L`Ultime Voyage Stanislav Grof

Transcription

L`Ultime Voyage Stanislav Grof
L’ULTIME VOYAGE
LA CONSCIENCE ET LE MYSTERE DE LA
MORT
Docteur Stanislav Grof
Traduit de l’anglais par Eva Guerda
Le Danseur : figure anthropomorphe, probablement un chamane dansant. Grotte de la Gabillou,
France
PREFACE
S’IL FALLAIT DRESSER UNE LISTE DES PERSONNES LES PLUS INFLUENTES du XXème siècle
jusqu’à nos jours, Stanislav Grof en ferait partie. L’importance des états de conscience altérée est de
plus en plus reconnue et personne n’a travaillé dans ce domaine de façon plus productive que
l’auteur de ce livre.
Le travail de Grof a débuté en Tchécoslovaquie, à Prague, où il a travaillé pendant quatre
ans dans un complexe interdisciplinaire d’instituts de recherche et pendant sept autres années dans
l’Institut de Recherches Psychiatriques qui venait alors d’être fondé. A son arrivée aux Etats-Unis en
1967, il continua ses recherches dans l’Unité de Recherches de l’Hôpital d’Etat de Spring Grove à
Baltimore et au Centre de Recherches Psychiatriques de Maryland. Avant de poursuivre, il est
important de noter deux faits majeurs.
D’abord, son travail est de loin le plus vaste jamais entrepris dans l’utilisation de
psychédéliques à des fins de thérapie et d’évaluation personnelle : il englobe en effet plus de 3000
séances où il a consacré cinq heures minimum à chaque personne. En outre, ces études couvrent 800
autres cas suivis par ses collègues à Baltimore et à Prague. Deuxièmement, parce qu’il traverse
l’Atlantique, son travail embrasse les deux approches dominantes de la thérapie psychédélique :
d’une part celle de la thérapie psycholytique (utilisée de façon générale à Prague et en Europe) qui
comprend des administrations de doses basses et moyennes de LSD ou de ses variantes au cours
d’un long programme thérapeutique, et d’autre part, la thérapie psychédélique telle qu’elle est
effectuée en Amérique qui utilise, quant à elle, de hauts dosages sur un traitement de courte durée.
Le point important de ces données en ce qui concerne le dernier ouvrage de Grof est que
c’est l’expérience du mourir et du renaître – « l’ultime voyage » qui nous attend tous – qui apporte
le remède. Cette phrase mérite une attention toute particulière de la part du lecteur et ce, en raison
de ses énormes implications. Si nous parvenions à nous convaincre ne serait-ce qu’intellectuellement
– c’est-à-dire de manière cognitive et cérébrale – que la mort est suivie de la renaissance, cela
pourrait guérir nos vies. Car c’est la peur qui est la maladie de la vie. Carl Jung disait que les
problèmes de tous ses patients ayant dépassé la quarantaine s’enracinaient pour la plupart dans la
peur de l’approche de la mort.
La plus grande des qualités de ce livre est qu’en faisant de ce qui a été dit dans le
paragraphe précédent sa pierre angulaire, il encercle ce point central depuis tous les angles :
historique, théorique, thérapeutique, scientifique et philosophique. Je n’ai pas besoin de m’étendre
sur ce point car un simple coup d’œil à la table des matières éclairera immédiatement le lecteur.
Etant moi-même philosophe, j’apprécie particulièrement le chapitre de Grof sur « les dimensions de
la conscience : nouvelle cartographie de la psyché humaine ». Mais assez parlé. La meilleure chose
que je puisse faire maintenant pour ce livre essentiel est d’arrêter de me mettre entre le lecteur et
Stanislav Grof lui-même.
Huston Smith
Berkeley, California
Sommaire
Préface
Remerciements
Introduction
1. Chamanisme : techniques archaïques d’extase
2. Rites de passage : mort et renaissance dans les rituels de transformation
3. Mystères anciens de mort et de renaissance
4. La mort et la renaissance dans les grandes religions du monde
5. Le voyage posthume de l’âme
6. Les livres des morts : manuels pour vivre et pour mourir
7. Perspectives culturelles sur la nature de la réalité et de la conscience
8. Dimensions de la conscience : nouvelle cartographie de la psyché humaine
9. La conscience au seuil de la mort
10. Le mystère du karma et de la réincarnation
11. Messages et visites de l’Au-Delà
12. Histoire de la thérapie psychédélique avec les mourants
13. Le programme de Spring Grove
14. Cas d’expériences psychédéliques
15. Métamorphoses psychédéliques des mourants
16. Psyché et Thanatos : la mort dans la psychologie et la société occidentale
Appendice : l’approche consciente de la mort par Aldous Huxley
Bibliographie
Source des illustrations
A propos de l’auteur
REMERCIEMENTS
LES IDEES ET LES CONCEPTS présentés dans ce livre sont fondés sur cinquante années de
recherches, d’observations et d’expériences sur les états de conscience non-ordinaires ; recherches
qui ont constitué non seulement une exploration scientifique passionnante de la psyché humaine,
mais aussi un voyage fascinant de découverte et de transformation de soi. Au cours de toutes ces
années, j’ai reçu non seulement un appui considérable mais aussi des encouragements et de
l’inspiration de la part de personnes qui ont joué un rôle important dans ma vie et qui ont partagé
avec moi leurs connaissances et leur sagesse : certains comme professeurs, d’autres comme amis
proches, collègues de recherche et bon nombre d’entre eux dans tous ces rôles à la fois.
Je tiens à exprimer ici ma profonde reconnaissance envers les pionniers qui ont été les
premiers à mener les recherches révolutionnaires sur la mort et le mourir1 et qui ont ouvert le champ
de la thanatologie : Elisabeth Kübler-Ross, pour sa recherche sur le processus de mort et le travail
psychologique avec les patients mourants, Karlis Osis pour les observations sur l’agonie rassemblées
auprès de médecins et infirmiers, mais aussi Russell Noyes, Raymond Moody, Kenneth Ring, Michael
Sabom, Bruce Greyson et bien d’autres encore pour leurs recherches révolutionnaires sur les
expériences de mort imminente, et enfin Carl Simonton et Stephanie Matthews-Simonton pour leur
exploration des facteurs dans l’étiologie et la thérapie du cancer.
Ma gratitude va également aux personnes qui ont joué un rôle charnière dans le
développement de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de cancer : Eric Kast,
Valentina Pavlovna Wasson, Sidney Cohen, et plus particulièrement Aldous et Laura Huxley2. Dans
son livre Cet Instant éternel, Laura offre un compte-rendu extraordinaire de sa vie avec Aldous
Huxley. Ce texte comprend ses idées sur le travail avec les personnes agonisantes et plus
particulièrement la narration de l’expérience émouvante de la propre mort de Huxley, expérience
transformée par le LSD que Laura lui administra sur sa demande. Je suis profondément reconnaissant
à Laura de m’avoir permis d’inclure des passages choisis de cet important document en guise
d’appendice à ce livre.
1
« Death and dying », dans le texte. (Note du traducteur [NdT]. Toutes les notes sont celles du
traducteur)
2
Laura Huxley décédée le 13 décembre 2007, deux ans après la publication de ce livre dans sa version
originale (NdT).
Ce livre n’aurait pas vu le jour sans les expériences et les observations de la période de ma
vie où j’étais chercheur clinique puis chef des recherches psychiatriques au Centre de Recherches
Psychiatriques de Maryland à Catonsville. Au cours de cette période, j’ai eu le privilège de participer
aux expériences de Spring Grove, le dernier programme officiel de recherche psychédélique aux
Etats- Unis. Au fil des années, nous avons dirigé plusieurs grandes études contrôlées avec des
groupes de patients névrosés, des alcooliques et des drogués narcotiques. Nous avons également
administré des psychédéliques aux professionnels de la santé mentale à des fins d’entraînement et
nous avons mené un programme de thérapie psychédélique pour les patients atteints de cancer. Ce
programme est décrit dans ce livre.
A l’origine, j’étais venu aux Etats-Unis pour un séjour d’un an, mais ce séjour s’est prolongé
après l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Non seulement les membres de l’équipe de Spring
Grove m’ont-ils accueilli avec beaucoup d’amour dans leur équipe de recherche mais ils m’ont
également ouvert leurs maisons. J’ai passé sept années à Baltimore dans cet environnement
enrichissant tant professionnellement qu’humainement, entouré d’amis partageant mes convictions.
Cette période est pour moi inoubliable et a été à l’origine d’innombrables souvenirs merveilleux. La
principale source d’information de ce livre est constituée des recherches effectuées avec eux au
Centre de Recherches Psychiatriques de Maryland par l’utilisation de la thérapie psychédélique pour
le traitement des patients atteints de cancer. J’éprouve une immense gratitude envers ce groupe de
personnes extraordinaires.
Sanford Unger était le principal architecte et penseur conceptuel du programme de
Recherche de Spring Grove, mais aussi de ses études contrôlées variées. Dans les premières années
de ma vie à Baltimore, Sandy, sa femme Eve et leurs deux petites filles sont devenues ma seconde
famille. L’enthousiasme, le dévouement et l’énergie de Walter Pahnke étaient essentiels au
lancement des programmes de psychothérapie de LSD et de DPT avec les patients atteints de cancer.
Son background tant dans la médecine psychologique que dans la religion, combiné à sa
personnalité unique, faisaient de lui la personne idéale pour diriger les recherches de thérapie
psychédélique sur des personnes en fin de vie. Walter lui-même disparut de façon tragique en juillet
1971 avant d’avoir pu voir la réalisation de ses projets. William Richards joua un rôle important dans
les études de LSD et de DPT à la fois comme théoricien et comme thérapeute.
Au cours de nos recherches, d’autres membres de l’équipe du Centre de Recherche
Psychiatrique de Maryland participaient au programme de Spring Grove en tant que thérapeutes
psychédéliques. Ma profonde reconnaissance va à Thomas Cimonetti, Robert Leithy, feu Franco di
Leo, John Lobell, John Rhead, Robert Soskin, Sidney Wolf et Richard Yensen. Mark Schiffman et
Lockwood Rush travaillaient au département de médias du centre. Grâce à leur engagement et à
leur enthousiasme la plupart des traitements des cas dont il est question ici ont été préservés dans
des vidéos. Helen Bonny a contribué aux études psychédéliques dans une combinaison unique de
rôles : à la fois comme conseillère musicale, co-thérapeute, et assistante de recherche.
J’aimerais exprimer ici ma profonde reconnaissance à Nancy Jewell, Karen Leihy et feue Ilse
Richards pour leur participation sensible et dévouée au sein du projet cancer en tant qu’infirmières
et co-thérapeutes. Toutes trois ont montré de l’intérêt, de l’enthousiasme et de l’initiative dans leur
travail et ont accepté avec une grande compréhension tous les devoirs supplémentaires qui leur
étaient imposés par la nature inhabituelle de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de
cancer. J’aimerais aussi rendre hommage au rôle que mon ex-épouse Joan Halifax a joué dans l’étude
du cancer lors de son séjour d’un an à Baltimore. A cette époque-là, elle travaillait avec moi en tant
que co-thérapeute au cours des séances avec les patients atteints de cancer, certains de ces cas sont
rapportés dans ce livre, et nous avons co-écrit un livre sur la mort et le mourir. Elle m’a également
présenté à bon nombre de ses amis anthropologues et ces rencontres m’ont permis de placer les
conclusions de mes recherches dans une perspective culturelle plus large.
Je témoigne ma profonde reconnaissance à Albert A. Kurland, directeur du Centre de
Recherches Psychédéliques de Maryland, et Commissaire Assistant de Recherche au Centre
d’Hygiène Mentale de Maryland. Bien que son poste à responsabilités et ses devoirs administratifs
aient rendu sa participation impossible au sein du projet clinique en lui-même, son rôle de
coordinateur, d’organisateur et de conseiller a été crucial. Charles Savage, Directeur Associé du
Centre de Recherche mérite une reconnaissance respectueuse pour son précieux appui et ses
encouragements pour les projets au fil des années.
Le programme expérimental de la thérapie psychédélique avec les patients atteints de
cancer n’aurait pas pu être mené à terme sans la compréhension et la collaboration uniques de Louis
E. Goodman, chirurgien en chef de la clinique oncologique de l’hôpital Sinaï. Je remercie aussi les
membres de l’équipe médicale de cet hôpital pour leur intérêt, leur aide et leur forte envie
d’apporter les ressources dont ils disposaient dans ce domaine délicat. Je remercie tout
particulièrement les agences qui ont mis à disposition les fonds pour les recherches de Spring Grove,
surtout le Département d’Hygiène Mentale de l’Etat de Maryland et les Instituts Nationaux de Santé.
L’appui financier de la fondation Mary Reynolds Babcock qui a permis à ces activités de se
développer en profondeur à une période critique, a été particulièrement significatif. Je souhaite
également témoigner ma profonde reconnaissance aux Amis de la Recherche Psychédélique pour
leur aide financière et administrative.
Bien au-delà du travail clinique avec les psychédéliques, ce livre s’étend à d’autres
disciplines : l’anthropologie, la religion comparée, la philosophie et la mythologie. Je suis très
reconnaissant à mes amis et collègues qui m’ont initié à ces disciplines et qui m’ont apporté de
précieuses informations. Je suis reconnaissant envers les chamanes indiens d’Amérique, les
Mexicains et Sud Américains qui ont partagé avec moi leur vision du monde et leur pratique de cette
technique ancienne et de cet art de guérison ancestral. Don José Matsuwa, chamane centenaire du
centre du Mexique, occupe une place spéciale dans mon cœur. Pendant de nombreuses années il a
été un maître important et un ami très cher à mon épouse Christina ainsi qu’à moi-même.
Angeles Arrien, anthropologue formé dans la tradition mystique basque, a été un véritable
ami, et un exemple vivant de comment intégrer les aspects de la psyché et de comment avancer dans
la voie mystique sur le plan pratique. Michael et Sandra Harner, qui appartiennent aussi à notre
cercle d’amis intimes, nous ont apporté beaucoup de soutien, d’encouragements et une opportunité
de partager à la fois des observations non-conventionnelles et des aventures. Michael qui est un
académicien reconnu et qui a aussi reçu une initiation chamanique au cours de son travail en
Amazonie, est un modèle et un exemple pour ma propre vie.
En juillet 1973, j’ai eu l’opportunité unique de participer à une conférence intitulée
« Rituels : Réconciliation dans le changement ». Cette conférence était conçue et coordonnée par
Margaret Mead et Marie Catherine Bateson, la fille de Margaret et de Gregory Bateson. Pendant de
longues discussions avec treize autres participants, pendant neuf jours à Burg Wartenstein en
Autriche, j’ai appris des leçons essentielles concernant les rites de passage et leur importance dans
la société humaine. Cette rencontre a planté de nombreuses graines dans mon esprit qui au fil des
ans se sont développées en la forme exprimée dans ce livre.
Pendant les deux années et demi qui ont précédé son décès, Gregory Bateson avec qui j’ai
eu le privilège de passer des centaines d’heures d’interaction intense tant personnelle
qu’intellectuelle lorsque nous étions en résidence à l’Insitut Esalen à Big Sur, en Californie, a été un
maître et un grand ami. La critique incisive de Gregory à l’égard de la science mécaniste et sa
synthèse créative des cybernétiques, de la théorie des systèmes et de l’information, de la psychiatrie
et de l’anthropologie ont eu une profonde influence sur mon propre développement.
Joseph Campbell, penseur séminal, professeur émérite, et ami très cher a joué un rôle
capital dans ma vie professionnelle et personnelle. Il a transformé radicalement ma compréhension
de la mythologie et m’a montré son importance cardinale pour la psychiatrie, la psychologie, et pour
une compréhension plus profonde de la vie humaine et de la mort. Au fil des ans, son savoir
véritablement encyclopédique de la mythologie m’a aidé à comprendre les nombreuses expériences
que mes clients avaient eues dans de nombreux états de conscience non-ordinaires.
Rick Tarnas, psychologue, philosophe, historien universitaire et astrologue brillant a été un
ami très proche pendant plus de trente ans. Les nombreuses discussions, les cours et les séminaires
que nous avons donnés à la fois sur les états de conscience non-ordinaires, la psychologie
Commentaire [Utilisate1]: Les mots
précieux et important figurent mille fois
dans tes remerciements… je sais que c’est
dur de trouver d’autres formules mais bon,
ici c’est pas grave si tu t’éloignes un peu du
texte original.
archétypale et l’astrologie ont été pour moi une aventure toujours renouvelée de découvertes
intellectuelles et une source riche d’informations.
Frances Vaughan et Roger Walsh pionniers de la psychologie transpersonnelle qui ont tous
les deux apporté des contributions majeures à ce domaine appartiennent à un petit cercle d’amis qui
avaient coutume de se retrouver souvent sur la côte. Ces rencontres m’ont donné l’opportunité de
discuter de bon nombre d’idées exprimées dans ce livre et de recevoir beaucoup de commentaires.
Ram Dass, chercheur spirituel archétypal qui a régulièrement participé à ces rencontres, a partagé
avec nous ses expériences intimes concernant les promesses et les pièges de la voie spirituelle. Sa
sagesse et sa capacité à transformer tous les aspects de sa vie en des enseignements spirituels nous
ont tous inspirés.
Swami Paramahamsa Muktananda, chef de lignée du Siddha Yoga, nous a apporté une aide
inestimable, à mon épouse Christina et moi, pour notre voyage spirituel. Notre contact proche et
régulier avec cet être humain extraordinaire, s’est poursuivi pendant de nombreuses années, et nous
a offert l’opportunité unique d’observer et de faire l’expérience de la puissante influence d’une
tradition spirituelle vitale sur la vie humaine. La conférence de l’Association Transpersonnelle
Internationale (ITA) en février 1982, à Mumbai (Inde), que nous avions organisée Christina et moi
avec la collaboration de l’Ashram Muktananda Ganeshpuri a constitué une expérience inoubliable.
Jack Kornfield, psychologue transpersonnel et maître bouddhiste Vipassana a joué un rôle
unique pendant les trente dernières années de notre vie à la fois comme maître spirituel hors du
commun, ami proche, collègue, et chercheur. Jack est un rare exemple de personne vivant les
enseignements qu’il prêche : il enseigne aussi bien par son exemple que par ses brillantes
conférences parsemées d’un humour exquis. Nous avons eu une chance extraordinaire d’avoir Jack
et sa famille dans nos vies.
Huston Smith, universitaire en religion, philosophe, et auteur à la renommée mondiale a
été un ami très cher et un maître spirituel important et ce, depuis notre toute première rencontre à
la fin des années 60, lorsqu’il a participé à notre programme de recherches psychédéliques de Spring
Grove à Baltimore. Ses livres, ses conférences et ses films ont constitué pour moi un véritable trésor
d’informations sur les grandes religions et sur la vision du monde mystique. Je lui suis
particulièrement reconnaissant d’avoir réussi à trouver du temps dans son emploi du temps chargé
pour écrire la préface de ce livre.
Les Bouddhistes Tibétains Lama Govinda, Chögyam Trungpa , et Sogyal Rinpoché, ainsi que
le moine Bénédictin Frère David Steindl-Rast sont d’autres maîtres spirituels à avoir profondément
influencé ma vie, mon travail et mon voyage spirituel. Christina et moi avons également bénéficié
d’une amitié proche avec Ajit Mookerjee, universitaire tantrique et auteur de nombreux livres sur la
science, l’art et les rituels tantriques3. Il a partagé avec nous une grande partie de sa profonde
connaissance de ce système spirituel extraordinaire, au cours de ses visites à Esalen, mais aussi
lorsqu’il fut notre guide au cours d’un pèlerinage à travers les villes sacrées de l’Inde.
J’adresse tout particulièrement mes remerciements à Tav et Cary Sparks, nos amis et
collègues pendant plus de vingt ans. Ils ont tous les deux joué un rôle charnière dans le travail
d’entraînement holotropique et dans les ateliers et les conférences données dans bien des parties du
monde : Tav à la fois en tant que compagnon de voyage et collaborateur, mais aussi au cours des
dernières années comme chef et directeur administratif de la formation. Il a eté le souffle vital de
tous les projets. Je suis profondément reconnaissant à Michael Marcus, Janet Zand, John Buchanan,
Bokara Legendre et Betsy Gordon, qui au fil des ans, ont apporté leur soutien généreux à mon travail.
Ma liste de remerciements ne serait pas complète si je n’exprimais ma profonde gratitude
à Christina, mon épouse, ma bien-aimée, ma meilleure amie, ma collaboratrice et ma compagne de
recherche spirituelle pour tout ce qu’elle a apporté dans ma vie et dans nos projets communs. Elle a
3
Tantra : discipline de yoga très difficile qui consiste non pas à intérioriser les sens comme dans les
autres yogas mais à les conquérir (NdT).
Commentaire [Eva2]: Note de bas de
page ? de la part d’un spécialiste
fondé entre autres le réseau d’Emergence Spirituelle (SEN4), et a développé avec moi le Travail
Respiratoire Holotropique, une puissante forme de thérapie et d’exploration de soi dont il sera
souvent question dans ce livre. Elle a également apporté des contributions uniques à la
compréhension de la relation entre l’addiction, l’attachement et la quête spirituelle. De nombreuses
fois, mon travail dans ce livre fait écho à notre vie privée.
Les noms de ceux dont la contribution à ce travail à été essentielle et à qui je suis infiniment
reconnaissant ne peuvent pas être mentionnés ici. Je veux parler ici des centaines de patients
psychiatriques qui au cours de leurs séances psychédéliques ont exploré avec énormément de
courage les profondeurs de leur psyché et qui ont partagé avec moi leurs impressions et leurs
découvertes. La même chose s’applique aux centaines de milliers de participants dans les ateliers et
les formations de travail respiratoire holotropique. Je remercie tout particulièrement tous les
patients atteints de cancer, pour qui les rencontres symboliques expérientielles avec la mort
représentent une préparation immédiate à leur voyage ultime. Sans la coopération gracieuse de ces
personnes courageuses et de leurs familles, ce livre n’aurait pas vu le jour.
J’aimerais exprimer, pour finir, ma gratitude envers plusieurs personnes qui ont joué un
rôle cardinal dans la publication de ce livre. Au fil des ans, Rick Doblin, Président de l’Association
Multidisciplinaire d’Etudes Psychédéliques (MAPS) et éditeur de ce livre, a fait preuve d’un effort
extraordinaire pour corriger les nombreuses erreurs qui circulent sur les substances psychédéliques.
Ces erreurs sont engendrées par leur utilisation non-surveillée, par les journalistes de la presse à
scandale, et par les législateurs désinformés, désireux de parvenir à une législation pour une
utilisation responsable des ces outils extraordinaires. L’invitation de Rick a fourni la stimulation
nécessaire pour que j’écrive ce traité compréhensif sur les aspects psychologiques, philosophiques et
spirituels de la mort. Je suis très reconnaissant à Elisabeth Gibson qui a corrigé le manuscrit, pour la
forme finale de ce livre, pour sa profonde connaissance du sujet, pour son attention méticuleuse aux
détails et pour le dévouement aimant avec lequel elle a mené à bien cette tâche ; je suis
reconnaissant à Mark Plummer d’avoir dessiné cette belle couverture ainsi que pour son aide
artistique et technique à travers les riches illustrations qui accompagnent le texte ; je suis
reconnaissant à Brandy Doyle pour sa vérification finale attentive de tous les aspects du processus de
publication. Je voudrais également remercier Yahia Kabil pour son aide sur les sections concernant
l’Islam.
Je suis très reconnaissant à Michael Marcus, Janet Zand, John Buchanan, Bob Schwartz,
Bokara Lengendre et Betsy Gordon qui au fil des années ont apporté leur aide généreuse à mon
travail.
INTRODUCTION
La psychologie moderne a découvert à quel point le trauma de naissance pèse dans la vie
des individus. Qu’en est-il du « trauma de la mort ? » Si on croit à la continuité de la vie, ne devrait-on
pas leur accorder une considération égale ?
Laura Huxley, auteur de Cet Instant éternel
4
Spiritual Emergence network dans le texte (NdT)
LA MORT ET LE MOURIR 5 sont les expériences les plus personnelles et les plus pertinentes
pour chacun d’entre nous. Au cours de nos vies, nous perdons nos parents proches, nos amis, nos
professeurs, nos connaissances et finalement, nous affrontons notre propre décès biologique.
Cependant, il est assez extraordinaire de voir que jusqu’à la fin des années soixante, la civilisation
occidentale a fait preuve d’un désintérêt quasi-total envers la mort et son processus. Cette attitude a
été non seulement celle du plus grand nombre mais aussi celle des scientifiques, des professionnels,
des psychologues, des anthropologues, des philosophes et des théologiens. La seule explication
plausible à cette situation est un déni massif de la mort et un refoulement psychologique de tout ce
qui a un rapport avec elle.
La Mort et le Mourir 6 dans les sociétés préindustrielles
Ce désintérêt est encore plus frappant lorsque nous le comparons à l’attitude envers la
mort que l’on trouve dans les sociétés préindustrielles, sociétés dans lesquelles l’approche de la mort
et du mourir étaient7 conçues de façon diamétralement opposées. Dans les anciennes cultures, la
mort dominait et captivait l’imagination des foules ; elle offrait aussi de l’inspiration à leur art et à
leur architecture. En Egypte la préoccupation pour la vie d’Après trouva son expression dans les
monumentales pyramides, les grandes nécropoles, les tombes magnifiques et dans d’innombrables
tableaux et sculptures. Dans l’Amérique préhispanique des Mayas et des Aztèques, les pyramides, les
temples et les salles de bals étaient de hauts lieux de rituels élaborés construits autour de la mort.
Le mausolée d’Halicarnasse en Asie Mineure, tombeau de Caria (gouverneur de province de l’empire
Perse) fut construit pour lui par sa femme, Artémise, et était considéré comme l’une des sept
merveilles de l’ancien monde.
La tombe de l’Empereur Chinois Qin près de Xiang dans la province Shaanxi constitue un
autre grand exemple de monument funéraire ancien : plus de sept mille sculptures de guerriers et de
chevaux géants en terra cota furent aussi enterrés là, pour le protéger dans sa vie d’Après. Selon les
recherches archéologiques, même le légendaire palace Minoen en Crète n’était pas une résidence
royale, mais une gigantesque nécropole (Wunderlich 1972). La grande dynastie moghole en Inde
laissa elle aussi de magnifiques tombes et des mausolées tels que la tombe d’Akbar le Grand, et le
légendaire Taj Mahal, construit par Shah Jahan pour sa femme Noor Mahal. Voilà quelques exemples
qui témoignent d’à quel point la mort influençait puissamment les civilisations anciennes.
La mort a eu une importance égale parmi toutes les sociétés préindustrielles, à travers
l’histoire. La plupart des arts aborigènes de divers endroits du monde décrivent le monde des esprits,
le voyage posthume de l’âme et plus particulièrement le royaume important des ancêtres, êtres à la
fois vénérés et craints. Le dénominateur commun entre les rites funéraires des cultures primitives et
leur croyance en la vie après la mort est leur attitude ambivalente envers les personnes décédées.
Bien des aspects de ces rites reflètent des efforts pour faciliter et hâter la transition des personnes
décédées vers le monde spirituel. Cependant, au cours de ces cérémonies on peut observer un motif
dominant avec pratiquement la même fréquence : on trouve partout le même effort pour établir des
relations entre les vivants et les morts en vue d’obtenir de la sécurité et de la protection. Des traits
spécifiques de bien des rites funéraires peuvent être doublement interprétés : d’une part il s’agit
d’aider les morts dans leur voyage posthume, d’autre part il s’agit aussi de les empêcher de revenir.
La Mort comme transition vers d’autres réalités
5
Death and dying dans le texte. Nous avons traduit le mot dying tantôt par l’infinitif substantivé « le
mourir », tantôt par « le processus de mort ». (NdT)
6
idem
7
idem
Commentaire [Eva3]: Autre options :
la mort et le mourir ; la mort et l’agonie. IL
ne s’agit cependant pas de l’agonie : le mot
agonie existe en anglais. Vu directement
avec le Docteur Grof qui préfère la version
que j’ai retranscrite ici.
La différence entre l’attitude envers la mort des sociétés industrielles et celle des sociétés
préindustrielles peut être très bien illustrée en comparant la situation des individus qui meurent dans
ces deux contextes différents. Les cosmologies, les philosophies et les mythologies des anciennes
cultures et des groupes indigènes tout comme leur vie spirituelle et leurs rituels, reflètent un
message clair : la mort n’est pas la fin absolue et irrévocable de tout. La conscience, la vie ou
l’existence sous quelque forme, continue après la mort biologique. Une des variations spéciales de
cette croyance, est le concept répandu de la réincarnation. Outre la théorie selon laquelle une
existence désincarnée suit celle de l’individu décédé, la réincarnation implique aussi le retour à
l’existence matérielle dans un nouveau corps. Dans l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme, cette
croyance est liée à la Loi du Karma, selon laquelle la qualité des incarnations des individus est
spécifiquement déterminée par les mérites et les dettes des vies précédentes.
Les mythologies eschatologiques8 sont généralement d’accord pour dire que l’âme des
personnes décédées traverse une série d’aventures complexes de la conscience. Le voyage posthume
de l’âme est parfois décrit comme un voyage à travers des paysages fantastiques qui sont similaires à
ceux de la Terre, et d’autres fois comme des rencontres avec de nombreux êtres archétypiques ou
comme un passage à travers une séquence d’état de conscience non-ordinaire. Dans certaines
cultures l’âme atteint un royaume temporaire souterrain, comme c’est le cas dans le Purgatoire
chrétien ou dans les Lokas du bouddhisme tibétain ; dans d’autres, elle atteint un foyer éternel tel
que le Paradis, les Enfers, ou le Royaume du Soleil. De telles cultures acceptent sans la remettre en
question l’existence d’autres domaines normalement invisibles, tels que le royaume astral, et le
monde des ancêtres.
Les sociétés préindustrielles semblent ainsi tomber d’accord sur le fait que la mort n’est pas
la dernière défaite, ni la fin de tout, mais une transition importante. Les expériences associées à la
mort étaient considérées comme des visites à des dimensions importantes de la réalité qui
méritaient d’être vécues, étudiées et répertoriées soigneusement dans des cartes. Les mourants,
étaient familiarisés aux cartes de leurs cultures, qu’il s’agisse de cartes chamaniques des paysages
funéraires ou de descriptions sophistiquées des systèmes spirituels Orientaux, tels que ceux que l’on
retrouve dans le Bardo Thödol, le livre tibétain de la Mort. Ce texte important de bouddhisme
tibétain mérite une attention spéciale, étant donné qu’il représente un point de vue différent de
celui des civilisations occidentales qui se centrent sur la productivité de la vie et sur la négation de la
mort. Le Livre Tibétain de la Mort, décrit le moment où l’on meurt comme une opportunité unique
de se libérer des cycles de la mort et de la renaissance et comme une période qui détermine notre
prochaine incarnation, dans le cas où nous ne parviendrions pas à la libération. Dans ce contexte, les
états intermédiaires entre les vies (bardos) peuvent être vus comme plus importants que
l’incarnation existante, et par conséquent, il est essentiel de se préparer à eux par une pratique
systématique durant la vie.
Une autre caractéristique des cultures anciennes et préindustrielles qui colore l’expérience
de la mort est que leur acceptation de celle-ci est une partie intégrante de la vie. Durant leur vie, les
personnes qui vivent dans ces cultures passent du temps autour des mourants : ils traitent avec les
cadavres, observent la crémation, et vivent avec les restes de leurs parents. Pour un Occidental, une
visite à la ville Sainte Hindou de Varanasi (à Bénarès) où cette attitude est exprimée de la façon la
plus extrême, peut s’avérer être une expérience profondément bouleversante. Par ailleurs, les
personnes mourantes dans les sociétés préindustrielles meurent traditionnellement dans un
contexte de famille nombreuse, de clan ou de tribu. Ainsi, à ce moment clef de transition, ils peuvent
8
Eschatologique : du grec eschatos (ἔσχατος), le dernier, qui traite de la fin des temps. Relève de la
théologie et de la philosophie en lien avec les derniers temps, les derniers événements de l’histoire du
monde ou l’ultime destinée du genre humain, couramment appelée la « fin du monde », l’après-vie et
l’âme (NdT)
recevoir un appui émotionnel de la part de personnes qu’ils connaissent intimement. De puissants
rituels prennent place au moment de la mort pour aider les individus à faire face à leur transition
ultime, ou même pour les guider au moment de leur mort, comme le décrit le Bardo Thödol.
Etats de conscience holotropiques dans la mort et le mourir9
La pratique de formes diverses d’entraînement à la mort était un facteur important
influençant l’attitude envers la mort et son processus 10 dans les sociétés préindustrielles. Le
dénominateur commun à de telles pratiques était qu’elles impliquaient des états de conscience nonordinaires ou un sous-groupe spécial de ces états pour lequel j’ai inventé le terme
d’ « holotropique « (Grof, 1992). Ce terme composé signifie littéralement « orienté vers la
complétude », ou « avançant en direction de la complétude », (du grec Holos complet, et Trepein
avancer vers quelque chose). Ces états atteints à l’aide de substances psychédéliques ou d’un spectre
entier de techniques autres que des drogues surgissant de manière spontanée, ont de grands
potentiels de guérison et de transformation ; ils représentent donc une source importante
d’information sur la conscience, sur la psyché humaine, ainsi que sur la nature de la réalité. La
signification que les cultures anciennes et aborigènes attribuaient aux états holotropiques est
reflétée par la quantité de temps et d’énergie dédiée au développement de ces « technologies du
sacré ».
Parmi les expériences qui arrivent dans les états holotropiques il y a de profondes suites de
mort psychospirituelle et de renaissance et des sentiments d’unité cosmique, qui ont les capacités de
radicalement transformer l’attitude envers la mort et envers le fait de mourir en lui-même. La
carrière de nombreux chamanes, commence par la « maladie chamanique » une crise initiatrice qui
implique un voyage visionnaire au monde souterrain, l’expérience de la mort psychologique et la
renaissance et l’ascension aux mondes de l’Au-Delà. La connaissance du royaume de la mort acquise
pendant cette transformation permet au chamane d’aller d’un monde à l’autre et d’utiliser ces
voyages à des fins de guérison et de connaissance. Il peut également méditer de tels voyages pour
d’autres.
Les anthropologues ont décrit un autre contexte qui rend possible la pratique des rites de
mort : les rites de passage. Ce sont des rituels élaborés qui sont dirigés par de nombreuses cultures
aborigènes au moment d’importantes transitions biologiques et sociales telles que la naissance, la
circoncision, la puberté, le mariage, la ménopause et la mort. Ces rites emploient de nombreuses
techniques d’altération de l’esprit. L’examen plus proche des états induits par ces choses et du
symbolisme externe qui les entoure révèle qu’ils tournent autour de la triade naissance-sexe-mort, et
de l’expérience de renaissance psychospirituelle. Les personnes vivant dans ces cultures ont pendant
leurs vies de nombreuses opportunités de vivre et de transcender la mort. Au moment de leur mort
biologique, ils rentrent donc dans un territoire familier.
Les anciens mystères de la mort et de la renaissance sont proches de ces rites de passage. Il
s’agit de procédures complexes sacrées et secrètes qui impliquent, elles aussi, de puissantes
techniques d’altération de l’esprit. Elles existaient dans de nombreuses parties du monde, mais elles
prévalaient particulièrement dans la zone méditerranéenne. Ces événements initiatiques étaient
fondés sur des histoires mythologiques de déités qui symbolisaient la mort et la renaissance – les
Babyloniens Inanna et Dumuzi, les Egyptiens Isis et Osiris et les Grecs Dionysos, Attis, Adonis et bien
d’autres. Les plus célèbres d’entre eux étaient les mystères d’Eleusis, fondés sur le mythe de
Perséphone : enlevée par Hadès, elle demeurait la moitié de l’année aux Enfers et revenait
périodiquement au monde des vivants. Ces mystères avaient lieu à Eleusis, une petite ville proche
d’Athènes, tous les cinq ans sans interruption pendant près de 2000 ans. Les expériences de la mort
9
Holotropic states of consciousness in death and dying dans le texte (NdT)
10
the experience of dying, dans le texte (NdT)
Commentaire [Eva4]: dying
et de la renaissance au cours de ces mystères avaient la réputation de libérer les initiés de la peur de
la mort et de transformer radicalement leur mode de vie.
Les traditions mystiques et les grandes philosophies spirituelles de l’Orient constituent un
élément particulièrement intéressant pour les chercheurs en transpersonnalité. On y trouve les
nombreux systèmes de yoga, les écoles de Bouddhisme de Theravada et la Vajrayana Tibétain
jusqu’au Zen, en passant par le Taoïsme, le Soufisme, le mysticisme chrétien, la Kabbale et bien
d’autres encore. Ces systèmes ont développé des formes efficaces de prière, de méditations, de
mouvement, des exercices de respiration et d’autres puissantes techniques pour créer des états
holotropiques avec d’importantes composantes spirituelles. Ces procédés offraient la possibilité de
confronter sa mortalité et sa finitude, de transcender la peur de la mort ainsi que de transformer
radicalement son être au monde de la même façon que le faisaient les chamanes, les initiés dans les
rites de passages et les néophytes dans les anciens mystères.
La description des ressources disponibles aux mourants dans les cultures préindustrielles
serait incomplète si nous ne mentionnions pas les livres des morts tels que le Bardo Thödol (Tibet), le
Pert Em Hru (Egypte), le Codex Borgia (aztèque), Ceramic Codex (maya) et le Arts moriendi (Europe).
Ces textes décrivent en détail les expériences que l’on peut rencontrer après la mort biologique et
pendant les voyages posthumes de l’âme. Comme nous le verrons au chapitre 6, ces mêmes textes
servent une autre fonction importante : ils peuvent aussi être utilisés pendant la vie comme manuels
de spiritualité et comme guides d’auto-exploration impliquant des états de conscience
holotropiques.
