement du plus grand
nombre, il faut éviter de jouer un théâtre d’auteur, élitiste bien que les pièces fussent écrites en
français. Il fallait aussi privilégier un théâtre à visage social destiné au public local. On cherchait aussi
à combler le vide entre les évolués au fait de la culture et les autres. […] Le centre culturel devenait
235
un lieu de rencontre où la masse venait s’abreuver des biens culturels du passé. »
La préoccupation principale du programme était de satisfaire le besoin d’exotisme des européens de la
colonie. Des compétitions entre équipes régionales y étaient régulièrement organisées. Les pièces qui
étaient des créations collectives, privilégient des saynètes bouffonnes du genre « les fourberies d’un
charlatan », « l’aveugle amoureux », « le chauffeur indélicat », « le mari cocufié, etc. ». Ces montages
courts sont complétés par des chants, des danses, des battements de tam –tam, du rythme des tambours,
et des « djembé ». Ce folklorisme à tous vents, masque des faiblesses techniques se
234
TRAORE, Bakary. « Le théâtre africain de l’Ecole William PONTY » in Actes du colloque sur le théâtre négro-africain, Abidjan, du 15 au 29 avril
1970, Paris, Présence Africaine, 1971, p. 43.
235
MBAYE, Alioune. « Le théâtre des centres culturels en AOF : 1948-1958, Du casque colonial au béret tropical » in Ethiopiques, n° 76, 1er
semestre 2006, publié sur le site http : //ethiopiques.refer.sn
200
Liens Nouvelle Série
Le théâtre sénégalais de langue française
manifestant dans la vacuité des personnages, dans le manque de consistance de l’intrigue
et dans
l’absence d’articulations logiques entre les scènes. Les acteurs n’ont pas de formation technique préalable
et se plaisent juste à parfaire leur élocution en français. Même si le projet dramatique avec PONTY reste le
même, MBAYE fait remarquer que l’écriture a changé :
Alors qu’à PONTY, on a privilégié la déclamation, les longs discours émaillés d’adjectifs, dans les
centres culturels, on a produit des pièces plus courtes, avec des répliques plus succinctes, le
236
remplissage de la scène se faisant par le théâtre et la danse.
D’une manière générale, le théâtre de PONTY et des centres culturels véhiculait l’idéologie coloniale,
contribuant à consolider le projet politique du dominateur. Pourtant un ancien
pensionnaire de l’école
William PONTY, KEITA Fodéba, de 1949 à 1954, développe un théâtre-ballet qui sera à la fois tributaire de
la tradition et de l’expérience de PONTY. En procédant à la reproduction de quelques épisodes de la vie
africaine à travers les légendes, les contes, les mythes, il tente de réhabiliter le patrimoine culturel africain et
évolue plus tard vers un théâtre engagé et militant.
2. 3 L’Institut National des Arts du Sénégal
Aussitôt après les indépendances, se substitua au théâtre africain d’expression française de consentement
ou du moins de complaisance à l’ordre existant et parrainé par l’administration coloniale, un renouveau
théâtral qui se voulait plus engagé et résolument tourné vers l’exaltation du sentiment patriotique. Les
autorités politiques de l’époque, à la tête desquelles le président poète Léopold Sédar Senghor qui disait
mettre « la culture au début et à la fin de tout développement », s’évertuèrent à créer des espaces
réservés à la pratique des activités artistiques ; ce qui explique la création de l’Institut National des Arts du
Sénégal dont la vocation était de former des artistes dans tous les domaines de l’art. Le théâtre y occupait
une place centrale. Il y était noté des sections de musique, de danse et d’art dramatique d’où sont issus la
majeure partie des pensionnaires du Théâtre national Daniel Sorano, de la troupe dramatique des Tréteaux
sénégalais, de la troupe théâtrale du Nouveau Toucan et bien d’autres ateliers théâtres formés à partir des
jeunes promotions qui vont se succéder dans cette structure.
La section d’art dramatique avait bien favorisé l’apprentissage des techniques théâtrales en rapport étroit
avec l’approfondissement des connaissances en français par le biais de la littérature française et africaine
d’expression française. Il est à noter que les étudiants y étaient recrutés, dans un premier temps, avec un
niveau académique un plus bas qui était le certificat d’études primaires élémentaires(C.E.P.E). Les autorités
rehaussèrent le niveau en décrétant un recrutement à partir du brevet d’études du premier cycle (B.P.C.E),
niveau d’études de l’essentiel des membres fondateurs de la troupe du Nouveau Toucan. Ces
enseignements prenaient en compte d’autres matières liées à la formation de l’homme comme la
psychologie, la philosophie, la pédagogie et la psychopédagogie et l’initiation au maniement des instruments
de musique modernes et traditionnels. La vocalise et la diction n’étaient pas en reste. A l’issue de la
formation, les étudiants avaient acquis l’essentiel des
236
MBAYE, Alioune. Op.cit.
201
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techniques dramatiques et un savoir faire qui leur donnaient la compétence d’exercer librement leur
profession. Le théâtre en langue française va s’appuyer fondamentalement sur cette institution qui lui
servira de vivier, pourvoyeur de talentueux comédiens, formés à bonne école, pour assurer sa promotion et
sa pérennité au Sénégal.
3. Les vicissitudes du théâtre d’expression française
Le théâtre en français, après les indépendances, trouve un cadre favorable à son rayonnement en termes
d’infrastructures de représentation avec la création de la Compagnie Daniel Sorano et des théâtres de
verdure des centres culturels régionaux et en termes de formation des comédiens avec la mise en place de
l’Institut des Arts. Mais très vite, il se heurtera à des obstacles qui plomberont son évolution.
3. 1 Moments de rayonnement du théâtre en langue française
Les premières décennies de la souveraineté nationale furent marquées par un développement prodigieux
des productions en langue française. Le
président Léopold SENGHOR, fervent théoricien de
la
francophonie, entendait donner plus de vitalité au français par le truchement de l’art et de la culture. Pour
cette raison, il assigna aux Nouvelles Editions Africaines (Les N.E.A), la mission de faciliter l’impression des
pièces de théâtre et à la Compagnie Sorano, l’objectif de promouvoir les réalisations spectaculaires en
français.
3.1.1 La Compagnie du Théâtre Daniel Sorano
Dans le cadre de l’organisation du festival mondial des arts nègres au Sénégal, les dirigeants politiques de
l’époque, sous la houlette du président poète Léopold Sédar Senghor, prirent la décision de bâtir un édifice
théâtral qui porte le nom du français Daniel Sorano qui a des racines sénégalaises, en hommage à son
immense talent d’acteur et d’homme de culture. Ses premiers pensionnaires, majoritairement issus de la
première promotion du conservatoire d’Art dramatique, talentueux et doués, connurent énormément de
succès à chacune de leur représentation. A cette époque, les principales pièces interprétées avaient des
relents patriotiques, faisant référence à nos héros nationaux qui ont longtemps résisté aux envahisseurs
étrangers. Ces pièces historiques, écrites pour la plupart, par des africains en général et sénégalais en
particulier, participaient à raffermir les liens entre compatriotes et à consolider l’unité nationale, au grand
bonheur des décideurs politiques. Parmi ces comédiens,
nous citerons les plus célèbres : Mamadou
DIOUM, un des interprètes du roi Albouri, dans la pièce écrite par Cheik Aliou NDAO intitulée L’Exil
d’Albouri, qui met en scène Albouri NDIAYE, roi du Djolof qui s’opposa à la domination coloniale avec
courage et détermination, préférant l’exil avec son peuple à la soumission. Aliou CISSE, interprète du roi
Lat-dior Ngoné Latyr DIOP dans la pièce écrite par Amadou Cisse DIA, titrée Les derniers jours de Lat-Dior
qui relate la lutte menée contre l’ancien gouverneur colonial du Sénégal, le général Faidherbe par le Damel
–teigne, Lat-dior, souverain dans le Cayor et dans le Baol. Malgré la supériorité matérielle et militaire de
l’ennemi, il résista avec courage et mourut les armes au poing. Ces grosses productions
202
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Le théâtre sénégalais de langue française
contribuèrent à susciter chez les jeunes générations, un sentiment de fierté et de patriotisme. Coly MBAYE,
Alpha Oumar WANE, Abdoulaye DIOP Dany, Isseu Niang, Assy Dieng BA ,« feu » Oumar SECK dont le
talent incontestable s’est vivement exprimé, quand il a remplacé le célèbre Douta SECK à son décès, dans
l’interprétation du rôle du Roi Christophe de la pièce du Martiniquais Aimé CESAIRE, La Tragédie du roi
Christophe. La liste n’est pas exhaustive. Passée la période de gloire et de revalorisation de nos héros, la
troupe dramatique s’attaqua aux mœurs de la société sénégalaise en dénonçant ses travers et ses tares
dans des pièces écrites par nos compatriotes. Il est important de souligner le rôle significatif joué par les
pensionnaires du Théâtre Sorano dans l’effort d’émancipation des populations et de consolidation de l’unité
nationale. La diversité culturelle, crédo majeur de la politique artistique de la Compagnie, a été manifeste
dans son répertoire et fut rendue possible par l’utilisation de la langue française, facteur d’unification et de
ciment national. Cependant les langues locales n’ont jamais été négligées en ce sens qu’elles ont toutes été
utilisées dans les créations collectives.
3.1.2 La naissance et l’évolution des ateliers de théâtre privés et amateurs
Toutes les promotions sorties de l’Institut National des Arts, n’ayant pu être recrutées par Le Théâtre
Sorano, donc dans la fonction publique, se lancèrent dans l’entreprise privée et tenteront de gagner leur vie
par le biais de leur art. Il a existé parallèlement quelques ateliers de théâtre amateur en langue française qui
ont marqué très faiblement le paysage théâtral sénégalais.
3.1.2.1 Les tréteaux sénégalais
Etant de la même génération et de la même formation que leurs homologues de la Compagnie Dramatique
du Théâtre national Daniel Sorano, les membres de la troupe des Tréteaux sénégalais prirent l’option de
créer une troupe à vocation privée pour soutenir la création et impulser une dimension nouvelle au théâtre
sénégalais d’expression française. Il s’y ajoute la saturation du personnel de Sorano qui a atteint ses limites
dans le recrutement de nouveaux comédiens. La bande des Moustapha Mbaye, directeur de la troupe, des
Sagana Mbaye, Mamadou Diop, Mbaye Lô Gueye etc., offrirent à leur public des pièces de bonne facture
des dramaturges de très grande renommée. A titre d’exemple, nous citerons, le poème dramatique de
Senghor intitulé Chaka, joué au théâtre national Daniel Sorano, mis en scène par Moustapha Mbaye et qui
évoque l’épopée du roi Zulu Chaka qui tue sa femme Nolivé ainsi que le bébé qu’elle porte pour l’amour de
son peuple, dit-il. Concernant cette pièce de SENGHOR, Omar NDAO témoigne :
« Les Tréteaux usèrent de ruse avec le pouvoir : ils entreprirent de monter Chaka, le fameux poème
épique de celui qui présidait alors aux destinées du Sénégal. SENGHOR mit la main à la poche et leur
octroya une subvention de deux millions de francs CFA à laquelle le tout
203
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nouveau Premier ministre d’alors ajouta un million et demi. Pour l’époque, cette rondelette somme
était plus qu’une fortune. »
237
Cette pièce est suivie d’une création collective qui initie une rupture, tant dans la conception que dans le
contenu d’avec les pièces classiques ; c’était pour mieux intégrer les fondamentaux essentiels de la culture
africaine dans le jeu, en les associant aux techniques théâtrales occidentales, telles que le respect de
l’unité de temps, de lieu, indispensables à la représentation théâtrale. Les pièces écrites par Cheik Aliou
Ndao intitulées respectivement : Le fils de l’Almamy qui relate le conflit latent entre un père téméraire faisant
face à l’envahisseur français avec dignité et courage et un fils un peu plus conciliant à l’égard du colon dont
la force de frappe et la puissance sont bien connues par le garçon qui a séjourné en métropole et qui n’est
préoccupé que par le développement de sa contrée en faisant de la paix son crédo ; La décision, autre pièce
qui présente la dure condition de vie des noirs américains, a été montée et jouée avec un énorme succès du
fait de la ségrégation raciale qui faisait l’actualité en Amérique et dans la diaspora. Cette pièce, faisant
l’événement à cette époque, connut une distribution intelligente. Les rôles furent dévolus à des comédiens
d’envergure pour incarner les personnages principaux : Jacques par Moustapha MBAYE, Ted par
Mamadou DIOP, Mummy par Marie Augustine DIATTA, Oncle Chiffon par Mbaye Gueye LO, Marie par
Marieme CAMARA, pour ne citer que ceux-là. Cette pièce fut suivie par un montage poétique relatant la
société noire américaine aux Etats-Unis d’Amérique. Comme pour répondre à leur vocation de mobilité,
traduite dans la symbolique de leur dénomination « Les Tréteaux », la troupe bourlingua pendant deux ans à
travers le pays et dans la sous région avant de plonger dans la léthargie, puis la dislocation du fait des
difficultés matérielles et financières. Leurs cadets du Nouveau Toucan, autre troupe privée, accepteront de
reprendre le flambeau pour tenter une nouvelle expérience. Nous sommes aux années 1970-1980.
3.1.2.2 Le Nouveau Toucan
Tirant la leçon de l’échec de leurs ainés des Tréteaux sénégalais, l’Etat du Sénégal se résolut à régler deux
équations fondamentales. La première, consistant à trouver des débouchés aux nouveaux sortants de
l’I.N.A.S dont le niveau académique a été rehaussé suite à la réforme de l’ancienne école des arts, la
seconde, à accompagner et à stimuler la recherche artistique en vue de participer à l’animation dans les
centres culturels et à la toute jeune télévision nationale qui était à ses balbutiements. A cet effet, l’Etat, sous
l’impulsion de l’ancien Président de la république Léopold Sédar SENGHOR et de son ancien Premier
Ministre Monsieur Abdou DIOUF, voulant matérialiser l’intérêt qu’ils semblent donner à la culture, décidèrent
de mettre en place des crédits importants pour appuyer les initiatives des acteurs culturels. C’est ainsi
qu’une subvention conséquente fut octroyée à la troupe pour lui permettre d’assurer son autonomie
professionnelle.
237
NDAO, Omar. « Le théâtre privé au Sénégal » par NDAO, professeur de lettres à l’université Cheikh Anta DIOP de Dakar, liens :
festart.over-blog.com/article-21185531html
204
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Le théâtre sénégalais de langue française
Le principal défi était de ne pas finir comme leurs devanciers des Tréteaux sénégalais qui ont connu un
échec patent et le second, à faire redécouvrir l’art dramatique et à le faire aimer de leur concitoyens, tâches
extrêmement ardues, quand on sait les nombreuses difficultés qui assaillent le théâtre sénégalais de
l’époque ; donc des mesures draconiennes s’imposèrent à tous les membres, tant dans la gestion financière
qu’administrative. Selon Thierno Bocar KANE, ancien vice président de la troupe :
« Des mesures concrètes furent prises à propos de la structuration de la troupe avec des
prérogatives bien précises dévolues à chacun. Des commissions furent crées dont les plus
238
importantes, celle de choix de pièces à interpréter et celle de thématiques et de lecture. »
Nous citerons parmi les éléments moteurs de la troupe : Abdoulaye Sammy DIANKHA, président, Thierno
Bocar KANE Meste, vice président, Mamadou Torbe DIALLO, président de la commission de choix de
pièces et de lecture, Ndeye Astou LO, secrétaire administrative, Mamadou KASSE, gestionnaire financier,
Mbacke Bousso KANDJI, chargé du matériel, Pape Oumar DIOP, Ndéye Patience DIOP, Aicha SARR et
Ricky Bambi NDIAYE.
Le choix des pièces à interpréter donnait l’occasion aux différents membres de discuter sereinement pour
s’accorder sur la pertinence et l’intérêt des pièces à jouer et mesurer l’impact positif qu’elles susciteront
devant le public, sous la direction du metteur en scène Mamadou Traore DIOP,
désigné pour sa
compétence et son dévouement. La première pièce choisie fut historique et s’intitulait : Le choix de Madior,
œuvre écrite par Ibrahima Sall et qui entre dans la veine de réhabilitation des figures historiques. Le Choix
de Madior connut la distribution suivante : Mamadou Torbe DIALLO, roi Madior, Ndeye Astou LO, la
princesse Yacine Boudou qui a accepté d’être sacrifiée par son mari Madior plus préoccupé pour la
conquête du trône pour sauver son fils. Papa Oumar DIOP Mackena joue Ngir ,un des princes, Mbacke
Bousso KANDJI, Amary, un des princes, Mamadou KASSE, Sakhewar, un des princes, Thierno Bocar
KANE, Moussa, un autre prince, Abdoulaye Sammy DIANKHA, le sorcier, Mamadou BADIANE, le griot.
Cette pièce, mise en scène par Mamadou Traore DIOP, fut représentée à Sorano, dans quelques
établissements de la capitale, puis dans presque toutes les régions du Sénégal, en français.
La troupe commença à avoir une renommée nationale ; ce qui lui valut d’être choisie par les autorités pour
représenter le Sénégal au festival international de Nice en France où elle connut un grand succès. Avant le
voyage à Nice en France, la télévision nationale qui venait pratiquement de commencer à émettre, noua un
partenariat avec le NOUVEAU TOUCAN pour une série de sketchs en français, filmés et diffusés par le
petit écran, une fois par semaine, en concurrence au théâtre populaire qui gagnait du terrain du fait des
langues locales utilisées et comprises par l’écrasante majorité de la population, mais très pauvre en jeu
d’acteurs et en respect des normes théâtrales. Les
fonds générés par les spectacles donnèrent la possibilité aux membres de résister aux aléas liés à leur
condition d’existence, et leur permirent de travailler sereinement et efficacement lors de leur répétition dans
un cadre
octroyé par les autorités gouvernementales. L’Etat
assista régulièrement la jeune troupe et
l’encouragea à poursuivre son répertoire. Ceci galvanisa les pensionnaires qui multiplièrent leur sortie dans
238
KANE, Thierno Bocar. « Interview » réalisée par moi-même, l’auteur de l’article, au domicile de l’ancien vice président du Nouveau
Toucan, à Rufisque, Kounoune, le 03 novembre 2015.
205
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les écoles pour aider les jeunes élèves à aimer et parler correctement le français en respectant la diction et
autres artifices liés à la pratique de la langue française. A
comédiens du NOUVEAU TOUCAN participèrent à
l’instar de leurs collègues de Sorano, les
l’enregistrement des textes pour stimuler les
apprentissages lors de la réforme de l’enseignement du français au Sénégal par le Ministère de l’Education
Nationale sur la méthode « Pour parler français ». Cette étape dépassée, il fallait maintenant s’attaquer à
une question cruciale qui allait constituer un véritable tournant dans
la vie du groupe. Il s’agissait de
déterminer l’orientation idéologique de la troupe en rapport avec la situation politique et économique de
l’Afrique, confrontée à de nombreuses difficultés qui avaient pour noms : autocratie, mal gouvernance,
népotisme, pauvreté, maladie, analphabétisme, et j’en passe. Le Vice - Président, Monsieur KANE,
précise :
« Face à la situation des pays africains encore sous domination coloniale, fallait-il rester à se
complaire de fantaisie, en faisant de l’art pour l’art uniquement pour la jouissance esthétique ? Bien
sûr que non, donc malgré quelques résistances timides, un consensus fut trouvé pour le montage des
spectacles dédiés aux peuples africains en lutte. »
239
C’est dans ce cadre que la troupe mit en scène la pièce écrite par Martial MALINDA (alias Sylvain BEMBA),
L’Enfer, c’est Orfeo, épopée des maquisards de Guinée Bissau, en lutte contre l’occupation portugaise. Ce
qui démontre qu’aucune lutte de libération ne peut réussir sans la participation et l’effort de tous les
compatriotes. Au lendemain de la brillante prestation des comédiens de la troupe à l’université de Dakar, les
autorités gouvernementales, ayant ressenti un changement de paradigme à la faveur d’un théâtre militant et
engagé, retirèrent provisoirement, à l’atelier, leur soutien. Cela n’entama en rien la détermination des
membres qui entreprirent des tournées à travers plusieurs régions du Sénégal dans les établissements
scolaires, utilisant le français comme médium.
La troupe retourna à l’orthodoxie, en s’attaquant aux faits de société, en proposant de traiter des problèmes
résultant des mutations que connaît la société africaine contemporaine ainsi que l’évolution des mentalités, à
travers le montage de la pièce du Béninois Jean PLIAT : La Secrétaire particulière. Dans une mise en
scène assurée par Sammy DIANKHA, en collaboration avec la télévision nationale, la trame de l’histoire,
sous forme de comédie satirique, s’attaque aux fonctionnaires véreux qui font de leur poste privilégié, un
instrument de chantage pour abuser de la confiance des gamines afin d’assouvir leur besoin charnel, faisant
de la corruption leur chasse gardée. Dans cette pièce,
toutes les veuleries se croisent : pots-de vin,
népotisme, favoritisme, abus de confiance et détournement de mineurs au grand dam d’honnêtes citoyens
qui ne comptent que sur leur légitime droit
de travailler et de s’épanouir dans une société juste. Les
téléspectateurs sénégalais furent
239
KANE, Thierno Bocar. « Interview », op.cit.
206
Liens Nouvelle Série
Le théâtre sénégalais de langue française
séduits par le jeu dramatique des acteurs et le langage théâtral de qualité mais restent désorienté par
l’incompréhension des séquences dites dans un français assez soutenu. Une autre préoccupation interpella
les membres et suscita beaucoup d’interrogations. Fallait-il renoncer à l’utilisation de la langue française
dans les prestations ? Deux camps s’opposèrent. La poire fut coupée en deux. L’artifice consistera
à
procéder à l’usage combiné et concomitant du français et des langues nationales. L’expérience tourna court
et mit le groupe en léthargie. Les difficultés financières et
matérielles s’accumulèrent et finirent par
démoraliser les membres de la troupe qui se disloqua dans le courant des années 1981.
3.1.2.3 Les autres compagnies privées d’expression française
Après les moments de vie intense et de
déclin des Tréteaux sénégalais et du Nouveau Toucan, les
différentes promotions qui se succédèrent à l’Institut National des Arts, créèrent à leur sortie leur propre
troupe car du fait
des effectifs pléthoriques de la fonction publique, les autorités étatiques refusèrent
d’enrôler tous les diplômés des écoles de formation surtout quand ceux-ci relèvent de l’art et de la culture
qui n’était point dans les ordres de priorité du gouvernement sénégalais. Ce dernier encourageait plutôt les
initiatives privées et facilitait aux nouveaux sortants, les procédures de montage d’entreprise. Ainsi, virent le
jour successivement, à quelques années d’intervalle, Les Gueules Tapées, créées en 1997, qui associèrent
deux promotions du Conservatoire National et montèrent de nombreux spectacles fondés sur l’humour, au
Sénégal et ailleurs ; Les Sept Kouss qui opérait sur le même registre de la dérision ; Le Théâtre de la Rue
fondé en 2002, juste composé de deux membres : Papa Meissa GUEYE et Saïkou LO, élèves diplômés de
l’Institut, qui produisirent Vitalibé, une première et grande pièce. Toutes ces formations purent bénéficier de
la subvention étatique mais ne firent pas long feu. Parallèlement, l’étudiant de Lettres modernes, BARRY,
initie un théâtre d’enfants au quartier résidentiel du Point E à Dakar qui s’occupe essentiellement de forger la
personnalité des enfants par l’expression théâtrale. Awa Sène SARR, la brillante comédienne de Sorano qui
finit par s’isoler pour créer Petaaw-bi et Moussa Sène Absa, initiateur des Ateliers de Kocc, furent soutenus
par la coopération française. Alors qu’au même moment, Pape FAYE en association avec Boury KANDE
monte Zénith’Art.
Le théâtre universitaire de recherche et d’expérimentation naît avec Faro Théâtre de l’enseignantchercheur, feu Oumar NDAO et avec l’Atelier-Théâtre Isseu NIANG du Professeur Ousmane DIAKHATE de
la Faculté des Lettres de l’université Cheikh Anta DIOP. A côté de ces compagnies, se développe un
théâtre d’amateur en langue française : aux premières heures des indépendances, Joseph DIAKITE avait
créé son Négro-Théâtre à Dakar –plateau, à Rufisque Mame Birame DIOUF, vers les années 1980, donne
naissance à l’Atelier-Théâtre Gestu. Dans les régions, en dehors des Ateliers Théâtre des centres culturels,
il est noté l’existence de Jallore Danse Théâtre de Saint-Louis, pratiquant un art polyvalent en français et en
wolof, de Bou-Saana Théâtre de Ziguinchor qui a réussi à adapter à la scène le roman d’Ahmadou
KOUROUMA Allah n’est pas obligé avec la mise en scène des fondateurs Souleymane DIAWARA et
Famara SAGNA. Notre liste n’est certainement pas
207
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exhaustive mais pour l’essentiel, voilà les troupes qui ont animé, pendant une période, la vie culturelle et
artistique sénégalaise.
Parallèlement, l’Alliance Française, devenue Institut Français, impulse le théâtre scolaire en organisant
chaque année, de mars à avril, un concours théâtral interscolaire qui réunit à Dakar, après les phases de
présélection et de sélection, les meilleurs ateliers théâtres des lycées et établissements secondaires du
Sénégal. Les troupes des lycées dakarois Lamine GUEYE, Blaise DIAGNE, les Cours Sainte Marie de
Hanne, Abdoulaye SADJI de Rufisque, Elhadji Malick SY de Thiès, furent celles qui étaient
les
plus
régulières aux phases finales, s’étant certainement dotées d’un encadrement technique de qualité. Elles
disputèrent âprement, si souvent, le « Griot de bronze » qui était mis en compétition.
Toutes ces compagnies, à quelque niveau qu’elles se sont retrouvées sur le terrain culturel et artistique
national, ont contribué au rayonnement du théâtre en langue française au Sénégal. Mais elles n’ont pas pu
vaincre les nombreux obstacles qui se sont dressés sur leur chemin et qui ont abrégé leur vie.
3. 2 La décadence du théâtre en langue français
Les facteurs à l’origine de la décadence sont de différents ordres ; leur conjugaison a sonné le glas du
théâtre africain d’expression française. Ils se déclinent essentiellement en termes d’absence de politique de
promotion, de problème de langue de communication et d’inexistence de cadre de formation des acteurs du
théâtre.
3.2.1 L’absence d’une politique de promotion
Le pouvoir de la première alternance politique au Sénégal, qui, sous prétexte de rétablir les équilibres
macro-économiques, procéda au réajustement structurel, porta un coup rude au développement des
expressions artistiques en général, et du théâtre en particulier. La première mesure consista à mettre un
terme aux subventions accordées aux promotions sorties de l’Institut des Arts, organisées en troupes
privées ; la deuxième, la fermeture de la section art dramatique de l’école et la troisième, la réduction
drastique des budgets du Ministère de la Culture, de la Compagnie du Théâtre Daniel Sorano et des centres
culturels régionaux et de toutes les structures administratives qui ont vocation de promouvoir l’art et la
culture. Ce qui a fait dire à Oumar NDAO que :
« Au début des années 1990, la culture subit les contrecoups des nouvelles dispositions
économiques. Elle ne fut plus considérée comme un secteur qui méritait qu’on en fît un des domaines
de concentration de l’aide. La réorientation des axes de coopération avec la France depuis le discours
de la Baule, les plans d’ajustement structurel, la dévaluation du franc CFA, la stratégie du « moins
d’Etat, mieux d’Etat » et les différents processus de la désenghorisation, finirent par réduire le
240
Ministère de la Culture à une abstraction insignifiante. »
240
NDAO, Omar. « Le théâtre privé au Sénégal », op.cit.
208
Liens Nouvelle Série
Le théâtre sénégalais de langue française
De surcroît, les organismes internationaux de soutien à l’art et à la culture (Programme de soutien à l’action
culturelle - Union européenne, le Fonds d’Aide aux Artistes et au Développement Culturel, etc.), les seuls
sur le terrain, ont des procédures tellement lourdes et complexes qu’elles n’attirent point les formations
théâtrales. Ensuite, les créations sont étouffées, tuées dans l’œuf, si elles sont jugées subversives, autant
par les autorités étatiques que par les missions de coopération culturelle. Ainsi, démoralisés et essoufflés
économiquement, les acteurs légitimes de ce théâtre, chercheront à se reconvertir à d’autres corps de
métier pour tenter d’assurer leur survie. De fait, l’atmosphère socioéconomique ambiante, ne plaide plus
guère en faveur de la promotion de l’art et de la culture.
