L`Ultime Voyage Stanislav Grof
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L`Ultime Voyage Stanislav Grof
L’ULTIME VOYAGE LA CONSCIENCE ET LE MYSTERE DE LA MORT Docteur Stanislav Grof Traduit de l’anglais par Eva Guerda Le Danseur : figure anthropomorphe, probablement un chamane dansant. Grotte de la Gabillou, France PREFACE S’IL FALLAIT DRESSER UNE LISTE DES PERSONNES LES PLUS INFLUENTES du XXème siècle jusqu’à nos jours, Stanislav Grof en ferait partie. L’importance des états de conscience altérée est de plus en plus reconnue et personne n’a travaillé dans ce domaine de façon plus productive que l’auteur de ce livre. Le travail de Grof a débuté en Tchécoslovaquie, à Prague, où il a travaillé pendant quatre ans dans un complexe interdisciplinaire d’instituts de recherche et pendant sept autres années dans l’Institut de Recherches Psychiatriques qui venait alors d’être fondé. A son arrivée aux Etats-Unis en 1967, il continua ses recherches dans l’Unité de Recherches de l’Hôpital d’Etat de Spring Grove à Baltimore et au Centre de Recherches Psychiatriques de Maryland. Avant de poursuivre, il est important de noter deux faits majeurs. D’abord, son travail est de loin le plus vaste jamais entrepris dans l’utilisation de psychédéliques à des fins de thérapie et d’évaluation personnelle : il englobe en effet plus de 3000 séances où il a consacré cinq heures minimum à chaque personne. En outre, ces études couvrent 800 autres cas suivis par ses collègues à Baltimore et à Prague. Deuxièmement, parce qu’il traverse l’Atlantique, son travail embrasse les deux approches dominantes de la thérapie psychédélique : d’une part celle de la thérapie psycholytique (utilisée de façon générale à Prague et en Europe) qui comprend des administrations de doses basses et moyennes de LSD ou de ses variantes au cours d’un long programme thérapeutique, et d’autre part, la thérapie psychédélique telle qu’elle est effectuée en Amérique qui utilise, quant à elle, de hauts dosages sur un traitement de courte durée. Le point important de ces données en ce qui concerne le dernier ouvrage de Grof est que c’est l’expérience du mourir et du renaître – « l’ultime voyage » qui nous attend tous – qui apporte le remède. Cette phrase mérite une attention toute particulière de la part du lecteur et ce, en raison de ses énormes implications. Si nous parvenions à nous convaincre ne serait-ce qu’intellectuellement – c’est-à-dire de manière cognitive et cérébrale – que la mort est suivie de la renaissance, cela pourrait guérir nos vies. Car c’est la peur qui est la maladie de la vie. Carl Jung disait que les problèmes de tous ses patients ayant dépassé la quarantaine s’enracinaient pour la plupart dans la peur de l’approche de la mort. La plus grande des qualités de ce livre est qu’en faisant de ce qui a été dit dans le paragraphe précédent sa pierre angulaire, il encercle ce point central depuis tous les angles : historique, théorique, thérapeutique, scientifique et philosophique. Je n’ai pas besoin de m’étendre sur ce point car un simple coup d’œil à la table des matières éclairera immédiatement le lecteur. Etant moi-même philosophe, j’apprécie particulièrement le chapitre de Grof sur « les dimensions de la conscience : nouvelle cartographie de la psyché humaine ». Mais assez parlé. La meilleure chose que je puisse faire maintenant pour ce livre essentiel est d’arrêter de me mettre entre le lecteur et Stanislav Grof lui-même. Huston Smith Berkeley, California Sommaire Préface Remerciements Introduction 1. Chamanisme : techniques archaïques d’extase 2. Rites de passage : mort et renaissance dans les rituels de transformation 3. Mystères anciens de mort et de renaissance 4. La mort et la renaissance dans les grandes religions du monde 5. Le voyage posthume de l’âme 6. Les livres des morts : manuels pour vivre et pour mourir 7. Perspectives culturelles sur la nature de la réalité et de la conscience 8. Dimensions de la conscience : nouvelle cartographie de la psyché humaine 9. La conscience au seuil de la mort 10. Le mystère du karma et de la réincarnation 11. Messages et visites de l’Au-Delà 12. Histoire de la thérapie psychédélique avec les mourants 13. Le programme de Spring Grove 14. Cas d’expériences psychédéliques 15. Métamorphoses psychédéliques des mourants 16. Psyché et Thanatos : la mort dans la psychologie et la société occidentale Appendice : l’approche consciente de la mort par Aldous Huxley Bibliographie Source des illustrations A propos de l’auteur REMERCIEMENTS LES IDEES ET LES CONCEPTS présentés dans ce livre sont fondés sur cinquante années de recherches, d’observations et d’expériences sur les états de conscience non-ordinaires ; recherches qui ont constitué non seulement une exploration scientifique passionnante de la psyché humaine, mais aussi un voyage fascinant de découverte et de transformation de soi. Au cours de toutes ces années, j’ai reçu non seulement un appui considérable mais aussi des encouragements et de l’inspiration de la part de personnes qui ont joué un rôle important dans ma vie et qui ont partagé avec moi leurs connaissances et leur sagesse : certains comme professeurs, d’autres comme amis proches, collègues de recherche et bon nombre d’entre eux dans tous ces rôles à la fois. Je tiens à exprimer ici ma profonde reconnaissance envers les pionniers qui ont été les premiers à mener les recherches révolutionnaires sur la mort et le mourir1 et qui ont ouvert le champ de la thanatologie : Elisabeth Kübler-Ross, pour sa recherche sur le processus de mort et le travail psychologique avec les patients mourants, Karlis Osis pour les observations sur l’agonie rassemblées auprès de médecins et infirmiers, mais aussi Russell Noyes, Raymond Moody, Kenneth Ring, Michael Sabom, Bruce Greyson et bien d’autres encore pour leurs recherches révolutionnaires sur les expériences de mort imminente, et enfin Carl Simonton et Stephanie Matthews-Simonton pour leur exploration des facteurs dans l’étiologie et la thérapie du cancer. Ma gratitude va également aux personnes qui ont joué un rôle charnière dans le développement de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancer : Eric Kast, Valentina Pavlovna Wasson, Sidney Cohen, et plus particulièrement Aldous et Laura Huxley2. Dans son livre Cet Instant éternel, Laura offre un compte-rendu extraordinaire de sa vie avec Aldous Huxley. Ce texte comprend ses idées sur le travail avec les personnes agonisantes et plus particulièrement la narration de l’expérience émouvante de la propre mort de Huxley, expérience transformée par le LSD que Laura lui administra sur sa demande. Je suis profondément reconnaissant à Laura de m’avoir permis d’inclure des passages choisis de cet important document en guise d’appendice à ce livre. 1 « Death and dying », dans le texte. (Note du traducteur [NdT]. Toutes les notes sont celles du traducteur) 2 Laura Huxley décédée le 13 décembre 2007, deux ans après la publication de ce livre dans sa version originale (NdT). Ce livre n’aurait pas vu le jour sans les expériences et les observations de la période de ma vie où j’étais chercheur clinique puis chef des recherches psychiatriques au Centre de Recherches Psychiatriques de Maryland à Catonsville. Au cours de cette période, j’ai eu le privilège de participer aux expériences de Spring Grove, le dernier programme officiel de recherche psychédélique aux Etats- Unis. Au fil des années, nous avons dirigé plusieurs grandes études contrôlées avec des groupes de patients névrosés, des alcooliques et des drogués narcotiques. Nous avons également administré des psychédéliques aux professionnels de la santé mentale à des fins d’entraînement et nous avons mené un programme de thérapie psychédélique pour les patients atteints de cancer. Ce programme est décrit dans ce livre. A l’origine, j’étais venu aux Etats-Unis pour un séjour d’un an, mais ce séjour s’est prolongé après l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Non seulement les membres de l’équipe de Spring Grove m’ont-ils accueilli avec beaucoup d’amour dans leur équipe de recherche mais ils m’ont également ouvert leurs maisons. J’ai passé sept années à Baltimore dans cet environnement enrichissant tant professionnellement qu’humainement, entouré d’amis partageant mes convictions. Cette période est pour moi inoubliable et a été à l’origine d’innombrables souvenirs merveilleux. La principale source d’information de ce livre est constituée des recherches effectuées avec eux au Centre de Recherches Psychiatriques de Maryland par l’utilisation de la thérapie psychédélique pour le traitement des patients atteints de cancer. J’éprouve une immense gratitude envers ce groupe de personnes extraordinaires. Sanford Unger était le principal architecte et penseur conceptuel du programme de Recherche de Spring Grove, mais aussi de ses études contrôlées variées. Dans les premières années de ma vie à Baltimore, Sandy, sa femme Eve et leurs deux petites filles sont devenues ma seconde famille. L’enthousiasme, le dévouement et l’énergie de Walter Pahnke étaient essentiels au lancement des programmes de psychothérapie de LSD et de DPT avec les patients atteints de cancer. Son background tant dans la médecine psychologique que dans la religion, combiné à sa personnalité unique, faisaient de lui la personne idéale pour diriger les recherches de thérapie psychédélique sur des personnes en fin de vie. Walter lui-même disparut de façon tragique en juillet 1971 avant d’avoir pu voir la réalisation de ses projets. William Richards joua un rôle important dans les études de LSD et de DPT à la fois comme théoricien et comme thérapeute. Au cours de nos recherches, d’autres membres de l’équipe du Centre de Recherche Psychiatrique de Maryland participaient au programme de Spring Grove en tant que thérapeutes psychédéliques. Ma profonde reconnaissance va à Thomas Cimonetti, Robert Leithy, feu Franco di Leo, John Lobell, John Rhead, Robert Soskin, Sidney Wolf et Richard Yensen. Mark Schiffman et Lockwood Rush travaillaient au département de médias du centre. Grâce à leur engagement et à leur enthousiasme la plupart des traitements des cas dont il est question ici ont été préservés dans des vidéos. Helen Bonny a contribué aux études psychédéliques dans une combinaison unique de rôles : à la fois comme conseillère musicale, co-thérapeute, et assistante de recherche. J’aimerais exprimer ici ma profonde reconnaissance à Nancy Jewell, Karen Leihy et feue Ilse Richards pour leur participation sensible et dévouée au sein du projet cancer en tant qu’infirmières et co-thérapeutes. Toutes trois ont montré de l’intérêt, de l’enthousiasme et de l’initiative dans leur travail et ont accepté avec une grande compréhension tous les devoirs supplémentaires qui leur étaient imposés par la nature inhabituelle de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancer. J’aimerais aussi rendre hommage au rôle que mon ex-épouse Joan Halifax a joué dans l’étude du cancer lors de son séjour d’un an à Baltimore. A cette époque-là, elle travaillait avec moi en tant que co-thérapeute au cours des séances avec les patients atteints de cancer, certains de ces cas sont rapportés dans ce livre, et nous avons co-écrit un livre sur la mort et le mourir. Elle m’a également présenté à bon nombre de ses amis anthropologues et ces rencontres m’ont permis de placer les conclusions de mes recherches dans une perspective culturelle plus large. Je témoigne ma profonde reconnaissance à Albert A. Kurland, directeur du Centre de Recherches Psychédéliques de Maryland, et Commissaire Assistant de Recherche au Centre d’Hygiène Mentale de Maryland. Bien que son poste à responsabilités et ses devoirs administratifs aient rendu sa participation impossible au sein du projet clinique en lui-même, son rôle de coordinateur, d’organisateur et de conseiller a été crucial. Charles Savage, Directeur Associé du Centre de Recherche mérite une reconnaissance respectueuse pour son précieux appui et ses encouragements pour les projets au fil des années. Le programme expérimental de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancer n’aurait pas pu être mené à terme sans la compréhension et la collaboration uniques de Louis E. Goodman, chirurgien en chef de la clinique oncologique de l’hôpital Sinaï. Je remercie aussi les membres de l’équipe médicale de cet hôpital pour leur intérêt, leur aide et leur forte envie d’apporter les ressources dont ils disposaient dans ce domaine délicat. Je remercie tout particulièrement les agences qui ont mis à disposition les fonds pour les recherches de Spring Grove, surtout le Département d’Hygiène Mentale de l’Etat de Maryland et les Instituts Nationaux de Santé. L’appui financier de la fondation Mary Reynolds Babcock qui a permis à ces activités de se développer en profondeur à une période critique, a été particulièrement significatif. Je souhaite également témoigner ma profonde reconnaissance aux Amis de la Recherche Psychédélique pour leur aide financière et administrative. Bien au-delà du travail clinique avec les psychédéliques, ce livre s’étend à d’autres disciplines : l’anthropologie, la religion comparée, la philosophie et la mythologie. Je suis très reconnaissant à mes amis et collègues qui m’ont initié à ces disciplines et qui m’ont apporté de précieuses informations. Je suis reconnaissant envers les chamanes indiens d’Amérique, les Mexicains et Sud Américains qui ont partagé avec moi leur vision du monde et leur pratique de cette technique ancienne et de cet art de guérison ancestral. Don José Matsuwa, chamane centenaire du centre du Mexique, occupe une place spéciale dans mon cœur. Pendant de nombreuses années il a été un maître important et un ami très cher à mon épouse Christina ainsi qu’à moi-même. Angeles Arrien, anthropologue formé dans la tradition mystique basque, a été un véritable ami, et un exemple vivant de comment intégrer les aspects de la psyché et de comment avancer dans la voie mystique sur le plan pratique. Michael et Sandra Harner, qui appartiennent aussi à notre cercle d’amis intimes, nous ont apporté beaucoup de soutien, d’encouragements et une opportunité de partager à la fois des observations non-conventionnelles et des aventures. Michael qui est un académicien reconnu et qui a aussi reçu une initiation chamanique au cours de son travail en Amazonie, est un modèle et un exemple pour ma propre vie. En juillet 1973, j’ai eu l’opportunité unique de participer à une conférence intitulée « Rituels : Réconciliation dans le changement ». Cette conférence était conçue et coordonnée par Margaret Mead et Marie Catherine Bateson, la fille de Margaret et de Gregory Bateson. Pendant de longues discussions avec treize autres participants, pendant neuf jours à Burg Wartenstein en Autriche, j’ai appris des leçons essentielles concernant les rites de passage et leur importance dans la société humaine. Cette rencontre a planté de nombreuses graines dans mon esprit qui au fil des ans se sont développées en la forme exprimée dans ce livre. Pendant les deux années et demi qui ont précédé son décès, Gregory Bateson avec qui j’ai eu le privilège de passer des centaines d’heures d’interaction intense tant personnelle qu’intellectuelle lorsque nous étions en résidence à l’Insitut Esalen à Big Sur, en Californie, a été un maître et un grand ami. La critique incisive de Gregory à l’égard de la science mécaniste et sa synthèse créative des cybernétiques, de la théorie des systèmes et de l’information, de la psychiatrie et de l’anthropologie ont eu une profonde influence sur mon propre développement. Joseph Campbell, penseur séminal, professeur émérite, et ami très cher a joué un rôle capital dans ma vie professionnelle et personnelle. Il a transformé radicalement ma compréhension de la mythologie et m’a montré son importance cardinale pour la psychiatrie, la psychologie, et pour une compréhension plus profonde de la vie humaine et de la mort. Au fil des ans, son savoir véritablement encyclopédique de la mythologie m’a aidé à comprendre les nombreuses expériences que mes clients avaient eues dans de nombreux états de conscience non-ordinaires. Rick Tarnas, psychologue, philosophe, historien universitaire et astrologue brillant a été un ami très proche pendant plus de trente ans. Les nombreuses discussions, les cours et les séminaires que nous avons donnés à la fois sur les états de conscience non-ordinaires, la psychologie Commentaire [Utilisate1]: Les mots précieux et important figurent mille fois dans tes remerciements… je sais que c’est dur de trouver d’autres formules mais bon, ici c’est pas grave si tu t’éloignes un peu du texte original. archétypale et l’astrologie ont été pour moi une aventure toujours renouvelée de découvertes intellectuelles et une source riche d’informations. Frances Vaughan et Roger Walsh pionniers de la psychologie transpersonnelle qui ont tous les deux apporté des contributions majeures à ce domaine appartiennent à un petit cercle d’amis qui avaient coutume de se retrouver souvent sur la côte. Ces rencontres m’ont donné l’opportunité de discuter de bon nombre d’idées exprimées dans ce livre et de recevoir beaucoup de commentaires. Ram Dass, chercheur spirituel archétypal qui a régulièrement participé à ces rencontres, a partagé avec nous ses expériences intimes concernant les promesses et les pièges de la voie spirituelle. Sa sagesse et sa capacité à transformer tous les aspects de sa vie en des enseignements spirituels nous ont tous inspirés. Swami Paramahamsa Muktananda, chef de lignée du Siddha Yoga, nous a apporté une aide inestimable, à mon épouse Christina et moi, pour notre voyage spirituel. Notre contact proche et régulier avec cet être humain extraordinaire, s’est poursuivi pendant de nombreuses années, et nous a offert l’opportunité unique d’observer et de faire l’expérience de la puissante influence d’une tradition spirituelle vitale sur la vie humaine. La conférence de l’Association Transpersonnelle Internationale (ITA) en février 1982, à Mumbai (Inde), que nous avions organisée Christina et moi avec la collaboration de l’Ashram Muktananda Ganeshpuri a constitué une expérience inoubliable. Jack Kornfield, psychologue transpersonnel et maître bouddhiste Vipassana a joué un rôle unique pendant les trente dernières années de notre vie à la fois comme maître spirituel hors du commun, ami proche, collègue, et chercheur. Jack est un rare exemple de personne vivant les enseignements qu’il prêche : il enseigne aussi bien par son exemple que par ses brillantes conférences parsemées d’un humour exquis. Nous avons eu une chance extraordinaire d’avoir Jack et sa famille dans nos vies. Huston Smith, universitaire en religion, philosophe, et auteur à la renommée mondiale a été un ami très cher et un maître spirituel important et ce, depuis notre toute première rencontre à la fin des années 60, lorsqu’il a participé à notre programme de recherches psychédéliques de Spring Grove à Baltimore. Ses livres, ses conférences et ses films ont constitué pour moi un véritable trésor d’informations sur les grandes religions et sur la vision du monde mystique. Je lui suis particulièrement reconnaissant d’avoir réussi à trouver du temps dans son emploi du temps chargé pour écrire la préface de ce livre. Les Bouddhistes Tibétains Lama Govinda, Chögyam Trungpa , et Sogyal Rinpoché, ainsi que le moine Bénédictin Frère David Steindl-Rast sont d’autres maîtres spirituels à avoir profondément influencé ma vie, mon travail et mon voyage spirituel. Christina et moi avons également bénéficié d’une amitié proche avec Ajit Mookerjee, universitaire tantrique et auteur de nombreux livres sur la science, l’art et les rituels tantriques3. Il a partagé avec nous une grande partie de sa profonde connaissance de ce système spirituel extraordinaire, au cours de ses visites à Esalen, mais aussi lorsqu’il fut notre guide au cours d’un pèlerinage à travers les villes sacrées de l’Inde. J’adresse tout particulièrement mes remerciements à Tav et Cary Sparks, nos amis et collègues pendant plus de vingt ans. Ils ont tous les deux joué un rôle charnière dans le travail d’entraînement holotropique et dans les ateliers et les conférences données dans bien des parties du monde : Tav à la fois en tant que compagnon de voyage et collaborateur, mais aussi au cours des dernières années comme chef et directeur administratif de la formation. Il a eté le souffle vital de tous les projets. Je suis profondément reconnaissant à Michael Marcus, Janet Zand, John Buchanan, Bokara Legendre et Betsy Gordon, qui au fil des ans, ont apporté leur soutien généreux à mon travail. Ma liste de remerciements ne serait pas complète si je n’exprimais ma profonde gratitude à Christina, mon épouse, ma bien-aimée, ma meilleure amie, ma collaboratrice et ma compagne de recherche spirituelle pour tout ce qu’elle a apporté dans ma vie et dans nos projets communs. Elle a 3 Tantra : discipline de yoga très difficile qui consiste non pas à intérioriser les sens comme dans les autres yogas mais à les conquérir (NdT). Commentaire [Eva2]: Note de bas de page ? de la part d’un spécialiste fondé entre autres le réseau d’Emergence Spirituelle (SEN4), et a développé avec moi le Travail Respiratoire Holotropique, une puissante forme de thérapie et d’exploration de soi dont il sera souvent question dans ce livre. Elle a également apporté des contributions uniques à la compréhension de la relation entre l’addiction, l’attachement et la quête spirituelle. De nombreuses fois, mon travail dans ce livre fait écho à notre vie privée. Les noms de ceux dont la contribution à ce travail à été essentielle et à qui je suis infiniment reconnaissant ne peuvent pas être mentionnés ici. Je veux parler ici des centaines de patients psychiatriques qui au cours de leurs séances psychédéliques ont exploré avec énormément de courage les profondeurs de leur psyché et qui ont partagé avec moi leurs impressions et leurs découvertes. La même chose s’applique aux centaines de milliers de participants dans les ateliers et les formations de travail respiratoire holotropique. Je remercie tout particulièrement tous les patients atteints de cancer, pour qui les rencontres symboliques expérientielles avec la mort représentent une préparation immédiate à leur voyage ultime. Sans la coopération gracieuse de ces personnes courageuses et de leurs familles, ce livre n’aurait pas vu le jour. J’aimerais exprimer, pour finir, ma gratitude envers plusieurs personnes qui ont joué un rôle cardinal dans la publication de ce livre. Au fil des ans, Rick Doblin, Président de l’Association Multidisciplinaire d’Etudes Psychédéliques (MAPS) et éditeur de ce livre, a fait preuve d’un effort extraordinaire pour corriger les nombreuses erreurs qui circulent sur les substances psychédéliques. Ces erreurs sont engendrées par leur utilisation non-surveillée, par les journalistes de la presse à scandale, et par les législateurs désinformés, désireux de parvenir à une législation pour une utilisation responsable des ces outils extraordinaires. L’invitation de Rick a fourni la stimulation nécessaire pour que j’écrive ce traité compréhensif sur les aspects psychologiques, philosophiques et spirituels de la mort. Je suis très reconnaissant à Elisabeth Gibson qui a corrigé le manuscrit, pour la forme finale de ce livre, pour sa profonde connaissance du sujet, pour son attention méticuleuse aux détails et pour le dévouement aimant avec lequel elle a mené à bien cette tâche ; je suis reconnaissant à Mark Plummer d’avoir dessiné cette belle couverture ainsi que pour son aide artistique et technique à travers les riches illustrations qui accompagnent le texte ; je suis reconnaissant à Brandy Doyle pour sa vérification finale attentive de tous les aspects du processus de publication. Je voudrais également remercier Yahia Kabil pour son aide sur les sections concernant l’Islam. Je suis très reconnaissant à Michael Marcus, Janet Zand, John Buchanan, Bob Schwartz, Bokara Lengendre et Betsy Gordon qui au fil des années ont apporté leur aide généreuse à mon travail. INTRODUCTION La psychologie moderne a découvert à quel point le trauma de naissance pèse dans la vie des individus. Qu’en est-il du « trauma de la mort ? » Si on croit à la continuité de la vie, ne devrait-on pas leur accorder une considération égale ? Laura Huxley, auteur de Cet Instant éternel 4 Spiritual Emergence network dans le texte (NdT) LA MORT ET LE MOURIR 5 sont les expériences les plus personnelles et les plus pertinentes pour chacun d’entre nous. Au cours de nos vies, nous perdons nos parents proches, nos amis, nos professeurs, nos connaissances et finalement, nous affrontons notre propre décès biologique. Cependant, il est assez extraordinaire de voir que jusqu’à la fin des années soixante, la civilisation occidentale a fait preuve d’un désintérêt quasi-total envers la mort et son processus. Cette attitude a été non seulement celle du plus grand nombre mais aussi celle des scientifiques, des professionnels, des psychologues, des anthropologues, des philosophes et des théologiens. La seule explication plausible à cette situation est un déni massif de la mort et un refoulement psychologique de tout ce qui a un rapport avec elle. La Mort et le Mourir 6 dans les sociétés préindustrielles Ce désintérêt est encore plus frappant lorsque nous le comparons à l’attitude envers la mort que l’on trouve dans les sociétés préindustrielles, sociétés dans lesquelles l’approche de la mort et du mourir étaient7 conçues de façon diamétralement opposées. Dans les anciennes cultures, la mort dominait et captivait l’imagination des foules ; elle offrait aussi de l’inspiration à leur art et à leur architecture. En Egypte la préoccupation pour la vie d’Après trouva son expression dans les monumentales pyramides, les grandes nécropoles, les tombes magnifiques et dans d’innombrables tableaux et sculptures. Dans l’Amérique préhispanique des Mayas et des Aztèques, les pyramides, les temples et les salles de bals étaient de hauts lieux de rituels élaborés construits autour de la mort. Le mausolée d’Halicarnasse en Asie Mineure, tombeau de Caria (gouverneur de province de l’empire Perse) fut construit pour lui par sa femme, Artémise, et était considéré comme l’une des sept merveilles de l’ancien monde. La tombe de l’Empereur Chinois Qin près de Xiang dans la province Shaanxi constitue un autre grand exemple de monument funéraire ancien : plus de sept mille sculptures de guerriers et de chevaux géants en terra cota furent aussi enterrés là, pour le protéger dans sa vie d’Après. Selon les recherches archéologiques, même le légendaire palace Minoen en Crète n’était pas une résidence royale, mais une gigantesque nécropole (Wunderlich 1972). La grande dynastie moghole en Inde laissa elle aussi de magnifiques tombes et des mausolées tels que la tombe d’Akbar le Grand, et le légendaire Taj Mahal, construit par Shah Jahan pour sa femme Noor Mahal. Voilà quelques exemples qui témoignent d’à quel point la mort influençait puissamment les civilisations anciennes. La mort a eu une importance égale parmi toutes les sociétés préindustrielles, à travers l’histoire. La plupart des arts aborigènes de divers endroits du monde décrivent le monde des esprits, le voyage posthume de l’âme et plus particulièrement le royaume important des ancêtres, êtres à la fois vénérés et craints. Le dénominateur commun entre les rites funéraires des cultures primitives et leur croyance en la vie après la mort est leur attitude ambivalente envers les personnes décédées. Bien des aspects de ces rites reflètent des efforts pour faciliter et hâter la transition des personnes décédées vers le monde spirituel. Cependant, au cours de ces cérémonies on peut observer un motif dominant avec pratiquement la même fréquence : on trouve partout le même effort pour établir des relations entre les vivants et les morts en vue d’obtenir de la sécurité et de la protection. Des traits spécifiques de bien des rites funéraires peuvent être doublement interprétés : d’une part il s’agit d’aider les morts dans leur voyage posthume, d’autre part il s’agit aussi de les empêcher de revenir. La Mort comme transition vers d’autres réalités 5 Death and dying dans le texte. Nous avons traduit le mot dying tantôt par l’infinitif substantivé « le mourir », tantôt par « le processus de mort ». (NdT) 6 idem 7 idem Commentaire [Eva3]: Autre options : la mort et le mourir ; la mort et l’agonie. IL ne s’agit cependant pas de l’agonie : le mot agonie existe en anglais. Vu directement avec le Docteur Grof qui préfère la version que j’ai retranscrite ici. La différence entre l’attitude envers la mort des sociétés industrielles et celle des sociétés préindustrielles peut être très bien illustrée en comparant la situation des individus qui meurent dans ces deux contextes différents. Les cosmologies, les philosophies et les mythologies des anciennes cultures et des groupes indigènes tout comme leur vie spirituelle et leurs rituels, reflètent un message clair : la mort n’est pas la fin absolue et irrévocable de tout. La conscience, la vie ou l’existence sous quelque forme, continue après la mort biologique. Une des variations spéciales de cette croyance, est le concept répandu de la réincarnation. Outre la théorie selon laquelle une existence désincarnée suit celle de l’individu décédé, la réincarnation implique aussi le retour à l’existence matérielle dans un nouveau corps. Dans l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme, cette croyance est liée à la Loi du Karma, selon laquelle la qualité des incarnations des individus est spécifiquement déterminée par les mérites et les dettes des vies précédentes. Les mythologies eschatologiques8 sont généralement d’accord pour dire que l’âme des personnes décédées traverse une série d’aventures complexes de la conscience. Le voyage posthume de l’âme est parfois décrit comme un voyage à travers des paysages fantastiques qui sont similaires à ceux de la Terre, et d’autres fois comme des rencontres avec de nombreux êtres archétypiques ou comme un passage à travers une séquence d’état de conscience non-ordinaire. Dans certaines cultures l’âme atteint un royaume temporaire souterrain, comme c’est le cas dans le Purgatoire chrétien ou dans les Lokas du bouddhisme tibétain ; dans d’autres, elle atteint un foyer éternel tel que le Paradis, les Enfers, ou le Royaume du Soleil. De telles cultures acceptent sans la remettre en question l’existence d’autres domaines normalement invisibles, tels que le royaume astral, et le monde des ancêtres. Les sociétés préindustrielles semblent ainsi tomber d’accord sur le fait que la mort n’est pas la dernière défaite, ni la fin de tout, mais une transition importante. Les expériences associées à la mort étaient considérées comme des visites à des dimensions importantes de la réalité qui méritaient d’être vécues, étudiées et répertoriées soigneusement dans des cartes. Les mourants, étaient familiarisés aux cartes de leurs cultures, qu’il s’agisse de cartes chamaniques des paysages funéraires ou de descriptions sophistiquées des systèmes spirituels Orientaux, tels que ceux que l’on retrouve dans le Bardo Thödol, le livre tibétain de la Mort. Ce texte important de bouddhisme tibétain mérite une attention spéciale, étant donné qu’il représente un point de vue différent de celui des civilisations occidentales qui se centrent sur la productivité de la vie et sur la négation de la mort. Le Livre Tibétain de la Mort, décrit le moment où l’on meurt comme une opportunité unique de se libérer des cycles de la mort et de la renaissance et comme une période qui détermine notre prochaine incarnation, dans le cas où nous ne parviendrions pas à la libération. Dans ce contexte, les états intermédiaires entre les vies (bardos) peuvent être vus comme plus importants que l’incarnation existante, et par conséquent, il est essentiel de se préparer à eux par une pratique systématique durant la vie. Une autre caractéristique des cultures anciennes et préindustrielles qui colore l’expérience de la mort est que leur acceptation de celle-ci est une partie intégrante de la vie. Durant leur vie, les personnes qui vivent dans ces cultures passent du temps autour des mourants : ils traitent avec les cadavres, observent la crémation, et vivent avec les restes de leurs parents. Pour un Occidental, une visite à la ville Sainte Hindou de Varanasi (à Bénarès) où cette attitude est exprimée de la façon la plus extrême, peut s’avérer être une expérience profondément bouleversante. Par ailleurs, les personnes mourantes dans les sociétés préindustrielles meurent traditionnellement dans un contexte de famille nombreuse, de clan ou de tribu. Ainsi, à ce moment clef de transition, ils peuvent 8 Eschatologique : du grec eschatos (ἔσχατος), le dernier, qui traite de la fin des temps. Relève de la théologie et de la philosophie en lien avec les derniers temps, les derniers événements de l’histoire du monde ou l’ultime destinée du genre humain, couramment appelée la « fin du monde », l’après-vie et l’âme (NdT) recevoir un appui émotionnel de la part de personnes qu’ils connaissent intimement. De puissants rituels prennent place au moment de la mort pour aider les individus à faire face à leur transition ultime, ou même pour les guider au moment de leur mort, comme le décrit le Bardo Thödol. Etats de conscience holotropiques dans la mort et le mourir9 La pratique de formes diverses d’entraînement à la mort était un facteur important influençant l’attitude envers la mort et son processus 10 dans les sociétés préindustrielles. Le dénominateur commun à de telles pratiques était qu’elles impliquaient des états de conscience nonordinaires ou un sous-groupe spécial de ces états pour lequel j’ai inventé le terme d’ « holotropique « (Grof, 1992). Ce terme composé signifie littéralement « orienté vers la complétude », ou « avançant en direction de la complétude », (du grec Holos complet, et Trepein avancer vers quelque chose). Ces états atteints à l’aide de substances psychédéliques ou d’un spectre entier de techniques autres que des drogues surgissant de manière spontanée, ont de grands potentiels de guérison et de transformation ; ils représentent donc une source importante d’information sur la conscience, sur la psyché humaine, ainsi que sur la nature de la réalité. La signification que les cultures anciennes et aborigènes attribuaient aux états holotropiques est reflétée par la quantité de temps et d’énergie dédiée au développement de ces « technologies du sacré ». Parmi les expériences qui arrivent dans les états holotropiques il y a de profondes suites de mort psychospirituelle et de renaissance et des sentiments d’unité cosmique, qui ont les capacités de radicalement transformer l’attitude envers la mort et envers le fait de mourir en lui-même. La carrière de nombreux chamanes, commence par la « maladie chamanique » une crise initiatrice qui implique un voyage visionnaire au monde souterrain, l’expérience de la mort psychologique et la renaissance et l’ascension aux mondes de l’Au-Delà. La connaissance du royaume de la mort acquise pendant cette transformation permet au chamane d’aller d’un monde à l’autre et d’utiliser ces voyages à des fins de guérison et de connaissance. Il peut également méditer de tels voyages pour d’autres. Les anthropologues ont décrit un autre contexte qui rend possible la pratique des rites de mort : les rites de passage. Ce sont des rituels élaborés qui sont dirigés par de nombreuses cultures aborigènes au moment d’importantes transitions biologiques et sociales telles que la naissance, la circoncision, la puberté, le mariage, la ménopause et la mort. Ces rites emploient de nombreuses techniques d’altération de l’esprit. L’examen plus proche des états induits par ces choses et du symbolisme externe qui les entoure révèle qu’ils tournent autour de la triade naissance-sexe-mort, et de l’expérience de renaissance psychospirituelle. Les personnes vivant dans ces cultures ont pendant leurs vies de nombreuses opportunités de vivre et de transcender la mort. Au moment de leur mort biologique, ils rentrent donc dans un territoire familier. Les anciens mystères de la mort et de la renaissance sont proches de ces rites de passage. Il s’agit de procédures complexes sacrées et secrètes qui impliquent, elles aussi, de puissantes techniques d’altération de l’esprit. Elles existaient dans de nombreuses parties du monde, mais elles prévalaient particulièrement dans la zone méditerranéenne. Ces événements initiatiques étaient fondés sur des histoires mythologiques de déités qui symbolisaient la mort et la renaissance – les Babyloniens Inanna et Dumuzi, les Egyptiens Isis et Osiris et les Grecs Dionysos, Attis, Adonis et bien d’autres. Les plus célèbres d’entre eux étaient les mystères d’Eleusis, fondés sur le mythe de Perséphone : enlevée par Hadès, elle demeurait la moitié de l’année aux Enfers et revenait périodiquement au monde des vivants. Ces mystères avaient lieu à Eleusis, une petite ville proche d’Athènes, tous les cinq ans sans interruption pendant près de 2000 ans. Les expériences de la mort 9 Holotropic states of consciousness in death and dying dans le texte (NdT) 10 the experience of dying, dans le texte (NdT) Commentaire [Eva4]: dying et de la renaissance au cours de ces mystères avaient la réputation de libérer les initiés de la peur de la mort et de transformer radicalement leur mode de vie. Les traditions mystiques et les grandes philosophies spirituelles de l’Orient constituent un élément particulièrement intéressant pour les chercheurs en transpersonnalité. On y trouve les nombreux systèmes de yoga, les écoles de Bouddhisme de Theravada et la Vajrayana Tibétain jusqu’au Zen, en passant par le Taoïsme, le Soufisme, le mysticisme chrétien, la Kabbale et bien d’autres encore. Ces systèmes ont développé des formes efficaces de prière, de méditations, de mouvement, des exercices de respiration et d’autres puissantes techniques pour créer des états holotropiques avec d’importantes composantes spirituelles. Ces procédés offraient la possibilité de confronter sa mortalité et sa finitude, de transcender la peur de la mort ainsi que de transformer radicalement son être au monde de la même façon que le faisaient les chamanes, les initiés dans les rites de passages et les néophytes dans les anciens mystères. La description des ressources disponibles aux mourants dans les cultures préindustrielles serait incomplète si nous ne mentionnions pas les livres des morts tels que le Bardo Thödol (Tibet), le Pert Em Hru (Egypte), le Codex Borgia (aztèque), Ceramic Codex (maya) et le Arts moriendi (Europe). Ces textes décrivent en détail les expériences que l’on peut rencontrer après la mort biologique et pendant les voyages posthumes de l’âme. Comme nous le verrons au chapitre 6, ces mêmes textes servent une autre fonction importante : ils peuvent aussi être utilisés pendant la vie comme manuels de spiritualité et comme guides d’auto-exploration impliquant des états de conscience holotropiques. Comme nous l’avons vu, un individu mourant dans une culture primitive ou aborigène, s’était intensivement entraîné à la mort par des rituels variés, impliquant des états de conscience holotropiques. Il disposait de systèmes de croyances spirituelles et philosophiques qui transcendaient la mort. Il mourait dans le contexte chaleureux de la grande famille et des camarades de tribu et bénéficiait souvent de leur expérience dans les rituels à travers les différentes étapes de la mort. Dans certaines cultures, la base de ce guidage était fournie par des cartographies transmises par traditions orales ou par des textes spéciaux décrivant les territoires expérimentaux que les mourants devaient traverser. Approche de la Mort et du Mourir11 dans les sociétés industrielles La situation d’une personne ordinaire qui meurt dans l’une de nos sociétés industrialisées est radicalement différente. Elle a une vision purement pragmatique et athée du monde, ou du moins est profondément influencé par celle-ci. D’après la science occidentale et sa philosophie monothéiste et matérialiste, l’histoire de l’univers est en substance l’histoire du développement de la matière. La vie, la conscience, et l’intelligence sont des produits de second ordre par rapport à son propre développement, ils sont plus ou moins accidentels et insignifiants, et ils sont apparus sur scène des millions d’années après l’évolution de matière passive et inerte dans une partie insignifiante d’un univers infini. La spiritualité n’a pas sa place dans un monde où la réalité est définie exclusivement comme matérielle, tangible et mesurable. Le Rôle de la Religion Même si les activités religieuses sont généralement permises et même encouragées officiellement, d’un point de vue strictement scientifique, la spiritualité est considérée comme étant une activité irrationnelle qui indique une immaturité émotionnelle et intellectuelle : un manque d’éducation, des superstitions primitives et une régression à des façons de penser infantiles. Des expériences directes de réalités spirituelles sont vues comme étant des manifestations d’une sérieuse maladie mentale, tout comme les distorsions psychotiques de la réalité causées par des 11 Approach of death and dying (NdT) Commentaire [Eva5]: idem procédés pathologiques affectant le cerveau. La religion, dépourvue de sa composante expérientielle a perdu pour sa plus grande part sa connexion à sa source spirituelle profonde, et en conséquence, elle est de plus en plus vide et absurde - elle n’est plus une force positive et utile dans la vie. Sous cette forme-là, elle ne peut pas concurrencer la persuasion de la science matérialiste appuyée par ses triomphes technologiques. En l’absence de cette spiritualité fondée sur l’expérience, donc de spiritualité viable, il est fort probable que les personnes érudites soient athées, quant à ceux qui sont moins sûrs d’eux-mêmes, ils tendent à succomber à des formes décevantes de fondamentalisme. La vision de la conscience D’après la neuroscience occidentale, la conscience est un épiphénomène de la matière, un produit du processus psychologique du cerveau, et ainsi elle dépend indissociablement du corps. La mort du corps, et plus spécifiquement du cerveau, est vue comme la fin absolue de toute forme d’activité consciente. Les croyances telles qu’en la vie après la mort, en un voyage posthume de l’âme, en des domaines de l’Au-Delà, et en la réincarnation sont reléguées au rang de contes de fées et de livres de psychologie à deux-francs-six-sous. Les croyances de cet ordre sont perçues comme le produit d’une pensée qui prend ses désirs pour des réalités, une pensée propre aux personnes simplettes qui sont incapables d’accepter l’impératif biologique de leur propre mort. Cette approche a considéré qu’une bonne partie de l’histoire de la spiritualité et des rituels étaient des pathologies. Peu de personnes, y compris la plupart des scientifiques eux-mêmes réalisent que nous n’avons absolument aucune preuve que la conscience soit le fait du cerveau. En outre nous ne savons absolument pas comment cela serait possible : aucun scientifique n’a jamais essayé d’expliquer comment le formidable fossé entre la matière et la conscience pouvait être comblé. Cependant, l’idée métaphysique selon laquelle la conscience est un épiphénomène de la matière demeure un des mythes de la science matérialiste et influence profondément notre société toute entière. Il n’y a également aucune preuve scientifique à l’absence de dimension spirituelle dans le schéma universel des choses, mais en revanche, des preuves nombreuses peuvent être trouvées concernant des dimensions invisibles de la réalité. Néanmoins, étant donné les circonstances présentes, la vision officielle et actuelle du monde industriel ainsi que des formes d’adoration religieuse n’offrent pas de soutien important aux personnes mourantes. L’Intérêt SCIENTIFIQUE pour la mort et pour le mourir12 Jusqu’en 1970, cette perspective sur la mort occupait également l’intérêt scientifique pour les expériences de patients mourants et des individus en situation de mort imminente. Les rares exceptions ne recevaient que peu d’attention, qu’il s’agisse de livres populaires parmi le grand public tels que Le Vestibule, de Jess E. Weisse et Les Regards de l’Au-Delà de Jean-Baptiste Delacour (Weisse 1972, Delacour 1974) ou encore de traités scientifiques tels que les études exhaustives d’observations au chevet des mourants de médecins et d’infirmières dirigé par Karlis Osis (Osis 1961). Ces écrits ont été relégués en parapsychologie et considérés comme inintéressants d’un point de vue scientifique. Cette situation changea après la publication du livre révolutionnaire d’Elisabeth Kübler-Ross Vivre avec la Mort et les mourants (Kübler-Ross, 1969) et du livre bestseller international de Raymond Moody La Vie après la vie (Moody 1975). Depuis lors Ken Ring, Michael Sabom et d’autres pionniers en thanatologie ont ramassé des preuves impressionnantes sur les caractéristiques des expériences de mort imminente qui vont de la perception extrasensorielle pendant les expériences hors du corps jusqu’aux profonds changements de personnalité qui les suivent. Les informations à propos de ces études ont été publiées dans des best-sellers, à les émissions de télévision, dans des films hollywoodiens et d’autres médias. Le résultat, c’est que les professionnels et le grand public 12 SCIENTIFIC Interest in Death and Dying sont maintenant familiarisés aux caractéristiques de base des expériences de mort imminente. Cependant, ces observations révolutionnaires, outre leur potentiel à révolutionner notre compréhension de la nature de la conscience et sa relation au cerveau, sont encore écartées par la plupart des professionnels qui considèrent qu’il s’agit d’hallucinations non pertinentes nées de crises biologiques du corps et du cerveau. Les expériences de mort imminente ne sont pas non plus répertoriées comme étant des aspects importants de l’histoire médicale des patients, et la plupart des établissements médicaux n’offrent aucune aide psychologique pour aider les survivants à les intégrer. Conditions du processus de mort et du mourir13 Les personnes qui meurent dans les sociétés occidentales manquent souvent d’appui humain pour faciliter leur transition. Nous essayons de nous protéger de l’inconfort émotionnel associé à la mort en mettant les personnes malades et agonisantes à l’écart dans les hôpitaux et dans les maisons de retraite. L’accent est mis sur les systèmes d’aide et sur le prolongement mécanique de la vie - souvent au-delà des limites du raisonnable - plutôt que sur un milieu humain qui apporte son appui ou sur la qualité des derniers jours de la vie du patient. Le système familial est déconstruit et les enfants habitent souvent loin de leurs parents et de leurs grands-parents. En conséquence, le contact avec la famille lors des crises médicales est souvent formel et minime. En outre, les professionnels de la santé mentale qui ont développé des formes spécifiques d’appui et de conseil dans un large domaine de crises émotionnelles, manquent encore de méthodes efficaces pour aider les mourants à faire leur transition. Par conséquent, une aide significative n’est pas disponible pour ceux qui font face à la crise la plus profonde que l’on puisse imaginer, celle qui affecte simultanément les aspects biologiques, émotionnels, interpersonnels, sociaux, philosophiques et spirituels de l’existence de l’individu. Tout ceci a lieu dans un contexte bien plus grand de déni collectif de l’impermanence et de la mortalité qui caractérise les sociétés industrielles Occidentales. Notre plus grande rencontre avec la mort nous parvient dans une forme hygiénique où une équipe de professionnels tempère son importance. Cela va jusqu’à l’équipe de barbiers coiffeurs, maquilleurs et plasticiens post-mortem, qui font tous les ajustements nécessaires aux cadavres avant de le montrer aux amis et à la famille. Les médias amplifient eux aussi la distance à la mort en la diluant dans des statistiques vides et en parlant sur un ton aseptisé des milliers de victimes de guerres, révolutions et de catastrophes naturelles. Les films et les émissions télévisées rendent la mort triviale en capitalisant la violence et en immunisant le public moderne à son impact émotionnel par de nombreuses scènes de mort, de tueries et de meurtres dans un contexte qui est celui des loisirs. Clairement, les conditions de la vie existant dans les sociétés modernes développées n’offrent pas beaucoup d’appui idéologique ou psychologique aux personnes qui font face à la mort. Vue d’ensemble de ce Livre Dans ce livre, j’explore les découvertes de la recherche sur la conscience qui ont révolutionné la compréhension théorique de la mort et de son processus et qui ont ouvert de nouvelles portes au travail avec les personnes mourantes. Dans la première partie, je traite des rituels anciens des aborigènes et des pratiques spirituelles qui peuvent nous aider à comprendre l’expérience de la mort, à développer des manières efficaces de faciliter la mort et d’en faire une partie significative de la vie. Les chapitres se concentrent sur de nombreuses façons de s’entraîner à mourir : le chamanisme, les rites de passage, les anciens mystères, de nombreuses techniques spirituelles orientales, et le voyage posthume de l’âme. Après cette présentation de ces rituels et ces pratiques spirituelles, j’ai consacré tout un chapitre aux anciens livres des morts : le Bardo Thödol 13 Conditions of Dying and Death (NdT) (Tibet), le Pert Em Hru (Egypte), le Codex Borgia (aztèque), Ceramic Codex (maya) et le Arts moriendi (Europe). La seconde partie de ce livre retrace les découvertes des études modernes qui jettent une nouvelle lumière sur une grande variété de phénomènes reliés à la mort et à son processus. Cette présentation s’ouvre sur la nouvelle cartographie de la psyché qui a résulté de plus de cinquante ans de crises spirituelles. Cette carte est requise pour toute approche sérieuse des problèmes dont il est question dans ce livre qui vont des nombreuses formes de rituels de transformation à la question de la conscience au seuil de la mort. Puis, dans des chapitres isolés je traite de nombreux domaines de la recherche pertinents pour la question de la survie de la conscience après la mort : les expériences de mort imminente, du karma et de la réincarnation ainsi que de la communication avec la conscience désincarnée. Les derniers chapitres de ce livre se concentrent sur le programme Spring Grove, un important effort de recherche consacré à enquêter sur la thérapie psychédélique des patients en phase terminale de cancer. Dans ces chapitres, je mets en relief l’histoire de cette modalité de traitement, je décris les procédés thérapeutiques, j’inclus plusieurs histoires qui illustrent ces cas et j’analyse les résultats cliniques. Les derniers chapitres présentent la compréhension psychologique de la mort depuis les spéculations précoces de Freud jusqu’à la perspective transpersonnelle qui a émergé de la thérapie psychédélique et d’autres terrains de recherche sur la conscience moderne (y compris le renouveau de la recherche psychédélique). Ce chapitre explore aussi l’application pratique de ce dont traite ce livre pour des individus vivant dans des sociétés technologiques. Il évoque aussi les possibles implications sociopolitiques des nouvelles visions utiles à la compréhension de la nouvelle crise actuelle et son amélioration. L’appendice auquel a contribué Laura Huxley, inclut des extraits concernant l’approche consciente de la mort d’Aldous Huxley à partir du livre de son épouse, Cet Instant éternel - Une Vision personnelle d’Aldous Huxley (L. Huxley 1968) Le Sorcier. Grotte des Trois Frères, Lascaux. Peinture rupestre de composition mystérieuse, combine de nombreux symboles mâles : cornes de cerf, yeux de hiboux, queue de cheval sauvage, barbe humaine et pattes de lion. CHAPITRE PREMIER CHAMANISME : TECHNIQUES ARCHAIQUES D’EXTASE « Le Docteur Sorcier obtient des résultats probants pour la même raison que nous autres médecins allopathiques. Chaque patient est son propre médecin. Les patients viennent nous voir ignorants de cette vérité. Nous excellons lorsque nous offrons au médecin qu’il y a en chaque patient l’opportunité de se mettre au travail ». Albert Schweitzer, médecin, théologien, philosophe et musicien allemand L’ENTRAINEMENT A LA MORT FONDE SUR L’EXPERIENCE date d’il y a plusieurs milliers d’années. Nous possédons des documents archéologiques datant de l’aube de l’humanité concernant le chamanisme, ancien art de guérison et première forme de pratique spirituelle. Le terme chamane est très probablement dérivé du terme tunguso-manchourian saman, qui signifie « celui qui sait ». Ce nom témoigne d’un immense respect pour la connaissance profonde de la psyché et de la nature que possède le chamane. Dans son sens plus étroit et anthropologique, ce terme renvoie aux guérisseurs sibériens et à leurs costumes de cérémonie, tambours à face unique, états de transe et voyages visionnaires. Dans son sens large, ce terme a été utilisé pour une grande variété de guérisseurs dans différentes parties du globe, qui sont également connus comme des hommes de médecine, sorciers ou mages. L’une des caractéristiques du chamane, lorsqu’on le compare aux autres guérisseurs, est qu’il utilise les états holotropiques de conscience pour se guérir soi-même et pour d’autres fins. Les chamanes ont la réputation de pouvoir établir un diagnostic, de guérir et de causer des maladies, de communiquer avec les mondes de l’au-delà et d’utiliser leur perception extra-sensorielle pour prédire l’avenir. Ils sont également capables de voir ce qui se passe dans des lieux éloignés, de localiser des personnes et des objets perdus, d’influencer le climat et de contrôler le mouvement des animaux de jeu. Ils sont perçus comme les gardiens de l’équilibre psychique et écologique des leurs, intermédiaires entre le visible et l’invisible, maîtres des esprits et guérisseurs surnaturels. Le chamanisme est extrêmement ancien, il a au moins 30 000 ou 40 000 ans ; ses racines les plus reculées datent de l’époque paléolithique. Les parois des célèbres grottes dans le sud de la France et dans le nord de L’Espagne, telles que Lascaux, Font de Gaume, les Trois frères, la Gabillou, Altamira pour ne citer qu’elles, sont décorées de belles images d’animaux et de créatures mythiques aux allures et aux significations étonnamment magiques et rituelles. Les images et les gravures de figures étranges dans ces caves associent des traits humains et animaux et représentent à n’en point douter d’anciens chamanes. Les plus célèbres d’entre elles sont celles du Sorcier de la Grotte des Trois Frères, le Danseur de la Gabillou et le Maître des Bêtes de la Grotte de Lascaux. La scène de chasse de la Grotte de Lascaux est également célèbre. On y voit un bison blessé et une figure allongée de chamane avec un pénis en érection. Les origines du chamanisme sont cependant plus anciennes, elles datent de l’époque Neandertal, de la culture de l’ours et des animaux saints, c’est à dire de la période inter-glacière ; on les a identifiées dans des grottes suisses et dans le sud de l’Allemagne. Le chamanisme n’est pas seulement ancien, il est aussi universel ; on le retrouve en Amérique du Nord et du Sud, en Europe, Afrique, Asie, Australie, Micronésie et Polynésie. Le fait que le chamanisme ait perduré parmi tant de cultures différentes au cours de l’histoire de l’humanité suggère que les états holotropiques que les chamanes provoquent créent ce que les anthropologues appellent « l’esprit primaire » - aspect primordial et basique de la psyché humaine qui transcende la Commentaire [Eva6]: Je ne suis pas sûre de savoir ce dont il s'agit race, le sexe, la culture et le temps. Les techniques chamaniques et leurs procédés ont survécu jusqu’à ce jour dans les cultures qui ont échappé à l’industrialisation occidentale. Expériences initiatiques Le chamanisme est lié de près à la mort et à son processus. La carrière de nombreux chamanes commence par un état visionnaire spontané. Cette crise initiatique, ou « maladie chamanique » comme les anthropologues occidentaux ont coutume de l’appeler, prend généralement la forme d’une profonde expérience de mort psycho-spirituelle et de renaissance et représente un extraordinaire entraînement par l’expérience à la mort véritable. La crise initiatique n’est pas toujours spontanée. Les chamanes expérimentés initient souvent les apprentis dans la profession chamanique par l’utilisation de puissantes techniques d’altération de l’esprit, telles que les plantes psychédéliques ou des combinaisons de percussions de tambours, de danses, de jeûnes et de privation de sommeil. Ils utilisent également ces techniques dans leur propres voyages et lorsqu’ils aident les autres. Dans leurs états d’initiations visionnaires, les futurs chamanes font l’expérience de voyages aux mondes des Enfers souterrains, c’est à dire au royaume des morts. Là, ils sont attaqués par des démons vicieux et sont soumis à d’atroces souffrances. La chair est arrachée à leurs os, leurs yeux sont extraits de leurs orbites et le sang est pompé hors de ses vaisseaux. Leurs corps est réduit en miettes, bouilli dans des chaudrons, réduit à l’état de squelette, et démembré. Après que le chamane novice a été complètement exterminé, les parties de son corps sont généralement distribuées parmi les esprits de maladies variées. On pense qu’à l’avenir, le chamane sera capable de guérir les maladies causées par les esprits du mal qui ont dévoré son corps pendant la crise initiatique. Même si les détails de ces expériences varient considérablement en fonction des différentes tribus et des différents chamanes, elles ont toutes en commun l’atmosphère générale d’horreur et de souffrances inhumaines. Au cours de son voyage au monde des morts, le chamane doit affronter des vents glacés, des forêts en flammes, des rivières orageuses et des torrents de sang. Le monde souterrain est dangereux et terrifiant. On y trouve des ossatures humaines, des cheveux de femmes, des lézards et des crapauds, il est rempli d’eaux bouillantes et sombres où d’innombrables âmes crient en agonisant. Le chamane novice peut traverser une rivière noire dangereuse et voyager dans des barques avec des cadavres ou sur des canoës d’esprits. Les rapides sont des tourbillons de flammes et le paysage contient des maladies, des morts et la maîtresse du Mal du monde souterrain gouverne un village de mangeurs d’hommes. Les chamanes altaïques traversent des paysages aux forêts glauques et aux montagnes élevées, couvertes des os de leurs prédécesseurs morts et de leurs montures. Puis ils affrontent le Seigneur des Enfers, qui crie comme un taureau en furie et ils l’apaisent au moyen de présents et de tours, et reviennent sur un jars sauvage14. Un chamane Yakoute15 doit voyager dans la gorge et le corps d’un monstre serpent dont les intestins sont couverts de pics. Après ses expériences de mort, de démembrement et d’anéantissement total, le chamane renaît. Il ou elle acquiert une chair nouvelle, un sang neuf de nouveaux yeux et s’élève aux royaumes surnaturels, généralement en grimpant l’arbre du Monde, qui réunit les trois mondes et qui est relié aux eaux printanières de la vie circulant dans toute la nature. Le chamane peut également être transformé en oiseau tel qu’un aigle, un oiseau-tonnerre16, un faucon ou un condor et voler dans le 14 Jars : mâle de l’oie (NdT) 15 Les Yakoutes, qui se nomment eux-mêmes Sakha, constituent un peuple turc dans la république de Yakoutie (NdT). 16 Nom d'une créature légendaire issue des croyances amérindiennes (NdT) Commentaire [Utilisate7]: = qui agonisent. Or tu tu veux dire « qui provoque l’agonie ». Et y’a pas de terme pour ça, à ma connaissance. royaume solaire ou être transporté par un de ces oiseaux. D’autres manières archétypales d’atteindre les royaumes surnaturels sont de grimper sur un arc-en-ciel, sur une chaîne de flèches, sur une montagne sacrée, ou sur un pôle à neuf nœuds. De la Laponie jusqu’à la Patagonie, des temps anciens jusqu’à aujourd’hui, les archétypes activés pendant les souffrances et les exaltations chamaniques sont incroyablement semblables. Dans ce processus de descente au monde souterrain, de mort, de renaissance et d’ascension aux mondes célestes, les futurs chamanes réalisent leur identité solaire. Ils vivent une profonde connexion aux forces de la nature et aux animaux, à la fois dans leur forme physique réelle et dans leur forme archétypale. Dans les sagesses traditionnelles chamaniques, ces forces sont connues comme étant des « animaux totems » et possèdent des traits uniques tels que la parole, le fait de pouvoir apparaître en forme humaine et de naviguer dans un élément atypique (par exemple, un mammifère terrestre, ou un serpent totem peuvent voler). Les totems ne sont pas des individus au sens premier : ils représentent le genre ou l’espèce tout entière, comme par exemple le coyote, l’ours, ou le corbeau. Les expériences visionnaires de la crise initiatique apportent traditionnellement de grands aperçus sur la nature et l’origine des maladies et ils aident les futurs chamanes à se guérir des problèmes émotionnels ou psychosomatiques, et même des désordres physiques qui avaient précédemment tourmenté leurs vies. C’est pour cette raison que les anthropologues se réfèrent souvent aux chamanes comme étant des « guérisseurs blessés ». Pour être reconnu chamane, il faut réussir à aller jusqu’au bout de la crise initiatique, intégrer les impressions réussies et parvenir à un fonctionnement adéquat supérieur dans la réalité de tous les jours. L’expérience d’un état holotropique radical n’est pas suffisante en elle-même pour transformer un individu en chamane. Les cultures primitives ne sont pas capables de distinguer les vrais chamanes des personnes malades ou folles. Les bons chamanes sont capables de rentrer dans des états holotropiques selon leur bon vouloir, de façon contrôlée et dans un but spécifique tel que la guérison, la perception extrasensorielle et l’exploration de dimensions alternées de la réalité. Ils peuvent également provoquer de tels états chez d’autres membres de leur tribu et jouer le rôle de « psychopompes » dans lequel ils offrent l’appui et le guidage nécessaires à ceux qui traversent les territoires complexes de l’Au-Delà. Ce compte rendu de l’initiation d’un chamane Avam Samoyed17 pris en note par A.A. Popov illustre les expériences qui ouvrent les individus à une carrière chamanique. Accablé par la variole, le futur chamane demeure inconscient pendant trois jours. Au troisième jour, il avait déjà l’air tellement mort on se décide à l’enterrer. Il se voit descendre en Enfer et après de nombreuses aventures, il est emmené sur une île, sur laquelle se trouve un jeune bouleau qui mène au Paradis. C’est l’arbre du Seigneur de la Terre et le Seigneur lui en donne une branche pour qu’il se fabrique un tambour. Puis, il arrive au pied d’une montagne, passe devant une ouverture, et rencontre un homme nu devant un feu immense au-dessus duquel est accrochée une bouilloire. L’homme attrape le chamane à l’aide d’un crochet, lui coupe la tête, tranche son corps en petits morceaux et les jette dans la casserole. Là, il fait bouillir le corps pendant trois ans, puis il lui forge une tête sur une enclume. Finalement, il repêche les os qui flottent dans la rivière, les assemble et les recouvre de chair. Pendant ses aventures dans l’Autre Monde, le chamane en devenir rencontre plusieurs personnages semi-divins de forme animale ou humaine, et chacun d’entre-eux lui révéle des doctrines ou lui enseigne des secrets pour l’art de la guérison. Lorsqu’il se réveille dans sa yourte18 au milieu des membres de sa famille, le chamane est initié et peut entrer en fonctions. (Popov, 1936) 17 18 Peuple de Sibérie (NdT) Yourte : habitat traditionnel (tente en peau ou en feutre) des nomades mongols et turcs qui vivent en Asie centrale, notamment au Kirghizstan, au Kazakhstan et au Karakalpakistan. L'étymologie du mot est d'origine turque yurt. (NdT) Un mythe yakoute décrit les souffrances associées à la naissance des chamanes : La mère des animaux, grand aigle femelle aux plumes de fer, griffe, donne des coups de bec, et fait éclore les futurs chamanes : les grands, sur les hautes branches de l’arbre, et les plus petits sur les branches inférieures. Le bébé est confié à une chamanesse esprit qui n’a qu’un seul œil, une seule main et une seule jambe. Elle lui donne du sang à manger dans un berceau de fer et ensuite elle le confie à trois esprits noirs qui le réduisent en pièces et qui éparpillent ses restes. Le chamane sera capable de guérir les maladies auxquelles il a été donné un morceau de sa chair. Les grands chamanes sont démembrés à trois reprises. Même si le chamanisme des peuples sibériens et ouralo-altaïques a reçu une attention de premier ordre tant de la part des anthropologues que des ethnographes, des pratiques similaires et des expériences comprenant des maladies initiatiques, existent parmi les peuples d’Asie du Sud, d’Australie, d’Océanie, d’Afrique et les Indiens d’Amérique du Nord et du Sud. D’après Mircea Eliade, figure d’autorité s’il en est, les chamanes ont contribué considérablement à la connaissance de la mort et aux expériences qui lui sont associées (Géographie Funéraire, Eliade 1964). Les histoires de leurs voyages sont également parmi les sources les plus importantes de la mythologie eschatologique. A travers les nombreux voyages magiques, le monde inconnu et terrifiant de la mort prit forme et devint progressivement de plus en plus acceptable à leur peuple. Petit à petit, le domaine de la mort devint facile à connaître, et on commença à voir la mort elle-même de façon primaire comme un rite de passage à un mode d’être spirituel. Le potentiel de guérison et de transformation de la crise chamanique Mircea Eliade s’est référé au chamanisme comme étant la « technique d’extase archaïque » dans le sens de son sens grec étymologique - sortir hors de soi, ex-stasis. Les voyages visionnaires des chamanes ne sont pas toujours heureux et joyeux ; ils sont souvent sombres et agonisants. Comme nous le verrons au chapitre 8, beaucoup d’expériences caractérisant la crise initiatique des chamanes, tels que l’engloutissement, la soumission à des expériences extrêmes émotionnelles et physiques, l’épreuve du feu, l’exposition à des matériaux scatologiques et le démembrement sont connus des séances de sujets psychédéliques qui se focalisent sur le procédé mort et de renaissance psychospirituelle. La psychologie et l’anthropologie traditionnelles ont tendance à coller des étiquettes pathologiques aux crises psychospirituelles des chamanes et aux chamanes eux-mêmes. Le diagnostic va de la schizophrénie à la limite de la psychose et de l’épilepsie, jusqu’à l’hystérie et à la « défense culturellement constituée ». La crise chamanique diffère de la schizophrénie. Elle a une phénoménologie inhabituelle et l’accent est mis sur les dimensions mystiques, sur la détérioration abrupte de la personnalité, et sur le fonctionnement supérieur dans la culture. Les maîtres chamanes sont à l’aise dans le non-ordinaire et dans la réalité ordinaire, et ils agissent de manière tout aussi efficace dans ces deux domaines. Ils participent traditionnellement aux affaires politiques, sociales et économiques, en tant que chasseurs, jardiniers, fermiers, politiques et artistes, et en tant que membres de familles responsables. Les chamanes disposent d’une importante énergie et endurance, d’un grand niveau d’intelligence et de grandes facultés de leadership. Ils ont une compréhension supérieure des mythes et des rituels mais surtout, ils ont une profonde connaissance des territoires expérimentaux de la mort. La conscience moderne, la recherche et le travail psychothérapeutique avec les individus qui vivent des épisodes spontanés d’états de conscience non-ordinaires ont apporté une perspective radicalement nouvelle à la maladie chamanique. Bien comprises, les crises psychospirituelles de toutes sortes peuvent avoir pour résultat la guérison, l’ouverture spirituelle et une profonde transformation de la personnalité. Elles peuvent également offrir de profondes visions dans la nature et les dimensions de la psyché humaine émotionnelle, dans les désordres psychosomatiques et dans la nature de la réalité. Les crises initiatiques chamaniques appartiennent ainsi à une vaste catégorie d’expériences qui peuvent rompre les structures solides de l’ego et les reconstruire de façon positive. (Dabrovski,1967, Silverman 1967, Perry 1974 et 1976). Plutôt que d’être les manifestations de maladies mentales, les crises psychospirituelles représentent des « urgences spirituelles » et offrent le potentiel pour guérir et pour une transformation en profondeur (Grof et Grof 1990). CHAPITRE DEUXIEME RITES DE PASSAGE : MORT ET RENAISSANCE DANS LES TRANSFORMATIONS RITUELLES « Etes-vous prêts à être réduits en miettes, effacés, annulés, réduits à néant ? Etes-vous prêts à être réduits à néant ? A être relégué aux oubliettes ? Si ce n’est pas le cas, vous ne changerez jamais vraiment ». -D.H. Lawrence, Phoenix LES EVENEMENTS RITUELS OU RITES DE PASSAGE constituent un autre exemple important d’institutions sanctionnées socialement ayant offert des entraînements empiriques à la mort dans les civilisations anciennes et les cultures primitives. Ce terme a été inventé par l’anthropologue hollandais Arnold Van Gennep, qui a reconnu leur importance et leur répartition universelle et qui a écrit son premier traité scientifique à ce sujet (Van Gennep 1960). Les cérémonies de ce type ont existé dans chaque culture primitive et se déroulent encore dans bien des sociétés préindustrielles. Leur objectif premier est de redéfinir, transformer et consacrer les individus, les groupes et les cultures elles-mêmes. Les rites de passage sont à l’origine de changements radicaux dans la vie d’un individu ou d’une culture. Le moment où ils ont lieu coïncide généralement avec les changements psychologiques majeurs tels que la naissance d’un enfant, la circoncision, la puberté, le mariage, la ménopause et la mort ; occasions où le corps, la psyché, le statut social et le rôle sacré des initiés changent de manière significative. Des rituels similaires sont également associés à l’initiation au statut de guerrier, à l’acceptation dans des sociétés secrètes, aux fêtes ou aux renouveaux dans le calendrier et aux établissements de groupes humains dans de nouveaux territoires. Dans les civilisations occidentales industrielles, les moments de transition majeure d’un moment de la vie à un autre sont généralement perçus de manière négative. Cela vaut certainement pour la puberté, l’âge moyen, la vieillesse et bien sûr la mort. Même la naissance a pris un tour négatif dans notre culture, culture dans laquelle la mère accouchant est reléguée au rôle de patient et se voit accoucher dans un hôpital. Les personnes âgées sont, elles aussi, dénigrées tout comme celles atteintes de maladies (surtout celles qui sont désignées par l’expression« malades en phase terminale »). Situées entre la vie et la mort, ces personnes ne sont plus des entités sociales fiables ; c’est pour cette raison que les mourants sont vus comme des fardeaux sociaux et économiques. Etapes traditionnelles des rites de passage Commentaire [Eva8]: Spiritual emergencies Arnold Van Gennep a reconnu que dans les cultures qu’il a étudiées, ce genre de rituels suivaient un canevas-type avec trois étapes distinctes : la séparation, la transition et l’incorporation. Dans la première étape, la séparation, les individus initiés sont éloignés de leurs origines sociales : famille, clan et autres membres de la tribu. Pendant la période d’isolement qui suit, ils peuvent être complètement seuls ou partager cette situation déstabilisante avec leurs pairs. La perte de leur base familiale et l’absence d’une base nouvelle pour la remplacer, les relègue à un état indéterminé de liminalité, condition limbique décrite par l’anthropologue comme étant « un entre-deux ». Les initiés réagissent généralement à cette situation par une sensation de douleur profonde liée à la perte de l’ancien mode de vie et ils peuvent également avoir peur du déracinement, de l’inattendu et de l’inconnu. En ce sens, leur expérience est très semblable à une situation de crise spirituelle, où la réalité familière est remplacée par les défis du monde intérieur. Cependant, dans les initiations de groupe dirigées dans les rites de passage des tribus, cette effrayante période de séparation a un côté positif : les néophytes développent un sens profond de l’appartenance à la même communauté. A ce moment-là, les aînés racontent les cosmologies et les mythologies de cette culture et préparent les initiés à l’étape suivante du rituel : la transition. Une préparation exhaustive est essentielle à l’obtention des meilleurs résultats dans le processus de transformation. Les initiés obtiennent beaucoup de choses de cette information de manière indirecte : à travers les histoires mythologiques, les chansons et les danses. Les aînés partagent aussi leurs connaissances sur les territoires expérimentaux avec les initiés qui sont sur le point de les traverser. Ainsi les initiés apprennent-ils que le voyage qu’ils sont sur le point d’entreprendre, aussi étrange et effrayant qu'il puisse paraître, a une dimension éternelle. Il a été entrepris et sera entrepris par bien d’autres – par les ancêtres sacrés aussi bien que par les initiés passés et futurs. Le fait de connaître la nature universelle de ce processus peut être rassurant pour les néophytes et peut les aider à faire face aux aspects difficiles du processus de transformation. Dans l’étape suivante, que Van Gennep a appelée transition, les néophytes passent d’un savoir à dominante intellectuelle à des expériences profondes d’états de conscience holotropiques créés par des procédés puissants d’altération de l’esprit : des « technologies du sacré ». Ces méthodes combinent des battements de tambour et d’autres percussions, de la musique, du chant et des danses rythmées, des changements respiratoires et le développement d’états de conscience particuliers. L’isolement social et sensoriel tel que le fait de rester dans une cave ou dans le désert, dans les glaces de l’Arctique ou dans les montagnes élevées joue aussi un rôle important dans la création d’états holotropiques. Les interventions physiologiques les plus extrêmes incluent privation de sommeil, déshydratation, jeûne, utilisation de puissants laxatifs et purgatifs, saignées massives, mutilation des organes génitaux et soumission à d’atroces douleurs. La nature extrême de ces techniques accentue la valeur que de nombreux groupes humains ont généralement attribuée aux états holotropiques. Parmi les technologies du sacré les plus puissantes se trouvent les plantes psychédéliques. Leur utilisation à des fins rituelles et spirituelles date d’il y a des milliers d’années. La potion légendaire appelée « haoma » dans le texte persan Zend Avesta, et « soma » en Inde, a été utilisé par les tribus indo-iraniennes il y a des milliers d’années et elle a certainement été l’inspiration la plus puissante des religions et de la philosophie védiques. Les préparations à partir de différentes variétés de chanvre ont été fumées et ingérées dans les pays orientaux, en Afrique et dans la zone des Caraïbes pour le plaisir, lors de fêtes et lors des cérémonies religieuses, sous des noms divers (hachich, charas, bhang, ganga, kif, marijuana). Elles ont représenté un sacrement important pour les divers groupes tels que les brahmanes, les ordres soufis, les anciens skythians, et les ratafarians de la Jamaïque. L’utilisation de substances psychédéliques a également une longue histoire en Amérique centrale. Des plantes d’altération de l’esprit hautement efficaces étaient bien connues dans les cultures préhispaniques comme les cultures aztèque, maya, et toltèque. Les plus célèbres d’entre elles sont le cactus peyote (Lophophora williamsii), le champignon sacré teonanacatl (Psilocybe mexicana), et les graines d’ololuiqui, la plante glorieuse du matin (Ipomoca violacea et Turbina corymbosa). Ces plantes ont été utilisées comme sacrements jusqu’à ce jour par les Huichol, Mzatec, Chichimeca, Cora et d’autres tribus indiennes mexicaines, ainsi que l’Eglise des indiens natifs d’Amérique. La célèbre yajé ou ayahuasca est une décoction d’une liane de la jungle (Banisteriopsis canapi) combinée à d’autres additifs. La zone amazonienne et les îles des Caraïbes sont également connues pour leur ample variété de substances psychédéliques. Les tribus aborigènes d’Afrique ingèrent et inhalent des préparations à partir de l’arbuste iboga (Tabernanthe iboga). Ils les utilisent en petites quantités comme stimulants et à plus fortes doses au cours des rituels d’initiation pour hommes et femmes. Les composantes psychédéliques d’origine animale incluent les sécrétions de la peau de certains crapauds (Bufo alvarius) et la chair du poisson pacifique (Kyphosus fuscus). Cette liste n’est qu’une petite fraction des substances psychédéliques utilisées à travers les siècles dans les rituels et dans la vie spirituelle de nombreux pays dans le monde. Des combinaisons variées de ces pratiques entraînent chez les initiés de profondes expériences entraînant la guérison, l’ouverture à la spiritualité, les profondes altérations de la personnalité, et un niveau d’intégration plus profond. De telles expériences prennent généralement la forme de mort et de renaissance psychospirituelle et rencontrent les dimensions mystiques de la réalité. Dans le contexte de tels rituels, ces expériences sont ensuite interprétées comme étant la mort de l’ancien rôle et la renaissance à un rôle nouveau. Par exemple, dans les rites de la puberté, les initiés entrent dans les rites en tant que garçons ou filles et en ressortent comme adultes avec tous les droits et les devoirs qui incombent à ce statut. La troisième étape dans la triade de Van Gennep est celle de l’incorporation. Au cours de cette étape l’individu est réintégré dans sa communauté avec un nouveau rôle défini par le type de cérémonie : en tant qu’adulte, personne mariée, parent, guerrier, et ainsi de suite. Dans un rite de passage, l’individu ou le groupe social laisse derrière lui un mode d’être et après avoir traversé une période de liminalité, il passe à une condition totalement nouvelle. Les personnes nouvellement initiées ne sont pas les mêmes que celles qui ont intégré le processus d’initiation. Ayant traversé une profonde transformation psychospirituelle, ils ont une connexion personnelle aux nombreuses dimensions de l’existence, une vision du monde bien plus étendue, une meilleur image de soi, et un système de valeurs différent. Comme ils ont affronté et survécu à une expérience convaincante d’annihilation personnelle, ils ont transcendé leur identification à leur corps et à leur ego, ils ont perdu la peur de la mort et ont acquis une nouvelle attitude face à la vie. Le rite de passage de l’Okipa Le festival Okipa dans le Mandans, tribu d’indiens des plaines d’Amérique du Nord qui vivaient dans la rivière du Missouri, constitue un rite de passage puissant et complexe. Ce rituel qui impliquait d’atroces douleurs physiques et des mutilations, montre à quel point certaines cultures accordaient de valeur aux expériences de transformation et à quel point ils étaient désireux de les mener à bout. On peut affirmer sans se tromper qu’il n’y a pas de rites de passages aussi radicaux ni aussi élaborés que le festival Okipa. Même si l’origine de ce rituel était l’initiation des jeunes gens à l’âge adulte et au statut de guerrier, cela incluait également des danses de cérémonie dans le but d’assurer de bonnes chasses de buffles et d’apaiser les Esprits du Mal, ainsi qu’une célébration de la fin des crues mythologiques. Le rituel Okipa commence par une figure de cérémonie représentant le Premier Homme, l’ancêtre originel. Il est peint à l’argile blanche, porte une robe splendide et conduit le groupe de jeunes mâles initiés recouverts d’argile de couleurs différentes au lieu où se déroulera la cérémonie. Après avoir fumé sa pipe de médecine sacrée, le « Premier Homme » tient aux initiés un discours intéressante et désigne un vieil homme de médecine comme maître de cérémonie. Ce maître fait en sorte qu’aucun des jeunes gens ne s’échappe du logement, ne mange ou ne boive pendant les quatre jours de préparation à l’épreuve. A travers les prières, il maintient également la connexion avec le Grand Esprit, priant pour le succès de son entreprise. Pendant ce temps de préparation, le reste de la tribu se réunit dehors ou met en place de nombreux rituels et pourvoit à diverses formes d’amusements autour du Grand Canoë, destiné à rappeler la crue. Ils chantent de nombreuses prières aux Grands Esprits, leur demandant de leur apporter continuellement des buffles et d’encourager les jeunes initiés. Une grande partie de leur énergie est axée sur les invocations de l’Esprit du Mal, O Kee-Hee-Dee. Ce genre d’efforts pour en finir avec les aspects sombres de l’existence est caractéristique des rites de passage et des cérémonies de guérison de nombreuses cultures. Au quatrième jour, une figure masquée représentant O-Kee-Hee-Dee, apparaît finalement, presque nue et peinte majoritairement en noir avec un peu de blanc. Orné d’un pénis colossal en bois avec un membre noir et une tête vermillon, il fait irruption dans le village, et court frénétiquement dans tous les sens, poursuivant des femmes et semant la zizanie. La panique générale et le chaos continue à grandir jusqu’à atteindre un point où le maître de cérémonie affronte l’Esprit du Mal et l’immobilise par le charme de sa pipe sacrée. O-Kee-Hee-Dee, au moyen de son pouvoir magique est tourné en dérision, ridiculisé et humilié particulièrement par les femmes et chassé hors du village. Le retour triomphant des femmes avec son gigantesque pénis en guise de trophée était le signal du début des épreuves dans les logements. Là, les jeunes initiés sont élevés au-dessus du sol au moyen de cordes attachées à des brochettes qui percent leur corps. De lourds poids tels que des boucliers, des arcs, des carquois et des crânes de buffles sont suspendus aux brochettes et posés sur le sol. Lorsqu’ils reviennent à eux, leurs auriculaires sont découpés et offerts au Grand Esprit. La dernière étape de la cérémonie Okipa est la Dernière Course. Avec les poids encore attachés à leurs corps, les jeunes gens sont emmenés à la zone de cérémonie où ils courent en faisant de grands cercles, traînant les poids derrière eux, chacun se battant pour tenir plus longtemps que son voisin, sans s’écrouler ou « mourir » ainsi que cela s’appelait. Même après qu’ils se sont évanouis, complètement épuisés par l’exercice physique et la douleur atroce, les initiés sont trainés jusqu’à ce que tous les poids se détachent de leur chair. Leurs corps déchiquetés restent allongés par terre jusqu’à ce qu’ils reprennent conscience. Ils titubent au milieu de la foule jusqu’à leur loges où ils sont accueillis par leurs familles qui les félicitent pour leur grande réussite. Les jeunes immatures qu’ils avaient été, sont considérés morts pendant cette épreuve, et nés à nouveau en tant qu’adultes et guerriers courageux. Bien que ces pratiques puissent sembler extrêmes aux yeux d’un Occidental, les cérémonies de ce type accroissent traditionnellement plusieurs attributs clefs : le bien-être émotionnel et physique, le sens de la force personnelle et de l’indépendance, les sentiments de profonde connexion avec la nature et le cosmos, et le sens de l’appartenance sociale et de la cohésion. Les expériences intérieures et les événements extérieurs à ce rite de passage communiquent aux néophytes un message profond, la vision profonde de tout processus de transformation humain comprenant les urgences spirituelles : on peut souffrir à travers le chaos de liminalité et de la mort, traverser une expérience d’annihilation et de mort et ré-émerger en se sentant guéri, né à nouveau, rajeuni, et plus fort qu’avant. Cette conscience réduit grandement la peur de la mort et augmente la capacité à apprécier la vie. Une telle transformation bénéficie profondément non seulement aux individus initiés mais aussi à la communauté tout entière. Dans le rite de passage Okipa, une partie significative de l’épreuve de transformation était jouée de manière réaliste et concrète ; cependant, ce n’est pas là la seule possibilité. De nombreuses techniques d’altération de l’esprit d’un genre beaucoup moins violent peuvent déclencher des séquences similaires de souffrance, de mort et de renaissance, en activant les reposoirs intérieurs de la psyché, sans qu’aucun dommage ne soit fait au corps. Une expérience purement symbolique de la sorte peut avoir un impact identique. Chez les individus vivant un éveil spirituel, des épisodes de ce type arrivent souvent de manière spontanée. Même une comparaison superficielle révèle que bien des aspects de ces rites de passage sont liés de près à la phénoménologie des expériences psychédéliques et holotropiques qui ont leur origine au niveau périnatal (lié à la naissance) de l’inconscient. (Il est question du niveau périnatal de l’inconscient au chapitre 8). Thèmes de la naissance, du sexe et de la mort dans les rites de passage Les expériences intérieures des initiés dans ces rituels impliquent un mélange unique de thèmes liés à la naissance, au sexe et à la mort : cette triade caractérise les expériences associées au fait de revivre la dernière étape de la naissance (voir chapitre 8). Le symbolisme externe utilisé dans les procédures initiatiques reflète le même amalgame étrange de ces trois aspects importants de la vie. Par exemple, on peut se référer à la hutte d’initiation comme à un vagin ou à un utérus, et ce même terme signifie souvent aussi, mort. Dans certaines cultures, le terme utilisé pour gestation s’applique également pour l’enterrement et pour les initiations rituelles. Inversement des tombes sont également construites en forme d’utérus, et les morts sont enterrés en position fœtale. On se réfère souvent aux femmes enceintes comme étant mortes et elles renaissent après leur accouchement. Dans la tribu de Nouvelle Guinée Iatmul, l’entrée de la hutte d’initiation est appelée porte clitoridienne. Les rites de passages utilisent souvent des allusions symboliques à la naissance biologique pour appuyer l’expérience de la « seconde naissance » et de la transformation rituelle. On arrache souvent les vêtements des initiés, leurs têtes et leurs corps sont souvent tondus, du sang d’animaux sacrificiels est versé sur leurs têtes, et leurs cuirs chevelus peuvent être salis de matières fécales. Dans certains cas, les initiés sont ensevelis pendant plusieurs jours dans des cachettes. De telles pratiques ont clairement pour but de recréer la situation de vie prénatale, de naissance et de soins postnataux. Les souffrances émotionnelles et physiques, la séparation douloureuse et la lutte pour la survie qui existe dans de nombreux rites de passage ressemble de près aux phénomènes qui caractérisent les expériences périnatales, à la fois dans la vie réelle, dans la vie symbolique, et dans les états de conscience holotropiques. Dans les sessions périnatales, des expériences de mort psychospirituelle et de renaissance sont typiquement mélangées au fait de revivre la naissance biologique et elles ont souvent une composante sexuelle importante. Dans les rites de passage, la rencontre avec la mort, qui est une partie intégrante de la naissance peut être mise en scène de façon tellement réaliste que l’initié peut encourir un véritable risque de trauma physique ou même de destruction biologique. La similitude entre les rites de passage et le processus périnatal dans le travail expérimental profond peut être vu non seulement en relation avec le contenu spécifique de ces deux choses, mais aussi dans le canevas général. L’étape de séparation de Van Gennep met cela en parallèle avec le début de l’accouchement biologique, lorsque les contractions utérines compressent les artères apportant ainsi de l’oxygène et nourrissant le fœtus, et le col utérin est encore fermé. Cette interruption de la circulation du placenta entre la mère et l’enfant coupe la connexion significative entre eux, et les sépare effectivement l’un de l’autre. L’étape de transition de Van Gennep, correspond ensuite à l’expérience de passage à travers le canal de naissance après l’ouverture du col. Cette lutte entre la mort et la naissance marque la transformation radicale de l’organisme aquatique (le fœtus) en un organisme respirant de l’air (le nouveau-né). Finalement, l’étape de corporation de Van Gennep a son équivalent périnatal dans la réunion de l’enfant avec sa mère après l’expérience de la (re)naissance. Implications de la société Les rites de passage sont des événements culturels et spirituels au cours desquels les initiés peuvent faire l’expérience, affronter et exprimer de puissantes émotions et les énergies associées aux matrices périnatales et transpersonnelles que nous gardons tous au fond de notre psyché. En raison de la nature élémentaire des forces psychologiques qui y sont impliquées, les manifestations incontrôlées agissant par le biais de ces énergies pourraient être destructrices à la communauté. Dans ce contexte, il est important de considérer les conclusions d’Arnold Van Gennep, Victor Turner, Margaret Mead, Mircea Eliade et d’autres anthropologues célèbres : à savoir que les rites de passage sont des institutions d’importance cardinale pour la cohésion et le fonctionnement harmonieux de toute la communauté (Van Gennep, 1960, Mead 1973, Eliade 1958). Ainsi l’absence de rites de passage significatifs peut contribuer aux formes variées de psychopathologie sociale observées dans la société contemporaine. Beaucoup d’impulsions de nature destructive et antisociale au lieu d’être jouées, exprimées et sanctionnées socialement d’une façon sûre dans un contexte structuré et sacré, s’écoulent insidieusement dans notre vie de tous les jours, se manifestant ainsi dans bon nombre de problèmes sociaux et individuels. Beaucoup de chercheurs ont suggéré que les manifestations sexuelles outrancières, la délinquance, ainsi que l’abus d’alcool et de produits narcotiques parmi les adolescents dans les pays industrialisés, pourrait être résolus par des rites de passages significatifs pour ce groupe d’âge. (Mead 1973, Mahdi, Foster, et Little 1987 ; Madhi, Christopher et Mead 1996). CHAPITRE 3 MYSTERES ANCIENS DE MORT ET DE RENAISSANCE « Rien n’est plus élevé que ces mystères. Ils ont adouci notre caractère et adouci nos coutumes ; ils nous ont fait passer de la condition de sauvages à celle de véritables humains. Ils nous ont non seulement montré comment vivre de manière joyeuse, mais ils nous ont aussi appris à mourir avec esprit. » Cicéron, décrivant les Mystères d’Eleusis (De Legibus) LES MYSTERES de la mort et de la renaissance représentaient aussi une forme importante d’entraînement empirique à la mort dans l’Antiquité. Ces événements rituels étaient fondés sur les histoires mythologiques et mettaient en scène plusieurs déités qui mouraient et qui étaient ramenées à la vie ou qui visitaient les Enfers, le royaume des morts et rentraient chez elles saines et sauves. Comprendre les dynamiques de ces mystères et leur relation aux histoires de la mort et de la renaissance de dieux et de héros requiert une interprétation totalement nouvelle de la nature et de la fonction de ces mythes. Les mythes sont traditionnellement considérés comme étant des produits de l’imaginaire humain. Cependant, le travail de C.G. Jung et de Joseph Campbell a apporté une lecture radicalement nouvelle de la mythologie. D’après ces deux penseurs influents, les mythes ne sont pas des histoires fictives relatant les aventures de personnages imaginaires dans des pays inexistants. Ils ne sont donc pas de simples produits arbitraires de l’imaginaire humain. Les mythes ont plutôt leur origine dans la conscience collective de l’humanité et sont des manifestations des principes primordiaux de l’organisation de la psyché et du cosmos. Ce que Jung appelait des archétypes (Jung 1976). Archétypes et monde imaginaire Les archétypes sont des principes éternels qui sous-tendent, forment et informent la structure du monde matériel. La tendance à interpréter le monde par des principes archétypaux émergea d’abord en Grèce ancienne et ce fut l’un des jugements plus étonnants de la culture et de la philosophie grecques. Les archétypes peuvent être vus depuis diverses perspectives (Tarnas 2006). Dans les épopées d’Homère, ils prirent la forme de personnalités mythologiques ou de déités, telles que Zeus, Poséidon, Héra, Aphrodite ou Arès. Dans la philosophie de Platon, ils étaient décrits comme étant des principes métaphysiques purs, des idées transcendantes, des formes ou des archai divins qui existaient de manière indépendante dans un royaume inaccessible aux perceptions humaines ordinaires. A l’époque moderne, C. G. Jung raviva et reformula le concept d’archétypes, les décrivant essentiellement comme des principes psychologiques (Jung 1959). Pendant plusieurs siècles, deux écoles de philosophie ont débattu sur la nature des idées de Platon. Pour les réalistes19, elles sont ontologiquement réelles et supérieures au monde matériel. Les nominalistes20 eux, les ont vu seulement comme des noms, des abstractions des objets que nous rencontrons chaque jour dans nos vies. La psychologie moderne et la recherche sur la conscience ont appuyé le point de vue des réalistes. Les Jungiens qualifient le monde des figures archétypales et de leurs royaumes d’« imaginal », afin de le distinguer des produits imaginaires de l’esprit humain individuel. Même si l’on y a accès par l’exploration intrapsychique, le monde imaginal a une existence objective, et ceux qui en font l’expérience peuvent atteindre un accord consensuel sur bon nombre de ses aspects. Les archétypes sont des essences éternelles, des principes d’ordre cosmique qui peuvent aussi se manifester comme des personnifications mythiques ou comme des déités spécifiques de cultures variées. Ils s’expriment à travers la psyché des individus et dans ses procédés profonds, mais n’ont pas leur origine dans l’esprit humain et ne sont pas ses produits. Ils commandent la psyché de l’individu et fonctionnent comme principes gouvernementaux de la psyché. D’après les derniers travaux de Jung, les archétypes sont « psychoïdes » par nature ; ils opèrent dans la zone intermédiaire entre la conscience et la matière. Ils forment non seulement le processus dans la psyché humaine mais aussi les événements dans le monde physique et dans l’histoire humaine. James Hilman propose une brillante description des archétypes dans la préface à son livre Revisualisation de la psychologie: Toutes les façons de parler des archétypes sont des traductions d’une métaphore à une autre. Même les définitions sobres dans le langage de la science ou de la logique sont moins métaphoriques qu’une image qui présente les archétypes comme des idées racines, des organes psychiques, des figures mythiques, des façons typiques d’exister, ou des fantasmes dominants qui gouvernent la conscience. Il y a bien d’autres métaphores pour les décrire : potentiel immatériel de leur structure, comme les cristaux invisibles dans une solution ou des formes dans des plantes qui apparaissent soudainement sous certaines conditions ; modèles de comportements instinctifs (comme ceux des animaux) qui dirigent sans équivoque nos actions; genres et topoï21 en littérature ; schémasrécurrents en histoire ; syndromes de base en psychiatrie ; modèles de pensée paradigmatiques en science ; figures, rites et relations humaines à travers le monde en anthropologie (Hillman 1977) 19 Réalisme : courant philosophique né à de l’époque de Platon entre l’empirisme et l’idéalisme. Le réalisme a pour point de départ la chose telle qu’elle se donne à moi. Pour Platon, la réalité sensible est une copie de l’intelligible (monde des Idées, le Bien, le Beau, le Juste. Voir dans la République, l’Allégorie de la Caverne). La philosophie scolastique médiévale est majoritairement réaliste. Le nominalisme s’oppose au réalisme à propos du statut des concepts universaux (à savoir si ce sont des mots, des fictions de l'esprit, ou des choses réelles). (NdT) 20 Nominalisme : doctrine de pensée fondée par Roscelin qui a vu le jour au sein de la scolastique médiévale. Pour les Nominalistes, les concepts mentaux n’ont pas d’autre universalité que celle de l’esprit qui les observe. Un des plus grands représentants du nominalisme est Guillaume d’Ockham XIVème siècle. Sa doctrine fut considérée comme hérétique car elle conduisait à la banalisation de la Trinité Chrétienne. Dans les Védas. Ramakrishna était un prêtre du temple de la déesse Kali. (NdT) 21 Τοποί : lieux communs (NdT) Dans la mythologie, les figures archétypales, les royaumes et les thèmes dans leur forme la plus générale et abstraite sont universellement distribués : des variations spécifiques de ces motifs mythologiques de base existent dans différentes cultures et périodes de l’histoire. Par exemple, un puissant archétype universel, comme celui de la Grande Déesse Mère, prend dans les différentes cultures des formes spécifiques : Isis, la Vierge Marie, Cybèle, ou Kali22. De la même façon, les concepts de Ciel, de Paradis et d’Enfer se retrouvent dans bien des cultures du monde mais leur forme spécifique varie d’une civilisation à l’autre. Cela vaut également pour les figures éternelles telles que la belle-mère marâtre, le fils prodigue, ou la mort et la renaissance des dieux et des héros. « L’inconscient collectif », terme Jungien pour désigner le lieu où résident les archétypes, représente une culture d’héritage partagée par toute l’humanité et par tous les âges. Le Héros aux mille et un visages En 1948, après avoir étudié pendant des années les mythologies de différentes cultures du monde entier, Joseph Campbell publia son livre révolutionnaire, Le Héros aux mille et un visages, ouvrage qui, par la suite, influença la recherche et la compréhension dans ce domaine (Campbell 1968). En analysant un large éventail de mythes de divers pays du monde, Campbell s’aperçut qu’ils contenaient tous des variations d’une formule archétypale universelle, qu’il appela « monomythe ». Il s’agit de l’histoire d’un héros, soit mâle ou femelle, qui quitte sa terre natale, vit des aventures fabuleuses et rentre chez lui comme être déifié. Campbell observa que le voyage du héros a traditionnellement trois étapes, semblables à celles décrites plus haut comme séquences caractéristiques dans les rites de passage : séparation, initiation et retour. Le héros quitte sa terre natale, ou en est séparé par des circonstances contraignantes, est transformé par une série d’épreuves et d’aventures extraordinaires, et est finalement réintégré à sa société originelle avec un nouveau rôle. Un mythe traditionnel de ce voyage héroïque commence lorsque la vie ordinaire de ce protagoniste est soudainement interrompue par des événements magiques par nature et qui appartiennent à une réalité d’un tout autre ordre. Campbell se réfère à cette invitation aux aventures comme étant un « appel ». Si le héros répond à cet appel et accepte le défi, il ou elle s’embarque dans un périple qui implique es voyages dans des territoires étranges, des rencontres avec des animaux fantastiques et des êtres surnaturels, et bien d’autres épreuves. Cette aventure culmine souvent en une expérience de mort et elle est suivie d’une renaissance. Après avoir terminé son voyage, le héros rentre chez lui et mène une vie emplie de toutes sortes de récompenses en tant qu’être divin, meneur du monde, guérisseur, devin ou maître spirituel. Selon les propres mots de Campbell, la formule qui peut servir de base au voyage du héros, peut être résumée comme suit : « un héros s’aventure depuis un monde quotidien jusqu’à ce qu’il arrive à une région de merveilles surnaturelles ; là, des forces fabuleuses se retrouvent et une victoire décisive est remportée ; le héros rentre chez lui à la fin de cette aventure mystérieuse avec le pouvoir de gratifier ses camarades de bénédictions». L’intellect inquisiteur et incisif de Campbell est allé au-delà de la simple reconnaissance de l’universalité de ce mythe dans l’espace et le temps. Sa curiosité le conduisit à se demander ce qui rend ce mythe universel. Pourquoi le thème du voyage du héros s’applique-t-il aux cultures de tous les temps et de tous les lieux, même si elles diffèrent par ailleurs par bien d’autres aspects ? La réponse faite par Campbell a la simplicité et la logique de tous les points de vue qui peuvent être qualifiés de brillants : le monomythe du voyage du héros correspond à la crise de transformation que chaque être humain peut vivre lorsque les profonds contenus de l’inconscient de la psyché émergent à la conscience. Le voyage du héros décrit le territoire expérimental que n’importe quel individu doit traverser lors de sa profonde transformation. 22 Kali déésse Védique (hindouïsme). Ramakrishna était un prêtre de la déesse Kali.(NdT) Mort et renaissance des dieux et des héros La rencontre avec la mort et la renaissance qui la suit, est un thème particulièrement puissant qui a lieu à une fréquence remarquable dans la mythologie du voyage du héros. Toutes les mythologies racontent des histoires à propos de dieux et déesses, héros et héroïnes, qui sont morts et qui ont ressuscité. Des variations sur ce thème décrivent des personnages mythologiques qui sont descendus dans le royaume des morts et qui ont traversé des épreuves et des défis incroyables, et qui sont revenus sur terre pourvus de pouvoirs spéciaux. Le thème central de la religion chrétienne, la mort et la résurrection du Christ, est la plus connue de toutes ces histoires ; récit qui a profondément influencé l’histoire de l’humanité. Cependant, ce thème n’est nullement exclusif à la Chrétienté et il joue un rôle important dans les différentes mythologies du monde. Les histoires les plus anciennes concernant la mort et la renaissance sont les mythes sumériens23 de la déesse Inanna et de sa descente aux enfers et le mythe égyptien décrivant la mort, le démembrement et la renaissance d’Osiris. Parmi les apports de la mythologie grecque, se trouvent les histoires concernant l’enlèvement de Perséphone aux enfers par Pluton, le démembrement et la renaissance de Dionysos, et les rencontres avec la mort expérimentées par Attis, Adonis et Orphée. Les aventures des héros grecs Hercule, Thésée, et Ulysse appartiennent elles aussi à cette catégorie. Les jumeaux Hunahpu et Xblanque et le Serpent aztèque à plumes Quetzalcóatl, sont des exemples célèbres d’Amérique Centrale d’êtres mythologiques qui ont fait l’expérience de la mort et de la renaissance. D’une manière bien moins évidente et plus symbolique, la même expérience est souvent représentée par le fait d’être dévoré et recraché des entrailles d’un monstre terrifiant. Les exemples dans ce domaine vont du personnage biblique de Jonas qui passa trois jours et trois nuits dans l’estomac d’un « immense poisson», jusqu’à Jason, héros grec, et Sainte Marguerite d’Antioche24, qui furent tous les deux avalés par un dragon et qui réussirent à s’en échapper. La recherche psychédélique et le travail avec des thérapeutes expérimentaux ont montré que l’archétype de la mort et de la renaissance est étroitement lié à la naissance biologique. Cela explique pourquoi ce motif est tellement universel et apparaît tellement fréquemment dans la mythologie. Le passage par le canal de la naissance est un événement menaçant pour la vie, et la résultante de cela est que la mort et la renaissance sont étroitement liées dans notre inconscient. C’est pourquoi les séquences de mort et de renaissance psychologiques sont parmi les expériences les plus fréquemment observées dans les états holotropiques, qu’ils soient provoqués ou qu’ils aient lieu de manière spontanée. Ils jouent un rôle extrêmement important dans le processus de transformation psychologique et d’ouverture spirituelle. Les mystères de la mort et de la renaissance Dans bien des parties du monde, les mythes de la naissance et de la mort apportent la base idéologique aux mystères sacrés, de puissants événements rituels dans lesquels les néophytes font l’expérience de la mort et de la renaissance ainsi qu’une profonde transformation psychospirituelle. On sait très peu de choses sur les méthodes utilisées au cours de ces mystères pour provoquer de tels états : beaucoup étaient tenues secrètes, ou bien les informations ont été perdues au fil des années. Cependant, ces processus étaient probablement similaires à ceux utilisées dans les pratiques et les rites de passage chamaniques : percussions, chants, changements dans les rythmes respiratoires, exposition au stress et à la douleur physique et expériences au cours desquelles la vie 23 Sumer : région de la Basse Mésopotamie, dans l’actuelle partie sud de l’Irak. Sa langue, le sumérien, est la première langue écrite connue. Sa civilisation est la première civilisation véritablement urbaine, et marque la fin de la préhistoire au Moyen-Orient IVème millénaire avant Jésus-Christ (NdT) 24 Antioche : ville de l’actuelle Turquie Antakya (NdT) était menacée de manière réelle ou simulée. Parmi les outils les plus efficaces il se trouvaient indubitablement les potions qui altèrent l’esprit contenant des matériaux de plantes aux propriétés psychoactives. Les expériences puissantes et terrifiantes provoquées chez les initiés représentaient des opportunités uniques de contacter des déités et des royaumes divins et étaient perçues comme nécessaires, désirables ; elles avaient en outre des propriétés de guérison. Par ailleurs, dans certains cas, l’exposition volontaire à ces états extrêmes de conscience était considérée comme une protection contre la véritable folie, comme cela est illustré par le mythe grec de Dionysos qui invita les citoyens de Thèbes à se joindre à lui dans ce qu’il appelait la Danse Mineure. Ce terme se référait à l’extase des Bacchanales, rituels orgiaques qui impliquaient l’ingestion de boissons alcoolisées, des danses sauvages et la libération d’émotions puissantes et de conduites instinctives. Dionysos promit aux Thébains que la Danse Mineure les conduirait à des endroits qu’ils n’avaient jamais rêvés possibles. Lorsqu’ils refusaient sa proposition, il se sentait offensé et les obligeait à entrer dans la Danse Dionysiaque Majeure, une sorte de folie dangereuse dans laquelle ils prenaient leur prince pour un animal sauvage et le mettaient à mort. La reine folle empalait personnellement la tête de son fils sur une épée et le rapportait ainsi à la ville. Comme l’indique ce mythe populaire, les Grecs réalisaient que les forces dangereuses de la psyché devaient être exprimées dans un contexte approprié. Les puissantes expériences que les initiés rencontraient lors de ces mystères et tout particulièrement la mort psychospirituelle ainsi que la renaissance, avaient un potentiel de guérison et de transformation remarquables. Nous pouvons ici nous référer aux témoignages des deux géants dans le monde de la philosophie grecque : Platon et Aristote. Il est particulièrement intéressant de noter que ce témoignage est originaire de Grèce, berceau de la civilisation européenne, étant donné que les Occidentaux ont tendance à ignorer les preuves des cultures « primitives » et exotiques dans lesquelles le chamanisme et les rites de passage étaient accomplis. Dans son dialogue Phèdre, Platon distingue quatre types de folies attribuées par les dieux : la folie érotique, due au fait d’être possédé par Aphrodite et Eros, la folie prophétique due à l’intervention d’Apollon, la folie artistique qui est le fait de l’inspiration des Muses, et la folie rituelle ou télestique causée par Dionysos. Le grand philosophe décrit amplement le potentiel thérapeutique causé par la folie télestique et prend en exemple des rites grecs moins bien connus : les rites corybantiques. Les danses sauvages aux sons des flûtes et des tambours culminaient en une explosion émotionnelle, qui résultait en un état de profonde relaxation et de tranquillité (Platon 1961a). Aristote, le célèbre disciple de Platon, fut le premier à affirmer explicitement que le processus consistant à expérimenter et à relâcher les émotions réprimées, ce qu’il a appelé catharsis (purgation des passions) représentait un traitement efficace des désordres mentaux. Aristote a dit que les mystères de la mort et de la renaissance offraient un contexte puissant à ce processus ; le vin, les aphrodisiaques et la musique pouvaient être utilisés pour créer des stimulations de passions menant à une catharsis guérisseuse. Il était d’accord avec la thèse fondatrice du culte orphique (une des écoles mystiques les plus importantes de l’époque), selon laquelle le chaos et la frénésie des mystères menaient à un ordre supérieur. Parmi les mystères les plus importants de la mort et de la renaissance, se trouvent les rites babyloniens et assyriens d’Ishtar et Tammuz, fondés sur le mythe de la déesse mère Inanna (Ishtar) et sa descente aux Enfers, gouvernés par sa sœur, la terrible déesse Ereshkigal. L’objectif de la visite d’Ishtar au royaume des morts était d’obtenir un élixir qui redonnerait la vie au dieu du monde végétal Tammuz, qui était à la fois son fils et son mari. Dans les anciens temples égyptiens d’Isis et d’Osiris, les initiés traversèrent des épreuves complexes sous la conduite de grands prêtres afin de dépasser la peur de la mort et de d’avoir accès aux connaissances ésotériques sur l’univers et la nature humaine. Pendant ce temps, les néophytes faisaient l’expérience de l’identification avec le dieu Osiris, qui d’après le mythe sous-jacent à ces mystères, fut tué et démembré par son vil frère Seth. Osiris fut ensuite ramené à la vie par ses deux sœurs, Isis et Nephtys et devint le gouverneur du monde des Enfers. Ici, le thème de la mort et de la renaissance était lié au cycle jour-nuit et au voyage archétypal du dieu du soleil à travers le ciel et les enfers. Les religions à mystères et à rites sacrés abondaient en Grèce antique, en Asie Mineure et des les pays avoisinants. Les mystères d’Eleusis étaient fondés sur une interprétation ésotérique du mythe de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille Perséphone. Perséphone fut enlevée par Hadès dieu des Enfers, mais elle fut libérée sur l’intervention de Zeus, à condition qu’elle retourne chez Hadès pendant trois mois chaque année. Ce mythe généralement considéré comme étant une allégorie du cycle de la croissance des végétaux pendant les saisons de l’année devint pour les initiés éleusiens le symbole des luttes spirituelles de l’âme, périodiquement emprisonnée dans la matière puis libérée. Le culte orphique tournait autour de la légende du barde de Thrace déifié, musicien et chantre incomparable, qui se rendit aux enfers pour tenter en vain de libérer son Eurydice bienaimée de la mort. Orphée lui-même mourut tragiquement, déchiqueté par les femmes de Ciconie pour être entré dans les Bacchanales. D’après la légende sa tête coupée et jetée dans l’Hébrus, continua de chanter et de prédire des oracles. Les rites dionysiens, ou bacchanales, était fondés sur l’histoire mythologique du jeune Dionysos, qui fut démembré par les Titans puis qui ressuscita lorsqu’ Athéna Pallas sauva son corps. Dans les rites dionysiens, les initiés s’identifiaient au dieu mis à mort et né une seconde fois en buvant des boissons alcoolisées, en faisant des danses orgiaques, en courant à travers la campagne, et en mangeant la chair crue des animaux. Les mystères samothraciens des Corybantes étaient liés de près aux festivals dionysiens. Ils y associaient une pièce rituelle qui racontait le meurtre de Cadmos par ses trois frères. Le culte Mithriaque, autre religion à mystères majeure de l’Antiquité, était une religion apparentée au christianisme, et sa grande rivale comme religion mondiale. Elle commença à s’étendre à travers l’empire romain durant le premier siècle, atteignit son point culminant au troisième siècle et succomba à la chrétienté à la fin du quatrième siècle. Les sanctuaires mithriaques se trouvent des côtes de la mer Noire jusqu’aux montagnes écossaises et en passant par le désert du Sahara (Ulansey 1989). Le célèbre mythe d’Adonis, autre histoire concernant la mort d’un dieu, a inspiré de nombreux mystères dans le monde antique. Lorsqu’elle était enceinte, sa mère Myrrha fut transformée par les dieux en arbre à myrrhe. Adonis est né quand un sanglier ouvrit l’arbre avec ses défenses et libéra l’enfant qu’il était. Aphrodite fut tellement charmée par la beauté d’Adonis qu’elle le confia aux bons soins de Perséphone, la déesse des Enfers. Lorsque Perséphone refusa de rendre Adonis, Zeus décida qu’il devait passer un tiers de l’année avec Perséphone et un tiers de l’année avec Aphrodite. Le tiers restant était laissé à sa discrétion, mais selon la légende, Adonis passait toujours deux tiers de l’année avec Aphrodite. Les mystères fondés sur ce mythe étaient annuellement célébrés dans divers lieux d’Egypte, de Phénicie et de Byblos. Les mystères Phryfiens, proches de ceux-là avaient lieu au nom d’Attis, un dieu qui se castra lui-même, mourut et fut ressuscité par la grande déesse mère Cybèle. Son automutilation et sa mort étaient le résultat de la frénésie de la sorcière Agdistis, mère d’Attis, qui lui impartit sa rage jalouse pour l’empêcher de se marier. Le mythe sous-jacent aux mystères nordiques d’Odin (Wotan) était l’histoire du meurtre et de la résurrection du fils préféré d’Odin, Balder. D’après la légende, Balder était jeune et beau et il était le seul dieu paisible de Valhalla. Le vilain fourbe Loki, personnification du mal, dupa le dieu aveugle du destin Hoder, qui envoya une flèche de gui à Balder, la seule arme en mesure de le blesser. Le cœur de Balder fut transpercé et il mourut. Hel, la déesse de la mort, émue par les pleurs des dieux aux cœurs brisés, promit de renvoyer Balder au royaume des vivants à une seule condition : tous les êtres, animés ou inanimés, devaient pleurer pour lui. Et tous pleurèrent pour lui excepté Loki, et ainsi Balder dut demeurer aux Enfers. Cependant, le mythe prédisait qu’après la bataille finale de Ragnarok, à la suite de laquelle un nouveau monde devait naître des cendres de l’ancien, Balder renaîtrait. Dans les mystères d’Odin, le néophyte buvait une boisson alcoolisée à base de miel, sanctifiée, dans un bol fait à partir d’un crâne humain. Identifié à Balder, l’initié traversa une épreuve sacrée dans un complexe de neuf chambres souterraines et il était alors capable de dévoiler au cours du mystère d’Odin, les secrets les plus précieux de la nature et de l’âme humaine. Dans les mystères druides de Bretagne, la frontière entre la mort symbolique et biologique était assez trouble. Après avoir été enterré vivant dans un couffin, le candidat était envoyé sur la mer sur un bateau ouvert, pour reconstituer symboliquement la mort du dieu du Soleil. Dans cette épreuve inhabituelle, bien des initiés perdaient la vie ; ceux qui survivaient à ce rite exigeant étaient considérés comme étant nés une seconde fois. Les spécificités des processus d’altération de l’esprit de ces rites secrets sont inconnus pour la plupart. Cependant, la potion sacrée kykeon, qui jouait un rôle primordial dans les mystères d’Eleusis, était certainement une préparation qui contenait des alcaloïdes d’ergot25 similaires au LSD. Il est également hautement probable que des substances psychédéliques aient été utilisées lors des bacchanales et autres rites de ce type. Les Grecs ne savaient pas comment distiller l’alcool et cependant, d’après les textes, les vins utilisés lors des rituels dionysiens devaient être dilués de trois à vingt fois, et avec seulement trois coupes de ce breuvage, les initiés « étaient au bord de la folie » (Wasson, Hofmann et Ruck 1978). Il n’y a que l’ajout de substances psychédéliques à ces breuvages alcoolisés qui puisse justifier un effet aussi profond sur la psyché. L’importance culturelle de ces mystères dans le monde ancien malgré leur rôle quasiment inconnu dans l’histoire de la civilisation européenne devient évident quand nous réalisons que parmi ces initiés se trouvaient de nombreuses figures illustres de l’Antiquité. La liste des néophytes incluait le mathématicien Pythagore, Platon, Aristote, le guerrier Alcibiade, le dramaturge Euripide l’historien Plutarque et le poète Pindare. Un autre initié célèbre, l’empereur Marc-Aurèle, était fasciné par les espoirs eschatologiques offerts par ces rites. L’homme d’Etat et philosophe Marcus Tillius Ciceron prit part à ces mystères et rédigea un rapport exalté sur leurs effets et sur leur impact sur la civilisation antique dans son livre De Legibus (Ciceron 1977) Les mystères d’Eleusis Les mystères les plus importants de l’Antiquité étaient célébrés pendant environ deux mille ans (de – 1500 av. JC à 400 apr. JC) en l’honneur de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille Perséphone, à Eleusis, ville grecque située à vingt kilomètres à l’ouest d’Athènes. Il s’agit d’un exemple particulièrement significatif de ces pratiques importantes à la fois en raison de leur signification culturelle et en raison de la quantité d’information que nous possédons sur eux. Les événements menant au lieu saint d’Eleusis, sont décrits dans un poème épique qui date du septième siècle avant Jésus-Christ, qui est connu comme étant l’Hymne Homérique à Déméter. Un jour, lorsque Perséphone, la fille de Zeus et de Déméter cueillait des fleurs dans les belles prairies, elle fut enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Sa mère la chercha en vain, apprenant finalement de la bouche d’Hélios l’enlèvement de sa fille. Douloureusement affligée, Déméter quitta l’Olympe lorsqu’elle découvrit que Zeus lui-même était complice de cet enlèvement. Après une recherche infructueuse, Déméter vint à Eleusis habillée en femme simple, et trouva à se loger dans le palais du roi d’Eleusis, Kéleos et de sa femme Métaneira. Embauchée comme nourrice pour leur fils Démophon, elle tenta de le rendre immortel en l’immergeant dans le feu. Lorsque cela se sut, elle révéla qu’elle était une déesse et en remerciement à l’aimable hospitalité elle fonda un temple à Eleusis. Pour châtier les dieux Olympiens de l’enlèvement de sa fille, Déméter fit mourir toute la végétation sur terre, menaçant l’humanité de destruction. Les dieux craignaient la fin des prières et des sacrifices de l’humanité et ils supplièrent Déméter de refaire fructifier la Terre. Elle ne concéda pas cette prière jusqu’à ce que Zeus ordonne à son frère Hadès, dieu des Enfers, de rendre Perséphone à sa mère. La mère et la fille retournèrent au mont Olympe mais Perséphone devrait 25 Alcaloïdes : molécules organiques hétérocycliques azotées d'origine naturelle pouvant avoir une activité pharmacologique. Ergot : champignon parasite du seigle. Ce sont les composantes du LSD. (NdT) dorénavant passer un tiers de l’année en compagnie de son mari aux Enfers. Lorsqu’elle y allait, l’hiver régnait sur la terre. Cependant, chaque année, lorsque Perséphone retournait à la terre au printemps, le monde végétal se réveillait de nouveau en fleurs et donnait des fruits. Avant que Déméter ne retourne sur l’Olympe, elle enseigna aux rois d’Eleusis, Kéleos et Triptolemus comment célébrer les rites dans son temple. Il s’agissait de préceptes secrets, qui devaient être jalousement gardés. Leur divulgation et leur profanation était punies par la mort. En signe d’appréciation envers la réussite des manifestions éleusiennes, Déméter fit de Triptolemus le premier initié d’Eleusis et elle lui offrit un brin de blé et lui demanda d’instruire les hommes en agriculture, un art qui leur était inconnu auparavant. (Wasson, Hofmann et Ruck 1978) Le culte de Déméter et de Perséphone à Eleusis qui initialement n’avait eu qu’une importance locale, devint rapidement une partie importante de la civilisation athénienne et finalement devint une institution panhellénique. Dans la seconde moitié du cinquième siècle, période classique de la culture grecque, la participation aux rituels Eleusiens initialement réservée aux Athéniens, fut ouverte à tous les Grecs. A l’époque hellénistique et impériale, les mystères avaient encore plus de prestige et ils étaient ouverts aux initiés de tout l’empire romain. La durée extraordinaire des mystères d’Eleusis, qui se sont déroulés sans interruption tous les cinq ans pendant près de deux mille ans est un témoignage impressionnant du pouvoir et de l’impact des expériences qu’ils offraient. En outre, les si les mystères prirent fin, ce n’est pas parce qu’ils cessèrent d’attirer l’attention du monde antique : les cérémonies d’Eleusis furent soudainement interrompues lorsque l’empereur Chrétien Théodosius interdit la participation aux mystères et à tout autre culte païen. Peu après, en 395, les invasions des Goths détruisirent le sanctuaire. Ce qui était offert aux initiés à Eleusis devait être quelque chose d’extraordinaire, sachant que pendant de nombreux siècles des milliers de personnes étaient prêtes à traverser de longues distances pour y participer. Une supposition fréquente est qu’une forme de performance théâtrale y était donnée. Cependant, le plus grand hall du sanctuaire éleusien (Telestion) ne convenait absolument pas à cela architecturalement. Comme d’autres sites anciens, tels que celui d’Epidaure, le montrent, les Grecs étaient capables de construire d’étonnants amphithéâtres avec une acoustique supérieure. Les rangées de piliers massifs du telestrion éleusien, avec une grande chambre occupant le centre (anaktoron) et le nombre de participants (3000 et peut-être davantage encore) auraient rendu impossible aux initiés de voir le spectacle. Les témoignages écrits datant de cette époque ne rapportent pas de frais d’acteurs ou de mise en scène. Par ailleurs, les Grecs étaient particulièrement sophistiqués en ce qui concerne le théâtre et ils ne pouvaient pas être facilement leurrés surtout pas Pindare ou Sophocle, qui tous deux témoignèrent du pouvoir des mystères et de leur valeur extraordinaire. Les comptes-rendus des expériences éleusiennes contenaient beaucoup de références à des visions étonnantes, de lumières surnaturelles et brillantes, souvent décrites en termes de polarités et d’antithèses, telles que lumière et obscurité, et lumière et terreur. Ainsi Aelius Aristides, écrivain et orateur qui vécut sous l’empire romain écrivit qu’Eleusis était à la fois « la plus magnifique et la plus lumineuse des choses divines qui existaient parmi les hommes ». Certaines des visions les plus impressionnantes impliquaient des rencontres avec des divinités, et plus particulièrement avec la déesse Perséphone. L’empereur Marc Aurèle, lui-même initié, comptait les mystères parmi « ces dons qui manifestent de la sollicitude des dieux envers l’humanité ». Un autre aspect intéressant des expériences éleusiennes impliquait des allusions à la naissance biologique. Par exemple Hippolyte (170-236) rapporte que « sous un énorme feu, le hiérophante26 crie : la Maîtresse a donné vie à un enfant sacré, Brimo à Brimos ». Toutes les caractéristiques décrites ci-dessus s’appliquent également aux expériences psychédéliques et à d’autres types d’états holotropiques. Une clef importante à cette énigme était que les hiérophantes administraient à tous les participants la potion sacrée appelée « kykeon » avant le point culminant de l’initiation. Cela suggère que le kykeon était une préparation avec des propriétés psychoactives remarquables. Seule une 26 Hiérophante : prêtre qui introduisait initiés aux mystères sacrés (NdT) potion psychédélique pouvait induire des expériences aussi puissantes chez des milliers de personnes au même moment. Cette supposition est reconfirmée plus loin lorsqu’on considère qu’à un moment donné à l’époque classique (vers 415 av. JC) il fut découvert que bon nombre d’aristocrates athéniens mettaient en place des mystères privés chez eux. Cette profanation des mystères avait pour conséquence des mesures de répression et une amende. Même s’il aurait été impossible de mettre en place dans des maisons de particuliers des effets théâtraux spécifiques, il était en revanche facile de transporter une jarre de kykeon d’Eleusis à Athènes. Albert Hofmann, le père du LSD, le mycologue Gordon Wasson27 (dont l’histoire de la découverte d’un champignon magique mexicain est décrite au chapitre 12) et l’universitaire grec Carl A.P. Ruck ont publié, après bien des années d’études exhaustives, un traité appelé Le chemin vers Eleusis (Wasson, Hofmann, et Ruck 1978). Ils en ont conclu que le kykeon contenait un ingrédient psychédélique obtenu à partir de l’ergot, qui avait des effets similaires au LSD et au sacrement ololiuqui d’Amérique Centrale. Afin de conférer au kykeon ses propriétés d’altération de la conscience, les prêtres d’Eleusis devaient simplement cueillir de l’ergot qui était assez courant dans le voisinage du temple, le pulvériser et l’ajouter à la potion. L’ergot pouvait aisément être utilisé en guise de sacrement dans le temple de la déesse des récoltes, Déméter. A un moment donné des rituels d’Eleusis, les prêtres présentaient une gerbe de blé aux initiés en symbole de l’orge-maïs planté dans la terre qui meurt pour donner vie à une nouvelle plante. Ici, nous trouvons un symbole de la rotation annuelle de Perséphone depuis l’obscurité des Enfers, à la lumière de l’Olympe tout comme une permanence de la vie dans le cycle éternel de la mort et de la renaissance. Pindare le plus grand poète de la Grèce antique, lui-même initié, écrivit ceci à propos de l’impact des mystères d’Eleusis sur le participant. Béni soit celui qui, ayant vu ces rites, Prend le chemin de sous la Terre Il connaît la fin de la vie aussi bien que Son commencement de caractère divin Les scènes mythologiques dramatiques montrant la mort et la renaissance et d’autres expériences mystiques sont extrêmement fréquentes en psychothérapie expérimentale tout comme au cours des crises psychospirituelles (« les urgences spirituelles »). Dans les états holotropiques ces éléments mythologiques émergent spontanément depuis les profondeurs de la psyché, sans aucune programmation et souvent à la surprise de toutes les personnes qui y sont impliquées. Les images archétypales et des scènes entières de la mythologie des diverses cultures apparaissent souvent dans les expériences des individus qui n’ont pas de connaissances intellectuelles des figures mythiques et des thèmes qu’ils retrouvent. Des archétypes tels que Perséphone, Dionysos, Osiris et Wotan ainsi que Jésus-Christ semblent résider dans la psyché des Occidentaux et resurgir dans les états holotropiques. CHAPITRE 3 MYSTERES ANCIENS DE MORT ET DE RENAISSANCE « Rien n’est plus élevé que ces mystères. Ils ont adouci notre caractère et adouci nos coutumes ; ils nous ont fait passer de la condition de sauvages à celle de véritables humains. Ils nous ont non 27 Voir les photo de Gordon Wasson dans les illustrations (NdT) seulement montré comment vivre de manière joyeuse, mais ils nous ont aussi appris à mourir avec esprit. » Cicéron, décrivant les Mystères d’Eleusis (De Legibus) LES MYSTERES de la mort et de la renaissance représentaient aussi une forme importante d’entraînement empirique à la mort dans l’Antiquité. Ces événements rituels étaient fondés sur les histoires mythologiques et mettaient en scène plusieurs déités qui mouraient et qui étaient ramenées à la vie ou qui visitaient les Enfers, le royaume des morts et rentraient chez elles saines et sauves. Comprendre les dynamiques de ces mystères et leur relation aux histoires de la mort et de la renaissance de dieux et de héros requiert une interprétation totalement nouvelle de la nature et de la fonction de ces mythes. Les mythes sont traditionnellement considérés comme étant des produits de l’imaginaire humain. Cependant, le travail de C.G. Jung et de Joseph Campbell a apporté une lecture radicalement nouvelle de la mythologie. D’après ces deux penseurs influents, les mythes ne sont pas des histoires fictives relatant les aventures de personnages imaginaires dans des pays inexistants. Ils ne sont donc pas de simples produits arbitraires de l’imaginaire humain. Les mythes ont plutôt leur origine dans la conscience collective de l’humanité et sont des manifestations des principes primordiaux de l’organisation de la psyché et du cosmos. Ce que Jung appelait des archétypes (Jung 1976). Archétypes et monde imaginaire Les archétypes sont des principes éternels qui sous-tendent, forment et informent la structure du monde matériel. La tendance à interpréter le monde par des principes archétypaux émergea d’abord en Grèce ancienne et ce fut l’un des jugements plus étonnants de la culture et de la philosophie grecques. Les archétypes peuvent être vus depuis diverses perspectives (Tarnas 2006). Dans les épopées d’Homère, ils prirent la forme de personnalités mythologiques ou de déités, telles que Zeus, Poséidon, Héra, Aphrodite ou Arès. Dans la philosophie de Platon, ils étaient décrits comme étant des principes métaphysiques purs, des idées transcendantes, des formes ou des archai divins qui existaient de manière indépendante dans un royaume inaccessible aux perceptions humaines ordinaires. A l’époque moderne, C. G. Jung raviva et reformula le concept d’archétypes, les décrivant essentiellement comme des principes psychologiques (Jung 1959). Pendant plusieurs siècles, deux écoles de philosophie ont débattu sur la nature des idées de Platon. Pour les réalistes28, elles sont ontologiquement réelles et supérieures au monde matériel. Les nominalistes29 eux, les ont vu seulement comme des noms, des abstractions des objets que nous rencontrons chaque jour dans nos vies. La psychologie moderne et la recherche sur la conscience ont appuyé le point de vue des réalistes. Les Jungiens qualifient le monde des figures archétypales et de 28 Réalisme : courant philosophique né à de l’époque de Platon entre l’empirisme et l’idéalisme. Le réalisme a pour point de départ la chose telle qu’elle se donne à moi. Pour Platon, la réalité sensible est une copie de l’intelligible (monde des Idées, le Bien, le Beau, le Juste. Voir dans la République, l’Allégorie de la Caverne). La philosophie scolastique médiévale est majoritairement réaliste. Le nominalisme s’oppose au réalisme à propos du statut des concepts universaux (à savoir si ce sont des mots, des fictions de l'esprit, ou des choses réelles). 