Comme nous l’avons vu, un individu mourant dans une culture primitive ou aborigène,
s’était intensivement entraîné à la mort par des rituels variés, impliquant des états de conscience
holotropiques. Il disposait de systèmes de croyances spirituelles et philosophiques qui
transcendaient la mort. Il mourait dans le contexte chaleureux de la grande famille et des camarades
de tribu et bénéficiait souvent de leur expérience dans les rituels à travers les différentes étapes de
la mort. Dans certaines cultures, la base de ce guidage était fournie par des cartographies transmises
par traditions orales ou par des textes spéciaux décrivant les territoires expérimentaux que les
mourants devaient traverser.
Approche de la Mort et du Mourir11 dans les sociétés industrielles
La situation d’une personne ordinaire qui meurt dans l’une de nos sociétés industrialisées
est radicalement différente. Elle a une vision purement pragmatique et athée du monde, ou du
moins est profondément influencé par celle-ci. D’après la science occidentale et sa philosophie
monothéiste et matérialiste, l’histoire de l’univers est en substance l’histoire du développement de la
matière. La vie, la conscience, et l’intelligence sont des produits de second ordre par rapport à son
propre développement, ils sont plus ou moins accidentels et insignifiants, et ils sont apparus sur
scène des millions d’années après l’évolution de matière passive et inerte dans une partie
insignifiante d’un univers infini. La spiritualité n’a pas sa place dans un monde où la réalité est définie
exclusivement comme matérielle, tangible et mesurable.
Le Rôle de la Religion
Même si les activités religieuses sont généralement permises et même encouragées
officiellement, d’un point de vue strictement scientifique, la spiritualité est considérée comme étant
une activité irrationnelle qui indique une immaturité émotionnelle et intellectuelle : un manque
d’éducation, des superstitions primitives et une régression à des façons de penser infantiles. Des
expériences directes de réalités spirituelles sont vues comme étant des manifestations d’une
sérieuse maladie mentale, tout comme les distorsions psychotiques de la réalité causées par des
11
Approach of death and dying (NdT)
Commentaire [Eva5]: idem
procédés pathologiques affectant le cerveau. La religion, dépourvue de sa composante expérientielle
a perdu pour sa plus grande part sa connexion à sa source spirituelle profonde, et en conséquence,
elle est de plus en plus vide et absurde - elle n’est plus une force positive et utile dans la vie. Sous
cette forme-là, elle ne peut pas concurrencer la persuasion de la science matérialiste appuyée par
ses triomphes technologiques. En l’absence de cette spiritualité fondée sur l’expérience, donc de
spiritualité viable, il est fort probable que les personnes érudites soient athées, quant à ceux qui sont
moins sûrs d’eux-mêmes, ils tendent à succomber à des formes décevantes de fondamentalisme.
La vision de la conscience
D’après la neuroscience occidentale, la conscience est un épiphénomène de la matière, un
produit du processus psychologique du cerveau, et ainsi elle dépend indissociablement du corps. La
mort du corps, et plus spécifiquement du cerveau, est vue comme la fin absolue de toute forme
d’activité consciente. Les croyances telles qu’en la vie après la mort, en un voyage posthume de
l’âme, en des domaines de l’Au-Delà, et en la réincarnation sont reléguées au rang de contes de fées
et de livres de psychologie à deux-francs-six-sous. Les croyances de cet ordre sont perçues comme le
produit d’une pensée qui prend ses désirs pour des réalités, une pensée propre aux personnes
simplettes qui sont incapables d’accepter l’impératif biologique de leur propre mort. Cette approche
a considéré qu’une bonne partie de l’histoire de la spiritualité et des rituels étaient des pathologies.
Peu de personnes, y compris la plupart des scientifiques eux-mêmes réalisent que nous
n’avons absolument aucune preuve que la conscience soit le fait du cerveau. En outre nous ne savons
absolument pas comment cela serait possible : aucun scientifique n’a jamais essayé d’expliquer
comment le formidable fossé entre la matière et la conscience pouvait être comblé. Cependant,
l’idée métaphysique selon laquelle la conscience est un épiphénomène de la matière demeure un
des mythes de la science matérialiste et influence profondément notre société toute entière. Il n’y a
également aucune preuve scientifique à l’absence de dimension spirituelle dans le schéma universel
des choses, mais en revanche, des preuves nombreuses peuvent être trouvées concernant des
dimensions invisibles de la réalité. Néanmoins, étant donné les circonstances présentes, la vision
officielle et actuelle du monde industriel ainsi que des formes d’adoration religieuse n’offrent pas de
soutien important aux personnes mourantes.
L’Intérêt SCIENTIFIQUE pour la mort et pour le mourir12
Jusqu’en 1970, cette perspective sur la mort occupait également l’intérêt scientifique pour
les expériences de patients mourants et des individus en situation de mort imminente. Les rares
exceptions ne recevaient que peu d’attention, qu’il s’agisse de livres populaires parmi le grand public
tels que Le Vestibule, de Jess E. Weisse et Les Regards de l’Au-Delà de Jean-Baptiste Delacour (Weisse
1972, Delacour 1974) ou encore de traités scientifiques tels que les études exhaustives
d’observations au chevet des mourants de médecins et d’infirmières dirigé par Karlis Osis (Osis
1961). Ces écrits ont été relégués en parapsychologie et considérés comme inintéressants d’un point
de vue scientifique.
Cette situation changea après la publication du livre révolutionnaire d’Elisabeth Kübler-Ross
Vivre avec la Mort et les mourants (Kübler-Ross, 1969) et du livre bestseller international de
Raymond Moody La Vie après la vie (Moody 1975). Depuis lors Ken Ring, Michael Sabom et d’autres
pionniers en thanatologie ont ramassé des preuves impressionnantes sur les caractéristiques des
expériences de mort imminente qui vont de la perception extrasensorielle pendant les expériences
hors du corps jusqu’aux profonds changements de personnalité qui les suivent. Les informations à
propos de ces études ont été publiées dans des best-sellers, à les émissions de télévision, dans des
films hollywoodiens et d’autres médias. Le résultat, c’est que les professionnels et le grand public
12
SCIENTIFIC Interest in Death and Dying
sont maintenant familiarisés aux caractéristiques de base des expériences de mort imminente.
Cependant, ces observations révolutionnaires, outre leur potentiel à révolutionner notre
compréhension de la nature de la conscience et sa relation au cerveau, sont encore écartées par la
plupart des professionnels qui considèrent qu’il s’agit d’hallucinations non pertinentes nées de crises
biologiques du corps et du cerveau. Les expériences de mort imminente ne sont pas non plus
répertoriées comme étant des aspects importants de l’histoire médicale des patients, et la plupart
des établissements médicaux n’offrent aucune aide psychologique pour aider les survivants à les
intégrer.
Conditions du processus de mort et du mourir13
Les personnes qui meurent dans les sociétés occidentales manquent souvent d’appui
humain pour faciliter leur transition. Nous essayons de nous protéger de l’inconfort émotionnel
associé à la mort en mettant les personnes malades et agonisantes à l’écart dans les hôpitaux et dans
les maisons de retraite. L’accent est mis sur les systèmes d’aide et sur le prolongement mécanique
de la vie - souvent au-delà des limites du raisonnable - plutôt que sur un milieu humain qui apporte
son appui ou sur la qualité des derniers jours de la vie du patient. Le système familial est déconstruit
et les enfants habitent souvent loin de leurs parents et de leurs grands-parents. En conséquence, le
contact avec la famille lors des crises médicales est souvent formel et minime. En outre, les
professionnels de la santé mentale qui ont développé des formes spécifiques d’appui et de conseil
dans un large domaine de crises émotionnelles, manquent encore de méthodes efficaces pour aider
les mourants à faire leur transition. Par conséquent, une aide significative n’est pas disponible pour
ceux qui font face à la crise la plus profonde que l’on puisse imaginer, celle qui affecte
simultanément les aspects biologiques, émotionnels, interpersonnels, sociaux, philosophiques et
spirituels de l’existence de l’individu.
Tout ceci a lieu dans un contexte bien plus grand de déni collectif de l’impermanence et de
la mortalité qui caractérise les sociétés industrielles Occidentales. Notre plus grande rencontre avec
la mort nous parvient dans une forme hygiénique où une équipe de professionnels tempère son
importance. Cela va jusqu’à l’équipe de barbiers coiffeurs, maquilleurs et plasticiens post-mortem,
qui font tous les ajustements nécessaires aux cadavres avant de le montrer aux amis et à la famille.
Les médias amplifient eux aussi la distance à la mort en la diluant dans des statistiques vides et en
parlant sur un ton aseptisé des milliers de victimes de guerres, révolutions et de catastrophes
naturelles. Les films et les émissions télévisées rendent la mort triviale en capitalisant la violence et
en immunisant le public moderne à son impact émotionnel par de nombreuses scènes de mort, de
tueries et de meurtres dans un contexte qui est celui des loisirs. Clairement, les conditions de la vie
existant dans les sociétés modernes développées n’offrent pas beaucoup d’appui idéologique ou
psychologique aux personnes qui font face à la mort.
Vue d’ensemble de ce Livre
Dans ce livre, j’explore les découvertes de la recherche sur la conscience qui ont
révolutionné la compréhension théorique de la mort et de son processus et qui ont ouvert de
nouvelles portes au travail avec les personnes mourantes. Dans la première partie, je traite des
rituels anciens des aborigènes et des pratiques spirituelles qui peuvent nous aider à comprendre
l’expérience de la mort, à développer des manières efficaces de faciliter la mort et d’en faire une
partie significative de la vie. Les chapitres se concentrent sur de nombreuses façons de s’entraîner à
mourir : le chamanisme, les rites de passage, les anciens mystères, de nombreuses techniques
spirituelles orientales, et le voyage posthume de l’âme. Après cette présentation de ces rituels et ces
pratiques spirituelles, j’ai consacré tout un chapitre aux anciens livres des morts : le Bardo Thödol
13
Conditions of Dying and Death (NdT)
(Tibet), le Pert Em Hru (Egypte), le Codex Borgia (aztèque), Ceramic Codex (maya) et le Arts moriendi
(Europe).
La seconde partie de ce livre retrace les découvertes des études modernes qui jettent une
nouvelle lumière sur une grande variété de phénomènes reliés à la mort et à son processus. Cette
présentation s’ouvre sur la nouvelle cartographie de la psyché qui a résulté de plus de cinquante ans
de crises spirituelles. Cette carte est requise pour toute approche sérieuse des problèmes dont il est
question dans ce livre qui vont des nombreuses formes de rituels de transformation à la question de
la conscience au seuil de la mort. Puis, dans des chapitres isolés je traite de nombreux domaines de
la recherche pertinents pour la question de la survie de la conscience après la mort : les expériences
de mort imminente, du karma et de la réincarnation ainsi que de la communication avec la
conscience désincarnée.
Les derniers chapitres de ce livre se concentrent sur le programme Spring Grove, un
important effort de recherche consacré à enquêter sur la thérapie psychédélique des patients en
phase terminale de cancer. Dans ces chapitres, je mets en relief l’histoire de cette modalité de
traitement, je décris les procédés thérapeutiques, j’inclus plusieurs histoires qui illustrent ces cas et
j’analyse les résultats cliniques. Les derniers chapitres présentent la compréhension psychologique
de la mort depuis les spéculations précoces de Freud jusqu’à la perspective transpersonnelle qui a
émergé de la thérapie psychédélique et d’autres terrains de recherche sur la conscience moderne (y
compris le renouveau de la recherche psychédélique). Ce chapitre explore aussi l’application pratique
de ce dont traite ce livre pour des individus vivant dans des sociétés technologiques. Il évoque aussi
les possibles implications sociopolitiques des nouvelles visions utiles à la compréhension de la
nouvelle crise actuelle et son amélioration. L’appendice auquel a contribué Laura Huxley, inclut des
extraits concernant l’approche consciente de la mort d’Aldous Huxley à partir du livre de son épouse,
Cet Instant éternel - Une Vision personnelle d’Aldous Huxley (L. Huxley 1968)
Le Sorcier. Grotte des Trois Frères, Lascaux. Peinture rupestre de composition mystérieuse, combine
de nombreux symboles mâles : cornes de cerf, yeux de hiboux, queue de cheval sauvage, barbe
humaine et pattes de lion.
CHAPITRE PREMIER
CHAMANISME : TECHNIQUES ARCHAIQUES D’EXTASE
« Le Docteur Sorcier obtient des résultats probants pour la même raison que nous autres médecins
allopathiques. Chaque patient est son propre médecin. Les patients viennent nous voir ignorants de
cette vérité. Nous excellons lorsque nous offrons au médecin qu’il y a en chaque patient l’opportunité
de se mettre au travail ».
Albert Schweitzer, médecin, théologien, philosophe et musicien allemand
L’ENTRAINEMENT A LA MORT FONDE SUR L’EXPERIENCE date d’il y a plusieurs milliers
d’années. Nous possédons des documents archéologiques datant de l’aube de l’humanité concernant
le chamanisme, ancien art de guérison et première forme de pratique spirituelle. Le terme chamane
est très probablement dérivé du terme tunguso-manchourian saman, qui signifie « celui qui sait ».
Ce nom témoigne d’un immense respect pour la connaissance profonde de la psyché et de la nature
que possède le chamane. Dans son sens plus étroit et anthropologique, ce terme renvoie aux
guérisseurs sibériens et à leurs costumes de cérémonie, tambours à face unique, états de transe et
voyages visionnaires. Dans son sens large, ce terme a été utilisé pour une grande variété de
guérisseurs dans différentes parties du globe, qui sont également connus comme des hommes de
médecine, sorciers ou mages.
L’une des caractéristiques du chamane, lorsqu’on le compare aux autres guérisseurs, est
qu’il utilise les états holotropiques de conscience pour se guérir soi-même et pour d’autres fins. Les
chamanes ont la réputation de pouvoir établir un diagnostic, de guérir et de causer des maladies, de
communiquer avec les mondes de l’au-delà et d’utiliser leur perception extra-sensorielle pour
prédire l’avenir. Ils sont également capables de voir ce qui se passe dans des lieux éloignés, de
localiser des personnes et des objets perdus, d’influencer le climat et de contrôler le mouvement des
animaux de jeu. Ils sont perçus comme les gardiens de l’équilibre psychique et écologique des leurs,
intermédiaires entre le visible et l’invisible, maîtres des esprits et guérisseurs surnaturels.
Le chamanisme est extrêmement ancien, il a au moins 30 000 ou 40 000 ans ; ses racines les
plus reculées datent de l’époque paléolithique. Les parois des célèbres grottes dans le sud de la
France et dans le nord de L’Espagne, telles que Lascaux, Font de Gaume, les Trois frères, la Gabillou,
Altamira pour ne citer qu’elles, sont décorées de belles images d’animaux et de créatures mythiques
aux allures et aux significations étonnamment magiques et rituelles. Les images et les gravures de
figures étranges dans ces caves associent des traits humains et animaux et représentent à n’en point
douter d’anciens chamanes. Les plus célèbres d’entre elles sont celles du Sorcier de la Grotte des
Trois Frères, le Danseur de la Gabillou et le Maître des Bêtes de la Grotte de Lascaux. La scène de
chasse de la Grotte de Lascaux est également célèbre. On y voit un bison blessé et une figure
allongée de chamane avec un pénis en érection. Les origines du chamanisme sont cependant plus
anciennes, elles datent de l’époque Neandertal, de la culture de l’ours et des animaux saints, c’est à
dire de la période inter-glacière ; on les a identifiées dans des grottes suisses et dans le sud de
l’Allemagne.
Le chamanisme n’est pas seulement ancien, il est aussi universel ; on le retrouve en
Amérique du Nord et du Sud, en Europe, Afrique, Asie, Australie, Micronésie et Polynésie. Le fait que
le chamanisme ait perduré parmi tant de cultures différentes au cours de l’histoire de l’humanité
suggère que les états holotropiques que les chamanes provoquent créent ce que les anthropologues
appellent « l’esprit primaire » - aspect primordial et basique de la psyché humaine qui transcende la
Commentaire [Eva6]: Je ne suis pas
sûre de savoir ce dont il s'agit
race, le sexe, la culture et le temps. Les techniques chamaniques et leurs procédés ont survécu
jusqu’à ce jour dans les cultures qui ont échappé à l’industrialisation occidentale.
Expériences initiatiques
Le chamanisme est lié de près à la mort et à son processus. La carrière de nombreux
chamanes commence par un état visionnaire spontané. Cette crise initiatique, ou « maladie
chamanique » comme les anthropologues occidentaux ont coutume de l’appeler, prend
généralement la forme d’une profonde expérience de mort psycho-spirituelle et de renaissance et
représente un extraordinaire entraînement par l’expérience à la mort véritable. La crise initiatique
n’est pas toujours spontanée. Les chamanes expérimentés initient souvent les apprentis dans la
profession chamanique par l’utilisation de puissantes techniques d’altération de l’esprit, telles que
les plantes psychédéliques ou des combinaisons de percussions de tambours, de danses, de jeûnes et
de privation de sommeil. Ils utilisent également ces techniques dans leur propres voyages et
lorsqu’ils aident les autres.
Dans leurs états d’initiations visionnaires, les futurs chamanes font l’expérience de voyages
aux mondes des Enfers souterrains, c’est à dire au royaume des morts. Là, ils sont attaqués par des
démons vicieux et sont soumis à d’atroces souffrances. La chair est arrachée à leurs os, leurs yeux
sont extraits de leurs orbites et le sang est pompé hors de ses vaisseaux. Leurs corps est réduit en
miettes, bouilli dans des chaudrons, réduit à l’état de squelette, et démembré. Après que le chamane
novice a été complètement exterminé, les parties de son corps sont généralement distribuées parmi
les esprits de maladies variées. On pense qu’à l’avenir, le chamane sera capable de guérir les
maladies causées par les esprits du mal qui ont dévoré son corps pendant la crise initiatique. Même
si les détails de ces expériences varient considérablement en fonction des différentes tribus et des
différents chamanes, elles ont toutes en commun l’atmosphère générale d’horreur et de souffrances
inhumaines.
Au cours de son voyage au monde des morts, le chamane doit affronter des vents glacés,
des forêts en flammes, des rivières orageuses et des torrents de sang. Le monde souterrain est
dangereux et terrifiant. On y trouve des ossatures humaines, des cheveux de femmes, des lézards et
des crapauds, il est rempli d’eaux bouillantes et sombres où d’innombrables âmes crient en
agonisant. Le chamane novice peut traverser une rivière noire dangereuse et voyager dans des
barques avec des cadavres ou sur des canoës d’esprits. Les rapides sont des tourbillons de flammes
et le paysage contient des maladies, des morts et la maîtresse du Mal du monde souterrain gouverne
un village de mangeurs d’hommes. Les chamanes altaïques traversent des paysages aux forêts
glauques et aux montagnes élevées, couvertes des os de leurs prédécesseurs morts et de leurs
montures. Puis ils affrontent le Seigneur des Enfers, qui crie comme un taureau en furie et ils
l’apaisent au moyen de présents et de tours, et reviennent sur un jars sauvage14. Un chamane
Yakoute15 doit voyager dans la gorge et le corps d’un monstre serpent dont les intestins sont
couverts de pics.
Après ses expériences de mort, de démembrement et d’anéantissement total, le chamane
renaît. Il ou elle acquiert une chair nouvelle, un sang neuf de nouveaux yeux et s’élève aux royaumes
surnaturels, généralement en grimpant l’arbre du Monde, qui réunit les trois mondes et qui est relié
aux eaux printanières de la vie circulant dans toute la nature. Le chamane peut également être
transformé en oiseau tel qu’un aigle, un oiseau-tonnerre16, un faucon ou un condor et voler dans le
14
Jars : mâle de l’oie (NdT)
15
Les Yakoutes, qui se nomment eux-mêmes Sakha, constituent un peuple turc dans la république de
Yakoutie (NdT).
16
Nom d'une créature légendaire issue des croyances amérindiennes (NdT)
Commentaire [Utilisate7]: = qui
agonisent. Or tu tu veux dire « qui
provoque l’agonie ». Et y’a pas de terme
pour ça, à ma connaissance.
royaume solaire ou être transporté par un de ces oiseaux. D’autres manières archétypales
d’atteindre les royaumes surnaturels sont de grimper sur un arc-en-ciel, sur une chaîne de flèches,
sur une montagne sacrée, ou sur un pôle à neuf nœuds. De la Laponie jusqu’à la Patagonie, des
temps anciens jusqu’à aujourd’hui, les archétypes activés pendant les souffrances et les exaltations
chamaniques sont incroyablement semblables.
Dans ce processus de descente au monde souterrain, de mort, de renaissance et
d’ascension aux mondes célestes, les futurs chamanes réalisent leur identité solaire. Ils vivent une
profonde connexion aux forces de la nature et aux animaux, à la fois dans leur forme physique réelle
et dans leur forme archétypale. Dans les sagesses traditionnelles chamaniques, ces forces sont
connues comme étant des « animaux totems » et possèdent des traits uniques tels que la parole, le
fait de pouvoir apparaître en forme humaine et de naviguer dans un élément atypique (par exemple,
un mammifère terrestre, ou un serpent totem peuvent voler). Les totems ne sont pas des individus
au sens premier : ils représentent le genre ou l’espèce tout entière, comme par exemple le coyote,
l’ours, ou le corbeau. Les expériences visionnaires
de la crise initiatique apportent
traditionnellement de grands aperçus sur la nature et l’origine des maladies et ils aident les futurs
chamanes à se guérir des problèmes émotionnels ou psychosomatiques, et même des désordres
physiques qui avaient précédemment tourmenté leurs vies. C’est pour cette raison que les
anthropologues se réfèrent souvent aux chamanes comme étant des « guérisseurs blessés ».
Pour être reconnu chamane, il faut réussir à aller jusqu’au bout de la crise initiatique,
intégrer les impressions réussies et parvenir à un fonctionnement adéquat supérieur dans la réalité
de tous les jours. L’expérience d’un état holotropique radical n’est pas suffisante en elle-même pour
transformer un individu en chamane. Les cultures primitives ne sont pas capables de distinguer les
vrais chamanes des personnes malades ou folles. Les bons chamanes sont capables de rentrer dans
des états holotropiques selon leur bon vouloir, de façon contrôlée et dans un but spécifique tel que
la guérison, la perception extrasensorielle et l’exploration de dimensions alternées de la réalité. Ils
peuvent également provoquer de tels états chez d’autres membres de leur tribu et jouer le rôle de
« psychopompes » dans lequel ils offrent l’appui et le guidage nécessaires à ceux qui traversent les
territoires complexes de l’Au-Delà.
Ce compte rendu de l’initiation d’un chamane Avam Samoyed17 pris en note par A.A. Popov
illustre les expériences qui ouvrent les individus à une carrière chamanique.
Accablé par la variole, le futur chamane demeure inconscient pendant trois jours.
Au troisième jour, il avait déjà l’air tellement mort on se décide à l’enterrer. Il se voit
descendre en Enfer et après de nombreuses aventures, il est emmené sur une île, sur
laquelle se trouve un jeune bouleau qui mène au Paradis. C’est l’arbre du Seigneur de la
Terre et le Seigneur lui en donne une branche pour qu’il se fabrique un tambour. Puis, il
arrive au pied d’une montagne, passe devant une ouverture, et rencontre un homme nu
devant un feu immense au-dessus duquel est accrochée une bouilloire. L’homme attrape le
chamane à l’aide d’un crochet, lui coupe la tête, tranche son corps en petits morceaux et les
jette dans la casserole. Là, il fait bouillir le corps pendant trois ans, puis il lui forge une tête
sur une enclume. Finalement, il repêche les os qui flottent dans la rivière, les assemble et les
recouvre de chair. Pendant ses aventures dans l’Autre Monde, le chamane en devenir
rencontre plusieurs personnages semi-divins de forme animale ou humaine, et chacun
d’entre-eux lui révéle des doctrines ou lui enseigne des secrets pour l’art de la guérison.
Lorsqu’il se réveille dans sa yourte18 au milieu des membres de sa famille, le chamane est
initié et peut entrer en fonctions. (Popov, 1936)
17
18
Peuple de Sibérie (NdT)
Yourte : habitat traditionnel (tente en peau ou en feutre) des nomades mongols et turcs qui vivent en
Asie centrale, notamment au Kirghizstan, au Kazakhstan et au Karakalpakistan. L'étymologie du mot est
d'origine turque yurt. (NdT)
Un mythe yakoute décrit les souffrances associées à la naissance des chamanes :
La mère des animaux, grand aigle femelle aux plumes de fer, griffe, donne des coups de
bec, et fait éclore les futurs chamanes : les grands, sur les hautes branches de l’arbre, et les
plus petits sur les branches inférieures. Le bébé est confié à une chamanesse esprit qui n’a
qu’un seul œil, une seule main et une seule jambe. Elle lui donne du sang à manger dans un
berceau de fer et ensuite elle le confie à trois esprits noirs qui le réduisent en pièces et qui
éparpillent ses restes. Le chamane sera capable de guérir les maladies auxquelles il a été
donné un morceau de sa chair. Les grands chamanes sont démembrés à trois reprises.
Même si le chamanisme des peuples sibériens et ouralo-altaïques a reçu une attention de
premier ordre tant de la part des anthropologues que des ethnographes, des pratiques similaires et
des expériences comprenant des maladies initiatiques, existent parmi les peuples d’Asie du Sud,
d’Australie, d’Océanie, d’Afrique et les Indiens d’Amérique du Nord et du Sud. D’après Mircea Eliade,
figure d’autorité s’il en est, les chamanes ont contribué considérablement à la connaissance de la
mort et aux expériences qui lui sont associées (Géographie Funéraire, Eliade 1964). Les histoires de
leurs voyages sont également parmi les sources les plus importantes de la mythologie
eschatologique. A travers les nombreux voyages magiques, le monde inconnu et terrifiant de la mort
prit forme et devint progressivement de plus en plus acceptable à leur peuple. Petit à petit, le
domaine de la mort devint facile à connaître, et on commença à voir la mort elle-même de façon
primaire comme un rite de passage à un mode d’être spirituel.
Le potentiel de guérison et de transformation de la crise chamanique
Mircea Eliade s’est référé au chamanisme comme étant la « technique d’extase archaïque »
dans le sens de son sens grec étymologique - sortir hors de soi, ex-stasis. Les voyages visionnaires des
chamanes ne sont pas toujours heureux et joyeux ; ils sont souvent sombres et agonisants. Comme
nous le verrons au chapitre 8, beaucoup d’expériences caractérisant la crise initiatique des
chamanes, tels que l’engloutissement, la soumission à des expériences extrêmes émotionnelles et
physiques, l’épreuve du feu, l’exposition à des matériaux scatologiques et le démembrement sont
connus des séances de sujets psychédéliques qui se focalisent sur le procédé mort et de renaissance
psychospirituelle.
La psychologie et l’anthropologie traditionnelles ont tendance à coller des étiquettes
pathologiques aux crises psychospirituelles des chamanes et aux chamanes eux-mêmes. Le
diagnostic va de la schizophrénie à la limite de la psychose et de l’épilepsie, jusqu’à l’hystérie et à la
« défense culturellement constituée ». La crise chamanique diffère de la schizophrénie. Elle a une
phénoménologie inhabituelle et l’accent est mis sur les dimensions mystiques, sur la détérioration
abrupte de la personnalité, et sur le fonctionnement supérieur dans la culture. Les maîtres chamanes
sont à l’aise dans le non-ordinaire et dans la réalité ordinaire, et ils agissent de manière tout aussi
efficace dans ces deux domaines. Ils participent traditionnellement aux affaires politiques, sociales et
économiques, en tant que chasseurs, jardiniers, fermiers, politiques et artistes, et en tant que
membres de familles responsables. Les chamanes disposent d’une importante énergie et endurance,
d’un grand niveau d’intelligence et de grandes facultés de leadership. Ils ont une compréhension
supérieure des mythes et des rituels mais surtout, ils ont une profonde connaissance des territoires
expérimentaux de la mort.
La conscience moderne, la recherche et le travail psychothérapeutique avec les individus
qui vivent des épisodes spontanés d’états de conscience non-ordinaires ont apporté une perspective
radicalement nouvelle à la maladie chamanique. Bien comprises, les crises psychospirituelles de
toutes sortes peuvent avoir pour résultat la guérison, l’ouverture spirituelle et une profonde
transformation de la personnalité. Elles peuvent également offrir de profondes visions dans la nature
et les dimensions de la psyché humaine émotionnelle, dans les désordres psychosomatiques et dans
la nature de la réalité. Les crises initiatiques chamaniques appartiennent ainsi à une vaste catégorie
d’expériences qui peuvent rompre les structures solides de l’ego et les reconstruire de façon positive.
(Dabrovski,1967, Silverman 1967, Perry 1974 et 1976). Plutôt que d’être les manifestations de
maladies mentales, les crises psychospirituelles représentent des « urgences spirituelles » et offrent
le potentiel pour guérir et pour une transformation en profondeur (Grof et Grof 1990).
CHAPITRE DEUXIEME
RITES DE PASSAGE : MORT ET RENAISSANCE DANS LES
TRANSFORMATIONS RITUELLES
« Etes-vous prêts à être réduits en miettes, effacés, annulés, réduits à néant ? Etes-vous prêts à être
réduits à néant ? A être relégué aux oubliettes ? Si ce n’est pas le cas, vous ne changerez jamais
vraiment ».
-D.H. Lawrence, Phoenix
LES EVENEMENTS RITUELS OU RITES DE PASSAGE constituent un autre exemple important
d’institutions sanctionnées socialement ayant offert des entraînements empiriques à la mort dans les
civilisations anciennes et les cultures primitives. Ce terme a été inventé par l’anthropologue
hollandais Arnold Van Gennep, qui a reconnu leur importance et leur répartition universelle et qui a
écrit son premier traité scientifique à ce sujet (Van Gennep 1960). Les cérémonies de ce type ont
existé dans chaque culture primitive et se déroulent encore dans bien des sociétés préindustrielles.
Leur objectif premier est de redéfinir, transformer et consacrer les individus, les groupes et les
cultures elles-mêmes.
Les rites de passage sont à l’origine de changements radicaux dans la vie d’un individu ou
d’une culture. Le moment où ils ont lieu coïncide généralement avec les changements
psychologiques majeurs tels que la naissance d’un enfant, la circoncision, la puberté, le mariage, la
ménopause et la mort ; occasions où le corps, la psyché, le statut social et le rôle sacré des initiés
changent de manière significative. Des rituels similaires sont également associés à l’initiation au
statut de guerrier, à l’acceptation dans des sociétés secrètes, aux fêtes ou aux renouveaux dans le
calendrier et aux établissements de groupes humains dans de nouveaux territoires.
Dans les civilisations occidentales industrielles, les moments de transition majeure d’un
moment de la vie à un autre sont généralement perçus de manière négative. Cela vaut certainement
pour la puberté, l’âge moyen, la vieillesse et bien sûr la mort. Même la naissance a pris un tour
négatif dans notre culture, culture dans laquelle la mère accouchant est reléguée au rôle de patient
et se voit accoucher dans un hôpital. Les personnes âgées sont, elles aussi, dénigrées tout comme
celles atteintes de maladies (surtout celles qui sont désignées par l’expression« malades en phase
terminale »). Situées entre la vie et la mort, ces personnes ne sont plus des entités sociales fiables ;
c’est pour cette raison que les mourants sont vus comme des fardeaux sociaux et économiques.
Etapes traditionnelles des rites de passage
Commentaire [Eva8]: Spiritual
emergencies
Arnold Van Gennep a reconnu que dans les cultures qu’il a étudiées, ce genre de rituels
suivaient un canevas-type avec trois étapes distinctes : la séparation, la transition et l’incorporation.
Dans la première étape, la séparation, les individus initiés sont éloignés de leurs origines sociales :
famille, clan et autres membres de la tribu. Pendant la période d’isolement qui suit, ils peuvent être
complètement seuls ou partager cette situation déstabilisante avec leurs pairs. La perte de leur base
familiale et l’absence d’une base nouvelle pour la remplacer, les relègue à un état indéterminé de
liminalité, condition limbique décrite par l’anthropologue comme étant « un entre-deux ». Les initiés
réagissent généralement à cette situation par une sensation de douleur profonde liée à la perte de
l’ancien mode de vie et ils peuvent également avoir peur du déracinement, de l’inattendu et de
l’inconnu. En ce sens, leur expérience est très semblable à une situation de crise spirituelle, où la
réalité familière est remplacée par les défis du monde intérieur. Cependant, dans les initiations de
groupe dirigées dans les rites de passage des tribus, cette effrayante période de séparation a un côté
positif : les néophytes développent un sens profond de l’appartenance à la même communauté.
A ce moment-là, les aînés racontent les cosmologies et les mythologies de cette culture et
préparent les initiés à l’étape suivante du rituel : la transition. Une préparation exhaustive est
essentielle à l’obtention des meilleurs résultats dans le processus de transformation. Les initiés
obtiennent beaucoup de choses de cette information de manière indirecte : à travers les histoires
mythologiques, les chansons et les danses. Les aînés partagent aussi leurs connaissances sur les
territoires expérimentaux avec les initiés qui sont sur le point de les traverser. Ainsi les initiés
apprennent-ils que le voyage qu’ils sont sur le point d’entreprendre, aussi étrange et effrayant qu'il
puisse paraître, a une dimension éternelle. Il a été entrepris et sera entrepris par bien d’autres – par
les ancêtres sacrés aussi bien que par les initiés passés et futurs. Le fait de connaître la nature
universelle de ce processus peut être rassurant pour les néophytes et peut les aider à faire face aux
aspects difficiles du processus de transformation.
Dans l’étape suivante, que Van Gennep a appelée transition, les néophytes passent d’un
savoir à dominante intellectuelle à des expériences profondes d’états de conscience holotropiques
créés par des procédés puissants d’altération de l’esprit : des « technologies du sacré ». Ces
méthodes combinent des battements de tambour et d’autres percussions, de la musique, du chant et
des danses rythmées, des changements respiratoires et le développement d’états de conscience
particuliers. L’isolement social et sensoriel tel que le fait de rester dans une cave ou dans le désert,
dans les glaces de l’Arctique ou dans les montagnes élevées joue aussi un rôle important dans la
création d’états holotropiques. Les interventions physiologiques les plus extrêmes incluent privation
de sommeil, déshydratation, jeûne, utilisation de puissants laxatifs et purgatifs, saignées massives,
mutilation des organes génitaux et soumission à d’atroces douleurs. La nature extrême de ces
techniques accentue la valeur que de nombreux groupes humains ont généralement attribuée aux
états holotropiques.
Parmi les technologies du sacré les plus puissantes se trouvent les plantes psychédéliques.
Leur utilisation à des fins rituelles et spirituelles date d’il y a des milliers d’années. La potion
légendaire appelée « haoma » dans le texte persan Zend Avesta, et « soma » en Inde, a été utilisé par
les tribus indo-iraniennes il y a des milliers d’années et elle a certainement été l’inspiration la plus
puissante des religions et de la philosophie védiques. Les préparations à partir de différentes variétés
de chanvre ont été fumées et ingérées dans les pays orientaux, en Afrique et dans la zone des
Caraïbes pour le plaisir, lors de fêtes et lors des cérémonies religieuses, sous des noms divers
(hachich, charas, bhang, ganga, kif, marijuana). Elles ont représenté un sacrement important pour les
divers groupes tels que les brahmanes, les ordres soufis, les anciens skythians, et les ratafarians de la
Jamaïque.
L’utilisation de substances psychédéliques a également une longue histoire en Amérique
centrale. Des plantes d’altération de l’esprit hautement efficaces étaient bien connues dans les
cultures préhispaniques comme les cultures aztèque, maya, et toltèque. Les plus célèbres d’entre
elles sont le cactus peyote (Lophophora williamsii), le champignon sacré teonanacatl (Psilocybe
mexicana), et les graines d’ololuiqui, la plante glorieuse du matin (Ipomoca violacea et Turbina
corymbosa). Ces plantes ont été utilisées comme sacrements jusqu’à ce jour par les Huichol, Mzatec,
Chichimeca, Cora et d’autres tribus indiennes mexicaines, ainsi que l’Eglise des indiens natifs
d’Amérique.
La célèbre yajé ou ayahuasca est une décoction d’une liane de la jungle (Banisteriopsis
canapi) combinée à d’autres additifs. La zone amazonienne et les îles des Caraïbes sont également
connues pour leur ample variété de substances psychédéliques. Les tribus aborigènes d’Afrique
ingèrent et inhalent des préparations à partir de l’arbuste iboga (Tabernanthe iboga). Ils les utilisent
en petites quantités comme stimulants et à plus fortes doses au cours des rituels d’initiation pour
hommes et femmes. Les composantes psychédéliques d’origine animale incluent les sécrétions de la
peau de certains crapauds (Bufo alvarius) et la chair du poisson pacifique (Kyphosus fuscus). Cette
liste n’est qu’une petite fraction des substances psychédéliques utilisées à travers les siècles dans les
rituels et dans la vie spirituelle de nombreux pays dans le monde.
Des combinaisons variées de ces pratiques entraînent chez les initiés de profondes
expériences entraînant la guérison, l’ouverture à la spiritualité, les profondes altérations de la
personnalité, et un niveau d’intégration plus profond. De telles expériences prennent généralement
la forme de mort et de renaissance psychospirituelle et rencontrent les dimensions mystiques de la
réalité. Dans le contexte de tels rituels, ces expériences sont ensuite interprétées comme étant la
mort de l’ancien rôle et la renaissance à un rôle nouveau. Par exemple, dans les rites de la puberté,
les initiés entrent dans les rites en tant que garçons ou filles et en ressortent comme adultes avec
tous les droits et les devoirs qui incombent à ce statut.
La troisième étape dans la triade de Van Gennep est celle de l’incorporation. Au cours de
cette étape l’individu est réintégré dans sa communauté avec un nouveau rôle défini par le type de
cérémonie : en tant qu’adulte, personne mariée, parent, guerrier, et ainsi de suite. Dans un rite de
passage, l’individu ou le groupe social laisse derrière lui un mode d’être et après avoir traversé une
période de liminalité, il passe à une condition totalement nouvelle. Les personnes nouvellement
initiées ne sont pas les mêmes que celles qui ont intégré le processus d’initiation. Ayant traversé une
profonde transformation psychospirituelle, ils ont une connexion personnelle aux nombreuses
dimensions de l’existence, une vision du monde bien plus étendue, une meilleur image de soi, et un
système de valeurs différent. Comme ils ont affronté et survécu à une expérience convaincante
d’annihilation personnelle, ils ont transcendé leur identification à leur corps et à leur ego, ils ont
perdu la peur de la mort et ont acquis une nouvelle attitude face à la vie.
