cas clinique - Vétérinaire Alliance Vet

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cas clinique - Vétérinaire Alliance Vet
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Chat
CAS CLINIQUE
Exploration d’une anémie
A propos d’un cas d’hémoplasmose
L’exploration d’une anémie sévère, normocytaire, normochrome, doit suivre un cheminement précis afin d’explorer
toutes les pistes diagnostiques. Depuis quelques années, les progrès des méthodes de laboratoire, et notamment
l’utilisation de la PCR, ont permis de mettre en évidence des cas plus nombreux de mycoplasmose. Cet article expose
la démarche anamnestique, diagnostique et thérapeutique d’une mycoplasmose à Mycoplasma haemofelis.
Un chat européen male castré âgé de 10 ans est présenté
à la consultation pour une modification du comportement se manifestant par des « crises de miaulement »
évoluant depuis environ deux semaines.
les propriétaires ne rapportent aucune autre anomalie, l’appétit, la prise de boisson sont inchangés et aucun signe digestif n’a été observé. l’animal n’est pas médicalisé et il a un accès
libre à l’extérieur. Aucun antécédent médical n’est rapporté.
Examen clinique
et hypothèses diagnostiques
Caroline LEGER
Docteur vétérinaire
CEAV de médecine interne
Alliance Vet
73 avenue Jean Kiffer
94420 lE plEssis trEVisE
A l’examen clinique, le chat est normotherme et n’est
pas déshydraté. l’examen de l’appareil cardiovasculaire
révèle des muqueuses pâles mais non ictériques et un souffle
systolique. la palpation abdominale est normale. Aucune
douleur n’est mise en évidence lors de l’examen clinique.
Compte tenu de l’anamnèse, des commémoratifs et de
l’examen clinique, les hypothèses d’une hypertension artérielle systémique ou une atteinte centrale (tumeur,…) sont
privilégiées.
Concernant l’hypertension artérielle une dysendocrinie
comme l’hyperthyroïdie, hyperaldostéronisme primaire et
une insuffisance rénale chronique doivent être recherchées.
Examens complémentaires
l’examen du fond d’œil ne révèle pas d’élément en faveur
d’une rétinopathie hypertensive.
Un bilan hémato-biochimique est réalisé ainsi qu’une
mesure de pression artérielle systolique par méthode
Doppler et une échocardiographie.
la pAs est dans les valeurs usuelles (150 mm de Hg).
l’échocardiographie ne révèle aucun support anatomique
au souffle ausculté.
l’hyperthyroïdie est également exclue : la valeur de t4
totale est en effet dans les valeurs usuelles.
l’hypothèse d’hypertension artérielle étant exclue, un
bilan biochimique complet est réalisé. il ne révèle aucune anomalie (cf. tableau 1)
En revanche la numération et formule sanguines révèlent
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1. Résultats du bilan biochimique
Phosphatases alcalines PAl
Transaminases AlAt
Albuminémie
Protéines totales
Globulines
Alb/Glob
Urémie
Créatininémie
Glycémie
T4 totale
J0
25
62
24
74
50
0,5
0,76
11
1,8
38
Valeurs usuelles
14-111 U/L
12-130 U/L
22-40 g/L
57-89 g/L
15-57 g/L
0,33-076 g/L
8-24 mg/L
0,74-1,6 g/l
13-64 nmol/l
une anémie importante, normocytaire (VGM normal) et
normochrome (CCMH normale) avec lymphocytose
modérée.
l’analyse d’urines révèle une bilirubinurie, toujours
pathologique chez le chat.
l’iDr (indice de distribution des globules rouges) est normal.
l’examen du frottis sanguin (coloration rapide Diff Quick)
met en évidence une anisocytose et une polychromatophilie discrètes. Aucun sphérocyte n’est visualisé.Un
test d’agglutination sur lame est effectué : il est positif. (cf.
photo)
A ce stade des investigations, on note une anémie marquée, normochrome, normocytaire sans atteinte des autres
lignées. Un processus inflammatoire chronique semble
a priori exclu et il n’y a ni insuffisance rénale, ni atteinte hépatique.
le caractère périphérique secondaire à une hyperhémolyse avec composante immunitaire et réticulocytose est
suspecté : absence de signe d’hémorragie ou de trouble
de l’hémostase, agglutination sur lame, bilirubinurie, iDr
limite supérieure des VU, aspect du frottis. le test de
Coombs direct est positif : il renforce la suspicion de mécanisme immunologique sous jacent.
le caractère régénératif est vérifié : 15 réticulocytes pour
1000 hématies ou en valeur absolue, 50 000 réticulocytes /ul (VU > 40 000). la régénération est qualifiée de
faible (notamment face à une anémie aussi importante).