29 Nominalisme : doctrine de pensée fondée par Roscelin qui a vu le jour au sein de la scolastique médiévale. Pour les Nominalistes, les concepts mentaux n’ont pas d’autre universalité que celle de l’esprit qui les observe. Un des plus grands représentants du nominalisme est Guillaume d’Ockham XIVème siècle. Sa doctrine fut considérée comme hérétique car elle conduisait à la banalisation de la Trinité Chrétienne. Dans les Védas. Ramakrishna était un prêtre du temple de la déesse Kali. leurs royaumes d’« imaginal », afin de le distinguer des produits imaginaires de l’esprit humain individuel. Même si l’on y a accès par l’exploration intrapsychique, le monde imaginal a une existence objective, et ceux qui en font l’expérience peuvent atteindre un accord consensuel sur bon nombre de ses aspects. Les archétypes sont des essences éternelles, des principes d’ordre cosmique qui peuvent aussi se manifester comme des personnifications mythiques ou comme des déités spécifiques de cultures variées. Ils s’expriment à travers la psyché des individus et dans ses procédés profonds, mais n’ont pas leur origine dans l’esprit humain et ne sont pas ses produits. Ils commandent la psyché de l’individu et fonctionnent comme principes gouvernementaux de la psyché. D’après les derniers travaux de Jung, les archétypes sont « psychoïdes » par nature ; ils opèrent dans la zone intermédiaire entre la conscience et la matière. Ils forment non seulement le processus dans la psyché humaine mais aussi les événements dans le monde physique et dans l’histoire humaine. James Hilman propose une brillante description des archétypes dans la préface à son livre Revisualisation de la psychologie: Toutes les façons de parler des archétypes sont des traductions d’une métaphore à une autre. Même les définitions sobres dans le langage de la science ou de la logique sont moins métaphoriques qu’une image qui présente les archétypes comme des idées racines, des organes psychiques, des figures mythiques, des façons typiques d’exister, ou des fantasmes dominants qui gouvernent la conscience. Il y a bien d’autres métaphores pour les décrire : potentiel immatériel de leur structure, comme les cristaux invisibles dans une solution ou des formes dans des plantes qui apparaissent soudainement sous certaines conditions ; modèles de comportements instinctifs (comme ceux des animaux) qui dirigent sans équivoque nos actions; genres et topoï30 en littérature ; schémasrécurrents en histoire ; syndromes de base en psychiatrie ; modèles de pensée paradigmatiques en science ; figures, rites et relations humaines à travers le monde en anthropologie (Hillman 1977) Dans la mythologie, les figures archétypales, les royaumes et les thèmes dans leur forme la plus générale et abstraite sont universellement distribués : des variations spécifiques de ces motifs mythologiques de base existent dans différentes cultures et périodes de l’histoire. Par exemple, un puissant archétype universel, comme celui de la Grande Déesse Mère, prend dans les différentes cultures des formes spécifiques : Isis, la Vierge Marie, Cybèle, ou Kali31. De la même façon, les concepts de Ciel, de Paradis et d’Enfer se retrouvent dans bien des cultures du monde mais leur forme spécifique varie d’une civilisation à l’autre. Cela vaut également pour les figures éternelles telles que la belle-mère marâtre, le fils prodigue, ou la mort et la renaissance des dieux et des héros. « L’inconscient collectif », terme Jungien pour désigner le lieu où résident les archétypes, représente une culture d’héritage partagée par toute l’humanité et par tous les âges. Le Héros aux mille et un visages En 1948, après avoir étudié pendant des années les mythologies de différentes cultures du monde entier, Joseph Campbell publia son livre révolutionnaire, Le Héros aux mille et un visages, ouvrage qui, par la suite, influença la recherche et la compréhension dans ce domaine (Campbell 1968). En analysant un large éventail de mythes de divers pays du monde, Campbell s’aperçut qu’ils contenaient tous des variations d’une formule archétypale universelle, qu’il appela « monomythe ». 30 Τοποί : lieux communs 31 Kali déésse Védique (Hindouïsme). Ramakrishna était un prêtre de la déesse Kali. Il s’agit de l’histoire d’un héros, soit mâle ou femelle, qui quitte sa terre natale, vit des aventures fabuleuses et rentre chez lui comme être déifié. Campbell observa que le voyage du héros a traditionnellement trois étapes, semblables à celles décrites plus haut comme séquences caractéristiques dans les rites de passage : séparation, initiation et retour. Le héros quitte sa terre natale, ou en est séparé par des circonstances contraignantes, est transformé par une série d’épreuves et d’aventures extraordinaires, et est finalement réintégré à sa société originelle avec un nouveau rôle. Un mythe traditionnel de ce voyage héroïque commence lorsque la vie ordinaire de ce protagoniste est soudainement interrompue par des événements magiques par nature et qui appartiennent à une réalité d’un tout autre ordre. Campbell se réfère à cette invitation aux aventures comme étant un « appel ». Si le héros répond à cet appel et accepte le défi, il ou elle s’embarque dans un périple qui implique es voyages dans des territoires étranges, des rencontres avec des animaux fantastiques et des êtres surnaturels, et bien d’autres épreuves. Cette aventure culmine souvent en une expérience de mort et elle est suivie d’une renaissance. Après avoir terminé son voyage, le héros rentre chez lui et mène une vie emplie de toutes sortes de récompenses en tant qu’être divin, meneur du monde, guérisseur, devin ou maître spirituel. Selon les propres mots de Campbell, la formule qui peut servir de base au voyage du héros, peut être résumée comme suit : « un héros s’aventure depuis un monde quotidien jusqu’à ce qu’il arrive à une région de merveilles surnaturelles ; là, des forces fabuleuses se retrouvent et une victoire décisive est remportée ; le héros rentre chez lui à la fin de cette aventure mystérieuse avec le pouvoir de gratifier ses camarades de bénédictions». L’intellect inquisiteur et incisif de Campbell est allé au-delà de la simple reconnaissance de l’universalité de ce mythe dans l’espace et le temps. Sa curiosité le conduisit à se demander ce qui rend ce mythe universel. Pourquoi le thème du voyage du héros s’applique-t-il aux cultures de tous les temps et de tous les lieux, même si elles diffèrent par ailleurs par bien d’autres aspects ? La réponse faite par Campbell a la simplicité et la logique de tous les points de vue qui peuvent être qualifiés de brillants : le monomythe du voyage du héros correspond à la crise de transformation que chaque être humain peut vivre lorsque les profonds contenus de l’inconscient de la psyché émergent à la conscience. Le voyage du héros décrit le territoire expérimental que n’importe quel individu doit traverser lors de sa profonde transformation. Mort et renaissance des dieux et des héros La rencontre avec la mort et la renaissance qui la suit, est un thème particulièrement puissant qui a lieu à une fréquence remarquable dans la mythologie du voyage du héros. Toutes les mythologies racontent des histoires à propos de dieux et déesses, héros et héroïnes, qui sont morts et qui ont ressuscité. Des variations sur ce thème décrivent des personnages mythologiques qui sont descendus dans le royaume des morts et qui ont traversé des épreuves et des défis incroyables, et qui sont revenus sur terre pourvus de pouvoirs spéciaux. Le thème central de la religion chrétienne, la mort et la résurrection du Christ, est la plus connue de toutes ces histoires ; récit qui a profondément influencé l’histoire de l’humanité. Cependant, ce thème n’est nullement exclusif à la Chrétienté et il joue un rôle important dans les différentes mythologies du monde. Les histoires les plus anciennes concernant la mort et la renaissance sont les mythes sumériens32 de la déesse Inanna et de sa descente aux enfers et le mythe égyptien décrivant la mort, le démembrement et la renaissance d’Osiris. Parmi les apports de la mythologie grecque, se trouvent les histoires concernant l’enlèvement de Perséphone aux enfers par Pluton, le démembrement et la renaissance de Dionysos, 32 Sumer : région de la Basse Mésopotamie, dans l’actuelle partie sud de l’Irak. Sa langue, le sumérien, est la première langue écrite connue. Sa civilisation est la première civilisation véritablement urbaine, et marque la fin de la préhistoire au Moyen-Orient IVème millénaire avant Jésus-Christ et les rencontres avec la mort expérimentées par Attis, Adonis et Orphée. Les aventures des héros grecs Hercule, Thésée, et Ulysse appartiennent elles aussi à cette catégorie. Les jumeaux Hunahpu et Xblanque et le Serpent aztèque à plumes Quetzalcóatl, sont des exemples célèbres d’Amérique Centrale d’êtres mythologiques qui ont fait l’expérience de la mort et de la renaissance. D’une manière bien moins évidente et plus symbolique, la même expérience est souvent représentée par le fait d’être dévoré et recraché des entrailles d’un monstre terrifiant. Les exemples dans ce domaine vont du personnage biblique de Jonas qui passa trois jours et trois nuits dans l’estomac d’un « immense poisson», jusqu’à Jason, héros grec, et Sainte Marguerite d’Antioche33, qui furent tous les deux avalés par un dragon et qui réussirent à s’en échapper. La recherche psychédélique et le travail avec des thérapeutes expérimentaux ont montré que l’archétype de la mort et de la renaissance est étroitement lié à la naissance biologique. Cela explique pourquoi ce motif est tellement universel et apparaît tellement fréquemment dans la mythologie. Le passage par le canal de la naissance est un événement menaçant pour la vie, et la résultante de cela est que la mort et la renaissance sont étroitement liées dans notre inconscient. C’est pourquoi les séquences de mort et de renaissance psychologiques sont parmi les expériences les plus fréquemment observées dans les états holotropiques, qu’ils soient provoqués ou qu’ils aient lieu de manière spontanée. Ils jouent un rôle extrêmement important dans le processus de transformation psychologique et d’ouverture spirituelle. Les mystères de la mort et de la renaissance Dans bien des parties du monde, les mythes de la naissance et de la mort apportent la base idéologique aux mystères sacrés, de puissants événements rituels dans lesquels les néophytes font l’expérience de la mort et de la renaissance ainsi qu’une profonde transformation psychospirituelle. On sait très peu de choses sur les méthodes utilisées au cours de ces mystères pour provoquer de tels états : beaucoup étaient tenues secrètes, ou bien les informations ont été perdues au fil des années. Cependant, ces processus étaient probablement similaires à ceux utilisées dans les pratiques et les rites de passage chamaniques : percussions, chants, changements dans les rythmes respiratoires, exposition au stress et à la douleur physique et expériences au cours desquelles la vie était menacée de manière réelle ou simulée. Parmi les outils les plus efficaces il se trouvaient indubitablement les potions qui altèrent l’esprit contenant des matériaux de plantes aux propriétés psychoactives. Les expériences puissantes et terrifiantes provoquées chez les initiés représentaient des opportunités uniques de contacter des déités et des royaumes divins et étaient perçues comme nécessaires, désirables ; elles avaient en outre des propriétés de guérison. Par ailleurs, dans certains cas, l’exposition volontaire à ces états extrêmes de conscience était considérée comme une protection contre la véritable folie, comme cela est illustré par le mythe grec de Dionysos qui invita les citoyens de Thèbes à se joindre à lui dans ce qu’il appelait la Danse Mineure. Ce terme se référait à l’extase des Bacchanales, rituels orgiaques qui impliquaient l’ingestion de boissons alcoolisées, des danses sauvages et la libération d’émotions puissantes et de conduites instinctives. Dionysos promit aux Thébains que la Danse Mineure les conduirait à des endroits qu’ils n’avaient jamais rêvés possibles. Lorsqu’ils refusaient sa proposition, il se sentait offensé et les obligeait à entrer dans la Danse Dionysiaque Majeure, une sorte de folie dangereuse dans laquelle ils prenaient leur prince pour un animal sauvage et le mettaient à mort. La reine folle empalait personnellement la tête de son fils sur une épée et le rapportait ainsi à la ville. Comme l’indique ce mythe populaire, les Grecs réalisaient que les forces dangereuses de la psyché devaient être exprimées dans un contexte approprié. Les puissantes expériences que les initiés rencontraient lors de ces mystères et tout particulièrement la mort psychospirituelle ainsi que la renaissance, avaient un potentiel de guérison et de transformation remarquables. Nous pouvons 33 Antioche : ville de l’actuelle Turquie Antakya ici nous référer aux témoignages des deux géants dans le monde de la philosophie grecque : Platon et Aristote. Il est particulièrement intéressant de noter que ce témoignage est originaire de Grèce, berceau de la civilisation européenne, étant donné que les Occidentaux ont tendance à ignorer les preuves des cultures « primitives » et exotiques dans lesquelles le chamanisme et les rites de passage étaient accomplis. Dans son dialogue Phèdre, Platon distingue quatre types de folies attribuées par les dieux : la folie érotique, due au fait d’être possédé par Aphrodite et Eros, la folie prophétique due à l’intervention d’Apollon, la folie artistique qui est le fait de l’inspiration des Muses, et la folie rituelle ou télestique causée par Dionysos. Le grand philosophe décrit amplement le potentiel thérapeutique causé par la folie télestique et prend en exemple des rites grecs moins bien connus : les rites corybantiques. Les danses sauvages aux sons des flûtes et des tambours culminaient en une explosion émotionnelle, qui résultait en un état de profonde relaxation et de tranquillité (Platon 1961a). Aristote, le célèbre disciple de Platon, fut le premier à affirmer explicitement que le processus consistant à expérimenter et à relâcher les émotions réprimées, ce qu’il a appelé catharsis (purgation des passions) représentait un traitement efficace des désordres mentaux. Aristote a dit que les mystères de la mort et de la renaissance offraient un contexte puissant à ce processus ; le vin, les aphrodisiaques et la musique pouvaient être utilisés pour créer des stimulations de passions menant à une catharsis guérisseuse. Il était d’accord avec la thèse fondatrice du culte orphique (une des écoles mystiques les plus importantes de l’époque), selon laquelle le chaos et la frénésie des mystères menaient à un ordre supérieur. Parmi les mystères les plus importants de la mort et de la renaissance, se trouvent les rites babyloniens et assyriens d’Ishtar et Tammuz, fondés sur le mythe de la déesse mère Inanna (Ishtar) et sa descente aux Enfers, gouvernés par sa sœur, la terrible déesse Ereshkigal. L’objectif de la visite d’Ishtar au royaume des morts était d’obtenir un élixir qui redonnerait la vie au dieu du monde végétal Tammuz, qui était à la fois son fils et son mari. Dans les anciens temples égyptiens d’Isis et d’Osiris, les initiés traversèrent des épreuves complexes sous la conduite de grands prêtres afin de dépasser la peur de la mort et de d’avoir accès aux connaissances ésotériques sur l’univers et la nature humaine. Pendant ce temps, les néophytes faisaient l’expérience de l’identification avec le dieu Osiris, qui d’après le mythe sous-jacent à ces mystères, fut tué et démembré par son vil frère Seth. Osiris fut ensuite ramené à la vie par ses deux sœurs, Isis et Nephtys et devint le gouverneur du monde des Enfers. Ici, le thème de la mort et de la renaissance était lié au cycle jour-nuit et au voyage archétypal du dieu du soleil à travers le ciel et les enfers. Les religions à mystères et à rites sacrés abondaient en Grèce antique, en Asie Mineure et des les pays avoisinants. Les mystères d’Eleusis étaient fondés sur une interprétation ésotérique du mythe de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille Perséphone. Perséphone fut enlevée par Hadès dieu des Enfers, mais elle fut libérée sur l’intervention de Zeus, à condition qu’elle retourne chez Hadès pendant trois mois chaque année. Ce mythe généralement considéré comme étant une allégorie du cycle de la croissance des végétaux pendant les saisons de l’année devint pour les initiés éleusiens le symbole des luttes spirituelles de l’âme, périodiquement emprisonnée dans la matière puis libérée. Le culte orphique tournait autour de la légende du barde de Thrace déifié, musicien et chantre incomparable, qui se rendit aux enfers pour tenter en vain de libérer son Eurydice bienaimée de la mort. Orphée lui-même mourut tragiquement, déchiqueté par les femmes de Ciconie pour être entré dans les Bacchanales. D’après la légende sa tête coupée et jetée dans l’Hébrus, continua de chanter et de prédire des oracles. Les rites dionysiens, ou bacchanales, était fondés sur l’histoire mythologique du jeune Dionysos, qui fut démembré par les Titans puis qui ressuscita lorsque Athéna Pallas sauva son corps. Dans les rites dionysiens, les initiés s’identifiaient au dieu mis à mort et né une seconde fois en buvant des boissons alcoolisées, en faisant des danses orgiaques, en courant à travers la campagne, et en mangeant la chair crue des animaux. Les mystères samothraciens des Corybantes étaient liés de près aux festivals dionysiens. Ils y associaient une pièce rituelle qui racontait le meurtre de Cadmos par ses trois frères. Le culte Mithriaque, autre religion à mystères majeure de l’Antiquité, était une religion apparentée au christianisme, et sa grande rivale comme religion mondiale. Elle commença à s’étendre à travers l’empire romain durant le premier siècle, atteignit son point culminant au troisième siècle et succomba à la chrétienté à la fin du quatrième siècle. Les sanctuaires mithriaques se trouvent des côtes de la mer Noire jusqu’aux montagnes écossaises et en passant par le désert du Sahara (Ulansey 1989). Le célèbre mythe d’Adonis, autre histoire concernant la mort d’un dieu, a inspiré de nombreux mystères dans le monde antique. Lorsqu’elle était enceinte, sa mère Myrrha fut transformée par les dieux en arbre à myrrhe. Adonis est né quand un sanglier ouvrit l’arbre avec ses défenses et libéra l’enfant qu’il était. Aphrodite fut tellement charmée par la beauté d’Adonis qu’elle le confia aux bons soins de Perséphone, la déesse des Enfers. Lorsque Perséphone refusa de rendre Adonis, Zeus décida qu’il devait passer un tiers de l’année avec Perséphone et un tiers de l’année avec Aphrodite. Le tiers restant était laissé à sa discrétion, mais selon la légende, Adonis passait toujours deux tiers de l’année avec Aphrodite. Les mystères fondés sur ce mythe étaient annuellement célébrés dans divers lieux d’Egypte, de Phénicie et de Byblos. Les mystères Phryfiens, proches de ceux-là avaient lieu au nom d’Attis, un dieu qui se castra lui-même, mourut et fut ressuscité par la grande déesse mère Cybèle. Son automutilation et sa mort étaient le résultat de la frénésie de la sorcière Agdistis, mère d’Attis, qui lui impartit sa rage jalouse pour l’empêcher de se marier. Le mythe sous-jacent aux mystères nordiques d’Odin (Wotan) était l’histoire du meurtre et de la résurrection du fils préféré d’Odin, Balder. D’après la légende, Balder était jeune et beau et il était le seul dieu paisible de Valhalla. Le vilain fourbe Loki, personnification du mal, dupa le dieu aveugle du destin Hoder, qui envoya une flèche de gui à Balder, la seule arme en mesure de le blesser. Le cœur de Balder fut transpercé et il mourut. Hel, la déesse de la mort, émue par les pleurs des dieux aux cœurs brisés, promit de renvoyer Balder au royaume des vivants à une seule condition : tous les êtres, animés ou inanimés, devaient pleurer pour lui. Et tous pleurèrent pour lui excepté Loki, et ainsi Balder dut demeurer aux Enfers. Cependant, le mythe prédisait qu’après la bataille finale de Ragnarok, à la suite de laquelle un nouveau monde devait naître des cendres de l’ancien, Balder renaîtrait. Dans les mystères d’Odin, le néophyte buvait une boisson alcoolisée à base de miel, sanctifiée, dans un bol fait à partir d’un crâne humain. Identifié à Balder, l’initié traversa une épreuve sacrée dans un complexe de neuf chambres souterraines et il était alors capable de dévoiler au cours du mystère d’Odin, les secrets les plus précieux de la nature et de l’âme humaine. Dans les mystères druides de Bretagne, la frontière entre la mort symbolique et biologique était assez trouble. Après avoir été enterré vivant dans un couffin, le candidat était envoyé sur la mer sur un bateau ouvert, pour reconstituer symboliquement la mort du dieu du Soleil. Dans cette épreuve inhabituelle, bien des initiés perdaient la vie ; ceux qui survivaient à ce rite exigeant étaient considérés comme étant nés une seconde fois. Les spécificités des processus d’altération de l’esprit de ces rites secrets sont inconnus pour la plupart. Cependant, la potion sacrée kykeon, qui jouait un rôle primordial dans les mystères d’Eleusis, était certainement une préparation qui contenait des alcaloïdes d’ergot34 similaires au LSD. Il est également hautement probable que des substances psychédéliques aient été utilisées lors des bacchanales et autres rites de ce type. Les Grecs ne savaient pas comment distiller l’alcool et cependant, d’après les textes, les vins utilisés lors des rituels dionysiens devaient être dilués de trois à vingt fois, et avec seulement trois coupes de ce breuvage, les initiés « étaient au bord de la folie » (Wasson, Hofman et Ruck 1978). Il n’y a que l’ajout de substances psychédéliques à ces breuvages alcoolisés qui puisse justifier un effet aussi profond sur la psyché. 34 Alcaloïdes : molécules organiques hétérocycliques azotées d'origine naturelle pouvant avoir une activité pharmacologique. Ergot : champignon parasite du seigle. Ce sont les composantes du LSD. L’importance culturelle de ces mystères dans le monde ancien malgré leur rôle quasiment inconnu dans l’histoire de la civilisation européenne devient évident quand nous réalisons que parmi ces initiés se trouvaient de nombreuses figures illustres de l’Antiquité. La liste des néophytes incluait le mathématicien Pythagore, Platon, Aristote, le guerrier Alcibiade, le dramaturge Euripide l’historien Plutarque et le poète Pindare. Un autre initié célèbre, l’empereur Marc-Aurèle, était fasciné par les espoirs eschatologiques offerts par ces rites. L’homme d’Etat et philosophe Marcus Tillius Ciceron prit part à ces mystères et rédigea un rapport exalté sur leurs effets et sur leur impact sur la civilisation antique dans son livre De Legibus (Ciceron 1977) Les mystères d’Eleusis Les mystères les plus importants de l’Antiquité étaient célébrés pendant environ deux mille ans (de – 1500 av. JC à 400 apr. JC) en l’honneur de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille Perséphone, à Eleusis, ville grecque située à vingt kilomètres à l’ouest d’Athènes. Il s’agit d’un exemple particulièrement significatif de ces pratiques importantes à la fois en raison de leur signification culturelle et en raison de la quantité d’information que nous possédons sur eux. Les événements menant au lieu saint d’Eleusis, sont décrits dans un poème épique qui date du septième siècle avant Jésus-Christ, qui est connu comme étant l’Hymne Homérique à Déméter. Un jour, lorsque Perséphone, la fille de Zeus et de Déméter cueillait des fleurs dans les belles prairies, elle fut enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Sa mère la chercha en vain, apprenant finalement de la bouche d’Hélios l’enlèvement de sa fille. Douloureusement affligée, Déméter quitta l’Olympe lorsqu’elle découvrit que Zeus lui-même était complice de cet enlèvement. Après une recherche infructueuse, Déméter vint à Eleusis habillée en femme simple, et trouva à se loger dans le palais du roi d’Eleusis, Kéleos et de sa femme Métaneira. Embauchée comme nourrice pour leur fils Démophon, elle tenta de le rendre immortel en l’immergeant dans le feu. Lorsque cela se sut, elle révéla qu’elle était une déesse et en remerciement à l’aimable hospitalité elle fonda un temple à Eleusis. Pour châtier les dieux Olympiens de l’enlèvement de sa fille, Déméter fit mourir toute la végétation sur terre, menaçant l’humanité de destruction. Les dieux craignaient la fin des prières et des sacrifices de l’humanité et ils supplièrent Déméter de refaire fructifier la Terre. Elle ne concéda pas cette prière jusqu’à ce que Zeus ordonne à son frère Hadès, dieu des Enfers, de rendre Perséphone à sa mère. La mère et la fille retournèrent au mont Olympe mais Perséphone devrait dorénavant passer un tiers de l’année en compagnie de son mari aux Enfers. Lorsqu’elle y allait, l’hiver régnait sur la terre. Cependant, chaque année, lorsque Perséphone retournait à la terre au printemps, le monde végétal se réveillait de nouveau en fleurs et donnait des fruits. Avant que Déméter ne retourne sur l’Olympe, elle enseigna aux rois d’Eleusis, Kéleos et Triptolemus comment célébrer les rites dans son temple. Il s’agissait de préceptes secrets, qui devaient être jalousement gardés. Leur divulgation et leur profanation était punies par la mort. En signe d’appréciation envers la réussite des manifestions éleusiennes, Déméter fit de Triptolemus le premier initié d’Eleusis et elle lui offrit un brin de blé et lui demanda d’instruire les hommes en agriculture, un art qui leur était inconnu auparavant. (Wasson, Hofmann et Ruck 1978) Le culte de Déméter et de Perséphone à Eleusis qui initialement n’avait eu qu’une importance locale, devint rapidement une partie importante de la civilisation athénienne et finalement devint une institution panhellénique. Dans la seconde moitié du cinquième siècle, période classique de la culture grecque, la participation aux rituels Eleusiens initialement réservée aux Athéniens, fut ouverte à tous les Grecs. A l’époque hellénistique et impériale, les mystères avaient encore plus de prestige et ils étaient ouverts aux initiés de tout l’empire romain. La durée extraordinaire des mystères d’Eleusis, qui se sont déroulés sans interruption tous les cinq ans pendant près de deux mille ans est un témoignage impressionnant du pouvoir et de l’impact des expériences qu’ils offraient. En outre, les si les mystères prirent fin, ce n’est pas parce qu’ils cessèrent d’attirer l’attention du monde antique : les cérémonies d’Eleusis furent soudainement interrompues lorsque l’empereur Chrétien Théodosius interdit la participation aux mystères et à tout autre culte païen. Peu après, en 395, les invasions des Goths détruisirent le sanctuaire. Ce qui était offert aux initiés à Eleusis devait être quelque chose d’extraordinaire, sachant que pendant de nombreux siècles des milliers de personnes étaient prêtes à traverser de longues distances pour y participer. Une supposition fréquente est qu’une forme de performance théâtrale y était donnée. Cependant, le plus grand hall du sanctuaire éleusien (Telestion) ne convenait absolument pas à cela architecturalement. Comme d’autres sites anciens, tels que celui d’Epidaure, le montrent, les Grecs étaient capables de construire d’étonnants amphithéâtres avec une acoustique supérieure. Les rangées de piliers massifs du telestrion éleusien, avec une grande chambre occupant le centre (anaktoron) et le nombre de participants (3000 et peut-être davantage encore) auraient rendu impossible aux initiés de voir le spectacle. Les témoignages écrits datant de cette époque ne rapportent pas de frais d’acteurs ou de mise en scène. Par ailleurs, les Grecs étaient particulièrement sophistiqués en ce qui concerne le théâtre et ils ne pouvaient pas être facilement leurrés surtout pas Pindare ou Sophocle, qui tous deux témoignèrent du pouvoir des mystères et de leur valeur extraordinaire. Les comptes-rendus des expériences éleusiennes contenaient beaucoup de références à des visions étonnantes, de lumières surnaturelles et brillantes, souvent décrites en termes de polarités et d’antithèses, telles que lumière et obscurité, et lumière et terreur. Ainsi Aelius Aristides, écrivain et orateur qui vécut sous l’empire romain écrivit qu’Eleusis était à la fois « la plus magnifique et la plus lumineuse des choses divines qui existaient parmi les hommes ». Certaines des visions les plus impressionnantes impliquaient des rencontres avec des divinités, et plus particulièrement avec la déesse Perséphone. L’empereur Marc Aurèle, lui-même initié, comptait les mystères parmi « ces dons qui manifestent de la sollicitude des dieux envers l’humanité ». Un autre aspect intéressant des expériences éleusiennes impliquait des allusions à la naissance biologique. Par exemple Hippolyte (170-236) rapporte que « sous un énorme feu, le hiérophante35 crie : la Maîtresse a donné vie à un enfant sacré, Brimo à Brimos ». Toutes les caractéristiques décrites ci-dessus s’appliquent également aux expériences psychédéliques et à d’autres types d’états holotropiques. Une clef importante à cette énigme était que les hiérophantes administraient à tous les participants la potion sacrée appelée « kykeon » avant le point culminant de l’initiation. Cela suggère que le kykeon était une préparation avec des propriétés psychoactives remarquables. Seule une potion psychédélique pouvait induire des expériences aussi puissantes chez des milliers de personnes au même moment. Cette supposition est reconfirmée plus loin lorsqu’on considère qu’à un moment donné à l’époque classique (vers 415 av. JC) il fut découvert que bon nombre d’aristocrates athéniens mettaient en place des mystères privés chez eux. Cette profanation des mystères avait pour conséquence des mesures de répression et une amende. Même s’il aurait été impossible de mettre en place dans des maisons de particuliers des effets théâtraux spécifiques, il était en revanche facile de transporter une jarre de kykeon d’Eleusis à Athènes. Albert Hofmann, le père du LSD, le mycologue Gordon Wasson (dont l’histoire de la découverte d’un champignon magique mexicain est décrite au chapitre 12) et l’universitaire grec Carl A.P. Ruck ont publié, après bien des années d’études exhaustives, un traité appelé Le chemin vers Eleusis (Wasson, Hofmann, et Ruck 1978). Ils en ont conclu que le kykeon contenait un ingrédient psychédélique obtenu à partir de l’ergot, qui avait des effets similaires au LSD et au sacrement ololiuqui d’Amérique Centrale. Afin de conférer au kykeon ses propriétés d’altération de la conscience, les prêtres d’Eleusis devaient simplement cueillir de l’ergot qui était assez courant dans le voisinage du temple, le pulvériser et l’ajouter à la potion. L’ergot pouvait aisément être utilisé en guise de sacrement dans le temple de la déesse des récoltes, Déméter. A un moment donné des rituels d’Eleusis, les prêtres présentaient une gerbe de blé aux initiés en symbole de l’orge-maïs planté dans la terre qui meurt pour donner vie à une nouvelle plante. Ici, nous trouvons un symbole 35 Hiérophante : prêtre qui introduisait initiés aux mystères sacrés de la rotation annuelle de Perséphone depuis l’obscurité des Enfers, à la lumière de l’Olympe tout comme une permanence de la vie dans le cycle éternel de la mort et de la renaissance. Pindare le plus grand poète de la Grèce antique, lui-même initié, écrivit ceci à propos de l’impact des mystères d’Eleusis sur le participant. Béni soit celui qui, ayant vu ces rites, Prend le chemin de sous la Terre Il connaît la fin de la vie aussi bien que Son commencement de caractère divin Les scènes mythologiques dramatiques montrant la mort et la renaissance et d’autres expériences mystiques sont extrêmement fréquentes en psychothérapie expérimentale tout comme au cours des crises psychospirituelles (« les urgences spirituelles »). Dans les états holotropiques ces éléments mythologiques émergent spontanément depuis les profondeurs de la psyché, sans aucune programmation et souvent à la surprise de toutes les personnes qui y sont impliquées. Les images archétypales et des scènes entières de la mythologie des diverses cultures apparaissent souvent dans les expériences des individus qui n’ont pas de connaissances intellectuelles des figures mythiques et des thèmes qu’ils retrouvent. Des archétypes tels que Perséphone, Dionysos, Osiris et Wotan ainsi que Jésus-Christ semblent résider dans la psyché des Occidentaux et resurgir dans les états holotropiques. CHAPITRE 4 LA MORT ET LA RENAISSANCE DANS LES GRANDES RELIGIONS DU MONDE Celui qui meurt avant de mourir ne meurt pas lorsqu’il meurt. Abraham a Sancta Clara Moine augustinien du XVIIème siècle Les techniques des rites du sacré ne sont pas limitées au chamanisme, aux rites de passage des cultures primitives ou aux mystères anciens. Plusieurs grandes religions du monde ont développé des processus psychospirituels plus ou moins sophistiqués, spécialement prévus à des fins holotropiques. Elles utilisent des combinaisons de jeûnes, de méditations assises ou en mouvement, des visualisations, des prières, des chants, des danses et des exercices respiratoires. Dans les circonstances adéquates, de telles approches peuvent créer une multitude extraordinaire d’expériences ayant pour origine les profondeurs de la psyché humaine, comprenant une profonde rencontre avec la mort et la mort psychospirituelle ainsi que la renaissance. Elles peuvent ainsi apporter des entraînements empiriques efficaces à la mort. Philosophies et pratiques d’Europe orientale Bon nombre de ces pratiques ont été développées en rapport avec les spiritualités d’Europe orientale. Différentes écoles de yoga, issues de l’hindouisme, offrent un large spectre de méthodes de méditation qui se combinent à des méthodes diverses telles que le jeûne, les postures physiques (asanas), les gestes (mudras) et la concentration mentale. Une partie importante de la tradition yogi est le travail respiratoire et l’utilisation du son sous forme de chants sacrés (kirtans et bhajans) et la répétition de syllabes, de mots ou de phrases (mantras). En Inde, la compréhension du potentiel de la respiration pour changer la conscience et son utilisation dans la pratique spirituelle fut élevée au rang de science (pranayama). L’hindouisme a également le concept de dvija, qui signifie littéralement « personne qui est née deux fois », concept qui se réfère fort probablement à l’expérience de la mort psychospirituelle et de la naissance. Dvija est un individu qui a réalisé qu’il n’est pas un corps de chair et d’os mais de la pure conscience. Le bouddhisme a mélangé une grande variété de techniques de méditation aux techniques du sacré, telles que la méditation de Vispassana de Theravada, les pratiques ésotériques de Vayrajana zazen et le travail avec les koans36 dans le Zen Soto ainsi que le rinzaï, la respiration du feu, pour ne citer qu’eux. Une des technologies du sacré les plus intéressantes et sophistiquées est le tantra, un système qui traverse les frontières des religions individuelles et qui représente les branches ésotériques de l’hindouisme, du bouddhisme et du jaïnisme. Le tantra est un système élaboré de pratiques psychospirituelles utilisant les diagrammes géométriques sacrés (yantras), les mandalas, les mudras, les mantras, les asanas et les exercices de respiration. La culmination de la pratique de vamamarga, (tantra gaucher) est panchamakara, un rituel d’union sexuelle sacrée (maithuna) exécuté dans des postures de yoga (asanas). La préparation à cette union élève les sens par l’utilisation d’encens, de fleurs, de musique, des chants sacrés et des doux touchers pour provoquer chez les partenaires une expérience d’identification aux êtres archétypaux, les déités Shiva et Shakti. L’utilisation de mélanges d’herbes ayurvédiques combinant de puissants aphrodisiaques avec des ingrédients psychédéliques donne à l’expérience de panchamakara un pouvoir hors pair. L’aspect fascinant des pratiques tantriques est qu’elle est fondée sur une vision extraordinairement spirituelle de l’existence et une vision du monde scientifique qui était particulièrement précoce pour son époque. Les universitaires tantriques ont développé une compréhension profonde de l’univers qui a été validée de diverses façons par la science moderne. La vision du monde tantrique incluait des modèles sophistiqués de l’espace et du temps, du concept du Big Bang, et des éléments tels que l’arrangement héliocentrique des planètes, l’attraction interplanétaire, la forme sphérique de la Terre et des planètes, ainsi que l’entropie.37 D’autres réussites du tantra incluaient des mathématiques avancées utilisant les nombres décimaux et le zéro, des figures hautement raffinées et abstraites, et un art de figuratif spirituel (Mookerjee et Khanna, 1977). Les praticiens en tantra créaient également des cartes expérimentales du corps subtil avec ses nombreux canaux (les naddis) et ses centres (les chakras). Pratiques dans le judaïsme, le christianisme et l’islam Des méthodes puissantes d’utilisation d’états de conscience holotropiques ont également été utilisées dans les trois grandes religions du Moyen-Orient : judaïsme, christianisme, et islam. Des approches destinées à faciliter les expériences spirituelles directes sont caractéristiques des branches mystiques de ces grandes religions et de leurs ordres monastiques. Les kabbalistes médiévaux produisaient des séries de techniques pour atteindre des états d’extase. Le mieux connu et le représentant le plus influent de la kabbale extatique était Avraham Abulafia, auteur de plusieurs méthodes pour s’unir à Dieu. Il affirma précisément que son but était de méditer des expériences semblables ou identiques à celles des anciens prophètes juifs. D’autres exemples de l’histoire mystique juive sont également significatifs : les pratiques des maîtres hassidiques ashkénazes, les 36 Le kōan (japonais ; chinois : gōng'àn 公案) est une courte phrase ou brève anecdote (littéralement : arrêt faisant jurisprudence) absurde ou paradoxale utilisée dans certaines écoles du bouddhisme chan ou zen. Le kōan est utilisé comme un objet de méditation ou pour déclencher l’éveil ou encore pour discerner l’éveil de l’égarement. 37 Entropie : fonction d’état en thermodynamique danses hassidiques et la pratique du Devekut, la communion avec Dieu. Afin de provoquer des expériences mystiques, les Esséniens des manuscrits de la mer Morte, membres de la secte apocalyptique du judaïsme, utilisaient des techniques respiratoires très efficaces et une forme de baptême qui amenait les initiés à une quasi-mort par noyade. Les technologies du sacré jonchent l’histoire du christianisme. Les expériences des Pères du Désert, des Chrétiens ermites pratiquant l’ascétisme dans le désert égyptien, étaient facilitées par des jeûnes, la déshydratation, l’extrême chaleur et la privation sensorielle partielle causée par la monotonie du désert. Les Hésychastes38 étaient des moines chrétiens qui croyaient qu’il était possible de parvenir - par un système d’ascétisme élaboré, par le détachement des préoccupations terrestres, par la soumission à un maître approuvé, et par la prière incessante – à la vision de la lumière mystique, qui n’était pour eux rien de plus que la lumière non-créée de Dieu. Cette vision pouvait être facilitée par plusieurs techniques spécifiques : maintenir le corps immobile pendant un long moment, appuyer le menton contre la poitrine, retenir sa respiration, et loucher volontairement. Des études ont exploré le parallèle entre l’Hésychasme et les pratiques indiennes des yogis, particulièrement le Yoga Kundalini (Matus 1984). On trouvait également parmi les méthodes chrétiennes provoquant des expériences mystiques, les exercices de saint Ignace de Loyola, fondateur des Jésuites dont la méthode de prière impliquait l’imagination visuelle pour se rapprocher de Dieu. L’universitaire religieux Dan Merkur a conclu que les premiers Juifs et Chrétiens utilisaient des substances psychédéliques comme faisant partie de leur rites religieux. Dans son livre Le Mystère de Manna, le sacrement psychédélique de la Bible (Merkur 2000), il utilise l’exemple de manna, le pain miraculeux que les Israélites mangeaient avant de célébrer la gloire de Yahvé apparaissant dans un nuage. Merkur suggère que cet incident était en fait une initiation à un culte de mystère psychédélique qui provoquait des visions spirituelles à travers le pain contenant de l’ergot – un champignon psychoactif contenant des ingrédients actifs proche du LSD. En outre, cet exemple en était un parmi d’autres dans une tradition de sacrements psychédéliques de Moïse à la manna jusqu’au Christ et à l’eucharistie. D’après Merkur, lorsque cette pratique devint inacceptable aux religieux orthodoxes, elle était perpétuée en secret par les gnostiques, les franc-maçons et les kabbalistes. John Allegro, membre d’une équipe formée pour déchiffrer les manuscrits de la mer Morte, alla encore plus loin. Dans son livre controversé Le Champignon sacré et la croix, Allegro affirmait que le judaïsme et le christianisme avaient leurs origines dans des cultes de fertilité au Proche-Orient qui utilisaient les champignons psychédéliques dans leurs rituels (Allegro 1970). Il est clair que, l’expérience de renaissance psychospirituelle ou de seconde naissance, a joué un rôle important dans la chrétienté de ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Dans un passage très intéressant de l’évangile de Jean, le Christ parle de l’importance de la renaissance. « A moins d’être né une seconde fois, il ne peut pas voir (pénétrer) le Royaume de Dieu ». Nicodème, qui prend la phrase de Jésus dans son sens littéral, ne peut pas comprendre comment lui, un grand homme pourrait passer à travers le pelvis de sa mère et naître à nouveau. Dans une référence évidente à la renaissance psychospirituelle, le Christ explique qu’il ne parle pas de renaissance de la chair, mais de naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit. Les moines médiévaux chrétiens utilisaient la méditation avec imagerie guidée pour faire l’expérience de la mort et de la renaissance. Un exercice de ce type constituait à visualiser sa propre mort et la décomposition du corps qui s’en suivait. Un autre exercice était l’identification expérimentale avec la souffrance du Christ et de sa mort sur la croix suivie de sa résurrection (imitatio Christi). Hésychasme : (du grec ἡσυχασμός/hesychasmos de ἡσυχία/hesychia, "l'immobilité, le repos, calme, le silence") est une pratique spirituelle mystique enracinée dans la tradition de l'Eglise Orthodoxe, pratiquée (en grec ἡσυχάζω/hesychamo, ce qui signifie : "être en paix, garder le silence") par l'hésychaste. Comme son nom l'indique, elle vise la paix de l'âme ou le silence en Dieu. 38 Les soufis, mystiques de l’islam, ont utilisé pendant des siècles la musique spirituelle, les respirations intensives et les chants dévoués dans leurs cérémonies sacrées (connus sous le nom de zikers ou dzikres). Les sectes de derviches tourneurs sont connues pour leurs danses enivrantes qui provoquent des états de transe. Tout comme les mystiques des autres grandes religions, les soufis ont été en conflit avec les autorités religieuses officielles et ils ont souffert de sérieuses persécutions dans de nombreux pays musulmans. Mansur-al Hallaj, le célèbre poète extatique soufi connu comme « le martyr de l’amour mystique » fut emprisonné et brûlé vif pour avoir proclamé les impressions qu’il atteignit dans ses ravissements extatiques « ana’l Haqq- je suis Dieu, la Vérité Absolue, la Véritable Réalité ». Al-Shuhrawardi, théologien, philosophe musulman et fondateur de l’école « illuminationniste » de philosophie fut jugé pour hérésie par ses rivaux dans le clergé musulman qui le condamnèrent à mort, après quoi il fut nommé « al-Maqtul » (« le Tué »). Même Ibn al-Arabi, « le Plus Grand Maître » auteur des Révélations de la Mecque et probablement la figure la plus influente dans l’histoire du soufisme fut persécuté et emprisonné. Les mystiques ont dû affronter des défis très difficiles dans les religions organisées, même si à travers leur expression directe de dimensions mystiques de la réalité dans les états de conscience holotropiques, ils ont inspiré tous les grands mouvements religieux. De telles expériences, par ailleurs sont essentielles à la préservation de la vitalité et la pertinence des croyances religieuses. Chapitre 5 LE VOYAGE POSTHUME DE L’AME Prête donc, prête donc, prête donc tes ailes ! Je m’élève ! Je Vole ! O tombeau ! Où donc est ta victoire ? O Mort ! Où donc est ta piqûre ? Alexander Pope, Le chrétien Agonisant, à son âme Les groupes humains préindustriels, ne voyaient pas la mort comme la fin de l’existence humaine. Selon eux, la vie et la conscience se poursuivaient d’une façon ou d’une autre même après la cessation de tous les processus vitaux. C’est pourquoi ils fournissaient aux membres de leur communauté des cartes très élaborées de l’au-delà ainsi que des indications pour préparer le voyage posthume de l’âme. Les descriptions spécifiques de la vie après la mort varient en fonction des cultures, des groupes ethniques, de leur histoire, du lieu , mais les concepts d’ensemble restent très semblables. Parfois l’image du Monde d’après est très concrète et ressemble de près à l’existence terrestre. Mais généralement, les royaumes du monde de l’au-delà se distinguent véritablement de tout ce qui est connu sur Terre. Quoiqu’il en soit, que le lieu de résidence de l’âme soit un environnement familier ou non, le voyage de l’âme dans l’au-delà est souvent vu comme un processus complexe de transitions et de transformations à travers différents niveaux et royaumes. Les lieux de l’au-delà et le monde archétypal Trois lieux dans l’au-delà – le Ciel, le Paradis et l’Enfer - apparaissent avec une fréquence extraordinaire dans la mythologie eschatologique. Cette distribution quasi-universelle traverse les religions, les cultures, les lieux géographiques et les périodes historiques. Le concept d’un lieu ou état intermédiaire, tel que le Purgatoire ou les Limbes est quant à lui moins commun. Le Ciel est généralement considéré comme étant au-dessus, lié à l’expérience humaine, et il comprend le soleil, la lune et les étoiles. C’est un domaine de bonheur, de joie et de lumière habité à la fois par des êtres spirituels supérieurs et des êtres humains vertueux désincarnés. Le Paradis est un autre lieu de l’audelà destiné aux êtres bénis, un lieu d’extraordinaire bonheur, de joie, de paix et de plaisir. Comme son nom l’indique (en vieux persan « paridaeza » signifie jardin fermé) le paradis est généralement représenté comme un beau jardin ou comme un parc où les arbres portent des fruits exotiques en Commentaire [E9]: Insérer une note de bas de page : n ai pas trouvé d’infos a ce sujet abondance, avec les rivières de la vie et de superbes oiseaux et animaux. Parfois le Paradis est situé dans un lieu naturel d’exception, par exemple une île.Il peut encore apparaître au moment de l’aurore boréale. L’Enfer quant à lui est généralement le royaume du dessous, situé sous la surface de la Terre dans des cavernes souterraines. C’est une région chthonienne39 d’obscurité et de noirceur associée à la terreur, au désespoir et à la souffrance physique. Les habitants de l’Enfer sont des créatures démoniaques qui prennent plaisir à exposer leurs victimes à des tortures inimaginables. La croyance erronée selon laquelle ces lieux de l’au-delà seraient localisés dans l’Univers physique - le Ciel dans l’espace intersidéral, le Paradis dans un lieu caché à la surface du globe, l’Enfer à l’intérieur de la terre - a conduit à un conflit bizarre et totalement inutile entre la science et la religion. Les astronomes ont utilisé des appareils tels que le télescope Hubble pour explorer et cartographier la « voûte Céleste ». Les résultats de ces efforts, qui ont bien sûr échoué à montrer un ciel habité par Dieu et les anges, sont la preuve définitive que de telles réalités n’existent pas. Pareillement, en cataloguant et cartographiant chaque centimètre de la surface de la Terre, les explorateurs et les géographes ont trouvé de nombreux lieux d’une beauté extraordinaire, mais aucun de ces lieux ne correspond aux descriptions du Paradis que l’on trouve dans les textes spirituels. Des géologues ont découvert que le centre de notre planète est constitué de couches de nickel et de fer, tantôt solide, tantôt liquide, dont la température dépasse celle de la surface du Soleil. Le centre de la Terre est fait quant à lui de couches de roche de silice dense et délicate – ce qui n’en fait pas un endroit très plausible pour les caves de Satan. Ce conflit apparent entre religion et science est ridicule et reflète de surcroît une incompréhension fondamentale des deux côtés. Comme Ken Wilber l’a fait remarquer, il ne peut y avoir de véritable conflit entre une science et une religion qui seraient authentiques. Un tel conflit est vraisemblablement le conflit de sciences et de religions « fausses », dans lesquelles chaque partie comprend mal l’autre et représente très certainement une version faussée de sa propre discipline (Wilber 1982). Des études modernes des états holotropiques ont montré que le Ciel, le Paradis et l’Enfer sont ontologiquement réels. Ils représentent en effet des états importants et distincts de conscience que tous les êtres vivants peuvent vivre au cours de leur vie et sous certaines circonstances. La thanatologie a rapporté bon nombre de preuves qui montrent que ces expériences arrivent généralement au moment de l’agonie et de la mort. Dans son essai révolutionnaire le Ciel et l’Enfer, Aldous Huxley a suggéré que des concepts tels que le Ciel et l’Enfer étaient la représentation de réalités subjectives. Ces réalités peuvent en effet être vécues de manière très concrète et convaincante pendant des états non-ordinaires provoqués par des substances psychédéliques ou par de puissantes techniques autres que les drogues (Huxley1959). Les visions célestes, paradisiaques et infernales sont des compositions à partir de plusieurs supports : le spectre expérimental des voyages intérieurs psychédéliques, les états proches de la mort, ainsi que les expériences mystiques tout comme les crises chamaniques initiatiques et d’autres types de « crises spirituelles ». Les psychiatres voient souvent de telles expériences chez leurs patients. Cependant en raison de leur modèle inadéquat de la psyché, ils les interprètent comme étant des manifestations de maladies mentales causées par un processus pathologique d’étiologie inconnue, sans réaliser que les matrices de ces expériences existent dans les profondeurs de l’inconscient de chaque être humain. Un aspect étonnant des expériences holotropiques de provenances variées impliquant les thèmes et les motifs eschatologiques, est que leur contenu peut être tiré des mythologies de chaque culture du monde, y compris celles dont le sujet n’a aucune connaissance intellectuelle. C. G. Jung a démontré ce fait extraordinaire pour des expériences mythologiques de tout ordre qui ont lieu dans 39 Chtonienne : du grec χθών / khthốn, « la terre ». Synonyme tellurique, du latin tellus, la terre. Se rapportant à la terre ou au monde souterrain. Les divinités chtoniennes, s’opposent aux divinités célestes, dites ouraniennes (NdT) les rêves et dans les expériences psychotiques de ses patients. Son observation l’a amené à conclure que la psyché humaine contient également en dehors de l’inconscient individuel freudien, un inconscient collectif, où repose l’entière culture de l’humanité. La connaissance de la mythologie comparée est ainsi bien plus qu’un simple problème d’intérêt personnel ou autre exercice académique, c’est un outil très important et très utilisé par les individus qui s’intéressent à la thérapie expérientielle et à l’exploration de soi. C’est également un pré-requis nécessaire à ceux qui les accompagnent et qui les soutiennent au cours de leur voyage. Histoires vécues : signification de l’inconscient collectif dans la psychothérapie Des épisodes de ma pratique clinique illustrent de façon remarquable la signification de l’inconscient collectif dans le travail psychothérapeutique. Le premier implique Otto, un client avec lequel j’ai travaillé lorsque j’étais à l’Institut de Recherche Psychiatrique à Prague en tant que chercheur principal dans un programme de recherche de thérapie psychédélique. Otto fut accepté dans le programme parce qu’il souffrait à la fois de dépression et d’une frayeur pathologique de la mort (thanatophobie). Pendant l’une de ses séances psychédéliques il fit l’expérience d’une puissante suite de morts et de renaissance psychospirituelles. A l’instant où cette expérience atteignait son sommet, il eut la vision d’un inquiétant portail d’entrée aux Enfers, gardé par une déesse ayant la forme d’une truie terrifiante. Il éprouva immédiatement le besoin urgent de faire un dessin géométrique particulier. Généralement je demandais à mes clients de rester en position allongée pendant leur séance en gardant leurs yeux fermés de façon à conserver leurs expériences à l’intérieur. Cependant, Otto ouvrit les yeux, s’assit et me demanda de lui apporter des feuilles de papier et du matériel de dessin. Il dessina avec une urgence et une vitesse extraordinaires une série de dessins abstraits et complexes. Témoignant d’une insatisfaction profonde qui allait jusqu’au désespoir, il les déchirait une fois terminés. Il était très déçu de ses dessins et il devenait de plus en plus frustré parce qu’il « n’ y arrivait pas ». Lorsque je lui ai demandé ce qu’il essayait de faire, il était incapable d’expliquer quoique ce soit, il répondit simplement qu’il ressentait un besoin compulsif et irrésistible de dessiner ces schémas et qu’il était convaincu que parvenir au bon dessin était la condition nécessaire à la réussite de sa séance. Ce sujet avait clairement une charge affective importante, et il semblait important de comprendre cela. A cette époque-là j’étais encore fortement influencé par ma formation freudienne. Je me suis donc appliqué à identifier les motifs inconscients de ce comportement étrange en utilisant la méthode de l’association libre. Nous avons passé beaucoup de temps à cette tâche-là, mais sans réel succès. La séance ne faisait aucun sens. Finalement nous changeâmes de sujet et j’ai arrêté d’y penser. Cet épisode tout entier resta un total mystère pour moi, jusqu’à quelques années plus tard lorsque j’ai déménagé aux Etats-Unis. Peu après mon arrivée à Baltimore, j’ai été invité à faire une conférence pour la Société pour l’Art, la Religion et la Science à New York intitulée « Le Grotesque dans l’art ». Ma présentation explorait le problème du grotesque, fondé sur mes observations de recherche psychédélique, et comprenait une présentation de diapositives des peintures de mes clients. Joseph Campbell, universitaire renommé considéré par bon nombre de personnes comme étant le plus grand mythologiste du XXème siècle, et probablement de tous les temps, participait également à la conférence. Il était fasciné par les expériences de mes patients revivant leur naissance et par les peintures qu’ils en avaient faites. A sa demande, je lui ai envoyé un manuscrit qui résumait mes recherches de Prague. C’était un volume épais intitulé L’Agonie et l’extase en traitement psychiatrique, un travail qui ne fut jamais publié dans sa forme originelle, et qui plus tard, devint la source de cinq livres traitant de divers aspects de mon travail. Après quelques rencontres successives, Joseph et moi devînmes de bons amis, et il en vint à jouer un rôle très important dans ma vie personnelle et professionnelle. Ma femme Christina était elle-même devenue son amie depuis le temps où elle était son élève au Sarah Lawrence College. L’intelligence de Joseph était remarquable, et sa connaissance de la mythologie du monde entier, Commentaire [E10]: tu veux bien mettre une note de bas de pages STP Olivier. J'ai essayé mais alors c'est trop compliqué j'ai peur de me tromper ou de fair eun truc pas clair véritablement encyclopédique. Il adorait ce qui concernait la recherche psychédélique et tout particulièrement mon concept des trois matrices périnatales fondamentales (BPM40 voir chapitre 8), concept qui l’aida à comprendre l’ubiquité et la nature universelle du motif de la mort et de la renaissance dans la mythologie. Après notre déménagement en Californie, j’eus l’occasion de voir Joseph régulièrement. Il était en effet un invité fréquent de l’Institut Esalen, où il dirigeait ses propres ateliers, et participait en tant qu’invité de la faculté aux séminaires qui duraient un mois et qui étaient dirigés par Christina et moi-même. Au bout de quelques jours à Esalen, Joseph était généralement fatigué par le menu de l’Institut qu’il qualifiait de « nourriture pour lapins » et il avait envie d’un bon steak et de whisky Glenlivet. Nous l’invitions régulièrement à la maison avec Christina où nous lui cuisinions ses plats préférés. Au fil des ans, nous avons eu bon nombre de discussions fascinantes pendant lesquelles j’ai partagé avec lui mes observations sur plusieurs expériences archétypales obscures des participants de nos ateliers, que j’étais à la fois incapable d’identifier et de comprendre. Contrairement à Joseph qui n’avait nulle difficulté à identifier les sources culturelles du symbolisme dont il était question. Au cours de l’une de ces discussions, je me suis souvenu de l’épisode décrit précédemment concernant la séance d’Otto, et je l’ai partagée avec lui. « Comme c’est fascinant » dit Joseph sans la moindre hésitation. « Il s’agit clairement de la Mère Cosmique de la Mort Nocturne, la Déesse Mère Dévoratrice des Malékulans de la Nouvelle Guinée ». Il continua ainsi à me raconter que les Malékulans croyaient qu’ils rencontreraient cette déité pendant leur voyage vers la mort. Elle avait la forme d’une figure femelle effrayante avec les traits d’une truie. D’après la tradition malékulane, elle s’asseyait au portail des Enfers et avec un dessin de labyrinthe compliqué. Les garçons malékulans avaient un système de rituels élaborés qui impliquaient l’élevage de porcs. Le porc que chaque garçon élevait pendant son enfance représentait sa mère. Le fait de tuer leur mère au moment de la puberté aidait les membres mâles de la tribu à surmonter la dépendance à leur mère humaine, aux femmes en général, et en dernière instance à la Déesse Mère Dévoratrice. Les Malékulans passaient beaucoup de temps durant leur vie à pratiquer l’art du dessin de labyrinthe, car sa maîtrise était considérée essentielle à un voyage réussi aux Enfers. Joseph avec son incroyable connaissance de la mythologie du monde, fut ainsi capable de résoudre ce mystérieux défi que j’avais rencontré lors de mes recherches à Prague. Les questions restantes auxquelles Joseph lui-même était incapable de répondre étaient les suivantes. Pourquoi ce motif particulier était-il si intimement connecté aux symptômes émotionnels d’Otto ? Pourquoi Otto devait-il rencontrer cette déité Malékulane comme faisant partie de sa thérapie, et pourquoi cette expérience était-elle tellement importante à sa réussite ? En même temps, le fait de maîtriser les problèmes associés au voyage posthume de l’âme faisait certainement sens pour quelqu’un dont le principal symptôme était la thanatophobie, c’est-à-dire la peur pathologique de la mort. Le choix du symbolisme Malékulan dans ce cas particulier demeurait cependant un mystère. J’ai décrit dans les détails le cas d’Otto parce qu’il illustre plusieurs points importants. Dans les états holotropiques, plusieurs thèmes de la mythologie eschatologique deviennent une réalité expérimentale : ils sont intimement connectés aux problèmes psychologiques de l’individu età son état émotionnel ainsi qu’à ses problèmes psychosomatiques. Le fait que ni moi ni Otto n’aient eu de connaissances intellectuelles de la culture Malékulane corrobore une nouvelle fois la thèse de Jung de l’inconscient collectif. Les éléments ésotériques de la vie rituelle et spirituelle de cette tribu de Nouvelle-Guinée, qui ont émergé de façon spontanée pendant la séance d’Otto nécessitaient pour pouvoir être compris, l’esprit encyclopédique du plus grand mythologiste de notre temps. En outre, cet épisode démontre également la proche association entre la mythologie eschatologique et les rites de passage. J’ajoute ici un autre exemple, plus bref, d’une situation similaire étant survenue lors de mes premières années de recherche psychédélique à l’Institut de Recherche Psychiatrique de Prague. 40 Basic Perintal Matrice, dans le texte (NdT) Dans ce cas-ci, j’ai été capable de comprendre son imagerie et son symbolisme sans l’aide de Joseph, même si cela m’a pris du temps. Cet épisode est issu d’une séance de LSD d’Alex, qui se porta volontaire au programme de thérapie psychédélique après des mois d’échec de thérapie traditionnelle destinée à guérir des états d’anxiété dont la phobie de l’obscurité. A un stade avancé de sa thérapie, l’une des séances d’Alex fut dominée par les réminiscences de son existence prénatale : il redevint un fœtus dans le ventre de sa mère, goûta le liquide amniotique et éprouva sa connexion avec le corps maternel à travers le cordon ombilical. Il était conscient de manière précise des changements dans l’état émotionnel et physique de sa mère. Tandis qu’il faisait l’expérience d’un état de bonheur au cours d’une période pendant laquelle son existence prénatale était vécue de façon paisible et sans le moindre dérangement, sa scène embryonnaire s’ouvrit soudainement à une vision splendide de l’aurore boréale. Alex flottait dans une lumière radieuse à l’état de pur esprit, sans aucune conscience de son corps physique, et il vivait un ravissement extatique. Il était entouré d’autres êtres d’éther plongés dans une activité joyeuse et dynamique. A un moment donné il réalisa que cette activité impliquait un jeu de ballon étrange où un objet rond était passé de l’un à l’autre. Il finit par réaliser à sa grande surprise que l’objet avec lequel on jouait était une tête de morse. Dans le cas d’Otto, les associations libres n’apportaient aucune information pour élucider cette étrange mais néanmoins fondamentale expérience émotionnelle. Nous avons finalement abandonné et sommes passés à autre chose. Quelques années plus tard, je suis resté plusieurs heures dans une librairie à San Francisco, à rechercher des livres susceptibles de m’intéresser. A ma grande surprise, je suis tombé sur un livre de mythologie esquimau qui contenait un passage sur les idées concernant la vie après la mort. Apparemment les esquimaux croient que le niveau le plus haut du Ciel est situé à l’aurore boréale, un endroit glorieux, toujours lumineux, sans neige ni orage. Les esprits heureux y résident et aiment jouer au ballon en utilisant une tête de morse. D’après la sagesse esquimaude, l’aurore est causée par des courants de lumière qui reflètent le caractère excitant et énergique du jeu. L’expérience mystérieuse d’Alex au LSD représentait ainsi une vision d’une mythologie dont il n’avait en apparence eu aucune connaissance. Pour les personnes qui vivent à notre époque, les états de conscience holotropiques donnent accès à un large éventail de cultures du monde entier. Historiquement, cependant, il s’agit d’un nouveau phénomène, un phénomène qui mérite une attention toute spéciale. Toutes les cultures anciennes et primitives utilisaient lors de leurs rituels spirituels de puissantes pratiques destinées à accroître la conscience, (« les techniques du sacré ») qui utilisaient des plantes psychédéliques. Ainsi les personnes vivant dans ces sociétés faisaient régulièrement l’expérience de figures archétypales et de motifs spécifiques à leurs cultures respectives. Sinon, ces discrètes mythologies caractéristiques et aisément reconnaissables n’existeraient pas du tout. Bien que certains archétypes universels soient partagés par plusieurs cultures, leur expression spécifique est limitée à la leur. C’est pourquoi nous ne trouvons jamais de Dhyâna Bouddhas du Livre Tibétain des morts sur les céramiques funéraires des anciens Mayas ou des sculptures du Christ sur la croix dans les anciens temples Hindous. Cette nouvelle capacité de la psyché humaine (ou propriété de la conscience collective) est liée de près à la culture du monde entier et aux développements technologiques des siècles récents. Jusqu’à la fin du XVème siècle, les Européens étaient ignorants de l’existence du Nouveau Monde et de la même façon, les Indiens d’Amérique n’avait aucune connaissance de l’Europe ni de ses habitants. Jusqu’à l’invasion chinoise du Tibet en 1949, le Tibet était assez fermé, et avait très peu de liens avec le reste du monde. Seuls quelques individus exceptionnels tels qu’Alexandra David Neel et Nama Govinda faisaient office d’agents culturels. Au début du XXème siècle, il y avait des endroits sur Terre qui n’avaient pas encore été découverts. Cette situation a changé radicalement, avec l’apparition des avions, des téléphones, des radios, et plus récemment d’internet, éléments qui ont transformé la planète en un « village mondial ». Pour la première fois dans l’histoire, nous avons accès à des traductions d’écrits spirituels et à des enregistrements de musiques rituelles et spirituelles de tous les temps et de tous les pays, tout comme à des visites de maîtres de toutes les religions. Grâce aux éléments qui refont spontanément surface depuis le large éventail de la conscience collective mais aussi dans des états holotropiques provoqués, la connaissance de la mythologie mondiale en général et de la mythologie eschatologique en particulier est devenue un outil extrêmement important pour les psychiatres, les psychologues et les psychothérapeutes. La connaissance des rites de passage du monde archétypal est également essentielle à celui qui avance dans le voyage spirituel et dans l’aventure de l’exploration et la découverte de soi. En gardant tout cela à l’esprit, nous allons maintenant nous pencher sur l’un des thèmes les plus importants de la mythologie eschatologique dans une perspective interculturelle. Le Ciel, le Paradis, et le thème du Jugement Divin Le concept de maison finale des Justes après leur mort - le Ciel ou le Paradis - apparaît dans des variations différentes. Les anciens hébreux ont vu le Ciel comme le monde du dessus (Shamayim) et le voyaient comme le lieu de résidence de Yahvé. Dans la tradition juive, le jardin d’Eden avait des niveaux différents : le Jardin Inférieur et le Jardin Supérieur. Dans le Jardin Inférieur de l’Eden, les âmes habitaient les corps de la même façon que dans la vie du défunt et jouissaient de divers plaisirs spirituels. Dans le Jardin Supérieur, les âmes résidaient dans leur véritable essence et profitaient de divers plaisirs spirituels qui étaient bien meilleurs et plus exaltants que les plaisirs du Jardin Inférieur. Lorsque quelqu’un venait à mourir, l’âme (nefesh) montait au Jardin Inférieur de l’Eden. Le corps qu’elle occupait était de nature extrêmement raffinée – une simple forme d’énergie qui ne requérait pas de nourriture physique, ni de boisson. Elle recevait sa substance à travers une forme supérieure d’odorat. Ensuite l’âme montait au Jardin Supérieur de l’Eden (Neshamah) où elle était nourrie par la lumière de la divine présence. Les Justes étaient assis, leur couronne sur la tête, profitant de l’incandescence de la Présence Divine. Ils obtenaient le plaisir de sa vue et n’avaient nul besoin de manger ni de boire. Les histoires de la tradition juive mystique mettent souvent en scène des lieux similaires au Ciel et au Purgatoire chrétiens, les âmes errantes et la réincarnation. Le concept chrétien du Ciel combine l’image hébraïque d’une région dans le ciel avec les idées grecques des sphères concentriques célestes ainsi que l’image du voyage spirituel. Les suiveurs du Christ, qui arrivaient au Ciel, profitaient de la présence de Dieu, des anges et des saints, et contemplaient Son Etre. La mythologie chrétienne possède une grande hiérarchie d’anges : les Séraphins, les Chérubins, les Trônes (ou Roues), les Dominations, les Vertus, les Pouvoirs, les Principaux, les Archanges et les Anges. Autre lieu pour les bénis dans la tradition chrétienne : le Paradis ou le Jardin de l’Amour. Ce concept est dérivé des mythes de l’Age d’Or et du Jardin d’Eden. Le symbolisme implique un lieu géographique, des éléments de nature sainte, des murs d’or et des rues pavées d’émeraudes. Quatre rivières ont leur origine dans le jardin et coulent en direction des quatre points cardinaux. Les émotions et les tendances négatives en sont absentes, le lion et l’agneau se tiennent côté à côte paisiblement. Un autre lieu pour les chrétiens bénis est la Ville Céleste, avec une architecture spectaculaire et des rues pavées d’or, d’argent et de pierres précieuses. Le Jugement Divin, thème archétypal récurrent dans la mythologie eschatologique est une composante importante du voyage posthume du christianisme. Le christianisme évalue la morale de l’individu de deux façons. La première a lieu au moment de la mort et implique le pesage des âmes. Plus rarement, la séparation entre les justes et les pêcheurs a lieu sur un pont ou sur une échelle menant au Ciel. Dans l’imagerie qui montre le jugement des morts, on voit généralement des images de démons et d’anges luttant pour l’âme et on voit généralement l’Archange Saint-Michel être le partisan des âmes des morts. Le second type d’évaluation morale, le Jugement Dernier, est censé arriver à la fin des temps quand les tombes s’ouvriront et que les morts seront jugés une nouvelle fois. L’art chrétien abonde en peintures et en reliefs du Jugement Dernier. Jésus-Christ y est décrit comme un juge sévère entouré des quatre bêtes de l’Apocalypse : le lion, l’aigle, le taureau et l’homme ailé. Les justes sont vus montant vers l’Amour et les damnés sont dévorés par la bouche de l’Enfer. Le Coran promet d’admettre les croyants au Ciel et de reléguer les infidèles à l’Enfer. La gloire des sept cieux et du Paradis est décrite dans le Miraj Nameh, une légende mystique du voyage miraculeux nocturne de Mohamed. Sur sa monture céleste à tête humaine couronnée, Al-Buraq, accompagné par l’Archange Gabriel, Mohammed visite les régions des Enfers : les sept cieux, le Paradis et le domaine infernal de Géhenna. Chacun de ces cieux est associé à un métal ou à une pierre précieuse et c’est là que se trouvent les prophètes antérieurs. C’est dans le Septième Ciel que Mohamed rencontre Allah, rencontre au cours de laquelle il fait l’expérience de l’extase proche de l’annihilation et reçoit des instructions pour les prières de ses suiveurs. Le Paradis musulman est une oasis avec de beaux jardins, des arbres splendides arborant des fruits exquis, des oiseaux exotiques et des rivières d’eaux pures, de miel et d’huile. La vie dans ce lieu idyllique reflète les goûts des hommes arabes, leurs fantasmes et leurs rêves. Les hommes sont vêtus de costumes en soie et portent des bracelets d’or et d’argent ainsi que des couronnes en perles. Allongés sur des canapés dans des chambres richement décorées de tapis de soie et d’oreillers, ils jouissent de la perpétuelle jeunesse, de la beauté et de la vigueur tandis qu’ils dégustent des repas avec du vin et des fruits exquis. La musique et les chants rehaussent encore les extraordinaires plaisirs sensuels que ce royaume leur offre. Mais les plaisirs les plus extraordinaires sont offerts par les hôtes houris, des femmes ravissantes aux yeux noirs de musc pur, attendant dans les pavillons de perles de servir les plaisirs des fidèles. Ayant accordé toute leur attention à leurs clients et ayant satisfait leurs désirs sexuels, les houris retrouvent leur virginité. Les plaisirs du Paradis sont tellement étonnants que Dieu y donne à chacun les potentialités de cent individus. Le thème du Jugement divin est également un aspect important de la religion islamique. L’ éthique des personnes décédées est examinée dans le détail par deux anges Munker et Nakeer qui viennent interroger les morts. Ceux qui sont jugés justes sont rafraîchis par de l’air et du parfum, et une porte leur est ouverte vers le Paradis. Les infidèles sont habillés des haillons de l’Enfer, passent ensuite à travers les portes infernales en Enfer, où ils sont enveloppés par la chaleur et le vent pestilentiel jusqu’à ce que le tombeau se referme sur eux et écrase leurs côtes. Ils restent là, agonisants, jusqu’au jour de la résurrection. Dans la tradition musulmane il est aussi question du Sirat, le pont au-dessus de l’Enfer « plus fin qu’un cheveu et plus coupant qu’une épée ». Tous les morts doivent traverser ce pont. Les croyants sont capables de garder leur équilibre et le traversent avec succès, les non-croyants quant à eux glissent et plongent dans les abîmes infernaux. Le concept Zoroastrien41 des domaines de l’au-delà, est vivement dépeint dans le Livre d’Arda Viraf qui décrit les visions spirituelles provoquées par le vin et par un produit « narcotique ». Il s’agit très probablement du sacrement psychédélique haoma. Pendant le voyage visionnaire de Viraf, deux guides spirituels – le messager divin Shrosh et l’ange Adar - l’emmènent en visite au Paradis et en Enfer, et lui expliquent chaque endroit en détail. Le Zend Avesta, enseigne qu’après la mort, l’âme peut atteindre le Paradis en suivant une suite de lumières de plus en plus brillantes : les Etoiles (bonnes pensées), la Lune (bonnes paroles) et le Soleil (bonnes actions. Pendant le voyage posthume, les âmes doivent traverser une triste rivière de larmes, constituée des pleurs que leurs parents et amis ont versés pendant leur deuil et lamentations. Si les survivants ont montré une tristesse excessive, les défunts trouvent en la rivière de larmes un formidable obstacle et une impasse qui rend la traversée impossible. Les âmes des personnes qui accèdent au Paradis tels que les bons gouverneurs et monarques, les parleurs sincères, les chefs religieux et les « femmes vertueuses qui considèrent leur mari comme leur seigneur » sont revêtus de vêtements d’or et d’argent et profitent de la présence des archanges, des anges et des anges gardiens. Certains aspects du voyage posthume Zoroastrien méritent une attention spéciale. Le motif du jugement divin, encore une fois, joue un rôle important. Trois jours après la mort et après la douloureuse séparation de l’âme du corps, les défunts rencontrent l’image de leur propre moi, déguisé en une belle jeune femme de quinze ans. Aux vils, leur moi apparaît sous la forme d’une femme décrépie, sale et puante. Une déité appelée « Just Rashnu » pèse les mauvaises actions des 41 Zoroastrisme : religion monothéiste perse, qui vénère Ahura Mazda (NdT) personnes défuntes contre leurs bonnes actions. Les défunts traversent alors une épreuve spéciale : ils doivent essayer de traverser le Cinvatu paratu ou « Pont du Séparateur ». Aux justes, le pont apparaît comme large et confortable, et ils le traversent aisément vers le bonheur suprême éternel. A ceux qui s’avèrent cruels, le pont offre leur autre côté qui est extrêmement étroit et qui ressemble à une lame de rasoir. Lorsqu’ils essayent de le traverser, leurs mauvaises actions prennent la forme de chiens de chasse qui les poursuivent en hurlant et les attaquent. Les méchants perdent l’équilibre et tombent dans les mâchoires du démon Vizarsh puis entrent en Enfer. Cependant, le jugement final doit attendre l’apocalypse, où une bataille décisive finale aura lieu. Après la victoire d’Ahura Mazda sur l’armée d’Ahriman, la Terre et le Paradis seront réunis, et le royaume d’Ahura Mazda s’épanouira. Le Paradis des anciens Grecs était localisé en haut du Mont Olympe, le domaine des douze Olympiens, principaux dieux du Panthéon grec, qui résidaient dans de beaux palais de cristal. Là, se trouvait également le trône de Zeus, déité principale. Sur le mont Olympe, se trouvaient dix dieux fixes : Zeus, Héra, Poséidon, Arès, Hermès, Héphaïstos, Aphrodite, Athéna, Apollon, et Artémis. Quant à Déméter, Dionysos, Hadès et Hestia, ils étaient des dieux variables. Sur le mont Olympe, les dieux se délectaient de nectar et d’ambroisie qui leur apportaient l’immortalité. En même temps, les Dieux Grecs étaient anthropomorphiques et manifestaient des caractères et des émotions humaines, y compris leurs faiblesses. Ils avaient des conflits féroces et des histoires d’amour passionnées les uns avec les autres et se mêlaient librement aux personnes mortelles, engendrant des demi-dieux, tels qu’Héraclès, Achille, Thésée et Persée. Les domaines paradisiaques des Grecs classiques étaient les Iles de Blest et les Champs Elysées, situés au-delà des eaux de l’Atlantique et au bout du monde. D’après des références trouvées dans Homère, Pindare et Strabo, les Champs Elysées avaient un climat idéal sans pluie, sans neige, ni vent fort si ce n’est les douces brises du Zéphyr. Des parfums exhalaient dans l’air et la nature était étonnamment belle avec des prairies de roses cramoisies et des arbres portant des fruits d’or et d’encens. La terre était tellement fertile qu’elle donnait des fruits sucrés comme le miel trois fois par an. La vie était aussi tranquille qu’il est possible de l’imaginer. Les habitants profitaient de la musique et de la poésie, jouaient aux dames, et participaient à différents sports de leur choix comme l’équitation et les luttes. Les mystères orphiques qui enseignaient que la rédemption avait lieu par la libération de la matière et des limites terrestres, voyaient les Champs Elysées comme un endroit de repos joyeux pour les purs esprits. Il était d’abord localisé dans des Enfers d’étrange clarté puis dans les hautes régions célestes. Les pythagoriciens et d’autres groupes de la Grèce ancienne croyaient en la réincarnation et en la transmigration des âmes (métempsychose). D’après Platon, les morts étaient jugés dans une prairie par Ecus, Minos et Rhadamanthe et étaient envoyés soit au Tartare obscure, soit aux Iles de Blest. A la suite de quoi, ils buvaient dans la rivière du Léthé, rivière de l’oubli, et oubliaient leurs expériences passées. Dans la mythologie nordique, le domaine du Paradis avait un fort accent martial, connu sous le nom de Valhalla ou Couloir des Tués, présidé par Odin (Wotan), principale déité du Panthéon Nordique. Odin est un dieu de guerre et de mort, mais aussi de poésie et de sagesse. Il apprit les secrets des runes et neuf chansons puissantes lorsqu’il resta accroché pendant neuf jours sur l’Arbre du Monde Iggdrasil, transpercé par sa propre épée. Odin gagna également une énorme sagesse lorsqu’il échangea l’un de ses yeux contre un breuvage dans le Puits de la Plus Grande Sagesse, gardé par le géant Mimir. Ses compagnons étaient deux loups, deux corbeaux, et sa monture à huit pattes Sleipnir. Valhalla est un hall géant avec 540 portes. Ses combles sont des lances, et le toit est fait de boucliers. Les armures des guerriers sont dispersées partout. Un loup garde la porte ouest, et un aigle plane au-dessus. Ici, les messagers d’Odin et les esprits de la guerre, les Walkyries (Choisisseuses des Tués), de belles jeunes femmes montées sur des chevaux ailés et armées de casques et d’épées, ramènent la moitié des héros morts sur les champs de bataille. L’accès à Valhalla ne se mérite que grâce aux prouesses martiales. Les guerriers s’engageaient dans des tournois splendides pendant la journée et la nuit, ils festoyaient ensemble en mangeant du porc et en buvant Commentaire [E11]: A verifier en français. N’ai rien trouvé au cours de recherché nombreuses pourtant Commentaire [E12]: idem de l’alcool de miel. Ces héros, les Einherjar sont préparés à Valhalla pour la bataille à venir de Ragnarok, le Crépuscule ou Destin de Dieux. Selon l’ancienne tradition védique42, plus particulièrement la Rigvéda, le Paradis était le royaume où les pères allaient après leur mort pour être avec les dieux. Ce domaine était associé au ciel, et les morts aux étoiles. Yama qui fut le premier humain à mourir mais aussi le gouverneur des morts, régnait dans le domaine de la lumière, situé dans le ciel extérieur. Les vies de toutes les personnes méritantes étaient libres de douleur et de préoccupations. Ils profitaient de la musique, de la réalisation sexuelle et des plaisirs sensuels, en somme des délices terrestres. Le destin de ceux qui trépassaient dépendait de leur participation aux rituels, aux offrandes et aux sacrifices faits aux dieux pendant qu’ils étaient sur Terre. Agni, le dieu du feu, permettait la purification des personnes décédées, pré-requis nécessaire à un voyage posthume réussi. Plus tard, Lama devint le seigneur des régions infernales. Sa monture était un buffle noir féroce, forme que parfois Lama prenait lui-même. Il utilisait un lasso pour attraper ses victimes et une masse pour les châtier. D’après le Mahabharata, son domaine appelé Yamalya contenait un magnifique palais construit par l’architecte Vishwakarma sur la requête de Brahma. Face à la porte sud, il y a avait quatre abîmes où les vils étaient punis. Trois autres portes étaient réservées à l’entrée des justes afin qu’ils n’aient pas à voir le lieu du châtiment lorsqu’ils allaient être jugés. Brahma ordonna à Vishwakarma de creuser une grande tranchée et de la remplir d’eau. Il demanda alors au dieu du feu Agni d’entrer dans cette rivière et de faire bouillir l’eau. Après sa mort, chaque personne était obligée de traverser la rivière à la nage : le passage était inoffensif aux justes, alors que les vils souffraient des tourments et des crampes. Yama fonctionnait aussi comme juge des morts et envoyait les vils souffrir dans les endroits de l’Enfer appropriés et les personnes aux actions nobles au Paradis. L’hindouisme apportait un point de vue différent, reflétant les idées philosophiques et spirituelles des Upanishads43. Ici, l’accent était mis sur la continuité cyclique de l’existence : une série de vies, de morts et de renaissances, de karma et de réincarnation. Dans ce contexte, le Paradis et l’Enfer étaient vus non pas comme des endroits de destinée ultime, mais comme des états intermédiaires alternant avec des séries d’existences humaines. La cosmologie traditionnelle Hindoue, comprenait quatorze royaumes transcendantaux : la moitié au-dessus de la terre (Sept Mondes Supérieurs ou « Paradis », Sapta Urdhvaloka, et l’autre moitié en-dessous (Sept Mondes Inférieurs ou Sapta Adholoka). La nature du passage de l’âme (jiva) de l’existence terrestre à une autre existence des Paradis ou des Enfers est déterminée par le karma44, un compte-rendu cumulatif des pensées, paroles et actions dans l’entière série des existences. La mythologie hindoue est extrêmement riche et elle décrit beaucoup de royaumes célestes et paradisiaques. Le plus important est le Mont Mérou, une montagne dorée au centre de l’Univers et du monde. En tant que centre du monde, le Mont Mérou se situe bien en-dessous du sol, dans les régions ténébreuses, et s’étend tout aussi loin vers les cieux. Les déités principales ont toutes leur propre royaume céleste sur ou près du Mont Mérou. Là leurs adorateurs résident à leurs côtés en attendant leur prochaine incarnation. Dans le Paradis de Vishnu, Vaikuntha, (le dieu) et son épouse Lakshmi, la déesse de la bonne fortune, de la générosité, de la beauté et de la pureté, se reposent au milieu des lotus, entourés de piscines décorées d’or et de bijoux précieux qui reflètent leur propre lumièreLe Paradis de Shiva se trouve sur le Mont Kailas, où il réside avec son épouse Parvathi. Le bouddhisme partage avec l’hindouisme une vue cyclique de l’histoire et de l’existence individuelle. Le monde samsarique - monde de l’espace, du temps et de l’histoire - est transitoire et 42 Védas : textes sacrés de l’Inde révélés aux Rishis -4000 à -2000 (NdT) 43 Upanishads : « enseignements des Védas reçus auprès du maître » quintessence philosophique des védas (NdT) 44 Karma : loi de cause à effet. Karma signifie aussi action (NdT). en flux constant. La mythologie bouddhiste abonde en cieux, paradis et enfers, bien trop nombreux pour pouvoir être décrits ici. Le corpus de textes fondateurs du bouddhisme Theravada connu sous le nom de Pali canon ou Tipitaka (les Trois Paniers), n’offre pas de compte-rendu spécifique des nombreux paradis et enfers. Généralement, les six cieux inférieurs et les nombreux enfers sont compris dans kamaloka, l’univers inférieur de sensualité où le désir est la motivation première. Les six cieux du domaine sensuel de kamaloka hébergent des rois, des dieux et des bodhisattvas. Les paradis bouddhistes des deux autres royaumes peuvent être atteints uniquement par la pratique religieuse rigoureuse et disciplinée. La première d’entre elles, rupaloka (le monde des formes) est le domaine des dieux lumineux de forme subtile et le second arupaloka (le monde sans forme) est le domaine des êtres à pure vie mentale. Les paradis des cinq Bouddhas Dhayni ou Thathagatas du bouddhisme tibétain méritent une attention spéciale et sont traités au chapitre 6. Quoique glorieux, les royaumes divins décrits par le bouddhisme n’échappent pas aux cycles de l’existence samsarique, et ils ne représentent pas le but le plus désirable de ceux qui sont en quête spirituelle bouddhiste. Ils sont plutôt des états intermédiaires entre une existence terrestre et une existence autre, des étapes intermédiaires pour ceux qui ne sont pas prêts à abandonner leurs désirs personnels et leurs attachements et à parvenir à la libération totale des limites de la personnalité – l’illumination qui transcende même les Paradis les plus élevés. La même chose vaut pour les Enfers qui ne représentent que des étapes intermédiaires dans le cycle de la mort et de la renaissance. L’ultime but des personnes bouddhistes est d’atteindre le Nirvana. Dans l’hinayana originel (le bouddhisme à véhicule mineur), le nirvana signifiait la libération finale du cycle de la mort et de la renaissance, éteignant la « soif de chair et de sang » (trsna ou tanha) et avançant vers le domaine de l’existence matérielle. Dans le bouddhisme plus tardif (Mahayana ou bouddhisme de véhicule supérieur), le nirvana pouvait être atteint lors de l’existence matérielle si l’on était capable de vaincre les trois « poisons » responsables de la souffrance dans le monde : l’ignorance, le désir et la colère. Le concept des domaines divins existe aussi dans la mythologie eschatologique mésoaméricaine. Les Aztèques distinguaient trois paradis différents où les âmes allaient après leur mort. Le premier et le plus bas d’entre eux, Tlalocan, terre d’eau et de brume, était une terre d’abondance, de bonheur et de sérénité. Le bonheur vécu était de type terrestre. Les défunts y chantaient des chansons, jouaient au saute-mouton et couraient après les papillons. Les arbres étaient pourvus de fruits et la terre était couverte de maïs, de potirons, de poivrons verts, de tomates, de haricots et de fleurs. TIillan-Tlapallan était le Paradis des initiés suiveurs de Quetzalcóatl, le dieu-roi symbolisant la mort psychospirituelle et la renaissance. On parlait de ce lieu comme étant celui du monde des êtres sans chair, résidence destinée à ceux qui avaient appris à vivre à l’extérieur de leur corps spirituel et qui n’étaient pas attachés à eux. Le Paradis le plus élevé était Tona-tuih Ichan, Maison du Soleil, un lieu pour ceux qui parvenaient à l’illumination complète. Ces personnes privilégiées étaient choisies comme compagnons quotidiens du soleil et vivaient une vie de plaisir pur. Les Mayas privilégiaient certaines catégories de morts – les guerriers qui mouraient aux champs de bataille, les femmes qui mouraient en accouchant, les prêtres et les personnes qui se suicidaient par pendaison. Ces êtres-là étaient immortels et jouissaient du bonheur éternel dans le paradis Maya sous l’arbre sacré ceiba, l’arbre du Monde qui traversait toutes les sphères célestes. Les images d’un endroit sublime pour les défunts apparaissent aussi dans bon nombre de cultures primitives. Ainsi par exemple, les tribus Indigènes des grandes plaines d’Amérique imaginaient l’endroit de résidence des morts, Happy Hunting Grounds (Lieux de Chasse Bienheureux), comme étant une vaste prairie où les défunts dansaient et festoyaient. Les esprits des guerriers morts montaient de magnifiques étalons et attrapaient la foudre à mains nues. Des royaumes similaires d’Indiens vivant à l’est du Mississippi et en Amérique du Sud accordent une attention toute particulière à l’agriculture et se concentrent sur la culture du maïs ainsi que sur les festivités agraires. A la fois dans l’Amérique du Nord et du Sud les états de transe des chamanes semblent avoir inspiré la croyance en deux âmes. L’une d’entre elles peut être séparée du corps au cours de la vie des personnes. Les chamanes nous informent également des obstacles que l’âme rencontre dans l’au-delà : des rivières sauvages, des troncs glissants unissant les deux berges des rapides torrents, des murs de feu, et des monstres effrayants qui tentent de rendre le voyageur fou. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les personnes esquimaudes voyaient leurs défunts dans la lumière de l’aurore boréale, jouant joyeusement avec la tête d’un morse. Les aborigènes australiens croyaient que la mort était le rite final de passage qui nous mène d’un lieu profane à un univers sacré. C’est un voyage extatique imaginé selon le premier voyage d’êtres surnaturels et d’ancêtres mythiques. L’esprit véritablement essentiel, l’esprit primordial et préexistant vient du ciel et au moment de la mort, il retourne vivre pour toujours dans le Rêve Eternel (alcheringa), où il résidait avant sa naissance. L’autre âme demeure sur Terre et s’immisce dans une autre personne. Des variations sur le thème des défunts fortunés peuvent se trouver parmi les tribus africaines, en Polynésie et dans bon nombre de groupes humains de différentes parties du monde. L’Enfer et le Purgatoire Le concept de l’Enfer et du Purgatoire, lieux où les défunts peuvent être exposés à des tortures inhumaines, est réellement omniprésent. Dans la tradition hébraïque le royaume des morts est She’ol, un grand trou ou ville emmurée sous la terre, « la terre de l’oubli », « la terre du silence » où les personnes désincarnées vivent dans la poussière, l’obscurité et l’ignorance, tout couverts d’asticots et oubliés de Yahvé. C’est une terre d’ombres car « l’esprit » ou « le souffle de vie » (ruah) grâce auquel Dieu attribue aux êtres humains la vie, en est absent. Une forme juive plus tardive du lieu des damnés de la vie après la mort était Géhenna, une profonde vallée de feu ardent. Originellement, Géhenna était une vallée à l’est et au sud de Jérusalem, où du Xème au VIIème siècle avant Jésus-Christ les Israélites brûlaient des enfants en sacrifice au dieu Moloch. L’imagerie de la crémation des humains a pallié au concept de « feu infernal » de l’eschatologie chrétienne et juive. Dans le tableau de l’Enfer chrétien, il y a une hiérarchie de démons vicieux qui exposent les damnés à des tortures inimaginables par la douleur physique, la suffocation, le feu furieux et l’exposition aux excréments. Cela représente des punitions spécifiques aux sept pêchés capitaux – l’orgueil, l’envie, la colère, la paresse, l’avarice, la gloutonnerie et la luxure. L’Enfer est situé très endessous du sol, avec des entrées situées dans de grands bois, des cratères volcaniques ou dans la bouche grande ouverte du Léviathan. Le Livre de la Révélation fait mention d’un lac qui brûle de flammes apocalyptiques et qui était la destination finale « des lâches, des infidèles, des impurs, des assassins, des fornicateurs, des sorciers, des idolâtres et de tous les menteurs ». Le froid et la glace sont décrits également comme des instruments infernaux de torture mais moins fréquemment. La foi catholique romaine possède aussi ce concept de Purgatoire, un état intermédiaire après la mort, pendant lequel les pêchés vénaux peuvent être expiés et la connexion à Dieu retrouvée. Le christianisme dans certaines de ses formes a élaboré une distinction entre le Purgatoire, qui est un lieu de punition et de purification temporaire et les Limbes un endroit d’attente pour les païens et les enfants non-baptisés par exemple. Les enseignements chrétiens concernant le Ciel, l’Enfer et le Purgatoire trouvèrent leur expression la plus puissante dans le chef d’œuvre de Dante, la Divine Comédie. Le tableau de l’Enfer islamique est très semblable à celui de la tradition judéo-chrétienne dont il est dérivé. Miraj Nameh qui traite du voyage miraculeux de Mohamed mentionné plus haut dans ce chapitre, décrit l’Enfer musulman, Géhenna, tel que Mohamed le vit au cours de sa visite avec l’Archange Gabriel. Le portail de Géhenna est gardé par l’ange Malik qui parla pour la première fois lors de la visite de Mohamed. La Nature chez Géhenna est laide et dangereuse, des arbres infernaux donnent des fruits empoisonnés ayant la forme de démons. Les damnés souffrent de cruelles tortures et de châtiments : ils sont pendus et étranglés, leur langue est coupée, ils sont exposés au pus et à l’eau bouillante, leur corps est rôti au feu et leur peau est régénérée afin d’être brûlée à nouveau et infiniment. Ils souffrent en outre de nombreuses autres formes d’agonie qui dépendent de la nature de leurs transgressions. La tradition islamique possède également un état intermédiaire pour les âmes : barzakh (littéralement « barrière »), endroit ou condition dans laquelle Justes et Injustes attendent le jour de la résurrection. L’image Zoroastrienne de l’Enfer est particulièrement choquante et révoltante, comme on peut le voir graphiquement dans le Livre d’Arda Viraf, mentionné plus haut. L’Enfer est dans le nord lointain, dans les profondeurs de la terre, un endroit obscur, horrible et puant, empli de démons. Là, les âmes damnées, les « suiveurs du mensonge » demeurent après leur mort, dans la douleur et dans le malheur jusqu’à ce que le Dieu de l’Obscurité, Ahriman lui-même soit détruit. Les Injustes sont torturés par les démons, des créatures vicieuses (Khrafstars) des serpents et des scorpions. Ils souffrent de faim et de soif, mangent de la saleté, sont fouettés par des serpents, démembrés de façon répétée et exposés à d’autres tourments aussi dégoûtants que sordides. Les raisons de ces châtiments cruels incluent la sodomie, la violation des tabous menstruels, l’adultère et le sacrilège de l’eau et du feu. D’après la religion zoroastrienne, l’Enfer n’est pas un châtiment éternel. Les tortures se prolongeront seulement jusqu’au jour de la victoire de Ahura Mazda sur Ahriman, jour de la bataille cosmique et renouvellement du monde (frashegird). La religion zoroastrienne possède également un lieu intermédiaire appelé hamestagant pour ceux qui ne méritent ni le Paradis, ni l’Enfer, parce que le poids de leurs bonnes pensées, de leurs bonnes paroles et de leurs bonnes actions est égal au poids des mauvaises. Ces âmes demeurent dans des espèces de limbes, un lieu d’ombres sans joie ni tourment. Le monde souterrain grec, Tartare ou Hadès était un monde souterrain d’obscurité, décrit par Homère comme étant « les détestables chambres de la déchéance qui emplissent les dieux euxmêmes d’horreur ». La rivière principale du monde souterrain était le Styx puant, que les grecs devaient traverser sur la barque de Charon, en échange de quelques pièces de monnaie. Les morts dans les Enfers grecs, étaient des doubles anémiques, des ombres qui devaient être ranimées à l’aide de sang, de boisson alcoolisée au miel, de vin et d’eau de manière à être capables de parler. Le gardien de l’entrée des Enfers était Cerbère, le chien à trois têtes. La Mythologie grecque mettait en scène des figures archétypales vivant des souffrances éternelles disproportionnées lorsqu’ils avaient offensé les dieux. Ceux qui avaient insulté personnellement Zeus étaient emprisonnés dans le puits sans fond du Tartare, et devaient supporter des tourments agonisants. Sisyphe qui essaya de tromper la mort fut relégué au puits le plus profond de l’Hadès, faisant rouler incessamment un rocher en haut d’une colline. Tantale qui essaya de tester l’omniscience des dieux en leur servant son fils démembré Pélops en guise de repas, fut placé dans une piscine d’eau claire avec de l’eau jusqu’au cou, sous une vigne de raisins frais. Il devait endurer et la faim et la soif, incapable d’atteindre ni l’un, ni l’autre. Ixion qui essaya de séduire Héra fut crucifié sur une roue ardente qui tournait incessamment à travers l’Hadès. Prométhée, le Titan qui déroba le feu à Zeus pour le donner aux hommes avec la connaissance de l’artisanat de la technologie fut enchaîné à un rocher dans les montagnes du Caucase et attaqué par l’aigle de Zeus qui lui dévorait le foie. Les Enfers Nordiques, Niflheim ou Helheim, étaient situés sous les racines de l’arbre du Monde, Yggradsil, et étaient gouvernés par la déesse fougueuse et impitoyable Hel. C’était un monde froid, obscur et brumeux situé au nord du Vide (Ginnungagap) à partir duquel et dans lequel le monde fut crée. Niflheim, également appelé monde de l’obscurité, était divisé en plusieurs sections, dont l’une d’elle était Naströnd, la berge des cadavres. Là, un château orienté vers le nord était empli du venin des serpents, dans lequel des criminels, des adultères et des parjures enduraient des tourments. Pendant ce temps, le dragon Nidhogg suçait le sang de leurs corps. Nilfheim contenait un puits, Hvergelmir, d’où affluaient de nombreuses rivières. Les guerriers courageux qui succombaient pendant les batailles n’allaient pas à Helheim mais rejoignaient le dieu Odin, à Valhalla, le Hall des Défunts. Les images d’Enfers froids ne sont pas exceptionnelles dans la mythologie mondiale. Ils existaient dans le christianisme médiéval et faisaient également partie des Enfers tibétains. Dante utilisa l’image médiévale de l’enfer froid pour le cercle le plus bas de l’Enfer et dépeint Satan au milieu de la terre, assis dans une piscine de son sang glacé. De nombreux types et niveaux de l’Enfer existent dans l’hindouisme et le bouddhisme. Tout comme les nombreux Paradis, ils ne sont pas des lieux où les défunts demeurent pour toujours mais simplement des étapes transitoires dans le cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance. Les Enfers dans le bouddhisme sont vus comme une création de l’esprit : remplis de déception de soimême et d’égocentrisme, les tortures que l’on y vit sont au moins de formes aussi multiples, diaboliques et ingénieuses que celles décrites dans d’autres traditions. Outre les domaines infernaux, où les punitions impliquent châtiments corporels et suffocation, la mythologie bouddhiste décrit des Enfers chauds aux murs de feu, des rivières de fer fondu et de la lave qui coule des volcans. Les Enfers froids sont également décrits en détail : les pêcheurs sont torturés par un froid glacial et souffrent de la morsure du froid. Le temps de passage dans ces enfers, reflète la quantité de karma diabolique qui doit être consommée. Dans l’Enfer Avichi (littéralement « espace nul ») les fautifs souffrent des tortures abominables pour d’innombrables kalpas (eons45 Brahamaniques). Lorsqu’ils émergent de l’Enfer, ils se dégradent à l’état animal, chiens ou chacals couverts de blessures et de croûtes. Dans les Enfers bouddhistues il y a des juges qui décident du destin des défunts. Par exemple, Emma-O, une figure d’un des Enfers bouddhistes japonais, juge à l’aide de ses deux têtes graves. La tête rouge lui rapporte toutes les mauvaises actions des défunts et la tête blanche toutes les bonnes. Il juge les âmes des hommes tandis que sa sœur juge les âmes des femmes. Les Enfers bouddhistes chinois ont parfois quatre ou dix juges infernaux. Les Enfers Aztèques, Mictlan, étaient une région de totale obscurité gouvernée par le terrible Seigneur des Enfers, Mictlantecuhtli. Sa tête était couverte d’un masque en forme de crâne humain, ses cheveux noirs bouclés étaient parsemés d’yeux étoilés et un os humain sortait de son oreille. Dans la tradition Aztèque, ce n’était pas la conduite des défunts qui déterminait leur destin après leur mort mais leur occupation et la façon dont ils étaient morts. Ceux qui n’étaient pas choisis pour aller à l’un des Paradis, étaient soumis, une fois arrivés à Mitclan, à une série de jugements magiques où ils devaient traverser neufs Enfers avant d’atteindre leur lieu de repos final. Ces enfers n’étaient pas des endroits où les méchants allaient pour y être punis, mais étaient considérés comme des points de transition nécessaires dans le cycle de la création. En effet, dans le processus cosmique de la tradition Aztèque, toutes les choses créées devenaient inévitablement de la matière puis elles retournaient à la lumière de leur créateur. J’ai décrit les Enfers des cultures primitives tels qu’ils étaient vécus par les chamanes dans leur crise initiatique et lors de leurs voyages ultérieurs. Dans ce chapitre j’ai également fait référence à de nombreux Enfers en présentant les figures archétypales représentant la mort et la renaissance ainsi que leurs histoires (voir chapitre 3). La description la plus élaborée du voyage posthume de l’âme comprenant les scènes de jugement peut être trouvée dans les Livres des Morts. Ces célèbres livres eschatologiques sont explorés dans le chapitre qui suit. Chapitre 6 LES LIVRES DES MORTS : MANUELS DE VIE POUR LES VIVANTS ET LES MORTS46 Mors certa, hora incerta La mort est sûre, son heure ne l’est pas - Ars Moriendi 45 Eons : terme philosophique évoquant la puissance éternelle du créateur (N.d.T) 46 Pour ce chapitre, consulter les illustrations en couleur et en noir et blanc (NdT) LA CONNAISSANCE des réalités transcendantales obtenues dans les états de conscience holotropiques a inspiré dans plusieurs parties du monde des textes spéciaux décrivant le voyage posthume de l’âme. Ce chapitre explore le plus célèbre de ces « livres des morts », ces documents anciens dédiés aux problèmes de la mort et de l’agonie. Le plus ancien d’entre eux est Le livre Egyptien des Morts, ou Pert Em Hru, littéralement « Manifestation dans la Lumière », un ensemble de papyrus égyptiens et d’inscriptions décorant les murs des pyramides et des tombes. Le Livre Tibétain des Morts, connu sous le nom de Bardo Thödol, ou « Libération par l’écoute du plan d’après la vie » est probablement le plus célèbre de ces textes. Les exemples d’Amérique Centrale de littérature eschatologique comprennent des textes Toltèques et Aztèques, des manuscrits codex, Codex Borgia et Codex Brobonicus. Autre texte notoire, le texte Maya des Morts, reconstitué à partir des tableaux et des textes des vases funéraires du Ceramic Codex. Nous traiterons de ces exemples dans le détail, ci-dessous ; puis nous passerons en revue les textes eschatologiques européens médiévaux, connus sous la désignation d’Ars Moriendi. Au début de l’intérêt des universitaires européens pour les livres anciens des morts, ces ouvrages étaient vus comme des comptes-rendus fictifs du voyage posthume de l’âme, des fabrications souhaitées par des personnes qui étaient incapables d’accepter la réalité inévitable de la mort et de l’impermanence. Ces textes furent relégués à la même catégorie que les contes de fées. On les considérait comme des créations imaginaires de l’homme, pourvus d’une beauté artistique certaine, mais qui n’avaient aucune pertinence dans la vie de tous les jours. Cependant, une étude plus en profondeur a révélé qu’ils avaient servi de guides dans la pratique spirituelle profonde lors des mystères de la mort et de la renaissance. Il devint alors relativement évident que les livres des morts décrivaient de manière assez juste les expériences des initiés, des chercheurs spirituels et de leurs praticiens. Cette nouvelle perspective suggéra que ces textes pouvaient avoir été présentés initialement par les prêtres comme des manuels pour les morts simplement afin d’obscurcir leur fonction véritable : c’était là un déguisement intelligent fait pour protéger leur message ésotérique vis-à-vis des non-initiés. La recherche moderne de la conscience a apporté de nouvelles perspectives à prendre en considération. Des études thanatologiques de situations dans lesquelles la vie était menacée, ainsi que d’expériences de mort imminente, montrèrent que de telles expériences manifestaient en fait bien des caractéristiques présentes dans les textes eschatologiques et dans les mythologies des cultures anciennes et préindustrielles. Ce processus de découvertes étonnantes continua lorsque des études systématiques des expériences observées lors de sessions psychédéliques, et dans des formes puissantes de psychothérapie n’impliquant pas de drogues, ainsi que dans des crises psychospirituelles spontanées, révéla que beaucoup d’entre elles étaient étonnamment semblables à celles décrites dans les livres anciens des morts (Leary, Alpert et Metzner 1964, Masters et Houston 1966, Grof 1975). Les chercheurs ont découvert, à leur grand étonnement que pendant les voyages visionnaires, leurs clients vivaient le même genre d’expériences que celles qui figuraient dans les livres anciens des morts ; à savoir : la mort psychospirituelle et la renaissance, le jugement divin, des rencontres avec des déités heureuses et colériques, des mémoires d’incarnations passées, ainsi que des visites aux royaumes de l’Au-Delà. Ces royaumes étaient soit des jardins paradisiaques célestes soit des régions infernales. Le symbolisme spécifique de ces expériences était tiré de mythologies variées, provenant de différentes parties du monde ; il ne s’agissait pas nécessairement de l’héritage culturel du sujet. Cela mettait souvent en jeu des figures mythologiques, des royaumes et des motifs à propos desquels les individus respectifs n’avaient aucune connaissance intellectuelle. Il devint évident que ces expériences étaient les manifestations de l’inconscient collectif décrit par Jung (voir chapitre 3) qui affleurait à la conscience dans les états de conscience holotropiques, et que les livres des morts étaient en fait des cartes des profonds territoires de la psyché. La capacité à faire l’expérience de ces profonds contenus de l’inconscient est présent en chacun de nous. Malgré cela, bon nombre d’entre nous n’accèdent jamais à ces domaines, et ils n’ont pas non plus conscience de leur existence jusqu’au jour de leur mort biologique, lorsqu’ils se retrouvent catapultés dans ce territoire. Cependant, pour certaines personnes, ce domaine expérimental apparaît dans leur vie dans des situations variées : dans les séances psychédéliques, dans les formes de psychothérapie et d’exploration de soi puissantes, dans la pratique spirituelle systématique, dans la participation aux rituels chamaniques ou encore lors de crises psychospirituelles spontanées. Ainsi il devient possible de rentrer et de traverser ces territoires ordinairement cachés de la psyché et d’obtenir par là une connaissance intime de ces territoires avant la mort biologique. Comme nous l’avons mentionné précédemment, en abordant la question de la mort et de la renaissance dans le chamanisme, les rites de passage et les mystères anciens (voir les chapitres de 1 à 3), cet entrainement à la mort par l’expérience, ou à « mourir avant de mourir », a de profondes conséquences. Les individus sont libérés de leur peur de la mort, leur attitude à l’égard de leur mortalité s’en trouve transformée et leur expérience de la mort au moment de leur décès biologique est radicalement modifiée. Par conséquent, il n’y a pas de différence fondamentale entre la préparation pratique à la mort d’une part, et entre la pratique spirituelle menant à l’éveil d’autre part. C’est la raison pour laquelle les anciens livres des morts peuvent être utilisés dans ces deux situations. Grâce aux conclusions des recherches modernes sur la conscience durant ces quatre dernières décennies, nous pouvons désormais faire davantage que simplement nous référer aux contenus des livres des morts et revoir l’information amassée par les universitaires qui ont analysé lesdits textes. Nous pouvons désormais comparer cette information à l’observation de la thanatologie et les autres domaines des recherches actuelles (telle que les études psychédéliques, la psychothérapie expérimentale, l’anthropologie et la religion comparative), et ainsi démontrer la pertinence de ces textes anciens pour les lecteurs contemporains. Manifestation dans la Lumière : Le Livre Egyptien des Morts L’un des textes funéraires les plus célèbres est le Livre Egyptien des Morts ou Pert Em Hru. Son nom en anglais47 est inexact, étant donné qu’il suggère qu’il s’agit d’un travail compréhensif et cohérent associé à un auteur spécifique, ou du moins à une période historique définie. En fait Per Em Hru est une collection vaste et hétérogène de textes comprenant des sorts et des incantations, des prières et des hymnes, des litanies et des formules magiques, des histoires mythologiques et des instructions pour la momification et pour d’autres procédures faites aux défunts. Ces textes sont originaires de différentes parties d’Egypte et ils datent d’époques historiques différentes ; au total, ils brassent une période d’environ cinq millénaires. Le titre « Livre Egyptien des Morts » a été donné aux rouleaux de papyrus à inscriptions ayant été retrouvés près des momies par les pilleurs de sarcophages : « Kitab-El Matum » ou « Livre de la personne décédée ». Le titre original égyptien Pert Em Hru est généralement traduit par « manifestation de la lumière » ou encore « venue du jour ». Les anciens scribes faisaient des sélections spécifiques, dans ce grand corpus de textes funéraires, destinées à des individus importants. Ils rassemblaient ces passages en une histoire compréhensive, qu’ils illustraient richement. Ces passages étaient ainsi des narrations ad personam décrivant le voyage posthume de l’individu qui y était impliqué. Plutôt qu’un texte uniforme et standard - qui serait le « Livre Egyptien des Morts » - nous trouvons des histoires uniques, originales et individualisées qui contiennent les noms des défunts, tout comme les inscriptions et les peintures sur les murs des tombes des pharaons Séti ou Thutmès, ou sur les papyrus de Ani, Hounéfer, ou Anhaï qui sont exposés au British Museum à Londres. Ces textes funéraires étaient écrits originellement seulement pour les rois et ils étaient inscrits sur les murs de certaines pyramides, telles que celles érigées en l’honneur des pharaons Chéops, Chépren et Mykérinos à Sakkarah. Les pyramides et les pharaons pour qui ils étaient écrits avaient un rapport avec le dieu du Soleil Ra. Ces textes des pyramides furent écrits entre 2350 et 2175, et ce sont les archives les plus anciennes non seulement de l’Egypte mais de l’histoire de 47 Tout comme son nom français qui est une traduction à partir de l’anglais (NdT) l’humanité. Cependant les informations qu’ils contiennent font référence à des sources encore plus archaïques : la préoccupation pour la vie après la mort et la croyance en l’au-delà ayant conduit à la pratique de la momification peuvent être trouvées en Egypte depuis 3100 avant Jésus-Christ. Depuis 1700 avant Jésus-Christ, la pratique consistant à écrire des textes funéraires fut étendue des pharaons aux membres de la noblesse et aux autres personnes célèbres. Ces textes plus récents ont pris la forme de manuscrits qui furent insérés dans des cercueils en bois. C’est la raison pour laquelle on les appelle les « textes des cercueils ». Les plus célèbres de ces textes funéraires, tels que les papyrus d’Ani, de Hounéfer et d’Anhaï, viennent de la ville de Thèbes. Les deux premiers papyrus datent du XVème siècle avant Jésus-Christ, au point culminant de l’histoire de Thèbes. Le dernier date du onzième siècle, l’époque du déclin de la ville. Le Dieu du Soleil Amon Ra, figure principale de Pert Em Hru, était la déité de l’état de Thèbes. Du premier jusqu’au dernier, les textes de Pert Em Hru manifestent la croyance inaltérable des Egyptiens en l’immortalité de l’âme, en la résurrection et en la vie après la mort. Cependant, étant donné que les textes funéraires égyptiens brassent une période d’environ cinq mille ans, ce message n’a pas d’unité, contrairement à leur équivalent Tibétain, le Bardo Thödol. Même une société aussi conservatrice que l’Egypte a traversé des changements culturels significatifs au cours de plusieurs millénaires. En outre plusieurs villes égyptiennes avaient leurs préférences concernant les déités principales et de sérieux différents - des conflits et des luttes de pouvoir- eurent lieu entre les prêtres d’Héliopolis, de Memphis, de Thèbes et d’Hermopolis. Par ailleurs, lorsque les anciens Egyptiens adoptaient de nouveaux dieux, ils refusaient néanmoins par conservatisme d’abandonner leurs anciens dieux. Les vieilles déités continuèrent alors à exercer leur influence ce qui compliqua encore davantage la situation. Malgré leur grande complexité, on peut discerner deux courants idéologiques majeurs dans les textes funéraires égyptiens, personnifiés par les déités Ra et Osiris. Dans bon nombre d’entre elles, le thème central est le voyage nocturne et diurne du Dieu du Soleil Ra. Il se levait quotidiennement de l’est, derrière Manu, la montagne du lever du soleil, voyageait sur la barque de Manjet, la barque de Millions d’Années, et commençait à traverser le ciel égyptien. Ra était accompagné par d’autres déités lors de son voyage triomphant. Durant le jour, il traversait le ciel, apportant chaleur, lumière et vie à la terre. Au moment de son coucher, la barque du Soleil passait entre les montagnes de l’Ouest. Là, le dieu du Soleil et son équipage prenaient une autre barque, le Mesektet, et ils s’embarquaient sur leur voyage nocturne au monde des ténèbres appelé Tuat. Le Tuat, tel que le voyaient les Egyptiens, était un endroit obscur et traitre, divisé en douze portions, généralement appelées arrits (halls) ou sekhets (champs). Chaque division correspondait à une heure de la nuit, période pendant laquelle le dieu du soleil devait la traverser. La géographie et la population du Tuat étaient très complexes. Tous les arrtis avaient des portails avec des gardiens spécifiques, des surveillants et des messagers, et chacun d’entre eux avait son décor caractéristique, ses habitants reconnaissables, et ses dangers uniques. Tandis que Ra traversait la rivière infernale, les nombreux dieux et démons qui habitaient chacune de ces portions, venaient tirer sa barque, car aucun vent ne pouvait pénétrer le Tuat. Ils étaient dirigés par la déesse de l’heure qui ouvrait la porte de l’heure suivante. Ra et ses compagnons affrontaient des paysages de feu ardent, où la chaleur, la fumée et les vapeurs détruisaient les narines et les bouches. Beaucoup d’être hideux et de créatures fantastiques les menaçaient sur leur passage. Le plus dangereux de ces périls était le frère d’Osiris, Seth, qui prenait la forme de Apep, un serpent gigantesque qui essayait de dévorer le disque solaire juste avant le lever du soleil. Ces Egyptiens qui adoraient Ra comme déité principale croyaient qu’après leur mort physique ils s’uniraient à lui et à son entourage divin et qu’ils voyageraient en sa compagnie dans sa barque solaire. Leur texte principal était Am Tuat ou le livre de Ce qui est dans le Tuat, écrit par les prêtres d’Amon Ra. Ce livre affirmait l’absolue suprématie du Dieu du Soleil dans les domaines des défunts et montrait que tous les dieux des morts à travers l’Egypte lui rendaient hommage. Le Am Tuat donnait des renseignements aux suiveurs d’Amon Ra sur les portions du Tuat et ses nombreux halls et portails. Cela leur donna aussi les noms des êtres qui gardaient les portions et les formules magiques nécessaires. Le second thème des textes de Pert Em Hru, venait d’une tradition encore plus ancienne : celle de l’ancien dieu mortuaire Osiris. Osiris était l’un des quatre enfants divins de Geb, (le dieu de la Terre), et de Nut, (la déesse du Ciel). Il avait deux sœurs, Isis et Nephtys, et un frère, Seth. Osiris était aussi le mari de sa sœur Isis ; Nephtys était mariée à Seth. Seth complota contre Osiris, le tua et découpa son corps en petits morceaux. Il en confia les morceaux aux quatre vents et les dispersa tout autour du Delta du Nil. Avec l’aide du dieu à tête de chacal, Anubis, fils de Nephtys, Isis et Nephtys retrouvèrent tous les morceaux dispersés du corps de leur frère, et ils les rassemblèrent dans une peau. Puis ils ressuscitèrent Osiris en utilisant l’œil du dieu à tête de faucon Horus, le fils qu’Isis conçu d’Osiris mort. Plus tard, Horus vengea son père. Au cours d’une lutte difficile, Horus vainquit Seth et le castra. La mort et la résurrection d’Osiris étaient pour les Egyptiens un élément mythologique important pour la croyance en la vie après la mort et pour le processus de mort et de renaissance psychospirituelle. La lutte entre Horus et Seth devint ensuite une métaphore de la bataille cosmique entre les forces de la lumière et de l’obscurité, ou du bien contre le mal. Seth était souvent dépeint de manière très négative, comme l’ennemi vicieux et fourbe de son frère Osiris. Cependant toutes ces histoires ne sont pas aussi extrêmes et certaines d’entre elles rendent compte de l’animosité de Seth envers son frère. Nephtys était mariée à Seth, mais ses faveurs allaient à Osiris. Seth étant le dieu de l’aridité, il était incapable d’avoir des enfants, et son mariage n’en comptait pas. Grâce à de l’alcool et déguisée en Isis, Nephtys réussit à séduire Osiris et conçut avec lui leur fils Anubis. Osiris prit également les rênes du pouvoir du Royaume dont Seth et lui avaient hérité conjointement. Dans ce contexte, l’hostilité de Seth envers Osiris apparaît justifiée ou du moins compréhensible. D’après la sagesse eschatologique égyptienne, les adorateurs d’Osiris, commencèrent leur voyage posthume de la même façon que les suiveurs de Ra - en montant à bord de la barque solaire. Cependant, ils l’utilisaient seulement comme moyen de transport aux Enfers ; leur destination finale était le royaume d’Osiris. Pour y avoir droit, ils devaient passer l’épreuve du jugement divin dans le hall de Maat, la déesse de la justice. Ils étaient escortés à ce hall par le dieu à tête de chacal Anubis, qui était une déité funéraire importante : à la fois le messager de la mort et l’inventeur de l’embaument. Dans les étapes antérieures du voyage posthume, Anubis supervisait l’embaument et réalisait la cérémonie de l’Ouverture de la Bouche de la momie, une chose qui rendait possible aux défunts de percevoir les royaumes de l’au-delà. Le jugement divin débutait sous la supervision d’un panthéon de déités par la récitation de la « confession négative » au cours de laquelle les défunts affirmaient qu’ils n’avaient pas commis de pêchés. Puis, il y avait le « pesage des âmes », présidé par le dieu à tête d’Ibis Thot dans le rôle du juge impartial. Thot un mystérieux dieu qui s’était auto-engendré était l’inventeur de la parole, des hiéroglyphes sacrés, des mathématiques, de la magie, de l’ingénierie et de la divination. Anubis se tenait au milieu du Hall de Maat, à côté d’une grande balance décorée par la statuette de la déesse, et c’est là qu’il pesait le cœur du défunt au moyen d’une plume d’autruche, symbole de la déesse Maat et de la justice suprême. Le cœur était considéré comme étant le siège de la conscience et de l’intelligence responsable des actions ; la plume symbolisait l’ordre éthique cosmique. Si la balance avec le cœur et celle avec la plume d’autruche, n’étaient pas en parfait équilibre, le défunt était dévoré par Amemet, le Dévoreur des Âmes, un monstre hybride qui était à la fois lion, crocodile et hippopotame. L’individu condamné devenait alors l’un des habitants des régions mornes des Enfers. Si le défunt passait outre le jugement, il était amené et présenté à Osiris par le dieu à tête de faucon Horus. Les suiveurs d’Osiris qui réussissaient à passer outre le jugement et qui étaient reçus par lui dans son royaume, jouissaient d’une existence heureuse à Sekhet Hetepet ou les Champs Bienheureux, une réplique paradisiaque de la vallée du Nil. Là, ils jouissaient de la vie éternelle et se mêlaient librement aux dieux et aux autres esprits des défunts, mangeant le « Pain de l’Eternité », et buvant la « Bière de la Vie Eternelle ». Ils passaient du temps à parler et chanter avec leurs amis et à jouer aux dames. On attendait des défunts qu’ils cultivent les champs, et qu’ils conservent les canaux d’irrigation d’Osiris, mais le travail agricole était aisé et donnait des récoltes extraordinairement riches. Ce travail pouvait également être accompli par les figures ushabti qui avaient été placées dans leurs tombes. Le livre des Portes était le principal texte des suiveurs d’Osiris, et il fut rédigé pour prouver que, malgré les assertions des prêtres d’Amen-Ra, Osiris, l’ancien dieu des morts, était encore le dieu Suprême des Enfers. La version la plus complète de ce texte, qui fut trouvée sur les sarcophages d’albâtre du pharaon Séti Premier (autour de 1375, avant Jésus-Christ), était composée de deux parties. La première partie était une série de textes et de dessins décrivant le voyage dans la barque solaire au Royaume d’Osiris, le jugement des morts, la vie des béatifiés à Sekhet Hetepet, et le châtiment des cruels et des traitres du Dieu du Soleil et d’Osiris. La seconde partie contenait une série de textes et de dessins représentant les cérémonies magiques qui étaient données dans les temps les plus anciens pour faire en sorte que le Dieu du Soleil se lève chaque jour. Dans la tradition mystique de l’Egypte, l’expérience de la mort et de la renaissance n’était pas un obstacle au moment de la mort biologique. Dans les mystères des temples sacrés d’Isis et d’Osiris, on donnait aux initiés l’opportunité d’affronter la mort bien avant la vieillesse ou avant que la maladie ne les force à le faire. Le fait de vivre le processus de mort et de renaissance psychospirituelle leur permettait de conquérir la mort et de découvrir leur propre immortalité. Comme je l’ai mentionné au début de ce chapitre, les processus initiatiques de ce type n’aidaient pas seulement les néophytes à dépasser leur peur de la mort, mais ils transformaient également profondément leur façon d’être au monde. Les anciens Egyptiens voyaient de profonds parallèles entre les aventures du Dieu du Soleil pendant son voyage diurne et nocturne, les états associés à la mort biologique et les expériences des néophytes dans les mystères sacrés. La recherche moderne de la conscience a jeté de nouvelles lumières sur les connexions et les interrelations entre ces trois situations, et elle a fait passer les croyances eschatologiques des anciens Egyptiens du monde de la superstition première au domaine de la psychologie transpersonnelle. La technique de l’embaument et des rituels qui y étaient associés était une partie essentielle des pratiques eschatologiques égyptiennes. Les momies les plus anciennes viennent de la période Thinite (3200-2780, avant Jésus-Christ). La pratique était déjà bien établie en 2400 lorsque les textes des pyramides furent composés. L’embaument existait jusqu’au IVème siècle après JésusChrist, période à laquelle il fut interrompu en raison de l’influence du christianisme. Bon nombre de passages de Pert Em Hru montrent que les Egyptiens avaient une peur terrible de la décomposition du corps et c’est la raison pour laquelle ils mettaient tant d’efforts à l’entraver. Ils croyaient que le corps physique était une partie importante de la personnalité humaine et que son intégrité était nécessaire à leur bien-être dans l’Au-Delà. Le Ka du défunt - ou génie protecteur symbolisé par les statues représentant le défunt placées à côté de la momie dans la tombe - était vu comme la partie transcendante d’un être-humain qui sortait du corps et voyageait vers l’est pour rencontrer son double céleste. Par conséquent, le Ka résidait au Paradis mais également à côté de la momie dans la tombe et il devait être nourri par la famille pour survivre. Occasionnellement la tombe était aussi revisitée par Ba, terme généralement traduit par le mot âme : la partie de l’humain qui venait à exister au moment de la mort. Ba était généralement représenté par un homme à tête de faucon. Aucune culture dans le monde n’a jamais fait preuve d’autant de détermination à empêcher et à renverser les conséquences de la mort. Les Egyptiens combinaient bon nombres de pratiques pendant des milliers d’années pour contrer le problème de la mort. Cela comprenait leur techniques d’embaument, les rituels magiques et l’architecture monumentale. La partie expérimentale de ces efforts était l’institution des mystères d’Isis et d’Osiris qui offraient aux initiés la technique et le contexte pour la mise en place d’expériences profondes de mort et de renaissance. Libération par l’écoute des plans de la vie après la mort : Le Livre Tibétain des Morts Beaucoup de cultures et de religions possèdent des mythologies élaborées avec de vives descriptions de déités et de démons mais aussi avec un scénario complexe de domaines archétypaux. Cependant aucun d’entre eux n’égale la riche et méticuleuse iconographie du Bouddhisme Tibétain. Cette sagesse trouva son expression dans le Livre Tibétain des Morts ou Bardo Thödol, qui offre des comptes-rendus détaillés d’une grande variété de déités bienheureuses et colériques, et d’autres habitants archétypaux du plan post-mortuaire. Ces figures sont décrites avec une précision étonnante, aussi bien dans leur apparence physique que dans leurs caractéristiques spécifiques, leurs attributs symboliques et les couleurs associées. Le Bardo Thödol est un texte funéraire d’origine bien plus récente que son équivalent égyptien et a bien davantage de consistance intérieure et de congruence. Contrairement à Pert Em Hru, il est à la fois bien défini et homogène, et son auteur et sa date approximative de réalisation sont connus. Le Bardo Thödol, quoique clairement fondé sur des contenus bien plus anciens, fut d’abord rédigé au VIIIème siècle après Jésus-Christ par le Grand Gourou Padmasambhava. Ce maître spirituel légendaire, introduisit le Bouddhisme au Tibet et posa les fondements de vajrayana, un amalgame unique d’enseignements bouddhistes et d’éléments de tradition indigène appelés Bön, qui avait été la principale religion du Tibet avant l’arrivée de Padmasambhava. D’après la tradition bouddhiste tibétaine, Padmasambhava utilisait ses extraordinaires pouvoirs spirituels pour amadouer les déités locales féroces Bön et transformer certaines d’entre elles en protecteurs du Bouddhisme. On ne connaît pas grand chose à la religion pré-bouddhiste du Tibet, Bön. Cependant la préoccupation concernant la continuité de la vie après la mort semblait être l’un de ses traits dominants, car elle comprenait des rituels élaborés pour s’assurer que l’âme de la personne décédée était conduite de façon sûre vers l’Au-Delà. Des animaux sacrifiés, des repas, des boissons et de nombreux objets précieux accompagnaient la personne décédée lors de son voyage posthume. Lorsqu’un roi ou un homme noble venait à mourir, les rites funéraires étaient particulièrement élaborés. Dans ces cas là, le sacrifice comprenait l’immolation de quelques compagnons humains choisis ; les cérémonies impliquaient beaucoup de prêtres et d’officiers de la cour et duraient plusieurs années. Outre le fait qu’ils assuraient le bonheur de la personne décédée dans l’Au-Delà, ces rites étaient également censés bénéficier le bien-être et la fertilité des vivants. (Lorsqu’un roi mourait, les rites étaient vus comme bénéfiques à la société tout entière). Le Bön original avait des composantes animistes et chamaniques, et ses autres traits caractéristiques comprenaient le culte des dieux locaux, plus particulièrement les déités guerrières et montagnardes, et l’utilisation des états de transe pour les activités oraculaires. Après l’arrivée du Bouddhisme au Tibet, ces deux systèmes religieux coexistèrent, et malgré leur nature séparée et leurs différences, ils s’enrichissaient mutuellement. Dans leurs formes extrêmes, il est relativement aisé de distinguer le bouddhisme originel et la religion Bön. Cependant, en pratique, les deux ont été tellement combinés que pour bien du monde ils fusionnaient en un seul système de croyance. Les éléments non-bouddhistes sont particulièrement prédominants dans la pratique ésotérique Chöd, un rituel terrifiant de sacrifice délibéré de soi-même offert aux démons locaux sur une base charnelle, comme chez certains yogis ascétiques. Le nom Chöd, signifiant littéralement « coupé » fait référence à la coupe de l’ego et de tout ce qui y est associé par l’offrande de son corps, de son esprit et de tous les attachements aux êtres les plus affamés et les plus effrayants. L’influence de la religion Bön est également aisément reconnaissable dans le remarquable Bardo Thödol. En tant que guide destiné aux mourants et aux morts, le Bardo Thodöl est un manuel destiné à aider les défunts à reconnaître, avec l’assistance d’un lama compétant les états variés intermédiaires entre la mort et la renaissance de manière à atteindre la libération. Les Etats de conscience associés au processus de la mort et de la renaissance appartiennent à une plus grande famille d’états intermédiaires ou bardos : 1. L’état naturel du bardo et l’existence intra-utérine (Chenay Bardo) 2. Le bardo de l’état de rêve (Milam Bardo) 3. Le bardo de l’équilibre extatique pendant la méditation profonde (Samten Bardo) 4. Le bardo du moment de la mort (Chikhai Bardo) 5. Le bardo des illusions karmiques suivant la mort (Chönyid Bardo) 6. Le bardo du processus inverse de l’existence sangsarique par la recherche de la renaissance (Sidpa Bardo) Commentaire [E13]: Même si le Livre Tibétain des Morts est ostensiblement écrit pour enseigner à mourir, il comporte des niveaux sémantiques supplémentaires. D’après les enseignements bouddhiques la mort et la renaissance n’arrivent pas seulement au moment de la mort biologique ou au début de la nouvelle vie suivante, mais à chaque moment de notre existence. Les états décrits dans le Bardo Thödol peuvent également être vécus lors d’états méditatifs ou lors de la pratique spirituelle systématique. Ce texte important est ainsi un guide destiné aux mourants, aux vivants, et à ceux qui sont dans une sérieuse recherche spirituelle. C’est une des séries d’instructions pour six types de libération : libération à travers l’écoute, à travers le port de certaines amulettes, à travers la vue, à travers le souvenir, à travers le goût, et à travers le toucher. Les instructions pour les différents types de libération furent formulées par Padmasambhava et écrits par sa femme. Padmasambhava enterra plus tard ces textes dans les collines Gampo dans le Tibet Central, comme on avait coutume de le faire avec les textes et les objets sacrés appelés termas ou « trésors cachés ». Il octroya le pouvoir de les découvrir à ses vingtcinq disciples principaux. Les textes du Bardo Thödol furent trouvés plus tard par Karma Lingpa, qui appartenait à la tradition Nyingma et qui était l’une des incarnations de l’un de ces disciples. Ils ont été utilisés à travers les siècles par les étudiants sérieux de ces enseignements, et ils sont d’importants guides pour la libération et pour l’éveil. Le Bardo Thödol décrit les expériences que l’on rencontre au moment de la mort (Chikhai Bardo) pendant la période d’affrontement des visions archétypales et des illusions karmiques qui suivent la mort (Chönyid Bardo), et au moment de la recherche de la renaissance (Sidpa Bardo). Traditionnellement au moment de la mort et pendant la période de quarante neuf jours suivant la mort, ce texte est chanté par des maîtres ou des lamas pour instruire l’esprit des défunts sur ce qui arrive dans l’état bardo, et comment utiliser l’expérience à des fins de libération. Chikhai Bardo : Le Bardo du moment de la mort Le Chikhai Bardo rapporte en détail les expériences associées au moment de la mort. Le trait le plus caractéristique de cet état est la perte du sens du toucher avec le monde familier des polarités et l’entrée dans le monde de l’irréel et de la confusion. Le monde logique et ordonné tel que nous connaissons dans la vie de tous les jours commence à se dissoudre et il est remplacé par un état d’incertitude : est-on en train d’atteindre l’illumination ou de devenir fou ? Le Bardo Thödol traite des expériences annonçant la mort imminente sur les différents éléments du corps. Ce processus commence par des expériences de lourdeur, de pressions physiques intenses, la perte progressive de contact avec le monde physique. Dans cette situation, on se réfugie dans son intellect, et on tente de se rassurer en voyant qu’il continue de fonctionner. Cela est décrit comme « la terre se noyant dans l’eau ». Dans l’étape suivante, les opérations de l’intellect cessent d’être fluides, et la circulation des pensées est perturbée. Désormais, la seule façon de se relier au monde est de le faire à travers les émotions, en pensant à quelqu’un que l’on aime ou au contraire que l’on déteste. La sensation de froideur est remplacée par celle de chaleur intense. Le Bardo Thödol évoque cela comme l’expérience de « l’eau se noyant dans le feu ». Ensuite les émotions vives se dissolvent et l’attention se distrait des objets de l’amour et de la haine ; l’être tout entier semble exploser en atomes. Cette expérience de « feu se noyant dans l’air » crée un état d’ouverture pour la rencontre avec la lumière cosmique qui la suit. Au moment de la mort, on a une énorme vision de Dharmakaya, ou la Lumière Claire Primaire de Réalité Pure. Toute l’existence apparaît soudainement dans son absolue totalité, brillant comme une lumière éternelle qui n’est pas encore née. Tous les opposés sont transcendés : l’agonie et l’extase, le bien et le mal, la beauté et la laideur, la chaleur brûlante et le froid glacial. Tout coexiste dans un tout indifférencié. Dans les dernières analyses, le Dharmakaya est identique à la Commentaire [Q14]: Comme c’est un autre niveau de titre, je ne mets pas en gras, n’est-ce pas ? conscience de celui qui en fait l’expérience, conscience qui n’a ni naissance ni mort et qui est par sa propre nature la Lumière Immutable. D’après le Bardo Thödol si l’on reconnaît cette vérité de conscience et que l’on a été préparé par la pratique systématique à abandonner sa propre individualité à la magnificence de cette expérience, cette situation offre une opportunité unique pour la libération instantanée spirituelle. Ceux qui s’éloignent du Dharmakaya auront une nouvelle chance immédiatement lorsque la Lumière Claire Secondaire se lèvera sur eux. S’ils manquent cette opportunité-là de dissolution complète de leur individualité, la force de leur karma les conduira irrémédiablement à une suite compliquée d’aventures spirituelles avec un panthéon tout entier de déités bienheureuses et colériques. Au cours de ces aventures, et tandis qu’ils approchent une nouvelle naissance, leur conscience devient progressivement de plus en plus séparée de la lumière libératrice. Ces expériences sont décrites dans le second et le troisième bardo, comme cela est résumé ci-dessous. Chönyid Bardo : Le Bardo de l’Expérience de la Réalité Les expériences décrites dans le Chönyid Bardo sont une suite de visions successives d’une riche panoplie de présences divines et démoniaques que l’on rencontre depuis le voyage mortuaire jusqu’au moment de la renaissance recherchée. Pendant les cinq premiers jours de ce bardo, les images magnifiques des cinq Bouddhas primordiaux (Dhyâna Bouddhas) apparaissent dans leurs aspects les plus heureux, enveloppés d’une lumière multicolore assistés par des Boudhisattvas hommes et femmes. Ces déités paisibles sont Vairocana (Bouddha Suprême et Eternel) Akshobhya (Bouddha Immovible) Ratnasambhava (Bouddha de Naissance Illustre) Amitbha (Bouddha de Lumière Infinie) et Amoghasiddi (Bouddha au Succès Infaillible). Les Dhyâna Bouddhas sont les cinq modes principaux d’énergie de nature Bouddhique, de conscience totalement éveillée ; ils incarnent cinq qualités de sagesse ; tout ce qui fait partie de l’existence, les être vivants, les lieux et les événements – peut être décrit selon eux. C’est la raison pour laquelle, ils sont connus comme les cinq familles. Les cinq Bouddhas primordiaux sont également appelés Tathagatas ou Jinas. Tathagata signifie littéralement « ainsi parti » ou « celui qui est devenu un avec l’essence de ce qui est » et Jina peut être traduit par « victorieux ». Les cinq Tathagatas apparaissent individuellement les cinq premiers jours consécutifs de Chönyid Bardo. Le sixième jour ils apparaissent simultanément avec leurs serviteurs, avec les cinq Gardiens colériques de l’Entrée et leurs femmes, avec les shaktis ou dakinis, avec des Bouddhas des six royaumes dans lesquels on peut renaître (lokas), et avec un grand nombre de figures divines – quarante-deux déités au total. Ceux qui n’y sont pas préparés sont stupéfaits par cette expérience étant donné qu’il ne semble pas y avoir d’échappatoire à cette situation. Les cinq Tathagatas remplissent l’espace et toutes les directions, et les cinq portails sont gardés par les quatre Gardiens. Les irradiations des Tathagatas contrastent fortement avec les lumières sombres et illusoires représentant les six Lokas. Les six émotions majeures qui nous attirent aux royaumes individuels de renaissance sont déterminés par le karma : la peur et la terreur des royaumes des dieux (devaloka), la violente colère pour le royaume des bêtes sauvages (tiryakaloka), l’égotisme pour le royaume des humains (manakaloka), l’attachement pour le royaume des fantômes affamés (pretaloka) et la jalousie pour le royaume des dieux guerriers (asuraloka). La renaissance en Enfer (narakaloka) est décrite dans le Bardo Thödol comme étant la résultante de l’influence des illusions des propensions de chacun. Au septième jour, Cinq Déités Détentrices de la Connaissance des royaumes paradisiaques apparaissent avec leurs dakinis, des héros et des héroïnes innombrables, des guerriers célestes, et des dieux protecteurs de la foi. Pendant la période qui suit, entre le huitième et quatorzième jour, les déités de la Colère émergent. Les terrifiantes figures démoniaques qui se manifestent pendant huit à douze jours, sont en fait les aspects sombres des Bouddhas transcendantaux. Le treizième jour, les Kerimas se manifestent, avec les Huit Colériques et les Htamenmas, des déités zoomorphiques terrifiantes. Ils ont des têtes de plusieurs animaux - de lion, de tigre, de renard noir, de loup, de vautour, d’oiseau rouge de cimetière, de corbeau, et de hibou. De nombreuses déités arrivent le quatorzième jour et parmi elles il y a les Cinq Gardiennes avec des têtes d’animaux, d’autres puissantes déesses zoomorphiques et les yoginis. Chez ceux qui n’y sont pas préparés, les déités colériques engendrent une terreur abyssale. Cependant ceux qui sont familiarisés à ces images par leurs précédentes études et qui y sont préparés par la pratique spirituelle intensive sont capables de les reconnaître comme des images essentiellement vides de leur propre esprit et ils peuvent ainsi se fondre à elles et atteindre la bouddéité. Sidpa Bardo : Le Bardo de la Recherche de la Renaissance. Ceux qui ont manqué l’opportunité de la libération dans les deux premiers bardos doivent affronter cette dernière étape de l’étape intermédiaire. Après s’être évanouis de terreur dans le Chönyid Bardo, ils s’éveillent désormais sous une forme nouvelle - le corps bardo. Le corps bardo diffère de celui que nous connaissons dans la vie de tous les jours, et il a de nombreuses qualités : il n’est pas composé de matière ; en outre il est pourvu du pouvoir de mouvance absolue, et peut traverser les objets solides. Ceux qui existent sous la forme du corps bardo peuvent apparaître ou disparaître lorsqu’ils le souhaitent et ils peuvent atteindre chaque endroit de la planète de façon instantanée, y compris la montagne cosmique sacrée, le Mont Mérou. Ils peuvent changer de forme et de taille, dédoubler leur forme, se manifestant simultanément à plusieurs endroits. A ce moment-ci, on peut sembler posséder des pouvoirs karmiques. Le Bardo Thödol met très sérieusement en garde par rapport au fait de s’attacher à ces forces. Comme nous le verrons plus tard dans ce livre, certains des postulats concernant le corps bardo, aussi incroyables qu’ils puissent paraître, ont été confirmés par la recherche thanatologique moderne. La qualité émotionnelle des expériences de ce bardo – le degré de bonheur ou de malheur que l’on ressent- dépend du rapport karmique de la personne impliquée. Ceux qui ont accumulé beaucoup de mauvais karma sont tourmentés par des événements effrayants : des démons leur dévorent la chair, des rakshasas brandissent des armes menaçantes, de terribles bêtes de proie les harcèlent, et les forces élémentaires enragées les agressent. Ils peuvent rencontrer des avalanches de rochers, des mers en furie débordantes, des feux rugissants, et d’inquiétantes crevasses ou des précipices. Ceux qui ont accumulé des mérites karmiques vivent de nombreux plaisirs alors que ceux qui ont un karma neutre vivent l’ennui, l’absence de couleurs et l’indifférence. La scène de jugement culmine dans le Sidpa Bardo, et détermine lequel des six royaumes de l’existence (lokas) les morts iront habiter. Le Juge des morts, est une déité appelée Dharma Raja (le Roi de la Loi) ou Yama Raja (le Roi de la Mort) ; il est l’aspect colérique de Chenrazee, le protecteur national du Tibet. Sa tête et son corps, tout comme son pavillon et sa cour, sont ornés de crânes humains, de têtes et de cachettes. Sous son pied il a une figure mara, symbolique de Maya, la nature illusoire de l’existence humaine. Il tient dans sa main droite une épée, symbole du pouvoir spirituel, et dans sa main gauche le Miroir du Karma, dans lequel sont reflétés toutes les actions mauvaises ou bonnes de la personne jugée. La balance est tenue par Shinje, une déité à tête de singe et deux personnes se tiennent à côté de lui tenant un sac de cailloux - le Petit Dieu Blanc, tient les cailloux blancs et le Petit Dieu Noir les cailloux noirs. En suivant les indications de Yama Raja, ils placent de petits cailloux blancs ou noirs sur la balance en fonction des mérites karmiques de la personne jugée. Un conseil de déités se tient dans le Tribunal, et bon nombre d’entre elles, à tête d’animal, assurent l’impartialité de la justice et la régularité de la procédure. En fonction du résultat du pesage, les morts sont envoyés à l’un des six royaumes de l’existence. Le domaine des dieux (devaloka) est décrit comme un état d’existence empli d’innombrables plaisirs infinis. La mythologie décrit les royaumes divins et paradisiaques avec des jardins et des palaces splendides, des pierres brillantes et des métaux précieux. On peut être envoyé à ce royaume à condition d’avoir vécu une vie d’amour et de compassion. Dans l’existence de tous les jours, cela se manifeste en étant né dans une famille aimante et ayant accès aux pratiques et aux écrits spirituels. Lorsque la conscience manque, cela s’exprime par de l’orgueil dans l’ego et une identité séparée ainsi que par les plaisirs éphémères résultant de la classe sociale et de la richesse. Le domaine des dieux jaloux (asuraloka) est un domaine entièrement gouverné par la jalousie et par l’envie. Ici l’objectif de la vie est de fonctionner, de survivre et de réussir dans l’atmosphère de l’intrigue. Au niveau archétypal, c’est le monde des titans, des guerriers colériques et des demi-dieux qui sont en rivalité constante avec les dieux. Dans la vie de tous les jours, cela renvoie au monde de la diplomatie internationale, des chefs militaires et des politiciens. On naît dans ce royaume lorsqu’on a éprouvé intensément la jalousie. Le domaine des fantômes affamés (pretalokas) est habité par les pretas, des créatures déplorables à l’appétit insatiable. Leurs ventres énormes demandent à être rassasiés mais leurs petites bouches font la taille de punaises, donc les fantômes affamés ne peuvent jamais être satisfaits. Ce domaine est caractérisé par la soif matérialiste. Cependant, tandis que nous rassemblons les fruits de nos désirs et que nous les possédons, nous sommes incapables d’en profiter, et nous devenons de plus en plus affamés. Comme dans les addictions, notre satisfaction ne dure pas, et une expérience de plaisir éphémère mène à rechercher sans fin de telles expériences. C’est la souffrance qui est associée à la gourmandise. Dans le domaine de l’Enfer (narakaloka) l’on est exposé à des tortures extrêmes, qui représentent chacune les forces opérant dans notre propre psyché. Les Huit Enfers Brûlants sont constitués de montagnes et de prairies de métal rouge brûlant, des rivières d’acier fondu, et un espace claustrophobe garni de feu. L’extrême opposé a lieu aux Huitièmes Enfers glacés, où tout est glacé et recouvert de glace et de neige. Ceux qui ont commis des actes impies motivés par de la violente colère sont envoyés aux enfers brûlants ; les enfers froids sont destinés à ceux qui ont commis des actions égoïstes et orgueilleuses. Des tortures supplémentaires abondent dans ce domaine : être déchiré en mille morceaux, étranglé à l’aide de nœuds coulants, être percé de pointes et exposé à des pressions destructrices. Ce domaine inclut également l’horrible Enfer Avitchi où ceux qui ont utilisé de la sorcellerie pour détruire leurs ennemis ou encore ceux qui ont délibérément négligé l’achèvement de vœux tantriques endurent des tortures immesurables éternellement. Le domaine animal (tiryakaloka) est caractérisé par un mode de vie ennuyeux ; la simple survie à un niveau simple et non compliqué, où le sens de la sécurité alterne avec des épisodes de peur. Tout ce qui est irrégulier ou imprévisible est perçu comme menaçant et devient une source de confusion et de paranoïa. Le domaine animal est caractérisé par l’absence d’humour ou d’ironie faisant défaut dans leurs vies. Le domaine humain (manakaloka) est un domaine où le plaisir et la douleur sont équilibrés. Tout comme au domaine des fantômes affamés (pretaloka) il y a une passion incessante à explorer et à rechercher le plaisir. Cependant, ce loka a des caractéristiques communes au domaine animal (tiryakaloka) comme la tendance à opérer de façon à créer une situation sûre et prévisible. Une caractéristique importante du domaine humain est le sens du territoire, inspirant l’invention d’outils de protection pour vaincre les autres. Cela mène à un monde de succès et de réussites énormes. Cependant, lorsque ce processus manque de conscience, cela mène une situation dangereuse dans laquelle les gens perdent le contrôle de leurs vies. L’avantage de ce domaine est qu’il offre les meilleures conditions pour réussir la libération. La pratique tibétaine cultive la conscience nécessaire pour intégrer chacun de ces domaines expérimentaux sans être piégé. La stratégie essentielle pour approcher tous ces domaines de l’existence - qu’ils impliquent les défis de la vie de tous les jours, les rencontres avec les déités radiantes et colériques, ou les aventures dans les divers lokas - consiste en la réalisation que toutes ces choses ne sont que des produits de nos esprits, et que toutes les formes sont en réalité vides. Lorsque les lumières des six lokas éclairent la personne à ce niveau-là du voyage du bardo, on peut tenter de fermer la porte du tombeau et empêcher ainsi une réincarnation défavorable. Le Bardo Thödol suggère plusieurs stratégies en vue de cet objectif. Par exemple on peut contempler sa déité tutélaire ou méditer sur la lumière claire ; les autres possibilités sont de réaliser la vacuité essentielle de toutes les apparitions samsariques ou de se focaliser sur la chaîne du bon karma. L’une de ces méthodes est particulièrement intéressante étant donné qu’elle semble précéder de plusieurs siècles la découverte du complexe d’Œdipe par Freud. Le Bardo Thödol propose en vue d’éviter telle ou telle réincarnation, d’éviter les sentiments profonds vécus à ce moment-là envers les futurs parents, qui sont perçus comme des corps nus, engagés dans leur activité sexuelle. Conformément à la psychologie moderne, ces émotions prennent la forme d’attraction envers le parent du sexe opposé, et de répulsion ou de colère envers la figure parentale du même sexe que soi. Si toutes les opportunités de se libérer ont été manquées, l’on est irrésistiblement travaillé par de vives émotions, et l’incarnation dans un autre corps, et la renaissance suivront forcément. Avec le guidage approprié, l’individu infortuné a encore un espoir de permis : la possibilité d’une influence concernant le choix du corps dans lequel il ou elle s’incarnera. Avec l’environnement et l’appui approprié, la nouvelle vie pourra offrir des opportunités pour la pratique spirituelle et une meilleure préparation au prochain voyage à travers les états de bardo. La description des tortures vécues dans le Sidpa Bardo, reflète l’influence de la religion Bön. On peut comparer le passage suivant du Bardo Thödol à la description d’une crise chamanique typique (voir l’initiation du chamane Awam-Samoyed au chapitre 1). Le Seigneur de la mort placera autour de ton cou une corde, et il te traînera ; il te coupera la tête, déchirera ton cœur, arrachera tes intestins, lèchera tout ton cerveau, boira tout ton sang, mangera ta chair et rongera tous tes os ; mais tu seras incapable de mourir. Même lorsque ton corps sera déchiré en mille morceaux, il revivra. L’éclosion répétée te causera de la douleur intense et de la torture. Les descriptions des nombreuses figures et événements du Sidpa Bardo ressemblent également de près à ces scènes visionnaires du Pert Em Hru égyptien. Par exemple, la rencontre avec le monde des rakshasas terrifiants, les monstres menaçants et les dangereuses forces de la nature rappelle les épreuves déloyales du Tuat. Il y a également des parallélismes frappants entre les scènes du jugement : les pesages des actions mauvaises ou bonnes des défunts avec l’aide du Shinje à tête de singe et de nombreuses autres déités zoomorphes fait écho aux événements et aux personnages dans le Hall de Maat. Par ailleurs, le dieu Thot généralement représenté avec une tête d’ibis a, dans certains textes, la forme d’un babouin. Des variations sur ce thème du jugement des morts peuvent également être trouvées dans le bouddhisme Chinois et Japonais et dans les mythologies eschatologiques zoroastrienne et chrétienne. J’ai mentionné plus haut la similarité entre les expériences dans les sessions psychédéliques et celles décrites dans les livres des morts. Les chercheurs de Harvard, Timothée Leary, Richard Alpert et Ralph Metzner ont trouvé des parallèles entre ces deux situations tellement frappants qu’ils ont intitulé leur premier livre décrivant leurs expériences de LSD : L’expérience psychédélique : Manuel fondé sur le Livre Tibétain des Morts. (Leary, Alpert et Metzner 1964) Ils ont également essayé de guider leurs clients dans les sessions de LSD en leur lisant des passages du Bardo Thödol. Mort et renaissance de Quetzalcóatl : le Livre Nahuatl des Morts Quetzalcóatl, une déité nahuatl (aztèque) extrêmement complexe et aux multiples visages, était de loin le symbole archétypal le plus important de la mort et de la renaissance dans le monde précolombien. Bien qu’il ait été représenté artistiquement de bien des façons différentes, Quetzalcóatl apparaissait le plus fréquemment sous la forme d’un serpent à plumes, symbolisant l’union des éléments terrestres et spirituels de la nature humaine. Son nom était composé de deux mots nahuatl : quetzal, oiseau exotique de couleur vert brillant, et coatl, serpent. Un autre nom donné à Quetzalcóatl était « Jumeau Précieux », terme qui faisait référence à son identification à la planète Vénus et à ses deux aspects comme Etoile du Matin et Etoile du soir. Il était également connu sous le nom d’Ehecatl (le Dieu du Vent), Seigneur de l’Aurore, Seigneur des Terres des Morts, et sous bien d’autres noms. Dans la culture maya, on se référait à lui sous le nom de Kukulcan. Quetzalcóatl était le fils de la déesse Coatlicue, dont la fonction principale état de solidifier l’esprit transcendantal dans le monde matériel. Lorsque le Soleil la prit pour épouse, toutes les forces puissantes et génératrices de la nature vinrent à la vie, et Quetzalcóatl était le fruit de cette union. Ainsi une trinité harmonieuse et équilibrée fut crée : le Soleil, le pouvoir générateur mâle, Coatlicue, représentant la Terre, et Quetzalcóatl associé à la planète Vénus. Tandis que Coatlicue représentait les forces qui enveloppent l’esprit dans le monde matériel, Quetzalcóatl symbolisait la possibilité de rédimer la matière et de se reconnecter à l’aspect spirituel du monde. Le processus mystérieux qui rendait cela possible était joliment décrit dans le mythe sur la chute de Quetzalcóatl et sa pénitence, une histoire profonde d’annihilation, de transformation et de renaissance. Le principal mythe de Quetzalcóatl est une histoire ésotérique de sens spirituel profond, exprimant une vérité universelle majeure. Elle décrit Quetzalcóatl comme un sage, bon et pur gouverneur de la Ville des Dieux qui fut établie après la création du Cinquième Soleil. Son rival, à la fois céleste et à la polarité opposée, Tezcatlipoca ou Miroir Fumant, organisa sa chute en l’intoxiquant à l’aide d’une boisson de pulque. Sous son influence Quetzalcóatl pratiqua l’inceste avec sa sœur Xochiquetzal, la déesse de l’amour et de la beauté. Après avoir recouvré la sobriété, il réalisa ce qui s’était passé et il s’imposa une sévère pénitence. Il se priva de tout ce qu’il possédait de précieux et passa quatre jours dans un linceul de pierre. Puis il voyagea à la plage céleste d’eaux divines où il construisit un grand bûcher. Ayant fait don de ses plumes et de son masque, il se jeta dans les flammes. Tandis qu’il brûlait, tous les oiseaux rares se rassemblèrent pour le regarder se transformer en flammes. Huit jours plus tard, son cœur resurgit sous la forme d’une étoile flamboyante. Après la mort de sa forme physique consumée par le feu, Quetzalcóatl voyagea à travers Mictlan, le royaume souterrain et la terre des morts, accompagné par son jumeau Xototl qui avait la forme d’un chien. Le voyage de Quetzalcóatl dans le monde des Enfers commença à l’Est, dans le Lieu du Brasier, où il grimpa sur le bûcher pilori, et fut brûlé jusqu’à ce que mort s’en suive. Ses cendres furent dispersées par le vent et transformées en un groupe de beaux oiseaux. Son cœur ou essence spirituelle ne mourut pas dans le feu, mais ressuscita de ses cendres et commença son voyage complexe. Sous cette forme, il alla d’abord dans le Sud, au lieu des Epines - le lieu de découpe de démembrement et de décapitation. A l’Ouest il voyagea à deux temples de pyramides. Le premier temple était le lieu de résidence des guerriers morts et le second celui des femmes mortes en couches. Là, Quetzalcóatl disparut dans la gorge ouverte du dragon terrestre Cipactli à la suite de quoi il réapparu sous deux formes – une forme rouge et une forme noire. Le Nord était la région la plus sombre et la plus basse des Enfers, le domaine des Morts. Là, le Quetzalcóatl rouge fut sacrifié par le noir, et ensuite le noir s’immola lui-même. Transformé en colibri, Quetzalcóatl monta alors au ciel de l’est comme Etoile du Matin, ou Seigneur du Lever du Jour. L’histoire de Quetzalcóatl, la pénitence, la mort, son voyage dramatique à travers les Enfers et sa transformation, sont le principal contenu du fameux Codex Borgia, un manuscrit Nahuatl, rempli de symbolisme religieux et rituels. Les expériences que traverse Quetzalcóatl, pendant son voyage aux enfers sont semblables aux descriptions du Bardo Thödol. Lors de sa descente dans le Domaine chthonien des morts, il rencontre un panthéon tout entier de tzitzimimes, démons de l’obscurité, et de déités coléreuses menaçant de le détruire. Il rencontre aussi beaucoup de déités bienveillantes, qui le protègent et l’appuient. Tandis qu’il traverse les régions des Enfers, il est divisé en deux Quetzalcóatl, et son obscur frère jumeau Xolotl est allié à son rival Tezcatlipoca. Après s’être désintégré dans ses composantes physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles, Quetzalcóatl transcende toutes les adversités et lors de sa transformation en Vénus, il atteint un état de complétude spirituelle. Cet état a été représenté au Tibet et dans bien d’autres cultures par le symbole sacré du mandala. Le Borgia Codex contient quelques uns des mandalas les plus beaux de tous les temps. Lors de son voyage dans les Enfers Mitclan, la Terre des Morts, Quetzalcóatl réussit à obtenir de Mictlanteculhtli, le Seigneur des Morts, les os d’un homme et d’une femme et s’échappe avec eux après avoir traversé bien des tribulations. Lorsqu’il les rachète par son propre sang, le couple peut commencer à habiter dans le monde. Après son triomphe, Quetzalcóatl accède au Paradis, et il est transformé, en tant que Seigneur de l’Aurore, en la planète Vénus, l’Etoile du Matin. Il refaisait alors son voyage dans son corps astronomique, d’abord apparaissant dans le ciel de l’ouest comme Etoile du Soir, puis disparaissant sous la terre, et finalement réapparaissant dans le ciel de l’est comme Etoile du Matin, afin de retrouver l’Etoile du Soleil Levant. Le mythe Quetzalcóatl est ainsi une expression du thème universel de la mort et de la résurrection, du péché et de la repentance. Etant donné que Quetzalcóatl, qui était l’un des quatre enfants du Créateur Suprême, était déjà divin lorsqu’il succomba au pêché mortel, l’histoire décrit clairement le motif permanent de toutes les grandes religions : l’incarnation du pur principe spirituel en la matière et la rédemption agonisante de la matière par l’esprit. Le voyage de Quetzalcóatl aux Enfers et son ascension céleste sont le plan archétypal mésoaméricain du voyage posthume de l’âme et de l’expérience initiatique de la mort et de la renaissance. Il s’agit d’une réminiscence du Pert Em Hru égyptien dans lequel les expériences du défunt et de l’initié dans le mythe d’Isis et d’Osiris étaient proches du voyage diurne et nocturne du Dieu du Soleil à travers les Enfers. Mais là où la version égyptienne faisait l’association astronomique exclusivement avec le soleil, associant ainsi la mort au coucher du soleil et la renaissance au lever du soleil, la version mésoaméricaine fait intervenir Vénus et ses phases différentes. Elle assignait à Vénus le rôle de médiatrice entre le jour et la nuit et entre le bien et le mal, et dressait également le portrait de Vénus comme celui d’un agent facilitant la transcendance des opposés dans la nature humaine. L’importance de Vénus pour l’Amérique Centrale n’est pas surprenante, étant donné qu’à cette latitude là elle brille avec un éclat incroyable et apparaît de la taille d’une boule de neige dans le ciel sombre. Le mythe de Quetzalcóatl a joué un rôle très important dans l’histoire du Mexique. Pour les cultures préhispaniques, Quetzalcóatl/Kukulkan était aussi un héros de culture légendaire qui apparaissait mystérieusement et qui partageait avec eux sa sagesse divine comme chef éclairé. Il servait de guide éclairé à son peuple, fondait leur religion, et leur enseignait les arts de la civilisation. Lorsqu’il disparut soudain sans laisser de traces, sa disparition fut aussi énigmatique que son arrivée. Pendant de nombreuses années, les peuples mésoaméricains espéraient son retour avec impatience. D’après la légende, Quetzalcóatl avait des traits physiques inhabituels, à savoir une peau claire et une barbe. Au cours de l’histoire, Hernando Cortez correspondit à cette description. Cette ressemblance joua en faveur des Conquistadores étant donné que bien des Mésoaméricains virent en lui l’incarnation de Quetzalcóatl. Etant donné que le mythe de Quetzalcóatl était le motif religieux commun à toute l’Amérique Centrale, la victoire des Conquistadores fut d’autant plus aisée. Aventures des Jumeaux Héros : le Livre Maya des Morts L’ancienne civilisation maya était assez sophistiquée et avait un héritage culturel riche, mais une grande partie de celui-ci a été perdu. Cela est dû en grande partie au climat d’Amérique Centrale, une malheureuse combinaison de chaleur et d’humidité qui accéléra la dégradation des documents facilement périssables. Cependant, les envahisseurs espagnols en sont les principaux responsables car ils détruisirent volontairement des quantités énormes de trésors littéraires – spécialement les « codices » des manuscrits en forme d’accordéons avec des illustrations riches et colorées. Ils présentaient des informations innombrables concernant les divers aspects de la vie maya, et malheureusement seul un petit nombre d’entre eux échappa aux ravages des Espagnols. Il ne reste aucun codice de l’époque Classique (avant 900 de notre ère) et quatre seulement ont survécu à la période Post-Classique (de 900 à la conquête espagnole au XVIème siècle). Les Mayas vivaient avec une profonde conscience de la mort. L’espérance de vie réduite, la mortalité infantile élevée, et la combinaison de guerres et de rituels sacrificiels faisaient de la mort une réalité toujours présente dans leur vie quotidienne. Bon nombre des rituels et d’œuvres d’art mayas étaient dédiés à l’existence posthume et à l’entrée de l’âme dans les Enfers Xibalba, jusqu’à une renaissance finale et une apothéose. Les Jumeaux maya. Dessin d’après un vase maya dépeignant les Héros Jumeaux, Hunahpu et Xbalanque qui réussirent à vaincre les Seigneurs de Xibalba. La chauve-souris au-dessus de leurs têtes rappelle leur défi dans la Maison des chauves-souris où Hunahpu fut décapité. La mythologie maya et l’art funéraire décrivaient la mort comme étant un voyage complexe. Ces étapes importantes et des défis furent décrits sur les cercueils, sur les peintures murales, sur la poterie, les jades et d’autres objets qui accompagnaient les défunts lors de leur grande transition. Malgré son grand intérêt concernant la mort et des morts, aucun texte maya eschatologique comparable au Livre des Morts égyptien ou tibétain n’a survécu après la période classique. Cependant, le mythologiste Michaël Coe a identifié un groupe bien défini de vaisselles céramiques, qu’il désigna sous le nom de céramiques de style codex, car leur style était très semblable à celui des codices maya. Il en conclut que les artistes qui créaient ces chefs d’œuvres étaient les mêmes que ceux qui peignaient les manuscrits accordéon en écorce (Coe 1978). Le cardiologue et archéologue Francis Robicsek, un universitaire qui avait étudié les vases funéraires mayas, alla encore plus loin. Il était convaincu que non seulement ces vases ressemblaient aux codices, mais que placés dans le bon ordre, c’étaient réellement des codices (Robicsek 1981). Afin d’appuyer cette thèse, Robicsek visita beaucoup de sites archéologiques mayas, aussi bien que des collections et des institutions privées partout dans le monde. Accompagné de l’anthropologue-hiéroglyphiste Donald M. Hales, il fit la première étude complète des céramiques de type codex de style maya, qui faisait le tour de tous les exemples connus. Les deux universitaires remarquèrent que bien des vases rentraient dans des catégories représentant chacune une même fable ou mythe des enfers. Ils réussirent à proposer un ordre suivi aux céramiques funéraires qui rassemblées représentent le « Livre Maya des Morts », bien que ces histoires avec les illustrations qui les accompagnent soient dispersées sur des vases séparés et qu’elles ne fassent pas partie d’un texte compréhensif et cohérent comparable au Bardo Thödol. Le style codex comme technique de décoration des vases fut utilisé pendant la période classique tardive, probablement autour du VIIIème siècle. Cette période marqua la période la plus prospère économiquement et politiquement des villes-états Mayas, et les artistes de cette époque créèrent certaines des meilleurs œuvres d’art précolombien. Les scènes dépeintes sur les vases des « céramiques codex » maya sont extrêmement riches et complexes et elles sont peintes dans une combinaison de blanc, noir et rouge et de couleurs bleues mayas. Certains représentent les seigneurs et les dames des enfers avec leurs servantes, les Jumeaux Héroïques, des cérémonies de palace, des scènes sacrificielles, la guerre, des chasses et des jeux de balle rituels. D’autres décrivent une grande variété d’habitants mythologiques de Xibalba. Bon nombre d’êtres anthropomorphiques, zoomorphiques et squelettiques sont représentés sur ce spectre de figures fantastiques tout comme une ménagerie toute entière de créatures chthoniennes – le dragon à Grande Barbe, la figure à visage changeant Cauac, le Serpent à Sang-Coulant, la Déité Oiseau Principale, le Monstre Céleste, et Uial, semblable à un crapaud à écailles. Certains des nombreux animaux représentés sur ces vases comprennent des jaguars, des chiens-jaguars, des singes-araignées, des chauves-souris, des vautours, des oiseaux gémissants, des serpents, des tortues, des crapauds, des poissons, des lucioles et des scorpions. Certaines figures portent des écharpes sacrificielles et portent des bols triadiques qui contiennent des yeux, des os et plusieurs mains énucléées. Le riche panthéon de Xibalba, comprend également un grand groupe de dieux de la mort. Bon nombre des seigneurs des enfers xibalbiens, sont dépeints avec des faces humaines très vieilles édentées, et certains combinent les caractéristiques mâles et femelles. Leur haleine et leurs pets sont tellement puants qu’ils apparaissent sous la forme de grands rouleaux visibles. Ils portent souvent en guise de bijoux des yeux énucléés ou des os. Nommés selon les nombreuses causes de décès tels que la maladie, la vieillesse, le sacrifice et la guerre, les seigneurs des enfers sont souvent représentés avec des corps décharnés, des ventres tombants et des marques noires signifiant la détérioration. Les spécialistes de la culture maya se réfèrent à eux selon leurs noms mayas, parfois en lettres majuscules. Xibalba était un lieu morne et terrifiant, qui en bon nombre de façons rassemblait au Tuat Egyptien, au Sidpa Bardo du Livre Tibétain des Morts et aux enfers des cultures chamaniques. Envahi de l’odeur nauséabonde des corps en décomposition et du sang en putréfaction, il était la source des maladies qui s’abattaient sur l’humanité. Le mot « Xibalba » est dérivé du mot « xib » signifiant la peur, la terreur, trembler de frayeur. Tout comme le Monde Moyen (le monde de la vie quotidienne), Xibalba avait des paysages et de l’architecture, comprenant les temples et les palaces des Seigneurs de la Mort. De façon générale, les Enfers de la période Classique maya, ressemblaient fort à ceux du Popol Vuh, la fameuse épopée des Indiens Mayas Quiche, du Guatemala, avec une exception significative. Les images des vases funéraires du codex de céramiques indiquent qu’il s’agissait d’un environnement humide, ou qu’il était associé à l’eau de manière importante. Tout comme dans la mythologie grecque, la mort et le passage à travers les enfers mayas impliquaient de traverser de l’eau. L’entrée dans Xibalba était souvent représentée comme un voyage en canoë ou comme le fait de couler sous l’eau ; d’autres symboles aquatiques étaient utilisés. Ils comprenaient de nombreuses variétés de poissons, des rangées de coquillages, des lys d’eau, et des créatures ressemblant à des crocodiles. Alors que certaines de ces images sont clairement reliées à des mythes et à des légendes qui sont maintenant perdus, bien d’autres semblent refléter la célèbre histoire mythologique des Jumeaux Héroïques qui relevèrent des défis héroïques lors de leur visite aux Enfers, et qui finirent par faire l’expérience de la mort et de la renaissance. La description de leurs aventures constitue une partie importante du Popol Vuh. Ce document fut créé peu après la conquête par un Indien guatémaltèque anonyme, mais il est clairement fondé sur une tradition bien plus ancienne. Le Popol Vuh fait la chronique des rois et des guerres qu’ils firent entre eux et contre leurs voisins. Son thème mythologique le plus distinct est l’effort perpétuel des dieux de l’Amérique ancienne pour créer une chose vivante qui aura la capacité de connaître et d’adorer son créateur. La section la plus pertinente de cette épopée décrit la rencontre victorieuse des Jumeaux Héroïques avec les Seigneurs des Enfers, les chefs de Xibalba. L’histoire débute lorsque le père des jumeaux Hun-Hunahpu et son compagnon Vucub Hunahpu sont attirés aux Enfers par les Seigneurs de Xibalba, pour jouer au ballon. Après leur défaite, ils sont tués et décapités ; les Seigneurs des Enfers pendent ainsi la tête de Hun-Hunahpu sur un arbre à calebasse, en guise d’avertissement. L’arbre qui jusqu’à présent était stérile, donne immédiatement des fruits, qui sont tenus pour miraculeux. Lorsqu’une jeune femme vierge s’approche pour regarder les fruits, Hun-Hunahpu crache dans sa main, ce qui la met enceinte. La Jeune Vierge alors retourne à la surface terrestre et donne naissance aux Jumeaux Héroïques Hunahpu (« Chasseur ») et Xbalanque (« Enfant Jaguar »). Lorsque les deux enfants grandissent et deviennent de magnifiques jeunes-gens, ils découvrent le ballon en caoutchouc utilisé par leur père avec d’autres accessoires nécessaires au jeu. Ils commencent à s’entraîner de manière rigoureuse et avec grande détermination. Après avoir acquis un niveau hors pair, ils décident de descendre à Xibalba pour venger la mort de leur père. Une fois aux Enfers, les Seigneurs de Xibalba soumettent Hunahpu et Xbalanque à une série de défis difficiles. Les deux jumeaux vainquent tous les dangers dans la Maison de la Tristesse, dans la Maison des Couteaux, dans la Maison du Froid, dans la Maison des Jaguars, et dans la Maison du Feu. Cependant dans la Maison des Chauves-souris, ils frôlent l’échec lorsqu’une chauve-souris arrache la tête de Hunahpu. Les peuples de Xibalba prennent la tête et l’accrochent en guise de trophée. Xbalanque appelle tous les animaux et la tortue prend la forme de la tête de Hunahpu. Xbalanque fait alors rebondir la balle (la tortue) loin sur le terrain de jeu, où se tient un lapin ayant pour mission de voler le ballon et de s’enfuir avec, encourageant le peuple Xibalba à lui courir après. Xbalanque utilise ce moment de diversion pour récupérer la tête véritable de Hunahpu ; Hunahpu est alors ramené à la vie, et le jeu se finit ainsi. Pendant l’épreuve suivante, les jumeaux sautent volontairement dans les flammes d’un grand feu, sachant que par leurs prouesses ils ont acquis l’immortalité. Cinq jours plus tard, ils ressuscitent d’entre les morts, et font des miracles déguisés en pêcheurs en loques. Ils brûlent des maisons et les font réapparaître, puis ils se découpent en mille morceaux et reviennent à la vie en ayant l’air plus jeunes et plus beaux qu’auparavant. Lorsque les seigneurs de Xibalba leurs demandent de leur faire la même chose à eux, les jumeaux les sacrifient mais ne les ramènent pas à la vie. Dans la version écrite du Popol Vuh, les Jumeaux Héroïques sont amenés au Ciel et ils deviennent le Soleil et la Lune. Le spécialiste de la civilisation maya J. Eric S. Thompson, a expliqué que cette version reflétait une distorsion de l’histoire originale en raison de l’influence espagnole, et il expliqua que dans la tradition orale, les Jumeaux furent transformés en Soleil et Vénus. Ces corps célestes étaient considérés dans la mythologie maya comme étant des frères : la lune féminine était vue comme la femme du Soleil. Cette correction ferait de Hunahpu l’équivalent de Quetzalcóatl. Il est également probable que cette version originale du Popol Vuh ait accentué bien davantage l’aspect spirituel de la transformation des deux Jumeaux. Même si le Popol Vuh lui-même fut écrit après la conquête, les légendes décrivant la naissance, la vie, la mort et la renaissance de Hunahpu et Xbalanque sont des légats d’un cycle mythique important de la Période Classique. Les aventures des Jumeaux Héroïques révèlent le concept du voyage de l’âme à travers la mort et la renaissance qui s’en suit et ils offrent une information importante pour vaincre la mort et parvenir à la résurrection. L’histoire apporte ainsi un message important à la pertinence universelle ; elle suggère que les rois, les nobles et probablement tous les êtres humains, prennent au moment de leur mort la forme d’un de ces jumeaux légendaires, et vivent les mêmes aventures qu’eux. Les incomplétudes du Codex Céramique Maya semblent indiquer par là que l’un des schémas archétypaux mésoaméricains du voyage posthume de l’âme mais également de l’initiation sacrée de la mort et de la renaissance était lié de près aux thèmes du Popol Vuh. Il décrit le processus de transformation de la mort et de la renaissance comme une série de défis et d’expériences difficiles qui arrivent dans les domaines chthoniens, avec leurs protagonistes caractéristiques. Le thème du jeu de ballon rituel est un aspect particulièrement intéressant et mystérieux de ce symbolisme, car le jeu de ballon était un aspect important de la vie quotidienne dans les cultures d’Amérique Centrale, et il a pu offrir l’opportunité de rejouer les mythes des Jumeaux Héroïques au cours d’une vie. De nombreux indices corroborent le fait que dans les cultures précolombiennes, la connaissance des domaines eschatologiques n’était pas limitée aux expériences de mort imminente. Une grande partie venait d’états visionnaires provoqués par des plantes psychédéliques et par la pratique rituelle des saignées. Les ethnobotanistes modernes ont identifié bon nombre de plantes psychédéliques qui sont encore utilisées par plusieurs groupes aborigènes en Amérique Centrale. Parmi les plus connues d’entre-elles on trouve les champignons sacrés (Psilocybe mexicana) connus par les Indiens comme teonanacatl ou « chair des dieux », le cactus mexicain peyote (Lophophora williamsii), les graines glorieuses du matin (ipomoea violacea) appelées par les aborigènes ololuiqui, et Salvia Divinatorum, également connues sous le nom de « sagesse divinatoire ». Dans la zone des plateaux du Guatemala, tout comme dans le sud du Mexique et au Salvador, les archéologues ont trouvé des pierres mystérieuses avec un sommet en forme de parapluie datant de 1000 avant Jésus-Christ à 500 après Jésus-Christ. La plupart d’entre eux font trente centimètres de hauteur, et les recherches effectuées il y a plusieurs dizaines d’années ont montré qu’ils représentaient des champignons hallucinogènes. Des représentations semblables de tels champignons ont lieu dans les illustrations de plusieurs codices précolombiens. Grâce aux efforts des mycologues Gordon Wasson et Roger Heim, de l’ethnobotaniste Richard Schultes et du chimiste Albert Hofmann, les champignons ont été identifiés comme étant Psilocybe coerlescens et ses différentes variétés ; et leur alcaloïdes psilocin et psilocybin ont été isolés chimiquement identifiés et préparés dans leur pure forme (Schultes et Hofmann 1979). L’utilisation rituelle de champignons magiques qui avait une longue histoire dans bien des cultures précolombiennes est également très commune dans le Mexique d’aujourd’hui, particulièrement parmi les Indiens Mazatec, Zapotec, et les Mixtec. D’après les découvertes archéologiques, l’utilisation rituelle de peyote a plus de 3000 ans d’âge. Depuis l’arrivée des premiers Européens dans le Nouveau Monde, l’utilisation du peyote a provoqué de violentes attaques de la part de l’Eglise Catholique. Tout comme les champignons psychédéliques, il fut condamné par les missionnaires espagnols comme jetant des « sorts sataniques » et il fut sévèrement supprimé et persécuté. Malgré cela, le peyote est encore utilisé au Mexique moderne parmi les Indiens Huichol, Cora, et Tarahumara. Dans les dernières centaines d’années, les rituels impliquant le peyote se sont également étendus à travers les nombreuses tribus du nord de l’Amérique. Des peintures sur des vaisselles anciennes révèlent que le peyote était administré parmi les anciens Mayas sous la forme de lavements rituels et des indices montrent aussi que le peyote était utilisé en Amérique Centrale avec les champignons magiques comme médicament préalable dans les sacrifices. Il est également probables que les anciennes cultures mésoaméricaines, y compris les Mayas, utilisaient dans des buts rituels certaines variétés de crapauds (genus bufo) dont les sécrétions de la peau contiennent des dérives de tryptamine avec des propriétés psychédéliques plus ou moins démontrées telles que 5-methoxy-N, N-dimethyltryptamine et bufotenine. Cette supposition est fondée sur bon nombre de représentations iconographiques de crapauds dans l’art d’Amérique Centrale, tout comme dans les références mythologiques. Les cultures précolombiennes pratiquaient aussi les saignées rituelles. Cette pratique date de l’époque préclassique tardive, et son imagerie classique traverse aussi l’art maya. Les saignées étaient des techniques puissantes d’altération de l’esprit qui provoquait des expériences visionnaires par la perte massive de sang et le choc qui s’en suivait. Vu à l’origine comme un acte occasionnel de pénitence personnelle, il fut plus tard reconnu comme une pratique rituelle généralisée, particulièrement parmi les Mayas. Les saignées étaient la base de la royauté, de la mythologie de l’ordre terrestre, et des rituels publiques de tout type. Dans les visions provoquées par ce processus, les Mayas entraient en contact avec le monde des dieux, mais aussi avec leurs ancêtres qui étaient sensés apparaître dans leurs visions. Les saignées rituelles ouvrirent le passage à un domaine expérimental qui n’était ordinairement accessible qu’au moment de la mort biologique. Les Mayas utilisaient le symbole du Serpent Visionnaire pour les expériences provoquées par la perte de sang et le choc. Ce symbole représentait le contact entre le monde quotidien des êtres-humains et des domaines surnaturels. Bon nombre de tableaux et de reliefs Mayas représentent des scènes de saignées, tout comme des serpents visionnaires symbolisant les expériences intérieures. Les saignements étaient provoqués par l’utilisation de petits piquants faits d’épines, de silex, ou d’obsidienne pour blesser langue, les lobes des oreilles et les organes génitaux. Ce pic était perçu comme un objet sacré pourvu d’un pouvoir énorme ; il était personnifié sous la forme du Dieu Perforateur. Les Mayas voyaient dans le sang tiré des différentes parties du corps, une nourriture nécessaire aux dieux. Le jeu de ballon rituel était le thème central de la confrontation entre les Jumeaux Héroïques, Hunahpu et Xbalanque, et les dieux de la mort qui gouvernaient les Enfers Xibalba. La version maya du jeu pok-ta-pok, telle qu’elle est décrite dans le Popol Vuh joua un rôle capital dans la mythologie précolombienne de la mort et de la renaissance, tout comme dans les rituels sacrificiels. Comme son équivalent aztèque, il a été pendant de nombreuses années un sujet fascinant pour les universitaires et tous les membres du grand public visitant les sites archéologiques mayas. Alors que les aspects ésotériques de ce jeu – la disposition et l’architecture des terrains de jeu ainsi que les éléments techniques du jeu - sont bien connus, son sens ésotérique total et son symbolisme spirituel sont restés enveloppés de mystère. Le jeu rituel était clairement et profondément connecté à la mort et au sacrifice, deux domaines qui obsédaient la culture maya. Le jeu maya était un sport dangereux qui requérait une manipulation adroite d’un grand ballon de caoutchouc d’environ trente centimètres de diamètre. Les joueurs portaient des vêtements protecteurs sur leurs jambes et leurs bras, les deux parties du corps qui souffraient les coups les plus douloureux. Les équipes d’un à quatre joueurs essayaient d’avoir le contrôle de la balle sans la toucher avec leurs mains et de la diriger vers des points ou des anneaux. L’objectif du jeu était de faire passer la balle à travers l’anneau de pierre situé haut dans le mur du terrain de jeu, ou au moins de toucher le point. Il était très difficile de faire passer la balle dans l’ouverture ; même les joueurs légendaires n’y parvenaient que quelques fois durant leurs vies. Le jeu était extrêmement populaire, comme en témoignent les nombreux terrains de jeu dispersé à travers l’Amérique Centrale. Sacrifice dans le terrain de jeu. Frise d’après une sculpture d’après le grand terrain de jeu à Chichen Itza, qui dépeint le point culminant du jeu : les joueurs victorieux décapitent les vaincus. Le ballon est représenté comme crâne vomissant ; six serpents et un arbre élaboré jaillissant de la victime symbolisent la fertilité et l’énergie de vie que ce sacrifice apportera. (Chichen Itza, Yucatan, Mexico, Période Post-Classique Maya 900-1200 après Jésus-Christ). Outre les défis du jeu, les probabilités de recevoir un grand coup de la lourde balle en caoutchouc, et le jeu qui accompagnait cela, faisaient partie de l’excitation du jeu : c’était certainement la connexion mythologique à la mort et au sacrifice qui étaient responsables de la popularité de ce jeu. Le jeu était un combat de gladiateurs qui testait la force d’un captif ou d’un esclave et son désir d’échapper à la mort. Les perdants étaient sacrifiés et leurs cœurs étaient offerts aux dieux. Certains des terrains de jeu avaient même des portants pour exhiber les crânes des joueurs les plus malchanceux. Le symbolisme le plus profond du jeu suggérait que le joueur, tout comme les Jumeaux Héroïques qui dans le Popol Vuh vinrent à bout des Seigneurs de Xibalba, avaient la capacité de triompher sur la mort. Lorsque ce jeu était joué par les membres de la royauté, il est fort probable que les gouverneurs mayas s’habillaient comme les Jumeaux Héroïques, jouant ainsi le rôle des demidieux qu’ils imitaient. La victoire contre leurs opposants - des rois habillés en guerriers ou en dieux - était alors gravée dans la pierre comme étant un combat victorieux contre la mort et les forces obscures des Enfers. Beaucoup d’images de la vaisselle du style codex accentuent l’importance des thèmes de la mort et de la résurrection dans la mythologie et dans la religion maya. Dans le Popol Vuh, les défis des Jumeaux Héroïques sont suivis par la renaissance, la divinisation des deux frères et leur transformation en des corps célestes. Dans l’art maya visuel, la fin du voyage spirituel triomphant –la renaissance et la résurrection – était généralement représentée bien moins fréquemment que ses défis. Ce dernier aspect peut être représenté de manière plus intensive parce que bon nombre des objets contenant ces images furent retrouvés dans les tombes et leur objectif était de préparer les défunts aux vicissitudes du passage. Beaucoup de peintures et de sculptures représentent des exemples extraordinaires du thème de la renaissance. Ces artéfacts représentent de jeunes seigneurs naissant d’un crâne craquelé ou d’une carapace de tortue et émergeant de l’eau des lys en fleurs. Le Lotus était un puissant signe spirituel dans les cultures précolombiennes, tout comme en Inde et en Egypte. Sur les céramiques mayas, il symbolise aussi l’environnement de l’eau : une rivière, un étang, un lac, ou la mer. A un niveau plus profond, il représente le lac mythologique primitif sous la terre, la source de toute vie. Les Mayas Lacandons ont encore un mythe de création dans lequel la déité créatrice donne d’abord naissance à un lys d’eau d’où ensuite naissent les dieux. Le lotus qui naît dans la boue, émerge à travers l’eau et s’ouvre au soleil, est un symbole de renaissance spirituelle. Il représente aussi les ancêtres, les Enfers, la vie, la mort et la résurrection, et il apparaît associé au calendrier maya. Souvent les scènes des enfers sur les vases mayas représentent l’Enfant Jaguar entretenant des relations spécifiques avec une entité mystérieuse et fantastique, le Monstre Cauac. Le Cauac a des caractéristiques très étranges, presque anormales : sa forme et sa taille peuvent beaucoup varier en fonction de différentes vaisselles et il peut s’écarter, se diviser et produire des extensions bizarres. En dehors du fait qu’il représente un monstre, le Cauac peut aussi servir comme autel sacrificiel ou comme description d’un lieu - un lieu semblable à une cave où se déroulent de nombreuses activités. Francis Robicsek a montré que les différentes positions de l’Enfant Jaguar et le Cauac décrit sur les vases mayas peuvent être arrangés en une suite significative et il suggère qu’ils peuvent être reliés aux mouvements d’un corps céleste (Robicsek 1981). Cependant une inspection plus en profondeur montre que cette suite reflète probablement la naissance biologique, avec le Cauac représentant de façon stylisée l’utérus donnant naissance à un enfant. Cela semble confirmer les conclusions de la conscience moderne qui associent l’expérience de la mort psychospirituelle et de la renaissance au fait de revivre le trauma de la naissance. Pour les anciens Mayas, le mythe des Jumeaux Héroïques et leur visite aux Enfers avec renaissance consécutive et la déification, offrait un modèle optimiste à leur propre voyage posthume, tout comme leur expérience initiatique de mort psychospirituelle et de renaissance. Les parallèles thématiques et symboliques entre l’eschatologie maya d’une part et le Pert Em Hru égyptien, et le Bardo Thödol tibétain d’autre part sont hautement significatifs. A un autre niveau, un dénominateur commun à tous ces textes est que la plupart des connaissances qu’ils contiennent étaient transmises par les états de conscience holotropiques produits par les psychédéliques et par de puissantes techniques autres que les drogues. Ce dénominateur commun offre un pont à la recherche de la conscience moderne et rend l’information transmise par les arts funéraires mayas pertinente pour notre époque. Ars Moriendi : L’art de bien mourir et de bien vivre Alors que bon nombre d’Occidentaux ont entendu parler du Livre Tibétain des Morts et du Livre Egyptien des Morts, on ignore généralement qu’un corpus étendu de textes et d’art visuel associé aux problèmes de la mort et de son processus, existe également dans la tradition culturelle européenne. On se réfère souvent à cela comme à l’Ars Moriendi ou « Art de Mourir ». A la fin du Moyen-âge, les travaux appartenant à ce genre étaient parmi les formes de littérature les plus populaires et les plus distribuées dans bon nombre de pays européens, plus particulièrement en Autriche, en Allemagne, en France et en Italie. L’intérêt intense à l’époque médiévale concernant la mort et de son processus était la résultante de l’incertitude de l’existence humaine pendant cette période historique. La mort était toujours présente dans la vie quotidienne, dans les villes comme dans les villages. Le taux de mortalité était astronomique - les gens mouraient par centaines de milliers dans bon nombre de batailles et de guerres, dans des épidémies de masse de maladies infectieuses telles que la peste et la syphilis, lors de voyages à travers des territoires dangereux, lors de grandes famines et encore en raison des conditions de vie non-hygiéniques. Les gens assistaient souvent à la mort de leurs proches, de leurs voisins, et de leurs amis. Pendant les épidémies de peste, un quart, un tiers ou la moitié de la population toute entière pouvait être exterminée. Des cortèges funéraires et les processions avec les cadavres étaient des caractéristiques normales de la vie quotidienne. Des enterrements de masse, des incinérations de cadavres, des exécutions publiques, tout comme les immolations d’hérétiques et de sorcières et de Satanistes dans les autodafés avaient lieu à grande échelle. D’après certaines estimations le nombre de personnes accusées de sorcellerie et assassinées par la Sainte Inquisition excédait les trois millions. La mort toujours présente ainsi que la corruption massive et la désintégration de la machine sociale, politique et religieuse dans l’Europe médiévale offrait le contexte qui inspira la littérature Ars Moriendi. La tradition mystique et les scolastiques contribuèrent à la fois au développement de ce genre eschatologique et bon nombre de théologiens célèbres considéraient ce sujet digne de leur temps et de leur énergie. Cependant, le message de l’Ars Moriendi n’était pas limité aux personnes malades, vieilles ou mourantes qui étaient les premières à être concernées par la mort biologique. Comme le livre égyptien Pert Em Hru, et le livre tibétain Bardo Thödol, les écrits européens eschatologiques parlaient non seulement des problèmes liés à la mort mais aussi de ceux de l’existence humaine. Ars Vivendi ou l’Art de (Bien) Vivre Le corpus extensif de littérature appelé Ars Moriendi rentre dans deux amples catégories. La première traite d’abord de la signification de la mort dans la vie et devrait être appelée plus justement Ars Vivendi ou l’Art de (Bien) Vivre. Il accentue l’importance d’avoir la bonne attitude envers la mort dans la vie de tous les jours, et décrit une stratégie de l’existence qui conduit à la salvation. La seconde catégorie met plus spécifiquement l’accent sur la mort et son processus, ainsi que sur la gestion de personnes mourantes et l’appui émotionnel et spirituel durant leurs derniers jours ou leurs dernières heures. Un thème récurrent de bien des textes dans la catégorie d’Ars Vivendi est une contemplation de la mort (contemplatio mortis) qui conduit au mépris du monde et des poursuites séculaires (contemplus mundi). Dans bien des formes différentes cette littérature transmet l’idée que la vie orientée exclusivement vers les buts matériels est futile et gâchée : une telle attitude est fondée sur le concept de la profonde ignorance, qui est le fait des personnes qui ne sont pas conscientes que tout dans le monde matériel est éphémère, et de ceux qui n’ont pas accepté le rôle souverain et l’importance capitale de la mort dans leur vie. Le problème de base de l’existence humaine est le mieux décrit pas le proverbe latin « mors certa, hora incerta » (la mort est sûre, l’heure ne l’est pas). La plus grande certitude de la vie est que nous allons mourir ; la plus grande incertitude est le moment où la mort nous frappera. La conscience de la mort est le début de toute sagesse ; cela introduit dans notre vie humaine une vigilance constante et une tendance à éviter les conduites nocives. Notre préoccupation première ne devrait pas être de vivre longtemps, de chercher à prolonger notre vie à tout prix ; mais de vivre de façon correcte d’après la Loi Divine. Etant donné que nous ne savons pas quand la mort nous frappera, nous devons vivre chaque moment de nos vies comme s’il était le dernier. Cela ne signifie pas forcément qu’il faut vivre dans l’angoisse constante et l’anticipation de la mort. La meilleure interprétation est de réduire le temps et l’énergie gâchés dans la poursuite de multiples buts externes qui ne peuvent pas nous apporter de satisfaction véritable, et de nous concentrer plutôt dans l’expérience du don de la vie comme il se manifeste dans l’instant présent. Une parabole de la sagesse de l’Ars Moriendi qui illustre cette attitude était l’une des histoires préférées de Joseph Campbell, le plus grand mythologiste du XXème siècle : Un homme poursuivi par un tigre vicieux tombe dans un profond précipice et parvient à interrompre sa chute en s’accrochant aux branches qui poussent sur la petite pente. En perdant doucement de sa force, il aperçoit une fraise sauvage près d’une motte d’herbe proche de son visage, il l’attrape avec sa langue, et il la laisse se dissoudre doucement dans sa bouche. Ah, comme elle avait bon goût ! Les travaux concernant le mépris du monde, faisaient état de l’impermanence et la futilité de toutes les poursuites terrestres dans bien des images symboliques, des métaphores et des paraboles. Leurs cibles préférées, étaient les puissants, les riches et les célèbres, et toutes les personnes influentes de leur époque. Les membres de la hiérarchie religieuse – l’évêque, le cardinal, et le Pape - les représentants du pouvoir séculaire – le juge, le chef militaire, le Duc, le Roi, le César apparaissaient de manière très fréquente. Décrivant des individus qui avaient obtenu leurs buts les plus élevés dans ce monde matériel et montrant leur désespoir au moment de leur mort était une preuve irréfutable des profondes vérités contenues dans les affirmations succinctes de l’Ars Moriendi afin de montrer la futilité des toutes les luttes matérielles : vanitas vanitatum, omne est vanitas (vanités des vanités, tout n’est que vanités), Memento Mori (souviens-toi que tu dois mourir) Sic transit gloria mundi (c’est ainsi que passe la gloire du monde) et Memento, homo quia pulvis es, et in pulverem revertis (souviens-toi, homme que tu es poussière et que tu redeviendras poussière). L’argument le plus puissant pour le mépris de l’existence matérielle était la contemplation de la laideur de la mort, qui comprenait des descriptions réalistes du corps humain à de nombreux états de putréfaction et de décomposition. Dans certaines formes de méditation, il était demandé aux moines médiévaux de visualiser leur propre mort et de s’identifier à leurs propres corps tandis qu’ils étaient graduellement réduits à de la chair putride, des squelettes et finalement de la poussière. La recherche sur la conscience moderne a montré que des exercices de ce type sont bien plus que de l’indulgence pathologique sur des sujets morbides. La profonde acceptation du caractère physique matériel de chacun, y compris de ce que la biologie a à offrir de pire, mène à la réalisation que nous sommes bien plus que nos corps. Cette compréhension est un pré-requis à la transcendance du corps et à l’ouverture spirituelle. Le message de base de l’Ars Vivendi était ainsi que nous ne devions pas nous battre pour obtenir à tout prix les plaisirs terrestres tels que le pouvoir et la richesse, étant donné que toutes ces choses se transforment en tristesses au moment de la mort. Au lieu de cela, nous devons fixer notre attention sur les réalités transcendantales. Le thème de la mort qui était si puissamment exprimé de façon prosaïque dans la littérature de la contemplation de la mort et du mépris du monde, était aussi exprimé dans bien des poèmes de memento mori rappelant aux gens leur propre mort. Les poèmes polémiques étaient particulièrement intéressants (Streitgedichte : les problèmes des vies et morts religieuses et philosophiques y étaient présentés sous formes de dialogues argumentatifs entre l’homme et la mort, l’homme et le monde, la vie et la mort, l’âme et le corps, ou les mourants et de diable. Dans des poèmes appelés Vado Mori (je marche à la mort), des mourants représentatifs de plusieurs groupes sociaux, ou qui étaient des personnifications symboliques de différents traits de caractères humains, partageaient leurs sentiments et leurs réflexions. Ces poèmes étaient en bien des façons les prédécesseurs des textes utilisés dans les danses de la mort (danses macabres Totentänze), des manifestations médiévales fascinantes de la psychologie de masse, dont il est question plus tard dans ce chapitre. Le principal objectif de la littérature de l’Ars Moriendi était de mettre l’accent sur la futilité d’une stratégie de vie dominée exclusivement par la poursuite de buts séculaires et fondée sur Commentaire [E15]: Commentaire [E16]: Olivier, Je ne comprends pas très bien ( cad pas du tout) l’obtention du bonheur par des réussites extérieures, telles que l’argent, les possessions matérielles, les plaisirs sensuels, le pouvoir et la célébrité. Les textes utilisaient de nombreux moyens pour démontrer qu’une telle orientation n’apportait pas de réalisation et qu’elle était inutile. Seule une vie orientée de manière spirituelle pouvait apporter la paix de l’esprit et la satisfaction véritable. Dans leurs efforts pour divertir les gens des efforts subalternes qui, en outre, les conduisaient à leur propre échec, et dans une volonté de les tourner vers Dieu, les artistes de l’Ars Moriendi utilisaient le thème de la mort et de l’impermanence comme leur devise d’enseignement ultime. Dans le large corpus de littérature, d’art visuel et de musique de l’Ars Moriendi, nous pouvons dégager trois grands thèmes populaires: Le Triomphe de la Mort La Danse de la Mort Les Trois Vifs et les Trois Morts Le Triomphe de la Mort Si nous confondons qui nous sommes avec ce que nous avons et que nous voyons nos acquisitions comme formant partie intégrante de notre identité personnelle, nous allons vivre une profonde crise existentielle au moment de notre mort biologique. L’éminence de la mort nous confronte sans merci à la dure réalité qui fait que nous ne pouvons prendre aucune de nos possessions matérielles et attributs mondains avec nous au moment de la mort. Bien évidemment nous avons toujours su cela de manière intellectuelle, mais nous avons généralement refoulé l’impact émotionnel de ce sujet douloureux jusqu’à ce que nous affrontions ce moment de vérité finale où le déni n’est plus possible. A ce moment-là nous réalisons que ce que notre société nous a appris sur la propriété privée est en fait totalement erroné. Nous ne possédons jamais vraiment quoi que ce soit ; nous l’utilisons seulement pendant que nous sommes en vie. Cette vérité est le plus évidente par rapport à la Terre, qui demeurera ici pendant des éons bien après notre mort, ainsi que l’affirme de façon puissante une version du Traité Oratoire 1854, attribué par certaines sources au Chef Seattle. En outre lorsque nous affrontons la mort, tout le temps que nous avons passé à chercher et à poursuivre de fausses sécurités et des sources de bonheur dans le monde matériel apparaît désormais comme ayant été gâché. Nous réalisons qu’en nous orientant toujours vers des réussites futures, nous n’avons jamais vécu dans le présent, et dans un certain sens, que nous n’avons jamais vraiment vécu du tout. Plus nous avons accumulé de béquilles existentielles, plus nous devons en laisser derrière nous, et plus le processus de la mort nous sera difficile. Bon nombre de personnes ont déjà réussi ce dont nous nous contentons seulement de rêver : les puissants, les riches et les personnes célèbres. Nous voyons clairement que leurs acquisitions fabuleuses, leurs réussites et leur pouvoir ne les ont pas rendus heureux. Et cependant nous avons tendance à nous laisser berner et à croire qu’il en irait différemment pour nous. La littérature de l’Ars Moriendi se concentre sur cette catégorie de personnes proéminentes et illustres, et les textes et les images tentent de montrer que la gloire du monde n’a qu’une petite valeur lorsque nous affrontons la mort, et que nous attachements matériels peuvent représenter un sérieux obstacle et des complications. Le message est clair : les réussites extérieures ont échoué à rendre les individus décrits heureux lorsqu’ils étaient en vie, et elles ne furent pas capables de les protéger contre la crise ultime au moment de leur mort. La grande Faucheuse est une grande justicière et elle ne fait pas de différences. Elle ne fuit pas les riches, les célèbres et les puissants et elle saisit des personnes de tous styles de vie, professions et classes sociales. Les textes de l’Ars Moriendi abondent en descriptions de rois, de grands chefs militaires, et de papes ou d’autres représentants du pouvoir séculaire de l’Eglise, en train de mourir. Cette littérature dresse un portrait de la Mort comme étant le chef suprême de tout : tout ce qui est vivant ou qui existe mourra tôt ou tard ou sera réduit à néant. Les peintures, dessins, gravures sur bois, gravures, et sculptures inspirées par l’Ars Moriendi forment un chapitre important de l’histoire de l’art européenne. Le dilemme de base de l’existence humaine – le besoin de trouver un sens à la vie en dehors de la mort et de l’impermanence - fut graphiquement illustré dans le tableau médiéval de l’Escalier de la Vie. Cette image représentait le processus de vieillissement comme le fait de grimper un escalier et de devenir de plus en plus âgé à chaque marche. Le haut des marches symbolisait la fleur de la vie et les années à suivre étaient représentées par des marches descendantes sur le même escalier. Dans un contraste poignant, le bébé venant de naître dans un berceau et la personne défunte dans une tombe occupaient les places correspondantes dans les côtés opposés de l’escalier, en miroir. Cette puissante allégorie suggérait que cette dure réalité de notre existence devait être considérée comme une adaptation intelligente au processus de la vie. Le même thème était exprimé d’une façon quelque peu différente dans le tableau de la Roue de la Vie, qui montrait la Mort au dessus du globe terrestre comme le maître suprême du monde. Sous cette figure de squelette, une roue horizontale en rotation représentait le cours de la vie humaine. Chaque personne rentrait dans cette roue comme nourrisson, grandissait tandis qu’elle tournait et tombait morte au même endroit où elle était montée sur la roue. Un tableau célèbre de Hans Baldung–Grien, les Trois Ages de la Femme, représente de manière succincte une autre variation sur ce thème. Il juxtapose les images de la même femme à trois périodes de sa vie – comme nourrisson, comme jeune belle, et comme vieille laide. La mort se tient derrière sous la forme de la Grande Faucheuse tenant dans ses mains un sablier, comptant les jours de vie restants. La représentation la plus puissante et la plus géniale du pouvoir de la mort est le tableau du XVIème siècle par Peter Bruegel l’Ancien intitulé le Triomphe de la Mort. Il illustre le concept médiéval de l’égalité de tous devant la mort : le roi, l’évêque, le chevalier, les moines, les soldats et les paysans attaqués par la mort et vaincus sans aucune distinction. La nature incessante de la mort est représentée de manière convaincante par l’idée géniale de l’artiste d’en faire le portrait sous la forme de grandes armées de squelettes en surnombre et en surpuissance par rapport à leurs victimes désemparées. L’atmosphère de catastrophes terrifiantes, telles que des feux, des naufrages de navires et des exécutions, complète le tableau. Danse de la Mort : Scènes de La Danse macabre des Hommes, imprimé par Guyot Marchant, Paris 1486, et de La Danse macabre des Femmes, imprimé par Antoine Vérard, Paris 1486. La Mariée et la Prostituée in La Danse macabre des Femmes Commentaire [E17]: Gravures p 109 et 110 Le Pape et l’Empereur in La Danse macabre des Hommes Le Docteur et l’Amant in La Danse macabre des Hommes L’Astrologue et le Bourgeois. In La Danse macabre des Femmes Le chef d’œuvre de Bruegel est puissant dans son ensemble et dans chacun de ses détails. L’un des détails de ce grand canevas montre, par exemple deux figures représentant l’autorité séculaire et religieuse – le roi et l’évêque - au moment de leurs morts. Aucun de leurs pouvoirs terrestres ne leur est utile à ce moment-là. Des squelettes réclament occasionnellement leurs corps et collectionnent l’or et l’argent que ces puissantes figures ont amassé au cours de leurs vies. Un autre détail montre la mort sous forme d’un groupe de squelettes descendant à une fête joyeuse de personnes poursuivant les joies de la vie. Alors qu’un joueur essaye de se cacher sous la table et deux amants tentent d’échapper à ce monde de terreur en s’occupant l’un de l’autre, un soldat fort fait une tentative infructueuse de résister au pouvoir de la mort. La Danse de la Mort (Danse macabre, Danza de la Muerte, Totentänz) Alors que les représentations du Triomphe de la Mort montrent le pouvoir universel de la mort comme étant le maître ultime incontesté de tout ce qui vit, le thème de la Danse de la Mort se concentre sur l’aspect dynamique de la mort. Dans sa représentation, la Mort rencontre des personnes de nombreuses manières différentes et dans des contextes divers et elle les embarque dans sa frénésie intoxicante. Le thème de la Danse de la Mort n’était pas seulement décrit dans la littérature et dépeint dans l’art, mais également joué dans des processions allégoriques grotesques impliquant des centaines de participants et de spectateurs. De grandes foules de personnes en costumes bizarres et portant des masques étranges se baladaient dans les villes médiévales dansant au son de musiques fortes et pénétrantes. La danse frénétique des vivants et des morts représentait les pouvoirs suprêmes, inévitables et impartiaux de la Mort. Des épidémies tuant des personnes par centaines conféraient à ces processions un fond de pouvoir extraordinaire. La Danse de la Mort était un phénomène de masse populaire et il trouva son expression dans la littérature, la poésie, le drame et dans les arts visuels. Elle débuta à la fin du XIIIème siècle et au début du XIVème siècle en France où elle était connue sous le nom de danse macabre ; cependant, beaucoup d’autres pays européens avaient leurs équivalents locaux, tels que la totentänz allemande, ou la danza de la muerte espagnole. Le concept anticipé dans les poèmes de Vado Mori (Je marche à ma mort) semble s’être cristallisé et avoir acquis son élan en conséquence de la Mort Noire au milieu du XIVème siècle. La chanson du XIVème siècle « Ad mortem Festinamus » (nous nous hâtons à la mort) offre un exemple précoce de ce motif dans la musique, et à la fin de ce siècle, une version dramatisée fut jouée dans une église de Normandie. L’exemple le plus ancien de la Danse de la Mort dans son intégralité est une série de peintures qui se trouvait anciennement dans le cimetière parisien des Innocents. Dans cette série de peintures, la hiérarchie complète de l’Eglise et de l’Etat, du Pape et de l’Empereur jusqu’à l’enfant, au clerc et à l’ermite, formaient une configuration de danse, les vivants mêlés aux squelettes et aux cadavres qui escortaient les vivants à leur tombeau. Ce sévère rappel de l’inévitabilité de la mort et l’exhortation au repentir fut détruit en 1669, mais sa reproduction suivit dans les gravures de bois de l’imprimeur Guyot Marchant, et les vers explicatifs ont également été préservés. Une collection des gravures du peintre allemand Hans Holbein le Jeune datant le la première moitié du XVème siècle est une autre célèbre série d’illustrations puissantes dépeignant de nombreux thèmes de l’Ars Moriendi. L’Orchestre de la Mort. Gravure sur bois par Michaël Wolgemut. (in Liber Chronicarum, de Hartmann Schedel Nüremberg 1493) Le Thème de la Danse de la Mort a eu un profond impact sur la vie culturelle pendant plusieurs siècles. Ces motifs apparaissent dans la littérature, la poésie, les caricatures, les peintures et les sculptures, tout comme dans la musique, les pantomimes et le ballet. Beaucoup de personnalités proéminentes de la culture – dont Johan Wolfgang Von Goëthe, et Franz Liszt - étaient attirées et inspirées par la Danse de la Mort. Ce goût pour la danse atteint des proportions exceptionnelles dans bien des pays européens et était de loin la manifestation la plus radicale de toutes les préoccupations médiévales concernant la mort, en raison de son pouvoir psychologique inhabituel transcendant les barrières du sexe, de l’âge et des classes sociales. La danse accentuait les peurs de la mort et de l’égalité sociale. Elle servait également de moquerie envers les riches et puissants. Les Trois Vivaces, et les Trois Morts48 Une puissante fable d’enseignement de la mort et de l’impermanence est l’histoire de trois jeunes gens et de trois cadavres. Trois jeunes et riches nobles chassent à travers la campagne en compagnie de leur entourage. A un moment donné, ils découvrent trois cercueils contenant trois cadavres à trois différents stades de leur décomposition. A leur grande surprise, les cadavres commencent à parler et leur transmettent un message déplaisant et effrayant concernant la vérité à laquelle les trois aristocrates avaient tenté d’échapper en poursuivant les plaisirs terrestres : « nous étions ce que vous êtes maintenant et le temps viendra où vous deviendrez ce que vous avez sous les yeux ». Le rendu le plus célèbre de ce thème dans l’art visuel est la grande fresque à Camposanto de Pise généralement attribuée à Francesco Traini, qui montre les trois cadavres dans leurs cercueils s’entretenant avec les trois nobles. Cette même peinture montre également une fête avec leurs amis célèbres festoyant et se divertissant. A l’arrière-plan, des diables réclament les personnes qui n’ont pas mené une vie convenable et ils les transportent en Enfer. L’Art de mourir et les attaques de Satan 48 Voir les illustrations en couleur, la fresque de Traini (NdT) Commentaire [E18]: Gravure p 112 L’autre plus grande catégorie de travaux médiévaux traitant de la mort, est la littérature concernant l’Ars Moriendi, dans son sens le plus étroit, comprenant des textes traitant de l’expérience de la mort en elle-même et de l’art de guider et d’appuyer les individus mourants dans leur dernier voyage. Comme dans le cas des textes de l’Ars Vivendi, les idées exprimées dans ces travaux ont profondément influencé non seulement la littérature et la philosophie mais aussi la peinture et la sculpture de l’époque. Le début de ce genre littéraire date de la fin du XIVème siècle, lorsque le taux de mortalité atteignit ses dimensions les plus dramatiques, et qu’il devint physiquement impossible aux prêtres de visiter personnellement toutes les personnes gravement malades, et de les préparer à la mort. Dans ces circonstances, beaucoup de personnes mouraient sans aucune assistance cléricale, et selon le point de vue de l’Eglise Catholique «en plein pêché ». En conséquence beaucoup de représentants du clergé s’intéressèrent au fait de disséminer des informations afin d’aider les personnes à se préparer à la mort pendant qu’ils étaient encore en vie. Les moines dominicains et franciscains prêchaient spécialement et enseignaient que la mort est une des dernières affaires des êtres humains. Originellement, l’Ars Moriendi, fut rédigé comme un manuel pastoral pour les jeunes prêtres afin de les préparer à travailler avec les individus mourants. Plus tard, le nombre de prêtres devint insuffisant à combler la demande de plus en plus importante, les textes furent traduits en langage populaire pour les rendre compréhensibles et disponibles aux agonisants. Attaques de Satan. D’après la croyance chrétienne médiévale, au moment de la mort les forces diaboliques faisaient leurs dernières tentatives désespérées pour détourner l’âme de son chemin vers le Ciel. Ces dessins montrent les « attaques de Satan » à travers la tentation par l’avarice, la vanité et l’impatience. (Livre xylographique édition hollandaise de l’Ars Moriendi 1471) Certaines parties de ces textes étaient profondément influencées par les techniques chrétiennes orthodoxes. Ces parties traitaient des questions spécifiques que les membres du clergé considéraient comme importantes vis-à-vis des mourants et qui, selon eux, requerraient des réponses spécifiques. D’autres parties contiennent des passages de grand intérêt pour les thanatologues et les psychologues transpersonnels, car ils traitent des états de conscience vécus par les mourants pour les préparer à de nombreuses difficultés et défis du voyage posthume de l’âme. Des sections spéciales contiennent également de nombreuses instructions pour les membres de la famille et pour les autres personnes assistant les personnes grièvement malades. Elles décrivent comment traiter et guider les individus affrontant la mort pendant les derniers jours et les dernières heures de leur vie de façon à leur faciliter leur transition vers l’au-delà. Le nombre de manuels médiévaux de ce type traitant de la mort semble de prime abord énorme. Cependant, bon nombre d’entre eux sont des variations de plusieurs sources originales. Quoi qu’il en soit, plusieurs traits fondamentaux de la pensée ainsi que des thèmes récurrents peuvent être extraits de cette partie de la littérature de l’Ars Moriendi. Comme nous l’avons dit précédemment, certains de ces textes sont de nature relativement formelle, fondés sur un système rigide et codifié de questions spécifiques adressées aux mourants, qui requerraient les réponses prescrites. Un modèle d’instructions et d’admonestations concrètes y figurait également avec des prières-types au Christ à Marie et à l’Archange Saint-Michel. Cet aspect de soins aux mourants était directement influencé par les croyances traditionnelles du christianisme, et il permit aux doctrines orthodoxes d’accroître leur influence. Les autres parties des textes sont beaucoup plus intéressantes d’un point de vue moderne. Quoiqu’également colorées du symbolisme chrétien, elles se concentrent sur les aspects expérimentaux de la mort. Le phénomène généralement appelé « attaques de Satan » (die Anfeschtungen Satans) entre autres mérite une attention particulière. C’étaient là des défis particuliers que les mourants traversaient pendant les états de conscience holotropiques qui survenaient pendant les dernières heures de leur vie. Les autorités de l’Eglise Chrétienne interprétaient ces expériences difficiles comme étant la résultante de la tentative de dernière minute du diable de détourner les âmes de leur chemin vers le Ciel, en intervenant à ce moment clef spécifique et stratégique. La plupart des manuels distinguaient et traitaient de cinq principales « attaques du diable » : Les sérieux doutes concernant la foi Le désespoir et les doutes de conscience L’impatience et l’irritabilité due à la souffrance La vanité, la fierté et l’arrogance La gourmandise, l’avarice et d’autres préoccupations terrestres Par ailleurs, certains textes ajoutent à cette liste le refus de se rendre à la mort. Ces tentatives du Diable étaient alors contrées par les interventions et les influences divines, qui donnaient au mourant un avant-goût du Ciel, un sentiment d’être soumis au jugement divin, une sensation d’obtenir une aide supérieure, et une promesse joyeuse de rédemption. J’ai traité plus haut dans ce chapitre des passages semblables des Livres des Morts Egyptien et Tibétain, qui décrivent la mort, le jugement divin les domaines de l’Au-Delà, et la renaissance dans une autre vie. Homme Riche, Vieillard, Marchand et Fermier, in Imagines Mortis, par Hans Holbein le Jeune. (Imprimé par J. Fellon Lyons 1547) Empereur, Abbé Duchesse et Religieuse, in Imagines Mortis, par Hans Holbein le Jeune. (Imprimé par J. Fellon Lyons 1547) La plupart des manuels médiévaux tombaient d’accord sur le fait que le but de cette préparation à la mort biologique était de provoquer chez la personne affrontant la mort la bonne disposition et la bonne attitude envers elle. Certains des manuels affirmaient de manière explicite qu’il était moins nocif que les personnes qui portaient assistance au mourant évoquent la peur de celui-ci, plutôt que de lui permettre d’utiliser le déni, et ainsi de permettre à la personne de mourir de façon non-préparée. L’approche de la mort recommandée dans l’Ars Moriendi était ainsi diamétralement opposée aux pratiques qui jusqu’à il n’y a pas si longtemps ont prévalu dans la médecine moderne occidentale. Dans nos hôpitaux, les personnes et le personnel médical essayaient généralement de cacher aux patients le diagnostic et les pronostiques, ainsi que les maladies graves, car ils craignaient l’impact émotionnel que cela aurait sur le patient. La même attitude et stratégie était souvent partagée par les membres de la famille. Dans notre programme Spring Grove décrit au chapitre 13, nous avons souvent rencontré des situations où le personnel médical et les proches parents concentraient tous leurs efforts à cacher la vérité de la situation au patient. Malgré une énorme avancée dans ce domaine, ce genre d’approche n’est pas habituel, même de nos jours. Chapitre 7 Commentaire [E19]: Gravures p 116 et 117 PERSPECTIVES CULTURELLES SUR LA NATURE DE LA REALITE ET DE LA CONSCIENCE Le plus grand obstacle aux découvertes n’est pas l’ignorance, mais les connaissances illusoires. Daniel J. Boorstin auteur et Bibliothécaire du Congrès LES SYSTEMES DE CROYANCES des cultures préindustrielles ont rendu la situation psychologique des personnes mourantes plus aisée par rapport à l’expérience des mourants dans la civilisation occidentale moderne. Les personnes des cultures antérieures croyaient traditionnellement à la survie de la conscience après la mort, aux réalités spirituelles, aux royaumes ancestraux, et à la réincarnation. La conclusion à laquelle on parvient immédiatement lorsqu’on est un Occidental éduqué, est que cet avantage psychologique était dû au fait que les personnes dans les sociétés antérieures avaient de fausses conceptions concernant la nature de la réalité. Leurs spéculations à propos de la vie après la mort, du voyage posthume de l’âme, et de l’au-delà, n’étaient rien d’autre que des produits de leur peur et de leur déception pleine d’espoirs. Si de telles croyances n’étaient que naïves, la grande difficulté que les personnes modernes ont à affronter la mort serait le prix à payer pour leur connaissance plus avancée et plus mature du schéma universel des choses. Dans ce cas, nous préférerions courageusement affronter la sinistre réalité de notre existence, et supporter les conséquences émotionnelles dérivant du fait de savoir la vérité. Cependant l’examen plus en profondeur des preuves existantes montre que ce qui peut à première vue sembler n’être que des superstitions enfantines des cultures préindustrielles peut être appuyé par les conclusions modernes de la recherche sur la conscience. La compréhension de la nature humaine et du cosmos partagée par les pays à technologie moderne diffère de façon significative des visions du monde des cultures anciennes et préindustrielles. Dans une certaine mesure, c’est là une conséquence naturelle et attendue du progrès historique. Au fil des siècles, les scientifiques des différentes disciplines ont exploré de façon systématique le monde matériel – depuis le domaine des particules subatomiques jusqu’aux galaxies – et ils ont accumulé une quantité impressionnante d’informations non-disponibles auparavant. Etant donné la technologie incroyable employée pour publier ces informations, dans le but de les préserver et les divulguer, des générations de scientifiques ont complété, corrigé et remplacé les concepts précédents à propos du monde et de la matière. Cependant la différence la plus surprenante et la plus frappante entre les deux visions du monde n’est pas la quantité et la justesse relative d’informations concernant la réalité matérielle, mais le désaccord fondamental concernant la psyché humaine et les dimensions sacrées ou spirituelles de l’existence. Les états holotropiques et la nature de la réalité. La recherche sur la conscience moderne a montré que la raison principale de la divergence entre ces deux perspectives culturelles n’est pas la supériorité de la science matérialiste sur la superstition primitive, mais notre profonde ignorance concernant les états de conscience holotropiques. La seule manière pour que la vision du monde matérialiste et moniste de notre science occidentale puisse être maintenue est soit la destruction, soit la mésinterprétation de grandes quantités de preuves générées par les études de la conscience humaine, que cette source soit historique, anthropologique, thanatologique, ou qu’elle provienne de la psychothérapie psychédélique, la privation sensorielle, les psychothérapies expérientielles, ou encore du travail avec les individus dans des crises psychospirituelles (les urgences spirituelles). L’exposition systématique à des formes variées d’états holotropiques, composante essentielle de la vie rituelle et spirituelle des cultures anciennes ou aborigènes, mène inévitablement à une compréhension de la nature de la réalité et de la relation entre la conscience et la matière qui est fondamentalement différente du système de croyances des sociétés technologiques. Je n’ai encore jamais rencontré jusqu’à ce jour un seul académicien Occidental qui après avoir travaillé de manière extensive sur les états de conscience holotropiques, continue à souscrire exclusivement à la vision du monde scientifique généralement enseignée dans les universités occidentales. La résultante de telles expériences est que la compréhension de la psyché, de la conscience, de la nature humaine, et de la nature de la réalité passe généralement du côté des Grandes philosophies Orientales et de leur point de vue mystique. Ce changement est totalement indépendant de l’éducation, du quotient intellectuel, et des domaines de spécialisation des individus en question. Ainsi, la différence d’opinion concernant la possibilité de survie de la conscience après la mort est simplement le reflet de la quantité d’expériences faites dans les états de conscience holotropiques. Les cultures anciennes et préindustrielles tenaient en haute estime ces états et ils en faisaient l’expérience régulièrement dans des contextes reconnus socialement. Ils consacraient beaucoup de temps et d’énergie à développer des techniques sûres et efficaces pour les provoquer. Ces expériences représentaient le principal véhicule pour les rituels et la vie spirituelle de ces cultures et ils communiquaient de manière directe avec le monde des déités et des démons, les domaines archétypaux, la nature, et le cosmos. Les états holotropiques étaient également utilisés pour diagnostiquer et guérir des maladies, pour cultiver l’intuition et pour servir comme source d’inspiration artistique. D’autres utilisations étaient plus pratiques, tels que trouver un jeu et suivre ses mouvements ou encore localiser les personnes et les objets perdus. (D’après l’Anthropologue Vicot Turner, la participation de groupes dans les rituels contribue aux liens tribaux, et tend à créer une sensation de profonde connexion (« communitas ») (Turner 1974). Par ailleurs, les expériences holotropiques, spontanées ou résultant de pratiques spirituelles rigoureuses, représentaient aussi la source la plus importante des grandes religions du monde. Sous l’influence de la Révolution Scientifique et Industrielle, les sociétés Occidentales rejetaient les états holotropiques et les révélations qu’ils offraient et ils interdisaient même quelques uns des moyens et des contextes propres à leur apparition, simplement parce que les perspectives résultant de tels états rentraient en conflit avec les formes de pensée rationnelle. Dans l’ère moderne, tout ce qui est associé à de tels états est vu comme un résidu embarrassant des Temps Obscurs, ou comme un légat de l’enfance de l’humanité, que le progrès scientifique a discrédité et dépassé. Les psychiatres traditionnels ont eu tendance à rendre les états de conscience holotropiques pathologiques, et ils ont consacré beaucoup de temps à essayer de développer des façons efficaces de les supprimer lorsqu’ils arrivent de manière spontanée. Les cultures primitives sont vues comme « primitives » dans le sens péjoratif du terme et leurs pratiques rituelles et spirituelles comme des produits d’une façon de penser magique et immature, ou même de psychopathologie. Cette perspective a profondément influencé l’attitude des scientifiques matérialistes envers la religion, étant donné que les expériences visionnaires ont joué un rôle cardinal dans l’histoire spirituelle de l’humanité. Gautama Bouddha, méditant à Bodh Gaya, sous l’arbre Bo, a vécu une expérience radicale : Kama Mara, le maître du monde illusoire, essaya de le détourner de sa quête spirituelle. Kama Mara, utilisa d’abord ses trois belles filles – le Désir, la Réalisation, et le Regret- dans un effort de divertir Bouddha de son intérêt pour la spiritualité vers le sexe. Voyant que cela échouait, il fit venir son armée menaçante pour susciter la peur de la mort chez Bouddha, et pour l’empêcher d’atteindre l’Illumination. Bouddha vainquit ces obstacles et atteignit l’Illumination et de l’éveil spirituel. Dans sa méditation, Bouddha vit également ses précédentes incarnations et il vécut une profonde libération de ses limites karmiques. Dans la tradition judéo-chrétienne, l’Ancien Testament décrit de nombreuses expériences visionnaires, comme celle de Yahvé parlant à Moïse depuis le Buisson Ardent, et la vision de Daniel Commentaire [E20]: Olivier: Je ne comprends pas/ Locating game and following it's movements. haut de la page 121 des quatre bêtes et du futur Messie. D’autres passages concernent l’expérience puissante de Joshua du « capitaine de l’Hôte du Seigneur » (l’ange qui lui donna les instructions pour la capture de Jéricho), et l’apparition du « Dieu Elevé et Souverain » du prophète Isaïe. Le Nouveau Testament décrit la tentation de Jésus par le Diable pendant qu’il était dans le désert. De la même façon, la vision aveuglante que Saul eût de Jésus sur le Chemin de Damas, la révélation apocalyptique de Saint-Jean dans sa cave sur l’île de Patmos, l’observation du chariot enflammé d’Ezéchiel, et bien d’autres épisodes sont clairement des expériences transpersonnelles d’états de conscience holotropiques. La Bible fournit bien d’autres exemples de communication directe avec Dieu et avec les anges. En outre, la description des tentations de Saint-Antoine et d’autres expériences visionnaires d’autres pères du Désert et de Saints sont des épisodes bien documentés de l’histoire chrétienne. Le texte Islamique Miraj Nameh décrit « le voyage miraculeux de Mohamed », une puissante expérience visionnaire durant laquelle l’Archange Gabriel escorta Mohammed à travers les Sept Cieux Musulmans et l’Enfer (Gehenna). Pendant sa visite visionnaire au Ciel, Mohamed eut une entrevue avec Allah. Dans un état décrit comme une « extase approchant le nihilisme » il reçut un message direct d’Allah. Ces visions prophétiques dans lesquelles l’Archange Gabriel le proclama « Messager de Dieu » se poursuivirent pendant une vingtaine d’années. Les suiveurs de Mohammed mémorisèrent ces visions et plus tard ils les transcrivirent sur des feuilles de palmiers, des rochers et des os. Le travail rassemblé ainsi devint les bases des sourates du Coran et de la foi musulmane. Les psychologues traditionnels interprètent généralement toutes les expériences visionnaires, y compris celles des fondateurs des religions, de leurs saints et de leurs prophètes, comme des manifestations de sérieux problèmes mentaux, même s’il n’y a pas d’explication médicale qui fasse état de ce point de vue. Dans ce contexte-là, aucune distinction n’est faite entre une expérience mystique ou spirituelle et une expérience psychotique - les deux sont vues comme des processus pathologiques d’étiologie inconnue. En rejetant la religion, la psychiatrie traditionnelle ne fait pas la différence entre les croyances traditionnelles primitives ou l’interprétation des fondamentalistes des écritures et des traditions mystiques sophistiquées d’une part, et les philosophies orientales fondées sur des siècles exploration et d’introspection systématiques de la psyché d’autre part. Les écrits et les textes psychiatriques contiennent de nombreux articles et livres qui traitent de ce que serait le diagnostique le plus approprié pour bon nombre des plus grandes figures de l’histoire spirituelle (Vondraček et Holub 1993). Les cliniciens modernes voient généralement les personnages religieux de la stature d’un Bouddha, d’un Jésus-Christ, d’un Ramakrishna49 et d’un Sri Ramana Maharshi, comme souffrant de schizophrénie ou d’une autre forme de psychose, parce qu’ils interprètent les expériences visionnaires des maîtres spirituels comme des hallucinations et leurs idées comme des illusions. Dans la même veine, Saint-Jean de la Croix a été qualifié de « dégénéré héréditaire », Sainte Thérèse d’Avila d’« hystérique psychotique sévère » et les expériences mystiques de Mohammed ont été attribuées à l’épilepsie. De la même façon, des anthropologues instruits se sont demandé si les chamanes devaient être diagnostiqués comme étant des schizophrènes, des psychotiques ambulants, des épileptiques ou des hystériques. Le célèbre psychanalyste Franz Alexander, connu pour être l’un des fondateurs de la médecine psychosomatique, a écrit un essai dans lequel la méditation bouddhiste est décrite en termes psychopathologiques et appelée « catatonie artificielle » (Alexander 1931). Le jugement académique le plus favorable jusqu’à présent concernant le 49 Ramakrishna : sage de l’Inde du XIXème siècle, maître spirituel de Swami Vivékanada. Ramakrishna était à l’origne un prêtre de la déesse Kali. Quoique Brahman, Ramakrishna était à peine éduqué. Pour Ramakrishna, l’intellect n’est pas le sommet de la connaissance, il existe une connaissance au-delà de l’intellect, plus profonde et plus vraie : la connaissance spirituelle atteinte par voie méditative. On lui doit également la parabole de l’eau. Dieu est comme l’eau d’un lac : les riverains du lac l’appellent tantôt Dieu, tantôt Yahvé, tantôt Allah, et ainsi de suite selon la langue et les croyances de chacun. Mais il s’agit toujours de la même eau.(NdT) Commentaire [E21]: Olivier je sais très peu de choes sur RM. SI tu veux rajouter une note de bas de page, you're welcome! thanks mysticisme, fut la conclusion du Comité de Psychiatrie et de Religion pour l’Avancement de la Psychiatrie intitulé « Le mysticisme : Quête Spirituelle ou Désordre Psychique ? ». Ce document publié en 1976, concéda que le mysticisme pouvait bien être un phénomène qui se trouve quelque part entre la normalité et la psychose. La religion et la spiritualité ont été des forces de l’histoire de l’humanité et de la civilisation extrêmement importantes. Si les expériences visionnaires des fondateurs des religions, des saints et des prophètes n’étaient que des produits de processus pathologiques affectant le cerveau, il serait difficile d’expliquer pourquoi des millions de personnes ordinaires ont trouvé de telles expériences inspirantes et pourquoi elles leur ont permis de façonner leurs vies, sans parler de l’influence profonde que les idées religieuses ont eu sur l’histoire commune à travers les siècles. Et si nous considérons les créations extraordinaires inspirées par les grandes religions du monde - des peintures, sculptures et musiques sacrées de tous les âges à couper le souffle jusqu’aux temples hindous, en passant par les mosquées musulmanes et les cathédrales gothiques - il est absurde de les considérer comme les hallucinations et les désillusions d’individus psychotiques. La vie rituelle et spirituelle a joué un rôle cardinal dans chacune des cultures anciennes ou préindustrielles. L’approche actuelle de la psychiatrie occidentale et de la psychologie fait non seulement de la vie spirituelle, mais aussi de la vie culturelle de tous les groupes humains à travers les siècles, des pathologies. Selon ce point de vue, le seul groupe sain et normal, serait celui de l’élite éduquée de la civilisation industrielle occidentale, qui partage le point de vue matérialiste et athéiste du monde. Comment la religion aurait-elle pu influencer l’histoire du monde de manière aussi profonde si la vie rituelle et spirituelle était fondée sur des hallucinations, des illusions et des superstitions totalement infondées ? Pour exercer un effet tellement puissant la religion doit clairement refléter un aspect très profond et authentique de la nature humaine, aussi problématique et distordue que soient les expressions de cette sagesse originelle. Par bonheur, la recherche sur la conscience moderne des cinquante dernières années a généré une grande quantité d’informations fascinantes qui offrent de nouveaux points de vue à la spiritualité en général, et au problème de la littérature eschatologique et de la survivance de la conscience après la mort en particulier. Preuves de dimensions spirituelles de la réalité et survivance posthume de la conscience Des études modernes des états holotropiques de conscience ont révolutionné la compréhension de la conscience et de la psyché humaine, du moins chez les chercheurs qui sont en mesure d’examiner les preuves disponibles avec ouverture d’esprit. Malheureusement bon nombre d’académiciens ont un engagement inébranlable envers les paradigmes existants et sont totalement fermés à tous les faits susceptibles d’ébranler leurs croyances. Cette attitude caractérise les religions fondamentalistes mais ne leur est malheureusement pas exclusive. La véritable science est ouverte à toute recherche sur les phénomènes existants. Avec cette idée en tête, examinons maintenant les expériences et observations qui apportent des preuves à l’appui de l’existence des dimensions spirituelles de la réalité et à la possibilité de la survivance de la conscience après la mort. Ces expériences rentrent dans deux catégories. La première regroupe les expériences qui ne rentrent pas dans les travaux et les conceptions actuels et requiert par conséquent que le modèle de la psyché humaine utilisé dans la psychologie soit revu et étendu dans son ensemble. Ces anomalies représentent un défi critique à la philosophie moniste et matérialiste de la science occidentale et sa compréhension de la conscience ainsi que sa relation à la matière. Les résultats de telles expériences offrent des preuves convaincantes de l’existence des dimensions spirituelles de l’existence et de la légitimité des poursuites spirituelles, car elles montrent que les arguments allant dans le sens du point de vue mystique du monde sont bel et bien fondés d’après les informations obtenues par la recherche. En sapant l’affirmation selon laquelle la conscience est un épiphénomène de la matière, ces conclusions donnent du crédit à la possibilité que la conscience survive à la mort biologique mais n’offrent pas de preuves directes à la croyance en la vie après la mort. La seconde catégorie d’observations des états de conscience holotropiques comprend le phénomène spécifiquement lié au problème de la survie de la conscience après la mort. A cette catégorie appartiennent les apparitions et bien des événements associés à la mort et à son processus, aux expériences de mort imminente, et à celles suggérant la possibilité de la réincarnation et la communication avec les personnes décédées. Alors que ces conclusions ne constituent pas de preuves définitives à la continuation de la conscience et à l’existence au-delà du moment de la mort biologique, elles rendent ce concept possible et même plausible. L ‘existence de telles expériences transpersonnelles montre que les croyances évoquant la survie de la conscience, le voyage posthume de l’âme, les domaines de l’au-delà et la réincarnation sont bien plus que des fantasmes. Dans le chapitre suivant, je mets en évidence la cartographie étendue de la psyché, fondée sur la recherche des états holotropiques. Outre le niveau biographique personnel et celui de l’inconscient individuel, cette nouvelle carte inclut deux domaines transbiographiques : le périnatal et le transpersonnel. Ces domaines de la psyché sont les sources d’expériences mystiques qui ont fourni l’inspiration aux grandes religions et aux traditions mystiques du monde et qui continuent de nourrir la quête spirituelle. Après avoir explicité cette cartographie essentielle à la compréhension de la spiritualité, je traite ensuite dans les chapitres suivants des expériences qui sont directement significatives au problème de la survie de la conscience après la mort. CHAPITRE 8 DIMENSIONS DE LA CONSCIENCE : NOUVELLE CARTOGRAPHIE DE LA PSYCHE HUMAINE Il est un spectacle plus grandiose que la mer, c’est le ciel ; il est un spectacle plus grandiose que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme. Victor Hugo, Les Misérables LES EXPERIENCES et les observations portant sur les états holotropiques ne peuvent pas être expliqués dans les cadres conceptuels utilisés par la psychiatrie et la psychologie classiques lesquels sont limités à une biographie postnatale et à la conscience individuelle freudienne. Ces nouvelles données représentent un défi conceptuel essentiel au matérialisme moniste et au paradigme cartésio-newtonien qui prévaut dans la science classique. Afin d’explorer de manière sensée le problème de la survie de la conscience après la mort, nous avons besoin d’une image plus grande et plus exhaustive de la psyché humaine et d’une compréhension radicalement différente de la conscience. Pendant les premières années de mes recherches psychédéliques, j’ai esquissé une cartographie très étendue de la psyché qui semble relever ce défi. La source de cette carte étaient mes travaux cliniques avec les psychédéliques, mais sa pertinence générale fut plus tard confirmée par nos observations issues de la pratique de la respiration respiratoire holotropique, où aucune substance n’était utilisée. Ce nouveau modèle de la psyché a également été confirmé en outre par les résultats d’autres domaines de recherche sur la conscience, par les psychothérapies expérientielles, et par le travail avec les individus traversant des crises psychospirituelles spontanées. Dans sa forme présente, cette cartographie étendue est fondée sur des observations de séances avec des centaines de milliers de clients, d’apprentis et de participants dans les ateliers expérientiels (Grof 1980 et 2000, Grof et Grof 1990). La nouvelle carte de la psyché partage avec la psychologie classique et la psychiatrie deux choses : le domaine de souvenirs-biographiques ainsi que l’inconscient individuel freudien. Cependant, dans le cadre conceptuel traditionnel, ces deux domaines représentent la totalité de la psyché ; la nouvelle cartographie quant à elle, est en revanche, bien plus étendue. Elle englobe deux grands domaines importants qui sont transbiographiques par nature ; ils se trouvent au-delà (ou en dessous) du domaine des contenus conscients et inconscients liés à la biographie postnatale. J’appelle le premier de ces deux nouveaux domaines le domaine périnatal, car cette appellation Commentaire [E22]: Citation traduite à partir de l’anglais. J’ai cherché partout ( wiki quot et autres sites sur VH mais rien trouvé Commentaire [E23]: Olivier C'est Bien ça "experiential workshops"? reflète son lien proche à la naissance biologique, et le second domaine transpersonnel, car il va audelà de l’identité personnelle telle qu’elle est généralement définie. La cartographie étendue de la psyché dans sa forme présente n’est pas entièrement nouvelle. Bien qu’elle soit issue de ma propre recherche, elle représente une synthèse des perspectives de nombreuses écoles de psychologie des profondeurs50 connues de l’histoire de la psychanalyse. Elle utilise quelques uns des concepts freudiens d’origine, mais elle apporte aussi d’importantes révisions apportée par de nombreux renégats psychanalytiques. Par exemple, dans son livre pionnier le Trauma de la Naissance, Otto Rank décrivit l’existence de l’inconscient périnatal et accentua son importance pour la psychologie et la psychothérapie (Rank 1929). Les psychanalystes Fodor Nandor et Lietaert Peerbolte ont confirmé par ailleurs les idées de Rank concernant l’importance du trauma de la naissance (Fodor Nandor et Lietaert Peerbolte 1975). Wilheim Reich a découvert les puissantes énergies stockées dans la psyché et dans le corps responsables de ce qu’il appelait « l’armure du caractère » (Reich 1949). Il parla du rôle important que de telles énergies jouent dans une grande gamme de phénomènes, allant des névroses au désordre psychosomatiques, jusqu’aux mouvements sociopolitiques (Reich 1961, 1970). Un autre des disciples de Freud, Sandor Ferenczi considéra dans son essai Thalassa, la possibilité que l’inconscient profond héberge des souvenirs de la vie dans l’océan primitif (Ferenczi 1968). C.G. Jung introduisit la de loin l’apport le plus radicale : sa découverte de l’inconscient collectif et des principes qui le gouvernent, appelés archétypes (Jung 1959). Le concept de l’inconscient collectif formait également une partie intégrante de la psychosynthèse de Roberto Assagioli (Assagioli 1976). Les idées de ces pionniers de la psychologie des profondeurs ont été modifiées de manière significative à la lumière des observations des états de conscience holotropiques avant d’être intégrées à la nouvelle cartographie (Grof 1985). Commentaire [E24]: Olivier, une pttite note de bas de page à vérifier STP Biographie Postnatale et inconscient individuel Le domaine de souvenirs biographiques comprend des souvenirs de la tendre enfance, de l’enfance, puis de la vie. Etant donné que cet aspect de la psyché est bien connu de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychothérapie traditionnelles, il ne requiert pas qu’on s’y étende longuement. En fait, le modèle de la psyché utilisé dans les cercles classiques est limité de manière exclusive à ce domaine biographique et à l’inconscient individuel freudien. Comme Freud l’a très bien décrit, l’inconscient est lié de près à la biographie postnatale, en cela qu’il contient des choses que nous avons oubliées ou activement réprimées. Mais dans la nouvelle cartographie, les descriptions du niveau biographique de la psyché ne sont pas identiques à celles du niveau traditionnel. La recherche avec les états holotropiques a montré certains aspects des dynamiques du domaine biographique qui restent inaccessibles aux chercheurs utilisant uniquement la psychologie verbale. Contrairement à la thérapie fondée sur les échanges verbaux, dans la thérapie utilisant les états holotropiques les gens ne se limitent pas à se souvenir des événements significatifs, ou à les reconstruire de manière indirecte d’après les narrations, les associations libres ou les désordres liés aux transferts. Ces émotions originelles, les sensations physiques et même les perceptions sensorielles sont revécues pleinement pendant la régression. Cela signifie que pendant le revécu d’un trauma important de la tendre enfance ou de l’enfance, la personne n’a pas seulement l’image corporelle, ainsi que la perception naïve du monde : elle revit également les sensations et les émotions correspondant à l’âge qu’elle avait à ce moment-là. L’authenticité de cette régression apparaît de façon évidente sous bien des formes différentes ; en l’occurrence, les rides sur le visage 50 Psychologie des profondeurs ou psychologie analytique : née à la fin du XIXème siècle, elle traite du psychisme profond, de ses troubles et de leur correction. Elle est la science de l'inconscient et du conscient, la science de la motivation et du sens de la vie. Freud, Adler et Jung en sont les principaux maîtres (NdT) Commentaire [E25]: Commentaire [E26]: est-ce que le terme exact serait mémoires? cf p 126 "Consists of memories" Commentaire [E27]: dans le texte : transference distortions. des individus régressés disparaissent le temps de la régression, leur conférant une expression infantile, et leurs postures, leurs gestes et leur comportement deviennent enfantins. Les personnes profondément régressées salivent comme des bébés et sucent leurs pouces. Le contenu biographique qui émerge dans les états holotropiques se distingue en outre des psychothérapies verbales en cela que les traumas de nature physique - et non simplement les psychotraumas émotionnels habituels dont il est question dans les écrits psychothérapeutiques- sont revécus et intégrés. Bon nombre de personnes qui participent à des thérapies psychédéliques, ou qui pratiquent la respiration holotropique, ou tout simplement qui vivent des crises psychospirituelles spontanées, ont revécu des opérations, des accidents ainsi que des maladies d’enfance. Les griefs associés à l’étouffement semblent particulièrement importants : les moments de quasi-noyade, de diphtérie, d’accès de toux, d’aspiration par un objet étranger, ou d’agressions par étranglement. Tout cela émerge à la conscience de manière assez spontanée, et sans aucune programmation. A mesure que les souvenirs de ces traumas corporels émergent à la conscience, leur impact devient apparent dans son intégralité. D’une part ils sont nocifs pour le corps, et d’autre part ils ont également un puissant impact psychodramatique et jouent de fait, un rôle important dans la psychogénèse des problèmes émotionnels et psychosomatiques. Les traumas physiques sont fréquemment la cause du développement de désordres tels que l’asthme, les migraines, les douleurs psychosomatiques, les phobies, les tendances sadomasochistes, la dépression et les tendances suicidaires (Grof 1985, 2000). Revivre et intégrer ces souvenirs traumatiques peut avoir des effets thérapeutiques puissants. Cette observation contraste fortement avec la position des psychiatres et des psychologies classiques qui ne reconnaissent pas l’énorme impact des traumas physiques ainsi que leur importance. Les Systèmes COEX Un autre fait important de l’étude du niveau biographique de la psyché au cours des états holotropiques fut la découverte que les souvenirs émotionnels ne sont pas conservées dans l’inconscient comme une mosaïque d’empreintes isolées, mais sous la forme de constellations dynamiques complexes. J’ai inventé le terme de systèmes COEX ou « systèmes d’expériences condensées51 » pour les désigner. Ce concept est d’une telle importance théorique et pratique qu’il mérite une attention particulière. Un système COEX est constitué de souvenirs à la charge importante d’un point de vue émotionnel, issues de différentes périodes de la vie. Elles ont en commun la qualité de l’émotion ou de la sensation physique qu’elles partagent. Chaque système COEX a un thème de base, ou dénominateur commun présent à chacune de ses couches. Les couches individuelles contiennent des souvenirs d’événements de différentes périodes de la vie de la personne qui représentent des variations à ce thème de base. Le nombre et la nature des constellations COEX varie considérablement d’une personne à une autre. Par exemple les couches d’un système particulier peuvent contenir les principaux souvenirs d’humiliation, de honte et d’avilissement qui ont terni l’auto-estime et l’image de soi de la personne. Dans un autre système COEX, le dénominateur commun peut être l’anxiété vécue dans plusieurs situations bouleversantes et terrifiantes ou des sensations claustrophobes et suffocantes activées par des circonstances oppressives et oppressantes/ limitatives. Autre motif commun : celui du rejet et de la privation émotionnelle, qui entame la capacité de faire confiance aux hommes, aux femmes et aux autres en général. D’autres exemples courants sont les situations qui ont généré de profonds sentiments de culpabilité et une sensation d’échec, les événements qui ont engendré l’idée que le sexe est dangereux ou dégoutant, et des rencontres de nature agressive ou violente. Les systèmes COEX les plus importants sont ceux qui contiennent des souvenirs/mémoires de situations mettant en danger la vie, la santé et l’intégrité du corps. Avant que je ne découvre les domaines périnataux et transpersonnels de la psyché, ma compréhension de la psychologie était limitée à l’étroit modèle biographique que j’avais hérité de 51 Systems of condensed experiences Commentaire [E28]: revoir la def des systèmes COEX p128 mes professeurs, et plus particulièrement de mon psychanalyste freudien. Ainsi aux premiers moments de ma recherche psychédélique lorsque j’ai découvert pour la première fois l’existence de systèmes COEX, je les ai perçus comme étant des principes gouvernant les dynamiques du niveau des souvenirs-biographiques de l’inconscient. Cette notion fut appuyée plus tard par des observations des séances thérapeutiques psychédéliques initiales (plus particulièrement lors de l’utilisation de dosages inferieurs) parce que les contenus biographiques dominaient généralement le tableau. A mesure que mon expérience avec les états holotropiques devint plus riche et plus étendue, j’ai vu que les racines des systèmes COEX se prolongeaient de plus en plus profondément. Ma vision actuelle est que chaque constellation COEX est sur-imprimée et ancrée à un aspect particulier du trauma de la naissance ; autrement dit, une constellation COEX est connectée de manière psycho-dynamique aux expériences faites par le fœtus pendant l’une des étapes de l’accouchement. L’expérience de la naissance biologique est tellement complexe et riche en émotions et en sensations physiques qu’elle contient sous forme prototypique les thèmes élémentaires des systèmes COEX les plus concevables. Cependant une constellation COEX va encore plus loin, et ses racines les plus profondes sont des formes variées d’éléments transpersonnels tels que les expériences de vies antérieures, les archétypes jungiens, l’identification consciente à divers animaux et autres. Je vois désormais les systèmes comme des principes d’organisation généraux de la psyché humaine. Ce concept rassemble dans une certaines mesure aux idées de C.G. Jung concernant les « complexes psychologiques » (Jung 1960) et la notion de « systèmes dynamiques transphénoménaux » de Hanscarl Leuner (tdysts) (Leuner 1962), mais avec bien des caractéristiques différentes. Les systèmes COEX jouent un rôle différent dans notre vie psychologique : ils peuvent influencer la manière dont nous nous percevons, dont nous percevons le monde et comment nous nous sentons et agissons. Ce sont là les formes dynamiques présentes derrière nos symptômes émotionnels et psychosomatiques, ainsi que derrière nos difficultés relationnelles et nos comportements irritants (Grof 1975-2000). En fonction de la nature de la charge émotionnelle, les systèmes COEX peuvent être soit négatifs (parce qu’ils contiennent des souvenirs d’événements traumatiques spécifiques et d’expériences déplaisantes) soit positifs (parce qu’ils synthétisent des aspects agréables de l’histoire personnelle). Les personnes qui sont syntonisées à des systèmes COEX négatifs perçoivent le monde et leur propre personne d’une manière plutôt pessimiste. Ils vivent la dépression, l’anxiété, la culpabilité et d’autres perturbations émotionnelles qui dépendent de la nature et du contenu des systèmes COEX qui y sont impliqués. Par ailleurs, ils montrent aussi une variété de symptômes psychosomatiques dérivés des aspects physiques des expériences enregistrées dans les systèmes COEX correspondants. Les individus qui sont influencés par des systèmes COEX positifs, en revanche vivent la plupart du temps un état de bien-être général, et sont capables de jouir pleinement de la vie et du monde. Commentaire [E29]: je ne comprends rien et toi? Les états Holotropiques comme radar intérieur Les états holotropiques agissent comme un « processus de radar intérieur », caractéristique très importante et remarquable extrêmement utile lorsqu’il s’agit de faire état des territoires expérimentaux de la psyché. Ce processus apporte à la conscience les contenus de l’inconscient possédant la charge émotionnelle la plus importante, qui sont les plus pertinents en termes de dynamiques psychologiques et les plus accessibles à ce que la conscience les traite. Cet aspect extraordinaire des états holotropiques s’est également trouvé être d’une aide inestimable pour la psychothérapie (Grof 2000). Dans la psychothérapie qui repose sur les moyens verbaux, les clients présentent, au cours de leurs libres associations ou narrations, une grande quantité d’informations, et le thérapeute doit l’évaluer en jugeant de ce qui est important, de ce qui est pertinent, de là où le client bloque, etc… Le principal problème avec cette approche-là est qu’il y a beaucoup d’écoles de psychothérapie, et elles tombent d’accord sur très peu de processus psychologiques, même en ce qui concerne les problèmes Commentaire [E30]: Je ne comprends pas du tout: traduis à l'aveulgle p129 avt dernier paragraphe fondamentaux. Les nombreuses écoles de psychothérapie ont des points de vue divergents sur les principales forces de motivation et les mécanismes psychodynamiques de la psyché humaine, sur les causes et les significations des symptômes, sur la nature des mécanismes thérapeutiques efficaces, et des techniques psychothérapeutiques. Sans un accord général préalable sur ces problèmes fondamentaux théoriques, beaucoup d’interprétations faites au cours de la psychothérapie verbale sont arbitraires et questionnables ; elles reflètent toujours les points de vus subjectifs du thérapeute, tout comme les spécificités de son école. Les états holotropiques soulagent le thérapeute de décisions aussi problématiques, et éliminent une bonne part de la subjectivité et de l’idiosyncrasie professionnelle des approches verbales. Une fois que le client entre dans un état holotropique, les choix des contenus utiles au traitement se font de manière assez automatique. A partir du moment où le client maintient son expérience interne, le rôle premier du thérapeute est d’accepter et d’appuyer ce qui arrive, que cela cadre ou non avec les préconçus théoriques ou avec ses attentes. Cette fonction de radar intérieur, caractéristique des états holotropiques, a rendu évident le fait que les souvenirs des traumas physiques contiennent une puissante charge à la fois émotionnelle et physique et qu’ils jouent un rôle important dans la genèse des désordres émotionnels et psychosomatiques. Cette sélection automatique de contenu émotionnel pertinent a également guidé mes clients de façon spontanée dans leur processus d’auto-exploration depuis la biographie postnatale jusqu’aux niveaux périnataux et transpersonnels de l’inconscient, domaines transbiographiques non-reconnus par la psychiatrie et la psychologie classiques. Commentaire [E31]: The material for processing is chosen quite automatically Commentaire [E32]: Hein ? Au secours Olivier ! Commentaire [E33]: Le domaine périnatal de la psyché Lorsque notre démarche d’auto-exploration personnelle va au-delà des souvenirs de l’enfance et de la tendre enfance et va puiser jusque dans la naissance, nous commençons à rentrer en contact avec des émotions et des sensations physiques d’une intensité extrême, dépassant souvent tout ce que nous considérions auparavant comme humainement possible. A ce moment-là le contenu de l’expérience devient un mélange étrange des thèmes de la naissance et de la mort, provoquant des sensations de sévère confinement mettant la vie en péril, ainsi qu’une lutte désespérée et déterminée pour s’en libérer et survivre. En raison de la connexion proche entre ce domaine de l’inconscient avec la naissance biologique, j’ai choisi de l’appeler périnatal, terme grecolatin dans lequel le préfixe péri signifie proche ou autour, et la racine natalis signifie « relatif à la naissance de l’enfant ». La psychiatrie académique nie généralement la possibilité que la naissance ait un puissant impact psychotraumatique sur l’enfant. Les neurones du cortex cérébral du nouveau-né ne sont pas complètement recouverts de la substance grasse appelée myéline. Ceci est généralement présenté comme étant la cause évidente du fait que l’expérience de la naissance soit non-pertinente d’un point de vue psychologique et pourquoi elle n’est pas gardée en mémoire. L’absurdité de cette perspective est assez évidente par bon nombre de ses aspects. Nier le fait que le nouveau-né puisse se souvenir de sa naissance, et en même temps attribuer de grandes significations psychologiques aux souvenirs de la période de l’allaitement, viole les lois les plus élémentaires de la logique. Par ailleurs cette position entre en conflit avec les observations quotidiennes de la psychothérapie expérientielle, avec celles de l’anatomie comparative et avec celles de la physiologie, mais aussi avec la recherche prénatale (Grof 1985, 2000). La quantité de stress émotionnel et physique qui intervient au moment de la naissance d’un enfant surpasse clairement celui de tout trauma postnatal de l’enfance et de la tendre enfance dont il est question dans les livres psychodynamiques, à la seule exception des formes extrêmes d’abus physique. Plusieurs écoles de psychothérapie expérientielle ont amassé des preuves convaincantes selon lesquelles la naissance biologique est le trauma le plus profond de notre vie et de surcroît un événement d’une importance capitale. Cet événement ancien est inscrit dans notre mémoire en détails minuscules au niveau cellulaire, et il affecte profondément notre développement Commentaire [E34]: hein? bas p 130 is psychologically irrelevant psychologique. Comme la naissance représente une situation où la vie est menacée soit de façon potentielle, soit de façon concrète , cela crée une profonde association entre la naissance et la mort dans notre inconscient. Le souvenir de la naissance est à l’origine de la peur de la mort ; ceci explique pourquoi le fait de revivre la naissance au moment de la mort et de la renaissance psychospirituelles, peut nous libérer de cette peur et transformer notre façon de vivre. Les contenus riches et complexes ayant leur origine au niveau périnatal de l’inconscient apparaissent dans les états holotropiques dans quatre schémas ou projets expérientiels. Dans mes premières recherches, il devint très vite évident que ces combinaisons caractéristiques d’émotions, de sensations physiques et d’images étaient liées de près aux expériences du fœtus ou du nouveauné dans les étapes successives du processus biologique de la naissance. C’est la raison pour laquelle j’ai inventé le terme de « matrices périnatales fondamentales », ou BPM52, pour les désigner. Dans le texte suivant je décris brièvement ces matrices dans l’ordre qui correspond aux étapes de l’accouchement pendant la naissance de l’enfant. Cependant, dans la thérapie psychédélique et dans les séances de respiration, cet ordre chronologique n’est généralement pas suivi, et des matrices individuelles peuvent survenir dans un ordre différent. L’Expérience d’unité cosmique ou « l’univers amniotique » (BPM I) Cette importante expérience périnatale est liée à l’union primaire du fœtus à la mère pendant la grossesse avancée : situation où les deux organismes forment une unité symbiotique. Lorsqu’il n’y a pas de stimuli nocifs, les conditions pour le fœtus sont idéales ; elles lui offrent un sentiment de protection, de sécurité et de satisfaction de tous les besoins. Les principales caractéristiques de cette expérience sont l’absence de la dichotomie sujet-objet, la transcendance du temps et de l’espace, des émotions positives d’une puissance exceptionnelle (la paix, la tranquillité, la sérénité et le bonheur) et des sentiments de sacralité (mysticisme). Cet état d’extase océanique, est typiquement associé à de profondes impressions de dimension cosmique. L’imagerie associée à cette matrice combine les éléments fœtaux avec les motifs océaniques et cosmiques : flotter dans la mer, s’identifier à des animaux aquatiques variés ou naviguer dans l’espace interstellaire, comme par exemple un astronaute marchant sur l’espace. Les expériences intra-utérines positives peuvent également être associées à des visions archétypales de Dame Nature- sûres, belles et nourrissantes de manière absolue, comme le giron d’un dieu. Les images mythologiques de l’inconscient collectif qui apparaissent souvent dans ce contexte représentent des domaines célestes variés et des paradis tels qu’ils sont décrits dans les mythologies de différentes cultures. Revivre les épisodes de désordres intra-utérins apporte une sensation d’obscurité et de menace inquiétante ainsi que des sensations d’empoisonnement. Des épisodes de ce genre peuvent être associés à des visions archétypales d’entités démoniaques effrayantes, ou à une sensation de mal omniprésent. L’expérience d’engouffrement cosmique de « sans issue » ou d’enfer (MPB II) L’expérience d’engouffrement cosmique est liée au tout début de la naissance biologique, lorsque l’équilibre originel d’existence intra-utérine est perturbé, d’abord par les changements chimiques puis par les contractions musculaires. Ce stade du processus est généralement associé à un sentiment envahissant d’anxiété inquiétante, et à une impression que la vie est menacée. La source de l’approche du danger peut ne pas être clairement identifiée, et les personnes dans cette situation délicate ont fréquemment tendance à avoir une vision paranoïaque de leur environnement immédiat ou du monde dans son ensemble. Ils se sentent souvent empoisonnés ou vivent des 52 Basic Perinatal Matrices Commentaire [E35]: au secours! milieu p 131 Commentaire [E36]: le texte dit different sequential patterns, et je traduis à l'aveugle après avoir pris soin de faire une recherche dans tes PDF expériences diaboliques provenant d’organisations secrètes, d’habitants d’autres planètes, et de magiciens démoniaques. Ils peuvent également ressentir les énergies nocives, les gaz toxiques, et les radiations menaçantes pour la vie, ou se sentir influencés par des machines ou des appareils diaboliques. La sensation d’anxiété s’intensifie généralement avec la sensation d’un maelström pompant l’individu et son monde entier incessamment jusqu’à son centre-même. Une variation fréquente de ce thème d’engouffrement universel est celui d’être avalé et absorbé par un monstre archétypal terrifiant. Une autre forme de cette même expérience est le voyage de descente aux Enfers et la rencontre avec de