Le rite de passage de l’Okipa
Le festival Okipa dans le Mandans, tribu d’indiens des plaines d’Amérique du Nord qui
vivaient dans la rivière du Missouri, constitue un rite de passage puissant et complexe. Ce rituel qui
impliquait d’atroces douleurs physiques et des mutilations, montre à quel point certaines cultures
accordaient de valeur aux expériences de transformation et à quel point ils étaient désireux de les
mener à bout. On peut affirmer sans se tromper qu’il n’y a pas de rites de passages aussi radicaux ni
aussi élaborés que le festival Okipa. Même si l’origine de ce rituel était l’initiation des jeunes gens à
l’âge adulte et au statut de guerrier, cela incluait également des danses de cérémonie dans le but
d’assurer de bonnes chasses de buffles et d’apaiser les Esprits du Mal, ainsi qu’une célébration de la
fin des crues mythologiques.
Le rituel Okipa commence par une figure de cérémonie représentant le Premier Homme,
l’ancêtre originel. Il est peint à l’argile blanche, porte une robe splendide et conduit le groupe de
jeunes mâles initiés recouverts d’argile de couleurs différentes au lieu où se déroulera la cérémonie.
Après avoir fumé sa pipe de médecine sacrée, le « Premier Homme » tient aux initiés un discours
intéressante et désigne un vieil homme de médecine comme maître de cérémonie. Ce maître fait en
sorte qu’aucun des jeunes gens ne s’échappe du logement, ne mange ou ne boive pendant les quatre
jours de préparation à l’épreuve. A travers les prières, il maintient également la connexion avec le
Grand Esprit, priant pour le succès de son entreprise. Pendant ce temps de préparation, le reste de la
tribu se réunit dehors ou met en place de nombreux rituels et pourvoit à diverses formes
d’amusements autour du Grand Canoë, destiné à rappeler la crue. Ils chantent de nombreuses
prières aux Grands Esprits, leur demandant de leur apporter continuellement des buffles et
d’encourager les jeunes initiés. Une grande partie de leur énergie est axée sur les invocations de
l’Esprit du Mal, O Kee-Hee-Dee. Ce genre d’efforts pour en finir avec les aspects sombres de
l’existence est caractéristique des rites de passage et des cérémonies de guérison de nombreuses
cultures.
Au quatrième jour, une figure masquée représentant O-Kee-Hee-Dee, apparaît finalement,
presque nue et peinte majoritairement en noir avec un peu de blanc. Orné d’un pénis colossal en
bois avec un membre noir et une tête vermillon, il fait irruption dans le village, et court
frénétiquement dans tous les sens, poursuivant des femmes et semant la zizanie. La panique
générale et le chaos continue à grandir jusqu’à atteindre un point où le maître de cérémonie affronte
l’Esprit du Mal et l’immobilise par le charme de sa pipe sacrée. O-Kee-Hee-Dee, au moyen de son
pouvoir magique est tourné en dérision, ridiculisé et humilié particulièrement par les femmes et
chassé hors du village.
Le retour triomphant des femmes avec son gigantesque pénis en guise de trophée était le
signal du début des épreuves dans les logements. Là, les jeunes initiés sont élevés au-dessus du sol
au moyen de cordes attachées à des brochettes qui percent leur corps. De lourds poids tels que des
boucliers, des arcs, des carquois et des crânes de buffles sont suspendus aux brochettes et posés sur
le sol. Lorsqu’ils reviennent à eux, leurs auriculaires sont découpés et offerts au Grand Esprit.
La dernière étape de la cérémonie Okipa est la Dernière Course. Avec les poids encore
attachés à leurs corps, les jeunes gens sont emmenés à la zone de cérémonie où ils courent en
faisant de grands cercles, traînant les poids derrière eux, chacun se battant pour tenir plus longtemps
que son voisin, sans s’écrouler ou « mourir » ainsi que cela s’appelait. Même après qu’ils se sont
évanouis, complètement épuisés par l’exercice physique et la douleur atroce, les initiés sont trainés
jusqu’à ce que tous les poids se détachent de leur chair. Leurs corps déchiquetés restent allongés par
terre jusqu’à ce qu’ils reprennent conscience. Ils titubent au milieu de la foule jusqu’à leur loges où
ils sont accueillis par leurs familles qui les félicitent pour leur grande réussite. Les jeunes immatures
qu’ils avaient été, sont considérés morts pendant cette épreuve, et nés à nouveau en tant qu’adultes
et guerriers courageux.
Bien que ces pratiques puissent sembler extrêmes aux yeux d’un Occidental, les cérémonies
de ce type accroissent traditionnellement plusieurs attributs clefs : le bien-être émotionnel et
physique, le sens de la force personnelle et de l’indépendance, les sentiments de profonde
connexion avec la nature et le cosmos, et le sens de l’appartenance sociale et de la cohésion. Les
expériences intérieures et les événements extérieurs à ce rite de passage communiquent aux
néophytes un message profond, la vision profonde de tout processus de transformation humain
comprenant les urgences spirituelles : on peut souffrir à travers le chaos de liminalité et de la mort,
traverser une expérience d’annihilation et de mort et ré-émerger en se sentant guéri, né à nouveau,
rajeuni, et plus fort qu’avant. Cette conscience réduit grandement la peur de la mort et augmente la
capacité à apprécier la vie. Une telle transformation bénéficie profondément non seulement aux
individus initiés mais aussi à la communauté tout entière.
Dans le rite de passage Okipa, une partie significative de l’épreuve de transformation était
jouée de manière réaliste et concrète ; cependant, ce n’est pas là la seule possibilité. De nombreuses
techniques d’altération de l’esprit d’un genre beaucoup moins violent peuvent déclencher des
séquences similaires de souffrance, de mort et de renaissance, en activant les reposoirs intérieurs de
la psyché, sans qu’aucun dommage ne soit fait au corps. Une expérience purement symbolique de la
sorte peut avoir un impact identique. Chez les individus vivant un éveil spirituel, des épisodes de ce
type arrivent souvent de manière spontanée. Même une comparaison superficielle révèle que bien
des aspects de ces rites de passage sont liés de près à la phénoménologie des expériences
psychédéliques et holotropiques qui ont leur origine au niveau périnatal (lié à la naissance) de
l’inconscient. (Il est question du niveau périnatal de l’inconscient au chapitre 8).
Thèmes de la naissance, du sexe et de la mort dans les rites de passage
Les expériences intérieures des initiés dans ces rituels impliquent un mélange unique de
thèmes liés à la naissance, au sexe et à la mort : cette triade caractérise les expériences associées au
fait de revivre la dernière étape de la naissance (voir chapitre 8). Le symbolisme externe utilisé dans
les procédures initiatiques reflète le même amalgame étrange de ces trois aspects importants de la
vie. Par exemple, on peut se référer à la hutte d’initiation comme à un vagin ou à un utérus, et ce
même terme signifie souvent aussi, mort. Dans certaines cultures, le terme utilisé pour gestation
s’applique également pour l’enterrement et pour les initiations rituelles. Inversement des tombes
sont également construites en forme d’utérus, et les morts sont enterrés en position fœtale. On se
réfère souvent aux femmes enceintes comme étant mortes et elles renaissent après leur
accouchement. Dans la tribu de Nouvelle Guinée Iatmul, l’entrée de la hutte d’initiation est appelée
porte clitoridienne.
Les rites de passages utilisent souvent des allusions symboliques à la naissance biologique
pour appuyer l’expérience de la « seconde naissance » et de la transformation rituelle. On arrache
souvent les vêtements des initiés, leurs têtes et leurs corps sont souvent tondus, du sang d’animaux
sacrificiels est versé sur leurs têtes, et leurs cuirs chevelus peuvent être salis de matières fécales.
Dans certains cas, les initiés sont ensevelis pendant plusieurs jours dans des cachettes. De telles
pratiques ont clairement pour but de recréer la situation de vie prénatale, de naissance et de soins
postnataux. Les souffrances émotionnelles et physiques, la séparation douloureuse et la lutte pour la
survie qui existe dans de nombreux rites de passage ressemble de près aux phénomènes qui
caractérisent les expériences périnatales, à la fois dans la vie réelle, dans la vie symbolique, et dans
les états de conscience holotropiques. Dans les sessions périnatales, des expériences de mort
psychospirituelle et de renaissance sont typiquement mélangées au fait de revivre la naissance
biologique et elles ont souvent une composante sexuelle importante. Dans les rites de passage, la
rencontre avec la mort, qui est une partie intégrante de la naissance peut être mise en scène de
façon tellement réaliste que l’initié peut encourir un véritable risque de trauma physique ou même
de destruction biologique.
La similitude entre les rites de passage et le processus périnatal dans le travail expérimental
profond peut être vu non seulement en relation avec le contenu spécifique de ces deux choses, mais
aussi dans le canevas général. L’étape de séparation de Van Gennep met cela en parallèle avec le
début de l’accouchement biologique, lorsque les contractions utérines compressent les artères
apportant ainsi de l’oxygène et nourrissant le fœtus, et le col utérin est encore fermé. Cette
interruption de la circulation du placenta entre la mère et l’enfant coupe la connexion significative
entre eux, et les sépare effectivement l’un de l’autre. L’étape de transition de Van Gennep,
correspond ensuite à l’expérience de passage à travers le canal de naissance après l’ouverture du col.
Cette lutte entre la mort et la naissance marque la transformation radicale de l’organisme aquatique
(le fœtus) en un organisme respirant de l’air (le nouveau-né). Finalement, l’étape de corporation de
Van Gennep a son équivalent périnatal dans la réunion de l’enfant avec sa mère après l’expérience
de la (re)naissance.
Implications de la société
Les rites de passage sont des événements culturels et spirituels au cours desquels les initiés
peuvent faire l’expérience, affronter et exprimer de puissantes émotions et les énergies associées
aux matrices périnatales et transpersonnelles que nous gardons tous au fond de notre psyché. En
raison de la nature élémentaire des forces psychologiques qui y sont impliquées, les manifestations
incontrôlées agissant par le biais de ces énergies pourraient être destructrices à la communauté.
Dans ce contexte, il est important de considérer les conclusions d’Arnold Van Gennep, Victor Turner,
Margaret Mead, Mircea Eliade et d’autres anthropologues célèbres : à savoir que les rites de passage
sont des institutions d’importance cardinale pour la cohésion et le fonctionnement harmonieux de
toute la communauté (Van Gennep, 1960, Mead 1973, Eliade 1958).
Ainsi l’absence de rites de passage significatifs peut contribuer aux formes variées de
psychopathologie sociale observées dans la société contemporaine. Beaucoup d’impulsions de
nature destructive et antisociale au lieu d’être jouées, exprimées et sanctionnées socialement d’une
façon sûre dans un contexte structuré et sacré, s’écoulent insidieusement dans notre vie de tous les
jours, se manifestant ainsi dans bon nombre de problèmes sociaux et individuels. Beaucoup de
chercheurs ont suggéré que les manifestations sexuelles outrancières, la délinquance, ainsi que
l’abus d’alcool et de produits narcotiques parmi les adolescents dans les pays industrialisés, pourrait
être résolus par des rites de passages significatifs pour ce groupe d’âge. (Mead 1973, Mahdi, Foster,
et Little 1987 ; Madhi, Christopher et Mead 1996).
CHAPITRE 3
MYSTERES ANCIENS DE MORT ET DE RENAISSANCE
« Rien n’est plus élevé que ces mystères. Ils ont adouci notre caractère et adouci nos coutumes ; ils
nous ont fait passer de la condition de sauvages à celle de véritables humains. Ils nous ont non
seulement montré comment vivre de manière joyeuse, mais ils nous ont aussi appris à mourir avec
esprit. »
Cicéron, décrivant les Mystères d’Eleusis (De Legibus)
LES MYSTERES de la mort et de la renaissance représentaient aussi une forme importante
d’entraînement empirique à la mort dans l’Antiquité. Ces événements rituels étaient fondés sur les
histoires mythologiques et mettaient en scène plusieurs déités qui mouraient et qui étaient
ramenées à la vie ou qui visitaient les Enfers, le royaume des morts et rentraient chez elles saines et
sauves. Comprendre les dynamiques de ces mystères et leur relation aux histoires de la mort et de la
renaissance de dieux et de héros requiert une interprétation totalement nouvelle de la nature et de
la fonction de ces mythes. Les mythes sont traditionnellement considérés comme étant des produits
de l’imaginaire humain. Cependant, le travail de C.G. Jung et de Joseph Campbell a apporté une
lecture radicalement nouvelle de la mythologie. D’après ces deux penseurs influents, les mythes ne
sont pas des histoires fictives relatant les aventures de personnages imaginaires dans des pays
inexistants. Ils ne sont donc pas de simples produits arbitraires de l’imaginaire humain. Les mythes
ont plutôt leur origine dans la conscience collective de l’humanité et sont des manifestations des
principes primordiaux de l’organisation de la psyché et du cosmos. Ce que Jung appelait des
archétypes (Jung 1976).
Archétypes et monde imaginaire
Les archétypes sont des principes éternels qui sous-tendent, forment et informent la
structure du monde matériel. La tendance à interpréter le monde par des principes archétypaux
émergea d’abord en Grèce ancienne et ce fut l’un des jugements plus étonnants de la culture et de la
philosophie grecques. Les archétypes peuvent être vus depuis diverses perspectives (Tarnas 2006).
Dans les épopées d’Homère, ils prirent la forme de personnalités mythologiques ou de déités, telles
que Zeus, Poséidon, Héra, Aphrodite ou Arès. Dans la philosophie de Platon, ils étaient décrits
comme étant des principes métaphysiques purs, des idées transcendantes, des formes ou des archai
divins qui existaient de manière indépendante dans un royaume inaccessible aux perceptions
humaines ordinaires. A l’époque moderne, C. G. Jung raviva et reformula le concept d’archétypes, les
décrivant essentiellement comme des principes psychologiques (Jung 1959).
Pendant plusieurs siècles, deux écoles de philosophie ont débattu sur la nature des idées de
Platon. Pour les réalistes19, elles sont ontologiquement réelles et supérieures au monde matériel. Les
nominalistes20 eux, les ont vu seulement comme des noms, des abstractions des objets que nous
rencontrons chaque jour dans nos vies. La psychologie moderne et la recherche sur la conscience ont
appuyé le point de vue des réalistes. Les Jungiens qualifient le monde des figures archétypales et de
leurs royaumes d’« imaginal », afin de le distinguer des produits imaginaires de l’esprit humain
individuel. Même si l’on y a accès par l’exploration intrapsychique, le monde imaginal a une existence
objective, et ceux qui en font l’expérience peuvent atteindre un accord consensuel sur bon nombre
de ses aspects.
Les archétypes sont des essences éternelles, des principes d’ordre cosmique qui peuvent
aussi se manifester comme des personnifications mythiques ou comme des déités spécifiques de
cultures variées. Ils s’expriment à travers la psyché des individus et dans ses procédés profonds, mais
n’ont pas leur origine dans l’esprit humain et ne sont pas ses produits. Ils commandent la psyché de
l’individu et fonctionnent comme principes gouvernementaux de la psyché. D’après les derniers
travaux de Jung, les archétypes sont « psychoïdes » par nature ; ils opèrent dans la zone
intermédiaire entre la conscience et la matière. Ils forment non seulement le processus dans la
psyché humaine mais aussi les événements dans le monde physique et dans l’histoire humaine.
James Hilman propose une brillante description des archétypes dans la préface à son livre
Revisualisation de la psychologie:
Toutes les façons de parler des archétypes sont des traductions d’une métaphore à une
autre. Même les définitions sobres dans le langage de la science ou de la logique sont
moins métaphoriques qu’une image qui présente les archétypes comme des idées racines,
des organes psychiques, des figures mythiques, des façons typiques d’exister, ou des
fantasmes dominants qui gouvernent la conscience. Il y a bien d’autres métaphores pour
les décrire : potentiel immatériel de leur structure, comme les cristaux invisibles dans une
solution ou des formes dans des plantes qui apparaissent soudainement sous certaines
conditions ; modèles de comportements instinctifs (comme ceux des animaux) qui dirigent
sans équivoque nos actions; genres et topoï21 en littérature ; schémasrécurrents en
histoire ; syndromes de base en psychiatrie ; modèles de pensée paradigmatiques en
science ; figures, rites et relations humaines à travers le monde en anthropologie (Hillman
1977)
19
Réalisme : courant philosophique né à de l’époque de Platon entre l’empirisme et l’idéalisme. Le
réalisme a pour point de départ la chose telle qu’elle se donne à moi. Pour Platon, la réalité sensible est une
copie de l’intelligible (monde des Idées, le Bien, le Beau, le Juste. Voir dans la République, l’Allégorie de la
Caverne). La philosophie scolastique médiévale est majoritairement réaliste. Le nominalisme s’oppose au
réalisme à propos du statut des concepts universaux (à savoir si ce sont des mots, des fictions de l'esprit, ou
des choses réelles). (NdT)
20
Nominalisme : doctrine de pensée fondée par Roscelin qui a vu le jour au sein de la scolastique
médiévale. Pour les Nominalistes, les concepts mentaux n’ont pas d’autre universalité que celle de l’esprit qui
les observe. Un des plus grands représentants du nominalisme est Guillaume d’Ockham XIVème siècle. Sa
doctrine fut considérée comme hérétique car elle conduisait à la banalisation de la Trinité Chrétienne. Dans les
Védas. Ramakrishna était un prêtre du temple de la déesse Kali. (NdT)
21
Τοποί : lieux communs (NdT)
Dans la mythologie, les figures archétypales, les royaumes et les thèmes dans leur forme la
plus générale et abstraite sont universellement distribués : des variations spécifiques de ces motifs
mythologiques de base existent dans différentes cultures et périodes de l’histoire. Par exemple, un
puissant archétype universel, comme celui de la Grande Déesse Mère, prend dans les différentes
cultures des formes spécifiques : Isis, la Vierge Marie, Cybèle, ou Kali22. De la même façon, les
concepts de Ciel, de Paradis et d’Enfer se retrouvent dans bien des cultures du monde mais leur
forme spécifique varie d’une civilisation à l’autre. Cela vaut également pour les figures éternelles
telles que la belle-mère marâtre, le fils prodigue, ou la mort et la renaissance des dieux et des héros.
« L’inconscient collectif », terme Jungien pour désigner le lieu où résident les archétypes, représente
une culture d’héritage partagée par toute l’humanité et par tous les âges.
Le Héros aux mille et un visages
En 1948, après avoir étudié pendant des années les mythologies de différentes cultures du
monde entier, Joseph Campbell publia son livre révolutionnaire, Le Héros aux mille et un visages,
ouvrage qui, par la suite, influença la recherche et la compréhension dans ce domaine (Campbell
1968). En analysant un large éventail de mythes de divers pays du monde, Campbell s’aperçut qu’ils
contenaient tous des variations d’une formule archétypale universelle, qu’il appela « monomythe ».
Il s’agit de l’histoire d’un héros, soit mâle ou femelle, qui quitte sa terre natale, vit des aventures
fabuleuses et rentre chez lui comme être déifié. Campbell observa que le voyage du héros a
traditionnellement trois étapes, semblables à celles décrites plus haut comme séquences
caractéristiques dans les rites de passage : séparation, initiation et retour. Le héros quitte sa terre
natale, ou en est séparé par des circonstances contraignantes, est transformé par une série
d’épreuves et d’aventures extraordinaires, et est finalement réintégré à sa société originelle avec un
nouveau rôle.
Un mythe traditionnel de ce voyage héroïque commence lorsque la vie ordinaire de ce
protagoniste est soudainement interrompue par des événements magiques par nature et qui
appartiennent à une réalité d’un tout autre ordre. Campbell se réfère à cette invitation aux aventures
comme étant un « appel ». Si le héros répond à cet appel et accepte le défi, il ou elle s’embarque
dans un périple qui implique es voyages dans des territoires étranges, des rencontres avec des
animaux fantastiques et des êtres surnaturels, et bien d’autres épreuves. Cette aventure culmine
souvent en une expérience de mort et elle est suivie d’une renaissance. Après avoir terminé son
voyage, le héros rentre chez lui et mène une vie emplie de toutes sortes de récompenses en tant
qu’être divin, meneur du monde, guérisseur, devin ou maître spirituel. Selon les propres mots de
Campbell, la formule qui peut servir de base au voyage du héros, peut être résumée comme suit : «
un héros s’aventure depuis un monde quotidien jusqu’à ce qu’il arrive à une région de merveilles
surnaturelles ; là, des forces fabuleuses se retrouvent et une victoire décisive est remportée ; le
héros rentre chez lui à la fin de cette aventure mystérieuse avec le pouvoir de gratifier ses
camarades de bénédictions».
L’intellect inquisiteur et incisif de Campbell est allé au-delà de la simple reconnaissance de
l’universalité de ce mythe dans l’espace et le temps. Sa curiosité le conduisit à se demander ce qui
rend ce mythe universel. Pourquoi le thème du voyage du héros s’applique-t-il aux cultures de tous
les temps et de tous les lieux, même si elles diffèrent par ailleurs par bien d’autres aspects ? La
réponse faite par Campbell a la simplicité et la logique de tous les points de vue qui peuvent être
qualifiés de brillants : le monomythe du voyage du héros correspond à la crise de transformation que
chaque être humain peut vivre lorsque les profonds contenus de l’inconscient de la psyché émergent
à la conscience. Le voyage du héros décrit le territoire expérimental que n’importe quel individu doit
traverser lors de sa profonde transformation.
22
Kali déésse Védique (hindouïsme). Ramakrishna était un prêtre de la déesse Kali.(NdT)
Mort et renaissance des dieux et des héros
La rencontre avec la mort et la renaissance qui la suit, est un thème particulièrement
puissant qui a lieu à une fréquence remarquable dans la mythologie du voyage du héros. Toutes les
mythologies racontent des histoires à propos de dieux et déesses, héros et héroïnes, qui sont morts
et qui ont ressuscité. Des variations sur ce thème décrivent des personnages mythologiques qui sont
descendus dans le royaume des morts et qui ont traversé des épreuves et des défis incroyables, et
qui sont revenus sur terre pourvus de pouvoirs spéciaux. Le thème central de la religion chrétienne,
la mort et la résurrection du Christ, est la plus connue de toutes ces histoires ; récit qui a
profondément influencé l’histoire de l’humanité. Cependant, ce thème n’est nullement exclusif à la
Chrétienté et il joue un rôle important dans les différentes mythologies du monde. Les histoires les
plus anciennes concernant la mort et la renaissance sont les mythes sumériens23 de la déesse Inanna
et de sa descente aux enfers et le mythe égyptien décrivant la mort, le démembrement et la
renaissance d’Osiris. Parmi les apports de la mythologie grecque, se trouvent les histoires concernant
l’enlèvement de Perséphone aux enfers par Pluton, le démembrement et la renaissance de Dionysos,
et les rencontres avec la mort expérimentées par Attis, Adonis et Orphée. Les aventures des héros
grecs Hercule, Thésée, et Ulysse appartiennent elles aussi à cette catégorie. Les jumeaux Hunahpu et
Xblanque et le Serpent aztèque à plumes Quetzalcóatl, sont des exemples célèbres d’Amérique
Centrale d’êtres mythologiques qui ont fait l’expérience de la mort et de la renaissance. D’une
manière bien moins évidente et plus symbolique, la même expérience est souvent représentée par le
fait d’être dévoré et recraché des entrailles d’un monstre terrifiant. Les exemples dans ce domaine
vont du personnage biblique de Jonas qui passa trois jours et trois nuits dans l’estomac d’un
« immense poisson», jusqu’à Jason, héros grec, et Sainte Marguerite d’Antioche24, qui furent tous les
deux avalés par un dragon et qui réussirent à s’en échapper.
La recherche psychédélique et le travail avec des thérapeutes expérimentaux ont montré
que l’archétype de la mort et de la renaissance est étroitement lié à la naissance biologique. Cela
explique pourquoi ce motif est tellement universel et apparaît tellement fréquemment dans la
mythologie. Le passage par le canal de la naissance est un événement menaçant pour la vie, et la
résultante de cela est que la mort et la renaissance sont étroitement liées dans notre inconscient.
C’est pourquoi les séquences de mort et de renaissance psychologiques sont parmi les expériences
les plus fréquemment observées dans les états holotropiques, qu’ils soient provoqués ou qu’ils aient
lieu de manière spontanée. Ils jouent un rôle extrêmement important dans le processus de
transformation psychologique et d’ouverture spirituelle.
Les mystères de la mort et de la renaissance
Dans bien des parties du monde, les mythes de la naissance et de la mort apportent la base
idéologique aux mystères sacrés, de puissants événements rituels dans lesquels les néophytes font
l’expérience de la mort et de la renaissance ainsi qu’une profonde transformation psychospirituelle.
On sait très peu de choses sur les méthodes utilisées au cours de ces mystères pour provoquer de
tels états : beaucoup étaient tenues secrètes, ou bien les informations ont été perdues au fil des
années. Cependant, ces processus étaient probablement similaires à ceux utilisées dans les pratiques
et les rites de passage chamaniques : percussions, chants, changements dans les rythmes
respiratoires, exposition au stress et à la douleur physique et expériences au cours desquelles la vie
23
Sumer : région de la Basse Mésopotamie, dans l’actuelle partie sud de l’Irak. Sa langue, le sumérien,
est la première langue écrite connue. Sa civilisation est la première civilisation véritablement urbaine, et
marque la fin de la préhistoire au Moyen-Orient IVème millénaire avant Jésus-Christ (NdT)
24
Antioche : ville de l’actuelle Turquie Antakya (NdT)
était menacée de manière réelle ou simulée. Parmi les outils les plus efficaces il se trouvaient
indubitablement les potions qui altèrent l’esprit contenant des matériaux de plantes aux propriétés
psychoactives.
Les expériences puissantes et terrifiantes provoquées chez les initiés représentaient des
opportunités uniques de contacter des déités et des royaumes divins et étaient perçues comme
nécessaires, désirables ; elles avaient en outre des propriétés de guérison. Par ailleurs, dans certains
cas, l’exposition volontaire à ces états extrêmes de conscience était considérée comme une
protection contre la véritable folie, comme cela est illustré par le mythe grec de Dionysos qui invita
les citoyens de Thèbes à se joindre à lui dans ce qu’il appelait la Danse Mineure. Ce terme se référait
à l’extase des Bacchanales, rituels orgiaques qui impliquaient l’ingestion de boissons alcoolisées, des
danses sauvages et la libération d’émotions puissantes et de conduites instinctives. Dionysos promit
aux Thébains que la Danse Mineure les conduirait à des endroits qu’ils n’avaient jamais rêvés
possibles. Lorsqu’ils refusaient sa proposition, il se sentait offensé et les obligeait à entrer dans la
Danse Dionysiaque Majeure, une sorte de folie dangereuse dans laquelle ils prenaient leur prince
pour un animal sauvage et le mettaient à mort. La reine folle empalait personnellement la tête de
son fils sur une épée et le rapportait ainsi à la ville.
Comme l’indique ce mythe populaire, les Grecs réalisaient que les forces dangereuses de la
psyché devaient être exprimées dans un contexte approprié. Les puissantes expériences que les
initiés rencontraient lors de ces mystères et tout particulièrement la mort psychospirituelle ainsi que
la renaissance, avaient un potentiel de guérison et de transformation remarquables. Nous pouvons
ici nous référer aux témoignages des deux géants dans le monde de la philosophie grecque : Platon
et Aristote. Il est particulièrement intéressant de noter que ce témoignage est originaire de Grèce,
berceau de la civilisation européenne, étant donné que les Occidentaux ont tendance à ignorer les
preuves des cultures « primitives » et exotiques dans lesquelles le chamanisme et les rites de passage
étaient accomplis.
Dans son dialogue Phèdre, Platon distingue quatre types de folies attribuées par les dieux :
la folie érotique, due au fait d’être possédé par Aphrodite et Eros, la folie prophétique due à
l’intervention d’Apollon, la folie artistique qui est le fait de l’inspiration des Muses, et la folie rituelle
ou télestique causée par Dionysos. Le grand philosophe décrit amplement le potentiel thérapeutique
causé par la folie télestique et prend en exemple des rites grecs moins bien connus : les rites
corybantiques. Les danses sauvages aux sons des flûtes et des tambours culminaient en une
explosion émotionnelle, qui résultait en un état de profonde relaxation et de tranquillité (Platon
1961a).
Aristote, le célèbre disciple de Platon, fut le premier à affirmer explicitement que le
processus consistant à expérimenter et à relâcher les émotions réprimées, ce qu’il a appelé catharsis
(purgation des passions) représentait un traitement efficace des désordres mentaux. Aristote a dit
que les mystères de la mort et de la renaissance offraient un contexte puissant à ce processus ; le vin,
les aphrodisiaques et la musique pouvaient être utilisés pour créer des stimulations de passions
menant à une catharsis guérisseuse. Il était d’accord avec la thèse fondatrice du culte orphique (une
des écoles mystiques les plus importantes de l’époque), selon laquelle le chaos et la frénésie des
mystères menaient à un ordre supérieur.
Parmi les mystères les plus importants de la mort et de la renaissance, se trouvent les rites
babyloniens et assyriens d’Ishtar et Tammuz, fondés sur le mythe de la déesse mère Inanna (Ishtar)
et sa descente aux Enfers, gouvernés par sa sœur, la terrible déesse Ereshkigal. L’objectif de la visite
d’Ishtar au royaume des morts était d’obtenir un élixir qui redonnerait la vie au dieu du monde
végétal Tammuz, qui était à la fois son fils et son mari. Dans les anciens temples égyptiens d’Isis et
d’Osiris, les initiés traversèrent des épreuves complexes sous la conduite de grands prêtres afin de
dépasser la peur de la mort et de d’avoir accès aux connaissances ésotériques sur l’univers et la
nature humaine. Pendant ce temps, les néophytes faisaient l’expérience de l’identification avec le
dieu Osiris, qui d’après le mythe sous-jacent à ces mystères, fut tué et démembré par son vil frère
Seth. Osiris fut ensuite ramené à la vie par ses deux sœurs, Isis et Nephtys et devint le gouverneur du
monde des Enfers. Ici, le thème de la mort et de la renaissance était lié au cycle jour-nuit et au
voyage archétypal du dieu du soleil à travers le ciel et les enfers.
Les religions à mystères et à rites sacrés abondaient en Grèce antique, en Asie Mineure et
des les pays avoisinants. Les mystères d’Eleusis étaient fondés sur une interprétation ésotérique du
mythe de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille Perséphone. Perséphone fut enlevée par
Hadès dieu des Enfers, mais elle fut libérée sur l’intervention de Zeus, à condition qu’elle retourne
chez Hadès pendant trois mois chaque année. Ce mythe généralement considéré comme étant une
allégorie du cycle de la croissance des végétaux pendant les saisons de l’année devint pour les initiés
éleusiens le symbole des luttes spirituelles de l’âme, périodiquement emprisonnée dans la matière
puis libérée.
Le culte orphique tournait autour de la légende du barde de Thrace déifié, musicien et
chantre incomparable, qui se rendit aux enfers pour tenter en vain de libérer son Eurydice bienaimée de la mort. Orphée lui-même mourut tragiquement, déchiqueté par les femmes de Ciconie
pour être entré dans les Bacchanales. D’après la légende sa tête coupée et jetée dans l’Hébrus,
continua de chanter et de prédire des oracles. Les rites dionysiens, ou bacchanales, était fondés sur
l’histoire mythologique du jeune Dionysos, qui fut démembré par les Titans puis qui ressuscita lorsqu’
Athéna Pallas sauva son corps. Dans les rites dionysiens, les initiés s’identifiaient au dieu mis à mort
et né une seconde fois en buvant des boissons alcoolisées, en faisant des danses orgiaques, en
courant à travers la campagne, et en mangeant la chair crue des animaux. Les mystères
samothraciens des Corybantes étaient liés de près aux festivals dionysiens. Ils y associaient une pièce
rituelle qui racontait le meurtre de Cadmos par ses trois frères.
Le culte Mithriaque, autre religion à mystères majeure de l’Antiquité, était une religion
apparentée au christianisme, et sa grande rivale comme religion mondiale. Elle commença à
s’étendre à travers l’empire romain durant le premier siècle, atteignit son point culminant au
troisième siècle et succomba à la chrétienté à la fin du quatrième siècle. Les sanctuaires mithriaques
se trouvent des côtes de la mer Noire jusqu’aux montagnes écossaises et en passant par le désert du
Sahara (Ulansey 1989).
Le célèbre mythe d’Adonis, autre histoire concernant la mort d’un dieu, a inspiré de
nombreux mystères dans le monde antique. Lorsqu’elle était enceinte, sa mère Myrrha fut
transformée par les dieux en arbre à myrrhe. Adonis est né quand un sanglier ouvrit l’arbre avec ses
défenses et libéra l’enfant qu’il était. Aphrodite fut tellement charmée par la beauté d’Adonis qu’elle
le confia aux bons soins de Perséphone, la déesse des Enfers. Lorsque Perséphone refusa de rendre
Adonis, Zeus décida qu’il devait passer un tiers de l’année avec Perséphone et un tiers de l’année
avec Aphrodite. Le tiers restant était laissé à sa discrétion, mais selon la légende, Adonis passait
toujours deux tiers de l’année avec Aphrodite. Les mystères fondés sur ce mythe étaient
annuellement célébrés dans divers lieux d’Egypte, de Phénicie et de Byblos. Les mystères Phryfiens,
proches de ceux-là avaient lieu au nom d’Attis, un dieu qui se castra lui-même, mourut et fut
ressuscité par la grande déesse mère Cybèle. Son automutilation et sa mort étaient le résultat de la
frénésie de la sorcière Agdistis, mère d’Attis, qui lui impartit sa rage jalouse pour l’empêcher de se
marier.
Le mythe sous-jacent aux mystères nordiques d’Odin (Wotan) était l’histoire du meurtre et
de la résurrection du fils préféré d’Odin, Balder. D’après la légende, Balder était jeune et beau et il
était le seul dieu paisible de Valhalla. Le vilain fourbe Loki, personnification du mal, dupa le dieu
aveugle du destin Hoder, qui envoya une flèche de gui à Balder, la seule arme en mesure de le
blesser. Le cœur de Balder fut transpercé et il mourut. Hel, la déesse de la mort, émue par les pleurs
des dieux aux cœurs brisés, promit de renvoyer Balder au royaume des vivants à une seule
condition : tous les êtres, animés ou inanimés, devaient pleurer pour lui. Et tous pleurèrent pour lui
excepté Loki, et ainsi Balder dut demeurer aux Enfers. Cependant, le mythe prédisait qu’après la
bataille finale de Ragnarok, à la suite de laquelle un nouveau monde devait naître des cendres de
l’ancien, Balder renaîtrait. Dans les mystères d’Odin, le néophyte buvait une boisson alcoolisée à
base de miel, sanctifiée, dans un bol fait à partir d’un crâne humain. Identifié à Balder, l’initié
traversa une épreuve sacrée dans un complexe de neuf chambres souterraines et il était alors
capable de dévoiler au cours du mystère d’Odin, les secrets les plus précieux de la nature et de l’âme
humaine.
Dans les mystères druides de Bretagne, la frontière entre la mort symbolique et biologique
était assez trouble. Après avoir été enterré vivant dans un couffin, le candidat était envoyé sur la mer
sur un bateau ouvert, pour reconstituer symboliquement la mort du dieu du Soleil. Dans cette
épreuve inhabituelle, bien des initiés perdaient la vie ; ceux qui survivaient à ce rite exigeant étaient
considérés comme étant nés une seconde fois.
Les spécificités des processus d’altération de l’esprit de ces rites secrets sont inconnus pour
la plupart. Cependant, la potion sacrée kykeon, qui jouait un rôle primordial dans les mystères
d’Eleusis, était certainement une préparation qui contenait des alcaloïdes d’ergot25 similaires au LSD.
Il est également hautement probable que des substances psychédéliques aient été utilisées lors des
bacchanales et autres rites de ce type. Les Grecs ne savaient pas comment distiller l’alcool et
cependant, d’après les textes, les vins utilisés lors des rituels dionysiens devaient être dilués de trois
à vingt fois, et avec seulement trois coupes de ce breuvage, les initiés « étaient au bord de la folie »
(Wasson, Hofmann et Ruck 1978). Il n’y a que l’ajout de substances psychédéliques à ces breuvages
alcoolisés qui puisse justifier un effet aussi profond sur la psyché.
L’importance culturelle de ces mystères dans le monde ancien malgré leur rôle quasiment
inconnu dans l’histoire de la civilisation européenne devient évident quand nous réalisons que parmi
ces initiés se trouvaient de nombreuses figures illustres de l’Antiquité. La liste des néophytes incluait
le mathématicien Pythagore, Platon, Aristote, le guerrier Alcibiade, le dramaturge Euripide l’historien
Plutarque et le poète Pindare. Un autre initié célèbre, l’empereur Marc-Aurèle, était fasciné par les
espoirs eschatologiques offerts par ces rites. L’homme d’Etat et philosophe Marcus Tillius Ciceron
prit part à ces mystères et rédigea un rapport exalté sur leurs effets et sur leur impact sur la
civilisation antique dans son livre De Legibus (Ciceron 1977)
Les mystères d’Eleusis
Les mystères les plus importants de l’Antiquité étaient célébrés pendant environ deux mille
ans (de – 1500 av. JC à 400 apr. JC) en l’honneur de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille
Perséphone, à Eleusis, ville grecque située à vingt kilomètres à l’ouest d’Athènes. Il s’agit d’un
exemple particulièrement significatif de ces pratiques importantes à la fois en raison de leur
signification culturelle et en raison de la quantité d’information que nous possédons sur eux.
Les événements menant au lieu saint d’Eleusis, sont décrits dans un poème épique qui date
du septième siècle avant Jésus-Christ, qui est connu comme étant l’Hymne Homérique à Déméter.