3.2.2 Un théâtre de texte
Les auteurs sénégalais n’ont jamais su se départir du discours épique des tragédies historiques. La
réhabilitation donne lieu à de longues tirades sublimes, d’une grande richesse poétique mais d’une faible
valeur théâtrale pour un public qui n’est pas féru de langue française. Même le théâtre de mœurs, à notre
avis, est bavard et s’empêtre dans un verbiage qui ne fait qu’alourdir sa trame. Dans Adja, la militante, La
Collégienne de Marouba Fall comme du reste dans Ngor Niébé ou L’Os de Mor Lam de Birago Diop, le
décompte de la longueur des répliques offre, en moyenne, plus de cinq lignes. Cet état de fait refroidit le
rythme dramatique et rend impossible l’aménagement, dans le texte, de stichomythies virevoltantes et très
spectaculaires. A cela, s’ajoute le registre un peu trop soutenu du français. Si bien qu’à chaque fois qu’il se
déplace à Sorano ou ailleurs, pour voir ces moutures, parce qu’accroché par une publicité tapageuse, le
public est abreuvé de textes auxquels ni la gestuelle outrageuse ni la tonalité chaleureuse de la palabre ne
lui permettent d’en posséder la quintessence. Au bout du compte, il ne tire profit et plaisir que dans les
séquences folkloriques du montage. Dans ce théâtre académique, la teneur du message est de qualité ;
cependant un peu trop de littérature l’emporte sur le jeu théâtral, sur la truculence de l’action dramatique qui
fait l’essence du théâtre. Dès lors, le spectateur analphabète ou semi-analphabète, agacé, finit par rompre
avec ces séances « ennuyeuses », préférant de loin, dans le confort de la sédentarité, suivre les téléfilms
du théâtre populaire, les séries télévisuelles sud américaines, « hindous », ou ivoiriennes. Par conséquent,
le public du théâtre d’expression française se rétrécit comme peau de chagrin et n’intéresse plus qu’un
cercle restreint d’intellectuels sénégalais, passionnés d’art et de culture.
3.2.3 La formation des acteurs
La fermeture de la section Art dramatique de l’Institut des Arts, depuis bientôt une décennie, de l’unique
structure normative et officielle de formation aux métiers de la scène, constitue, à n’en pas douter, la preuve
tangible que les autorités sénégalaises n’inscrivent pas le théâtre dans leurs ordres de priorité. Le comédien
professionnel et membre fondateur des Sept Kouss, Abdoulaye Diakhaté qui a tenté de contribuer à la
formation des amateurs de théâtre, en ouvrant un centre culturel privé d’apprentissage des métiers de la
scène à Thiès, a dû
se raviser et a mis la clé sous le paillasson, tout juste après quelques années
tumultueuses de fonctionnement, assailli par des difficultés de tous ordres. Les autorités ne croient pas
aux vertus du quatrième art même si la démagogie du discours politique clame le contraire. Aujourd’hui, le
théâtre de langue française est laissé entre les mains de dilettantes car devant l’inexistence de cadre
d’apprentissage, chacun peut se proclamer metteur en scène, comédien, régisseur de plateau, décorateur,
209
Ibrahima BA
N° 20
Décembre
2015
habilleur, directeur d’acteur, etc. A telle enseigne que l’univers de ce théâtre est envahi de profanes, qui,
bien que volontaires, produisent des prestations techniquement médiocres qui ne favorisent pas
l’engouement pour ses réalisations. Mieux, ignorant les arcanes de la profession, ils seront dans l’incapacité
de trouver des stratégies de promotion de la veine.
Il ressort nettement que, pour l’essentiel, ces différents facteurs conjugués, ont précipité la décadence du
théâtre sénégalais en langue française ces deux dernières décennies. Néanmoins, la situation n’est pas
désespérée ; il est possible de lui appliquer des potions magiques, miraculeuses, pour le tirer de son
agonie.
4. Les conditions possibles d’une renaissance
Ces conditions se résument en trois facteurs essentiels qui, harmonieusement combinés, peuvent faire
renaître le théâtre sénégalais d’expression française.
4.1 Une politique culturelle viable
La réémergence du théâtre africain en langue française passera d’abord et avant tout par une politique
culturelle qui se donne l’ambition de prendre en charge les préoccupations fondamentales et
l’épanouissement des sénégalais. La simple conscience de la position stratégique du français dans le
dispositif administratif, pédagogique, juridique du Sénégal, doit inciter les autorités à réhabiliter ce théâtre et
à travailler à sa promotion.
Avec la baisse unanimement constaté du niveau de français de nos élèves et étudiants, l’utilisation du
théâtre d’expression française doit être généralisée et insérée dans les artifices didactiques à tous les
échelons du système d’enseignement sénégalais. Les enseignants encadreurs des rares ateliers de théâtre
existant dans nos établissements, de l’élémentaire au supérieur, qui en ont fait l’expérience, confirmeront
l’efficacité d’un tel procédé dans le processus de maîtrise de la langue française.
4.2 Un style dramatique assoupli
Par ailleurs, les dramaturges sénégalais gagneraient à assouplir le style de la langue de création, qu’il
s’agisse de tragédie ou de comédie. Le purisme de mauvais aloi engendre l’hermétisme et l’inaccessibilité
de la pièce pour le commun des sénégalais. Il ne s’agit point de verser dans un registre roturier et trivial
mais juste d’affiner les textes et de les délester de leur lourde et complexe surcharge syntaxique qui les rend
impropres à libérer un discours dramatique frénétique et vivant. L’expérience de la Côte d’Ivoire est
enrichissante de ce point de vue car
son théâtre en langue française, exploitant à fond le contexte
multilinguiste du pays, se sert malicieusement d’un mélange astucieux et savoureux appelé « Nouchi » qui
intègre dans le français, le trait d’esprit et le génie oratoire ivoiriens. Ce théâtre du « Nouchi » a su étendre
son emprise à toutes les sphères sociales du pays et même au-delà. Aujourd’hui, les troupes Les Guignols
d’Abidjan, Wonseuyo, Yélemba, Sokan théâtre sont en train de conquérir l’Afrique, l’Europe, le monde. Le
théâtre du Burkina Faso opère dans le même style. Il communique en français à travers une tonalité et un
niveau de langue accessibles au plus grand nombre. Prospère KOMPAORE y a expérimenté un théâtre
210
Liens Nouvelle Série
Le théâtre sénégalais de langue française
forum qui a fini de conquérir toutes les couches sociales burkinabé. Avec un dispositif scénique, souple et
symbolique, ses spectacles sont réalisés dans les quartiers de Ouagadougou et dans tout le pays.
Au Sénégal, les troupes du théâtre populaire se sont surtout spécialisées dans la production de téléfilms
en wolof et ne montent de spectacles pour un public physiquement présent que très occasionnellement.
L’usage de la langue Wolof, sans traduction et dédoublement de voix,
les contraint à n’être suivies qu’à
l’intérieur du pays ; cette restriction ne plaide guère à leur promotion. A ce propos, GAHOU Michel, le
célèbre comédien ivoirien, au cours d’une interview, à la question : connaissez-vous les comédiens
sénégalais ? Il répondit ceci :
« Je ne peux citer que Macodou Mbengue. Généralement au Sénégal, les comédiens jouent en
langue nationale, c’est à dire le wolof. Ce qui fait que parfois, c’est très difficile d’exporter ce théâtre. Il
faut qu’il fasse l’effort de jouer des pièces de théâtre en français. Parce que le Wolof, c’est pour un
cercle fermé. Et cela ne fait pas la promotion du théâtre sénégalais. C’est ce qui explique qu’on ne
connaît pas bien les comédiens sénégalais. […] Pour que le théâtre sénégalais puisse s’exporter, il
faut qu’il se joue en français parce que le français est accessible partout. Il faut viser d’autres
241
dimensions. »
Cette remarque suffit à traduire l’extrême indigence du théâtre populaire confiné juste dans les limites du
territoire sénégalais. Dès lors, il s’avère plus qu’urgent de former des traducteurs, interprètes pour le
théâtre « physique » et diseurs de texte pour assurer la doublure de voix dans les « théâtres filmés » et
dans
les « téléfilms ». Les textes de Molière, de Shakespeare, de SOYINKA sont connus du monde
entier car traduits dans plusieurs langues. A ce titre, nous avons beaucoup apprécié l’une des toutes
dernières productions de la Compagnie Sorano, Antigone, la pièce du français Jean Anouilh, traduite par le
conteur Massamba GUEYE et représentée en Wolof ; le contraire doit tout aussi être encouragé, des
pièces en wolof rendues et montées en français. Le vice président de l’ancienne troupe du Nouveau Toucan
et comédien professionnel Thierno Bocar KANE, aujourd’hui reconverti enseignant, a fini de traduire
entièrement Caligula d’Albert CAMUS en wolof. Il reste à souhaiter que la pièce puisse trouver rapidement
un éditeur et une troupe pour le montage. C’est ce dialogue fécond des arts et des cultures qui rapprochera
les peuples et humanisera nos sociétés.
4.3 La création de cadres de formation et de rencontre
La réouverture de la section Art dramatique de l’Institut des Arts demeure un impératif en ce sens que la
formation du personnel théâtral garantit la qualité du répertoire et le professionnalisme des acteurs. Ensuite,
le théâtre se nourrit également de l’organisation régulière de
grandes manifestations, opportunité
d’expressions artistiques en plénitude. Dans ce cadre, le Marché des Arts et du Spectacle Africain (le
M.A.S.A) ivoirien, les
festivals
de Carthage, du Burkina Faso constituent des moments privilégiés de
promotion et de communion théâtrales. Des velléités encore timides sont notées au Sénégal avec le Festival
National des Arts et de la Culture (FESNAC) organisé annuellement, à tour de rôle, dans les différents
départements du pays, le Festival du Rire de Kaolack, de Thiès, le Fest’Art dans la banlieue dakaroise,
initié par l’ancien élève de l’Institut des Arts, l’ex pensionnaire de la troupe des Gueules Tapées, le
comédien, feu Macodou MBENGUE. Toutes ces grandes rencontres de l’Art, doivent être mieux soutenues
241
GAHOU, Michel, comédien ivoirien. « Ce qui est arrivé à Marie-Laure est un mal qui nous ronge » in Interview site :
www.senxibar.com/Gohou-Michel-comédien-ivoirien.
211
Ibrahima BA
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par l’Etat et bénéficier d’une ouverture internationale qui leur confère davantage de l’envergure et de la
crédibilité.
CONCLUSION
En somme, le théâtre d’expression française, bien des décennies après les indépendances, fut d’un apport
considérable dans la réhabilitation fondamentale du patrimoine moral et culturel sénégalais. Mieux, dans la
situation nationale du plurilinguisme, il a efficacement servi à cimenter l’unité politique et à sceller le pacte
d’alliance et de coexistence pacifique entre les diverses communautés ethniques du pays. Dès lors, la survie
et le développement de ce théâtre, reste une préoccupation dont l’enjeu dépasse de loin les questions
spécifiques de l’art pour plonger au cœur de la problématique des stratégies de la didactique du français
dans notre système d’enseignement. Certes, le passif est lourd et les entraves, par moments, tenaces, mais
la renaissance du théâtre sénégalais de langue française n’est pas une entreprise impossible. Cependant,
faudrait-il mobiliser les acteurs et mettre en synergie toutes les initiatives novatrices, fédérer tous les projets
de relance de cet art pour tenter de remettre sur la sellette le théâtre sénégalais de langue française.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
KANE, Thierno Bocar. (2015). « Interview » réalisée par moi-même, l’auteur de l’article, au domicile de
l’ancien vice président du Nouveau Toucan, à Rufisque, Kounoune.
MBAYE, Alioune. (2006). Le théâtre des centres culturels en AOF : 1948-1958, Du casque colonial au
béret tropical . In Ethiopiques, n° 76.
TRAORE, Bakary. (1971). Le théâtre africain de l’Ecole William PONTY . In Actes du colloque sur le théâtre
négro-africain, Abidjan, du 15 au 29 avril 1970, Paris, Présence Africaine.
Webographie
GAHOU, Michel, comédien ivoirien. Ce qui est arrivé à Marie-Laure est un mal qui nous ronge. In Interview
site : www.senxibar.com/Gohou-Michel-comédien-ivoirien.
NDAO, Omar. Le théâtre privé au Sénégal. par NDAO, professeur de lettres à l’université Cheikh Anta
DIOP de Dakar, liens : festart.over-blog com/article-21185531html
212
Philippe Abraham Birane TINE
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le
Philoctète de Sophocle
Résumé :
L’innocence de Néoptolème dans Philoctète de Sophocle est preuve de son jeune âge et de son manque
d’expérience par rapport aux autres protagonistes de la pièce, Philoctète et Ulysse. Le vocabulaire utilisé
pour l’interpeler montre suffisamment qu’il est considéré comme un enfant. Eprouvé par le choix que lui
impose la mission
délicate de conduire Philoctète à Troie, il garde sa liberté d’enfant et sa fidélité à
certaines valeurs qu’il a héritées de son père et qui s’opposent à celles prônées par Ulysse. A travers sa
personnalité, se dégagent des figures qui s’adaptent for bien à l’enfance.
Mots-clés : Enfance – innocence – tragédie – faute – valeurs.
Astract:
The innocence of Néoptoleme in Philoctetes of Sophocles is proof of its young age and its lack of experience
compared with the other protagonists of the play, Philoctetes and the Ulysses. The vocabulary used for
interpeler him shows enough that he is considered as a child. Proven by the choice imposed to him by the
delicate mission to return Philoctetes in Troy, he keeps his child's freedom and his loyalty for certain values
as he inherited from his father and which oppose those advocated by Ulysses. Through his personality, we
can identify some faces which adapt themselves to the childhood.
Keywords: Childhood - innocence – tragedy – fault - values.
213
Liens Nouvelle Série
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le Philoctète de Sophocle
INTRODUCTION
Sophocle, dans sa pièce Philoctète, ne précise pas l’âge de Néoptolème. Toutefois, les indications qui
transparaissent du vocabulaire qu’il emploie et l’étude de la psychologie des personnages qu’il met en
scène, peuvent nous permettre de le classer dans la catégorie d’âge qui cadre avec l’initiation à la vie. En
242
tout état de cause, l’étymologie de son nom , en suggérant un état juvénile, lui font revêtir les habits de
l’innocence qui sont par excellence ceux de l’enfance. L’adolescent qu’il est dans cette tragédie de Sophocle
se retranche volontiers sous les traits de l’enfant qu’il n’a pas fini d’être aux yeux de Philoctète et d’Ulysse
au milieu desquels il se trouve écarteler entre deux pôles : celui de l’affect et celui du devoir. La
compréhension du rapport entre ces deux pôles est d’une extrême importance dans la lecture du jeu
dramatique et de l’enjeu existentiel que propose Sophocle à travers la personnalité de Néoptolème.
Dans cet article, nous tenterons, après avoir rappelé le sort des enfants dans l’épopée et dans la
tragédie en général, de faire ressortir les figures de l’enfance et de l’innocence chez Néoptolème à travers
les notions de faute et de valeurs mais aussi à travers le vocabulaire que propose Sophocle.
I-
Le sort de l’enfant dans l’épopée et la tragédie grecques :
La condition de Néoptolème éprouvé peut nous servir de guide et nous introduire dans l’univers de
l’enfance dans la société grecque, univers particulièrement marqué par l’impuissance et la vulnérabilité.
L’enfant s’y présente de fait comme le maillon le plus faible de toute la chaîne humaine. Son dénuement, dû
à sa position sur cette chaîne, l’expose sans répits à toute sorte de dangers et fait de lui l’expression la plus
vivante et la plus éloquente de la fragilité de l’homme. Nadine Le Meur dans son article « Les enfants dans
l’Iliade »
243
pointe cette évidence qui apparaît, en toile de fonds, dans l’épopée :
« La mention des enfants dans le poème (l’Iliade) sert une stratégie poétique visant à souligner le
coût humain de la guerre héroïque, dont l'œuvre chante cependant la gloire, et à illustrer le caractère
profondément tragique de la condition humaine. »
L’exemple du petit Astyanax, devenu orphelin après la mort de son père Hector, est assez représentatif de la
condition de l’enfant dans l’épopée. Ces mots de sa mère Andromaque éplorée décrivent à suffisance son
sort :
« Et maintenant, c'est vers la demeure d'Hadès, dans les profondeurs de la terre, que tu t'en
vas et tu me laisses dans un deuil affreux, veuve en ta maison. Et c'est un bébé encore, l'enfant
que nous avons mis au monde, toi et moi, malheureux ! Tu ne seras pas pour lui un soutien,
Hector, maintenant que tu es mort, ni lui n'en sera un pour toi. S'il échappe à la guerre, source
de pleurs, que nous font les Achéens, l'avenir pour lui ne sera que peine et chagrin ; d'autres lui
enlèveront ses champs. Le jour qui rend un enfant orphelin le prive de tous ses camarades.
Devant tous, il baisse la tête ; ses joues sont pleines de larmes. Pressé par le besoin, l'enfant
242
Néoptolème en grec Νεοπτόλεμος / Neoptólemos signifie « jeune guerrier ».
Le Meur Nadine, « Les enfants dans l’Iliade» in, Reconstruire Troie. Permanence et renaissances d'une cité
emblématique, Besançon, Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité, 2009, p. 41. (Collection « ISTA », 1147).
243
214
Philippe Abraham Birane TINE
N° 20
Décembre
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se tourne implorant vers les amis de son père, tirant l'un par son manteau, l'autre par sa
tunique. Parmi ceux qui ont pitié de lui, l'un lui donne à boire dans une petite coupe ; il y mouille
ses lèvres, mais n'y mouille pas son palais ! Et celui qui grandit entre père et mère le chasse du
festin, le frappant de ses mains et l'insultant de ses sarcasmes : « Va-t’en, et sans faire de
façons : ton père ne partage pas le festin avec nous ». Et, en pleurs, l'enfant se tourne vers une
mère veuve, cet Astyanax qui, auparavant, sur les genoux de son père, ne mangeait que
moelle et riche graisse de mouton ; puis, quand le sommeil le prenait, qu'il avait fini de
s'amuser, il dormait dans un lit, aux bras de sa nourrice, sur une couche molle, le cœur rassasié
de plaisirs. Maintenant, au contraire, ce sont de nombreuses souffrances que va connaître,
privé de son cher père, Astyanax, comme le surnomment les Troyens, car toi seul protégeais
244
leurs portes et leurs longues murailles ! »
A travers cette longue et pathétique complainte se dégage un mouvement de dépréciation qui
conduit l’enfant vers un horizon de dépouillement
245
246
relationnel, affectif, matériel, etc. La conjonction ἤν ,
contraction de εί ἄν exprimant l’hypothèse ou la condition, montre clairement ici que la mort, bien que
redoutée, serait plus avantageuse que la survie après la guerre avec son lot d’infortunes : «(…) l'avenir
247
pour lui ne sera que peine et chagrin » .
Par ailleurs, le sort des enfants dans l’épopée grecque est comparable à celui des enfants dans la
tragédie. Mais dans cette dernière, L’enfance
nous semble plus éprouvée tant du point de vue de la
floraison des exemples que du point de vue de la nature et du fondement de la souffrance. On y retrouve
des enfants non-désirés et qu’on cherche à tuer par tous les moyens. A ce propos, l’histoire d’Œdipe est
devenue une référence grâce à la pièce de Sophocle intitulé Œdipe-roi. En définitive, Œdipe échappe à la
mort mais, après avoir commis malgré lui le double crime du parricide et de l’inceste, il regrette d’avoir été
sauvé. On y trouve aussi des enfants chéris mais tués pour venger une trahison ou par folie. Dans Médée
d’Euripide, Médée tue ses enfants en représailles à Jason qui s’est décidé à épouser Glauké, fille de Créon.
La démesure de sa vengeance peut se lire à travers ses mots : « Mourez, enfants maudits d'une mère
haineuse, et votre père avec ! Que toute la maison s'anéantisse ! », ou encore « Je vais assassiner les
244
(...) νῦν δὲ σὺ μὲν Ἀΐδαο δόμους ὑπὸ κεύθεσι γαίης ἔρχεαι, αὐτὰρ ἐμὲ στυγερῷ ἐνὶ πένθεϊ λείπεις χήρην ἐν
μεγάροισι: πάϊς δ᾽ ἔτι νήπιος αὔτως, ὃν τέκομεν σύ τ᾽ ἐγώ τε δυσάμμοροι: οὔτε σὺ τούτῳ ἔσσεαι Ἕκτορ ὄνειαρ ἐπεὶ
θάνες, οὔτε σοὶ οὗτος. ἤν περ γὰρ πόλεμόν γε φύγῃ πολύδακρυν Ἀχαιῶν, αἰεί τοι τούτῳ γε πόνος καὶ κήδε᾽ ὀπίσσω
ἔσσοντ᾽: ἄλλοι γάρ οἱ ἀπουρίσσουσιν ἀρούρας.ἦμαρ δ᾽ ὀρφανικὸν παναφήλικα παῖδα τίθησι: πάντα δ᾽ ὑπεμνήμυκε,
δεδάκρυνται δὲ παρειαί, δευόμενος δέ τ᾽ ἄνεισι πάϊς ἐς πατρὸς ἑταίρους, ἄλλον μὲν χλαίνης ἐρύων, ἄλλον δὲ
χιτῶνος:
τῶν δ᾽ ἐλεησάντων κοτύλην τις τυτθὸν ἐπέσχε: χείλεα μέν τ᾽ ἐδίην᾽, ὑπερῴην δ᾽ οὐκ ἐδίηνε. τὸν δὲ καὶ ἀμφιθαλὴς ἐκ
δαιτύος ἐστυφέλιξε χερσὶν πεπλήγων καὶ ὀνειδείοισιν ἐνίσσων, ἔρρ᾽ οὕτως: οὐ σός γε πατὴρ μεταδαίνυται ἡμῖν.
δακρυόεις δέ τ᾽ ἄνεισι πάϊς ἐς μητέρα χήρην Ἀστυάναξ, ὃς πρὶν μὲν ἑοῦ ἐπὶ γούνασι πατρὸς μυελὸν οἶον ἔδεσκε καὶ
οἰῶν πίονα δημόν: αὐτὰρ ὅθ᾽ ὕπνος ἕλοι, παύσαιτό τε νηπιαχεύων, εὕδεσκ᾽ ἐν λέκτροισιν ἐν ἀγκαλίδεσσι τιθήνης
εὐνῇ ἔνι μαλακῇ θαλέων ἐμπλησάμενος κῆρ: νῦν δ᾽ ἂν πολλὰ πάθῃσι φίλου ἀπὸ πατρὸς ἁμαρτὼν Ἀστυάναξ, ὃν
Τρῶες ἐπίκλησιν καλέουσιν: οἶος γάρ σφιν ἔρυσο πύλας καὶ τείχεα μακρά. (XXII, 482- 507)
245
Il est intéressant de noter la charge dégradante que suggère la presque totalité des verbes contenus dans ce
passage. A titre d’exemple : ἀπουρίσσουσιν, enlèveront (les champs), Futur de ἀπουρίζω, déplacer les bornes (d’un
champ), empiéter sur, usurper ; ἐστυφέλιξε (ἐκ δαιτύος) le chasse du repas, aor. de στυφελίζω, frapper fortement,
renverser, chasser ; πεπλήγων (χερσὶν) le frappant de ses mains, participe parf. de πλήσσω, frapper, heurter.
246
Iliade, XXII, 487.
247
Ibid., 488.
215
Liens Nouvelle Série
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le Philoctète de Sophocle
enfants que j'ai faits. Aucun être au monde ne pourra les sauver ». Une telle cruauté
248
rappelle bien
celle contenue dans une autre pièce d’Euripide, Héraclès furieux. Héraclès pris de folie, tue ses enfants.
Il apparaît donc que dans la tragédie les enfants sont exposés à subir toute sorte d’épreuve. Leur
sort est d’autant plus à plaindre qu’ils sont le plus clair du temps condamnés à payer
249
les errements de
leurs parents directs voire de leurs ancêtres. Le sort de Néoptolème dans la tragédie de Sophocle, bien que
lié à celui de son père Achille, présente un autre profil d’enfant. Son âge plus avancé lui confère les facultés
de parler, d’épancher ses sentiments, ce qui lui permet d’exprimer la vérité de son état. Un rapide survol du
Philoctète de Sophocle peut nous aider à fixer le cadre de la scène.
250
Philoctète, blessé au pied , est abandonné par ses compagnons sur l’île déserte de Lemnos alors
251
qu’ils se rendaient à Troie. Dix ans plus tard, Ulysse, accompagné de Néoptoléme , revient à Lemnos pour
s’emparer de Philoctète et le conduire à Troie par la ruse. Ulysse ne voulant pas se faire reconnaître par
Philoctète explique à Néoptolème les enjeux de leur mission. Ce dernier, se fait passer pour un ennemi des
Grecs ; il réussit à gagner la confiance et la sympathie de Philoctète qui espère enfin quitter cette île grâce
au concours de Néoptolème. Sa confiance est telle qu’il lui confie même ce qu’il a de plus cher, les armes
d’Héraclès dont il a hérité et qui ont assuré jusque-là sa survie. Sur le point d’embarquer, Néoptolème est
pris de remords ; malgré les sérieuses menaces d’Ulysse, il tient à lui révéler la vérité et à lui remettre l’arc.
La vérité est que sa présence auprès des Grecs est indispensable pour la victoire finale sur Troie.
Néoptolème compte sur son consentement éclairé mais Philoctète ne veut rien comprendre. En fin de
compte, c’est grâce à l’intervention d’un deus ex machina, en la personne d’Héraclès apparaissant dans le
ciel et l’invitant à céder à la nécessité, qu’il accepte de les suivre.
A travers les paroles et les actes de Néoptolème, il nous semble pouvoir déceler quelques traces de
l’enfance.
II-
De l’innocence à la vie adulte
L’innocence de Néoptolème s’exprime à travers son manque d’expérience qui est révélateur de son degré
de maturité. Ulysse le lui rappelle en ces termes : « Ah ! Fils d’un noble père, moi aussi quand j’étais jeune,
248
La tragédie de Sénèque intitulé Thyeste donne aussi une idée de la cruauté dont ont été victimes les enfants. En effet, pour se
venger de son frère Thyeste qui avait séduit sa femme Erope et avait l’ambition de s’emparer de son trône à Mycènes, Atrée lui prend
ses fils en otage, les immole sur les autels, les fait servir à table devant leur père, et lui donne même à boire de leur sang mêlé dans du
vin.
249
Nous avons traité cet aspect dans notre thèse intitulé « La problématique du destin dans la tragédie grecque » sous le sous-titre « La
faute héréditaire », p. 254.
250
Néoptolème nous apprend l’origine du mal dont souffre Philoctète : « Apprends ceci et inscris-le bien au fond de ton cœur. Le mal
dont tu souffres t’est venu des dieux, pour avoir approché le gardien de Chrysé, le serpent qui, dans l’ombre, veille à demeure sur son
pourpris sans toit… » v. 1325 ssq.
251
Néoptolème ne faisait pas partie de cette expédition parce qu’il était tout petit enfant. C’est à la mort de son père Achille qu’il est
appelé à Troie pour lui succéder.
216
Philippe Abraham Birane TINE
N° 20
Décembre
2015
J’avais la langue paresseuse, le bras toujours prêt à agir. Aujourd’hui, expérience faite, je vois que ce qui
mène tout, c’est la langue, et non les actes. »
252
Ἐσθλοῦ πατρὸς παῖ, καὐτὸς ὢν νέος ποτὲ
γλῶσσαν µὲν ἀργόν, χεῖρα δ' εἶχον ἐργάτιν·
νῦν δ' εἰς ἔλεγχον ἐξιὼν ὁρῶ βροτοῖς
τὴν γλῶσσαν, οὐχὶ τἄργα, πάνθ' ἡγουµένην.