dangereuses entités ou créatures. Ce sont des motifs bien connus de la sagesse chamanique, de la mythologie du voyage du héros et des textes sacrés spirituels (Jung 1956, Campbell 1968) dont il est question plus en détail dans les chapitre précédents de ce livre. Le paroxysme de l’expérience d’engouffrement cosmique prend généralement cette forme : l’individu a le sentiment d’être pris au piège et emprisonné sans aucun espoir de libération. Ce schéma expérientiel correspond à l’étape aboutie du premier état clinique de l’accouchement au moment où les contractions utérines compriment totalement le fœtus. A ce moment-là, le col de l’ utérus est encore fermée, et la voie de sortie n’est pas encore disponible. Dans les états holotropiques, cette expérience est caractérisée par la perte de la perception des couleurs et une obscurité frappante au champ visuel. On se sent emprisonné, enfermé dans un monde claustrophobe, et l’on vit des tortures psychiques et physiques incroyables. Comme la sensation linéaire du temps est perdue pendant cet état, les tourments semblent éternels, et leur intensité évoque l’atmosphère de l’enfer. La terreur s’articule autour de trois thèmes : la folie, la mort et la situation de non-retour. Sous l’influence de cette matrice, la vie humaine et l’existence en général semblent complètement dépourvues de sens, et complètement futiles. Le symbolisme le plus commun qui accompagne ce schéma d‘expérientiel comprend des images de l’enfer de plusieurs cadres culturels. Ce schéma est caractérisé en outre parce qu’il insiste sur le « côté victime » et le fait qu’il semble impossible d’échapper à la situation, qui paraît par ailleurs éternelle, sans issue possible ni dans le temps, ni dans l’espace. Beaucoup de mystiques célèbres tels que Sainte Thérèse d’Avila ou Saint Jean de la Croix ont vécu des tourments agonisants qui présentaient de nombreuses caractéristiques des BPM II ; cette matrice contient ce qui dans la littérature spirituelle est connu comme étant la « nuit noire de l’âme » (Bache 1985, 1991a). BPM II est également lié de manière importante à la philosophie existentialiste et au « théâtre de l’absurde ». Les individus qu’elle influence sont en bonne partie aveugles et incapables de voir quoi que ce soit de positif dans leurs vies et dans l’existence humaine en général. La connexion à la dimension divine semble perdue à jamais. A travers le prisme de cette matrice, la vie apparaît vide de tout but, une farce dépourvue de sens, dans laquelle « on attend Godot ». La philosophie existentialiste semble proposer la seule description valable de l’existence. A ce propos, le travail de Jean-Paul Sartre était profondément influencé par une séance mal menée et mal résolue de mescaline dominée par BPM II (Riedlinger 1982). Les préoccupations de Samuel Beckett pour la naissance et mort et sa relation torturée avec sa mère révèlent également de puissantes influences périnatales (Knowlson 2004). L’expérience de la lutte de la naissance-renaissance (BPM III) Le schéma BPM III est lié au second état clinique de l’accouchement. Lors de cette phase, les contractions de l’utérus se poursuivent, mais le col est désormais grand ouvert. Le fœtus est graduellement poussé vers le canal de naissance, et subit des pressions écrasantes, lutte pour la survie, et vit souvent un fort degré de suffocation. Dans les phases terminales de l’accouchement, le fœtus peut intimement rentrer en contact avec des matériaux biologiques variés tels que du sang, du mucus, du liquide fœtal, de l’urine, et même des fèces. L’expérience de ce schéma est plutôt complexe, et il a plusieurs facettes importantes : l’atmosphère d’une lutte titanesque, des rapports sado-masochistes, une poussée sexuelle intense, des éléments scatologiques, et le motif du feu purificateur (pyrocatharsis). Commentaire [E37]: this experiential pattern Commentaire [E38]: merci Doctor Grof ! Bravo ! enfin quelqu’un qui a tout compris à ces déglingués d’existentialistes ! quel humour subtil ! L’aspect titanesque du BPM III est assez compréhensible, si l’on considère l’énormité des forces opérant lors de la dernière étape de la naissance de l’enfant. Lorsqu’on rencontre cette facette de la troisième matrice, on vit des courants envahissants d’énergie incroyablement intense circulant à travers le corps et générant des décharges explosives. A ce moment-là on peut s’identifier aux éléments de la nature déchaînée, tels que les volcans, les orages électriques, les tremblements de terre, les vagues géantes, ou les tornades. L’expérience peut également représenter les énergies immenses du monde des machines, tels que les tanks, les fusées, les vaisseaux spatiaux, les lasers, les usines nucléaires, ou même les réacteurs thermonucléaires et les bombes atomiques. Les expériences titanesques de BPM III peuvent atteindre des dimensions archétypales et représenter des batailles de proportions gigantesques telles que le clash cosmique entre les forces de la Lumière et de l’Ombre, entre les anges et les démons, ou entre les dieux et les titans. Les aspects agressifs et sado-masochistes de cette matrice reflètent la furie biologique de l’organisme dont la survie est menacée de suffocation, tout comme l’attaque destructrice des contractions utérines. Lorsque nous affrontons cet aspect du BPM III, nous pouvons vivre des cruautés aux proportions étonnantes, se manifestant dans des scènes de meurtres violents et de suicide, de mutilation et d’automutilation, de massacres de divers types, de guerres et de révolutions sanglantes. Ces séquences prennent souvent la forme de torture, d’exécution, de sacrifices rituels et d’autosacrifices, de combats sanglants d’homme à homme et de pratiques sado-masochistes. La logique expérientielle de l’aspect sexuel du processus de mort-renaissance n’est pas aussi évidente à première vue. L’organisme humain semble avoir un mécanisme psychologique non construit, qui traduit les souffrances inhumaines et plus particulièrement la suffocation en une sorte étrange de stimulation sexuelle, puis finalement en ravissement extatique, comme l’illustrent les expériences des martyrs et des flagellés décrites dans la littérature religieuse. On trouve d’autres exemples dans les textes concernant les camps de concentration, dans les reportages de prisonniers de guerre, et dans les archives d’Amnesty International. Le lien entre le sexe et la mort est passablement évident dans le phénomène bien connu des hommes pendus mourant de suffocation sur la potence, ayant une érection et pouvant aller jusqu’à éjaculation. Les expériences sexuelles qui ont lieu dans le contexte de BPM III sont caractérisées par intensité énorme de leur force sexuelle, par leur caractère mécanique, et leur nature abusive, pornographique ou déviante. Elles décrivent des scènes des quartiers « rouges » avec leur caractère sexuel, leurs pratiques extravagantes érotiques, et leurs rapports sado-masochistes. Les épisodes décrivant l’inceste, l’abus sexuels ou le viol sont aussi fréquents. Dans quelques cas rares, l’imagerie BPM III peut contenir les extrêmes répugnants et gores de la sexualité criminelle - du crime ayant pour origine une cause érotique, du démembrement, du cannibalisme et de la nécrophilie. De telles expériences sont plus probables dans les sessions psychédéliques à haut dosage où les individus revivent une naissance extrêmement difficile mettant la vie en péril. A ce niveau-là de la psyché, la stimulation sexuelle est inextricablement liée à des événements hautement problématiques : la menace de vie, le danger extrême, l’anxiété, l’agression, les impulsions autodestructrices, la douleur physique, et les matériaux biologiques ordinairement répugnants. Cette connexion forme une base naturelle au développement des types les plus importants de dysfonctionnements sexuels, des variations, des déviations et des perversions. L’aspect démoniaque de BPM III, peut présenter des problèmes spécifiques pour ceux qui en font l’expérience aussi bien que pour les thérapeutes et les médiateurs, en raison des caractéristiques étranges et inquiétantes des manifestations qu’il implique. Malgré la nature souvent effrayante de telles expériences, il est important que celles-ci soient appuyées et de travailler dans un contexte thérapeutique. Les motifs les plus fréquents sont des scènes du sabbat des sorcières (Nuit Walpurgis), des orgies sataniques et des rituels de messes noires, ainsi que de la tentation des forces du mal. Le dénominateur commun reliant cette étape de la naissance de l’enfant aux motifs de ce sabbat est l’étrange amalgame de la mort, de la sexualité perverse, de la douleur, de la peur, de l’agression, de la scatologie, et de l’impulsion spirituelle. Cette observation semble avoir une grande pertinence quant à l’explication de l’épidémie des récentes expériences d’abus de type satanique rapportés par les clients dans des formes variées de thérapie régressive. Commentaire [E39]: Italique ds le texte. Idem pour chacun des aspects énumérés. Commentaire [E40]: Mais ne comprends pas. Peut-être parce que je ne connais pas grand chose à ce domaine ? Commentaire [E41]: C’est possible comme mot ? gory dans le texte L’aspect scatologique du processus de mort-renaissance a sa base biologique naturelle dans les situations arrivant dans les phases finales de l’accouchement, lorsque le fœtus entre en contact avec des formes diverses de matériaux biologiques – le sang, les sécrétions vaginales, l’urine, et même les fèces. Cependant, la nature et le contenu de ces expériences excèdent de loin ce que le nouveau-né aurait vécu au moment de la naissance. Les expériences les plus extrêmes de cet aspect de BPM III peuvent comprendre des scènes telles que des tas d’abats, d’énormes systèmes de traitement des eaux usées, et d’excréments ou des images répugnantes de putréfaction – une rencontre intime et bouleversante avec les pires aspects de l’existence biologique. Au moment de sa résolution, l’expérience de BPM III devient moins violente et moins dérangeante. L’atmosphère qui prévaut est celle d’une passion extrême et d’une énergie cinglante d’une intensité intoxicante ; son imagerie représente des explorations excitantes et des conquêtes de nouveaux territoires, des chasses d’animaux sauvages, des sports extrêmes et des parcs d’animation. Ces expériences sont clairement liées aux activités qui impliquent des « montées d’adrénaline » tels que les sports de course, les sauts à l’élastique, les prouesses de cirque ardues, les dangereuses cascades de cinéma, et les plongeons acrobatiques. A ce moment là on peut également rencontrer des figures de déités archétypales, des demi-dieux et des héros représentant la mort et la renaissance. Des visions de Jésus-Christ, de ses tourments, de son humiliation, de son chemin de croix, et de sa crucifixion, peuvent surgir, ou on peut encore s’identifier pleinement à sa souffrance. Même si nous ne sommes pas familiarisés avec ces mythologies, nous pouvons faire l’expérience de la résurrection de l’ancien dieu Osiris, ou de la mort et la renaissance des déités grecques telles que Dionysos, Attis ou Adonis. L’expérience peut également être celle de l’enlèvement de Perséphone par Pluton, de la descente dans le monde des Enfers de la déesse Sumérienne Inanna, ou les épreuves des Jumeaux Héroïques mayas du Popol Vuh. Juste avant l’expérience de la naissance psychospirituelle, l’élément feu est souvent rencontré, soit dans sa forme ordinaire de tous les jours, soit dans sa forme archétypale de feu purificateur (pyrocatharsis). On peut avoir l’impression que le corps est en feu, avoir des visions de villes et de forêts brûlantes, et s’identifier aux victimes des immolations. Dans la version archétypale, le feu semble totalement détruire tout ce qui est corrompu en nous, et nous préparer à la renaissance spirituelle. Un symbole classique de la transition de BPM III à BPM IV est l’oiseau Phénix légendaire qui meurt brûlé et qui renaît de ses cendres. Le motif pyrocathartique est un aspect de BPM III qui suscite la confusion, étant donné que sa connexion avec la naissance biologique n’est pas aussi directe que comparée à certains des autres éléments symboliques. L’équivalent biologique de cette expérience peut être la libération explosive d’énergies précédemment bloquées au dernier stade de la naissance de l’enfant ou la sur-stimulation du fœtus avec brûlage indifférencié des neurones périphériques. De manière assez intéressante, cette rencontre avec le feu a son parallèle dans l’expérience ressentie par la mère qui accouche : à ce stade de l’accouchement, celle-ci a en effet l’impression que son vagin est en feu. L’énorme libération de l’énergie précédemment accumulée peut également trouver son expression dans des images d’explosions atomiques ou dans le motif archétypal du génie, libéré de la lampe magique. De nombreuses caractéristiques importantes de ce schéma expérientiel le distinguent de la situation sans-issue décrite précédemment (BPM II). Dans BPM III, cependant, elle ne semble pas sans espoir. Le sujet n’est pas désespéré mais plutôt engagé de manière active. La souffrance semble avoir en outre une direction ou un but défini. En termes religieux, cette situation est plus proche du concept du Purgatoire que de celui de l’Enfer. Par ailleurs, les sujets ne jouent pas exclusivement le rôle de victimes impuissantes. Ils sont des observateurs et ils peuvent également s’identifier aux deux perspectives à la fois, à tel point qu’ils distinguent difficilement s’ils sont l’agresseur ou la victime. Alors que dans la BPM II, l’impossibilité à s’échapper implique une souffrance certaine, l’expérience de la lutte mort-renaissance (BPM III) représente un étrange mélange d’agonie et d’extase. Contrairement à l’extase océanique du bon giron, cet état peut-être appelé extase volcanique ou dionysiaque. Commentaire [E42]: Hein ? Mais c’est bien ce qui est marqué,non ?! je crois avoir bien recopié Commentaire [E43]: Ou purification pr le feu. C’est un néologisme, non ? Commentaire [E44]: Ou purification pr le feu. C’est un néologisme, non L’expérience de mort-renaissance (BPM IV) Ce schéma expérientiel est lié au troisième état clinique de l’accouchement. Le processus agonisant de la lutte de la naissance culmine, la propulsion à travers le canal de naissance est achevé, et le processus de l’accouchement se termine par un soulagement excessif et un relâchement. Après que le cordon ombilical est coupé, la séparation physique de la mère est terminée, et le nouveau né commence son existence dans un organisme anatomiquement indépendant. Lors de cette transition, la souffrance et l’agonie culminent en une expérience d’épuisement et d’anéantissement à tous les niveaux imaginables – physique, émotionnel, intellectuel, moral, et transcendantal. Cette étape est généralement appelée « mort de l’ego » et semble impliquer des destructions instantanées de tous les points de référence de l’individu. En outre, dans les circuits d’addiction aux narcotiques, cette expérience est connue comme « le fait de toucher le fond », moment important dans les vies de bon nombre d’alcooliques ou de toxicomanes. Si l’expérience consistant à entrer dans le monde au moment de la naissance biologique n’était pas obscurcie par une anesthésie importante, la sensation d’anéantissement total serait suivie de visions aveuglantes de lumières blanches ou dorées, de dessins de paons et du spectre de l’arc-enciel. Les sentiments de la décompression et de l’expansion culminent en un sentiment de renaissance psychospirituelle. Ce domaine archétypal à ce moment-là fait intervenir les Grandes Déesses Mères, et des déités heureuses de cultures variées qui apparaissent dans une lumière brillante. L’univers est perçu comme indescriptiblement beau et radieux ; on se sent purifié et purgé. En des termes religieux, cette expérience pourrait être décrite comme la rédemption, la salvation, la seconde naissance ou l’union avec Dieu. Ce genre de ravissement associé à des impressions extraordinaires d’intérêt cosmique peut être appelé extase prométhéenne ou épiphanie. Le domaine transpersonnel de la psyché Outre les matrices périnatales, la recherche avec les états holotropiques a ajouté un second domaine expérientiel à la cartographie de la psychiatrie traditionnelle de la psyché humaine. Il s’agit du domaine transpersonnel, ce terme signifiant littéralement « au-delà du personnel », ou « transcendant le personnel ». Des expériences à ce niveau impliquent la transcendance de limites habituelles du corps - c’est-à-dire de l’ego- et les limitations de l’espace tridimensionnel et du temps linéaire qui restreignent notre perception du monde dans l’état ordinaire de conscience. Les motifs transpersonnels peuvent apparaître dans les états holotropiques sous des combinaisons variées avec des événements périnataux ou indépendamment d’eux. Le domaine transpersonnel est la source d’un grand éventail de phénomènes anormaux, présentant de sérieux défis non seulement pour les cadres conceptuels de la psychologie et de la psychiatrie modernes, mais aussi pour la philosophie moniste et matérialiste de la science moderne. La meilleure manière de définir les expériences transpersonnelles est de montrer en quoi elles diffèrent des expériences de la vie quotidienne. Dans l’état de conscience ordinaire ou normal, nous faisons l’expérience de nous-mêmes comme étant des objets matériels contenus dans les frontières de notre peau et opérant dans un monde aux caractéristiques newtoniennes. L’écrivain américain et philosophe Alan Watts se référait à cette expérience comme étant celle de la peau recouvrant l’ego (Watts 1961). Dans des circonstances ordinaires, notre perception de l’environnement est restreinte par les limitations physiologiques de nos organes sensoriels et par les caractéristiques physiques de l’environnement. Par exemple, nous ne pouvons pas voir les objets séparés de nous par un mur solide, les bateaux qui sont au-delà de l’horizon, ou à la surface de l’autre côté de la lune. Si nous sommes à Prague nous ne pouvons pas entendre ce que nos amis disent à San Francisco. Nous ne pouvons pas ressentir la douceur du pelage d’un agneau à moins que la surface de notre corps soit directement en contact avec celle-ci. En outre, nous ne pouvons réellement ressentir avec tous nos sens, les événements qui nous arrivent au moment présent. Nous pouvons nous nous souvenir du passé, et anticiper les événements futurs, fantasmer sur eux, ou essayer d’utiliser diverses méthodes pour les prédire. Cependant ce genre de relation au passé et au futur est très différente de la perception immédiate et sensorielle de ce qui arrive au présent. Dans les expériences transpersonnelles, de telles limitations ne s’appliquent pas ; et n’importe laquelle d’entre elles peut être dépassée. Types d’expériences transpersonnelles Les expériences transpersonnelles peuvent être divisées en trois grandes catégories. La première implique la transcendance des barrières spatiales habituelles, ou les limitations de « l’ego recouvert de peau ». Se mêler à une autre personne dans un état qui peut être appelé « unité duelle », assumer l’identité de l’autre personne ou s’identifier à la conscience d’un groupe entier de personnes (par exemple les mères du monde, la population tout entière de l’Inde, ou les personnes dans les camps de concentration) constituent des exemples typiques de ce phénomène. Dans des cas extrêmes, une personne peut même faire l’expérience d’une extension de la conscience tellement importante qu’elle semble contenir toute l’humanité, l’espèce humaine tout entière. Des expériences de ce type ont été décrites de façon répétée dans la littérature spirituelle du monde. De la même façon on peut transcender les limites de l’expérience spécifiquement humaine et s’identifier à la conscience de divers animaux, de plantes ou même prendre la forme de conscience qui est associée aux objets et aux processus inorganiques. Dans des cas plus rares, il est possible de faire l’expérience de la conscience de la biosphère tout entière, de notre planète ou du monde matériel tout entier. Aussi incroyable que cela puisse sembler à un Occidental souscrivant à la vision du monde formulée par la science matérialiste, ces expériences suggèrent que tout ce que nous pouvons vivre dans notre état de conscience quotidien sous forme d’objet possède bien, dans les états holotropiques, une vision subjective correspondante. C’est comme si tout dans l’univers avait son caractère objectif et subjectif, à la manière de ce qui est décrit dans les grandes philosophies spirituelles orientales. Par exemple, dans l’Hindouisme tous les mondes phénoménaux sont vus comme le jeu divin de la Conscience Absolue ou Brahman (Lila) ; dans le Taoïsme, tous les éléments de la réalité matérielle sont décrits comme étant des transformations du Tao etc.. La seconde catégorie d’expériences transpersonnelles est caractérisée de façon primaire par le dépassement des barrières temporelles plutôt que spatiales, i.e. par la transcendance du temps linéaire. Nous avons traité précédemment de la possibilité de revivre de manière vive les souvenirs importants de la tendre enfance, de l’enfance, de la naissance et de l’existence prénatale. Dans les états holotropiques cette régression historique peut se poursuivre plus loin et impliquer ce qui apparaît comme étant une identification authentique au sperme et à l’ovule au moment de la conception, au niveau de la conscience cellulaire. Mais le voyage consistant à remonter le temps ne s’arrête pas là, et il peut se prolonger à travers des épisodes des vies de ses ancêtres humains et animaux ou même à travers ceux qui semblent venir de l’inconscient collectif de toute l’espèce, tel qu’il est décrit par C. G. Jung. Très fréquemment, les expériences qui semblent arriver dans d’autres cultures et périodes historiques sont associées à un sentiment de souvenir personnel. Les gens parlent alors du fait de revivre les mémoires de leurs vies passées. Comme nous le verrons plus tard, ces observations jettent une nouvelle lumière sur le problème de la réincarnation et du karma, un concept d’une importance culturelle et spirituelle extrême, qui a été écarté par la science matérialiste. Le contenu des expériences transpersonnelles décrit jusqu’ici reflète de nombreux aspects du monde matériel et d’événements ayant lieu à des moments spécifiques de l’espace et du temps. Ces expériences impliquent des éléments de la réalité quotidienne - d’autres personnes, animaux, plantes et matériaux. Cela n’est pas spécialement surprenant, mais la manière dont nous l’appréhendons est très significative : nous sommes capables de voir ou de nous identifier à quelque chose qui n’est pas ordinairement accessible à nos sens, ce qui est considéré comme impossible d’un point de vue humain. Nous reconnaissons le fait que la Révolution Française ait eu lieu mais nous ne sommes pas capables d’en avoir une expérience vive, comme y être et mourir sur les barricades de Paris. Nous savons que beaucoup de choses arrivent dans le monde dans des endroits éloignés, mais Commentaire [E45]: Ici je crois que c’est le bon terme généralement nous ne pouvons pas faire l’expérience d’un événement qui a lieu dans des endroits vagues sans la médiation de la technologie tels que les ordinateurs, les satellites et la télévision. Nous pouvons également être surpris de découvrir la conscience associée à des vers de terre, à des plantes et à la nature non-animée. La troisième catégorie des expériences transpersonnelles est encore plus puissante. Ici la conscience semble s’étendre à des niveaux et à des dimensions que la culture industrielle occidentale ne considère pas comme « réels » tels que de nombreuses visions d’êtres archétypaux, et de paysages mythologiques, des rencontres ou même des identifications avec des déités et des démons de cultures variées, et la communication avec les êtres désincarnés, les guides spirituels, les entités surhumaines, les extra-terrestres et les habitants d’univers parallèles. La conscience individuelle peut même aller jusqu’à s’identifier à la conscience cosmique, ou à l’Esprit Universel connu sous des noms divers - tels que Brahaman, Buddha, le Christ Cosmique, Keter, Allah, le Tao, le Grand Esprit, l’Anima Mundi etc.. La dernière de toutes les expériences apparaît être l’identification au Vide Supracosmique et Métacosmique, le néant absolu et originel, le rien conscient de soi qui est l’ultime berceau de toute existence. Il n’a pas encore de contenu concret, mais cependant, il contient tout ce qui est sous forme germinale et en puissance. Le domaine transpersonnel est tellement extraordinaire et fantastique que les personnes qui n’en ont pas fait l’expérience et qui n’y sont pas préparés culturellement refusent de croire qu’il existe. Le brillant auteur et philosophe Aldous Huxley, étonné de ce qui avait émergé des profondeurs de sa psyché lors de ses expériences de mescaline et de LSD, écrivit ce témoignage remarquable : Tout comme la girafe et l’ornithorynque, les créatures habitant ces lointaines régions de l’esprit sont excessivement improbables. Cependant elles existent, ce sont des faits observables ; et comme tels, elles ne peuvent être ignorées de personne qui tente de comprendre honnêtement le monde dans lequel il vit (Huxley 1959). Défis scientifiques et philosophiques soulevés par les expériences transpersonnelles Les expériences transpersonnelles ont de nombreuses caractéristiques étranges qui bouleversent les affirmations métaphysiques les plus fondamentales des paradigmes newtoniens et cartésiens, et du monde moniste matérialiste. Les chercheurs qui ont étudié ou qui ont fait personnellement l’expérience de ces phénomènes fascinants réalisent que les tentatives de la science orthodoxe de les mettre à l’écart comme produits non-pertinents de l’imaginaire humain ou comme hallucinations –c’est à dire comme produits erronés issus de processus pathologiques du cerveau - sont naïfs et inadéquats. Toute étude objective du domaine transpersonnel de la psyché parvient à la conclusion qu’il remet en question non seulement la psychiatrie et la psychologie, mais aussi la philosophie de la science occidentale et le système de croyances populaires de la civilisation industrielle. Bien que les expériences transpersonnelles se déroulent lors du processus de l’exploration profonde de l’individu, elles ne peuvent pas être interprétées simplement comme des phénomènes intrapsychiques au sens conventionnel. D’abord, elles apparaissent sur le même champ que les expériences biographiques et périnatales et elles proviennent de l’intérieur de la psyché de l’individu, au moment de l’introspection. Cependant elles semblent piocher directement, sans médiation des sens, dans des sources d’information qui sont clairement bien au-delà de la portée conventionnelle de l’individu. Quelque part au niveau périnatal de la psyché, une étrange réorganisation a lieu : ce qui était jusque-là une enquête profonde intrapsychique commence à rapporter des expériences de différents aspects de l’univers tout entier obtenues par les moyens extrasensoriels. Certaines Commentaire [E46]: A vérifier p 140 paragraphe 2 personnes ont comparé cela à un « ruban de Möbius53 » étant donné qu’il n’est plus possible de distinguer l’expérience interne de l’expérience externe. Ces observations indiquent que l’information concernant l’univers peut être obtenue de deux façons radicalement différentes. En dehors de la possibilité conventionnelle d’apprendre à travers les perceptions sensorielles, ainsi que par l’analyse et la synthèse de l’information, nous pouvons aussi explorer les divers aspects du monde en les identifiant directement à un état holotropique de conscience. Chacun de nous apparaît ainsi être un microcosme contenant l’information sur le macrocosme tout entier. Dans les traditions mystiques, ce principe est exprimé par des phrases telles que « tel qu’il en va en haut, il en va en bas » ou « l’extérieur reflète votre intérieur ». Par le passé, ce principe de base des écoles ésotériques, telles que le Tantra, la tradition Hermétique, le Gnosticisme, et la Kabbale, a semblé n’être qu’une absurde confusion entre la relation entre la partie et le tout, une violation de la logique aristotélicienne. Ces derniers temps, cette affirmation a reçu un appui scientifique inespéré, grâce à la découverte des principes opérant dans l’holographie optique. (Talbot 1991). Lors des épisodes transpersonnels de l’existence embryonnaire, au moment de la conception et de la conscience des tissus, des cellules et des organes, les gens obtiennent souvent des aperçus médicaux des aspects anatomiques, physiologiques et biochimiques des processus impliqués. Ces impressions qu’ils acquièrent sont justes d’un point de vue médical. De la même façon, les mémoires ancestrales, raciales et collectives, et les expériences d’incarnations passées apportent fréquemment des détails très précis sur l’architecture, les costumes, les armes, les formes d’art, la structure sociale, et les pratiques religieuses et rituelles des cultures et des périodes historiques adéquates, ou encore d’événements historiques concrets précédemment inconnus de la personne. Ceux qui font l’expérience de suites phylogéniques (i.e. de stades de développement évolutionnaire d’une espèce), ou l’identification à des formes de vie existantes, ne les trouvent pas seulement incroyablement authentiques et convaincantes, mais acquièrent généralement des impressions extraordinaires concernant la psychologie animale, l’éthologie, les habitudes spécifiques ou les cycles reproductifs inhabituels. Dans certains cas, ces expériences s’accompagnent d’innervations musculaires archaïques ou même de comportements aussi complexes que le mime des danses nuptiales des espèces correspondantes. Les défis scientifiques et philosophiques associés à de telles observations sont augmentés encore par la dimension mythologique de l’expérience transpersonnelle. Des épisodes reflétant correctement le monde matériel apparaissent souvent dans le même champ et sont intimement liés aux éléments du monde mythologique que la culture occidentale industrielle ne considère pas comme ontologiquement réels. Ces expériences font intervenir des déités et des démons de plusieurs cultures, des domaines de l’au-delà tels que des cieux et des paradis, et les suites légendaires ou les contes de fées. Par exemple, nous pouvons faire l’expérience de la communication avec le Christ, la Vierge Marie ou le Diable ; vivre une rencontre bouleversante avec la déesse Kali, ou nous identifier au Shiva-Dansant. Nous pouvons également visiter de nombreux royaumes mythologiques tels que le paradis du dieu aztèque de la pluie Tlaloc, des enfers sumériens, le paradis de Shiva ou l’un des enfers chauds bouddhistes. Même ces épisodes peuvent apporter de nouvelles informations concernant le symbolisme religieux et les motifs mythiques qui étaient précédemment inconnus à la personne impliquée. Ces types d’expériences viennent appuyer le concept de Jung selon lequel en dehors de l’inconscient freudien, nous pouvons aussi avoir accès à l’inconscient collectif qui contient l’héritage 53 En topologie, le ruban de Möbius (aussi appelé bande de Möbius ou anneau de Möbius) est une surface fermée dont le bord se réduit à un cercle. Elle a la particularité d'être réglée et non-orientable (logo universel des matériaux recyclables). Dans le vocabulaire de Jacques Lacan : 1962/63 - L'angoisse - 09/01/63 - Qu'est-ce qui fait qu'une image spéculaire est distincte de ce qu'elle représente ? C'est que la droite devient la gauche et inversement. - Une surface à une seule face ne peut pas être retournée. - Ainsi une bande de Mœbius, si vous en retournez une sur elle-même, elle sera toujours identique à elle-même. C'est ce que j'appelle n'avoir pas d'image spéculaire. Commentaire [E47]: Je ne connais pas les traductions traditionnelles Commentaire [E48]: Phrase traduite à l’aveugle : p 140 début dernier paragraphe Commentaire [E49]: Idem : rien compris culturel de toute l’humanité (Jung 1959). Même si l’accès à ces éléments mythiques se fait de manière intrapsychique, lors d’un processus d’introspection, ils ont une existence objective et sont réels d’un point de vue ontologique. Pour distinguer les expériences transpersonnelles des produits de l’imaginaire humain, les jungiens se réfèrent à ce domaine par le terme d’ « imaginal ». L’universitaire français, philosophe et mystique Henri Corbin fut le premier à utiliser le terme mundus imaginalis. Ce terme lui fut inspiré par son étude de la littérature islamique mystique (Corbin 2000). Les théosophes islamiques donnent au monde imaginal (dans lequel tout ce qui existe dans le monde sensitif a son analogue) le nom de alam a mithal ou le « huitième climat », de façon à le distinguer des « sept climats » qui constituent les régions de la géographie islamique traditionnelle. Le monde imaginal possède extensions, dimensions, formes et couleurs, mais ceux-ci ne sont pas perceptibles à nos sens comme c’est le cas lorsqu’ils sont des propriétés d’objets physiques. Cependant, ce domaine est ontologiquement aussi réel que le monde matériel et il peut être de validé de façon consensuelle par d’autres personnes tout comme le monde matériel perçu par nos organes sensoriels. Ces conclusions sont tirées d’observations quotidiennes faites sur une période de plus de cinquante ans de recherches sur les états holotropiques de conscience. Cependant ces informations sont tellement révolutionnaires qu’il serait irréaliste d’espérer que quelques généralisations suffiraient à forcer les lecteurs, aux idées culturelles profondément arrêtées, à réexaminer leurs points de vue. En effet, ils ne sont pas familiarisés avec la dimension transpersonnelle, et ils ne peuvent pas faire le lien entre ces informations et leur expérience personnelle. Moi-même, j’ai eu l’opportunité d’observer de près et d’entendre les comptes-rendus de centaines de milliers de personnes vivant des états holotropiques. Cependant c’était des décennies avant que je ne puisse pleinement absorber l’impact du choc cognitif qui intervenait. La preuve la plus convaincante de la validité de cette information étonnante et nouvelle m’est venue de ma propre expérience, et non de l’observation extensive des autres. Des histoires de cas vécus illustrant la nature des expériences transpersonnelles et des impressions extraordinaires et la nouvelle connaissance qu’elles offrent est disponible ailleurs (Grof 1975, 1988, 1992). Ces sources traitent largement des différents types d’expériences transpersonnelles, et montrent comment ces expériences renseignent de façon pertinente sur d’autres personnes, et sur les animaux, plantes, matériaux inorganiques, ainsi que sur des processus et des domaines mythologiques. Ceux qui souhaitent vérifier personnellement de telles observations peuvent assister à des ateliers de respiration holotropique avec les thérapeutes certifiés à travers le monde ayant terminé l’Entrainement Transpersonnel Grof. L’information nécessaire est disponible sur notre site web (www.holotropic.com). L’existence et la nature des expériences transpersonnelles vont à l’encontre de certaines des affirmations de base de la science mécaniste. Elles impliquent des notions en apparence aussi absurdes que la relativité, la nature arbitraire de toutes les limites physiques, la connexion non-locale dans l’univers, la communication par des moyens et des canaux inconnus, la mémoire sans substrat matériel, la non-linéarité du temps, ou la conscience associée à tous les organismes vivants et même à la matière non-organique. Beaucoup d’expériences transpersonnelles impliquent des événements du microcosme et du macrocosme - domaines qui ne peuvent pas être atteints normalement par les sens humains si on ne les y aide pas - ou encore des événements de périodes historiques qui précèdent l’origine du système solaire et l’émergence de l’Homo sapiens. Dans toutes ces expériences, nous avons accès à de l’information totalement nouvelle qui surpasse de loin tout ce qui est obtenu par les moyens conventionnels. L’étude de la conscience qui peut s’étendre au-delà du corps, la « thêta conscience » de William Roll ou le « long corps » des Iroquois, est extrêmement importante pour le problème de l’existence d’après la mort, étant donné qu’il s’agit de l’aspect de la personnalité humaine qui est susceptible de survivre à la mort (Roll 1974). La science classique traditionnelle décrit les êtres-humains comme des animaux hautement développés et des machines pensantes biologiques. Lorsqu’on nous étudie dans l’état quotidien de conscience, nous sommes des objets newtoniens faits d’atomes, de molécules de cellules, de tissus et d’organes. Cependant les expériences transpersonnelles dans les états holotropiques montrent clairement que chacun de nous peut aussi manifester des propriétés d’un champ de conscience qui transcende l’espace, le temps et la causalité linéaire. La formule nouvelle complète rappelle vaguement le paradoxe des particules-vagues de la physique moderne, décrit ainsi les humains comme des êtres paradoxaux qui ont deux aspects complémentaires : ils peuvent faire preuve de propriétés newtoniennes de l’objet, mais aussi de champs de conscience infinis. La pertinence de chacune de ces descriptions dépend de l’état de conscience dans lequel ces observations sont faites. La mort physique semble alors terminer l’aspect de nous décrit par la première moitié de cette définition ; au moment où l’autre arrive à son expression achevée La recherche concernant les états holotropiques révèle également un autre paradoxe étonnant concernant la nature des êtres humains. De façon mystérieuse et inexpliquée chacun de nous contient de l’information sur l’univers et sur l’existence tout entière. Chacun de nous a également le potentiel d’avoir accès à chacune de ses parties, et dans un certain sens, est le réseau cosmique tout entier. En même temps, dans une autre perspective, chacun de nous est également une partie infinitésimale de l’univers, une entité biologique insignifiante séparée. La nouvelle cartographie de la psyché reflète ce paradoxe et présente la psyché individuelle humaine à la mesure du cosmos tout entier et de la totalité de l’existence. Aussi peu plausible cette idée puisse-t-elle sembler, elle peut assez facilement être réconciliée avec les nouveaux développements révolutionnaires de plusieurs disciplines scientifiques, auxquels on se réfère généralement comme au nouveau paradigme ou paradigme émergeant. La science moderne a ainsi apporté la réponse que les anciens Upanishads indiens donnent à la question sur notre véritable la nature « Tu es Cela (en sanskrit tat tvam asi) – tu es à la mesure du principe créatif du Cosmos et de tout-ce-qui-est ». D’après la science matérialiste, tout souvenir, requiert un substrat matériel tel que le réseau neurologique dans le cerveau ou les molécules d’ADN. Cependant, il est impossible d’imaginer aucun moyen matériel pour l’information donnée par les formes variées d’expériences transpersonnelles décrites plus haut. Cette information n’a pas été acquise au cours de la vie de l’individu par les canaux conventionnels, c’est-à-dire par la perception sensorielle, mais semble exister indépendamment de la matière - elle est contenue dans le champ de conscience en luimême, ou dans d’autres types de champs qui ne peuvent pas être détectés par nos instruments scientifiques. Les observations à partir de l’étude d’expériences transpersonnelles sont appuyées par des preuves d’autres domaines d’études. En mettant à l’épreuve les affirmations métaphysiques de base de la pensée de Descartes et de Newton, des scientifiques tels que Heinz Von Foerster et Rupert Sheldrake explorent sérieusement de telles possibilités, comme la « mémoire dans substrat matériel » (Von Foerster 1965) et les « champs morphogénétiques » (Sheldrake 1981, 1990). La tentative la plus radicale de ce genre de travail est de loin celle du théoricien des systèmes Ervin Laszlo, dont le travail est reconnu mondialement. Bon nombre des caractéristiques de l’expérience transpersonnelle et des «phénomènes anormaux similaires » de disciplines variées peuvent être éclairées par la théorie de Laszlo (Grof 2005). Par un tour de force intellectuel, Laszlo a exploré un grand éventail d’observations paradoxales et de défis paradigmatiques pour lesquelles ces disciplines, y compris la psychologie transpersonnelle, n’avaient pas d’explications (Laszlo 19942003). En utilisant les avancées de la science pure et des mathématiques, il a offert une solution interdisciplinaire à bon nombre des énigmes de la science occidentale. La base de la solution de Laszlo est son « hypothèse de connectivité » qui a en son fondement l’existence du champ akachique54 (Laszlo 2004). Laszlo le décrit comme un champ sub-quantique qui tient un compte- 54 Akachique, néologisme inventé par la théologienne britannique Annie Bésant qui provient de ākāśa, terme sanscrit signifiant éther, fluide impalpable subtil et intangible qui selon les anciens hindous pénétrait tout l’univers et qui était le véhicule du son et de la vie. Mais il n’y a pas de mot sanscrit signifiant « registre akachique ». Les registres akachiques sont des espèces d’archives de tout ce qui est arrivé depuis le début des temps, enregistrées dans l’éther. Là se trouvent répertoriés tout ce qui est arrivé depuis le début des temps et toutes les connaissances de l’univers. Les philosophes, les médiums, les mystiques et les praticiens de Reiki, croient que les événements répertoriés dans l’akacha peuvent être lus dans certains états de conscience, qui Commentaire [E50]: Alors c’est quoi ça encore ? Commentaire [E51]: ?? à l’aveugle Commentaire [E52]: Comes into full expression p143 Commentaire [E53]: Je suis désolée Olivier de n’avoir pas fait mieux mais Je ne comprends pas quel paradigme, parce que je ne sais pas Commentaire [E54]: ??? Commentaire [E55]: System theorist : c’est quoi ça encore ? rendu holographique de tous les événements qui ont eu lieu dans le monde phénoménologique depuis le début des temps. Afin de comprendre la position des mystiques, selon laquelle l’individu est mesurable et identique à l’univers tout entier, nous devons réaliser que cela s’applique au monde de l’information et non au monde matériel (entendu dans le sens de la science cartésio-newtonienne comme étant un assemblage de particules indestructibles). Nous ne tenons pas compte ici de l’avertissement de Galilée, qui nous conseille de ne s limiter notre exploration scientifique uniquement à ces choses dans le monde qui peuvent être mesurées et pesées. Nous refusons en outre d’écarter les informations et les conclusions dont chaque être-humain peut faire l’expérience par lui-même. Les affirmations que la science matérialiste a faites à propos des aspects de la réalité que l’on peut mesurer et peser demeurent valides en elles-mêmes, mais elles ne sont pas pertinentes pour les observations et les conclusions résumées dans ce livre. Je crois fermement que la cartographie étendue de la psyché dont il est question dans ce chapitre est d’une importance capitale pour toute approche de phénomènes tels que le chamanisme, les rites de passage, le mysticisme, la religion, la mythologie, la parapsychologie et les expériences psychédéliques. Par dessus-tout, elle offre de nouvelles perspectives sur bon nombre de sujets explorés dans ce livre tels que les expériences de mort imminente, la survie de la conscience après la mort, la voyage posthume de l’âme, la réincarnation, et bien d’autres. Ce nouveau modèle de la psyché n’est pas seulement un thème d’intérêt académique - il a des conséquences profondes, permettant de mieux comprendre les désordres émotionnels et psychosomatiques, y compris les psychoses fonctionnelles. Il offre ainsi de nouvelles possibilités thérapeutiques révolutionnaires (Grof, 1985 et 2000 ; Grof et Grof, 1989 et 1990). Commentaire [E56]: ICI GRAVURES SANS COULEUR CHAPITRE 9 LA CONSCIENCE AU SEUIL DE LA MORT Vous souffrez en vain pour ceux pour qui il ne faudrait pas souffrir. Les sages ne souffrent ni pour les vivants, ni pour les morts. Jamais à aucun moment ai-je cessé d’être. Tout comme toi, tout comme les princes des hommes. Et nous ne cesseront jamais d’être. Car ce qui n’est pas réel n’a pas d’être et le réel ne cesse jamais d’être. Bhagavad-Gita peuvent être provoqués dans des états de sommeil, de faiblesse, de maladie, de drogues et de méditation. Cela fait les mystiques ne sont pas les seules personnes qui perçoivent les registres akachiques. Commentaire [E57]: J’ai traduit à partir de l’anglais mais peut être y a t’il une tra officielle sur le web comme tu me l’as dit ? j’ai trouvé un site mais est-ce la trad officielle ? TU pleures sur ceux, sur lesquels il ne faut pas pleurer […] Les sages ne pleurent ni sur les morts, ni sur les vivants. En vérité, il n'a pas été de temps, auquel je n'aie pas été ou toi, ou ces princes des hommes et jamais en vérité nous ne cesserons d'être[…]. L'Irréel apparait et disparait. Le Réel ne cesse jamais d'Etre." LES RECHERCHES menées à la fin du vingtième siècle sur certains aspects spécifiques de la mort furent motivées par l’intérêt croissant envers les phénomènes suggérant la possibilité de la survie de la conscience après la mort. La plupart des études ne s’intéressaient pas aux expériences et aux comportements des personnes mourantes elles-mêmes : elles se concentraient surtout sur les expériences extrasensorielles et les phénomènes physiques constatés lors de la mort de certaines personnes. Premières recherches : signes physiques, apparitions et visions sur lit de mort Les premiers chercheurs ont rassemblé de nombreux comptes-rendus de parents, d’amis et de connaissances qui disaient avoir eu des visions de la personne mourante au moment ou aux alentours de la mort de cette personne. Une étude conséquente dirigée par un groupe de savants de Cambridge pendant la seconde moitié du XIXème siècle démontra que de telles visions arrivaient avec une fréquence statistique élevée pendant la période de douze heures précédant et suivant la mort de l’individu visualisé (Sidgewick 1894). Bon nombre de ces études pionnières se concentraient aussi sur des événements physiques inexplicables ayant lieu au moment du décès : des montres s’arrêtaient ou se remettaient en marche, des cloches se mettaient à tinter, ou des photographies tombaient des murs. Il y avait d’autres incidents de ce type qui semblaient annoncer la mort de la personne (Bozzano 1948). Ces premiers travaux prenaient également en compte des rapports qui révélaient que les individus sur le point de mourir avaient souvent des visions de leurs parents décédés qui semblaient les accueillir dans l‘au-delà. Ces visions sur lit de mort sont très authentiques et convaincantes. Elles provoquaient souvent chez la personne un état d’euphorie qui semblait faciliter sa transition de la vie à la mort. Ces visions ne pouvaient pas être aisément expliquées en termes psychopathologiques et elles ne pouvaient pas être mises au placard comme hallucinations, étant donné que les individus chez qui elles étaient observées avaient une conscience claire, qu’ils ne déliraient pas, pas plus qu’ils n’étaient désorientés ou confus. Cependant ces phénomènes en eux-mêmes n’étaient pas particulièrement intéressants pour les chercheurs, étant donné que selon eux, la personne agonisante aurait très bien pu reconstruire ces images à partir de souvenirs passés. Les premiers chercheurs se concentrèrent donc sur un important sous-groupe de sujets auxquels on se référait souvent par l’expression « Pic en Darien ». Cette idée fut conçue par Frances Power Cobbe en 1877, et elle fut plus tard développée et approfondie par James Hyslop, William Barret et Harnell Hart (Cobbe 1877, Hyslop 1908, Barret 1926, Hart 1959). Ce concept se fonde sur la croyance selon laquelle les esprits des parents morts viennent en aide à la personne mourante, et facilitent sa transition vers l’autre monde où ils l’emmènent. Le concept du « Pic en Darien » implique ainsi que les personnes mourantes voient seulement des personnes qui sont déjà mortes. Ainsi, si un patient voyait une apparition d’une personne morte sans avoir été au préalable mis au courant de sa mort, alors cela constituait une preuve immense de la survie après la mort. Un argument encore plus pertinent encore pour notre propos est l’étude de médecins et d’infirmiers d’observations au moment de l’agonie ; cette étude fut dirigée par Karlis Osis et ses collègues et menée à grande échelle (Osis 1961). Au lieu d’analyser une hypothèse spécifique étroite, Osis enregistra un grand éventail de phénomènes se déroulant chez des individus mourants ; il a ensuite analysé les schémas ainsi obtenus. Son étude était fondée sur un grand sondage : 10 000 questionnaires couvrant des aspects divers d’observations sur lit de mort furent envoyés, en quantité égale aux médecins, et aux infirmières. Des analyses détaillées furent entreprises sur les 640 questionnaires qui leur revinrent. Même si le nombre de personnes y ayant répondu était relativement faible, ceux qui renvoyèrent le questionnaire rapportèrent un grand nombre de cas : un total de 35 540 observations de personnes sur le point de mourir. Osis s’aperçut alors qu’environ 10% des mourants étaient conscients dans l’heure précédant leur mort. Au grand étonnement des médecins et des infirmières qui les assistaient, la Commentaire [E58]: de la conscience ?? pas dans el texte peur n’était pas l’émotion principale de ces individus. Le personnel soignant rapporta que ces personnes vivaient le plus souvent l’inconfort, la douleur et même l’indifférence. Par ailleurs, environ une personne sur vingt montrait des signes d’exaltation. La grande occurrence de visions présentant un contenu non-humain constituait une autre conclusion inattendue : celles-ci étaient environ dix fois plus fréquentes que ce à quoi on pourrait s’attendre dans un groupe de personnes en bonne santé. Certaines de ces visions cadrent plus ou moins avec les concepts religieux traditionnels et représentaient le Ciel, le Paradis, la Cité Eternelle. D’autres étaient des images séculaires de beauté indescriptible, tels que des paysages à la végétation splendide et des oiseaux exotiques. D’après leurs auteurs, la plupart de ces visions étaient caractérisées par des couleurs brillantes et ressemblaient de près aux expériences psychédéliques provoquées par la mescaline ou le LSD. D’autres personnes rapportaient, moins fréquemment toutefois, des visions de diables et de l’enfer, ainsi que d’autres expériences effrayantes telles que le fait d’être enterré vivant. Cette étude se concentrait principalement sur les visons qui concernaient les êtres-humains : les visions de parents proches représentaient des personnes décédées tandis que celles d’autres personnes représentaient des personnes vivantes Osis était en mesure d’appuyer les hypothèses de Barret et Hyslop selon lesquelles les mourants voyaient surtout les personnes déjà décédées qui disaient venir les aider à accomplir leur transition vers leur existence post-mortem. Il confirma également le caractère d’apparition de ces visions étant donné qu’une large majorité de patients qui les vivaient en étant tout à fait conscients. Leur mental n’était pas perturbé par les sédatifs ou d’autres médicaments ou par des températures corporelles élevées ; et seule une petite proportion d’entre eux présentait une maladie pouvant être à l’origine d’hallucinations : accidents cérébral, troubles du cerveau, maladies mentales ou, urémie. La plupart des personnes en fin de vie étaient pleinement éveillées, elles avaient conscience de leur environnement et y répondaient. Cette étude démontra également que les variantes psychologiques, culturelles et physiologiques avaient une influence toute relative dans les caractéristiques principales de ces visions. Les racines de ce genre d’expérience semblaient dépasser les différences de personnalité liées au sexe de la personne, les facteurs physiologiques tels que des diagnostics cliniques et le type de maladie, et ainsi que niveau d’éducation et de croyances religieuses. Etudes pionnières d’expériences de mort imminente Les expériences associées à une situation où la vie est menacée ou à la mort clinique sont particulièrement pertinentes pour la recherche sur la conscience. Bon nombre de descriptions de ce type peuvent être trouvées dans des rapports autobiographiques, dans les nouvelles et dans la poésie. Mais jusqu’en 1960, ce domaine a été étonnamment négligé par les psychiatres et les psychologues. La première étude sur les expériences de mort imminente ne fut pas entreprise par un psychiatre ou par un psychologue mais par un professeur de géologie suisse de Zurich, Albert Heim. Heim était connu pour ses études sur les Alpes et pour son livre sur la formation des montagnes. Ayant vécu lui-même des accidents ayant failli lui coûter la vie, Heim était très intéressé par l’expérience subjective de la mort. Il passa plusieurs décennies, à rassembler des comptes-rendus de personnes ayant survécu à des situations qui mettaient la vie en péril. Les personnes qui se portaient volontaires étaient des soldats blessés lors de guerres, des zingueurs et des maçons tombés de toits, des ouvriers qui avaient survécu à des désastres dans des projets en montagne ou à des accidents ferroviaires, et un pêcheur qui avait failli se noyer. Cependant, la partie la plus importante de l’étude de Heim s’appuyait sur de nombreux comptes-rendus faits par des alpinistes qui étaient tombés de falaises et qui avaient pu être sauvés, dont trois de ses collègues. Heim présenta les résultats de ses recherches au Club des Alpinistes Suisses le 26 février 1892. Son essai fut ensuite publié sous le titre de « Notizen über den Tod durch Asturz » (« Remarques sur des chutes fatales ») dans le livre annuel du Club des Alpinistes Suisses (Heim 1892). Commentaire [E59]: je ne suis pas sûre d’avoir saisi cette phrase p 47 paragraphe 1 Dans son étude Heim conclut que 95% des victimes avaient des expériences subjectives de mort imminente étonnamment similaire, et qu’elles ne présentaient que quelques variations minimes. Le fait que la personne soit tombée d’une falaise, de la glace, d’une surface enneigée, d’un ravin ou d’une cascade, ne faisait pas de différence. Même les perceptions subjectives des individus qui avaient été renversés par un wagon de train, écrasés par des machines, sur lesquels on avait tiré lors de batailles, ou qui avaient failli se noyer, suivaient le même schéma d’ensemble. Pratiquement toutes les personnes qui affrontaient la mort dans des situations accidentelles développèrent un état mental semblable, dans lequel il n’y avait pas de douleur ou de désespoir, de souffrance, ou d’anxiété – émotions qui tendent à paralyser des individus dans des situations où les dangers sont moindres qui ne mettent pas la vie en péril. Au lieu de cela, l’activité mentale augmentait et s’accélérait, s’élevant à une intensité et à une vélocité cent fois supérieure. Puis les individus vivaient des sentiments de calme et d’acceptation profonde. La perception des événements et l’anticipation de l’issue étaient clairs, sans désorientation ou confusion aucune. Le temps semblait s’étendre et les individus agissaient avec la rapidité de l’éclair et de manière à la fois efficace et réaliste à la situation. Dans bien des cas, la personne revoyait tout son passé. Finalement la personne affrontant la menace de la mort entendait souvent une musique divine et vivait une expérience de beauté transcendante. J’illustrerai la description que fait Heim de situations mettant la vie en danger par deux de ses comptes-rendus subjectifs contenus dans son essai d’origine. Le premier traite de son propre accident alpin qui arriva lorsqu’il escaladait les Alpes Suisses et tomba d’un glacier, fit une chute de vingt mètres de haut et atterrit sur une bordure de neige : Dès que j’ai commencé à tomber j’ai réalisé que j’allais être jeté sur le rocher escarpé, et j’ai anticipé l’impact que cela allait avoir. En grattant avec mes doigts, j’ai creusé dans la neige, cherchant à freiner la chute. Les bouts de mes doigts étaient en sang, mais je n’éprouvais pas de douleur. J’ai entendu clairement les coups sur ma tête lorsque je me suis écrasé sur le rocher, et j’ai entendu un bruit sourd en frappant le sol. Mais j’ai surtout ressenti de la douleur quelques heures plus tard. Les pensées décrites plus haut démarrèrent pendant la chute. Ce que j’ai éprouvé en l’espace de cinq-dix minutes ne pourrait être décrit en dix fois ce temps-là. Toutes mes pensées et idées étaient cohérentes et très claires, et elles n’étaient effaçables en aucune façon, contrairement aux rêves. Tout d’abord, j’ai envisagé les possibilités de ma destinée et je me suis dit : « Je vais certainement atterrir sur un mur abrupte étant donné que je n’en vois pas la base. Il est important pour moi de savoir s’il y a de la neige ou non sur le mur de la falaise. S’il y a de la neige, la neige aura fondu du mur et formé un coussin à la base. Si je tombe sur la neige, je vais pouvoir m’en tirer vivant, mais s’il ne reste plus de neige, je vais certainement tomber sur des gravats et à une telle vélocité la mort sera inévitable. Si lorsque j’atterris je ne suis pas mort ou inconscient, alors je dois immédiatement prendre ma petite bouteille de vinaigres et en mettre quelques gouttes sur ma langue. Je ne veux pas lâcher mon alpenstock55, peut-être qu’il peut encore m’être utile. Donc je le garde tout contre moi. J’ai pensé à retirer mes lunettes et à les jeter afin que les éclats ne blessent pas mes yeux, mais j’étais tellement bousculé que je n’ai pas réussi à mobiliser mes forces pour bouger mes mains. Un groupe d’idées concernant ceux que j’avais laissés à la maison s’en suivit. Je me suis dit que lorsque j’atterrirai, que je sois sérieusement malade ou non, je devais immédiatement 55 Alpenstock : bâton pointu et ferré anciennement utilisé par les alpinismes anciens. (NdT) appeler mes compagnons pour leur dire que j’allais bien. Puis que mon frère et trois amis allaient pouvoir se remettre du choc facilement et accomplir la descente jusqu’à moi, bien qu’elle fut assez ardue. Ma pensée suivante était que je n’allais pas pouvoir donner ma conférence à l’université qui avait été annoncée pour dans cinq jours. J’ai pensé ensuite à la manière dont la nouvelle de ma mort allait être accueillie par les personnes qui me sont chères et je me suis réconforté. Puis j’ai vu toute ma vie passée se dérouler en quelques images, comme si, elle avait lieu sur scène à quelque distance de moi. Je me suis vu en héros de ce spectacle. Tout était transformé comme par une lumière céleste et tout était beau sans douleur, sans anxiété et sans souffrance. Le souvenir d’expériences tragiques que j’avais vécues était clair mais pas triste. Je n’ai éprouvé aucun conflit ou désaccord ; le conflit s’était transformé en amour. Les pensées élevées et harmonieuses dominaient et elles étaient réunies en images individuelles, et une musique magnifique, un calme divin traversa mon âme. Un splendide ciel bleu avec de petits nuages délicats roses et violets m’entourait. Je m’y suis fourré sans douleur et doucement, et je me suis vu, tombant librement ; un champ de neige m’attendait juste en dessous. Les observations objectives, les pensées, et les sentiments subjectifs étaient simultanés. Puis j’ai entendu un bruit sourd, et ma chute était terminée. Le second exemple de l’essai de Heim est, selon lui une présentation classique des expériences subjectives ayant lieu lors des accidents soudains. Ce compte-rendu est celui d’un étudiant en théologie qui vécut un accident ferroviaire avec l’effondrement du Pont Münchenstein en 1891 : Près du Pont Birs, j’ai senti un choc profond qui suivit notre avancée erratique. Mais au même moment, le train s’arrêta au milieu de sa course la plus rapide. Le choc envoya les passagers vers le plafond. J’ai regardé derrière-moi, incapable de voir ce qui était arrivé. D’après le puissant son métallique qui résonnait à l’avant, j’en ai déduit qu’il y avait eu une collision. J’ai ouvert la porte avec l’intention de sortir. Je me suis rendu compte que la voiture suivante s’était relevée et qu’elle était sur le point de tomber sur moi. Je me suis retourné sur place et j’ai voulu appeler mon voisin à la fenêtre. « Par la fenêtre ! » J’ai fermé ma bouche en me mordant la langue. A ce moment-là eut lieu, dans l’espace de temps le plus réduit, la descente la plus effrayante que l’on puisse imaginer. Je me suis accroché spasmodiquement à mon siège. Mes bras et mes jambes fonctionnaient de leur façon habituelle, comme s’ils prenaient instinctivement soin d’eux-mêmes. Aussi agiles que l’éclair, ils faisaient des mouvements reflexes évitant les perches et les bancs qui se brisaient partout autour de moi et sur moi. A ce moment-là un flux de pensées me traversa l’esprit de la façon la plus claire qui soit. Les pensées disaient : « le prochain impact me tuera ». Une série d’images me montra toutes les belles choses aimantes que j’avais vécues jusque-là et entre elles, il y avait la puissante mélodie d’un prélude que j’avais entendu le matin : « Dieu est tout puissant. Le Ciel et la Terre se trouvent dans Sa main, nous devons agir selon Sa volonté ». Un sentiment de paix éternelle, m’envahit au milieu de ce tourbillon. La voiture se balança encore deux fois vers l’avant ; puis la partie de l’avant tomba perpendiculairement dans les Birs et la partie arrière dans laquelle j’étais se balança latéralement au-dessus du remblai et dans le Birs. La voiture était brisée. Je gisais recouvert de bouts de bois et de bancs et je m’attendais à ce que la voiture d’à côté s’écroule sur ma tête ; mais il y eu un silence soudain. Le bruit s’arrêta. Du sang coula de mon front, mais je n’éprouvais aucune douleur. La perte de sang me fit me sentir léger. Après une petite lutte, je me suis dégagé des nombreux tas et débris, et je suis passé par la fenêtre. Ce fut seulement à ce moment-là que j’ai eu un aperçu du désastre qui venait d’avoir lieu… Heim conclut son essai en disant que la mort par chute est une mort très plaisante. Ceux qui sont morts dans la montagne ont, durant les derniers instants de leur vie, revu leur passé individuel dans des états transfigurés. Au-delà de la douleur physique, ils ont vécu des pensées nobles et profondes, de la musique magnifique, et des sentiments de paix. Ils sont tombés dans des cieux magnifiquement bleus ou rosacés, et puis tout devint soudainement immobile. D’après Heim, les chutes fatales sont beaucoup plus « cruelles et horribles » pour les survivants que pour les victimes. Il est incomparablement plus douloureux de voir une personne tomber que de tomber soimême, et la sensation du moment, ainsi que les souvenirs, sont aussi plus douloureux. Dans bon nombre de cas les spectateurs furent profondément bouleversés et ils perdirent leurs facultés, paralysés par l’horreur, et ils gardèrent un trauma de cette expérience, alors que la victime, elle, si elle n’était pas grièvement blessée, vivait un sentiment de paix libre de toute angoisse. Heim a illustré cela par son expérience personnelle lorsqu’il vit une vache tomber, il en éprouva de la douleur, alors que sa propre infortune était enregistrée dans son esprit comme une transfiguration puissante et même extatique, sans douleur et sans angoisse, exactement comme il l’avait vécue. Les comptes-rendus autobiographiques et les descriptions dans la fiction et la poésie confirment que les personnes vivant un danger mettant leur vie en danger, ainsi que ceux au seuil de la mort, vivent généralement des fractions d’états de conscience inhabituels. Ces expériences ont des propriétés différentes de celles nos états de conscience quotidiens et ils ne se prêtent pas aisément aux descriptions verbales. Afin de rendre la saveur et les dimensions de telles expériences, il est cependant nécessaire de se référer à des comptes-rendus d’individus qui sont à la fois introspectifs et logiques. Une excellente description vient de l’autobiographie de C. G. Jung, Ma vie, Souvenirs, Rêves, et pensées (Jung 1961). Au début de l’année 1944, Jung sa cassa la jambe puis il souffrit une attaque cardiaque. Alors que Jung était à deux doigts de la mort et recevait de l’oxygène et du camphre par injections, il eut une série d’expériences visionnaires. Ce qui suit est un résumé du compte-rendu de l’état dans lequel il se trouvait. Il me semblait que j’étais quelque part en haut de l’espace. Bien endessous, je voyais le globe terrestre, baignant dans une lumière bleue, la profonde mer bleue et les continents. Sous mes pieds il y avait le Sri Lanka et plus loin, l’Inde. Mon champ de vision n’incluait pas la Terre entière mais il m’était difficile de distinguer sa forme générale et ses contours brillaient d’une lumière argentée à travers cette merveilleuse lumière bleue. Dans bien des lieux, le globe semblait coloré, ou tacheté de vert foncé comme l’argent oxydé. Loin à ma gauche, il y avait une large étendue – le désert rouge d’Arabie ; c’était comme si l’argent de la terre avait pris une teinte rouge et or. Puis il y avait la Mer Rouge et loin, loin derrière – comme dans la partie gauche supérieure de la carte - je pouvais deviner un morceau de la Méditerranée. Mon regard fut dirigé principalement vers cela. Tout le reste apparaissait de façon indistincte. Je pouvais aussi voir les neiges de l’Himalaya, mais, dans cette direction, c’était embrumé ou nuageux. Je n’ai pas regardé à droite du tout. Je savais que j’étais sur le point de quitter la terre. Plus tard, j’ai découvert à quel point il faudrait être haut dans l’espace pour avoir une vue aussi large - environ deux milliers de kilomètres. La vue de la terre depuis cette lumière était la chose la plus sublime que j’aie jamais vue. Après avoir contemplé cela pendant un instant, je me suis retourné. Je m’étais tenu dos à l’Océan Indien, et mon visage regardait vers le nord. Puis il me Commentaire [E60]: articulate semble qu’il s’est retourné vers le sud. Quelque chose de nouveau entra dans mon champ de vision. A une courte distance, j’ai vu dans l‘espace un immense bloc de pierre, comme un météorite. Il faisait environ la taille de ma maison ou encore davantage. Il flottait dans l’espace, et moi-même je flottais dans l’espace. J’ai vu des pierres similaires sur la côte du Golfe du Bengale. C’étaient des blocs de granite, et certains d’entre eux étaient devenus des temples. Ma pierre était un bloc gigantesque et sombre. Une porte menait à une petite salle. A la droite de l’entrée, un Hindou noir était assis silencieusement dans la position du lotus sur un banc de pierre. Il portait une petite robe blanche, et je savais qu’il m’attendait. Deux marches conduisaient à son antichambre, et à l’intérieur, à gauche, il y avait le portail du temple. De petites niches innombrables, chacune avec une cavité semblable à celle d’une soucoupe, étaient emplies d’huile de noix de coco. De petites mèches entouraient la porte avec une couronne de flammes claires. J’avais déjà vu cela, lorsque je visitais le temple de Holy Tooth à Kandy, au Sri Lanka ; le portail était entouré de plusieurs rangées de lampes à huile de ce type, toutes allumées. En m’approchant des marches conduisant à l’entrée creusée dans le roc, une chose étrange m’arriva : j’ai eu la sensation que tout avait été balayé, tout ce que j’avais cherché à obtenir, ou souhaité, ou auquel j’avais pensé. Toute la fantasmagorie de l’existence terrestre s’écroulait ou bien m’était enlevée –il s’agissait là d’un événement extrêmement douloureux. Cependant, quelque chose demeura ; c’était comme si je portais en moi tout ce que j’avais jamais vécu ou fait, tout ce qui m’était jamais arrivé. Je devrais également dire : c’était en moi, et j’étais cela. C’était constitué de tout cela. C’était là ma propre histoire, et je sentais avec une grande certitude : je suis cela. Je suis ce paquet de ce qui a été, et de ce qui a été accompli. Dans ce cas-ci, la qualité de la vision et la nature mythique du compte-rendu de Jung peuvent être attribués à sa personnalité rare et à ses intérêts professionnels. Un second exemple nous vient d’un individu au caractère et à la profession très différents : l’acteur allemand Curt Jungens, qui mourut au cours d’une opération chirurgicale compliquée, à Houston dans le Texas, faite par le Docteur Michael DeBakey. Afin de remplacer l’artère déficiente par un tube en plastique, le chirurgien devait retirer le cœur. Pendant cette opération Curt Jungens mourut, mais uniquement l’espace de quelques instants. Le compte-rendu de cette expérience inhabituelle est extrait de Glimpses of the Beyond (Aperçus de l’Au-Delà), de Jean-Baptiste Delacour. La sensation de bien-être que j’ai éprouvée après l’injection de Pentothal n’a pas duré longtemps. Bientôt la sensation que la vie me quittait émergea depuis mon subconscient. Aujourd’hui j’aime à dire que cette sensation arriva au moment où mon cœur cessa de battre. La sensation que ma vie me quittait m’évoqua des sensations de terreur. Je voulais m’accrocher à la vie plus que tout, cependant, il m’était impossible de le faire. J’avais regardé dans la grande coupole de verre au-dessus de la salle d’opération. Cette coupole commença à changer. Soudain elle devint d’un rouge brillant. J’ai vu des visages grimaçants, tordus, qui me regardaient. Pris de terreur, j’ai essayé de lutter et de me défendre contre ces fantômes pâles, qui se rapprochaient de moi. Puis il me sembla que la coupole de verre était devenue un dôme transparent qui s’enfonçait progressivement en moi. Une pluie violente me tombait dessus, mais bien que ses gouttes fussent énormes, aucune d’entre elles ne me toucha. Elles éclaboussaient autour de moi, et des flammes menaçantes en sortaient, me frôlant. Je ne pouvais plus me cacher la vérité effrayante : sans nul doute, les visages qui dominaient ce monde fougueux étaient les visages des damnés. J’éprouvais un sentiment de désespoir, j’étais abandonné et seul. La sensation d’horreur était tellement énorme qu’elle me frappa terriblement, et j’avais l’impression que j’étais sur le point de suffoquer. J’étais de manière évidente en Enfer, et les langues brillantes du feu pouvaient me toucher à n’importe quel moment. Dans cette situation, la silhouette noire d’une figure humaine se matérialisa et commença à s’approcher davantage. Au début, je la vis seulement de manière indistincte, au milieu des flammes et des nuages de fumée rougeâtre, mais rapidement, elle devint de plus en plus claire. Il s’agissait d’une femme, vêtue d’un voile noir, une femme élancée avec une bouche sans lèvres. Dans ses yeux il y avait une expression qui provoqua des frissons glacés le long de ma colonne. Lorsqu’elle se tenait en face de moi, la seule chose que je pouvais voir était deux trous noirs vides, avec lesquels la créature me regardait. La figure me tendit ses bras, et emmené par une force irrésistible, je l’ai suivie. Un souffle glacé me toucha, et je suis rentré dans un monde de sons évanescents de lamentations bien qu’il n’y ait eu personne en vue. Alors j’ai demandé à la personne de me dire qui elle était. Une voix répondit : « Je suis la Mort ». J’ai rassemblé toute ma force et ma pensée : « Je ne la suivrai pas plus loin, car je veux vivre ». Ai-je trahi cette pensée ? Elle se rapprocha encore davantage de moi et elle mit ses deux mains sur ma poitrine nue afin que je sois encore sous le charme de sa force magnétique. Je pouvais sentir ses mains glaciales sur ma peau, et les globes oculaires vides était fixés sur moi, immobiles. Encore une fois, j’ai concentré toutes mes pensées sur la vie, afin d’échapper à la mort déguisée en femme. Avant de rentrer dans la salle d’opération, j’avais embrassé ma femme. Maintenant son fantôme vint à ma rescousse pour me délivrer de l’enfer et pour me reconduire à l’existence terrestre. Lorsque Simone [son épouse] apparut dans la scène, la femme au voile noir repartit sans un bruit, avec un sourire terrible sur les lèvres. La Mort ne pouvait rien contre Simone, radieuse de vie et de jeunesse. Je n’ai éprouvé que de la fraîcheur de la tendresse lorsqu’elle me reconduisit par la main sur le même chemin où j’avais auparavant été conduit par le charme de la figure sombre. Petit à petit, nous avons quitté ce royaume de peur et d’ombres et nous nous sommes rapprochés de la grande lumière. Cette luminosité nous guida encore, et finalement elle devint tellement brillante qu’elle commença à m’aveugler, et j’ai dû fermer les yeux. Puis soudainement, une douleur sévère, menaçant de déchirer la cavité de ma poitrine. J’ai serré la main de Simone de plus en plus fort après mon retour soudain à la conscience. Je l’ai trouvée assise sur mon lit, portant un uniforme blanc d’infirmière. Je n’avais que la force d’esquisser un léger sourire. C’était la seule chose que je pouvais faire pour dire le mot « merci ». Par ce mot j’ai conclu un voyage effrayant mais fascinant dans l’Au-delà, un voyage que je n’oublierai jamais tant que je vivrai. David Rosen, un psychiatre de Langler Porter Neuropsychiatric Institute à San Francisco a mené une étude très précieuse pour la littérature de la mort imminente. Rosen a dirigé les entretiens de contrôle de six des huit personnes qui avaient survécu à des sauts suicidaires depuis le Golden Gate Bridge, ainsi qu’avec l’un des deux survivants qui avait sauté du San Francisco Bay Bridge (Rosen 1975). Rosen n’a pas seulement essayé d’obtenir des informations qui aideraient à clarifier l’attraction que le Golden Gate Bridge exerce sur les personnes suicidaires, il a également pris en note et analysé la nature des expériences subjectives pendant les chutes - et les effets à long terme - de cet événement sur les vies des survivants. Tous les survivants, pendant et après leurs chutes, ont vécu des états mystiques de conscience caractérisés par la perte de la sensation du temps et de l’espace, et par la sensation de renaissance spirituelle, ainsi que le sentiment de l’unité avec les autres êtres humains, l’univers entier, et Dieu. La conséquence de leur expérience intime avec la mort fut que certains d’entre eux eurent de profondes conversions religieuses ; d’autres évoquèrent une confirmation de leurs croyances religieuses antérieures. L’un des survivants nia la tentative suicidaire elle-même. Il vit le Golden Gate Bridge comme des « portes dorées » à travers lesquelles il passerait d’un monde matériel à un nouveau domaine spirituel. Il affirma que son saut du pont était la réalisation d’un besoin spirituel et que cela avait davantage à voir avec la parapsychologie qu’avec la psychologie ou la psychopathologie. Lorsque Rosen examina les vies des survivants après leurs tentatives de suicide, il découvrit des changements bénéfiques dans leurs états émotionnels, leur façon de penser et leurs comportements. L’aspect le plus frappant de cette transformation était un puissant surgissement de sentiments spirituels résultant en des conversions ou en le renforcement de croyances religieuses préexistantes. Une sensation de renaissance spirituelle fut associée à une nouvelle façon de percevoir et d’être au monde. La conséquence pratique la plus significative de ce regain d’enthousiasme envers la vie, étaient des tendances moindres à l’autodestruction, davantage de vitalité et une affirmation joyeuse de l’existence humaine. L’un des survivants le décrivit de la façon suivante : J’étais de nouveau rempli d’une espérance et d’un objectif nouveaux dans la vie. La plupart des gens n’ont pas accès à ceci. J’apprécie le miracle de la vie comme le fait de regarder un oiseau voler- les choses prennent soudain davantage de sens lorsqu’on est le point de les perdre. J’ai vécu un sentiment d’unité avec toutes les choses et les personnes. Depuis ma renaissance psychique, j’éprouve aussi la douleur des autres. Ma survie a reconfirmé ma foi et les objectifs dans ma vie. Tout était clair et brillant - je suis devenu conscient de ma relation au créateur. Avec le Mont Mihara, un volcan du Japon, le Golden Gate Bridge est le lieu où les taux de suicide sont le plus élevés. Au moins 1200 personnes ont sauté ou ont été retrouvées dans l’eau depuis l’ouverture du pont en 1937, et les tentatives de suicide continuent au rythme de une toutes les deux semaines (Friend 2003). Le pont semble avoir une attraction magique pour ces personnes aux tendances suicidaires, peut-être parce que son nom est la combinaison de trois symboles transcendantaux - l’or (Golden) la porte (Gate) et le pont (Bridge). Selon moi, le suicide représente une confusion tragique entre la mort de l’ego qui mènerait à la renaissance psychospirituelle et la mort physique, entre l’egocide et le suicide (Grof 1985, 2000). Les comptes-rendus subjectifs des survivants de l’étude de Rosen sont assez semblables aux textes de Heim et à ses comptes-rendus d’expériences de mort imminente provenant d’autres sources. Les principales différences sont que l’accent est mis sur la phase transcendantale avec les éléments de lutte et de résistance notablement absents. Le fait de revivre des souvenirs et de revoir toute sa vie est tronqué ou du moins il n’est pas mentionné. Rosen a expliqué ces différences par la nature volitive du suicide comparé au caractère involontaire des accidents. Les individus qui pensent au suicide se sont battus jusqu’à la fin de leurs vies avant d’en être arrivés à la décision d’y mettre un terme. De la même façon le fait de revoir sa vie peut très bien avoir eu lieu avant. Dans les débuts de la recherche sur les expériences de mort imminente, les efforts destinés à comprendre le mécanisme des expériences associées à la mort et de formuler un cadre théorique à leur interprétation étaient encore plus rares que les études descriptives et phénoménologiques. Edward Clarke, auteur de Visions : A Study of False Sight (Visions : une Etude Sur la Perception Faussée) - l’étude classique sur les expériences de mort imminente qui fait autorité, rédigée lorsqu’il était en train de mourir - a considéré l’affaiblissement de l’esprit comme étant une explication satisfaisante aux changements de conscience observés chez les individus mourants (Clarke 1878). D’autres firent référence à un mécanisme plus spécifique – l’anorexie cérébrale - et ils montrèrent la similitude entre les expériences de mort imminente et de nombreux phénomènes anormaux observés dans les hautes altitudes, pendant l’anesthésie, chez des sujets expérimentaux dans des salles hypoxiques, et d’autres situations impliquant le manque d’oxygène. Karlis Osis (1961) et Russell Noyes (1971) trouvèrent des parallèles intéressants entre les expériences visionnaires des mourants et les états provoqués par les drogues psychédéliques. Cette observation, bien que tout à fait acceptable d’un point de vue théorique, ne permet pas vraiment de nous faire comprendre l’expérience que constitue la mort. Comme nous l’avons vu précédemment, les expériences psychédéliques sont elles-mêmes un phénomène très complexe qui remet en question les cadres conceptuels actuels, et ils n’ont pas encore été expliqués de manière adéquate. De telles explications rendent surtout compte d’un des aspects spécifiques du phénomène de mort imminente- la gâchette physiologique ou biochimique de ces expériences - et passent sous silence leur contenu spécifique et leur signification psychologique plus profonde. Deux études psychanalytiques ont tenté sérieusement d’appliquer les concepts psychanalytiques de base à l’étude des expériences de mort imminente. Dans le premier de ces essais, Oskar Pfister a utilisé comme point de départ à ses spéculations l’étude dirigée par Albert Heim décrite plus haut dans ce chapitre (Pfister 1930). Outre les observations de Heim rassemblées pendant les vingt-cinq années suivant sa chute quasi-fatale, Pfister avait à sa disposition une lettre de Heim décrivant son expérience plus en détail que le récit contenu dans son essai d’origine. La grande quantité d’informations obtenue de Heim permit à Pfister de se familiariser avec la nature globale des expériences de mort imminente. Cependant pour une évaluation psychodynamique plus en profondeur et pour une interprétation de ce phénomène, il avait besoin des associations libres des survivants concernant leur au contenu spécifique. Une telle analyse fut rendue possible grâce à l’information offerte par un voyageur, un homme qui avait failli être tué pendant la guerre dans une tranchée, treize ans avant de rencontrer Pfister. Cette personne fut à même de décrire les images qu’elle avait eues à ce moment-là, et de proposer des associations libres concernant leur contenu. En s’appuyant sur ce contenu, Pfister tira des conclusions théoriques sur les mécanismes psychodynamiques des pensées et des images issues du choc qu’un individu peut avoir lorsqu’il se retrouve en danger mortel. Dans son livre Au-delà du Principe du Plaisir Freud a exprimé l’idée que l’organisme vivant serait anéanti par la charge énergétique du monde extérieur s’il n’était pas équipé d’un appareil protecteur qui fonctionne comme une barrière aux stimuli (Freud 1975). Pfister trouva ce concept extrêmement utile à la compréhension du mécanisme des expériences de mort imminente. D’après lui, les fantasmes du choc sauvent l’individu des émotions traumatiques excessives, et fonctionnent comme un mécanisme le protégeant de la perte de conscience, comme un système d’éveil l’empêchant se s’endormir ou de s’évanouir. Ce mécanisme serait ainsi un équivalent de la fonction que jouent les rêves dans la protection du sommeil. Là où le danger est moindre un individu réagirait par la paralysie et la perte de la parole. Cependant, dans le cas d’un danger extrême, le résultat est une augmentation de l’activité et une stimulation de l’activité cérébrale. Plusieurs mécanismes de protection ont lieu pendant cette phase. Parmi elles, il y a l’illusion que le danger peut être géré efficacement ; l’autre est la capacité à exprimer tous les sentiments qui l’accompagnent. D’après Pfister, la déréalisation observée tellement fréquemment dans cette situation sert elle aussi de fonction protectrice, car elle implique un déni de la situation ou de ses conséquences lorsqu’il n’est plus possible de faire face de manière réaliste au danger. Dans de telles circonstances, le sens de la réalité s’amoindrit et des fantasmes régressifs ont lieu. Certains des souvenirs qui se forment sont réconfortants, comme des allusions à des situations dangereuses du passé qui se terminaient bien, ou des fantasmes libres. Les expériences de déjà-vu ou l’anticipation du futur peuvent également être vues comme le déni d’une situation réelle sinistre. L’extrême est, bien sûr, de s’évader dans une situation transcendante du ciel ou du paradis, ce qui selon les concepts psychanalytiques est une régression au bonheur océanique de l’existence prénatale. Pfister vit ainsi les expériences de mort imminente comme des manifestations d’une « brillante victoire d’une pensée pleine d’espoirs sur des faits atroces et de l’illusion sur la réalité ». Commentaire [E61]: Cher Olivier j’ai posé la question à mes amis anglais ou americains, et ils ont répondu The sentence structure is atrocious difficult to tell which clause is subordinate and therefore wide open to interpretation of what the author meant to emphasize. Somebody who has survived an ordeal may reveal interesting thoughts when faced with a concrete reminder (the specific manifest content) of the ordeal and encouraged to communicate his free associations (uncensored thoughts). That's what I think he's saying. Mais je bloque parce que j’ai trop réfléchi à ça; ton esprit vierge ( pas en termes d’astro) sera bien plus à même de comprendre ce qui m’échappe Une autre étude psychanalytique pertinente du processus de la mort a été publiée par R .C. A. Hunter, qui eut l’opportunité unique d’analyser le contenu d’une expérience de mort imminente d’une infirmière qu’il psychanalysait (Hunter 1967). Il la voyait dans des séances régulières d’analyse, et la rencontra deux heures avant son accident et vingt-quatre heures après celui-ci. Ces circonstances permirent ainsi l’assemblage de ses fantasmes et des expériences dont elle se souvenait, avec quelques unes de ses associations libres. Sa patiente était une femme de trentequatre ans en bonne santé, mère de trois enfants. Au moment de l’accident, elle ne semblait pas déprimée d’un point de vue pathologique, et rien ne portait croire qu’elle aurait eu des instincts suicidaires. Elle faisait une analyse en raison de problèmes relationnels avec son mari. L’accident quasi-fatal était inattendu et commença tout à fait soudainement. Le dentiste fit une radio de l’une de ses dents qui lui causait de la douleur, et diagnostiqua un abcès à la racine ; il lui prescrivit de l’aspirine-codéine et de la pénicilline. Elle prit un cachet de l’antibiotique en rentrant chez elle en voiture avec son mari à une heure de pointe. Vingt minutes plus tard, en raison d’une réaction allergique à la pénicilline, elle développa un œdème laryngal et glottal accompagné par un degré élevé de suffocation et finalement une perte de conscience. On lui administra de l’adrénaline et elle fut emmenée en ambulance à un hôpital peu éloigné, où on lui donna de l’oxygène, davantage d’adrénaline et des stéroïdes corticaux. Elle se remit pleinement en peu de temps, et les jours suivants elle fut capable d’évoquer son expérience lors d’une séance d’analyse. Voici le compte-rendu de Hunter : Elle n’avait jamais souffert d’aucune manifestation allergique, et il n’y avait pas nom plus d’historique familial allergique. Etant infirmière, elle était connaissait cependant l’existence de l’allergie à la pénicilline et lorsqu’elle prit le comprimé, la pensée qu’elle pouvait y être allergique lui traversa l’esprit. Dans la voiture, lorsque sa respiration commença à devenir malaisée, elle réalisa ce qui se passait, et elle éprouva de la peur qui disparut rapidement. (Elle dit qu’elle n’aurait plus jamais peur de la mort). Elle ressentit une intense sympathie pour son mari. Puis elle se sentit coupable de le soumettre à une telle épreuve. Elle avait honte. Il lui semblait maintenant (post hoc) qu’il s’agissait en partie d’une vengeance, mais qu’elle n’avait eu aucun contrôle là-dessus. Elle se souvint d’une « dernière réaction violente » dans laquelle elle avait lutté de façon désespérée contre la mort, mais elle n’en avait pas eu peur et ensuite elle y avait cédé, sachant que c’était ce qu’elle voulait. Elle avait ensuite revu, dans un enchaînement rapide, un grand nombre de scènes de sa vie. Elles semblaient commencer à l’âge de cinq ans. Elle se souvenait d’une impression de couleur vive. Elle avait vu une poupée à elle qu’elle chérissait, et fut étonnée de voir à quel point ses yeux bleus en verre étaient clairs. Il y avait aussi une photo d’elle-même sur sa bicyclette rouge très lumineuse, sur le gazon vert tout aussi lumineux. Elle savait que sa vie entière n’était pas représentée de manière picturale, seules quelques scènes de son enfance l’étaient, et elle insista sur le fait que tout vivait un état béatifique. Son souvenir suivant fut celui d’un état de bonheur suprême et d’extase. Il y avait une photo du Taj Mahal dans laquelle elle était profondément absorbée, et de manière idyllique. C’était une photo qu’elle devait avoir vue à plusieurs occasions - la photo habituelle prise depuis le bord de l’étang de lys. Elle était colorée, l’étang et les lys étaient bleus et verts, les minarets et le dôme d’une belle couleur or et crème. Elle devint consciente des personnes essayant de la réveiller, et elle leur en voulait, ressentait de l’irritation. Elle voulait être laissée seule dans son beau rêve de Taj Mahal. Puis elle prit conscience du masque à oxygène, et des perfusions. Elle reprit conscience, malgré elle, pour se retrouver dans le département des urgences de l’hôpital. En analysant son expérience, Hunter fut surpris par la similitude entre ce qu’elle rapportait et ce que publia Pfister. Dans les deux comptes-rendus, la reconnaissance du danger est suivie par une brève réaction de peur, un déni de la menace, et ensuite les souvenirs de scènes particulièrement heureuses ou extatiques affluent. Hunter suggère dans ses observations qu’il est important de distinguer la mort comme état de la mort comme expérience. Alors que la mort peut avoir beaucoup de significations idiosyncratiques pour les différents individus, le processus consistant à mourir de façon soudaine et inattendue peut traverser des étapes définies et prévisibles. Le contenu de ces expériences est cependant coloré par des schémas de personnalité établis. Hunter vit dans les souvenirs qui affluaient chez la patiente un déni de la situation. La suite de souvenirs heureux et de tableaux apportait un aspect plaisant à l’expérience, ce qui masquait en réalité un effet déplaisant. Dans l’interprétation de Hunter, la vision du Taj Mahal avait un sens idiosyncratique et psychodynamique pour la patiente. Non seulement il l’aida à nier et à transcender le danger mortel, cela reflétait également les fantasmes qu’elle nourrissait à l’égard de son mari, étant donné que le Taj Mahal est un mausolée construit par un mari aimant pour son épouse adorée. A un niveau plus profond de régression, d’après Hunter, la piscine et le dôme suggéraient des fantasmes concernant l’utérus et la poitrine. Russel Noyes, professeur de psychiatrie à l’Université de l’Iowa, examina certains comptesrendus subjectifs d’individus affrontant la mort et les analysa du point de vue psychiatrique et psychodynamique (Noyes 1972). Il découvrit une uniformité étonnante, des schémas traditionnels, et des suites expérientielles caractéristiques sous-tendant le contenu d’apparence riche et multiforme des comptes-rendus individuels. D’après Noyes, les descriptions d’expériences de mort imminente et d’expériences de mort se déroulent en trois étapes : la résistance, le moment où l’on revoit sa vie, et la transcendance. Le degré où ces étapes individuelles d’expériences sont représentées dans un compte-rendu particulier peut varier considérablement, et dans certains cas, l’un d’eux peut être complètement absent. Cependant ces étapes apparaissent de façon fréquente et de manière assez cohérente pour justifier une telle division. L’étape initiale de résistance implique la reconnaissance du danger, suivie de sa peur ou d’une lutte contre ce danger, et finalement l’acceptation de la mort. Le fait de réaliser que la mort est imminente crée une lutte, brève mais violente, généralement accompagnée par une anxiété marquée. L’individu oscille entre le besoin d’une maîtrise active et d’une envie de résignation passive. Aussi longtemps qu’il demeure ne serait-ce qu’une petite chance de survie, la conscience de la personne et son état d’alerte face à la situation dangereuse sont grandement augmentés. Dans de telles circonstances, l’énergie disponible à la fois pour l’activité mentale et physique peuvent augmenter de façon importante. La panique désorganisée est remise à plus tard, mais elle peut émerger dans toute sa puissance une fois le danger immédiat passé. L’accélération remarquable des processus mentaux arrivant chez un individu affrontant la mort ou grièvement blessé résulte souvent en une série de pensées conscientes, soutenues et complexes mais aussi en une activité efficace pour garder la vie sauve. Ceci peut être illustré par le compte-rendu d’Albert Heim d’un autre accident où une activation aussi extraordinaire de ses ressources mentales le sauva de blessures physiques graves : A l’été de 1881, je suis tombé entre les roues avant et arrière d’un attelage voyageant entre Aoste et Saint Remi, et l’espace d’un instant je fus encore capable de m’accrocher au bord du wagon. La série de pensées suivante traversa mon esprit : « Je ne peux pas attendre jusqu’à ce que le cheval s’arrête ; je dois tout lâcher. Si je lâche tout, je vais tomber sur le dos et la roue va m’écraser les jambes. Dans ce cas, une fracture du genou ou du tibia, sera inévitable ; je dois tomber sur mon ventre, et alors les roues passeront sur l’arrière de mes jambes. Si je tends alors mes muscles ils seront un coussin protecteur pour les os. La pression exercée par le sol aura moins de chance de rompre mes os que celle de la roue. Si je suis capable de me retourner vers la Commentaire [E62]: Established personnality patterns p 159 fin prem para gauche, alors je pourrai peut-être tirer suffisamment ma jambe gauche ; si je me tournais vers la droite cela causerait, d’après les dimensions de l’attelage, la cassure de mes deux jambes ». Je sais que c’est seulement à la suite de ces réflexions rapides qui m’ont traversé l’esprit que je me suis laissé tomber. D’un coup sec de mon bras, je me suis retourné, j’ai balancé ma jambe gauche de façon énergique et j’ai immédiatement tendu mes muscles le plus possible. La roue m’est passée sur la jambe droite, et je m'en suis tiré avec un léger bleu. (Heim 1892) Les individus qui meurent plus graduellement ont l’impression que leur volonté de vivre les soutient, et ils ont peur de mourir s’ils cèdent. A ce moment-là de capitulation, la peur s’apaise, et la personne développe un certain sentiment de sérénité et de tranquillité. Lorsque la mort devient une chose sûre, sa venue est affrontée avec un grand calme intérieur. Généralement l’étape où l’on revoit sa vie suit le passage de la maîtrise à la capitulation. A ce moment-là le moi se sépare de sa représentation corporelle, un événement qui peut précipiter les expériences de décorporisation. Les individus peuvent voir leurs corps approchant la mort, mais sans lutter contre la mort qui guette. La mort comme réalité est niée, et le moi devient un témoin regardant la scène avec un intérêt détaché toutefois. Le moment où l’individu revoit sa vie prend la forme d’un courant de souvenirs qui se suivent de façon successive et qui semblent brasser le passé tout entier de la personne. Le déroulement de cet espèce de film de sa propre vie est parfois rétro-régressif, passant du moment de l’accident à l’enfance, parfois progressif, répétant la suite chronologique des événements. Souvent des émotions plaisantes accompagnent cette revue ; moins fréquemment la revue peut engendrer un effet négatif. Parfois cette revue peut être panoramique plutôt que successive - dans ce cas, des souvenirs importants de périodes différentes de vie apparaissent simultanément comme faisant partie d’un seul ensemble. Cette étape où l’on revoit sa vie peut être illustrée par un extrait de lettre écrite par l’Amiral Beaufort, dans laquelle il décrit sa propre quasi-noyade. Lorsqu’il était jeune, sur un bateau au Port de Porthmouth, il tomba dans l’eau. Incapable de nager, il devint vite épuisé et il coula temporairement sous la surface avant d’être repêché. Son récit fut publié dans le livre de W.Munk Euthanasie ou le traitement médical dans l’aide pour une mort facile (Munk 1887) : Tout espoir s’envola, tout effort cessa, un sentiment de calme, et de la tranquillité la plus parfaite, succéda aux sensations tumultueuses précédentes. On pourrait appeler cela de l’apathie, certainement pas de la résignation car la noyade n’apparaissait plus comme un mal. Je ne pensais plus à me faire repêcher, et je n’avais aucune douleur nulle part. Au contraire, mes sensations étaient désormais plutôt d’un genre plaisant, une espèce de sentiment sombre mais satisfaisant comme ceux qui précèdent le sommeil lorsqu’on est très fatigué. Même si mes sens étaient endormis, ce n’était pas le cas de mon esprit ; son activité semblait considérablement augmentée, à un niveau quasi indescriptible, car les pensées se succédaient à une rapidité non seulement indescriptible mais probablement inconcevable à toute personne qui n’a pas été dans une telle situation. Maintenant encore, je peux retracer le cours de ces pensées dans une large mesure - l’événement qui venait de prendre place, la maladresse qui en était à l’origine, le sursaut d’activité qu’il avait occasionné, l’effet que cela produirait sur un père aimant et une centaine d’autres circonstances liées à ma vie familiale furent la première série de réflexions à arriver. Elles prirent alors un tour plus large : notre dernière croisière, un voyage et un naufrage précédent, mon école, les progrès que j’y avais fait et le temps que j’y avais perdu, et même toutes mes poursuites et aventures de jeune garçon. Voyageant ainsi dans mon passé, tous les incidents de ma vie semblaient apparaître dans mon souvenir en une suite rétrograde ; mais pas dans leurs grandes lignes comme je le rapporte ici, plutôt comme un tableau qui emplissait chaque minute ; en bref, ma vie entière semblait être placée devant moi de façon panoramique et chacune de ses actions semblait être accompagnée par une conscience du juste ou de l’injuste, ou par des réflexions sur sa cause ou sur ses conséquences ; en effet beaucoup d’événements insignifiants qui avaient été oubliés depuis longtemps traversèrent alors mon imaginaire avec une familiarité certaine. D’après Noyes, le retour de souvenirs du passé pouvait résulter de la perte soudaine de l’orientation du temps futur. Les personnes vieillissantes approchant de la fin de leurs vies ont tendance à retirer leur investissement dans le futur et se tournent vers des réminiscences du passé. De la même façon, des individus qui sont soudainement confrontés à la fin de leurs vies peuvent faire l’expérience d’un surcroit d’investissement dans leur passé. Cette concentration étroite d’énergie vitale sur des événements passés peut être liée à l’intensité et à la vivacité des mémoires des temps anciens qui émergent. Noyes montra la signification existentielle de cet afflux d’images et insista sur la perspective unique de vie que cela apporte. Au moment de la mort, l’existence d’un individu devient un schéma achevé, et inaltérable. A travers l’histoire, la mort a été reconnue comme étant un moment paroxystique pour cette même raison ; elle représente la dernière opportunité pour atteindre ou défendre les buts les plus élevés. Les individus mourants qui revoient leur vie affirment de façon passionnée la signification transcendante de leur existence et ils l’intègrent à l’ordre universel, qu’ils embrassent. Cela peut être vu comme une puissante affirmation des aspirations spirituelles de la personne mourante. Dans bien des cas, les expériences visionnaires de certains sont tellement gratifiantes qu’ils désirent en fait mourir et rester pour toujours dans les domaines transcendantaux ; de telles personnes sont généralement hostiles ou éprouvent de la rancœur lorsqu’elles sont ramenées à la réalité quotidienne. Généralement l’étape de transcendance évolue naturellement à partir du moment où l’individu revoit sa vie. Les individus qui examinent leur existence à partir des points de vue moraux tels que le bien et le mal, la voient depuis une perspective de plus en plus distante. Ils peuvent arriver à un moment donné à revoir leurs vies dans leur intégralité et dans les plus grands détails. Finalement, même cette limitation est dépassée, et les individus mourants font l’expérience de ce qui est habituellement désigné sous des termes tels que mysticisme, transcendance, conscience religieuse ou cosmique ou ce qu’Abraham Maslow a appelé «expérience du sommet» (Maslow 1964). Parfois les individus ne revoient pas leur vie, et l’individu soudainement confronté à la mort passe directement à l’étape de transcendance. En 1966, Walter Pahnke a dirigé une étude de littérature comparative traitant des expériences transcendantales des professeurs mystiques et religieux à travers les âges (Pahnke 1966). Il modifia le critère de William James et de Walter Stace (James 1929, Stace 1960) et définit les caractéristiques suivantes comme les dénominateurs communs les plus importants d’une « expérience de sommet » Un sentiment d’unité (intérieur et extérieur) Emotion positive intense Transcendance du temps et de l’espace Sens du sacré (mysticisme) Nature paradoxale Objectivité et réalité des impressions Ineffabilité Commentaire [E63]: A completed and inalterabe pattern ???? Commentaire [E64]: Pas pu faire la recherche dans Nvelles perspec Effets secondaires positifs Comme le montre cette liste, lors d’une expérience de sommet, nous avons le sentiment de dépasser la fragmentation habituelle du corps et de l’esprit, et nous sentons que nous avons atteint un sentiment d’unité et de complétude. Nous transcendons également la distinction ordinaire entre le sujet et l’objet et nous éprouvons une union extatique avec l’humanité, la nature, le cosmos et Dieu. Au cours de cet instant nous éprouvons une joie intense, l’état de grâce, la sérénité et la paix intérieure. Lors d’une expérience mystique de ce type, nous avons le sentiment de quitter la réalité ordinaire, dans laquelle l’espace a trois dimensions et où le temps est linéaire. Nous rentrons dans un domaine métaphysique transcendantal où ces catégories ne s’appliquent plus. Dans cet état, l’infini et l’éternité deviennent des réalités dont on peut faire l’expérience concrètement. La qualité mystique de cet état n’a rien à voir avec les croyances religieuses que l’on pouvait avoir auparavant, mais elle reflète plutôt une appréhension directe de la nature divine de la réalité. Les expériences du sommet sont généralement emplies de paradoxes. L’expérience peut être qualifiée de « vide contenant tout » ; elle n’a pas de contenu spécifique mais contient tout en puissance. Nous pouvons éprouver que nous sommes simultanément tout et rien. Alors que notre identité personnelle et notre égo disparaissaient, nous sentons que nous nous accroissions au point que notre être intègre l’univers tout entier. De la même façon nous percevons toutes les formes comme vides, ou bien que le vide est dans toutes les formes. Nous pouvons même atteindre un état dans lequel nous voyons que le monde existe et n’existe pas en même temps. L’expérience du sommet peut traduire ce qui semble être la sagesse ultime et la connaissance dans des matières de pertinence cosmique, ce que les Upanishads décrivent comme « ce par la connaissance de quoi tout dans l'Univers est». La connaissance qui résulte de cette expérience est ineffable ; la nature et la structure de notre langage semblent inadéquats à la décrire. Cependant l’expérience peut influencer positivement notre système de valeurs et notre stratégie d’existence. Les situations associées à la mort clinique ont toutes les caractéristiques décrites par les catégories mystiques de Pahnke. Ces épisodes d’états de conscience inhabituels peuvent être accompagnés par des changements de perception, et particulièrement par une imagerie vive. Renouveau de l’intérêt pour les expériences de mort imminente En 1970, le livre Vivre avec la Mort et avec des Mourants d’Elisabeth Kübler-Ross et La Vie après la Vie de Raymond A. Moody, marquèrent une nouvelle ère dans l’étude des phénomènes associés à la mort (Kübler-Ross 1969, Moody 1975). Alors que Kübler-Ross se concentra davantage sur le travail clinique avec les mourants, le best-seller international de Moody explora la phénoménologie des expériences de mort imminente (les EMI). Le travail de Moody était à bien des égards une contribution particulière à l’étude de l’expérience de la mort : son approche était à la fois psychologique et médicale, il interrogea personnellement les survivants, et son approche était également objective et dépourvue de tout sensationnalisme. Moody rassembla des informations provenant de cent cinquante personnes de trois catégories différentes. Certaines personnes avaient été ressuscitées après avoir été considérées, jugées ou déclarées mortes par leurs docteurs. La seconde catégorie concernait les individus qui au cours d’accidents, de blessures sévères ou de maladies avaient été confrontées de près à la mort physique. La troisième catégorie concernait les personnes qui décrivaient leur expérience d’agonie à d’autres personnes présentes sur leurs lits de mort. Moody lui-même interrogea en grand détail plus de cinquante personnes dans les deux premières catégories et trouva bon nombre de similitudes frappantes dans les rapports individuels. Il parvint à isoler certaines caractéristiques fondamentales de l’expérience de la mort qui étaient des constantes. Certaines avaient des points en commun avec les thèmes expérientiels décrits plus haut dans la section des expériences périnatales et transpersonnelles. Par exemple, bon nombre de comptes-rendus comprenaient des descriptions de passage à travers un espace sombre fermé, auquel on se référait sous les termes de cheminée, cave, tunnel, cylindre, vallée, canal, ou égout. Même si le processus de naissance n’était pas spécifiquement mentionné en tant que tel par Moody, Commentaire [E65]: In a potential form/ dans sa forme potentielle= en puissance ? Commentaire [E66]: Y a t’il une Traduction officielle , j’ai mis celle que j’ai trouvé sur le web, mais je sais pas si elle est officielle sinon traduit à partir de l »anglais ? le fait de savoir Cela, la connaissance qui donne la connaissance de tout les allusions à celui-ci semblent évidentes. On peut voir cela dans des récits parlant de glisser la tête la première, passer à travers un tunnel à cercles concentriques, rester dans un espace fermé, manquer d’air et avoir des difficultés respiratoires, ou de rencontre avec des éléments scatologiques. Les individus sur le point de mourir disaient souvent entendre des sons extraordinaires semblables à ceux décrits dans le Livre tibétain des Morts et à ceux arrivant au cours des séances de psychédéliques. Certains de ces sons étaient déplaisants tels que des cliquetis bruyants, des grognements, des bourdonnements, des sifflements, ou des bruits de coups. D’autres étaient beaux et consolateurs – des carillons célestes, ou une musique majestueuse de nature transcendantale souvent accompagnée par des sentiments de paix et de tranquillité. Bon nombre des survivants des EMI se plaignaient de l’ineffabilité de l’expérience et du caractère inadéquat de notre langage à décrire sa nature extraordinaire. Certains ont décrit comment, dans un état de coma ou après leur mort physique, ils ont entendu des affirmations et même des discussions entières de docteurs, infirmiers ou même de parents, sur leur état. Parfois la pertinence de telles perceptions était corroborée par des enquêtes ultérieures. Les phénomènes de décorporisation étaient parmi les caractéristiques les plus communes des expériences de mort imminente. Ils pouvaient prendre des formes diverses. Certains individus se voyaient comme des nuages amorphes, de l’énergie ou de la pure conscience. D’autres sentaient qu’ils avaient un corps, mais un corps perméable, invisible et inaudible à ceux dans le monde matériel. D’autres décrivaient des sensations extatiques d’éternité, de légèreté de leurs corps physiques, d’autres étaient totalement indifférents. Certaines perceptions faisaient totalement défaut : les odeurs, la température, et les sensations physiques. En revanche, la vue et l’ouïe s’en trouvaient augmentées à un niveau qui ne connaissait pratiquement pas de limites. Beaucoup d’individus mourants mentionnés par l’étude de Moody ont rapporté des rencontres avec d’autres êtres tels que des parents décédés ou des amis, des « esprits gardiens » ou des guides spirituels. Des visions « d’êtres de lumière » étaient particulièrement communes - une apparition de lumière radiante, brillante, non terrestre, exprimant des caractéristiques propres l’amour, la chaleur, la compassion, et un sens de l’humour. La communication avec cet être divin advenait sans mots, par un transfert de pensées. Dans le contexte de cette rencontre ou en dehors d’elle, l’individu agonisant revoyait souvent partiellement ou totalement sa vie, en couleurs vives et dans une forme dynamique à trois dimensions. Le message de cette expérience semblait être la compréhension que les valeurs les plus importantes dans la vie d’un être humain étaient d’apprendre à aimer d’autres personnes et d’acquérir une connaissance supérieure. Certains comptes-rendus parlaient d’atteindre une frontière absolue ou une limite, où les décisions devaient être prises concernant le fait de revenir ou de continuer le voyage dans l’Au-delà. Dans certains cas, cette frontière avait une forme purement abstraite ; dans d’autres, elle était représentée par une frontière ou un obstacle symbolique – un portail ou une porte, de l’eau, un brouillard gris, une haie, ou une ligne. L’attitude des individus vis-à-vis du retour semblaient changer pendant le processus de mort. Les premières minutes après la mort étaient souvent caractérisées par un désir désespéré de revenir dans le corps, ainsi que par des regrets concernant sa mort. Cette attitude devenait ensuite une réticence à revenir après qu’une certaine profondeur ait été atteinte, et spécialement après la rencontre avec l’être de lumière. Certains individus attribuaient leur retour à une décision personnelle de leur part, alors que d’autres sentaient qu’ils étaient renvoyés par l’être de lumière ou qu’ils étaient ramenés soit par l’amour soit par les besoins et les prières des autres, sans prendre en compte leurs propres souhaits. Parfois les survivants ne se souvenaient pas de comment ni de pourquoi ils étaient revenus. Moody se concentra particulièrement sur les problèmes que les personnes avaient lorsqu’elles essayaient de communiquer leurs expériences aux autres. Souvent, elles trouvaient cela extrêmement difficile de décrire de façon fidèle un événement aussi significatif. Moody suggéra que la raison pour laquelle on savait tellement peu de chose de ces événements relativement fréquents était précisément parce qu’ils étaient extrêmement difficiles à décrire. Ce qui compliquait davantage les choses était que les personnes qui écoutaient ces comptes-rendus étaient incapables de les comprendre et que ceux qui les relataient étaient parfois gênés par une attitude condescendante ou moqueuse. Un seul médecin dans l’équipe de Moody avait une quelconque familiarité avec les expériences de mort imminente. Les conséquences des expériences des survivants et de ceux ayant été confrontés à la mort clinique furent de nouvelles conceptions de la mort et des attitudes différentes envers elle. Beaucoup d’entre eux perdirent leur peur de la mort et ils développèrent même des sentiments positifs à son égard, mais cela ne signifiait toutefois pas qu’ils allaient jusqu’à la désirer ou qu’ils avaient des tendances suicidaires. Les doutes des survivants sur la possibilité d’une existence après la mort étaient dissipés, et la continuité de la conscience après le moment de la mort physique fut pour eux un fait prouvé par l’expérience. L’un des aspects les plus importants de l’étude de Moody concernait la manière dont la vie des personnes était transformée par leurs expériences de mort imminente. La plupart d’entre elles sentaient que leurs vies changèrent de façon significative et devenaient plus profondes. Elles développèrent un intérêt sérieux envers les questions philosophiques et spirituelles essentielles, et se mirent à avoir des valeurs différentes dans la vie. L’existence leur apparut soudain précieuse, et ils mettaient davantage l’accent sur l’appréciation du moment présent – sur l’ici et maintenant - plutôt que sur le fait de ruminer le passé ou rêver leur futur. Leur perception de l’importance relative du corps physique et de la conscience changea radicalement. Quelques survivants développèrent même des dons de voyance. Ces conclusions sont en accord avec celles de W. Pahnke concernant les conséquences des expériences mystiques qui surgissent de façon spontanée ou lors de pratiques religieuses, sans qu’elles soient associées à une situation menaçante pour la vie (Pahnke 1963). L’une des catégories de Pahnke décrivant la conscience mystique inclut des changements positifs à long terme dans les sentiments, et le comportement en fonction de l’expérience. Ces changements apparaissent identiques à ceux décrits par Moody. Russel Noyes rapporte des conclusions semblables issues de son analyse de plusieurs expériences de mort imminente et de mort clinique (Noyes 1972). Les changements temporaires ou à long terme de ce type sont communs parmi les personnes qui ont vécu une expérience intime avec la mort, que cela arrive dans la vie réelle - dans un accident, une tentative de suicide, une maladie grave, ou une opération - ou dans une forme symbolique. Par exemple une expérience mystique spontanée bien intégrée, une séance psychédélique, la participation à un puissant rite de passage, ou une émergence spirituelle, peuvent provoquer des aspects positifs semblables. Malgré les nombreuses similitudes entre les conclusions de Moody et les observations que nous avons faites lors de notre travail avec des patients en phase terminale, il est certaines différences fondamentales qui méritent une attention spéciale. Moody mit l’accent sur le manque d’éléments mythologiques dans les expériences de mort imminente qu’il avait observées, mais aussi sur les nouveaux concepts de mort qui en résultaient. Il écarta ce qu’il appelait « les portes perlées du ciel, les rues dorées et les anges ailés jouant de la harpe au Paradis d’une part , et l’Enfer de flammes et de démons avec des fourches que l’on trouve dans les dessins animés d’autre part ». Il mit également en avant l’idée que les EMI étaient toujours de nature positive (Moody 1975). Lorsque le livre de Moody La Vie Après la Vie fut publié, mon livre La Rencontre de l’homme avec la mort écrit en collaboration avec Joan Halifax (Grof et Halifax 1977) était en cours d’impression. Moody et moi-même fûmes donc en mesure de comparer les résultats respectifs de nos recherches, et je lui ai fait remarquer en quoi nos observations différaient. Dans notre étude à l’hôpital de recherche psychiatrique du Maryland, décrite dans les chapitres 13 et 14, des images archétypales spécifiques d’êtres divins et de présences démoniaques apparaissait aussi fréquemment que le Divin dépourvu de forme. Nous avons également observé des EMI effrayantes et d’autres qui étaient absolument infernales. L’expérience de Curt Jurgens, décrite plus haut, illustre un épisode de ce type. Dans le livre qui faisait suite à La Vie après la Vie, Moody rapporta que plus récemment il avait rencontré des EMI avec des éléments tels que le royaume des fantômes confus et des « villes de lumière » (Moody 1977). Quelques années après, il devint clair que des EMI effrayantes sont assez communes et qu’elles ont attiré depuis un intérêt théorique considérable (Greyson et Bush 1992, Bache 1996). Le livre de Raymond Moody La Vie après la Vie a réveillé à un grand intérêt dans les expériences de mort imminente aussi bien chez le grand public que dans les cercles professionnels. Il a inspiré une génération entière d’enquêteurs – Kenneth Ring, Michael Sabom, Bruce Greyson, Phyllis Atwater, Barbara Harris Whitfield, et bien d’autres encore - à explorer ce phénomène fascinant. Ces chercheurs ont montré que les EMI arrivent environ à un tiers des personnes qui rencontrent des formes de vie variées : des situations menaçantes telles que des maladies graves, des accidents de voiture, des quasi-noyades, des crises cardiaques, ou les arrêts cardiaques pendant les opérations chirurgicales. Dans certains cas, des effets semblables peuvent être provoqués par un grand sentiment de mort imminente ou même par le fait de s’attendre à mourir. Les EMI ont également été provoquées de manière expérimentale. James Whinnery, un professeur de pharmaceutique à l’Université A & M du West Texas, a exposé des sujets cobayes tels que des pilotes de guerre et des étudiants de cours médicaux d’aviation, à des forces de gravitation intenses dans un centrifugeur géant, dans le but de simuler les conditions extrêmes d’une manœuvre de combat aérien. Whinnery a recueilli les informations obtenues à partir de quinze ans de recherche d’accélération et de recherche sur la perte de conscience causée par l’augmentation de la gravitation (G-LOC) ayant eu lieu dans les avions de combat d’une part et dans les expériences de simulation d’autre part. Whinnery a montré que sous l’influence de forces de gravitation extrêmes, les pilotes de guerre et les sujets cobayes perdent conscience et ont une expérience de mort imminente (Whinnery 1997). Caractéristiques de base des expériences de mort imminente Les EMI peuvent arriver quel que soit le sexe et l’âge (y compris chez les enfants). Ces événements semblent arriver à la même fréquence sans distinction de groupe socio-économique d’éducation, de croyance religieuse, et de vécu. Le phénomène des EMI présente des variations significatives, et il n’y a pas deux expériences identiques. Cependant, les thanatologues sont parvenus à définir et à décrire certains traits qui sont généralement présents dans plusieurs combinaisons, y compris les expériences de décorporisation, les moments où les personnes passent sous des tunnels pour rejoindre la lumière, ceux où elles revoient des scènes de leur vie, en éprouvant soit des sentiments extatiques, soit de façon moins fréquente, des sensations pénibles. Certaines expériences de mort imminente possèdent tous ces éléments à la fois, mais dans la plupart des cas, certains font défaut. L’aspect le plus extraordinaire des EMI est l’occurrence d’expériences de décorporisation « véridiques » (ED), terme utilisé lorsque la conscience sortie du corps est capable d’avoir une perception précise de son entourage. Les études thanatologiques ont reconfirmé que les personnes qui apparaissent inconscientes à des observateurs extérieurs, y compris ceux qui sont morts cliniquement, ont des ED pendant lesquelles leur conscience continue à percevoir l’environnement. Dans ces situations, les personnes sont capables d’observer leurs corps et les processus destinés à leur sauver la vie depuis l’Au-delà, et voyager librement dans les autres pièces du même bâtiment ou à d’autres endroits. La recherche indépendante a confirmé la pertinence des observations faites par la conscience hors du corps (Ring et Valarino 1998, Sabom 1982 et 1998). De telles expériences ressemblent étrangement à celles du Bardo du corps que l’on trouve dans le Livre tibétain des Morts. D’après le Bardo Thödol, après s’être évanoui de peur dans le Chönyid Bardo, la personne agonisante se réveille dans le Sidpa Bardo en ayant pris une forme nouvelle – le corps bardo. Le corps bardo diffère du corps de la vie de tous les jours : il n’est pas composé de matière et il a de nombreuses qualités remarquables, telles que le pouvoir du mouvement absolu, et la capacité de pénétrer les objets solides. Ceux qui existent dans la forme du corps bardo, peuvent voyager instantanément à n’importe quel endroit de la planète et même à la montagne sacrée cosmique, le Mont Mérou. Il n’y a que deux endroits qui ne sont pas accessibles à cette forme : le ventre de la mère et Bodh Gaya, ce sont là de claires références au fait de quitter l’état bardo au moment de la conception ou de l’illumination (Evans-Wentz 1957). Commentaire [E67]: J’ai traduit ce qu’il disait mais je trouve ça pas top, peut être y a t’il un de ces termes officiels inventés exprès Commentaire [E68]: Peut être qu’il y a encore u terme spécifique : accelerationreseach Une étude étendue dirigée par Ken Ring et ses collègues a ajouté une dimension fascinante à ces observations : les personnes qui sont aveugles de naissance pour des raisons biologiques, et qui n’ont jamais été capables de voir quoi que ce soit dans leurs vies, peuvent voir l’environnement lorsque leur conscience est décorporée au cours d’émergences de la sorte. La véracité de bon nombre de visions a été confirmée par la validation consensuelle (Ring et Valarino 1998, Ring et Cooper 1999). De nombreux aspects de l’environnement sont perçus de manière précise par la conscience décorporée des sujets aveugles : cela va des détails concernant la manière dont les lampes électriques sont fixées au plafond de la salle d’opération, à l’entourage de l’hôpital observé d’en haut. La recherche thanatologique moderne a ainsi confirmé un aspect important des descriptions classiques d’ED qui peut être trouvé dans la littérature spirituelle et les textes philosophiques de tous âges. L’occurrence d’ED véridiques n’est pas limitée aux expériences de mort imminente, aux moments où la vie est menacée, et à la mort clinique. De telles expériences peuvent survenir au cours des séances de psychothérapie expérientielle puissante (telle que la thérapie primale, le rebirthing,56 ou la respiration holotropique), dans le cadre d’expériences provoquées par les psychédéliques, particulièrement l’anesthésique dissociatif Ketalar (kétamine). Elles surviennent également de manière spontanée - soit comme épisodes isolés dans la vie de l’individu, ou de façon répétée comme une crise d’ouverture médiumnique ou tout autre type d’émergence spirituelle. Robert Monroe, le principal chercheur en ED a vécu lui-même des expériences spontanées de voyage hors du corps pendant de nombreuses années (Monroe 1971, 1985,1994). Il a notamment mis au point des techniques de laboratoire électroniques destinées à provoquer des ED et a fondé un institut spécial à Faber, Virginie, destiné à les étudier de façon systématique. D’autres études cliniques contrôlées ont également démontré l’authenticité des ED, y compris des expériences par le psychologue et parapsychologue Charles Tart avec Ms. Z. à l’Université de Californie à Davis (Tart 1968) et des tests de perception dirigés par Karlis Osis et D. McCormick avec Alex Tanous (Osis et McCornick 1980). Le fait de revoir sa vie, autre aspect important des EMI, peut consister en plusieurs choses : soit simplement revoir son existence, soit revivre sa vie dans son entièreté ou comme une mosaïque d’événements séparés. Cette vision a lieu en vitesse accélérée et peut être terminée en l’espace de quelques secondes. Quelques uns des sujets de David Rosen ont revu leur vie dans son intégralité, ou comme une mosaïque d’événements séparés, en l’espace des trois secondes que cela prend de tomber du Golden Gate Bridge à la surface de l’eau. Le sens de la suite des événements varie. Dans certains cas, cela commence par la naissance, puis la vie elle même, et cela se termine par la situation qui met la vie en danger. Dans d’autres cas, cela va à reculons, partant du moment où la vie est menacée jusqu’à l’adolescence, l’enfance, la petite enfance et la naissance. (Selon certaines sources, les individus dont la vie se déroule en sens inverse, en s’éloignant toujours davantage de l’accident, ne souffrent que de légères blessures). Cependant, une autre possibilité est une « vue panoramique de la vie », dans laquelle la vie de quelqu’un apparaît dans son entièreté sans temporalité linéaire. Un trait caractéristique des EMI est le sentiment de passer à travers un grand tunnel obscur ou un canal, et d’avancer vers une source de lumière brillante blanche ou dorée et de qualité 56 Le rebirth ou rebirthing (re-naissance) est une méthode qui s'est développée dans les années 1960 aux EtatsUnis dans la mouvance New Age (Nouvel âge) notamment à Esalen, l’institut où travaille l’auteur de ce livre. Elle se fonde sur l'utilisation d'une respiration volontaire amplifiée qui modifie fortement le contact du sujet avec son corps et ses émotions, en amplifiant les perceptions. Son objectif annoncé est de favoriser une libération dans le présent par un revécu subjectif du passé, des expériences traumatiques anciennes, fondatrices pour l'identité, notamment de celles liées à la naissance . Ses inventeurs sont Leonard Orr et Sondra Ray ; ils s’inspirent des techniques respiratoires de l Inde et du Tao. (NdT) Commentaire [E69]: J’imagine que c’est pareil que dans spiritual emergencies mystique. Beaucoup de survivants d’EMI, mais aussi les thanatologues étudiant ces expériences, ont signalé que le passage à travers la lumière du tunnel semble être lié de près à des expériences similaires d’états holotropiques ayant lieu au niveau périnatal. Cette expérience peut ainsi représenter un visionnage en accéléré du processus de naissance comme faisant partie du film revu. Dans ce contexte l’expérience du voyage à travers un tunnel reflète un schéma archétypal qui caractérise la transition de la vie prénatale à une vie postnatale, tout comme le passage de l’existence incarnée à l’existence désincarnée. Ainsi, les vicissitudes de la lutte dans le canal de naissance pendant l’accouchement biologique pourraient être ce qui nous sépare et nous aliène de la connexion aux dimensions mystiques de la réalité, et de notre identité véritable qui est divine. Pour reprendre les termes d’Alan Watts, la souffrance émotionnelle et physique impliquée dans ce processus serait à l’origine du tabou concernant le fait de « savoir qui nous sommes » et nous forcerait à nous identifier avec « l’égo recouvert de peau protectrice » (Watts 1961). Un passage à travers le tunnel dans la direction opposée nous reconnecterait alors avec les dimensions mystiques de la réalité et à notre identité transpersonnelle. C’est ce qui arrive dans l’expérience psychospirituelle de la mort et de la renaissance, dans les situations de mort imminente, et au moment de la mort biologique. Dans les tableaux de personnes qui traversent une thérapie régressive profonde, ce schéma expérimental est généralement dépeint comme un sablier ou une spirale, en fonction du point de vue. La radiance divine que nous rencontrons lorsque nous sortons du tunnel a des caractéristiques personnelles définies et possède même un certain sens de l’humour. Elle peut communiquer de manière télépathique, c’est-à-dire poser des questions et donner des réponses sans utiliser de mots. De la même façon, elle peut recevoir des questions et des réponses de la part d’êtres-humains. Les personnes qui ont fait l’expérience de cette entité lumineuse la décrivent comme « Etre de Lumière », « Etre Suprême » ou Dieu. Cette rencontre est souvent combinée avec l’évaluation et le réexamen moral de sa vie au cours duquel la personne a l’impression d’être jugée ou de se juger dans le cadre d’un ordre cosmique supérieur. Dans cette évaluation éthique, l’accent est mis sur la capacité à aimer et à aider les autres. Cette observation représente la validation empirique d’un autre thème récurrent trouvé dans les mythologies eschatologiques de plusieurs religions : elle renvoie à la scène du jugement divin que l’âme du défunt rencontre lors de son voyage posthume. La plupart des EMI sont également accompagnées par des sentiments positifs profonds qui peuvent atteindre le niveau du ravissement extatique ou de « la paix qui dépasse tout entendement ». De tels sentiments peuvent être associés à des visions de domaines célestes, des gardiens paradisiaques de belles scènes naturelles, des chants exquis d’oiseaux, et de musique céleste. Cependant, contrairement aux résultats des recherches originelles de Moody, toutes les EMI ne sont pas agréables et réconfortantes. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les textes thanatologique contiennent beaucoup de références à des EMI effrayantes douloureuses, pénibles et même infernales (Grey 1985, Irwin et Bramwell 1988, Greyson et Bush 1992, Ring 1994, Bache 1996). D’après Greyson et Bush, les EMI pénibles rentrent dans trois catégories. La première et la plus commune d’entre elles a les mêmes traits caractéristiques que la version agréable - une expérience de décorporisation, et un mouvement rapide à travers un tunnel ou un vide, vers la lumière - mais l’individu se sent envahi et hors de lui et il éprouve une profonde frayeur. Le second type d’EMI pénibles, moins commun, est caractérisé par une conscience précise de non-existence ou d’être totalement seul, perdu à jamais dans un vide dépourvu de tout sens. Dans ce genre d’expériences, il arrive que les personnes reçoivent le message que dans le monde matériel, rien y compris eux mêmes n’a jamais existé. Le troisième type d’EMI et le plus effrayant concerne l’imagerie de l’enfer telle que des paysages laids et menaçants, des êtres démoniaques des bruits tonitruants et dérangeants, des animaux effrayants et d’autres êtres variés extrêmement pénibles (Greyson et Bush 1992). Barbara Rommer a ajouté une quatrième catégorie : une EMI avec un visionnage négatif de la vie de l’individu et une expérience de jugement par un pouvoir supérieur qui n’est pas aimant et consolateur, mais qui au contraire provoque la culpabilité et qui détruit émotionnellement les personnes qu’il juge (Rommer 2000). Bon nombre de survivants rapportent qu’ils ont reçu des enseignements et de la sagesse les ayant éclairés au sujet de l’existence, du schéma universel des choses ou du sens de la vie - le type d’expérience que les Upanishads appellent « connaissance de Cela, ce par la connaissance de quoi tout dans l'Univers est connu ». Moins fréquemment l’information peut être de nature concrète et spécifique telle que le dévoilement de secrets de famille concernant l’adoption, le parentage, ou des frères décédés, des traits spécifiques des ancêtres et bien d’autres. Dans certains cas, les EMI contiennent des visions montrant le cours autodestructeur que l’humanité poursuit et des images alarmantes du futur qui nous attend si nous ne changeons pas. Dans certains cas plus rares, les EMI peuvent prédire des événements futurs. L’exemple le mieux connu d’une telle occurrence est de cas de Dannion Brinckley : En septembre 1975, Dannion Brinkley parlait au téléphone pendant un orage. Un éclair frappa la ligne téléphonique, et l’électrocuta ; son cœur s’arrêta et il mourut. Lorsqu’il revint à la vie il se trouvait à la morgue vingt-huit minutes plus tard ; Brinkley eut une histoire incroyable à raconter à propos de l’EMI qu’il avait eue au moment où il était cliniquement mort. Il décrivit un passage à travers un tunnel obscur et son séjour dans une ville de cristal ainsi qu’une « cathédrale de connaissance ». Là, treize anges partagèrent avec lui cent dix-sept révélations à propos de plusieurs événements futurs qui se sont déjà réalisés. Parmi eux il y avait la prédiction du désastre de Tchernobyl, la guerre au Moyen-Orient, et la présidence d’ « un acteur dont les initiales seraient R. R57 et qui projetterait une image de cow-boy au reste du monde ». Beaucoup de comptes-rendus d’EMI évoquent ce qui apparaît comme étant un « point de non-retour ». Ce seuil peut prendre une forme concrète – une haie, un corps d’eau, une falaise ou un autre type de barrière – ou impliquer simplement un sens profond de l’invisible mais avec une obstruction cependant indéniable. L’atteinte de cette limite est associée à une intuition profonde : continuer au-delà de cette limite signifierait la mort physique et rendrait le retour dans le cops impossible. La décision de ne pas demeurer et de retourner au corps reflète le sentiment d’inachèvement de l’individu ou une mission restant à accomplir dans la vie terrestre. Cela peut également être profondément influencé par des réactions émotionnelles des enfants survivants, du compagnon ou de la compagne, des parents ou d’autres membres de la famille qui sont attachés à la personne et qui sont incapables de le lâcher. Cette pression émotionnelle a son équivalent inverse : parfois un « comité de bienvenue », constitué des apparitions de parents morts et d’amis souhaite la bienvenue à l’individu en crise et qui l’invitent à se joindre à eux dans l’Au-delà. Plusieurs chercheurs ont décrit les effets secondaires des EMI (Ring 1984, Atwater 1988, Sutherland 1992) qui comprennent un regain d’enthousiasme envers la vie, une tendance à vivre plus pleinement dans le présent, et moins de temps passé à ruminer le passé ou à fantasmer sur le futur. De tels changements sont à l’origine d’ une attitude de tolérance moindre envers les horloges, les emplois du temps, la pression liée au temps, et la rapidité de la vie moderne. Les personnes montrent bien moins d’intérêt envers les possessions matérielles et les buts concrets, et ils se concentrent plutôt sur l’apprentissage ou les services aux autres. La consommation de cigarettes, d’alcool et de drogues tend à décliner considérablement. Ce qui est particulièrement surprenant est l’observation que les survivants d’EMI sont fréquemment incapables de porter des montres et qu’ils ont des problèmes avec la conduction électrique. Il s’ensuit des phénomènes tels que le blocage des ordinateurs, et la démagnétisation de cartes de crédit. Une plus grande capacité à aimer les autres, les animaux, la nature, et la vie en général est une des conséquences les plus communes des EMI. Ces expériences tendent à engendrer une spiritualité indépendante non-sectaire, universelle et englobant la nature tout entière, une 57 Ronald Reagan était acteur et président des Etats-Unis dans les années 1981-89. (NdT) Commentaire [E70]: Idem Upanishad translation trouvée sur web pour connaissance de Brahman spiritualité qui ressemble à celle des mystiques et qui n’a que très peu de rapport avec l’affiliation à une église et avec les religions organisées. Certains des aspects essentiels de cette nouvelle orientation spirituelle sont l’absence de peur de la mort, la confiance en la vie après la mort, et la croyance en la réincarnation. Le sens de l’identité personnelle tend à passer de la persona et du corps/ego à un être immortel, une conscience ou une âme. Ce passage est souvent accompagné par un sentiment de citoyenneté planétaire, et une puissante envie de participer à des activités vues comme bénéfiques pour le futur de l’humanité. L’augmentation de l’intuition et de la sensibilité sont d’autres effets secondaires des EMI. Les expériences de mort imminente et la nature de la conscience Les tentatives pour apporter une explication biologique aux EMI se sont avérées infructueuses et peu convaincantes. Selon certains, les EMI seraient causées par des drogues administrées aux patients au moment de la crise, telles que des anesthésiques et de la morphine. Cependant, les EMI peuvent avoir lieu dans des situations où aucune de ces drogues-là n’est administrée : il peut s’agit des cas où la mort est attendue mais où il n’y a aucune d’urgence physiologique d’aucune sorte. A l’exception de l’anesthésique dissociatif kétamine, les effets de ces drogues diffèrent en outre complètement du phénomène des EMI. La même chose est vraie pour les endomorphines et les substances semblables à la morphine produites par le corps, substances qui, selon certains auteurs, seraient la cause des EMI. D’autres ont attribué cette expérience à l’anoxie58 ; cette explication est également peu plausible pour les mêmes raisons que celles des théories pharmacologiques. Toutes les EMI ne sont pas associées à l’anoxie. Par ailleurs le manque d’oxygène cause une confusion et un mélange des fonctions cognitives, c’est à dire l’antithèse de la clarté et de l’expansion de la conscience qui caractérise les EMI. Peter Fenwick, le célèbre neuropsychiatre britannique, a résumé ses doutes quant au fait que les EMI puissent être exprimées par les changements physiologiques et chimiques dans le cerveau de la façon suivante : Commentaire [E71]: P 172 bas de page. Bref quelqu’un qui meurt de vieillesse ? Je suis absolument certain que de telles expériences n’ont pas pour origine le manque d’oxygène ou d’endorphines, ou d’autres choses de cet ordre. Et aucune de ces choses ne pourrait rendre compte du caractère transcendantal de bon nombre de ces expériences, et du fait que les personnes éprouvent un sentiment infini de perte lorsqu’ils les laissent derrière eux. Il ne fait pas de doute que les désorientations des fonctions du cerveau ont pour conséquence une perturbation de la perception et une réduction de la mémoire. Il est peu probable que vous ayez des expériences hautement structurées et que vous puissiez vous en souvenir clairement si votre esprit est abîmé ou perturbé. (Fenwick et Fenwick 1995) Michael Sabom, un cardiologue connu dans les cercles thanatologiques pour son livre Recollections of Death (Souvenirs de la mort, Sabom 1982) démontre de la manière la plus convaincante que les EMI ne résultent pas de dysfonctionnements des fonctions du cerveau. Dans son livre le plus récent, Light and Death : One Doctor’s Fascinating Accounts of Near-Death Experiences (Lumière et mort : comptes-rendus fascinants d’un docteur sur des expériences de mort imminente Sabom 1998), il rapporte le cas extraordinaire de Pam Reynolds. Pam vécut une opération chirurgicale en raison d’un aneurisme géant de l’artère basilaire à la base de son cerveau. La taille et le lieu de son aneurisme exigeaient un processus ardu, appelé arrêt hypothermique cardiaque. Lorsque la température du corps de Pam fut descendue à quinze degrés, le battement de son cœur et sa respiration s’arrêtèrent. Son cerveau était mort, d’après les trois critères qui déterminent la mort du cerveau : son encéphalogramme était plat, la réponse de son cerveau à des 58 Anoxie : diminution de l’oxygène utilisé par les tissus de l’organisme. (NdT) Commentaire [E72]: ?? passage ardu potentiels acoustiques était nulle, et il n’y avait pas de circulation sanguine dans son cerveau. Cependant, il est intéressant de noter que lorsqu’elle était dans cet état, elle vécut l’EMI la plus profonde parmi les cinquante personnes participant à l’étude de Michael Sabom, à Atlanta. Ses observations à l’état de décorporisation s’avérèrent très précises. Son cas est considéré d’être l’un des exemples les plus puissants d’EMI, en raison de sa capacité unique à décrire des instruments chirurgicaux et les procédés utilisés par l’équipe médicale lorsqu’elle était en état de mort clinique et lorsque son cerveau était mort. Les théories psychologiques existantes sur EMI sont aussi peu convaincantes que les théories biologiques. Celles qui expliquent que les EMI sont des actes imaginaires agréables protégeant un individu de la souffrance et de la menace de destruction (Pfister 1930, Hunter 1967, Noyes et Kletti 1972) ne peuvent pas expliquer l’occurrence d‘EMI déplaisantes et effrayantes. Quant à l’idée qu’elles reflèteraient l’éducation religieuse et les conditionnements culturels d’un individu, elle est tout aussi insatisfaisante, car il n’y a absolument aucune corrélation entre les croyances religieuses et les EMI (Grosso 1981, Sabom 1982, Ring 1984). Et le phénomène d’expériences de décorporisation représente un défi formidable et un coup mortel envers les théories biologiques et psychologies actuelles. Les références évoquant la similitude entre les EMI et les expériences psychédéliques, plus particulièrement celles qui ont leur origine au niveau périnatal, sont très pertinentes et intéressantes. Dans notre programme de thérapie psychédélique avec les patients en phase terminale du cancer, menée au Centre de recherche psychiatrique du Maryland à Baltimore, nous avons observé plusieurs patients qui avaient d’abord eu des expériences psychédéliques et ensuite des EMI une fois que leur maladie empira (par exemple un arrêt cardiaque au cours d’une opération). Ces patients rapportèrent que les deux situations étaient très similaires et ils décrivirent les sessions psychédéliques comme un entraînement précieux à la mort (voir à ce propos l’histoire de Ted au chapitre 14). Cependant, la similitude entre ces deux catégories d’expériences appuie difficilement une simple explication chimique aux EMI. Les états psychédéliques sont eux-mêmes extrêmement complexes et ils présentent des défis théoriques formidables. Les expériences de décorporisation qui confirment l’existence d’une perception extrasensorielle de l’environnement, sapent l’affirmation de base de la science matérialiste moniste qui voit la conscience comme un épiphénomène, une fonction qui émerge de façon mystérieuse de la complexité des processus neurophysiologiques du cerveau. Les expériences de décorporisation rendent absolument évident le fait que la conscience est capable de faire des choses que le cerveau ne peut absolument pas faire. Ces observations indiquent que la conscience est l’égal du cerveau, si le cerveau ne lui est pas subordonné. Les expériences de décorporisation dans les situations de mort imminente sont particulièrement pertinentes pour le problème de la survie de la conscience après la mort, étant donné qu’elles démontrent que la conscience peut opérer indépendamment du corps. Si la conscience n’était que le produit de processus neurophysiologiques du cerveau, elle ne pourrait pas se détacher du corps ni du cerveau, devenir autonome, et percevoir l’environnement indépendamment des sens. Cependant, c’est précisément ce qui arrive dans de nombreux cas bien documentés d’expériences de décorporisation. Naturellement, les gens qui ont des expériences de décorporisation dans les situations de mort imminente, et qui sont revenus faire leurs comptesrendus, ont pu approcher la mort de très près. Mais pour une raison ignorée, ils n’ont pas dépassé le point de non-retour. Cependant, si la conscience peut fonctionner indépendamment du corps au cours d’une vie, il est probable qu’elle puisse faire de même après la mort. Chapitre 10 LE MYSTERE DU KARMA ET DE LA REINCARNATION « Il n’est pas plus surprenant d’être né deux fois que de n’être né qu’une seule fois » Commentaire [E73]: Pas trouvé Voltaire, philosophe et écrivain français Les expériences mettant en scène des périodes historiques et des pays différents comptent parmi les phénomènes transpersonnels les plus intéressants et les plus controversés. Ces scènes associées à un profond sentiment de déjà vu et déjà vécu nous procurent la sensation d’un souvenir personnel et l’impression qu’on a déjà vu ou déjà vécu ces mêmes événements au cours d’une autre vie. Les personnes qui vivent de telles expériences se réfèrent souvent à elles comme à des mémoires d’incarnations passées et y voient une preuve - ou du moins une indication - d’une vie antérieure. Les mémoires de vies antérieures sont de façon évidente pertinentes concernant la question de la survie de la conscience après la mort. Elles nous donnent aussi un aperçu fascinant de la croyance dans le karma et la réincarnation, croyance développée et maintenue indépendamment par de nombreuses religions et groupes culturels dans le monde. Le concept de karma et de réincarnation représente la pierre angulaire de l’Hindouisme, du Bouddhisme, du Jaïnisme, du Sikhisme, du Zoroastrisme, du Bouddhisme tibétain Vajrayana, et du Taoïsme. On trouve des idées semblables dans des groupes aussi divers que les tribus d’Afrique, les Indiens d’Amérique, les cultures précolombiennes, les Kahunas Hawaïens, les pratiquants de l’Umbanda Brésilien, les Gaulois et les Druides. Dans la Grèce antique, plusieurs grandes écoles de pensée ont souscrit à ce concept : les pythagoriciens, les orphiques et les platoniciens. Les Essenes, les Pharisiens, les Karaïtes, et d’autres groupes Juifs et demi-Juifs ont également adopté ces concept du karma et de la réincarnation qui faisaient également partie intégrante de la théologie kabbalistique du judaïsme médiéval. D’autres groupes, tels que les néo-platoniciens et les gnostiques, adhéraient à cette croyance. Des concepts semblables à la réincarnation et au karma existaient aussi chez les premiers Chrétiens. D’après Saint-Jérôme (340-420), la réincarnation était interprétée de manière ésotérique, et comme telle, elle n’était communiquée qu’à une élite choisie. Origen (186-253) l’un des plus grands pères fondateurs de l’Eglise de tous les temps, fut le penseur Chrétien le plus célèbre à spéculer sur la préexistence des âmes et des cycles du monde. Dans ses écrits, plus particulièrement dans son livre De Principiis ( Des principes premiers , Origenes Adamantius 1973), Origen affirmait que certains passages des Ecrits, ne pouvaient être expliqués que par la réincarnation. Ses enseignements rassemblés par l’Empereur Justinien en 553, furent condamnés par le Second Concile de Constantinople et décrétés comme doctrine hérétique. Le Concile de Constantinople déclara alors : « Si jamais quelqu’un affirme la préexistence des âmes et se soumet à la doctrine monstrueuse qui en découle, cette personne sera anathème ! » Cependant, quelques universitaires affirment détecter des traces de ses enseignements dans les écrits de Saint-Augustin, Saint-Grégoire et même de Saint-François d’Assise. Sholem Asch, universitaire hassidique du XXème siècle, décrit le problème des vies antérieures dans un langage métaphorique : « Ce n’est pas la capacité à se souvenir, mais son exact opposé, la capacité à oublier qui est la condition nécessaire à notre existence. Si la sagesse de la transmigration des âmes est une vraie, alors ces âmes au moment où elles changent de corps doivent passer par la mer de l’oubli. Selon la tradition juive, nous faisons notre transition sous la protection de l’Ange de l’Oubli. Mais il arrive parfois que l’Ange de l’Oubli lui-même oublie de retirer de nos mémoires les enregistrements du monde précédent, alors nos sens sont hantés par des Commentaire [E74]: Scriptural passages Commentaire [E75]: Le texte dit power… p176 souvenirs fragmentaires d’une autre vie. Ils se déplacent comme des nuages déchirés au-dessus des collines et des vallées de l’esprit, et se tissent dans les incidents de notre existence actuelle. » (Asch 1967) Nous avons certainement besoin de plus qu’une référence poétique à la mythologie ancienne pour valider le concept de réincarnation. Une étude attentive des preuves assemblées est absolument nécessaire pour tirer des conclusions valides. Pour les Hindous, les Bouddhistes ainsi que pour bien d’autres groupes religieux et culturels, tout comme pour les chercheurs de la conscience, la réincarnation n’est pas une question de croyance, mais un problème empirique, fondé sur des observations et des expériences spécifiques. D’après Christopher Bache, les preuves dans ce domaine sont tellement riches et extraordinaires que les scientifiques qui ne pensent pas que le problème de la réincarnation mérite qu’on s’y attarde sérieusement, sont « soit mal informés, soit des têtes dures » (Bache 1991b). Colin Wilson, auteur de nombreux livres sur la psychologie, la philosophie et le mysticisme, fait preuve d’encore plus d’emphase : « la quantité de volumes contenant des preuves de la survie après la mort est tellement immense que les ignorer peut être comparé au fait d’être face au Mont Everest, et s’obstiner à nier qu’il y ait là une montagne ». Ce problème est d’une grande importance étant donné que les croyances concernant la réincarnation ont un grand impact éthique sur la vie des hommes. Etant donné que le monde traverse une crise mondiale, toute chose susceptible de freiner ce carnage gratuit et d’augmenter les chances de survie de la race humaine, mérite une attention particulière. Vue l’importance théorique et pratique du problème du karma et de la réincarnation, ainsi que sa nature hautement controversée, les preuves existantes doivent être examinées attentivement et soumises au jugement critique. Souvenirs spontanés de vies antérieures chez les enfants : recherches de Ian Stevenson Les petits enfants qui se souviennent et qui décrivent leurs vies antérieures dans d’autres corps, d’autres lieux et avec d’autres personnes constituent d’importantes preuves en faveur de la réincarnation. Ces souvenirs émergent généralement de façon spontanée, juste après que ces enfants ont appris à parler. Ils sont souvent associés à des complications diverses telles que des pathologies comme les phobies, des réactions étranges à certaines personnes, ou de nombreuses idiosyncrasies. L’accès à ces mémoires disparaît généralement entre cinq et huit ans. Bon nombre de cas de ce type ont été décrits par des psychiatres et des psychologues pour enfants. Ian Stevenson, professeur de psychologie à l’Université de Virginie à Charlottesville VA, a dirigé des études méticuleuses sur trois mille cas de ce type et les a rapportées dans ses livres Twenty cases Suggestive of Reincarnation (La réincarnation : vingt cas probants), Unlearned Languages (Langues non-apprises) et Children who Remember Previous Lives (Les enfants qui se Souviennent de Vies antérieures) (Stevenson 1966, 1984 et 1987). Seuls les cas les plus pertinents sont rapportés dans ces travaux, et il y sept mille cas de ce type. Les autres cas furent éliminés parce qu’ils ne satisfaisaient pas les exigences des critères : ceux par exemple où la famille de l’enfant recevait des bénéfices financiers, de l’attention publique ou du prestige. Les cas où il trouva une personne qui aurait pu être le lien médiumnique posaient également problème. Les autres causes d’exclusion pouvaient être l’inconsistance des témoignages, la cryptomnésie (l’apparition d’images qui semblaient être de pures créations), des témoins de nature douteuse, ou des indices de fraude. Les conclusions de Stevenson sont assez remarquables. Même si dans tous les cas rapportés, il avait éliminé la possibilité que l’information ait pu être obtenue par des médiums conventionnels, il fut capable de confirmer par des enquêtes indépendantes les histoires que les enfants racontaient sur leurs précédentes vies, souvent avec un grande précision dans les détails. Dans certains cas, il emmena même les enfants au village dont ils se rappelaient. Même s’ils n’y avaient jamais été dans leur vie présente, ils connaissaient la topographie du village, étaient capables de retrouver la maison dans laquelle ils avaient vécu, reconnaissaient les membres de leur « famille » ainsi que les villageois et connaissaient les noms de ces personnes. Afin d’illustrer le caractère remarquable des informations de Stevenson, je vais rapporter ici l’histoire de Parmod Sharma, l’un de ses cas les plus intéressants. La version condensée du cas de Parmod Sharma fut publiée dans le livre de Chris Bache Lifecycles : Reincarnation and the Web of Life (Cycles de vie : la réincarnation et la toile de vie Bache 1991b). Le cas de Parmod Sharma Parmod Sharma est né le 11 octobre 1944 à Bisauli en Inde. Son père était le Professeur Bankeybehary Lal Sharma, un universitaire spécialiste du sanscrit dans une université environnante. Lorsque Parmod avait environ deux ans et demi, il commença à dire à sa mère d’arrêter de lui préparer des repas parce que son épouse à Morâdâbâd pouvait cuisiner pour lui. Morâdâbâd était une ville à environ cent quarante kilomètres au nord-ouest de Bisauli. Lorsqu’il avait entre trois et quatre ans, Parmod commença à évoquer en détail sa vie à Morâdâbâd. Il décrivit plusieurs commerces qu’il avait possédés et où il travaillait avec d’autres membres de sa famille. Il parla plus particulièrement d’une , qui portait le nom de « Frères Mohan » et qui était exploitée par la famille Mehra : on y fabriquait et on y vendait des biscuits et du soda. Il répétait qu’il était l’un des frères Mehra et qu’il avait aussi un commerce à Sahâranpur, une ville à environ cent cinquante kilomètres au nord de Morâdâbâd. Au lieu d’aller jouer avec les autres enfants, Parmod restait tout seul à la maison à construire des maquettes de boutique où il prévoyait même le système électrique. Il aimait particulièrement faire des biscuits de boue, qu’il servait à sa famille avec du soda ou du thé. A cette époque-là, il donna beaucoup de détails sur sa boutique, sa taille et le lieu où elle se trouvait à Morâdâbâd, ce qui s’y vendait et les activités qui y étaient liées, tels que son voyage d’affaires à NewDelhi. Il se plaignait même à ses parents de la situation médiocre de leur foyer en comparaison de son niveau de vie de commerçant prospère. L’oncle de Parmod avait été transféré à Morâdâbâd de façon temporaire comme employé de chemins de fer lorsque Parmod était très jeune. En raison de l’intérêt de Parmod pour les biscuits, son oncle lui avait acheté des biscuits de la boutique des Frères Mohan. Sur les biscuits était indiqué le nom de la boutique et même si Parmod ne pouvait pas encore lire, il est probable que les biscuits aient stimulé des associations en lui. Il est intéressant de noter que la mère de Parmod disait qu’il n’avait pas reconnu les biscuits. Son oncle n’était pas à Morâdâbâd lorsque Parmanand, (l’un des frères Mohan mort de façon prématurée) était encore en vie, et en outre il ne connaissait personnellement aucun des frères Mohan. Parmod détestait le produit du lait caillé, le curd, ce qui est assez inhabituel chez un enfant Indien, et un jour, il alla même jusqu’à conseiller à son père de ne pas en manger, lui disant que c’était dangereux. Parmod expliqua que dans sa vie précédente il était tombé gravement malade après en avoir trop mangé. Il détestait également être submergé dans l’eau, ce qui pouvait être associé au fait que dans sa vie antérieure il serait « mort dans sa baignoire». Parmod disait qu’il avait été marié et qu’il avait eu cinq enfants – quatre fils et une fille. Il avait très envie de revoir sa famille et suppliait souvent ses parents de l’emmener à Morâdâbâd pour leur rendre visite. Sa famille refusa mais sa mère le convainquit de commencer l’école en lui promettant de l’emmener à Morâdâbâd lorsqu’il aurait appris à lire. Les parents de Parmod n’avaient jamais cherché à vérifier ou à enquêter sur les affirmations de leur fils, sans doute en raison de la croyance indienne selon laquelle les enfants qui se souviennent de leurs vies antérieures sont morts jeunes. Cependant, les affirmations de Parmod arrivèrent finalement aux oreilles d’une famille à Morâdâbâd appelée Mehra dont la situation cadrait avec bon nombre de détails de l’histoire de Parmod. Les frères de cette famille possédaient plusieurs commerces à Morâdâbâd, dont une boutique de biscuits et de soda appelée « Frères Mohan ». C’est le frère aîné Mohan Mehra qui avait donné son nom à la boutique appelée successivement « Mohan et ses Frères » puis « Frères Mohan ». Cette boutique avait été ouverte par Parmanand Mehra jusqu’à sa mort le 9 mai 1943, dix huit mois avant la naissance de Parmod. Lors d’un mariage, Parmanand avait mangé du curd de façon exagérée, l’un de ses aliments favoris à la suite de quoi il avait développé une maladie chronique gastro-intestinale suivie d’une appendicite et d’une péritonite dont il mourut. Deux ou trois jours avant sa mort, il avait insisté contre l’avis familial, pour manger davantage encore de curd, en disant qu’il n’en profiterai peut-être plus jamais. Parmanand tenait son indigestion au curd pour responsable de sa maladie et de sa mort. Lors de son appendicite, Parmanand avait essayé une série de traitements naturopathes de thalassothérapie. Bien qu’il ne soit pas mort dans sa baignoire, il avait pris un bain juste avant de mourir. Parmanand laissa sa femme veuve avec cinq enfants : quatre garçons et une fille. L’été 1949, la famille Mehra décida de faire un voyage à Bisauli pour rencontrer Parmod qui n’avait pas encore cinq ans. Lorsqu’ils arrivèrent, Parmod n’était pas là : ils ne se rencontrèrent donc pas. Peu de temps après cependant, le père de Parmod emmena son fils à Morâdâbâd pour vérifier ses histoires directement. Parmi les gens qui retrouvèrent Parmod à la station de train, il y avait le cousin de Parmanand, Sri Karam Chand Mehra qui avait été assez proche de Parmanand. Parmod se jeta à son cou en larmes tout en l’appelant « grand frère » et en lui disant « je suis Parmanand ». Parmod n’avait pas utilisé le nom Parmanand auparavant. Les Indiens appellent souvent leurs cousins « frère » s’ils ont une relation proche avec eux, ce qui avait été le cas de Parmanand et Karam. L’intensité et l’authenticité des émotions que cette réunion occasionna semblaient en elles-mêmes assez significatives : elles constituent une preuve au moins aussi importante que les événements et objets extérieurs . Parmod donna des indications au chauffeur sur le chemin à prendre pour arriver à la boutique des « Frères Mohan ».. En entrant dans la boutique, il se plaignit que « son » siège spécial avait été changé. En Inde la coutume veut que le propriétaire de la boutique ait son propre siège – un gaddi - situé près de l’entrée de la boutique d’où il peut accueillir les clients et diriger son commerce. L’endroit du gaddi de Parmanand avait en effet été changé quelques temps après sa mort. Une fois qu’il était entré dans la boutique, Parmod demanda qui s’occupait de l’usine de soda et de la boulangerie. La machine sophistiquée qui fabriquait le soda avait été secrètement dérangée de façon à tester Parmod. Cependant lorsqu’on la montra à Parmod, il savait exactement comment la faire fonctionner. Sans l’aide de personne, il retrouva le tube déconnecté et donna des instructions pour faire réparer la machine. Plus tard à la maison de Parmanand, Parmod reconnut la chambre où Parmanand avait dormi et il fit une remarque concernant un paravent qui comme, il le dit très justement, était absent à l’époque de Parmanand. Il identifia aussi une armoire où Parmanand avait mis ses affaires, tout comme la table basse spéciale qui lui avait également appartenue. « C’est la table où je prends mes repas » dit-il. Lorsque la mère de Parmanand entra dans la chambre, il la reconnu immédiatement comme étant sa mère avant que qui que ce soit ait pu dire un mot. Il reconnut également la femme de Parmanand, et se comporta de manière embarrassée face à elle. Après tout, elle était une femme adulte et lui un enfant de cinq ans, bien que possédant certains des sentiments d’un mari adulte. Lorsqu’ils furent seuls, il lui dit : « je suis venu mais tu n’as pas mis le bindi » faisant référence au pois rouge que les épouses indiennes portent. Il lui reprocha aussi de porter un saree blanc de veuve, au lieu du saree coloré porté par les épouses. Parmod reconnu aussi la fille de Parmanand et celui de ses fils qui était à la maison lorsqu’il arriva. Lorsque le fils le plus jeune de Parmanand arriva un peu plus tard à la maison, Parmod l’identifia correctement et l’appela par son surnom Gordhan. Dans leur conversation, Parmod ne permettait pas que Godhan qui était plus âgé que lui, s’adresse à lui par son prénom. Il devait l’appeler « Père ». « Je suis seulement devenu petit » dit-il. Lors de sa visite, Parmod identifia aussi correctement l’un des frères de Parmanand et un de ses neveux. Parmod fit preuve d’une connaissance frappante d’autres détails de la vie de Parmanand. Lorsqu’ils firent le tour de l’Hôtel de la Victoire que les frères Mehra possédaient à Morâdâbâd, Parmod commenta les nouveaux abris qui avaient été construits sur la propriété. La famille Mehra confirma qu’ils avaient en effet été ajoutés après sa mort. En rentrant dans l’hôtel, Parmod montra une armoire et dit « Ce sont les almirahs que j’ai construits dans la Maison Churchill ». La Maison Churchill était le nom d’un autre hôtel que les frères Mehra possédaient à Saharanpur, un village a environ cent cinquante kilomètres au nord de Morâdâbâd. Peu après la mort de Parmanand la famille avait décidé de déménager ces armoires que Parmanand avait fait faire pour la Maison Churchill, à l’Hôtel Victoire. Lors d’une autre visite cet automne là, Parmod identifia de façon spontanée un docteur connu de Parmanand dans cette ville, « c’est un docteur et un vieil ami à moi », dit-il. Au cours de la visite, il reconnut également un homme appelé Yasmin qui devait de l’argent à Parmanand. « Je n’ai pas récupéré mon argent » dit-il. Au début Yasmin ne voulait pas reconnaître le prêt mais après avoir été rassuré quant au fait que la famille Mehra n’allait pas le presser de rendre l’argent, il admit que Parmod avait raison concernant la dette. Pourquoi de tels enfants se souviennent-ils de leurs vies précédentes ? D’après Stevenson, les circonstances spécifiques de la mort jouent un rôle clé, particulièrement celles où il y a un choc qui peut préserver de l’amnésie. Cela va avec le fait que les souvenirs les plus vifs concernent généralement des événements qui précédent et conduisent à la mort. Stevenson fait remarquer que ces enfants sont incapables de dire quoi que ce soit sur les événements qui ont eu lieu après leur mort dans le cadre de leurs personnalités précédentes. C’est là un facteur important pour déterminer s’ils reconstruisent inconsciemment les détails de cette vie par la lecture télépathique des personnes qui connaissaient le défunt, ou s’ils possèdent ces détails de mémoire authentique. Peut-être que les preuves les plus puissantes qui puissent appuyer l’hypothèse de la réincarnation est un livre en deux volumes intitulé Reincarnation and Biology : a contribution to the Etiology of Birthmarks and Body Defects (Réincarnation et Biologie : un apport à l’étiologie des tâches et défauts de naissance Stevenson 1997). Sur 2265 pages en petits caractères illustrées par des diagrammes, des photographies et des rapports d’autopsie, Stevenson présente son unique et convaincante démonstration biologique sur la réincarnation. Il montre que 35% des enfants qui se souviennent de leurs vies antérieures ont des tâches de naissance, des anormalités physiques ou de rares défauts de naissance qui correspondent à une blessure, souvent fatale ou à une cicatrice dans le corps de la personne décédée que l’enfant se souvient avoir été. Stevenson entreprit une étude méticuleuse sur deux cent dix de ces enfants. Il parvint à obtenir des documents médicaux, généralement un rapport post-mortem, pour quarante-neuf de ces deux cent dix cas. Dans les cas où la personne décédée fut identifiée, il trouva une correspondance proche entre les tâches de naissance et /ou les défauts sur l’enfant d’une part et les blessures de la personne décédéed’autre part. Après ce travail méticuleux et documenté, il devint beaucoup plus difficile aux détracteurs de Stevenson de mettre en doute la réalité de ce phénomène. Il est important de signaler que les cas de Stevenson ne sont pas seulement issus de cultures dites « primitives », « exotiques » avec une croyance a priori en la réincarnation, mais ils proviennent également de pays occidentaux tels que le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Sa recherche est extrêmement rigoureuse et elle a reçu beaucoup de témoignages d’estime. En 1977, le Journal des maladies mentales et nerveuses dédia presque toute une publication à ce sujet. Plus récemment le travail de Stevenson a été réexaminé lors du Journal de l’association médicale américaine (JAMA 2004) Mémoires de vies antérieures spontanées et provoquées chez des adultes Le fait de revivre des souvenirs passés de façon vive et spontanée arrive le plus souvent durant des surgissement spontanés d’états de conscience holotropiques (« émergences spirituelles »). Cependant, plusieurs degrés de souvenirs, allant des puissantes expériences de déjàvu dans des endroits spécifiques à des flashbacks vifs peuvent également avoir lieu dans des états de conscience plus ou moins ordinaires de la vie de tous les jours. La psychiatrie académique et les théories actuelles de la personnalité sont fondées sur la vision du monde moniste et matérialiste et souscrivent à la vision du temps unique. Les professionnels traditionnels sont conscients de l’existence de vies antérieures, mais ils les traitent comme des symptômes de psychose et donc comme des indicateurs de psychopathologies sérieuses. Les vies antérieures peuvent être identifiées par une grande variété de techniques qui donnent accès à des niveaux profonds de la psyché, tels que la méditation, l’hypnose, les substances psychédéliques, l’isolation sensorielle, le travail du corps et des psychothérapies variées et puissantes (la thérapie primale, le rebirthing, ou la respiration holotropique). De tels moments apparaissent souvent de manière spontanée au cours de séances avec des thérapeutes dont le but n’est pas de les provoquer, et dans certains cas, cela arrive même à ceux qui ne croient pas en ler existence, prenant ces personnes complètement au dépourvu. L’émergence de mémoires karmiques est également complètement indépendante des croyances philosophiques ou religieuses du sujet. Par ailleurs de telles expériences arrivent avec des souvenirs de l’adolescence, de l’enfance, de la tendre enfance, de la naissance et de la période prénatale qui peuvent être vérifiées de manière sûre. Souvent les vies antérieures émergent en relation avec les matrices périnatales, soit simultanément en même temps que des éléments fœtaux variés comme un niveau plus profond de la même expérience, soit en alternance (Grof 1988, 1992). Les incarnations de vies antérieures rappellent par de nombreux d’aspects les mémoires ancestrales, raciales et collectives. Cependant, elles ont généralement une charge émotionnelle puissante, et le sujet s’identifie profondément au protagoniste. Le sens de son identité personnelle passe à une autre personne, à un autre lieu, à une autre époque. Un aspect essentiel de ces expériences est le sentiment profond de se rappeler et de revivre quelque chose qui est déjà arrivé à la même personne, à la même unité de conscience. Ce sentiment de déjà-vu et déjà vécu est assez simple – comparable à la qualité empirique utilisée dans la vie de tous les jours qui nous aide à distinguer nos souvenirs d’événements actuels de nos rêves éveillés ou fantasmes. Il serait très difficile, par exemple de convaincre une personne qui nous parle du souvenir de quelque chose qui a eu lieu la semaine dernière ou le mois dernier que cet événement n’a pas vraiment eu lieu et qu’il s’agit d’un produit de son imagination. Les expériences d’incarnation de vies antérieures comprenent généralement des vies antérieures d’une ou plusieurs autres personnes. Dans quelques rares cas, divers animaux peuvent y jouer le rôle de protagonistes. L’individu a alors la sensation d’avoir a été « marqué karmiquement », dans une scène où il a été tué par un tigre, écrasé à mort par un éléphant sauvage, battu par un taureau en furie, ou mordu par un serpent venimeux. Les scènes de ce type rappellent d’autres types de scènes karmiques par leur impact à long terme sur l’individu, mais elles en diffèrent par leur absence de répétition dans les incarnations suivantes. Ainsi elles ressemblent à des situations où l’effet psychologique transcendant les incarnations individuelles a pour origine des causes impersonnelles. Par exemple : de l’amertume ou de l’envie associées à une maladie douloureuse et handicapante, ou à la difformité, ou à un handicap,d’une part ; l’anxiété et l’agonie vécues en relation avec la mort accidentelle : par chute d’une falaise, dans une inondation dans des sables mouvants, au cours d’une éruption volcanique ou un incendie d’autre part. Les expériences karmiques rentrent dans deux catégories distinctes caractérisées par la qualité des émotions qu’elles impliquent. Certaines reflètent des liens positifs avec d’autres personnes : profonde amitié, amour passionné, compréhension spirituelle, relation maître-disciple, liens du sang, ou engagement à vie. Plus souvent, elles impliquent des émotions intensément négatives et placent les sujets dans des situations fratricides, caractérisées par une douleur physique atroce, une agression criminelle, ou une terreur inhumaine. L’angoisse intense, l’amertume et la haine, la jalousie maladive, la vengeance insatiable, la luxure incontrôlable ou la gourmandise et l’avarice morbides sont d’autres traits émotionnels qui rentrent dans cette catégorie. Beaucoup d’individus qui ont vécu des expériences karmiques négatives sont capables d’analyser la nature du lien destructeur entre les protagonistes. Ils réalisent que ce large éventail d’émotions différentes, telles que la passion meurtrière, la jalousie dévorante, le désir insatiable ou l’angoisse mortelle - lorsqu’elles s’intensifient au-delà de certaines limites - commencent à se rassembler les unes aux autres. Lorsqu’elles ont atteint à un certain degré d’excitation biologique et émotionnelle, toutes ces qualités affectives extrêmes convergent et atteignent des dimensions métaphysiques. Lorsque deux ou plusieurs individus convergent et atteignent ce « melting pot » Commentaire [E76]: Karmically imprinted Commentaire [E77]: superposer universel de passions et d’instincts, ils deviennent marqués par la totalité de la situation qui en est à l’origine, peu importe le rôle particulier qu’ils ont joué dans cette situation. Dans des situations d’intensité émotionnelle extrême, l’excitation sadique du bourreau et la douleur inhumaine de la victime torturée se rassemblent de plus en plus. De la même façon la rage du meurtrier se mélange à l’angoisse et à la souffrance de la victime agonisante. C’est cette fusion émotionnelle, qui semble être la cause du marquage karmique, plutôt qu’un rôle spécifique dans la suite d’expériences. D’après les témoignages de personnes qui ont revécu des vies antérieures, lorsque deux individus sont impliqués dans des situations où leurs émotions atteignent un niveau tel, ils répèteront ces mêmes schémas dans leurs vies futures mais en alternant les rôles, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’état de conscience nécessaire à la résolution de leur lien karmique. Certaines personnes assimilent cet état d’excitation émotionnelle indifférenciée qui engendre le lien karmique avec le concept bouddique de trsna (tanha) ou « soif de chair et de sang », la force qui mène le cycle de la mort et de la renaissance responsable de toute la souffrance humaine. D’autres rapportent des témoignages concernant la profonde ressemblance entre cet état et le mélange d’expériences qui caractérise les étapes finales de la naissance biologique (BPM III) où la douleur physique, l’agression meurtrière, l’angoisse vitale, l’excitation sexuelle extrême, les tendances démoniaques et les éléments scatologiques se mélangent en amalgame étrange et inextricable avec une ferveur religieuse. La naissance biologique semble représenter une station potentielle de transformation, où les « champs morphogénétiques » intangibles du compte karmique (appelé compte akachique dans la littérature spirituelle) entrent dans la vie biopsychique de l’individu. Afin de parvenir à se libérer totalement du schéma karmique, l’individu doit vivre pleinement toutes les émotions douloureuses et les sensations physiques qui étaient impliquées dans une scène d’incarnation passée destructrice. L’événement doit être transcendé émotionnellement, éthiquement, philosophiquement et spirituellement avant que la personne puisse le dépasser entièrement, pardonner et être pardonnée. Une telle libération du schéma karmique et de l’asservissement qu’il provoque, est généralement associé à une sensation d’accomplissement et de triomphe qui va au-delà de toute compréhension rationnelle et qui est accompagnée de la sensation d’avoir attendu ce moment et travaillé pendant des siècles pour atteindre ce but. A ce moment-là, la personne vit un ravissement extatique et un bonheur extrêmes. Dans certains cas, l’individu revoit rapidement son histoire karmique se rejouer, et il a des aperçus de la manière dont ce schéma s’est répété dans diverses formes vie après vie. Plusieurs personnes qualifient cela de nettoyage d’un « ouragan karmique » ou d’un « cyclone » soufflant dans leur passé et détruisant tous leurs liens karmiques dans toutes les situations impliquant ce schéma qu’ils viennent tout juste de résoudre. Une belle description de l’expérience de libération des liens karmiques du Bouddha peut se lire dans le Pali Canon (Tipitaka), ensemble des textes qui fonde la doctrine du Bouddhisme Theravada. Les épisodes d’incarnation passés se retrouvent dans la psychothérapie expérientielle et ont un grand potentiel thérapeutique. Ils ont également une signification théorique conséquente, parce que plusieurs de leurs aspects remettent en question la vision du monde mécanique et matérialiste. Etant donné que le manque de connaissances factuelles est l’une des principales sources du scepticisme actuel concernant la réincarnation et le karma, je décris ci-dessous quelques traits spécifiques de vies antérieures qui méritent une attention spéciale. Ils devraient être d’un intérêt majeur pour tout chercheur s’intéressant à la conscience et à la psyché humaine. Comme nous le verrons, il y a d’importantes raisons de croire que les vies antérieures sont des phénomènes authentiques sui generis, avec des implications majeures pour la psychologie et la psychothérapie, en raison de leur potentiel heuristique et thérapeutique. La première caractéristique extraordinaire des expériences karmiques est qu’elles contiennent souvent des informations pertinentes concernant des périodes historiques variées, y compris d’événements très spécifiques, auxquels l’individu n’aurait pas pu acquérir par les voies ordinaires. Dans certains cas, la pertinence de telles informations peut être vérifiée de manière objective, parfois de façon très détaillée. Un autre trait caractéristique précieux est leur lien profond Commentaire [E78]: P 183 Para milieu Commentaire [E79]: Rather than a specific role in the experentiel sequence Commentaire [E80]: Phrase incompréhensible pour moi à des problèmes émotionnels, psychosomatiques et interpersonnels. Le thème des souvenirs karmiques témoigne souvent d’une relation tellement intime et spécifique avec les symptômes et les difficultés psychopathologiques dans la vie actuelle qu’il ne peut y avoir de doutes que ces expériences karmiques représentent un facteur clé dans la genèse de ces problèmes. La psychiatrie actuelle n’attribue de signification pathogénique qu’aux événements traumatisants de l’histoire postnatale. Les observations d’expériences karmiques étendent de manière significative le champ des possibilités – le moment des événements traumatiques semble ne pas avoir d’importance. Des séquences de l’Egypte ancienne, de l’Allemagne nazie, de la Russie tzariste, peuvent être aussi significatives que des épisodes de la vie prénatale, de la naissance, de la tendre enfance et de l’enfance dans la vie présente de l’individu. Revivre et intégrer ces épisodes de vies antérieures a un potentiel thérapeutique remarquable. Par conséquent un thérapeute qui n’appuie pas l’émergence spontanée de ces expériences chez ses patients et qui refuse de travailler avec elles, prive ces individus d’un puissant mécanisme de guérison et de transformation de la personnalité. Le témoignage le plus convaincant concernant le statut spécial des souvenirs de réincarnation est leur association avec des synchronicités extraordinaires. Dans bien des cas, mes patients ayant vécu des séquences karmiques se sont aperçus que les compagnons karmiques qui faisaient partie de celles-ci étaient aussi des personnes particulières de leur vie présente – des parents, des enfants, leur époux ou épouse, leur petit amie ou petit ami et d’autres personnes importantes. Une fois qu’ils avaient terminé de revivre la scène karmique et qu’ils étaient parvenus à la résoudre, ils ont eu la sensation que ces compagnons respectifs avaient eux aussi fait tellement profondément partie de ce qu’ils venaient de vivre qu’ils devaient eux-mêmes éprouver quelque chose de semblable, et qu’ils étaient certainement influencés par cette expérience. Lorsque j’ai été suffisamment ouvert pour vérifier ces choses par moi-même je me suis aperçu à ma grande surprise qu’elles étaient souvent pertinentes. Les personnes que mes patients avaient identifiées comme étant leurs compagnons dans les séquences karmiques, avaient également vécu des changements positifs radicaux dans leurs sentiments envers mes patients au moment exact où le processus fut terminé. Cette liaison synchronique entre les événements de la session et les changements dans les attitudes des « compagnons karmiques » ne pouvait pas être expliquée par la causalité linéaire. Souvent ces autres individus se trouvaient à des centaines ou à des milliers de kilomètres de là et n’avaient pas pu avoir connaissance de l’expérience que mes patients venaient de vivre. Par ailleurs, les changements qu’ils avaient vécus étaient provoqués par une séquence d’événements entièrement indépendante : soit ils vivaient une profonde transformation d’eux-mêmes, soit ils recevaient des informations qui changèrent entièrement leur perception du sujet, soit ils étaient influencés par un développement indépendant dans leur environnement. Le timing de ces événements synchroniques était souvent remarquable, dans certains cas, cela avait lieu à quelques minutes d’écart. Cet aspect des expériences de vies antérieures, suggérant des connexions nonlocales dans l’univers est semblable au phénomène décrit par le théorème de Bell dans la physique quantique-relativiste (Bell 1966, Capra 1982). Preuves appuyant l’authenticité des mémoires des vies antérieures Les critères pour déterminer l’authenticité et la véracité des souvenirs des vies antérieures sont essentiellement les mêmes que nous utilisons pour les souvenirs d’événements ayant eu lieu la semaine dernière, le mois dernier ou il y a dix ans. Il faut récupérer ces mémoires le plus en détail possible et obtenir des preuves indépendantes pour au moins quelques-unes d’entre elles. (Toutefois ,même nos souvenirs actuels ne peuvent pas toujours être corroborées). Naturellement les souvenirs des vies antérieures sont plus difficiles à vérifier. Ils ne contiennent pas toujours d’informations spécifiques qui puissent être aisément confirmées. En outre, étant donné que les épisodes sont beaucoup plus anciens et qu’ils impliquent d’autres pays et d’autres cultures, il est plus difficile d’en obtenir des preuves. Les souvenirs provoqués des vies antérieures ne permettent pas le même degré de vérification que les souvenirs spontanés de Stevenson, qui sont plus récents et qui contiennent Commentaire [E81]: Bas p 183-184 Commentaire [E82]: Je n’ai pas trouvé d’infos à ce sujet davantage d’informations spécifiques. Cependant, dans certains cas isolés, les circonstances permettent la vérification des souvenirs provoqués de vies passées, en grand détail, comme vous pouvez le lire ci-dessous, dans ces deux cas advenus lors de mes recherches. Dans ces deux cas, les aspects les plus étranges de la narration ont pu être vérifiés par la recherche historique. Le cas de Karl Les souvenirs karmiques de Karl commencèrent à émerger lors de séances de thérapie primale. Les contenus continuèrent à affluer à la surface et cela se termina au cours de séances de respiration holotropique, lors de notre séminaire d’un mois à l’Institut Esalen. Au début de sa thérapie, tandis que Karl revivait de nombreux aspects de son trauma de naissance, il commença à revivre des fragments de scènes de cractère tragique qui semblaient avoir lieu dans un pays étranger et à un autre siècle. Les scènes mettaient en jeu des émotions puissantes et des sensations physiques et même si elles semblaient avoir un lien intime et profond avec sa vie actuelle, aucune d’entre elles n’y faisait sens. Il eut des visions de tunnels, d’espace de stockages souterrains, de baraques militaires, de murs épais et de remparts qui s’avérèrent former partie d’une forteresse située sur un rocher qui donnait sur l’océan. C’était parsemé d’images de soldats dans des situations variées. Il se sentit confus, étant donné que les soldats semblaient être espagnols, mais le lieu ressemblait davantage à l’Ecosse ou à l’Angleterre. Au fur et à mesure que le processus continua, les scènes devenaient de plus en plus dramatiques et elles contenaient des combats féroces et des massacres sanglants. Bien qu’entouré de soldats, Karl se voyait lui-même en prêtre, et à un certain moment il eut une vision très profonde où il y avait une Bible et une Croix. A ce moment-là il vit un anneau de scellage à son doigt, et il put clairement reconnaître ses initiales. Etant un artiste talentueux, il décida d’illustrer son étrange aventure, bien qu’il ne l’ait pas comprise au moment où elle eut lieu. Il fit également une série de dessins et des puissantes peintures faites avec ses doigts. Certaines images dépeignaient différentes parties de la forteresse, d’autres des scènes de massacres, et quelques-unes ses propres expériences, y compris celle d’avoir été transpercé d’une épée, jeté du haut des remparts de la forteresse et d’être mort sur la plage. Il dessina également l’anneau de scellage avec les initiales. Lorsqu’il rassembla les petits bouts de l’histoire, Karl trouva de plus en plus de connexions significatives avec sa vie actuelle. Il découvrit que beaucoup de symptômes émotionnels et psychosomatiques tout comme les problèmes dans ses relations interpersonnelles dans sa vie quotidienne actuelle, étaient clairement liés à son expérience intérieure et impliquaient le mystérieux événement passé. Il y eut un moment où les choses changèrent : Karl décida soudainement sur un coup de tête d’aller passer ses vacances dans l’Ouest de l’Irlande. Après son retour, lorsqu’il regardait pour la première fois les photos qu’il avait prises sur la côte est, il réalisa qu’il avait pris onze photos consécutives du même lieu qui ne semblait pas particulièrement intéressant. Il prit une carte et regarda où il se tenait à ce moment-là, et le lieu dont il avait pris les photos. Il réalisa que l’endroit qui avait attiré son attention était la ruine d’une vieille forteresse appelée Dün an Oir, ou Forte di Oro (Fortresse d’Or). Ayant l’intuition qu’il devait y avoir là une connexion avec son exploration intérieure, Karl décida d’étudier l’histoire de Dün an Oir. Il découvrit à sa grande surprise qu’à l’époque de Walter Raleigh, la forteresse fut prise par les Espagnols puis assiégée par les Britanniques. Walter Raleigh négocia avec les Espagnols et leur promit de sortir libres de la forteresse à condition qu’ils ouvrent le portail et se rendent aux Britanniques. Les Espagnols se rendirent à ces conditions, mais les Britanniques ne tinrent pas leur promesse. Une fois à l’intérieur de la forteresse, ils massacrèrent tous les Espagnols sans merci, ils les jetèrent du haut des remparts et ils les laissèrent mourir sur la plage. Malgré ces confirmations absolument étonnantes de l’histoire qu’il avait laborieusement reconstruite au cours de ses séances, Karl n’était pas satisfait pour autant. Il continua ses recherches en bibliothèque, jusqu’à ce qu’il découvre un document spécial concernant la bataille de Dun an Oir où il apprit qu’un prêtre accompagnant les soldats espagnols fut tué en même temps qu’eux. Les Commentaire [E83]: Souvenirs ? Commentaire [E84]: To document initiales du prêtre étaient identiques à celles du sceau que Karl avait vu au cours de sa vision et qu’il dépeignit dans l’un de ses dessins. Le cas de Renata L’histoire de Renata, une patiente névrosée qui reçut une thérapie de LSD en guise de traitement à sa cancérophobie, met en scène l’une des coïncidences les plus surprenantes que j’aie jamais vécues lors de mes recherches psychédéliques. Les phénomènes ici sont ambigus en ceci qu’ils manifestent des caractéristiques à la fois d’expériences généalogiques les et d’incarnations passées. Cet exemple montre clairement la complexité de ce domaine de recherche. A un stade avancé de la thérapie de Renata, nous observâmes une suite d’événements inhabituels et sans précédents. Quatre de ses séances de LSD consécutives consistaient exclusivement en des scènes d’une période particulière de l’histoire Tchèque – elle vécut plusieurs épisodes qui eurent lieu à Prague au XVIIème siècle. Cette périodre fut cruciale pour les Tchèques. Après la bataille désastreuse de la Montagne Blanche en 1621, qui marqua le début de la guerre de Trente ans en Europe, le pays cessa d’exister comme royaume indépendant et fut soumis à l’hégémonie des Habsbourg pendant trois cent ans. Dans un effort destiné à détruire les sentiments d’orgueil national et vaincre les forces de la résistance, les Habsbourg envoyèrent des mercenaires pour capturer les nobles les plus importants du pays. Vingt sept membres de la noblesse furent arrêtés et décapités lors d’une exécution publique qui eut lieu sur la Place de la Vieille Ville à Prague. Lors de ses séances de caractère historique, Renata recevait une variété d’images et d’aperçus bizarres concernant l’architecture de la période, les habits et les costumes ainsi que les armes et les ustensiles utilisés dans la vie quotidienne. Elle fut également capable de décrire les relations compliquées existant à cette époque entre la famille royale et les vassaux. Renata n’avait jamais étudié cette période et j’ai dû consulter des ouvrages spécialisés pour vérifier les informations qu’elle rapportait. Beaucoup de ses expériences concernaient des périodes différentes de la vie d’un jeune noble, l’un des vingt sept membres de l’aristocratie décapité par les Habsbourg. A un moment donné, Renata finit par revivre avec de puissantes émotions et dans des détails incroyables les événements de l’exécution, y compris l’angoisse intense de ce jeune noble et son agonie. Renata s’identifia pleinement à cet individu. Elle ne connaissait pas la signification de ces événements historiques ni la façon dont ils étaient liés à sa personnalité actuelle. Elle finit par conclure qu’elle devait avoir revécu les événements de l’un de ses ancêtres, même si cette possibilité ne cadrait pas avec ses croyances personnelles et sa philosophie. En tant que témoin de ce drame émotionnel je partageai la surprise de Renata et sa confusion. Pour essayer de déchiffrer cette énigme, j’ai choisi deux approches différentes. D’une part j’ai essayé de vérifier les informations historiques et je fus extrêmement impressionné par leur pertinence. D’autre part, j’ai essayé d’appliquer l’approche psychanalytique au contenu des histoires de Renata pour voir si je pouvais les comprendre en termes psychodynamiques comme un déguisement symbolique aux expériences de son enfance ou aux éléments de la situation de sa vie actuelle. Mais malgré tous mes efforts, ces suites d’expériences ne faisaient aucun sens depuis ce point de vue là. J’ai finalement abandonné ce problème lorsque les expériences de Renata au LSD changèrent de sujet. Me concentrant sur des tâches plus immédiates, j’ai arrêté de penser à cet incident étrange. Deux ans plus tard, alors que je me trouvais déjà aux Etats-Unis, je reçus une longue lettre de Renata avec l’introduction suivante plutôt étrange : « Cher Docteur Grof vous allez certainement me croire perturbée lorsque je partagerai avec vous les résultats de mes dernières recherches… » Dans le texte qui faisait suite, Renata raconta comment elle avait rencontré son père qu’elle n’avait pas revu depuis le divorce de ses parents lorsqu’elle avait trois as. Après une courte conversation, son père l’invita à venir dîner avec lui, sa seconde femme et ses enfants. Après le dîner il lui dit qu’il voulait lui montrer les résultats de son occupation préférée qu’elle pouvait trouver intéressant. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, les Nazis ordonnèrent à chaque famille dans les pays occupés de soumettre son arbre généalogique en vie de prouver qu’il n’avaient pas de personnes d’origine Juive sur les quatre dernières générations. Bien qu’il ait dans un premier temps était forcé de travailler sur la généalogie de la famille le père de Renata finit pas y prendre gôut. Après qu’il avait terminé le travail sur les cinq générations requis par les autorités Nazies, il continua sa recherche par intérêt personnel et retraça l’histoire de la famille à travers les siècles, grâce aux registres de naissance relativement complets tenus par les mairies des pays européens. Avec beaucoup d’orgueil, le père de Renata montra une longue généalogie ramifiée de la famille et lui expliqua qu’ils étaient les descendants de l’un des jeunes nobles exécutés après la Bataille de la Montagne Blanche. Après avoir relaté cet événement dans sa lettre, Renata exprima sa satisfaction liée au fait d’avoir finalement obtenu la confirmation de l’authenticité de sa mémoire ancestrale. Elle y vit pour preuve que les souvenirs hautement chargés émotionnellement pouvaient être marqués sur le code génétique et transmis à travers les siècles aux futures générations. Après ma surprise initiale je découvris une grande incohérence logique dans l’histoire de Renata. Lors de ses séances historiques de LSD, elle avait revécut l’angoisse terminale du noble au moment de son exécution. Cependant la mort physique met un terme à la possibilité d’un transfert génétique, elle détruit la ligne héréditaire biologique. Une personne morte ne peut pas procréer et transmettre génétiquement la mémoire de son angoisse terminale aux générations futures. Avant de d’écarter l’information contenue dans la lettre de Renata comme preuve venant corroborer ses expériences, plusieurs faits méritent notre attention. Aucun des patients tchèques - et il y avait eu au total plus de deux mille séances - n’avait jamais fait mention de cette période historique. Dans le cas de Renata, quatre séances consécutives de LSD contenaient presque exclusivement des événements historiques de cette période donnée. Il est pratiquement impossible qu’il ait pu s’agir là d’une coïncidence insignifiante. L’absence de chemin conventionnel pour le transfert biologique de ces informations et la confirmation indépendante des visions de Renata par la quête généalogique de son père suggèrent une situation qui caractérise les expériences des vies antérieures. Dans tous les cas, il est difficile d’imaginer une quelconque explication plausible à une telle coïncidence sans violer les principes de base de la science occidentale. Les caractéristiques extraordinaires des expériences de vies antérieures ont été confirmées de manière répétée par des observateurs indépendants. Cela pose une question très intéressante : est-ce que l’existence de telles expériences constitue une « preuve » définitive qu’une partie essentielle de nous survit à la mort et se réincarne dans la même unité de conscience, la même âme individuelle ? Malgré tous les témoignages extraordinaires dont il est question plus haut, la réponse à cette question doit être négative. Présumer de la survie de la conscience individuelle au travers de plusieurs vies n’est qu’une interprétation possible des témoignages existants, c’est à dire, une théorie forgée essentiellement sur la base des observations précédentes. C’est ce genre de situation que les chercheurs rencontrent chaque jour dans d’autres disciplines scientifiques : ils amassent de grandes quantités d’informations et d’observations et cherchent des théories qui les rendraient compréhensibles dans un cadre conceptuel cohérant. Une des règles fondamentales de la philosophie moderne de la science est que la théorie ne devrait jamais être confondue avec la réalité qu’elle décrit « la carte ne devrait jamais être prise pour le territoire » (Korzybski 1933, Bateson 1972). L’histoire de la science montre clairement qu’il existe toujours plus d’une théorie qui rende compte des informations disponibles. La situation concernant les recherches sur la réincarnation n’est pas différente. Dans l’étude des phénomènes de vies antérieures, comme dans d’autres domaines de recherche, nous devons séparer les faits d’observation, des théories qui tentent d’en rendre compte. Par exemple nous savons tous que si nous lâchons un objet, il tombe. C’est un fait évident et indiscutable, quelque chose que nous observons tout le temps. Cependant, au fil des siècles Aristote, Newton, Einstein et les physiciens quantiques ont proposé des théories entièrement différentes à la gravité, et il est possible que bien d’autres soient proposées dans le futur. Commentaire [E85]: Je ne comprends pas : puiqu’il s’agit d’un homme il le peut non ? On peut avoir des enfants post mortem, non ? elle était l’arrière petite fille de son ancêtre non ? Tout chercheur sérieux suffisamment ouvert d’esprit et intéressé par la vérification de des témoignages existants peut vérifier l’existence des vies antérieures avec toutes leurs caractéristiques remarquables. Il est également clair qu’il n’y a pas d’explication plausible à ces phénomènes dans le cadre conceptuel de la psychiatrie et la psychologie traditionnelles. Cependant l’interprétation des informations existantes est bien plus complexe et difficile. La compréhension populaire de la réincarnation comme cycle répété de vie, de mort et de renaissance du même individu est une conclusion raisonnable étant donné les témoignages disponibles, une conclusion qui est bien supérieure à l’attitude de la plupart des psychologues et des psychiatres traditionnels. Ces professionnels sont soit remarquablement désinformés, soit ils ignorent volontairement ces conclusions, préférant plutôt adhérer aux façons de penser établies, tout comme le font les fondamentalistes religieux. Bien que les observations allant dans le sens de la réincarnation soient très impressionnantes, d’ autres interprétations de ces mêmes informations peuvent certainement être imaginées. Naturellement, aucune de ces interprétations alternatives n’est compatible avec le paradigme moniste et matérialiste de la science occidentale. Dans la tradition hindoue, la croyance en la réincarnation d’individus à part entière est interprétée comme une compréhension populaire et peu érudite de la réincarnation. Il n’y a qu’un seul être qui ait une existence véritable : il s’agit de Brahman ou principe créatif lui-même. Tous les individus dans toutes les dimensions de l’existence sont simplement des produits des métamorphoses infinies de cette entité unique immense. Etant donné que toutes les divisions et les limites dans l’univers sont illusoires et arbitraires, seul Brahman s’incarne vraiment. Tous les acteurs dans la pièce de l’existence sont des aspects différents de ce Un. Lorsque nous atteignons cette connaissance ultime, nous parvenons à voir que nos incarnations passées représentent un autre niveau d’illusion ou maya. Selon ce point de vue, considérer ces vies comme « nos vies » requiert de percevoir les acteurs karmiques comme des individus séparés ce qui reflète une nouvelle fois l’ignorance concernant l’unité ultime de tout. Sri Ramana Maharshi faisant écho au philosophe hindou Shankara, exprima la relation paradoxale entre le principe créatif et les éléments du monde matériel d’une façon très succincte : Le monde est illusoire Brahman seul est réel Brahman est le monde. Utilisation de l’hypnose pour vérifier les vies antérieures Un travail intéressant expérimental a été mis en place avec des techniques d’hypnose afin d’obtenir des informations vérifiables à propos de la réincarnation. Les objections à ce genre de recherche mettent l’accent sur le danger de la suggestion. Cependant, on peut utiliser l’information qui vient d’une utilisation compétente de l’hypnose et qui est vérifiable. Helen Wambach régressa sept cent cinquante sujets à diverses vies antérieures et utilisa un questionnaire sociologique détaillé pour obtenir des informations spécifiques à propos des vêtements, de la nourriture, des armes, de l’argent et d’autres aspects des périodes en question. Elle remarqua souvent que les plus petits détails se vérifiaient. Elle analysa autant d’hommes que de femmes, sauf aux périodes de guerre où les femmes étaient plus nombreuses que les hommes. Les personnalités célèbres n’étaient pas fréquentes. En fait, elle ne trouva pas une seule personne historique célèbre. La plupart étaient des vies de pauvreté, ennuyeuses et sans couleur (Wambach 1979) Pratiques tibétaines pertinentes pour le problème de la réincarnation La littérature spirituelle tibétaine décrit certains phénomènes intéressants suggérant que les êtres humains hautement développés sont capables d’acquérir des connaissances supérieures concernant le processus de la réincarnation. Cela implique la possibilité d’exercer de l’influence sur le moment de sa mort, de prédire ou de diriger le temps et l’espace de sa prochaine incarnation et de maintenir la conscience à travers les états intermédiaires entre la mort et la prochaine incarnation Commentaire [E86]: Don’t get it… the attitude…. Commentaire [E87]: Separate individus un individu c’est forcément séparé non ? Commentaire [E88]: Shankarakaria ? Commentaire [E89]: Pas vérifié la citation (bardos). Les moines tibétains accomplis peuvent appliquer de nombreux indices reçus dans les rêves, la méditation et à travers d’autres moyens pour localiser et identifier l’enfant qui est la réincarnation du Dalaï Lama ou un autre tulku. L’enfant est alors soumis à un test où il doit identifier parmi des ensembles d’objets similaires, ceux ayant appartenu à la personne décédée. En théorie, on pourrait au moins soumettre certains des aspects de cette pratique à des tests plutôt rigoureux selon les standards occidentaux. Sa Sainteté le Dalaï Lama a montré une grande ouverture d’esprit à l’égard d’expériences similaires lorsqu’il autorisa de tester les effets de la pratique tibétaine de Tummo59 qui mène en un bref espace de temps à une augmentation étonnante de la température du corps de plusieurs degrés (Benson et al. 1982). Chapitre 11 MESSAGES ET VISITES DE L’AU-DELA Il ne fait nul doute que si on se concentre sur les phénomènes occultes le résultat sera que très vite un grand nombre d’entre-eux seront confirmés, et il faudra certainement un long laps de temps pour qu’on arrive à une théorie acceptable rendant compte de ces faits. C.G. Jung, Mémoires, Rêves, Réflexions Les apparitions de personnes décédées et la communication avec elles peuvent advenir dans le cadre d’expériences de mort imminente et dans les visions au moment de l’agonie, comme nous l’avons décrit au chapitre 9. Cependant de telles apparitions ne sont pas restreintes aux situations de mort ou de processus de mort. Elles peuvent en effet arriver spontanément dans des situations de la vie quotidienne ou être provoquées par l’ingestion de psychédéliques, ou par le biais de méthodes de psychothérapie expérientielles ou encore par la méditation. Bien sûr la pertinence de telles expériences en tant qu’informations de recherche doit être évaluée précisément. Une expérience isolée de ce type peut être écartée comme fantasme désiré ou hallucination. Quelques 59 Tummo : forme de méditation tibétaine à valeur thérapeutique qui se traduit physiologiquement par une augmentation de la température du corps. Commentaire [E90]: Private experience : j’avais mis au début expérience privée, mais… ça sonnait pas … je n’aime pas trop exp isolée non plus facteurs supplémentaires sont requis pour qualifier ces expériences de valides. Il faut pour le moins distinguer ces expériences qui semblent satisfaire un puissant besoin de la personne qui les vit, de celles où l’on ne peut trouver aucune motivation de ce type. Quelques apparitions ont certaines caractéristiques qui les rendent particulièrement intéressantes ou qui vont jusqu’à constituer des défis pour les chercheurs, comme les cas où les apparitions de personnes inconnues du sujet sont plus tard identifiées au moyen de photos et de descriptions verbales. D’autres situations notables et relativement communes concernent les apparitions qui sont vues collectivement ou par plusieurs personnes différentes aux cours de grandes périodes de temps, comme c’est le cas dans les maisons hantées et dans les châteaux. Les apparitions peuvent également avoir des signes distinctifs sur le corps advenues au moment de la mort à l’insu de la personne. Exemples de synchronicités extraordinaires et d’informations vérifiables Les cas où les personnes décédées apportent des informations qui peuvent ensuite être vérifiées ainsi que les cas où ces événements sont liés à une synchronicité extraordinaire sont particulièrement intéressants. J’ai observé plusieurs cas de ce type dans la thérapie psychédélique et dans la respiration holotropique : voici trois exemples résumés qui illustrent la nature des observations de ce type. Le premier exemple vient de la thérapie au LSD d’un jeune patient dépressif, Richard, qui avait fait des tentatives de suicide à répétition. Lors d’une de ses séances sous LSD, Richard a eu des expériences assez étranges où apparaissait un domaine astral et mystérieux. Ce domaine avait une luminescence inquiétante et était empli d’êtres spirituels qui essayaient de communiquer avec lui avec urgence et insistance. Il ne pouvait pas les entendre, cependant, il pouvait ressentir leur présence presque tangible et recevait d’eux des messages télépathiques. J’ai écrit l’un de ces messages qui semblait très spécifique dans l’espoir de le vérifier plus tard. Le message demandait à Richard de un couple contacter dans la ville moravienne de Kromeriz et de leur dire que leur fils Ladislav allait bien et que l’on prenait bien soin de lui. Le message comprenait le nom du couple, la rue, l’adresse ainsi que le numéro de téléphone. Toutes ces informations étaient inconnues de moi et de mon patient. Cette expérience était extrêmement déstabilisante, elle semblait être une enclave étrangère dans la vie de Richard, sans aucun lien avec ses problèmes ou avec le reste de son traitement. Après quelques hésitations et des sentiments mitigés, j’ai finalement décidé de faire ce qui aurait certainement fait de moi la risée de mes collègues s’ils l’avaient découvert. J’ai pris mon téléphone, j’ai fait le numéro de Kromeriz et j’ai demandé si je pouvais parler à Ladislav. A mon grand étonnement la femme à l’autre bout du fil se mit à pleurer. Lorsqu’elle se calma, elle me dit d’une voix brisée : « notre fils n’est plus avec nous. Il est décédé, nous l’avons perdu il y a trois semaines ». Le second exemple implique un ami proche et ancien collège, Walter N. Pahnke, un membre de notre équipe de recherches psychédéliques au Centre Psychiatrique du Maryland à Baltimore. Walter était profondément intéressé par la parapsychologie, et plus particulièrement par le problème de la conscience après la mort, et il avait travaillé avec beaucoup de médiums célèbres, y compris avec notre ami commun Eileen Garret, président et fondateur de la Fondation de Parapsychologie. Par ailleurs il fut aussi l’initiateur du programme de LSD pour les patients mourant de cancer, dont il est question dans les chapitres 12-15. A l’été 1971, Walter et sa femme Eva emmenèrent leurs enfants en vacances en bateau au bord de l’océan dans le Maine. Un jour il partit faire de la plongée tout seul et ne revint jamais plus. Malgré des recherches exhaustives et bien menées on ne parvint jamais à retrouver son corps ni son équipement de plongée. Dans de telles circonstances, il fut très difficile à Eva d’accepter et d’intégrer la mort de son mari. Le souvenir qu’elle gardait de Walter fut le moment où il quitta le bateau débordant d’énergie et en parfaite santé. Il lui était difficile de croire qu’il ne faisait plus partie de sa vie, et encore plus difficile de démarrer un nouveau chapitre de sa vie en ayant l’impression de n’avoir refermé le précédent. Commentaire [E91]: J’imagine car je n’ai pas trouvé le mot percipient dans le dico, sauf anglais mais à mon avis c’est pas ça adjective ... Etant elle-même psychologue, Eva décida de faire une séance de formation pour professionnels que nous proposions dans un programme spécial au sein de notre institut. Elle se décida à tenter une expérience psychédélique dans l’espoir d’obtenir d’autres impressions et elle me demanda de l’assister. Dans la seconde moitié de la séance, elle eut une puissante vision de Walter et eut une conversation significative avec lui. Il lui donna des instructions précises concernant chacun de leurs trois enfants et lui permit de commencer une nouvelle vie, en la libérant ainsi de son engagement moral vers lui. Ce fut une expérience profonde et libératrice. Pendant qu’Eva se demandait si cet épisode n’était pas simplement un fantasme de son esprit, Walter réapparut une nouvelle fois juste le temps de lui demande de rendre un livre qu’il avait emprunté à l’un de ses amis. Eva parvint à retrouver ce livre en suivant les indications qui lui avaient été données. Le troisième exemple concerne Kurt, un psychologue participant à notre formation professionnelle de trois ans. Lors de sa formation, il eu l’occasion de voir une grande variété d’expériences transpersonnelles au cours des séances de respiration holotropique de ses collègues. Il avait également des expériences périnatales puissantes et quelques notions du domaine transpersonnel lui-même. Cependant il continuait à se montrer sceptique concernant l’authenticité du phénomène, et se demandait constamment si ces expériences étaient ontologiquement réelles ou non. Puis au cours d’une de ses séances de respiration holotropique, il vécut une synchronicité frappante qui le convainquit de son conservatisme dans son approche de la conscience humaine. Voici un bref compte-rendu de cet épisode. A la fin de sa séance de respiration holotropique, Kurt eut une vive rencontre avec sa grand-mère qui était décédée plusieurs années auparavant. Il avait été très proche d’elle pendant son enfance, et il était profondément touché d’avoir pu communiquer avec elle une nouvelle fois. Malgré son investissement émotionnel profond au cours de cette expérience, il continua à maintenir une attitude de scepticisme professionnel quant à cette rencontre. Naturellement il avait eu beaucoup d’interactions réelles avec sa grand-mère lorsqu’elle était en vie et il pensa que son esprit aurait pu aisément créer une rencontre imaginaire à partir de ces vieux souvenirs. Cependant cette rencontre avec sa grand-mère décédée était tellement profonde et convaincante d’un point de vue émotionnel qu’il ne pouvait tout simplement pas l’écarter comme étant le fruit imaginaire de son désir. Il se décida donc à chercher des preuves démontrant la réalité de cette expérience. Il demanda à sa grand mère de lui apporter une confirmation de cela et reçut le message suivant : « Va voir ta tante Anna et va chercher des roses coupées ». Quoique toujours sceptique, il décida néanmoins de rendre visite à sa tante chez elle le week-end suivant. Lorsqu’il arriva, il trouva sa tante dans le jardin entourée de roses coupées. Il était sidéré. Le jour de sa visite était le seul jour de l’année où sa tante avait décidé de prendre soin de ses roses. Des expériences de ce type sont certainement loin d’être des preuves irréfutables pouvant justifier l’existence des domaines astraux et des êtres spirituels. Cependant de telles synchronicités montrent clairement que ce domaine fascinant mérite une attention sérieuse de la part des chercheurs qui travaillent sur la conscience. La croyance en l’existence de domaines astraux et en la possibilité de communiquer avec les personnes décédées est fondée sur des expériences semblables à celles que je viens de décrire ci-dessus. Témoignages issus du spiritisme et des médiums en transe Les témoignages quasi-expérimentaux de la survie de la conscience après la mort provenant de la source hautement controversée que constitue le spiritisme et les médiums, présentent un intérêt majeur. Même si certains des médiums professionnels (comme Eusapia Palladino) ont été pris à tricher, d’autres tels que Madame Piper, Madame Léonard, et Madame Verall, ont réussi tous les tests et ont aquis la haute estime de chercheurs attentifs et réputés (Grosso 1981). Les meilleurs médiums sont capables de reproduire la voix du défunt, ses gestes, ses manières et d’autres traits caractéristiques du défunt. Commentaire [E92]: Dans le text original c’est plus beau : sense of commitment to his memory Commentaire [E93]: Je ne comprends pas s’il les avait vécues ou observées ; P195 Parfois, l’information reçue est inconnue des personnes présentes ou même des personnes vivantes. Il est arrivé que des identités non-invitées aient également fait irruption soudainement. Dans certains cas leur identité a été confirmée plus tard. Dans d’autres cas, des messages pertinents ont été reçus par procuration. Quelquefois un groupe éloigné et non-informé a reçu l’information à la place d’un parent proche ou ami du défunt. Dans les cas de « correspondance croisée » les fragments d’un message de taille importante ont été transmis par plusieurs médiums. Certains des rapports de spiritisme ouvrent considérablement l’esprit d’un Occidental, sans parler de celui d’un scientifique de formation traditionnelle. Par exemple la forme extrême du phénomène de spiritisme, « la médiumnicité physique » comprend la télékinésie et la matérialisation, des lévitations d’objets et de personnes, la projection d’objets à travers les airs, la manifestation de formations ectoplasmiques60, et l’apparition soudaine de textes écrits ou d’objets (« apports »). Dans le mouvement spirituel brésilien les médiums font des opérations chirurgicales médiumniques en utilisant leurs mains ou des couteaux en étant guidés par les esprits des personnes défuntes. Ces opérations ne requièrent pas d’anesthésie et les blessures se ferment sans points de suture. Les événements de ce type ont été filmés plusieurs fois et étudiés par les chercheurs occidentaux de la carrure de Walter Pahnke, Stanley Krippner et Andrija Puharich. Ma femme Christina et moi avons eu le privilège d’être les témoins d’une performance remarquable de Luiz Gasparetto, un psychologue brésilien également membre de l’Eglise Spiritiste. Nous l’avions invité à l’un de nos séminaires d’un mois à l’Institut Esalen. On disait de Luiz qu’il d’interceptait les esprits des grands peintres et qu’il peignait dans leur style. Il pouvait peindre dans l’obscurité la plus totale. Cependant pour sa performance d’Esalen, la chambre habituellement obscure était partiellement éclairée par une lumière rouge obscure. Il y avait ainsi suffisamment de lumière pour que les spectateurs puissent le voir travailler mais cela ne permettait pas que Luiz luimême distingue les couleurs avec ses sens normaux. Tout en écoutant les Quatre Saisons de Vivaldi (musique qui l’inspirait particulièrement), Luiz produisit à une vitesse fulgurante des tableaux remarquables les uns après les autres dans le style de différents peintres : Van Gogh, Picasso, Gauguin, Rembrandt, Monet, Manet, entre autres. Il utilisait ses deux mains, peignant parfois deux tableaux différents simultanément. La plupart du temps il ne regardait même pas le papier. Il peignit un portrait de Manet sous la table avec son pied gauche sans même le regarder. Le travail de Luiz dura un peu plus d’une heure. Quand il eut fini, le sol était recouvert de grandes peintures, vingt-six au total. Malgré la lumière rouge de la pièce, qui rendait toute distinction de couleurs impossible, Luiz parvint à choisir les tons adéquats pour chacun des tableaux. Les personnes dans la pièce commencèrent à bouger, pressés de s’approcher et d’examiner les peintures. Cependant, il était évident que le Luiz n’avait pas encore terminé. Il s’assit l’espace d’un instant en méditation silencieuse puis il annonça : « Il y a ici un esprit qui s’appelle Fritz Pearls et qui veut que Toulouse-Lautrec fasse son portrait». Il fit alors le portrait du célèbre thérapeute sudafricain fondateur de la pratique Gestalt61 qui avait passé les dernières années de sa vie à Esalen. Non seulement ce portrait était-il très ressemblant mais il possédait toutes les caractéristiques du style de Toulouse-Lautrec. Luiz termina le tableau mais il n’annonça pas la fin de la représentation. Après un bref moment de réflexion il dit : « Il y a ici un autre esprit : son nom est Ida Rolf. Elle voudrait également 60 61 Ectoplasme : terme de biologie cellulaire, zone externe du cytoplasme d’une cellule .(NdT) La Gestalt-thérapie ou Gestalt : psychothérapie qui analyse l'expérience du "ici et maintenant" et la responsabilité personnelle. Elle se situe dans une optique dynamique et s'intéresse au « processus », à l'ajustement permanent entre un individu et son environnement. Cet ajustement est par définition en perpétuel changement. Commentaire [E94]: J’ai traduit le terme sans le trouver sur le web Commentaire [E95]: note Commentaire [E96]: si j’ai bien compris dernier paragraphe p 196 media perform ? media, les médias, ou les méduims ? media est le pluriel de meduim… Commentaire [E97]: par les médias ??? Commentaire [E98]: Olivier, tu peux voir ça sur You Tube son portrait, non pas telle qu’elle était au moment de sa mort mais au moment où elle avait quarante ans ». Ida Rolf était une autre figure légendaire d’Esalen. Biochimiste allemande, elle avait développé la technique de travail corporel qui porte son nom62. Elle avait vécu de nombreuses années à Esalen, à deux kilomètres des bâtiments principaux qui plus tard, après son départ devinrent notre résidence. Le portrait de Fritz le montrait tel qu’on se souvenait de lui ou tel qu’on le connaissait d’après ses photographies. Le portrait d’Ida, représentait bien une femme de quarante ans mais n’y avait aucune manière de vérifier son exactitude. Personne dans la communauté d’Esalen n’avait la moindre idée de l’apparence d’Ida Rolf à quarante ans, étant donné qu’elle était déjà âgée lorsqu’elle arriva d’Allemagne à Esalen. Dick Price le co-fondateur d’Esalen était fasciné par la représentation donnée par Luiz, mais plus particulièrement par les portraits des deux personnes de l’histoire d’Esalen que Luiz n’avait jamais rencontrés. Dick fit de nombreux efforts par la suite pour faire venir d’Allemagne une photographie d’Ida à l’âge de quarante ans. La photographie qui arriva finalement ressemblait de façon remarquable au portrait d’Ida depuis l’au-delà et constitua donc une preuve indiscutable des dons médiumniques de Luiz. Le psychomanteum de Moody et la transcommunication interdimensionnelle Raymond Moody décrit un processus intéressant et innovant pour se connecter aux défunts dans son livre Reunions, Visionary Encounters with Departed Loved-Ones. (Réunions : rencontres visionnaires avec les défunts bien-aimés). Ce projet lui fut inspiré par un complexe grec souterrain (psychomanteum) qui permettait aux visiteurs de voir des apparitions de leurs parents et amis décédés à la surface de l’eau contenue dans un grand chaudron de cuivre. Durant ses recherches préparatoires Moody passa en revue la littérature concernant les phénomènes tels que les boules de cristal et des phénomènes semblables . Puis il utilisa un grand miroir et des draps de velours pour créer un environnement spécial qui d’après lui pouvait faciliter les rencontres visionnaires avec les personnes défuntes et aimées. Moody rapporta des cas où les apparitions émergeaient du miroir et bougeaient librement dans la pièce comme des images holographiques en trois dimensions (Moody 1993). Une discipline fascinante appelée transcommunication instrumentale (TCI) vise au développement de la communication avec les esprits des personnes désincarnées. TCI, qui utilise la technologie électronique moderne, est née en 1959 lorsque le portraitiste, cinéaste et ornithologue amateur Friedrich Jürgenson enregistrait les sons d’oiseaux dans une forêt silencieuse. Jürgenson enregistra également sur son dictaphone des voix humaines qui appartenaient à des personnes décédées. Certaines de ces voix lui parlèrent directement, essayant de communiquer avec lui. Cet événement inspira en outre, le psychologue letton Konstantin Raudive qui entreprit une étude systématique et enregistra 100 000 voix paranormales qui s’exprimaient en plusieurs langues multilinguistiques qu’il identifia comme étant des messages de l’au-delà (Raudive 1971). Il est intéressant de noter que selon certaines sources Thomas Alva Edison aurait travaillé pendant de nombreuses années sur une machine permettant la communication avec le monde des esprits. Cependant Edison mourut en 1931 sans avoir publié ses notes. Plus récemment un réseau de chercheurs du monde entier comprenant entre autres Ernest Senkowski, George Meek, Mark Macy, Scott Rogo et Raymond Bayless a rassemblé ses efforts pour établir « des transcommunications interdimensionnelles » (Senkowski 1994). Ce groupe affirma avoir reçu beaucoup de communications paranormales et verbales ainsi que des images des défunts à travers les médias électroniques, les dictaphones, les téléphones, les fax, les ordinateurs et les écrans de télévision. Parmi les esprits qui communiquaient depuis l’au-delà on compte certains des NdT : 62 Rolfing : technique de massage global du tissu conjonctif, inventée par Ida Rolf Commentaire [E99]: je n’ai pas trouvé le mot scrying dans le dico. Il faisait partie de ces phénomènes énumérés Commentaire [E100]: il s’agit du terme en rigueur ( vérifié) Commentaire [E101]: chercheurs dans ce domaine aujourd’hui décédés tels que Jürgenson et Raudive, et qui tentent maintenant de prendre contact avec les vivants. Par ailleurs un esprit qui a pour nom « le Technicien » dessine des circuits électroniques afin de parfaire la communication interdimensionnelle avec l’au-delà et il transmet ces informations aux chercheurs terrestres (Senkowski 1994). Lors d’une conférence récente, Mark Macy a également décrit ses entretiens avec neuf êtres angéliques obtenus par la technologie de transcommunication interdimensionnelle (Macy 2005). Tout comme les observations issues des recherches thanatologiques concernant les expériences de mort imminente, ainsi que les informations obtenues sur les vies antérieures grâce aux enfants et aux adultes, notre savoir concernant la communication avec les entités désincarnées et les domaines astraux ne peut pas être considérée comme une « preuve de la survie de la conscience » après la mort. Cependant elles appartiennent à n’en point douter à la catégorie des « phénomènes anormaux » pour lesquels les paradigmes scientifiques modernes ne proposent aucune explication. Commentaire [E102]: pas exactment : who calls himself Commentaire [E103]: Il y’a peut –être un terme mais j’ai pas trouvé Commentaire [E104]: idem CHAPITRE 12 HISTOIRE DE LA THERAPIE PSYCHEDELIQUE AVEC LES MOURANTS « Les derniers rites devraient rendre plus conscients et non moins conscients, plus humains plutôt que moins humains » Aldous Huxley, auteur d’Ile et Le Meilleur des mondes MON EXPERIENCE PERSONNELLE avec les mourants est liée de près à la thérapie psychédélique avec l’acide d-lysergique et diethylamide (LSD-25), N ,N-dipropyltryptamine (DPT) et 3,4 methylenedioxyamphétamine (MDA). Même si ce traitement est issu des recherches de la thérapie pharmacologique et clinique, elle rassemble des procédés pratiqués dans de nombreuses cultures primitives. Les sources de la thérapie psychédélique remontent aux temps les plus reculés de l’histoire humaine, aux cérémonies de guérison de civilisations anciennes et même encore plus loin, aux rituels chamaniques. Plusieurs sources indépendantes de l’époque actuelle évoquent le fait que la thérapie psychédélique puisse soulager la souffrance de patients atteints de cancer. Ce chapitre résume quelques uns des apports majeurs dans ce domaine de recherches. Recherche éthnomycologique par Gordon et Valentina Pavlovna Wasson Valentina Pavlovna Wasson, pédiatre d’origine russe, fut la première à avoir l’intuition que les substances psychédéliques pouvaient avoir des propriété thérapeutiques pour les personnes condamnés. La contribution de Valentina et son mari Gordon Wasson à l’histoire psychédélique est fascinante et elle mérite toute notre attention. Gordon Wasson était semblait de primer abord la dernière personne susceptible de s’engager dans quoi que ce soit qui fut lié aux psychédéliques. Commentaire [E105]: Pas toruvé trad sur le web Gordon Wasson était banquier à New York et vice président de la Société de Trusts J.P. Morgan. L’histoire commence en 1927 pendant son voyage de noces avec sa jeune épouse aux Montagnes Catskill. Au cours de l’une de leurs promenades en forêt Valentina Pavlovna cueillit quelques champignons sauvages qu’elle prépara pour le dîner. Comme on pouvait s’y attendre la part d’un Anglo-Saxon, Gordon était mycophobe (terme qu’il inventa plus tard pour désigner les personnes qui pensent que les champignons comestibles sont ceux qui se trouvent uniquement dans les supermarchés et qui qualifient les champignons sauvages de « nourriture à crapauds »). Il était terrifié à l’idée de manger des champignons sauvages et il tenta d’en dissuader sa femme, mais sans succès. Valentina qui était mycophile (le terme que Gordon utilisa pour qualifier ces personnes d’Europe Centrale qui se régalaient en mangeant des champignons sauvages) prépara un délicieux dîner avec pour ingrédient principal les champignons sauvages. Gordon les goûta à contre-cœur et il trouva cela délicieux. Le matin suivant, en découvrant à sa grande surprise qu’ils étaient tous les deux en vie et bien-portants, il eut une conversation d’une importance cruciale de mycophobe à mycophile. Cette expérience éveilla en lui un profond intérêt pour les champignons qui se prolongea durant tout le reste de sa vie et il devint dès lors éthnomycologue amateur de notoriété mondiale. Gordon et Valentina passèrent ensuite vingt ans à étudier le rôle que les champignons avaient joués dans l’histoire de l’humanité, l’archéologie, les différentes religions, le folklore et la mythologie. Leurs recherches extensives culminèrent dans un travail colossal : Mushrooms, Russia and History (les Champignons, la Russie et l’Histoire Wasson et Wasson 1957), dans lequel les Wasson concluaient que l’adoration pour les champignons était une composante significative de la vie religieuse à l’époque préhistorique dans la majeure partie de l’Eurasie et des Amériques. Ils étaient particulièrement fascinés par l’usage rituel du champignon psychoactif Amanita muscaria par les chamanes des peuples Fino-Ougrariens et des autres peuples nordiques de l’Eurasie. Cet intérêt les conduisit finalement à découvrir l’usage rituel des champignons « magiques » dans les cultures pré-hispaniques et dans l’Amérique Centrale d’aujourd’hui. Après trois voyages dans les plaines du Mexique, ils découvrirent Maria Sabina, la curandera (guérisseuse) Mazatèque, qui utilisait dans ses rituels de guérison les champignons psychoactifs appelés teonanacatl, ou chair des dieux en Amérique Centrale. En juin 1955, les Wasson et leur ami le photographe new yorkais Allan Richardson, devinrent les premiers occidentaux autorisés à participer aux rituels ou velada de Maria Sabina. Mushrooms, Russia and History rendait compte de la première entrevue des Wasson avec Maria Sabina et de leur expérience avec les champignons magiques. Les Wasson furent profondément impressionnés par les puissants effets des champignons qu’ils avaient goûtés dans la velada de Maria Sabina. En 1957 Valentina Pavlovna donna une interview, qui fut publiée dans le magazine de Baltimore, This Week, sur l’histoire de leur découverte et sur son expérience personnelle après ingestion de teonanacatl (Wasson 1957). Dans cette interview, elle disait que si l’on parvenait à isoler et à produire en quantités suffisantes l’agent actif, il deviendrait un outil crucial pour l’étude de la psyché humaine. Elle affirma également qu’au fur et à mesure que cette drogue serait mieux connue, on trouverait ses utilisations médicales : notamment pour le traitement de l’alcoolisme, des addictions aux drogues, des désordres mentaux ou autres maladies mentales associées à des douleurs sévères. Valentina ne dut pas attendre longtemps pour que son extraordinaire prédiction devienne réalité. Roger Heim, un célèbre mycologue français dont les Wasson sollicitèrent l’aide, identifia que les champignons teonanacatl faisaient partie de la famille botanique Psilocybe mexicana . Il envoya des échantillons aux laboratoires de la compagnie pharmaceutique suisse Sandoz afin qu’ils les analysent. Dans un tour de force chimique, Albert Hofmann qui avait découvert le LSD, parvint à identifier deux alcaloïdes actifs responsables de l’effet des champignons Psilocybe : psilocybine et psilocine. Sandoz produisit de grandes quantités de dragées à partir des deux nouveaux psychédéliques et les rendit disponibles pour les laboratoires et la recherche clinique. Ainsi que nous le décrivons plus loin, quelques années plus tard une équipe de chercheurs travaillant à Baltimore testa la validité de l’hypothèse émise par Valentina Pavlovna. Un groupe de psychiatres et de psychologues au Centre de Recherche Psychédélique du Maryland qui n’avaient pas eu connaissance de l’article dans This Week lancèrent une série d’études systématiquement contrôlées de thérapie psychédélique avec du LSD, drogue liée de près à la psilocybine, pour traiter les désordres proposés par Valentina Pavlovna : alcoolisme, addictions aux drogues narcotiques, névroses et patients en phase terminale de cancer (Grof 1980). J’ai été moi-même très surpris de découvrir l’article de presse avec l’interview de Valentina dans la bibliothèque de Gordon Wasson en 1974, lors d’une visite chez eux en Nouvelle-Angleterre. Apports d’Aldous Huxley63 L’autre pionnier à préconiser l’utilisation des psychédéliques avec les individus mourants n’était ni médecin, ni thérapeute, mais l’écrivain Aldous Huxley64. Les expériences personnelles de Huxley au LSD et à la mescaline éveillèrent en lui une fascination envers les expériences religieuses et mystiques ainsi qu’envers la mort. En 1955, il utilisa ses connaissances pour aider sa première Maria qui était en train de se mourir d’un cancer. Formé à l’hypnose, Huxley soulagea ses dernières heures en utilisant l’induction hypnotique d’une façon très particulière. Lorsqu’elle était en état de transe, il l’aida à retourner aux expériences extatiques qu’elle avait spontanément vécues plusieurs fois au cours de sa vie. Le but de Huxley était de faciliter sa mort en la guidant vers des états de conscience mystiques à mesure que sa fin approchait. Huxley utilisa les souvenirs de ces procédés extraordinaires dans son roman Ile, pour décrire de manière émouvante la mort de Lakshmi, un de ses personnages principaux (Huxley 1963). Huxley écrivit une lettre à Humphry Osmond, le psychiatre et pionnier de la recherche psychédélique qui lui avait fait connaître le LSD et la mescaline, dans laquelle il disait : « Ma propre expérience avec Maria m’a convaincu que les vivants pouvaient faciliter le passage aux mourants d’une façon incommensurable élevant ainsi l’acte le plus pur de l’existence humaine au niveau de la conscience et peut-être même à la spiritualité ». Il ne fait aucun doute à ceux qui connaissent les effets des drogues psychédéliques et l’histoire personnelle de Huxley, que « soma » dans son livre Le Meilleur des mondes et le « médicament moksha » dans l’Ile sont des substances psychédéliques ayant des effets semblables aux LSD, mescaline et psilocybine. Dans l’œuvre de Huxley, « moksha » provoque aux habitants de l’île des expériences mystiques qui les libèrent de la peur de la mort et qui leur permettre de vivre de manière plus détachée. Dans une autre lettre à Humphrey Osmond écrite en février 1958, Huxley s’est montré assez explicite par rapport à son idée d’utiliser le LSD avec les individus mourants : « … encore un autre projet - l’administration de LSD aux patients en phase terminale du cancer- dans l’espoir que la mort devienne un processus plus spirituel et moins physiologique ». D’après sa seconde épouse, Laura, Huxley, aurait dit à plusieurs reprises que « les derniers rites [devaient] rendre plus conscients et non moins conscients, plus humains plutôt que moins humains ». En 1963, alors qu’il se mourait lui-même d’un cancer, Huxley démontra le caractère sérieux de son opinion. Plusieurs heures avant sa mort, il demanda à Laura de lui donner 100 microgrammes de LSD afin de faciliter sa transition. Cette expérience émouvante fut plus tard rapportée par Laura dans son livre This Timeless Moment (Cet Instant Eternel Laura Huxley, voir l’appendice). Malgré cet exemple personnel unique, la recommandation de Huxley n’eut aucune influence sur les chercheurs et ce, pendant plusieurs années. Etudes d’Eric Kast sur les propriétés analgésiques du LSD Un autre apport majeur à la thérapie psychédélique avec les mourants provint d’une source plutôt inattendue sans rapport avec l’idée pionnière et les efforts de Huxley. Au début des années 63 Pour lire la description de l’écrivain sur la mort de son épouse Maria, se référer à l’appendice. (NdT) 64 1894-1963 Commentaire [E106]: dates Commentaire [E107]: pas trouvé la citations ur me web Commentaire [E108]: soma en fait est la fameuse drogue utilisée par les hindous comme kykeon chez les grecs : si on pouvait mettre des notes de bas de page – je les laisse au cas où pour toi- ce serait bien de le préciser, car je suis certaine qu’il n’a pas choisi ce nom au hasard. Commentaire [E109]: Libération en sanscrit Commentaire [E110]: Mescaline et psilocuybine sont du LSD n'est ce pas? Sinon il faut mettre des atricles devant. Commentaire [E111]: Commentaire [E112]: Olivier, si tu as fait des changements dans la citation qui ouvre la chapitre, il faut harmoniser celle ci. Et par ailleurs, cette ciation revient encore en appendice. 1960, Eric Kast de l’Ecole Médicale de Chicago, en quête d’un analgésique efficace et fiable étudia les effets de plusieurs drogues sur la douleur. Il voyait le LSD comme un candidat possible en raison de certaines particularités de son effet sur les humains. Chez certains de ses utilisateurs, le LSD altérait à la fois la perception du corps et libérait de ses limites Par ailleurs, il semblait également interférer dans la capacité à se concentrer et à maintenir une attention sélective sur des sensations physiologiques particulières. Kast émit l’hypothèse que les seules impressions visuelles des individus qui étaient sous l’influence de LSD étaient à même de l’emporter sur les sensations de douleur ou sur les préoccupations liées à la survie. L’effet du LSD sur l’image du corps et son effet sur des points précis où il était administré semblaient donc dignes d’être explorés en raison de son potentiel d’altération de la douleur physique. Kast et Collins ont conduit une étude qui comparait les propriétés analgésiques du LSD à celles de deux drogues narcotiques puissantes reconnues : dihyrdromorphinone (dilaudid) et meperidine (démerol) (Kast et Collins 1964). Le groupe de cinquante personnes souffrant de douleurs physiques comprenait trente neuf patients avec plusieurs types de cancers à des phases différentes, dix patients souffrant de gangrène aux pieds ou aux mains et un avec un herpès sévère. Les analyses statistiques de cette comparaison indiquaient que l’effet analgésique du LSD était supérieur à la fois à ceux du Dialaudid et à ceux du Demérol. Outre le soulagement de leur douleur, certains individus cessèrent de dramatiser la gravité de leur situation personnelle. Ils parlaient fréquemment de leur mort imminente avec une maîtrise émotionnelle considérée comme étrangère à notre culture. Cependant il était assez évident que cette nouvelle perspective était bénéfique vu la situation qu’ils vivaient. Dans une étude postérieure portant sur cent vingt huit individus avec cancer métastatique, Kast examina quelques unes de ses conclusions antérieures plus en détail (Kast 1964). Cette fois, il se concentra non seulement sur les effets que le LSD avait sur la douleur mais également sur des paramètres émotionnels supplémentaires : les changements émotionnels, les schémas de sommeil et les manières d’appréhender la maladie et la mort. Si l’on prend en compte le fait que l’accent n’était pas mis sur les effets psychothérapeutiques et que les patients n’étaient même pas informés du fait qu’il leur avait été administré du LSD, les résultats étaient assez remarquables. Environ deux ou trois heures après l’administration de cent microgrammes de LSD, de nombreux patients vécurent un soulagement de douleur radical qui dura en moyenne douze heures. L’intensité de la douleur du groupe dans son ensemble (donc pas nécessairement pour chaque personne) diminua pendant une période de trois semaines. Pendant les dix jours qui suivirent la séance, Kast observa des améliorations dans la qualité du sommeil et remarqua que les patients étaient moins soucieux de leur maladie et de leur mort imminente. En 1966, Kast publia un autre essai dans lequel il accorda une attention plus explicite à l’influence du LSD sur les expériences et les opinions religieuses et philosophiques des patients (Kast 1966). Le groupe qu’il étudiait était composé de quatre vingt personnes dont il avait connaissance du diagnostic dans sa totalité, qui souffraient de maladies mortelles en phase terminale avec des espérances de vie allant de quelques semaines à quelques mois. Contrairement aux études précédentes, les séances de LSD se terminèrent par des injections intraveineuses de cent milligrammes de chlopromazine en vue de traiter l’apparition de la peur, de la panique, des images déplaisantes ou le désir de repos. L’influence bénéfique d’une seule administration de cent milligrammes de LSD sur la douleur physique, le moral et les schémas de sommeil était semblable aux études précédentes. Par ailleurs, Kast décrivit de nombreux changements chez les patients qui rendaient leur situation plus tolérable. Il remarqua une amélioration dans la communication à la fois entre l’observateur et les patients ainsi que parmi les patients eux-mêmes. Cela exalta leur moral et leur respect pour eux-mêmes, et créa un sentiment de cohésion et de communauté au sein du groupe. On nota en outre l’apparition significative de « sentiments heureux et océaniques » se prolongeant douze jours après l’administration de LSD. Kast rapporta également quelques résultats qualitatifs qui n’étaient pas reflétés par ses graphiques et ses chiffres, à savoir que les croyances philosophiques et religieuses de ses patients avaient changées, tout comme leur attitude envers la mort. Malgré quelques limites dans le Commentaire [E113]: Si j’ai bien compris : produced a marked distortion of the body image and alterations of the body boundaries Commentaire [E114]: a vérifier de très près Commentaire [E115]: J’imagine donc qu’il s’agit de maîtrise: le texte dit attitude, mais je trouvait pas ça super en français Commentaire [E116]: Tu pense qu’il veut dire ses staitiques ? protocole expérimental de Kast, la valeur historique de ses efforts pionniers est indiscutable. Non seulement il découvrit la valeur analgésique du LSD chez les patients souffrant de douleur incommensurable, mais il apporta également des preuves expérimentales à l’idée d’Aldous Huxley selon laquelle l’administration de LSD aux personnes souffrant de cancer, pouvait faciliter leur façon d’aborder la mort. Kast conclut la dernière de ses études en faisant remarquer que non seulement le LSD peut améliorer le sort des individus mourants en les rendant plus réceptifs à leur environnement et à leur famille, mais qu’il augmente en outre leur capacité à apprécier les nuances et les subtilités de la vie quotidienne. Cela leur apporte une satisfaction esthétique et crée une « nouvelle envie de vivre et un goût de l’expérience qui, face à une perspective d’obscurité et de peur, offre une perspective prometteuse » (Kast 1966). Recherche de thérapie psychédélique par Cohen et Fisher Les résultats encourageants des études de Kast ont incité Sidney Cohen, ami d’Aldous Huxley et éminent psychiatre de Los Angeles, également pionnier dans la recherche sur le LSD, à démarrer un programme de thérapie psychédélique pour les patients mourant du cancer. Malheureusement les résultats de son étude et les détails de ses protocoles de traitement n’ont jamais été publiés. Dans un article datant de 1965, Cohen exprima son opinion quant au potentiel de la thérapie psychédélique pour les mourants. Il se fondait sur ses expériences pilotes avec un petit groupe de patients (Cohen 1965). Il affirma que son propre travail confirmait les résultats des recherches de Kast, selon lesquelles le LSD avait des effets bénéfiques sur les douleurs physiques sévères. Il émit l’hypothèse selon laquelle le LSD pourrait un jour fournir une technique pour altérer l’expérience des mourants. Cohen estimait hautement le sens de ses recherches : « La mort doit devenir une expérience plus humaine. L’un des plus grands dilemmes de la médecine moderne est de préserver la dignité dans la mort et d’empêcher les vivants d’abandonner ou de prendre leurs distances avec les personnes mourantes ». Le collaborateur de Cohen, Gary Fisher, publia plus tard un essai sur les problèmes personnels et interpersonnels des mourants, dans lequel il insistait sur la signification des expériences transcendantales, qu’elles soient spontanées, résultant de plusieurs pratiques spirituelles ou produites par des drogues psychédéliques (Fisher 1970). La conséquence d’expériences telles sur le malade est qu’il cesse de se préoccuper de sa mort physique et qu’il la voit comme un phénomène naturel formant partie du cycle de la vie. Cette acceptation modifie de manière drastique le style de vie d’une personne : le patient ne réagit plus avec panique, peur, douleur ou dépendance aux changements qui ont lieu. Il a au contraire envie de partager ses nouvelles connaissances avec ses parents proches ou avec ses amis. Fisher traita de l’utilisation de la thérapie de LSD dans le cadre d’un projet de recherche où cette drogue était comparée à un analgésique expérimental et où on ne disposait que d’une heure pour préparer les patients à la séance. Malgré ces limites imposées, il observa des résultats radicaux dans la réduction de la douleur, des effets secondaires psychologiques et dans l’adaptation des patients à leur mort imminente. Psychothérapie psychédélique à l’Institut de Recherches Psychiatriques de Prague Une autre série d’observations, intégrées par la suite dans des thérapies psychédéliques pour les mourants, débutèrent à l’Institut de Recherche Psychiatrique de Prague en Tchécoslovaquie ; j’étais le principal chercheur au sein d’un programme de recherche destiné à étudier les effets du LSD et de la psilocybine dans la psychothérapie assistée. En 1960, notre équipe entreprit des expériences avec les patients psychiatriques pour explorer le potentiel de ces substances dans les diagnostics de personnalité et dans la psychothérapie. Cette recherche nécessita un travail psychologique intense et une série de séances thérapeutiques avec des dosages moyens de LSD et psilocybine. Cette approche était initialement fondée sur la théorie et la pratique de la psychanalyse freudienne. Cependant, au fil des ans, notre approche de recherche fut modifiée Commentaire [E117]: Le texte dit « might ease their encounter with death” radicalement et devint un processus thérapeutique indépendant qui comprenait un travail à la fois sur les thèmes liés à la naissance (périnataux) et transpersonnels, en plus des problèmes psychodynamiques biographiques. Il devint rapidement évident que lorsque la psychothérapie était combinée à l’administration de psychédéliques, tous nos patients quel que soit leur diagnostic, transcendaient tôt ou tard le domaine de la vie postnatale et de l’inconscient individuel. Le processus de leur auto-exploration personnelle allait spontanément aux domaines qui se situent bien au-delà des frontières étroites de la psyché telle qu’elle est définie par Freud. A notre grande surprise souvent teintée d’une certaine consternation intellectuelle, nous fûmes les témoins d’un phénomène largement décrit au fil des millénaires à la fois dans bien des cultures préindustrielles mondiales dans le contexte procédés chamaniques, dans de nombreuses traditions mystiques, dans les mystères des temples et dans les rites de passage. Le plus commun et le plus important de ces phénomènes était lié aux expériences de mort et de renaissance, souvent suivies par des sentiments d’unité cosmique. Cette profonde rencontre avec sa propre impermanence et sa mortalité était très complexe ; elle avait en outre des répercutions biologiques, émotionnelles, intellectuelles, philosophiques et spirituelles. Ces expériences semblaient avoir des effets très bénéfiques sur les symptômes émotionnels et psychosomatiques de mes clients, y compris chez ceux qui n’avaient jusqu’à présent réagi à aucune des thérapies conventionnelles. A la suite d’épisodes tels de mort et de renaissance psychospirituelles et plus particulièrement après les expériences d’unité avec l’Univers, plusieurs conditions psychopathologiques chez les patients s’améliorèrent presqu’immédiatement. Ces observations révélèrent l’existence de mécanismes thérapeutiques puissants encore inconnus de la psychiatrie et de la psychologie occidentales pourvues d’un potentiel de guérison et de transformation bien supérieur à ceux que la psychothérapie et la pharmacothérapie conventionnelles avaient à offrir. De nombreux patients ayant vécu une expérience de mort et de renaissance psychospirituelles rapportèrent que leur attitude à l’égard de la mort et la conception qu’ils en avaient se transformèrent radicalement. La peur à l’égard de leur mort physiologique diminua, et ils devinrent ouverts à la possibilité de l’existence de la conscience après leur mort clinique. Ils avaient tendance à voir le fait de mourir comme une aventure dans la conscience plutôt que comme leur défaite personnelle ou un ultime désastre biologique. Deux patients souffrant de thanatophobie sévère (c’est à dire d’une peur pathologique de la mort) vécurent des changements étonnants. Au cours de nos recherches, nous fûmes plusieurs fois témoins d’un processus étonnant qui ressemblait de près aux pratiques initiatiques dans les anciens mystères de la mort et de la renaissance et qui impliquaient souvent des enchaînement d’événements semblables à celles décrites dans les livres Tibétains ou Egyptiens des Morts. Les comptes-rendus des attitudes altérées envers la mort étaient si fréquentes et profondes qu’il semblait important de tester leur pertinence pratique. Il était évident que de tels changements dans l’attitude envers la mort pouvaient être tellement bénéfiques aux mourants, plus particulièrement ceux présentant des maladies chroniques incurables. J’ai donc décidé de faire des séances au LSD avec plusieurs patients cancéreux. Les observations pilotes indiquaient que le soulagement de la peur de la mort que j’avais observé chez mes patients psychiatriques, jeunes pour la plupart et physiquement sains, pouvait aussi advenir chez des individus où le problème de la mort était imminent. A ce moment-là, le groupe de Prague commença à discuter sérieusement de la possibilité de travailler de façon systématique avec des personnes mourantes, et j’ai alors mis au point un programme de recherches utilisant des séances de LSD avec des patients en phase terminale de cancer. Premières recherches psychédéliques à l’Hôpital Public de Spring Grove Ces plans furent interrompus lors de ma visite en 1965 aux Etats-Unis, date à laquelle la Fondation de Recherches en Psychiatrie à New Haven m’offrit une bourse pour passer un an à Baltimore, Maryland, en qualité de chercheur clinique à l’Université de John Hopkins. Mon hôte et Commentaire [E118]: Postnatal biography : peut être que biographie est bien le terme ici. Biographie postnatale ?? nouveau chef, le Docteur Joel Elkes, à la tête de la Clinique Psychiatrique Henry Philips à John Hopkins, m’invita à démarrer un programme de thérapie psychédélique. Malheureusement juste avant mon arrivée à Baltimore, Maimon Cohen et ses collègues publièrent les résultats de leurs recherches qui indiquaient que le LSD faisait partie des substances pouvant causer des changements structurels dans les chromosomes des globules blancs (Cohen, Marinello et Back 1967). Leur essai fut découvert par des journalistes de la presse à scandale qui lancèrent une énorme campagne de médias les mettant en garde les utilisateurs de LSD contre ses effets dommageables sur les générations futures. Les journalistes qui avaient initié cette campagne médiatique négligèrent le fait que dans son essai Cohen décrivait une expérience dans un tube-test (c’est-à-dire in vitro) et non avec des êtres humains, et qu’en outre il avait déjà rapporté des changements chromosomiques structurels dans des expériences comprenant d’autres substances communément utilisées, comme l’aspirine, la caféine et les antibiotiques à base de tétracyline. Ils firent par ailleurs des extrapolations nonfondées à partir de cette expérience in vitro et parlèrent des effets mutagéniques teratogéniques et carcinogéniques du LSD et du fait que le LSD pourrait être à l’avenir la cause de la claustrophobie . Toutes ces affirmations aléatoires se sont avérées fausses et furent désapprouvées par les recherche postérieures. Mais la publicité adverse créa une hystérie nationale au détriment des recherches sur le LSD, déjà sévèrement affectées par les usages massifs non contrôlés de la jeune génération. Dans ces conditions, le Docteur Elkes décida d’annuler sa décision d’entreprendre un nouveau projet LSD à John Hopkins. Cependant, par une extraordinaire coïncidence, le seul projet de psychothérapie de LSD aux Etats-Unis ayant survécu aux sévères mesures légales et administratives faites pour pallier l’utilisation de masse non contrôlée, se trouvait à l’Hôpital d’Etat de Spring Grove à Baltimore. Etant donné les nouvelles circonstances, le Docteur Elkes me proposa un changement dans le programme de ma collaboration : au lieu de créer un nouveau programme de recherche à John Hopkins, j’allais devoir donner des cours à l’université et me joindre à l’équipe de Spring Grove pour participer à leur programme de recherches. Lors de ma première rencontre avec l’équipe de Spring Grove, j’ai été surpris de voir que la plupart des discussions tournaient autour des perspectives que la psychothérapie au LSD offrait dans le soulagement la souffrance émotionnelle et physique des patients atteints de cancers. L’équipe de recherches s’était déjà intéressée à ce domaine en 1963, lorsqu’un groupe constitué de psychiatres, psychologues et assistants sociaux de Spring Grove avait exploré les effets d’un petit cours de psychothérapie au LSD sur le comportement, la condition psychologique et l’insertion sociale des alcooliques. Dans une étude parallèle, le potentiel thérapeutique de ce nouveau traitement avait été testé chez un groupe de patients névrosés. Les évaluations postérieures de suivi -clinique fondées sur les entretiens cliniques ainsi que sur une série de tests psychologiques (l’Inventaire de Personnalité Multiphasique de Minnesota IPMM, l’Inventaire Personnel d’Orientation de Shostrom IPO, le Test de la Tâche d’Encre Rorschach entre autres) montrèrent que la dépression et l’anxiété étaient les symptômes que à la thérapie psychédélique traitait le plus efficacement. Le Cas de Gloria Alors que ces études avec les alcooliques et les névrotiques allaient bon train, un événement tragique attira l’attention de l’équipe de recherche sur les besoins émotionnels des patients atteints de cancers. On diagnostiqua à l’un des membres de l’équipe, Gloria, une femme dans la petite quarantaine, un cancer du sein. La tumeur était déjà dans un état très avancé lorsqu’on la découvrit. On lui fit une mastectomie totale et la biopsie qui suivit révéla des métastases inopérables dans son foie. A la maladie physique de Gloria s’ajoutait la dépression émotionnelle. Gloria était complètement consciente de sa condition et de son pronostique et elle fit part de ses sentiments de désespoir aux autres membres de l’équipe. Sid Wolf, psychologue et membre de l’équipe thérapeutique proposa une séance avec un dosage élevé de LSD pour soulager l’anxiété et la dépression de Gloria, tout comme cela avait été fait pour les alcooliques. Commentaire [E119]: Je ne connais pas ces substances, ma tournure est elle correcte ? Commentaire [E120]: Traduction à partir de l’anglais : je n’ai pas été vérifier Commentaire [E121]: LSD-assisted psycho… L’équipe de Spring Grove décida de tenter une séance de LSD, tout en étant totalement consciente que la condition émotionnelle de Gloria était différente de la dépression et de l’anxiété présentes chez les alcooliques, en cela qu’il s’agissait d’une réaction à un mal-être physique dû à une maladie mortelle incurable. Après maintes discussions avec le mari de Gloria, son médecin et après avoir obtenu l’approbation de toutes les personnes concernées, nous débutâmes un cours de thérapie psychédélique avec Sidney Wolf comme accompagnateur. Dans son travail avec Gloria, Sid suivit la démarche utilisée par l’équipe de Spring Grove dans le traitement des patients psychiatriques. La préparation de la dernière séance dura environ une semaine. Les entretiens quotidiens qui avaient lieu à ce moment-là se concentraient sur l’histoire personnelle et les relations interpersonnelles présentes. Au cours de la séance d’entretiens précédant l’administration de LSD, le thérapeute mit au clair tous les problèmes importants liés aux effets de la substance et donna toutes les instructions nécessaires à la séance. L’objectif premier de cette démarche était de faciliter l’accueil d’une profonde expérience spirituelle (« expérience de pic psychédélique») dans le cadre de cette psychothérapie intense quoique brève. Le matin du jour de la séance, Gloria ingéra 200 milligrammes de LSD. Elle passa la majeure partie de la journée allongée sur le canapé dans la salle de traitement avec les yeux couverts et des écouteurs à écouter de la musique stéréo en son haute fidélité. Sid resta avec elle pendant l’heure précédant la prise de la substance et jusqu’à tard dans la soirée. Pendant les cinq premières heures, il changea la musique et supervisa l’ensemble à des intervalles réguliers. Plus tard au cours de la séance, il lui parla et l’aida à intégrer l’expérience. L’issue de cette expérience pionnière fut extraordinaire et elle dépassait de très loin les attentes de l’équipe de chercheurs. La qualité des derniers jours de vie de Gloria en fut grandement améliorée. Peu après la séance de LSD, Gloria partit en vacances avec son mari et ses enfants. Lorsqu’elle revint, deux semaines après la séance, elle rédigea le rapport rétrospectif suivant : Le jour avant mon ingestion de LSD, j’avais peur et j’étais anxieuse. A ce momentlà il s’en est fallu de peu que je ne fasse marche arrière. A la fin de la séance préparatoire, pratiquement toute mon anxiété avait disparu. Les instructions furent bien assimilées et le processus était clair. J’ai passé la nuit calmement à la maison. Des amis proches m’ont rendu visite, nous avons regardé des albums photo et nous sommes rappelés les bons souvenirs de famille. Mon sommeil fut profond et paisible. Je me suis réveillée rafraîchie et sans pratiquement aucune peur. La matinée était superbe et l’air était frais. Je suis arrivée au bâtiment de LSD avec le thérapeute. Les membres du département étaient tout autour pour me souhaiter que bonne chance. C’était une sensation agréable. Dans la salle de traitement il y avait un beau bouton de rose, rouge et velouté qui était malheureusement, d’une variété moins odorante que les autres. Un bol de succulents fruits frais était également posé sur la table. On me donna immédiatement la première dose et je me suis assise pour regarder les images de mon album de famille. Graduellement mes mouvements se brouillèrent et je me suis sentie bizarre. On me demanda de m’allonger et on me donna des écouteurs en me couvrant les yeux. A ce moment-là on m’administra la seconde dose de LSD. Cette phase était généralement associée à de l’impatience. On m’avait donné des instructions en cas de douleur, de peur, ou autres difficultés de ce type. J’étais prête à mettre à l’épreuve mes capacités à affronter l’inconnu devant moi et à triompher des obstacles. J’y étais préparée mais exception faite des sensations physiques bizarres et des étourdissements, il ne se passa rien d’autre. A ce moment-là il me sembla me fondre à la musique qui me transportait. Je faisais tellement une avec la musique que quand une mélodie ou le disque s’arrêtait, je vivais l’attente avec impatience Un jeu délicieux était en train de se jouer. Qu’allait-il se passer ensuite ? La musique serait-elle puissante, tendre, dansante ou sombre ? J’avais l’impression qu’on me taquinait, mais d’une façon si agréable, tellement suave !. J’avais envie de rire de plaisir, peu soucieuse de l’endroit où je me trouvais, de ma tristesse Commentaire [E122]: Ça a un rapport avec le famauxPIc en Darien? antérieure ou de mon émerveillement. Dès que la musique commençait, je repartais. Je n’ai pas souvenir de toutes ces explorations. Je me souviens surtout de deux expériences. J’étais seule dans un monde éternel sans frontières. Il n’y avait pas d’atmosphère. Il n’y avait pas de couleur, pas d’imagerie, mais il se peut qu’il y ait eu de la lumière. Soudain j’ai réalisé que j’étais moi-même un fragment de temps, créée par ceux qui m’avaient précédée, et que j’étais à mon tour la créatrice d’autres personnes. J’avais fait mon temps et ma fonction principale était parvenue à son terme. Ma naissance avait donné un sens à l’existence de mes parents. De nouveau dans le vide ; seule hors des limites de l’espace et du temps. La vie se réduisait au plus petit dénominateur commun. Je ne me souviens pas de la logique de l’expérience, mais j’ai compris que l’mour est au cœur de la vie. A ce moment-là, j’ai eu la sensation que je m’ouvrais au monde entier à toutes les personnes et plus spécialement à mes proches. J’ai longtemps pleuré les années gâchées, la recherche de mon identité à des endroits vains, les opportunités manquées, l’énergie émotionnelle perdue poursuivre des quêtes absurdes. Plusieurs fois, après des moments de répit, je suis revenue, mais toujours vers des variations du même thème musical. La musique m’emportait et me soulevait. Parfois au cours des moments de pause, j’avais conscience de l’odeur des pêches. La rose n’égalait en rien le fruit. Le fruit était du nectar et de l’ambroisie (la vie) ; la rose n’était qu’une belle fleur. Lorsqu’on me donna une nectarine, ce fut là la quintessence d’une saveur aussi succulente que subtile. Lorsque j’ai commencé à émerger de nouveau, je fus transportée vers un monde frais où le vent soufflait. Les membres du département me souhaitèrent la bienvenue et j’ai éprouvé de la joie non seulement pour moi, mais parce que j’avais réussi à utiliser cette expérience que les personnes qui m’aimaient voulaient que je vive. Je me suis sentie proche d’un grand nombre de personnes. Plus tard lorsque les membres de ma famille arrivèrent, la proximité semblait toute nouvelle. Cette soir-là mes parents sont arrivés euxaussi chez moi,. Ils ont tous remarqué qu’une grande transformation s’était opérée en moi. J’étais radieuse, je semblais sereine, disaient-ils. J’éprouvais moi aussi un sentiment de paix. Qu’est-ce donc qui avait changé en moi ? Maintenant je vis, et je suis. Je vais prendre les choses comme elles sont. Certains de mes symptômes physiques sont partis - la fatigue excessive, certaines douleurs. Je suis parfois irritée, et je hurle. Je suis toujours moi, mais je suis davantage en paix. Ma famille ressent cela et nous sommes plus proches. Tous ceux qui me connaissent bien disent que cela a été une expérience bénéfique. Cinq semaines après cette séance, Gloria a soudain développé des ascites (des accumulations de fluides séreux dans la cavité abdominale) et elle a dû être ré-hospitalisée. Elle est décédée trois jours plus tard dans un état plutôt tranquille. Le résultat de cette expérience de Sidney Wolf fut tellement encourageant que le personnel de Spring Grove décida d’explorer plus avant le potentiel de la thérapie psychédélique dans le soulagement des souffrances des patients se mourant du cancer. Un groupe de chirurgiens ouverts d’esprit à l’hôpital de Sinaï de Baltimore exprima son intérêt pour cette procédure, et nous offrit de collaborer. Ces chirurgiens nous envoyèrent des patients en thérapie de LSD. Après la séance de Gloria, Sandy Unger, un psychologue qui avait joué un rôle important dans le lancement des études sur les alcooliques et les névrotiques dirigea des séances de LSD avec trois autres patients cancéreux. L’Initiative de Walter Pahnke et son rôle dans le programme de Spring Grove Walter N. Pahnke, qui rejoignit l’équipe de Spring Grove à l’automne de 1967 fut l’initiateur de la suivante étape conséquente dans le développement du programme de thérapie psychédélique avec les patients cancéreux. Au chapitre onze, j’ai évoqué sa mort tragique au cours de la description de la séance psychédélique de son épouse, Eva. Walter était un psychiatre qui rejoignit l’histoire des psychédéliques en 1962, lorsqu’il dirigea sa célèbre expérience Good Friday (Vendredi Saint) dans la chapelle Marsh de l’Université de Boston, visant à enquêter sur le potentiel des substances psychédéliques afin de faciliter les expériences mystiques. Il administra de la psilocybine à un groupe d’étudiants protestants, et il put ainsi démontrer que comparé aux autres sujets, ceux qui avaient reçu de la psilocybine avaient vécu de manière plus intense le phénomène rapporté par les mystiques (Pahnke 1963). Walter était diplômé de l’Université Médicale de Harvard, et il était également titulaire d’un doctorat en religion comparée et un diplôme en religion. Sa formation éducative faisait de lui la personne idéale pour ce genre de travail : grâce à sa formation à la fois en médecine, en psychologie et en religion, il était mieux qualifié que quiconque pour diriger la thérapie psychédélique avec les patients mourants. C’est Walter qui transforma les premiers tâtonnements des expériences avec les patients cancéreux, en une étude pilote à part entière, pour parvenir finalement à en faire un programme de recherche étendu. Avec une énergie, un enthousiasme, et une dévotion rares, il devint le principal enquêteur au sein du projet. Il réussi en outre à obtenir l’appui financier nécessaire au lancement d’un programme de recherches explorant la valeur de la thérapie au LSD pour les patients en phase terminale de cancers, de la fondation de Mary Reynolds Babcock. En juillet 1971, la vie de Walter et sont travail se sont conclus de façon abrupte par un accident tragique lorsqu’il était en vacances avec sa femme et ses enfants dans le Maine. Mis à part sa passion pour les recherches sur la conscience, Walter avait d’autres centres d’intérêt et des loisirs qu’il poursuivait avec une énergie et un enthousiasme égaux. Il irradiait d’une joie de vivre hors du commun : c’était également un motard et un skieur hors-pair. Peu avant ses vacances dans le Maine, il rajouta à la longue liste de ses activités la plongée sous-marine. Sa cabine étant située au bord de l’océan, elle était idéale pour son nouveau hobby. Comme il débutait, il utilisait un matériel d’occasion qu’il avait acheté à l’un de ses amis, et, il s’aventura dans l’Océan Atlantique pour « une brève séance de plongée avant le déjeuner » sans marqueur. Il n’en est jamais revenu. Son corps et son équipement de plongée n’ont jamais été retrouvés. La nature de son accident est demeurée un mystère et ce, malgré les efforts groupés des gardes côtiers et de célèbres voyants entre autres . La mort de Walter a constitué une perte considérable pour l’équipe de Spring Grove, tant sur le plan humain que professionnel. J’avais travaillé avec Walter dans l’étude du cancer depuis le début, et après sa mort c’est moi qui en ai pris la responsabilité médicale et c’est alors devenu mon activité principale. Mon objectif n’était pas seulement de terminer ces recherches et d’accumuler suffisamment d’informations mais également de tenter de rendre compte de façon théorique de certains des changements radicaux qui avaient lieu après la thérapie au LSD. A ce stade de la recherche, il nous fallait analyser minutieusement les informations issues des séances de LSD de personnes volontaires, de patients en psychiatrie, et d’individus mourants, pour formuler une théorie intelligible d’une thérapie de LSD fondée sur une nouvelle approche de l’inconscient. Le chapitre suivant traite en détail du programme de la thérapie psychédélique de Spring Grove. Chapitre 13 LE PROGRAMME DE SPRING GROVE Ce qui n’a pas de son, ce qui ne peut pas se toucher, ce qui n’a pas de forme, ce qui est impérissable, De la même façon ce qui est sans goût, constant, sans odeur, Ce qui n’a ni début, ni fin, plus haut que la grandeur, stable. C’est en discernant Cela, que l’on est libéré de la bouche de la mort. Katha Upanishad LE PROGRAMME DE SPRING GROVE reposait initialement sur une coopération entre l’Unité de Recherche de l’Hôpital d’Etat de Spring Grove à Catonsville (banlieue de Baltimore dans le Maryland) et l’Unité Cancérologique de l’hôpital de Sinaï à Baltimore. En 1969, les recherches psychédéliques de Spring Grove, déménagèrent vers un Centre de recherches du Maryland qui avait été construit dans les locaux de l’hôpital entre 1967 et 1969. Ce lieu crée spécialement par l’équipe de Spring Grove pour les études systématiques des états de conscience holotropiques, était constitué de deux suites avec des caméras en circuit fermé, un grand laboratoire biochimique, des laboratoires spéciaux pour l’étude du sommeil, du rêve, de l’hypnose et de la privation sensorielle, ainsi que d’un département de surcharge sensorielle. Entre 1967 et 1974 plus d’une centaine de personnes se mourant de cancers participèrent au programme de thérapie psychédélique de Spring Grove. Ces personnes étaient réparties en quatre groupes : Les patients ayant suivi une psychothérapie au LSD pendant la période initiale d’expériences pilotes (avant le début des études contrôlées et l’introduction des systèmes de classage) Les patients s’étant portés volontaires pour paticiper à l’étude contrôlée de thérapie psychédélique au LSD Les patients ayant reçu en plus de la psychothérapie de la dipropylryptamine (DTP), une substance psychoactive à court terme avec des effets similaires au LSD Les patients qui avaient été assignés aux groupes de contrôle dans les principales études et à qui on a proposé ensuite des séances psychédéliques une fois leur rôle de sujets de contrôle parvenu à terme. Sélection des patients Dans les études de LSD et de DPT, Walter Pahnke et moi avons fait office de ponts entre le Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland et l’hôpital de Sinaï. Nous avons tous les deux passé une journée par semaine dans l’Unité de Cancérologie de Sinaï, où nous nous trouvions pendant les visites de patients dans la clinique de consultations externes. Nous avons participé dans les grands rounds dans la salle de cancérologie et avons assisté aux conférences des membres de l’équipe. Notre but était de trouver grâce à notre collaboration avec les cancérologues et les infirmières, des patients cancéreux en phase terminale qui pouvaient être des candidats potentiels au traitement psychédélique et de les inviter dans notre programme. Généralement il s’agissait de patients ayant des pronostiques pessimistes sur lesquels on avait essayé plusieurs traitements médicaux qui avaient échoué pour la plupart. Les principaux critères psychologiques pour être accepté dans ce programme étaient l’anxiété, la dépression, l’insomnie, la tension émotionnelle et le retrait social associé à la maladie du patient. D’après les textes d’Eric Kast et d’après ses observations de notre étude pilote nous avons par la suite ajouté à notre liste de critères, les douleurs intenses pour lesquelles les analgésiques et l’administration de drogues étaient inefficaces. La participation à l’étude contrôlée requérait une espérance de vie d’au moins trois mois étant donné que nous étions intéressés non seulement par le résultat du traitement mais aussi par la durée des résultats positifs. Les patients avec une courte espérance de vie étaient traités eux aussi, mais on n’en tenait pas compte dans l’étude contrôlée. Commentaire [E123]: sensory overlaod department Les désordres cardio-vasculaires tels que la haute pression artérielle, l’artériosclérose avancée ou l’anévrisme constituaient des contre-indications à la thérapie psychédélique. Le fait d’avoir fait par le passé un infarctus du myocarde ou d’avoir souffert de désordres cardiaques ou d’hémorragies du cerveau constituait également une contre-indication. La raison de ces contreindications n’était pas un danger pharmacologique inhérent aux drogues psychédéliques en ellesmêmes mais la propension de ces substances à créer de puissantes émotions accompagnées d’une augmentation de la pression sanguine pouvant engendrer des complications cardio-vasculaires. Un antécédent de crises d’épilepsie était considéré comme un autre signe d’avertissement, car les études passées avaient suggéré que chez les personnes avec un passé épileptique, ou même simplement présentant des dispositions épileptiques, les psychédéliques pouvaient provoquer des crises ou dans certains cas plus rares un status epilepticus - suite rapide de crises très difficiles à contrôler. Dans les dernières étapes de la recherche nous avons ajouté à la liste des contre-indications physiques les tumeurs primaires et métastatiques du cerveau. Les résultats obtenus avec plusieurs patients souffrant de néoplasmes du cerveau que l’on avait traités dans les premiers moments de cette recherche ne s’étaient pas avérés satisfaisants. Toutes ces observations laissaient entendre qu’un cerveau anatomiquement intact était un pré-requis nécessaire à une séance psychédélique réussie et à une bonne intégration de l’expérience. D’une manière générale la thérapie psychédélique s’avéra être physiquement très sûre, si l’on prend en compte l’état plutôt grave de la plupart des individus de notre étude. Jamais aucun patient n’est décédé et au cours de nos séances personne n’a failli mourir non plus. Il y eut un cas cependant, où le patient, Jesse, était tellement proche de la mort qu’il mourut quatre jours après sa séance de DPT. Son histoire est relatée au cahapitre suivant. Les conditions personnelles et psychologiques des patients constituaient un autre facteur important. Si par le passé les patients avaient eu des problèmes psychologiques sérieux requérant une hospitalisation - réactions schizophréniques, épisodes maniaco-dépressifs ou autres types de désordres psychotiques telles que les profondes dépressions avec tentatives de suicide ou des comportements psychotiques limites- cela constituait aussi des contre-indications au traitement de LSD dans notre programme de Spring Grove. (De mon côté, il m’était déjà arrivé de traiter des patients présentant certaines de ces conditions à l’Institut de Recherches Psychiatriques de Prague, dans lequel je disposais de ma propre salle de dix-huit lits avec des infirmières entraînées à travailler avec les états holotropiques de conscience. Cependant, dans de telles circonstances, cela n’aurait pas été sage). Le risque encouru lorsqu’on travaille avec ce type de patients, sont les flashbacks, les réactions prolongées et la précipitation d’épisodes psychotiques éphémères. La gestion de telles complications requiert une assistance vingt-quatre heures sur vingt quatre avec un personnel spécialement entraîné, ce dont notre équipe ne disposait pas. Le Centre de Recherches du Maryland avait des suites de traitement, des laboratoires et des bureaux, mais il ne disposait pas de lits d’hôpital. Dans le cas d’une urgence psychiatrique nous aurions dû compter sur les salles fermées de l’Hôpital d’Etat Spring Grove, un lieu qui avait une philosophie toute différente de la nôtre et des installations loin d’être idéales. Un tel service aurait également demandé que nous puissions répondre aux besoins spécifiques de patients cancéreux, y compris de pouvoir traiter les urgences. Lorsque nous avons trouvé des patients qui présentaient les critères évoqués et qui se montraient intéressés par le fait de participer à ce programme, nous leur avons organisé des entrevues spéciales, dans lesquelles nous leur avons expliqué la nature du traitement psychédélique. Nous les avons informés du fait que la thérapie psychédélique était une forme expérimentale de thérapie et nous avons discuté ouvertement avec eux de ses bénéfices potentiels et de ses risques. Nous avons également parlé avec les membres de la famille des patients ou avec d’autres personnes importantes de leur vie. Lorsque nous sommes parvenus à un accord, nous avons demandé au patient de signer un formulaire de consentement, à la suite de quoi nous avons accepté la personne dans le programme. Après les entretiens initiaux, les patients étaient présentés à l’un des thérapeutes du centre et le travail thérapeutique pouvait démarrer. La thérapie psychédélique consistait en trois étapes : Commentaire [E124]: pas sûre du tout : an experimental form of therapy. Une thérapie à l’état embryonnaire ??? Ou une thérapie fondée sur les expériences ??? une étape préparatoire à la séance, la séance psychédélique en elle-même, et une post-séance avec plusieurs entretiens dans lesquels le thérapeute aidait le patient à comprendre la séance, à intégrer dans la vie quotidienne les impressions nouvellement acquises, ainsi que les changements psychologiques. Préparation à la séance La phase de préparation durait généralement huit à douze heures et se prolongeait pendant une période de deux à trois semaines. La préparation consistait en une série de discussions pendant lesquelles nous explorions à la fois le passé du patient ainsi que sa situation présente. Etant donné qu’une relation positive et une atmosphère de confiance mutuelle sont les facteurs qui déterminent la réussite d’une thérapie psychédélique, nous nous sommes efforcés au cours de cette période d’apprendre à nous connaître mutuellement et d’établir des rapports de proximité. Le travail psychothérapeutique se concentrait sur l’histoire du patient et sur la manière dont de nombreux événements, circonstances et expériences avaient façonné sa vie. Nous avons exploré les relations interpersonnelles du patient et les problèmes non résolus avec les personnes significatives de sa vie : les parents, les frères et sœurs, les compagnons et les enfants. Autre étape importante dans la préparation de la séance : l’examen des interactions et des relations des patients avec les médecins en charge et le personnel de l’hôpital. Dans de nombreux cas, une brève vérification du réseau social du patient révélait une distorsion et une confusion dans la communication avec les proches parents, les amis et les médecins responsables ainsi qu’avec les infirmières. Le déni, la fuite, la culpabilité, un comportement passifagressif, les faux-espoirs et les mensonges bien intentionnés prédominaient souvent et créaient une atmosphère toxique et destructrice. Parfois nous avons rencontré des situations dans lesquelles le personnel et les membres de la famille, tout comme le patient, connaissaient le diagnostic et le pronostique lugubres, mais continuaient à jouer à cache-cache de manière à se « protéger » les uns les autres. Si la thérapie ne parvenait pas à rompre ce cercle vicieux, la mort du patient laissait aux membres de la famille et parfois même au personnel de l’hôpital des sentiments de douleur, de frustration et de culpabilité profonde. Nous avons découvert qu’il était essentiel en vue d’obtenir les meilleurs résultats dans cette séance de gérer la communication malhonnête et fausse dans le champ interpersonnel du patient. Souvent les interactions extrêmement distordues et douloureuses pouvaient être rectifiées par plusieurs interventions catalysatrices : nous voyions les membres de la famille dans des combinaisons variées, avec et sans le patient, en fonction de la nature des problèmes impliqués. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour donner l’occasion au patient et à ses parents de discuter de leurs sentiments les uns à propos des autres, de la maladie et sur la gravité de la situation, y compris du décès imminent. Chaque situation était unique et il n’y avait pas de formule simple ou de recette technique pour travailler avec le réseau familial. Notre stratégie générale était de faciliter la communication sincère et honnête, d’aider à la résolution des conflits interpersonnels et de parvenir à un accord sur les problèmes importants. Nous avons encouragé les membres de la famille à avoir davantage d’interactions avec le patient d’une part, et les uns avec les autres d’autre part, et ce, dans le plus de domaines et de niveaux possibles, de manière à soulager l’isolement psychologique tellement fréquent chez les individus affrontant la mort. C’est au cours de ce processus, que les membres de la famille découvraient généralement leur propre peur de la mort masquée par les manœuvres évasives utilisées pour aborder la personne mourante. De semblables distorsions dans la communication se retrouvaient souvent dans les interactions avec le personnel médical, l’individu mourant et les membres de la famille. Dans la plupart des cas, le personnel médical et la famille du patient étaient soulagés lorsqu’ils découvraient que le patient connaissait le diagnostic et qu’il s’y attendait. Le fait de découvrir ce qu’on avait dit au patient des diagnostics et des pronostiques s’avéra être d’une extrême importance, de même que sa réaction à la nouvelle. Souvent nous avons observé qu’à la fois les membres de la famille et les médecins en charge ne souhaitaient pas informer les patients atteints de cancer de leur diagnostic et qu’ils ne voulaient pas discuter de ce problème. Bien que nous n’ayons pas révélé de façon discriminatoire ni leur diagnostic, ni leur pronostique, ni l’imminence de leur mort, nous n’avons pas non plus cherché à éviter les discussions sur ces questions cardinales et nous avons répondu de façon honnête lorsque les patients nous posaient la question directement. Même si nous avons évoqué les problèmes de la mort et de son processus de façon très détaillée, l’accent n’était pas mis sur la mort mais sur le fait de vivre le plus pleinement possible pendant les jours restants. Au cours de ce travail, il devint clair que nos propres réactions émotionnelles jouaient un rôle fondamental dans ce processus. Lorsqu’un thérapeute a peur de la mort cela peut sévèrement entraver la qualité de la communication et créer une situation d’aliénation effrayante pour l’individu mourant. Nos propres expériences de mort et de renaissance dans les séances d’entraînement psychédélique nous ont permis de nous investir d’une manière plus totale et plus honnête avec les individus qui affrontaient l’éventualité de la mort physique dans leur futur immédiat. Nous n’avons jamais présenté la thérapie psychédélique comme pouvant être un remède au cancer. Lorsque les patients nous demandaient si le traitement psychédélique pouvait guérir le cancer, nous les renvoyions aux ouvrages qui émettaient les hypothèses selon lesquelles les facteurs psychologiques jouaient un rôle important pour déterminer la capacité de l’organisme à se défendre contre toute maladie. Nous avons également signalé que les émotions peuvent influencer le cours du processus pathologique et en affecter les résultats. Il nous arrivait de discuter de quelques hypothèses concernant le rôle des facteurs psychogéniques dans l’étiologie et le cours du cancer. Cela laissait ouverte la possibilité d’explorer les aspects psychosomatiques du cancer si les impressions des séances psychédéliques pointaient dans cette direction. Cette approche sauvait par la même occasion, les patients de la déception lorsque les efforts pour se guérir soi-même échouaient. Cela nous protégeait à la fois nous-mêmes ainsi que notre recherche, de la colère des cancérologues qui étaient tous traditionalistes et convaincus que le cancer était un problème purement biologique. Ils auraient considéré toutes les discussions concernant le rôle joué par la psyché dans cette maladie comme un manque de professionnalisme et auraient probablement interrompu la recherche. A cette époque-là le cancérologue Carl Simonton et sa femme Stephanie MathewsSimonton faisaient partie des chercheurs mettant l’accent sur les facteurs psychologiques dans l’étiologie, la pathogénèse et la thérapie du cancer. Ils développèrent une méthode utilisant l’imagerie guidée pour mobiliser les défenses immunitaires du corps afin de combattre le cancer, un programme qui était approuvé par le Bureau général de chirurgie en 1973 (Simonton, Creighton et Simonton 1978). Dans l’une de nos discussions concernant l’utilisation de la thérapie psychédélique dans le traitement du cancer, Carl mit l’accent sur le fait que nous devrions explicitement suggérer à nos clients que la thérapie psychédélique peut influencer non seulement la condition psychologique et la douleur, mais la maladie elle-même. Il soutint que la croyance selon laquelle le cancer est une maladie incurable et fatale fonctionne comme le sort d’un chaman dans certaines cultures primitives. D’après lui, ce diagnostic jette un sort sur les patients qui doit être rompu afin que le traitement puisse fonctionner. Malheureusement, nous travaillions dans un contexte médical traditionnel, et par conséquent nous ne pouvions pas tester la validité de l’hypothèse de Carl. Problèmes philosophiques, religieux et spirituels Bon nombre de discussions que nous avons eues avec nos patients atteints de cancer traitaient des problèmes philosophiques, religieux et spirituels. De telles discussions jouaient un rôle important dans le contexte de la thérapie psychédélique avec les mourants pour de plusieurs raisons. La confrontation avec sa propre impermanence et sa mort physique peut créer ou approfondir l’intérêt envers les dimensions spirituelles et philosophiques de l’existence. Le concept de la mort, l’attitude envers la mort et la qualité des derniers jours et des dernières heures d’une personne mourante sont profondément influencés par la philosophie personnelle et l’orientation spirituelle, ainsi que par les croyances religieuses. Par ailleurs, les expériences psychédéliques elles- mêmes provoquent souvent de puissantes expériences mystiques, et explorer ce domaine pendant la période préparatoire peut épargner beaucoup de confusion à la séance elle-même. Ce problème est d’une importance telle qu’il mérite d’être abordé. Pendant les années 1950 et 1960, période connue comme étant l’âge d’or de la psychopharmacologie, le LSD et les autres substances psychédéliques devinrent le sujet d’expériences scientifiques brûlantes car ils étaient capables de provoquer un large éventail d’expériences spirituelles. Au cœur de cette controverse se trouvait le problème fascinant concernant la nature et la valeur de cet « instant » ou de ce mysticisme « chimique ». Ces débats générèrent rapidement quatre perspectives différentes à partir desquelles envisager le problème. La première était la position des scientifiques matérialistes purs et durs qui accueillirent chaleureusement l’observation selon laquelle les psychédéliques étaient capables de provoquer des expériences décrites par les mystiques. Pour ces scientifiques, cette observation indiquait que ce que les mystiques considéraient comme des révélations de dimensions surnaturelles de la réalité n’étaient rien d’autre que des artifices toxiques, les produits aberrants de processus chimiques dans le cerveau. Donc ces expériences n’avaient pas de valeur ontologique et par conséquent, elles appartenaient au domaine de la science et non plus de la religion. La seconde perspective dressait un tableau totalement différent. Etant donné que les psychédéliques avaient le pouvoir de provoquer des expériences mystiques, elles n’étaient pas des substances chimiques mais des substances sacrées. En tant que sacrements, les psychédéliques connectaient les utilisateurs à des dimensions de la réalité certes invisibles, mais néanmoins réelles d’un point de vue ontologique. Les défenseurs de ce point de vue étaient généralement des chamanes et des guérisseurs de cultures primitives qui faisaient une distinction similaire avec les plantes. Les plantes qui présentent des effets psychédéliques sont considérées comme sacrées, c’est ce que sous-entend le nom précolombien donné aux champignons magiques mexicains : teonanacatl ou « Chair des Dieux ». Ces substances issues de plantes offrent soit un accès aux réalités divines ou sont elles-mêmes des déités. Il semblerait totalement absurde aux chamanes et aux membres des sociétés qui utilisent des plantes psychédéliques dans leurs rituels, de qualifier leurs expériences mystiques soient irréelles ou d’inférieures uniquement parce qu’elles sont provoquées par des composants chimiques. Selon eux, ces plantes sont des dons des dieux faits aux hommes, et en tant que telles, elles sont sacrées. Ce sont les véhicules principaux de leurs pratiques spirituelles et rituelles. Le troisième point de vue reconnaissait que les substances psychédéliques étaient capables de provoquer des expériences qui ne pouvaient pratiquement pas être distinguées de celles des fondateurs des religions, des saints, des prophètes et des mystiques de tous âges. L’expérience de Good Friday (Vendredi Saint) de Walter Pahnke apporta des preuves scientifiques convaincantes à ce propos (Pahnke 1966). Cependant ces expériences ne sont pas nécessairement authentiques ou de même valeur spirituelle que celles qui peuvent être atteintes par la méditation, le jeûne, la prière dévouée, le comportement pieux et une vie au service de Dieu ou à celles qui arrivent de manière spontanée par un don de grâce divine. Selon les partisans de ce point de vue, c’est aux maîtres spirituels et aux figures religieuses et non aux scientifiques, qu’il incombe de décider en dernière instance de la valeur des expériences provoquées par les psychédéliques. Malheureusement les points de vue des différents maîtres spirituels divergent sur ce point. Meher Baba, le saint indien silencieux appelé « le Compatissant » et considéré par ses disciples comme étant un avatar de Dieu sur Terre fait partie de ces grandes figures spirituelles qui nia toute valeur spirituelle aux psychédéliques. Dans son pamphlet Dieu dans un cachet, il exprima de façon virulente son opinion selon laquelle les expériences psychédéliques n’avaient pas lieu d’être dans la quête spirituelle. Il les considérait en fait comme étant des pièges et des détractions pour ceux qui étaient en recherche spirituelle : « Aucune drogue quelle que soit sa grande promesse ne peut aider à atteindre notre but spirituel. Il n’y a pas de raccourci qui mène au but, excepté par la grâce du Maître Parfait. Le LSD, la mescaline et la psilocybine sont superficielles et entretiennent l’addiction aux illusions qui ne sont que l’ombre de la réalité ». L’historien de la religion R.C. Zaehner exprima une réaction tout aussi négative au « mysticisme instantané ». Dans ses livres Mysticism, Sacred and Profane (Mysticisme sacré et profane Zaehner 1957) et Zen, Drugs and Mysticism (Zen, drogues et mysticisme Zaehner 1972,) il examina et réfuta les assertions religieuses sur la mescaline qu’Aldous Huxley exprima dans son livre Les Portes de la Perception (Huxley 1959). Il expliqua que d’un point de vue chrétien c’était un sacrilège que de supposer que l’utilisation de drogues pouvait provoquer « les mêmes transports » que ceux des mystiques chrétiens. Le fait que les expériences psychédéliques prennent souvent une forme hindouiste ou bouddhiste dans laquelle Dieu apparaît non pas en tant que personne mais comme « état éternel et inconditionnel » rend ces expériences doublement suspectes. C’est là ce qui compliquait encore la question selon ceux qui étaient traditionnellement opposés au mysticisme y compris dans sa forme Chrétienne Beaucoup de chercheurs spirituels de cet ordre s’opposent fortement à ces perspectives négatives. Outre des chamanes sibériens, des chamanes américains originaires d’Afrique, du Mexique et d’Amérique latine, ce groupe comprenait aussi des Brahmanes indiens et des membres de certains ordres Soufis qui utilisent le haschisch en guise de sacrement. J’ai eu moi-même l’honneur d’assister aux expériences psychédéliques de plusieurs professeurs tibétains et j’ai entendu des histoires personnelles de séances d’autres personnes comme Lama Govinda. Ils étaient tous d’accord sur le fait que les psychédéliques sont des outils spirituels d’un pouvoir incroyable, mais prévenaient qu’ils devaient être utilisés avec de grandes précautions. Il y a plusieurs années, j’ai donné moi-même du LSD à Solon Wang, un universitaire bouddhiste important et diplomate du cercle de Chang-Kai-Tchek à Taïwan. Après une vie consacrée à l’étude du Bouddhisme et une pratique rigoureuse qui avait échoué à lui apporter les résultats espérés, il eut ce qu’il considéra être une expérience absolument authentique de nirvana lors de sa première séance de psychédéliques, qu’il décrivit plus tard dans son livre The Multiple Planes of the Cosmos and Life (Les Plans multiples du cosmos et de la vie Wang 1979). Huston Smith, universitaire en religions comparées à la notoriété internationale a proposé le quatrième point de vue sur le problème concernant le « mysticisme chimique ». Au cours de sa vie, Huston Smith a eu de profondes expériences psychédéliques, et il parle ainsi avec une compréhension interne qui fait défaut à bien d’autres critiques, dont Meha Baba. Comme on pouvait s’y attendre de la part d’une personne de sa sagesse et de son envergure, la perspective de Huston Smith propose un point de vue modéré. Selon lui, il ne fait aucun doute que les substances psychédéliques facilitent les expériences mystiques originelles. Cependant, il insiste sur le fait que pour juger de la valeur de ces expériences et leur impact sur la vie des individus il faut prendre en compte bien d’autres facteurs. En effet, une expérience qui arrive à un chercheur dévoué après des années de pratique spirituelle sérieuse et d’études religieuses serait certainement bien plus précieuse et aurait plus d’influence qu’une expérience qui arrive à un invité non préparé et pris au dépourvu dans une soirée à Berkeley, où quelqu’un jette une poignée de cubes de sucre au LSD dans le punch. Pour évaluer les expériences mystiques provoquées par les psychédéliques, il faut connaître les croyances religieuses des patients et leur affiliation à l’Eglise. Il est essentiel de parler ouvertement des conflits que les individus mourants peuvent avoir concernant leur éducation religieuse fondamentaliste, les expériences traumatiques avec les prêtres, les activités de l’église à laquelle ils appartiennent et le rôle tenu par Dieu dans leur vie et dans le monde. Certains des problèmes qui émergent souvent au cours de ces discussions concernent les écarts entre les idéaux mis en avant par les organisations religieuses et leurs actions concrètes dans le monde, tout particulièrement dans les guerres internes entre les diverses croyances et toutes les atrocités perpétrées au nom de Dieu. Afin d’éviter l’incompréhension et la confusion, il est crucial d’opérer une claire distinction entre la spiritualité de la religion. Bon nombre de personnes dans notre culture ne connaissent pas la différence fondamentale entre les deux. La spiritualité se fonde sur les expériences directes avec des dimensions et des domaines de la réalité normalement invisibles. Elle ne requiert pas d’endroit spécial ni de personne désignée officiellement comme médiateur pour rentrer en contact avec le Commentaire [E125]: state of being Divin. Les mystiques n’ont pas besoin d’église ou de temple. C’est dans leur corps et dans la nature qu’ils vivent les dimensions sacrées de la réalité, y compris leur divinité propre, Les mystiques se passent de prêtres : ils n’ont besoin que de l’appui d’un groupe de camarades eux aussi en recherche spirituelle ou des conseils d’un maître plus avancé qu’eux dans le voyage intérieur. La spiritualité implique ainsi une relation spécifique entre l’individu et le cosmos. C’est fondamentalement une question d’ordre privé et personel. Les religions organisées quant à elles, se fondent sur une activité de groupe institutionnalisée qui se déroule dans un lieu spécialement prévu à cet effet comme un temple ou une église, et qui requiert toute une hiérachie d’officiers désignés qui peuvent avoir fait ou non des expériences personnelles avec les réalités spirituelles. Une fois qu’une religion devient organisée elle perd souvent la connexion avec sa source spirituelle et devient une institution séculaire qui exploite les besoins spirituels humains sans pour autant les satisfaire. Les religions organisées ont tendance à créer des systèmes hiérarchiques qui se concentrent sur la poursuite du pouvoir, du contrôle, de la politique, de l’argent, des possessions et d’autres préoccupations séculaires. Dans de telles circonstances, la hiérarchie religieuse va jusqu’à décourager les expériences religieuses chez ses membres, car elles favorisent l’indépendance, et par conséquent elles échappent à tout contrôle efficace. Dans ce cas, la vie spirituelle authentique s’exprime uniquement dans les branches mystiques, les ordres monastiques et les groupuscules extatiques des religions impliquées. Insister sur le fait que les expériences spirituelles des séances psychédéliques ne prennent jamais de forme religieuse orthodoxe et qu’il s’agit là d’une règle, aide les patients qui se sentent mal à l’aise à propos de certains des aspects spirituels de la thérapie psychédélique. Si elles contiennent des formes et des domaines archétypaux spécifiques, ceux-ci peuvent être tirés de n’importe quelle culture dans le monde indépendemment des antécédants culturels personnels des individus. Fréquemment cependant, ils transcendent tous les symbolismes séculaires et archétypaux et présentent toutes les caractéristiques de ce que les Hindous appellent « nirvikalpa samadhi » ou expérience de Dieu dénuée de forme. Elles sont ainsi universelles, sans dénomination et englobent tout. Les aspects spirituels des séances psychédéliques ressemblent souvent à ce qu’Einstein désignait sous le terme de « religion cosmique ». Cette forme de spiritualité ne requiert pas de Dieu personnifié, ni de panthéon de saints intermédiaires, ni de procédures rituelles formalisées. L’accent est surtout mis sur l’émerveillement et la plénitude que vit celui qui est confronté aux forces créatrices de la nature et aux nombreux mystères de la conception universelle. Les sentiments spirituels sont associés à des problèmes tels que les dilemmes et les énigmes concernant la nature du temps et de l’espace, de l’origine de la matière, de la vie et de la conscience, de la complexité de l’univers et de l’existence humaine, ainsi que du but ultime sous-tendant le processus de création. S’il peut s’avèrer que les expériences psychédéliques soient liées à l’une des grandes religions du monde, elles présentent les caractéristiques décrites par les mystiques de la foi en question plutôt que de refléter ou d’appuyer les dogmes de leur orthodoxie traditionnelle. Ainsi elles apportent des révélations sur le mysticisme chrétien plutôt que sur le Christianisme traditionnel, sur la Kabbale ou le Judaïsme hassidique plutôt qu’orthodoxe et sur le Soufisme plutôt que sur la religion musulmane officielle. Souvent les expériences psychédéliques impliquent des éléments totalement étrangers aux traditions religieuses personnelles de l’individu qui les vit ou appartiennent à un cadre culturel différent. Ainsi un chrétien ou un musulman peut avoir un épisode de vie antérieure et découvrir la Loi du Karma, un Bouddhiste japonais peut s’identifier au Christ sur la croix, ou un Juif peut vivre une conversion au Bouddhisme tibétain ou hindouiste. Entretiens finaux de préséances Immédiatement avant la séance, après nous être occupés de tous les problèmes cités cidessus, nous avons mis en place un entretien spécial destiné à donner aux patients toutes les informations dont ils avaient besoin avant d’ingérer la substance. Nous leur avons expliqué les effets des psychédéliques, leur potentiel de guérison des états de conscience holotropiques et nous avons décrit le déroulement de la séance ainsi que tous les détails techniques nécessaires. Il s’agissait là une partie essentielle de la préparation, étant donné qu’une personne lambda, vivant dans une société industrielle n’a que très peu d’informations sur les états holotropiques de conscience en général et sur les substances psychédéliques en particulier. Les préjugés dus à la propagande antidrogues pouvaient s’avérer encore plus problématiques. Nous décrivions les psychédéliques comme des amplificateurs ou des catalyseurs qui permettent de voyager dans la psyché et d’explorer des recoins de l’inconscient qui autrement seraient impossibles à explorer. En parlant de l’expérience psychédélique, il nous semblait utile de la comparer à un « rêve éveillé » ou à un film intrapsychique vif. Nous avons mis l’accent sur le fait qu’il était important, et ce, afin d’obtenir le meilleur résultat, que les patients demeurent le plus longtemps possible dans une position allongée au cours de la séance, en conservant leurs yeux recouverts d’un bandeau et en utilisant un casque pour écouter la musique que nous leur passions. Cela contribuait à préserver l’expérience à l’intérieur et amoindrissait la confusion entre le monde intérieur et extérieur. la phase de préparation comprenait une autre étape importante qui était d’informer les patients que leur expérience les emmènerait très probablement au-delà des frontières du monde étroit et superficiel de la psyché utilisé par la psychiatrie et la psychologie traditionnelles. Les hauts dosages de psychédéliques utilisés dans les recherches de Spring Grove offraient généralement un accès non seulement aux souvenirs de l’enfance et de la petite enfance, et à des domaines de l’inconscient de l’individu en question, mais ils permettaient également de remonter aux souvenirs de la naissance biologique, de la vie prénatale et de ce que nous appelons les expériences transpersonnelles. Ces dernières comprennent des expériences d’identification avec d’autres personnes, des animaux et d’autres formes de vie, aussi bien que des épisodes ancestraux raciaux, collectifs, karmiques et phylogéniques. Les psychiatres traditionnels ne considèrent pas ces expériences transbiologiques comme étant des constituants normaux de la psyché humaine et ils voient en eux des artéfacts causés par un processus pathologique inconnu, et par tant, comme la manifestation d’une maladie mentale sérieuse. Nous avons assuré les patients qu’il s’agissait là d’une conception erronée. Les recherches sur la conscience moderne ont montré que les expériences périnatales et transpersonnelles ne sont pas seulement normales mais qu’elles ont aussi un potentiel de guérison, de transformation et d’évolution extraordinaire. Nous avons encouragé nos patients à s’abandonner à l’expérience quelle que soit la direction qu’elle allait prendre, à affronter tout ce qui pourrait émerger au cours de la séance, à le vivre pleinement et à l’exprimer. Afin de garantir l’effet maximum des substances psychédéliques, nous interrompions toute médication tranquillisante avant la séance. Les médications hormonale et antibiotique n’étaient pas interrompues, et les narcotiques que les patients prenaient étaient disponibles sur demande. Nous rencontrions également les membres de la famille ou les autres personnes importantes que les patients souhaitaient inclure dans « la réunion de famille » au cours des dernières heures de l’expérience. Le but de ce briefing était d’aider ces individus à comprendre la nature de l’expérience psychédélique et de leur expliquer comment ils pouvaient soutenir le patient le mieux lorsqu’il serait encore dans un état de conscience non ordinaire. Nous demandions aux proches parents d’apporter des photos ou des tableaux qui avaient une signification particulière pour le patient ainsi que des fleurs et des fruits pour la pièce où la séance allait se dérouler. La séance psychédélique La plupart de nos séances psychédéliques avaient lieu au sein même de l’Unité de Cancérologie de l’hôpital Sinaï parce que les patients qui nous étaient envoyés par les cancérologues de Sinaï souffraient de cancers très évolués. Les transporter le jour de la séance, surtout le soir lorsqu’ils étaient encore dans des états holotropiques de conscience, aurait été difficile. Etant donné la gravité de leur condition, cela permettait aussi de leur apporter une aide médicale immédiate en cas de besoin. Après avoir rendu publiques, les résultats de notre étude, et après que l’information sur le projet avait été diffusée par les médias, des patients volontaires dont la maladie était moins évoluée ont rejoint notre programme. Ces séances avaient lieu dans les suites de traitement au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland, qui étaient équipées de manière idéale pour la thérapie psychédélique et qui avait des TV en circuit fermé, ce qui nous permettait de filmer la plupart des séances. Lorsque la séance avait lieu à Sinaï, on transférait le jour précédant le patient dans une chambre privée. L’équipement musical stéréo était également préparé le jour précédant, afin d’accoutumer le patient aux casques musicaux et à avoir les yeux bandés, étant donné que nous allions faire usage de ces deux choses pendant plusieurs heures le jour de la séance. Nous avons essayé de rendre ce cadre le plus confortable possible pour ce faire nous avions recours aux fleurs, à de l’encens, à des tableaux, à de petites sculptures, à de jolies couvertures et à divers objets de ce type Le matin du jour j, le personnel de l’hôpital donnait au patient les soins routiniers nécessaires, et la séance pouvait commencer dès notre arrivée. Après une courte discussion avec le patient sur sa condition émotionnelle présente et ses sentiments à l’égard de la séance, nous lui administrions les substances psychédéliques. Le dosage de LSD allait de 200 à 600 microgrammes en fonction de la condition du patient. Le LSD peut généralement être administré de manière orale, mais dans les cas où nous craignions une absorption inadéquate de la substance par le système gastro-intestinal ou une possible nausée accompagnée de vomissements (si le cancer était localisé dans l’estomac ou dans l’œsophage), nous préférions l’administration intraveineuse. Dans les séances de LSD il y a une période latente de vingt à quarante minutes entre l’administration de la drogue et son effet, qui dépend de la manière dont elle est appliquée. Nous passions généralement ce temps-là à avoir des discussions relaxantes ou à regarder les images apportées et à écouter de la musique doucement. Si la drogue psychédélique utilisée au cours de la séance était du DPT65, elle était toujours administrée par voie intraveineuse. Cette substance est inefficace lorsqu’elle est ingérée car le système digestif la désactive rapidement. Le dosage de DPT variait de 90 à 150 milligrammes, en fonction de la condition physique du patient, de ses défenses psychologiques et de son poids. Cette quantité moindre était cependant comparable en termes d’effet au dosage du LSD utilisé dans les recherches sur le cancer qui nous faisions en parallèle. Etant donné que les effets du DPT sont pratiquement immédiats et assez radicaux, on demandait aux patients au DPT de s’allonger immédiatement et de mettre le bandeau sur les yeux et le casque sur les oreilles. L’Utilisation de la musique dans les séances A mesure que le patient commençait à éprouver les effets de la substance, il était encouragé à rester en position allongée et à utiliser le bandeau et le casque. Cela aidait la personne à axer son attention sur le phénomène interne qui se mettait en place et à éviter les distractions externes. A partir de ce moment-là, les différences entre l’approche au LSD et celle au DPT s’estompaient. Nous mettions la musique et la séance commençait. C’est à Helen Bonny à la fois musicothérapeute expérimentée et thérapeute psychédélique qu’il incombait de choisir la musique pour la séance. La musique choisie était une combinaison de morceaux classiques, de sélections de musiques ethniques de différents pays du monde, et des enregistrements de plusieurs traditions spirituelles dans la plupart des cas. La position allongée, des yeux bandés, du casque musical et de la musique en stéréo intensifie contribue à intérioriser la séance ce qui a pour conséquence d’approfondir l’expérience psychédélique. La musique a plusieurs fonctions importantes dans une séance : d’abord elle facilite 65 DPT : dipropyltryptamine LSD : diéthylamide de l’acide lysergique, produit semi-synthétique à base d’ergot de seigle l’émergence de profondes émotions à la conscience, elle aide les patients à laisser aller leurs défenses psychologiques, enfin c’est une vague porteuse qui leur fait traverser les impasses difficiles. Souvent nos clients rapportaient que le flux de leur expérience était interrompu lorsqu’on changeait les disques, et qu’ils attendaient le changement avec une impatience pouvant aller jusqu’à l’ anxiété. Nous choisissions de mettre une musique qui soutenait l’expérience du patient. Cela impliquait de suivre la trajectoire d’une expérience psychédélique typique. Au début, nous mettions une musique réconfortante qui devenait de plus en plus intense. Puis nous passions à une musique d’orchestre dynamique et évocatrice. Entre la troisième et la quatrième heure dans les séances de LSD, (bien avant dans celles au DPT), moment charnière dans bien des cas, nous introduisions ce que nous appelions une musique « brise-glace ». Ces puissants morceaux musicaux étaient généralement teintés de forts accents spirituels, dans lesquels l’orchestre était mélangé à des voix humaines. Après ce moment-là, la musique devenait plus silencieuse, réconfortante et douce. Dans les dernières heures nous choisissions la musique qui suivait ce schéma d’ensemble. Par exemple il aurait été incongru de jouer un solo de violons doux au moment où l’expérience du patient culminait, ou à l’inverse d’introduire des tambours africains puissants pendant les dernières heures de la séance lorsque le patient était détendu et dans une humeur plus méditative. Outre le fait de suivre ces indications générales, les thérapeutes essayaient de répondre de la manière la plus sensible à certains traits spécifiques des séances individuelles. Si le patient disait que la séance était très sensuelle et érotique, ou que nous le déduisions d’après ses mouvements pelviens ou d’autres signes physiques, nous lui passions par exemple les dernières scènes de Tristan et Isolde de Wagner ou Shéhérazade de Rimsky-Korsakoff. Lorsque nous observions qu’il serrait les poings ou les mâchoires ou encore lorsque nous ressentions que le contenu de l’histoire du patient était violent, nous soutenions cette humeur à l’aide d’une musique intense et dynamique. De la même façon, lorsque les expériences se concentraient sur un pays en particulier, (par exemple l’Inde, la Chine, le Japon ou la Russie) ou sur un groupe culturel spécifique (par exemple les Indiens d’Amérique ou les gitans) nous trouvions qu’il était utile de fournir une musique ethnique correspondante. Nous évitions généralement la musique qui contenait des mots dans des langues que le patient comprenait parce que cela avait tendance à détourner l’attention des émotions et des sentiments physiques en faveur des processus intellectuels et cognitifs ce qui se faisait aux dépens de la profondeur de l’expérience. Deux membres de notre équipe, Helen Bonny et Walter Pahnke ont publié un essai concernant la fonction de la musique dans les séances psychédéliques (Bonny et Pahnke 1972). Une fois que le LSD avait été administré, le patient passait dix ou douze heures (pratiquement la moitié de temps si on avait utilisé du DPT) en compagnie du thérapeute et d’un cothérapeute : il s’agissait toujours un couple homme-femme. Si le cours de la séance se déroulait de façon suave, la principale fonction des thérapeutes était de changer la musique et de brièvement vérifier comment se comportaient les patients en fonction de ces changements. Ils faisaient aussi des compte-rendus détaillés de ce qu’ils observaient et de ce que les patients disaient. En outre les thérapeutes prenaient soin des besoins primaires des patients : ils les emmenaient aux toilettes, leur apportaient un verre d’eau ou de jus, leur donnaient une couverture supplémentaire, ou leur tendaient un mouchoir. Lorsque l’expérience leur devenait trop intense, les patients retiraient le bandeau et le casque. Lorsque cela arrivait, la tâche des thérapeutes consistait à les réconforter et à les rassurer tout en leur rappelant qu’il était important de conserver le caractère intérieur de l’expérience. Notre stratégie générale était de convaincre les patients de retourner à leur monde intérieur le plus rapidement possible. La plupart des discussions avaient lieu avant ou après la séance, à et dans les jours qui suivaient. Au cours de la séance elle-même l’accent était surtout mis sur le vécu des expériences et sur les sentiments. Pendant les heures où la séance psychédélique était intense, la communication verbale était minime. A des intervalles réguliers, généralement lorsque nous changions la musique, nous retirions le casque et nous échangions quelques mots avec le patient pour voir comment le patient se sentait, et s’il avait besoin de quelque chose. En cas de besoin, nous rappelions au patient qu’il était important de suspendre les défenses psychologiques et nous l’encouragions à vivre pleinement ce qui émergeait de son inconscient tout en exprimant les émotions et les énergies physiques qui y étaient associées. Utilisation du contact physique de soutien et travail corporel concentré Lorsque les patients vivaient des épisodes inhabituellement douloureux ou effrayants, datant de l’époque où ils ne savaient pas encore parler, nous avions recours au contact physique destiné à les soutenir, qui s’avéra beaucoup plus efficace que les réconforts verbaux. Cette façon d’intervenir était fondée sur l’observation de deux formes fondamentalement différentes de traumatismes requérant des approches diamétralement opposées. Le premier traumatisme, dit traumatisme par commission, résultait d’intrusions externes ayant eu un impact destructeur sur le développement futur de l’individu. Dans cette catégorie se trouvent les choses telles que l’abus physique ou sexuel, les situations effrayantes, les critiques destructives, ou le ridicule. Ces traumatismes représentent des éléments étrangers dans l’inconscient qui peuvent être ramenés à la conscience, pour en être évacués de manière énergique et résolue. Même si cette distinction n’est pas reconnue dans la thérapie conventionnelle, la seconde forme de traumatismes psychologiques, les traumatismes par omission diffère radicalement de la première. Le manque d’expériences positives qui sont essentielles à un développement émotionnel sain en sont à l’origine. Les pédiatres et les psychiatres désignent sous le terme d’anaclitiques (du grec anaklinein, signifiant « se coller » ou « se pencher sur ») les puissants besoins primitifs de satisfactions instinctives et de sécurité présentes chez le petit enfant et chez le bébé. On compte parmi ces besoins, le besoin d’être pris dans les bras, caressé, réconforté, le besoin de jouer et d’être le centre principal de l’attention de la personne s’occupant du bébé. Si ces besoins ne sont pas satisfaits, de sérieuses répercussions sur le futur de l’individu sont à craindre. Bon nombre de personnes ont subi de telles carences émotionnelles, d’abandon et de négligence dans le passé qui engendrent une sérieuse frustration des besoins anaclitiques. Proposer une expérience correctrice sous la forme d’un contact physique nourrissant est une façon très efficace de guérir un traumatisme émotionnel aussi précoce. Afin de garantir l’efficacité de cette approche, l’individu doit être profondément régressé à son état infantile de développement. Dans le cas contraire, la mesure corrective n’atteint pas le niveau de développement où le traumatisme a eu lieu. En fonction des circonstances, ce soutien psychologique peut aller de la simple prise de la main ou la caresse sur le front jusqu’à une embrassade réconfortante dans les bras. Sitôt que les effets pharmacologiques de la substance psychédélique s’apaisaient (cinq ou six heures si la substance utilisée était le LSD, trois - quatre heures s’il s’agissait de DPT), nous proposions au patient de retirer le bandeau et le casque et nous engagions une conversation avec lui. L’objectif était d’avoir un bref compte-rendu de ses expériences afin d’évaluer dans quelles mesures les principaux problèmes abordés dans la séance étaient intégrés et achevés. S’il restait des tensions physiques ou des émotions non résolues, nous proposions au patient une forme spécifique de travail corporel afin de conclure au mieux la séance. La stratégie générale du travail corporel était de demander aux clients de trouver un endroit de leur corps où ils éprouvaient du mal-être – une douleur, une tension, un trop plein d’énergie, de la nausée ou d’autres sensations physiques inconfortables. Nous les aidions alors à intensifier ces sensations plus précisément par une intervention externe, et nous les encouragions à trouver une réponse spontanée à cette situation. Il était important que cette réaction ne reflète pas un choix conscient mais qu’elle soit complètement déterminée par le processus inconscient. Il arrivait que la réponse vocale soit déstabilisante : il pouvait s’agir d’un grognement, un soupir ou un cri. Parfois, elle prenait une forme surprenante comme un balbutiement de bébé, la voix d’un animal, ou du charabia ou une langue étangère. De la même façon les réactions physiques ne comprenaient pas seulement des tremblements, de la toux ou des grimaces, mais aussi des mouvements complexes qui ressemblaient à un comportement animal ou à des formes d’art de cultures diverses. Ces manifestations extraordinaires provenaient clairement des réserves de souvenirs phylogénétiques et d’inconscient collectif. Réunion avec les parents et les amis Les principaux effets de LSD duraient dans la plupart des cas entre six et dix heures. Il nous arrivait de rester avec le patient quatorze heures ou plus. Les effets de DPT duraient considérablement moins longtemps. Quatre ou cinq heures après l’administration, ces séances de DPT se terminaient par un retour relativement rapide à l’état normal de conscience. A mesure que le patient commençait à revenir à la normale, nous invitions les membres de la famille ou d’autres personnes qui comptaient aux yeux du patient, à la salle de traitement où se tenait alors une « réunion ». A ce moment-là l’état de conscience du patient facilitait une communication plus sincère et plus honnête et conduisait à une interaction exceptionnellement gratifiante. Les règles à observer lors de cette entrevue étaient d’être sensible à l’état d’esprit des patients et à leurs besoins : s’ils se montraint d’humeur sociable et communicative d’avoir une conversation, s’ils étaient d’humeur introspective et pensive de se recueillir avec eux en silence, en bref d’ être sérieux ou jovial en fonction de leur humeur. A ce moment-là, nous leur servions également un dîner apporté de restaurants voisins. En respectant les préférences culinaires des patients, nous choisissions des plats qui avaient du goût, des couleurs et des textures intéressantes. Parmi les plats préférés des patients il y avait les plats de la Chine du Nord et la cuisine japonaise. La principale intention était de créer une situation qui connecterait le sentiment positif que le patient avait nouvellement acquis à des expériences et à des activités de la vie quotidienne. Lorsque la visite touchait naturellement à sa fin, nous passions davantage de temps avec les patients seuls avant de les confier au personnel de l’hôpital. Les patients dont le cancer était le moins évolué et qui faisait la séance au Centre psychiatrique du Maryland passaient la nuit là-bas en compagnie d’autres personnes de leur choix. Les suites de traitement étaient décorées de meubles semblables à ceux que l’on trouve dans les maisons et possédaient leurs propres kitchenettes et salle de bain. Elles offraient un confort adéquat aux patients et à leurs compagnons. Le travail clinique avec les patients volontaires non-envoyés par des médecins J’ai décrit les procédures de traitement psychédélique suivies dans les études contrôlées de LSD et de DPT, où les thérapeutes devaient se plier aux exigences rigides du plan de recherche. Les conditions de travail clinique avec les patients atteints de cancer qui s’étaient portés volontaires différaient considérablement de celles qui gouvernaient le projet pilote à ses débuts, mais aussi de ceux des études contrôlées de LSD et de DPT. Le principal objectif de l’expérience thérapeutique au sein du projet pilote était de rassembler les premières impressions cliniques sur le potentiel de la thérapie psychédélique chez les patients atteints de cancer. Lorsque nous avons commencé à travailler avec les patients du groupe volontaire, nous bénéficions déjà d’une expérience considérable quant à cette procédure de traitement. Le but de notre exploration dans ce cas était d’apprendre ce que la thérapie psychédélique avait à offrir sous ces conditions non restreintes par la méthodologie rigide qui nous avait été imposée auparavant. Autrement dit, nous essayions de voir comment cette thérapie devait être pratiquée de manière à atteindre son plein potentiel. Ce travail thérapeutique différait des deux autres programmes de recherche pour d’autres raisons importantes. Dans les études contrôlées, les patients étaient envoyés par des chirurgiens et d’autres médecins de l’Unité Cancérologique de l’Hôpital de Sinaï. Ces patients arrivèrent dans le programme pendant les dernières phases de leur maladie, généralement après l’échec de toutes les approches médicales tentées La plupart des patients dans la catégorie des volontaires non-envoyés par les médecins passaient outre ce processus de sélection habituel. Ils provenaient d’autres endroits que Baltimore, et nous avaient contactés après que les premiers résultats du programme de Spring Grove avaient été présentés lors de conférences, publiés dans des journaux scientifiques et dans les médias. Plusieurs de ces patients se trouvaient à des étapes moins avancées de leur maladie, et le travail avec eux était généralement plus facile et plus gratifiant. Le reste des patients dans cette catégorie avaient généralement été inclus dans des études de LSD ou de DPT mais ils avaient été confiés aux groupes de contrôle qui ne recevaient pas la substance psychédélique. Après la période requise pour le suivi, il leur était laissé le choix de faire leur séance psychédélique en dehors du cadre de recherche. Au sein des études de contrôle restreintes, le plan des recherches restreignait la quantité de temps passée avec l’individu mourant et les membres de la famille. Dans le groupe de volontaires venus d’eux-mêmes, il nous incombait de décider du temps que nous voulions passer avec les individus mourants et leur famille à la fois pendant le processus de préparation et pour les entretiens suivant les séances psychédéliques. Par ailleurs le thérapeute et le co-thérapeute travaillaient tous les deux avec le patient et la famille depuis la prise de contact jusqu’à la dernière rencontre. Cela différait considérablement des projets de recherche de LSD et de DPT où le co-thérapeute (ou infirmier) intégrait le traitement généralement un jour ou deux avant la séance de psychédéliques. Les interviews sans drogues et les séances psychédéliques avaient généralement lieu dans l’une des deux suites de traitement au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland. Lorsque les patients étaient de Baltimore, nous essayions de faire le maximum de travail dans le cadre confortable et familier de leurs maisons. Dans la dernière étape de leur travail, nous avons eu la chance d’obtenir la permission de faire les séances psychédéliques chez eux. Le travail thérapeutique dans ce contexte était une expérience beaucoup plus profonde et plus personnelle pour nous aussi bien que pour les patients et leur famille. Il s’avéra être une source inestimable d’apprentissage en profondeur des aspects psychologiques, spirituels et philosophiques des mourants et de la valeur de l’expérience psychologique pour la rencontre avec la mort. Interview de post-séance et suivi Le jour suivant la séance et plus tard dans la semaine, nous avons rencontré les patients pour des entretiens de suivi. Au cours de ces rencontres nous discutions en profondeur de ce que nous avions ressenti pendant la séance, nous conseillions les patients sur ce qu’ils pouvaient faire afin de faciliter une bonne intégration de l’expérience d’une part et nous les aidions à apporter de nouvelles impressions à leur vie quotidienne d’autre part. Les patients fournissaient des compterendus écrits de leurs expériences durant les séances et après. Lorsque le résultat de la séance psychédélique s’avérait probant, on ne prévoyait pas de séances supplémentaires de drogues. Si le résultat n’était pas satisfaisant, ou si la condition émotionnelle du patient empirait à mesure que la maladie progressait, les séances psychédéliques étaient reconduites. Evaluation des résultats thérapeutiques Les changements que nous avons observés chez les patients atteints de cancer qui suivaient la thérapie psychédélique étaient extrêmement variés, complexes et multidimensionnels. Certains d’entre eux tels que le soulagement de la dépression, de la tension, de l’anxiété, des désordres du sommeil et du retrait psychologique nous étaient familiers. Ils pouvaient souvent être atteints par des formes de thérapie traditionnelle. Cependant, bien d’autres changements impliquaient un phénomène spécifique à la thérapie psychédélique qui était nouveau à la psychiatrie et à la psychologie occidentales : l’atténuation voire l’élimination de la peur de la mort, des changements radicaux dans la philosophie et la stratégie de la vie quotidienne d’une part, dans les orientations spirituelles d’autre part ainsi que dans la hiérarchie des valeurs. Outre leur influence sur les aspects émotionnels, philosophiques et spirituels de l’existence des patients, les LSD et les DPT influaient également sur la douleur physique, y compris sur celle qui n’avait pas répondu aux drogues narcotiques. En raison de la complexité de ces changements et du manque d’instruments psychologiques précis et adéquats il était difficile pour certains patients d’évaluer de façon objective ou quantitative les résultats du traitement. La condition physique ou émotionnelle de bon nombre de patients atteints du cancer jointe à leur attitude fréquemment négative à l’égard des tests Commentaire [E126]: specific and sensitive psychological instruments psychologiques longs et épuisants nous limitait davantage encore dans l’utilisation des instruments de recherche existants, ce qui compliquait encore notre d’évaluation en termes de critères objectifs. Pendant les études menées à Spring Grove, nous avons expérimenté différentes méthodes d’évaluation et n’avons pas trouvé aucune solution pleinement satisfaisante à ces problèmes. Pour illustrer ceci, je décris brièvement nos méthodes d’évaluation des résultats thérapeutiques ainsi que notre approche de l’analyse des informations issues de notre étude contrôlée de psychothérapie au LSD, laquelle comprenait trente-et-un patients cancéreux. Pour plus d’informations détaillées sur la méthodologie de la recherche, des informations quantitatives, des tableaux et les résultats des analyses statistiques on pourra se référer aux écrits originaux (Pahnke et son équipe 1970, Richards et son équipe 1972). Selon le projet de recherche originel, on espérait que chaque patient passe plusieurs tests psychologiques avant et après le traitement. Cependant, cela s’avéra être une attente plutôt irréaliste. De tels tests requerraient un degré de concentration et de persévérance qui pour bon nombre de ces patients gravement malades était tout simplement impossible en raison de leur douleur physique et de leur fatigue. Par conséquent, ce furent les compte-rendus extérieurs qui devinrent notre outil d’évaluation principal. Walter Pahnke et Bill Richards développèrent un instrument spécial dans ce but : l’échelle d’évaluation émotionnelle (EEE). Cette échelle rendait possible l’obtention de valeurs allant de -6 à +6 reflétant le degré de la dépression du patient, son isolement psychologique, son anxiété, sa difficulté dans la gestion médicale, sa peur de la mort et sa préoccupation à l’égard de la douleur et de sa souffrance physique. Les évaluations étaient faites un jour avant et trois jours après l’administration de la substance psychédélique par les psychiatres en charge, les membres de la famille, les thérapeutes et les co-thérapeutes. Dans les étapes ultérieures de la recherche, un psychiatre de l’assistance sociale destiné à évaluer les résultats de manière indépendante a rejoint notre équipe. En outre, la quantité de narcotiques requise dans la gestion du patient était utilisée comme critère permettant d’évaluer le degré de la douleur physique. L’efficacité du programme de traitement psychédélique a été évaluée par des tests de valeur statistique en fonction des évaluations de la condition clinique avant ou après la séance. Nous avons effectué des calculs séparément pour chacune des sous-échelles des individus – dépression, isolement psychologique, anxiété, difficulté dans la gestion médicale, peur de la mort et préoccupation à l’égard de la douleur et de la souffrance physique - mais aussi pour les représentants des six catégories de classificateurs : thérapeute, co-thérapeute, médecin en charge, infirmière, parent le plus proche et évaluateur indépendant. Par ailleurs, nous obtenions pour chacune des catégories de douleur,un index composite , par une synthèse de toutes les évaluations obtenues. Les résultats thérapeutiques dans chacune des catégories étaient obtenus en évaluant les index composites des individus d’avant le traitement par rapport à ceux après le traitement. Pour évaluer grosso modo le degré d’amélioration, un index global de la condition clinique générale nous synthétisions les informations de tous les évaluateurs pour toutes les catégories cliniques mesurées. Grâce à cette procédure faisait on pouvait décrire la condition de chaque patient avec un seul index numérique. Même si cette approche obscurcissait les spécificités des problèmes cliniques aussi bien que les divergeances d’opinion parmi les évaluateurs, elle était néanmoins utile à la compréhension chez les patients individuels d’une part, et d’autre part à l’expression du degré d’amélioration en termes de pourcentage du groupe entier. Les résultats de l’évaluation confirmaient les impressions cliniques des effets souvent radicaux de la psychothérapie au LSD sur les conditions émotionnelles et sur la douleur physique des patients atteints de cancers. Les changements thérapeutiques les plus prononcés étaient observés dans la dépression, l’anxiété et la douleur, suivis de près par ceux liés à la peur de la mort. Les résultats étaient moins impressionnants dans le domaine médical à proprement parler . « L’amélioration drastique » était celle dans laquelle il y avait une augmentation de quatre ou plus de points dans l’index global, et une amélioration était dite « modérée » lorsqu’il y avait un gain de deux à quatre points. Les patients chez qui l’augmentation était inférieure à deux points ou nulle était considérés comme « globalement inchangés ». Selon ces critères, neuf des patients (29%) montrèrent une amélioration radicale grâce à la psychothérapie au LSD, treize patients (42%) une Commentaire [E127]: the results were least impressive in the area of medical management amélioration modérée, et les neuf personnes restantes (29%) ne subirent aucune modification. Seuls deux patients avaient un index global inférieur dans la période de post-traitement, par rapport à avant le traitement. Dans les deux cas, la diminution était minime (-0,21 et -0,51 points respectivement). En ce qui concerne la demande de narcotiques, l’utilisation de la dose quotidienne globale évolua de façon positive, cependant, cette diminution était imperceptible d’un point de vue statistique Ces conclusions semblent contredire les évaluations qui indiquent une diminution supérieure de la douleur ; le chapitre quinze rend compte de cet écart. Les résultats de l’étude de DPT ont été décrits et évalués par Bill Richards, un psychologue et thérapeute du Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland, ayant participé au programme de recherches sur le cancer depuis son implantation en 1967. Ce projet impliquait quarante cinq patients assignés de façon aléatoire dans le groupe de contrôle ou dans le groupe expérimental. Deux évaluateurs indépendants utilisaient des échelles psychologiques pour évaluer les patients et les membres de la famille. La thèse de doctorat de Bill Richards présente des analyses détaillées des informations et discute des résultats de l’étude de DPT de Spring Grove (Richards 1975). Même si la psychothérapie au DPT apporta des résultats positifs et spectaculaires dans les cas individuels, le résultat clinique du groupe expérimental complet il n’y a pas eu de degré d’amélioration suffisant qui soit significatif d’un point de vue statistique. Des résultats significatifs et les tendances importantes eurent lieu et elles sont reportées dans les échelles de certains individus, mais d’une façon générale selon cette étude ne conclue pas que DPT peut remplacer de manière efficace le LSD dans la thérapie psychédélique des patients atteints de cancer. Cela cadrait avec les impressions cliniques et les sentiments des thérapeutes du Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland, qui préféraient à unanimité travailler avec le LSD. L’effort de Bill Richards pour détecter la valeur thérapeutique de l’expérience de pic psychédélique telle qu’elle est décrite par Abraham Maslow (Maslow 1964) s’est avérée encore plus intéressante que les résultats globaux de l’étude. L’occurrence d’expériences de pic était mesurée par le Questionnaire d’Expériences Psychédéliques (QEP) mis en place par Pahnke et Richards. Ce questionnaire mettait l’accent sur les catégories de base de l’expérience de pic : l’unité, la transcendance du temps et de l’espace, l’objectivité et la réalité, les sentiments de sacralité, une humeur profondément positive, et l’ineffabilité (pour la définition et la description de ces catégories, voir le chapitre quinze). Les réponses étaient évaluées dans une échelle d’intensité, allant de zéro à cinq. L’évaluation des thérapeutes des expériences psychédéliques des patients constituait une autre source d’informations. Bill Richards trouva que l’information rassemblée dans l’étude de DPT montrait des résultats thérapeutiques meilleurs chez les patients qui avaient une expérience psychédélique de pic que chez ceux qui n’en avaient pas. Il existe un aspect important de ce travail qui nous échappera toujours, quand bien même nous utiliserions la méthodologie la plus sophistiquée dans toutes les études semblables qui auront lieu dans le futur : la profondeur de l’expérience personnelle de ceux qui ont la chance de partager la situation de l’agonie d’un autre être humain et qui voient comment la profonde crise psychologique accompagnant fréquemment la rencontre avec la mort peut être soulagée ou même complètement retournée par une expérience psychédélique. Voir cet événement hors du commun se produire de façon répétée est bien plus convaincant que les informations chiffrées et dans l’esprit du thérapeute psychédélique, cela ne laisse aucun doute que ce travail avec la personne mourante vaut d’être accompli. CHAPITRE 14 CAS D’EXPÉRIENCES DE THÉRAPIE PSYCHÉDÉLIQUE Le thème sous-jacent qui demeure une constante dans tous mes écrits est la nature intolérable de la réalité humaine lorsqu’elle est dépourvue de toute dimension spirituelle et métaphysique. David Gascoyne, poète et écrivain anglais DANS LES CHAPITRES PRÉCÉDANTS j’ai résumé l’histoire de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancers, j’ai décrit la manière dont elles ont été conduites dans le programme de Spring Grove, et j’ai fait une synthèse de nos résultats et observations cliniques dans ce domaine. Ce chapitre présente sept exemples, de manière à fournir davantage d’impressions intimes et personnelles de cette forme de traitement. J’ai sélectionné des patients dont les histoires illustrent certains aspects importants de la thérapie psychédélique et de ses effets sur la condition émotionnelle, l’attitude envers la mort et la douleur physique accompagnant le cancer. Mathieu était à la fois un brillant médecin et un musicien talentueux issu d’un milieu très cultivé. Comme il évoluait dans le milieu médical, ses proches parents tout comme lui-même, étaient pleinement conscients des problèmes qu’il devait affronter. La communication dans la famille de Mathieu était très sincère et honnête. La principale difficulté que Mathieu avait à affronter la mort venait de son orientation pragmatique et athée issue de son parcours scientifique. Sa séance psychédélique et la transformation qu’il vécut illustrent le fait que les expériences mystiques peuvent survenir chez des individus bien éduqués, sceptiques, et dont l’orientation scientifique engendre une vision du monde matérialiste. Ted était en tout l’opposé de Mathieu. Son éducation était très limitée, et il était assez ouvert aux idées religieuses. Les relations au sein des membres de sa famille étaient fausses et malhonnêtes et elles nécessitaient beaucoup de travail psychologique. Ted et sa femme avaient tous deux des secrets personnels, y compris concernant les informations sur sa maladie. Les trois séances avec prise de LSD de Ted donnèrent lieu à des expériences puissantes à propos de Dieu et à des impressions spirituelles profondes à propos des cycles de la mort et de la renaissance. Grâce à cela, il se réconcilia non seulement avec sa maladie, mais aussi avec sa mort. Jesse était un ouvrier non qualifié, avec des croyances issues de la foi catholique traditionnelle. Il était presque analphabète -lire les quotidiens et la Bible présentait un défi intellectuel pour lui. À notre grande surprise il découvrit et adopta dans sa séance psychédélique un système métaphysique qui comprenait la croyance en la réincarnation et qui rassemblait les philosophies spirituelles de l’Orient. Le pouvoir psychologique de sa nouvelle vision était tellement puissant qu’il l’aida à dépasser sa phobie de la mort. Jesse fut capable de lâcher prise par rapport à son corps ravagé infiltré de métastases multiples et de cesser de s’acharner désespérément à vivre. Suzanne s’était portée volontaire à la thérapie psychédélique en raison de la douleur atroce associée à son cancer. Quoique la thérapie psychédélique ait eu de puissants effets positifs sur elle et ce, par divers aspects, sa douleur atroce qui constituait son principal problème demeura inaltérée et ne fut aucunement soulagée. Cependant ses expériences psychédéliques, lui permirent d’abandonner sa peur de la chirurgie palliative laquelle finit par lui apporter le soulagement qu’elle avait tant recherché. Inversement, le cas de John illustre l’effet capricieux et surprenant que la thérapie psychédélique peut avoir sur la douleur, y compris sur celle qui résiste aux hautes doses de narcotiques. Il reçut une dose relativement faible, et ses expériences n’avaient pas la profondeur que nous avions observée dans les séances de bon nombre d’autres Commentaire [E128]: Come to termes with his mortality patients. Après ce qui avait d’abord semblé être une tentative avortée de thérapie, sa douleur atroce disparut complètement pendant une période de plusieurs mois. La thérapie de Catherine montre que même une personne dont la vie a été extrêmement traumatisante peut vivre une transformation profonde, parvenir à se réconcilier avec une vie entière de souffrances, et approcher la mort avec dignité en adoptant une vision spirituelle. Son expérience nous donna également l’occasion de comparer les influences toutes relatives qu’une vie très difficile et une naissance en revanche très facile peuvent avoir sur la nature d’une séance psychédélique. L’histoire de Joan est un exemple du potentiel de la thérapie psychédélique lorsqu’elle atteint son sommet. Le résultat de ses trois séances avec prise de LSD fut qu’elle parvint à une transformation spirituelle profonde qui changea totalement la qualité des jours qui lui restaient à vivre. La nouvelle façon dont elle aborda les situations de la vie de tous les jours, mais aussi les circonstances pratiques de sa mort étaient une source constante d’émerveillement parmi ses proches parents et ses amis. En outre, son mari, éducateur, avait accès à ses propres séances psychédéliques dans le cadre de notre programme d’entraînement à la thérapie au LSD pour les professionnels. Cela l’aida non seulement à mieux comprendre le processus de la mort de Joan, mais aussi à travailler avec ses propres sentiments concernant le cancer et la mort. L’histoire de Mathieu Mathieu était un interne âgé de quarante-deux ans souffrant d’un cancer du pancréas inopérable. Il connaissait bien notre programme de thérapie psychédélique. Quelques années auparavant, il nous avait envoyé l’un de ses patients atteint de cancer, pour qui la thérapie à base de LSD avait été très efficace. Étant donné que sa femme nous décrivit au téléphone sa situation comme étant critique, nous avons immédiatement répondu à leur demande de thérapie au LSD et nous leur avons rendu visite chez eux. Nous avons trouvé Mathieu dans un état extrêmement faible, anxieux et désespéré. Il avait beaucoup de symptômes physiques désagréables, des douleurs, des nausées, un sentiment de ventre plein en permanence, des éructations, des flatulences, et une perte progressive d’appétit et de poids. Mathieu était parfaitement conscient de sa condition non seulement en termes de diagnostic ou de pronostics généraux, mais aussi du stade et de l’avancement de sa maladie. Il suivait son propre cas de près, revoyait régulièrement ses analyses, et surveillait la détérioration progressive de ses fonctions physiologiques. Il fut même capable de diagnostiquer une embolie pulmonaire mineure qui avait échappé à son médecin. Mathieu semblait complètement dépassé par sa maladie. Sa santé avait toujours été parfaite et sa vie avait été gratifiante et réussie. Lorsque la maladie le frappa, il avait une belle femme, un beau mariage, trois enfants et une pratique médicale bien assise. Il n’était absolument pas préparé ni émotionnellement, ni philosophiquement, ni spirituellement au retournement inattendu de son destin. La religion n’avait jamais signifié grand chose pour lui, et il avait toujours eu une approche globale de la vie très rationnelle et pragmatique. À mesure que la souffrance de Mathieu augmenta, il réfléchit à l’absurdité de sa maladie et se demanda comment et pourquoi cela lui était arrivé. Son attitude envers la maladie et la situation délicate qu’il vivait avait été bien meilleure jusqu’aux deux semaines précédant notre première visite, lorsqu’il subit un épisode de douleur sévère qui dura plusieurs jours. Même si la morphine était parvenue à atténuer, la douleur, la sévère dépression et anxiété qu’elle avait provoquées perduraient. Une tentative pour tranquilliser Mathieu avec de la chlorpromazine s’avéra un échec cuisant. Sa médication ne faisait qu’accentuer sa dépression, son abattement, et son désespoir. Le degré de souffrance physique et émotionnelle de Mathieu était telle qu’il vivait chaque jour comme étant une torture intolérable. Il nous supplia de raccourcir la préparation à son strict minimum et de procéder à la séance le plus rapidement possible. Nous avons décidé de réduire le travail préparatoire à deux jours. Pendant ces deux jours, nous avons passé de nombreuses heures à Commentaire [E129]: le dico des difficultés dit que ce mot est un barbarisme à moins d'être employé dans le cadre du sport. Si tu en connais un meilleur, you're welcome discuter avec Mathieu et sa femme, ses enfants et ses parents proches. Même si le temps imparti à la préparation était relativement court, nous avons eu la chance d’établir une relation avec toutes les personnes impliquées, et nous avons obtenu toutes les informations nécessaires sur la situation passée et présente de Mathieu. Malgré la gravité de la condition de Mathieu, l’interaction entre lui et sa femme Déborah était très efficace ; il s’agissait en effet de l’un des rares exemples qu’il m’ait été donné de rencontrer d’une situation de communication complètement sincère et honnête. La seule complication que le couple devait affronter était liée au problème de Mathieu avec l’intimité. Déborah avait tendance à être aimante et à se rapprocher de lui physiquement ; comme il avait manqué de contact émotionnel dans son enfance, cette approche mettait Mathieu mal à l’aise. Il concevait toujours l’intimité physique comme un préambule à d’éventuels rapports sexuels. Mais en raison de sa condition somatique sévère, il avait développé une dysfonction érectile. Il vivait par conséquent la proximité de Déborah comme un rappel douloureux de son inadéquation et il avait tendance à la fuir. Par ailleurs, il croyait que c’était à lui de gérer la situation, et il voyait le soutien de sa femme comme une chose infantilisante. Malgré notre prise de contact relativement brève, notre relation avec Mathieu et la situation de sa famille s’est avérée tellement encourageante, que nous avons décidé de procéder immédiatement à la séance. À la demande de Mathieu, nous avons obtenu une permission spéciale de procéder à la séance chez lui et non dans la salle de l’hôpital. En discutant des expériences qui pouvaient avoir lieu dans les séances à base de LSD, Mathieu était globalement très curieux du processus général, mais il était incrédule et sceptique concernant les aspects spirituels que le traitement pouvait avoir. Nous lui avons proposé d’approcher la séance comme une expérience scientifique en lui demandant d’essayer d’être aussi ouvert que possible, puis de tirer ses propres conclusions une fois l’expérience terminée. Il était très enthousiaste à l’idée que nous utilisions de la musique dans la séance, étant donné que la musique était son principal réconfort dans sa triste situation. Mathieu était lui-même musicien, et par le passé, il avait essayé de composer. Lorsqu’il écoutait de la musique classique il lui arrivait d’être parfois suffisamment pris par la mélodie pour oublier la gravité de sa condition. La séance au LSD de Mathieu Le jour de sa séance, Mathieu reçut 200 microgrammes de LSD. Nous avons décidé de lui administrer la substance par intraveineuse car nous étions préoccupés par les capacités de son système gastro-intestinal à l’absorber. La période de latence sembla plus longue que d’habitude, et, pendant plus d’une heure, Mathieu semblait complètement normal. Plus tard, son comportement devint inhabituel, mais il continuait à nier le fait que quoi que ce soit était en train de se produire. Il était allongé sur son matelas un casque sur les oreilles, et il écoutait de la musique classique. De temps en temps il se tournait et se retournait et il passait par des moments où il lui était difficile de respirer. La dimension visuelle était presque entièrement absente de sa séance, et cela rendait à Mathieu plus difficile l’identification du résultat de l’expérience au LSD. Il finit par devenir évident que Mathieu était dans un état de conscience holotropique. Il devint extatique concernant la qualité de la musique et il s’y immergea complètement. Il ne cessait de nous demander d’écouter attentivement et de lui dire si nous avions jamais entendu quelque chose d’aussi merveilleux auparavant. La musique lui semblait totalement divine, ses limites s’estompèrent et il se fondait à son flux. Assez tôt dans la séance, Mathieu éprouva un intense besoin de chaleur et il demanda Joan Halifax qui était sa co-thérapeute dans la séance. Elle répondit immédiatement, le prit dans ses bras et le berça pendant plus de quatre heures. Il continuait à écouter ainsi la musique avec une expression extatique sur son visage. Ses traits montraient un mélange inhabituel de bonheur infantile suprême et de ravissement mystique. À un moment donné, il prononça des phrases sans rapport apparent les unes avec les autres, qui semblaient être des extraits de textes bouddhistes et de comptes-rendus de mystiques chrétiens et juifs. « Un seul monde et un seul univers… Tout est un… Rien et tout… Tout et rien… Rien est tout… lâchez prise au moment opportun… Cela ne change rien… La maladie… Les blessures… C’est soit la chose vraie, ou ça ne l’est pas… Les formes basses et les formes élevées… Les extrémités brillantes de la possession de sa majesté… Je suis tellement immortel… C’est vrai ! » Déborah, qui venait de temps en temps à la porte du salon où la séance avait lieu, avait peine à croire que ces affirmations viennent de son mari pragmatique et athée. Au cours de la sixième heure de la séance, elle entra, prit la place de Joan, prit Mathieu dans ses bras et le berça. Il portait encore son bandeau sur les yeux et son casque, et il était immergé si profondément dans la séance qu’il ne remarqua même pas le changement. Ils passèrent un long moment dans les bras l’un de l’autre silencieusement. Puis Mathieu retira son bandeau et prit un verre de jus d’orange qu’il apprécia énormément. Il ne quitta pas Déborah des yeux et il était submergé par des sentiments d’amour et de proximité. A mesure que les effets de sa séance s’atténuaient, Mathieu éprouva un mal-être physique intense. Il se sentait constipé et il fit des efforts intenses pour mouvoir ses intestins. Il éprouva que c’était le seul obstacle qu’il devait surmonter pour revenir à un état de bonheur suprême. Il croyait que s’il pouvait vider ses intestins, il « atteindrait le monde entier ». Mais la constipation était tellement sévère qu’il dût en être soulagé. Plus tard dans la journée, Mathieu voulut prendre un bain. Il s’assit dans la baignoire pendant presque une heure, appréciant la musique et s’amusant dans son bain. Il passa la soirée à continuer à écouter de la musique et découvrit des dimensions entièrement nouvelles dans des œuvres qu’il connaissait assez bien. Les sensations de douleurs intestinales étaient le seul inconfort dans sa situation, agréable par ailleurs. Il était assez intéressant de noter que Mathieu ne semblait pas capable de reconstruire les séquences de son expérience de prise de LSD, et il ne se souvenait que vaguement de son contenu. Son trou de mémoire atteignait un degré assez extraordinaire étant donné que la plupart des personnes se souviennent des événements majeurs de leurs séances. Il ne parvenait qu’à communiquer son sentiment global concernant la journée : il disait que l’expérience était incroyablement belle et qu’il n’avait jamais vécu quoique ce soit de tel dans sa vie. Mathieu affirma qu’il avait eu l’impression d’être « dans un cocon chaud, entouré d’amour infini, se sentant impuissant mais heureux et en sécurité ». Il affirma que l’expérience la plus puissante avait été lorsqu’il était allongé sur le matelas avec Déborah, la prenant dans ses bras et éprouvant qu’il se fondait à elle. Lorsque Mathieu évoqua cela, ils étaient tous les deux très émus et ils pleurèrent ensemble. Avant de partir ce soir-là, Mathieu résuma ses sentiments à propos de la séance. « Que ceci s’avère une aide ou non, je veux que vous sachiez que je vous suis très reconnaissant pour ce qui est arrivé aujourd’hui. C’était vraiment le plus beau jour de ma vie, et celui où je me suis senti le plus accompli. Je ne vois pas en quoi cela pourrait nuire en quoi que ce soit… » Deux jours après la séance, Mathieu dût être hospitalisé de nouveau, en raison d’une obstruction intestinale complète. Avec ce sévère rappel de la gravité de sa maladie Mathieu recommença à glisser dans la dépression. Étant donné qu’à l’hôpital, il avait une chambre à lui tout seul, nous lui avons apporté un magnétophone, un amplificateur, et un casque, afin qu’il puisse bénéficier des effets que la musique avait eus sur lui. Nous lui avons également apporté les enregistrements des morceaux écoutés lors de sa séance de prise de LSD. Nous avions observé auparavant que la musique utilisée dans les séances psychédéliques avait une propension spéciale à faire ressurgir certains des sentiments vécus par les patients lorsqu’ils les écoutaient sous l’influence de la drogue. Dans une séance spéciale, Joan apprit à Mathieu comment combiner la musique à une technique de relaxation et à de la méditation. Elle lui expliqua qu’il avait le choix de se concentrer sur sa maladie et sa souffrance physique ou se reconnecter à l’expérience de sa séance de LSD. Après environ vingt minutes, Mathieu passa à un état d’esprit paisible. Grâce à la musique et à Déborah, qui resta avec lui pendant de nombreuses heures chaque jour, il fut capable de maintenir son nouvel équilibre émotionnel pour les jours qui lui restaient. Le blocage de Mathieu à l’égard de l’intimité semblait avoir complètement disparu à la suite de sa séance de prise de LSD, et il appréciait Commentaire [E130]: By an anema énormément la proximité physique. Mathieu et Déborah nous dirent tous les deux séparément qu’il s’agissait là de la période la plus significative de leur mariage. On nous avait assigné à voyager à Hartford, dans le Connecticut pendant deux jours pour diriger un séminaire. Avant de quitter Baltimore, nous avons rendu visite à Mathieu à l’hôpital. Sa condition physique se détériorait rapidement, et nous avons eu l’intuition que nous n’allions plus le revoir. Il était évident qu’il partageait nos sentiments. À la fin de notre visite il nous confia : « Se battre n’a plus aucun sens lorsqu’il est temps de partir…ne vous inquiétez pas, tout va bien… » Lorsque nous étions à Hartford, Joan fut réveillée à trois heures du matin par un puissant rêve concernant Mathieu. Il lui était apparu souriant et il répétait ses derniers mots : « Tout va bien ». Elle eu la nette intuition que Mathieu venait de mourir. Lorsque nous appelâmes l’hôpital le matin suivant, le médecin en charge nous dit que Mathieu était décédé à trois heures du matin ce jour-là. Nous sommes allés aux funérailles de Mathieu et avons fait le minyan (la prière) pour lui. Nous sommes restés en contact avec la famille pendant leur période de deuil. Le rétablissement de la famille a été étonnamment facile, si l’on songe à leur proximité. Cela semble signifier que la gravité de la perte n’est pas nécessairement le facteur le plus important influençant la nature de la douleur. Dans le cas de Mathieu, nous avons clairement vu que le sentiment de prendre part de façon significative dans le processus de la mort peut enlever une grande partie du désespoir des survivants. L’histoire de Ted Ted était un Afro-américain de vingt-six ans, souffrant d’un cancer du côlon inopérable. Il était marié et avait trois enfants. Nous l’avons contacté fin 1971 à la clinique externe de l’Hôpital Sinaï, comme candidat potentiel pour une étude de DPT. À cette époque là, sa principale difficulté avec la maladie était une douleur constante et intolérable dans l’abdomen. En outre, il était gravement dépressif, irritable et anxieux, et avait des problèmes constants dans ses relations interpersonnelles, et plus particulièrement dans sa vie de couple. Les interactions entre lui et sa femme Lily étaient très insatisfaisantes et compliquées, et ils se sentaient profondément étrangers l’un à l’autre. Des périodes de silence obstiné alternaient avec des échanges très colériques au cours desquels ils se lançaient des accusations mutuelles, le plus souvent portant sur le manque d’intérêt et d’affection. Six ans auparavant, la maladie de Ted avait été diagnostiquée pour la première fois, et on lui avait fait une colostomie. Le médecin en charge avait dit à Lily que la situation de Ted était très grave et qu’il ne lui restait plus que quelques semaines à vivre. On lui avait fortement conseillé de ne dévoiler ni son diagnostic ni ce pronostic, afin d’éviter une réaction désespérée de la part de Ted pouvant aller jusqu’au suicide. Mais l’envie de vivre de Ted et sa résistance physique avaient été énormes, et la durée de sa survie dépassait toutes les espérances. Pendant les années de lutte contre la maladie, Lily avait évité de manière angoissée toutes les allusions à ce diagnostic et ces pronostics. Le résultat avait été que leurs relations s’étaient distordues, étaient devenues mécaniques, superficielles, et de plus en plus douloureuses. Lily avait eu des relations extraconjugales, était tombée enceinte d’un autre homme et avait dû avorter. Ted, malgré la gravité de sa condition clinique et son handicap dû à la colostomie, avait eu une aventure avec une autre femme qu’il avait mise enceinte. Après un bref entretien, Ted fut accepté dans le programme de Spring Grove. Cependant, en raison de la sélection aléatoire exigée par le plan de recherche, il fut confié au groupe de contrôle. Après la fin de la période de suivi, les patients assignés au groupe de contrôle avaient eu la possibilité d’avoir leur thérapie psychédélique en dehors du cadre de l’étude. Ted et Lily exprimèrent leur intérêt pour une psychothérapie avec de fortes doses de LSD. Lors d’un entretien privé, Lily posa ses conditions avant d’y consentir. Elle insista sur le fait qu’il ne fallait pas que le diagnostic et les pronostics soient dévoilés à Ted ou évoqués pendant le processus. Nous savions d’expérience que, parfois, les patients pour qui la situation n’était pas discutée ouvertement découvrent la vérité euxmêmes au cours de la thérapie psychédélique. Aux vues de la profondeur du sentiment de Lily à ce Commentaire [E131]: Outpatient clinic sujet, nous avons décidé d’accepter Ted avec cette restriction et nous avons commencé le travail thérapeutique. Dans la phase de préparation, nous avons brièvement revu l’histoire personnelle orageuse de Ted. Toute son enfance durant, il avait souffert d’un sévère manque émotionnel et d’abus physiques. Il avait perdu ses parents à l’âge de trois ans et avait passé plusieurs années à aller d’orphelinat en orphelinat. Il avait fini par arriver dans la maison de son oncle et de sa tante qui devinrent ses parents adoptifs. Chez eux il vécu beaucoup de rejet cruels physiques et émotionnels Pendant son enfance et son adolescence, Ted s’impliqua dans des activités de révolte sociale mineures, se battit souvent dans des combats de rues, et aimait distractions brutales. Plus tard, lorsqu’il rejoignit l’armée, il apprécia son implication dans la guerre, lieu où ses tendances agressives trouvaient l’approbation sociale. Dans son mariage, il se montrait jaloux et possessif envers sa femme, mais il avait lui-même de fortes tendances aux aventures extraconjugales. La première séance au LSD de Ted Le jour de sa première séance, nous administrâmes 300 microgrammes de LSD à Ted. Au moment où la drogue commença à produire ses effets, il devint très confus. C’était là sa première expérience psychédélique, et il n’était pas habitué aux effets de la substance. Il sentait qu’il perdait tous ses repères et il ne savait pas ce qui lui arrivait ; il compara cette sensation au fait « de flotter sur un nuage et de ne pas avoir ses pieds sur terre ». Il commença à penser à sa famille et à sa vie présente et il vit les visages de ses trois enfants. Puis la scène changea : Ted et Lily participaient à un show télévisé, du genre de « This is your life66 », où leurs enfants étaient aussi présents. Plus tard, les effets du LSD s’intensifièrent, et Ted se vit lui-même comme un patient dans un grand hôpital. Il était allongé sur la table d’opération et il était entouré d’une équipe de médecins, d’aides-soignants et d’infirmiers. Il vit des instruments chirurgicaux variés -rayons X, bouteilles à infusion, seringues, et appareils qui assurent les fonctions vitales à la place de l’organisme de façon à à maintenir les gens en vie. Il ne savait pas s’il était en train de revivre une opération ou s’il l’imaginait. Il se sentit très proche de la mort, et il vit beaucoup de personnes dont les vies étaient également menacées -des soldats périssant dans des guerres, des adultes et des enfants emportés par des épidémies, et de nombreuses personnes tuées dans des accidents. Cependant, il pouvait voir au-delà de la mort. Aucune des personnes dans ces situations ne mourait réellement ; ils vivaient simplement une transition dans une existence d’un genre différent. Étonné, Ted vit des cycles de vie et de mort se déroulant sous ses yeux. Rien n’était jamais vraiment détruit ; tout était dans un flux éternel et en transformation. Puis il se sentit transporté dans son enfance et commença à revivre de nombreux épisodes d’abus physiques et psychologiques vécus chez son oncle et sa tante. Le sentiment était tellement profond et réel qu’il perdit toute notion d’être dans une séance de prise de LSD. Il me vit, moi, sous les traits de son oncle, et Ilse Richards, ma co-thérapeute, sous ceux de sa tante. Il éprouva un profond manque de confiance envers nous, et il eut l’impression d’être piégé, au pied du mur et suffocant. Dans cet état de peur-panique, il fit plusieurs tentatives pour se lever et quitter la chambre, certaines d’entre elles assez décidées et agressives. Il devint rapidement évident que le souvenir de sa naissance ré-émergeait à sa conscience et influençait son comportement. Au moment de la séance, Ilse en était à la seconde moitié de sa grossesse, et son état semblait attirer Ted comme un aimant. Il concentra une grande partie de son agressivité sur le ventre d’Ilse. Plusieurs fois il essaya de la chasser de la pièce : « Madame, vous devriez sortir d’ici, c’est trop dangereux pour vous d’être ici ». Ilse, qui environ un an avant cette séance avait perdu un bébé au sixième mois de sa grossesse, était naturellement très sensible à ces menaces, et elle se mit dans un coin de la salle de traitement. La méfiance de Ted atteignit alors un niveau dangereux. Comme nous le découvrîmes plus tard, deux facteurs supplémentaires intervenaient dans cette expérience. Les 66 This is your life (C’est Votre vie) genre de reality show Commentaire [E132]: Life support devices.J’ai cherché partout sur le web et j’ai pose la question autour de moi à mes médecins… j’attends la réponse souvenirs de son comportement agressif et de ses tueries indiscriminées affluaient à la surface, et il eut l’impression que nous lui faisions un lavage de cerveau, afin de lui faire confesser ses crimes de guerre. Au plus profond de lui-même, il me percevait comme le Diable qui le tentait et qui essayait de lui voler son âme. Au moment le plus crucial de la séance de Ted, lorsque sa paranoïa atteignit son sommet, une profonde et pénétrante sirène se mit en marche et sonna pendant trois minutes. Au milieu de ce désordre, le pompier en chef arriva à la porte, accompagné de son assistant, et exigea que nous quittions l’immeuble immédiatement parce qu’un exercice d’alerte au feu était prévu. Tout en gardant un œil sur Ted dont le manque de confiance fut encore alimenté par cette scène bizarre, et l’autre sur Ilse, qui était terrifiée et potentiellement en danger, j’ai tenté d’expliquer au mieux la nature exceptionnelle de la situation aux deux hommes qui étaient déterminés à accomplir leur travail. C’était de loin le moment le plus difficile que nous ayons vécu jusque là dans notre travail psychédélique, et pendant un certain temps, la séance de Ted sembla être un échec total. De façon assez surprenante, tous les problèmes furent résolus au moment où la séance arriva à son terme. Ted entra dans un état extatique relaxé et exempt de douleur. Il eut le sentiment qu’il se débarrassait de beaucoup de choses traumatisantes qui l’avaient tourmenté pendant des années. Il témoignait d’un enthousiasme inouï quant à cette expérience de prise de LSD. Avant la fin de la séance, il parlait déjà de sa prochaine séance. Cependant, le résultat de sa première séance était tellement convainquant qu’il ne semblait pas nécessaire ni désirable d’en faire une autre dans le futur proche. La douleur de Ted fut tellement estompée qu’il arrêta de prendre des analgésiques et des narcotiques. Même si jusqu’à ce moment-là il avait été cloué au lit, il entreprit un travail bénévole et le conserva pendant plusieurs mois. Par ailleurs il commença à faire toutes sortes de petites tâches ménagères. La situation clinique de Ted se détériora rapidement au moment de Thanksgiving, cinq mois après sa première séance au LSD. Il devint dépressif et s’affaiblit de plus en plus, sa douleur revint et elle atteignit un niveau intolérable. Lily nous appela à l’aide. Ilse, qui avait été la co-thérapeute durant la première séance, avait interrompu son travail dans le centre de recherches. Elle avait accouché entre temps et était chez elle à prendre soin de son enfant. Joan Halifax prit sa place dans le travail avec Ted. À titre de préparation pour la seconde séance, nous eûmes plusieurs longs entretiens avec Ted et Lily. Nous avons passé beaucoup de temps à explorer les développements récents de la situation de Ted, sa condition physique et émotionnelle, et les schémas d’interrelations entre lui et les autres membres de sa famille. Au cours de ces discussions, l’amour et la sincère inquiétude de Lily pour Ted devinrent soudainement évidents. Ted et Lily étaient encore assez étrangers l’un à l’autre. Leurs relations distordues, malhonnêtes et chaotiques, semblaient être liées à leur incapacité à communiquer à propos de la maladie de Ted, de son diagnostic et de ses pronostics. À ce moment-là, ces jeux de cache-cache étaient devenus une charge quasi intolérable à Lily, et elle acceptait graduellement l’idée qu’il fallait faire quelque chose pour arranger la situation. Dans une conversation tenue en privé avec Ted, nous avons découvert qu’il soupçonnait ce diagnostic depuis le début, lorsqu’il avait entendu deux internes discuter son cas devant la porte de sa chambre à l’hôpital. Plus tard, ses soupçons avaient trouvé confirmation lorsqu’il lut dans le Physician’s Desk Reference 67 que le cancer était le seul cas où l’un des médicaments qu’il prenait était indiqué. Étant donné que Lily n’évoquait pas ce diagnostic, il en conclut qu’on ne lui avait rien dit. Il décida de lui cacher la vérité car il ne doutait pas qu’elle le quitterait si elle savait qu’il avait un cancer car « qui veut vivre avec un homme qui a un cancer ? » nous dit-il lorsque nous proposâmes de discuter ouvertement du problème de son diagnostic. Dans une séance aussi dynamique qu’ orageuse, nous fûmes les catalyseurs de l’échange du « secret » entre les deux époux. Après une entrée agressive en matière et des accusations mutuelles de malhonnêteté, Lily et Ted étaient tous 67 Physician’s Desk Reference Livre destiné aux médecins, où sont répertoriés les indications aux médicaments. Son équivalent français est le Vidal ( NdT) deux contents de la sincérité de cette nouvelle situation. Lily était soulagée car elle n’avait plus à mentir ou à faire semblant. Ted était à la fois agréablement surpris et ému d’apprendre que Lily était restée avec lui pendant toutes ces années tout en n’ignorant pas pendant tout ce temps qu’il avait le cancer. Un autre sujet important de notre discussion était le problème de l’intimité et des rapports sexuels entre les deux époux. Pendant les derniers mois, Ted avait été incapable d’avoir des rapports sexuels, et il se sentit découragé et humilié. À un moment donné, il se plaignit amèrement : « à quoi suis-je bon ? Je ne peux pas bouger, je ne peux pas aller travailler, rapporter de l’argent à la famille, ni satisfaire Lily sexuellement ». Depuis un fiasco sexuel, il avait cherché à éviter la proximité physique. Nous avons évoqué sa dysfonction érectile comme étant une conséquence naturelle du processus de la maladie, et nous avons bien insisté sur le fait que cela n’avait aucune incidence sur sa valeur en tant qu’homme ou en tant qu’être humain. Nous avons encouragé Ted et Lily à trouver des expressions non-sexuelles de l’affection qu’ils éprouvaient l’un envers l’autre. Nous avons passé beaucoup de temps avec les enfants afin de travailler sur les difficultés et les blocages dans les relations de Ted avec eux. Ted voulait être un père fort et autosuffisant, pour pouvoir soutenir ses enfants. Mais en réalité les rôles étaient inversés, et Ted était vulnérable et dépendant d’eux. Ted trouvait cette situation très douloureuse et inacceptable. Il ne voulait pas que ces enfants soient autour de lui, et il les chassait souvent de la chambre lorsqu’ils apparaissaient. Nous avons essayé de montrer à Ted comment cette expérience affectait le concept de la mort chez ses enfants, et leur attitude envers elle. Il finit par comprendre comment une personne mourante peut apporter une leçon infiniment précieuse aux vivants, et il réalisa qu’il pouvait agir comme un professeur pour ses enfants et leur communiquer un message unique par la manière dont il affrontait la mort. Il fut également capable d’accepter leur aide sans se sentir humilié et vit cela comme une occasion importante pour eux de parvenir à une maîtrise de soi. Seconde séance au LSD de Ted Un peu avant la seconde séance au LSD, nous avons revu la première expérience psychédélique de Ted avec lui, et plus particulièrement sa crise de confiance et l’épisode de paranoïa qui nous avait posé de sérieux problèmes de gestion. Nous avons mis l’accent sur le fait qu’il était important de garder l’expérience intériorisée afin que les émotions désagréables remontent à leurs sources dans la vie de Ted. Dans la seconde séance de Ted, nous utilisâmes de nouveau 300 microgrammes de LSD, la même dose que dans la première séance. Cette fois-ci, l’expérience de Ted fut très puissante, mais suave et sans problèmes sérieux. Il fut capable de conserver son bandeau sur les yeux et son casque sur les oreilles pendant toute la séance et il eut très peu d’expériences difficiles. Globalement il apprécia beaucoup plus la séance , mais il se souvenait des séquences de manière moins vive, probablement parce que son contenu visuel était moins concret. Dans la seconde séance, l’accent était davantage mis sur les états émotionnels et sur les processus. Les premiers effets de la séance furent remarqués environ vingt-cinq minutes après l’administration du LSD. Nous avons passé ce temps-là avec Lily à écouter une cassette que Ted avait enregistrée le soir avant la séance. La première expérience de Ted fut une image de traversée d’une grande rivière. Cet épisode semblait avoir un sens plus profond pour lui, comme le symbole d’un voyage vers un autre monde, vers l’au-delà. Pendant une brève période suivant cette vision d’ouverture, Ted apprécia la musique et il se vit jouant du vibraphone dans l’orchestre. Puis cela devint beaucoup plus dynamique et prit un tour plus dramatique. Tout comme au cours de sa première séance, Ted devint conscient de la nature répétitive de nombreux cycles de vie, et revit encore de nombreuses séances de mort et de gens qui se faisaient tuer. Quelques épisodes impliquaient des êtres humains, vivant diverses situations critiques et dangereuses. D’autres avaient lieu dans le monde animalier. Par exemple, une de ses visions concernait un abattoir où des centaines de porcs étaient abattus. Ces scènes de souffrance étaient parsemées de bon nombre d’allusions à la maladie de Ted. Il devint conscient de son corps à un niveau cellulaire et matériel, et il eut le sentiment qu’il était en train de pourrir. Il vit sa famille comme étant de belles pommes dans un panier et il se vit comme étant l’une pomme pourrie entrourée de ces spécimens parfaits. Puis Ted commença à visualiser une grande variété de scènes émanant de plusieurs nations, peuples et croyances différentes, à travers les siècles. Quoique ces images fussent belles et intéressantes, elles l’ennuyaient. Ce qu’il voulait c’était surtout trouver Dieu, et outre que ce cadre ne lui semblait pas pertinent, il le détournait aussi de son but. Cependant, à mesure que la séance se prolongeait, les expériences commencèrent à se rassembler, et Ted commença à comprendre l’unité sous-jacente à toutes ces scènes. La séance culmina au moment où Ted fit l’expérience de sa propre mort, au cours de laquelle Dieu lui apparut comme une source brillante de lumière. C’était un moment très beau et très réconfortant, car Dieu lui signifia qu’il n’y avait pas de quoi avoir peur, et il lui assura que tout irait très bien. Ted était ébloui en réalisant que derrière le chaos et la complexité de la création, il n’y avait qu’un seul Dieu. À la lumière de ces nouvelles impressions, il se concentra sur sa maladie, et il essaya de trouver les raisons de sa souffrance à un sens plus profond. Il s’acharnait à demander pourquoi Dieu lui avait infligé cette agonie absurde et dépourvue de sens. A un moment donné, il éprouva qu’il avait atteint la compréhension et qu’il avait trouvé les réponses à ses questions. Après sa rencontre avec Dieu, la séance de Ted fût magnifique et extatique. Il eut des visions de cristal, de diamants, de bijoux, de gobelets ornés et de calices aux belles couleurs et aux irradiations surnaturelles. Il ressentit un sursaut de vagues de sentiments aimants envers Lily et ses enfants, et il exprima aussi son amour et sa gratitude à Joan et à moi, en nous remerciant de lui avoir permis de vivre cette expérience. A un moment donné, il visualisa une scène dans laquelle quatre d’entre nous (y compris Lily qui n’était pas présente à ce moment-là) étions assis près d’une cheminée en communion amicale, appréciant de la nourriture délicieuse, et passant un bon moment. Il n’y eut plus de scènes radicales. Ted avait eu des sentiments de chaleur et de complétude ; il était détendu et il se voyait flottant sur un nuage rosacé. Sa douleur semblait avoir disparu, et la mobilité et le contrôle de ses jambes augmentèrent considérablement. Son appétit augmenta aussi, et il apprécia un dîner consistant en compagnie de Lily. Il passa une bonne partie de la nuit à revoir ses expériences et ses impressions du jour, et il ne s’endormit qu’à quatre heures du matin. Les changements de Ted après cette séance étaient tellement radicaux que cela déconcerta Lily. Il était très paisible, serein, centré, et de bonne humeur. Le commentaire que fit Lily à l’égard de la nouvelle situation était : « je ne comprends pas, c’est lui qui est en train de mourir et il me semble que c’est moi qui ai tous les problèmes. C’est comme s’il avait réglé quelque chose et accepté la situation… Comme s’il avait trouvé la réponse, que moi je ne trouve pas. Pour moi c’est toujours aussi difficile et douloureux qu’avant ». Ted lui-même résuma ses sentiments après la séance : « Quelque chose a changé… J’éprouve plus de paix à l’intérieur…J’ai comme l’impression que je vais aller au Paradis si je meurs… J’en viens d’ailleurs… ». Même si l’état mental de Ted était relativement stable, sa condition physique se dégradait sans cesse. En raison de ces problèmes pour uriner on dût introduire une tige dans sa vessie, et un sac en plastique fut attaché à sa cuisse ; cela venait s’ajouter à l’inconfort de sa colostomie, ce qui compliquait encore davantage sa vie quotidienne. Il passait alors la majeure partie de son temps dans son lit et les visites à l’hôpital lui devenaient de plus en plus éprouvantes. Même si la séance soulagea considérablement la douleur, cela ne la fit pas pour autant disparaître. Ted trouvait les mouvements physiques difficiles car cela précipitait les moments de sensations douloureuses. Ted vivait également des sentiments de solitude et d’ennui. Lorsque Lily travaillait, et que les enfants étaient à l’école, il passait de nombreuses heures à la maison tout seul. Dans ces moments-là, il était particulièrement conscient de l’absurdité de sa vie. Nous lui avons rappelé qu’en raison de sa condition et de la situation il avait potentiellement beaucoup de choses à enseigner aux autres sur une dimension de la vie très importante. Nous lui avons demandé d’utiliser un petit dictaphone pour enregistrer ses idées, ses sentiments et ses réflexions. Ted apprécia énormément cette activité, et il continua à nous donner des cassettes avec des messages qu’il avait enregistrés pour Lily, ses enfants, et pour nous deux. Il trouva cette activité très gratifiante et était fier de son Commentaire [E133]: Indwelling cathater catheter: WordReference EnglishFrench Dictionary © 2009 catheter ... nouveau rôle, surtout parce qu’il faisait partie de l’une des personnes mourantes impliquées dans un nouveau programme expérimental. Il réalisa que cela donnait une signification spéciale à l’information qu’il pouvait fournir. À ce moment-là, une équipe de télévision de la BBC nous contacta et nous demanda si nous leur permettrions de filmer le processus d’une thérapie psychédélique avec un patient atteint de cancer. Ils avaient entendu parler de nos recherches et ils souhaitaient en inclure une partie dans une émission spéciale sur la mort et son processus. En raison d’expériences très difficiles avec les journalistes et les médias dans le passé, nous étions réticents à l’idée d’accepter cette proposition. Cependant, , nous en vînmes à leur faire confiance à l’issue de nos négociations avec l’équipe de la BBC. Après quelques hésitations, nous avons contacté Ted qui semblait être le candidat idéal pour ce projet, et nous lui avons parlé de la proposition de la BBC. Il se montra immédiatement très enthousiaste et était tout excité à cette idée : il y vit une occasion de donner un sens à sa situation, par ailleurs sombre et désespérée. Cette perspective lui avait tellement redonné tellement d’entrain et de moral que lorsque l’équipe du film arriva chez lui, s’attendant à le trouver dans son lit, Ted était habillé des pieds à la tête et il était en train de lustrer sa voiture. Nous avons essayé d’organiser la troisième séance de Ted de façon à ce que le tournage lui soit le moins importun possible. L’environnement de la séance fut modifié au minimum : le seul changement dans la salle de traitement était la présence du caméraman avec les lampes et câbles nécessaires. Grâce à la présence d’un circuit télévisé fermé, les enregistrements audio et toutes les autres opérations étaient contrôlés depuis l’extérieur de la chambre. Nous avions convenu avec l’équipe pour que la priorité soit le bien-être de Ted. Le film serait interrompu à tout moment s’il interférait avec le cours de la séance, et ce, sans considérer les pertes économiques éventuelles. La troisième séance au LSD de Ted C’est dans de telles circonstances que Ted reçut sa troisième dose de 300 milligrammes de LSD. La nature de cette séance combinait les éléments de ses deux premières expériences psychédéliques. Au tout début, il vécut une profonde expérience religieuse : il se trouvait dans une cathédrale avec de beaux vitraux. La présence de Dieu emplissait le lieu et Ted se sentait profondément connecté à Lui. On lui montra encore que cette vie était une succession de cycles infinis, dans laquelle devenir, être et mourir étaient des chapitres d’un seul même grand livre. Cependant il ne s’agissait pas simplement d’une répétition de ce qu’il avait déjà compris dans les deux premières séances ; Ted parvint à reconnaître certaines nouvelles dimensions et des aspects qui n’avaient pas trouvé leur expression auparavant. Ensuite, sa défiance commença à prendre le pas sur tout le reste, comme cela avait déjà été le cas au cours de sa première séance mais d’une façon beaucoup moins grave. Ted revécut un certain nombre de ses expériences négatives avec les femmes, et il exprima beaucoup d’hostilité envers les présences féminines dans sa vie - sa tante, ses amies, et plus particulièrement Lily. Lorsque les souvenirs des aventures extraconjugales de Lily, de sa grossesse d’un autre homme et de son manque d’honnêteté envers lui émergèrent à la conscience de Ted, il éprouva beaucoup d’amertume, de ressentiment et d’agressivité. Il retira le bandeau de ses yeux et Joan, lui apparu transformée en Lily puis en une allégorie ou une personnification de toutes ses déceptions causées par des femmes. Ted eut l’opportunité de donner libre cours à sa colère profondément ancrée pendant ce transfert. Après cet épisode radical, lorsque les liens de confiance entre nous furent renoués, il parvint à se reconnecter aux sentiments positifs qui caractérisaient la première partie de la séance. Lorsque Lily se joignit à nous un peu plus tard, Ted éprouva qu’après les accès d’émotions négatives envers elle, ses sentiments étaient bien plus profonds que jamais auparavant. Il eut la sensation que son manque de confiance et son insécurité dans la relation disparaissaient et il éprouva une montée de sentiments chaleureux et aimants. Nous avons conclu cette journée par un repas de famille. Ted revenait progressivement de la séance dans une forme plutôt bonne, et il apprécia énormément le dîner. Après le repas, nous avons reconduit Ted et Lily chez eux, et nous avons passé du temps au chevet de Ted en discutant son expérience de prise de LSD et les événements de la journée. La troisième séance renforça la vision spirituelle de Ted envers la vie, envers la maladie et envers sa mort. Ses enregistrements étaient emplis d’affirmations rappelant la philosophie bouddhiste et à la cosmologie hindoue. Il parlait des cycles de la mort et de la renaissance, des causes de la souffrance et de la nécessité de se détacher. Sa peur de la mort diminua considérablement, malgré la rapide détérioration de sa condition physique. Malheureusement, peu de temps après sa troisième séance, Ted développa de sévères symptômes d’urémie. Quelques années auparavant l’un de ses reins lui avait été retiré en raison d’une tumeur. À ce moment, l’uretère du rein qui lui restait fut obstrué par une infection, et Ted développait des symptômes de contamination par les produits toxiques de son propre métabolisme. Les chirurgiens ayant des doutes sur la valeur d’une intervention qui, dans le meilleur des cas, ne prolongerait sa vie de quelques semaines, ajournaient sans cesse l’intervention. Après que Ted avait fait trois jours d’urémie qui s’aggravait de plus en plus, nous avons reçu un coup de fil urgent de Lily à cinq heures du matin. Cette nuit-là, Ted m’avait vu en rêve et il souhaitait discuter d’un problème qu’il considérait comme crucial. Nous sommes donc arrivés à l’hôpital environ une heure après. À ce moment-là, la condition de Ted s’était considérablement détériorée, et il se trouvait dans le coma. Il était entouré de plusieurs membres de sa famille, qui essayaient de communiquer avec lui. Mais Ted ne répondait pas, exception faite d’un balbutiement occasionnel assez incompréhensible. La mort de Ted semblait imminente. Tandis que je m’assis pour réconforter Lily et les parents, et que j’essayais de les aider à accepter la situation, Joan s’assit à côté de Ted. Elle lui parla doucement, utilisant ses propres instructions occidentalisées du Bardo Thödol, et elle lui proposa d’avancer vers la lumière et de se fondre en elle sans être effrayé de sa brillance. Juste au moment où tout le monde dans la chambre semblait avoir accepté la mort imminente de Ted, un événement assez inattendu se produisit. Contre toute attente, à la dernière minute, l’équipe chirurgicale décida de l’opérer malgré tout. Sans que nous ayons été prévenu, deux hommes rentrèrent soudainement dans la chambre, mirent Ted sur un brancard, et l’emmenèrent dans la salle d’opération. Toutes les personnes dans la chambre furent choquées par ce qui leur semblait être une intrusion brutale dans une situation intime particulière. Au cours de l’opération, Ted eut deux arrêts cardiaques résultant en une mort clinique, les deux fois et il fut réanimé. Lorsque nous avons rendu visite à Ted dans l’après-midi dans l’unité de soins intensifs, il se remettait tout juste de son anesthésie. Il regarda Joan et eut ce commentaire pertinent tout à fait inattendu qui la surprit : « Vous avez changé de robe ! » Réticents à croire que quelqu’un dans le coma pouvait avoir correctement observé l’environnement et s’être souvenu d’un tel détail, nous avons commencé à enquêter sur la nature des expériences de Ted dès le matin suivant. Nous avons rapidement compris qu’il avait correctement perçu les personnes présentes dans la chambre, même si pendant tout ce temps il avait conservé les yeux fermés. À un moment donné, il avait même remarqué des larmes le long des joues de Joan. Tandis qu’il était pleinement conscient de son environnement, il avait également eu un nombre d’expériences inhabituelles qui semblaient se dérouler au moins à trois niveaux différents. Il pouvait entendre la voix de Joan et répondre à ses propositions. L’obscurité initiale fut remplacée par une brillante lumière, et il parvint à s’en approcher et de se fondre en elle. À mesure qu’il se mêlait à la lumière, il éprouva un sentiment de sacralité et de profonde paix intérieure. Cependant, au même moment, il vit un film au plafond où ces crimes lui étaient rejoués. Il revit les visages de toutes les personnes qu’il avait tuées pendant la guerre, et les adolescents qu’il avait battus lorsqu’il était un jeune voyou. Il devait vivre la douleur et l’agonie de toutes les personnes qu’il avait fait souffrir durant sa vie. Tandis qu’il faisait cela, il était conscient de la présence de Dieu qui regardait et jugeait cette représentation de la vie de Ted. Avant qu’on ne le quitte ce jour-là, Ted nous témoigna encore sa reconnaissance envers ces trois séances de prise de LSD. Il avait trouvé le fait de mourir vraiment très semblable à ses expériences psychédéliques, et pensait que cela constituait un entraînement et préparation à la mort excellentes. « Sans les séances au LSD, j’aurais eu peur de ce qui se passait mais, connaissant ces états, je n’ai pas eu peur du tout». Même si la situation critique de Ted était améliorée par la chirurgie palliative, son corps montrait des signes de profonde détérioration. Il était épuisé par les nombreuses années de lutte contre le cancer, et affaibli par l’intoxication des produits de son propre métabolisme. Il perdait du poids et se dépérissait à vue d’œil. Nous avons quitté Baltimore, un mois après la dernière séance de Ted. Avant notre départ, nous lui avons rendu visite et nous savions que nous n’allions plus nous revoir. À la fin de la visite, nous avons passé quelques instants en silence à nous regarder. Ted interrompit le silence : « Mon corps en a assez, mon corps est tout criblé par le cancer, il est temps pour moi de partir. Mais mon esprit va bien… J’ai dépassé la peur maintenant… Je vais y arriver…Merci pour toute votre aide… ». Nous avons su que Ted était décédé quelques semaines après notre dernière visite. Le tube de drainage de son uretère s’était obstrué et il était retourné à l’hôpital. Lily avait passé beaucoup de temps avec lui là-bas. Le dernier jour de sa vie, il avait dit à Lily de rentrer lui chercher des pyjamas propres. Lily quitta l’hôpital, et une infirmière qui rentra dans la chambre de Ted quelques minutes plus tard le trouva se reposant dans le calme sur son oreiller. Il ne montrait plus aucun signe de vie. L’histoire de Jesse Jesse avait été envoyé à notre programme dans une situation de graves souffrances physiques et émotionnelles. À l’âge de trente-deux ans, il s’était fait opérer la lèvre supérieure en raison de carcinomes squameux. Treize ans plus tard, il était retourné à l’hôpital avec une propagation incontrôlable du même type de cancer sur le corps. De grandes masses de tumeurs étaient visibles sur la partie gauche de son cou, le côté droit de son visage, et autour de son front. Il se plaignait de graves douleurs, de faiblesse et de fatigue excessives, de toux et de difficultés à avaler. Il souffrait aussi d’insomnie, de profonde dépression et de grande instabilité émotionnelle. Jesse avait de grandes crises de larmes et d’angoisse, avec un sentiment de mort imminente. Il était préoccupé par les aspects esthétiques de sa maladie : la défiguration de son cou et l’odeur intense des bandages imbibés du fluide qui coulait de ses ulcères dermiques. La maladie le gagnait assez rapidement, résistant à un régime agressif de radiation extérieure et de chimiothérapie. Malgré sa situation physique désespérée, Jesse était terrifié à ce point par la mort qu’il s’accrochait désespérément à la vie. Étant donné que rien d’autre ne pouvait être fait pour arrêter son processus néoplasique, il fut accepté dans le programme DPT qui avait pour objectif de tenter de soulager sa souffrance émotionnelle et sa douleur physique. Au cours de la préparation à sa séance psychédélique, Jesse partagea son histoire compliquée avec ma co-thérapeute Ilse Richards et moi-même. Jesse, qui avait seize frères et sœurs, avait seulement cinq ans lorsque ses parents furent tués dans un accident de voiture. Il fut élevé dans un orphelinat jusqu’à l’âge de quatorze ans ; il commença alors à travailler et devint indépendant financièrement. Il changea souvent de travail, et, en raison de son éducation limitée, il ne parvint jamais à des compétences suffisantes dans aucun de ces métiers. Il travailla dans un premier temps comme ouvrier dans une ferme ; puis il déménagea à Baltimore et travailla successivement comme menuisier, plombier, et zingueur. Jesse avait toujours eu de grandes difficultés pour communiquer avec les femmes. Après plusieurs relations superficielles, il épousa une femme avec une éducation catholique sévère, qui venait tout juste de commencer à se libérer de son passé contraignant. Leur mariage fut de courte durée ; après environ un an, sa femme démarra une relation avec un autre homme, ce qui mit fin au mariage. Jesse apprit l’infidélité, et il eut une bagarre à mains nues avec son rival. Sa femme le quitta alors et il ne la revit plus jamais. Pendant les quinze années qui avaient précédé notre rencontre, Jesse avait vécu une relation assez stable avec Betty, une veuve considérablement plus âgée que lui. L’amitié entre eux avait été dans un premier temps sexuelle, mais leurs rapports avaient cessé bien des années avant le traitement au DPT de Jesse. Betty et sa sœur prenaient soin de Jesse d’une façon tout à fait Commentaire [E134]: j'ai trouvé deux acceptions: néoplasitique et néoplasique remarquable : elles étaient littéralement des infirmières à plein temps. Elles partageaient leur petit appartement avec lui et enduraient patiemment l’odeur nauséabonde que les bandages trempés exhalaient au cours de l’été humide et chaud de Baltimore. Jesse, catholique convaincu, se sentait profondément coupable à l’égard de cette relation. Il croyait que le mariage à l’Église représentait un lien éternel que même par la mort physique, ne pouvait dissoudre, sans parler de la séparation ou du divorce. En ce qui le concernait, ses obligations envers sa femme demeuraient inchangées depuis son départ. Pendant la préparation à sa séance au DPT, Jesse exprima sa terreur obsédante de la mort. Lorsqu’il pensait à la mort, il voyait deux possibilités, aussi effrayantes l’une que l’autre. Dans la première, la mort était la fin absolue de tout, un pas dans le néant et dans l’obscurité. La seconde était la conception chrétienne que lui avait enseignée sa sévère éducation catholique : lorsqu’on meurt, l’existence et la conscience perdurent pour l’éternité, et la qualité de la vie dans l’au-delà dépend de la conduite que l’on a eue sur terre. Jesse ne trouvait pas l’idée de l’existence posthume suffisamment convaincante, et elle n’était de toute façon pas réconfortante. Si les enfers chrétiens existaient, alors Jesse se voyait à jamais condamné aux tortures de l’Enfer pour avoir vécu sa vie dans le péché. La résultante de ce dilemme était qu’il s’accrochait désespérément à la vie, avec une angoisse profonde. La séance au DPT de Jesse Le jour de sa séance psychédélique, Jesse manifesta une peur presque enfantine et une grande appréhension par rapport à ce qui risquait d’arriver. Il reçut 90 milligrammes de DPT par voie intraveineuse et il nous fallut beaucoup d’efforts pour parvenir à le convaincre de mettre le bandeau et le casque. Le début de la séance fut marqué par une intense lutte contre les effets de la drogue. Jesse semblait s’accrocher à la réalité avec la même détermination anxieuse avec laquelle il s’accrochait à sa vie dans une lutte quotidienne. Cette lutte se manifestait par une profonde détresse physique, et plus particulièrement une toux et des nausées qui culminèrent finalement en des vomissements répétés. Jesse était submergé par l’impact de ce qui sortait de son esprit. La musique semblait rude, haute et distordue et il la vivait comme un assaut. Il avait l’impression que s’il se laissait aller à l’expérience, il allait mourir. À plusieurs reprises, il exprima son profond regret d’avoir pris la drogue. Pendant cette lutte héroïque, il voyait des images et des scènes innombrables. Dans toutes ces images, il était à la fois le spectateur et l’acteur. Sa nausée était accompagnée de visions de créatures géantes, effrayantes, et de formes variées, qui l’attaquaient et essayaient de le détruire. Il visualisa des centaines de scènes de guerre, où les agressions et les destructions abondaient, et d’autres situations dans lesquelles «les personnes mouraient et étaient arrachées à elles-mêmes». Pendant une longue séquence, Jesse vit de nombreuses scènes de dépotoirs emplis de cadavres, de carcasses, de squelettes, d’abats pourris et de cannettes exhalant des odeurs putrides. Il vit son propre corps dans ces scènes, emballé dans des bandages puants, dévoré par le cancer ; sa peau craquée, fuyante et recouverte d’ulcères cancéreux. Soudain une boule de feu géante apparut, sortie de nulle part. Tout le désordre et les déchets étaient jetés dans ces flammes purifiantes qui les consumaient. La chair et les os de Jesse furent détruits dans ce feu, mais son âme survécut. Il vécut alors le Jugement Dernier où Dieu (« Jehovah ») pesait ses actions bonnes et mauvaises. De nombreux souvenirs de sa vie traversèrent son esprit dans ce qui semblait être un jugement final. Les aspects positifs de sa vie pesaient davantage que ses péchés. Jesse éprouva que les portes de sa prison s’étaient ouvertes et qu’il était devenu libre. À ce moment-là, il entendit une musique céleste et des chants angéliques et il commença à comprendre le sens de son expérience. Un profond message lui arriva par des canaux surnaturels et non-verbaux et traversa son être entier : « lorsque tu mourras ton corps sera détruit, mais tu seras sauvé ; ton âme sera avec toi tout le temps. Tu reviendras sur terre, tu revivras à nouveau, mais tu ne sais pas ce que tu seras une fois revenu sur Terre ». Le résultat de cette expérience fut que la douleur de Jesse fut soulagée ; et que sa dépression et son anxiété disparurent. Il émergea de la séance avec une profonde croyance en la réincarnation, même si ce concept était étranger à sa propre tradition religieuse. Jesse se battit profondément avec les limitations issues de son éducation pour communiquer la nature et l’ampleur de son expérience. Il ne réalisa pas qu’en parlant de la réincarnation, il décrivait un concept fondamental de la pensée orientale religieuse et philosophique, et de bien d’autres traditions à travers les âges. Il était à la fois très hésitant et prudent en partageant ses nouvelles idées avec moi : il craignait que je ne considère ces idées, qui entraient en conflit avec les croyances chrétiennes, comme un signe de maladie mentale. Après sa séance, Jesse fut capable d’en finir avec sa situation et il développa une nouvelle attitude envers sa mort imminente. La perspective d’une autre incarnation le libéra de son attachement désespéré à son corps, qui était totalement détruit par le cancer. Il vit son corps comme un fardeau et comme une source de complications injustes dans la vie de Betty et de sa sœur, qui avaient accepté le devoir d’en prendre soin. Jesse mourut paisiblement cinq jours après sa séance, peut-être un peu plus tôt qu’il ne l’aurait fait sinon dans sa lutte contre sa mort inévitable. Il semblait presque qu’il se pressait de replonger dans un nouveau corps pour la « prochaine venue sur Terre ». L’histoire de Suzanne Suzanne nous avait été envoyée par son médecin qui appartenait au département de gynécologie de l’hôpital de Sinaï. C’était une femme attirante, sensible, et intelligente ; une mère divorcée de trois enfants. Au moment de notre première rencontre, elle avait trente-deux ans, et elle faisait des études de psychologie. Elle avait été hospitalisée en raison d’un cancer gynécologique avancé qui s’était répandu dans son bassin malgré une hystérectomie radicale, et des lasers intenses. Le processus néoplasique avait envahi le nerf rachidien le long de sa colonne, lui causant une douleur atroce qui ne réagissait que faiblement à la morphine. Son chirurgien avait proposé, en ultime recours, une cordotomie, opération consistant à sectionner les nerfs de la moelle épinière qui conduisent les stimuli de la douleur. Elle désirait désespérément un soulagement de sa douleur, mais elle était incapable d’affronter les risques de ce procédé : une possible paralysie des jambes, et de l’incontinence. Elle devint profondément dépressive, à un tel point qu’elle songeait sérieusement à se suicider. En outre, elle se sentait complètement épuisée, et elle manquait d’initiative et d’intérêt pour quoi que ce soit. C’est donc bien chaleureusement qu’elle accueillit la proposition de thérapie psychédélique, surtout lorsqu’elle apprit que dans bien des cas, cela avait aidé à soulager les douleurs atroces associées au cancer. Pendant le processus de préparation, nous avons entendu l’histoire difficile et émouvante de Suzanne, plus particulièrement celle de son enfance, sévèrement défavorisée. Sa mère était une femme attirante mais émotionnellement instable. Elle était très dévergondée et se prostituait de temps en temps. Elle s’était mariée cinq fois et elle avait eu de nombreux petits amis. Suzanne avait passé la majeure partie de son enfance seule. La négligence de sa mère affectait même les aspects les plus élémentaires de l’existence de sa fille. Suzanne se souvint de nombreuses fois où, affamée, elle s’asseyait devant la porte de son voisin, espérant obtenir quelque chose à manger, ou lorsqu’elle allait chercher des restes dans les poubelles. Son ressentiment à l’égard de sa mère était assez évident ; elle la décrivait comme fourbe, destructrice et dominatrice. Plus tard dans son enfance, Suzanne avait été envoyée en pensionnat. Malgré le régime emprisonnant et rigide, l’école était une nette amélioration par rapport à sa situation chez sa mère. Des épisodes de profonde dépression avec des envies de suicide, de la panique, la peur de l’obscurité et des terribles cauchemars, venaient compléter le tableau des luttes émotionnelles de Suzanne dans son enfance. L’adolescence et l’âge adulte de Suzanne étaient aussi parsemés de sérieux problèmes et conflits. Elle n’avait eu que quelques relations superficielles avant de rencontrer son mari. Leur relation était au début très enthousiasmante et épanouissante, mais elle se détériora rapidement après leur mariage. Suzanne vécut des abus émotionnels, puis physiques, de la part de son mari. Au moment de leur divorce, elle était tellement déstabilisée émotionnellement qu’elle dut être Commentaire [E135]: The nerve