Un jour, lorsque Perséphone, la fille de Zeus et de Déméter cueillait des fleurs dans les belles prairies,
elle fut enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Sa mère la chercha en vain, apprenant finalement de la
bouche d’Hélios l’enlèvement de sa fille. Douloureusement affligée, Déméter quitta l’Olympe
lorsqu’elle découvrit que Zeus lui-même était complice de cet enlèvement. Après une recherche
infructueuse, Déméter vint à Eleusis habillée en femme simple, et trouva à se loger dans le palais du
roi d’Eleusis, Kéleos et de sa femme Métaneira. Embauchée comme nourrice pour leur fils
Démophon, elle tenta de le rendre immortel en l’immergeant dans le feu. Lorsque cela se sut, elle
révéla qu’elle était une déesse et en remerciement à l’aimable hospitalité elle fonda un temple à
Eleusis.
Pour châtier les dieux Olympiens de l’enlèvement de sa fille, Déméter fit mourir toute la
végétation sur terre, menaçant l’humanité de destruction. Les dieux craignaient la fin des prières et
des sacrifices de l’humanité et ils supplièrent Déméter de refaire fructifier la Terre. Elle ne concéda
pas cette prière jusqu’à ce que Zeus ordonne à son frère Hadès, dieu des Enfers, de rendre
Perséphone à sa mère. La mère et la fille retournèrent au mont Olympe mais Perséphone devrait
25
Alcaloïdes : molécules organiques hétérocycliques azotées d'origine naturelle pouvant avoir une
activité pharmacologique. Ergot : champignon parasite du seigle. Ce sont les composantes du LSD. (NdT)
dorénavant passer un tiers de l’année en compagnie de son mari aux Enfers. Lorsqu’elle y allait,
l’hiver régnait sur la terre. Cependant, chaque année, lorsque Perséphone retournait à la terre au
printemps, le monde végétal se réveillait de nouveau en fleurs et donnait des fruits.
Avant que Déméter ne retourne sur l’Olympe, elle enseigna aux rois d’Eleusis, Kéleos et
Triptolemus comment célébrer les rites dans son temple. Il s’agissait de préceptes secrets, qui
devaient être jalousement gardés. Leur divulgation et leur profanation était punies par la mort. En
signe d’appréciation envers la réussite des manifestions éleusiennes, Déméter fit de Triptolemus le
premier initié d’Eleusis et elle lui offrit un brin de blé et lui demanda d’instruire les hommes en
agriculture, un art qui leur était inconnu auparavant. (Wasson, Hofmann et Ruck 1978)
Le culte de Déméter et de Perséphone à Eleusis qui initialement n’avait eu qu’une
importance locale, devint rapidement une partie importante de la civilisation athénienne et
finalement devint une institution panhellénique. Dans la seconde moitié du cinquième siècle, période
classique de la culture grecque, la participation aux rituels Eleusiens initialement réservée aux
Athéniens, fut ouverte à tous les Grecs. A l’époque hellénistique et impériale, les mystères avaient
encore plus de prestige et ils étaient ouverts aux initiés de tout l’empire romain. La durée
extraordinaire des mystères d’Eleusis, qui se sont déroulés sans interruption tous les cinq ans
pendant près de deux mille ans est un témoignage impressionnant du pouvoir et de l’impact des
expériences qu’ils offraient. En outre, les si les mystères prirent fin, ce n’est pas parce qu’ils
cessèrent d’attirer l’attention du monde antique : les cérémonies d’Eleusis furent soudainement
interrompues lorsque l’empereur Chrétien Théodosius interdit la participation aux mystères et à tout
autre culte païen. Peu après, en 395, les invasions des Goths détruisirent le sanctuaire.
Ce qui était offert aux initiés à Eleusis devait être quelque chose d’extraordinaire, sachant
que pendant de nombreux siècles des milliers de personnes étaient prêtes à traverser de longues
distances pour y participer. Une supposition fréquente est qu’une forme de performance théâtrale y
était donnée. Cependant, le plus grand hall du sanctuaire éleusien (Telestion) ne convenait
absolument pas à cela architecturalement. Comme d’autres sites anciens, tels que celui d’Epidaure,
le montrent, les Grecs étaient capables de construire d’étonnants amphithéâtres avec une
acoustique supérieure. Les rangées de piliers massifs du telestrion éleusien, avec une grande
chambre occupant le centre (anaktoron) et le nombre de participants (3000 et peut-être davantage
encore) auraient rendu impossible aux initiés de voir le spectacle. Les témoignages écrits datant de
cette époque ne rapportent pas de frais d’acteurs ou de mise en scène. Par ailleurs, les Grecs étaient
particulièrement sophistiqués en ce qui concerne le théâtre et ils ne pouvaient pas être facilement
leurrés surtout pas Pindare ou Sophocle, qui tous deux témoignèrent du pouvoir des mystères et de
leur valeur extraordinaire.
Les comptes-rendus des expériences éleusiennes contenaient beaucoup de références à
des visions étonnantes, de lumières surnaturelles et brillantes, souvent décrites en termes de
polarités et d’antithèses, telles que lumière et obscurité, et lumière et terreur. Ainsi Aelius Aristides,
écrivain et orateur qui vécut sous l’empire romain écrivit qu’Eleusis était à la fois « la plus magnifique
et la plus lumineuse des choses divines qui existaient parmi les hommes ». Certaines des visions les
plus impressionnantes impliquaient des rencontres avec des divinités, et plus particulièrement avec
la déesse Perséphone. L’empereur Marc Aurèle, lui-même initié, comptait les mystères parmi « ces
dons qui manifestent de la sollicitude des dieux envers l’humanité ». Un autre aspect intéressant des
expériences éleusiennes impliquait des allusions à la naissance biologique. Par exemple Hippolyte
(170-236) rapporte que « sous un énorme feu, le hiérophante26 crie : la Maîtresse a donné vie à un
enfant sacré, Brimo à Brimos ». Toutes les caractéristiques décrites ci-dessus s’appliquent également
aux expériences psychédéliques et à d’autres types d’états holotropiques.
Une clef importante à cette énigme était que les hiérophantes administraient à tous les
participants la potion sacrée appelée « kykeon » avant le point culminant de l’initiation. Cela suggère
que le kykeon était une préparation avec des propriétés psychoactives remarquables. Seule une
26
Hiérophante : prêtre qui introduisait initiés aux mystères sacrés (NdT)
potion psychédélique pouvait induire des expériences aussi puissantes chez des milliers de personnes
au même moment. Cette supposition est reconfirmée plus loin lorsqu’on considère qu’à un moment
donné à l’époque classique (vers 415 av. JC) il fut découvert que bon nombre d’aristocrates
athéniens mettaient en place des mystères privés chez eux. Cette profanation des mystères avait
pour conséquence des mesures de répression et une amende. Même s’il aurait été impossible de
mettre en place dans des maisons de particuliers des effets théâtraux spécifiques, il était en
revanche facile de transporter une jarre de kykeon d’Eleusis à Athènes.
Albert Hofmann, le père du LSD, le mycologue Gordon Wasson27 (dont l’histoire de la
découverte d’un champignon magique mexicain est décrite au chapitre 12) et l’universitaire grec Carl
A.P. Ruck ont publié, après bien des années d’études exhaustives, un traité appelé Le chemin vers
Eleusis (Wasson, Hofmann, et Ruck 1978). Ils en ont conclu que le kykeon contenait un ingrédient
psychédélique obtenu à partir de l’ergot, qui avait des effets similaires au LSD et au sacrement
ololiuqui d’Amérique Centrale. Afin de conférer au kykeon ses propriétés d’altération de la
conscience, les prêtres d’Eleusis devaient simplement cueillir de l’ergot qui était assez courant dans
le voisinage du temple, le pulvériser et l’ajouter à la potion. L’ergot pouvait aisément être utilisé en
guise de sacrement dans le temple de la déesse des récoltes, Déméter. A un moment donné des
rituels d’Eleusis, les prêtres présentaient une gerbe de blé aux initiés en symbole de l’orge-maïs
planté dans la terre qui meurt pour donner vie à une nouvelle plante. Ici, nous trouvons un symbole
de la rotation annuelle de Perséphone depuis l’obscurité des Enfers, à la lumière de l’Olympe tout
comme une permanence de la vie dans le cycle éternel de la mort et de la renaissance.
Pindare le plus grand poète de la Grèce antique, lui-même initié, écrivit ceci à propos de l’impact des
mystères d’Eleusis sur le participant.
Béni soit celui qui, ayant vu ces rites,
Prend le chemin de sous la Terre
Il connaît la fin de la vie aussi bien que
Son commencement de caractère divin
Les scènes mythologiques dramatiques montrant la mort et la renaissance et d’autres
expériences mystiques sont extrêmement fréquentes en psychothérapie expérimentale tout comme
au cours des crises psychospirituelles (« les urgences spirituelles »). Dans les états holotropiques ces
éléments mythologiques émergent spontanément depuis les profondeurs de la psyché, sans aucune
programmation et souvent à la surprise de toutes les personnes qui y sont impliquées. Les images
archétypales et des scènes entières de la mythologie des diverses cultures apparaissent souvent dans
les expériences des individus qui n’ont pas de connaissances intellectuelles des figures mythiques et
des thèmes qu’ils retrouvent. Des archétypes tels que Perséphone, Dionysos, Osiris et Wotan ainsi
que Jésus-Christ semblent résider dans la psyché des Occidentaux et resurgir dans les états
holotropiques.
CHAPITRE 3
MYSTERES ANCIENS DE MORT ET DE RENAISSANCE
« Rien n’est plus élevé que ces mystères. Ils ont adouci notre caractère et adouci nos coutumes ; ils
nous ont fait passer de la condition de sauvages à celle de véritables humains. Ils nous ont non
27
Voir les photo de Gordon Wasson dans les illustrations (NdT)
seulement montré comment vivre de manière joyeuse, mais ils nous ont aussi appris à mourir avec
esprit. »
Cicéron, décrivant les Mystères d’Eleusis (De Legibus)
LES MYSTERES de la mort et de la renaissance représentaient aussi une forme importante
d’entraînement empirique à la mort dans l’Antiquité. Ces événements rituels étaient fondés sur les
histoires mythologiques et mettaient en scène plusieurs déités qui mouraient et qui étaient
ramenées à la vie ou qui visitaient les Enfers, le royaume des morts et rentraient chez elles saines et
sauves. Comprendre les dynamiques de ces mystères et leur relation aux histoires de la mort et de la
renaissance de dieux et de héros requiert une interprétation totalement nouvelle de la nature et de
la fonction de ces mythes. Les mythes sont traditionnellement considérés comme étant des produits
de l’imaginaire humain. Cependant, le travail de C.G. Jung et de Joseph Campbell a apporté une
lecture radicalement nouvelle de la mythologie. D’après ces deux penseurs influents, les mythes ne
sont pas des histoires fictives relatant les aventures de personnages imaginaires dans des pays
inexistants. Ils ne sont donc pas de simples produits arbitraires de l’imaginaire humain. Les mythes
ont plutôt leur origine dans la conscience collective de l’humanité et sont des manifestations des
principes primordiaux de l’organisation de la psyché et du cosmos. Ce que Jung appelait des
archétypes (Jung 1976).
Archétypes et monde imaginaire
Les archétypes sont des principes éternels qui sous-tendent, forment et informent la
structure du monde matériel. La tendance à interpréter le monde par des principes archétypaux
émergea d’abord en Grèce ancienne et ce fut l’un des jugements plus étonnants de la culture et de la
philosophie grecques. Les archétypes peuvent être vus depuis diverses perspectives (Tarnas 2006).
Dans les épopées d’Homère, ils prirent la forme de personnalités mythologiques ou de déités, telles
que Zeus, Poséidon, Héra, Aphrodite ou Arès. Dans la philosophie de Platon, ils étaient décrits
comme étant des principes métaphysiques purs, des idées transcendantes, des formes ou des archai
divins qui existaient de manière indépendante dans un royaume inaccessible aux perceptions
humaines ordinaires. A l’époque moderne, C. G. Jung raviva et reformula le concept d’archétypes, les
décrivant essentiellement comme des principes psychologiques (Jung 1959).
Pendant plusieurs siècles, deux écoles de philosophie ont débattu sur la nature des idées de
Platon. Pour les réalistes28, elles sont ontologiquement réelles et supérieures au monde matériel. Les
nominalistes29 eux, les ont vu seulement comme des noms, des abstractions des objets que nous
rencontrons chaque jour dans nos vies. La psychologie moderne et la recherche sur la conscience ont
appuyé le point de vue des réalistes. Les Jungiens qualifient le monde des figures archétypales et de
28
Réalisme : courant philosophique né à de l’époque de Platon entre l’empirisme et l’idéalisme. Le réalisme a
pour point de départ la chose telle qu’elle se donne à moi. Pour Platon, la réalité sensible est une copie de
l’intelligible (monde des Idées, le Bien, le Beau, le Juste. Voir dans la République, l’Allégorie de la Caverne). La
philosophie scolastique médiévale est majoritairement réaliste. Le nominalisme s’oppose au réalisme à propos
du statut des concepts universaux (à savoir si ce sont des mots, des fictions de l'esprit, ou des choses réelles).
29
Nominalisme : doctrine de pensée fondée par Roscelin qui a vu le jour au sein de la scolastique médiévale.
Pour les Nominalistes, les concepts mentaux n’ont pas d’autre universalité que celle de l’esprit qui les observe.
Un des plus grands représentants du nominalisme est Guillaume d’Ockham XIVème siècle. Sa doctrine fut
considérée comme hérétique car elle conduisait à la banalisation de la Trinité Chrétienne. Dans les Védas.
Ramakrishna était un prêtre du temple de la déesse Kali.
leurs royaumes d’« imaginal », afin de le distinguer des produits imaginaires de l’esprit humain
individuel. Même si l’on y a accès par l’exploration intrapsychique, le monde imaginal a une existence
objective, et ceux qui en font l’expérience peuvent atteindre un accord consensuel sur bon nombre
de ses aspects.
Les archétypes sont des essences éternelles, des principes d’ordre cosmique qui peuvent
aussi se manifester comme des personnifications mythiques ou comme des déités spécifiques de
cultures variées. Ils s’expriment à travers la psyché des individus et dans ses procédés profonds, mais
n’ont pas leur origine dans l’esprit humain et ne sont pas ses produits. Ils commandent la psyché de
l’individu et fonctionnent comme principes gouvernementaux de la psyché. D’après les derniers
travaux de Jung, les archétypes sont « psychoïdes » par nature ; ils opèrent dans la zone
intermédiaire entre la conscience et la matière. Ils forment non seulement le processus dans la
psyché humaine mais aussi les événements dans le monde physique et dans l’histoire humaine.
James Hilman propose une brillante description des archétypes dans la préface à son livre
Revisualisation de la psychologie:
Toutes les façons de parler des archétypes sont des traductions d’une métaphore à une
autre. Même les définitions sobres dans le langage de la science ou de la logique sont
moins métaphoriques qu’une image qui présente les archétypes comme des idées racines,
des organes psychiques, des figures mythiques, des façons typiques d’exister, ou des
fantasmes dominants qui gouvernent la conscience. Il y a bien d’autres métaphores pour
les décrire : potentiel immatériel de leur structure, comme les cristaux invisibles dans une
solution ou des formes dans des plantes qui apparaissent soudainement sous certaines
conditions ; modèles de comportements instinctifs (comme ceux des animaux) qui dirigent
sans équivoque nos actions; genres et topoï30 en littérature ; schémasrécurrents en
histoire ; syndromes de base en psychiatrie ; modèles de pensée paradigmatiques en
science ; figures, rites et relations humaines à travers le monde en anthropologie (Hillman
1977)
Dans la mythologie, les figures archétypales, les royaumes et les thèmes dans leur forme la
plus générale et abstraite sont universellement distribués : des variations spécifiques de ces motifs
mythologiques de base existent dans différentes cultures et périodes de l’histoire. Par exemple, un
puissant archétype universel, comme celui de la Grande Déesse Mère, prend dans les différentes
cultures des formes spécifiques : Isis, la Vierge Marie, Cybèle, ou Kali31. De la même façon, les
concepts de Ciel, de Paradis et d’Enfer se retrouvent dans bien des cultures du monde mais leur
forme spécifique varie d’une civilisation à l’autre. Cela vaut également pour les figures éternelles
telles que la belle-mère marâtre, le fils prodigue, ou la mort et la renaissance des dieux et des héros.
« L’inconscient collectif », terme Jungien pour désigner le lieu où résident les archétypes, représente
une culture d’héritage partagée par toute l’humanité et par tous les âges.
Le Héros aux mille et un visages
En 1948, après avoir étudié pendant des années les mythologies de différentes cultures du
monde entier, Joseph Campbell publia son livre révolutionnaire, Le Héros aux mille et un visages,
ouvrage qui, par la suite, influença la recherche et la compréhension dans ce domaine (Campbell
1968). En analysant un large éventail de mythes de divers pays du monde, Campbell s’aperçut qu’ils
contenaient tous des variations d’une formule archétypale universelle, qu’il appela « monomythe ».
30
Τοποί : lieux communs
31
Kali déésse Védique (Hindouïsme). Ramakrishna était un prêtre de la déesse Kali.
Il s’agit de l’histoire d’un héros, soit mâle ou femelle, qui quitte sa terre natale, vit des aventures
fabuleuses et rentre chez lui comme être déifié. Campbell observa que le voyage du héros a
traditionnellement trois étapes, semblables à celles décrites plus haut comme séquences
caractéristiques dans les rites de passage : séparation, initiation et retour. Le héros quitte sa terre
natale, ou en est séparé par des circonstances contraignantes, est transformé par une série
d’épreuves et d’aventures extraordinaires, et est finalement réintégré à sa société originelle avec un
nouveau rôle.
Un mythe traditionnel de ce voyage héroïque commence lorsque la vie ordinaire de ce
protagoniste est soudainement interrompue par des événements magiques par nature et qui
appartiennent à une réalité d’un tout autre ordre. Campbell se réfère à cette invitation aux aventures
comme étant un « appel ». Si le héros répond à cet appel et accepte le défi, il ou elle s’embarque
dans un périple qui implique es voyages dans des territoires étranges, des rencontres avec des
animaux fantastiques et des êtres surnaturels, et bien d’autres épreuves. Cette aventure culmine
souvent en une expérience de mort et elle est suivie d’une renaissance. Après avoir terminé son
voyage, le héros rentre chez lui et mène une vie emplie de toutes sortes de récompenses en tant
qu’être divin, meneur du monde, guérisseur, devin ou maître spirituel. Selon les propres mots de
Campbell, la formule qui peut servir de base au voyage du héros, peut être résumée comme suit : «
un héros s’aventure depuis un monde quotidien jusqu’à ce qu’il arrive à une région de merveilles
surnaturelles ; là, des forces fabuleuses se retrouvent et une victoire décisive est remportée ; le
héros rentre chez lui à la fin de cette aventure mystérieuse avec le pouvoir de gratifier ses
camarades de bénédictions».
L’intellect inquisiteur et incisif de Campbell est allé au-delà de la simple reconnaissance de
l’universalité de ce mythe dans l’espace et le temps. Sa curiosité le conduisit à se demander ce qui
rend ce mythe universel. Pourquoi le thème du voyage du héros s’applique-t-il aux cultures de tous
les temps et de tous les lieux, même si elles diffèrent par ailleurs par bien d’autres aspects ? La
réponse faite par Campbell a la simplicité et la logique de tous les points de vue qui peuvent être
qualifiés de brillants : le monomythe du voyage du héros correspond à la crise de transformation que
chaque être humain peut vivre lorsque les profonds contenus de l’inconscient de la psyché émergent
à la conscience. Le voyage du héros décrit le territoire expérimental que n’importe quel individu doit
traverser lors de sa profonde transformation.
Mort et renaissance des dieux et des héros
La rencontre avec la mort et la renaissance qui la suit, est un thème particulièrement
puissant qui a lieu à une fréquence remarquable dans la mythologie du voyage du héros. Toutes les
mythologies racontent des histoires à propos de dieux et déesses, héros et héroïnes, qui sont morts
et qui ont ressuscité. Des variations sur ce thème décrivent des personnages mythologiques qui sont
descendus dans le royaume des morts et qui ont traversé des épreuves et des défis incroyables, et
qui sont revenus sur terre pourvus de pouvoirs spéciaux. Le thème central de la religion chrétienne,
la mort et la résurrection du Christ, est la plus connue de toutes ces histoires ; récit qui a
profondément influencé l’histoire de l’humanité. Cependant, ce thème n’est nullement exclusif à la
Chrétienté et il joue un rôle important dans les différentes mythologies du monde. Les histoires les
plus anciennes concernant la mort et la renaissance sont les mythes sumériens32 de la déesse Inanna
et de sa descente aux enfers et le mythe égyptien décrivant la mort, le démembrement et la
renaissance d’Osiris. Parmi les apports de la mythologie grecque, se trouvent les histoires concernant
l’enlèvement de Perséphone aux enfers par Pluton, le démembrement et la renaissance de Dionysos,
32
Sumer : région de la Basse Mésopotamie, dans l’actuelle partie sud de l’Irak. Sa langue, le sumérien, est la
première langue écrite connue. Sa civilisation est la première civilisation véritablement urbaine, et marque la
fin de la préhistoire au Moyen-Orient IVème millénaire avant Jésus-Christ
et les rencontres avec la mort expérimentées par Attis, Adonis et Orphée. Les aventures des héros
grecs Hercule, Thésée, et Ulysse appartiennent elles aussi à cette catégorie. Les jumeaux Hunahpu et
Xblanque et le Serpent aztèque à plumes Quetzalcóatl, sont des exemples célèbres d’Amérique
Centrale d’êtres mythologiques qui ont fait l’expérience de la mort et de la renaissance. D’une
manière bien moins évidente et plus symbolique, la même expérience est souvent représentée par le
fait d’être dévoré et recraché des entrailles d’un monstre terrifiant. Les exemples dans ce domaine
vont du personnage biblique de Jonas qui passa trois jours et trois nuits dans l’estomac d’un
« immense poisson», jusqu’à Jason, héros grec, et Sainte Marguerite d’Antioche33, qui furent tous les
deux avalés par un dragon et qui réussirent à s’en échapper.
La recherche psychédélique et le travail avec des thérapeutes expérimentaux ont montré
que l’archétype de la mort et de la renaissance est étroitement lié à la naissance biologique. Cela
explique pourquoi ce motif est tellement universel et apparaît tellement fréquemment dans la
mythologie. Le passage par le canal de la naissance est un événement menaçant pour la vie, et la
résultante de cela est que la mort et la renaissance sont étroitement liées dans notre inconscient.
C’est pourquoi les séquences de mort et de renaissance psychologiques sont parmi les expériences
les plus fréquemment observées dans les états holotropiques, qu’ils soient provoqués ou qu’ils aient
lieu de manière spontanée. Ils jouent un rôle extrêmement important dans le processus de
transformation psychologique et d’ouverture spirituelle.
Les mystères de la mort et de la renaissance
Dans bien des parties du monde, les mythes de la naissance et de la mort apportent la base
idéologique aux mystères sacrés, de puissants événements rituels dans lesquels les néophytes font
l’expérience de la mort et de la renaissance ainsi qu’une profonde transformation psychospirituelle.
On sait très peu de choses sur les méthodes utilisées au cours de ces mystères pour provoquer de
tels états : beaucoup étaient tenues secrètes, ou bien les informations ont été perdues au fil des
années. Cependant, ces processus étaient probablement similaires à ceux utilisées dans les pratiques
et les rites de passage chamaniques : percussions, chants, changements dans les rythmes
respiratoires, exposition au stress et à la douleur physique et expériences au cours desquelles la vie
était menacée de manière réelle ou simulée. Parmi les outils les plus efficaces il se trouvaient
indubitablement les potions qui altèrent l’esprit contenant des matériaux de plantes aux propriétés
psychoactives.
Les expériences puissantes et terrifiantes provoquées chez les initiés représentaient des
opportunités uniques de contacter des déités et des royaumes divins et étaient perçues comme
nécessaires, désirables ; elles avaient en outre des propriétés de guérison. Par ailleurs, dans certains
cas, l’exposition volontaire à ces états extrêmes de conscience était considérée comme une
protection contre la véritable folie, comme cela est illustré par le mythe grec de Dionysos qui invita
les citoyens de Thèbes à se joindre à lui dans ce qu’il appelait la Danse Mineure. Ce terme se référait
à l’extase des Bacchanales, rituels orgiaques qui impliquaient l’ingestion de boissons alcoolisées, des
danses sauvages et la libération d’émotions puissantes et de conduites instinctives. Dionysos promit
aux Thébains que la Danse Mineure les conduirait à des endroits qu’ils n’avaient jamais rêvés
possibles. Lorsqu’ils refusaient sa proposition, il se sentait offensé et les obligeait à entrer dans la
Danse Dionysiaque Majeure, une sorte de folie dangereuse dans laquelle ils prenaient leur prince
pour un animal sauvage et le mettaient à mort. La reine folle empalait personnellement la tête de
son fils sur une épée et le rapportait ainsi à la ville.
Comme l’indique ce mythe populaire, les Grecs réalisaient que les forces dangereuses de la
psyché devaient être exprimées dans un contexte approprié. Les puissantes expériences que les
initiés rencontraient lors de ces mystères et tout particulièrement la mort psychospirituelle ainsi que
la renaissance, avaient un potentiel de guérison et de transformation remarquables. Nous pouvons
33
Antioche : ville de l’actuelle Turquie Antakya
ici nous référer aux témoignages des deux géants dans le monde de la philosophie grecque : Platon
et Aristote. Il est particulièrement intéressant de noter que ce témoignage est originaire de Grèce,
berceau de la civilisation européenne, étant donné que les Occidentaux ont tendance à ignorer les
preuves des cultures « primitives » et exotiques dans lesquelles le chamanisme et les rites de passage
étaient accomplis.
Dans son dialogue Phèdre, Platon distingue quatre types de folies attribuées par les dieux :
la folie érotique, due au fait d’être possédé par Aphrodite et Eros, la folie prophétique due à
l’intervention d’Apollon, la folie artistique qui est le fait de l’inspiration des Muses, et la folie rituelle
ou télestique causée par Dionysos. Le grand philosophe décrit amplement le potentiel thérapeutique
causé par la folie télestique et prend en exemple des rites grecs moins bien connus : les rites
corybantiques. Les danses sauvages aux sons des flûtes et des tambours culminaient en une
explosion émotionnelle, qui résultait en un état de profonde relaxation et de tranquillité (Platon
1961a).
Aristote, le célèbre disciple de Platon, fut le premier à affirmer explicitement que le
processus consistant à expérimenter et à relâcher les émotions réprimées, ce qu’il a appelé catharsis
(purgation des passions) représentait un traitement efficace des désordres mentaux. Aristote a dit
que les mystères de la mort et de la renaissance offraient un contexte puissant à ce processus ; le vin,
les aphrodisiaques et la musique pouvaient être utilisés pour créer des stimulations de passions
menant à une catharsis guérisseuse. Il était d’accord avec la thèse fondatrice du culte orphique (une
des écoles mystiques les plus importantes de l’époque), selon laquelle le chaos et la frénésie des
mystères menaient à un ordre supérieur.
Parmi les mystères les plus importants de la mort et de la renaissance, se trouvent les rites
babyloniens et assyriens d’Ishtar et Tammuz, fondés sur le mythe de la déesse mère Inanna (Ishtar)
et sa descente aux Enfers, gouvernés par sa sœur, la terrible déesse Ereshkigal. L’objectif de la visite
d’Ishtar au royaume des morts était d’obtenir un élixir qui redonnerait la vie au dieu du monde
végétal Tammuz, qui était à la fois son fils et son mari. Dans les anciens temples égyptiens d’Isis et
d’Osiris, les initiés traversèrent des épreuves complexes sous la conduite de grands prêtres afin de
dépasser la peur de la mort et de d’avoir accès aux connaissances ésotériques sur l’univers et la
nature humaine. Pendant ce temps, les néophytes faisaient l’expérience de l’identification avec le
dieu Osiris, qui d’après le mythe sous-jacent à ces mystères, fut tué et démembré par son vil frère
Seth. Osiris fut ensuite ramené à la vie par ses deux sœurs, Isis et Nephtys et devint le gouverneur du
monde des Enfers. Ici, le thème de la mort et de la renaissance était lié au cycle jour-nuit et au
voyage archétypal du dieu du soleil à travers le ciel et les enfers.
Les religions à mystères et à rites sacrés abondaient en Grèce antique, en Asie Mineure et
des les pays avoisinants. Les mystères d’Eleusis étaient fondés sur une interprétation ésotérique du
mythe de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille Perséphone. Perséphone fut enlevée par
Hadès dieu des Enfers, mais elle fut libérée sur l’intervention de Zeus, à condition qu’elle retourne
chez Hadès pendant trois mois chaque année. Ce mythe généralement considéré comme étant une
allégorie du cycle de la croissance des végétaux pendant les saisons de l’année devint pour les initiés
éleusiens le symbole des luttes spirituelles de l’âme, périodiquement emprisonnée dans la matière
puis libérée.
Le culte orphique tournait autour de la légende du barde de Thrace déifié, musicien et
chantre incomparable, qui se rendit aux enfers pour tenter en vain de libérer son Eurydice bienaimée de la mort. Orphée lui-même mourut tragiquement, déchiqueté par les femmes de Ciconie
pour être entré dans les Bacchanales. D’après la légende sa tête coupée et jetée dans l’Hébrus,
continua de chanter et de prédire des oracles. Les rites dionysiens, ou bacchanales, était fondés sur
l’histoire mythologique du jeune Dionysos, qui fut démembré par les Titans puis qui ressuscita
lorsque Athéna Pallas sauva son corps. Dans les rites dionysiens, les initiés s’identifiaient au dieu mis
à mort et né une seconde fois en buvant des boissons alcoolisées, en faisant des danses orgiaques,
en courant à travers la campagne, et en mangeant la chair crue des animaux. Les mystères
samothraciens des Corybantes étaient liés de près aux festivals dionysiens. Ils y associaient une pièce
rituelle qui racontait le meurtre de Cadmos par ses trois frères.
Le culte Mithriaque, autre religion à mystères majeure de l’Antiquité, était une religion
apparentée au christianisme, et sa grande rivale comme religion mondiale. Elle commença à
s’étendre à travers l’empire romain durant le premier siècle, atteignit son point culminant au
troisième siècle et succomba à la chrétienté à la fin du quatrième siècle. Les sanctuaires mithriaques
se trouvent des côtes de la mer Noire jusqu’aux montagnes écossaises et en passant par le désert du
Sahara (Ulansey 1989).
Le célèbre mythe d’Adonis, autre histoire concernant la mort d’un dieu, a inspiré de
nombreux mystères dans le monde antique. Lorsqu’elle était enceinte, sa mère Myrrha fut
transformée par les dieux en arbre à myrrhe. Adonis est né quand un sanglier ouvrit l’arbre avec ses
défenses et libéra l’enfant qu’il était. Aphrodite fut tellement charmée par la beauté d’Adonis qu’elle
le confia aux bons soins de Perséphone, la déesse des Enfers. Lorsque Perséphone refusa de rendre
Adonis, Zeus décida qu’il devait passer un tiers de l’année avec Perséphone et un tiers de l’année
avec Aphrodite. Le tiers restant était laissé à sa discrétion, mais selon la légende, Adonis passait
toujours deux tiers de l’année avec Aphrodite. Les mystères fondés sur ce mythe étaient
annuellement célébrés dans divers lieux d’Egypte, de Phénicie et de Byblos. Les mystères Phryfiens,
proches de ceux-là avaient lieu au nom d’Attis, un dieu qui se castra lui-même, mourut et fut
ressuscité par la grande déesse mère Cybèle. Son automutilation et sa mort étaient le résultat de la
frénésie de la sorcière Agdistis, mère d’Attis, qui lui impartit sa rage jalouse pour l’empêcher de se
marier.
Le mythe sous-jacent aux mystères nordiques d’Odin (Wotan) était l’histoire du meurtre et
de la résurrection du fils préféré d’Odin, Balder. D’après la légende, Balder était jeune et beau et il
était le seul dieu paisible de Valhalla. Le vilain fourbe Loki, personnification du mal, dupa le dieu
aveugle du destin Hoder, qui envoya une flèche de gui à Balder, la seule arme en mesure de le
blesser. Le cœur de Balder fut transpercé et il mourut. Hel, la déesse de la mort, émue par les pleurs
des dieux aux cœurs brisés, promit de renvoyer Balder au royaume des vivants à une seule
condition : tous les êtres, animés ou inanimés, devaient pleurer pour lui. Et tous pleurèrent pour lui
excepté Loki, et ainsi Balder dut demeurer aux Enfers. Cependant, le mythe prédisait qu’après la
bataille finale de Ragnarok, à la suite de laquelle un nouveau monde devait naître des cendres de
l’ancien, Balder renaîtrait. Dans les mystères d’Odin, le néophyte buvait une boisson alcoolisée à
base de miel, sanctifiée, dans un bol fait à partir d’un crâne humain. Identifié à Balder, l’initié
traversa une épreuve sacrée dans un complexe de neuf chambres souterraines et il était alors
capable de dévoiler au cours du mystère d’Odin, les secrets les plus précieux de la nature et de l’âme
humaine.
Dans les mystères druides de Bretagne, la frontière entre la mort symbolique et biologique
était assez trouble. Après avoir été enterré vivant dans un couffin, le candidat était envoyé sur la mer
sur un bateau ouvert, pour reconstituer symboliquement la mort du dieu du Soleil. Dans cette
épreuve inhabituelle, bien des initiés perdaient la vie ; ceux qui survivaient à ce rite exigeant étaient
considérés comme étant nés une seconde fois.
Les spécificités des processus d’altération de l’esprit de ces rites secrets sont inconnus pour
la plupart. Cependant, la potion sacrée kykeon, qui jouait un rôle primordial dans les mystères
d’Eleusis, était certainement une préparation qui contenait des alcaloïdes d’ergot34 similaires au LSD.
Il est également hautement probable que des substances psychédéliques aient été utilisées lors des
bacchanales et autres rites de ce type. Les Grecs ne savaient pas comment distiller l’alcool et
cependant, d’après les textes, les vins utilisés lors des rituels dionysiens devaient être dilués de trois
à vingt fois, et avec seulement trois coupes de ce breuvage, les initiés « étaient au bord de la folie »
(Wasson, Hofman et Ruck 1978). Il n’y a que l’ajout de substances psychédéliques à ces breuvages
alcoolisés qui puisse justifier un effet aussi profond sur la psyché.
34
Alcaloïdes : molécules organiques hétérocycliques azotées d'origine naturelle pouvant avoir une activité
pharmacologique. Ergot : champignon parasite du seigle. Ce sont les composantes du LSD.
L’importance culturelle de ces mystères dans le monde ancien malgré leur rôle quasiment
inconnu dans l’histoire de la civilisation européenne devient évident quand nous réalisons que parmi
ces initiés se trouvaient de nombreuses figures illustres de l’Antiquité. La liste des néophytes incluait
le mathématicien Pythagore, Platon, Aristote, le guerrier Alcibiade, le dramaturge Euripide l’historien
Plutarque et le poète Pindare. Un autre initié célèbre, l’empereur Marc-Aurèle, était fasciné par les
espoirs eschatologiques offerts par ces rites. L’homme d’Etat et philosophe Marcus Tillius Ciceron
prit part à ces mystères et rédigea un rapport exalté sur leurs effets et sur leur impact sur la
civilisation antique dans son livre De Legibus (Ciceron 1977)
Les mystères d’Eleusis
Les mystères les plus importants de l’Antiquité étaient célébrés pendant environ deux mille
ans (de – 1500 av. JC à 400 apr. JC) en l’honneur de la déesse de la fertilité Déméter et de sa fille
Perséphone, à Eleusis, ville grecque située à vingt kilomètres à l’ouest d’Athènes. Il s’agit d’un
exemple particulièrement significatif de ces pratiques importantes à la fois en raison de leur
signification culturelle et en raison de la quantité d’information que nous possédons sur eux.
Les événements menant au lieu saint d’Eleusis, sont décrits dans un poème épique qui date
du septième siècle avant Jésus-Christ, qui est connu comme étant l’Hymne Homérique à Déméter.
Un jour, lorsque Perséphone, la fille de Zeus et de Déméter cueillait des fleurs dans les belles prairies,
elle fut enlevée par Hadès, dieu des Enfers. Sa mère la chercha en vain, apprenant finalement de la
bouche d’Hélios l’enlèvement de sa fille. Douloureusement affligée, Déméter quitta l’Olympe
lorsqu’elle découvrit que Zeus lui-même était complice de cet enlèvement. Après une recherche
infructueuse, Déméter vint à Eleusis habillée en femme simple, et trouva à se loger dans le palais du
roi d’Eleusis, Kéleos et de sa femme Métaneira. Embauchée comme nourrice pour leur fils
Démophon, elle tenta de le rendre immortel en l’immergeant dans le feu. Lorsque cela se sut, elle
révéla qu’elle était une déesse et en remerciement à l’aimable hospitalité elle fonda un temple à
Eleusis.
Pour châtier les dieux Olympiens de l’enlèvement de sa fille, Déméter fit mourir toute la
végétation sur terre, menaçant l’humanité de destruction. Les dieux craignaient la fin des prières et
des sacrifices de l’humanité et ils supplièrent Déméter de refaire fructifier la Terre. Elle ne concéda
pas cette prière jusqu’à ce que Zeus ordonne à son frère Hadès, dieu des Enfers, de rendre
Perséphone à sa mère. La mère et la fille retournèrent au mont Olympe mais Perséphone devrait
dorénavant passer un tiers de l’année en compagnie de son mari aux Enfers. Lorsqu’elle y allait,
l’hiver régnait sur la terre. Cependant, chaque année, lorsque Perséphone retournait à la terre au
printemps, le monde végétal se réveillait de nouveau en fleurs et donnait des fruits.