Pour Ulysse, Néoptolème n’est rien d’autre qu’un enfant. Son inexpérience
253
lui rappelle son propre jeune
âge, ὢν νέος ποτέ, et qu’avec le temps (νῦν, maintenant) elle finit par se transformer en expérience (εἰς
ἔλεγχον ἐξιέναι, en venir à la preuve). En attendant que Néoptolème ne parvienne à la maturité comme lui,
Ulysse profite de son innocence. C’est ce que lui reproche Philoctète :
Ton cœur ne sent donc rien ni de sain ni de libre, que tu m’aies de la sorte joué une fois de
plus et pris dans tes rets, en te dissimulant derrière cet enfant, qui m’était inconnu, qui me
ressemble tant et si peu à toi, qui ne savais rien, lui que suivre sa consigne, et qui encore à
cette heure, montre assez qu’il s’afflige et des fautes qu’il a commises et des torts qu’il m’a
254
causés.
Ὦ µηδὲν ὑγιὲς µηδ' ἐλεύθερον φρονῶν,
οἷ' αὖ µ' ὑπῆλθες, ὥς µ' ἐθηράσω, λαβὼν
πρόβληµα σαυτοῦ παῖδα τόνδ' ἀγνῶτ' ἐµοί,
ἀνάξιον µὲν σοῦ, κατάξιον δ' ἐµοῦ,
ὃς οὐδὲν ᾔδει πλὴν τὸ προσταχθὲν ποεῖν,
δῆλος δὲ καὶ νῦν ἐστιν ἀλγεινῶς φέρων
οἷς τ' αὐτὸς ἐξήµαρτεν οἷς τ' ἐγὼ 'παθον.
Philoctète a ainsi compris le jeu d’Ulysse qui a fait de Néoptolème son bouclier (πρόβληµα) du fait
de son innocence (οὐδὲν ᾔδει, il ne savait rien). Cette ignorance, Philoctète en avait fait cas, quelques vers
plutôt : « Je paierai de mon sang le prix de leur sang, misérable que je suis ! Et cela, du fait d’un enfant qui
255
semble ignorer tout du mal » . D’ailleurs, il utilise, pour en rendre compte, le même verbe εἴδω
256
avec la
négation οὐδὲν. Le dialogue qu’il entretient avec Néoptolème, du vers 641 au vers 645, montre toute la
différence d’expérience entre eux :
Philoctète : Pour naviguer, le temps est toujours bon, quand on fuit devant le malheur.
Néoptolème : Mais non, le vent leur est contraire, à eux tout comme à nous.
Philoctète : Le vent n’est jamais contraire aux pirates, lorsqu’il y a pour eux à voler ou à piller.
Néoptolème : Tu le veux ? Partons donc…
N’ayant plus d’autres arguments, il se laisse convaincre. Son innocence et son manque d’expérience sont
dus à son jeune âge. Il revêt ici la figure de l’enfant,
252
Sophocle, Philoctète, v. 96-100.
Ulysse aux vers 50-53 lui donne des conseils tirés de son expérience : ta mission, fils d’Achille, exige du courage, et non pas du
courage physique seulement. Il se peut que tu entendes un propos tout nouveau pour toi. Tu dois t’y conformer : tu es en service.
253
254
255
256
Ibid., v. 1006- 1012.
Ibid., v. 959-960.
L’infinitif parfait εἰδέναι au vers 960 et le plus que parfait ᾔδει au vers 1010.
217
Liens Nouvelle Série
III-
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le Philoctète de Sophocle
La perception de la faute chez l’enfant
L’innocence de Néoptolème se note aussi dans sa perception de la faute. Dans la tragédie grecque,
la notion de faute
257
est difficile à cerner dans la mesure où elle se fonde sur un code que la seule raison
humaine ne peut comprendre. La prière d’Ulysse, aux vers 133 et 134, nous fait entrer dans ce mystère :
«Qu’Hermès, dieu de la ruse, qui est à nos côtés, nous serve de guide à tous deux, avec Athéna la Victoire,
protectrice de ma cité, qui partout est ma sauvegarde. »
Ἑρµῆς δ' ὁ πέµπων ∆όλιος ἡγήσαιτο νῷν
Νίκη τ' Ἀθάνα Πολιάς, ἣ σῴζει µ' ἀεί.
Ces vers montrent clairement que la ruse, étant parrainée par la divinité, n’est plus considérée par
Ulysse
258
comme un vice mais comme une vertu, une qualité, une intelligence, un don reçu des dieux.
Néoptolème n’est pas de cet avis puisque qu’il considère qu’user de ruse n’est rien d’autre que mentir. Au
début de la pièce, avant même de consentir à entrer dans le jeu d’Ulysse il s’indigne en ces termes : « Et tu
259
ne vois rien de honteux à user ainsi de mensonges ? » . La réponse d’Ulysse ne se fait pas attendre :
« certes non, quand mentir doit te sauver la vie. »
260
Cette discussion se poursuit vers la fin de la pièce après que Néoptolème a presque réussi son
stratagème.
261
Néoptolème : Λύσων ὅσ' ἐξήµαρτον ἐν τῷ πρὶν χρόνῳ. (1224)
Je m’en vais réparer la faute que j’ai faite.
Ulysse : ∆εινόν γε φωνεῖς· ἡ δ' ἁµαρτία τίς ἦν; (1225)
Oh ! L’étrange propos. Et quelle est cette faute ?
Néoptolème : Ἣν σοὶ πιθόµενος τῷ τε σύµπαντι στρατῷ(1226)
de t’avoir obéi, à toi et à l’armée.
Ulysse : Ἔπραξας ἔργον ποῖον ὧν οὔ σοι πρέπον;(1227)
Et qu’as-tu donc fait là que tu ne dusses faire ?
Néoptolème : Ἀπάταισιν αἰσχραῖς ἄνδρα καὶ δόλοις ἑλών. (1228)
J’ai triomphé par ruse et fourberie infâmes.
Ici, il apparaît clairement que ce qui est faute pour Néoptolème ne l’est pas pour Ulysse. La compréhension
de la notion d’ἁµαρτία (faute) les divise. Tandis que l’innocence de Néoptolème le rend enclin au remords et
à la réparation - Je m’en vais réparer la faute que j’ai faite -, la maturité d’Ulysse lui commande de relativiser
257
L’ouvrage de Suzanne SAÏD, La faute tragique, Librairie François Maspero, Paris, 1978, revient largement sur la notion de faute
dans la tragédie.
258
L’Ulysse de Sophocle incarne ainsi un sophiste politique de la fin de la guerre du Péloponnèse qui, à l’image par exemple
d’Alcibiade, est prêt à mettre de côté tout scrupule pour rétablir une situation militaire compromise, et fonde essentiellement son action
sur la ruse (dolos), tandis que Néoptolème est au début de la pièce un éphèbe qui se voudrait l’héritier de l’héroïsme incarné par son
père Achille, et souhaiterait privilégier les stratégies alternatives plus nobles que sont l’usage de la force physique (bia) ou de la
persuasion (peithô). Cf Guillaume NAVAUD : « Les ruses d’Ulysse sur la scène (Sophocle, Shakespeare, Heiner Müller) », in,
Comparatismes en Sorbonne 3-2012 : La Ruse en scène.
259
Sophocle, Philoctète, v.108.
260
Ibid., v. 109.
261
Aor. 2 de ἐξαµαρτάνω, s’écarter du but, manquer le but, commettre une faute…
218
Philippe Abraham Birane TINE
N° 20
Décembre
2015
et de considérer la situation du moment comme opportune - Et qu’as-tu donc fait là que tu ne dusses faire ?
262
Le différend entre ces deux héros ne porte pas sur la justesse
et la noblesse de leur mission mais sur les
moyens utilisés pour la mener à bien. Ce différend avec Ulysse se double d’un tiraillement dans son for
intérieur qu’il exprime dans cette supplique aux vers 907-908 : « O Zeus, que dois-je faire ? Dois-je être pris
en faute une seconde fois, en sachant ce qu’il ne faut pas et en tenant un langage d’infâme ? Il est ainsi
partagé entre le devoir de vérité et celui de loyauté. Ne voulant pas entacher son innocence, il va même
jusqu’à défier Ulysse :
Ulysse : Tu n’as d’adresse, toi, ni en mots ni en actes. (1245)
Néoptolème : L’honnêteté ici vaut bien mieux que l’adresse. (1246)
Néoptolème : J’ai commis une faute infâme : j’essaierai de la réparer (1249)
Ulysse : Et tu n’as pas peur, en faisant ainsi, de l’armée grecque ? (1250)
Néoptolème : Avec le droit pour moi, je n’ai pas peur de ton armée. (1251)
Néoptolème : Emploie même la force, j’entends ne pas y obéir. (1252)
Néoptolème : Advienne donc ce qui doit advenir (1254)
Rien ne lui fait peur, ni l’épreuve, ni même la mort, car les principes sur lesquels il fonde son action rejettent
le mensonge même s’il vise un bien supérieur. Un tel comportement peut être mis sur le compte de sa
naïveté d’enfant.
IV-
Quelques valeurs chères à l’enfance :
A travers quelques paroles nous décelons des valeurs de pureté qu’on pourrait associer à l’innocence de
l’enfance. Il s’agit entre autre de :
La franchise et la vérité : Néoptolème, en s’adressant à Philoctète en ces termes « Je ne te cacherai
263
rien » , ne fait que réaffirmer sa franchise à laquelle il tient comme à la prunelle de ses yeux.
La Justice et l’honnêteté : Dans sa supplication adressée à Néoptolème aux vers 475-476,
Philoctète semble connaître son interlocuteur quand il dit qu’ « aux âmes généreuses l’infamie fait horreur,
la vertu seule est leur gloire. » Néoptolème en est convaincu comme en témoigne la réplique qu’il adresse à
Ulysse au vers 1246 : « L’honnêteté ici vaut bien mieux que l’adresse. »
264
La fidélité : Néoptolème rassure Philoctète en lui disant : « ne crains pas, tu as ma promesse » , ou encore
265
« je suis ton ami, je parle comme tel»
La confiance : la sincérité immanente de Néoptolème cherche un allié à travers la confiance qu’il espère de
Philoctète : « Ton langage est très raisonnable. Je voudrais, malgré tout, te voir assez de confiance dans les
dieux et dans ma parole pour suivre l’ami que tu as en moi et t’éloigner de ces bords avec lui. »
262
266
Néoptolème : « Impossible. Il me faut obéir aux pouvoirs établis. Justice et intérêt ensemble le demandent. » V. 925-926.
263
V.915.
V. 122.
265
V.1385.
266
V. 1373-1375.
264
219
Liens Nouvelle Série
V-
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le Philoctète de Sophocle
Les mots de l’enfance :
1- Les mots παῖς (païs) et τέκνον (teknonn)
Dans cette pièce de Sophocle une grande partie des interpellations adressées à Néoptolème sont
associées aux mots παῖς et τέκνον. Selon le Grand Bailly, παῖς signifie enfant avec idée de parenté (fils ou
fille) ou enfant, avec idée d’âge, jeune garçon, petite fille. Τέκνον peut signifier aussi enfant (fils ou fille). En
parcourant le texte de Sophocle, on est frappé par la forte présence de ces deux mots. Le mot παῖς revient
46 fois et le mot Τέκνον, 44 fois. Le tableau ci-après présente les vers dans lesquels ils sont employés.
παῖς, παιδός (ὁ)
4, 50, 57, 87, 96, 201, 240, 242, 263, 266, 271, 315, 329, 372, 478, 533, 542
570, 578, 589, 592, 620, 628, 679, 702, 719, 746, 750, 753, 776, 782, 804,
863, 869, 889, 896,940, 967, 981, 1008, 1072, 1237, 1261, 1286, 1298,
1410.
Τέκνον, ου (τό)
130, 141, 210, 249, 260, 276, 284, 300, 307, 318, 327, 337, 461, 466, 468,
484, 635, 658, 662, 733, 742, 745, 745, 747, 753, 799, 805, 807, 811, 833,
843, 855, 875, 878, 879, 898, 914, 932, 1295, 1301, 1310, 1367, 1399, 1433.
Cette forte occurrence ne peut se comprendre que dans un environnement où est effectivement présent
un enfant. L’utilisation de ces deux mots s’accompagne le plus clair du temps de beaucoup d’émotion et
d’affection « ô mon enfant », « mon fils chéri ». Le cas vocatif est le plus souvent employé. Il suggère une
certaine intimité entre les interlocuteurs, et dans cette pièce, exprime une parenté envisageable entre eux.
Même s’il est certain que cette parenté n’est pas établie par les liens de sang, elle peut s’entrevoir du fait
que Néoptolème, fils d’Achille tombé à Troie, est reconnue comme faisant partie d’une famille humaine plus
large dans laquelle sa contribution est attendue.
2- Être « fils de …» : un héritage à enjeux multiples
Rappeler le « sang » de Néoptolème, comme nous pouvons le constater, n’est pas anodin. La grande et
belle réputation laissée par son père se déteint dans sa conduite. On pourrait dire justement qu’ « un bon
arbre ne peut donner que de bons fruits. » Ulysse n’en doute pas un instant, dès le début de la pièce : « Je
sais, et fort bien, que ton sang ne te dispose guère à parler ce langage, pas plus qu’à tendre des
pièges Nous ferons montre d’honnêteté plus tard. Cette fois, prête-toi à moi pour un court instant – un jour
au plus – d’effronterie. Après quoi tout le reste de ta vie, tu pourras te faire appeler le plus scrupuleux des
267
mortels.»
La clarté de la réplique que lui adresse Néoptolème mérite qu’on la mentionne : « Pour moi, fils
de Laërte, les mots qu’il me coûte d’entendre, je répugne à les mettre en actes. Je ne suis pas fait, moi,
pour agir en usant de vilains artifices ; et mon père, dit-on, ne l’était pas non plus. Je suis prêt en revanche à
268
emmener notre homme en employant la force, non la ruse. »
267
V. 79-85. Quelques vers plus loin Ulysse redit son admiration : « Ah ! fils d’un noble père » v.96.
268
V. 86-91.
220
Philippe Abraham Birane TINE
N° 20
Décembre
2015
Ἐγὼ µὲν οὓς ἂν τῶν λόγων ἀλγῶ κλύων,
Λαερτίου παῖ, τούσδε καὶ πράσσειν στυγῶ·
ἔφυν γὰρ οὐδὲν ἐκ τέχνης πράσσειν κακῆς,
οὔτ' αὐτὸς οὔθ', ὥς φασιν, οὑκφύσας ἐµέ.
Ἀλλ' εἴµ' ἕτοιµος πρὸς βίαν τὸν ἄνδρ' ἄγειν
καὶ µὴ δόλοισιν·
Le verbe ἔφυν au vers 88 (Je ne suis pas fait, moi, pour agir en usant de vilains artifices), aoriste 2
moyen passif de φύω (être né), mis en rapport avec l’infinitif πράσσειν (achever, exécuter, accomplir), lui
permet d’écarter, de façon péremptoire, tout autre chemin qu’on voudrait lui faire prendre. Il exprime toute
sa fierté à l’égard de son géniteur : « On me nomme Néoptolème, fils d’Achille. »
269
Le nom qu’il porte le
condamne à perpétuer la mémoire de celui qui le lui a donné. Il en est tellement conscient qu’il considère le
gain mal acquis comme une forfaiture : « J’ai peur de me faire traiter de félon. Mais malgré tout, prince,
j’aimerai mieux encore échouer pour avoir agi loyalement que triompher par une vilenie. »
270
Plus loin, aux
vers 902-903, il réaffirme sa conviction : « Tout est l’objet de répugnance à qui, oubliant sa propre nature,
adopte une conduite qui ne lui convient pas. » Philoctète dont le destin
271
est lié à celui de Néoptolème finit
par reconnaître en lui le véritable fils d’Achille : « J’en conviens, enfant, tu nous as prouvé le sang dont tu
272
sors. »
CONCLUSION
Face à Philoctète mais surtout à Ulysse se dresse de façon claire l’enfant Néoptolème qui, à travers
son innocence, permet de dessiner quelques figures dont pourrait se revêtir l’enfance. La pureté de sa
pensée le conduit à être sensible à la faute et à être prompt à la réparer. Les vertus telles que la justice,
l’honnêteté, la fidélité, la confiance lui sont tellement chères qu’il est prêt à les défendre au prix de sa vie.
Toutes les appellations affectives relatives à l’enfant qu’il reçoit d’Ulysse et de Philoctète mettent en exergue
une naïveté enfantine qu’il n’est pas prêt à céder.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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les Troyennes d’Euripide , in, Revue des Études Grecques, tome 123, fascicule 1, pp. 29-49.
, Bergin, H., Duclo, G., (1966). Euripide: Théâtre complet 3, Les Bacchantes, Alkestis, Héraclès furieux, les
Phéniciennes, traduction, introduction et notes. Paris, Garnier Flammarion.
Navaud, G. (…). Les ruses d’Ulysse sur la scène (Sophocle, Shakespeare, Heiner Müller). In,
Comparatismes en Sorbonne 3-2012 : La Ruse en scène.
269
270
V. 240-241.
V.93-95.
271
Héraclès explique ce qui les lie : « …Et à toi aussi, fils d’Achille, j’adresse les mêmes conseils. Tu ne peux sans lui conquérir la
plaine troyenne, et il ne le peut, lui, sans toi. Comme deux lions marchant de conserve, veillez donc tous deux, lui sur toi, toi sur lui. » v.
1433-1437. Nous pouvons les considérer comme des « Jumeaux du destin ». Par ailleurs, ils ont chacun une histoire d’armes ; pour
Philoctète, il s’agit des armes d’Héraclès et pour Néoptolème il s’agit des armes d’Achille dont il devait hériter et qui ont été finalement
remises à Ulysse qui s’en justifie aux vers 372-373 : « Mais oui, enfant, ils me les ont données, et à fort juste titre : c’est moi qui étais là
et qui les ai sauvées, tout comme son corps ».
272
V. 1310-1311.
221
Liens Nouvelle Série
Néoptolème ou les figures de l’enfance éprouvée dans le Philoctète de Sophocle
Le Meur, N. (2009). Les enfants dans l’Iliade. In, Reconstruire Troie. Permanence et renaissances d'une cité
emblématique. Besançon : Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité, pp. 41-72. (Collection « ISTA
», 1147)
SAÏD, S. (1978). La faute tragique., Paris : François Maspero. Sénèque, Thyeste, Traduction nouvelle par
M. E. Geslou, Tome premier, Paris, C.L.F. Panckoucke.
DAIN , Al. , MAZON, P , ,(1989)..Sophocle, tome II : Ajax, Œdipe-Roi, Electre, revu et corrigé par Jean
Irigoin. Paris :les Belles Lettres. 7e tirage
DAIN , Al. , MAZON, P , (1960). Sophocle, tome III, : Philoctète, Œdipe à Colone. Paris : les Belles Lettres.
TINE, Ph. Ab. B. (2010). La problématique du destin dans la tragédie grecque. Université Cheikh Anta DIOP
de Dakar. Thèse de doctorat
VIDAL,N. P. , (1972) . Le Philoctète de Sophocle et l’éphébie .In P. Vidal-Naquet et J.-P. Vernant, Mythe et
tragédie en Grèce ancienne I, Paris : Maspéro, La Découverte, (2001).
222
Mouhamadoun SECK
Stratégies d’enseignement-apprentissage mises en jeu lors
d’une séance de travaux pratiques en classe de première
scientifique
Résumé
Cet article propose une méthodologie exhaustive d’analyse des pratiques de classe. Elle repose sur une
hypothèse forte : l’analyse de pratique de classe, pour être objective, devrait s’appuyer sur l’intégration des
technologies de l’information et de la Culture (TIC) dans le champ de la formation. Des outils comme la
vidéo, le logiciel d’analyse qualitative (Transana) et les tableurs (Excel ou autres) sont utilisés pour confirmer
l’hypothèse. Le prétexte est l’analyse, du point de vue de la didactique des sciences, d’une classe de
première scientifique. Un modèle hybride Bloom/Vygotski sert de fil conducteur à cette analyse. Il est
comparé à un autre modèle, celui des deux mondes (Tiberghien et al., 2005), utilisé lors de nos travaux de
thèse (Seck, 2007). Le résultat obtenu lors de l’analyse des pratiques enseignantes dans cette classe
confirme l’hypothèse avancée par Laland et Cantin (2015) : l’apprentissage idéal n’est pas forcément
identique à l’apprentissage ciblé.
Mots clés : Apprentissage idéal, apprentissage ciblé, phase pédagogique, organisation de la classe, pratique
de classe
Introduction
Le système éducatif sénégalais est confronté, en ce moment (2005), à un problème d’efficacité interne. Que
l’on se trouve à l’élémentaire, au moyen, secondaire ou au supérieur, la qualité de l’enseignementapprentissage est décriée par tous les acteurs (des parents aux futurs employeurs en passant par les
autorités académiques) de la société. Pour remettre cette qualité sur la bonne voie, les stratégies
d’enseignement et d’apprentissage en classe doivent être analysées. Il faut aller au-delà de l’application de
questionnaires aux acteurs directs (enseignants et apprenants). Les stratégies qu’il faut expérimenter
doivent aussi se doter d’outils modernes d’analyse qui permettent de recenser les bonnes pratiques tout en
proposant des méthodes de remédiation à celle considérées comme mauvaises. Enfin ces stratégies
peuvent êtres des axes de réflexion qui donneront une valeur ajoutée au développement professionnel des
futurs enseignants. Cet article tente de proposer une méthodologie d’analyse de pratique de classe qui
273
pourrait révéler ce que les auteurs de OPERA (2015) appellent « pratiques constatées ou effectives, p.
50 »
I. L’orientation choisie pour analyser une pratique de classe
L’analyse des pratiques de classe peut revêtir plusieurs aspects. Certains auteurs privilégient l’application de
grilles d’observation papier-crayon, d’autres utilisent la vidéo couplée avec une grille d’observation qui leur
permet de visionner plusieurs fois une même séance. Cet avantage permet aux acteurs de se conformer aux
ème
exigences du 21
siècle : le numérique qui est en train d’envahir tous les foyers.
Nous sommes convaincu maintenant que l’objectivité d’une analyse de pratiques de classe pourrait se
retrouver dans l’utilisation de la vidéo et d’un logiciel d’analyse qualitative/quantitative (TRANSANA) qui peut
intégrer les items d’une grille d’observation de classe (Seck, 2007 ; Ndour 2014, OPERA, 2015). Cette
orientation vers le numérique, la vidéo et un logiciel d’analyse couplé à une grille d’observation, permet au
professionnel des centres de formation des enseignants de dématérialiser le portfolio et d’introduire le eporfolio qui rend compte des traces de productions faites par l’élève-enseignant au cours de sa formation.
Pour notre analyse nous nous situons dans la perspective Vygotskienne (1985), avec un focus sur la ZPD
qui est un complément du courant piagétien (1975) où l’équilibration majorante retient notre attention. Le
modèle de la relation « Monde des objets-événement (MOE) et Monde de la théorie et des Modèles (MTM) »
273
Observatoire des Pratiques Enseignantes dans leur Rapport avec les Apprentissages des élèves
223
N° 20
Mouhamadoune SECK
Décembre
2015
initié depuis 2005 par l’équipe de Tiberghien permet de mettre en œuvre cette perspective Vygotskienne
dans une classe de première scientifique.
Le modèle hybride Bloom/Vygotski (fusion de la taxonomie de Bloom avec le modèle de la Zone Proximale
de développement, ZPD) proposé par Lalande et Cantin (2015) sera notre fil conducteur dans l’analyse et
nous nous proposons d’étudier la relation qui pourrait exister
exister entre l’apprentissage ciblé et l’apprentissage
idéal. La question générale à laquelle nous tenterons de donner une possible piste de réponse est la
suivante : l’apprentissage idéal est-il
est il forcément identique à l’apprentissage ciblé dans une
activité d’enseignement-apprentissage
apprentissage ?
II. Clarification des concepts
Nous partons de la taxonomie (ou taxinomie) initiale (Bloom, 1956) qui consiste à « classer les opérations
intellectuelles mobilisées au cours de l'apprentissage, de la plus simple (bas de la pyramide : bas de Bloom)
à la plus complexe (haut de la pyramide : haut de Bloom). Il a été révisé, en 2001, par un de ses élèves
Kratwohl en compagnie de Anderson et autres pour donner une catégorisation peu constatée (Image 1)
Image 1.. Pyramide de Bloom (1956) et (source Téluq, 2015)
Le site de Téluq
274
Bloom révisé (2001)
note que :
«l'intérêt du travail de Bloom est qu'il propose une série de verbes qui décrivent les
comportements intellectuels de chaque étage de la pyramide. Ces verbes renvoient à des
observables et permettent par exemple aux pédagogues de rédiger des objectifs d'apprentissage
précis.
Les 6 niveaux de la pyramide de Bloom permettent à l'enseignant de mieux organiser la
progression de son cours, mais l'aident aussi à formuler des objectifs d'apprentissage précis. »
(Consulté en décembre 2015)
Nous voyons donc que les deux fonctions de la taxonomie de bloom sont : l’organisation de la progression
d’un cours et la formulation des objectifs d’apprentissage.
Lalande et Cantin (2015) ont proposé de fusionner ce modèle de Bloom à celui de Vygotski (Image 2).
274
www.teluq.ca
224
Liens Nouvelle Série
Stratégies d’enseignement-apprentissage mises en jeu lors d’une séance de travaux
pratiques en classe de première scientifique
Image 2. Modèle hybride Bloom et Vygotski (source YouTube, 2015)
Ces auteurs déclinent quatre (04) propositions que nous résumons ainsi
275
:
1. l’apprentissage se situe dans la zone proximale de développement (ZPD) ;
2. pour qu’il soit efficace, la mobilisation des ressources cognitives ne doit pas se situer au même
niveau que celui de l’apprentissage en question ;
3. l’apprentissage idéal n’est pas forcément identique à l’apprentissage ciblé ;
4. le temps d’apprentissage peut être prolongé si les moyens mis en œuvre, dans la ZDP, ne sont pas
maîtrisés par les élèves.
Ce modèle hybride est complété par Parraudeau (2014) dans son volet ZPD. Selon lui :
« Pour Vygotski (1985), la transmission sociale est la médiation indispensable à l’apprentissage.
Le concept de « zone de proche développement (ZPD) » renvoie à l’idée que l’élève, lorsqu’il est
accompagné par un pair ou par un adulte, peut être sollicité au-delà de son potentiel cognitif
exprimé. » (p. 24)
Le modèle hybride présenté par Lalande et al. (2015) équivaut au modèle de Tiberghien et al. initié
depuis 2005. Ce modèle a été le fil conducteur de l’écriture de notre thèse (Seck, 2007). Il met en
relation le monde des objets et événements (MOE) et le monde de la théorie et des modèles (MTM).
L’apprentissage consiste à la mise en relation entre les deux mondes dans les deux sens ou la mise
en relation de composantes à l’intérieur de chaque monde.
L’apprentissage ciblé n’est autre chose que la déclinaison des savoirs (dans un sens large) qu’il faut
atteindre dans le processus d’acquisition de connaissance avec des stratégies d’enseignement et
d’apprentissage appropriées : il est décliné à travers la formulation des objectifs d’apprentissage.
L’apprentissage idéal se résume à ce que les élèves veulent apprendre avec les stratégies qu’ils (ces
élèves) jugent appropriées et adaptées à leurs styles d’apprentissage.
III. Méthodologie
III. 1. Le corpus : une séance de TP filmée en classe de première scientifique
Le film qui sert de prétexte à cette analyse provient d’un corpus plus grand de huit films d’environ 1 heure de
temps chacun (Seck, 2007). Il a une durée de 1 heure 35 minutes, mais pour les besoins de cet article
l’analyse débute à 0 heures 19 minutes et 22 secondes et concerne la partie TP. La séance filmée est la
troisième d’une série de cinq concernant la séquence d’enseignement de l’énergie dans le programme
français qui était en cours en 2007.
275
C’est nous qui avons fait la transcription à partir de la vidéo sur You Tube
225
N° 20
Mouhamadoune SECK
Décembre
2015
276
L’enseignante, qui a accepté d’être filmée, participe aux activités du laboratoire ICAR de l’université Lyon
277
2 dans sa composante ADIS-COAST
COAST , elle officie dans un lycée public de la ville. Elle utilise dans ses
classes le modèle de l’énergie et la modélisation de l’enseignement-apprentissage
l’enseignement apprentissage en MOE-MTM.
MOE
Cette troisième séance est un travail pratique (TP) où la classe, d’un effectif de 32 élèves répartis en deux
groupes de 16 pour une durée de 1 heure 30 minutes. Ce qui donnera
donne à l’enseignante un volume horaire
d’enseignement de 3 heures.
La salle de travaux pratiques qui accueille les groupes d’élèves contient
co
des « paillasses amovibles » pour
une disposition contextuelle selon les types de séances de TP. Pour cette troisième séance la disposition est
donnée en annexe 1.