Cependant, le pic de réponse médullaire étant maximum
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CAS CLINIQUE
En raison du caractère hyporégénératif de l’anémie, l’analyse du myélogramme est également demandée. les
objectifs sont de confirmer ou d’infirmer un défaut qualitatif ou quantitatif d’érythropoïese et d’en déterminer
le cas échéant, l’origine.
© Dr Lagadic (laboratoire Idexx)
en 5 à 7 jours chez le chat, il n’est pas possible de savoir
à ce moment si la moelle est atteinte ou non. Ainsi, si le
caractère périphérique de l’anémie est certain, une composante centrale ne peut être exclue. la qualité de l’érythropoiese médullaire reste donc à évaluer.
Proérythroblaste (x 100).
Confirmation d’une mycoplasmose
la recherche par méthode pCr des agents infectieux suivants : FelV et mycoplasmes hémotropes (Mycoplasma
haemofelis et Candidatus mycoplasma haemominutum) est
demandée. le FelV est recherché à partir de sang et de
moelle osseuse.
© Dr Lagadic (laboratoire Idexx)
De nouveaux prélèvements sanguins et une ponction de
moelle osseuse sont réalisés 48 heures après la première
consultation. le test FelV/FiV est négatif.
Érythroblaste basophile (x100).
les résultats confirment la présence en grande quantité
dans le sang, d’ADN de mycoplasmes félins et confirment
le résultat négatif obtenu par le test FelV. l’absence du
virus leucémogène au sein de la moelle osseuse est également confirmée.
la numération et formule sanguines effectuées montre une
aggravation de l’anémie (cf tableau 2).
Une transfusion est proposée mais refusée par les propriétaires. le traitement mis en place associe fluidothérapie pendant 24 heures, doxyxycline 10 mg/kg/j pO et
prednisone à 2 mg/kg/j pO pendant deux semaines puis
à dose dégressiveDès lors, on note une amélioration rapide de l’état général du chat. les contrôles sanguins montrent également l’amélioration de l’érythrogramme.
le traitement antibiotique est arrêté à J35. Un contrôle
sanguin un mois plus tard révèle un hématocrite normal.
l’anémie qu’elle soit ou non régénérative est une des ano-
Érythroblaste polychromatophile (x100).
© Dr Lagadic (laboratoire Idexx)
l’animal est alors revu en consultation afin de mettre en
place un traitement adapté.
son état s’est dégradé. les muqueuses sont discrètement
ictériques, son appétit a diminué et le chat est abattu et
légèrement déshydraté.
© Dr Lagadic (laboratoire Idexx)
le myélogramme (cf photos) conclue à la normalité qualitative et quantitative des lignées érythroblastiques (hyperplasie érythroide), granuleuses et mégacaryocytaires.
Érythroblaste acidophile (x 100).
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2. Évolution de l’érythrogramme
Numération
GB m/mm3
Lymphocytes m/mm3
Granulocytes neutrophiles m/mm3
GR m/mm3
Volume Globulaire Moyen fl
Hématocrite %
Hemoglobine g/dl
Plaquettes m/mm3
Indice de distribution des rouges IDR
J0
20
10
6
3
39
12
3,7
120
12
J7
39
20
15
1,5
61
9
2,8
53
23
J21
33
8
24
6,5
41
27
7,5
262
19
J35
13
6
5
7,8
40
31
9,8
660
16
Valeurs usuelles
5-18
0,2-5,4
2-14
4-9
35-55
24-45
9-15
120-500
8-12
malies hématologiques les plus fréquemment rencontrées
chez le chat. Face à celle-ci, une myriade de maladies
infectieuses ou non est possible.
les anémies régénératives (donc périphériques) sont la
conséquence d’hémorragie et/ou d’hémolyse pathologique ou hyperhémolyse. fragilisation de la membrane
érythrocytaire menant à une destruction prématurée du Gr
et syndromes disymmunitaires primitifs ou secondaires en
sont les principales origines.
les anémies par hyperhémolyse sont ainsi classables :
• anémies infectieuses (hémoplasmose -mycoplasmes
hémotropes-, cytauxzoonoses)
• anémies à médiation immune primitives ou idiopathiques
• anémies hémolytiques à médiation immunes secondaires :
FelV, FiV, piF, hémoplasmose, tumeur (maladies lymphoprolifératives).