Avant que Déméter ne retourne sur l’Olympe, elle enseigna aux rois d’Eleusis, Kéleos et
Triptolemus comment célébrer les rites dans son temple. Il s’agissait de préceptes secrets, qui
devaient être jalousement gardés. Leur divulgation et leur profanation était punies par la mort. En
signe d’appréciation envers la réussite des manifestions éleusiennes, Déméter fit de Triptolemus le
premier initié d’Eleusis et elle lui offrit un brin de blé et lui demanda d’instruire les hommes en
agriculture, un art qui leur était inconnu auparavant. (Wasson, Hofmann et Ruck 1978)
Le culte de Déméter et de Perséphone à Eleusis qui initialement n’avait eu qu’une
importance locale, devint rapidement une partie importante de la civilisation athénienne et
finalement devint une institution panhellénique. Dans la seconde moitié du cinquième siècle, période
classique de la culture grecque, la participation aux rituels Eleusiens initialement réservée aux
Athéniens, fut ouverte à tous les Grecs. A l’époque hellénistique et impériale, les mystères avaient
encore plus de prestige et ils étaient ouverts aux initiés de tout l’empire romain. La durée
extraordinaire des mystères d’Eleusis, qui se sont déroulés sans interruption tous les cinq ans
pendant près de deux mille ans est un témoignage impressionnant du pouvoir et de l’impact des
expériences qu’ils offraient. En outre, les si les mystères prirent fin, ce n’est pas parce qu’ils
cessèrent d’attirer l’attention du monde antique : les cérémonies d’Eleusis furent soudainement
interrompues lorsque l’empereur Chrétien Théodosius interdit la participation aux mystères et à tout
autre culte païen. Peu après, en 395, les invasions des Goths détruisirent le sanctuaire.
Ce qui était offert aux initiés à Eleusis devait être quelque chose d’extraordinaire, sachant
que pendant de nombreux siècles des milliers de personnes étaient prêtes à traverser de longues
distances pour y participer. Une supposition fréquente est qu’une forme de performance théâtrale y
était donnée. Cependant, le plus grand hall du sanctuaire éleusien (Telestion) ne convenait
absolument pas à cela architecturalement. Comme d’autres sites anciens, tels que celui d’Epidaure,
le montrent, les Grecs étaient capables de construire d’étonnants amphithéâtres avec une
acoustique supérieure. Les rangées de piliers massifs du telestrion éleusien, avec une grande
chambre occupant le centre (anaktoron) et le nombre de participants (3000 et peut-être davantage
encore) auraient rendu impossible aux initiés de voir le spectacle. Les témoignages écrits datant de
cette époque ne rapportent pas de frais d’acteurs ou de mise en scène. Par ailleurs, les Grecs étaient
particulièrement sophistiqués en ce qui concerne le théâtre et ils ne pouvaient pas être facilement
leurrés surtout pas Pindare ou Sophocle, qui tous deux témoignèrent du pouvoir des mystères et de
leur valeur extraordinaire.
Les comptes-rendus des expériences éleusiennes contenaient beaucoup de références à
des visions étonnantes, de lumières surnaturelles et brillantes, souvent décrites en termes de
polarités et d’antithèses, telles que lumière et obscurité, et lumière et terreur. Ainsi Aelius Aristides,
écrivain et orateur qui vécut sous l’empire romain écrivit qu’Eleusis était à la fois « la plus magnifique
et la plus lumineuse des choses divines qui existaient parmi les hommes ». Certaines des visions les
plus impressionnantes impliquaient des rencontres avec des divinités, et plus particulièrement avec
la déesse Perséphone. L’empereur Marc Aurèle, lui-même initié, comptait les mystères parmi « ces
dons qui manifestent de la sollicitude des dieux envers l’humanité ». Un autre aspect intéressant des
expériences éleusiennes impliquait des allusions à la naissance biologique. Par exemple Hippolyte
(170-236) rapporte que « sous un énorme feu, le hiérophante35 crie : la Maîtresse a donné vie à un
enfant sacré, Brimo à Brimos ». Toutes les caractéristiques décrites ci-dessus s’appliquent également
aux expériences psychédéliques et à d’autres types d’états holotropiques.
Une clef importante à cette énigme était que les hiérophantes administraient à tous les
participants la potion sacrée appelée « kykeon » avant le point culminant de l’initiation. Cela suggère
que le kykeon était une préparation avec des propriétés psychoactives remarquables. Seule une
potion psychédélique pouvait induire des expériences aussi puissantes chez des milliers de personnes
au même moment. Cette supposition est reconfirmée plus loin lorsqu’on considère qu’à un moment
donné à l’époque classique (vers 415 av. JC) il fut découvert que bon nombre d’aristocrates
athéniens mettaient en place des mystères privés chez eux. Cette profanation des mystères avait
pour conséquence des mesures de répression et une amende. Même s’il aurait été impossible de
mettre en place dans des maisons de particuliers des effets théâtraux spécifiques, il était en
revanche facile de transporter une jarre de kykeon d’Eleusis à Athènes.
Albert Hofmann, le père du LSD, le mycologue Gordon Wasson (dont l’histoire de la
découverte d’un champignon magique mexicain est décrite au chapitre 12) et l’universitaire grec Carl
A.P. Ruck ont publié, après bien des années d’études exhaustives, un traité appelé Le chemin vers
Eleusis (Wasson, Hofmann, et Ruck 1978). Ils en ont conclu que le kykeon contenait un ingrédient
psychédélique obtenu à partir de l’ergot, qui avait des effets similaires au LSD et au sacrement
ololiuqui d’Amérique Centrale. Afin de conférer au kykeon ses propriétés d’altération de la
conscience, les prêtres d’Eleusis devaient simplement cueillir de l’ergot qui était assez courant dans
le voisinage du temple, le pulvériser et l’ajouter à la potion. L’ergot pouvait aisément être utilisé en
guise de sacrement dans le temple de la déesse des récoltes, Déméter. A un moment donné des
rituels d’Eleusis, les prêtres présentaient une gerbe de blé aux initiés en symbole de l’orge-maïs
planté dans la terre qui meurt pour donner vie à une nouvelle plante. Ici, nous trouvons un symbole
35
Hiérophante : prêtre qui introduisait initiés aux mystères sacrés
de la rotation annuelle de Perséphone depuis l’obscurité des Enfers, à la lumière de l’Olympe tout
comme une permanence de la vie dans le cycle éternel de la mort et de la renaissance.
Pindare le plus grand poète de la Grèce antique, lui-même initié, écrivit ceci à propos de l’impact des
mystères d’Eleusis sur le participant.
Béni soit celui qui, ayant vu ces rites,
Prend le chemin de sous la Terre
Il connaît la fin de la vie aussi bien que
Son commencement de caractère divin
Les scènes mythologiques dramatiques montrant la mort et la renaissance et d’autres
expériences mystiques sont extrêmement fréquentes en psychothérapie expérimentale tout comme
au cours des crises psychospirituelles (« les urgences spirituelles »). Dans les états holotropiques ces
éléments mythologiques émergent spontanément depuis les profondeurs de la psyché, sans aucune
programmation et souvent à la surprise de toutes les personnes qui y sont impliquées. Les images
archétypales et des scènes entières de la mythologie des diverses cultures apparaissent souvent dans
les expériences des individus qui n’ont pas de connaissances intellectuelles des figures mythiques et
des thèmes qu’ils retrouvent. Des archétypes tels que Perséphone, Dionysos, Osiris et Wotan ainsi
que Jésus-Christ semblent résider dans la psyché des Occidentaux et resurgir dans les états
holotropiques.
CHAPITRE 4
LA MORT ET LA RENAISSANCE DANS LES GRANDES RELIGIONS DU
MONDE
Celui qui meurt avant de mourir
ne meurt pas lorsqu’il meurt.
Abraham a Sancta Clara
Moine augustinien du XVIIème siècle
Les techniques des rites du sacré ne sont pas limitées au chamanisme, aux rites de passage
des cultures primitives ou aux mystères anciens. Plusieurs grandes religions du monde ont développé
des processus psychospirituels plus ou moins sophistiqués, spécialement prévus à des fins
holotropiques. Elles utilisent des combinaisons de jeûnes, de méditations assises ou en mouvement,
des visualisations, des prières, des chants, des danses et des exercices respiratoires. Dans les
circonstances adéquates, de telles approches peuvent créer une multitude extraordinaire
d’expériences ayant pour origine les profondeurs de la psyché humaine, comprenant une profonde
rencontre avec la mort et la mort psychospirituelle ainsi que la renaissance. Elles peuvent ainsi
apporter des entraînements empiriques efficaces à la mort.
Philosophies et pratiques d’Europe orientale
Bon nombre de ces pratiques ont été développées en rapport avec les spiritualités d’Europe
orientale. Différentes écoles de yoga, issues de l’hindouisme, offrent un large spectre de méthodes
de méditation qui se combinent à des méthodes diverses telles que le jeûne, les postures physiques
(asanas), les gestes (mudras) et la concentration mentale. Une partie importante de la tradition yogi
est le travail respiratoire et l’utilisation du son sous forme de chants sacrés (kirtans et bhajans) et la
répétition de syllabes, de mots ou de phrases (mantras). En Inde, la compréhension du potentiel de
la respiration pour changer la conscience et son utilisation dans la pratique spirituelle fut élevée au
rang de science (pranayama). L’hindouisme a également le concept de dvija, qui signifie
littéralement « personne qui est née deux fois », concept qui se réfère fort probablement à
l’expérience de la mort psychospirituelle et de la naissance. Dvija est un individu qui a réalisé qu’il
n’est pas un corps de chair et d’os mais de la pure conscience. Le bouddhisme a mélangé une grande
variété de techniques de méditation aux techniques du sacré, telles que la méditation de Vispassana
de Theravada, les pratiques ésotériques de Vayrajana zazen et le travail avec les koans36 dans le Zen
Soto ainsi que le rinzaï, la respiration du feu, pour ne citer qu’eux.
Une des technologies du sacré les plus intéressantes et sophistiquées est le tantra, un
système qui traverse les frontières des religions individuelles et qui représente les branches
ésotériques de l’hindouisme, du bouddhisme et du jaïnisme. Le tantra est un système élaboré de
pratiques psychospirituelles utilisant les diagrammes géométriques sacrés (yantras), les mandalas,
les mudras, les mantras, les asanas et les exercices de respiration. La culmination de la pratique de
vamamarga, (tantra gaucher) est panchamakara, un rituel d’union sexuelle sacrée (maithuna)
exécuté dans des postures de yoga (asanas). La préparation à cette union élève les sens par
l’utilisation d’encens, de fleurs, de musique, des chants sacrés et des doux touchers pour provoquer
chez les partenaires une expérience d’identification aux êtres archétypaux, les déités Shiva et Shakti.
L’utilisation de mélanges d’herbes ayurvédiques combinant de puissants aphrodisiaques avec des
ingrédients psychédéliques donne à l’expérience de panchamakara un pouvoir hors pair.
L’aspect fascinant des pratiques tantriques est qu’elle est fondée sur une vision
extraordinairement spirituelle de l’existence et une vision du monde scientifique qui était
particulièrement précoce pour son époque. Les universitaires tantriques ont développé une
compréhension profonde de l’univers qui a été validée de diverses façons par la science moderne. La
vision du monde tantrique incluait des modèles sophistiqués de l’espace et du temps, du concept du
Big Bang, et des éléments tels que l’arrangement héliocentrique des planètes, l’attraction
interplanétaire, la forme sphérique de la Terre et des planètes, ainsi que l’entropie.37 D’autres
réussites du tantra incluaient des mathématiques avancées utilisant les nombres décimaux et le zéro,
des figures hautement raffinées et abstraites, et un art de figuratif spirituel (Mookerjee et Khanna,
1977). Les praticiens en tantra créaient également des cartes expérimentales du corps subtil avec ses
nombreux canaux (les naddis) et ses centres (les chakras).
Pratiques dans le judaïsme, le christianisme et l’islam
Des méthodes puissantes d’utilisation d’états de conscience holotropiques ont également
été utilisées dans les trois grandes religions du Moyen-Orient : judaïsme, christianisme, et islam. Des
approches destinées à faciliter les expériences spirituelles directes sont caractéristiques des branches
mystiques de ces grandes religions et de leurs ordres monastiques. Les kabbalistes médiévaux
produisaient des séries de techniques pour atteindre des états d’extase. Le mieux connu et le
représentant le plus influent de la kabbale extatique était Avraham Abulafia, auteur de plusieurs
méthodes pour s’unir à Dieu. Il affirma précisément que son but était de méditer des expériences
semblables ou identiques à celles des anciens prophètes juifs. D’autres exemples de l’histoire
mystique juive sont également significatifs : les pratiques des maîtres hassidiques ashkénazes, les
36
Le kōan (japonais ; chinois : gōng'àn 公案) est une courte phrase ou brève anecdote (littéralement : arrêt
faisant jurisprudence) absurde ou paradoxale utilisée dans certaines écoles du bouddhisme chan ou zen. Le
kōan est utilisé comme un objet de méditation ou pour déclencher l’éveil ou encore pour discerner l’éveil de
l’égarement.
37
Entropie : fonction d’état en thermodynamique
danses hassidiques et la pratique du Devekut, la communion avec Dieu. Afin de provoquer des
expériences mystiques, les Esséniens des manuscrits de la mer Morte, membres de la secte
apocalyptique du judaïsme, utilisaient des techniques respiratoires très efficaces et une forme de
baptême qui amenait les initiés à une quasi-mort par noyade.
Les technologies du sacré jonchent l’histoire du christianisme. Les expériences des Pères du
Désert, des Chrétiens ermites pratiquant l’ascétisme dans le désert égyptien, étaient facilitées par
des jeûnes, la déshydratation, l’extrême chaleur et la privation sensorielle partielle causée par la
monotonie du désert. Les Hésychastes38 étaient des moines chrétiens qui croyaient qu’il était
possible de parvenir - par un système d’ascétisme élaboré, par le détachement des préoccupations
terrestres, par la soumission à un maître approuvé, et par la prière incessante – à la vision de la
lumière mystique, qui n’était pour eux rien de plus que la lumière non-créée de Dieu. Cette vision
pouvait être facilitée par plusieurs techniques spécifiques : maintenir le corps immobile pendant un
long moment, appuyer le menton contre la poitrine, retenir sa respiration, et loucher
volontairement. Des études ont exploré le parallèle entre l’Hésychasme et les pratiques indiennes
des yogis, particulièrement le Yoga Kundalini (Matus 1984). On trouvait également parmi les
méthodes chrétiennes provoquant des expériences mystiques, les exercices de saint Ignace de
Loyola, fondateur des Jésuites dont la méthode de prière impliquait l’imagination visuelle pour se
rapprocher de Dieu.
L’universitaire religieux Dan Merkur a conclu que les premiers Juifs et Chrétiens utilisaient
des substances psychédéliques comme faisant partie de leur rites religieux. Dans son livre Le Mystère
de Manna, le sacrement psychédélique de la Bible (Merkur 2000), il utilise l’exemple de manna, le
pain miraculeux que les Israélites mangeaient avant de célébrer la gloire de Yahvé apparaissant dans
un nuage. Merkur suggère que cet incident était en fait une initiation à un culte de mystère
psychédélique qui provoquait des visions spirituelles à travers le pain contenant de l’ergot – un
champignon psychoactif contenant des ingrédients actifs proche du LSD. En outre, cet exemple en
était un parmi d’autres dans une tradition de sacrements psychédéliques de Moïse à la manna
jusqu’au Christ et à l’eucharistie. D’après Merkur, lorsque cette pratique devint inacceptable aux
religieux orthodoxes, elle était perpétuée en secret par les gnostiques, les franc-maçons et les
kabbalistes. John Allegro, membre d’une équipe formée pour déchiffrer les manuscrits de la mer
Morte, alla encore plus loin. Dans son livre controversé Le Champignon sacré et la croix, Allegro
affirmait que le judaïsme et le christianisme avaient leurs origines dans des cultes de fertilité au
Proche-Orient qui utilisaient les champignons psychédéliques dans leurs rituels (Allegro 1970).
Il est clair que, l’expérience de renaissance psychospirituelle ou de seconde naissance, a
joué un rôle important dans la chrétienté de ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Dans un passage très
intéressant de l’évangile de Jean, le Christ parle de l’importance de la renaissance. « A moins d’être
né une seconde fois, il ne peut pas voir (pénétrer) le Royaume de Dieu ». Nicodème, qui prend la
phrase de Jésus dans son sens littéral, ne peut pas comprendre comment lui, un grand homme
pourrait passer à travers le pelvis de sa mère et naître à nouveau. Dans une référence évidente à la
renaissance psychospirituelle, le Christ explique qu’il ne parle pas de renaissance de la chair, mais de
naître d’en haut, de l’eau et de l’Esprit.
Les moines médiévaux chrétiens utilisaient la méditation avec imagerie guidée pour faire
l’expérience de la mort et de la renaissance. Un exercice de ce type constituait à visualiser sa propre
mort et la décomposition du corps qui s’en suivait. Un autre exercice était l’identification
expérimentale avec la souffrance du Christ et de sa mort sur la croix suivie de sa résurrection
(imitatio Christi).
Hésychasme : (du grec ἡσυχασμός/hesychasmos de ἡσυχία/hesychia, "l'immobilité, le repos, calme, le
silence") est une pratique spirituelle mystique enracinée dans la tradition de l'Eglise Orthodoxe, pratiquée (en
grec ἡσυχάζω/hesychamo, ce qui signifie : "être en paix, garder le silence") par l'hésychaste. Comme son nom
l'indique, elle vise la paix de l'âme ou le silence en Dieu.
38
Les soufis, mystiques de l’islam, ont utilisé pendant des siècles la musique spirituelle, les
respirations intensives et les chants dévoués dans leurs cérémonies sacrées (connus sous le nom de
zikers ou dzikres). Les sectes de derviches tourneurs sont connues pour leurs danses enivrantes qui
provoquent des états de transe. Tout comme les mystiques des autres grandes religions, les soufis
ont été en conflit avec les autorités religieuses officielles et ils ont souffert de sérieuses persécutions
dans de nombreux pays musulmans. Mansur-al Hallaj, le célèbre poète extatique soufi connu comme
« le martyr de l’amour mystique » fut emprisonné et brûlé vif pour avoir proclamé les impressions
qu’il atteignit dans ses ravissements extatiques « ana’l Haqq- je suis Dieu, la Vérité Absolue, la
Véritable Réalité ». Al-Shuhrawardi, théologien, philosophe musulman et fondateur de l’école
« illuminationniste » de philosophie fut jugé pour hérésie par ses rivaux dans le clergé musulman qui
le condamnèrent à mort, après quoi il fut nommé « al-Maqtul » (« le Tué »). Même Ibn al-Arabi, « le
Plus Grand Maître » auteur des Révélations de la Mecque et probablement la figure la plus influente
dans l’histoire du soufisme fut persécuté et emprisonné.
Les mystiques ont dû affronter des défis très difficiles dans les religions organisées, même si
à travers leur expression directe de dimensions mystiques de la réalité dans les états de conscience
holotropiques, ils ont inspiré tous les grands mouvements religieux. De telles expériences, par
ailleurs sont essentielles à la préservation de la vitalité et la pertinence des croyances religieuses.
Chapitre 5
LE VOYAGE POSTHUME DE L’AME
Prête donc, prête donc, prête donc tes ailes ! Je m’élève ! Je Vole !
O tombeau ! Où donc est ta victoire ?
O Mort ! Où donc est ta piqûre ?
Alexander Pope, Le chrétien Agonisant, à son âme
Les groupes humains préindustriels, ne voyaient pas la mort comme la fin de l’existence
humaine. Selon eux, la vie et la conscience se poursuivaient d’une façon ou d’une autre même après
la cessation de tous les processus vitaux. C’est pourquoi ils fournissaient aux membres de leur
communauté des cartes très élaborées de l’au-delà ainsi que des indications pour préparer le voyage
posthume de l’âme. Les descriptions spécifiques de la vie après la mort varient en fonction des
cultures, des groupes ethniques, de leur histoire, du lieu , mais les concepts d’ensemble restent très
semblables. Parfois l’image du Monde d’après est très concrète et ressemble de près à l’existence
terrestre. Mais généralement, les royaumes du monde de l’au-delà se distinguent véritablement de
tout ce qui est connu sur Terre. Quoiqu’il en soit, que le lieu de résidence de l’âme soit un
environnement familier ou non, le voyage de l’âme dans l’au-delà est souvent vu comme un
processus complexe de transitions et de transformations à travers différents niveaux et royaumes.
Les lieux de l’au-delà et le monde archétypal
Trois lieux dans l’au-delà – le Ciel, le Paradis et l’Enfer - apparaissent avec une fréquence
extraordinaire dans la mythologie eschatologique. Cette distribution quasi-universelle traverse les
religions, les cultures, les lieux géographiques et les périodes historiques. Le concept d’un lieu ou état
intermédiaire, tel que le Purgatoire ou les Limbes est quant à lui moins commun. Le Ciel est
généralement considéré comme étant au-dessus, lié à l’expérience humaine, et il comprend le soleil,
la lune et les étoiles. C’est un domaine de bonheur, de joie et de lumière habité à la fois par des êtres
spirituels supérieurs et des êtres humains vertueux désincarnés. Le Paradis est un autre lieu de l’audelà destiné aux êtres bénis, un lieu d’extraordinaire bonheur, de joie, de paix et de plaisir. Comme
son nom l’indique (en vieux persan « paridaeza » signifie jardin fermé) le paradis est généralement
représenté comme un beau jardin ou comme un parc où les arbres portent des fruits exotiques en
Commentaire [E9]: Insérer une note
de bas de page : n ai pas trouvé d’infos a ce
sujet
abondance, avec les rivières de la vie et de superbes oiseaux et animaux. Parfois le Paradis est situé
dans un lieu naturel d’exception, par exemple une île.Il peut encore apparaître au moment de
l’aurore boréale. L’Enfer quant à lui est généralement le royaume du dessous, situé sous la surface de
la Terre dans des cavernes souterraines. C’est une région chthonienne39 d’obscurité et de noirceur
associée à la terreur, au désespoir et à la souffrance physique. Les habitants de l’Enfer sont des
créatures démoniaques qui prennent plaisir à exposer leurs victimes à des tortures inimaginables.
La croyance erronée selon laquelle ces lieux de l’au-delà seraient localisés dans l’Univers
physique - le Ciel dans l’espace intersidéral, le Paradis dans un lieu caché à la surface du globe, l’Enfer
à l’intérieur de la terre - a conduit à un conflit bizarre et totalement inutile entre la science et la
religion. Les astronomes ont utilisé des appareils tels que le télescope Hubble pour explorer et
cartographier la « voûte Céleste ». Les résultats de ces efforts, qui ont bien sûr échoué à montrer un
ciel habité par Dieu et les anges, sont la preuve définitive que de telles réalités n’existent pas.
Pareillement, en cataloguant et cartographiant chaque centimètre de la surface de la Terre, les
explorateurs et les géographes ont trouvé de nombreux lieux d’une beauté extraordinaire, mais
aucun de ces lieux ne correspond aux descriptions du Paradis que l’on trouve dans les textes
spirituels. Des géologues ont découvert que le centre de notre planète est constitué de couches de
nickel et de fer, tantôt solide, tantôt liquide, dont la température dépasse celle de la surface du
Soleil. Le centre de la Terre est fait quant à lui de couches de roche de silice dense et délicate – ce qui
n’en fait pas un endroit très plausible pour les caves de Satan.
Ce conflit apparent entre religion et science est ridicule et reflète de surcroît une
incompréhension fondamentale des deux côtés. Comme Ken Wilber l’a fait remarquer, il ne peut y
avoir de véritable conflit entre une science et une religion qui seraient authentiques. Un tel conflit
est vraisemblablement le conflit de sciences et de religions « fausses », dans lesquelles chaque
partie comprend mal l’autre et représente très certainement une version faussée de sa propre
discipline (Wilber 1982). Des études modernes des états holotropiques ont montré que le Ciel, le
Paradis et l’Enfer sont ontologiquement réels. Ils représentent en effet des états importants et
distincts de conscience que tous les êtres vivants peuvent vivre au cours de leur vie et sous certaines
circonstances. La thanatologie a rapporté bon nombre de preuves qui montrent que ces expériences
arrivent généralement au moment de l’agonie et de la mort.
Dans son essai révolutionnaire le Ciel et l’Enfer, Aldous Huxley a suggéré que des concepts
tels que le Ciel et l’Enfer étaient la représentation de réalités subjectives. Ces réalités peuvent en
effet être vécues de manière très concrète et convaincante pendant des états non-ordinaires
provoqués par des substances psychédéliques ou par de puissantes techniques autres que les
drogues (Huxley1959). Les visions célestes, paradisiaques et infernales sont des compositions à partir
de plusieurs supports : le spectre expérimental des voyages intérieurs psychédéliques, les états
proches de la mort, ainsi que les expériences mystiques tout comme les crises chamaniques
initiatiques et d’autres types de « crises spirituelles ». Les psychiatres voient souvent de telles
expériences chez leurs patients. Cependant en raison de leur modèle inadéquat de la psyché, ils les
interprètent comme étant des manifestations de maladies mentales causées par un processus
pathologique d’étiologie inconnue, sans réaliser que les matrices de ces expériences existent dans les
profondeurs de l’inconscient de chaque être humain.
Un aspect étonnant des expériences holotropiques de provenances variées impliquant les
thèmes et les motifs eschatologiques, est que leur contenu peut être tiré des mythologies de chaque
culture du monde, y compris celles dont le sujet n’a aucune connaissance intellectuelle. C. G. Jung a
démontré ce fait extraordinaire pour des expériences mythologiques de tout ordre qui ont lieu dans
39
Chtonienne : du grec χθών / khthốn, « la terre ». Synonyme tellurique, du latin tellus, la terre. Se rapportant
à la terre ou au monde souterrain. Les divinités chtoniennes, s’opposent aux divinités célestes, dites
ouraniennes (NdT)
les rêves et dans les expériences psychotiques de ses patients. Son observation l’a amené à conclure
que la psyché humaine contient également en dehors de l’inconscient individuel freudien, un
inconscient collectif, où repose l’entière culture de l’humanité. La connaissance de la mythologie
comparée est ainsi bien plus qu’un simple problème d’intérêt personnel ou autre exercice
académique, c’est un outil très important et très utilisé par les individus qui s’intéressent à la
thérapie expérientielle et à l’exploration de soi. C’est également un pré-requis nécessaire à ceux qui
les accompagnent et qui les soutiennent au cours de leur voyage.
Histoires vécues : signification de l’inconscient collectif dans la psychothérapie
Des épisodes de ma pratique clinique illustrent de façon remarquable la signification de
l’inconscient collectif dans le travail psychothérapeutique. Le premier implique Otto, un client avec
lequel j’ai travaillé lorsque j’étais à l’Institut de Recherche Psychiatrique à Prague en tant que
chercheur principal dans un programme de recherche de thérapie psychédélique.
Otto fut accepté dans le programme parce qu’il souffrait à la fois de dépression et d’une
frayeur pathologique de la mort (thanatophobie). Pendant l’une de ses séances psychédéliques il fit
l’expérience d’une puissante suite de morts et de renaissance psychospirituelles. A l’instant où cette
expérience atteignait son sommet, il eut la vision d’un inquiétant portail d’entrée aux Enfers, gardé
par une déesse ayant la forme d’une truie terrifiante. Il éprouva immédiatement le besoin urgent de
faire un dessin géométrique particulier. Généralement je demandais à mes clients de rester en
position allongée pendant leur séance en gardant leurs yeux fermés de façon à conserver leurs
expériences à l’intérieur. Cependant, Otto ouvrit les yeux, s’assit et me demanda de lui apporter des
feuilles de papier et du matériel de dessin.
Il dessina avec une urgence et une vitesse extraordinaires une série de dessins abstraits et
complexes. Témoignant d’une insatisfaction profonde qui allait jusqu’au désespoir, il les déchirait
une fois terminés. Il était très déçu de ses dessins et il devenait de plus en plus frustré parce qu’il
« n’ y arrivait pas ». Lorsque je lui ai demandé ce qu’il essayait de faire, il était incapable d’expliquer
quoique ce soit, il répondit simplement qu’il ressentait un besoin compulsif et irrésistible de dessiner
ces schémas et qu’il était convaincu que parvenir au bon dessin était la condition nécessaire à la
réussite de sa séance.
Ce sujet avait clairement une charge affective importante, et il semblait important de
comprendre cela. A cette époque-là j’étais encore fortement influencé par ma formation freudienne.
Je me suis donc appliqué à identifier les motifs inconscients de ce comportement étrange en utilisant
la méthode de l’association libre. Nous avons passé beaucoup de temps à cette tâche-là, mais sans
réel succès. La séance ne faisait aucun sens. Finalement nous changeâmes de sujet et j’ai arrêté d’y
penser. Cet épisode tout entier resta un total mystère pour moi, jusqu’à quelques années plus tard
lorsque j’ai déménagé aux Etats-Unis.
Peu après mon arrivée à Baltimore, j’ai été invité à faire une conférence pour la Société
pour l’Art, la Religion et la Science à New York intitulée « Le Grotesque dans l’art ». Ma présentation
explorait le problème du grotesque, fondé sur mes observations de recherche psychédélique, et
comprenait une présentation de diapositives des peintures de mes clients. Joseph Campbell,
universitaire renommé considéré par bon nombre de personnes comme étant le plus grand
mythologiste du XXème siècle, et probablement de tous les temps, participait également à la
conférence. Il était fasciné par les expériences de mes patients revivant leur naissance et par les
peintures qu’ils en avaient faites. A sa demande, je lui ai envoyé un manuscrit qui résumait mes
recherches de Prague. C’était un volume épais intitulé L’Agonie et l’extase en traitement
psychiatrique, un travail qui ne fut jamais publié dans sa forme originelle, et qui plus tard, devint la
source de cinq livres traitant de divers aspects de mon travail.
Après quelques rencontres successives, Joseph et moi devînmes de bons amis, et il en vint à
jouer un rôle très important dans ma vie personnelle et professionnelle. Ma femme Christina était
elle-même devenue son amie depuis le temps où elle était son élève au Sarah Lawrence College.
L’intelligence de Joseph était remarquable, et sa connaissance de la mythologie du monde entier,
Commentaire [E10]: tu veux bien
mettre une note de bas de pages STP
Olivier. J'ai essayé mais alors c'est trop
compliqué j'ai peur de me tromper ou de
fair eun truc pas clair
véritablement encyclopédique. Il adorait ce qui concernait la recherche psychédélique et tout
particulièrement mon concept des trois matrices périnatales fondamentales (BPM40 voir chapitre 8),
concept qui l’aida à comprendre l’ubiquité et la nature universelle du motif de la mort et de la
renaissance dans la mythologie. Après notre déménagement en Californie, j’eus l’occasion de voir
Joseph régulièrement. Il était en effet un invité fréquent de l’Institut Esalen, où il dirigeait ses
propres ateliers, et participait en tant qu’invité de la faculté aux séminaires qui duraient un mois et
qui étaient dirigés par Christina et moi-même.
Au bout de quelques jours à Esalen, Joseph était généralement fatigué par le menu de
l’Institut qu’il qualifiait de « nourriture pour lapins » et il avait envie d’un bon steak et de whisky
Glenlivet. Nous l’invitions régulièrement à la maison avec Christina où nous lui cuisinions ses plats
préférés. Au fil des ans, nous avons eu bon nombre de discussions fascinantes pendant lesquelles j’ai
partagé avec lui mes observations sur plusieurs expériences archétypales obscures des participants
de nos ateliers, que j’étais à la fois incapable d’identifier et de comprendre. Contrairement à Joseph
qui n’avait nulle difficulté à identifier les sources culturelles du symbolisme dont il était question.
Au cours de l’une de ces discussions, je me suis souvenu de l’épisode décrit précédemment
concernant la séance d’Otto, et je l’ai partagée avec lui. « Comme c’est fascinant » dit Joseph sans la
moindre hésitation. « Il s’agit clairement de la Mère Cosmique de la Mort Nocturne, la Déesse Mère
Dévoratrice des Malékulans de la Nouvelle Guinée ». Il continua ainsi à me raconter que les
Malékulans croyaient qu’ils rencontreraient cette déité pendant leur voyage vers la mort. Elle avait la
forme d’une figure femelle effrayante avec les traits d’une truie. D’après la tradition malékulane, elle
s’asseyait au portail des Enfers et avec un dessin de labyrinthe compliqué.
Les garçons malékulans avaient un système de rituels élaborés qui impliquaient l’élevage de
porcs. Le porc que chaque garçon élevait pendant son enfance représentait sa mère. Le fait de tuer
leur mère au moment de la puberté aidait les membres mâles de la tribu à surmonter la dépendance
à leur mère humaine, aux femmes en général, et en dernière instance à la Déesse Mère Dévoratrice.
Les Malékulans passaient beaucoup de temps durant leur vie à pratiquer l’art du dessin de
labyrinthe, car sa maîtrise était considérée essentielle à un voyage réussi aux Enfers. Joseph avec son
incroyable connaissance de la mythologie du monde, fut ainsi capable de résoudre ce mystérieux défi
que j’avais rencontré lors de mes recherches à Prague.
Les questions restantes auxquelles Joseph lui-même était incapable de répondre étaient les
suivantes. Pourquoi ce motif particulier était-il si intimement connecté aux symptômes émotionnels
d’Otto ? Pourquoi Otto devait-il rencontrer cette déité Malékulane comme faisant partie de sa
thérapie, et pourquoi cette expérience était-elle tellement importante à sa réussite ? En même
temps, le fait de maîtriser les problèmes associés au voyage posthume de l’âme faisait certainement
sens pour quelqu’un dont le principal symptôme était la thanatophobie, c’est-à-dire la peur
pathologique de la mort. Le choix du symbolisme Malékulan dans ce cas particulier demeurait
cependant un mystère.
J’ai décrit dans les détails le cas d’Otto parce qu’il illustre plusieurs points importants. Dans
les états holotropiques, plusieurs thèmes de la mythologie eschatologique deviennent une réalité
expérimentale : ils sont intimement connectés aux problèmes psychologiques de l’individu età son
état émotionnel ainsi qu’à ses problèmes psychosomatiques. Le fait que ni moi ni Otto n’aient eu de
connaissances intellectuelles de la culture Malékulane corrobore une nouvelle fois la thèse de Jung
de l’inconscient collectif. Les éléments ésotériques de la vie rituelle et spirituelle de cette tribu de
Nouvelle-Guinée, qui ont émergé de façon spontanée pendant la séance d’Otto nécessitaient pour
pouvoir être compris, l’esprit encyclopédique du plus grand mythologiste de notre temps. En outre,
cet épisode démontre également la proche association entre la mythologie eschatologique et les
rites de passage.
J’ajoute ici un autre exemple, plus bref, d’une situation similaire étant survenue lors de mes
premières années de recherche psychédélique à l’Institut de Recherche Psychiatrique de Prague.
40
Basic Perintal Matrice, dans le texte (NdT)
Dans ce cas-ci, j’ai été capable de comprendre son imagerie et son symbolisme sans l’aide de Joseph,
même si cela m’a pris du temps. Cet épisode est issu d’une séance de LSD d’Alex, qui se porta
volontaire au programme de thérapie psychédélique après des mois d’échec de thérapie
traditionnelle destinée à guérir des états d’anxiété dont la phobie de l’obscurité.
A un stade avancé de sa thérapie, l’une des séances d’Alex fut dominée par les
réminiscences de son existence prénatale : il redevint un fœtus dans le ventre de sa mère, goûta le
liquide amniotique et éprouva sa connexion avec le corps maternel à travers le cordon ombilical. Il
était conscient de manière précise des changements dans l’état émotionnel et physique de sa mère.
Tandis qu’il faisait l’expérience d’un état de bonheur au cours d’une période pendant laquelle son
existence prénatale était vécue de façon paisible et sans le moindre dérangement, sa scène
embryonnaire s’ouvrit soudainement à une vision splendide de l’aurore boréale.
Alex flottait dans une lumière radieuse à l’état de pur esprit, sans aucune conscience de son
corps physique, et il vivait un ravissement extatique. Il était entouré d’autres êtres d’éther plongés
dans une activité joyeuse et dynamique. A un moment donné il réalisa que cette activité impliquait
un jeu de ballon étrange où un objet rond était passé de l’un à l’autre. Il finit par réaliser à sa grande
surprise que l’objet avec lequel on jouait était une tête de morse.
Dans le cas d’Otto, les associations libres n’apportaient aucune information pour élucider
cette étrange mais néanmoins fondamentale expérience émotionnelle. Nous avons finalement
abandonné et sommes passés à autre chose. Quelques années plus tard, je suis resté plusieurs
heures dans une librairie à San Francisco, à rechercher des livres susceptibles de m’intéresser. A ma
grande surprise, je suis tombé sur un livre de mythologie esquimau qui contenait un passage sur les
idées concernant la vie après la mort. Apparemment les esquimaux croient que le niveau le plus haut
du Ciel est situé à l’aurore boréale, un endroit glorieux, toujours lumineux, sans neige ni orage. Les
esprits heureux y résident et aiment jouer au ballon en utilisant une tête de morse. D’après la
sagesse esquimaude, l’aurore est causée par des courants de lumière qui reflètent le caractère
excitant et énergique du jeu. L’expérience mystérieuse d’Alex au LSD représentait ainsi une vision
d’une mythologie dont il n’avait en apparence eu aucune connaissance.
Pour les personnes qui vivent à notre époque, les états de conscience holotropiques
donnent accès à un large éventail de cultures du monde entier. Historiquement, cependant, il s’agit
d’un nouveau phénomène, un phénomène qui mérite une attention toute spéciale. Toutes les
cultures anciennes et primitives utilisaient lors de leurs rituels spirituels de puissantes pratiques
destinées à accroître la conscience, (« les techniques du sacré ») qui utilisaient des plantes
psychédéliques. Ainsi les personnes vivant dans ces sociétés faisaient régulièrement l’expérience de
figures archétypales et de motifs spécifiques à leurs cultures respectives. Sinon, ces discrètes
mythologies caractéristiques et aisément reconnaissables n’existeraient pas du tout. Bien que
certains archétypes universels soient partagés par plusieurs cultures, leur expression spécifique est
limitée à la leur. C’est pourquoi nous ne trouvons jamais de Dhyâna Bouddhas du Livre Tibétain des
morts sur les céramiques funéraires des anciens Mayas ou des sculptures du Christ sur la croix dans
les anciens temples Hindous.
Cette nouvelle capacité de la psyché humaine (ou propriété de la conscience collective) est
liée de près à la culture du monde entier et aux développements technologiques des siècles récents.