Deux caméras ont été utilisées pour le recueil des données vidéographiques, une centrée
cent
sur l’enseignante
et une autre centrée sur une « paillasse » d’un binôme choisi au hasard. Pour les besoins de cet article,
nous avons seulement représenté celle de l’enseignante que nous suivons tout au long de la séance de TP.
III. 2. Pourquoi utiliser
er le logiciel TRANSANA pour le traitement de la vidéo
Pour traiter ce film nous avons choisi le logiciel TRANSANA (Image 3), celui que nous avons utilisé lors de
l’élaboration de notre thèse de Doctorat (Seck, 2007). L’avantage de ce logiciel est qu’il lie
li à la fois la vidéo
(1) :
1. à une base de données qui se crée librement (2);
2. à un espace de transcription (3) qui est très facile à manipuler avec des balises temporelles et un
système de formatage simple ;
3. à un espace (4) réservé à la visualisation de la bande
b
audio ou des mots-clés
clés créés dans la base de
données (2).
Une autre série d’avantages liée à l’utilisation de ce logiciel est la suivante :
4. la création de clips, avec des durées variables, est facile ;
5. la création de catégories de mots-clés
mots
(endroit utilisé
tilisé pour la maquette de la grille d’observation) est
aussi facile ;
6. les données créées sont exportables dans d’autres applications (le souci de l’interopérabilité) ;
7. la création de graphiques modifiables selon le temps, la couleur, les mots-clés
mots clés ou les clips sont à la
portée de tout le monde.
Comme toute œuvre humaine, ce logiciel n’est pas parfait : un des inconvénients est que présentement,
présentement il
n’est plus libre d’accès car devenu commercial depuis un certain temps. Mais il reste toujours dans la
catégorie GPL.
276
UMR 5191 ICAR (Interactions, Corpus, Apprentissages, Représentations) : icar.univ-lyon2.fr
lyon2.fr
Equipe Apprentissage, discours, interactions, savoirs (ADIS)-Communication,
(ADIS) Communication, Apprentissage des Savoirs Scientifiques
et techniques (COAST)
277
226
Liens Nouvelle Série
Stratégies d’enseignement-apprentissage mises en jeu lors d’une séance de travaux
pratiques en classe de première scientifique
Image 3. TRANSANA, version 3.0
III. 3. Procédures de traitement des données vidéographiques
La première étape, dans le traitement de la vidéo, est de l’importer (clic sur l’icône « base de données » sur
« bibliothèques » dans la partie 2) dans l’interface. Si le format est adapté, elle est visualisée dans la partie 1
(Graphique 1).
La deuxième étape est la transcription des expressions, des gestes et autres dans la partie 3. La troisième
étape est la création des mots-clés (partie 2). La grille d’observation sera adaptée et logée dans cette partie.
En ce qui concerne cet article, le « sommaire des mots-clés » est la grille qui a permis d’analyser les
activités déroulées.
La quatrième étape est la création des différents clips (dans la partie 2, clic sur l’icône « Collection ») et
l’intégration des mots-clés y afférant pour afficher et télécharger les différents graphiques.
III. 4. L’exploitation qualitative et quantitative des données
L’exploitation qualitative consiste à utiliser les items de la grille d’observation (ici les mots-clés)
pour identifier et visualiser :
1. les sous-thèmes abordés durant les différentes activités ;
2. les éléments de savoir (ES) mis en jeu dans ces différents sous-thèmes ainsi que les inclusions
éventuelles ;
3. la chronologie des phases pédagogiques et des organisations et gestions de la classe ;
4. les différentes interactions entre les acteurs dans la salle de TP.
L’exploitation quantitative se fera avec un autre logiciel : dans cet article c’est Excel que nous utilisons.
III. 5. L’exportation des données de TRANSANA dans un autre tableur
La transcription, les graphiques représentant la chronologie des mots-clés, le sommaire des mots-clés, les
extraits des clips et leurs transcriptions sont tous exportés dans d’autres applications pour continuer
l’analyse.
L’exportation de tout ce qui est texte se fait en trois étapes :
1. une exportation en format .rtf ou .xml qui sont les formats des livrables ;
2. une transformation en d’autres formats plus familiers comme Word ou autres ;
3. une transformation en tableur de ces textes pour préparer l’exploitation quantitative.
Les graphiques sont visualisés et exploités directement.
IV. Mode opératoire pour l’obtention des données
Pour les besoins de cet article la procédure que nous adoptons est la suivante :
1. transcrire littéralement toute la partie concernant la mise en œuvre du thème à étudier ;
2. découper cette transcription en utilisant les balises temporelles et en regardant la vidéo sous
différents angles (thématique et sous-thématique, phase pédagogique, organisation de la classe et
interactions entre interlocuteurs durant les activités), ce qui nécessite plusieurs déroulements
(regards) du film ;
3. construire, dans la base de données, les différentes collections à partir des clips issus des différents
découpages et des catégories de mots-clés ;
4. exporter le « Rapport sur l’épisode », le traiter (nettoyage et changement de format) et le convertir
en tableur pour préparer l’analyse quantitative ;
5. exporter le graphique global « voir l’encodage des mots-clés » pour préparer les « sousgraphiques » selon les angles de vue (Graphique 2)
Ce que nous appelons « sous-graphiques » consiste à faire des agrandissements (zoom) en se focalisant
sur les limites temporelles selon les angles de vue : la durée d’un sous-thème, la durée d’une phase
pédagogique, la durée d’une interaction, etc. Ainsi nous élaborons :
227
N° 20
Mouhamadoune SECK
Décembre
2015
6. des « sous-graphiques » visualisant les différents sous-thèmes étudiés (lignes de mots-clés 02, 03,
04 et 05 des graphiques 2, 7, 8, 9 et 10) ;
7. des « sous-graphiques » visualisant chaque élément de savoir (ES) (lignes de mots-clés 08, 09, 10,
11, 12, 13, 14, 15 et 16 dans les mêmes graphiques).
Le couplage de ces « sous-graphiques » avec des extraits issus du tableur élaboré à partir du « Rapport sur
l’épisode » permet de sortir des livrables (tableaux, autres graphiques) qui servent d’illustrations durant les
analyses et interprétations dans cet article.
V. Analyse et interprétation des livrables de TRANSANA
Le graphique 1 est un livrable global visualisant tous les mots-clés ainsi que leurs apparitions
chronologiques durant toutes les activités étudiées.
Graphique 1. Graphique global visualisant les différents mots-clés et leur chronologie durant les activités
V.1. Description du graphique 1
Ce graphique 1 montre que quatre sous-thèmes ont été proposés par l’enseignante (mots-clés 02, 03, 04 et
05). Neuf éléments de savoir (ES) ont été aussi proposés, ils sont répartis comme suit :
• mots-clés 08, 09, 10, 11, 12 et 13 dans le sous-thème 01 ;
• mot-clé 14 dans le sous-thème 02 ;
• mot-clé 15 dans le sous-thème 03 ;
• mot-clé 16 dans le sous-thème 04.
Il faut remarquer que durant ces activités, il y a eu des inclusions d’éléments de savoirs (cf. mot-clé 20) :
c’est-à-dire des savoirs qui ne font pas partie du savoir en jeu.
L’intervention de l’enseignante pour la gestion de la classe est visualisée par le mot-clé 19.
Les différentes phases didactiques sont visualisées dans les lignes des mots-clés suivantes : 24, 25, 27 et
29.
L’organisation de la classe est visualisée dans les lignes des mots-clés suivantes : 31, 32 et 33.
Les différentes formes d’interactions sont visualisées dans les lignes des mots-clés suivantes : 35, 36, 37,
38 et 40.
Les lignes qui suivent permettront de rentrer à fond dans l’analyse et l’interprétation de cette description.
228
Liens Nouvelle Série
Stratégies d’enseignement-apprentissage mises en jeu lors d’une séance de travaux
pratiques en classe de première scientifique
V. 2. Interprétation didactique des mots-clés
L’enseignante et ses élèves abordent le thème sur le transfert d’énergie par travail mécanique et énergie
potentielle. Ce thème est subdivisé, dans cette séance, en quatre (04) sous-thèmes selon la chronogenèse
du savoir décrite au Tableau 1 ci-dessous.
Tableau 4.Synthèse de l’activité de TP
Thème
Sous-thème
Transfert
d’énergie
par travail
mécanique
et énergie
potentielle
Introduction thème.
Sous-thème 01. Grandeurs physiques qui influencent le travail mécanique
Sous-thème 02. Chaînes énergétiques
Sous-thème 03. Système isolé
Sous-thème 04. Grandeurs physiques qui influencent l’énergie potentielle
Clôture de la séance
Tableau 5. Chronogénèse du savoir
Les apprentissages ciblés sont claires et à chaque fois l’enseignante les rappelle même si, au début du
thème, elle a distribué des feuilles expliquant le travail à faire et les différentes questions à répondre (cf.
Annexe 2. Extraits 01, 02 et 03 issus du « Rapport sur l’épisode »).
Pour faciliter la tâche aux élèves, l’enseignante a subdivisé certains sous-thèmes en petits éléments de
savoir (ES, Graphique 1 et Tableau 2). L’analyse des sous-thèmes les révélera au moment venu.
Le Tableau 2 résume les différentes stratégies mises en œuvre par l’enseignante pour permettre à chaque
élève de construire sa connaissance selon l’apprentissage idéal choisi
229
N° 20
Mouhamadoune SECK
Décembre
2015
Tableau 6.Synthèse de l’activité de TP
Objet d’enseignement
Stratégies
Interpelle
l’enseignante
répond aux questions
Sous-thème (Sth)
Elément de savoir (ES)
d’enseignement-apprentissage
(0 :19 :22-0 :25 :54)
ES 01
Introduction de l’activité
Sth 01
ou
Elèves suivent les explications de
l’enseignante, essaient l’expérience
Répondent aux questions de
l’enseignante
Réalisent l’expérience, discutent entre
eux
Certains
élèves
l’enseignante
Org Classe : CE
Gestion Classe,
Pr-Cl
(0 :25 :54-0 :30 :22)
Réalisation activité (en groupe de 4)
Sth 01
Org Classe : Gr, M
interpellent
El (Ind)
Pr-Gr4, Pr-Cl, Pr-El, El-El
(0 :30 :22-0 :35 :57)
ES 01, ES 02, ES 03
Sth 01
Réalisation activité en binôme
Discutent entre eux, interpellent
l’enseignante de temps en temps
B1, B2, B4, B5, B6
Discutent entre quatre (04) élèves
Représentant Gr4 écrit au
tableau
les
expressions
retenues
Elèves suivent les explications de
l’enseignante
Répondent aux questions de
l’enseignante
Discutent entre eux, interpellent
l’enseignante de temps en temps
B1, B3, B4, B5, B6, B8
Org Classe : Gr, M
Pr-Gr, Pr-Gr4, Pr-Cl
(0 :35 :57-0 :42 :20)
ES 03
Sth 01
Réalisation activité (en groupe de 4)
Org Classe : Gr, M Gestion Cl,
Pr-Cl, El-Cl
0 :42 :20-0 :57 :14
ES 04, ES 05, ES 06
Sth 01, Sth 02
(0 :57 :14-1 :23 :14)
Correction activité
Org Classe : CE, Pr-Cl
ES 07
Réalisation activité en binôme
230
Inclusion ES 06
Org Classe : Gr, M
Pr-Gr, Pr-Cl, Pr-Ind (El)
(1 :23 :14-1 :30 :53)
ES 07, ES 08
Sth 02, Sth 03
Correction activité
Elèves suivent les explications de
l’enseignante
Répondent aux questions de
l’enseignante
Discutent entre eux, interpellent
l’enseignante de temps en temps
B4, B8
Elèves suivent les explications de
l’enseignante
Répondent aux questions de
l’enseignante
Elèves suivent les explications de
l’enseignante
Répondent aux questions de
l’enseignante
Org Classe : CE
1 :30 :53-1 :33 :40
ES 09
Réalisation activité en binôme
Sth 04
Inclusion
Org Classe: CE, Gr,
Pr-Gr, Pr-Cl
(1 :33 :40-1 :35 :26)
ES 09
Sth 04
Correction activité
Org Classe : CE,
Pr-Cl
(1 :35 :26-1 :35 :37)
Sth 04
ES 09
Clôture séance
Org Classe : CE,
Pr-Cl
231
N° 20
Mouhamadoune SECK
Décembre
2015
V. 3. Interprétation pédagogique
Le Tableau 2 résume les types de stratégies utilisés par l’enseignante, nous y reviendrons tout de
suite. Auparavant nous disons que la salle de TP contient huit (08) paillasses, chacune accueille un
binôme d’élèves (Annexe 1). Donc en principe l’enseignante veut que les élèves travaillent groupe (à
deux et parfois à quatre). Nous pouvons interpréter cette disposition comme une façon de mettre en
œuvre le principe de Vygotski qui stipule que : « la transmission sociale est la médiation indispensable
à l’apprentissage. Le concept de zone de proche développement (ZPD) renvoie à l’idée que l’élève,
lorsqu’il est accompagné par un pair ou un adulte, peut être sollicité au-delà de son potentiel cognitif
exprimé. (Parraudeau, 2014 ; p.24) »
Dans le Tableau 2, les stratégies mises en œuvre par l’enseignante dans cette classe sont les
suivantes :
•
une situation inédite et familière aux élèves (lancer vers le haut et réception de Médecineball) ;
• une série de phases didactiques/pédagogiques (introduction d’activité, réalisation d’activité,
correction d’activité et clôture d’activité) ;
• une série d’organisation de la classe (classe entière (CE), en groupe (Binôme ou Gr4) ou
Mixte) ;
• quelques moments de gestion de la classe ;
• une succession d’interactions (Pr-Cl, Pr-Ind (El), Pr-Gr (Binôme ou El d’un binôme) ;
• une clôture de la séance, même si le thème n’est pas totalement épuisé.
Le Tableau 3 synthétise ces stratégies en termes de volume horaire et de pourcentage par rapport au
volume horaire total.
Tableau 7 Durée des phases pédagogiques et leur pourcentage respectif
Phase
Introducti Réalisation
pédagogiqu on
expérience
e
activité
(Gr4)
Production Productio
(B)
n (Gr4)
Correction
Clôture
(séance)
Total
Durée
0:06:32
0:04:21
0:34:02
0:06:23
0:24:40
0:00:11
1:16:08
%
8,56%
5,70%
44,81%
8,36%
32,32%
0,24%
100%
La production en groupe occupe la grande partie du volume horaire consacré à ce thème (44,81%
(binôme) et 8,36% (Gr 4)) (Tableau 3 et Graphique 2). Encore une fois, la forte tendance à mettre en
œuvre le principe de Vygotski est encore présente. Les Tableaux et graphiques qui suivent
démontreront cette tendance.
V. 3. 1. Phase pédagogique et/ou didactique
Les phases de production sont les moments privilégiés pour des interactions entre pairs (élève-élève).
Le processus d’acquisition de connaissance est mis en œuvre selon les étapes suivantes intra (1)inter (2)-intra (3) connaissance : (1) l’état de connaissance de l’objet d’apprentissage avant la
confrontation avec le binôme (2) et l’état de connaissance après confrontation (3).
Trois situations peuvent se retrouver à l’étape 3 : intra-connaissance.
3.1. Leurs intra-connaissances (dans le cas où il y a cohésion dans le binôme, les deux élèves
mobilisent ensemble leurs différentes ressources pour atteindre le but (une
collaboration/coopération franche)) coïncident. Quand ils font appel à l’enseignante, un seul
(porte-parole) exposera les idées.
232
Liens Nouvelle Série
Stratégies d’enseignement-apprentissage
d’enseignement apprentissage mises en jeu lors d’une séance de travaux
pratiques en classe de première scientifique
3.2. Leurs intra-connaissances
connaissances (toujours dans le cas précédent)
précédent) divergent. Quand
Quan ils font appel à
l’enseignante, chacun expose son idée et l’enseignante doit développer une stratégie qui les
pousse à coopérer/collaborer pour le prochain passage.
3.3. S’il n’y a pas de coopération/collaboration (les élèves du binôme travaillent
travaillent seuls), le principe
du conflit cognitif et de l’équilibration majorante de Piaget (1975) sont mis en jeu. Dans ce cas
l’inter (2) et l’intra (3)-connaissances
connaissances sont réalisées avec l’enseignante (Pr-El
(Pr
du bibôme).
V. 3. 2. Organisation de la classe
Les organisations de la classe en groupes (de quatre ou en binôme) et mixtes sont privilégiés dans
l’étude de ce thème. (Tableau 4 et Graphique 3). Cela veut dire que les moments d’interaction entre
élèves sont plus privilégiés que les moments où l’enseignante
l’enseignante s’adresse à toute la classe et que les
élèves l’écoutent, ne travaillent plus.
Organisation de la classe
CE
Gr4
B
M
Total
Durée
0:31:23
0:10:36 0:28:46 0:05:23 1:16:08
Tableau 8.. Organisation de la classe
Graphique 2.. Organisation de la classe
V. 3. 3. Types d’interactions
Quand l’enseignante s’adresse à tous les élèves (Pr-Cl)
(Pr Cl) et que ces derniers ne travaillent pas, nous
sommes du point de vue de l’organisation de la classe, en classe entière (CE). Mais quand elle
s’adresse à tous les élèves (Pr--Cl)
Cl) et que ces derniers ne sont pas obligés de cesser de travailler,
nous sommes en mode Mixte (Mixte : les élèves travaillent et l’enseignante
eignante s’adresse en même temps
à eux). Ce type d’interaction se retrouve donc dans le mode d’organisation en groupe. Avec cette
hypothèse, nous voyons que l’enseignante interagit plus avec les groupes (Pr-Gr)
(Pr Gr) que l’ensemble de
la classe (Pr-Cl) (Tableau 4 et Graphique 3). Donc nous
n
pouvons tirer comme conclusion que le travail
de groupe, qu’elle avait l’intention de mettre en œuvre, est, en principe, respecté si nous nous limitons
à recueillir la durée.
233
N° 20
Mouhamadoune SECK
Décembre
2015
Graphique 3.. Organisation de la classe selon les interlocuteurs
Nous verrons plus tard que certains élèves préfèrent travailler seuls
seu C’est leur droit s’ils se sentent
plus à l’aise pour construire leur connaissance, l’enseignante ne les oblige pas à travailler en binôme :
c’est une attitude pour respecter le mode travail idéal de l’élève en classe.
Le Graphique 4 et le Tableau 6 ci-dessous
ci
sous montrent que la durée, en interaction Pr-Cl,
Pr
n’est
significative que durant les phases de correction (lieu d’inflexion des deux courbes), donc en classe
entière (CE). Ce qui confirme encore que le mode d’organisation de groupe en Mixte est utilisé durant
dur
les travaux de groupe, il sert de régulation à l’enseignante : rappeler les consignes ou autres choses.
Graphique 4. Chronogenèse des interactions
Tableau 9.. Chronogenèse des corrections
Correction
Début
Fin
234
Durée
Correction 1
0:42:20
0:57:14
0:15:15
Correction 2
1:23:14
1:30:53
0:07:40
Correction 3
1:33:40
1:35:26
0:01:46
Total
0:24:40
Pour toutes autres interactions, la durée excède rarement sept (07) minutes (Tableau 7 et Graphique
5).
Interlocuteur
Durée
Pr-Cl
0:36:46
Pr-El
0:00:15
El-Cl
0:06:23
El-El
0:03:59
Pr-B1
0:03:18
Pr-B2
0:00:54
Pr-B3
0:04:19
Pr-B4
0:07:41
Pr-B5
0:01:48
Pr-B6
0:04:13
Pr-B7
0:00:00
Pr-B8
0:06:33
Total
1:16:08
. Durée discussions par interlocuteur
Tableau 10. Durée discussions par Graphique 5. Durée des discussions par interlocuteur
interlocuteur
V. 4. Focus sur les différents sous-thèmes abordés dans cette séance de TP
V. 4. 1. Sous-thème 01. Grandeurs physiques qui influencent le travail mécanique
V. 4. 1. 1. Description didactique du sous-thème 01
235
Graphique 6. Graphique donnant les livrables de TRANSANA pour le sous-thème 01
Le sous-thème 01 comporte une introduction (0 :03 :16) et une clôture (0 :01 :001), ce qui lui donne
un volume horaire intrinsèque de 0 : 31 : 49 (Graphique 6).
C’est dans l’introduction que la cible spécifique est déclarée, l’extrait 01 a donné une partie de cette
cible. Le Tableau 8 résume la chronologie des éléments de savoir (ES) mis en jeu durant ce sousthème.
Tableau 11. Chronologie des éléments de savoir dans le sous-thème 01
Sous-thème
01.
Grandeurs physiques
qui influencent le
travail mécanique
ES
Titre
ES 01
Expérience de lancer/réception de médecine-ball
ES 02
Description des gestes faits durant l’expérience
ES 03
Ecriture, au tableau, des expressions retenues
ES 04
Exploitation des expressions écrites au tableau
ES 05
Identification des termes communs écrits au tableau
ES 06
Grandeurs physiques qui influencent le travail mécanique
Ces éléments de savoir sont de l’ordre du savoir-faire (ES 01) et du savoir cognitif (de ES 02 à ES
06).
Les binômes qui ont interpelé une seule fois l’enseignante dans ce sous-thème sont : B1, B2, B4 et
B6. Ces élèves ont intervenu durant la mise en œuvre de l’élément de savoir ES 02.
V. 4. 1. 2. Modèle hybride Bloom/Vygotski versus modèle des deux mondes
(MOE et MTM)
En référence à la modélisation utilisée par Tiberghien et al (depuis 2005), les éléments de savoir (ES)
01, 02, 03, 04 et 05 sont logés dans le monde des objets et événement (MOE). Il y a manipulation
d’objets, prise de conscience des gestes faits ou observés chez les autres, description de ces gestes
par des termes faisant référence au langage naturel commun à tout le monde (impulsion, longueur,
forte poussée, distance de lancer, etc.). Ces explications permettent à la classe de déduire les
Extrait 04 : Grandeurs distance et force
(0:54:22.9)Clôture sous-thème Pr-Cl : Voilà la grandeur ici en jeu c'est la distance. C'est bien une
grandeur utilisée par les physiciens. Donc à partir de vos descriptions hein on peut faire ressortir deux
grandeurs auxquelles ...on va s'intéresser plus particulièrement et vous verrez heu ...dans l'activité
suivante qu'elles interviennent effectivement ces deux grandeurs dans ...dans le transfert d'énergie.
C'est la force, grandeur force et la grandeur distance c'est à dire ici la distance sur laquelle on lance… la
236
distance parcourue par les mains, la distance de lancer on pourrait dire. Et la force avec laquelle ...la
force exercée par les mains sur le médecine-Ball au moment du lancer. Et c'est pareil pour la réception
grandeurs liées au travail mécanique : vecteur distance et vecteur force (extrait 04).
Ces concepts (distance et force) sont logés dans la zone du monde de la théorie et des modèles
(MTM). Pour comparer ce modèle d’enseignement-apprentissage (MOE et MTM) au modèle hybride
Bloom/Vygotski (Vygotski Niveau bas de Bloom (VBB) versus Vygotski Niveau Intermédiaire de Bloom
(VIB) ou Vygotski Niveau haut de bloom (VHB)), analysons les stratégies d’enseignementapprentissage par rapport à ce dernier.
Les stratégies développées par l’enseignante (mettre en place une situation, organiser la classe et
élaborer des phases de réalisations, de production, de correction) relèvent :
•
•
de l’application et surtout de la compréhension selon Bloom ;
et de ce que les élèves savent déjà faire en cette troisième séance de la séquence
d’enseignement de l’énergie (la description selon le langage naturelle et l’interprétation de ces
expressions ont été développées dans la première séance concernant l’apprentissage du
concept d’énergie) (Vygotski niveau bas de Bloom, VBB).
L’analyse des expressions, l’identification des termes communs et leur exploitation (ES 04 et ES 05)
ont permis de déterminer les grandeurs « force » et « distance » (Vygotski niveau Intermédiaire de
Bloom, VIB).
En comparant cette analyse avec la modélisation initiée par Tiberghien et al, nous voyons que
Vygotski Niveau bas de Bloom (VBB) correspond au monde des objets et événements (MOE) et de la
même manière Vygotski niveaux intermédiaire et haut de Bloom (VIB ou VHB) correspondent au
monde de la théorie et de modèles (MTM)
V. 4. 2. Sous-thème 02. Chaînes énergétiques
V. 4. 2. 1. Description du sous-thème
Graphique 7. Graphique donnant les livrables de TRANSANA pour le sous-thème 02
Ce sous-thème comporte aussi une introduction (15 secondes) et une clôture (18 secondes), ce qui
lui donne un volume horaire intrinsèque de 31 min 58 sec. Un seul élément de savoir est abordé
durant ce temps, il s’agit de ES 07 : les chaînes énergétiques (Graphique 8). Il faut remarquer que
l’enseignante est revenue sur l’élément de savoir ES 06 (ligne mots-clés 20 dans les Graphique 7)
pendant que les élèves poursuivent leurs travaux. Elle a remarqué, en regardant le cahier de certains
d’entre eux qu’il n’y a pas de traces écrites. Une interprétation, du point de vue de l’organisation de la
classe, montre qu’elle est en mode Mixte. Le Tableau 9 donne la fréquence d’interpellation de
l’enseignante par les binômes.
Tableau 12. Fréquence des interpellations dans le sous-thème 02
Binôme
Nombre
237
d’interpellations
de l’enseignante
Binôme 1
deux (02) fois
Binôme 2
zéro (00) fois
Binôme 3
une (01) fois
Binôme 4
quatre (04) fois
Binôme 5
une (01) fois
Binôme 6
une (01) fois
Binôme 7
zéro (00) fois
Binôme 8
deux (02) fois
V. 4. 2. 2. Mise en exergue du modèle hybride Vygotski/Bloom
Dans ce sous-thème, où les élèves travaillent en principe en binôme, la cible de l’apprentissage est la
création de schémas dans le domaine de l’énergie (chaînes énergétiques) dans les phases de lancer
et réception d’abord, ensuite dans les phases de montée et de descente. Ils ont vu, en mécanique, le
modèle de l’interaction et dans la séance précédente la schématisation des transferts d’énergie entre
systèmes.
Le défi maintenant c’est de partir de ces modèles et de créer un schéma au moment de la montée et
de la descente et surtout d’identifier (délimitation et identification des objets) ultérieurement (sousthème 03) un système qui doit être considéré comme isolé (VHB) (Image 4, à la phase de correction).
Nous nous situons dans la partie ZPD (Image 2).
Pour y arriver, ils doivent appliquer les modèles déjà appris (VBB), analyser et évaluer la situation
(VIB) en tenant compte des contraintes : ici les frottements et les transferts d’énergie avec
l’environnement sont négligés. Ils mobilisent donc des ressources provenant de ce qu’ils savent dans
les niveaux VIB et VBB en discutant entre eux (aide des pairs) et en interpellant de temps en temps
l’enseignante (guidage ou étayage par l’adulte).
Image 4. Chaînes énergétiques
N’oublions pas que l’enseignante, applique le modèle de Tiberghien et al. (relation entre MOE et
MTM), nous voyons ici la correspondance entre ces deux modèles :
•
mise en situation par l’expérience (sous-thème 1), application de certains modèles et
compréhension de la situation et analyse (MOE)
• création de la chaîne énergétique aux moments de la montée et de la descente (MTM) en
utilisant le modèle de l’énergie élaboré par Tiberghien et al.
En conclusion nous pouvons dire : VBB équivaut à MOE et VIB/VHB équivalent à MTM.
238
V. 4. 3. Sous-thème 03. Système isolé
Graphique 8. Graphique visualisant les livrables de TRANSANA pour le sous-thème 03
Le sous-thème 03, qui n’a ni introduction ni clôture (Graphique 8), complète le sous-thème 02 pour
donner un nom au système isolé (ES 08) : Médecine-Ball et Terre.
En effet les élèves ont réussi à créer le schéma (une seul système (un carré ou rectangle), un seul
binôme est parvenu à donner ce nom.
L’enseignant a donné le nom du système en utilisant, en classe entière, sa stratégie de question
réponse. Nous nous retrouvons en VHB selon le modèle hybride de Laland et al. (2015) et MTM selon
le modèle de Tiberghien et al (2005).