• anémies liés aux toxiques oxydants (à corps de Heinz) :
paracétamol…
• anémies corpusculaires (anomalie intrinsèque du Gr) :
déficit en pyruvate kinase, fragilité osmotique des Abyssins
et somali
• anémies métaboliques : hypophosphatémie sévère
Étiologie et épidémiologie
les agents responsables des hémoplasmoses félines sont
des mycoplasmes dits hémotropes qui s’observent à la surface des hématies (position péricellulaire). leur culture in
vitro n’est toujours pas possible à ce jour.
Depuis quelques années de nouvelles espèces de mycoplasmes ont été décrites.
les trois espèces connues comme pathogènes chez le chat
sont :
• Mycoplasma haemofelis également appelé Haemobartonella felis, Eperythrozoon felis, Haemobartonella felis
large form (Hflg), Candidatus Mycoplasma haemofelis
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• Candidatus Mycoplasma haemominutum ou Haemobartonella felis small form (Hfsm).
• Candidatus Mycoplasma turicensis
Mycoplasma haemofelis est l'espèce la plus importante en
médecine vétérinaire. Elle possède le pouvoir pathogène
le plus fort devant Candidatus Mycoplasma turicensis et
Candidatus Mycoplasma haemominutum. Ces derniers
sont en général facteur aggravant d'une anémie, mais il
n’a pas encore été prouvé qu’ils puissent être la cause primaire d’une anémie chez un chat immunocompétent. Une
co-infection avec le FelV peut, quant à elle, favoriser le
développement d’une anémie significative. la mycoplasmose à Mycoplasma haemofelis, est aussi appelée anémie infectieuse féline.
les modes de transmission ne sont pas encore clairement
élucidés. le rôle des puces et autres arthropodes hématophages comme vecteurs est possible pour Mycoplasma haemofelis. De manière expérimentale, il a été montré une
transmission par voie orale, intraveineuse (transfusion
sanguine) ou intrapéritonéale. la transmission naturelle
semble s'effectuer in utero ou par morsure.
Quatre phases peuvent être décrites dans la pathogénie
de l’affection.
la période d’incubation dont la durée varie de 2 à 34 jours.
la phase aigue de la maladie est marquée par la survenue des symptômes cliniques et des anomalies sanguines.
C’est la phase parasitémique associée à la survenue de
l’anémie hémolytique. sa durée est de 2 à 4 semaines.
les symptômes et modifications hématologiques peuvent
être très variés dans leur intensité : asthénie, anorexie, perte
de poids, hyperthermie fluctuante en fonction de la parasitémie, ictère, splénomégalie, anémie. En l’absence de traitement, environ un tiers des chats meurt. les animaux qui
résistent à l'infection retrouvent un hématocrite normal malgré la possibilité de trouver des parasites dans le sang.
Enfin, il semble que tous les chats restent par la suite des
porteurs sains de mycoplasmes. Certaines situations :
stress, corticothérapie, maladies intercurrentes… peuvent
faire réapparaitre des mycoplasmes dans le sang.
Cependant, l’anémie induite apparaît moins sévère.
Caractérisation de l’anémie
l’anémie est la conséquence d’une hémolyse extravasculaire.les parasites adhèrent fortement à la membrane
érythrocytaire et sont ainsi responsables de sa fragilisation. les hématies ainsi parasitées sont alors phagocytés
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notamment dans la rate. En phase aiguë, on observe une
bilirubinurie, une bilirubinémie, un ictère. la bilirubinémie et l’ictère ne sont pas constants et dépendent de la rapidité de développement de l’hémolyse.