Jusqu’à la fin du XVème siècle, les Européens étaient ignorants de l’existence du Nouveau Monde et
de la même façon, les Indiens d’Amérique n’avait aucune connaissance de l’Europe ni de ses
habitants. Jusqu’à l’invasion chinoise du Tibet en 1949, le Tibet était assez fermé, et avait très peu de
liens avec le reste du monde. Seuls quelques individus exceptionnels tels qu’Alexandra David Neel et
Nama Govinda faisaient office d’agents culturels. Au début du XXème siècle, il y avait des endroits
sur Terre qui n’avaient pas encore été découverts.
Cette situation a changé radicalement, avec l’apparition des avions, des téléphones, des
radios, et plus récemment d’internet, éléments qui ont transformé la planète en un « village
mondial ». Pour la première fois dans l’histoire, nous avons accès à des traductions d’écrits spirituels
et à des enregistrements de musiques rituelles et spirituelles de tous les temps et de tous les pays,
tout comme à des visites de maîtres de toutes les religions. Grâce aux éléments qui refont
spontanément surface depuis le large éventail de la conscience collective mais aussi dans des états
holotropiques provoqués, la connaissance de la mythologie mondiale en général et de la mythologie
eschatologique en particulier est devenue un outil extrêmement important pour les psychiatres, les
psychologues et les psychothérapeutes. La connaissance des rites de passage du monde archétypal
est également essentielle à celui qui avance dans le voyage spirituel et dans l’aventure de
l’exploration et la découverte de soi. En gardant tout cela à l’esprit, nous allons maintenant nous
pencher sur l’un des thèmes les plus importants de la mythologie eschatologique dans une
perspective interculturelle.
Le Ciel, le Paradis, et le thème du Jugement Divin
Le concept de maison finale des Justes après leur mort - le Ciel ou le Paradis - apparaît dans
des variations différentes. Les anciens hébreux ont vu le Ciel comme le monde du dessus (Shamayim)
et le voyaient comme le lieu de résidence de Yahvé. Dans la tradition juive, le jardin d’Eden avait des
niveaux différents : le Jardin Inférieur et le Jardin Supérieur. Dans le Jardin Inférieur de l’Eden, les
âmes habitaient les corps de la même façon que dans la vie du défunt et jouissaient de divers plaisirs
spirituels. Dans le Jardin Supérieur, les âmes résidaient dans leur véritable essence et profitaient de
divers plaisirs spirituels qui étaient bien meilleurs et plus exaltants que les plaisirs du Jardin Inférieur.
Lorsque quelqu’un venait à mourir, l’âme (nefesh) montait au Jardin Inférieur de l’Eden. Le
corps qu’elle occupait était de nature extrêmement raffinée – une simple forme d’énergie qui ne
requérait pas de nourriture physique, ni de boisson. Elle recevait sa substance à travers une forme
supérieure d’odorat. Ensuite l’âme montait au Jardin Supérieur de l’Eden (Neshamah) où elle était
nourrie par la lumière de la divine présence. Les Justes étaient assis, leur couronne sur la tête,
profitant de l’incandescence de la Présence Divine. Ils obtenaient le plaisir de sa vue et n’avaient nul
besoin de manger ni de boire. Les histoires de la tradition juive mystique mettent souvent en scène
des lieux similaires au Ciel et au Purgatoire chrétiens, les âmes errantes et la réincarnation.
Le concept chrétien du Ciel combine l’image hébraïque d’une région dans le ciel avec les
idées grecques des sphères concentriques célestes ainsi que l’image du voyage spirituel. Les suiveurs
du Christ, qui arrivaient au Ciel, profitaient de la présence de Dieu, des anges et des saints, et
contemplaient Son Etre. La mythologie chrétienne possède une grande hiérarchie d’anges : les
Séraphins, les Chérubins, les Trônes (ou Roues), les Dominations, les Vertus, les Pouvoirs, les
Principaux, les Archanges et les Anges. Autre lieu pour les bénis dans la tradition chrétienne : le
Paradis ou le Jardin de l’Amour. Ce concept est dérivé des mythes de l’Age d’Or et du Jardin d’Eden.
Le symbolisme implique un lieu géographique, des éléments de nature sainte, des murs d’or et des
rues pavées d’émeraudes. Quatre rivières ont leur origine dans le jardin et coulent en direction des
quatre points cardinaux. Les émotions et les tendances négatives en sont absentes, le lion et
l’agneau se tiennent côté à côte paisiblement. Un autre lieu pour les chrétiens bénis est la Ville
Céleste, avec une architecture spectaculaire et des rues pavées d’or, d’argent et de pierres
précieuses.
Le Jugement Divin, thème archétypal récurrent dans la mythologie eschatologique est une
composante importante du voyage posthume du christianisme. Le christianisme évalue la morale de
l’individu de deux façons. La première a lieu au moment de la mort et implique le pesage des âmes.
Plus rarement, la séparation entre les justes et les pêcheurs a lieu sur un pont ou sur une échelle
menant au Ciel. Dans l’imagerie qui montre le jugement des morts, on voit généralement des images
de démons et d’anges luttant pour l’âme et on voit généralement l’Archange Saint-Michel être le
partisan des âmes des morts. Le second type d’évaluation morale, le Jugement Dernier, est censé
arriver à la fin des temps quand les tombes s’ouvriront et que les morts seront jugés une nouvelle
fois. L’art chrétien abonde en peintures et en reliefs du Jugement Dernier. Jésus-Christ y est décrit
comme un juge sévère entouré des quatre bêtes de l’Apocalypse : le lion, l’aigle, le taureau et
l’homme ailé. Les justes sont vus montant vers l’Amour et les damnés sont dévorés par la bouche de
l’Enfer.
Le Coran promet d’admettre les croyants au Ciel et de reléguer les infidèles à l’Enfer. La
gloire des sept cieux et du Paradis est décrite dans le Miraj Nameh, une légende mystique du voyage
miraculeux nocturne de Mohamed. Sur sa monture céleste à tête humaine couronnée, Al-Buraq,
accompagné par l’Archange Gabriel, Mohammed visite les régions des Enfers : les sept cieux, le
Paradis et le domaine infernal de Géhenna. Chacun de ces cieux est associé à un métal ou à une
pierre précieuse et c’est là que se trouvent les prophètes antérieurs. C’est dans le Septième Ciel que
Mohamed rencontre Allah, rencontre au cours de laquelle il fait l’expérience de l’extase proche de
l’annihilation et reçoit des instructions pour les prières de ses suiveurs.
Le Paradis musulman est une oasis avec de beaux jardins, des arbres splendides arborant
des fruits exquis, des oiseaux exotiques et des rivières d’eaux pures, de miel et d’huile. La vie dans ce
lieu idyllique reflète les goûts des hommes arabes, leurs fantasmes et leurs rêves. Les hommes sont
vêtus de costumes en soie et portent des bracelets d’or et d’argent ainsi que des couronnes en
perles. Allongés sur des canapés dans des chambres richement décorées de tapis de soie et
d’oreillers, ils jouissent de la perpétuelle jeunesse, de la beauté et de la vigueur tandis qu’ils
dégustent des repas avec du vin et des fruits exquis. La musique et les chants rehaussent encore les
extraordinaires plaisirs sensuels que ce royaume leur offre. Mais les plaisirs les plus extraordinaires
sont offerts par les hôtes houris, des femmes ravissantes aux yeux noirs de musc pur, attendant dans
les pavillons de perles de servir les plaisirs des fidèles. Ayant accordé toute leur attention à leurs
clients et ayant satisfait leurs désirs sexuels, les houris retrouvent leur virginité. Les plaisirs du
Paradis sont tellement étonnants que Dieu y donne à chacun les potentialités de cent individus.
Le thème du Jugement divin est également un aspect important de la religion islamique. L’
éthique des personnes décédées est examinée dans le détail par deux anges Munker et Nakeer qui
viennent interroger les morts. Ceux qui sont jugés justes sont rafraîchis par de l’air et du parfum, et
une porte leur est ouverte vers le Paradis. Les infidèles sont habillés des haillons de l’Enfer, passent
ensuite à travers les portes infernales en Enfer, où ils sont enveloppés par la chaleur et le vent
pestilentiel jusqu’à ce que le tombeau se referme sur eux et écrase leurs côtes. Ils restent là,
agonisants, jusqu’au jour de la résurrection. Dans la tradition musulmane il est aussi question du
Sirat, le pont au-dessus de l’Enfer « plus fin qu’un cheveu et plus coupant qu’une épée ». Tous les
morts doivent traverser ce pont. Les croyants sont capables de garder leur équilibre et le traversent
avec succès, les non-croyants quant à eux glissent et plongent dans les abîmes infernaux.
Le concept Zoroastrien41 des domaines de l’au-delà, est vivement dépeint dans le Livre
d’Arda Viraf qui décrit les visions spirituelles provoquées par le vin et par un produit « narcotique ». Il
s’agit très probablement du sacrement psychédélique haoma. Pendant le voyage visionnaire de Viraf,
deux guides spirituels – le messager divin Shrosh et l’ange Adar - l’emmènent en visite au Paradis et
en Enfer, et lui expliquent chaque endroit en détail. Le Zend Avesta, enseigne qu’après la mort, l’âme
peut atteindre le Paradis en suivant une suite de lumières de plus en plus brillantes : les Etoiles
(bonnes pensées), la Lune (bonnes paroles) et le Soleil (bonnes actions. Pendant le voyage posthume,
les âmes doivent traverser une triste rivière de larmes, constituée des pleurs que leurs parents et
amis ont versés pendant leur deuil et lamentations. Si les survivants ont montré une tristesse
excessive, les défunts trouvent en la rivière de larmes un formidable obstacle et une impasse qui
rend la traversée impossible. Les âmes des personnes qui accèdent au Paradis tels que les bons
gouverneurs et monarques, les parleurs sincères, les chefs religieux et les « femmes vertueuses qui
considèrent leur mari comme leur seigneur » sont revêtus de vêtements d’or et d’argent et profitent
de la présence des archanges, des anges et des anges gardiens.
Certains aspects du voyage posthume Zoroastrien méritent une attention spéciale. Le motif
du jugement divin, encore une fois, joue un rôle important. Trois jours après la mort et après la
douloureuse séparation de l’âme du corps, les défunts rencontrent l’image de leur propre moi,
déguisé en une belle jeune femme de quinze ans. Aux vils, leur moi apparaît sous la forme d’une
femme décrépie, sale et puante. Une déité appelée « Just Rashnu » pèse les mauvaises actions des
41
Zoroastrisme : religion monothéiste perse, qui vénère Ahura Mazda (NdT)
personnes défuntes contre leurs bonnes actions. Les défunts traversent alors une épreuve spéciale :
ils doivent essayer de traverser le Cinvatu paratu ou « Pont du Séparateur ». Aux justes, le pont
apparaît comme large et confortable, et ils le traversent aisément vers le bonheur suprême éternel.
A ceux qui s’avèrent cruels, le pont offre leur autre côté qui est extrêmement étroit et qui ressemble
à une lame de rasoir. Lorsqu’ils essayent de le traverser, leurs mauvaises actions prennent la forme
de chiens de chasse qui les poursuivent en hurlant et les attaquent. Les méchants perdent l’équilibre
et tombent dans les mâchoires du démon Vizarsh puis entrent en Enfer. Cependant, le jugement final
doit attendre l’apocalypse, où une bataille décisive finale aura lieu. Après la victoire d’Ahura Mazda
sur l’armée d’Ahriman, la Terre et le Paradis seront réunis, et le royaume d’Ahura Mazda
s’épanouira.
Le Paradis des anciens Grecs était localisé en haut du Mont Olympe, le domaine des douze
Olympiens, principaux dieux du Panthéon grec, qui résidaient dans de beaux palais de cristal. Là, se
trouvait également le trône de Zeus, déité principale. Sur le mont Olympe, se trouvaient dix dieux
fixes : Zeus, Héra, Poséidon, Arès, Hermès, Héphaïstos, Aphrodite, Athéna, Apollon, et Artémis.
Quant à Déméter, Dionysos, Hadès et Hestia, ils étaient des dieux variables. Sur le mont Olympe, les
dieux se délectaient de nectar et d’ambroisie qui leur apportaient l’immortalité. En même temps, les
Dieux Grecs étaient anthropomorphiques et manifestaient des caractères et des émotions humaines,
y compris leurs faiblesses. Ils avaient des conflits féroces et des histoires d’amour passionnées les uns
avec les autres et se mêlaient librement aux personnes mortelles, engendrant des demi-dieux, tels
qu’Héraclès, Achille, Thésée et Persée.
Les domaines paradisiaques des Grecs classiques étaient les Iles de Blest et les Champs
Elysées, situés au-delà des eaux de l’Atlantique et au bout du monde. D’après des références
trouvées dans Homère, Pindare et Strabo, les Champs Elysées avaient un climat idéal sans pluie, sans
neige, ni vent fort si ce n’est les douces brises du Zéphyr. Des parfums exhalaient dans l’air et la
nature était étonnamment belle avec des prairies de roses cramoisies et des arbres portant des fruits
d’or et d’encens. La terre était tellement fertile qu’elle donnait des fruits sucrés comme le miel trois
fois par an. La vie était aussi tranquille qu’il est possible de l’imaginer. Les habitants profitaient de la
musique et de la poésie, jouaient aux dames, et participaient à différents sports de leur choix comme
l’équitation et les luttes.
Les mystères orphiques qui enseignaient que la rédemption avait lieu par la libération de la
matière et des limites terrestres, voyaient les Champs Elysées comme un endroit de repos joyeux
pour les purs esprits. Il était d’abord localisé dans des Enfers d’étrange clarté puis dans les hautes
régions célestes. Les pythagoriciens et d’autres groupes de la Grèce ancienne croyaient en la
réincarnation et en la transmigration des âmes (métempsychose). D’après Platon, les morts étaient
jugés dans une prairie par Ecus, Minos et Rhadamanthe et étaient envoyés soit au Tartare obscure,
soit aux Iles de Blest. A la suite de quoi, ils buvaient dans la rivière du Léthé, rivière de l’oubli, et
oubliaient leurs expériences passées.
Dans la mythologie nordique, le domaine du Paradis avait un fort accent martial, connu
sous le nom de Valhalla ou Couloir des Tués, présidé par Odin (Wotan), principale déité du Panthéon
Nordique. Odin est un dieu de guerre et de mort, mais aussi de poésie et de sagesse. Il apprit les
secrets des runes et neuf chansons puissantes lorsqu’il resta accroché pendant neuf jours sur l’Arbre
du Monde Iggdrasil, transpercé par sa propre épée. Odin gagna également une énorme sagesse
lorsqu’il échangea l’un de ses yeux contre un breuvage dans le Puits de la Plus Grande Sagesse, gardé
par le géant Mimir. Ses compagnons étaient deux loups, deux corbeaux, et sa monture à huit pattes
Sleipnir.
Valhalla est un hall géant avec 540 portes. Ses combles sont des lances, et le toit est fait de
boucliers. Les armures des guerriers sont dispersées partout. Un loup garde la porte ouest, et un
aigle plane au-dessus. Ici, les messagers d’Odin et les esprits de la guerre, les Walkyries
(Choisisseuses des Tués), de belles jeunes femmes montées sur des chevaux ailés et armées de
casques et d’épées, ramènent la moitié des héros morts sur les champs de bataille. L’accès à Valhalla
ne se mérite que grâce aux prouesses martiales. Les guerriers s’engageaient dans des tournois
splendides pendant la journée et la nuit, ils festoyaient ensemble en mangeant du porc et en buvant
Commentaire [E11]: A verifier en
français. N’ai rien trouvé au cours de
recherché nombreuses pourtant
Commentaire [E12]: idem
de l’alcool de miel. Ces héros, les Einherjar sont préparés à Valhalla pour la bataille à venir de
Ragnarok, le Crépuscule ou Destin de Dieux.
Selon l’ancienne tradition védique42, plus particulièrement la Rigvéda, le Paradis était le
royaume où les pères allaient après leur mort pour être avec les dieux. Ce domaine était associé au
ciel, et les morts aux étoiles. Yama qui fut le premier humain à mourir mais aussi le gouverneur des
morts, régnait dans le domaine de la lumière, situé dans le ciel extérieur. Les vies de toutes les
personnes méritantes étaient libres de douleur et de préoccupations. Ils profitaient de la musique,
de la réalisation sexuelle et des plaisirs sensuels, en somme des délices terrestres. Le destin de ceux
qui trépassaient dépendait de leur participation aux rituels, aux offrandes et aux sacrifices faits aux
dieux pendant qu’ils étaient sur Terre. Agni, le dieu du feu, permettait la purification des personnes
décédées, pré-requis nécessaire à un voyage posthume réussi.
Plus tard, Lama devint le seigneur des régions infernales. Sa monture était un buffle noir
féroce, forme que parfois Lama prenait lui-même. Il utilisait un lasso pour attraper ses victimes et
une masse pour les châtier. D’après le Mahabharata, son domaine appelé Yamalya contenait un
magnifique palais construit par l’architecte Vishwakarma sur la requête de Brahma. Face à la porte
sud, il y a avait quatre abîmes où les vils étaient punis. Trois autres portes étaient réservées à
l’entrée des justes afin qu’ils n’aient pas à voir le lieu du châtiment lorsqu’ils allaient être jugés.
Brahma ordonna à Vishwakarma de creuser une grande tranchée et de la remplir d’eau. Il demanda
alors au dieu du feu Agni d’entrer dans cette rivière et de faire bouillir l’eau. Après sa mort, chaque
personne était obligée de traverser la rivière à la nage : le passage était inoffensif aux justes, alors
que les vils souffraient des tourments et des crampes. Yama fonctionnait aussi comme juge des
morts et envoyait les vils souffrir dans les endroits de l’Enfer appropriés et les personnes aux actions
nobles au Paradis.
L’hindouisme apportait un point de vue différent, reflétant les idées philosophiques et
spirituelles des Upanishads43. Ici, l’accent était mis sur la continuité cyclique de l’existence : une série
de vies, de morts et de renaissances, de karma et de réincarnation. Dans ce contexte, le Paradis et
l’Enfer étaient vus non pas comme des endroits de destinée ultime, mais comme des états
intermédiaires alternant avec des séries d’existences humaines. La cosmologie traditionnelle
Hindoue, comprenait quatorze royaumes transcendantaux : la moitié au-dessus de la terre (Sept
Mondes Supérieurs ou « Paradis », Sapta Urdhvaloka, et l’autre moitié en-dessous (Sept Mondes
Inférieurs ou Sapta Adholoka). La nature du passage de l’âme (jiva) de l’existence terrestre à une
autre existence des Paradis ou des Enfers est déterminée par le karma44, un compte-rendu cumulatif
des pensées, paroles et actions dans l’entière série des existences.
La mythologie hindoue est extrêmement riche et elle décrit beaucoup de royaumes célestes
et paradisiaques. Le plus important est le Mont Mérou, une montagne dorée au centre de l’Univers
et du monde. En tant que centre du monde, le Mont Mérou se situe bien en-dessous du sol, dans les
régions ténébreuses, et s’étend tout aussi loin vers les cieux. Les déités principales ont toutes leur
propre royaume céleste sur ou près du Mont Mérou. Là leurs adorateurs résident à leurs côtés en
attendant leur prochaine incarnation. Dans le Paradis de Vishnu, Vaikuntha, (le dieu) et son épouse
Lakshmi, la déesse de la bonne fortune, de la générosité, de la beauté et de la pureté, se reposent au
milieu des lotus, entourés de piscines décorées d’or et de bijoux précieux qui reflètent leur propre
lumièreLe Paradis de Shiva se trouve sur le Mont Kailas, où il réside avec son épouse Parvathi.
Le bouddhisme partage avec l’hindouisme une vue cyclique de l’histoire et de l’existence
individuelle. Le monde samsarique - monde de l’espace, du temps et de l’histoire - est transitoire et
42
Védas : textes sacrés de l’Inde révélés aux Rishis -4000 à -2000 (NdT)
43
Upanishads : « enseignements des Védas reçus auprès du maître » quintessence philosophique des védas
(NdT)
44
Karma : loi de cause à effet. Karma signifie aussi action (NdT).
en flux constant. La mythologie bouddhiste abonde en cieux, paradis et enfers, bien trop nombreux
pour pouvoir être décrits ici. Le corpus de textes fondateurs du bouddhisme Theravada connu sous le
nom de Pali canon ou Tipitaka (les Trois Paniers), n’offre pas de compte-rendu spécifique des
nombreux paradis et enfers. Généralement, les six cieux inférieurs et les nombreux enfers sont
compris dans kamaloka, l’univers inférieur de sensualité où le désir est la motivation première. Les
six cieux du domaine sensuel de kamaloka hébergent des rois, des dieux et des bodhisattvas. Les
paradis bouddhistes des deux autres royaumes peuvent être atteints uniquement par la pratique
religieuse rigoureuse et disciplinée. La première d’entre elles, rupaloka (le monde des formes) est le
domaine des dieux lumineux de forme subtile et le second arupaloka (le monde sans forme) est le
domaine des êtres à pure vie mentale. Les paradis des cinq Bouddhas Dhayni ou Thathagatas du
bouddhisme tibétain méritent une attention spéciale et sont traités au chapitre 6.
Quoique glorieux, les royaumes divins décrits par le bouddhisme n’échappent pas aux
cycles de l’existence samsarique, et ils ne représentent pas le but le plus désirable de ceux qui sont
en quête spirituelle bouddhiste. Ils sont plutôt des états intermédiaires entre une existence terrestre
et une existence autre, des étapes intermédiaires pour ceux qui ne sont pas prêts à abandonner leurs
désirs personnels et leurs attachements et à parvenir à la libération totale des limites de la
personnalité – l’illumination qui transcende même les Paradis les plus élevés. La même chose vaut
pour les Enfers qui ne représentent que des étapes intermédiaires dans le cycle de la mort et de la
renaissance. L’ultime but des personnes bouddhistes est d’atteindre le Nirvana. Dans l’hinayana
originel (le bouddhisme à véhicule mineur), le nirvana signifiait la libération finale du cycle de la mort
et de la renaissance, éteignant la « soif de chair et de sang » (trsna ou tanha) et avançant vers le
domaine de l’existence matérielle. Dans le bouddhisme plus tardif (Mahayana ou bouddhisme de
véhicule supérieur), le nirvana pouvait être atteint lors de l’existence matérielle si l’on était capable
de vaincre les trois « poisons » responsables de la souffrance dans le monde : l’ignorance, le désir et
la colère.
Le concept des domaines divins existe aussi dans la mythologie eschatologique
mésoaméricaine. Les Aztèques distinguaient trois paradis différents où les âmes allaient après leur
mort. Le premier et le plus bas d’entre eux, Tlalocan, terre d’eau et de brume, était une terre
d’abondance, de bonheur et de sérénité. Le bonheur vécu était de type terrestre. Les défunts y
chantaient des chansons, jouaient au saute-mouton et couraient après les papillons. Les arbres
étaient pourvus de fruits et la terre était couverte de maïs, de potirons, de poivrons verts, de
tomates, de haricots et de fleurs. TIillan-Tlapallan était le Paradis des initiés suiveurs de Quetzalcóatl,
le dieu-roi symbolisant la mort psychospirituelle et la renaissance. On parlait de ce lieu comme étant
celui du monde des êtres sans chair, résidence destinée à ceux qui avaient appris à vivre à l’extérieur
de leur corps spirituel et qui n’étaient pas attachés à eux. Le Paradis le plus élevé était Tona-tuih
Ichan, Maison du Soleil, un lieu pour ceux qui parvenaient à l’illumination complète. Ces personnes
privilégiées étaient choisies comme compagnons quotidiens du soleil et vivaient une vie de plaisir
pur. Les Mayas privilégiaient certaines catégories de morts – les guerriers qui mouraient aux champs
de bataille, les femmes qui mouraient en accouchant, les prêtres et les personnes qui se suicidaient
par pendaison. Ces êtres-là étaient immortels et jouissaient du bonheur éternel dans le paradis Maya
sous l’arbre sacré ceiba, l’arbre du Monde qui traversait toutes les sphères célestes.
Les images d’un endroit sublime pour les défunts apparaissent aussi dans bon nombre de
cultures primitives. Ainsi par exemple, les tribus Indigènes des grandes plaines d’Amérique
imaginaient l’endroit de résidence des morts, Happy Hunting Grounds (Lieux de Chasse Bienheureux),
comme étant une vaste prairie où les défunts dansaient et festoyaient. Les esprits des guerriers
morts montaient de magnifiques étalons et attrapaient la foudre à mains nues. Des royaumes
similaires d’Indiens vivant à l’est du Mississippi et en Amérique du Sud accordent une attention toute
particulière à l’agriculture et se concentrent sur la culture du maïs ainsi que sur les festivités
agraires. A la fois dans l’Amérique du Nord et du Sud les états de transe des chamanes semblent
avoir inspiré la croyance en deux âmes. L’une d’entre elles peut être séparée du corps au cours de la
vie des personnes. Les chamanes nous informent également des obstacles que l’âme rencontre dans
l’au-delà : des rivières sauvages, des troncs glissants unissant les deux berges des rapides torrents,
des murs de feu, et des monstres effrayants qui tentent de rendre le voyageur fou.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les personnes esquimaudes voyaient leurs
défunts dans la lumière de l’aurore boréale, jouant joyeusement avec la tête d’un morse. Les
aborigènes australiens croyaient que la mort était le rite final de passage qui nous mène d’un lieu
profane à un univers sacré. C’est un voyage extatique imaginé selon le premier voyage d’êtres
surnaturels et d’ancêtres mythiques. L’esprit véritablement essentiel, l’esprit primordial et
préexistant vient du ciel et au moment de la mort, il retourne vivre pour toujours dans le Rêve
Eternel (alcheringa), où il résidait avant sa naissance. L’autre âme demeure sur Terre et s’immisce
dans une autre personne. Des variations sur le thème des défunts fortunés peuvent se trouver parmi
les tribus africaines, en Polynésie et dans bon nombre de groupes humains de différentes parties du
monde.
L’Enfer et le Purgatoire
Le concept de l’Enfer et du Purgatoire, lieux où les défunts peuvent être exposés à des
tortures inhumaines, est réellement omniprésent. Dans la tradition hébraïque le royaume des morts
est She’ol, un grand trou ou ville emmurée sous la terre, « la terre de l’oubli », « la terre du silence »
où les personnes désincarnées vivent dans la poussière, l’obscurité et l’ignorance, tout couverts
d’asticots et oubliés de Yahvé. C’est une terre d’ombres car « l’esprit » ou « le souffle de vie » (ruah)
grâce auquel Dieu attribue aux êtres humains la vie, en est absent. Une forme juive plus tardive du
lieu des damnés de la vie après la mort était Géhenna, une profonde vallée de feu ardent.
Originellement, Géhenna était une vallée à l’est et au sud de Jérusalem, où du Xème au VIIème siècle
avant Jésus-Christ les Israélites brûlaient des enfants en sacrifice au dieu Moloch. L’imagerie de la
crémation des humains a pallié au concept de « feu infernal » de l’eschatologie chrétienne et juive.
Dans le tableau de l’Enfer chrétien, il y a une hiérarchie de démons vicieux qui exposent les
damnés à des tortures inimaginables par la douleur physique, la suffocation, le feu furieux et
l’exposition aux excréments. Cela représente des punitions spécifiques aux sept pêchés capitaux –
l’orgueil, l’envie, la colère, la paresse, l’avarice, la gloutonnerie et la luxure. L’Enfer est situé très endessous du sol, avec des entrées situées dans de grands bois, des cratères volcaniques ou dans la
bouche grande ouverte du Léviathan. Le Livre de la Révélation fait mention d’un lac qui brûle de
flammes apocalyptiques et qui était la destination finale « des lâches, des infidèles, des impurs, des
assassins, des fornicateurs, des sorciers, des idolâtres et de tous les menteurs ». Le froid et la glace
sont décrits également comme des instruments infernaux de torture mais moins fréquemment.
La foi catholique romaine possède aussi ce concept de Purgatoire, un état intermédiaire
après la mort, pendant lequel les pêchés vénaux peuvent être expiés et la connexion à Dieu
retrouvée. Le christianisme dans certaines de ses formes a élaboré une distinction entre le
Purgatoire, qui est un lieu de punition et de purification temporaire et les Limbes un endroit
d’attente pour les païens et les enfants non-baptisés par exemple. Les enseignements chrétiens
concernant le Ciel, l’Enfer et le Purgatoire trouvèrent leur expression la plus puissante dans le chef
d’œuvre de Dante, la Divine Comédie.
Le tableau de l’Enfer islamique est très semblable à celui de la tradition judéo-chrétienne
dont il est dérivé. Miraj Nameh qui traite du voyage miraculeux de Mohamed mentionné plus haut
dans ce chapitre, décrit l’Enfer musulman, Géhenna, tel que Mohamed le vit au cours de sa visite
avec l’Archange Gabriel. Le portail de Géhenna est gardé par l’ange Malik qui parla pour la première
fois lors de la visite de Mohamed. La Nature chez Géhenna est laide et dangereuse, des arbres
infernaux donnent des fruits empoisonnés ayant la forme de démons. Les damnés souffrent de
cruelles tortures et de châtiments : ils sont pendus et étranglés, leur langue est coupée, ils sont
exposés au pus et à l’eau bouillante, leur corps est rôti au feu et leur peau est régénérée afin d’être
brûlée à nouveau et infiniment. Ils souffrent en outre de nombreuses autres formes d’agonie qui
dépendent de la nature de leurs transgressions. La tradition islamique possède également un état
intermédiaire pour les âmes : barzakh (littéralement « barrière »), endroit ou condition dans laquelle
Justes et Injustes attendent le jour de la résurrection.
L’image Zoroastrienne de l’Enfer est particulièrement choquante et révoltante, comme on
peut le voir graphiquement dans le Livre d’Arda Viraf, mentionné plus haut. L’Enfer est dans le nord
lointain, dans les profondeurs de la terre, un endroit obscur, horrible et puant, empli de démons. Là,
les âmes damnées, les « suiveurs du mensonge » demeurent après leur mort, dans la douleur et
dans le malheur jusqu’à ce que le Dieu de l’Obscurité, Ahriman lui-même soit détruit. Les Injustes
sont torturés par les démons, des créatures vicieuses (Khrafstars) des serpents et des scorpions. Ils
souffrent de faim et de soif, mangent de la saleté, sont fouettés par des serpents, démembrés de
façon répétée et exposés à d’autres tourments aussi dégoûtants que sordides. Les raisons de ces
châtiments cruels incluent la sodomie, la violation des tabous menstruels, l’adultère et le sacrilège de
l’eau et du feu. D’après la religion zoroastrienne, l’Enfer n’est pas un châtiment éternel. Les tortures
se prolongeront seulement jusqu’au jour de la victoire de Ahura Mazda sur Ahriman, jour de la
bataille cosmique et renouvellement du monde (frashegird). La religion zoroastrienne possède
également un lieu intermédiaire appelé hamestagant pour ceux qui ne méritent ni le Paradis, ni
l’Enfer, parce que le poids de leurs bonnes pensées, de leurs bonnes paroles et de leurs bonnes
actions est égal au poids des mauvaises. Ces âmes demeurent dans des espèces de limbes, un lieu
d’ombres sans joie ni tourment.
Le monde souterrain grec, Tartare ou Hadès était un monde souterrain d’obscurité, décrit
par Homère comme étant « les détestables chambres de la déchéance qui emplissent les dieux euxmêmes d’horreur ». La rivière principale du monde souterrain était le Styx puant, que les grecs
devaient traverser sur la barque de Charon, en échange de quelques pièces de monnaie. Les morts
dans les Enfers grecs, étaient des doubles anémiques, des ombres qui devaient être ranimées à l’aide
de sang, de boisson alcoolisée au miel, de vin et d’eau de manière à être capables de parler. Le
gardien de l’entrée des Enfers était Cerbère, le chien à trois têtes.
La Mythologie grecque mettait en scène des figures archétypales vivant des souffrances
éternelles disproportionnées lorsqu’ils avaient offensé les dieux. Ceux qui avaient insulté
personnellement Zeus étaient emprisonnés dans le puits sans fond du Tartare, et devaient supporter
des tourments agonisants. Sisyphe qui essaya de tromper la mort fut relégué au puits le plus profond
de l’Hadès, faisant rouler incessamment un rocher en haut d’une colline. Tantale qui essaya de tester
l’omniscience des dieux en leur servant son fils démembré Pélops en guise de repas, fut placé dans
une piscine d’eau claire avec de l’eau jusqu’au cou, sous une vigne de raisins frais. Il devait endurer
et la faim et la soif, incapable d’atteindre ni l’un, ni l’autre. Ixion qui essaya de séduire Héra fut
crucifié sur une roue ardente qui tournait incessamment à travers l’Hadès. Prométhée, le Titan qui
déroba le feu à Zeus pour le donner aux hommes avec la connaissance de l’artisanat de la
technologie fut enchaîné à un rocher dans les montagnes du Caucase et attaqué par l’aigle de Zeus
qui lui dévorait le foie.
Les Enfers Nordiques, Niflheim ou Helheim, étaient situés sous les racines de l’arbre du
Monde, Yggradsil, et étaient gouvernés par la déesse fougueuse et impitoyable Hel. C’était un
monde froid, obscur et brumeux situé au nord du Vide (Ginnungagap) à partir duquel et dans lequel
le monde fut crée. Niflheim, également appelé monde de l’obscurité, était divisé en plusieurs
sections, dont l’une d’elle était Naströnd, la berge des cadavres. Là, un château orienté vers le nord
était empli du venin des serpents, dans lequel des criminels, des adultères et des parjures enduraient
des tourments. Pendant ce temps, le dragon Nidhogg suçait le sang de leurs corps. Nilfheim
contenait un puits, Hvergelmir, d’où affluaient de nombreuses rivières. Les guerriers courageux qui
succombaient pendant les batailles n’allaient pas à Helheim mais rejoignaient le dieu Odin, à
Valhalla, le Hall des Défunts. Les images d’Enfers froids ne sont pas exceptionnelles dans la
mythologie mondiale. Ils existaient dans le christianisme médiéval et faisaient également partie des
Enfers tibétains. Dante utilisa l’image médiévale de l’enfer froid pour le cercle le plus bas de l’Enfer et
dépeint Satan au milieu de la terre, assis dans une piscine de son sang glacé.
De nombreux types et niveaux de l’Enfer existent dans l’hindouisme et le bouddhisme. Tout
comme les nombreux Paradis, ils ne sont pas des lieux où les défunts demeurent pour toujours mais
simplement des étapes transitoires dans le cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance. Les
Enfers dans le bouddhisme sont vus comme une création de l’esprit : remplis de déception de soimême et d’égocentrisme, les tortures que l’on y vit sont au moins de formes aussi multiples,
diaboliques et ingénieuses que celles décrites dans d’autres traditions. Outre les domaines
infernaux, où les punitions impliquent châtiments corporels et suffocation, la mythologie bouddhiste
décrit des Enfers chauds aux murs de feu, des rivières de fer fondu et de la lave qui coule des volcans.
Les Enfers froids sont également décrits en détail : les pêcheurs sont torturés par un froid glacial et
souffrent de la morsure du froid.
Le temps de passage dans ces enfers, reflète la quantité de karma diabolique qui doit être
consommée. Dans l’Enfer Avichi (littéralement « espace nul ») les fautifs souffrent des tortures
abominables pour d’innombrables kalpas (eons45 Brahamaniques). Lorsqu’ils émergent de l’Enfer, ils
se dégradent à l’état animal, chiens ou chacals couverts de blessures et de croûtes. Dans les Enfers
bouddhistues il y a des juges qui décident du destin des défunts. Par exemple, Emma-O, une figure
d’un des Enfers bouddhistes japonais, juge à l’aide de ses deux têtes graves. La tête rouge lui
rapporte toutes les mauvaises actions des défunts et la tête blanche toutes les bonnes. Il juge les
âmes des hommes tandis que sa sœur juge les âmes des femmes. Les Enfers bouddhistes chinois ont
parfois quatre ou dix juges infernaux.
Les Enfers Aztèques, Mictlan, étaient une région de totale obscurité gouvernée par le
terrible Seigneur des Enfers, Mictlantecuhtli. Sa tête était couverte d’un masque en forme de crâne
humain, ses cheveux noirs bouclés étaient parsemés d’yeux étoilés et un os humain sortait de son
oreille. Dans la tradition Aztèque, ce n’était pas la conduite des défunts qui déterminait leur destin
après leur mort mais leur occupation et la façon dont ils étaient morts. Ceux qui n’étaient pas choisis
pour aller à l’un des Paradis, étaient soumis, une fois arrivés à Mitclan, à une série de jugements
magiques où ils devaient traverser neufs Enfers avant d’atteindre leur lieu de repos final. Ces enfers
n’étaient pas des endroits où les méchants allaient pour y être punis, mais étaient considérés comme
des points de transition nécessaires dans le cycle de la création. En effet, dans le processus cosmique
de la tradition Aztèque, toutes les choses créées devenaient inévitablement de la matière puis elles
retournaient à la lumière de leur créateur.
J’ai décrit les Enfers des cultures primitives tels qu’ils étaient vécus par les chamanes dans
leur crise initiatique et lors de leurs voyages ultérieurs. Dans ce chapitre j’ai également fait référence
à de nombreux Enfers en présentant les figures archétypales représentant la mort et la renaissance
ainsi que leurs histoires (voir chapitre 3). La description la plus élaborée du voyage posthume de
l’âme comprenant les scènes de jugement peut être trouvée dans les Livres des Morts. Ces célèbres
livres eschatologiques sont explorés dans le chapitre qui suit.