V. 4. 4. Sous-thème 04. Grandeurs physiques qui influencent l’énergie potentielle
Graphique 9. Graphique visualisant les livrables de TRANSANA dans le sous-thème 04
Le sous-thème 04 (graphique 9) est l’occasion pour les élèves d’analyser les situations de montée et
de descente (VIB vs MTM) et d’en déduire les grandeurs physiques (VHB vs MTM) qui influencent
l’énergie potentielle (les élèves sont mis ici en situation de chercheur). Ce travail se fera en analysant
l’évolution des deux formes d’énergie stockées dans le système isolé Médecine-Ball+Terre : énergie
cinétique et énergie potentielle.
Deux binômes seulement ont interpelé l’enseignante (B4 (une seule fois) et B8 (deux fois)) durant la
mise en œuvre de ce thème.
V. 5. Qu’en-est-il de l’apprentissage idéal dans ce thème ?
Pour atteindre les différentes cibles d’apprentissage dans ce thème, l’enseignante a mis une première
stratégie qui, selon elle, permettra aux élèves d’interagir pour atteindre l’objectif facilement : un travail
en binôme. Mais, dans leurs stratégies d’apprentissage est-ce que tous les élèves adhèrent à celle de
l’enseignante ? En fonction de la stratégie adoptée, quel est l’objet d’apprentissage (idéal) abordé
avec le binôme ou l’élève du binôme ?
L’analyse des différents clips visualisés par les mots-clés de 35a à 35h (Graphique, 1, 6, 7, 8, 9)
tentera de donner des réponses à ces deux questions.
239
Dans cette séance, la moitié de la classe a été filmée avec un effectif de 16 élèves, huit binômes ont
été créés numérotés de 1 à 8 (B1, B2,…B8, cf. Annexe 1).
Les graphiques 1, 6, 7, 8 et 9 visualisent à chaque fois les moments d’intervention de ces différents
binômes toujours avec les de mots-clés de 35a à 35h.
Ainsi une première analyse montre qu’à un binôme (B7) près tous les autres ont interpelé
l’enseignante au moins une fois. Une première interprétation nous laisse croire que c’est un contrat
implicite qui semble bien fonctionner : à chaque fois qu’un apprentissage idéal se stabilise ou fait
l’objet de désaccord on fait appel à l’enseignante.
De cette hypothèse de contrat implicite découlera donc le nombre de d’éléments savoir (ES) partagé
par les binômes : minimum 1 (pour les binômes qui interpellent une fois l’enseignante) et maximum 4
(pour les binômes qui interpellent quatre fois l’enseignante, Tableau 10).
Fréquence des interpellations
Binôme
Sth01
Sth02
Sth03
Sth04
Total
B1
1
2
0
0
3
B2
2
0
0
0
2
B3
0
2
0
0
2
B4
1
4
0
1
6
B5
1
1
0
0
2
B6
1
1
0
0
2
B7
0
0
0
0
0
B8
0
2
0
2
4
Total
6
12
0
3
21
Tableau 13. Fréquece d’interpellation des élèves
Nous remarquons qu’un seul binôme n’a pas interpellé l’enseignante durant 1 heure 16 minutes
d’activité. Nous interprétons l’attitude de ce binôme en disant que dans leur mode d’apprentissage
(idéal), l’interpellation de l’enseignante n’en fait pas partie.
Le visionnage du thème à l’aide de TRANSANA, en se limitant à la façon dont la discussion est
menée avec l’enseignante, nous a montré que dans les binômes B3, B4, B5 et B6 les élèves
coopèrent et collaborent pour mettre en œuvre la stratégie d’organisation de la classe proposée, alors
que dans les autres binômes (B1, B2, B6 et B8) les élèves travaillent seuls.
En référence à la psychologie positive, au lieu d’essayer de comprendre ce qui ne va pas (ici les
binômes qui ont peu interpellé l’enseignante) nous nous intéressons à ceux qui l’ont le plus
interpelée : B4 et B8.
V. 5. 1. Les objets d’apprentissage mis en jeu par le binôme de numéro 4 (B4)
Première interpellation de 0 :34 :54 à 0 :35 :40. Les élèves proposent à l’enseignante les expressions
qui décrivent les gestes faits au moment de la réception : impulsion et plus grande difficulté dans la
réception. Durant la discussion, l’enseignante accepte la première expression et réfute la seconde.
240
Deuxième interpellation de 0 :58 :48 à 0 :59 :17. Clarification sur les consignes et sur les éléments qui
entrent en jeu dans la construction d’une chaîne énergétique.
Troisième interpellation de 1 :03 :40 à 1 :05 :57. Autorisation de prendre une balle pour argumenter sa
position durant les discussions avec son pair.
Quatrième interpellation de 1 :18 :40 à 1 :18 :43. Appel à l’enseignante pour valider et départager les
propositions.
Cinquième interpellation de 1 :20 :38 à 1 :23 :14. Evolution des formes d’énergie stockées et
grandeurs qui influencent l’énergie potentielle. Les deux élèves ne s’entendent pas sur ce qu’ils
doivent proposer. La troisième interpellation en est une preuve : autorisation pour reprendre
l’expérience en vue d’argumenter.
Sixième interpellation de 1 : 31 : 35 à 1 : 32 : 58. Discussion autour de deux concepts physiques :
distance (aux moments de lancer et de réception) et hauteur (au moment de la montée et de la
distance). Les deux élèves ne tombent pas d’accord et il y a confusion entre ces deux concepts.
Conclusion : les élèves discutent ensemble. S’ils tombent d’accord, à l’arrivée de l’enseignante un
seul élève rapporte les propositions. S’ils sont en désaccord chacun expose, en présence de
l’enseignante, son idée.
V. 5. 2. Les objets d’apprentissage mis en jeu par l’élève du binôme numéro 8 (B8)
Première interpellation de 1 :05 :57 à 1 : 09 : 42. La discussion tourne autour de la façon de
représenter les chaînes énergétiques en tenant compte des consignes comme la négligence des
forces de frottement et des transferts thermiques à l’environnement.
Deuxième interpellation de 1 :18 :43 à 1 :20 : 21. L’élève fait remarquer à l’enseignante qu’il y a
contradiction avec le modèle de l’énergie qui stipule qu’une chaîne énergétique est représentée quand
il y a deux réservoirs différents et qu’un transfert d’énergie existe entre eux. En appliquant les
consignes (première interpellation), il est impossible selon elle de représenter la chaîne énergétique.
Troisième interpellation de 1 : 31 : 08 à 1 : 31 : 35. L’élève parle de l’évolution des formes d’énergie
stockées. L’enseignante veut lui laisser assez de temps pour réfléchir en référence à ce qu’elle a écrit
dans son cahier (style de dévolution adopté par l’enseignante).
Quatrième interpellation de 1 : 32 : 58 à 1 : 33 : 41. Consolidation de l’évolution des formes d’énergie
stockées : pour l’élève l’énergie cinétique diminue puisque sa vitesse diminue à la montée et pendant
ce temps l’énergie potentielle augmente et la situation est inversée durant la descente. L’enseignante
approuve. En ce qui concerne les grandeurs qui pourraient influencer les deux formes d’énergie
stockées, l’élève avance la masse et la vitesse pour les deux. La question de l’enseignante est la
suivante : si ce sont les mêmes grandeurs est-ce nécessaire de créer deux concepts ? L’argument
avancé par l’élève est le suivant : à cause de la transformation mutuelle entre les deux formes.
Conclusion : Malgré son style solitaire dans les stratégies d’apprentissage, l’élève arrive à construire
sa connaissance et participe ainsi à l’élaboration du savoir institutionnel (Chevalard,1991) ici la classe
traitant le thème « grandeurs physiques qui influencent le travail mécanique.
Conclusion
Comme nous l’avons dit à l’introduction, rendre compte de la qualité des enseignements et des
apprentissages ne devrait pas se limiter à analyser des questionnaires mais il faut aller au-delà, voir
ce qui se passe réellement dans la classe. Or pour une analyse exhaustive de la pratique de classe, il
faut des compétences en TIC et non seulement utiliser une grille d’observation. C’est dans ce sens
241
que le logiciel TRANSANA devient un outil indispensable avec ses livrables qui peuvent faire l’objet
d’une analyse qualitative et qui sont aussi prêts pour être des intrants dans l’analyse quantitative. Il
faut, dans ce dernier cas, adopter une méthodologie appropriée qui utilise de façon systématique les
transcriptions, les graphiques et tous autres livrables de cette application.
L’analyse de ce thème, avec une utilisation exhaustive du logiciel Transana, a montré qu’il y a
équivalence entre le modèle hybride Vygotski/Bloom de Lalande et al. et celui de Tiberghien et al.
L’analyse, en référence au premier modèle, montre que l’apprentissage idéal n’est pas forcément
identique à l’apprentissage ciblé.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Rapport avec les Apprentissages (OPERA) des élèves. Co-édition : Agence universitaire de la
Francophonie-Editions des archives contemporaines
Anderson, L. W., Krathwohl, D.R., Aisasian, P. W., Gruikshank, K. A., Mayer, R.E., Pintrich, P.R.,
Raths, J., Wittrock, M. C. (2001). A taxonomy for learning, teaching, and Assessing : A revision of
Bloom’s Taxonomy of Educationnal objectives. New York, Pearson, Allyn & bacon
Bloom, B.S. (ED) Engelhart, M.D., Furst, E.J., Hill, W.H., Krathwohl, D.R. (1956). Taxonomy of
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ème
Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique. (2
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Laland et Cantin. (consulté en décembre 2015). Viser plus haut : Bloom et Vygotski dans la classe.
https://www.youtube.com/watch?v=aqWSRkvgJ28
Ndour, M. (2014). Elaboration, mise en œuvre et analyse d’une séquence d’enseignementapprentissage sur le concept d’énergie en classe de première S. mémoire de Master en éducation et
formation. Chaire UNESCO en sciences de l’éducation (CUSE)/FASTEF (ex ENS)/UCAD : Dakar
Perraudeau, M. (2014). Les stratégies d’apprentissage. Comment accompagner les élèves dans
l’appropriation des savoirs. Armand Collin : Paris
Piaget, J. (1975). L’équilibration des structures cognitives, Paris PUF
Seck, M. (2007). Comparaison des pratiques de classes dans le cas de l’énergie en première
scientifique (grade 11). Analyse à l’aide du logiciel Transana. Thèse, université Lumière Lyon 2. Lyon
(France)
Téluq (Consulté en décembre 2015). www.teluq.ca
Tiberghien, A. & Vince, J. (2005). Etude de l’activité des élèves de lycée en situation d’enseignement
de la physique. Cahier du Français Contemporain, ENS Editions, 10 (numéro par V. Pugibet et N.
gettliffe-Grant), 153-176.
Transana. (consulté en décembre 2015) http://www.Transana.org
Vygotski, L. S. (1985). Pensée et langage. Paris : Editions sociales.
242
Annexes
Annexe 1. Topologie de la classe
Annexe 2. Quels extraits de la transcription du thème
Extrait 01. Cible globale de l’apprentissage : étude du transfert par travail mécanique
Pr-Cl (0:20:23.3) : En distribuant des feuilles Donc on a vu que l'énergie pouvait être
transférée de trois façons différentes soit par travail, soit par rayonnement soit par transfert thermique. Et
Extrait 02. Cible spécifique de l’apprentissage : grandeurs physiques dont dépend le travail mécanique
Pr-Cl (0:54:22.9) : Voilà la grandeur ici en jeu c'est la distance. C'est bien une grandeur utilisée par les
physiciens. Donc à partir de vos descriptions hein on peut faire ressortir deux grandeurs auxquelles ... on va
s'intéresser plus particulièrement et vous verrez heu ...dans l'activité suivante qu'elles interviennent
effectivement - ces deux grandeurs dans ...... dans le transfert d'énergie.
e. C'est la force, grandeur force et la
grandeur distance c'est à dire ici la distance sur laquelle on lance…la distance parcourue par les mains. La
Extrait 03. Cible spécifique de l’apprentissage : utilisation du schéma énergétique (chaîne énergétique)
pour décrire le transfert d’énergie par travail mécanique
mécaniqu
Pr-Cl (0:55:22.4) : Donc on va reprendre cette activité maintenant et on va l'analyser finement du point de
vue énergétique. Donc c'est l'activité 2 hein étude de la situation de l'activité d'un point de vue
énergétique. Quand vous aurez besoin du modèle...dans
modèl
cette activité… le modèle auquel vous devez vous
référer c'est le modèle de la partie 3: le modèle de l'énergie. (0:55:47.8) Inclusion. Organisation du travail.
(0:56:18.9) Donc vous allez analyser ce qui s'est passé dans cette situation de lancer de médecine-ball
médecine
ou
de réception en utilisant le modèle de l'énergie. Donc faire une description qui fait appel au modèle de
l'énergie. Donc cette fois-ci
ci on va faire exactement ce qu'on avait fait …en
en fin on va analyser la situation
qu'on avait fait en mécanique mais en utilisant un autre modèle et donc on va s'intéresser à d'autres
choses. (Silence dans la classe) Consignes Donc faut lire...pour la ...le premier paragraphe ili faut lire toute
243
T
able
des
mati
ères
Djibril SECK
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des
contenus et des méthodes d’enseignement
Résumé
Instrument de conquête des consciences et de démantèlement de l’édifice culturel local durant la période coloniale,
l’histoire scolaire (notamment celle enseignée à l’école élémentaire) devait nécessairement se dépouiller, dès
l’accession du Sénégal à l’indépendance, de toute sa substance avilissante pour l’Africain et se mettre au service d’une
jeune nation en chantier. Elle se « réidéologisa » alors dès 1962, et enclencha, sous l’influence de facteurs endogènes
et exogènes, une évolution du point de vue de l’offre programmatique et des méthodes d’enseignement. L’analyse de
cette évolution, fort instructive, peut révéler les différentes modalités de construction et de consolidation de la nation
sénégalaise, les modes de gestion publique de la demande sociale de mémoire et la logique du « tout scientifique » qui
s’installe progressivement à l’école.
Mots-clés :
histoire-récit,
idéologie,
nation,
patriotisme,
histoire
investigatrice,
compétence,
enquête,
« désidéologisation ».
Abstract
Instrument of conquest of the consciousnesses and the dismantling of the local cultural building during colonial period,
the school history (in particular that taught the elementary school) inevitably had to deprive itself, from the entry of
Senegal in the independence, of all its avilissante substance for the African and put itself in the service of a young under
construction nation. She (it) “re-ideologized” then from 1962, and engaged, under the influence of endogenous and
exogenous factors, an evolution from the point of view of the programmatic offer and the teaching methods. The analysis
of this evolution, very instructive, can reveal the various methods of construction and consolidation of the Senegalese
nation, the modes of public management of the social request of memory and the logic of “every scientist”.
Keywords:
history
narrative,
Ideology,
nation,
patriotism,
"désidéologisation".
244
history
investigator,
competence,
investigation,
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
INRODUCTION
La frénésie commémorative qui s’est emparée depuis quelques années des différentes communautés du
Sénégal
278
, l’expression de plus en plus manifeste d’une demande sociale de mémoire (visible à travers la
prolifération des émissions historiques dans les médias audio-visuels) entraînent une véritable inflation des
phénomènes mémoriels. Seulement, comme si l’histoire scolaire évolue en déphasage avec les dynamiques
sociales et culturelles en cours au Sénégal, cette inflation n’a aucun impact sur elle; ce qui accentue son
décalage avec la demande sociale de mémoire et la met sur la sellette
279
. En outre, la généralisation, depuis
octobre 2012, d’un nouveau curriculum de l’éducation de base adossé au paradigme de la compétence
interpelle également l’histoire scolaire. En effet, avec ce paradigme qui induit un changement de statut de la
connaissance (qui n’est plus un objet à transmettre et à assimiler, mais une ressource dont il faut savoir se
servir pour résoudre une situation problème ou pour réaliser une tâche) et le contexte actuel où les sciences
glissent dans la spirale de la micro-spécialisation
280
, les disciplines scolaires ne sont plus apparemment
logées à la même enseigne. Elles ont tendance à être hiérarchisées selon qu’elles charrient des
connaissances fortes ou des connaissances faibles
281
. Et l’histoire, à l’instar de beaucoup d’autres
disciplines appartenant aux sciences humaines, risque d’être rangée dans la deuxième catégorie, surtout si
les enseignants s’arc-boutent contre ses anciennes méthodes d’enseignement. La pédagogie qu’elle doit
privilégier revêt alors un intérêt réel pour la recherche.
Ce surgissement de l’histoire sur le devant de la scène politique
de renouveler l’enseignement de cette discipline en Afrique
283
282
, socioculturelle et didactique, et l’urgence
doivent nécessairement susciter la curiosité
de la recherche historique qui doit vibrer au rythme des préoccupations actuelles. Il s’impose alors de
plancher sur l’histoire scolaire, notamment celle enseignée à l’école élémentaire où se joue l’avenir du
rapport de l’enfant à la science historique, en analysant son évolution dans le domaine des programmes et
des méthodes d’enseignement. Notre analyse se propose de mettre en évidence les différents modes de
formulation des programmes, leurs soubassements théoriques et leur impact sur les pratiques enseignantes,
de disséquer la nature des différents contenus proposés ainsi que leurs silences souvent très éloquents, de
278
Cette frénésie commémorative est surtout le fait des communautés confrériques qui rivalisent d’ardeur pour célébrer ou commémorer
des événements au point d’instaurer au Sénégal une véritable concurrence des mémoires. Quant à l’Etat, qui n’a pas visiblement une
politique mémorielle, il ne célèbre que la fête de l’indépendance nationale et la journée du tirailleur instituée par le régime de Wade en
2004 et célébrée le 23 août. D’ailleurs, depuis la survenue de la deuxième alternance en 2012, la journée du tirailleur a disparu du
calendrier des fêtes et journées de commémoration de l’Etat du Sénégal.
279
Très souvent, au moment de clore l’émission, l’animateur et ses invités font constater et regrettent que l’évènement dont ils faisaient
le récit ne figure pas dans les programmes d’histoire de l’école sénégalaise ; Ils plaident parfois en faveur de son introduction. C’est
régulièrement le cas lors des différentes éditions de l’émission Demb diffusée les mardis à la chaîne 2STV et présentée par El Hadji
Tall Ngol Ngol.
280
Sur la question de la fragmentation outrancière de la connaissance lire Dorna, A. (2002). Lancer un débat : La fragmentation des
sciences humaines et l'absence d'un projet de société. Les cahiers psychologie politique, 1 [En ligne] URL
http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1661
281
Selon certaines critiques, l’approche par compétences privilégie les connaissances bénéficiant d’un fort coefficient de « mobilisabilité
» et d’efficacité dans la réalisation de tâches ou la résolution de problèmes. Ces connaissances directement fonctionnelles en
entreprise sont appelées connaissances fortes ou vivantes. C’est le cas des connaissances scientifiques et technologiques qui
s’opposent aux connaissances faibles ou mortes, difficilement mobilisables dans la réalisation de tâches concrètes. Pour plus
d’informations, lire Hirrt, N. (2009). L’approche par compétences : une mystification pédagogique. L’école démocratique, 39.
282
Un an après son accession au pouvoir en 2012, Macky Sall a mis sur pied une commission nationale (présidée par le Professeur Iba
Der Thiam) chargée de rédiger une histoire générale du Sénégal.
283
En juin 2010, l’UNESCO avait lancé un projet de promotion de l’utilisation à des fins pédagogique de l’Histoire générale de l’Afrique
pour
contribuer
à
la
réforme
de
l’enseignement
de
l’histoire
dans
les
pays
africains.
Voiwww.unesco.org/culture/africa/html_fr/volume.htm
245
Djibril SECK
N° 20
Décembre
2015
passer au peigne fin les méthodes d’enseignement préconisées et celles effectivement mises en œuvre par
les maîtres.
Avec de tels objectifs, le choix de la tranche chronologique 1962-2014 s’impose : la borne 1962, qui
correspond à une tentative de décolonisation de l’enseignement de l’histoire, signe la naissance d’un
programme véritablement sénégalais. L’autre borne, 2014, marque le début d’une installation confortable de
l’approche par compétences dans les pratiques de classe, avec la troisième édition des évaluations
certificatives adossées à cette approche.
Pour une étude exhaustive et approfondie des programmes d’histoire tant du point de vue du mode de
déclinaison que des contenus proposés, une exploitation minutieuse des différents textes officiels (lois,
décrets, circulaires, instructions officielles) qui les détaillent s’est avérée nécessaire. Afin de disposer
d’informations sur l’offre programmatique mais aussi sur les méthodes d’enseignement, notamment celles
préconisées, l’examen méthodique des documents d’accompagnement des programmes (les manuels
d’histoire, les guides pédagogiques à l’intention des enseignants, les fascicules du Ministère de l’éducation
nationale) a été incontournable. Quant aux pratiques pédagogiques réellement en vigueur en classe
d’histoire, une exploration de fiches pédagogiques et de bulletins d’inspection de maître, datant de la période
couverte par notre étude, a permis de les exhumer. Enfin, pour compléter les diverses informations et y jeter
un regard critique, le recours à des entretiens (avec un enseignant « craie en main » dans les années 1970
et 1980) et à l’exploitation d’ouvrages, de travaux académiques, d’articles et de périodiques nous a été d’un
grand apport.
1 L’énoncé des programmes : de l’entrée par les contenus à l’approche par
compétences
De 1962 à 2014, la formulation des programmes d’histoire a subi une évolution sous l’influence des
différentes approches qui ont régenté le système éducatif sénégalais.
1-1 Persistance de la formulation en thèmes d’étude, 1962-1987
L’accession du Sénégal à l’indépendance devait sonner le glas de l’Ecole coloniale, pièce essentielle de
l’arsenal de destruction de l’édifice culturel local et de colonisation des consciences. Mais en 1960, cette
école, à l’instar de beaucoup d’autres secteurs
284
, ne fut pas l’objet d’une réelle refonte. Elle joua alors les
prolongations durant les premières années de l’indépendance, malgré quelques « réformettes »
concernaient d’abord la tentative avortée d’une « ruralisation de l’enseignement »
286
. Celles-ci
avant de se traduire
par l’avènement des programmes de 1962 (plus connus sous le d’éducation sénégalaise n°2
284
285
287
) déclinés
Sur la question de la poursuite, dans les années 1960, de la colonisation sous d’autres formes, lire Cornevin, R. (1970). Comment s’est opérée et
comment s’opère encore la décolonisation dans la littérature, la musique, le théâtre, le cinéma, l’édition, les bibliothèques, les festivals d’art, etc.
Comptes rendus mensuels des séances de l’Académie d’Outre-mer. T. XXX, 203-219.
285
L’absence de refondation totale du système éducatif hérité de la colonisation procédait surtout de la priorité que les Etats francophones
d’Afrique avaient tendance à accorder aux secteurs dits productifs ((industrie, agriculture, pêche, infrastructure. Se référer à Sylla, A. (1992).
L’Ecole, quelle réforme ? In Diop, M-C (eds). Sénégal. Trajectoires d’un Etat. Dakar : Codesria.
286
Mamadou Dia, alors président du Conseil du gouvernement du Sénégal, fut le principal artisan de la tentative de
« ruralisation de
l’enseignement ». Cette tentative échoua après sa destitution et son emprisonnement en 1963. Cf., Dia, M. (1961). Réflexions sur l’économie de
l’Afrique noire. Paris : Présence africaine.
287
Les deux circulaires qui présentaient ces programmes étaient désignées sous l’appellation « Education sénégalaise n° 2 », du nom de la revue qui
les présentait. Ministère de l’Education et de la Culture. (1962). Education Sénégalaise n° 2, 1963, Rufisque, Imprimerie nationale.
246
Liens Nouvelle Série
dans deux circulaires
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
288
portant réaménagement des horaires, programmes et emplois du temps stipulés
dans les textes officiels de l’Etat colonial
289
. Ces programmes, dont l’objectif déclaré était « d’adapter
l’enseignement aux besoins d’un jeune Etat indépendant »
290
, résultaient de la volonté du Sénégal de se
conformer aux recommandations de rupture avec le modèle éducatif colonial édictées lors de la conférence
d’Addis-abéba de 1961
291
. Ils devaient alors présenter un visage décolonisé en remaniant l’enseignement de
l’histoire alors fortement enrôlé par la machine de guerre coloniale.
présentaient une nouvelle allure
292
Seulement, si les contenus
293
, leur formulation n’avait guère varié par rapport à la période coloniale : ils
continuaient à être déclinés sous forme de thèmes d’étude regroupés en liste pour chaque niveau. Par
exemple, au CE2 (Cours élémentaire deuxième année), les thèmes d’étude retenus étaient déclinés de la
manière suivante : « Mon pays : les premiers royaumes sénégalais (le Tékrour, le Walo, le Fouta Toro) »
294
.
Cependant, la révolte de mai 1968 amena l’Etat du Sénégal à opérer une rupture radicale avec l’Ecole
coloniale et à tenter d’édifier enfin une école plus sénégalaise. En effet, à partir du 28 mai 1968, un
295
mouvement de contestation populaire et estudiantine embrasait Dakar
et fit vaciller le pouvoir de Senghor.
Il exprimait une profonde volonté populaire de parachever lé processus de décolonisation du Sénégal
296
et
induisait également une culture juvénile se traduisant par un désir ardent de bouleverser les bases d’une
société qui ne semblait plus satisfaire la jeunesse. Par exemple, la presse locale dénonçait régulièrement la
crise d’autorité qui sévissait selon elle à Dakar
297
. Cette attitude de rébellion de la jeunesse s’accompagnait
aussi, selon la presse dakaroise, d’un effritement de certaines valeurs autochtones comme le kersa (la
pudeur). Un concours du plus beau maillot de bain féminin, organisé le 05 mai 1968 sur une plage de Dakar,
se révélait, pour le quotidien de Dakar-Matin
298
, comme un fait significatif de l’effondrement du titre kersa à la
bourse des valeurs morales et sociales. Défié ainsi par une jeunesse contestataire, l’Etat réagit en tentant de
recourir, entre autres, à la solution éducative. Déjà le 05 juin 1970, lors d’un Conseil interministériel consacré
à la jeunesse sénégalaise, le gouvernement décida « d’assainir le climat psychologique dans lequel vivent
les jeunes Sénégalais de moins de 25 ans »
299
. Cet assainissement devait passer par une réforme en
profondeur de l’éducation et par l’avènement d’une Ecole enracinée dans ses bases sénégalaises et
africaines car, les autorités étatiques considéraient que la jeunesse sénégalaise était extravertie
300
. Cette
réforme était d’autant plus urgente que les performances scolaires se dégradaient considérablement. La
baisse du taux d’admission en classe de sixième de 39,2% en 1961 à 17% en 1976
288
301
en était une parfaite
Il s’agit de la circulaire 11. 450 du 8 octobre 1962 qui fixait les horaires et les programmes de l’enseignement primaire et celle du 13. 550 du 1411-1962 qui détaillait ces horaires et programmes. Ibid.
289
Il s’agit principalement de l’arrêté 2576 du 22 août 1945 qui organisait alors l’enseignement dans la colonie du Sénégal.
290
Circulaire du 13. 550 du 14-11-1962 », Ministère de l’Education et de la Culture. (1962), op. cit., p. 32.
291
Cette Conférence des Etats africains sur le développement de l’éducation en Afrique s’était tenue à Addis-Abeba (Ethiopie), du 15 au 25 mai
1961 pour faire l’inventaire des besoins de l’Afrique en matière d’éducation et établir un programme d’action répondant à ces besoins.
292
Voir à ce sujet Sow, A. (2004). L’enseignement de l’histoire au Sénégal : des premières écoles (1817) à la réforme de 1998. Dakar : UCAD. Thèse
de Doctorat d’Etat. Histoire.
293
Voir l’analyse des contenus, p. 8.
294
Ministère de l’Education nationale. (1962). Circulaire du 13. 550 du 14-11-1962, op.cit.
295
Le bilan de ce mouvement était assez lourd : le 31 mai 1968, il se chiffrait à 900 personnes interpellées, 25 blessés, 31 dirigeants syndicaux
emprisonnés. Cf., Bingo, n° 250, novembre 1973, p. 28.
296
Pour plus d’informations sur cet événement, lire Bathily, A. (1992). Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie. Paris : Chaka.
297
Bingo, n° 196, mai 1969, p. 41.
298
Dakar-Matin, n° 2130, 08 mai 1968, p. 3.
299
Le Soleil, n° 28 mai 1970, p. 2.
300
Senghor par exemple considérait que c’est par imitation de la jeunesse française (mai 68 en France) que les étudiants se révoltaient contre son
pouvoir.