D’autres mécanismes associés sont suspectés. Des autoanticorps sont formés suite à la sensibilisation des sites antigéniques lorsque la membrane erythrocytaire est lésée :
l’hémolyse dysimmune survient par ce mécanisme. le test
de Coombs direct pourra alors être positif pendant cette
phase de la maladie. la co-infection par le FelV aggrave, elle aussi, par divers mécanismes, l’anémie.
Au niveau périphérique, une thrombopénie FelV dépendante peut favoriser des pertes sanguines. Au niveau central, le FelV peut induire pancytopénie, érythroblastopénie
isolée, dysérythropoiese, envahissement médullaire par
une hémopathie maligne ou un autre type tumoral, et
enfin myélofibrose
la réticulocytose est normalement forte en corrélation
avec la chute de l’hématocrite.
l’iDr ou indice de distribution des hématies donne une
idée sur la distribution du volume des hématies et produit ainsi une évaluation quantitative de l'anisocytose.
les désordres du volume érythrocytaire ne peuvent pas toujours être déterminés en examinant le VGM. Un large pourcentage de cellules au volume altéré est requis pour obtenir
un VGM anormal. le maximum d'information sur la morphologie érythrocytaire est donc obtenu par l'évaluation
simultanée de l'érythrogramme et du frottis sanguin.
De ce fait, un iDr >14 chez le Ct est en général synonyme
de régénération.
ticoagulants comme l’EDtA. Candidatus Mycoplasma
haemominutum et Candidatus Mycoplasma turicensis
ne sont pas visibles. A l’inverse, de nombreux faux positifs sont possibles : confusion avec des corps de HowellJoly, colorant résiduel…le recours à la technique pCr est
actuellement la méthode de choix, beaucoup plus sensible
et spécifique, elle permet de reconnaître les différents
mycoplasmes et d’apprécier la charge parasitaire.
Traitement, prévention
et suivi des chats porteurs
la doxycycline à la dose usuelle de 10 mg/kg/j (donné
avec le repas) est utilisée chez les chats malades (symptômes cliniques et anomalies sanguines). l’apparition
d’anorexie et/ou de vomissements chez le chat devra
faire craindre l’apparition d’une sténose œsophagienne
induite par l’antibiothérapie.
En général, l’hématocrite se normalise en deux à trois
semaines. le traitement est alors stoppé.la co-infection
avec les rétrovirus minore le pronostic et les risques de
rechutes sont plus importants.
l’enrofloxacine (5 m/kg/jour) est une alternative possible en cas de non tolérance ou d’échec des tétracyclines.
les chats sains pour lesquels une parasitémie est détectée par méthode pCr ne sont pas à traiter. En effet, l’élimination des parasites n’est pas possible.
le contrôle des puces reste recommandé tout comme la
limitation de l’accès à l’extérieur.
le recours aux corticoïdes est controversé.
sur le frottis sanguin : anisocytose et polychromatophilie sont normalement observées
le risque est notamment de permettre la réactivation d’infections latentes.
Cependant, les taux de réticulocytes peuvent être bas dans
plusieurs circonstances :
le temps de maturation des réticulocytes est plus long
chez le chat que chez le chien (4 à 5 jours) et lors de coinfection par le FelV
leur utilisation à dose immunosuppressive est indiquée
lors de réactions dysimmunitaires périphériques et/ou centrales associées. En pratique, si un test de Coombs direct
et/ou un test d’agglutination sur lame ont été réalisés et
sont positifs, l’emploi des corticoïdes peut se justifier.
le diagnostic peut se faire par visualisation du parasite
sur un frottis sanguin réalisé juste après la prise de sang et
coloré par le May-Grünwald-Giemsa ou mieux l’acridine
orange (nécessité d’observation sous ultra-violets).
Cependant, la sensibilité de cette méthode est faible (50 %)
en raison de la fluctuation de la parasitémie même en phase
aiguë de la maladie et du risque de détachement des parasites épicellulaires sous l’effet de la conservation et d’an-
De même, si la monothérapie à la doxycycline n’est pas
suivie d’une amélioration clinique et de l’élévation de
l’hématocrite, les corticoïdes seront ajoutés.il a cependant
été montré que des chats anémiés porteurs d’hémoplasmes
et pour lesquels un test de Coombs à froid (igM) se révèle positif, guérissent sans adjonction de corticoïdes : les
anticorps (igM) disparaissant donc après la phase aigue de
l’infection. n
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