Chapitre 6 LES LIVRES DES MORTS : MANUELS DE VIE POUR LES
VIVANTS ET LES MORTS46
Mors certa, hora incerta
La mort est sûre, son heure ne l’est pas
- Ars Moriendi
45
Eons : terme philosophique évoquant la puissance éternelle du créateur (N.d.T)
46
Pour ce chapitre, consulter les illustrations en couleur et en noir et blanc (NdT)
LA CONNAISSANCE des réalités transcendantales obtenues dans les états de conscience
holotropiques a inspiré dans plusieurs parties du monde des textes spéciaux décrivant le voyage
posthume de l’âme. Ce chapitre explore le plus célèbre de ces « livres des morts », ces documents
anciens dédiés aux problèmes de la mort et de l’agonie. Le plus ancien d’entre eux est Le livre
Egyptien des Morts, ou Pert Em Hru, littéralement « Manifestation dans la Lumière », un ensemble
de papyrus égyptiens et d’inscriptions décorant les murs des pyramides et des tombes. Le Livre
Tibétain des Morts, connu sous le nom de Bardo Thödol, ou « Libération par l’écoute du plan d’après
la vie » est probablement le plus célèbre de ces textes. Les exemples d’Amérique Centrale de
littérature eschatologique comprennent des textes Toltèques et Aztèques, des manuscrits codex,
Codex Borgia et Codex Brobonicus. Autre texte notoire, le texte Maya des Morts, reconstitué à partir
des tableaux et des textes des vases funéraires du Ceramic Codex. Nous traiterons de ces exemples
dans le détail, ci-dessous ; puis nous passerons en revue les textes eschatologiques européens
médiévaux, connus sous la désignation d’Ars Moriendi.
Au début de l’intérêt des universitaires européens pour les livres anciens des morts, ces
ouvrages étaient vus comme des comptes-rendus fictifs du voyage posthume de l’âme, des
fabrications souhaitées par des personnes qui étaient incapables d’accepter la réalité inévitable de la
mort et de l’impermanence. Ces textes furent relégués à la même catégorie que les contes de fées.
On les considérait comme des créations imaginaires de l’homme, pourvus d’une beauté artistique
certaine, mais qui n’avaient aucune pertinence dans la vie de tous les jours. Cependant, une étude
plus en profondeur a révélé qu’ils avaient servi de guides dans la pratique spirituelle profonde lors
des mystères de la mort et de la renaissance. Il devint alors relativement évident que les livres des
morts décrivaient de manière assez juste les expériences des initiés, des chercheurs spirituels et de
leurs praticiens. Cette nouvelle perspective suggéra que ces textes pouvaient avoir été présentés
initialement par les prêtres comme des manuels pour les morts simplement afin d’obscurcir leur
fonction véritable : c’était là un déguisement intelligent fait pour protéger leur message ésotérique
vis-à-vis des non-initiés.
La recherche moderne de la conscience a apporté de nouvelles perspectives à prendre en
considération. Des études thanatologiques de situations dans lesquelles la vie était menacée, ainsi
que d’expériences de mort imminente, montrèrent que de telles expériences manifestaient en fait
bien des caractéristiques présentes dans les textes eschatologiques et dans les mythologies des
cultures anciennes et préindustrielles. Ce processus de découvertes étonnantes continua lorsque des
études systématiques des expériences observées lors de sessions psychédéliques, et dans des formes
puissantes de psychothérapie n’impliquant pas de drogues, ainsi que dans des crises
psychospirituelles spontanées, révéla que beaucoup d’entre elles étaient étonnamment semblables à
celles décrites dans les livres anciens des morts (Leary, Alpert et Metzner 1964, Masters et Houston
1966, Grof 1975).
Les chercheurs ont découvert, à leur grand étonnement que pendant les voyages
visionnaires, leurs clients vivaient le même genre d’expériences que celles qui figuraient dans les
livres anciens des morts ; à savoir : la mort psychospirituelle et la renaissance, le jugement divin, des
rencontres avec des déités heureuses et colériques, des mémoires d’incarnations passées, ainsi que
des visites aux royaumes de l’Au-Delà. Ces royaumes étaient soit des jardins paradisiaques célestes
soit des régions infernales. Le symbolisme spécifique de ces expériences était tiré de mythologies
variées, provenant de différentes parties du monde ; il ne s’agissait pas nécessairement de l’héritage
culturel du sujet. Cela mettait souvent en jeu des figures mythologiques, des royaumes et des motifs
à propos desquels les individus respectifs n’avaient aucune connaissance intellectuelle.
Il devint évident que ces expériences étaient les manifestations de l’inconscient collectif
décrit par Jung (voir chapitre 3) qui affleurait à la conscience dans les états de conscience
holotropiques, et que les livres des morts étaient en fait des cartes des profonds territoires de la
psyché. La capacité à faire l’expérience de ces profonds contenus de l’inconscient est présent en
chacun de nous. Malgré cela, bon nombre d’entre nous n’accèdent jamais à ces domaines, et ils
n’ont pas non plus conscience de leur existence jusqu’au jour de leur mort biologique, lorsqu’ils se
retrouvent catapultés dans ce territoire.
Cependant, pour certaines personnes, ce domaine expérimental apparaît dans leur vie dans
des situations variées : dans les séances psychédéliques, dans les formes de psychothérapie et
d’exploration de soi puissantes, dans la pratique spirituelle systématique, dans la participation aux
rituels chamaniques ou encore lors de crises psychospirituelles spontanées. Ainsi il devient possible
de rentrer et de traverser ces territoires ordinairement cachés de la psyché et d’obtenir par là une
connaissance intime de ces territoires avant la mort biologique. Comme nous l’avons mentionné
précédemment, en abordant la question de la mort et de la renaissance dans le chamanisme, les rites
de passage et les mystères anciens (voir les chapitres de 1 à 3), cet entrainement à la mort par
l’expérience, ou à « mourir avant de mourir », a de profondes conséquences. Les individus sont
libérés de leur peur de la mort, leur attitude à l’égard de leur mortalité s’en trouve transformée et
leur expérience de la mort au moment de leur décès biologique est radicalement modifiée. Par
conséquent, il n’y a pas de différence fondamentale entre la préparation pratique à la mort d’une
part, et entre la pratique spirituelle menant à l’éveil d’autre part. C’est la raison pour laquelle les
anciens livres des morts peuvent être utilisés dans ces deux situations.
Grâce aux conclusions des recherches modernes sur la conscience durant ces quatre
dernières décennies, nous pouvons désormais faire davantage que simplement nous référer aux
contenus des livres des morts et revoir l’information amassée par les universitaires qui ont analysé
lesdits textes. Nous pouvons désormais comparer cette information à l’observation de la
thanatologie et les autres domaines des recherches actuelles (telle que les études psychédéliques, la
psychothérapie expérimentale, l’anthropologie et la religion comparative), et ainsi démontrer la
pertinence de ces textes anciens pour les lecteurs contemporains.
Manifestation dans la Lumière : Le Livre Egyptien des Morts
L’un des textes funéraires les plus célèbres est le Livre Egyptien des Morts ou Pert Em Hru.
Son nom en anglais47 est inexact, étant donné qu’il suggère qu’il s’agit d’un travail compréhensif et
cohérent associé à un auteur spécifique, ou du moins à une période historique définie. En fait Per Em
Hru est une collection vaste et hétérogène de textes comprenant des sorts et des incantations, des
prières et des hymnes, des litanies et des formules magiques, des histoires mythologiques et des
instructions pour la momification et pour d’autres procédures faites aux défunts. Ces textes sont
originaires de différentes parties d’Egypte et ils datent d’époques historiques différentes ; au total, ils
brassent une période d’environ cinq millénaires.
Le titre « Livre Egyptien des Morts » a été donné aux rouleaux de papyrus à inscriptions
ayant été retrouvés près des momies par les pilleurs de sarcophages : « Kitab-El Matum » ou « Livre
de la personne décédée ». Le titre original égyptien Pert Em Hru est généralement traduit par
« manifestation de la lumière » ou encore « venue du jour ». Les anciens scribes faisaient des
sélections spécifiques, dans ce grand corpus de textes funéraires, destinées à des individus
importants. Ils rassemblaient ces passages en une histoire compréhensive, qu’ils illustraient
richement. Ces passages étaient ainsi des narrations ad personam décrivant le voyage posthume de
l’individu qui y était impliqué. Plutôt qu’un texte uniforme et standard - qui serait le « Livre Egyptien
des Morts » - nous trouvons des histoires uniques, originales et individualisées qui contiennent les
noms des défunts, tout comme les inscriptions et les peintures sur les murs des tombes des pharaons
Séti ou Thutmès, ou sur les papyrus de Ani, Hounéfer, ou Anhaï qui sont exposés au British Museum à
Londres.
Ces textes funéraires étaient écrits originellement seulement pour les rois et ils étaient
inscrits sur les murs de certaines pyramides, telles que celles érigées en l’honneur des pharaons
Chéops, Chépren et Mykérinos à Sakkarah. Les pyramides et les pharaons pour qui ils étaient écrits
avaient un rapport avec le dieu du Soleil Ra. Ces textes des pyramides furent écrits entre 2350 et
2175, et ce sont les archives les plus anciennes non seulement de l’Egypte mais de l’histoire de
47
Tout comme son nom français qui est une traduction à partir de l’anglais (NdT)
l’humanité. Cependant les informations qu’ils contiennent font référence à des sources encore plus
archaïques : la préoccupation pour la vie après la mort et la croyance en l’au-delà ayant conduit à la
pratique de la momification peuvent être trouvées en Egypte depuis 3100 avant Jésus-Christ.
Depuis 1700 avant Jésus-Christ, la pratique consistant à écrire des textes funéraires fut
étendue des pharaons aux membres de la noblesse et aux autres personnes célèbres. Ces textes plus
récents ont pris la forme de manuscrits qui furent insérés dans des cercueils en bois. C’est la raison
pour laquelle on les appelle les « textes des cercueils ». Les plus célèbres de ces textes funéraires,
tels que les papyrus d’Ani, de Hounéfer et d’Anhaï, viennent de la ville de Thèbes. Les deux premiers
papyrus datent du XVème siècle avant Jésus-Christ, au point culminant de l’histoire de Thèbes. Le
dernier date du onzième siècle, l’époque du déclin de la ville. Le Dieu du Soleil Amon Ra, figure
principale de Pert Em Hru, était la déité de l’état de Thèbes.
Du premier jusqu’au dernier, les textes de Pert Em Hru manifestent la croyance inaltérable
des Egyptiens en l’immortalité de l’âme, en la résurrection et en la vie après la mort. Cependant,
étant donné que les textes funéraires égyptiens brassent une période d’environ cinq mille ans, ce
message n’a pas d’unité, contrairement à leur équivalent Tibétain, le Bardo Thödol. Même une
société aussi conservatrice que l’Egypte a traversé des changements culturels significatifs au cours de
plusieurs millénaires. En outre plusieurs villes égyptiennes avaient leurs préférences concernant les
déités principales et de sérieux différents - des conflits et des luttes de pouvoir- eurent lieu entre les
prêtres d’Héliopolis, de Memphis, de Thèbes et d’Hermopolis. Par ailleurs, lorsque les anciens
Egyptiens adoptaient de nouveaux dieux, ils refusaient néanmoins par conservatisme d’abandonner
leurs anciens dieux. Les vieilles déités continuèrent alors à exercer leur influence ce qui compliqua
encore davantage la situation.
Malgré leur grande complexité, on peut discerner deux courants idéologiques majeurs dans
les textes funéraires égyptiens, personnifiés par les déités Ra et Osiris. Dans bon nombre d’entre
elles, le thème central est le voyage nocturne et diurne du Dieu du Soleil Ra. Il se levait
quotidiennement de l’est, derrière Manu, la montagne du lever du soleil, voyageait sur la barque de
Manjet, la barque de Millions d’Années, et commençait à traverser le ciel égyptien. Ra était
accompagné par d’autres déités lors de son voyage triomphant. Durant le jour, il traversait le ciel,
apportant chaleur, lumière et vie à la terre. Au moment de son coucher, la barque du Soleil passait
entre les montagnes de l’Ouest. Là, le dieu du Soleil et son équipage prenaient une autre barque, le
Mesektet, et ils s’embarquaient sur leur voyage nocturne au monde des ténèbres appelé Tuat. Le
Tuat, tel que le voyaient les Egyptiens, était un endroit obscur et traitre, divisé en douze portions,
généralement appelées arrits (halls) ou sekhets (champs). Chaque division correspondait à une heure
de la nuit, période pendant laquelle le dieu du soleil devait la traverser. La géographie et la
population du Tuat étaient très complexes. Tous les arrtis avaient des portails avec des gardiens
spécifiques, des surveillants et des messagers, et chacun d’entre eux avait son décor caractéristique,
ses habitants reconnaissables, et ses dangers uniques. Tandis que Ra traversait la rivière infernale, les
nombreux dieux et démons qui habitaient chacune de ces portions, venaient tirer sa barque, car
aucun vent ne pouvait pénétrer le Tuat. Ils étaient dirigés par la déesse de l’heure qui ouvrait la porte
de l’heure suivante.
Ra et ses compagnons affrontaient des paysages de feu ardent, où la chaleur, la fumée et
les vapeurs détruisaient les narines et les bouches. Beaucoup d’être hideux et de créatures
fantastiques les menaçaient sur leur passage. Le plus dangereux de ces périls était le frère d’Osiris,
Seth, qui prenait la forme de Apep, un serpent gigantesque qui essayait de dévorer le disque solaire
juste avant le lever du soleil.
Ces Egyptiens qui adoraient Ra comme déité principale croyaient qu’après leur mort
physique ils s’uniraient à lui et à son entourage divin et qu’ils voyageraient en sa compagnie dans sa
barque solaire. Leur texte principal était Am Tuat ou le livre de Ce qui est dans le Tuat, écrit par les
prêtres d’Amon Ra. Ce livre affirmait l’absolue suprématie du Dieu du Soleil dans les domaines des
défunts et montrait que tous les dieux des morts à travers l’Egypte lui rendaient hommage. Le Am
Tuat donnait des renseignements aux suiveurs d’Amon Ra sur les portions du Tuat et ses nombreux
halls et portails. Cela leur donna aussi les noms des êtres qui gardaient les portions et les formules
magiques nécessaires.
Le second thème des textes de Pert Em Hru, venait d’une tradition encore plus ancienne :
celle de l’ancien dieu mortuaire Osiris. Osiris était l’un des quatre enfants divins de Geb, (le dieu de la
Terre), et de Nut, (la déesse du Ciel). Il avait deux sœurs, Isis et Nephtys, et un frère, Seth. Osiris était
aussi le mari de sa sœur Isis ; Nephtys était mariée à Seth. Seth complota contre Osiris, le tua et
découpa son corps en petits morceaux. Il en confia les morceaux aux quatre vents et les dispersa tout
autour du Delta du Nil. Avec l’aide du dieu à tête de chacal, Anubis, fils de Nephtys, Isis et Nephtys
retrouvèrent tous les morceaux dispersés du corps de leur frère, et ils les rassemblèrent dans une
peau. Puis ils ressuscitèrent Osiris en utilisant l’œil du dieu à tête de faucon Horus, le fils qu’Isis
conçu d’Osiris mort. Plus tard, Horus vengea son père. Au cours d’une lutte difficile, Horus vainquit
Seth et le castra. La mort et la résurrection d’Osiris étaient pour les Egyptiens un élément
mythologique important pour la croyance en la vie après la mort et pour le processus de mort et de
renaissance psychospirituelle. La lutte entre Horus et Seth devint ensuite une métaphore de la
bataille cosmique entre les forces de la lumière et de l’obscurité, ou du bien contre le mal.
Seth était souvent dépeint de manière très négative, comme l’ennemi vicieux et fourbe de
son frère Osiris. Cependant toutes ces histoires ne sont pas aussi extrêmes et certaines d’entre elles
rendent compte de l’animosité de Seth envers son frère. Nephtys était mariée à Seth, mais ses
faveurs allaient à Osiris. Seth étant le dieu de l’aridité, il était incapable d’avoir des enfants, et son
mariage n’en comptait pas. Grâce à de l’alcool et déguisée en Isis, Nephtys réussit à séduire Osiris et
conçut avec lui leur fils Anubis. Osiris prit également les rênes du pouvoir du Royaume dont Seth et
lui avaient hérité conjointement. Dans ce contexte, l’hostilité de Seth envers Osiris apparaît justifiée
ou du moins compréhensible.
D’après la sagesse eschatologique égyptienne, les adorateurs d’Osiris, commencèrent leur
voyage posthume de la même façon que les suiveurs de Ra - en montant à bord de la barque solaire.
Cependant, ils l’utilisaient seulement comme moyen de transport aux Enfers ; leur destination finale
était le royaume d’Osiris. Pour y avoir droit, ils devaient passer l’épreuve du jugement divin dans le
hall de Maat, la déesse de la justice. Ils étaient escortés à ce hall par le dieu à tête de chacal Anubis,
qui était une déité funéraire importante : à la fois le messager de la mort et l’inventeur de
l’embaument. Dans les étapes antérieures du voyage posthume, Anubis supervisait l’embaument et
réalisait la cérémonie de l’Ouverture de la Bouche de la momie, une chose qui rendait possible aux
défunts de percevoir les royaumes de l’au-delà.
Le jugement divin débutait sous la supervision d’un panthéon de déités par la récitation de
la « confession négative » au cours de laquelle les défunts affirmaient qu’ils n’avaient pas commis de
pêchés. Puis, il y avait le « pesage des âmes », présidé par le dieu à tête d’Ibis Thot dans le rôle du
juge impartial. Thot un mystérieux dieu qui s’était auto-engendré était l’inventeur de la parole, des
hiéroglyphes sacrés, des mathématiques, de la magie, de l’ingénierie et de la divination. Anubis se
tenait au milieu du Hall de Maat, à côté d’une grande balance décorée par la statuette de la déesse,
et c’est là qu’il pesait le cœur du défunt au moyen d’une plume d’autruche, symbole de la déesse
Maat et de la justice suprême. Le cœur était considéré comme étant le siège de la conscience et de
l’intelligence responsable des actions ; la plume symbolisait l’ordre éthique cosmique. Si la balance
avec le cœur et celle avec la plume d’autruche, n’étaient pas en parfait équilibre, le défunt était
dévoré par Amemet, le Dévoreur des Âmes, un monstre hybride qui était à la fois lion, crocodile et
hippopotame. L’individu condamné devenait alors l’un des habitants des régions mornes des Enfers.
Si le défunt passait outre le jugement, il était amené et présenté à Osiris par le dieu à tête de faucon
Horus.
Les suiveurs d’Osiris qui réussissaient à passer outre le jugement et qui étaient reçus par lui
dans son royaume, jouissaient d’une existence heureuse à Sekhet Hetepet ou les Champs
Bienheureux, une réplique paradisiaque de la vallée du Nil. Là, ils jouissaient de la vie éternelle et se
mêlaient librement aux dieux et aux autres esprits des défunts, mangeant le « Pain de l’Eternité », et
buvant la « Bière de la Vie Eternelle ». Ils passaient du temps à parler et chanter avec leurs amis et à
jouer aux dames. On attendait des défunts qu’ils cultivent les champs, et qu’ils conservent les canaux
d’irrigation d’Osiris, mais le travail agricole était aisé et donnait des récoltes extraordinairement
riches. Ce travail pouvait également être accompli par les figures ushabti qui avaient été placées dans
leurs tombes.
Le livre des Portes était le principal texte des suiveurs d’Osiris, et il fut rédigé pour prouver
que, malgré les assertions des prêtres d’Amen-Ra, Osiris, l’ancien dieu des morts, était encore le dieu
Suprême des Enfers. La version la plus complète de ce texte, qui fut trouvée sur les sarcophages
d’albâtre du pharaon Séti Premier (autour de 1375, avant Jésus-Christ), était composée de deux
parties. La première partie était une série de textes et de dessins décrivant le voyage dans la barque
solaire au Royaume d’Osiris, le jugement des morts, la vie des béatifiés à Sekhet Hetepet, et le
châtiment des cruels et des traitres du Dieu du Soleil et d’Osiris. La seconde partie contenait une
série de textes et de dessins représentant les cérémonies magiques qui étaient données dans les
temps les plus anciens pour faire en sorte que le Dieu du Soleil se lève chaque jour.
Dans la tradition mystique de l’Egypte, l’expérience de la mort et de la renaissance n’était
pas un obstacle au moment de la mort biologique. Dans les mystères des temples sacrés d’Isis et
d’Osiris, on donnait aux initiés l’opportunité d’affronter la mort bien avant la vieillesse ou avant que
la maladie ne les force à le faire. Le fait de vivre le processus de mort et de renaissance
psychospirituelle leur permettait de conquérir la mort et de découvrir leur propre immortalité.
Comme je l’ai mentionné au début de ce chapitre, les processus initiatiques de ce type n’aidaient pas
seulement les néophytes à dépasser leur peur de la mort, mais ils transformaient également
profondément leur façon d’être au monde. Les anciens Egyptiens voyaient de profonds parallèles
entre les aventures du Dieu du Soleil pendant son voyage diurne et nocturne, les états associés à la
mort biologique et les expériences des néophytes dans les mystères sacrés. La recherche moderne de
la conscience a jeté de nouvelles lumières sur les connexions et les interrelations entre ces trois
situations, et elle a fait passer les croyances eschatologiques des anciens Egyptiens du monde de la
superstition première au domaine de la psychologie transpersonnelle.
La technique de l’embaument et des rituels qui y étaient associés était une partie
essentielle des pratiques eschatologiques égyptiennes. Les momies les plus anciennes viennent de la
période Thinite (3200-2780, avant Jésus-Christ). La pratique était déjà bien établie en 2400 lorsque
les textes des pyramides furent composés. L’embaument existait jusqu’au IVème siècle après JésusChrist, période à laquelle il fut interrompu en raison de l’influence du christianisme.
Bon nombre de passages de Pert Em Hru montrent que les Egyptiens avaient une peur
terrible de la décomposition du corps et c’est la raison pour laquelle ils mettaient tant d’efforts à
l’entraver. Ils croyaient que le corps physique était une partie importante de la personnalité humaine
et que son intégrité était nécessaire à leur bien-être dans l’Au-Delà. Le Ka du défunt - ou génie
protecteur symbolisé par les statues représentant le défunt placées à côté de la momie dans la
tombe - était vu comme la partie transcendante d’un être-humain qui sortait du corps et voyageait
vers l’est pour rencontrer son double céleste. Par conséquent, le Ka résidait au Paradis mais
également à côté de la momie dans la tombe et il devait être nourri par la famille pour survivre.
Occasionnellement la tombe était aussi revisitée par Ba, terme généralement traduit par le mot
âme : la partie de l’humain qui venait à exister au moment de la mort. Ba était généralement
représenté par un homme à tête de faucon.
Aucune culture dans le monde n’a jamais fait preuve d’autant de détermination à
empêcher et à renverser les conséquences de la mort. Les Egyptiens combinaient bon nombres de
pratiques pendant des milliers d’années pour contrer le problème de la mort. Cela comprenait leur
techniques d’embaument, les rituels magiques et l’architecture monumentale. La partie
expérimentale de ces efforts était l’institution des mystères d’Isis et d’Osiris qui offraient aux initiés
la technique et le contexte pour la mise en place d’expériences profondes de mort et de renaissance.
Libération par l’écoute des plans de la vie après la mort : Le Livre Tibétain des Morts
Beaucoup de cultures et de religions possèdent des mythologies élaborées avec de vives
descriptions de déités et de démons mais aussi avec un scénario complexe de domaines archétypaux.
Cependant aucun d’entre eux n’égale la riche et méticuleuse iconographie du Bouddhisme Tibétain.
Cette sagesse trouva son expression dans le Livre Tibétain des Morts ou Bardo Thödol, qui offre des
comptes-rendus détaillés d’une grande variété de déités bienheureuses et colériques, et d’autres
habitants archétypaux du plan post-mortuaire. Ces figures sont décrites avec une précision
étonnante, aussi bien dans leur apparence physique que dans leurs caractéristiques spécifiques, leurs
attributs symboliques et les couleurs associées.
Le Bardo Thödol est un texte funéraire d’origine bien plus récente que son équivalent
égyptien et a bien davantage de consistance intérieure et de congruence. Contrairement à Pert Em
Hru, il est à la fois bien défini et homogène, et son auteur et sa date approximative de réalisation
sont connus. Le Bardo Thödol, quoique clairement fondé sur des contenus bien plus anciens, fut
d’abord rédigé au VIIIème siècle après Jésus-Christ par le Grand Gourou Padmasambhava. Ce maître
spirituel légendaire, introduisit le Bouddhisme au Tibet et posa les fondements de vajrayana, un
amalgame unique d’enseignements bouddhistes et d’éléments de tradition indigène appelés Bön, qui
avait été la principale religion du Tibet avant l’arrivée de Padmasambhava. D’après la tradition
bouddhiste tibétaine, Padmasambhava utilisait ses extraordinaires pouvoirs spirituels pour
amadouer les déités locales féroces Bön et transformer certaines d’entre elles en protecteurs du
Bouddhisme.
On ne connaît pas grand chose à la religion pré-bouddhiste du Tibet, Bön. Cependant la
préoccupation concernant la continuité de la vie après la mort semblait être l’un de ses traits
dominants, car elle comprenait des rituels élaborés pour s’assurer que l’âme de la personne décédée
était conduite de façon sûre vers l’Au-Delà. Des animaux sacrifiés, des repas, des boissons et de
nombreux objets précieux accompagnaient la personne décédée lors de son voyage posthume.
Lorsqu’un roi ou un homme noble venait à mourir, les rites funéraires étaient particulièrement
élaborés. Dans ces cas là, le sacrifice comprenait l’immolation de quelques compagnons humains
choisis ; les cérémonies impliquaient beaucoup de prêtres et d’officiers de la cour et duraient
plusieurs années. Outre le fait qu’ils assuraient le bonheur de la personne décédée dans l’Au-Delà,
ces rites étaient également censés bénéficier le bien-être et la fertilité des vivants. (Lorsqu’un roi
mourait, les rites étaient vus comme bénéfiques à la société tout entière). Le Bön original avait des
composantes animistes et chamaniques, et ses autres traits caractéristiques comprenaient le culte
des dieux locaux, plus particulièrement les déités guerrières et montagnardes, et l’utilisation des
états de transe pour les activités oraculaires.
Après l’arrivée du Bouddhisme au Tibet, ces deux systèmes religieux coexistèrent, et malgré
leur nature séparée et leurs différences, ils s’enrichissaient mutuellement. Dans leurs formes
extrêmes, il est relativement aisé de distinguer le bouddhisme originel et la religion Bön. Cependant,
en pratique, les deux ont été tellement combinés que pour bien du monde ils fusionnaient en un seul
système de croyance. Les éléments non-bouddhistes sont particulièrement prédominants dans la
pratique ésotérique Chöd, un rituel terrifiant de sacrifice délibéré de soi-même offert aux démons
locaux sur une base charnelle, comme chez certains yogis ascétiques. Le nom Chöd, signifiant
littéralement « coupé » fait référence à la coupe de l’ego et de tout ce qui y est associé par l’offrande
de son corps, de son esprit et de tous les attachements aux êtres les plus affamés et les plus
effrayants.
L’influence de la religion Bön est également aisément reconnaissable dans le remarquable
Bardo Thödol. En tant que guide destiné aux mourants et aux morts, le Bardo Thodöl est un manuel
destiné à aider les défunts à reconnaître, avec l’assistance d’un lama compétant les états variés
intermédiaires entre la mort et la renaissance de manière à atteindre la libération. Les Etats de
conscience associés au processus de la mort et de la renaissance appartiennent à une plus grande
famille d’états intermédiaires ou bardos :
1. L’état naturel du bardo et l’existence intra-utérine (Chenay Bardo)
2. Le bardo de l’état de rêve (Milam Bardo)
3. Le bardo de l’équilibre extatique pendant la méditation profonde (Samten Bardo)
4. Le bardo du moment de la mort (Chikhai Bardo)
5. Le bardo des illusions karmiques suivant la mort (Chönyid Bardo)
6. Le bardo du processus inverse de l’existence sangsarique par la recherche de la
renaissance (Sidpa Bardo)
Commentaire [E13]:
Même si le Livre Tibétain des Morts est ostensiblement écrit pour enseigner à mourir, il
comporte des niveaux sémantiques supplémentaires. D’après les enseignements bouddhiques la
mort et la renaissance n’arrivent pas seulement au moment de la mort biologique ou au début de la
nouvelle vie suivante, mais à chaque moment de notre existence. Les états décrits dans le Bardo
Thödol peuvent également être vécus lors d’états méditatifs ou lors de la pratique spirituelle
systématique. Ce texte important est ainsi un guide destiné aux mourants, aux vivants, et à ceux qui
sont dans une sérieuse recherche spirituelle. C’est une des séries d’instructions pour six types de
libération : libération à travers l’écoute, à travers le port de certaines amulettes, à travers la vue, à
travers le souvenir, à travers le goût, et à travers le toucher.
Les instructions pour les différents types de libération furent formulées par
Padmasambhava et écrits par sa femme. Padmasambhava enterra plus tard ces textes dans les
collines Gampo dans le Tibet Central, comme on avait coutume de le faire avec les textes et les
objets sacrés appelés termas ou « trésors cachés ». Il octroya le pouvoir de les découvrir à ses vingtcinq disciples principaux. Les textes du Bardo Thödol furent trouvés plus tard par Karma Lingpa, qui
appartenait à la tradition Nyingma et qui était l’une des incarnations de l’un de ces disciples. Ils ont
été utilisés à travers les siècles par les étudiants sérieux de ces enseignements, et ils sont
d’importants guides pour la libération et pour l’éveil.
Le Bardo Thödol décrit les expériences que l’on rencontre au moment de la mort (Chikhai
Bardo) pendant la période d’affrontement des visions archétypales et des illusions karmiques qui
suivent la mort (Chönyid Bardo), et au moment de la recherche de la renaissance (Sidpa Bardo).
Traditionnellement au moment de la mort et pendant la période de quarante neuf jours suivant la
mort, ce texte est chanté par des maîtres ou des lamas pour instruire l’esprit des défunts sur ce qui
arrive dans l’état bardo, et comment utiliser l’expérience à des fins de libération.
Chikhai Bardo : Le Bardo du moment de la mort
Le Chikhai Bardo rapporte en détail les expériences associées au moment de la mort. Le
trait le plus caractéristique de cet état est la perte du sens du toucher avec le monde familier des
polarités et l’entrée dans le monde de l’irréel et de la confusion. Le monde logique et ordonné tel
que nous connaissons dans la vie de tous les jours commence à se dissoudre et il est remplacé par un
état d’incertitude : est-on en train d’atteindre l’illumination ou de devenir fou ? Le Bardo Thödol
traite des expériences annonçant la mort imminente sur les différents éléments du corps. Ce
processus commence par des expériences de lourdeur, de pressions physiques intenses, la perte
progressive de contact avec le monde physique. Dans cette situation, on se réfugie dans son intellect,
et on tente de se rassurer en voyant qu’il continue de fonctionner. Cela est décrit comme « la terre
se noyant dans l’eau ». Dans l’étape suivante, les opérations de l’intellect cessent d’être fluides, et la
circulation des pensées est perturbée. Désormais, la seule façon de se relier au monde est de le faire
à travers les émotions, en pensant à quelqu’un que l’on aime ou au contraire que l’on déteste. La
sensation de froideur est remplacée par celle de chaleur intense. Le Bardo Thödol évoque cela
comme l’expérience de « l’eau se noyant dans le feu ». Ensuite les émotions vives se dissolvent et
l’attention se distrait des objets de l’amour et de la haine ; l’être tout entier semble exploser en
atomes. Cette expérience de « feu se noyant dans l’air » crée un état d’ouverture pour la rencontre
avec la lumière cosmique qui la suit.
Au moment de la mort, on a une énorme vision de Dharmakaya, ou la Lumière Claire
Primaire de Réalité Pure. Toute l’existence apparaît soudainement dans son absolue totalité, brillant
comme une lumière éternelle qui n’est pas encore née. Tous les opposés sont transcendés : l’agonie
et l’extase, le bien et le mal, la beauté et la laideur, la chaleur brûlante et le froid glacial. Tout
coexiste dans un tout indifférencié. Dans les dernières analyses, le Dharmakaya est identique à la
Commentaire [Q14]: Comme c’est un
autre niveau de titre, je ne mets pas en
gras, n’est-ce pas ?
conscience de celui qui en fait l’expérience, conscience qui n’a ni naissance ni mort et qui est par sa
propre nature la Lumière Immutable.
D’après le Bardo Thödol si l’on reconnaît cette vérité de conscience et que l’on a été
préparé par la pratique systématique à abandonner sa propre individualité à la magnificence de cette
expérience, cette situation offre une opportunité unique pour la libération instantanée spirituelle.
Ceux qui s’éloignent du Dharmakaya auront une nouvelle chance immédiatement lorsque la Lumière
Claire Secondaire se lèvera sur eux. S’ils manquent cette opportunité-là de dissolution complète de
leur individualité, la force de leur karma les conduira irrémédiablement à une suite compliquée
d’aventures spirituelles avec un panthéon tout entier de déités bienheureuses et colériques. Au
cours de ces aventures, et tandis qu’ils approchent une nouvelle naissance, leur conscience devient
progressivement de plus en plus séparée de la lumière libératrice. Ces expériences sont décrites dans
le second et le troisième bardo, comme cela est résumé ci-dessous.
Chönyid Bardo : Le Bardo de l’Expérience de la Réalité
Les expériences décrites dans le Chönyid Bardo sont une suite de visions successives d’une
riche panoplie de présences divines et démoniaques que l’on rencontre depuis le voyage mortuaire
jusqu’au moment de la renaissance recherchée. Pendant les cinq premiers jours de ce bardo, les
images magnifiques des cinq Bouddhas primordiaux (Dhyâna Bouddhas) apparaissent dans leurs
aspects les plus heureux, enveloppés d’une lumière multicolore assistés par des Boudhisattvas
hommes et femmes. Ces déités paisibles sont Vairocana (Bouddha Suprême et Eternel) Akshobhya
(Bouddha Immovible) Ratnasambhava (Bouddha de Naissance Illustre) Amitbha (Bouddha de
Lumière Infinie) et Amoghasiddi (Bouddha au Succès Infaillible).
Les Dhyâna Bouddhas sont les cinq modes principaux d’énergie de nature Bouddhique, de
conscience totalement éveillée ; ils incarnent cinq qualités de sagesse ; tout ce qui fait partie de
l’existence, les être vivants, les lieux et les événements – peut être décrit selon eux. C’est la raison
pour laquelle, ils sont connus comme les cinq familles. Les cinq Bouddhas primordiaux sont
également appelés Tathagatas ou Jinas. Tathagata signifie littéralement « ainsi parti » ou « celui qui
est devenu un avec l’essence de ce qui est » et Jina peut être traduit par « victorieux ».
Les cinq Tathagatas apparaissent individuellement les cinq premiers jours consécutifs de
Chönyid Bardo. Le sixième jour ils apparaissent simultanément avec leurs serviteurs, avec les cinq
Gardiens colériques de l’Entrée et leurs femmes, avec les shaktis ou dakinis, avec des Bouddhas des
six royaumes dans lesquels on peut renaître (lokas), et avec un grand nombre de figures divines –
quarante-deux déités au total. Ceux qui n’y sont pas préparés sont stupéfaits par cette expérience
étant donné qu’il ne semble pas y avoir d’échappatoire à cette situation. Les cinq Tathagatas
remplissent l’espace et toutes les directions, et les cinq portails sont gardés par les quatre Gardiens.
Les irradiations des Tathagatas contrastent fortement avec les lumières sombres et
illusoires représentant les six Lokas. Les six émotions majeures qui nous attirent aux royaumes
individuels de renaissance sont déterminés par le karma : la peur et la terreur des royaumes des
dieux (devaloka), la violente colère pour le royaume des bêtes sauvages (tiryakaloka), l’égotisme
pour le royaume des humains (manakaloka), l’attachement pour le royaume des fantômes affamés
(pretaloka) et la jalousie pour le royaume des dieux guerriers (asuraloka). La renaissance en Enfer
(narakaloka) est décrite dans le Bardo Thödol comme étant la résultante de l’influence des illusions
des propensions de chacun.
Au septième jour, Cinq Déités Détentrices de la Connaissance des royaumes paradisiaques
apparaissent avec leurs dakinis, des héros et des héroïnes innombrables, des guerriers célestes, et
des dieux protecteurs de la foi. Pendant la période qui suit, entre le huitième et quatorzième jour, les
déités de la Colère émergent. Les terrifiantes figures démoniaques qui se manifestent pendant huit à
douze jours, sont en fait les aspects sombres des Bouddhas transcendantaux. Le treizième jour, les
Kerimas se manifestent, avec les Huit Colériques et les Htamenmas, des déités zoomorphiques
terrifiantes. Ils ont des têtes de plusieurs animaux - de lion, de tigre, de renard noir, de loup, de
vautour, d’oiseau rouge de cimetière, de corbeau, et de hibou. De nombreuses déités arrivent le
quatorzième jour et parmi elles il y a les Cinq Gardiennes avec des têtes d’animaux, d’autres
puissantes déesses zoomorphiques et les yoginis.
Chez ceux qui n’y sont pas préparés, les déités colériques engendrent une terreur abyssale.
Cependant ceux qui sont familiarisés à ces images par leurs précédentes études et qui y sont
préparés par la pratique spirituelle intensive sont capables de les reconnaître comme des images
essentiellement vides de leur propre esprit et ils peuvent ainsi se fondre à elles et atteindre la
bouddéité.
Sidpa Bardo : Le Bardo de la Recherche de la Renaissance.
Ceux qui ont manqué l’opportunité de la libération dans les deux premiers bardos doivent
affronter cette dernière étape de l’étape intermédiaire. Après s’être évanouis de terreur dans le
Chönyid Bardo, ils s’éveillent désormais sous une forme nouvelle - le corps bardo. Le corps bardo
diffère de celui que nous connaissons dans la vie de tous les jours, et il a de nombreuses qualités : il
n’est pas composé de matière ; en outre il est pourvu du pouvoir de mouvance absolue, et peut
traverser les objets solides.
Ceux qui existent sous la forme du corps bardo peuvent apparaître ou disparaître lorsqu’ils
le souhaitent et ils peuvent atteindre chaque endroit de la planète de façon instantanée, y compris la
montagne cosmique sacrée, le Mont Mérou. Ils peuvent changer de forme et de taille, dédoubler
leur forme, se manifestant simultanément à plusieurs endroits. A ce moment-ci, on peut sembler
posséder des pouvoirs karmiques. Le Bardo Thödol met très sérieusement en garde par rapport au
fait de s’attacher à ces forces. Comme nous le verrons plus tard dans ce livre, certains des postulats
concernant le corps bardo, aussi incroyables qu’ils puissent paraître, ont été confirmés par la
recherche thanatologique moderne.