301
Seck, A. (1987). L’Innovation dans l’histoire de l’enseignement au Sénégal. Dakar : UCAD/ENS. Mémoire de recherche, p. 47.
247
Djibril SECK
N° 20
illustration. Alors en 1971, la première loi d’orientation de l’Education
302
Décembre
2015
du Sénégal postcolonial fut votée
pour entériner l’avènement d’une «'éducation nationale sénégalaise…., prenant sa source dans les réalités
africaines et aspirant à l'épanouissement des valeurs culturelles africaines »
303
. Une telle éducation, symbole
de la volonté des pouvoirs publics de rompre totalement les amarres avec l’Ecole coloniale, devait enraciner
davantage l’enfant dans son milieu sénégalais et africain. Elle érigeait donc, à travers le décret
d’application
304
de la loi de 1971, une nouvelle discipline fondamentale appelée « Etude du milieu »
305
et lui
assignait le but d’ « arriver, par l’observation, par l’étude concrète du milieu qui l’entoure, par une ouverture
de l’école sur la vie, à faire connaître le milieu à l’élève, à le lui faire aimer, l’y insérer harmonieusement
mais aussi le rendre capable, par son influence future, de le transformer. »
306
. L’histoire devait
nécessairement jouer sa partition dans la réalisation d’un tel but car, le milieu ne peut se comprendre
réellement que par cette discipline qui explique les changements par des comparaisons, des mises en
relations et par l’analyse rétrospective. Elle devint ainsi une des disciplines majeures de l’étude du milieu et
l’horaire qui lui était imparti fut revu à la hausse : si au CE1 (Cours élémentaire première année) l’horaire
restait inchangé avec une leçon de 30 minutes par semaine, au CE2 et au CM (Cours moyen), il connut une
hausse avec une leçon de 45 minutes par semaine et une autre de 30 minutes tous les 15 jours
307
. Cette
valorisation de l’histoire, à travers une augmentation de son temps d’enseignement, fut perçue comme un
effort de décolonisation des consciences et reçut alors l’agrément du milieu enseignant traditionnellement
progressiste
308
. Mais malgré tout, la formulation sous forme de thèmes d’étude était de mise : « Du grand
Djolof aux royaumes successeurs (le grand Djolof jusqu’à la bataille de Danki, le Cayor, le Baol, le Sine, le
Saloum, le Djolof après Danki, le Walo après la dislocation du Djolof) étaient des exemples de thèmes
proposés par le programme de 1972 aux élèves de CM1.
309
310
Le programme de 1979
, qui prit le relai pour
apporter quelques rectificatifs et stabiliser le précédent, n’apporta aucune nouveauté dans son énoncé: il
était aussi présenté en thèmes.
En étant ainsi articulés autour d’une pléthore de thèmes, ces différents programmes reposaient sur l’entrée
par les contenus comme modalité de planification des apprentissages. Cette entrée, dont la matrice
historique est l’encyclopédisme, était donc l’héritage d’une Ecole coloniale adepte de l’acquisition et de la
restitution de connaissances livresques, formelles. Elle s’inscrivait aussi dans la logique du « modernisme
classique encyclopédique » qui considère que « connaitre, c’est restituer fidèlement des savoirs reconnus et
validés par la communauté scientifique »
311
.
302
République du Sénégal. (1971). Loi d’orientation 71-36 du 03 juin.
Article 3, ibid.
304
Il s’agit du décret n° 72-861 du 13 juillet 1972 portant organisation de l’enseignement élémentaire.
305
Le programme décliné dans le décret n° 72-861 comprenait trois disciplines fondamentales : la mathématique, l’étude de la langue et l’étude du
milieu.
306
Ministère de l’Education nationale. (1978). Circulaire n° 00691/men/sg/dep du 19 janvier 1978 portant instructions officielles.
307
Ministère de l’Education nationale. (1972). Décret n° 72-861, op.cit.
308
Mangane, S. (1986). L’étude du milieu à l’école élémentaire. Le Pédagogue, 33, 34-39.
309
Ministère de l’Education nationale. (1972) op.cit.
310
Ibid.
311
Consulter De Ketele, J-M. (2008). Logique et compétences et développement curriculaire. Débats, perspectives et alternative pour les systèmes.
Paris : L’Harmattan.
303
248
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
La formulation générale et imprécise des thèmes d’étude constituait un obstacle majeur à une bonne mise
en œuvre des programmes d’histoire. En effet, même si les instructions officielles de 1978
312
indiquaient aux
enseignants des orientations méthodologiques assez claires, ceux-ci éprouvaient de réelles difficultés dans
la formulation des objectifs d’apprentissage. En guise d’illustration, nous pouvons nous appuyer sur trois
fiches pédagogiques élaborées en 1981 par trois instituteurs titulaires accumulant tous plus de cinq ans
d’expérience. Pour une même leçon (l’agriculture au CE2), trois objectifs différents sont proposés :
-
« Au terme de la leçon, les élèves pourront comparer l’agriculture d’hier et d’aujourd’hui »
314
313
;
-
« Au terme de la leçon, les élèves connaîtront l’évolution de l’agriculture »
-
« Au terme de la leçon, les élèves devront être capables de définir l’agriculture et d’identifier les
types d’outils utilisés hier et aujourd’hui »
;
315
.
Avec ces objectifs différents, les maîtres, à la lumière des résumés proposés, avaient livré aux élèves des
connaissances légèrement différentes. Le premier enseignant avait procédé à des comparaisons sur
l’outillage, la taille des exploitations et les productions d’hier et d’aujourd’hui ; le second organisait sa leçon
autour de l’agriculture familiale (outillage, plantes cultivées) et l’agriculture commerciale (outillage, taille des
exploitations et plantes cultivées) ; le dernier avait fait définir l’agriculture et comparer l’outillage d’hier et
d’aujourd’hui.
La formulation en thèmes d’étude assez généraux et imprécis laissait donc une marge d’appréciation
considérable aux enseignants dans l’énoncé de l’objectif de la leçon et dans le choix des connaissances
précises à transmettre. Cependant, l’existence de manuels d’histoire
instituteurs
317
316
et la bonne formation initiale des
jugulaient les possibilités d’avoir « autant de leçons d’histoire que d’enseignants »
318
.
Malgré tout, le système éducatif dans sa globalité faisait l’objet d’acerbes critiques, notamment de la part du
SUDES (Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants du Sénégal) dont les grèves répétitives
amenèrent l’Etat à proposer un autre type d’école, et un autre mode de planification des programmes.
1-2 l’intermède de l’Ecole nouvelle et son application: le règne de l’énoncé en objectifs, 1987-1996
La grave crise scolaire qui sévit en 1980 du fait des grèves persistantes du SUDES qui dénonçait « le
caractère élitiste, les faibles performances, et l’orientation extravertie du système en place »
319
, obligea
Abdou Diouf, arrivé au pouvoir en janvier 1981, à convoquer les Etats Généraux de l’Education et de la
Formation (EGEF) dont les conclusions préconisaient, entre autres, le renouvellement des méthodes
pédagogiques et la refonte des programmes scolaires dans le but d’associer plus étroitement
enseignements et processus productifs. « Une école nationale, démocratique et populaire », dans laquelle
312
Les instructions officielles, qui déclinaient les méthodes pédagogiques à mettre en œuvre pour dérouler les programmes de 1972, sont
consignées dans la circulaire n°00691/men/sg/dep du 19 janvier 1972. Elles continuaient à régir les pratiques de classes jusque dans les années
1980 et même 1990.
313
Fiche pédagogique anonyme, n°6, CE2, 26- 11- 1981.
314
Fiche pédagogique anonyme, non numéroté, CE2, 22-11-1981.
Fiche pédagogique anonyme, n° 7, CE2, 18-11-1981.
316
Par exemple le manuel intitulé Histoire du Sénégal et de l’Afrique, rédigé en 1976 par Iba Der Thiam alors Professeur agrégé
d’histoire et de géographie, et Nadiour Ndiaye directeur d’école et parfaitement conforme au programme fixé par le décret n° 72-861 du
13 juillet 1972, fut largement utilisé par les enseignants. El Hadji Lamine Niang est né le 01 janvier 1940 à Khombole. Il a été maître,
directeur d’école de 1964 à 1995 dans presque toutes les régions du Sénégal. Entretien réalisé le 12 octobre 2015 à Rufisque où il
réside actuellement.
317
Des instituteurs bénéficiaient d’une formation de trois ans dans des Ecoles normales, même si d’autres (les instituteurs adjoints)
étaient formés pendant une année scolaire dans les CFP (Centre de Formation Pédagogique).
318
El Hadji Lamine Niang, op.cit
319
Fall, A. (2002). L’Ecole au Sénégal : la question de l’adaptation. Histoire d’une problématique récurrente de 1817 à nos jours.
Dakar : UCAD. Thèse de troisième cycle. Histoire., p. 302.
315
249
Djibril SECK
N° 20
Décembre
2015
l’enseignement et la production, la théorie et la pratique font parfaitement bon ménage, devait être le
modèle approprié pour opérationnaliser les conclusions des EGEF. Ainsi, dès octobre 1987, 102 classespilotes furent ouvertes sur l’ensemble du territoire pour expérimenter les programmes de l’Ecole nouvelle
(issue des EGEF
320
) qui se mit, dès sa naissance, à l’heure de la pédagogie par objectifs. Cette nouveauté
paradigmatique dans le domaine de la pédagogie irriguait toutes les réformes éducatives des années 80, et
avait même induit une évolution du statut de la connaissance qui devait être perçue comme « la preuve de la
maîtrise de savoirs et de savoir-faire énoncés en termes observables, évaluables et mesurables ».
321
D’ailleurs, elle s’inscrivait dans la logique du « modernisme scientifique expérimental » qui, en se substituant
au « modernisme classique encyclopédique » s’était imposée comme la troisième strate dans l’évolution du
statut de la connaissance
322
. Pour être dans la mouvance de la pédagogie par objectifs, l’histoire scolaire
déclina alors ses contenus sous forme de corpus d’objectifs opérationnels que les élèves doivent acquérir.
Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, le programme de CE2
devint : « Découvrir l’évolution de
l’agriculture (aujourd’hui, hier) ; « Découvrir les faits marquants et les figures historiques du royaume du
Tékrour »
323
.
Cette formulation était dans les bonnes grâces des maîtres car, elle leur balisait la voie de la construction de
leurs activités d’’enseignement, leur fournissait dès le premier coup d’œil jeté sur le programme le point de
mire de la leçon, leur permettait de choisir judicieusement les moyens pédagogiques et matériels
(subordonnés à l’objectif) et d’évaluer les apprentissages sur une base rationnelle et objective
324
. Bref, avec
cette formulation, l’enseignant, dans le quotidien de la classe, pouvait à courte échéance et sans effort, bien
identifier les résultats que doivent atteindre ses élèves. Seulement, certains objectifs formulés dans le
programme avec des verbes ayant des significations assez imprécises (découvrir en est un exemple)
étaient reformulés par des enseignants
325
. Ce qui donnait parfois lieu à un morcellement souvent outrancier
de ces objectifs et à des leçons simplistes, ennuyeuses pour les élèves
326
.
Malgré l’immense enthousiasme qu’elle avait suscité, l’Ecole nouvelle, expérimentée à travers les classespilotes (supplantées d’ailleurs par les écoles-pilotes à la rentrée 1990-1991
327
), ne parvint guère à s’imposer
dans lé décor éducatif sénégalais. Une économie sous perfusion des politiques d’ajustement imposées par
la Banque mondiale et le FMI, un espace scolaire alors pollué par des grèves cycliques
328
donnèrent un
coup fatal à l’Ecole nouvelle qui subsistait cependant, dans sa dimension pédagogique, dans les réalités de
la classe. Pour preuve, la pédagogie par objectifs, qui constituait le référentiel méthodologique des
programmes de l’Ecole nouvelle, commençait à s’ancrer dans les pratiques enseignantes au milieu des
années 1990
329
. Pourtant elle faisait l’objet de beaucoup de critiques allant de la juxtaposition et du
320
Id, p. 67.
De Ketele, J-M. (2008), op.cit., p. 64.
De Ketele, J-M. (2008), op.cit., p. 64.
323
Cf., Ministère de l’Education nationale. (1987). Guide pédagogique pour les classes pilotes. Dakar : JNEADE.
324
El Hadji Lamine Niang, op. cit.
325
Ibid
326
Pour présenter une leçon sur El hadji Omar Tall, un enseignant avait proposé l’objectif suivant : « Au terme de la leçon, les élèves
doivent être capables de citer les dates des différentes batailles menées par El hadji Omar Tall ». Fiche pédagogique CM2, non
numérotée, 26- 04- 1989.
327
Fall, A. (2002). op. cit., p. 83.
328
Sonko, A. (1996). Avant-propos. Actes de la session d’évaluation des Etats généraux de l’Education et de la formation. Dakar :
UCAD, p. 2.
329
El Hadji Lamine Niang, op.cit.
321
322
250
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
saucissonnage des objectifs et des séquences d’apprentissage, à la non prise en considération, selon les
330
socioconstructivistes, de l’action de l’apprenant et de l’influence de ses pairs.
Elle céda alors le pas à l’approche par compétences. Cette dernière devint à la fin des années 1990 la
troisième porte d’entrée pour la planification des apprentissages adoptée par l’Ecole sénégalaise.
1-3 L’avènement de la formulation en compétences, 1996-2014
Les critiques formulées à l’encontre de la pédagogie par objectifs, le surgissement dans les années 1990 de
l’économie de la connaissance (valorisant le capital humain) dans l’armature conceptuelle du
développement et l’exigence de compétitivité induite par la mondialisation installèrent un nouvel ordre
éducatif mondial qui refondit le statut de la connaissance et le processus de l’apprentissage. En effet, la
connaissance ne doit pas être une formule ou une procédure creuse, vide de sens ; elle doit être finalisée et
se mettre au service d’une action, d’une production ou de la résolution de problèmes. Bref, elle est érigée en
instrument devant servir au développement de compétences. Quant au processus d’enseignementapprentissage, il ne doit plus se limiter à faire accumuler des connaissances mais à développer aussi des
compétences c'est-à-dire des capacités à « mettre en œuvre, en situation, dans un contexte déterminé,
d'un ensemble diversifié mais coordonné de ressources ».
331
Ce nouveau paradigme de la compétence, qui correspond, dans l’évolution du statut de la connaissance au
« post-modernisme professionnalisant »
332
, change le rapport de l’apprenant au savoir : il ne s’agit plus pour
lui de pouvoir redire ou refaire un savoir ou un savoir faire, mais Il s’agit surtout de pouvoir en faire usage
dans des situations réelles, scolaires ou extrascolaires. Alors, dans les processus d’enseignementapprentissage, la pédagogie par objectifs fléchit au profit de l’entrée par compétences qui s’abreuve à la
source de la pédagogie de l’intégration et de la pédagogie situationnelle.
Le brouillard programmatique et méthodologique qui s’était installé au Sénégal dans la deuxième moitié des
années 1990 du fait notamment de l’agonie de l’Ecole nouvelle et de l’essoufflement du programme de
1979 incita le système éducatif sénégalais, alors à la recherche d’un second souffle, à se saisir de la
planche de salut de l’approche par compétences d’autant plus que celle-ci, nonobstant quelques critiques
333
,
semble faire consensus. Le Sénégal s’engagea alors dès 1996 dans la voie de la construction d’un
curriculum de l’éducation de base adossée au paradigme de la compétence et visant à rendre les
précédents programmes plus pertinents et à orienter les apprentissages vers des acquis plus fonctionnels.
Au bout d’une dizaine d’années de conception et d’élaboration de ce curriculum, des programmes structurés
autour de la compétence sont stabilisés. Le programme d’histoire est alors reformulé et décliné en un
schéma qui part de la compétence de base (à installer en principe chez chaque élève à la fin de l’étape) aux
contenus en passant successivement par les
paliers, les objectifs d’apprentissage et les objectifs
spécifiques.
La compétence est formulée avec les constituants suivants :
330
De Ketele, J-M. (2008), op.cit., p. 64.
Pour plus d’informations sur le concept de compétences, lire Jonnaert, P., (2002). Compétences et socioconstructivisme. Bruxelles :
De Boeck Université.
332
De Ketele, J-M. (2008), op.cit., p. 64.
331
333
Les notes dissonantes véritablement audibles dans le concert d’unanimité autour de l’approche par compétences portent sur la
caporalisation de l’école par l’entreprise. Se reporter à Laval, C. (2010). Le nouvel ordre éducatif mondial. OMC, Banque Mondiale,
OCDE, Commission européenne. Paris : Nouveaux Regards/Syllepse.
251
Djibril SECK
-
N° 20
Décembre
2015
Le verbe « intégrer » : pour rappeler constamment à l’enseignant que les apprentissages
ponctuels ne sont réellement pertinents que s’ils préparent leur mobilisation dans des situations
d’action ;
-
Les ressources (les connaissances, habiletés et attitudes) sur lesquelles portent les
apprentissages ponctuels ;
-
La situation dans laquelle se construit et s’exerce la compétence ;
-
Le résultat attendu qui est souvent indissociable de la situation.
En guise d’exemple, la compétence de base à installer chez l’élève de la deuxième étape (CE1-CE2) est la
suivante : « Intégrer des techniques de recherche (observation, enquête, étude documentaire, etc.,) dans
des situations de découverte de faits historiques du milieu proche ».
334
Cette compétence porte sur la
découverte des faits saillants de l’histoire du milieu proche. Elle s’actualise dans des situations où l’élève
utilise comme ressources l’observation, l’enquête ou l’étude documentaire pour établir la monographie de
son milieu proche. Elle est décomposée en quatre paliers. Les deux premiers paliers
335
, traités au CE1,
couvrent des apprentissages comme la consolidation de la notion de temps, la découverte du passé local et
l’organisation des structures de base (quartier, village, commune). Quant aux deux derniers paliers du CE2,
ils développent l’idée de progrès et les différentes formes d’organisation des royaumes du Sénégal.
Chaque palier est à son tour décomposé en objectifs d’apprentissage dont le niveau de complexité est tel
qu’ils ne peuvent être réalisés au terme d’une séance d’apprentissage. A titre d’illustration, « découvrir la
notion de temps » est le premier objectif d’apprentissage résultant de la déclinaison du premier palier du
CE1. Pour être opérationnel, cet objectif d’apprentissage est décliné en trois objectifs spécifiques :
« Distinguer passé, présent et futur », « Se situer dans une tranche de temps », « Situer des événements ou
des faits dans le temps ». Les contenus arrimés à chacun des objectifs spécifiques (par exemple les notions
aujourd’hui, hier, demain pour le premier objectif), la durée (en termes de nombre de séances et de temps
d’exécution de chaque séance) d’enseignement-apprentissage et les activités supports de ces contenus
sont aussi bien précisés dans le guide pédagogique
336
(principal outil du curriculum de l’éducation de base)
qui propose même en guise d’illustration des démarches de leçon.
L’évolution induite par le curriculum de l’éducation de base, du point de vue de la formulation des
programmes, réside donc dans la précision de la quasi-totalité des éléments constitutifs d’une activité
d’enseignement-apprentissage dont une bonne partie étaient passés sous silence par le programme de
1979 et celui des classes-pilotes. Cette évolution s’explique par le souci des autorités académiques
d’harmoniser les pratiques pédagogiques et d’accompagner les enseignants dans la mise en œuvre de cette
innovation car, avec la création en 1995 du corps des volontaires de l’éducation (qui ne bénéficiaient
d’aucune formation digne de ce nom), la formation initiale et la professionnalisation des enseignants
334
Ministère de l’Education nationale. (2008). Guide pédagogique pour l’enseignement élémentaire. Curriculum de l’éducation de base.
Dakar : EENAS.
335
Le palier est le premier niveau de déclinaison de la compétence de base. Il a la même formulation que la compétence. D’où son
appellation de compétence intermédiaire. Au CE1 par exemple, le premier palier par lequel passe l’acquisition de la compétence de
base est la suivante : « intégrer des techniques d’observation et d’enquête dans des situations de découverte de la notion de temps et
de l’histoire locale ». Ibid.
336
Ibid.
252
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
devenaient les talons d’Achille du système éducatif sénégalais
337
. Cependant, en se substituant aux
enseignants dans la formulation des objectifs spécifiques, le choix de contenus adaptés et précis, et en
indiquant des directives méthodologiques parfois rigides, le guide pédagogique risque de promouvoir une
pédagogie dogmatique, bureaucratique qui robotise la pratique enseignante en la dépouillant de son âme
c’est-à-dire sa dimension artistique.
L’évolution du mode de déclinaison du programme d’histoire était donc indexée sur le mouvement
pédagogique international qui en était même un des principaux ressorts, ce qui est révélateur de la volonté
constante de l’école sénégalaise de s’encastrer, du point de vue des méthodes et pratiques pédagogiques,
dans la mouvance éducative mondiale.
Cette évolution s’est accompagnée de l’effort inlassable des autorités académiques de proposer des
contenus vibrant au rythme des enjeux politiques, sociaux, culturels et scientifiques de chaque période.
2 Les contenus, entre enjeux idéologiques et préoccupations scientifiques
Sous l’emprise de multiples enjeux, les contenus proposés en classe d’histoire ont connu une réelle
évolution de 1962 à 2014.
2-1 Hégémonie d’une histoire idéologique, 1962-1996
Instrument de colonisation, l’enseignement de l’histoire devait surtout servir, dans le contexte colonial, à la
« civilisation » et à la christianisation des jeunes colonisés
338
. A l’accession du Sénégal à l’indépendance,
cet enseignement fit alors l’objet d’une tentative de décolonisation. En effet, conformément aux
recommandations de la conférence d’Addis-Abeba de 1961, le programme d’histoire subit dès 1962 une
épuration qui la débarrassa de toute sa teneur avilissante pour la personnalité africaine
339
. Ainsi, des figures
de la lutte anticoloniale comme Lat Dior et El hadji Omar, furent valorisées et présentées comme « fierté
nationale pour leur résistance à la colonisation »
340
. D’ailleurs à travers ses contenus, l’histoire scolaire
devait surtout être un instrument de construction et de consolidation de la nation sénégalaise puisqu’au
début de l’indépendance, considérant qu’il avait précédé cette nation alors en chantier
mission de promouvoir, par l’action scolaire
342
341
, l’Etat s’attribuait la
, le sentiment d’appartenance à la communauté nationale
343
.
Ainsi en 1962, cette histoire, s’appropriait la question de la construction nationale très prégnante dans
l’espace public
344
. Elle cherchait alors à doter le Sénégal d’une histoire la plus ancienne et la plus glorieuse
possible en le présentant dès le CE1 comme héritier de royaumes et d‘Etats fondés à l’époque précoloniale,
avec une bonne organisation politique et sociale.
345
Le territoire du Sénégal, qui est « un référent qui compte
337
Par exemple, en 2007, 53,8% des enseignants du cycle élémentaire étaient sans formation initiale et sans qualification. Se référer
à CONFEMEN. (2007). Rapport PASEC, Sénégal, p. 29.
338
Voir Sow, A. (2004)., op.cit.
Fall, A. , (2012). Eduquer au national en Afrique, le cas sénégalais : une mission impossible ? Liens, 15, 76-94.
340
Ministère de l’éducation et de la culture, (1962). Circulaire 11. 450 du 8 octobre 1962, op.cit.
341
En 1961, dans le cadre de son premier plan quadriennal, le gouvernement du Sénégal se fixait comme priorité la construction d’une
nation à travers « l’usage généralisé d’une langue commune et le partage d’une même culture par les divers groupes de la population ».
République du Sénégal, Plan quadriennal de développement. 1961-1964, ronéoté, p. 131.
342
Pour de plus amples information sur l’instrumentalisation de l’école sénégalaise au début des années 1960 à des fins de
construction nationale, lire FALL M. (1961). L’école au service de la construction nationale . École nationale sénégalaise, 3, 7-10.
343
Fall A., (2012). op.cit.
344
Par exemple en février 1962 à Thiès, lors du congrès de l’UPS (Union Progressiste Sénégalaise) alors parti au pouvoir, la question
de la construction nationale occupa une large place dans les débats. Cf., Ibid.
345
Ministère de l’éducation et de la culture, « Circulaire 11. 450 du 8 octobre 1962” , op.cit, p. 74.
339
253
Djibril SECK
N° 20
dans l’affichage de l’identité de la nation sénégalaise »
346
Décembre
2015
n’était guère donc considéré comme une
fabrication de l’histoire coloniale et était alors enracinée dans la période précoloniale
347
. Et la défense de
l’intégrité de ce territoire fut brandie comme la principale motivation de la résistance anticoloniale étudiée au
CM
348
.
L’histoire enseignée à l’école élémentaire devait aussi, par ses silences, construire et consolider au début de
l’indépendance le sentiment d’appartenance nationale. Malgré leur ancrage dans l’histoire du Sénégal
349
et
dans la conscience collective des Sénégalais dont la grande majorité adulent les fondateurs des
mouvements confrériques et les perçoivent comme des héros de la résistance anticoloniale, les
phénomènes maraboutique et confrérique étaient totalement ignorés par le programme d’histoire de 1962.
Dans le contexte du début des années 1960 où l’identité confrérique était fortement mise en avant par des
Sénégalais
350
, ce silence était sans doute pour les pouvoirs publics une manière de revigorer la conscience
nationale en obstruant le patriotisme et le communautarisme confrériques qui devenaient audibles sur le
champ politique
351
.
Si l’histoire scolaire était mobilisée pour jouer sa partition dans la construction et la consolidation de la nation
sénégalaise, c’est parce que celle-ci devait reposer, selon les autorités politiques, sur le pilier ethnoculturel
constitué d’une langue, d’une culture et d’une histoire partagées
trouver sa respiration dans la vitalité des cultures locales
352
. En plus, L’unité de la nation devait
353
. Le programme d’histoire de 1962 rendait aussi
compte de cette option car, il cherchait à développer un sentiment d’appartenance à la communauté
nationale qui ne reposait pas sur un désaveu de l’identité de base comme celle cristallisée autour d’un
terroir, que nous appelons identité spatiale. Il faisait alors une large place aux royaumes locaux tels que le
Cayoor, le Baol, le Walo, le Tékrour présentés comme des provinces historiques du Sénégal
346
354
. Dans le
Mbow L. (2013). La production du territoire sénégalais. Liens, 17, 6- 42.
Au CE1 par exemple, la partie portant sur la période précoloniale est intitulé « Mon pays à l’époque précoloniale ». Elle comporte
même un chapitre ayant pour titre « Naissance du Sénégal ». Ministère de l’éducation et de la culture. (1962) op.cit. p. 74.
348
Id, p. 73.
349
Déjà à partir de 1673, l’espace sénégambien fut secoué par une guerre sainte déclenchée par des marabouts maures et toucouleurs
contre les collaborateurs locaux de la traite négrière. Pour de plus amples informations sur la guerre des marabouts en Sénégambie,
lire Robinson, D. ; Triaud J-L(1997). Le temps des marabouts. Itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française v.
1880-1960. Paris : Editions Karthala.
350
Par exemple à la fin des années 1940 et dans la première moitié des années 1950, au plus fort de la rivalité entre les militants de la
SFIO de Lamine Guère (les bérets rouges) et les partisans de Senghor (les bérets verts), où chaque sénégalais mettait en avant son
appartenance à l’un des camps, les mourides aimaient fredonner « Laminuma, senghoruma : maa gui thi bamba » (je ne suis ni du
camp de Lamine, ni de celui de Senghor : je milite pour bamba). Seck, D. (2000). Histoire des modes vestimentaires chez les jeunes
filles à Dakar. Dakar : UCAD. Mémoire de maitrise, Histoire. Cette confrérisation de l’identité semble atteindre son paroxysme
actuellement où des Sénégalais mettent par exemple leur comportement vestimentaire et leur téléphone portable respectivement aux
couleurs et aux sons de leur confrérie.
351
Les Tidjanes qui avaient aussi une forte conscience confrérique avaient investi à la fin des années 1950 le champ politique par
l’intermédiaire de leur marabout Cheikh Ahmed Tidjane Sy qui créa le PSS (Parti de la Solidarité sénégalaise). Et lors des élections
législatives de 1959, le PSS avait réalisé ses grands scores dans des villes considérées comme des bastions de la Tijanyya : SaintLouis (6418 voix pour le PSS contre 5020 pour l’UPS de Senghor), Tivaoune (2538 voix pour le PSS contre 221 pour l’UPS), Kaolack
(4788 voix pour le PSS contre 4591 pour l’UPS). Voir Fabienne,S. (2006). Les marabouts de l’islam politique. Le Dahiratoul
Moustarchidina Wal Moustarchidaty, un mouvement néo-confrérique sénégalais. Paris : Karthala.