plexuses Commentaire [E136]: cordotomie Intervention neurochirurgicale visant à calmer la douleur et consistant à sectionner les nerfs de la moelle épinière qui interviennent dans la transmission des signaux de douleur. hospitalisée dans un centre psychiatrique. En raison de ses problèmes émotionnels, ce fut son exmari qui reçut la garde de leurs enfants. Après le divorce, Suzanne ne voyait ses enfants que très rarement et ils lui manquaient beaucoup. Peu de temps après son divorce, elle commença à vivre avec Michael, un artiste au chômage. Le couple était entretenu financièrement par la mère de Suzanne qui, d’après elle, essayait de rattraper sa négligence passée et de calmer sa culpabilité. Sa mère utilisait la dépendance financière du couple pour les manipuler et les contrôler. Suzanne essaya de toutes ses forces de se libérer du puissant lien ambivalent avec sa mère et de « couper le cordon ombilical », mais elle n’y parvenait pas. Les problèmes gynécologiques de Suzanne avaient commencé lors d’un voyage au Mexique, où elle avait contracté la dysenterie et avait développé des saignements vaginaux. Au moment de son retour, elle avait fait un frottis de dépistage du cancer, et une biopsie de l’utérus qui lui donnèrent tous les deux des résultats positifs. Lorsqu’elle apprit son diagnostic, elle y réagit par la peur et la dépression, et elle pleura amèrement pendant plusieurs jours. Il lui arrivait d’avoir des moments de colère où elle se disait que la vie lui avait joué un sale tour. Ses tendances suicidaires étaient très fortes et elle aurait essayé de se tuer si elle n’avait eu l’intuition que tout ce qui lui arrivait avait une raison d’être plus profonde. Suzanne fit remonter l’origine de ce sentiment optimiste à une expérience spirituelle inhabituelle qui lui était arrivée de façon spontanée peu après son hystérectomie : elle avait eu l’impression qu’elle avait quitté son corps et qu’elle flottait au-dessus de la ville de San Francisco. La ville était illuminée de milliers de lumières, et la vue était à couper le souffle. À ce moment-là, toute sa douleur émotionnelle et physique disparut, et elle vécut un ravissement extatique, une profonde paix intérieure, et un bonheur inouï. Pendant la semaine qui suivi cet épisode, elle pouvait quitter son corps lorsqu’elle le souhaitait et avoir des expériences similaires, mais elle était trop effrayée pour explorer plus profondément ces états. La première séance au DPT de Suzanne Tout comme Jesse, Suzanne fut désignée au projet de recherche psychédélique au DPT. Sa première séance psychédélique fut très intense et assez difficile. Peu après l’injection de 120 milligrammes par voie intraveineuse, elle eut la sensation que tout commençait à tourner autour d’elle, comme dans un tourbillon géant. Elle entrepris une lutte vicieuse contre un danger dépourvu de toute forme ou inconnu, une bataille à la vie, à la mort, qui était accablante et qui lui était totalement incompréhensible. Elle se sentait contrainte physiquement et elle haletait tout en s’étouffant. Une énergie puissante traversait tout son corps, et ses cuisses tremblaient violemment. Les sentiments qui prévalaient étaient une douleur intense et la maladie. Elle essaya d’arrêter l’expérience, mais sans succès. Des vagues de nausée traversaient son être entier et culminèrent dans des vomissements explosifs qui avaient une puissante qualité purgatoire. Pendant ce moment difficile, nous avons essayé de soutenir Suzanne, mais le contact avec elle était très limité parce qu’elle était totalement absorbée dans son expérience. Plus tard, elle nous dit qu’elle avait essayé désespérément de traverser une grande masse triangulaire de matériau noir brillant, qui semblait être une montagne de charbon anthracite avec des bords irréguliers. Elle eut l’impression qu’elle mordait et suçait son chemin et déchirant la masse noire avec ses doigts. Lorsqu’elle parvint finalement à venir à bout de la montagne noire, elle vit des formes affluant, de couleurs rose brillant et or. Elle eut l’intuition que le rose symbolisait la douleur, et que l’or représentait la bonté. L’expérience se transforma ensuite en un monde de millions de couleurs et d’images de galaxies tournantes. Plus tard, Suzanne identifia la montagne noire d’où elle avait été libérée comme étant un symbole de la mort. Le résultat de cette séance fut que la condition émotionnelle de Suzanne s’améliora considérablement. Sa dépression disparut totalement, ses peurs furent soulagées et elle ressentit un regain d’énergie et d’initiative. Cependant, l’amélioration dont elle avait désespérément besoin, le soulagement de sa douleur physique, n’arriva pas. Étant donné que la seule alternative restante était la neuro-chirurgie, qui l’effrayait nous avons calé une autre séance au DPT, peu de temps après la première, pour lui donner une seconde chance. Seconde séance au DPT de Suzanne Dans la seconde séance, nous avons utilisé la même dose de DPT, 120 milligrammes par voie intraveineuse. Suzanne recommença à se sentir nauséeuse. Cependant, cette fois, la sensation de nausée était accompagnée par un contenu psychologique très clair. Suzanne se vit comme une mère enceinte et s’identifia simultanément avec le bébé dans un ventre toxique. Elle faisait de l’hyper-salivation et elle vivait l’eau dans sa bouche comme étant un liquide amniotique. Soudain une tâche de sang apparut dans son champ visuel, et ensuite, tout devint taché de sang. Suzanne commença à traverser de nombreuses séquences de mort et de naissance dans des conditions variées. Le trait principal de ces séquences était un étrange mélange entre l’agonie de la mort et l’extase de la naissance. Elle oscillait entre des sentiments d’emprisonnement et des tentatives désespérées pour se libérer, entre l’agonie de la solitude métaphysique, et la lutte pour se réunir, entre la rage meurtrière et des sentiments d’amour passionné. Elle s’identifia profondément à toutes les mères qui avaient jamais donné naissance, et avec tous les enfants qui étaient jamais nés. À travers ces épisodes de naissance et de mort, elle se connecta à « toute l’humanité souffrante, avec des millions et des millions de personnes qui criaient de douleur ». Elle pleurait avec eux, et, au même moment, elle s’identifiait à eux, et éprouva de l’extase dans cette union dans l’agonie. Plusieurs fois elle eut des aperçus de quelque chose qui semblait être des séquences de vies antérieures ou de ses incarnations précédentes. Dans l’une d’elles elle était une Africaine courant avec les membres de sa tribu dans des plaines desséchées par le soleil, dans ce qui semblait être une scène de violente guerre tribale. À la fin de cet épisode, elle fut transpercée par une lance, qui la pénétra profondément dans le dos. Blessée à mort, elle perdit conscience et mourut. Dans une autre séquence, elle donna naissance à un enfant dans l’Angleterre Médiévale. Elle eut l’intuition que cette mort particulière et la naissance de cet enfant dans ses vies antérieures étaient liées de près à au revécu de sa propre naissance. Plus tard dans la séance, elle devint un oiseau transpercé par une flèche en plein vol et qui l’aile blessée s’échut. Finalement, toutes ces séquences de mort et de naissance semblaient converger en une puissante image unificatrice. Elle devint la mère de tous les hommes qui avaient jamais été tués dans toutes les guerres dans l’histoire de l’humanité. En devenant toutes ces mères, et tous ces enfants, elle eut la sensation qu’elle devint aussi un fœtus géant grandissant à l’intérieur d’elle-même et essayant de se donner naissance soi-même. Dans une séquence finale, de naissance et de mort, son ego adulte mourut et un nouveau soi était né. Puis elle devint un petit point dans l’espace, dans un univers infini empli d’étoiles magnifiques. À mesure que l’expérience s’atténuait, Suzanne se souvint de périodes différentes de sa vie actuelle. Elle se vit comme un petit enfant pleurant dans le berceau, revécut ses cauchemars d’enfance (y compris son besoin de dormir avec la lumière allumée), et elle vit son père et sa mère en train de se battre. En revivant ses épisodes, elle parvint à les réévaluer par rapport au nouveau tableau de ses impressions universelles et de ses sentiments cosmiques. Puis elle ressentit un profond amour pour son compagnon Michael et le besoin qu’il la rejoigne dans la séance. La seconde séance de DPT de Suzanne était encore décevante en ce sens qu’elle ne soulagea pas sa douleur. Dans les jours qui suivirent la séance sa souffrance physique était aussi intense et atroce que jamais. Cependant, elle en tira d’énormes bénéfices dans tous les autres domaines. La dépression avait complètement disparu et elle irradiait d’énergie et de détermination. Elle décida de continuer ses études de psychologie, aussi intensément que sa maladie le lui permettrait. Dans son nouvel état d’esprit, elle réussit également à résoudre le problème de cordotomie qui par le passé l’avait tellement effrayée. Le risque de paralysie et d’incontinence semblait valoir désormais le coup, car il lui offrait la possibilité de se débarrasser de la douleur. Elle dit : « Je m’en fiche si je suis handicapée de mon cou jusqu’aux pieds et si je pisse partout dans Baltimore ; je veux que ma conscience soit claire sans être monopolisée par cette douleur. » L’opération eut lieu après la séance et son résultat fut étonnant. La douleur de Suzanne disparut complètement, et le chirurgien réussi à sectionner uniquement les nerfs sensibles sans abîmer du les neurones moteurs. Aucune des complications que l’on avait craintes ne s’était matérialisée. La conséquence la plus frappante de la seconde séance au DPT, était le changement dans sa conception de la mort et son attitude envers elle. Elle devint ouverte à la possibilité qu’après la mort une partie de l’énergie qui constitue l’être humain continue à exister, dans une forme consciente. Au lieu de voir la mort comme un désastre ultime, la noirceur absolue, le néant et le vide, comme elle l’avait conçue jusque-là, elle commença à la voir en termes de cycles cosmiques et de transitions. Le concept de la réincarnation et de la chaîne de vies lui était devenu quelque chose de très plausible. Suzanne parvint à continuer sa vie sans être opprimée par son cancer, vivant au jour le jour, et se concentrant sur les problèmes de chaque jour. Elle nous dit : « En fait, c’est ce que nous devrions tous faire, que nous soyons malades ou en bonne santé ; aucun d’entre nous ne sait quel jour et à quelle heure il va mourir ». Pendant quelque temps, il sembla que la nouvelle attitude de Suzanne allait vaincre sa maladie. Une laparotomie exploratoire, faite quelques jours après sa cordotomie, montra que sa tumeur diminuait. Cela confirma l’optimisme de Suzanne, et pendant plusieurs mois, elle vécut comme si elle n’avait jamais eu de cancer : « je n’y pense plus », dit-elle lorsque nous lui avons demandé comment elle se sentait par rapport à sa maladie. A cette époque-là, elle postula à une bourse, et elle était déterminée à poursuivre ses études de psychologie. Le titre provisoire de sa thèse était « L’Effet de la Thérapie Psychédélique Sur Les Personnes Souffrant de Cancer ». À notre grande surprise et déception, sa douleur revint. Le début fut progressif, mais, plus tard, son intensité augmenta rapidement, jusqu’à ce que sa douleur devienne de nouveau insupportable. Elle commençait dans sa tumeur résiduelle et elle se prolongeait dans son bassin et ses jambes. Une autre intervention chirurgicale n’apporta qu’un soulagement temporaire. Suzanne continuait à perdre du poids, et développait des effets secondaires sévères à la chimiothérapie, traitement qui n’avait qu’un effet mineur. La tumeur se propagea jusque dans ses reins, et lui causa des dégâts irréversibles. À partir de ce moment-là, la maladie de Suzanne progressa rapidement. Dans cette dégringolade, elle parvint néanmoins à maintenir les impressions de sa séance au DPT, selon laquelle qu’il devait y avoir une existence au-delà de la mort physique : « il y a une lumière de l’autre côté de la montagne d’anthracite ». Malgré toute sa souffrance physique, la mort de Suzanne fut très paisible. L’histoire de John Lorsque nous avons rencontré John pendant les grandes tournées de l’Unité de cancérologie de l’hôpital de Sinaï, il était profondément dépressif et annihilé par sa maladie. Cela faisait pendant plusieurs semaines qu’il restait couché, incapable de se lever, ni même d’aller aux toilettes. Il était rare qu’il mange ses repas, il n’écoutait pas la radio, et ne voulait pas lire de livre ni de journal. Regarder la nouvelle télévision couleur que son beau-père lui avait offerte expressément, ne l’intéressait pas. John était complètement préoccupé par la nature et l’intensité de sa douleur et de sa souffrance physique. Il se plaignait que, peu importe la position qu’il prenait, sa douleur était intolérable et elle empirait à chaque instant. Il craignait même les plus petits changements de sa position, passifs ou actifs, et il se sentait littéralement immobilisé par son agonie physique qui avait capturé et annihilé toute son attention. Une année auparavant, les médecins de Sinaï avaient découvert que John avait une hypernéphrome maligne, une tumeur dans son rein droit, originaire de la glande ad rénale. Une opération chirurgicale au cours de laquelle. On procéda sur le champ à une néphrectomie, au cours de laquelle on lui retira son rein droit. Cependant la tumeur avait déjà métastasé. Dans les mois qui suivirent, John développa des symptômes progressifs de croissances secondaires. Au moment où nous nous sommes vus la première fois, la tumeur s’était propagée vers sa colonne vertébrale, et elle lui causait de graves problèmes neurologiques. Commentaire [E137]: La laparotomie est un acte chirurgical consistant en l'ouverture de l'abdomen par une incision large, laissant le passage direct à d'autres actes chirurgicaux sur les organes abdominaux et pelviens. Différentes incisions sont possibles, et la plus courante est une ouverture allant du pubis au sternum (appelée laparotomie médiane xyphopubienne). Dans le cadre de certaines interventions en chirugie gynécologique, notamment les césariennes, la laparotomie est horizontale et très basse, à la limite des poils pubiens, et est nommée incision de Pfannenstiel. John avait trente-six ans, il était marié et avait trois enfants. Les deux époux considéraient leur mariage meilleur que la moyenne. Parfois, il leur arrivait de se disputer à propos de l’éducation de leurs enfants, mais, d’une façon générale, la famille manifestait un sens de profonde loyauté, de coopération et de chaleur. La femme de John, Marthe, venait chaque jour à l’hôpital vers dix heures du matin, et elle y restait jusqu’au soir bien que son mari lui parlât à peine au cours de ces visites, et qu’il ne témoignât aucun intérêt concernant les affaires familiales. Soit il se plaignait de sa douleur insoutenable soit sa forte médication l’avait assoupi. Marthe apportait toujours un travail à faire à l’hôpital ; elle s’asseyait calmement sur le fauteuil, et elle était disponible lorsque John avait besoin d’elle. Marthe avait appris le diagnostic de son mari peu de temps après les analyses, et elle semblait affronter le problème avec un courage considérable. Elle avait caché le diagnostic et le pronostic à John, pendant de nombreux mois aussi longtemps qu’elle avait pu tenir. Peu avant que notre première rencontre avec John, elle avait décidé de lui dire la vérité. John savait désormais qu’il avait un cancer ; mais son attitude concernant son futur oscillait entre le pessimisme et l’optimisme. Il évoquait souvent la mort, et il dit même à Marthe d’organiser des funérailles simples, pour économiser de l’argent pour les enfants. À d’autres moments, il avait des plans à long terme concernant son travail, et il parlait de vacances qu’ils prendraient tous à l’étranger une fois qu’il serait guérit. Peu de temps après avoir dit la vérité à John, elle décida de parler ouvertement de la situation avec la mère de John. Cependant, elle avait décidé de ne pas dire à John ce qu’elle avait dit à sa mère parce que « John serait contrarié sachant à quel point cette nouvelle affecterait sa mère ». John était un patient plutôt problématique pour la thérapie psychédélique dans laquelle la préparation psychologique et la coopération sont considérées comme essentielles à la réussite de l’expérience. Il était extrêmement réticent à établir le contact et à engager une conversation. Il était tellement préoccupé par sa maladie et sa douleur, ou altéré mentalement par les narcotiques et les médicaments qui le faisaient dormir, que toute conversation ciblée était impossible. Il ne voulait pas évoquer la situation de sa vie, son passé, ou des aspects psychologiques de la thérapie psychédélique tout simplement parce qu’il ne voyait pas de lien direct entre ces sujets et sa douleur physique. La préparation fut, de ce fait, écourtée au strict minimum, et certaines des informations fondamentales nous furent données par son épouse. Dans ces conditions, nous étions un peu réticents à l’idée de conduire la séance, car nous avions l’impression que nous avions échoué à établir un rapport suffisant de confiance et de compréhension : éléments que nous considérions essentiels à une thérapie sûre et productive. Malgré nos sentiments mitigés, nous avons finalement décidé de procéder à la séance, en raison des demandes désespérées de Marthe et de l’insistance de John pour que nous lui administrions le traitement promis, si celui-ci lui laissait entrevoir l’espoir de soulager sa douleur. La séance au DPT de John Le matin de la séance, John reçut 60 milligrammes de DPT par voie intraveineuse, une dose moindre que d’habitude, car nous avions le sentiment que John n’était pas prêt pour l’expérience. Lorsque la drogue commença à faire effet, nous avons encouragé John à mettre le bandeau et le casque. Il s’y plia de façon réticente, après avoir insisté sur le fait que la seule chose qu’il pouvait supporter était de la musique douce, suave et discrète. Cela cadrait avec l’attitude de John envers les sons et avec son comportement dans la vie de tous les jours. Il préférait se reposer toute la journée dans l’obscurité et dans un silence absolu. Les stimuli visuels, tactiles ou acoustiques semblaient accroître sa douleur et l’irriter. Au début de sa séance de DPT, John se plaignait fréquemment de son inconfort physique, de ses sensations de chaleur, et du fait qu’il détestait la musique. Il était nauséeux, et vomit plusieurs fois. D’une façon générale, ses expériences semblaient assez inintéressantes, et il ne s’y passait pas grand chose. Il passa beaucoup de temps à lutter contre les effets de la drogue, et garder le contrôle lui demandait de grands efforts. Il lui était extrêmement difficile de laisser aller ses défenses et d’affronter le matériel inconscient qui émergeait. Le contenu de sa séance semblait relativement superficiel, il s’agissait surtout de souvenirs de sa vie. John se souvint de diverses périodes de sa vie, et revécut plusieurs événements traumatisants de son enfance, y compris un accident ferroviaire qu’il avait vu, lorsqu’il était enfant, et une blessure dont sa petite sœur de trois ans souffrit lorsque son traîneau frappa un arbre et qu’elle se cassa la jambe. John rencontra aussi de nombreux épisodes de scènes de guerre violentes qui lui firent revivre des souvenirs de son service militaire. À un moment donné dans la séance, John eu des visions d’un orage sur l’océan, de bateaux qui coulaient, et de personnes qui se noyaient. Après cela, il se reconnecta à un souvenir d’un événement dangereux sur la baie de Chesapeake : John et quelques-uns de ses amis proches étaient partis en croisière sur un bateau qui faillit avoir une collision avec un cargo japonais. Dans la seconde moitié de la séance, John devint progressivement de plus en plus fatigué, et il insista pour enlever le bandeau et le casque. Il eut l’impression qu’aucune solution ou déblocage n’avait eut lieu. Les effets de la drogue disparurent et nous fûmes tous déçus par la séance. Le seul aspect qui semblait rattraper un peu les choses fut un souvenir, en apparence trivial, d’un grand bol ou pichet rempli de thé glacé. Cette vision lui semblait très pertinente, liée à une situation importante ou à un problème de son enfance. Dans nos discussions dans les séances de suivi, John revenait sans arrêt à cette image. Bien qu’il ne parvint jamais à en comprendre le sens, ce souvenir le remplit d’enthousiasme. Lorsque nous vîmes John à l’hôpital le jour suivant la séance, il était dans son lit, faible, extrêmement fatigué, et il ne communiquait pratiquement pas. Cela confirma nos sentiments selon lesquels la séance n’avait pas été productive. Cependant, le surlendemain de la séance, la condition de John se transforma soudain de façon radicale. Son humeur s’améliora, il souriait aux gens, et il se mit à communiquer avec sa famille. Lorsqu’il parla avec sa femme, il témoigna de l’intérêt envers les enfants, et envers la famille pour la première fois depuis des mois. Il réclama une radio, et il passa du temps à écouter une musique douce. Il mettait la nouvelle télévision couleur pendant plusieurs heures par jour. Au grand étonnement de tout le monde, la douleur de John avait complètement disparu. C’était extrêmement surprenant car l’une des métastases touchait les nerfs de sa colonne. John était maintenant capable d’aller aux toilettes sans la moindre aide, et même de marcher dans les couloirs de l’hôpital. Il cessa de parler de sa maladie et de sa souffrance et il appréciait les discussions à propos des problèmes politiques, sociaux et familiaux. D’après Marthe, John semblait totalement transformé ; c’était « le jour et la nuit ». Maintenant il riait souvent, faisait des blagues et montrait de l’intérêt pour plein de sujets différents. Dix jours plus tard, nous eûmes encore des informations intéressantes en analysant ses réponses au Questionnaire d’Expériences Psychédéliques (QEP). Nous avons découvert que John avait répondu de façon affirmative à l’article « Visions de personnages religieux (Jésus, Bouddha, Mohammed, Sri Ramamna Maharashi etc…). La note qu’il avait donnée à son expérience était de 5 points, sur une échelle allant de 0 à 5. C’était assez étonnant étant donné que nous lui avions demandé explicitement après sa séance s’il avait rencontré des éléments religieux au cours de son expérience, et qu’il l’avait nié. Lorsque nous lui avons demandé d’expliquer ce décalage, il dit qu’à un moment donné il avait vu « de grandes statues de bronze des Orientaux…comment les appelle-ton déjà ? Ah oui, des Bouddhas. Il y avait des inscriptions en dessous, en latin. Je ne lis pas le latin alors je n’ai pas réussi à les déchiffrer. C’est pourquoi je ne vous en avais pas parlé ». Peu après cette séance, John interrompit toute médication et il fut libre de toute douleur pendant les deux mois qui suivirent, juste avant qu’il ne meurt. Cette séance, qui avait d’abord été considérée par tout le monde comme un échec, s’était trouvée être l’un des plus brillants succès thérapeutiques de notre étude. Concernant la douleur intraitable, le cas de John était le plus significatif de la thérapie psychédélique qu’il nous ait jamais été donné d’observer. Le décalage entre le contenu et le cours de la séance d’une part, et le résultat thérapeutique d’autre part, illustre particulièrement bien la nature imprévisible de la thérapie psychédélique sur la douleur. L’histoire de Catherine Catherine était une femme d’affaires de soixante ans souffrant d’un cancer du sein et de carcinome des intestins, avec métastases au foie. L’histoire de sa vie était l’une des histoires les plus difficiles que nous ayons jamais rencontrées chez nos patients : une combinaison de traumatismes d’enfance dans une famille sévèrement perturbée, des abus et des ridiculisations qu’elle avait vécu en tant que juive, une histoire sexuelle extrêmement traumatisante, et un mariage difficile. Le traumatisme le plus important de sa vie arriva à l’âge de treize ans, lorsqu’elle fut brutalement violée : elle tomba enceinte et contracta la gonorrhée. Sa mère la força à avorter illégalement à un stade très avancé de sa grossesse. Le fœtus avorté était vivant, et Catherine regarda l’avorteuse noyer le fœtus dans un évier et s’en débarrasser. Toute sa vie d’adulte, Catherine avait voulu avoir des enfants, mais la gonorrhée l’avait laissée stérile. Connaissant le passé difficile de Catherine, nous avons entrepris son traitement avec une certaine réserve. Pendant les séances psychédéliques, les patients sont généralement confrontés aux événements traumatisants de leur passé, et, généralement, il faut une série de séances pour en venir à bout. De tels efforts sont justifiés s’il y a suffisamment de temps pour la thérapie systématique et si les patients ont suffisamment d’espérance de vie pour bénéficier des résultats positifs. Nous avons donc hésité à contribuer à la souffrance de Catherine étant donné le peu de temps qu’il lui restait à vivre. Cependant, une circonstance encourageante était qu’elle avait été la huitième de neufs enfants, que sa naissance avait été facile et n’avait duré que quelques heures. D’après notre expérience, la nature de sa naissance était d’augure positif pour la séance psychédélique. Mais il restait à voir si la nature de la séance de Catherine allait être davantage influencée par sa naissance facile ou par son histoire postnatale gravement traumatique. La séance au LSD de Catherine Le matin de sa séance, on donna 400 milligrammes de LSD à Catherine. Son premier symptôme fut une intense nausée ; cependant, cette sensation n’était pas seulement physique : elle avait un profond sens spirituel. Il s’ensuivit une brève période de calme, ensuite Catherine commença à voir de belles émeraudes et des opales dans des verts et des bleus doux, tournoyant et tombant du ciel. Un magnifique rayon de brillante lumière verte les illuminait ; la lumière semblait venir de l’intérieur d’elle-même. Les pierres précieuses et les bijoux avaient un sens bien plus profond que leur simple beauté. La lumière verte émanant d’eux était de nature spirituelle et elle la soulageait de sa douleur et de sa souffrance. Puis toute la beauté disparut et Catherine commença à revoir des aspects variés de sa vie. Des larmes coulaient le long de ses joues lorsqu’elle revécut les frustrations de son enfance, la confusion de sa lourde histoire sexuelle, les échecs de son mariage et les humiliations qu’elle avait vécues en tant que Juive. Pendant cette purification, sa grande haine d’elle-même fut transformée en humour incisif. Pour la première fois de sa vie, elle commença même à éprouver des sentiments authentiques d’amour. Plus tard dans la séance, la musique lui semblait de plus en plus forte, comme un cyclone tournant à une grande vitesse, une tornade très sauvage et courroucée qui lui déchirait les intestins. La tornade la ramassa et menaça de la jeter dans l’espace, où plus rien ne resterait d’elle. Elle lutta contre la force absorbante de ce tourbillon puissant, ayant peur de se laisser entraîner vers le centre de ce vortex, où elle sa chair et ses os risquaient de lui être arrachés, et où plus rien ne resterait d’elle. Puis, elle eut l’intuition qu’une bataille vicieuse se jouait avec des armes très primitives : des épées, des poignards, et des arbalètes. Catherine était directement engagée dans cette guerre sanguinaire, elle cisaillait férocement et elle était férocement cisaillée en retour. Simultanément elle avait l’impression d’être emportée vers le haut par la musique. Deux roues de musique la levaient et la poussaient vers l’avant. La pression était insoutenable, et elle avait peur d’exploser. Sa situation était tellement intense qu’il semblait qu’une bombe atomique géante, bien plus grande que tout ce qui était connu sur la terre, une bombe qui allait détruire tout l’univers, et pas seulement une de ses parties menaçait à chaque instant d’exploser. Il lui semblait avoir le visage cassant, comme la porcelaine la plus raffinée de Chine, et elle pouvait entendre de petits os se casser sur ses joues et sur sa tête. Puis son crâne craqua, et se brisa en mille morceaux. Le sang inonda son visage. Elle se sentait comme un petit bébé sans défense, luttant pour naître et buttant contre quelque chose pendant l’accouchement. L’expérience avait une caractéristique que Catherine appela «miroitement d’intimité». Elle culmina dans une vision d’une roue gigantesque atteignant l’infini. Toutes les religions du monde étaient autour de la roue sur sa jante infinie, irradiant vers le centre et vers l’extérieur. Elles étaient représentées par des images de leur service divin, des symboles sacrés et des inscriptions, évidentes ou cryptées. Catherine parvint à en reconnaître certaines d’entre elles et elle connaissait leur nom : Christianisme, Judaïsme, Islam, Hindouïsme et Bouddhisme. Elle vit beaucoup d’autres croyances qu’elle ne reconnut pas mais elle parvenait à comprendre leurs messages spirituels et leur culte. Catherine se tenait au milieu de la roue, attrapée en son centre, attirée, entraînée, et tiraillée entre ces différentes fois religieuses. Toutes les religions se l’arrachaient et se la disputaient en lui donnant le meilleur de ce qu’elles avaient à offrir. À chaque fois que Catherine était prête à succomber à l’une ou l’autre de ces religions, elle parvint à en discerner les faiblesses et elle changea d’avis. Puis la roue tourna de plus en plus vite, jusqu’à ce que Catherine ne puisse puis rien distinguer. Elle était totalement immobilisée, dans le centre du temps et de l’espace. Les segments périphériques de la roue, qui représentaient des crédos variés, se fondirent finalement en une foi unique : l’Au-Delà Central, le Divin transcendant toutes les formes et toutes les limites, à la fois sans forme et à la source même de toute forme. Tout était inondé par une lumière douce et dorée ; elle flottait et s’y baignait, se sentant réconfortée et bercée. Cette vision unifiée divine semblait être ce qu’elle avait intensément voulu, et désiré pendant toute sa vie. Elle atteignit presque la totale fusion et unité, mais elle resta à une distance de un pas de là. Juste avant de se fondre avec la lumière divine, elle réalisa que Dieu Suprême est toujours mâle et qu’elle ne pouvait pas s’y abandonner ou s’y fondre complètement. Après ce point culminant, la session se termina, et la période de fin fut douce et suave. Catherine se sentit immergée dans une brillance chaude et dorée et elle se vit aimant et étant aimée. Lorsque nous lui avons donné des fraises à la crème chantilly, elle dit : « c’est le repas le plus fantastique que j’aie eu de ma vie. Tellement sensuel, que cela en devenait presque obscène, et les goûts sont incroyablement distincts. » À un moment donné, Catherine regarda ma co-thérapeute Joan pendant un long moment, et elle la vit comme une figure féminine composite représentant simultanément sa mère, sa sœur et sa fille. Plus tard dans la soirée, elle exprima sa profonde gratitude pour son expérience, et pour toutes les impressions cosmiques, qu’elle voyait comme une grâce spéciale et un privilège. Deux expériences lui étaient particulièrement précieuses : celles de souvenirs d’incarnations passées. Dans l’une d’elles elle s’identifia à un érudit grec, asservi à un Romain riche et le tuteur de ses enfants. Même s’il se savait soumis, il se sentait au-dessus de lui et libre dans sa tête et dans son esprit. Dans le second, elle s’était vue comme un moine oriental avec le crâne tête rasé, vêtu de vêtements couleur safran et irradiant de joie et de paix. Catherine voyait la séance comme un événement très important de sa vie. Auparavant, elle avait été gravement déprimée et elle avait cherché à se procurer un poison efficace. Son envie de suicide avait à présent disparu complètement. Elle sentait qu’elle avait entrepris un chapitre entièrement neuf. « J’ai existé pendant toutes ces années, j’ai commencé à vivre ce vendredi. Je me sens sincèrement une autre personne, avec un esprit complètement neuf ; je suis libérée de toute douleur ». L’histoire de Joan Joan était une mère au foyer de quarante ans, mère de quatre enfants, lorsqu’elle se porta volontaire à notre programme de LSD. Deux de ces enfants, une fille de dix-sept ans et un fils de huit ans, étaient issus de son premier mariage. Elle prenait également soin d’un enfant adopté de neuf ans et d’un autre enfant de neuf ans issu du premier mariage de son mari ; en outre elle prenait part aussi à bon nombre d’autres activités, comme de groupes de rencontre et d’une école de ballet. Son Commentaire [E138]: Shimering coming togtherness cancer lui avait été diagnostiqué en 1971 après une longue période de perturbations superficielles de transits gastro-intestinaux. Le médecin qu’elle avait consulté avait d’abord découvert un ulcère gastrique, puis, voyant qu’au bout de six mois il n’était toujours pas guéri, il lui conseilla une intervention chirurgicale. Le chirurgien trouva une tumeur dans son estomac, et il fit une gastrectomie supérieure totale. Il remarqua une invasion gastrique agressive, mais pas de métastases généralisées. Un examen microscopique du tissu gastrique prélevé révéla des carcinomes anaplasiques nombreux. On informa Joan de son diagnostic en plusieurs étapes. D’abord, elle apprit qu’elle avait un ulcère gastrique, et plus tard elle découvrit qu’il s’agissait d’une tumeur, mais sans détails concernant sa nature. Puis son docteur lui dit qu’il s’agissait d’une tumeur maligne et lui révéla le fait le plus inquiétant : le tissu malin allait jusqu’au point de l’ablation. Elle eut ainsi le temps de s’adapter graduellement au diagnostic, avec tous les pronostics que cela impliquait. Sa première réaction fut une profonde dépression et de l’anxiété. Plus tard, elle parvint à se détacher, et cela remplaça sa désespérance et son sentiment d’impuissance. Au même moment, elle décida qu’elle ne voulait pas passer le temps qu’il lui restait à vivre à attendre passivement la mort. Elle était déterminée à faire quelque chose de sa maladie, à contribuer de quelque façon au processus de guérison, en faisant abstraction de ses chances de survie. Après que les médecins lui avaient dit que plus rien ne pouvait être fait par voie médicale, Joan passa du temps à chercher des guérisseurs et d’autres aides alternatives. C’est à ce moment-là qu’elle entendit parler du programme de Spring Grove de thérapie psychédélique, pour les personnes souffrant de cancer. Elle prit rendez-vous avec nous, pour voir le lieu, rencontrer l’équipe de recherche, et recevoir davantage d’information sur le programme. Nous avons expliqué la nature de la thérapie psychédélique et nous lui avons montré à la fois son potentiel thérapeutique et ses limites. Nous avons évoqué le fait que, nous savions d’expérience, que cette thérapie pouvait avoir des effets très bénéfiques sur la douleur, et sur la détresse émotionnelle accompagnant la maladie. Nous avons également parlé brièvement d’à quel point les séances au LSD avaient affecté les concepts et les attitudes des gens à l’égard de la mort. Nous avons insisté sur le fait que nous n’avions aucune information concernant les effets de la thérapie psychédélique sur le processus du cancer en lui-même. Cependant, nous n’avons pas exclu de manière explicite la possibilité qu’un changement favorable de la condition émotionnelle du patient influence le progrès de la maladie. Joan arriva à la première interview accompagnée de son mari Dick ; comme il était éducateur, il s’inquiétait tout naturellement des effets pervers éventuels du LSD. Nous lui avons expliqué qu’avec un dosage judicieux du LSD, le rapport entre les bénéfices et les risques était totalement différent de celui de l’expérimentation personnelle non supervisée. Après avoir mis au clair ce point, Joan et Dick participèrent tous les deux de manière enthousiaste au programme de LSD. La préparation à la première séance au LSD consistait en plusieurs entretiens exempts de toute médication avec Joan seule, et en une autre entrevue avec Joan et Dick. À ce moment-là, Joan était anxieuse et dépressive. Elle était très fatiguée et les sujets et les activités qui, avant sa maladie, avaient été des sources de grandes joies ne l’intéressaient plus. Sa maladie l’avait rendue très tendue et irritable ; son degré de tolérance à la frustration était plus bas que jamais. Pendant nos discussions préliminaires, sa souffrance physique lui était encore tolérable. Elle éprouvait un inconfort gastro-intestinal général, mais sa douleur n’avait pas en elle-même atteint une intensité qui la rendait malheureuse ou qui rendait sa vie insupportable. Elle avait bien plus d’appréhension envers le futur qu’envers sa souffrance physique. Joan était parfaitement consciente du diagnostic et du pronostic de sa maladie et elle était capable d’en discuter assez ouvertement lorsqu’on le lui demandait de façon explicite. Sa principale préoccupation était de conclure dignement sa relation à ses enfants et à son mari. Elle espérait les quitter libres de toute culpabilité, de colère, d’amertume, ou de douleur pathologique, de façon à ce qu’ils puissent continuer à vivre leur vie libres du fardeau psychologique de sa mort. Joan comprenait qu’il était nécessaire pour elle d’explorer son passé avant la séance de LSD. Nous lui avons expliqué que le succès du traitement dépendait de sa capacité à atteindre le plus Commentaire [E139]: High subtotal gastrectomy Commentaire [E140]: On trouve anaplasiques et anaplastiques. lorsqu'on cherche. de clarté et compréhension possibles concernant les schémas et les conflits qui sous-tendaient la trajectoire de sa vie, depuis la naissance jusqu’au moment présent. Elle entreprit cette tâche avec un zèle inhabituel et écrivit son autobiographie détaillée, que nous avons ensuite utilisée comme base à nos discussions ultérieures concernant les aspects les plus importants de sa vie. L’enfance de Joan avait été profondément influencée par sa mère émotionnellement instable qui souffrait de dépressions sévères et était traitée par électrochocs lors de ses nombreux séjours en hôpital psychiatrique. La relation de Joan avec sa mère manquait d’intimité, était instable et déstabilisante. Joan se sentait bien plus proche de son père, qui lui, exprimait des sentiments chaleureux envers elle, et qui lui apportait son soutien. Cependant, pendant les dernières années, elle s’aperçut que leur relation avait un contenu sensuel puissant, ce qui provoqua chez Joan de la peur et de la culpabilité en raison de sa sévère éducation catholique. La relation entre ses parents était disharmonieuse, avec des bagarres et des disputes constantes. Le mariage se solda finalement par un divorce. Joan se décrivit comme étant dans sa jeunesse une « enfant relativement renfermée dotée d’un riche imaginaire ». Elle n’avait que quelques amis et n’entretenait que peu de relations avec ses camarades en dehors de ce cercle restreint. Dans sa relation à ses quatre frère et sœurs, elle avait un lien de proximité profond avec son jeune frère, en revanche, elle éprouvait une grande rivalité envers sa sœur. Au moment de sa séance au LSD, elle se sentait assez étrangère à ses frères et sœurs. Sa fréquentation d’ une école paroissiale tenue exclusivement par des religieuses acheva de renforcer les éléments puritains dans l’éducation de Joan. Ce qu’elle vécut à l’école entrava plus tard son développement sexuel. Pendant son adolescence, elle éprouvait des difficultés relationnelles d’une façon générale, en raison de son anxiété, de son insécurité et de ses sentiments d’inadéquation. Tous ces problèmes s’intensifiaient lorsqu’il s’agissait de partenaires sexuels potentiels. Le monde de Joan était garni d’un imaginaire romantique contrastant radicalement avec sa vie érotique réelle. Ses quelques relations avaient été superficielles et de courte durée ; elle n’eut pas d’expériences sexuelles avant son mariage. De nombreux problèmes et conflits, notamment la possession et la jalousie de la part des deux époux troublaient son mariage. Son mari, qui au début avait des opinions strictes concernant le sexe avant le mariage et la monogamie, s’intéressa à d’autres femmes et eu plusieurs aventures extraconjugales. Il eut une relation avec l’une de ses élèves qui tomba enceinte, ce qui fut la cause du divorce des époux. Peu après avoir divorcé de son premier mariage, Joan épousa Dick. Le second mariage était bien meilleur que le premier bien qu’il ne fut pas exempt de problèmes. Dans un entretien avec les deux époux, nous avons essayé d’identifier les sources de la difficulté de leur relation et de faciliter la communication entre eux. Nous leur avons demandé quel était l’aspect le plus gênant de leur mariage ; Joan évoqua l’impulsivité de Dick et sa possessivité. Dick de son côté avait l’impression que Joan n’était pas suffisamment engagée dans la relation et qu’elle ne s’investissait pas assez dans leur vie familiale. Sa grande indépendance constituait pour lui une grande menace, et il n’avait pas l’esprit en paix. L’exploration des nombreux cercles vicieux dans les relations quotidiennes de Joan et Dick, leur permit de déceler des précédents et des causes possibles à leurs peurs, insécurités et idiosyncrasies dans leurs enfances respectives. La conclusion à laquelle ils parvinrent était qu’ils allaient désormais chercher à communiquer à plusieurs niveaux en choisissant des voies plus efficaces. Ils tombèrent d’accord pour essayer de vivre au jour le jour chacun des jours restants à Joan, de la manière la plus achevée possible, sans permettre aux programmations passées et aux préoccupations à propos du futur de contaminer leur relation quotidienne présente. Nous avons tous eu le sentiment que les conditions étaient réunies pour conduire la première séance psychédélique de Joan. Voici la description, faite par Joan, de la séance. Première séance au LSD de Joan « J’avais une appréhension considérable lorsque j’ai commencé ma séance et j’ai trouvé ça extrêmement réconfortant de tenir les mains de Stan et de Nancy [Nancy Jewell était l’infirmière et co-thérapeute de la séance]. Environ vingt minutes après l’administration de 300 milligrammes de LSD, j’ai commencé à avoir des sensations de flottement et de vibration. En écoutant le second concerto pour piano de Brahms, je me suis vue dans le hall gigantesque d’un aéroport futuriste, à attendre mon vol. L’aéroport était empli de passagers habillés d’une façon extrêmement moderne ; un étrange sentiment d’excitation et d’attente semblait se dégager de cette foule inhabituelle. Soudain, j’ai entendu une voix forte à travers le système de haut-parleurs de l’aéroport : «C’est de Vous-même que vous allez faire l’expérience. Chez certains d’entrevous, ainsi que vous l’aurez remarqué, cela advient déjà ». En regardant les personnes qui m’entouraient, j’ai vu des changements étranges dans leurs visages ; leur corps avaient des tremblements nerveux, et prenaient des positions inhabituelles, alors qu’ils commençaient leurs voyages dans les mondes intérieurs ; à ce moment-là j’ai remarqué un son étrange d’une qualité réconfortante et calmante, comme un signal radio qui me guidait à travers les expériences et me rassurait. Il me semblait que mon cerveau était doucement brûlé, révélant son contenu, au fil des images. L’image de mon père apparut avec une grande clarté, et la nature de notre relation était analysée et explorée avec la précision d’une opération chirurgicale. J’ai perçu le besoin de mon père que je sois quelqu’un ou quelque chose que je ne pouvais pas être. J’ai réalisé que je devais être moi-même, même si cela le décevait. Je suis devenue consciente de tout un réseau de besoins émanant d’autres personnes – ceux de mon mari, de mes enfants, de mes amis. J’ai réalisé que les besoins des autres personnes rendaient pour moi plus difficile d’accepter la réalité de ma mort imminente et de m’en remettre au processus. Puis le voyage à l’intérieur se fit plus profond, et je rencontrai plein de monstres terrifiants qui ressemblaient à des images d’art oriental : des démons vicieux et des créatures maigres, affamées, surréalistes, dans un vert fluorescent. C’était comme si toute la panoplie des démons du Livre Tibétain des Morts avait été invoquée et qu’elle se mettait à faire une danse sauvage dans ma tête. À chaque fois que je m’avançais, la peur disparaissait, et l’image se transformait en quelque chose d’autre, généralement d’assez agréable. À un moment donné, alors que je regardais une créature vaseuse du mal, je réalisai qu’il s’agissait de produits de mon propre esprit, et d’extensions de moi-même. Je marmonnais :« Humm, ça aussi, c’est moi ». La rencontre avec les démons était accompagnée par une lutte intense pour respirer et par des sentiments d’anxiété, mais elle a duré relativement peu. Lorsqu’elle se termina, je ressentis des quantités d’énergie fantastique circulant dans mon corps. J’ai eu la sensation qu’il y avait tellement d’énergie qu’un seul individu ne pouvait pas toute la maîtriser ou la gérer efficacement. Il devint clair que je contenais tellement d’énergie que dans la vie de tous les jours, il devait m’arriver de la nier, ou de l’utiliser maladroitement et de la projeter sur d’autres personnes. J’ai eu des flashs de moi-même dans plein d’étapes de ma vie, endossant des rôles différents -fille, amante, jeune épouse, mère, artiste- et j’ai réalisé qu’ils ne pouvaient pas fonctionner correctement étant donné qu’ils étaient des récipients inadéquats à mon énergie. L’aspect le plus important de ces expériences était leur pertinence pour la compréhension de la mort. J’ai vu le magnifique déroulement du plan cosmique dans toutes ses nuances infinies et ramifications. Chaque individu représentait un fil dans le magnifique tissu de la vie et jouait un rôle spécifique. Tous ces rôles étaient également nécessaires au cœur de l’énergie centrale de l’univers, pas un n’avait plus d’importance que les autres. J’ai vu qu’après la mort, l’énergie de la vie vivait une transformation et que les rôles étaient redistribués. J’ai vu que mon rôle dans cette vie était d’être un patient atteint de cancer, et j’étais capable et désireuse de l’accepter. J’ai visualisé et compris intuitivement les dynamiques de la réincarnation. Elle était représentée symboliquement comme une vision de la terre avec beaucoup de chemins menant dans toutes les directions ; ils ressemblaient à des tunnels dans une montagne géante. Il devint clair à mes yeux qu’il y avait eu beaucoup de vies avant celle-ci, et que bien d’autres vies allaient suivre. L’objectif et la tâche est de vivre et d’explorer ce qui nous est assigné dans le scénario cosmique. La mort est simplement un épisode, une expérience transitoire dans cette magnifique pièce pérenne. Au cours de ma séance, j’ai eu des images de tableaux, de sculptures, d’artisanat, et d’architecture de nombreux pays et de cultures différents : l’Égypte ancienne, la Grèce, Rome, la Perse et l’Amérique précolombienne du nord et du sud, et l’Amérique Centrale. À travers la richesse de mon expérience, j’ai découvert que les dimensions de mon être étaient bien plus grandes que tout ce que j’avais jamais imaginé. Je me voyais participer et projeter sur les autres tout ce que je voyais dans le monde, des choses que je niais en moi : les pays hostiles, les guerres, les haines raciales et les émeutes, les politiques corrompues, ou la technologie polluante. Je suis rentrée en contact avec ce qui me semblait être de « l’être pur » et j’ai réalisé qu’il ne pouvait pas être compris et qu’il était à lui-même sa propre justification. Avec cela je pris conscience que ma seule tâche était de conserver l’énergie en circulation et de ne pas « m’asseoir dessus » comme j’avais coutume de le faire. Le flux de la vie était symbolisé par des images différentes d’eaux en mouvement, de poissons, de plantes aquatiques et de scènes dansantes merveilleuses, certaines majestueuses et éthériques et d’autres sur la Terre. Grace à ces expériences et impressions j’ai développé une attitude positive à l’égard de la totalité de l’existence et de la capacité à accepter ce qui arrivait dans la vie comme étant un bien ultime. J’ai fait de nombreux commentaires enthousiastes concernant l’incroyable l’humour et les traits d’esprit cosmiques présents dans le tissu de l’existence. En permettant que l’énergie de la vie circule à travers moi et en m’y ouvrant, mon corps tout entier vibrait d’enthousiasme et de plaisir. Après avoir apprécié cette nouvelle façon d’être pendant un certain temps, je me suis recroquevillée dans une position fœtale confortable. Au bout de cinq heures de séance, j’ai décidé de retirer mon bandeau des yeux, de m’asseoir et de me connecter à l’environnement. Je me suis assise sur le canapé dans une paix profonde, à me détendre et à écouter de la musique de méditation Zen et à regarder un unique bourgeon de rose dans un vase de cristal sur une table proche. De temps en temps, je fermais les yeux et retournais dans mon monde intérieur. Comme j’ai pu le constater plus tard sur la vidéo prise au cours de la séance, mon visage rayonnait, et j’avais l’expression du silencieux bonheur béatifique que l’on trouve sur les sculptures bouddhistes. Pendant une longue période de temps, la seule choses que j’aie ressentie ce fut une belle brillance chaude, comme une pluie transcendantale d’or liquide. A un moment donné, j’ai remarqué un bol de raisins dans la chambre et j’ai décidé d’en goûter quelquesuns. Ils avaient le goût de l’ambroisie, et les grappes semblaient tellement belles que j’ai décidé d’en ramener quelques-unes chez moi pour le souvenir. Un peu plus tard dans l’après-midi, Dick nous a rejoints dans la chambre de la séance. Immédiatement après son arrivée, nous nous sommes pris dans les bras l’un de l’autre et nous sommes restés dans cette position pendant un long moment. Dick dit qu’il ressentit une énorme quantité d’énergie irradiant de moi. Il était conscient d’un champ d’énergie quasi-tangible entourant mon corps. On nous accorda alors deux heures d’intimité absolue que nous avons énormément appréciées. Cela me donna l’occasion de partager mes expériences avec Dick. L’un de mes meilleurs souvenirs de la séance était la douche que nous avons prise ensemble, je me suis sentie en osmose avec le corps de Dick, comme jamais tout comme dans le mien, et j’ai vécu une sensation de sensualité exquise différente de tout ce que j’avais connu auparavant. Le repas chinois que nous avons partagé constitua une autre expérience fantastique. Même si la nourriture nous venait d’un restaurant chinois des environs et qu’elle était certainement de qualité moyenne, j’ai trouvé qu’il s’agissait là du meilleur repas que j’avais jamais goûté. Je ne pouvais pas me souvenir d’un moment où j’avais apprécié la nourriture ou moi-même davantage. La seule chose qui ternit quelque peu mon plaisir culinaire fut ma conscience rationnelle que je devais être un peu plus modérée avec la nourriture en raison de ma gastrectomie totale, qui réduisait la taille de mon estomac. Pendant le reste de la soirée, Dick et moi avons partagé du temps silencieusement ensemble, allongés que le canapé en écoutant de la musique stéréo. Dick était très impressionné par mon ouverture d’esprit et par toutes mes impressions. Il était convaincu que j’avais touché à des sources de sagesse cosmique authentiques qui lui demeuraient inaccessibles. Il admira la profondeur de mes rapports, la confiance spontanée et l’autorité avec laquelle je parlais de mon expérience. J’étais transportée de joie, dans une humeur irradiante, et j’éprouvais une liberté absolue par rapport à l’anxiété. Ma capacité à apprécier la musique, les goûts, les couleurs et la douche était grandement rehaussée. Dick affirma que c’était un vrai plaisir d’être avec moi. C’était une expérience tellement contagieuse que Dick lui-même éprouva et exprima son désir d’avoir une séance psychédélique. Il envisagea de participer à une séance de formation psychédélique professionnelle qui était également disponible dans le Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland. Je suis restée debout pendant un long moment à parler à Dick et je me suis réveillée plusieurs fois pendant la nuit. J’ai fait un rêve, dans lequel je travaillais dans une librairie et j’entendais des personnes dire : « Ces histoires de Zen n’ont aucun sens ». J’ai souri, sachant que c’était bien trop simple pour que cela puisse avoir du sens à leurs yeux. Le matin suivant, après la séance, je me sentais rafraîchie, détendue, et très en osmose avec le monde. Dick mit le concerto brandebourgeois de Bach, qui me semblait absolument parfait. Le monde extérieur semblait clair, serein et beau. Sur le chemin de la maison, j’ai vu des choses que je n’avais jamais vues auparavant. Les arbres, l’herbe, les couleurs, le ciel – toutes étaient un vrai plaisir ». Pendant environ les deux mois qui suivirent sa première séance au LSD, Joan se sentit détendue, remplie de joie et optimiste. L’expérience psychédélique semblait également avoir ouvert de nouveaux domaines de sentiments mystiques et cosmiques en elle. Les éléments spirituels qu’elle avait vécus au cours de sa séance transcendaient les barrières étroites de la religion catholique traditionnelle avec lesquelles elle avait été éduquée. Elle embrassait désormais des approches universelles trouvées dans les philosophies orientales comme l’Hindouisme et le Bouddhisme. Joan avait une telle énergie en circulation qu’elle déconcertait les médecins qui s’occupaient d’elle. Ils trouvaient ses ressources d’énergie assez incongrues par rapport à sa condition clinique relativement grave, et ils exprimèrent leur surprise de façon explicite quant au fait qu’elle était encore capable de se déplacer par elle-même, et de conduire sa voiture. Ils exprimèrent également leurs doutes quant au fait que Joan puisse passer l’été qui arrivait en Californie, comme la famille avait prévu de le faire. Joan quant à elle avait confiance et croyait que cela serait possible. Le cours des événements futurs confirma ses sentiments ; les vacances en Californie furent une période très gratifiante et significative pour elle et pour toute sa famille. Ce développement positif fut interrompu de manière radicale lorsque Joan vit son médecin à la mi-janvier, pour ses éructations constantes et ses vomissements. Il découvrit une nouvelle masse à l’endroit de sa rate, qu’il identifia comme étant une croissance de métastases. Joan était très déçue en voyant qu’aucune procédure médicale concrète ne lui était proposée et lorsqu’elle réalisa que les médecins avaient laissé tombé son cas. À ce moment-là, Joan et Dick eurent la profonde sensation que Joan devait vivre une autre séance psychédélique. Notre équipe tomba d’accord. Joan était optimiste quant au fait que la séance allait améliorer sa condition émotionnelle et approfondir ses visions philosophiques et spirituelles. Elle espérait aussi qu’une autre séance psychédélique aurait une influence positive sur la composante psychosomatique qu’elle pensait être la cause de son cancer. Seconde séance au LSD de Joan La seconde séance au LSD eut lieu en février 1972. Étant donné que le dosage de 300 milligrammes avait eu un puissant effet la première fois, nous avons décidé d’utiliser la même quantité. Ce qui suit est le résumé fait par Joan des principaux événements de la séance. « Cette séance était pour moi une séance sinistre. Chacun de ses aspects contrastait vraiment avec ceux de ma première séance : ici pas de couleurs en dehors du noir et du blanc, cette séance était d’ordre personnel et non plus cosmique enfin elle était triste et non joyeuse. Il y eut un court moment au début où je me sentais dans un espace universel et où je savais encore une fois que le cosmos entier est en chacun de nous et qu’il y a une signification en nos vies et en nos morts. Après quoi, cette expérience se rétrécit et devint beaucoup plus personnelle. La mort était le principal sujet de ma séance. J’ai vécu plusieurs scènes funéraires dans des églises traditionnelles ou richement ornées, parfois au cimetière, parfois à l’intérieur d’une église avec un grand chœur. J’ai pleuré souvent pendant ces quelques heures. J’ai également posé beaucoup de questions et j’y ai répondu ; elles me conduisaient à des questions sans réponse finalement, si bien que cela en devenait drôle. Je me souviens de m’être dit au début « toute cette laideur est en fait de la beauté ». Dans le cours de la journée, d’autres polarités arrivèrent à mon esprit : le bien et le mal, la victoire et la défaite, la sagesse et l’ignorance, la vie et la mort. J’ai revécu mon enfance, mais pas de scènes spécifiques, simplement le ton général : un ton très triste. Cela avait en grande partie un rapport avec les sentiments de frustration, de manque, de faim voire de très grande faim de ma tendre enfance. Je me suis demandé s’il pouvait y avoir un lien entre ces expériences et mon ulcère peptique qui s’était transformé en cancer. Je me souviens d’avoir été une fois sous la pluie avec mes frères pendant ce qui m’avait semblé être une longue période de temps. Je me souviens d’avoir été exclue d’un spectacle ou d’un cirque par l’homme qui s’en occupait. Je me sentais très triste lorsque nous nous sommes éloignés, incertaine concernant notre destination. L’allusion cachée à ma situation présente était évidente : le fait d’être exclue de la participation plus avant dans le spectacle de ma vie, et d’affronter l’incertitude de la mort. Pendant ce qui avait semblé une longue période de temps, je me suis vue préparant ma famille à ma mort. Il y avait une scène dans laquelle, après m’être préparée pendant un certain temps, j’en venais finalement à la leur annoncer. Dans une suite de scènes, j’étais capable de dire au revoir à mes enfants, à mon mari, mon père et à d’autres parents, tout comme à des amis et à des connaissances. Je l’ai fait d’une façon très individualisée, en prenant en compte la personnalité et la sensibilité de chacun d’entre eux. Des larmes s’en suivirent, mais au bout d’un certain temps, il y avait de la chaleur et le moral revenait. A la fin ils se sont tous rassemblés autour de moi. Je me souviens qu’ils m’ont préparé à manger des choses chaudes et sucrées. Après cela, j’ai passé un bon bout de temps à leur dire au revoir à eux ainsi qu’à mon mari, et j’ai eu la sensation que quelque chose allait survivre en eux. Il y avait une scène heureuse vers la fin de ma séance, que j’observais et à laquelle je ne participais pas, mais je l’ai vraiment appréciée. C’était une scène avec des adultes et des enfants qui jouaient dehors dans la neige. J’ai l’impression que c’était dans un endroit nordique. Tout le monde était rassemblé et cela nous maintenait au chaud en dépit du froid et de la neige. Les adultes s’occupaient bien des enfants qu’ils appréciaient beaucoup ; il y avait des rires et des jeux et une bonne humeur générale. Je me souviens d’avoir vu toute une rangée de bottes, sachant que les pieds des enfants étaient à l’intérieur bien au chaud. Dans la soirée après la séance, on peut dire que je me sentais bien, en quelque sorte -assez réceptive et contente de voir Dick- mais j’ai pleuré pendant le reste de la soirée. J’ai eu l’impression de me voir et de voir la situation de manière réaliste, j’étais consciente que je pouvais mieux la gérer maintenant, mais je me sentais quand même triste. J’ai souhaité que l’expérience puisse continuer encore pendant quelques heures et que mon sentiment puisse aller de la tristesse à la joie ». La seconde séance s’avéra être très bénéfique pour Joan. Elle se réconcilia avec la situation et elle décida de passer les jours qui lui restaient concentrée sur sa quête spirituelle. Après des vacances en famille sur la côte ouest, elle décida de dire au revoir à son mari et à ses enfants. Elle pensait que cela leur éviterait d’assister à sa douloureuse détérioration progressive, et que cela les aiderait à se souvenir d’elle emplie de joie et d’énergie. Arrivée en Californie, Joan resta en contact avec son père qui était intéressé par son cheminement spirituel et qui lui présenta un groupe de Védanta qu’elle rejoignit. La troisième séance au LSD de Joan. Tard dans l’été, Joan eut envie d’une troisième séance au LSD. Elle nous écrivit pour se renseigner sur la possibilité d’organiser une troisième séance en Californie. Nous lui avons recommandé d’aller voir Sidney Cohen, un psychiatre et psychothérapeute de Los Angeles, qui avait une grande expérience dans la thérapie psychédélique et une licence pour utiliser le LSD (voir le chapitre 12 pour plus d’informations concernant les apports de Cohen à la thérapie psychédélique). Ce qui suit est le compte-rendu de Joan de sa troisième séance au LSD, qu’elle eut sous la direction de Cohen. Cette fois le dosage avait été augmenté à 400 milligrammes. « Ma première réponse après que la drogue avait commencé à faire effet était de me refroidir de plus en plus. Il semblait que les couvertures aussi nombreuses fussent-elles n’arrivaient pas à m’ôter ce froid, aigu, glacial qui me pénétrait jusqu’aux os. Il était difficile de croire plus tard qu’on m’ait recouverte d’autant de couvertures chaudes, car à ce moment-là, rien ne semblait soulager mon froid. J’ai demandé du thé chaud, que j’ai bu au moyen d’une paille. Lorsque je tenais la tasse de thé chaude, j’ai vécu une expérience très intense. La tasse devint l’univers tout entier, et tout était étonnamment clair et réel. La couleur vert-marron du thé se fondait à un vortex tournoyant. Plus de questions ; la vie, la mort, le sens, tout était là. J’avais toujours été là -nous étions tous là. Tout était un. La peur n’existait pas ; la mort, la vie étaient une seule et même chose. La circularité tournante de ce tout. L’intense désir pour que tout le monde réalise que l’univers est en tout. La larme coulant le long de ma joue, la tasse, tout ! Quelle harmonie subsiste derrière ce chaos apparent ! Je voulais garder cela à l’esprit, je voulais que tout le monde participe à cette expérience ; alors il ne pourrait plus y avoir de discorde. J’avais la sensation que le Docteur Cohen le savait tout comme moi. Puis mon père est entré et j’ai essayé de partager avec lui ce que je pouvais de cette expérience intense, essayant d’exprimer l’inexprimable : qu’il n’y a pas de peur, pas de raison d’avoir peur. Nous avons toujours été là où nous allons. Être simplement est suffisant. Pas la peine de s’inquiéter, de se poser de questions, de raisonner. Simplement être. Je lui ai dit notre importance à tous, conservant les choses en mouvement dans le monde de tous les jours. J’ai pris mon thé et mon bouillon chauds, en ayant une irrépressible envie de nourriture et de chaleur. Après une pause, je suis retournée en moi. Cette fois-ci, j’ai vécu des scènes tristes et sombres du début de ma vie que je connaissais déjà des séances précédentes. Les images prenaient la forme de petites créatures squelettiques flottant dans le vide, cherchant à se nourrir, mais ne trouvant rien. Le vide, l’absence de réalisation. Des oiseaux décharnés cherchaient de la nourriture dans un nid vide. Moi et mes frères seuls, cherchant, avec nulle part où aller. À un moment donné, je suis rentrée dans ma tristesse principal sujet qui jonchait toute ma vie depuis ma tendre enfance. Je suis devenue consciente de l’effort progressif pour le déguiser, et ce, pour satisfaire ce que les autres voulaient à la place : « souris, aies l’air vivante, arrête de rêvasser ! » Plus tard dans la séance, j’ai eu la sensation que certains sont choisis pour éprouver la tristesse inhérente à l’Univers. Si je suis l’une de ces personnes, alors ça va. J’ai pensé à tous les enfants recherchant des mères absentes. J’ai pensé au chemin de croix et j’ai pensé à la souffrance de Jésus-Christ ou à la tristesse qu’il avait dû éprouver. J’ai réalisé que le karma de certains est d’éprouver le contentement, ou la beauté, ou la force etc… Pourquoi ne pas accepter volontiers cette tristesse ? À un autre moment, j’étais sur plein de coussins avec des tétines posées sur moi, au chaud, en sécurité. Je ne voulais pas renaître en tant qu’être-humain, mais peut-être comme un arc-en-ciel- orange, rouge, jaune, doux, beau. À un moment donné, dans l’aprèsmidi, je suis devenue consciente de la centralité de mon estomac. Beaucoup d’images de personnes réconfortées par la nourriture, une envie irrépressible de thé chaud un peu plus tôt, un bouillon arrivant toujours dans mon estomac. J’ai réalisé que j’étais consciente que dans ma vie de tous les jours, maintenant, je voulais toujours le sein et la cuillère de substitution, la paille, la cigarette. Je n’en avais jamais assez ! Je suis redevenue enfant encore une fois, dépendante, mais ayant une mère pour prendre soin de moi qui avait envie et voulait prendre soin de moi. J’ai éprouvé du réconfort et du plaisir à obtenir ce que je n’avais jamais eu en tant qu’enfant. Il y avait des moments passés à apprécier l’odeur et la sensation des fruits : une belle mangue, une poire, une pêche, des raisins. En les regardant, je voyais chaque mouvement cellulaire en eux. Plus tard, j’ai apprécié le bouton de rose, velouté, parfumé et beau. Vers la fin de la journée, je suis soudainement devenue consciente que j’avais trouvé un moyen de légitimer la tristesse de toute ma vie : grâce à la maladie en phase terminale. L’ironie de cette situation était qu’ensuite cette découverte me fit éprouver de la joie et un certain soulagement. Je voulais parvenir aux sources de ma tristesse. Je me suis rendu compte que depuis ma plus tendre enfance, ma mère n’avait pas grand-chose à me donner, qu’en fait elle voulait que ce soit moi qui lui donne. Je vivais cela comme un lourd fardeau. J’ai eu une grande discussion avec mon père à propos de la tristesse, ce qui dérange en elle et pourquoi elle est tellement dévalorisée par les autres personnes. Je lui ai décrit combien d’énergie j’avais dépensée à faire semblant d’être contente ou heureuse ou à sourire. J’ai parlé de la beauté de la tristesse -la douceur triste, la tristesse doucereusequi nous permet tant à soi-même qu’aux autres de l’accueillir lorsqu’elle survient. La tristesse n’est peut-être pas à la mode, contrairement à la joie, la spontanéité ou l’amusement. Ces choses que j’employais mon énergie à exhiber. Maintenant, je me contente d’être, non pas d’être ceci ou cela, mais d’être tout court. Parfois je suis triste, souvent je suis paisible, parfois je suis en colère ou irritable, parfois j’éprouve de la chaleur et du bonheur. Je ne suis plus affligée à l’idée de mourir. J’ai bien plus de sentiments d’amour que jamais auparavant. Toutes les pressions consistant à être quelqu’un d’autre m’ont été ôtées. Je me sens soulagée de tous les faux-semblants. De nombreux sentiments spirituels emplissent ma vie quotidienne ». Un membre de notre équipe, qui rendit visite à Joan peu avant sa mort, nous fit une description émouvante de la manière dont Joan passa les derniers jours de sa vie. Elle conserva son intérêt pour la quête spirituelle et elle passa plusieurs heures par jour à méditer. Malgré la rapide détérioration de son corps, elle était équilibrée émotionnellement et de bonne humeur. Elle ne perdit aucune occasion de profiter du monde le plus pleinement qu’elle put. Par exemple, elle insistait pour recevoir tous les repas que les autres mangeaient, même si le passage vers son estomac était totalement obstrué, et qu’elle ne pouvait rien avaler. Elle suçait doucement la nourriture, en savourait son goût et la recrachait dans un seau. Elle passa la dernière soirée de sa vie à regarder le soleil se coucher, totalement absorbée par sa beauté. Ses derniers mots après être allée se coucher, furent : « Quel coucher de soleil merveilleux ! » Cette nuit-là elle mourut tranquillement dans son sommeil. Après la mort de Joan, ses proches parents et amis de la Côte Est reçurent une invitation pour un rassemblement à sa mémoire qu’elle avait écrit personnellement au moment où elle était encore en vie. S’étant tous rassemblés à l’heure indiquée, ils furent surpris d’entendre la voix de Joan sur une cassette. Il s’agissait là de bien plus qu’un adieu habituel émouvant. D’après les participants, le contenu et le ton de son discours avaient un effet profondément réconfortant sur ceux qui étaient venus à cette rencontre avec un sentiment tragique de profonde douleur. Joan parvint à leur communiquer un sentiment de paix intérieure et de réconciliation auquel elle était elle-même parvenue au cours de ses séances. Potentiel de guérison de la thérapie psychédélique Comme nous l’avons vu, la thérapie psychédélique a une extraordinaire capacité à soulager à la fois les personnes mourantes et leurs survivants, ainsi que l’agonie émotionnelle et physique de ce qui est potentiellement la crise la plus douloureuse dans une vie humaine. Les projets de recherche de Spring Grove et les études cliniques dirigées dans de nombreux pays du monde ont également montré que les psychédéliques peuvent être utilisés de manière sûre et qu’ils ne créent pas de dépendance physique. Les interdictions politiques et administratives qui empêchent des milliers de personnes en phase terminale de bénéficier de cette procédure remarquable ne sont pas nécessaires, elles sont indéfendables voire inhumaines. Des administrateurs et des législateurs prudents à l’excès ont soulevé beaucoup d’objections contre l’utilisation de psychédéliques avec d’autres groupes de personnes comme les patients avec troubles émotionnels et psychosomatiques, les professionnels de la santé psychique, les artistes ou le clergé. Une telle opposition est absurde, surtout quand il s’agit de situations limitées dans le temps où la vie est en péril, et où les problèmes impliqués sont tellement graves qu’on a même levé le tabou de l’utilisation de narcotiques réellement dangereux qui ont propension à créer de hautes dépendances. Chapitre 15 LES MÉTAMORPHOSES PSYCHÉDÉLIQUES DU MOURIR Mourir , ce n’est pas éteindre la lumière, c’est éteindre la lampe parce que l’aube est venue. Rabindranath Tagore, Prix Nobel de Littérature, poète et dramaturge bengali AU COURS DE NOS RECHERCHES, nous avons pu observer bon nombre de caractéristiques spécifiques intéressantes dans le travail avec les patients atteints de cancers ; notamment la nature de leurs problèmes émotionnels et conflits psychologiques, le contenu particulier de leurs séances, et les facteurs responsables des effets du traitement. Dans notre conception initiale du travail, nous avions naïvement espéré que les patients cancéreux seraient des personnes relativement «normales», affrontant une maladie physique grave et de fait, ayant la réaction émotionnelle compréhensible et proportionnelle à la situation qu’ils étaient en train de vivre. Nous nous sommes rapidement aperçus que c’était loin d’être le cas. Pendant la thérapie psychédélique, il s’est avéré que bon nombre de patients cancéreux souffraient d’une grande diversité de problèmes émotionnels sérieux et de conflits psychologiques, qui précédaient le début et le diagnostic de leur maladie physique. En fait, ces problèmes émotionnels étaient dans certains cas tellement frappants et importants, qu’ils semblaient avoir un lien direct avec le cancer en lui-même. Problèmes Émotionnels et conflits psychologiques chez les patients cancéreux D’une manière générale il s’est avéré que chez les patients atteints de cancer l’occurrence d’états dépressifs, d’attitudes passablement négatives envers la vie et même de tendances suicidaires et autodestructrices, semblait être bien plus élevée que dans la population générale. Bien que cette observation vienne d’impressions cliniques et qu’elle ne soit pas étudiée de façon systématique et contrôlée, il nous a également été donné de voir des cas étonnamment fréquents de culpabilité grave, de sentiments de haine de soi, d’autopunition, ainsi que des tendances autodestructrices, qui avaient précédé les manifestations cliniques du cancer, et ce, pendant des années voire parfois même des décennies. Pendant leurs séances psychédéliques, les patients atteints de cancer voyaient eux-mêmes souvent des liens directs entre les tendances évoquées et leur maladie. Dans certains cas moins fréquents, mais néanmoins courants, il leur arrivait de concevoir leur cancer comme une punition à leurs transgressions passées. Les patients faisaient remonter ces traits de caractère et ces symptômes à leur enfance- à des souvenirs d’abandon et de manque ou d’abus physiques ou émotionnels dans l’enfance et la tendre enfance. Pour eux ces expériences intensément douloureuses, qui impliquaient la solitude, l’anxiété, la colère, la faim et d’autres émotions difficiles, étaient des causes probables ou des facteurs contribuant à leur maladie. Nous avons également eu plusieurs fois l’occasion d’observer que pendant de nombreuses années, et ce, bien avant le début de la maladie certains patients avaient accordé une attention très intense aux zones où le cancer était initialement apparu . Ces zones avaient souvent été les cibles d’agressions émotionnelles ou même physiques. Certains patients ont rapporté que le lieu de leur cancer avait toujours été la partie la moins résistante de leur organisme ou bien le chaînon le plus vulnérable de leurs défenses psychosomatiques. L’organe ou la zone atteinte de cancer avait également souvent répondu d’une manière spécifique à diverses agressions émotionnelles ayant eu cours pendant leurs vies. Par exemple, des femmes atteintes de cancer de l’utérus avaient souvent un vécu parsemé d’abus sexuels sévères et de conflits avec la sexualité. De la même façon, plusieurs de nos patients disaient que des problèmes psychologiques significatifs liés à la zone orale et à l’ingestion de la nourriture avaient précédé le début de leur cancer de l’estomac de plusieurs années. L’ulcère peptique notamment est certes causé par un micro-organisme, mais il peut également être influencé par des facteurs psychosomatiques : cet ulcère s’avérait être une étape intermédiaire entre des dysfonctionnements gastriques de nature névrotique et le développement de carcinomes. Nous avons également vu des cas où un passé de mal-être gastro-intestinal précédait le développement d’un cancer pancréatique et où d’importants problèmes psychologiques de longue durée liés à la zone anale étaient suivis de changements malins dans le colon. Même si ces données sont encore anecdotiques, ces liens sont suffisamment frappants et constants pour mériter des recherches systématiques dans le futur. Dans un article précurseur, Carl Simonton et Stéphanie Matthews-Simonton ont étudié la littérature médicale traitant de la relation entre les facteurs émotionnels et les tumeurs malignes. En analysant plus de deux cents articles sur ce sujet, les Simonton ont trouvé une confirmation générale du fait que les facteurs émotionnels et la malignité sont directement reliés. La question pour eux n’était pas l’existence ou l’absence d’existence d’une telle connexion, mais son degré et sa signification pratique, notamment dans les implications thérapeutiques (Simonton et Simonton 1974). Les traits de caractère les plus spécifiques aux patients atteints de cancer et les facteurs de prédisposition les plus plausibles mentionnés par de nombreux auteurs, cités dans la synthèse des Simonton, sont : une tendance significative à retenir le ressentiment et une incapacité marquée à pardonner, une prédilection pour l’apitoiement sur soi, une difficulté à maintenir des relations à long terme, et une piètre image de soi. Les Simonton ont émis l’hypothèse qu’un passé marqué par le rejet systématique pouvait être le dénominateur commun éventuel derrière toutes ces caractéristiques de la personnalité. Ils observèrent que ce schéma atteignait son paroxysme fréquemment dans la perte d’un grand amour, six à dix-huit mois avant le diagnostique du cancer. Au cours des séances psychédéliques beaucoup d’individus atteints de cancers semblaient avoir de puissantes défenses psychologiques et être très réticents à les relâcher pour permettre à l’expérience de se dérouler. Ces patients résistaient souvent au fait d’examiner leur inconscient en profondeur et ils ne réussissaient à relâcher leurs résistances psychologiques qu’une fois que nous étions parvenus à établir un très bon rapport thérapeutique. Lorsque ces défenses psychologiques avaient été dépassées, la nature des séances psychédéliques avec les patients atteints de cancer ne différait pas dans son essence de celle des autres populations, lesquelles comprenaient bon nombre de catégories de patients psychiatriques et de professionnels de la santé mentale. Contenu des séances psychédéliques Le contenu général des séances psychédéliques était sensiblement identique pour toute la population avec laquelle nous avons travaillé. Celle-ci était constituée de névrotiques, d’alcooliques, de toxicomanes, de volontaires «sains» dans le cadre du programme d’entraînement pour les professionnels, et de patients cancéreux. Dans chacun de ces cas, le contenu de la séance consistait en une ample gamme d’expériences, allant de belles visions colorées au fait de revivre des souvenirs traumatiques ou positifs de l’enfance, des épisodes de mort et de renaissance, et même de profonds états archétypaux et transcendantaux de la conscience. Cependant, outre cette similitude globale, certaines caractéristiques étaient spécifiques aux séances de patients atteints de cancers. Comme on pouvait s’y attendre, ces individus avaient généralement une proportion plus élevée de symptômes somatiques difficiles, et ils étaient bien plus préoccupés de leurs corps. Il n’est pas rare de trouver dans la thérapie psychédélique de nombreuses manifestations psychosomatiques telles que : des nausées, des vomissements, des tremblements, des désordres cardiaques et des problèmes respiratoires et ce, quelle que soit la population impliquée. Ces manifestations sont particulièrement fréquentes lors des premiers effets du produit pharmacologique inhérent aux substances psychédéliques. Les premiers chercheurs s’intéressant au LSD se référaient à cette activation initiale du système nerveux autonome comme étant la «phase végétative». Des manifestations physiques intenses arrivant plus tard dans la séance indiquaient généralement l’émergence d’un inconscient chargé d’un point de vue émotionnel, et elles étaient associées à la lutte de l’individu pour dépasser ses résistances habituelles et ses défenses. Lorsque le patient revit sa naissance biologique des troubles corporels violents et souvent douloureux, tels que la suffocation, la douleur, la pression, les tensions musculaires et la nausée, reflètent l’extrême mal-être physique associé au passage à travers le canal de naissance. Outre ces manifestations physiques «habituelles» dans les séances psychédéliques, nos patients atteints de cancers avaient occasionnellement des symptômes somatiques directement liés à la malignité de leur tumeur, qui reflétaient des troubles spécifiques dans leur fonctionnement psychologique. Cela comprenait, par exemple, des nausées et des vomissements pour des patients atteints de cancers gastriques, des obstructions intestinales ou des manifestations d’incontinence urinaire et fécale chez des patients avec des tumeurs pelviennes ou des métastases dans la colonne vertébrale. Les patients souffrant de cancers développés semblaient aussi trouver leurs séances psychédéliques plus affaiblissantes que les autres catégories de patients avec qui nous avons pu travailler. Beaucoup de patients se sentaient fatigués non seulement le soir suivant la longue séance avec prise de LSD, mais également pendant la journée entière du lendemain. Par conséquent, les effets bénéfiques des séances de LSD étaient fréquemment masqués par l’épuisement physique ou émotionnel et ils ne devenaient pleinement apparents que le deuxième jour suivant la séance psychédélique. Pendant la phase de préparation de la thérapie psychédélique, nous concentrons tous nos efforts pour faciliter la communication entre les membres de la famille, comme nous l’avons évoqué au chapitre 13. Cependant, certains patients n’avaient pas été informés de leur diagnostic ni de leur pronostic avant leur séance de LSD, soit en raison de leur puissant déni, soit en raison de l’opposition de parents proches. Souvent ces patients découvraient la vérité concernant leur maladie pendant la séance. Parfois cette découverte était fondée sur une révision de nombreux indices et observations précédant la séance. Une autre méthode de compréhension particulièrement fascinante advenait lorsque certains patients parvenaient à accéder à la conscience cellulaire de leurs tissus corporels et de leurs cellules de manière expérimentale. Ils voyaient alors ce qui arrivait dans leurs corps en visualisant la poussée cancéreuse. Des images de la localisation du cancer, de ses caractéristiques anatomiques et topographiques, et de l'alimentation vasculaire parvenaient aussi aux patients qui avaient connaissance de leur diagnostic. Ces impressions étaient fréquemment associées à un contenu psycho-dynamique qui s’était révélé à l’origine de la genèse de leur cancer. Il arrivait que, les patients de notre programme fassent des tentatives spontanées pour s’auto-guérir. Ils suivaient généralement leur intuition concernant quelles devaient être les interventions thérapeutiques spécifiques. Certains essayèrent de se libérer de blocages émotionnels ou physiques liés aux parties affectées de leur organisme. Au cours de cette approche qui reprenait des principes de la médecine chinoise, les patients pensaient que le fait de localiser les blocages de l’énergie émotionnelle et physique qui étaient à l’origine de à la maladie, et d’ouvrir le flux d’énergies augmentait grandement leurs chances de guérison D’autres prirent conscience des énergies destructives et des émotions semblant relever de la tumeur maligne et essayaient de s’en débarrasser. Ces problèmes se manifestaient tantôt comme de puissantes émotions négatives, tantôt, ils prenaient la forme de créatures archétypales vicieuses. Par ailleurs certains patients tentaient une autre stratégie d’auto-guérison dans leurs séances psychédéliques consistant à créer des champs énergétiques enveloppant l’organe malade ou leur corps entier. Ils associaient généralement ce champ à une couleur spécifique qui, selon leur intuition, possédait l’effet de guérison le plus puissant, comme le vert, le doré, ou le bleu. D’autres alternatives consistaient à visualiser la tumeur et à essayer de renforcer les artères qui l’entouraient ou d’augmenter les défenses immunitaires de l’organisme en mobilisant les anticorps, les leucocytes et les lymphocytes. Ce type d’approche comportait des ressemblances frappantes avec la technique de visualisation développée en 1970 par Carl Simonton et Stéphanie Matthews-Simonton pour aider les individus atteints de cancers et d’autres tumeurs à participer activement à leur propre guérison. Leur méthode utilisait l’imagerie guidée et des exercices imaginaires pour parvenir au même but : réactiver les défenses psycho-immunitaires et le potentiel de guérison de l’organisme (Simonton, Creighton, et Simonton, 1978). En raison de l’environnement conservateur dans lequel nous travaillions et du manque de connaissances concernant la nature du cancer, nous avions opté pour une approche neutre consistant à ne pas recommander de telles expériences thérapeutiques tout en ne les décourageant pas non plus lorsqu’elles advenaient de manière spontanée. Certains types d’expériences qui adviennent d’une façon générale dans les séances psychédéliques semblaient arriver plus fréquemment chez des individus agonisants ou tout au moins étaient- elles vécues avec un engagement émotionnel supérieur. Vu la situation qu’ils vivaient, il était assez compréhensible que ces patients considèrent la mort comme partie intrinsèque de la vie et qu’ils cherchent un sens à l’existence humaine. Par ailleurs, ces patiens atteints de cancer, avaient tendance à se une concentrer plus intensément sur les membres de la famille, les amis proches et d’autres figures importantes dans leur vie :cela constituait un autre élément distinctif. Certains témoignaient d’un effort mûri d’en finir avec «les vieilles affaires», d’oublier et de pardonner les vieilles rancunes, et de parvenir au pardon pour leur propre bien-être. D’autres se saisissaient de cette occasion pour remercier les personnes de leur entourage pour tout ce qu’elles avaient fait pour eux et pour le rôle qu’elles avaient tenu dans leurs vies. Ces tentatives visant à trouver des dénouements émotionnels étaient extrêmement émouvantes pour toutes les personnes impliquées. Souvent, pendant ces séances psychédéliques, nous avons vu des épisodes similaires à ceux de la littérature ou des expériences de mort imminente (EMI). Les patients exploraient leur situation sociale et interpersonnelle toute entière, la revoyaient, évaluaient leur passé et essayaient d’en trouver une conclusion pourvue de sens, étant donné leur mort imminente. Le sentiment d’une vive rencontre avec l’essence spirituelle de nombreux parents décédés, voire d’un échange télépathique avec eux, étaient aussi des choses fréquentes. Comme je l’ai évoqué au chapitre 7, des expériences du «comité d’accueil» de parents et d’amis décédés avaient été décrits de façon récurrente par les thanatologues dans la littérature sur les EMI (Osis, 1961). De telles visions étaient souvent rapportées de façon vivace et convaincante par nos patients cancéreux, qui, généralement, les trouvaient tellement réelles et authentiques qu’ils en venaient à considérer sérieusement la possibilité d’une forme d’existence après la mort physique. Dans plusieurs cas, de telles rencontres avec les parents et amis décédés introduisaient un élément de joie et de familiarité dans l’agonie et de la mort qui les avait terrifié jusque là. Une séance psychédélique peut ainsi créer le genre de situation, existant dans de multiples cultures anciennes, où une profonde croyance dans l’existence d’un royaume spirituel hébergeant un ancêtre est un puissant facteur facilitant la transition de la vie à la mort. Effets pharmacologiques et mécanismes psychodynamiques dans la thérapie psychédélique Beaucoup de facteurs sont responsables des effets souvent remarquables de la psychothérapie psychédélique sur les patients atteints de cancers. Cette modalité de traitement implique un processus complexe qui combine les effets pharmacologiques des substances psychédéliques aux mécanismes psychodynamiques. Sans notre étude spécifique, nous étions incapables de déterminer la contribution relative de ces deux composantes dans le résultat thérapeutique final. Nous ne pouvions que spéculer quant à l’impact des effets pharmacologiques des substances psychédéliques comme telles et la contribution de la psychothérapie qui précédait, accompagnait et suivait la séance de prise de ces drogues. La valeur de la psychothérapie sans médicaments d’une part ou de la chimiothérapie au LSD d’autre part avait été précédemment démontrée chez des patients en phase terminale, où chacune de ces deux modalités avait été appliquée séparément. Elisabeth Kübler-Ross, Cicely Saunders, Carl Simonton, Stéphanie Matthiew-Simonton, et d’autres encore, ont rapporté les effets bénéfiques de la psychothérapie chez des patients avec des maladies en phase terminale sans l’aide de drogues psychédéliques (Kübler-Ross 1969, Saunders 1967, Saunders 1973 et Simonton et Simonton 1974). Même auparavant, les prêtres et les aumôniers d’hôpitaux étaient parvenus à adoucir la souffrance émotionnelle des patients et de leurs familles en leur offrant un appui psychologique. D’autre part, Eric Kast a obtenu des résultats positifs en utilisant une approche chimio thérapeutique et ce avec une interaction interpersonnelle minimale. Dans son traitement expérimental, Kast utilisait habituellement cent microgrammes de LSD, sans préparer psychologiquement ses patients, et sans les prévenir concernant les effets inhabituels de la substance. Il terminait également les séances en administrant de la chlorpromazine lorsque ces patients présentaient de la dépression émotionnelle (Kast et Collins 1966). Kast obtint des résultats tout à fait positifs – à la fois en termes de soulagement de la douleur et en termes d’amélioration de la condition psychologique de certains de ses patients - sans la moindre intention ni effort psychothérapiques. Ces conclusions indiquent fortement que le potentiel thérapeutique des substances psychédéliques, en et par elles-mêmes, ne doit nullement être sous-estimé. La question de la savoir dans quelles proportions les facteurs pharmacologiques et psychologiques interagissent dans la thérapie psychédélique est une question plus ou moins académique. Le travail psychothérapeutique et les effets des substances psychédéliques sont de toute évidence interdépendants et ils forment un amalgame inextricable. Combinés comme ils l’étaient dans le programme de Spring Grove, les deux ensembles de facteurs – pharmacologiques et psychologiques - sont complémentaires et se stimulent l’un l’autre. Le résultat obtenu est une modalité de traitement qui est bien supérieure à chacune de ses deux composantes individuelles. L’importance d’un bon rapport psychothérapeutique et d’un bon cadre a été soulignée dans de nombreuses études où les substances psychédéliques étaient utilisées pour d’autres catégories de patients et de sujets expérimentaux, comme les professionnels de la santé mentale, les artistes, le clergé et les scientifiques. Ces facteurs non-pharmacologiques peuvent clairement augmenter les bénéfices et minimiser les risques de l’administration de LSD. Nous avons observé beaucoup de résultats thérapeutiques significatifs chez nos patients atteints de cancers après leur traitement psychédélique. Les changements les plus importants ont eu lieu dans les cinq catégories suivantes : Symptômes émotionnels et problèmes comme la dépression, les tendances suicidaires, l’anxiété, l’insomnie et le renferment psychologique Commentaire [E141]: Je ne comprends pas : le LSD est associé à la chimiothérapie? The value of either drug free psychotherapy or LSD chemotherapy alone had been previously demonstrated Ne comprenant pas cette phrase j’ai posé la question à une oncologue : cependant je ne suis toujours pas sure de l’avoir comprise. Voici sa réponse : Hi Eva...just a thought- maybe LSD's are used for chemotherapy for terminally ill pts, they have nothing to lose as long as they are symptom free. Just psychotherapy may not work as well by itself but the two modalities of treatment, that is painfree patients, need to be studied scientifically to judge which is better in terms of pts survival and quality of life. Commentaire [E142]: The relative contribution of the pharmacological and physiological factors in psychedelic therapy is more or less an academic question. Douleur et détresse physiques Peur de la mort, concept philosophique de la mort et attitude envers la mort Organisation du temps, stratégie de vie et hiérarchie des valeurs fondamentales Douleur et deuil des survivants, capacité à accepter et à intégrer la perte. Soulagement des symptômes et des problèmes émotionnels Nos précédentes expériences cliniques avec des catégories variées de patients psychiatriques, confirment la littérature existante concernant le LSD, et indiquent, de façon relativement sûre, que la thérapie psychédélique peut avoir un effet positif sur une grande variété de symptômes et de problèmes émotionnels. En fait, les thérapeutes utilisant le LSD semblent d’accord sur le fait que la dépression, l’anxiété et les tensions générales symptômes communément observés chez les individus mourants - sont ceux que la psychothérapie psychédélique était le plus à même de traiter. L’exemple le plus frappant est l’effet de la thérapie psychédélique sur les patients dépressifs qui étaient préoccupés par la mort et qui avaient des tendances suicidaires. Nos premiers travaux à l’Institut de Recherches Psychédéliques de Prague nous apportèrent des vues extraordinaires sur les psychodynamiques du suicide. Nous avons ainsi appris que les tendances et les fantasmes suicidaires arrivent lorsque les patients dépressifs confondent la mort de l’ego avec la mort biologique autrement dit, l’egocide avec le suicide. De tels individus ne comprennent pas que leur attraction morbide et leur intense désir de mourir reflètent souvent une envie sous-jacente de mort et de renaissance psychospirituelles, cela en vue de la transcendance, et non de la destruction de leur corps physique. Dans cette perspective, le suicide résulte de l’une erreur fatale d’une personne qui ne parvient pas à réaliser qu’elle peut vivre une mort sans préjudice physique. Dans la pratique, l’expérience de la mort psychospirituelle de l’ego et de la renaissance dans une séance psychédélique s’est avérée être le remède le plus puissant aux tendances suicidaires (Grof 1985, Grof 2000). La confrontation inattendue avec sa propre mortalité, et avec l’impermanence dans des expériences de mort imminente, a souvent le même impact (Ring 1982, 1984). Vu ces observations, les effets positifs de la psychothérapie avec prise de LSD sur la condition émotionnelle de nos patients n’étaient pas tellement surprenants en et par euxmêmes. Cependant, la découverte novatrice et enthousiasmante du Programme de Spring Grove résidait dans l’obtention de ces changements émotionnels positifs chez les patients en phase terminale de cancer, dont la dépression et l’anxiété constituaient une réponse naturelle et totalement compréhensible face à une situation de vie très difficile. Il semblait plausible qu’une puissante intervention dans les dynamiques de l’inconscient des patients puisse effacer une programmation datant de l’enfance et de la tendre enfance qui bien qu’elle soit devenue totalement inutile, ait continué à avoir une influence néfaste sur la condition émotionnelle et psychosomatique du patient. Cependant, une transformation radicale de l’attitude émotionnelle et philosophique du patient par rapport à l’imminence de la mort et aux circonstances de vie tragiques suggérait de façon évidente l’existence de mécanismes psychologiques puissants d’une nature et d’un ordre totalement différents, jusqu’à lorsinconnus de la psychiatrie traditionnelle. Il est difficile d’expliquer le soulagement des symptômes émotionnels et psychosomatiques, et plus particulièrement les profonds changements dans la structure de la personnalité, de la vision du monde, de la hiérarchie des valeurs, qui peuvent être atteints par la psychothérapie psychédélique. Les pratiques actuelles de psychologie des profondeurs requièrent de longues années de psychothérapie coûteuse pour atteindre des résultats plutôt médiocres. Dans la thérapie psychédélique pratiquée au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland, la préparation pour les séances prenait entre dix et quinze heures. La transformation en elle-même survenait en l’espace de quelques heures pendant les séances de prise de drogues même si la pleine intégration de l’expérience requérait souvent des jours ou des semaines. Les changements avaient lieu dans plusieurs domaines et à plusieurs niveaux : physique, émotionnel, psychologique, interpersonnel, philosophique et spirituel. Un processus aussi puissant est de toute évidence très complexe et il ne peut être réduit à un unique facteur commun. Ce qui suit résume notre compréhension présente des dynamiques sous-jacentes. La psychothérapie à base de LSD implique tous les mécanismes qui opèrent dans les approches psychothérapeutiques conventionnelles. A savoir dans un premier temps se souvenir et revivre des souvenirs traumatiques de l’enfance et de la tendre enfance, mais aussi des souvenirs refoulés de la vie d’après qui ont engendré des impressions émotionnelles et intellectuelles, proposer ensuite des expériences interpersonnelles correctives, et enfin faciliter le transfert psychologique. Ces mécanismes sont grandement intensifiés au cours des expériences psychédéliques en raison de l’effet d’amplification du LSD. Cependant le spectre entier de mécanismes thérapeutiques nouveaux et précédemment inconnus qui devient disponible grâce à la psychothérapie à base de LSD ne peut être compris qu’en prenant en compte la vaste cartographie de la psyché qui englobe les domaines périnataux et transpersonnels aussi bien que le niveau biographique de souvenirs de psychothérapie conventionnelle (voir chapitre 8). Bon nombre des changements émotionnels et psychosomatiques facilités par les séances de prise de LSD peuvent être expliqués en termes de changements dans l’interaction des constellations de souvenirs spécifiques connus sous le nom de systèmes COEX ; ces systèmes sont traités brièvement au chapitre 8 et de manière plus étendue dans d’autres publications (Grof 1975, 2000). La fonction qui gouverne des systèmes COEX peut varier en fonction de processus physiologiques ou biochimiques divers ayant lieu à l’intérieur de l’organisme ou en réaction à un nombre d’influences extérieures de nature physique ou psychologique. Les séances de prise de LSD semblent intervenir de manière profonde au sein des dynamiques des systèmes COEX. Des améliorations cliniques soudaines pendant la thérapie à base de LSD peuvent souvent être expliquées par le passage d’une dominante psychologique d’un système COEX négatif vers un système où l’individu est sous l’influence d’une constellation de mémoires positives. Un tel changement ne signifie pas que tout le contenu problématique inconscient a été traité ou résolu pour ce sujet précis. Cela indique simplement un changement intérieur d’un système à un autre. Une telle situation peut être appelée transmodulation de système COEX. Travailler de façon exhaustive à toutes les couches d’un système COEX aboutirait à une résolution de ce système COEX. Un changement dynamique d’un système COEX à un autre ne signifie pas toujours une amélioration clinique. Une expérience de prise de LSD médiocrement aboutie pourrait causer un passage d’un système COEX positif à un système COEX négatif. Un tel changement négatif est caractérisé par une occurrence soudaine de symptômes psychopathologiques qui n’étaient pas apparents avant la séance. Une autre possibilité est un changement d’un système COEX négatif à un autre système négatif avec un thème principal identique. La manifestation externe de cet événement intrapsychique serait un passage dans la psychopathologie d’un syndrome clinique à un autre. L’exemple le plus radical de ce type que j’ai pu observer était un patient homosexuel gravement dépressif et suicidaire qui sortit d’une séance de prise de LSD dans un état d’euphorie et attiré sexuellement par les femmes, mais avec une paralysie hystérique classique à son bras droit. Plusieurs séances supplémentaires furent requises pour travailler sur le contenu inconscient sous-tendant la paralysie avant que la fonction de son bras droit ne revienne à la normale (Grof 1980). Les mécanismes traités jusqu’ici rendent compte de plusieurs cas de soulagement de symptômes émotionnels et psychosomatiques par la thérapie psychédélique, mais ils n’expliquent pas de façon adéquate la guérison et les transformations les plus radicales que nous ayons observées. Il s’agit de changement d’un type et d’un ordre totalement différents qui arrivèrent après des séances psychédéliques marquées par des éléments périnataux et transpersonnels puissants. Pour ces patients, qui ont vécu la mort et la renaissance psychospirituelles suivies par un sentiment d’une union mystique avec d’autres personnes, la nature, l’univers et Dieu, les symptômes de la préséance étaient apaisés ou disparaissaient souvent complètement. Une amélioration aussi extraordinaire après une seule séance psychédélique peut durer pendant des jours, des semaines ou même des mois. Bon nombre des changements positifs peuvent persister indéfiniment. Cette profonde séquence de mort et de renaissance que l’équipe de Spring Grove appelait «l’expérience psychédélique du sommet» constitue clairement un mécanisme nouveau et puissant pour accéder à des changements thérapeutiques fondamentaux et restructurer profondément la personnalité. Une amélioration clinique significative et une transformation profonde de la personnalité peuvent également résulter d’autres mécanismes thérapeutiques agissant au niveau transpersonnel, comme l’émergence d’un archétype, et sa pleine expérience et intégration consciente, ou le revécu d’une mémoire passée importante, ou enfin l’expérience de Dieu ou du Vide Supracosmique et Métacosmique. Les effets de la psychothérapie à base de LSD avec les individus mourants ne sont pas limités au domaine intrapsychique. Ce travail peut affecter de manière significative le réseau complet des relations interpersonnelles des patients. À mesure que la condition émotionnelle d’un individu mourant s’améliore, ses relations avec les membres de sa famille et d’autres personnes significatives sont affectées de manière positive. Cet aspect de la thérapie peut également aider profondément les parents survivants et les amis eux-mêmes. Tirer au clair la communication pervertie, rompre les écrans protecteurs, et ouvrir des canaux d’interaction honnête et directe sont sans aucun doute d’importants facteurs de changement. Par conséquent, cet aspect du processus de traitement a souvent une influence positive sur les sentiments de désespoir, d’aliénation et de confusion affectant fréquemment les personnes affrontant la mort et leur entourage. Effets de la Psychothérapie Psychédélique sur les Graves Douleurs Physiques L’effet généralement radical de la psychothérapie à base de LSD ou de DPT sur la douleur physique sévère est souvent difficile à expliquer. Il s’est avéré souvent qu’une seule séance psychédélique pouvait soulager considérablement, et même faire disparaître, une Commentaire [E143]: Je n’ai pas compris s’il s’agissait bien d’une énumération. Voir la ponctuation et les nombreux and douleur insoutenable qui parfois n’avait même pas réagi à de hauts dosages de narcotiques. Ce phénomène important aussi bien d’un point de vue pratique que théorique est très déstabilisant. Cela remet en question le modèle télégraphique de la douleur où le tissu malade envoie un signal à travers le thalamus au cortex cérébral et provoque une réponse motrice. Des études plus poussées de ce phénomène extraordinaire nous ont radicalement fait revoir notre compréhension de la nature de la douleur. L’influence mystérieuse des substances psychédéliques sur la douleur ne peut pas non plus être interprétée en termes d’action pharmacologique. Le soulagement de la douleur n’était pas suffisamment prévisible ni constant pour pourvoir considérer le LSD ou le DTP comme des analgésiques pharmacologiques. Par ailleurs, la relation entre la réponse et le dosage qui est caractéristique les agents pharmacologiques n’a pas pu être établie. Il arrivait qu’un soulagement radical de la douleur advienne après quelques séances avec des dosages relativement faibles, alors que certaines séances à haut dosage n’avaient pas d’effet analgésique détectable. Pour les patients qui avaient reçu plus d’une séance, il arrivait que cet effet se produise après quelques séances, mais pas après certaines autres, et ce bien que le même dosage fût utilisé dans toutes les séances. Dans certains cas, un soulagement significatif de la douleur était observé pendant une période de quelques semaines ou même de quelques mois après une seule administration de la drogue. Ces observations suggèrent que des facteurs psychologiques pourraient rentrer en jeu, ou peut-être que des mécanismes inconnus interviennent dans l’effet analgésique des substances psychédéliques. Les changements dans l’expérience de la douleur qui suivent des séances psychédéliques n’impliquent pas simplement une réduction de l’intensité de la douleur ; nous avons observé plusieurs schémas différents. Certains patients rapportaient qu’après leurs séances de prise de LSD ou immédiatement après, leur douleur était considérablement atténuée ou qu’elle avait totalement disparu. D’autres avaient remarqué que la douleur persistait là, mais leur attitude envers elle avait changé. Soudainement leur tolérance à la douleur était devenue bien plus importante, ou alors la douleur ne monopolisait plus toute leur attention. Parfois des individus mourants rapportaient des changements assez inhabituels dans leur perception de la douleur et dans leur attitude envers elle. Ils étaient capables de réévaluer la connotation émotionnelle de leur douleur et de lui trouver une signification philosophique, des qualités expérimentales transcendantales, une signification religieuse ou une valeur karmique. Dans le cas de Suzanne (voir chapitre 14) la séance psychédélique soulagea de manière très significative sa dépression et sa peur de la mort, mais en revanche elle échoua à avoir une quelconque influence sur la douleur intolérable qui l’empêchait de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Cependant la séance l’aida à se résoudre au soin palliatif recommandé qu’elle avait refusé jusqu’à ce moment-là en raison de sa peur paralysante concernant les risques possibles. L’expérience de Suzanne montre clairement le potentiel inverse d’une séance psychédélique : la condition émotionnelle peut radicalement être améliorée même si le niveau de la douleur ne l’est pas. Souvent, les patients atteints de cancer ont découvert de nombreuses techniques qui leur permettaient de dépasser la douleur, non seulement au cours de leurs séances, mais également après. Certaines de ces méthodes se sont avérées tellement efficaces que nous les avons adoptées et enseignées de façon systématique à nos patients comme faisant partie intégrante de la préparation à leurs séances psychédéliques. Par exemple, dans bien des cas, en vue de détourner l’attention de quelqu’un de la douleur vers la musique, cela s’est avéré assez utile de l’aider à plonger dans les séquences d’images et d’expériences et d’être totalement immergé dans l’ici et maintenant. Une autre approche utile et opposée était de se concentrer sur la douleur mais dans une attitude d’acceptation. Au tout début, cela provoquait l’amplification des sensations déplaisantes, parfois jusqu’aux seuil de la tolérance. L’individu était alors capable de traverser la douleur et de la transcender. Paradoxalement, accepter la douleur, y céder, «y rentrer, l’accompagner, et la traverser» peut rendre possible le dépassement expérimental de la douleur. Généralement, l’approche la moins utile était de laisser la douleur occuper le centre de l’attention de quelqu’un, et, au même moment, d’y résister et de lutter contre elle. Après leur traitement, bon nombre de nos patients trouvaient cela étonnamment utile de concentrer leurs méditations quotidiennes sur ces images ou épisodes de leur séance psychédélique associées à des émotions hautement positives et exemptes de toute douleur. Ces souvenirs les aidaient souvent à se reconnecter à l’état d’esprit et à la condition physique plaisante qu’ils avaient vécus à ce moment-là. Par exemple ces souvenirs agréables pouvaient revenir en écoutant la même musique que lors de la séance psychédélique. Dans certains cas nous avons également guidé l’imagerie dans un état hypnotique léger pour aider les patients à dépasser leur souffrance physique et émotionnelle. Bien que la composante psychologique joue un rôle qui ne puisse pas être remis en question dans le soulagement de la douleur résultant d’ une séance à base de LSD, les mécanismes spécifiques qui interviennent dans ce processus continuent à nous échapper. Nous ne sommes pas parvenus à trouver de relation entre le type de séance psychédélique, ou son contenu, et le degré ou schéma de soulagement de la douleur. Parfois, nous avons observé des changements marqués dans l’expérience de la perception de la douleur après des séances par ailleurs ratées et médiocres et qui n’avaient pas d’effet particulièrement bénéfique sur les autres aspects de la condition clinique du patient. Inversement, comme dans le cas de Suzanne, nous avons vu des séances qui transformaient l’individu dans chacun de ces aspects, excepté dans l’intensité de la douleur physique. De la même façon, nous n’avons pas pu déceler de corrélation véritable entre le niveau de l’inconscient activé au cours de la séance et l’effet sur la douleur. Nous avons observé des soulagements significatifs de la douleur après des séances de tous types biographiques, périnatales et transpersonnelles - cependant il nous est arrivé que des séances similaires n’aient pas eu le moindre effet sur la douleur de certains individus. Le caractère quasi-capricieux de ce phénomène est illustré par l’histoire de John (voir chapitre 14). Il est probablement l’exemple le plus saisissant de l’effet radical que les drogues psychédéliques peuvent avoir dans l’expérience de la douleur, malgré le fait que cette séance ait semblé superficielle, dépourvue d’événements, et ratée. Comme les articles d’Eric Kast et de V.J. Collins le soulignent, la douleur pathologique est un phénomène composite possédant un aspect neurophysiologique, représenté par la sensation de douleur, et un aspect psychologique, « l’affect de la douleur » (Kast et Collins 1964). C’est par la modification de la composante psychologique et psychosomatique - la manière dont la stimulation neurophysiologique est interprétée et gérée - plutôt qu’en détruisant ou en réduisant les impulsions neuronales essentiellement responsables des sensations de douleur, que la thérapie psychédélique semble influencer sur l’expérience de la douleur. Le concept des systèmes COEX, traité plus haut, peut élucider certains des mécanismes impliqués dans ce processus : dans certains cas, le soulagement de la douleur peut refléter un passage d’un système COEX avec pour thème central la souffrance physique vers un autre avec un motif différent. Commentaire [E144]: . Je ne saisis pas : The correlation between the unconscious level. Dans le niveau inconscient? la corrélation entre le niveau de l’inconscient activé dans la séance et l’effet sur la douleur semble être minime De la même façon, il n'y a pas de vritable corrélation entre Beaucoup d’observations de séances psychédéliques indiquent que les diverses expériences physiquement douloureuses dans le vécu de quelqu’un sont stockées dans des banques de mémoire associées les unes aux autres. Les constellations de souvenirs qui en résultent sont liées de manière fonctionnelle à des expériences similaires au niveau périnatal et transpersonnel. Des épisodes de douleur et de souffrance physique de la vie des individus, liés à des opérations, des blessures, des maladies et des abus physiques, sont généralement revécus dans des séances psychédéliques liées de près à l’expérience de la naissance. Si un individu est exposé dans la vie quotidienne à des situations qui produisent de la douleur physique –au cours d’une maladie, d’un accident ou d’une intervention chirurgicale-, cela active des systèmes COEX spécifiques impliquant une souffrance physique ou une menace à l’intégrité physique ou à la survie. La nature et le contenu d’expériences douloureuses passées contribueront à déterminer et à colorer la perception de la douleur qui en résultera et la réaction des individus face à elle. Les patients souffrant de maladies chroniques et progressives, et spécialement de maladies considérées comme incurables, ont également une puissante tendance à s’imaginer des choses effrayantes concernant la manière dont leur douleur va persister et évoluer dans le futur. Cette anticipation semble alors augmenter davantage encore leur souffrance présente. Dans son article intitulé «La Douleur et le LSD-25 : une théorie d’Atténuation de l’Anticipation», Eric Kast fait remarquer que c’est le fait même de réduire cette anticipation effrayante qui est susceptible d’être l’un des mécanismes responsables d’au moins une partie de l’action analgésique du LSD. Il suggère également que la formation de symboles et l’anticipation, si nécessaires à la survie au quotidien, tendent à accélérer l’agonie de l’individu impliqué dans des situations graves (Kast 1964). L’expérience de la douleur dans sa globalité semble ainsi refléter non seulement la réponse neurophysiologique directe aux tissus abîmés, mais également la programmation passée de l’individu concernant les événements douloureux et l’anticipation de souffrances futures. Un des effets importants du LSD et d’autres substances psychédéliques est de dépouiller des souvenirs traumatiques de leur charge émotionnelle. Cela permet aux patients de se libérer du fardeau de leur passé et de vivre plus pleinement le moment présent ; par ailleurs en ce qui concerne leur vie future les patients s’investissent de moins en moins émotionnellement. Cette focalisation sur l’ici et le maintenant qui en résulte qui peut contribuer à modifier de façon importante l’expérience de la douleur de l’individu. L’action analgésique des psychédéliques est liée en outre à l’effet puissamment tyrannique de la douleur physique qui monopolise le champ de l’attention de l’individu. Comme on peut s’y attendre, la douleur intense a tendance à dominer la conscience de l’individu au détriment de toutes les autres entrées sensorielles. Beaucoup de patients souffrant de douleur intense trouvent cela difficile voire impossible de tenir des conversations, de lire des livres, de regarder la télévision ou de poursuivre aucune autre de leurs activités précédentes, qui seraient pourtant susceptibles de rendre plus tolérable le vécu de leur situation pénible. Dans certains cas extrêmes, ils en viennent à perdre leur intérêt pour les événements importants dans la vie des membres de leur famille. En raison de leur puissant effet d’expansion de l’esprit, les expériences psychédéliques peuvent briser les barrières émotionnelles et les appauvrissements sensoriels des patients cancéreux. Pendant les séances, le champ de conscience des individus est envahi de matériel hautement chargé d’un point de vue émotionnel, provenant de l’inconscient individuel et collectif et des organes sensoriels, et plus particulièrement du système optique. Des étalages visuels de couleurs et de formes, de sons, et de sensations Commentaire [E145]: Je ne sais pas si c’est ça car je ne comprends pas pas bien le fonctionnement de ces systèmes COEX P 289 inhabituelles inondent la conscience qui était jusqu’ à lors obsédée par la monotonie de la douleur insoutenable. Après une séance psychédélique efficace, le patient peut à nouveau apprécier la richesse des expériences sensorielles -la beauté de la nature, les sons de la musique, le goût de la nourriture- ou des composantes des relations humaines. Cette expansion de la conscience et de l’intérêt émotionnel peut durer plusieurs jours, et même des semaines, après une séance réussie. Ainsi, certains de nos patients pouvaient détourner leur attention de la douleur et du mal-être physique pour se concentrer sur de nouveaux centres d’intérêt inspirés par les expériences adevnues au cours de leur séance. Bon nombre de personnes ont découvert de nouvelles dimensions dans la musique et une nouvelle manière de l’écouter. Ils s’achetaient des enregistrements de morceaux passés au cours de leurs séances (ou qui y ressemblaient de près ) et ils consacraient beaucoup de temps à leur écoute. D’autres développèrent un profond intérêt pour les livres sur le mysticisme, le yoga, la réincarnation, le Bouddhisme, le chamanisme, ou les états de conscience non-ordinaires. Certains utilisaient aussi les impressions qu’ils avaient vécues dans les séances psychédéliques pour comprendre comment passer le mieux possible les jours qui leur restaient. Par exemple, une patiente décida que sa mort pouvait devenir un puissant catalyseur pour rassembler ses parents étrangers les uns aux autres, et elle passa les dernières semaines de sa vie à travailler de façon systématique à cette tâche. L’influence de la thérapie psychédélique sur la douleur associée au cancer ne peut pas s’expliquer dans toute sa complexité dans le cadre des théories neurophysiologiques. Ronald Melzack, professeur de psychologie à l’Université McGill à Montréal, rassembla beaucoup d’observations cliniques et de laboratoire qui défiaient de manière comparable les concepts contemporains de la douleur. Parmi elles se trouvent l’absence congénitale de la sensibilité aux stimuli nocifs, et son opposée, la douleur psychogénique spontanée qui arrive sans irritation externe détectable. Melzac signala certaines caractéristiques particulières de syndromes de douleur, comme les membres fantômes, les névralgies, et les hauts pourcentages d’échec après des opérations chirurgicales radicales destinées à soulager la douleur. Il prêta également attention au succès étonnant de certains programmes soulageant la douleur, particulièrement les effets analgésiques et anesthésiants de l’acupuncture. Dans son livre, The Puzzle of pain (L’Enigme de la Douleur), Melzac procéda à une révision radicale de la pensée médicale à propos de la douleur (Melzac 1973). Son travail est très pertinent par rapportaux conclusions de nos recherches et il est résumé brièvement ci-dessous. Melzack distingue trois composantes majeures de la douleur, aussi bien du point de vue théorique que pratique : La dimension sensorielle et discriminatoire de la douleur, transmise par les chemins spécifiquement sensoriels (le système de projection spino-thalamique). Cette dimension utilise l’information perceptuelle concernant le lieu, la magnitude et les propriétés spatio-temporelles des stimuli nocifs. La dimension émotionnelle et motivationnelle de la douleur, impliquant le système réticulaire du tronc cérébral, et des structures limbiques. Elle est à l’origine de la caractéristique émotionnelle déplaisante et de la résistance pour échapper aux stimuli et rechercher le soulagement de la douleur. La dimension cognitive et évaluative de la douleur, qui est l’ajout néocortical à l’expérience totale. Cela comprend l’apprentissage culturel, l’expérience unique de l’individu à la douleur, la signification que l’individu attribue à la situation produisant la douleur, l’effet de suggestion, et l’état d’esprit de l’individu à ce moment-là. Ces trois composantes, ainsi que leur participation relative dans l’expérience de la douleur, peuvent être influencées de façon sélective par plusieurs facteurs. Melzack et Wall ont formulé la théorie de contrôle de la douleur dite gate-control68, qui rend compte de plusieurs aspects mystérieux de la douleur. Ils ont postulé qu’un mécanisme nerveux dans la corne postérieure de la moelle épinière se comporte comme une porte. Ce mécanisme peut augmenter ou diminuer la circulation d’impulsions nerveuses des fibres périphériques vers le système nerveux central. Le degré selon lequel cette «porte» facilite ou inhibe la transmission sensorielle est déterminé par l’activité relative dans les fibres diamétrales larges et petites et par les influences qui proviennent du cerveau. Les entrées somatiques de chaque partie du corps, aussi bien que les entrées visuelles et sensorielles, peuvent exercer une influence qui module la transmission des impulsions à travers le mécanisme portier. La présence ou l’absence de douleur est ainsi déterminée par l’équilibre entre les entrées sensorielles et centrales reçus par le système de contrôle de la porte. Lorsque la quantité d’information traversant la porte excède un niveau critique, cela active les zones nerveuses responsables du ressenti de la douleur ainsi que celles de la réponse à la douleur. (Melzac et Wall 1965). La théorie de Melzac et Wall fournit un cadre théorique plausible concernant l’effet en apparence capricieux de la thérapie psychédélique sur l’expérience de la douleur des patients atteints de cancers. La variabilité des résultats peut refléter une interaction dynamique entre la nature multidimensionnelle de l’expérience psychédélique et la complexité des structures neurophysiologiques et des mécanismes sous-tendant le phénomène de la douleur. Les observations cliniques concernant les effets des LSD et DPT sur la douleur représentent une source supplémentaire de preuves venant corroborer la gate-control theory de la douleur et elles sont d’une telle importance pratique et théorique qu’elles méritent d’être étudiées à l’avenir. Au cours de notre étude sur le cancer de Spring Grove nous avons été surpris de constater que le soulagement de la douleur n’était pas proportionnel ou équivalent à la consommation de narcotiques : ce décalage était pour nous assez inattendu. Pour rendre compte de cette incohérence il faut considérer au moins quatre facteurs. Premièrement, les médecins des patients ne faisaient aucune tentative pour changer le régime pharmacologique ; on ne demanda ni aux patients ni aux infirmières de réduire la médication narcotique des patients si le degré de douleur des patients diminuait. Ainsi la consommation de narcotiques ne reflétait que la relation spontanée entre les exigences des patients et la réponse du personnel médical. Dans ce contexte, les conclusions en apparence paradoxales auraient simplement pu refléter la routine habituelle et l’inertie des patients, aussi bien que celle du personnel de l’hôpital. Deuxièmement, la plupart des patients recevaient une variété d’autres substances psychoactives outre les narcotiques, comme des tranquillisants majeurs ou mineurs, des analgésiques non-narcotiques, et des hypnotiques. Les changements dans la consommation de ces drogues n’étaient pas considérés ou mesurés de manière systématique dans notre étude. Cette limitation est spécialement importante dans le cas des dérivés de la 68 Gate signifie portail, porte, seuil (NdT). Commentaire [E146]: The dorsal horns of the spinal cord. Si j’ai bien compris en fonction du schéma de la moelle: dorsal et posterior horn semblent s’employer de manière indifférenciée phénothiazine et des tranquillisants mineurs, que nous interrompions systématiquement une semaine avant la séance, afin qu’ils n’interfèrent pas avec les effets du LSD ou du DPT. La réduction de la douleur obtenue par la thérapie psychédélique devait ainsi compenser l’effet analgésique précédent des médecines qui venaient tout juste d’être interrompues. Troisièmement, même les médications narcotiques lourdes n’étaient pas parvenues à contrôler de façon satisfaisante la douleur de bon nombre de nos patients atteints de cancers avant nos séances psychédéliques. En effet, une réponse inadéquate à la médication narcotique et la douleur persistante sévère étaient les principales raisons pour lesquelles bon nombre de patients ont souhaité participer à notre étude. Dans certains cas, la médication n’était pas réduite après les séances psychédéliques, mais la même quantité de narcotiques devenait plus efficace pour contrôler la douleur et rendre la vie plus tolérable. Enfin, il se peut que le décalage apparent entre le soulagement de la douleur et la demande de narcotiques reflète non seulement l’accoutumance mais une addiction physiologique à proprement parler. Cette hypothèse n’est pas improbable étant donné que bon nombre de nos patients avaient été soumis à une médication narcotique lourde pendant les mois qui précédaient leurs séances psychédéliques. Peur de la mort, concept philosophique de la mort, et attitude envers le fait de mourir Une autre dimension importante des changements ayant eu cours chez nos patients après leur thérapie psychédélique était la profonde transformation de leur idée de la mort et de leur attitude envers la situation qu’ils affrontaient. Suite à des thérapies à base de LSD, des patients psychiatriques comme des sujets «normaux» nous ont fréquemment fait part d’à quel point les expériences psychédéliques avaient radicalement transformé leur sentiment envers la mort. Les individus ayant vécu la mort psychospirituelle et la renaissance voyaient cette expérience comme un avant-goût de ce qui allait leur arriver au moment de leur mort biologique. Ils disaient qu’ils n’avaient plus peur de la mort, et ils voyaient cela comme un voyage fantastique, une aventure de la conscience aussi enthousiasmante qu’exaltante. De profondes expériences d’unité cosmique, des mémoires de vies antérieures, et d’autres formes transpersonnelles de la conscience semblaient rendre la mort physique moins importante et moins menaçante. Ces expériences transformaient aussi les attitudes de nos patients qui affrontaient la mort en l’espace de mois, de semaines ou de jours. Nos observations suggèrent que de telles expériences méritent de profondes recherches en tant qu’elles sont des phénomènes complexes pouvant fournir des impressions psychologiques, philosophiques, mythologiques, et spirituelles. Ces phénomènes sont clairement bien davantage que des hallucinations, des fantasmes souhaités, ou des mensonges envers soi-même résultant de fonctionnements altérés du cerveau. La recherche de Charles A. Garfield a apporté un appui indirect au fait que la psychothérapie psychédélique pouvait atténuer la peur de la mort. Dans sa thèse de doctorat, Garfield a exploré la relation entre les expériences systématiques à long terme des états non ordinaires de conscience et le niveau de peur liée à la mort (Garfield 1974). Garfield a utilisé une combinaison d’interviews cliniques, de tests psychométriques, et de mesures psychophysiologiques pour étudier les différences dans la peur de la mort consciente et inconsciente parmi 150 hommes choisis dans cinq groupes : étudiants diplômés en psychologie, étudiants diplômés en études religieuses, utilisateurs de drogues psychédéliques, pratiquants de la méditation Zen, et disciples du bouddhisme tibétain nés aux Etats-Unis. Les groupes ayant une grande expérience dans les états holotropiques de conscience (utilisateurs de drogues psychédéliques, pratiquants de la méditation Zen et étudiants en bouddhisme tibétain) montrèrent une peur liée à la mort bien moindre que celle étudiants des autres groupes. Dans une étude antérieure sur la thérapie psychédélique et la peur de la mort, Eric Kast suggère que certains mécanismes sont susceptibles de protéger les patients mourants d’un sentiment accablant d’absence d’espoir. Cependant, Kast émet une hypothèse selon laquelle la «situation désespérée» de tels individus ne diffère que d’un point de vue quantitatif de celle d’autres personnes, étant donné que tout le monde peut anticiper la mort à n’importe quel moment, avec d’abord un sentiment de probabilité, puis de certitude. Kast supposait, par conséquent, que les mécanismes qui nous protègent chaque jour de la prise de conscience de notre propre mortalité opèrent avec une plus grande force chez les individus mourants. Dans ces deux cas, de patients en phase terminale et de patients en bonne santé, la frayeur expérimentée dans la contemplation de la mort est fondée sur la peur de la perte de contrôle de leurs corps et de leur environnement. Kast voit l’acceptation de la perte inévitable de contrôle pendant et après une administration de LSD comme étant l’indication du fait que le LSD anesthésie le coup que la mort imminente porte au fantasme infantile de la toute puissance (Kast 1964). Kast insiste également sur le fait que la diminution de l’anticipation est un important facteur de soulagement à la fois de l’expérience de la douleur et de la peur de la mort. Dans des circonstances normales, l’anticipation constitue un mécanisme majeur, qui est utile non seulement pour s’orienter, mais aussi pour se défendre et pour se procurer de la nourriture. Cependant, Kast suggère que l’anticipation n’apporte rien au bien-être des individus mourants -cela ne fait qu’accentuer leurs sentiments de désespoir. L’anticipation requiert la capacité à utiliser des mots de façon sensée et à former et manipuler des symboles. Selon Kast, la diminution du pouvoir des mots, la perte de la capacité à anticiper en résultant, ainsi que l’accroissement de la vie sensorielle immédiate, sont les facteurs les plus importants de modification de l’attitude des individus mourants envers la mort. Les changements d’attitude envers la mort provoqués par les psychédéliques ne peuvent pas être exprimés adéquatement en termes de concepts psychodynamiques traditionnels. Une approche si limitée reflète une profonde incompréhension de la profondeur et de la nature des expériences spirituelles. Contrairement au soulagement de la douleur, les changements radicaux dans le concept de la mort et les attitudes envers elle étaient toujours associés au contenu spécifique des séances psychédéliques, et advenaient seulement lorsque l’expérience avait un puissant accent périnatal ou transpersonnel. Les individus qui vivaient la mort et la renaissance psychospirituelles, les sentiments d’unité cosmique, ou de profondes impressions dans les cycles de la réincarnation, montrèrent généralement des changements radicaux, et à long terme, dans leur compréhension fondamentale de la nature humaine et de sa relation à l’univers. Ils développaient une profonde foi en l’unité ultime de toute la création et se voyaient comme en faisant partie intégrante. Cette attitude s’appliquait souvent à leur maladie et à la situation douloureuse qu’ils affrontaient. Au lieu d’être la fin de tout, la mort apparaissait soudain comme une transition vers un type d’existence différent. Ces patients percevaient l’idée de la conscience se poursuivant au-delà de la mort physique comme étant une alternative bien plus plausible que celle de sa fin au moment de leur mort biologique. Commentaire [E147]: le texte dit "avec une plus grande force chez le individus mourants " mais si ces mécanismes fonctionnent moins bien chez les patients mourants ne s'agit il pas d'une moindre force? Je ne comprends pas Commentaire [E148]: Immediate sensory life Le résultat d’expériences périnatales puissantes et convaincantes fut que nos patients découvrirent des dimensions ordinairement invisibles de l’existence bien au-delà de leurs anciennes visions du monde et de leurs systèmes de croyances. Ils devinrent également conscients de la richesse de leur propre héritage ancestral, racial, collectif, phylogénique et karmique. La solide frontière entre leur identité quotidienne et l’univers immense tendait à se dissoudre, et la distinction habituelle entre le monde intérieur de leur psyché et la réalité extérieure devenait beaucoup plus arbitraire. L’ouverture de ce panorama cosmique fantastique offrait un nouveau système de référence, d’une telle ampleur que la mort biologique perdait de son impact terrifiant. Ces patients bénéficiaient clairement des expériences mystiques de leurs séances psychédéliques. Cette observation pose la question souvent soulevée par les scientifiques matérialistes : est-ce que des expériences mystiques de ce type - spontanées, psychédéliques, ou provoquées par d’autres moyens- offrent des informations ontologiquement valables sur la nature humaine et sur l’univers, ou sont-elles des produits d’un cerveau altéré chimiquement ou d’une maladie mentale ? Révèlent-elles de dimensions authentiques de la réalité dans le sens de ce que les philosophies spirituelles orientales appellent sagesse transcendantale (prajnaparamita) ? Les mystiques sont-ils des personnes qui ont une compréhension plus profonde de la réalité qu’une personne moyenne, ou bien sont-ils au contraire des individus souffrant de désordres mentaux sévères, d’hallucinations et de délires, ainsi que les dépeint la psychiatrie contemporaine ? Dans Le Jeu Cosmique (Grof 1998), j’avance l’idée que la vision du monde résultant des états holotropiques, qui ressemble beaucoup à un point de vue de la réalité qu’Aldous Huxley appelait « philosophie pérenne » (Huxley 1945), est aussi étonnamment compatible avec beaucoup de découvertes révolutionnaires de la science moderne : découvertes de l’astrophysique, de la physique quantique-relativiste, de la théorie de David Bohm sur le holomouvement69, de la nouvelle biologie, ainsi que de la psychologie jungienne. Ainsi, les impressions des séances psychédéliques de nos clients sont corroborées par la science moderne la plus avancée. Cependant, dans un tel contexte remettre en question la pertinence ontologique de ces expériences est discutable. Les patients atteints de cancers avec lesquels nous avons travaillé trouvaient les visions cosmiques dans leurs séances psychédéliques totalement convaincantes, et ces expériences et impressions rendaient leurs situations tragiques beaucoup plus tolérables. Changement dans la hiérarchie des valeurs et dans la stratégie de la vie Les changements frappants dans la hiérarchie des valeurs et dans la stratégie envers la vie que nous avons observés chez nos patients après les séances psychédéliques étaient souvent directement liés aux impressions spirituelles associés aux expériences périnatales et transpersonnelles. Au cours de leurs thérapies psychédéliques, beaucoup de personnes 69 Holomouvement : selon Bohm, le monde matériel, tel que nous le percevons à travers nos sens et avec l'aide d'instruments variés qui étendent la portée de nos organes sensoriels, est seulement un aspect de la réalité qu'il appelle « l'ordre déplié ou développé ». La matrice qui le génère, c'est-à-dire l'ordre implié ou inveloppé, n'est pas normalement accessible aux sens ni à l'investigation scientifique directe ; en outre Bohm insiste sur la nature dynamique et le flux continu de l'Univers. N'importe quel événement, objet ou entité, observable et descriptible, quel qu'il soit, est abstrait, d'un flux uni, indéfinissable et inconnu, le holomouvement (NdT). découvraient que leur vie avait été inauthentique au niveau de certains domaines spécifiques des relations interpersonnelles. Par exemple, les problèmes avec l’autorité parentale peuvent mener à des schémas spécifiques de difficultés avec les figures de l’autorité, des schémas dysfonctionnels répétés dans les relations sexuelles peuvent avoir leur origine chez les parents en tant que modèles de comportement sexuel, une rivalité intense entre frères et sœurs peut colorer et distordre les futures relations avec les pairs etc… Ces connexions sont bien connues de la psychothérapie traditionnelle dynamique. Cependant, les impressions des séances psychédéliques sont plus profondes. Lorsque le processus d’exploration d’expérimental de soi atteint les niveaux périnatals, nous découvrons généralement que notre vie a été inauthentique dans sa totalité, pas seulement dans certaines de ses parties. Nous trouvons, à notre grand étonnement, que notre stratégie de vie tout entière a été mal dirigée et par là même incapable de nous apporter de satisfaction véritable. Notre stratégie de vie mal dirigée a d’abord été motivée par des facteurs que nous n’avons pas traités et intégrés de façon adéquate : la peur de la mort et les forces inconscientes associées à la naissance biologique. En d’autres termes, pendant notre naissance biologique, nous avons accompli le processus de naissance biologiquement, mais non de manière émotionnelle. Lorsque notre champ de conscience de la vie quotidienne est fortement influencé par la mémoire sous-jacente de la lutte du canal de naissance, nous vivons des sentiments d’inconfort et d’insatisfaction par rapport à notre situation présente. Notre mécontentement peut se concentrer sur un large spectre de problèmes – une apparence physique insatisfaisante, des ressources et des possessions matérielles inadéquates, une position sociale et une influence faibles, un pouvoir et une reconnaissance insuffisantes, et bien d’autres. Tout comme l’enfant pris dans le canal de la naissance, nous éprouvons un puissant besoin d’aller chercher une meilleure situation qui se trouve quelque part dans le futur. Quelles que soient les circonstances présentes, nous les trouvons insatisfaisantes. Notre imaginaire créé continuellement des images de scénarios futurs qui semblent nous apporter davantage de satisfaction que le scénario présent. Nous voyons notre vie comme une préparation à un futur meilleur et non comme « la vraie chose ». Ce genre d’orientation envers la vie implique un schéma de vie que certains de nos clients ont décrit comme une «course de rats» ou comme un « tapis de course ». L’image d’un hamster courant dans une roue et n’arrivant nulle part représente la stratégie et le caractère fondamentalement faillible de la vie d’un être humain moyen, fondés sur la poursuite incessante de buts. C’est essentiellement une stratégie de perdant, incapable d’apporter la satisfaction que nous désirons. Que notre stratégie nous apporte des récompenses dans la vie matérielle, voilà qui n’a que peu de conséquences, étant donné que nous ne recevons jamais suffisamment de ce dont nous n’avons pas réellement besoin ou de ce que nous voulons. Lorsque nous parvenons à atteindre le but auquel nous aspirons, nos sentiments fondamentaux ne changent pas réellement. Nous pensons alors que notre insatisfaction continuelle a quelque chose à voir avec le but : peut-être est-ce un mauvais but, ou alors peut-être n’est-il pas assez ambitieux. Par conséquent, soit nous substituons à l’ancien but un but nouveau, soit nous augmentons nos ambitions. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas correctement diagnostiqué le fait que l’échec est la conséquence d’une stratégie de vie totalement erronée, qui est, par principe, incapable de fournir une satisfaction véritable. Une poursuite imprudente de plusieurs buts grandioses provoque beaucoup de souffrance et conduit à de sérieux problèmes à l’échelle de l’individu autant qu’à l’échelle collective. Cette stratégie fallacieuse se joue à tous les niveaux d’importance et d’influence étant donné qu’elle n’apporte jamais de satisfaction véritable. Lorsqu’elle est appliquée de façon globale, cela se manifeste par l’exploitation et la pollution des ressources non renouvelables, ce qui met en péril la survie sur cette planète. Le Mahatma Gandhi l’exprimait de façon très succincte : «la Terre offre suffisamment de choses pour satisfaire tous les besoins de l’homme mais pour satisfaire toute son avidité». L’expérience de la mort et de la renaissance psychospirituelles, qui inclut la réalisation émotionnelle de la naissance biologique et la confrontation avec la mortalité et l’impermanence, peut réduire de façon signifiante cette poussée irrationnelle. Au-delà du traumatisme de la naissance et de la peur de la mort, les recherches psychédéliques et la psychothérapie expérientielle ont révélé une source encore plus profonde à notre insatisfaction et à notre lutte pour la perfection. L’envie insatiable qui régente la vie humaine est en dernière instance transpersonnelle par nature. C’est le concept de Ken Wilber du «Projet Atman » (Wilber 1980) qui la décrit le mieux. Notre véritable nature est divine – Dieu, le Christ Cosmique, Allah, Bouddha, Brahman, le Tao, le Grand Esprit. Même si le processus de création nous sépare et nous aliène de notre source et de notre véritable identité, notre conscience n’est jamais totalement perdue néanmoins. La force de motivation la plus profonde de la psyché, à tous les niveaux de l’évolution de la conscience, est le chemin pour revenir à l’expérience de notre divinité. Cependant, les conditions contrariantes des étapes consécutives du développement empêchent une pleine expérience de notre divinité et nous forcent à rechercher des substituts variés qui s’avèrent inadéquats et inappropriés. La transcendance requiert la mort du soi séparé c’est-à-dire mourir à notre identification exclusive avec le corps/ego. Mais étant donné que nous avons peur de l’aliénation et que nous nous accrochons à l’ego désespérément, nous devons nous résoudre aux substituts d’Atman, qui sont spécifiques à chaque étape de développement : Pour le fœtus et le nouveau-né, le substitut d’Atman est la satisfaction vécue dans le bon giron, ou dans le bon sein. Pour un petit enfant, c’est la satisfaction de besoins spécifiques à cet âge, et le besoin de sécurité. Pour un adulte, le spectre des projets possibles selon Atman est ample, et comprend la nourriture, le sexe, l’argent, la célébrité, le pouvoir, l’apparence, la connaissance et bien d’autres choses encore. En raison de notre profond sentiment que notre véritable identité est la totalité de la création cosmique et le principe créatif lui-même, les substituts de tous types, quelle que soit leur ampleur -les projets d’Atman- seront toujours insatisfaisants. Nos besoins les plus profonds ne peuvent être réalisés que par l’expérience de notre divinité dans un état de conscience holotropique. Ainsi, la solution ultime à l’avidité insatiable de l’humanité est le monde intérieur, non les poursuites séculaires, quels que soient leur type et leur ampleur. Il est facile de comprendre comment les impressions de ce type peuvent soulager la souffrance psychologique de patients atteints de cancers. À mesure qu’ils acceptent leur impermanence et l’imminence de leur mort, ils réalisent l’absurdité ultime et la futilité des ambitions exagérées, de l’attachement à l’argent, au statut, à la célébrité et au pouvoir, ou à la poursuite d’autres valeurs séculaires. Cette réalisation rend plus facile l’affrontement de la fin involontaire de la carrière professionnelle et la perte imminente de possessions matérielles. Les expériences psychédéliques affectent également profondément la Commentaire [E149]: IL veut dire projects = projections ou projets? En fait c'est dans le sens de substituts d'Atman. Bref une projection de ce qu'on croit être Atman ? pourtant le mot project a le sens de projet conception du temps : le passé et le futur deviennent moins importants comparés au moment présent. L’accent psychologique tend à passer de la planification à long terme à «vivre au jour le jour», un passage qui est accompagné par une capacité augmentée à apprécier la vie et à trouver du plaisir dans les choses simples. La spiritualité éveillée par les expériences psychédéliques n’est généralement pas fondée sur les croyances religieuses et sur les dogmes d’une foi spécifique ou d’une affiliation spéciale à une église : elle est universelle, entière, et non-religieuse. Cependant, dans bien des cas, la séance psychédélique a approfondi et illuminé les croyances traditionnelles de l’individu mourant, et les a remplies de nouvelles dimensions de sens. Condition psychologique des survivants, et nature du processus de deuil La signification de la thérapie psychédélique pour la personne mourante transcende la cadre étroit consistant à aider le patient. Ce genre de traitement peut également influencer de façon significative la condition psychologique des survivants et la nature du processus de deuil. Les moments de mort sont des temps de crise dans n’importe quelle famille. Bien que la plus grande partie de la souffrance soit celle vécue par le patient, la confrontation avec la mort et la séparation imminente d’avec les personnes aimées sont des sujets de profonde implication émotionnelle pour toutes les personnes concernées. Les parents et les amis qui voient la détérioration progressive et la mort d’une personne proche sont souvent profondément affectés émotionnellement. Dans certains cas, ces personnes souffrent de réactions émotionnelles à long terme. Les psychiatres en exercice sont bien conscients que la mort de parents et d’autres proches joue un rôle important dans la vie future des membres de la famille. Ces événements peuvent être la cause de développement de bien des désordres émotionnels, tels qu’un traumatisme originel pendant l’enfance, ou bien agir comme un détonateur de symptômes qui se manifesteront ultérieurement dans la vie. Le deuil et la période de perte semblent être fondamentalement influencés par la nature et l’intensité des conflits dans les relations des survivants avec la personne mourante. S’adapter à la mort d’un de ses membres est généralement bien plus difficile si la famille se sent ambivalente dans son rapport et son comportement envers la personne mourante ou envers la façon dont la situation entière a été gérée. L’incapacité ou le manque d’occasions d’exprimer sa compassion envers la personne mourante, de prononcer des mots de gratitude envers le passé, ou de trouver un moyen de dire au revoir, laisse aux survivants des sentiments d’insatisfaction, d’amertume et souvent de culpabilité intense. Si le thérapeute peut rentrer dans le système de la famille comme agent catalyseur et faciliter des canaux d’échange émotionnel et de communication efficaces, cette période difficile de transition peut devenir un événement de signification profonde pour toutes les personnes impliquées. La mort et son processus peuvent prendre la forme d’une rencontre avec les forces cosmiques et les lois universelles qui opèrent dans nos vies, et auxquelles nous sommes tous sujets. Dans de bonnes circonstances, les survivants vivent très peu de culpabilité concernant la souffrance et la mort de la personne aimée, et la période de deuil est considérablement plus courte. Participer au processus de mort de la personne mourante peut influencer les enfants survivants, et les concepts de la mort des adultes, et les aider à approcher leur propre mort dans le futur. Passer du temps avec les personnes mourantes peut même accélérer une profonde expérience d’ouverture spirituelle, et c’est pourquoi cela constitue un entraînement important chez les moines Tibétains. Aptitudes et Entraînement Nécessaire à une Thérapie Psychédélique Réussie Une intervention thérapeutique réussie facilite et soulage souvent l’agonie de la personne mourante, et au même moment, elle aide les survivants à absorber et à intégrer ce traumatisme. La thérapie psychédélique n’est pas la chimiothérapie et elle ne fournit pas non plus de miracle thérapeutique. La qualité de la rencontre humaine, du guidage psychothérapeutique conscient de la personne mourante, le travail individuel avec la famille, et l’optimisme du thérapeute sont des facteurs cruciaux. Des séances fascinantes et profondément émouvantes, des changements positifs des sentiments, des attitudes et des comportements, sont plus que suffisants pour maintenir l’enthousiasme des thérapeutes et les protéger du burn-out, même lorsqu’ils affrontent des réalités souvent sinistres. Cependant l’enthousiasme et l’optimisme ne sont pas des qualifications suffisantes pour diriger un programme de thérapie à base de LSD réussie. Tous les thérapeutes participant à de telles recherches doivent recevoir un entraînement spécifique. Une préparation optimale des thérapeutes requiert plus que de connaître la littérature existante à ce sujet, de regarder des vidéos choisies de séances psychédéliques, et de participer en tant que co-thérapeute à des séances dirigées par des thérapeutes expérimentés. Les états psychédéliques sont en grande partie ineffables : même les meilleures descriptions ne peuvent pas rendre de façon adéquate leur nature et leur profondeur. Par conséquent, il est impossible d’obtenir une compréhension véritable de ces états en lisant simplement des livres et des articles dans des journaux scientifiques. La thérapie psychédélique, contrairement à la thérapie avec les agents pharmaceutiques ordinaires, nécessite par conséquent que les thérapeutes compétents aient une expérience personnelle avec les substances psychédéliques, de manière à comprendre leurs effets pour être capables de les utiliser de manière efficace. Dans notre programme d’entraînement pour professionnels Spring Grove, nous offrions aux psychiatres et psychologues la possibilité de faire l’expérience par eux-mêmes des états de conscience holotropiques, guidés par des thérapeutes entraînés. Une telle connaissance intime de l’expérience psychédélique s’est avérée absolument indispensable au travail efficace et sensible avec le LSD et d’autres psychédéliques. Les entraînements psychédéliques pour les futurs thérapeutes ont une autre fonction importante : ils offrent aux personnes formées l’opportunité de se confronter à leur propre peur de la mort et de travailler sur elle ainsi que sur d’autres problèmes émotionnels importants qui pourraient être activés en travaillant avec les patients mourants et provoquer des problèmes dans la séance. L’équanimité et le caractère central du thérapeute lorsqu’il est confronté aux contenus du patient hautement chargés d’un point de vue émotionnel sont parmi les facteurs les plus importants pour une thérapie psychédélique réussie. Pendant mon travail avec la thérapie psychédélique au Centre de Recherche Psychiatrique de Prague et au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland à Baltimore, j’eu plusieurs fois l’occasion d’observer et d’apprécier la compétence et la compassion des infirmières et des autres membres de l’équipe de recherche, qui avaient fait eux-mêmes l’expérience de telles séances lors de leur entraînement professionnel. Avec un entraînement thérapeutique adéquat, la psychothérapie à base de LSD peut être une approche sûre et prometteuse dans un domaine qui a été jusqu’ici plus que décourageant. Même si les membres des professions de soutien et le public sont devenus conscients du besoin urgent d’aider les individus mourants, très peu de programmes existent. La plupart des patients mourants affrontent encore une réalité sombre, décrite par Aldous Huxley dans son roman Ile en ces termes «toujours davantage de douleur, toujours davantage d’anxiété, toujours davantage de morphine, toujours davantage d’exigences, avec l’ultime désintégration de la personnalité et une perte de l’opportunité de mourir dignement» (Huxley 1963). Chapitre 16 PSYCHE ET THANATOS : LA MORT DANS LA PSYCHOLOGIE ET LA SOCIETE OCCIDENTALES Il me semble que l’une des expériences humaines les plus fondamentales, une expérience authentiquement universelle, et qui unit - ou plus précisément qui pourrait unir toute l’humanité, est l’expérience de la transcendance, dans son sens le plus large. Vaclav Havel, Président de la République Tchèque CE N’EST QUE TRES RECEMMENT que la psychologie et la psychiatrie traditionnelles ont commencé à intéresser à la mort et à l’impermanence, aspects cependant essentiels de la vie humaine qui avaient été amplement négligés. Les premières recherches significatives dans ce domaine furent d’abord conduites par les pionniers de la psychologie des profondeurs (comme Freud, Jung, Adler), l’anthropologiste et clinicien Ernest Becker et certains des philosophes existentialistes qui croyaient à leur façon que la mort jouait un rôle important dans la psyché et qu’elle influençait profondément la vie humaine. Ils tombèrent d’accord sur l’importance d’accepter la mort : selon eux, c’était là un prérequis à une stratégie d’existence réussie. Cependant, ils seraient surpris aujourd’hui des dimensions que les recherches postérieures ont révélées concernant la puissante représentation de la mort au sein de la psyché, y compris dans la forme spécifique que prend la présence de la mort aux niveaux biographiques, périnataux et transpersonnels. En outre aucun de ces pionniers n’a anticipé la solution radicale aux problèmes liés à la mort qui a été rendue possible par la thérapie psychédélique et les méthodes expérimentales, lesquelles ne font pas usage de drogues et utilisent les états holotropiques. Ce travail a conduit à une nouvelle compréhension de la mort et de son processus avec de profondes implications pour le futur de l’humanité. Pionniers de la psychologie des profondeurs et de la philosophie existentialiste Sigmund Freud, neurologue viennois et fondateur de la psychanalyse, fut le premier de ces pionniers de la psychologie des profondeurs à prendre en considération la mort dans ses théories. Étant donné que Freud ouvrit à lui seul ce vaste domaine d’études psychologiques, il n’est pas surprenant que ses points de vue concernant la pertinence de la mort aient évolué depuis de façon radicale à travers les années. Dans ses premiers écrits, Freud concevait la psyché humaine comme étant gouvernée par une tension dynamique entre deux forces conflictuelles - la force sexuelle (libido), et la force d’auto-préservation (instinct de l’ego). Durant ces premières années, Freud croyait aussi que la principale force de motivation dans la psyché était ce qu’il appelait le «principe de plaisir» (das Lustprinzip), à savoir une tendance à éviter la gêne et à rechercher la satisfaction. À ce stade-là de sa carrière, Freud ne considérait pas le problème de la mort comme étant pertinent. Il voyait l’inconscient comme un domaine au-delà du temps et de l’espace, incapable de connaître et de reconnaître la mort comme fait. De son point de vue, les problèmes qui semblaient liés à la mort, comme la peur de la mort, n’avaient rien à voir avec la mort biologique et ils masquaient en réalité d’autres problèmes. La peur de la mort pouvait avoir pour cause les envies de mort d’une autre personne, lesquelles semblaient inacceptables au surmoi qui s’empressait alors de les tourner vers le sujet. Cela pouvait être aussi un substitut à la peur d’un orgasme sexuel irrépressible, la peur de la perte de contrôle, ou la peur de la castration. Au tout début de son travail, la peur de la mort était essentiellement enracinée dans les conflits des étapes pro-œdipales et œdipales du développement libidinal (Fenichel 1945). La pensée de Freud au sujet de la mort commença à changer radicalement lorsqu’il découvrit l’existence de phénomènes qui n’étaient de toute évidence pas gouvernés par le principe du plaisir ; le masochisme primaire, le besoin d’un châtiment, l’automutilation et le suicide violent. Dès lors, son concept précédent de la psyché devenait incohérent et nécessitait d’être réexaminé dans son ensemble A mesure que Freud se débattait avec les concepts associés à ce problème et remis en question lui réalisa que les phénomènes qui étaient « au-delà du principe du plaisir» ne pouvaient pas être compris ou expliqués en dehors du problème de la mort. Les premières indications de ce changement se trouvent dans ses formulations théoriques publiées entre 1913 et 1920, spécialement dans son analyse de la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, intitulée « le Thème des trois Coffrets » (Freud 1925a) et dans son essai « Considérations actuelles sur la Guerre et la Mort» (Freud 1925b). Dans ces essais, Freud indique qu’il réexamine ses anciennes thèses selon lesquelles il n’y avait aucune représentation de la mort dans l’esprit humain. En 1920, il acheva une synthèse et une intégration de ses divers points de vue sur la mort et formula une nouvelle théorie biopsychologique plus exhaustive sur la personnalité humaine. Dans sa nouvelle psychologie que Freud, exprimait dans son livre Au-delà du Principe du Plaisir, la psyché n’était plus le champ où se déroulait la bataille entre la force sexuelle et l’instinct d’auto-préservation. La libido (Eros), continuait à être l’une des deux forces en compétition, mais Freud appelait désormais l’autre nouvelle force en opposition «l’instinct de mort» (Thanatos), (Freud 1975). Le but d’Eros était de préserver la vie et celui de Thanatos était de contrer la vie, de la détruire, en vue de finalement la ramener au domaine inorganique d’où elle provenait originellement. Pour Freud il y avait une profonde relation entre ces deux groupes de forces instinctives et les deux processus biochimiques dans l’organisme humain : l’anabolisme et le catabolisme. Les processus anaboliques contribuent à la croissance, au développement, et au stockage de nutriments. Les processus cataboliques sont destructeurs, épuisent les réserves et libèrent l’énergie. Freud associait aussi l’activité de ces deux forces à la destinée de deux groupes de cellules dans l’organisme humain - les cellules germinales qui sont potentiellement immortelles, et les cellules somatiques, qui constituent le corps et qui sont destinées à mourir. Dans ses premiers travaux, Freud considérait presque toutes les manifestations d’agression comme des expressions de la sexualité donc sadiques par nature; dans le nouveau cadre conceptuel, il reliait l’agression à l’instinct de mort. D’après sa nouvelle vision, l’instinct de mort opérait dans l’organisme humain depuis le tout début, le convertissant graduellement en un système inorganique. La force destructrice pouvait et devait être en partie détournée de son but primaire et dirigée vers d’autres organismes. Que l’instinct de mort soit orienté vers des objets dans le monde extérieur, ou contre l’organisme lui-même, n’avait pas d’importance, du moment qu’il pouvait atteindre son but destructeur. La formulation finale de Freud concernant le rôle de l’instinct de mort apparut dans son dernier ouvrage L’Abrégé de Psychanalyse (Freud 1949). La dichotomie fondamentale entre les deux forces en puissance, l’instinct d’amour (Eros ou Libido) et l’instinct de mort (Thanatos ou Destrudo) devint la pierre angulaire de la compréhension du processus mental selon Freud. Ce concept, qui dominait sa pensée pendant les dernières années de sa vie, ne généra pas beaucoup d’enthousiasme parmi ses disciples, et ne fut jamais pleinement incorporé dans la psychanalyse traditionnelle. Rudolf Brun, qui fit des recherches statistiques approfondies portant sur les essais concernant la théorie de Freud sur l’instinct de mort, trouva que 94% d’entre eux étaient de toute évidence défavorables au concept de Freud (Brun 1953). Bien que, pour Freud, Eros et Thanatos soient perçus comme des instincts biologiques, ils avaient des caractéristiques mythologiques bien définies, tout comme les archétypes jungiens. Beaucoup de psychanalystes, y compris ses disciples, considéraient l’intérêt de Freud pour la mort, et son inclusion de Thanatos dans sa théorie des instincts, comme une enclave étrangère dans le développement de son cadre psychologique. Plusieurs critiques ont suggéré que les spéculations de Freud concernant Thanatos étaient influencées de façon défavorable par son âge avancé et par une variété de facteurs externes traumatisants : son intense thanatophobie, la mutilation de sa mâchoire due à une tumeur mal diagnostiquée, une prothèse maxillaire mal ajustée, une réaction émotionnelle à son cancer de la langue, la mort de plusieurs membres de sa famille, et les meurtres innombrables de la première guerre mondiale. Les critiques de Freud affirmaient que ce changement inattendu dans sa manière de penser reflétait sa propre préoccupation pathologique à l’égard de la mort alors qu’en réalité Freaudt était très en avance sur ses disciples. Ainsi qu’il en est question plus loin dans ce chapitre, la recherche sur la conscience au cours de ces cinquante dernières années a confirmé l’intuition générale de Freud concernant l’importance de la mort pour la psychologie. Bien postérieure que la recherche n’ait pas confirmé l’existence d’un instinct de mort biologique, tel que le concevait Freud, de riches représentations du thème de la mort ont été découvertes dans les trois niveaux de l’inconscient - biographique, périnatal et transpersonnel. Nous savons aussi que l’élément « mort » joue un rôle important dans la psychogénèse de beaucoup de désordres émotionnels et psychosomatiques. Alfred Adler, renégat psychanalytique et fondateur de l’école de psychologie individuelle, était un autre pionnier de la psychologie des profondeurs à avoir reconnu qui l’importance cruciale dela mort (Adler 1932). D’après le compte-rendu qu’il en a fait, la vie d’Adler et son travail étaient influencés par sa rencontre bouleversante avec la mort. À l’âge de cinq ans, il contracta une pneumonie aiguë, et son médecin déclara sa situation désespérée. Après son rétablissement, il décida d’étudier la médecine en vue de pouvoir maîtriser la mort. La conséquence directe du fait d’avoir frôlé la mort de près lorsqu’il était très jeune fut qu’Adler en vint à interpréter les sentiments d’insuffisanceet d’impuissance, couplés à la profonde envie de les dépasser, comme étant la force laplus importantede la psyché (la «protestation masculine»).Ainsi , l’incapacité d’une personne à empêcher et à contrôler la mort était le des sentiments d’insuffisance le plus profond. Bien qu’Adler n’ait pas explicitement inclu la peur de la mort dans sa théorie, les recherches de toute sa vie Commentaire [E150]: his psychological framework étaient certainement très profondément influencées par son expérience de mort imminente. La théorie d’Adler mettait l’accent sur le courage et sur la capacité à affronter les aspects dangereux de l’existence humaine. Nous avons également vu au chapitre 9 à quel point C.G. Jung, autre pionnier de la psychologie des profondeurs, avait été influencé par son expérience de mort imminente. Jung avait aussi un profond intérêt pour la mort, même si sa compréhension différait de façon significative des spéculations de Freud. Dans son essai De la Psychologie de l’Inconscient, il réfuta le concept de Freud selon lequel les deux instincts fondamentaux, Eros et Thanatos, constituaient les forces gouvernant la psyché (Jung 1953). Il récusait également l’idée a thèse de pas de Freud selon laquelle le but d’Eros est d’établir des unités toujours plus grandes et de les préserver, et que le but de Thanatos est de défaire les liens et de les détruire. Jung affirmait qu’un tel choix de contraires reflétait des attitudes de l’esprit conscient et non les dynamiques de l’inconscient. Il voyait l’opposé logique de l’amour comme étant la haine, et celui d’Eros comme étant Phobos (la peur). Cependant, le contraire psychologique de l’amour est la volonté de puissance, une force cardinale dans toutes les théories d’Alfred Adler. Jung a observé que là où règne l’amour, il n’existe aucune volonté de puissance ; et que là où la volonté de puissance prédomine, l’amour est absent. Jung constatait que Freud était contraint de considérer Thanatos l’instinct de mort destructeur comme étant le contraire d’Eros parce qu’il faisait une concession à la logique intellectuelle d’une part, et au préjudice psychologique d’autre part. D’après Jung, Eros n’est pas l’équivalent de la vie. Mais pour ceux qui identifient Eros à la vie, son contraire sera tout naturellement la mort. Nous pensons tous que le contraire de notre principe le plus élevé est purement destructeur et mauvais. Ainsi nous ne pouvons nullement octroyer à la mort des qualités positives, et nous avons tendance à la craindre et à l’éviter. Les spécificités de la contribution de Jung à la thanatologie étaient sa pleine conscience d’à quel point les motifs liés à la mort étaient représentés puissamment dans l’inconscient. Lui et ses disciples ont attiré l’attention des psychologues occidentaux ainsi que du grand public sur l’importance capitale du thème de la mort psychospirituelle et de la renaissance, avec toutes ses variations symboliques, dans l’histoire spirituelle et rituelle de l’humanité. Ils ont rassemblé et analysé de nombreux exemples du symbolisme de la mort et de la renaissance issus de cultures diverses et de périodes historiques, allant de la mythologie des Aborigènes d’Australie à l’alchimie. Cependant, ils n’ont pas reconnu ni apprécié la relation du symbolisme archétypal de la naissance biologique et de ses étapes (cf la description des matrices périnatales au chapitre 8). Les psychologues jungiens ont apporté une autre contribution majeure à notre compréhension de la naissance par leur exploration des mythologies eschatologiques de différentes cultures et périodes historiques. Les problèmes liés à la mort jouèrent également un rôle capital dans la psychologie de Jung à propos du processus d’individuation. Il insista sur le fait qu’il était crucial de voir la mort comme étant aussi importante que la naissance et de l’accepter comme faisant partie intégrante de la vie. Si nous pensons que l’ascension de la vie a un but et un objectif, alors sa descente ne doit-elle pas en avoir aussi? Au lieu de s’accrocher désespérément au passé, on devrait affronter la mort comme faisant partie d’un processus téléologique naturel. Un point de vue utile seraitde voir la mort comme la fin de l’homme empirique et comme le but de l’homme spirituel. Alors que la sexualité est la force dominante dans la première moitié de la vie humaine, dans l’idéal, les problèmes du déclin biologique et de l’approche de la mort devraient être le point d’attention central dans la seconde moitié de la vie. Commentaire [E151]: il semble bien que c’est comme ça qu’on dit en psycho. Mais sinon on peut mettre indivisualisation. La préoccupation du problème de la mort paraît normale dans les dernières décénnies de la vie, là où son occurrence dans les années précédentes est généralement associé à la psychopathologie. Cependant, éviter les problèmes de la mort et de l’impermanence dans les dernières années est également problématique. Jung a fortement critiqué ceux qui étaient incapables d’embrasser la mort, et il a exprimé son opinion de façon assez explicite : «Pour le psychothérapeute, un vieillard qui ne peut pas dire adieu à la vie semble aussi fragile et aussi malade qu’un jeune homme qui est incapable de l’embrasser». Le processus d’individuation tel que Jung le concevait aboutissait à un achèvement de la personnalité et impliquait de résoudre le problème de la mort. Le but de cette thérapie était d’atteindre la complétude. Une personne qui voit la vie et la mort comme s’opposant n’est certainement pas complète (Jung 1967, 1970a, 1970 b). Le livre d’Ernest Becker The Denial of Death : A perspective in Psychiatry and Anthropology (Le Déni de la Mort : une Perspective de Psychiatrie et d’Anthropologie Becker 1973) contitue une autre contribution importante et influente à la littérature sur la mort. Becker était anthropologue de formation mais il acquit des compétences considérables en tant que psychiatrique clinicien et en tant que théoricien lorsqu’il était étudia avec Thomas Szasz, lui aussi célèbre psychiatre et critique de cette discipline. Becker affirmait que le problème central de l’existence humaine était que nous sommes mortels et que nous sommes tous destinés à mourir. Bien qu’il s’agisse là d’une réalité évidente de notre vie, la peur qui lui est associée est tellement forte et envahissante que nous utilisons tous les moyens possibles pour nier cette évidence. C’est ce déni de la mort qui pour Becker est la cause virtuelle de toutes les pathologies auxquelles sont sujets les êtres-humains. La façon dont cela se manifeste est le narcissisme , un besoin obsessionnel d’être reconnu comme important. Cela constitue ce que Becker appelait la «destinée tragique humaine», effort désespéré consistant à se justifier à soi-même que l’on est un objet de grande valeur dans l’univers, d’être une figure héroïque, et d’apporter une plus grande contribution au monde que les autres. Becker voyait toutes les cultures comme des systèmes qui fournissaient à leurs membres une opportunité de devenir le genre de héros que cette «destinée tragique» requiert. La forme de ce système culturel n’y change pas grand-chose, que ce soit une forme primitive , magique, religieuse ou que ce soit une forme séculaire, civilisée et avec des connaissances scientifiques. Quelle que soit sa forme, le système culturel fonctionne sur le paradigme du héros mythique que les gens sont désireux d’atteindre, de manière à parvenir à un sentiment d’excellence, de sens dans la vie, et de statut spécial. Par conséquent, les on se met à construire des édifices, à faire des découvertes scientifiques, à créer des œuvres d’art, à accomplir des actes héroïques et à fonder des familles qui recouvrent des générations et des générations. La force motrice derrière toutes ces activités est le désir de créer des choses dans la société avec une valeur à long terme, qui survivront à la mort et à la détérioration, ou qui continueront de briller. Becker croyait que nous devions devenir conscients de notre déni de la mort et des fausses structures culturelles que nous avions érigées pour nous recouvrir d’un vernis d’héroïsme et que la libération de cette vérité changerait fondamentalement le monde. Nous réaliserions que les systèmes culturels existants sont artificiels, et que quoi que nous fassions sur cette planète, nous devons le faire avec la conscience de la terreur sous-jacente à l’existence. La mort tient également une place importante dans la pensée des existentialistes, particulièrement dans la pensée de Martin Heidegger. La mort joue un rôle central dans ses analyses de l’existence abordées dans Sein un Zeit (Être et Temps) (Heidegger 1927). D’après Commentaire [E152]: Je ne comprends pas à quoi renvoie le It ici, j’imagine au déni de la mort….. J’ai donc traduit d façon tout aussi vague. Commentaire [E153]: To justify oneself or to justify to oneself ? Heidegger, la conscience de l’impermanence, du néant, et de la mort, traverse imperceptiblement chaque moment de la vie humaine avant l’occurrence réelle de la mort biologique ou de sa rencontre avec elle. L’analyse existentialiste révèle que la vie est «existence vers la mort» (Sein zum Tode). Toutes les spéculations ontologiques doivent considérer la totalité de l’existence, ainsi que cette partie qui n’existe pas encore, y compris la toute fin. La conscience de la mort est une source constante de tension et d’anxiété existentielle dans l’organisme, mais elle fournit aussi un territoire dans lequel l’existence et le temps semblent avoir une signification plus profonde. Heidegger suivit la recommandation de son professeur Edmund Husserl qui disait que les philosophes devaient détourner leur attention du monde naturel vers l’expérience intérieure. Il voyait l’exploration de soi comme une nécessité fondamentale à notre appréhension du monde et à notre pensée du monde . Heidegger affirmait avoir décrit des expériences fondamentales qui sous-tendent notre perception quotidienne du monde et qui sont cependant au-delà et en-dehors de la portée dela méthode scientifique traditionnelle. Le point de vue de Heidegger ressemble de près aux impressions des états de conscience holotropiques. Comme nous l’avons vu au chapitre 8, le point de vue existentialiste tend à dominer la pensée des personnes qui sont influencées par la seconde matrice périnatale fondamentale (BPM II) caractérisée par des sentiments de «sans-issue». Dans ce genre de situation, les gens sont incapables de trouver la seule solution, à savoir l’expérience de la transcendance. Révolution conceptuelle des années 1960 Le renouveau d’intérêt pour la recherche sur la conscience et poursur l’expérimentation de soi dans des années 1960 tourmentées fit avancer l’exploration de la psyché bien au-delà des frontières de la psychanalyse Freudienne. Une révolution conceptuelle majeure a pris place alors et son plein impact et sa signification n’ont pas encore été reconnus et assimilés par les cercles académiques. C’est la découverte inattendue d’Albert Hofmann concernant les effets psychédéliques du LSD, et les recherches cliniques ou en laboratoire sur les psychédéliques ainsi que l’exploration de soi nonsurveillée avec ces substances qui joua un rôle majeur dans ce développement. Cependant, des informations importantes concernant la nature de la conscience et les dimensions de la psyché humaine étaient générées également par le travail avec les autres méthodes thérapeutiques capables de provoquer des états holotropiques de conscience. Parmi ces méthodes se trouvaient de nouvelles thérapies expérientielles : les groupes de rencontre, les marathons, et les séances de marathons nus, des approches bioénergiques diverses, la thérapie primale,la Gestalt, et l’hypnose. Des sources supplémentaires de nouvelles informations révolutionnairesprovenaient des expériences avec les techniques de laboratoire d’altération de l’esprit, telles que la privation sensorielle, la surcharge sensorielle, le biofeedback70, et bien des appareils inesthétiques. Les années 70 Biofeedback : un ensemble de techniques principalement relatives à la bioélectricité destiné à la mesure de fonctions organiques, basé sur la visualisation, avec des appareils électriques, des signaux physiologiques d'un sujet conscient de ces mesures. Plus précisément, il y a biofeedback lorsque le sujet en question peut contrôler les fonctions organiques mesurées, soit volontairement (par exemple, d'après les résultats et pour corriger un stress) ou involontairement (par exemple, après un changement d'état psychologique tel que la survenue d'un stress) (NdT) Commentaire [E154]: Kinesthetic devices/ je sais pas ce que c’est et n’ai pas trouvé d’infos à ce sujet 1960 virent aussi un regain d’intérêt sans précédent pour des traditions mystiques variées : la méditation, la sagesse ancienne et aborigène, ainsi que les philosophies orientales. Bien des personnes, y compris des psychiatres et des psychologues devinrent élèves de professeurs orientaux en visite ou entreprirent des études sérieuses et des pratiques dans les ashrams et les monastères. On fit des études scientifiques sur de nombreuses techniques de méditation et leurs effets sur ceux qui les pratiquaient. Un développement important de cet âge d’or de la recherche sur la conscience représentait un véritable saut quantique dans la compréhension de la mort et du rôle qu’elle joue dans l’inconscient humain. Un des événements les plus marquants fut le livre de Herman Feifel, Le Sens de la Mort, un recueil d’articles par des médecins, des psychiatres, des psychologues, des philosophes et des théologiens qui se concentrait sur les problèmes des personnes mourantes (Feifel 1959). Dans les années qui suivirent la publication de ce livre, les cercles professionnels s’intéressèrent de plus au sujet de la mort, et les gens prirent conscience du besoin urgent de changement. On procéda alors à la création de la Fondation de Thanatologie en vue derassembler les membres des professions de soutien, les ministres, les philosophes, les écrivains, et toute autre personne intéressée par les problèmes liés à la mort et par la gestion des individus mourants. Cette organisation fut fondée en 1968 à New York City par Austin Kutscher qui en devint aussi son premier président. Cette regaind’intérêt professionnel pour les aspects pratiques et théoriques du processus de mort atteignit son sommentdans le travail du docteur Elisabeth Kübler-Ross au département psychiatrique de l’Université de Chicago. Dans son livre pionnier Vivre avec la mort et les mourants elle fit la synthèsede ses expériences de travail psychothérapeutique avec des individus grièvement malades et dans ses séminaires de formation dirigés avec des médecins, des infirmiers, des étudiants et des ministres (Kübler-Ross 1969). Kübler-Ross fournissait d’amples informations sur le fait que bon nombre de personnes mourantes nécessitaient urgemment des contacts humains authentiques doublés d’une aide psychothérapeutique. En valorisant l’importance de la communication ouverte et honnête, elle insista également sur le fait qu’il était de la dernière importance d’être prêt à avoir un dialogue ouvert sur n’importe quel problème de pertinence psychologique. Lorsqu’on les approchait de la sorte, ses patients, qui étaient sur le point de mourir, étaient en mesure d’enseigner aux survivants d’importantes leçons non seulement sur les dernières heures de leur vie mais encore sur les aspects uniques de l’existence humaine. Ceux qui étaient impliqués dans ce processus ressortaient enrichis de l’expérience et souvent moins anxieux au sujet de leur propre mort. En travaillant avec les patients souffrant de maladies en phase terminale, KüblerRoss découvrit que leurs attitudes psychologiques et leurs réactions envers la maladie traversaient des changements progressifs à mesure que leur condition physique se détériorait. Elle décrivit cinq étapes consécutives que tous ses patients mourants semblaient traverser. La première, suivant de près le diagnostic de la phase terminale de la maladie, était le choc temporaire dû à la nouvellesuivi du déni, Cela s’accompagnait d’une ferme volonté de s’isoler d’amis ou de parents. La réaction prédominante dans la seconde étape était la colère, laquelle pouvait prendre des formes différentes : colère envers Dieu, jalousie envers les personnes en bonne santé, ou négativité envers les médecins, les infirmiers ou les parents. Dans la troisième étape, les patients entamaient une démarche de négociation, proposant ce qu’ils feraient en échange d’un remède. La dépression qui advenait à la quatrième étape était une réaction partielle aux pertes comme la perte de l’emploi, des loisirs, de la mobilité, de l’activité sexuelle et d’autres aspects importants de la vie.L’ autre Commentaire [E155]: uniquely human aspects of existence aspect de la dépression concernait les pertes encore à venir. L’étape finale de l’acceptation était le moment où l’individu mourant se rendait et réalisait que la mort était inévitable. Dans le chapitre 9, j’ai traité plus longuement des apports de Raymond Moody sur les expériences de mort imminente et de son livre révolutionnaire La Vie Après la Vie (Moody 1975) : cela constitue une autre grande contribution à cette révolution dans les attitudes professionnelles envers la mort. Le travail pionnier d’Elisabeth Kübler-Ross était axé surtout sur les changements psychologiques chez les individus mourants et sur l’appui psychologique à leur destiner. Le Livre de Moody incita à son tour une génération entière de chercheurs à explorer le phénomène de mort imminente, comme Kenneth Ring, Michael Sabom, Bruce Greyson, Phyllis Atwater, Barbara Harris Whitefield, et bien d’autres encore. Recherches psychédéliques et thérapies expérientielles Les recherches psychédéliques et les thérapies expérientielles ont apporté des aperçus fascinants concernant la signification du thème de la mort dans l‘inconscient humain. Les nouvelles observations confirmaient l’intuition générale de Freud sur l’importance de la mort pour la psychologie, mais révisaient et modifiaient sa vision de façon substantielle en plus d’aller plus loin. Au lieu de confirmer l’existence de l’instinct de mort comme force biologique, les résultats de ce travail permirent aux chercheurs d’identifier et de spécifier les représentations diverses que le thème de la mort prend dans la psyché humaine. Au niveau biographique, l’élément de la mort est présent sous la forme de souvenirs d’événements de la vie postnatale représentant de sérieuses menaces à la survie et à l’intégrité physique : les opérations, les accidents, les blessures et les maladies graves. Les souvenirs de situations dangereuses ayant un rapport avec la respiration, comme la diphtérie, les accès de toux , l’étranglement ou la quasi-noyade sont particulièrement importantes. Une représentation encore plus profonde de la mort arrive au niveau périnatal. La naissance biologique est un événement potentiellement menaçant qui peut durer de nombreuses heures. Certaines personnes sont en fait mortes en naissant et ont été ranimées ensuite. Au-delà de l’urgence vitale associée à un passage difficile à travers le canal de la naissance, l’accouchement représente la mort du fœtus comme créature aquatique et sa transformation en un organisme radicalement différent, le nouveau-né qui respire désormais de l’air. Revivre la mort dans des états holotropiques comprenant l’urgence vitale concomitante peut être tellement authentique et convaincant que l’individu impliqué peut croire qu’il est en fait en train de mourir. Au niveau transpersonnel, la mort et son processus peuvent prendre des formes diverses. Nous pouvons nous identifier à nos ancêtres ou à des personnes de pays et de périodes historiques différentes qui meurent ou dont les vies sont menacées. De telles séquences issues de l’inconscient collectif sont parfois associées au sentiment de souvenir personnel, qui les caractérise comme mémoires de vies passées. La mort peut même être expérimentée par l’identification à un animal ou à une plante. Elle est aussi puissamment représentée dans les motifs mythologiques de la mort et de la renaissance, sous des thèmes eschatologiques comprenant des dieux de la mort spécifiques, les enfers de cultures variées, l’archétype de la Mort, les domaines astraux ou bardo, le voyage posthume de l’âme et les domaines de l’Au-Delà. Comme nous l’avons vu lorsque nouqs avons traité les matrices périnatales (chapitre 8), et la transformation rituelle (chapitre 3), les déités des diverses cultures représentant la mort et la renaissance jouent un rôle important dans les états holotropiques. La destruction et la mort sont aussi des éléments intrinsèques de grands thèmes archétypaux comme l’Apocalypse chrétienne ou le Ragnarok nordique (le Perte ou le Crépuscule des Idoles). Toutes ces représentations de la mort dans la psyché humaine sont arrangées dans des systèmes COEX à plusieurs niveaux, constitués d’éléments biologiques, périnataux et transpersonnels. Associés aux émotions et sensations physiques difficiles, ils sous-tendent des formes différentes de psychopathologie : la dépression suicidaire, les phobies, l’addiction au sadomasochisme,l’asthme et les douleurs psychosomatiques. Inversement, la confrontation avec la mort au cours de la psychothérapie expérintielle et le traitement conscient du matériel inconscient lié à elle ont un potentiel de guérison transformateuret évolutif important. De toutes les rencontres variées avec la mort que nous pouvons vivre à différents niveaux de la psyché, l’une d’entre elles a un profond potentiel de guérison, de transformation et d’évolution. Il s’agit de la confrontation avec notre mortalité et notre impermanence au niveau périnatal dans le contexte consistant à revivre la naissance et à faire l’expérience de la mort et de la renaissance psychospirituelles. Des épisodes de ce type émergent de façon spontanée dans des états holotropiques variés, sans la moindre programmation spécifique. Ils représentent l’une des expériences les plus fréquentes dans la thérapie psychédélique, les séances de Respiration Holotropique, et dans les émergeances spirituelles. La psyché humaine a de toute évidence une puissante propension à extérioriser son contenu inconscient profond, et à le ramener à la conscience pour le traiter. Lorsqu’elle est incomplète l’arrivée à la surface des thèmes inconscients liés à la mortalité et à l’impermanence, , aboutit à des symptômes émotionnels et psychosomatiques, alors que l’émergence et l’intégration complète de ce contenu conduit à la guérison et à la transformation. Cette observation explique la l’omniprésence des divers rituels de mort-renaissance, et l’importance qui leur est attribuée dans toutes les cultures anciennes et les sociétés de l’ère préindustrielle. Conséquences de la mort psychospirituelle et de la renaissance Les bénéfices que l’on tire du vécu de la mort psychospirituelle et de la renaissance sont profonds. L’élément clef est le soulagement ou l’élimination de la peur de la mort. L’explication habituelle de la philosophie occidentale concernant la peur de la mort est qu’elle reflète les connaissances intellectuelles de notre propre mortalité. Mais la recherche concernant les états holotropiques a démontré que la peur de la mort n’a que très peu de rapport avec le fait que nous sachions que nous devons mourir. Ces sources sont plutôt des souvenirs de situations menaçant la vie de la biographie postnatale et les comptes- rendus de souvenirs des choses vécues au moment de l’urgence vitale vécue au moment de la naissance ainsi qu’au moment des nombreuses crises prénatales. Des racines supplémentaires, comme les mémoires des vies antérieures ou des événements mettant la vie ou l’intégrité physique en péril et les motifs archétypaux terrifiants, sont transpersonnelles par nature. À mesure que ce contenu inconscient commence à atteindre la conscience, la personne fait l’expérience d’émotions qui menacent sa vie. Mais quand on permet aux thèmes liés à la mort d’affleurer pleinement à la conscience, ils perdent leur pouvoir de façonner le vécu de la personne. Cela explique pourquoi la peur de la mort peut être soulagée de façon significative même chez les patients en phase terminale de cancer qui savent l’imminence de leur mort. La profonde ouverture spirituelle est une autre conséquence importante de la rencontre avec la naissance et la mort au niveau périnatal. Lorsque la régression expérientielle atteint le domaine périnatal, les expériences prennent la tournure qualifiée de numineuse par C. G. Jung. Le caractère sacré et sacral de l’expérience est une preuve convaincante de la nature authentique de la dimension spirituelle de l’existence. J’ai vu tellement d’athées, de matérialistes, de sceptiques, de marxistes, et de scientifiques positivistes atteindre ce niveau et vivre un changement radical dans leur vision du monde ! La spiritualité qui s’ouvre dans ce contexte n’a rien à voir avec les religions organisées -elle est mystique, universelle, non-religieuse, exhaustive. Cette forme de spiritualité peut être découverte si la rencontre avec la mortest symbolique, comme dans les séances psychédéliques, la respiration holotropique, l’émergeance spirituelle, ou la méditation ; ou lorsque la personne frôle la mort de près, au cours d’une crise cardiaque, d’un accident grave, d’une opération mettant la vie en péril ou une situation dangereuse de guerre ou un emprisonnement en camp de concentration. Une expérience achevée et bien intégrée de mort et de renaissance psychospirituelles améliore de façon significative le bien-être émotionnel et physique du sujet. Ceux qui avaient précédemment des formes variées de mal-être psychosomatique et émotionnel vivent généralement beaucoup de soulagement après l’expérience. La dépression se dissout, l’anxiété et les tensions diverses diminuent et disparaissent, les sentiments de culpabilité s’estompent, l’image et l’acceptation de soi se fortifient considérablement. Les gens rapportent un sentiment général de bonne santé physique, de bon fonctionnement physiologique et une augmentation étonnante de la joie de vivre 71. Les anciens sentiments d’aliénation sont remplacés par un profond sentiment de syntonie avec la nature et l’univers. Les gens ont l’impression d’être nés à nouveau, purifiés, rajeunis emplis de profonde sérénité et de joie. Bon nombre de mes patients affirment que le processus de mort et de renaissance a profondément transformé leur perception sensorielle, comme si on avait retiré une pelliculesubtile de leurs sens. Selon l’expression de William Blake, leurs «portes de perception» ont été nettoyées. Ils comparent leur existence précédente au fait de vivre dans un cylindre de verre qui les empêchait d’appréhender pleinement la réalité et d’être syntonisés au monde. À la suite de leur expérience de mort et de renaissance, leurs entrées sensorielles sont devenues extrêmement riches, fraîches et intenses, parfois de manière époustouflante. Ils comprennent désormais qu’auparavant ils n’avaient jamais vraiment vu les couleurs, écouté la musique, senti les odeurs, et apprécié l’infinie nuance des goûts. De la même façon, leur capacité à apprécier la sexualité et à explorer le potentiel sensuel de leurs corps s’en trouve grandement augmentés. La rencontre expérientielle avec la mort influence aussi profondément l’attitude envers les autres personnes, les animaux et la nature, aussi bien que la hiérarchie des valeurs et la stratégie de l’existence. Les sentiments agressifs et les impulsions sont considérablement réduits ; la tolérance, l’empathie, et la compassion augmentent notablement. Les différences entre les personnes paraissent intéressantes et enrichissantes plutôt que menaçantes ou irritantes, qu’elles soient liées à l’ethnie, la couleur, le sexe, la culture, l’orientation politique ou à l’obédience religieuse. Tout dans l’Univers semble parfait, à sa place exacte , non pas nécessairement en tant que status quo, mais en tant que processus. Les sentiments nationalistes et patriotiques et les sentiments d’exclusivité sont 71 En français dans le texte (NdT) remplacés par un sentiment d’appartenance planétaire et un de solidarité avec toute l’humanité. Ce sentiment de profondes connexions et de préoccupations s’étend aux autres espèces et à la nature en général. Cela a pour conséquence une sensibilité écologique développée, y compris dans la préoccupation pour la qualité de l’eau, de l’air de la terre -pré réquis fondamentaux et nécessaires à la santé et à la survie de toutes les formes de vie sur notre planète. Protéger ces conditions fondamentales de la vie est de toute évidencevu comme notre principale priorité, priorité qui ne devrait jamais être entachée par les intérêts économiques, nationalistes, politiques, idéologiques et autres. Lorsque l’expérience de la mort et de la renaissance est suivie de sentiments d’unité cosmique, les patients se voient et voient le monde comme des créations de l’énergie cosmique impliquées dans une pièce divine. Dans ce contexte, la réalité ordinaire est perçue dans son essence comme sacrée. Le processus d’ouverture et de transformation spirituelles s’approfondissent généralement davantage après de tels épisodes transpersonnels : processus tels que l’identification avec d’autres personnes, des groupes humains entiers, des animaux, des plantes et des processus divers de la nature. Des séquences supplémentaires offrent un accès conscient aux événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et périodes historiques, et même dans les domaines mythologiques, et permettent un accès aux êtres archétypaux de la conscience collective. Les expériences de l’unité cosmique et de sa propre divinité conduisent à une plus grande identification avec toute la création et apportent un sentiment d’émerveillement, d’amour, de compassion et de paix intérieure. L’expérience de la mort et de la renaissance a pour autre conséquence remarquable un changement d’orientation marqué en ce qui concerne le temps. Cela se manifeste par un changement radical du point de vue émotionnel : on passe de la préoccupation pour le passé et pour les plans et les rêves du futur, à vivre pleinement le moment présent. Cela consiste à apprécier la nature et les activités de la vie de quotidenne telles que jardiner, cuisiner, manger, passer du temps avec les autres, et faire l’amour. Après les séances psychédéliques, bon nombre dede personnes ont montré un intérêt soudain pour l’art, plus particulièrement la musique et la peinture, ou bien leurs intérêts déjà existants dans ce domaine étaient intensifiés et approfondis. Les intérêts intellectuels passaient souvent au mysticisme, chamanisme, aux cultures anciennes et aux philosophies orientales. Pour certains patients, ces nouveaux intérêts prenaient une forme purement intellectuelle ; pour d’autres, ils étaient associés à un profond engagement à la pratique spirituelle systématique. S’il existe des bénéfices potentiels au processus de mort-renaissance, certains risques lui sont associés. Les séances psychédéliques qui impliquent le niveau périnatal peuvent certainement faciliter tous les changements positifs profonds mentionnés plus haut, mais de sérieux complication peuvent subvenir également. Lorsque, par exemple, les séances psychédéliques concernant les éléments périnataux prennent place dans un contexte et un cadre problématiques, les expériences sont médiocrement résolues, les complications possibles peuvent comprendre la dépression avec tendance suicidaire, des instincts destructeurs et autodestructeurs, des états paranoïaques ou des désillusions grandioses et messianiques. Ces problèmes ne sont pas exclusivement liés aux états psychédéliques. De tels dangers sont évoqués dans la littérature mystique, les traditions orales de cultures aborigènes, et de nombreuses histoires mythologiques. Ces sources avertissent des dangers qui menacent un chercheur ou aventurier spirituel inattentif ou inexpérimenté, comme la maladie physique, la folie et même la mort. L’appui, la préparation et la guidage adéquats, sont des prérequis essentiels pour explorer les profonds territoires de l’esprit humain. Recherches sur les états holotropiques : statut actuel Comme nous l’avons vu, les recherches sur les états holotropiques a apporté beaucoup d’impressions fascinantes sur problèmes fondamentaux liés à la mort et à son processus, à savoir : la phénoménologie des expériences de mort imminente, la peur de la mort et son rôle dans la vie humaine, la survie de la conscience après la mort, et la réincarnation. Ces aperçus sont d’une grande importance théorique pour, les psychiatres, les psychologues les anthropologues et les thanatologues. Ils sont également essentiels à toute compréhension approfondie des phénomènes comme le chamanisme, les rites de passage, les mystères des temps anciens de la mort et de la renaissance, ainsi que les grandes religions du monde. En outre, cette recherche a accru de manière significative notre connaissance de la nature et de l’architecture des désordres émotionnels et psychosomatiques, y compris les psychoses fonctionnelles, outre le fait qu’elle propose de nouvelles stratégies pour les traiter.Étant donné que nous allons tous affronter la mort à un moment donné, cette nouvelle compréhension de la mort et de son processus représente une information d’une importance cruciale pour chaque être humain. La thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancers et les individus atteints d’autres maladies en phase terminale mérite ici une attention particulière. Ayant été le témoin des effets bénéfiques de ce traitement sur les patients avec des formes extrêmes de souffrances émotionnelles et physiques, j’ éprouve une profonde tristesse à voir que cette thérapie soit refusée à d’innombrables personnes qui en ont désespérément besoin. J’espère fermementque, dans un futur proche, les législateurs, les administrateurs et les politiciens puiseront leurs informations dans les écrits scientifiques plutôt que par des articles de la presse à sensation, qu’ils prendront du recul par rapport à l’hystérie entourant les substances psychédéliques, et qu’ils remettront cet outil prometteur aux mains des cliniciens et des patients. J’ai confiance en le fait que les efforts à long terme destinés à légaliser la thérapie psychédélique sont en train de rencontrer quelques succès. Les recherches à base de substances psychédéliques ont été légalement poursuivies dans quelques états de au sein des Etats –Unis et à l’étranger grâce à la persévénrance de Rick Doblin, Président de l’Association Multidisciplinaire pour les Etudes Psychédéliques (MAPS72) et à d’autres défenseurs. Ces nouveaux projets comprennent plusieurs études de thérapie psychédélique. Le Docteur Michael Mithoefer est en train d’évaluer le potentiel thérapeutique du MDMA (3,4-methylenedioxy-N-methylamphetamine), ou ecstasy, dans une étude de thérapie à base de MDMA chez des sujets présentant des désordres liés au stress post-traumatique. Il s’agitlà du premier protocole FDA jamais approuvé, destiné à étudier le potentiel thérapeutique éventuel du MDMA. D’autres études de thérapie psychédélique sont menées avec des patients atteints de cancers. Le Docteur Charles Grob, un psychiatre du Centre Médical Harbor-UCLA de Los Angeles, est actuellement en train de diriger une recherche sponsorisée par l’Institut de Recherche Heffter, avec l’approbation de l’Administration des Nourritures et Drogues73 (FDA) afin d’examiner dans quelles mesures la psilocybine peut aider les patients en phase 72 MAPS : Multidisciplinary Association for Psychédélic Studies. C’est cette association qui a publié The Ultimate Journey en version originale(NdT) 73 FDA : Food and Drug Administration (NdT) terminale de la maladie à gérer les souffrances émotionnelles et physiques, et les problèmes spirituels associés à la mort. Les résultats préliminaires montrent que la thérapie à basse de psilocybine, administrée dans un cadre thérapeutique et dans le contexte d’une étude soigneusement structurée, peut être remarquablement bénéfique ; on a observé chez les patients de Grof une diminution de l’anxiété, un meilleur moral, des rapports avec la famille et avec les amis plus approfondis, mais aussi une réduction de leur douleur . Cela fait quarante ans que les psychologues Timothy Leary et Richard Alpert mènent également des recherches psychédéliques sontà l’Université d’Harvard après que le « scandale des drogues » ait fait fureur. . L’étude actuelle, dirigée par le Docteur John Helpern, Directeur Associé des Recherches sur l’Abus de Substances à l’Ecole Médicale d’Harvard de l’Hôpital Mac Lean, a été autorisée par la reçu FDA en 2004 àadministrer la substance psychédélique MDMA à des patients à des stades évolués de leur cancers. Plus d’un an après, le DEA octroya une licence àcette recherche. Maintenant que l’approbation légale a été obtenue, l’équipe d’Harvard avance. Ce projet, qui dans un premier temps au cours des phases initiales du plan et de l’approbation légale a reçu des fonds et de l’aide de MAPS pendant les se concentre désormais sur les usages duMDMA destinés à soulager l’anxiété, réduire la douleur, et rehausser la qualité de vie. Les Docteurs Grob et Halpern espèrent que les résultats satisfaisants faciliteront l’introduction de la thérapie psychédélique dans la pratique hospitalière comme moyen d’aider une grande partie des patients affrontant la mort. Je sais de mon’expérience au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland que cette étape contribuera aux stratégies de soins palliatifs que la profession médicale est en mesure de proposer caux personnes affrontant la mort. Implications globales de la nouvelle conceptionde la mort Je conclurai en traitant de certaines de l’incidence considérable que les observations des recherches sur la conscience ainsi que ’une nouvelle conception de la mort peuvent avoir pour la crise globale que l’humanité est en train d’affronte actuellement. Des auteurs contemporains, tels qu’Alan Harrington et Ernest Becker ont souligné que le déni massif de la mort mène à des pathologies sociales ayant de dangereuses conséquences pour l’humanité (Harrington 1969, Becker 1973). Pendant la seconde moitié du vingtième siècle, les recherches psychédéliques, la thanatologie et les nouvelles formes expérientielles de psychothérapie, ont non seulement fourni suffisamment de preuves pour étayerce point de vue, mais elles ont en outre montré de manière assez précise dans quelles mesures notre attitude envers la mort est liée aux dilemmes fondamentaux qui nous travaillent. Dans la psyché humaine, la mort est puissamment représentée sous la forme de souvenirs de situations mettant la vie en péril dans la vie post-natale, pendant la naissance et dans l’existence prénatale. Des thèmes supplémentaires liés à la mort et à l’impermanence constituent un aspect important des domaines historiques, karmiques et archétypaux de l’inconscient collectif. Ces éléments de l’inconscient personnel et collectif jouent un rôle crucial dans bien des désordres psychosomatiques. Ils représentent aussi l’une des deux sources les plus importantes de deux aspects infâmes de la nature humaine : l’avidité insatiable et la disposition envers ce que Erich Fromm appelait agression maligne (Fromm 1973). L’avidité et la violence sont les deux forces principales à avoir dirigé l’existence humaine pendant des millénaires. Jusqu’à présent, leurs tragiques conséquences se limitaient à ceux qui étaient participaient aux nombreuses guerres, révolutions et conquêtes ; ils n’allaient pas jusqu’à menacerl’évolution de l’espèce humaine dans sa globalit é et ne présentaient pas de dangers majeurs envers l’écosystème et la biosphère de la planète. La nature se remettait complètement en l’espace de vingt ans même après les guerres les plus violentes, . Cependant, depuis un siècle, cette situation a changé du tout au tout. Les progrès technologiques rapides, la croissance exponentielle de la production industrielle, une explosion massive de la population et, plus particulièrement, la découverte de l’énergie atomique ont à jamais changé l’équilibre des forces en puissance. Apprivoiser ces tendances dangereuses inhérentes à la nature humaine est devenu un besoin impératif à notre survie et à la survie de la planète dans sa globalité. La psychothérapie et l’exploration de soi apportent de l’espoir à cette situation lugubre. Les techniques fondées sur l’expérience holotropique rendent possible d’une part l’émergence à un niveau conscient des contenus liés à la mort depuis les différents niveaux de la psyché, et d’autre part de vivre la mort pleinement et de réduire ou d’éliminer ainsi son impact émotionnel sur l’individu. Au fil des ans, j’ai été le témoin de guérisons émotionnelles et psychosomatiques profondes, mais aussi de la transformation radicale de la personnalité, chez des milliers de personnes en quête intérieure approfondie. Certaines étaient des personnes ayant une pratique spirituelle régulière comme la méditation, d’autres avaient supervisé des séances psychédéliques ou participé aux nombreuses formes de psychothérapie expérimentielle et d’exploration de soi. J’ai également vu des changements positifs profonds chez bien des personnes qui recevaient un soutien adéquat pendant des épisodes spontanés de crises psychospirituelles. Après avoir été confronté à la mort de manière pratique , plus particulièrement dans le contexte de la mort et de la renaissance psychospirituelles, le niveau d’agression diminue considérablement. Les gens deviennent plus paisibles et à l’aise avec eux-mêmes et plus tolérants envers les autres. L’expérience de la mort psychospirituelle et de la renaissance et une connexion constante aux souvenirs postnataux ou prénataux qui réduit par ailleurs les forces irrationnelles et les ambitions exagérées. À mesure que le point de concentration émotionnel passe du passé et/ou du futur au moment présent, les gens sont davantage capables d’apprécier les situations quotidiennes et simples de la vie comme la nourriture, faire l’amour, la nature et la musique. Une spiritualité accrue résulte également de ce processus, une spiritualité d’une nature universelle et mystique, qui est à la fois authentique et convaincante car elle est fondée sur une profonde expérience personnelle. Ce processus d’ouverture spirituelle et de transformation s’approfondit grâce aux expériences transpersonnelles -l’identification avec les autres personnes, les groupes humains entiers, les animaux, les plantes et même les matériaux inorganiques et les processus au sein de la nature. Des expériences qui y sont liées fournissent un accès conscient à des événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et périodes historiques, et même dans les domaines mythologiques, et ils offrent également un accès aux êtres archétypaux de l’inconscient collectif. Une identification croissante avec toute la création et un sentiment d’émerveillement, de compassion et de paix intérieure suivent la connaissance de l’unité cosmique et de sa propre divinité, . Les personnes qui se connectent au domaine transpersonnel de leurs psychés tendent ainsi à développer une nouvelle appréciation pour l’existence et une vénération pour la vie tout entière. Une des conséquences les plus frappantes de ce processus est que des préoccupations humanitaires et écologiques profondes émergent de façon spontanée, et les gens cherchent à s’engager à servir les intérêts généraux. Cette attitude est fondée sur une conscience presque cellulaire que les frontières dans l’univers sont arbitraires ; chacun de nous ne fait qu’un avec la toile entière de l’existence. , Une telle transformation augmenterait de façon évidente nos chances de survie si elle adevenait à une échelle suffisamment grande. Ce scénario requerrait de soutenir officielement les « technologies du sacré » sous la forme de nombreuses pratiques spirituelles, de thérapies expérientielles avecétats de conscience holotropiques, des psychothérapies supervisées à base de substances psychédéliques, des rituels chamaniques et des rites de passage. Même si cette condition pouvait être remplie, il n’est pas certain que la transformation radicale que j’ai vue de façon répétée dans des cas individuels puisse être menée à grande échelle. Cette transformation pourrait-elle être accomplie suffisamment rapidement pour contrebalancer la crise globale qui s’accroît de plus en plus ? voilà une autre question plus importante encore Les problèmes de la survie de la conscience après la mort, de la réincarnation et du karma sont également très pertinents pour la crise mondiale actuelle. Notre comportement est profondément affecté par nos croyances dans ce domaine. Il y a plus de 2000 ans, Platon fit remarquer les profondes implications morales qu’il y avait dans la croyance en l’immortalité. Dans sa République, la discussion de Platon au sujet de l’immortalité de l’âme et de la justice ultime se termine par l’expérience de de mort imminente du célèbre guerrier Er, qui a été tué dans une bataille (Platon 1961b). Une fois revenu à la vie, Er raconte qu’au moment où son âme quitta son corps, il voyagea dans une région mystérieuse où il fut le témoin du jugement divin et d’une récompense posthume envers les justes et un châtiment envers les dépravés. Le concept de la justice post-mortem apparaît également dans son dernier texte, les Lois, où il cite Socrate en disant que l’absence de la préoccupation pour ses actions après la mort serait à « l’avantage des vils » (Platon 1961c). Dans les chapitres précédents, j’ai revisité certaines observations stipulant la possibilité de la survie de la conscience après la mort ainsi que celle de la réincarnation. Bien que ces informations issues de la recherche ne soient pas suffisantes en et par elles-mêmes pour convertir un matérialiste pur et dur, les expériences d’oùelles sont tirées sont extrêmement convaincantes. De telles expériences holotropiques peuvent affecter les gens si profondément qu’elles peuvent être la cause de changements fondamentaux dans leur comportement. Le nouveau code moral qui en résulte n’est pas fondé sur les commandements, les interdictions, les prohibitions et la peur du châtiment, mais sur une conscience cellulaire de l’unité sous-tendant toute la création et les lois universelles qui la gouvernent. A mesure u’une combinaison d’avidité débridée, d’agressions malignes et l’existence d’armes de destruction massive menace la survie de l’humanité et probablement la vie sur cette planète, nous devons prendre sérieusement en considération tout ce qui est susceptible d’offrir de l’espoir. Cependant, aussi peu plausible quoique la possibilité d’une transformation profonde à grande échelle semble-t’elle , le fait qu’elle puisse arriver de façon régulière au niveau de chaque individu est hautement significatif. L’expérience m’a appris que les individus qui sont capables d’affronter la mort et de l’accueillir dans leur processus intérieur, tendent à développer un sentiment de citoyenneté planétaire, de respect pour la vie sous toutes ses formes, une profonde sensibilité écologique, une spiritualité de type universel et global, une aversion pour la violence et une réticence marquée à voir l’agression comme forme acceptable de résolution des conflits. Une transformation intérieure aussi radicale et une élévation vers un nouveau niveau de conscience est peut-être la seule véritable chance de survie pour l’humanité. Commentaire [E156]: Redite de plus haut P 311 dans livre et 315-316 ? est-ce normal ? Chapitre 16 PSYCHE ET THANATOS : LA MORT DANS LA PSYCHOLOGIE ET LA SOCIETE OCCIDENTALES Il me semble que l’une des expériences humaines les plus fondamentales, une expérience authentiquement universelle, et qui unit - ou plus précisément qui pourrait unir toute l’humanité, est l’expérience de la transcendance, dans son sens le plus large. Vaclav Havel, Président de la République Tchèque CE N’EST QUE TRES RECEMMENT que la psychologie et la psychiatrie traditionnelles ont commencé à intéresser à la mort et à l’impermanence, aspects cependant essentiels de la vie humaine qui avaient été amplement négligés. Les premières recherches significatives dans ce domaine furent d’abord conduites par les pionniers de la psychologie des profondeurs (comme Freud, Jung, Adler), l’anthropologiste et clinicien Ernest Becker et certains des philosophes existentialistes qui croyaient à leur façon que la mort jouait un rôle important dans la psyché et qu’elle influençait profondément la vie humaine. Ils tombèrent d’accord sur l’importance d’accepter la mort : selon eux, c’était là un prérequis à une stratégie d’existence réussie. Cependant, ils seraient surpris aujourd’hui des dimensions que les recherches postérieures ont révélées concernant la puissante représentation de la mort au sein de la psyché, y compris dans la forme spécifique que prend la présence de la mort aux niveaux biographiques, périnataux et transpersonnels. En outre aucun de ces pionniers n’a anticipé la solution radicale aux problèmes liés à la mort qui a été rendue possible par la thérapie psychédélique et les méthodes expérimentales, lesquelles ne font pas usage de drogues et utilisent les états holotropiques. Ce travail a conduit à une nouvelle compréhension de la mort et de son processus avec de profondes implications pour le futur de l’humanité. Pionniers de la psychologie des profondeurs et de la philosophie existentialiste Sigmund Freud, neurologue viennois et fondateur de la psychanalyse, fut le premier de ces pionniers de la psychologie des profondeurs à prendre en considération la mort dans ses théories. Étant donné que Freud ouvrit à lui seul ce vaste domaine d’études psychologiques, il n’est pas surprenant que ses points de vue concernant la pertinence de la mort aient évolué depuis de façon radicale à travers les années. Dans ses premiers écrits, Freud concevait la psyché humaine comme étant gouvernée par une tension dynamique entre deux forces conflictuelles - la force sexuelle (libido), et la force d’auto-préservation (instinct de l’ego). Durant ces premières années, Freud croyait aussi que la principale force de motivation dans la psyché était ce qu’il appelait le «principe de plaisir» (das Lustprinzip), à savoir une tendance à éviter la gêne et à rechercher la satisfaction. À ce stade-là de sa carrière, Freud ne considérait pas le problème de la mort comme étant pertinent. Il voyait l’inconscient comme un domaine au-delà du temps et de l’espace, incapable de connaître et de reconnaître la mort comme fait. De son point de vue, les problèmes qui semblaient liés à la mort, comme la peur de la mort, n’avaient rien à voir avec la mort biologique et ils masquaient en réalité d’autres problèmes. La peur de la mort pouvait avoir pour cause les envies de mort d’une autre personne, lesquelles semblaient inacceptables au surmoi qui s’empressait alors de les tourner vers le sujet. Cela pouvait être aussi un substitut à la peur d’un orgasme sexuel irrépressible, la peur de la perte de contrôle, ou la peur de la castration. Au tout début de son travail, la peur de la mort était essentiellement enracinée dans les conflits des étapes pro-œdipales et œdipales du développement libidinal (Fenichel 1945). La pensée de Freud au sujet de la mort commença à changer radicalement lorsqu’il découvrit l’existence de phénomènes qui n’étaient de toute évidence pas gouvernés par le principe du plaisir ; le masochisme primaire, le besoin d’un châtiment, l’automutilation et le suicide violent. Dès lors, son concept précédent de la psyché devenait incohérent et nécessitait d’être réexaminé dans son ensemble A mesure que Freud se débattait avec les concepts associés à ce problème et remis en question lui réalisa que les phénomènes qui étaient « au-delà du principe du plaisir» ne pouvaient pas être compris ou expliqués en dehors du problème de la mort. Les premières indications de ce changement se trouvent dans ses formulations théoriques publiées entre 1913 et 1920, spécialement dans son analyse de la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, intitulée « le Thème des trois Coffrets » (Freud 1925a) et dans son essai « Considérations actuelles sur la Guerre et la Mort» (Freud 1925b). Dans ces essais, Freud indique qu’il réexamine ses anciennes thèses selon lesquelles il n’y avait aucune représentation de la mort dans l’esprit humain. En 1920, il acheva une synthèse et une intégration de ses divers points de vue sur la mort et formula une nouvelle théorie biopsychologique plus exhaustive sur la personnalité humaine. Dans sa nouvelle psychologie que Freud, exprimait dans son livre Au-delà du Principe du Plaisir, la psyché n’était plus le champ où se déroulait la bataille entre la force sexuelle et l’instinct d’auto-préservation. La libido (Eros), continuait à être l’une des deux forces en compétition, mais Freud appelait désormais l’autre nouvelle force en opposition «l’instinct de mort» (Thanatos), (Freud 1975). Le but d’Eros était de préserver la vie et celui de Thanatos était de contrer la vie, de la détruire, en vue de finalement la ramener au domaine inorganique d’où elle provenait originellement. Pour Freud il y avait une profonde relation entre ces deux groupes de forces instinctives et les deux processus biochimiques dans l’organisme humain : l’anabolisme et le catabolisme. Les processus anaboliques contribuent à la croissance, au développement, et au stockage de nutriments. Les processus cataboliques sont destructeurs, épuisent les réserves et libèrent l’énergie. Freud associait aussi l’activité de ces deux forces à la destinée de deux groupes de cellules dans l’organisme humain - les cellules germinales qui sont potentiellement immortelles, et les cellules somatiques, qui constituent le corps et qui sont destinées à mourir. Dans ses premiers travaux, Freud considérait presque toutes les manifestations d’agression comme des expressions de la sexualité donc sadiques par nature; dans le nouveau cadre conceptuel, il reliait l’agression à l’instinct de mort. D’après sa nouvelle vision, l’instinct de mort opérait dans l’organisme humain depuis le tout début, le convertissant graduellement en un système inorganique. La force destructrice pouvait et devait être en partie détournée de son but primaire et dirigée vers d’autres organismes. Que l’instinct de mort soit orienté vers des objets dans le monde extérieur, ou contre l’organisme lui-même, n’avait pas d’importance, du moment qu’il pouvait atteindre son but destructeur. La formulation finale de Freud concernant le rôle de l’instinct de mort apparut dans son dernier ouvrage L’Abrégé de Psychanalyse (Freud 1949). La dichotomie fondamentale entre les deux forces en puissance, l’instinct d’amour (Eros ou Libido) et l’instinct de mort (Thanatos ou Destrudo) devint la pierre angulaire de la compréhension du processus mental selon Freud. Ce concept, qui dominait sa pensée pendant les dernières années de sa vie, ne généra pas beaucoup d’enthousiasme parmi ses disciples, et ne fut jamais pleinement incorporé dans la psychanalyse traditionnelle. Rudolf Brun, qui fit des recherches statistiques approfondies portant sur les essais concernant la théorie de Freud sur l’instinct de mort, trouva que 94% d’entre eux étaient de toute évidence défavorables au concept de Freud (Brun 1953). Bien que, pour Freud, Eros et Thanatos soient perçus comme des instincts biologiques, ils avaient des caractéristiques mythologiques bien définies, tout comme les archétypes jungiens. Beaucoup de psychanalystes, y compris ses disciples, considéraient l’intérêt de Freud pour la mort, et son inclusion de Thanatos dans sa théorie des instincts, comme une enclave étrangère dans le développement de son cadre psychologique. Plusieurs critiques ont suggéré que les spéculations de Freud concernant Thanatos étaient influencées de façon défavorable par son âge avancé et par une variété de facteurs externes traumatisants : son intense thanatophobie, la mutilation de sa mâchoire due à une tumeur mal diagnostiquée, une prothèse maxillaire mal ajustée, une réaction émotionnelle à son cancer de la langue, la mort de plusieurs membres de sa famille, et les meurtres innombrables de la première guerre mondiale. Les critiques de Freud affirmaient que ce changement inattendu dans sa manière de penser reflétait sa propre préoccupation pathologique à l’égard de la mort alors qu’en réalité Freaudt était très en avance sur ses disciples. Ainsi qu’il en est question plus loin dans ce chapitre, la recherche sur la conscience au cours de ces cinquante dernières années a confirmé l’intuition générale de Freud concernant l’importance de la mort pour la psychologie. Bien postérieure que la recherche n’ait pas confirmé l’existence d’un instinct de mort biologique, tel que le concevait Freud, de riches représentations du thème de la mort ont été découvertes dans les trois niveaux de l’inconscient - biographique, périnatal et transpersonnel. Nous savons aussi que l’élément « mort » joue un rôle important dans la psychogénèse de beaucoup de désordres émotionnels et psychosomatiques. Alfred Adler, renégat psychanalytique et fondateur de l’école de psychologie individuelle, était un autre pionnier de la psychologie des profondeurs à avoir reconnu qui l’importance cruciale dela mort (Adler 1932). D’après le compte-rendu qu’il en a fait, la vie d’Adler et son travail étaient influencés par sa rencontre bouleversante avec la mort. À l’âge de cinq ans, il contracta une pneumonie aiguë, et son médecin déclara sa situation désespérée. Après son rétablissement, il décida d’étudier la médecine en vue de pouvoir maîtriser la mort. La conséquence directe du fait d’avoir frôlé la mort de près lorsqu’il était très jeune fut qu’Adler en vint à interpréter les sentiments d’insuffisanceet d’impuissance, couplés à la profonde envie de les dépasser, comme étant la force laplus importantede la psyché (la «protestation masculine»).Ainsi , l’incapacité d’une personne à empêcher et à contrôler la mort était le des sentiments d’insuffisance le plus profond. Bien qu’Adler n’ait pas explicitement inclu la peur de la mort dans sa théorie, les recherches de toute sa vie étaient certainement très profondément influencées par son expérience de mort imminente. La théorie d’Adler mettait l’accent sur le courage et sur la capacité à affronter les aspects dangereux de l’existence humaine. Nous avons également vu au chapitre 9 à quel point C.G. Jung, autre pionnier de la psychologie des profondeurs, avait été influencé par son expérience de mort imminente. Jung avait aussi un profond intérêt pour la mort, même si sa compréhension différait de Commentaire [E157]: his psychological framework façon significative des spéculations de Freud. Dans son essai De la Psychologie de l’Inconscient, il réfuta le concept de Freud selon lequel les deux instincts fondamentaux, Eros et Thanatos, constituaient les forces gouvernant la psyché (Jung 1953). Il récusait également l’idée a thèse de pas de Freud selon laquelle le but d’Eros est d’établir des unités toujours plus grandes et de les préserver, et que le but de Thanatos est de défaire les liens et de les détruire. Jung affirmait qu’un tel choix de contraires reflétait des attitudes de l’esprit conscient et non les dynamiques de l’inconscient. Il voyait l’opposé logique de l’amour comme étant la haine, et celui d’Eros comme étant Phobos (la peur). Cependant, le contraire psychologique de l’amour est la volonté de puissance, une force cardinale dans toutes les théories d’Alfred Adler. Jung a observé que là où règne l’amour, il n’existe aucune volonté de puissance ; et que là où la volonté de puissance prédomine, l’amour est absent. Jung constatait que Freud était contraint de considérer Thanatos l’instinct de mort destructeur comme étant le contraire d’Eros parce qu’il faisait une concession à la logique intellectuelle d’une part, et au préjudice psychologique d’autre part. D’après Jung, Eros n’est pas l’équivalent de la vie. Mais pour ceux qui identifient Eros à la vie, son contraire sera tout naturellement la mort. Nous pensons tous que le contraire de notre principe le plus élevé est purement destructeur et mauvais. Ainsi nous ne pouvons nullement octroyer à la mort des qualités positives, et nous avons tendance à la craindre et à l’éviter. Les spécificités de la contribution de Jung à la thanatologie étaient sa pleine conscience d’à quel point les motifs liés à la mort étaient représentés puissamment dans l’inconscient. Lui et ses disciples ont attiré l’attention des psychologues occidentaux ainsi que du grand public sur l’importance capitale du thème de la mort psychospirituelle et de la renaissance, avec toutes ses variations symboliques, dans l’histoire spirituelle et rituelle de l’humanité. Ils ont rassemblé et analysé de nombreux exemples du symbolisme de la mort et de la renaissance issus de cultures diverses et de périodes historiques, allant de la mythologie des Aborigènes d’Australie à l’alchimie. Cependant, ils n’ont pas reconnu ni apprécié la relation du symbolisme archétypal de la naissance biologique et de ses étapes (cf la description des matrices périnatales au chapitre 8). Les psychologues jungiens ont apporté une autre contribution majeure à notre compréhension de la naissance par leur exploration des mythologies eschatologiques de différentes cultures et périodes historiques. Les problèmes liés à la mort jouèrent également un rôle capital dans la psychologie de Jung à propos du processus d’individuation. Il insista sur le fait qu’il était crucial de voir la mort comme étant aussi importante que la naissance et de l’accepter comme faisant partie intégrante de la vie. Si nous pensons que l’ascension de la vie a un but et un objectif, alors sa descente ne doit-elle pas en avoir aussi? Au lieu de s’accrocher désespérément au passé, on devrait affronter la mort comme faisant partie d’un processus téléologique naturel. Un point de vue utile seraitde voir la mort comme la fin de l’homme empirique et comme le but de l’homme spirituel. Alors que la sexualité est la force dominante dans la première moitié de la vie humaine, dans l’idéal, les problèmes du déclin biologique et de l’approche de la mort devraient être le point d’attention central dans la seconde moitié de la vie. La préoccupation du problème de la mort paraît normale dans les dernières décénnies de la vie, là où son occurrence dans les années précédentes est généralement associé à la psychopathologie. Cependant, éviter les problèmes de la mort et de l’impermanence dans les dernières années est également problématique. Jung a fortement critiqué ceux qui étaient incapables d’embrasser la mort, et il a exprimé son opinion de façon assez explicite : «Pour le psychothérapeute, un vieillard qui ne peut pas dire adieu à la Commentaire [E158]: il semble bien que c’est comme ça qu’on dit en psycho. Mais sinon on peut mettre indivisualisation. vie semble aussi fragile et aussi malade qu’un jeune homme qui est incapable de l’embrasser». Le processus d’individuation tel que Jung le concevait aboutissait à un achèvement de la personnalité et impliquait de résoudre le problème de la mort. Le but de cette thérapie était d’atteindre la complétude. Une personne qui voit la vie et la mort comme s’opposant n’est certainement pas complète (Jung 1967, 1970a, 1970 b). Le livre d’Ernest Becker The Denial of Death : A perspective in Psychiatry and Anthropology (Le Déni de la Mort : une Perspective de Psychiatrie et d’Anthropologie Becker 1973) contitue une autre contribution importante et influente à la littérature sur la mort. Becker était anthropologue de formation mais il acquit des compétences considérables en tant que psychiatrique clinicien et en tant que théoricien lorsqu’il était étudia avec Thomas Szasz, lui aussi célèbre psychiatre et critique de cette discipline. Becker affirmait que le problème central de l’existence humaine était que nous sommes mortels et que nous sommes tous destinés à mourir. Bien qu’il s’agisse là d’une réalité évidente de notre vie, la peur qui lui est associée est tellement forte et envahissante que nous utilisons tous les moyens possibles pour nier cette évidence. C’est ce déni de la mort qui pour Becker est la cause virtuelle de toutes les pathologies auxquelles sont sujets les êtres-humains. La façon dont cela se manifeste est le narcissisme , un besoin obsessionnel d’être reconnu comme important. Cela constitue ce que Becker appelait la «destinée tragique humaine», effort désespéré consistant à se justifier à soi-même que l’on est un objet de grande valeur dans l’univers, d’être une figure héroïque, et d’apporter une plus grande contribution au monde que les autres. Becker voyait toutes les cultures comme des systèmes qui fournissaient à leurs membres une opportunité de devenir le genre de héros que cette «destinée tragique» requiert. La forme de ce système culturel n’y change pas grand-chose, que ce soit une forme primitive , magique, religieuse ou que ce soit une forme séculaire, civilisée et avec des connaissances scientifiques. Quelle que soit sa forme, le système culturel fonctionne sur le paradigme du héros mythique que les gens sont désireux d’atteindre, de manière à parvenir à un sentiment d’excellence, de sens dans la vie, et de statut spécial. Par conséquent, les on se met à construire des édifices, à faire des découvertes scientifiques, à créer des œuvres d’art, à accomplir des actes héroïques et à fonder des familles qui recouvrent des générations et des générations. La force motrice derrière toutes ces activités est le désir de créer des choses dans la société avec une valeur à long terme, qui survivront à la mort et à la détérioration, ou qui continueront de briller. Becker croyait que nous devions devenir conscients de notre déni de la mort et des fausses structures culturelles que nous avions érigées pour nous recouvrir d’un vernis d’héroïsme et que la libération de cette vérité changerait fondamentalement le monde. Nous réaliserions que les systèmes culturels existants sont artificiels, et que quoi que nous fassions sur cette planète, nous devons le faire avec la conscience de la terreur sous-jacente à l’existence. La mort tient également une place importante dans la pensée des existentialistes, particulièrement dans la pensée de Martin Heidegger. La mort joue un rôle central dans ses analyses de l’existence abordées dans Sein un Zeit (Être et Temps) (Heidegger 1927). D’après Heidegger, la conscience de l’impermanence, du néant, et de la mort, traverse imperceptiblement chaque moment de la vie humaine avant l’occurrence réelle de la mort biologique ou de sa rencontre avec elle. L’analyse existentialiste révèle que la vie est «existence vers la mort» (Sein zum Tode). Toutes les spéculations ontologiques doivent considérer la totalité de l’existence, ainsi que cette partie qui n’existe pas encore, y compris la toute fin. La conscience de la mort est une source constante de tension et d’anxiété Commentaire [E159]: Je ne comprends pas à quoi renvoie le It ici, j’imagine au déni de la mort….. J’ai donc traduit d façon tout aussi vague. Commentaire [E160]: To justify oneself or to justify to oneself ? existentielle dans l’organisme, mais elle fournit aussi un territoire dans lequel l’existence et le temps semblent avoir une signification plus profonde. Heidegger suivit la recommandation de son professeur Edmund Husserl qui disait que les philosophes devaient détourner leur attention du monde naturel vers l’expérience intérieure. Il voyait l’exploration de soi comme une nécessité fondamentale à notre appréhension du monde et à notre pensée du monde . Heidegger affirmait avoir décrit des expériences fondamentales qui sous-tendent notre perception quotidienne du monde et qui sont cependant au-delà et en-dehors de la portée dela méthode scientifique traditionnelle. Le point de vue de Heidegger ressemble de près aux impressions des états de conscience holotropiques. Comme nous l’avons vu au chapitre 8, le point de vue existentialiste tend à dominer la pensée des personnes qui sont influencées par la seconde matrice périnatale fondamentale (BPM II) caractérisée par des sentiments de «sans-issue». Dans ce genre de situation, les gens sont incapables de trouver la seule solution, à savoir l’expérience de la transcendance. Révolution conceptuelle des années 1960 Le renouveau d’intérêt pour la recherche sur la conscience et poursur l’expérimentation de soi dans des années 1960 tourmentées fit avancer l’exploration de la psyché bien au-delà des frontières de la psychanalyse Freudienne. Une révolution conceptuelle majeure a pris place alors et son plein impact et sa signification n’ont pas encore été reconnus et assimilés par les cercles académiques. C’est la découverte inattendue d’Albert Hofmann concernant les effets psychédéliques du LSD, et les recherches cliniques ou en laboratoire sur les psychédéliques ainsi que l’exploration de soi nonsurveillée avec ces substances qui joua un rôle majeur dans ce développement. Cependant, des informations importantes concernant la nature de la conscience et les dimensions de la psyché humaine étaient générées également par le travail avec les autres méthodes thérapeutiques capables de provoquer des états holotropiques de conscience. Parmi ces méthodes se trouvaient de nouvelles thérapies expérientielles : les groupes de rencontre, les marathons, et les séances de marathons nus, des approches bioénergiques diverses, la thérapie primale,la Gestalt, et l’hypnose. Des sources supplémentaires de nouvelles informations révolutionnairesprovenaient des expériences avec les techniques de laboratoire d’altération de l’esprit, telles que la privation sensorielle, la surcharge sensorielle, le biofeedback74, et bien des appareils kinesthétiques. Les années 1960 virent aussi un regain d’intérêt sans précédent pour des traditions mystiques variées : la méditation, la sagesse ancienne et aborigène, ainsi que les philosophies orientales. Bien des personnes, y compris des psychiatres et des psychologues devinrent élèves de professeurs orientaux en visite ou entreprirent des études sérieuses et des pratiques dans les ashrams et les monastères. On fit des études scientifiques sur de nombreuses techniques de méditation et leurs effets sur ceux qui les pratiquaient. 74 Biofeedback : un ensemble de techniques principalement relatives à la bioélectricité destiné à la mesure de fonctions organiques, basé sur la visualisation, avec des appareils électriques, des signaux physiologiques d'un sujet conscient de ces mesures. Plus précisément, il y a biofeedback lorsque le sujet en question peut contrôler les fonctions organiques mesurées, soit volontairement (par exemple, d'après les résultats et pour corriger un stress) ou involontairement (par exemple, après un changement d'état psychologique tel que la survenue d'un stress) (NdT) Commentaire [E161]: Kinesthetic devices/ je sais pas ce que c’est et n’ai pas trouvé d’infos à ce sujet Un développement important de cet âge d’or de la recherche sur la conscience représentait un véritable saut quantique dans la compréhension de la mort et du rôle qu’elle joue dans l’inconscient humain. Un des événements les plus marquants fut le livre de Herman Feifel, Le Sens de la Mort, un recueil d’articles par des médecins, des psychiatres, des psychologues, des philosophes et des théologiens qui se concentrait sur les problèmes des personnes mourantes (Feifel 1959). Dans les années qui suivirent la publication de ce livre, les cercles professionnels s’intéressèrent de plus au sujet de la mort, et les gens prirent conscience du besoin urgent de changement. On procéda alors à la création de la Fondation de Thanatologie en vue derassembler les membres des professions de soutien, les ministres, les philosophes, les écrivains, et toute autre personne intéressée par les problèmes liés à la mort et par la gestion des individus mourants. Cette organisation fut fondée en 1968 à New York City par Austin Kutscher qui en devint aussi son premier président. Cette regaind’intérêt professionnel pour les aspects pratiques et théoriques du processus de mort atteignit son sommentdans le travail du docteur Elisabeth Kübler-Ross au département psychiatrique de l’Université de Chicago. Dans son livre pionnier Vivre avec la mort et les mourants elle fit la synthèsede ses expériences de travail psychothérapeutique avec des individus grièvement malades et dans ses séminaires de formation dirigés avec des médecins, des infirmiers, des étudiants et des ministres (Kübler-Ross 1969). Kübler-Ross fournissait d’amples informations sur le fait que bon nombre de personnes mourantes nécessitaient urgemment des contacts humains authentiques doublés d’une aide psychothérapeutique. En valorisant l’importance de la communication ouverte et honnête, elle insista également sur le fait qu’il était de la dernière importance d’être prêt à avoir un dialogue ouvert sur n’importe quel problème de pertinence psychologique. Lorsqu’on les approchait de la sorte, ses patients, qui étaient sur le point de mourir, étaient en mesure d’enseigner aux survivants d’importantes leçons non seulement sur les dernières heures de leur vie mais encore sur les aspects uniques de l’existence humaine. Ceux qui étaient impliqués dans ce processus ressortaient enrichis de l’expérience et souvent moins anxieux au sujet de leur propre mort. En travaillant avec les patients souffrant de maladies en phase terminale, KüblerRoss découvrit que leurs attitudes psychologiques et leurs réactions envers la maladie traversaient des changements progressifs à mesure que leur condition physique se détériorait. Elle décrivit cinq étapes consécutives que tous ses patients mourants semblaient traverser. La première, suivant de près le diagnostic de la phase terminale de la maladie, était le choc temporaire dû à la nouvellesuivi du déni, Cela s’accompagnait d’une ferme volonté de s’isoler d’amis ou de parents. La réaction prédominante dans la seconde étape était la colère, laquelle pouvait prendre des formes différentes : colère envers Dieu, jalousie envers les personnes en bonne santé, ou négativité envers les médecins, les infirmiers ou les parents. Dans la troisième étape, les patients entamaient une démarche de négociation, proposant ce qu’ils feraient en échange d’un remède. La dépression qui advenait à la quatrième étape était une réaction partielle aux pertes comme la perte de l’emploi, des loisirs, de la mobilité, de l’activité sexuelle et d’autres aspects importants de la vie.L’ autre aspect de la dépression concernait les pertes encore à venir. L’étape finale de l’acceptation était le moment où l’individu mourant se rendait et réalisait que la mort était inévitable. Dans le chapitre 9, j’ai traité plus longuement des apports de Raymond Moody sur les expériences de mort imminente et de son livre révolutionnaire La Vie Après la Vie (Moody 1975) : cela constitue une autre grande contribution à cette révolution dans les attitudes professionnelles envers la mort. Le travail pionnier d’Elisabeth Kübler-Ross était Commentaire [E162]: uniquely human aspects of existence axé surtout sur les changements psychologiques chez les individus mourants et sur l’appui psychologique à leur destiner. Le Livre de Moody incita à son tour une génération entière de chercheurs à explorer le phénomène de mort imminente, comme Kenneth Ring, Michael Sabom, Bruce Greyson, Phyllis Atwater, Barbara Harris Whitefield, et bien d’autres encore. Recherches psychédéliques et thérapies expérientielles Les recherches psychédéliques et les thérapies expérientielles ont apporté des aperçus fascinants concernant la signification du thème de la mort dans l‘inconscient humain. Les nouvelles observations confirmaient l’intuition générale de Freud sur l’importance de la mort pour la psychologie, mais révisaient et modifiaient sa vision de façon substantielle en plus d’aller plus loin. Au lieu de confirmer l’existence de l’instinct de mort comme force biologique, les résultats de ce travail permirent aux chercheurs d’identifier et de spécifier les représentations diverses que le thème de la mort prend dans la psyché humaine. Au niveau biographique, l’élément de la mort est présent sous la forme de souvenirs d’événements de la vie postnatale représentant de sérieuses menaces à la survie et à l’intégrité physique : les opérations, les accidents, les blessures et les maladies graves. Les souvenirs de situations dangereuses ayant un rapport avec la respiration, comme la diphtérie, les accès de toux , l’étranglement ou la quasi-noyade sont particulièrement importantes. Une représentation encore plus profonde de la mort arrive au niveau périnatal. La naissance biologique est un événement potentiellement menaçant qui peut durer de nombreuses heures. Certaines personnes sont en fait mortes en naissant et ont été ranimées ensuite. Au-delà de l’urgence vitale associée à un passage difficile à travers le canal de la naissance, l’accouchement représente la mort du fœtus comme créature aquatique et sa transformation en un organisme radicalement différent, le nouveau-né qui respire désormais de l’air. Revivre la mort dans des états holotropiques comprenant l’urgence vitale concomitante peut être tellement authentique et convaincant que l’individu impliqué peut croire qu’il est en fait en train de mourir. Au niveau transpersonnel, la mort et son processus peuvent prendre des formes diverses. Nous pouvons nous identifier à nos ancêtres ou à des personnes de pays et de périodes historiques différentes qui meurent ou dont les vies sont menacées. De telles séquences issues de l’inconscient collectif sont parfois associées au sentiment de souvenir personnel, qui les caractérise comme mémoires de vies passées. La mort peut même être expérimentée par l’identification à un animal ou à une plante. Elle est aussi puissamment représentée dans les motifs mythologiques de la mort et de la renaissance, sous des thèmes eschatologiques comprenant des dieux de la mort spécifiques, les enfers de cultures variées, l’archétype de la Mort, les domaines astraux ou bardo, le voyage posthume de l’âme et les domaines de l’Au-Delà. Comme nous l’avons vu lorsque nouqs avons traité les matrices périnatales (chapitre 8), et la transformation rituelle (chapitre 3), les déités des diverses cultures représentant la mort et la renaissance jouent un rôle important dans les états holotropiques. La destruction et la mort sont aussi des éléments intrinsèques de grands thèmes archétypaux comme l’Apocalypse chrétienne ou le Ragnarok nordique (le Perte ou le Crépuscule des Idoles). Toutes ces représentations de la mort dans la psyché humaine sont arrangées dans des systèmes COEX à plusieurs niveaux, constitués d’éléments biologiques, périnataux et transpersonnels. Associés aux émotions et sensations physiques difficiles, ils sous-tendent des formes différentes de psychopathologie : la dépression suicidaire, les phobies, l’addiction au sadomasochisme,l’asthme et les douleurs psychosomatiques. Inversement, la confrontation avec la mort au cours de la psychothérapie expérientielle et le traitement conscient du matériel inconscient lié à elle ont un potentiel de guérison transformateuret évolutif important. De toutes les rencontres variées avec la mort que nous pouvons vivre à différents niveaux de la psyché, l’une d’entre elles a un profond potentiel de guérison, de transformation et d’évolution. Il s’agit de la confrontation avec notre mortalité et notre impermanence au niveau périnatal dans le contexte consistant à revivre la naissance et à faire l’expérience de la mort et de la renaissance psychospirituelles. Des épisodes de ce type émergent de façon spontanée dans des états holotropiques variés, sans la moindre programmation spécifique. Ils représentent l’une des expériences les plus fréquentes dans la thérapie psychédélique, les séances de Respiration Holotropique, et dans les émergeances spirituelles. La psyché humaine a de toute évidence une puissante propension à extérioriser son contenu inconscient profond, et à le ramener à la conscience pour le traiter. Lorsqu’elle est incomplète l’arrivée à la surface des thèmes inconscients liés à la mortalité et à l’impermanence, , aboutit à des symptômes émotionnels et psychosomatiques, alors que l’émergence et l’intégration complète de ce contenu conduit à la guérison et à la transformation. Cette observation explique la l’omniprésence des divers rituels de mort-renaissance, et l’importance qui leur est attribuée dans toutes les cultures anciennes et les sociétés de l’ère préindustrielle. Conséquences de la mort psychospirituelle et de la renaissance Les bénéfices que l’on tire du vécu de la mort psychospirituelle et de la renaissance sont profonds. L’élément clef est le soulagement ou l’élimination de la peur de la mort. L’explication habituelle de la philosophie occidentale concernant la peur de la mort est qu’elle reflète les connaissances intellectuelles de notre propre mortalité. Mais la recherche concernant les états holotropiques a démontré que la peur de la mort n’a que très peu de rapport avec le fait que nous sachions que nous devons mourir. Ces sources sont plutôt des souvenirs de situations menaçant la vie de la biographie postnatale et les comptes- rendus de souvenirs des choses vécues au moment de l’urgence vitale vécue au moment de la naissance ainsi qu’au moment des nombreuses crises prénatales. Des racines supplémentaires, comme les mémoires des vies antérieures ou des événements mettant la vie ou l’intégrité physique en péril et les motifs archétypaux terrifiants, sont transpersonnelles par nature. À mesure que ce contenu inconscient commence à atteindre la conscience, la personne fait l’expérience d’émotions qui menacent sa vie. Mais quand on permet aux thèmes liés à la mort d’affleurer pleinement à la conscience, ils perdent leur pouvoir de façonner le vécu de la personne. Cela explique pourquoi la peur de la mort peut être soulagée de façon significative même chez les patients en phase terminale de cancer qui savent l’imminence de leur mort. La profonde ouverture spirituelle est une autre conséquence importante de la rencontre avec la naissance et la mort au niveau périnatal. Lorsque la régression expérientielle atteint le domaine périnatal, les expériences prennent la tournure qualifiée de numineuse par C. G. Jung. Le caractère sacré et sacral de l’expérience est une preuve convaincante de la nature authentique de la dimension spirituelle de l’existence. J’ai vu tellement d’athées, de matérialistes, de sceptiques, de marxistes, et de scientifiques positivistes atteindre ce niveau et vivre un changement radical dans leur vision du monde ! La spiritualité qui s’ouvre dans ce contexte n’a rien à voir avec les religions organisées -elle est mystique, universelle, non-religieuse, exhaustive. Cette forme de spiritualité peut être découverte si la rencontre avec la mortest symbolique, comme dans les séances psychédéliques, la respiration holotropique, l’émergeance spirituelle, ou la méditation ; ou lorsque la personne frôle la mort de près, au cours d’une crise cardiaque, d’un accident grave, d’une opération mettant la vie en péril ou une situation dangereuse de guerre ou un emprisonnement en camp de concentration. Une expérience achevée et bien intégrée de mort et de renaissance psychospirituelles améliore de façon significative le bien-être émotionnel et physique du sujet. Ceux qui avaient précédemment des formes variées de mal-être psychosomatique et émotionnel vivent généralement beaucoup de soulagement après l’expérience. La dépression se dissout, l’anxiété et les tensions diverses diminuent et disparaissent, les sentiments de culpabilité s’estompent, l’image et l’acceptation de soi se fortifient considérablement. Les gens rapportent un sentiment général de bonne santé physique, de bon fonctionnement physiologique et une augmentation étonnante de la joie de vivre 75. Les anciens sentiments d’aliénation sont remplacés par un profond sentiment de syntonie avec la nature et l’univers. Les gens ont l’impression d’être nés à nouveau, purifiés, rajeunis emplis de profonde sérénité et de joie. Bon nombre de mes patients affirment que le processus de mort et de renaissance a profondément transformé leur perception sensorielle, comme si on avait retiré une pelliculesubtile de leurs sens. Selon l’expression de William Blake, leurs «portes de perception» ont été nettoyées. Ils comparent leur existence précédente au fait de vivre dans un cylindre de verre qui les empêchait d’appréhender pleinement la réalité et d’être syntonisés au monde. À la suite de leur expérience de mort et de renaissance, leurs entrées sensorielles sont devenues extrêmement riches, fraîches et intenses, parfois de manière époustouflante. Ils comprennent désormais qu’auparavant ils n’avaient jamais vraiment vu les couleurs, écouté la musique, senti les odeurs, et apprécié l’infinie nuance des goûts. De la même façon, leur capacité à apprécier la sexualité et à explorer le potentiel sensuel de leurs corps s’en trouve grandement augmentés. La rencontre expérientielle avec la mort influence aussi profondément l’attitude envers les autres personnes, les animaux et la nature, aussi bien que la hiérarchie des valeurs et la stratégie de l’existence. Les sentiments agressifs et les impulsions sont considérablement réduits ; la tolérance, l’empathie, et la compassion augmentent notablement. Les différences entre les personnes paraissent intéressantes et enrichissantes plutôt que menaçantes ou irritantes, qu’elles soient liées à l’ethnie, la couleur, le sexe, la culture, l’orientation politique ou à l’obédience religieuse. Tout dans l’Univers semble parfait, à sa place exacte , non pas nécessairement en tant que status quo, mais en tant que processus. Les sentiments nationalistes et patriotiques et les sentiments d’exclusivité sont remplacés par un sentiment d’appartenance planétaire et un de solidarité avec toute l’humanité. Ce sentiment de profondes connexions et de préoccupations s’étend aux autres espèces et à la nature en général. Cela a pour conséquence une sensibilité écologique développée, y compris dans la préoccupation pour la qualité de l’eau, de l’air de la terre -pré réquis fondamentaux et nécessaires à la santé et à la survie de toutes les formes de vie sur notre planète. Protéger ces conditions fondamentales de la vie est de toute évidencevu 75 En français dans le texte (NdT) comme notre principale priorité, priorité qui ne devrait jamais être entachée par les intérêts économiques, nationalistes, politiques, idéologiques et autres. Lorsque l’expérience de la mort et de la renaissance est suivie de sentiments d’unité cosmique, les patients se voient et voient le monde comme des créations de l’énergie cosmique impliquées dans une pièce divine. Dans ce contexte, la réalité ordinaire est perçue dans son essence comme sacrée. Le processus d’ouverture et de transformation spirituelles s’approfondissent généralement davantage après de tels épisodes transpersonnels : processus tels que l’identification avec d’autres personnes, des groupes humains entiers, des animaux, des plantes et des processus divers de la nature. Des séquences supplémentaires offrent un accès conscient aux événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et périodes historiques, et même dans les domaines mythologiques, et permettent un accès aux êtres archétypaux de la conscience collective. Les expériences de l’unité cosmique et de sa propre divinité conduisent à une plus grande identification avec toute la création et apportent un sentiment d’émerveillement, d’amour, de compassion et de paix intérieure. L’expérience de la mort et de la renaissance a pour autre conséquence remarquable un changement d’orientation marqué en ce qui concerne le temps. Cela se manifeste par un changement radical du point de vue émotionnel : on passe de la préoccupation pour le passé et pour les plans et les rêves du futur, à vivre pleinement le moment présent. Cela consiste à apprécier la nature et les activités de la vie de quotidenne telles que jardiner, cuisiner, manger, passer du temps avec les autres, et faire l’amour. Après les séances psychédéliques, bon nombre dede personnes ont montré un intérêt soudain pour l’art, plus particulièrement la musique et la peinture, ou bien leurs intérêts déjà existants dans ce domaine étaient intensifiés et approfondis. Les intérêts intellectuels passaient souvent au mysticisme, chamanisme, aux cultures anciennes et aux philosophies orientales. Pour certains patients, ces nouveaux intérêts prenaient une forme purement intellectuelle ; pour d’autres, ils étaient associés à un profond engagement à la pratique spirituelle systématique. S’il existe des bénéfices potentiels au processus de mort-renaissance, certains risques lui sont associés. Les séances psychédéliques qui impliquent le niveau périnatal peuvent certainement faciliter tous les changements positifs profonds mentionnés plus haut, mais de sérieux complication peuvent subvenir également. Lorsque, par exemple, les séances psychédéliques concernant les éléments périnataux prennent place dans un contexte et un cadre problématiques, les expériences sont médiocrement résolues, les complications possibles peuvent comprendre la dépression avec tendance suicidaire, des instincts destructeurs et autodestructeurs, des états paranoïaques ou des désillusions grandioses et messianiques. Ces problèmes ne sont pas exclusivement liés aux états psychédéliques. De tels dangers sont évoqués dans la littérature mystique, les traditions orales de cultures aborigènes, et de nombreuses histoires mythologiques. Ces sources avertissent des dangers qui menacent un chercheur ou aventurier spirituel inattentif ou inexpérimenté, comme la maladie physique, la folie et même la mort. L’appui, la préparation et la guidage adéquats, sont des prérequis essentiels pour explorer les profonds territoires de l’esprit humain. Recherches sur les états holotropiques : statut actuel Comme nous l’avons vu, les recherches sur les états holotropiques a apporté beaucoup d’impressions fascinantes sur problèmes fondamentaux liés à la mort et à son processus, à savoir : la phénoménologie des expériences de mort imminente, la peur de la mort et son rôle dans la vie humaine, la survie de la conscience après la mort, et la réincarnation. Ces aperçus sont d’une grande importance théorique pour, les psychiatres, les psychologues les anthropologues et les thanatologues. Ils sont également essentiels à toute compréhension approfondie des phénomènes comme le chamanisme, les rites de passage, les mystères des temps anciens de la mort et de la renaissance, ainsi que les grandes religions du monde. En outre, cette recherche a accru de manière significative notre connaissance de la nature et de l’architecture des désordres émotionnels et psychosomatiques, y compris les psychoses fonctionnelles, outre le fait qu’elle propose de nouvelles stratégies pour les traiter.Étant donné que nous allons tous affronter la mort à un moment donné, cette nouvelle compréhension de la mort et de son processus représente une information d’une importance cruciale pour chaque être humain. La thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancers et les individus atteints d’autres maladies en phase terminale mérite ici une attention particulière. Ayant été le témoin des effets bénéfiques de ce traitement sur les patients avec des formes extrêmes de souffrances émotionnelles et physiques, j’ éprouve une profonde tristesse à voir que cette thérapie soit refusée à d’innombrables personnes qui en ont désespérément besoin. J’espère fermement que, dans un futur proche, les législateurs, les administrateurs et les politiciens puiseront leurs informations dans les écrits scientifiques plutôt que par des articles de la presse à sensation, qu’ils prendront du recul par rapport à l’hystérie entourant les substances psychédéliques, et qu’ils remettront cet outil prometteur aux mains des cliniciens et des patients. J’ai confiance en le fait que les efforts à long terme destinés à légaliser la thérapie psychédélique sont en train de rencontrer quelques succès. Les recherches à base de substances psychédéliques ont été légalement poursuivies dans quelques états de au sein des Etats –Unis et à l’étranger grâce à la persévénrance de Rick Doblin, Président de l’Association Multidisciplinaire pour les Etudes Psychédéliques (MAPS76) et à d’autres défenseurs. Ces nouveaux projets comprennent plusieurs études de thérapie psychédélique. Le Docteur Michael Mithoefer est en train d’évaluer le potentiel thérapeutique du MDMA (3,4-methylenedioxy-N-methylamphetamine), ou ecstasy, dans une étude de thérapie à base de MDMA chez des sujets présentant des désordres liés au stress post-traumatique. Il s’agitlà du premier protocole FDA jamais approuvé, destiné à étudier le potentiel thérapeutique éventuel du MDMA. D’autres études de thérapie psychédélique sont menées avec des patients atteints de cancers. Le Docteur Charles Grob, un psychiatre du Centre Médical Harbor-UCLA de Los Angeles, est actuellement en train de diriger une recherche sponsorisée par l’Institut de Recherche Heffter, avec l’approbation de l’Administration des Nourritures et Drogues77 (FDA) afin d’examiner dans quelles mesures la psilocybine peut aider les patients en phase terminale de la maladie à gérer les souffrances émotionnelles et physiques, et les problèmes spirituels associés à la mort. Les résultats préliminaires montrent que la thérapie à basse de psilocybine, administrée dans un cadre thérapeutique et dans le contexte d’une étude soigneusement structurée, peut être remarquablement bénéfique ; on a observé chez les patients de Grof une diminution de l’anxiété, un meilleur moral, des rapports avec la famille et avec les amis plus approfondis, mais aussi une réduction de leur douleur . 76 MAPS : Multidisciplinary Association for Psychédélic Studies. C’est cette association qui a publié The Ultimate Journey en version originale(NdT) 77 FDA : Food and Drug Administration (NdT) Cela fait quarante ans que les psychologues Timothy Leary et Richard Alpert mènent également des recherches psychédéliques sontà l’Université d’Harvard après que le « scandale des drogues » ait fait fureur. . L’étude actuelle, dirigée par le Docteur John Helpern, Directeur Associé des Recherches sur l’Abus de Substances à l’Ecole Médicale d’Harvard de l’Hôpital Mac Lean, a été autorisée par la reçu FDA en 2004 àadministrer la substance psychédélique MDMA à des patients à des stades évolués de leur cancers. Plus d’un an après, le DEA octroya une licence àcette recherche. Maintenant que l’approbation légale a été obtenue, l’équipe d’Harvard avance. Ce projet, qui dans un premier temps au cours des phases initiales du plan et de l’approbation légale a reçu des fonds et de l’aide de MAPS pendant les se concentre désormais sur les usages duMDMA destinés à soulager l’anxiété, réduire la douleur, et rehausser la qualité de vie. Les Docteurs Grob et Halpern espèrent que les résultats satisfaisants faciliteront l’introduction de la thérapie psychédélique dans la pratique hospitalière comme moyen d’aider une grande partie des patients affrontant la mort. Je sais de mon’expérience au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland que cette étape contribuera aux stratégies de soins palliatifs que la profession médicale est en mesure de proposer caux personnes affrontant la mort. Implications globales de la nouvelle conceptionde la mort Je conclurai en traitant de certaines de l’incidence considérable que les observations des recherches sur la conscience ainsi que ’une nouvelle conception de la mort peuvent avoir pour la crise globale que l’humanité est en train d’affronte actuellement. Des auteurs contemporains, tels qu’Alan Harrington et Ernest Becker ont souligné que le déni massif de la mort mène à des pathologies sociales ayant de dangereuses conséquences pour l’humanité (Harrington 1969, Becker 1973). Pendant la seconde moitié du vingtième siècle, les recherches psychédéliques, la thanatologie et les nouvelles formes expérientielles de psychothérapie, ont non seulement fourni suffisamment de preuves pour étayerce point de vue, mais elles ont en outre montré de manière assez précise dans quelles mesures notre attitude envers la mort est liée aux dilemmes fondamentaux qui nous travaillent. Dans la psyché humaine, la mort est puissamment représentée sous la forme de souvenirs de situations mettant la vie en péril dans la vie post-natale, pendant la naissance et dans l’existence prénatale. Des thèmes supplémentaires liés à la mort et à l’impermanence constituent un aspect important des domaines historiques, karmiques et archétypaux de l’inconscient collectif. Ces éléments de l’inconscient personnel et collectif jouent un rôle crucial dans bien des désordres psychosomatiques. Ils représentent aussi l’une des deux sources les plus importantes de deux aspects infâmes de la nature humaine : l’avidité insatiable et la disposition envers ce que Erich Fromm appelait agression maligne (Fromm 1973). L’avidité et la violence sont les deux forces principales à avoir dirigé l’existence humaine pendant des millénaires. Jusqu’à présent, leurs tragiques conséquences se limitaient à ceux qui étaient participaient aux nombreuses guerres, révolutions et conquêtes ; ils n’allaient pas jusqu’à menacerl’évolution de l’espèce humaine dans sa globalit é et ne présentaient pas de dangers majeurs envers l’écosystème et la biosphère de la planète. La nature se remettait complètement en l’espace de vingt ans même après les guerres les plus violentes, . Cependant, depuis un siècle, cette situation a changé du tout au tout. Les progrès technologiques rapides, la croissance exponentielle de la production industrielle, une explosion massive de la population et, plus particulièrement, la découverte de l’énergie atomique ont à jamais changé l’équilibre des forces en puissance. Apprivoiser ces tendances dangereuses inhérentes à la nature humaine est devenu un besoin impératif à notre survie et à la survie de la planète dans sa globalité. La psychothérapie et l’exploration de soi apportent de l’espoir à cette situation lugubre. Les techniques fondées sur l’expérience holotropique rendent possible d’une part l’émergence à un niveau conscient des contenus liés à la mort depuis les différents niveaux de la psyché, et d’autre part de vivre la mort pleinement et de réduire ou d’éliminer ainsi son impact émotionnel sur l’individu. Au fil des ans, j’ai été le témoin de guérisons émotionnelles et psychosomatiques profondes, mais aussi de la transformation radicale de la personnalité, chez des milliers de personnes en quête intérieure approfondie. Certaines étaient des personnes ayant une pratique spirituelle régulière comme la méditation, d’autres avaient supervisé des séances psychédéliques ou participé aux nombreuses formes de psychothérapie expérimentielle et d’exploration de soi. J’ai également vu des changements positifs profonds chez bien des personnes qui recevaient un soutien adéquat pendant des épisodes spontanés de crises psychospirituelles. Après avoir été confronté à la mort de manière pratique , plus particulièrement dans le contexte de la mort et de la renaissance psychospirituelles, le niveau d’agression diminue considérablement. Les gens deviennent plus paisibles et à l’aise avec eux-mêmes et plus tolérants envers les autres. L’expérience de la mort psychospirituelle et de la renaissance et une connexion constante aux souvenirs postnataux ou prénataux qui réduit par ailleurs les forces irrationnelles et les ambitions exagérées. À mesure que le point de concentration émotionnel passe du passé et/ou du futur au moment présent, les gens sont davantage capables d’apprécier les situations quotidiennes et simples de la vie comme la nourriture, faire l’amour, la nature et la musique. Une spiritualité accrue résulte également de ce processus, une spiritualité d’une nature universelle et mystique, qui est à la fois authentique et convaincante car elle est fondée sur une profonde expérience personnelle. Ce processus d’ouverture spirituelle et de transformation s’approfondit grâce aux expériences transpersonnelles -l’identification avec les autres personnes, les groupes humains entiers, les animaux, les plantes et même les matériaux inorganiques et les processus au sein de la nature. Des expériences qui y sont liées fournissent un accès conscient à des événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et périodes historiques, et même dans les domaines mythologiques, et ils offrent également un accès aux êtres archétypaux de l’inconscient collectif. Une identification croissante avec toute la création et un sentiment d’émerveillement, de compassion et de paix intérieure suivent la connaissance de l’unité cosmique et de sa propre divinité, . Les personnes qui se connectent au domaine transpersonnel de leurs psychés tendent ainsi à développer une nouvelle appréciat