352
L’Etat définissait la nation comme « un ensemble d’hommes et de femmes manifestant une commune volonté de vie commune,
partageant une langue, une culture et une histoire communes ». Cf., Diouf, M. (1998). Sénégal. Les ethnies et la nation. Dakar : NEAS,
p. 12.
353
Le sentiment d’appartenance à la nation que l’Etat promouvait par l’action éducative ne devait guère étouffer le sentiment
d’appartenance à une communauté. Cf. CINAM-SERESA-Comité d’études économiques. –Rapport sur les perspectives de
développement du Sénégal. Rapport général. Juillet 1960. Pagination discontinue par chapitres, chap. I-4, ronéoté. Cité par Fall A.,
op.cit., p. 4.
354
Pour faire apparaitre ces royaumes comme des provinces du Sénégal et donc des pans du territoire national, la géographie était
mise en contribution : le discours géographique scolaire superposait le royaume et des régions administratives à travers des
affirmations du genre « la région de Thiès correspond à l’ancien royaume du cayoor et à une bonne partie du royaume du Baol ». Cette
sollicitation de la géographie pour mieux faire remplir à l’histoire sa mission de consolidation de la conscience nationale fut surtout
amplifiée dans les années 1970 et 1980. Voir à ce sujet Timera, M-B. (2009). L'identité sénégalaise à travers la géographie scolaire, de
347
254
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
contexte des années 1960 où le lien avec le terroir recélait une forte dimension identitaire
355
, cette mise en
relief des histoires locales pouvait aussi satisfaire les besoins identitaires des populations.
En outre, la politique de construction nationale dans sa dimension scolaire rendait plus prégnante l’identité
spatiale au détriment de la référence à l’ethnie. Comme pour amollir le sentiment d’appartenance ethnique
dont la revigoration pouvait être source de fragilisation du consensus national
356
, le programme d’histoire
s’efforçait de rendre les royaumes locaux neutres et anonymes sur le plan ethnique en suggérant d’étudier
leur création, leur situation géographique (pour mieux les corréler à un terroir), leur organisation politique et
sociale et quelques unes de leurs grandes figures
357
.
Cependant, l’histoire enseignée à l’école élémentaire au lendemain de l’indépendance n’était pas
suffisamment nationale, inclusive et partagée pour être un vecteur d’intégration nationale. Elle passait sous
silence les anciens royaumes du sud et de l’est du Sénégal et privilégiait donc ceux de l’ouest, du nord et du
358
centre. Cette marginalisation
de la Casamance (et du Sénégal oriental) dans les programmes d’histoire de
l’école élémentaire sur fond de prégnance de la composante islamo-wolof comme modalité centrale de
construction de l’Etat postcolonial
359
fut peut-être un des germes de frustration de ses populations (qui
s’auto-excluaient même du territoire national
360
) et, partant, du mouvement indépendantiste casamançais
361
.
Et elle résultait sans doute d’une absence de politique de mémoire mettant à contribution l’enseignement de
l’histoire dans la construction d’une mémoire collective, un des soubassements du sentiment d’appartenance
nationale.
Avec une telle tare congénitale, l’histoire scolaire (notamment celle enseignée à l’école élémentaire) du
début des années 1960 ne pouvait disposer d’une assise solide; elle n’intégrait pas, par ses silences, toute
362
la demande sociale de mémoire
. Elle fut alors fortement ébranlée par le tourbillon de la révolte
estudiantine de mai 1968 et portait l’empreinte de la nouvelle volonté des pouvoirs publics d’orienter,
notamment par l’action éducative, la société sénégalaise vers une trajectoire plus nationaliste
363
. En effet,
l'indépendance aux années 1990. L’Espace géographique, 3, 233-250 URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2009-3page-233.htm.
355
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dans les années 1960 et 1970, les « néo-dakarois » (issus des flux migratoires en
provenance de l’intérieur du pays) délestés de leur terroir (c'est-à-dire leur premier ancrage) s’accrochaient à leur culture locale pour
que leur délocalisation ne se paie pas en désaffiliation. Ils mettaient alors en avant leur appartenance à un terroir (qui était un élément
identificateur) et se définissaient comme jambur jambur, baol baol, cajoor cajoor, etc. D’ailleurs, devant des boutiques ou sur les
véhicules de transport en commun, il était fréquent de voir des écriteaux du genre «jambur boutique, cajoor transport », etc. Cf. Seck,
D. (2015). Ordre colonial, identités et masculinité. La lutte à Dakar, 1914-1960, Liens, 19, à paraître.
356
Au lendemain de l’indépendance, l’ethnie n’était pas retenue comme un critère de définition de la nation, et était même perçue par
les dirigeants sénégalais comme un obstacle à la consolidation d’une conscience nationale. Elle fut alors reléguée à l’arrière plan au
profit d’une communauté de base se déclinant en deux catégories interdépendantes, les ruraux et les citadins. Cf., Timera, M-B. (2009),
op.cit., p. 14.
357
Ministère de l’éducation et de la culture. (1962), op.cit, p. 74.
358
Cette marginalisation est à nuancer car le sud et l’est était représentés par Mamadou Lamine Dramé et Fodé Kaba Dumbuya au
panthéon des « héros nationaux » de la lutte anticoloniale célébrés par le programme d’histoire de 1962. Cf. Seulement, les Joola
contestaient le choix du marabout manding Fodé Kaba qui avait déclenché contre eux une guerre sainte à partir de 1850. Fall, A.
(2012), op. cit., p. 83.
359
Lire à ce sujet O’brien, D.C. ; Diop, M.-C. ; Diouf, M. (2002). La Construction de l’État au Sénégal. Paris : Karthala.
360
Dans les années 1960, les populations du sud et de l’est désignaient les autres régions du pays sous le vocable « Sénégal »,
comme si celles-ci constituaient une entité nationale qui leur est étrangère. Cette posture « d’auto-exclusion du territoire national » (que
nous avons constatée durant notre séjour de quatre ans à Kolda dans les années 1990) est révélatrice d’un déficit d’intériorisation de la
nation sénégalaise chez ces populations.
361
La « marginalisation périphérique » de la Casamance dans les années 1960 et 1970 est brandie comme une explication de la
rébellion indépendantiste qui secoue cette région depuis 1981. Se référer Diop, M.C. ; Diouf, M. (1990). Le Sénégal sous Abdou Diouf.
Etat et Société. Paris : Editions Karthala.
362
La demande sociale de mémoire, qui est surtout affective, s’inscrit dans une logique de recherche et de construction identitaires de
groupes sociaux. Lire sur cette question Prost,A. (2000). Comment l’histoire fait-elle l’historien ? Vingtième Siècle, 65, 3-12 et
Halbwachs,M. (1997). Les Cadres sociaux de la mémoire. Paris : Albin Michel.
363
Pour accoucher d’une société plus enracinée dans des valeurs africaines et locales, le système éducatif proposé par la loi
d’orientation de l’éducation nationale du 03 juin 1971 devait s’appuyer sur les langues nationales.
255
Djibril SECK
N° 20
Décembre
2015
Pour « relocaliser » une jeunesse (fer de lance de cette révolte) considérée comme extravertie et lui insuffler
un regain de patriotisme et de nationalisme, les pouvoirs publics recoururent, entre autres moyens
364
, à
l’histoire. Ainsi, dans le nouveau programme de 1972, l’histoire scolaire fut investie de la mission de « faire
connaître le milieu à l’élève »
365
, de « le lui faire aimer »
366
, et devait revêtir les allures d’une leçon de
367
morale, de civisme et de patriotisme
. Pour réussir cette double mission, elle ambitionnait d’abord
d’enraciner l’enfant dans son milieu immédiat et proche avant de l’ouvrir « à de plus vastes horizons à
l’échelle du continent africain »
368
. Alors, elle mettait en œuvre un programme qui portait au cours
élémentaire première année (CE1) sur l’école (sa création, ses premiers maîtres, son extension), le village
ou le quartier, les royaumes existant dans la localité de l’enfant. Ce programme s’étendait ensuite au CE2
sur le Sénégal à l’époque coloniale, au moment des contacts avec les peuples de race blanche, pendant la
colonisation française, durant la conquête de l’indépendance et après celle-ci. Et il couronnait le processus
de découverte du milieu en planchant au cours moyen (CM) sur les empires noirs de l’Afrique occidentale
e
(l’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhoï) et sur les progrès de l’humanité au XX siècle. Le
milieu historique était donc étudié par cercles concentriques, du local vers le global, par souci de « s’adapter
à l’évolution psychique de l’enfant »
l’Afrique et le monde ».
369
et de réaliser « le double but d’enracinement et d’ouverture sur
370
La connaissance du milieu dont l’histoire s’efforçait d’être le vecteur devait déboucher sur l’attachement
sentimental à la patrie. Le programme de 1972 suggérait alors d’étudier les royaumes en présentant comme
modèle de patriotisme et de bravoure les principaux personnages ayant participé à leur formation, à leur
évolution. Alors, dans le manuel d’histoire
371
par le décret n°72-861 du 13 juillet 1972 »
Sénégal « une terre de patriotisme »
animés d’un patriotisme ardent »
374
373
qui se voulait « rigoureusement conforme au programme fixé
372
, les résistants à la conquête coloniale, qui avaient fait du
étaient présentés comme des « héros au courage indomptable,
et des « exemples à suivre par chaque sénégalais »
inciter une jeunesse alors réceptive aux valeurs guerrières
376
375
. Et comme pour
à mieux s’identifier à ces héros, les ressources
iconographiques de ce manuel les peignaient sous des traits guerriers
377
. En les chargeant ainsi d’une forte
364
Parmi ces moyens, nous pouvons citer le durcissement de la censure cinématographique. En effet, grande consommatrice d’images
filmiques, la jeunesse du début des années 1970 devait, selon les autorités étatiques, être protégée de la « vague d’érotisme et de
violence qui tente, par le moyen du cinéma, de submerger un pays neuf comme le Sénégal et de nuire à son essor parmi les nations
saines et fortes». Le Soleil, n° 28, op.cit., p. 2. Elles mirent alors en place, à travers le décret du 29 juin 1970, un nouveau système de
censure « apte à canaliser la force de suggestion et de pénétration du cinéma, tout en éduquant les spectateurs ». Ibid.
365
Ministère de l’Education nationale. (1972). Décret n° 72-861, op. cit., p. 79.
366
Ibid.
367
Ibid.
368
République du Sénégal. (1973). Journal officiel de la République du Sénégal, n°4274, 1 er février 1973, p. 258.
369
Id, p. 259.
Ibid. Le diptyque enracinement-ouverture, cher au président Senghor, était le pivot de la politique culturelle et éducative du
Sénégal durant le magistère du président poète.
370
371
Thiam, I.D. ; Ndiaye N. (1976). Histoire du Sénégal et de l’Afrique. Dakar, Abidjan : NEA.
Ibid.
Id, p. 106.
374
Ibid.
375
Id, p. 116.
376
La masculinité valorisée par la culture jeune (notamment urbaine) des années 1970 était surtout construite autour de la virilité et des
vertus guerrières. Elle puisait ses origines lointaines dans l’éthos ceddo fait de vertus guerrières, d’honneur et de virilité (Lire à ce sujet
Fall, R. (2004). Sociétés wolof et violence politique, une lecture à travers l’histoire. Les Cahiers Histoire et Civilisation, 2, 57-63.). Les
figures qui l’incarnaient (appelées alors dans le langage populaire jeune « guerrier ») étaient adulées par la jeunesse. C’était le cas du
personnage « Brother Thie » du film Baks réalisé en 1975 par le cinéaste sénégalais Momar Thiam.
377
Une des iconographies du manuel met en scène El Hadji Omar Tall dans une posture particulièrement guerrière : chevauchant
devant ses combattants, le sabre à la main droite, il prenait le dessus sur ses ennemis en déroute. Thiam, I.D. ; Ndiaye N. (1976).
Op.cit., p. 106.
372
373
256
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
teneur patriotique et morale pour les offrir comme modèle de héros à la jeunesse, les rédacteurs de ce
programme voulaient sans doute, à travers l’enseignement de l’histoire, fournir des fortifiants patriotiques et
moraux à une jeunesse considérée comme dévitalisée moralement et civiquement (à la suite de mai 68) et
encline à importer ses héros
378
.
En outre, le patriotisme et la consolidation du sentiment national dont l’histoire scolaire ambitionnait d’être la
fabrique devaient s’abreuver aux sources de la conscience africaine et être perméables aux réalités et
379
valeurs culturelles africaines.
D’où la mise en évidence de l’histoire de l’Egypte antique dans le
programme de 1972 (notamment au CM) afin de convaincre le jeune écolier sénégalais que son « continent
a participé très tôt et de façon décisive à l’enrichissement du patrimoine culturel de l’humanité ».
380
Malgré
ce militantisme idéologique et culturel autour de l’histoire de l’Egypte ancienne, aucune allusion n’était faite
aux thèses de Cheikh Anta Diop (pourtant chantre de la négritude de l’Egypte antique) dans les documents
d’accompagnement du programme de 1972, notamment le manuel cité plus haut et les Instructions
officielles de 1978. Celles-ci suggéraient même de ne faire cas de ces thèses, à travers l’injonction faite aux
enseignants de s’abstenir de manifester un « parti pris doctrinal » dans les leçons d’histoire.
381
Toutefois, même s’il était porteur d’un repli nationaliste à forte teneur panafricaine, le programme d’histoire
issu de la réforme de 1971 ne pouvait être vecteur d’une véritable intégration nationale. En effet, il continuait
de marginaliser les histoires locales du sud et de l’est du Sénégal comme si elles n’étaient guère
mobilisables dans la construction d’une identité nationale. Cette seconde marginalisation, qui pouvait faire
apparaitre ces régions comme des déserts historiques, accréditent la thèse des auteurs qui considèrent que
la marginalité dans laquelle la Casamance était enfermée n’était pas un accident historique mais relevait
d’un choix politique
382
.
Ne s’étant pas donc rétabli de sa tare congénitale, le programme d’histoire au cycle élémentaire ressemblait
alors à un costume taillé sur mesure pour le Sénégal de l’ouest du nord et du centre. Une école qui se
voulait nationale ne pouvait le revêtir sans y devenir engoncée. Ce programme fit alors l’objet de
nombreuses critiques
383
et céda le pas en décembre 1979 au « 79-1165 »
384
dont l’une des grandes
nouveautés résidait dans le réaménagement du programme d’histoire qui s’enrichissait des « royaumes de
la Casamance et de la Haute-Gambie »
385
dont l’intégration dans les contenus enseignés aux CE et CM
correspondait à la nationalisation de l’histoire scolaire qui n’était plus amputée d’une région du Sénégal.
Seulement, cette histoire continuait de porter la camisole de force de la « différence casamançaise »
386
manifeste dans la dénomination des royaumes. Alors que les royaumes de l’ouest, du nord et du centre
traditionnellement étudiés (le cayor, le baol, le walo, etc.) étaient présentés sous le sceau de l’anonymat
378
Avec l’ampleur de la consommation filmique à Dakar à la fin des années 1960 et dans les années 1970, la jeunesse dakaroise
s’identifiait à des héros cinématographiques comme Zorro, Django, Pécos, Bruce Lee, Dilip Kumar, etc. Lire à ce sujet Seck, D. (2009).
Le loisir cinématographique à Dakar. Dakar : UCAD. Thèse de troisième cycle. Histoire, .
379
L’article 3 de la loi d’orientation n° 71-36 du 03 juin 1971 note : «L'éducation nationale sénégalaise est une éducation africaine,
prenant sa source dans les réalités africaines et aspirant à l'épanouissement des valeurs culturelles africaines ».
380
Thiam, I.D. ; Ndiaye N. (1976). Op.cit p. 28.
381
L’analyse du contexte des années 1970 marqué par les débats houleux autour des thèses de Cheikh Anta Diop et l’ostracisme
académique dont ce dernier faisait l’objet laisse croire que parler de ces thèses relevait d’un parti pris doctrinal et équivalait alors à « un
péché pédagogique ».
382
Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf soutiennent cette thèse. Se reporter à Diop, M-C., ; Diouf, M. (1990), op.cit., p. 46.
383
Fall, A. (2012), op.cit. p. 84.
384
Les enseignants appelaient ainsi les programmes en vigueur à l’élémentaire à partir de 1979, du nom du décret n°79-1165 du 20
décembre 1979 portant organisation de l’Enseignement élémentaire
385
Ministère de l’Education nationale (1979). Décret n° 79-1165, op.cit.
386
« La différence casamançaise » est une expression que nous devons à Marut, J-C. (1996). Les deux résistances casamançaises. Le
Monde diplomatique, janvier 1996.
257
Djibril SECK
ethnique
N° 20
Décembre
2015
387
, ceux du sud et de l’est nouvellement introduits avaient une dénomination ethnique manifeste :
les royaumes joola et manding de la Casamance, les royaumes peuls, le Goy et le Bundu de la Haute388
Gambie.
En mettant ainsi en évidence « les ethnies de la périphérie
disposait d’une large base consensuelle
389
» dans le nouveau programme qui
390
, les pouvoirs publics voulaient sans doute atténuer la prégnance
de la composante islamo-wolof dans le processus de construction nationale.
Alors que le «79-1165 » semblait donner à l’école sénégalaise un nouveau souffle programmatique, le ras
de marée de l’agitation syndicale qui déferla sur l’espace scolaire en 1980 le secoua fortement en obligeant
les autorités publiques à convoquer en 1981 les Etats généraux de l’éducation et de la formation. Les
conclusions de ces Etats le firent supplanter (du moins dans les classes pilotes) en 1987 par un nouveau
programme dit « programmes pour les classes pilotes » qui introduisit des nouveautés dans l’histoire
scolaire. D’abord les figures religieuses
391
, que cette histoire avait toujours ensevelies dans le silence, eurent
droit de cité dans le nouveau programme d’histoire. Mais, dans un contexte marqué toujours par la
prépondérance des identités confrériques et la propension des populations à ériger le fait maraboutique en
références mémorielles, une certaine présence des guides religieux en classe d’histoire était porteuse de
risques d’affaiblissement de l’identité nationale et d’accentuation des conflits de mémoire entre les
communautés confrériques. Le programme d’histoire de « l’Ecole nouvelle » essayait alors de
« déconfrériser » et de nationaliser l’histoire des guides religieux en mettant l’accent sur leur résistance à la
pénétration coloniale. Ainsi, ce programme les présentait comme les principaux animateurs de la
« résistance pacifique », une notion qui venait aussi d’apparaître dans l’histoire scolaire. Même si cette
introduction des figures religieuses dans le programme d’histoire pouvait contribuer à la prise en charge de
la demande sociale de mémoire par l’histoire scolaire, elle était perçue par certains auteurs
392
comme une
opération de marketing politique de la part d’Abdou Diouf qui en avait même récolté des dividendes
électoraux en 1988
393
. Elle peut être aussi interprétée comme un aspect de la politique mémorielle que Diouf
tentait de mettre en œuvre, et dont la Commémoration en 1986 du centenaire de la mort de Lat Dior « héros
national »
394
395
constituait le premier jalon
.
Ensuite, l’entrée d’Aline Sitoe Diatta, une figure historique de la Casamance, dans le panthéon des héros de
la résistance anticoloniale célébrés par l’histoire scolaire constituait l’autre nouveauté du programme
d’histoire des classes pilotes. Et elle s’inscrivait dans la logique du pouvoir de Diouf de mobiliser d’autres
registres symboliques (les figures religieuses, les personnalités historiques de la périphérie) pouvant
387
Retenons cependant que même si ces royaumes n’étaient pas associés à une ethnie, chacun d’entre eux avait une connotation
ethnique. Par exemple, le Baol connotait l’ethnie wolof, le fuuta l’ethnie toucouleur.
388
Ministère de l’Education nationale. (1979). Décret n° 79-1165, op.cit.
389
Les joola par exemple étaient perçus par le « centre » comme une réalité lointaine. En témoignent ces propos du ministre de la
culture Alioune Sène, tenus en décembre 1974 : « Par le fait du cinéma, les jeunes Sénégalais en savent plus sur le Far West et les
cow boy que sur les joola de la Casamance ». Le Soleil, n° 1386, 03 décembre 1974, p. 4.
390
Le programme de 1979 était le fruit de réflexions menées de 1975 à 1977 par les cadres de l’enseignement, les représentants des
parents d’élèves et divers spécialistes de l’éducation. Cf. rapport de présentation du décret n°79-1165
391
Les guides les plus cités étaient Ahmadou Bamba (fondateur du mouridisme), El Hadji Malick Sy, (propagateur de la confrérie
tidjiane au Sénégal) et Seydina Limamou Laye, fondateur de la confrérie des layènes. Cf., Fall, A. (2012), op.cit., p. 10.
392
Ibid
393
Lors des élections présidentielles de 1988, Serigne Abdoul Lahad, Khalife général des mourides avait donné une consigne de vote
en faveur du président sortant, Abdou Diouf.
394
La promotion de Lat Dior en « héros national » n’était pas favorablement accueillie par toutes les communautés. Fall, A. (2012),
op.cit, p. 09.
395
En 1987, bon nombre de lycées et collèges du pays parrainés par d’anciens colonisateurs furent, sur décision du ministre de
l’Education nationale Iba Der Thiam, débaptisés et eurent comme nouveaux parrains des personnalités historiques du Sénégal. Par
exemple, le lycée Faidherbe de Saint Louis fut rebaptisé lycée El Hadji Oumar Foutiyou Tall. Dans la même foulée, une journée
nationale de célébration des nouveaux parrains fut instituée. Ces décisions constituaient un autre jalon de la politique mémorielle de
Diouf.
258
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
provoquer une adhésion uniforme à la nation sénégalaise. Néanmoins, une analyse contextuelle des années
80 relie inévitablement cette entrée à la rébellion du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de
Casamance) alors balbutiante et permet même de l’interpréter comme une offre de séduction à ce
mouvement indépendantiste.
La teneur idéologique des trois premiers programmes d’histoire, qui visaient avant tout à transmettre des
valeurs, des sentiments, des idées, est donc manifeste. En 1996, avec la construction d’un curriculum de
l’éducation de base, un nouveau programme à vocation idéologique moins manifeste signa son entrée en
classe d’histoire.
2-2 Vers une « désidéologisation » de l’histoire scolaire ?
Tenaillé entre les prolongations que jouait le « 79-1165 » et la volonté du Sénégal de ne pas être à rebours
de l’ordre éducatif mondial des années 1990 marqué par le surgissement du paradigme de la compétence,
le programme des classes pilotes déclina au profit d’un curriculum de l’éducation de base généralisé à
l’école élémentaire depuis octobre 2012. Le programme d’histoire défini dans le cadre de ce curriculum
pérennise les nouveautés induites par l’Ecole nouvelle mais apporte des changements qui lui donnent une
réelle originalité par rapport aux programmes précédents. En effet, alors que dans les autres programmes
l’enseignement de l’histoire n’était explicite qu’à partir du CE1, le nouveau programme instaure un
enseignement de l’histoire, avec des contenus bien définis, dès le cours d’initiation (CI). Seulement, il s’agit
d’un enseignement préparatoire à une bonne acquisition du savoir historique puisqu’il doit permettre à
l’élève de structurer le temps en prenant conscience que celui-ci s’écoule, s’ordonne, se mesure et se
représente.
396
Mais l’originalité du programme actuel réside surtout dans l’allure plus scientifique qu’il veut revêtir. Même si
la consolidation du sentiment patriotique et le renforcement de la cohésion nationale sont toujours de mise
(d’où le maintien de l’armature du « 79-1165 » et du programme des classes pilotes), ce programme semble
vouloir s’affranchir du «tout idéologique » en privilégiant les objectifs méthodologiques (liés notamment à la
maîtrise des méthodes d’investigation historique) sur les objectifs cognitifs. Ainsi, il cherche à développer
chez l’élève la compétence à recourir aux techniques de recherche à savoir l’observation (de sites
historiques par exemple), l’enquête et l’étude documentaire pour découvrir les événements historiques du
milieu (immédiat, proche, lointain). De ce point de vue, un de ses documents d’accompagnement
recommande expressément la mise en œuvre de la démarche d’investigation en classe d’histoire
397
. Enfin,
l’Egypte ancienne n’est plus enseignée à l’école élémentaire. Cette autre particularité du présent
programme, qui consacre la disparition de l’antiquité africaine de l’histoire scolaire, ne facilite pas chez
l’apprenant une bonne intelligence du temps historique appliqué aux grands cadres temporels (Préhistoire,
Antiquité, Moyen-âge, Temps modernes, époque contemporaine). L’absence de l’Egypte antique procède
peut-être de la
« désidéologisation » partielle de cette histoire qui veut se donner une plus grande
consistance scientifique en érigeant même comme objectif majeur le développement chez l’élève de la
396
Ministère de l’Education nationale. (2012). Fascicule Didactique des disciplines. p. 56
397
Ibid.
259
Djibril SECK
N° 20
capacité d’analyse et d’interprétation des documents et sources historiques.
398
Décembre
2015
Mais malgré cette vocation
scientifique affichée, le programme actuel laisse des concepts européocentriques comme « la découverte de
l’Afrique » se maintenir à flot. Ce qui révèle nos difficultés pour nous extraire du prisme idéologique dans
lequel le système symbolique occidental nous enferme souvent.
L’évolution des contenus proposés en histoire à l’école élémentaire est donc révélatrice de l’indexation de
l’histoire scolaire, dans les années 1960 et 1970 sur les préoccupations de construction et de consolidation
nationales et de son alignement actuel sur une tendance plus méthodologique et scientifique.
Les méthodes d’enseignement-apprentissage rendent aussi compte de cette évolution.
3 L’approche méthodologique : de la dictature du récit au balbutiement de
l’investigation
Les modes d’énonciation des différents programmes d’histoire et les objectifs visés à travers les contenus
proposés ont toujours cherché des répondants dans les méthodes d’enseignement. Par exemple, les
premiers programmes postcoloniaux (notamment ceux de 1962, 1972 et 1979) dont l’objectif majeur était de
faire éclore le sentiment nationaliste et patriotique chez l’enfant de l’école élémentaire promouvaient des
méthodes pédagogiques en phase avec leur vocation nationaliste et panafricaine. En effet, pour mieux
peindre la classe d’histoire aux couleurs d’une «leçon de morale, de civisme et de patriotisme »
399
, ces
programmes à forte teneur idéologique présentaient l’histoire scolaire (surtout celle la deuxième étape)
comme une succession d’évènements et de données factuelles chronologiquement ordonnés et narrés de
manière à offrir une identité valorisante aux élèves. Et l’enseignement de cette histoire, faisant appel « à la
sensibilité de l’enfant, à son imagination, à son jugement et à son goût du merveilleux »
« anecdotique et pittoresque »
401
400
, devait être
avec la présence de « légendes, de croyances populaires, de contes »
402
.
Il était donc fondé sur la méthode d’exposition orale, avec l’usage du récit que l’élève avait l’obligation de
403
consommer et de restituer. Ce récit, pivot de la leçon d’histoire, émergeait d’un questionnement
élaboré
par le maître qui recensait les réponses fournies par les élèves, les complétait ou les rectifiaient à travers un
exposé de type informatif débouchant sur un résumé consigné dans un cahier de leçons pour être mémorisé
et restitué lors d’une autre séance prochaine. Toute l’activité d’enseignement-apprentissage était donc
régulée par le maître qui confinait l’apprenant dans la posture de consommateur d’un récit à même de
l’émerveiller devant les « périodes de célébrité, de grandeur, de gloire du pays » et d’exalter ainsi son
patriotisme. Et même les autorités académiques exigeaient de l’enseignant des qualités de narrateur pour
mieux émouvoir l’élève et fixer son attention
404
. Comme pour mieux encastrer cette histoire-récit surchargée
398
Ibid.
Ministère de l’Education nationale. (1978). Circulaire n°00691, op.cit.
400
Ibid.
401
Ibid.
402
Ibid.
399
403
Certains enseignants élaboraient ce questionnaire la veille de la leçon d’histoire, notamment le soir juste une dizaine de minutes
avant l’arrêt des cours. Ils demandaient aux élèves de l’administrer aux parents ou à d’autres personnes ressources (chef de quartier,
Imam, griots, etc.) habitant leur quartier. El Hadji Lamine Niang, op.cit.
404
La qualité du récit était un des critères à l’aide desquels les inspecteurs de l’enseignement évaluaient nos leçons d’histoire. Ibid.
260
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
de teneur idéologique dans les pratiques pédagogiques, Histoire du Sénégal et de l’Afrique
405
, le principal
manuel de références des enseignants dans les années 1970, était rédigé sous forme de récit, avec des
chapitres comprenant chacun « un exposé relativement substantiel »
émouvoir, exalter et souvent mystifier
406
407
. Cependant, en voulant captiver,
, l’histoire-récit ne mobilisait presque pas l’esprit critique
408
de l’élève
et l’exposait alors aux manipulations, aux pièges, aux dissimulations et aux exagérations parfois inhérentes
à l’histoire.
Par ailleurs, le programme de l’Ecole nouvelle, qui ne rompait pas totalement les amarres avec « l’histoire
idéologique », continuait à donner la part belle à l’histoire-récit tout en charriant des pratiques pouvant
affaiblir celle-ci. Par exemple, pour mieux prendre appui sur la pédagogie par objectifs - le paradigme
pédagogique des classes pilotes -, la leçon d’histoire était inaugurée par l’annonce de l’objectif qui précise
sans ambages le comportement observable que l’enseignant veut faire naître chez l’apprenant à l’issue de
l’apprentissage. Ce qui permettait de conclure un contrat pédagogique entre le maître et l’apprenant qui
savait alors exactement ce qu’on attendait de lui. Seulement le verbe « découvrir » était le plus récurrent
dans les objectifs spécifiques
409
alors qu’il ne révèle pas clairement aux élèves le comportement à adopter
au terme de la leçon. En outre, comme l’exige la pédagogie par objectifs, certains enseignants évaluaient les
leçons d’histoire à l’aide d’exercices alors novateurs (questions à choix multiples, cartes ou frises
chronologiques à compléter
410
, etc.) même s’ils restaient agrippés aux formes traditionnelles d’évaluation
consistant à faire psalmodier le résumé de la leçon.
411
En mettant ainsi l’accent sur le comportement
observable de l’élève dont l’annonce et l’évaluation devaient respectivement inaugurer et couronner la leçon,
les méthodes pédagogiques privilégiées par le programme d’histoire de 1987 affaiblirent l’histoire-récit (et
son corollaire l’histoire idéologique) en reléguant à l’arrière plan les sentiments, les idées, les valeurs (qui
n’étaient pas directement observables) qui lui sont inhérents.
Mais le plus rude coup que l’histoire-récit avait reçu de l’Ecole nouvelle était sans nul doute la pratique
d’enquête qui signait ainsi son entrée en classe d’histoire. Pour ne plus faire totalement l’impasse sur les
savoirs antérieurs et les représentations du sujet-apprenant alors invité à se pencher sur le processus de
412
construction du savoir historique, les documents d’accompagnement
conseillaient de dérouler les leçons
d’histoire en deux séances : la première, entièrement consacrée à la préparation de l’enquête, était un
moment d’expression libre des apprenants pendant lequel le maître recensait l’ensemble des questions
soulevées par la classe, les regroupait en thèmes de recherche, suggérait le choix des modalités de
l’enquête (sources, sites à visiter, moyens, organisation, etc.) et élaborait avec les élèves des outils de
recueil d’informations (grille d’observation, guide d’entretien, etc.). Quant à la seconde, le maître en faisait
un moment de compte rendu des productions, de discussions autour d’elles pour mettre en évidence les
405
Thiam,I-D. : Ndiaye N. (1976), op.cit.
Id, p. 3.
Le recours aux légendes, conseillé par les instructions officielles, était de nature à mystifier l’apprenant, même si celles-ci
considéraient que ces légendes pouvaient « révéler la civilisation et les mœurs d’une époque donnée » ; Cf., Ministère de l’Education
nationale. (1978). Circulaire n°00691 , op.cit.
408
Pourtant, les instructions officielles de 1978 recommandaient que la leçon d’histoire soit « conduite de façon à développer l’esprit
critique de l’enfant et le sens de la relativité des valeurs et des civilisateurs ».
409
Sur 30 fiches pédagogiques consultées (datant des années 1988, 1990, 1992), 22 comportent un objectif spécifique élaboré avec le
verbe découvrir : « découvrir les caractéristiques du royaume », « découvrir l’histoire du Cayor », « découvrir l’évolution de son école »,
etc.
410
El Hadji Lamine Niang, op.cit.
411
Ibid.
412
Cf., Ministère de l’Education nationale. (1987). Guide pédagogique pour les classes pilotes. Dakar : JNEADE.
406
407
261
Djibril SECK
N° 20
Décembre
2015
points d’accord et de désaccord, d’exposé de son récit pour une clarification et un apport d’informations, et
d’élaboration du résumé. Cette démarche pédagogique était de nature à faire participer activement les
élèves à la construction du savoir historique et à les initier progressivement aux techniques de recherche
utilisées par l’historien. Toutefois sa mise en œuvre, très marginale
413
dans les pratiques enseignantes à la
fin des années 1980 et durant les années 1990, continuait à faire la part belle au récit par le temps
414
démesuré consacré à l’exposé du maître
. Elle ne s’était pas donc suffisamment incrustée dans les
pratiques de classes pour impulser un renouvellement de la pédagogie de l’histoire.
Ce renouvellement fut réellement visible à partir de 2012, avec la généralisation dans le cycle élémentaire
du curriculum de l’éducation de base qui consacre la refonte de l’enseignement sur le paradigme de la
compétence. En effet, pour ne plus laisser le trop-plein d’idéologie s’insinuer dans la quasi-totalité de ses
rouages, l’histoire scolaire adossée à ce paradigme apporte des inflexions assez significatives : elle ne fait
plus de l’accès au savoir le seul objectif d’enseignement ; elle donne même la priorité aux objectifs
méthodologiques visant à familiariser l’élève avec la démarche d’historien. Ainsi, elle est exprimée en termes
de compétences dont l’installation chez l’apprenant passe inévitablement par la maîtrise des techniques
d’enquête, de recherche documentaire et d’observation qui sont alors nécessaires à la construction par
l’élève du savoir historique
415
. Mais puisque ces techniques ne font pas l’objet d’apprentissages ponctuels,
elles ne peuvent être maîtrisées que par la pratique et l’expérience. Balbutiant dans les classes pilotes, le
recours à l’enquête (au cours de leçons d’histoire déroulées en deux séances) devient alors presque
systématique en classe d’histoire, et est même sur le point de s’installer confortablement dans les coutumes
pédagogiques.
416
De ce fait, il inaugure l’avènement de l’histoire investigatrice qui met l’accent sur la
dimension construite de l’histoire et sonne ainsi le glas à l’histoire-récit. Néanmoins, malgré son statut de
ressource devant être mobilisée dans des « situations de découverte de faits historiques du milieu »
417
,
l’enquête ne suscite pas toujours l’adhésion totale de tous les maîtres dont certains invoquent souvent les
difficultés de sa mise en œuvre à la deuxième étape, l’insuffisance du crédit horaire et la pléthore des
418
effectifs
pour ne pas s’adonner à sa pratique régulière
419
.
Alors pour toujours se conformer à la recommandation de privilégier une histoire investigatrice, ces
enseignants peuvent jeter leur dévolu sur la recherche documentaire (une autre ressource mobilisable dans
la découverte de faits historiques du milieu) dont la spécificité est d’installer divers types de sources au cœur
de la leçon d’histoire. Avec cette technique d’investigation historique, les élèves sont invités, sous la
conduite du maître qui fait émerger un questionnement sur le fait historique ou l’évènement étudié, à choisir
des documents appropriés, à en faire la critique externe (qui s’attache essentiellement à la datation et à la
413
L’analyse d’une trentaine de bulletins d’inspection de maître et d’une vingtaine de fiches pédagogiques datant de 1989, 1992, 1994
et 1997 laisse apparaître la marginalité d’un enseignement de l’histoire basé sur l’enquête.
« Trop de temps consacré à l’exposé », « récit démesurément long » : ces remarques étaient récurrentes dans les bulletins
d’inspection de maître.
415
Voir la formulation de la compétence de base en histoire, p.
416
Sur 30 bulletins d’inspections de maîtres datant de 2014 consultés, 17 font état de leçons d’histoire fondées sur la pratique
d’enquête et exécutées en deux séances dont la première est exclusivement consacrée à l’élaboration du questionnaire. Notons enfin
que 15 parmi ces 17 leçons sont présentées à la troisième étape (CM1-CM2).
417
Ministère de l’Education nationale. (2009). Guide pédagogique. Enseignement élémentaire. Curriculum de l’Education de base.
Dakar : EENAS, p. 17.
418
Après l’élaboration du questionnaire, les élèves mènent l’enquête en groupes. Mais avec des effectifs de 80 élèves dans les grandes
villes, le maître est devant un dilemme : avoir 13 à 14 groupes s’il veut se conformer à la norme (6 à 7 élèves par groupes) ou avoir un
nombre raisonnable de groupes (6 à 7 groupes) à la taille démesurée (13 à 14 élèves par groupe). Ce qui dans tous les cas rend la
pratique d’enquête très difficile.
419
Ly, ; A., Sy. M. (2013). L’utilisation de l’enquête en classe d’histoire : état des lieux. Dakar : UCAD/FASTEF : Mémoire de fin de
stage pour l’obtention du CAIEE (Certificat d’Aptitude aux fonctions d’Inspecteur de l’Enseignement élémentaire).
414
262
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
détermination de l’origine des documents), et à les exploiter pour en extraire diverses informations aidant à
répondre aux questions. Ces documents sont souvent le manuel d’histoire (une riche mine d’informations sur
le passé) ou diverses sources comme des objets (outils, mobiliers, masques, statues, bois sculpté,
tambours, siège, parures, costumes, etc.), des documents écrits (vieux livres, anciens billets de banque,
documents d’archives, vieux timbres-postes, vieilles photographies, cartes postales, etc.) ou quelques
témoignages oraux (récits de griots, émissions radiophoniques, discours de personnalités, etc.)
420
. Même si
elle est de nature à construire progressivement chez les apprenants la procédure et la pensée historiennes,
cette démarche basée sur l’usage et l’analyse de documents est actuellement marginale dans les pratiques
pédagogiques.
421
D’ailleurs, au cours de sa mise en œuvre, la classe se livre beaucoup plus à une simple
lecture de documents qu’à une véritable exploitation.
422
A défaut de s’appuyer sur l’enquête ou sur l’étude
documentaire, les apprenants sont invités à pratiquer l’histoire investigatrice en recourant à une autre
technique de recherche, l’observation
423
. Celle-ci, suscitée par un questionnement sur l’évènement ou le fait
historique objet de la leçon, doit porter sur les vestiges du milieu (sites mémoriaux, sites anciens,
monuments, infrastructures, champs de batailles, etc.), déboucher sur leur analyse critique et générer des
réponses au questionnement de départ. Cette version de l’histoire investigatrice valorise donc les sorties sur
le terrain et par voie de conséquence « montre aux élèves que l’histoire n’est pas seulement dans les livres
424
ou les musées, mais dans la rue, les campagnes, etc.»
. Seulement, la rigidité de l’emploi du temps, les
contraintes horaires et la pléthore des effectifs à l’école élémentaire ne créent guère un environnement
didactique favorable à sa pratique qui est d’ailleurs presque inexistante en classe d’histoire.
425
En outre, si la pédagogie de l’histoire adossée à l’approche par compétences est en rupture avec les
anciennes approches, c’est aussi du fait de la forte présence des différents types de situations
426
dans le
processus d’enseignement-apprentissage. D’abord au début d’un apprentissage ponctuel, dans une étape
appelée « mise en situation », une situation problème didactique (devant laquelle les connaissances
actuelles sont insuffisantes pour donner tout de suite une réponse correcte) est présentée aux élèves : à
travers elle, le maître fait émerger les représentations des élèves en les amenant à essayer de résoudre la
difficulté, et les motive en faisant constater, d’une part, le manque d’informations sur le fait historique objet
de la leçon, et d’autre part, l’usage qu’ils pourraient faire de la connaissance historique une fois acquise. Par
exemple, au début d’une leçon sur Lat Dior et sa résistance à la pénétration coloniale, un maître propose à
la classe la situation problème didactique suivante: « Contexte : Tu te rends en compagnie de ton jeune
frère au CICES (Centre International pour le Commerce Extérieur du Sénégal) pour assister à la foire
internationale de Dakar. A votre arrivée, ton jeune frère voit une géante statue sur laquelle est mentionnée ‘
Hommage à Lat Dior’. Ne connaissant pas ce personnage, il te pose une série de questions : i) Qui était Lat
420
Ministère de l’Education nationale, Fascicule Didactique des disciplines, op.cit., p. 56
L’exploitation des bulletins d’inspection de maître fait constater cette marginalité. Sur 30 bulletins (datant de 2014) exploités, quatre
font état de leçons d’histoire basées sur l’exploitation de documents qui n’étaient d’ailleurs rien d’autres que des manuels d’histoire.
Notons aussi que c’est au cours moyen deuxième année (CM2) que ces leçons sont présentées.
422
Les visites de classes que nous avons effectuées en 2014 en compagnie d’élèves-inspecteurs en formation à la FASTEF nous ont
fait constater une manie des maîtres à faire lire les documents en lieu et place d’une véritable analyse.
423
Ministère de l’Education nationale. (2009). Guide pédagogique, op.cit., p. 17.
424
Le Goff, J. ; Pierre Nora, P. (1974). Faire de l’histoire. Paris : Gallimard, 1974.
425
Les bulletins d’inspection et les fiches pédagogiques consultés ne mentionnent pas un enseignement de l’histoire basé sur
l’observation de sites historiques. Les visites de classes effectuées corroborent également cette absence.
426
Un des documents d’accompagnement du curriculum de l’éducation de base définit la situation de la manière suivante : « une
situation est un prétexte qui a le même niveau de complexité qu’une situation de vie que l’enseignant prépare de manière à le présenter
à ses élèves dans le cadre des apprentissages en vue de sa résolution. ». Cf., Ministère de l’Education nationale. (2012). Fascicule
Pédagogie générale, op.cit., p. 18.
421
263
Djibril SECK
N° 20
Décembre
2015
Dior ? ii) De quelle région du Sénégal était-il ? iii) Que sais-tu de sa vie et de son œuvre ? iiii) Pourquoi
cultivons nous son souvenir ? Consigne : Aide ton jeune frère à connaître Lat Dior en répondant à ses
questions. ».
427
Ensuite, au terme d’une série d’apprentissages ponctuels, pour apprendre aux élèves à
intégrer et à mobiliser différentes connaissances historiques déjà acquises, une situation d’apprentissage de
l’intégration comme celle-ci leur est proposée: «Contexte : c’est la semaine de l’école de base. Ton école
organise une manifestation culturelle au cours de laquelle chaque élève est invité à proposer cinq héros de
la résistance à la pénétration coloniale et à en faire des modèles pour la jeunesse sénégalaise et africaine.
Consigne : i) cite ces cinq héros ; ii) présente leur vie et leur œuvre ; iii) dis pourquoi tu les offre comme
exemples à suivre.»
428
Enfin, pour évaluer la compétence de base, le maître invite les élèves à élucider une
situation d’évaluation construite sur le modèle de la situation d’apprentissage de l’intégration précédente.
Cette pédagogie des situations privilégiée par l’enseignement actuel de l’histoire fait surtout du maître un
concepteur et un organisateur de situations d’apprentissages. Et en favorisant des rapprochements entre le
passé et le présent, elle contribue à extraire le fait historique étudié de son contexte (le passé) pour établir
un lien direct entre la vie sociale de l’élève et le savoir historique qui fournit alors des clefs de
compréhension de la réalité actuelle.
En donnant ainsi la prééminence aux objectifs méthodologiques et en s’adossant à la pédagogie de
l’intégration
429
pour outiller l’élève en aptitude à pouvoir mobiliser le savoir historique dans des situations
d’explication d’une réalité présente, l’histoire investigatrice, qui s’ancre progressivement dans les pratiques
de classe, induit un renouvellement de l’enseignement de l’histoire. Au moment où la médiacratie
430
inaugure le règne de la pensée unique par le dressage des esprits et par la massification des individus, la
valorisation de l’histoire investigatrice est une urgence citoyenne et démocratique. En effet, en développant
chez les élèves la capacité intellectuelle d’analyser et d’interpréter des faits historiques de manière critique,
cette histoire peut cultiver l’esprit critique et le jugement indépendant. Elle occupera alors une place
essentielle dans la formation d’un citoyen responsable et actif, capable de résister aux formatages
idéologiques, de mener une pensée personnelle pour ne pas se laisser mener par le troupeau. Cependant,
dans le contexte actuel d’érosion de la cohésion nationale
431
432
et de sécheresse morale
,
le « tout
scientifique » ne doit pas régner en maître absolu en classe d’histoire. Celle-ci doit aussi donner droit de
cité à un enseignement moral, civique et patriotique dont l’histoire-récit peut constituer un parfait vecteur.
D’ailleurs, comme si on « chassait un naturel prompt à revenir au galop », l’histoire-récit, qui a demeuré
427
Se référer à une fiche pédagogique d’une leçon d’histoire présentée dans une classe de CM2 le 12 avril 2014 par Mme Absa Guissé
enseignante en service à l’école Nafissatou Niang de Dakar.
Cf., Fiche pédagogique d’une leçon d’histoire (apprentissage de l’intégration) présentée dans une classe de CM2 le 06 mai 2014 par
Ibrahima Cissé enseignant en service à l’école Cité 2000 de Mboro.
429
« La pédagogie de l’intégration repose sur la mise en place d’un processus d’apprentissage qui ne se contente pas de cumuler les
connaissances et savoir-faire mais qui apprenne à mobiliser ces connaissances et savoir-faire dans des situations qui ont du sens pour
l’élève. » Cf., Ministère de l’Education nationale, Fascicule Pédagogie générale, op.cit., p. 20. Pour de plus amples informations sur la
pédagogie de l’intégration, lire Roegiers, X. (2010). La pédagogie de l’intégration. Bruxelles : De Boeck Supérieur.
430
Pour plus d’informations sur ce concept qui illustre la toute puissance des médias dans les sociétés contemporaines, se reporter à
De Virieu, F-H.(1992). La médiacratie. Paris : Flammarion.
431
Même si une certaine accalmie s’est installée dans le sud du pays, cette partie du Sénégal est toujours est toujours le foyer d’une
rébellion indépendantiste.
432
Des faits divers aussi variés que la vie de couple et de famille, la situation de l’enfant, les abus sexuels sur mineurs, le viol, etc.
régulièrement relatés par la presse sénégalaise illustre à suffisance la crise des valeurs qui sévit au Sénégal. Lire à ce sujet Le
mouvement citoyen. (2010). La société sénégalaise entre mutations et résistances. La lettre du citoyen. Dakar : Fondation KonradAdenauer.
428
264
Liens Nouvelle Série
L’histoire scolaire au Sénégal, 1962-2014 : une analyse des contenus et des méthodes
d’enseignement
pendant longtemps la pièce maîtresse du dispositif pédagogique, se maintient à flot notamment à la
deuxième étape.
433
Conclusion
A partir de sa décolonisation en 1962, l’histoire scolaire enclencha une évolution dont les principaux ressorts
furent les différentes modalités de construction et de consolidation nationales, et la volonté de l’Ecole
sénégalaise de s’encastrer dans le mouvement pédagogique international tout en jouant sa partition dans la
prise en charge de problèmes sociaux, politiques, culturels et mémoriels. Cette évolution a d’abord porté sur
l’énoncé des programmes. Sous l’impulsion des plus saillantes visions de l’apprentissage qui se sont
succédé dans le monde, et de leur traduction en référentiels et approches méthodologiques, le programme
d’histoire connut successivement différentes modes de formulation : dans les programmes de 1962, de 1972
et de 1979 régis par l’entrée par les contenus, il fut énoncé en thèmes d’étude ; en 1987, avec l’Ecole
nouvelle adossée à la pédagogie par objectifs, il fut formulé en objectifs d’apprentissages : dans l’actuel
curriculum de l’éducation de base sous l’emprise du paradigme de la compétence, il est décliné en
compétences, en paliers, en objectifs d’apprentissages et en objectifs spécifiques arrimés à des contenus.
L’évolution de l’histoire scolaire a également affecté les contenus dont la teneur fut fortement conditionnée
par les différentes missions assignées à l’enseignement de l’histoire et par le souci des pouvoirs publics de
relever des défis bien précis. Au lendemain de l’indépendance, cette histoire fut enrôlée afin de jouer sa
partition dans la construction et la consolidation d’une conscience nationale, alors au cœur des
préoccupations de l’Etat. Ce qui lui donnait, dans le programme de 1962, une vocation idéologique
manifeste matérialisée notamment par l’injonction de faire de l’enseignement de l’histoire un pourvoyeur de
leçons de civisme, de morale et de patriotisme. Après les troubles de mai 1968, que le pouvoir politique avait
attribués à une jeunesse considérée comme extravertie et dépouillée des valeurs locales et du sentiment
patriotique, l’histoire scolaire, à travers le programme de 1972 et ses documents d’accompagnement comme
le principal manuel d’histoire des années 1970, revigora sa teneur idéologique afin de fournir des fortifiants
moraux et patriotiques à cette jeunesse. Seulement, sous l’emprise du « modèle islamo-wolof » alors
principale modalité de construction de la nation sénégalaise, les deux premiers programmes d’histoire après
l’indépendance furent des costumes taillés sur mesure pour l’ouest, le centre et le nord du Sénégal. Ils
ensevelirent alors dans le silence les royaumes de l’est et du sud. Ceux-ci n’eurent droit de cité dans
l’histoire scolaire qu’avec le programme de 1979 qui était ainsi plus apte que les précédents programmes à
susciter une adhésion uniforme à la nation. Dans les années 80, à la recherche d’un nouveau souffle, l’Ecole
sénégalaise expérimenta un nouveau programme d’histoire qui intégrait, d’une part, des figures religieuses
comme Cheikh Ahmadou Bamba pour mieux satisfaire la demande sociale de mémoire, et d’autre part,
l’héroïne de la Casamance Aline Sitoe Diatta pour assurer à cette région en proie à une rébellion
indépendantiste une présence dans le panthéon des héros nationaux célébrés à l’école. Actuellement, les
contenus proposés dans le cadre du cadre du curriculum de l’éducation de base consolident l’option d’une
histoire scolaire inclusive, nationale et en phase avec les références mémorielles populaires. Cependant,
433
L’exploitation de fiches pédagogiques et de bulletins d’inspection de maître portant sur des leçons d’histoire présentées à la
deuxième étape révèle que les pratiques enseignantes s’accrochent toujours au récit linéaire des évènements du passé en présentant
l’histoire comme une succession de données factuelles chronologiquement ordonnées. Par exemple, sur 30 bulletins consultés, seuls
02 mentionnent l’usage systématique de l’enquête dans une leçon d’histoire.
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amputés de l’Egypte ancienne, ces contenus semblent enclencher un processus de « désidéologisation » de
l’histoire scolaire, surtout avec les objectifs méthodologiques privilégiés au détriment des objectifs cognitifs
et socio-affectifs.
Les méthodes d’enseignement ne sont guère sortis indemnes du dynamisme de l’histoire scolaire. Leur
évolution est dans le droit fil des transformations subies par les contenus. Les quatre premiers programmes,
qui tenaient (avec leur vocation idéologique) à faire de l’histoire un apprentissage de la nation croisant une
éducation morale des élèves, avaient privilégié comme pédagogie l’histoire-récit. Quant au programme
actuel, qui semble vouloir s’adapter à la fin proclamée des idéologies, elle repose ses méthodes
d’enseignement sur l’histoire investigatrice afin d’amener l’élève à s’approprier la fonction critique de
l’histoire.
Se situant ainsi au carrefour du pédagogique, du politique et du culturel, cette étude de l’histoire scolaire
s’est révélée riche en informations. Elle éclaire l’indexation de cette histoire sur les modalités de construction
et de consolidation nationales durant les années 1960 et 1970, et renseigne éloquemment sur les rapports
du pouvoir central à la périphérie. Elle fait aussi apparaître au grand jour les tentatives de l’Etat postcolonial
de relever, par l’action scolaire, des défis politiques sociaux et culturels, et témoigne de l’écart existant
souvent entre les méthodes d’enseignement préconisées et celles effectivement mises en œuvre dans les
classes. Bref, elle rend compte de l’imbrication possible entre le pédagogique et l’idéologie, et met en
évidence les multiples enjeux de l’enseignement de l’histoire comme ceux liés à la consolidation de l’unité
nationale. Cependant, avec la montée en puissance de l’histoire investigatrice, l’histoire scolaire (le dernier
pré carré de l’idéologie à l’école élémentaire ?) risque de se dépouiller de toute sa substance idéologique et
de ne plus donc pouvoir contribuer efficacement au raffermissement du sens moral, du sentiment patriotique
et de la conscience nationale. Alors pour faire de l’histoire scolaire la boussole permettant de naviguer dans
ce monde caractérisé par le brouillage des repères moraux et identitaires, n’est-il pas urgent de revitaliser sa
teneur morale, civique et patriotique, de l’ajuster à la demande sociale de mémoire et de l’articuler à une
véritable politique nationale de mémoire, fruit d’une réflexion collective ?
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Le Soleil, n° 28 mai 1970.
Le Soleil, n° 1386, 03 décembre 1974.
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Fiche pédagogique anonyme, non numéroté, CE2, 22-11-1981.
Fiche pédagogique anonyme, n° 7, CE2, 18-11-1981.
Fiche pédagogique d’une leçon d’histoire présentée dans une classe de CM2 le 12 avril 2014 par Mme
Absa Guissé enseignante en service à l’école Nafissatou Niang de Dakar.
Fiche pédagogique d’une leçon d’histoire (apprentissage de l’intégration) présentée dans une classe de
CM2 le 06 mai 2014 par Ibrahima Cissé enseignant en service à l’école Cité 2000 de Mboro.
1-2 Les documents audio visuels
Baks réalisé en 1975 par le cinéaste sénégalais Momar Thiam.
Emissions Demb diffusées les mardis à la chaîne 2STV et présentée par El Hadji Tall Ngol Ngol.
1-3 Sources orales
El Hadji Lamine Niang est né le 01 janvier 1940 à Khombole. Il a été maître, directeur d’école de 1964 à
1995 dans presque toutes les régions du Sénégal. Entretien réalisé le 12 octobre 2015 à Rufisque où il
réside actuellement.
2 Site consulté
URL http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1661
URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2009-3-page-233.htm.
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Les auteurs de Liens Nouvelle Série N° 20
Ousmane BA.Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Institut National Supérieur de l’Éducation populaire et
du Sport. Sociologue.
Ibrahima BA. Université de Thiès. U.F.R Sciences Economiques et Sociales .Chargé d’enseignement en
lettres modernes
Sidia Diaouma BADIANE.Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences
Humaines.Département de Géographie. Assistant stagiaire,
El Hadji Habib CAMARA.Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Faculté des Sciences et Technologies de
l'Education et de la Formation. Didactique de l'histoire
Adrien COLY. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences
Humaines.Département de Géographie. Chargé d’enseignement
Souleymane DIA. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ecole Supérieure d’Economie Appliquée
Souleymane DIALLO. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Institut National Supérieur de l’Éducation
populaire et du Sport. Sociologue.
Maguette DIENG. Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Faculté des Sciences et Technologies de
l'Education et de la Formation. Didactique de l'Espagnol
Seydina DIOP.Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences Humaines.
Département d’Arabe
Moussa FALL. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences Humaines.
Professeur
Valy FAYE. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et
de la Formation
Alioune KANE.Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences
Humaines.Département de Géographie. Profsseur
Klohinwélé KONE. Université d'Abidjan, CÖTE d'IVOIRE
Edmée MBAYE. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences
Humaines.Département de Géographie.
Maguèye NDIAYE.
Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences Humaines. Département d’Arab
Yvon- Pierre NDONGO IBARA.Université Marien Ngouabi, Congo (Brazzaville). Maître de Conférence
Mamadou SARR. Université Cheikh Anta Diop de Dakar.Faculté des Sciences et Technologies de
l’Education et de la Formation (UCAD, Dakar)
Djibril SECK. Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et
de la Formation . Département des Inspecteurs
Mouhamadoune SECK.Université de Thiès. Maître Assistant
Philippe Abraham Birane TINEUniversité Cheikh Anta Diop de Dakar. Faculté des Lettres et Sciences
Humaines. Langues anciennes
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