La qualité émotionnelle des expériences de ce bardo – le degré de bonheur ou de malheur
que l’on ressent- dépend du rapport karmique de la personne impliquée. Ceux qui ont accumulé
beaucoup de mauvais karma sont tourmentés par des événements effrayants : des démons leur
dévorent la chair, des rakshasas brandissent des armes menaçantes, de terribles bêtes de proie les
harcèlent, et les forces élémentaires enragées les agressent. Ils peuvent rencontrer des avalanches
de rochers, des mers en furie débordantes, des feux rugissants, et d’inquiétantes crevasses ou des
précipices. Ceux qui ont accumulé des mérites karmiques vivent de nombreux plaisirs alors que ceux
qui ont un karma neutre vivent l’ennui, l’absence de couleurs et l’indifférence.
La scène de jugement culmine dans le Sidpa Bardo, et détermine lequel des six royaumes
de l’existence (lokas) les morts iront habiter. Le Juge des morts, est une déité appelée Dharma Raja
(le Roi de la Loi) ou Yama Raja (le Roi de la Mort) ; il est l’aspect colérique de Chenrazee, le
protecteur national du Tibet. Sa tête et son corps, tout comme son pavillon et sa cour, sont ornés de
crânes humains, de têtes et de cachettes. Sous son pied il a une figure mara, symbolique de Maya, la
nature illusoire de l’existence humaine. Il tient dans sa main droite une épée, symbole du pouvoir
spirituel, et dans sa main gauche le Miroir du Karma, dans lequel sont reflétés toutes les actions
mauvaises ou bonnes de la personne jugée.
La balance est tenue par Shinje, une déité à tête de singe et deux personnes se tiennent à
côté de lui tenant un sac de cailloux - le Petit Dieu Blanc, tient les cailloux blancs et le Petit Dieu Noir
les cailloux noirs. En suivant les indications de Yama Raja, ils placent de petits cailloux blancs ou noirs
sur la balance en fonction des mérites karmiques de la personne jugée. Un conseil de déités se tient
dans le Tribunal, et bon nombre d’entre elles, à tête d’animal, assurent l’impartialité de la justice et
la régularité de la procédure. En fonction du résultat du pesage, les morts sont envoyés à l’un des six
royaumes de l’existence.
Le domaine des dieux (devaloka) est décrit comme un état d’existence empli
d’innombrables plaisirs infinis. La mythologie décrit les royaumes divins et paradisiaques avec des
jardins et des palaces splendides, des pierres brillantes et des métaux précieux. On peut être envoyé
à ce royaume à condition d’avoir vécu une vie d’amour et de compassion. Dans l’existence de tous
les jours, cela se manifeste en étant né dans une famille aimante et ayant accès aux pratiques et aux
écrits spirituels. Lorsque la conscience manque, cela s’exprime par de l’orgueil dans l’ego et une
identité séparée ainsi que par les plaisirs éphémères résultant de la classe sociale et de la richesse.
Le domaine des dieux jaloux (asuraloka) est un domaine entièrement gouverné par la
jalousie et par l’envie. Ici l’objectif de la vie est de fonctionner, de survivre et de réussir dans
l’atmosphère de l’intrigue. Au niveau archétypal, c’est le monde des titans, des guerriers colériques
et des demi-dieux qui sont en rivalité constante avec les dieux. Dans la vie de tous les jours, cela
renvoie au monde de la diplomatie internationale, des chefs militaires et des politiciens. On naît dans
ce royaume lorsqu’on a éprouvé intensément la jalousie.
Le domaine des fantômes affamés (pretalokas) est habité par les pretas, des créatures
déplorables à l’appétit insatiable. Leurs ventres énormes demandent à être rassasiés mais leurs
petites bouches font la taille de punaises, donc les fantômes affamés ne peuvent jamais être
satisfaits. Ce domaine est caractérisé par la soif matérialiste. Cependant, tandis que nous
rassemblons les fruits de nos désirs et que nous les possédons, nous sommes incapables d’en
profiter, et nous devenons de plus en plus affamés. Comme dans les addictions, notre satisfaction ne
dure pas, et une expérience de plaisir éphémère mène à rechercher sans fin de telles expériences.
C’est la souffrance qui est associée à la gourmandise.
Dans le domaine de l’Enfer (narakaloka) l’on est exposé à des tortures extrêmes, qui
représentent chacune les forces opérant dans notre propre psyché. Les Huit Enfers Brûlants sont
constitués de montagnes et de prairies de métal rouge brûlant, des rivières d’acier fondu, et un
espace claustrophobe garni de feu. L’extrême opposé a lieu aux Huitièmes Enfers glacés, où tout est
glacé et recouvert de glace et de neige. Ceux qui ont commis des actes impies motivés par de la
violente colère sont envoyés aux enfers brûlants ; les enfers froids sont destinés à ceux qui ont
commis des actions égoïstes et orgueilleuses. Des tortures supplémentaires abondent dans ce
domaine : être déchiré en mille morceaux, étranglé à l’aide de nœuds coulants, être percé de pointes
et exposé à des pressions destructrices. Ce domaine inclut également l’horrible Enfer Avitchi où ceux
qui ont utilisé de la sorcellerie pour détruire leurs ennemis ou encore ceux qui ont délibérément
négligé l’achèvement de vœux tantriques endurent des tortures immesurables éternellement.
Le domaine animal (tiryakaloka) est caractérisé par un mode de vie ennuyeux ; la simple
survie à un niveau simple et non compliqué, où le sens de la sécurité alterne avec des épisodes de
peur. Tout ce qui est irrégulier ou imprévisible est perçu comme menaçant et devient une source de
confusion et de paranoïa. Le domaine animal est caractérisé par l’absence d’humour ou d’ironie
faisant défaut dans leurs vies.
Le domaine humain (manakaloka) est un domaine où le plaisir et la douleur sont équilibrés.
Tout comme au domaine des fantômes affamés (pretaloka) il y a une passion incessante à explorer et
à rechercher le plaisir. Cependant, ce loka a des caractéristiques communes au domaine animal
(tiryakaloka) comme la tendance à opérer de façon à créer une situation sûre et prévisible. Une
caractéristique importante du domaine humain est le sens du territoire, inspirant l’invention d’outils
de protection pour vaincre les autres. Cela mène à un monde de succès et de réussites énormes.
Cependant, lorsque ce processus manque de conscience, cela mène une situation dangereuse dans
laquelle les gens perdent le contrôle de leurs vies. L’avantage de ce domaine est qu’il offre les
meilleures conditions pour réussir la libération.
La pratique tibétaine cultive la conscience nécessaire pour intégrer chacun de ces domaines
expérimentaux sans être piégé. La stratégie essentielle pour approcher tous ces domaines de
l’existence - qu’ils impliquent les défis de la vie de tous les jours, les rencontres avec les déités
radiantes et colériques, ou les aventures dans les divers lokas - consiste en la réalisation que toutes
ces choses ne sont que des produits de nos esprits, et que toutes les formes sont en réalité vides.
Lorsque les lumières des six lokas éclairent la personne à ce niveau-là du voyage du bardo,
on peut tenter de fermer la porte du tombeau et empêcher ainsi une réincarnation défavorable. Le
Bardo Thödol suggère plusieurs stratégies en vue de cet objectif. Par exemple on peut contempler sa
déité tutélaire ou méditer sur la lumière claire ; les autres possibilités sont de réaliser la vacuité
essentielle de toutes les apparitions samsariques ou de se focaliser sur la chaîne du bon karma.
L’une de ces méthodes est particulièrement intéressante étant donné qu’elle semble
précéder de plusieurs siècles la découverte du complexe d’Œdipe par Freud. Le Bardo Thödol
propose en vue d’éviter telle ou telle réincarnation, d’éviter les sentiments profonds vécus à ce
moment-là envers les futurs parents, qui sont perçus comme des corps nus, engagés dans leur
activité sexuelle. Conformément à la psychologie moderne, ces émotions prennent la forme
d’attraction envers le parent du sexe opposé, et de répulsion ou de colère envers la figure parentale
du même sexe que soi.
Si toutes les opportunités de se libérer ont été manquées, l’on est irrésistiblement travaillé
par de vives émotions, et l’incarnation dans un autre corps, et la renaissance suivront forcément.
Avec le guidage approprié, l’individu infortuné a encore un espoir de permis : la possibilité d’une
influence concernant le choix du corps dans lequel il ou elle s’incarnera. Avec l’environnement et
l’appui approprié, la nouvelle vie pourra offrir des opportunités pour la pratique spirituelle et une
meilleure préparation au prochain voyage à travers les états de bardo.
La description des tortures vécues dans le Sidpa Bardo, reflète l’influence de la religion Bön.
On peut comparer le passage suivant du Bardo Thödol à la description d’une crise chamanique
typique (voir l’initiation du chamane Awam-Samoyed au chapitre 1).
Le Seigneur de la mort placera autour de ton cou une corde, et il te traînera ; il te
coupera la tête, déchirera ton cœur, arrachera tes intestins, lèchera tout ton cerveau, boira
tout ton sang, mangera ta chair et rongera tous tes os ; mais tu seras incapable de mourir.
Même lorsque ton corps sera déchiré en mille morceaux, il revivra. L’éclosion répétée te
causera de la douleur intense et de la torture.
Les descriptions des nombreuses figures et événements du Sidpa Bardo ressemblent
également de près à ces scènes visionnaires du Pert Em Hru égyptien. Par exemple, la rencontre avec
le monde des rakshasas terrifiants, les monstres menaçants et les dangereuses forces de la nature
rappelle les épreuves déloyales du Tuat. Il y a également des parallélismes frappants entre les scènes
du jugement : les pesages des actions mauvaises ou bonnes des défunts avec l’aide du Shinje à tête
de singe et de nombreuses autres déités zoomorphes fait écho aux événements et aux personnages
dans le Hall de Maat. Par ailleurs, le dieu Thot généralement représenté avec une tête d’ibis a, dans
certains textes, la forme d’un babouin. Des variations sur ce thème du jugement des morts peuvent
également être trouvées dans le bouddhisme Chinois et Japonais et dans les mythologies
eschatologiques zoroastrienne et chrétienne.
J’ai mentionné plus haut la similarité entre les expériences dans les sessions psychédéliques
et celles décrites dans les livres des morts. Les chercheurs de Harvard, Timothée Leary, Richard
Alpert et Ralph Metzner ont trouvé des parallèles entre ces deux situations tellement frappants qu’ils
ont intitulé leur premier livre décrivant leurs expériences de LSD : L’expérience psychédélique :
Manuel fondé sur le Livre Tibétain des Morts. (Leary, Alpert et Metzner 1964) Ils ont également
essayé de guider leurs clients dans les sessions de LSD en leur lisant des passages du Bardo Thödol.
Mort et renaissance de Quetzalcóatl : le Livre Nahuatl des Morts
Quetzalcóatl, une déité nahuatl (aztèque) extrêmement complexe et aux multiples visages,
était de loin le symbole archétypal le plus important de la mort et de la renaissance dans le monde
précolombien. Bien qu’il ait été représenté artistiquement de bien des façons différentes,
Quetzalcóatl apparaissait le plus fréquemment sous la forme d’un serpent à plumes, symbolisant
l’union des éléments terrestres et spirituels de la nature humaine. Son nom était composé de deux
mots nahuatl : quetzal, oiseau exotique de couleur vert brillant, et coatl, serpent. Un autre nom
donné à Quetzalcóatl était « Jumeau Précieux », terme qui faisait référence à son identification à la
planète Vénus et à ses deux aspects comme Etoile du Matin et Etoile du soir. Il était également
connu sous le nom d’Ehecatl (le Dieu du Vent), Seigneur de l’Aurore, Seigneur des Terres des Morts,
et sous bien d’autres noms. Dans la culture maya, on se référait à lui sous le nom de Kukulcan.
Quetzalcóatl était le fils de la déesse Coatlicue, dont la fonction principale état de solidifier
l’esprit transcendantal dans le monde matériel. Lorsque le Soleil la prit pour épouse, toutes les forces
puissantes et génératrices de la nature vinrent à la vie, et Quetzalcóatl était le fruit de cette union.
Ainsi une trinité harmonieuse et équilibrée fut crée : le Soleil, le pouvoir générateur mâle, Coatlicue,
représentant la Terre, et Quetzalcóatl associé à la planète Vénus. Tandis que Coatlicue représentait
les forces qui enveloppent l’esprit dans le monde matériel, Quetzalcóatl symbolisait la possibilité de
rédimer la matière et de se reconnecter à l’aspect spirituel du monde. Le processus mystérieux qui
rendait cela possible était joliment décrit dans le mythe sur la chute de Quetzalcóatl et sa pénitence,
une histoire profonde d’annihilation, de transformation et de renaissance.
Le principal mythe de Quetzalcóatl est une histoire ésotérique de sens spirituel profond,
exprimant une vérité universelle majeure. Elle décrit Quetzalcóatl comme un sage, bon et pur
gouverneur de la Ville des Dieux qui fut établie après la création du Cinquième Soleil. Son rival, à la
fois céleste et à la polarité opposée, Tezcatlipoca ou Miroir Fumant, organisa sa chute en
l’intoxiquant à l’aide d’une boisson de pulque. Sous son influence Quetzalcóatl pratiqua l’inceste avec
sa sœur Xochiquetzal, la déesse de l’amour et de la beauté. Après avoir recouvré la sobriété, il réalisa
ce qui s’était passé et il s’imposa une sévère pénitence. Il se priva de tout ce qu’il possédait de
précieux et passa quatre jours dans un linceul de pierre. Puis il voyagea à la plage céleste d’eaux
divines où il construisit un grand bûcher. Ayant fait don de ses plumes et de son masque, il se jeta
dans les flammes. Tandis qu’il brûlait, tous les oiseaux rares se rassemblèrent pour le regarder se
transformer en flammes. Huit jours plus tard, son cœur resurgit sous la forme d’une étoile
flamboyante. Après la mort de sa forme physique consumée par le feu, Quetzalcóatl voyagea à
travers Mictlan, le royaume souterrain et la terre des morts, accompagné par son jumeau Xototl qui
avait la forme d’un chien.
Le voyage de Quetzalcóatl dans le monde des Enfers commença à l’Est, dans le Lieu du
Brasier, où il grimpa sur le bûcher pilori, et fut brûlé jusqu’à ce que mort s’en suive. Ses cendres
furent dispersées par le vent et transformées en un groupe de beaux oiseaux. Son cœur ou essence
spirituelle ne mourut pas dans le feu, mais ressuscita de ses cendres et commença son voyage
complexe. Sous cette forme, il alla d’abord dans le Sud, au lieu des Epines - le lieu de découpe de
démembrement et de décapitation. A l’Ouest il voyagea à deux temples de pyramides. Le premier
temple était le lieu de résidence des guerriers morts et le second celui des femmes mortes en
couches. Là, Quetzalcóatl disparut dans la gorge ouverte du dragon terrestre Cipactli à la suite de
quoi il réapparu sous deux formes – une forme rouge et une forme noire. Le Nord était la région la
plus sombre et la plus basse des Enfers, le domaine des Morts. Là, le Quetzalcóatl rouge fut sacrifié
par le noir, et ensuite le noir s’immola lui-même. Transformé en colibri, Quetzalcóatl monta alors au
ciel de l’est comme Etoile du Matin, ou Seigneur du Lever du Jour.
L’histoire de Quetzalcóatl, la pénitence, la mort, son voyage dramatique à travers les
Enfers et sa transformation, sont le principal contenu du fameux Codex Borgia, un manuscrit
Nahuatl, rempli de symbolisme religieux et rituels. Les expériences que traverse Quetzalcóatl,
pendant son voyage aux enfers sont semblables aux descriptions du Bardo Thödol. Lors de sa
descente dans le Domaine chthonien des morts, il rencontre un panthéon tout entier de tzitzimimes,
démons de l’obscurité, et de déités coléreuses menaçant de le détruire. Il rencontre aussi beaucoup
de déités bienveillantes, qui le protègent et l’appuient. Tandis qu’il traverse les régions des Enfers, il
est divisé en deux Quetzalcóatl, et son obscur frère jumeau Xolotl est allié à son rival Tezcatlipoca.
Après s’être désintégré dans ses composantes physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles,
Quetzalcóatl transcende toutes les adversités et lors de sa transformation en Vénus, il atteint un état
de complétude spirituelle. Cet état a été représenté au Tibet et dans bien d’autres cultures par le
symbole sacré du mandala. Le Borgia Codex contient quelques uns des mandalas les plus beaux de
tous les temps.
Lors de son voyage dans les Enfers Mitclan, la Terre des Morts, Quetzalcóatl réussit à
obtenir de Mictlanteculhtli, le Seigneur des Morts, les os d’un homme et d’une femme et s’échappe
avec eux après avoir traversé bien des tribulations. Lorsqu’il les rachète par son propre sang, le
couple peut commencer à habiter dans le monde. Après son triomphe, Quetzalcóatl accède au
Paradis, et il est transformé, en tant que Seigneur de l’Aurore, en la planète Vénus, l’Etoile du Matin.
Il refaisait alors son voyage dans son corps astronomique, d’abord apparaissant dans le ciel de l’ouest
comme Etoile du Soir, puis disparaissant sous la terre, et finalement réapparaissant dans le ciel de
l’est comme Etoile du Matin, afin de retrouver l’Etoile du Soleil Levant.
Le mythe Quetzalcóatl est ainsi une expression du thème universel de la mort et de la
résurrection, du péché et de la repentance. Etant donné que Quetzalcóatl, qui était l’un des quatre
enfants du Créateur Suprême, était déjà divin lorsqu’il succomba au pêché mortel, l’histoire décrit
clairement le motif permanent de toutes les grandes religions : l’incarnation du pur principe spirituel
en la matière et la rédemption agonisante de la matière par l’esprit. Le voyage de Quetzalcóatl aux
Enfers et son ascension céleste sont le plan archétypal mésoaméricain du voyage posthume de l’âme
et de l’expérience initiatique de la mort et de la renaissance.
Il s’agit d’une réminiscence du Pert Em Hru égyptien dans lequel les expériences du défunt
et de l’initié dans le mythe d’Isis et d’Osiris étaient proches du voyage diurne et nocturne du Dieu du
Soleil à travers les Enfers. Mais là où la version égyptienne faisait l’association astronomique
exclusivement avec le soleil, associant ainsi la mort au coucher du soleil et la renaissance au lever du
soleil, la version mésoaméricaine fait intervenir Vénus et ses phases différentes. Elle assignait à
Vénus le rôle de médiatrice entre le jour et la nuit et entre le bien et le mal, et dressait également le
portrait de Vénus comme celui d’un agent facilitant la transcendance des opposés dans la nature
humaine. L’importance de Vénus pour l’Amérique Centrale n’est pas surprenante, étant donné qu’à
cette latitude là elle brille avec un éclat incroyable et apparaît de la taille d’une boule de neige dans
le ciel sombre.
Le mythe de Quetzalcóatl a joué un rôle très important dans l’histoire du Mexique. Pour les
cultures préhispaniques, Quetzalcóatl/Kukulkan était aussi un héros de culture légendaire qui
apparaissait mystérieusement et qui partageait avec eux sa sagesse divine comme chef éclairé. Il
servait de guide éclairé à son peuple, fondait leur religion, et leur enseignait les arts de la civilisation.
Lorsqu’il disparut soudain sans laisser de traces, sa disparition fut aussi énigmatique que son arrivée.
Pendant de nombreuses années, les peuples mésoaméricains espéraient son retour avec impatience.
D’après la légende, Quetzalcóatl avait des traits physiques inhabituels, à savoir une peau claire et une
barbe. Au cours de l’histoire, Hernando Cortez correspondit à cette description. Cette ressemblance
joua en faveur des Conquistadores étant donné que bien des Mésoaméricains virent en lui
l’incarnation de Quetzalcóatl. Etant donné que le mythe de Quetzalcóatl était le motif religieux
commun à toute l’Amérique Centrale, la victoire des Conquistadores fut d’autant plus aisée.
Aventures des Jumeaux Héros : le Livre Maya des Morts
L’ancienne civilisation maya était assez sophistiquée et avait un héritage culturel riche, mais
une grande partie de celui-ci a été perdu. Cela est dû en grande partie au climat d’Amérique
Centrale, une malheureuse combinaison de chaleur et d’humidité qui accéléra la dégradation des
documents facilement périssables. Cependant, les envahisseurs espagnols en sont les principaux
responsables car ils détruisirent volontairement des quantités énormes de trésors littéraires –
spécialement les « codices » des manuscrits en forme d’accordéons avec des illustrations riches et
colorées. Ils présentaient des informations innombrables concernant les divers aspects de la vie
maya, et malheureusement seul un petit nombre d’entre eux échappa aux ravages des Espagnols. Il
ne reste aucun codice de l’époque Classique (avant 900 de notre ère) et quatre seulement ont
survécu à la période Post-Classique (de 900 à la conquête espagnole au XVIème siècle).
Les Mayas vivaient avec une profonde conscience de la mort. L’espérance de vie réduite, la
mortalité infantile élevée, et la combinaison de guerres et de rituels sacrificiels faisaient de la mort
une réalité toujours présente dans leur vie quotidienne. Bon nombre des rituels et d’œuvres d’art
mayas étaient dédiés à l’existence posthume et à l’entrée de l’âme dans les Enfers Xibalba, jusqu’à
une renaissance finale et une apothéose.
Les Jumeaux maya.
Dessin d’après un vase maya dépeignant les Héros Jumeaux, Hunahpu et Xbalanque qui
réussirent à vaincre les Seigneurs de Xibalba. La chauve-souris au-dessus de leurs têtes rappelle leur
défi dans la Maison des chauves-souris où Hunahpu fut décapité.
La mythologie maya et l’art funéraire décrivaient la mort comme étant un voyage
complexe. Ces étapes importantes et des défis furent décrits sur les cercueils, sur les peintures
murales, sur la poterie, les jades et d’autres objets qui accompagnaient les défunts lors de leur
grande transition.
Malgré son grand intérêt concernant la mort et des morts, aucun texte maya
eschatologique comparable au Livre des Morts égyptien ou tibétain n’a survécu après la période
classique. Cependant, le mythologiste Michaël Coe a identifié un groupe bien défini de vaisselles
céramiques, qu’il désigna sous le nom de céramiques de style codex, car leur style était très
semblable à celui des codices maya. Il en conclut que les artistes qui créaient ces chefs d’œuvres
étaient les mêmes que ceux qui peignaient les manuscrits accordéon en écorce (Coe 1978). Le
cardiologue et archéologue Francis Robicsek, un universitaire qui avait étudié les vases funéraires
mayas, alla encore plus loin. Il était convaincu que non seulement ces vases ressemblaient aux
codices, mais que placés dans le bon ordre, c’étaient réellement des codices (Robicsek 1981).
Afin d’appuyer cette thèse, Robicsek visita beaucoup de sites archéologiques mayas, aussi
bien que des collections et des institutions privées partout dans le monde. Accompagné de
l’anthropologue-hiéroglyphiste Donald M. Hales, il fit la première étude complète des céramiques de
type codex de style maya, qui faisait le tour de tous les exemples connus. Les deux universitaires
remarquèrent que bien des vases rentraient dans des catégories représentant chacune une même
fable ou mythe des enfers. Ils réussirent à proposer un ordre suivi aux céramiques funéraires qui
rassemblées représentent le « Livre Maya des Morts », bien que ces histoires avec les illustrations qui
les accompagnent soient dispersées sur des vases séparés et qu’elles ne fassent pas partie d’un texte
compréhensif et cohérent comparable au Bardo Thödol.
Le style codex comme technique de décoration des vases fut utilisé pendant la période
classique tardive, probablement autour du VIIIème siècle. Cette période marqua la période la plus
prospère économiquement et politiquement des villes-états Mayas, et les artistes de cette époque
créèrent certaines des meilleurs œuvres d’art précolombien. Les scènes dépeintes sur les vases des
« céramiques codex » maya sont extrêmement riches et complexes et elles sont peintes dans une
combinaison de blanc, noir et rouge et de couleurs bleues mayas. Certains représentent les seigneurs
et les dames des enfers avec leurs servantes, les Jumeaux Héroïques, des cérémonies de palace, des
scènes sacrificielles, la guerre, des chasses et des jeux de balle rituels. D’autres décrivent une grande
variété d’habitants mythologiques de Xibalba.
Bon nombre d’êtres anthropomorphiques, zoomorphiques et squelettiques sont
représentés sur ce spectre de figures fantastiques tout comme une ménagerie toute entière de
créatures chthoniennes – le dragon à Grande Barbe, la figure à visage changeant Cauac, le Serpent à
Sang-Coulant, la Déité Oiseau Principale, le Monstre Céleste, et Uial, semblable à un crapaud à
écailles. Certains des nombreux animaux représentés sur ces vases comprennent des jaguars, des
chiens-jaguars, des singes-araignées, des chauves-souris, des vautours, des oiseaux gémissants, des
serpents, des tortues, des crapauds, des poissons, des lucioles et des scorpions. Certaines figures
portent des écharpes sacrificielles et portent des bols triadiques qui contiennent des yeux, des os et
plusieurs mains énucléées.
Le riche panthéon de Xibalba, comprend également un grand groupe de dieux de la mort.
Bon nombre des seigneurs des enfers xibalbiens, sont dépeints avec des faces humaines très vieilles
édentées, et certains combinent les caractéristiques mâles et femelles. Leur haleine et leurs pets
sont tellement puants qu’ils apparaissent sous la forme de grands rouleaux visibles. Ils portent
souvent en guise de bijoux des yeux énucléés ou des os. Nommés selon les nombreuses causes de
décès tels que la maladie, la vieillesse, le sacrifice et la guerre, les seigneurs des enfers sont souvent
représentés avec des corps décharnés, des ventres tombants et des marques noires signifiant la
détérioration. Les spécialistes de la culture maya se réfèrent à eux selon leurs noms mayas, parfois
en lettres majuscules.
Xibalba était un lieu morne et terrifiant, qui en bon nombre de façons rassemblait au Tuat
Egyptien, au Sidpa Bardo du Livre Tibétain des Morts et aux enfers des cultures chamaniques. Envahi
de l’odeur nauséabonde des corps en décomposition et du sang en putréfaction, il était la source des
maladies qui s’abattaient sur l’humanité. Le mot « Xibalba » est dérivé du mot « xib » signifiant la
peur, la terreur, trembler de frayeur. Tout comme le Monde Moyen (le monde de la vie quotidienne),
Xibalba avait des paysages et de l’architecture, comprenant les temples et les palaces des Seigneurs
de la Mort. De façon générale, les Enfers de la période Classique maya, ressemblaient fort à ceux du
Popol Vuh, la fameuse épopée des Indiens Mayas Quiche, du Guatemala, avec une exception
significative. Les images des vases funéraires du codex de céramiques indiquent qu’il s’agissait d’un
environnement humide, ou qu’il était associé à l’eau de manière importante. Tout comme dans la
mythologie grecque, la mort et le passage à travers les enfers mayas impliquaient de traverser de
l’eau. L’entrée dans Xibalba était souvent représentée comme un voyage en canoë ou comme le fait
de couler sous l’eau ; d’autres symboles aquatiques étaient utilisés. Ils comprenaient de nombreuses
variétés de poissons, des rangées de coquillages, des lys d’eau, et des créatures ressemblant à des
crocodiles.
Alors que certaines de ces images sont clairement reliées à des mythes et à des légendes
qui sont maintenant perdus, bien d’autres semblent refléter la célèbre histoire mythologique des
Jumeaux Héroïques qui relevèrent des défis héroïques lors de leur visite aux Enfers, et qui finirent
par faire l’expérience de la mort et de la renaissance. La description de leurs aventures constitue une
partie importante du Popol Vuh. Ce document fut créé peu après la conquête par un Indien
guatémaltèque anonyme, mais il est clairement fondé sur une tradition bien plus ancienne. Le Popol
Vuh fait la chronique des rois et des guerres qu’ils firent entre eux et contre leurs voisins. Son thème
mythologique le plus distinct est l’effort perpétuel des dieux de l’Amérique ancienne pour créer une
chose vivante qui aura la capacité de connaître et d’adorer son créateur.
La section la plus pertinente de cette épopée décrit la rencontre victorieuse des Jumeaux
Héroïques avec les Seigneurs des Enfers, les chefs de Xibalba. L’histoire débute lorsque le père des
jumeaux Hun-Hunahpu et son compagnon Vucub Hunahpu sont attirés aux Enfers par les Seigneurs
de Xibalba, pour jouer au ballon. Après leur défaite, ils sont tués et décapités ; les Seigneurs des
Enfers pendent ainsi la tête de Hun-Hunahpu sur un arbre à calebasse, en guise d’avertissement.
L’arbre qui jusqu’à présent était stérile, donne immédiatement des fruits, qui sont tenus pour
miraculeux. Lorsqu’une jeune femme vierge s’approche pour regarder les fruits, Hun-Hunahpu
crache dans sa main, ce qui la met enceinte. La Jeune Vierge alors retourne à la surface terrestre et
donne naissance aux Jumeaux Héroïques Hunahpu (« Chasseur ») et Xbalanque (« Enfant Jaguar »).
Lorsque les deux enfants grandissent et deviennent de magnifiques jeunes-gens, ils
découvrent le ballon en caoutchouc utilisé par leur père avec d’autres accessoires nécessaires au jeu.
Ils commencent à s’entraîner de manière rigoureuse et avec grande détermination. Après avoir
acquis un niveau hors pair, ils décident de descendre à Xibalba pour venger la mort de leur père. Une
fois aux Enfers, les Seigneurs de Xibalba soumettent Hunahpu et Xbalanque à une série de défis
difficiles. Les deux jumeaux vainquent tous les dangers dans la Maison de la Tristesse, dans la Maison
des Couteaux, dans la Maison du Froid, dans la Maison des Jaguars, et dans la Maison du Feu.
Cependant dans la Maison des Chauves-souris, ils frôlent l’échec lorsqu’une chauve-souris arrache la
tête de Hunahpu. Les peuples de Xibalba prennent la tête et l’accrochent en guise de trophée.
Xbalanque appelle tous les animaux et la tortue prend la forme de la tête de Hunahpu.
Xbalanque fait alors rebondir la balle (la tortue) loin sur le terrain de jeu, où se tient un lapin ayant
pour mission de voler le ballon et de s’enfuir avec, encourageant le peuple Xibalba à lui courir après.
Xbalanque utilise ce moment de diversion pour récupérer la tête véritable de Hunahpu ; Hunahpu est
alors ramené à la vie, et le jeu se finit ainsi. Pendant l’épreuve suivante, les jumeaux sautent
volontairement dans les flammes d’un grand feu, sachant que par leurs prouesses ils ont acquis
l’immortalité. Cinq jours plus tard, ils ressuscitent d’entre les morts, et font des miracles déguisés en
pêcheurs en loques. Ils brûlent des maisons et les font réapparaître, puis ils se découpent en mille
morceaux et reviennent à la vie en ayant l’air plus jeunes et plus beaux qu’auparavant. Lorsque les
seigneurs de Xibalba leurs demandent de leur faire la même chose à eux, les jumeaux les sacrifient
mais ne les ramènent pas à la vie.
Dans la version écrite du Popol Vuh, les Jumeaux Héroïques sont amenés au Ciel et ils
deviennent le Soleil et la Lune. Le spécialiste de la civilisation maya J. Eric S. Thompson, a expliqué
que cette version reflétait une distorsion de l’histoire originale en raison de l’influence espagnole, et
il expliqua que dans la tradition orale, les Jumeaux furent transformés en Soleil et Vénus. Ces corps
célestes étaient considérés dans la mythologie maya comme étant des frères : la lune féminine était
vue comme la femme du Soleil. Cette correction ferait de Hunahpu l’équivalent de Quetzalcóatl. Il est
également probable que cette version originale du Popol Vuh ait accentué bien davantage l’aspect
spirituel de la transformation des deux Jumeaux.
Même si le Popol Vuh lui-même fut écrit après la conquête, les légendes décrivant la
naissance, la vie, la mort et la renaissance de Hunahpu et Xbalanque sont des légats d’un cycle
mythique important de la Période Classique. Les aventures des Jumeaux Héroïques révèlent le
concept du voyage de l’âme à travers la mort et la renaissance qui s’en suit et ils offrent une
information importante pour vaincre la mort et parvenir à la résurrection. L’histoire apporte ainsi un
message important à la pertinence universelle ; elle suggère que les rois, les nobles et probablement
tous les êtres humains, prennent au moment de leur mort la forme d’un de ces jumeaux légendaires,
et vivent les mêmes aventures qu’eux.
Les incomplétudes du Codex Céramique Maya semblent indiquer par là que l’un des
schémas archétypaux mésoaméricains du voyage posthume de l’âme mais également de l’initiation
sacrée de la mort et de la renaissance était lié de près aux thèmes du Popol Vuh. Il décrit le processus
de transformation de la mort et de la renaissance comme une série de défis et d’expériences
difficiles qui arrivent dans les domaines chthoniens, avec leurs protagonistes caractéristiques. Le
thème du jeu de ballon rituel est un aspect particulièrement intéressant et mystérieux de ce
symbolisme, car le jeu de ballon était un aspect important de la vie quotidienne dans les cultures
d’Amérique Centrale, et il a pu offrir l’opportunité de rejouer les mythes des Jumeaux Héroïques au
cours d’une vie.
De nombreux indices corroborent le fait que dans les cultures précolombiennes, la
connaissance des domaines eschatologiques n’était pas limitée aux expériences de mort imminente.
Une grande partie venait d’états visionnaires provoqués par des plantes psychédéliques et par la
pratique rituelle des saignées. Les ethnobotanistes modernes ont identifié bon nombre de plantes
psychédéliques qui sont encore utilisées par plusieurs groupes aborigènes en Amérique Centrale.
Parmi les plus connues d’entre-elles on trouve les champignons sacrés (Psilocybe mexicana) connus
par les Indiens comme teonanacatl ou « chair des dieux », le cactus mexicain peyote (Lophophora
williamsii), les graines glorieuses du matin (ipomoea violacea) appelées par les aborigènes ololuiqui,
et Salvia Divinatorum, également connues sous le nom de « sagesse divinatoire ».
Dans la zone des plateaux du Guatemala, tout comme dans le sud du Mexique et au
Salvador, les archéologues ont trouvé des pierres mystérieuses avec un sommet en forme de
parapluie datant de 1000 avant Jésus-Christ à 500 après Jésus-Christ. La plupart d’entre eux font
trente centimètres de hauteur, et les recherches effectuées il y a plusieurs dizaines d’années ont
montré qu’ils représentaient des champignons hallucinogènes. Des représentations semblables de
tels champignons ont lieu dans les illustrations de plusieurs codices précolombiens. Grâce aux efforts
des mycologues Gordon Wasson et Roger Heim, de l’ethnobotaniste Richard Schultes et du chimiste
Albert Hofmann, les champignons ont été identifiés comme étant Psilocybe coerlescens et ses
différentes variétés ; et leur alcaloïdes psilocin et psilocybin ont été isolés chimiquement identifiés et
préparés dans leur pure forme (Schultes et Hofmann 1979). L’utilisation rituelle de champignons
magiques qui avait une longue histoire dans bien des cultures précolombiennes est également très
commune dans le Mexique d’aujourd’hui, particulièrement parmi les Indiens Mazatec, Zapotec, et les
Mixtec.
D’après les découvertes archéologiques, l’utilisation rituelle de peyote a plus de 3000 ans
d’âge. Depuis l’arrivée des premiers Européens dans le Nouveau Monde, l’utilisation du peyote a
provoqué de violentes attaques de la part de l’Eglise Catholique. Tout comme les champignons
psychédéliques, il fut condamné par les missionnaires espagnols comme jetant des « sorts
sataniques » et il fut sévèrement supprimé et persécuté. Malgré cela, le peyote est encore utilisé au
Mexique moderne parmi les Indiens Huichol, Cora, et Tarahumara. Dans les dernières centaines
d’années, les rituels impliquant le peyote se sont également étendus à travers les nombreuses tribus
du nord de l’Amérique. Des peintures sur des vaisselles anciennes révèlent que le peyote était
administré parmi les anciens Mayas sous la forme de lavements rituels et des indices montrent aussi
que le peyote était utilisé en Amérique Centrale avec les champignons magiques comme
médicament préalable dans les sacrifices.
Il est également probables que les anciennes cultures mésoaméricaines, y compris les
Mayas, utilisaient dans des buts rituels certaines variétés de crapauds (genus bufo) dont les
sécrétions de la peau contiennent des dérives de tryptamine avec des propriétés psychédéliques plus
ou moins démontrées telles que 5-methoxy-N, N-dimethyltryptamine et bufotenine. Cette
supposition est fondée sur bon nombre de représentations iconographiques de crapauds dans l’art
d’Amérique Centrale, tout comme dans les références mythologiques.
Les cultures précolombiennes pratiquaient aussi les saignées rituelles. Cette pratique date
de l’époque préclassique tardive, et son imagerie classique traverse aussi l’art maya. Les saignées
étaient des techniques puissantes d’altération de l’esprit qui provoquait des expériences visionnaires
par la perte massive de sang et le choc qui s’en suivait. Vu à l’origine comme un acte occasionnel de
pénitence personnelle, il fut plus tard reconnu comme une pratique rituelle généralisée,
particulièrement parmi les Mayas. Les saignées étaient la base de la royauté, de la mythologie de
l’ordre terrestre, et des rituels publiques de tout type. Dans les visions provoquées par ce processus,
les Mayas entraient en contact avec le monde des dieux, mais aussi avec leurs ancêtres qui étaient
sensés apparaître dans leurs visions.
Les saignées rituelles ouvrirent le passage à un domaine expérimental qui n’était
ordinairement accessible qu’au moment de la mort biologique. Les Mayas utilisaient le symbole du
Serpent Visionnaire pour les expériences provoquées par la perte de sang et le choc. Ce symbole
représentait le contact entre le monde quotidien des êtres-humains et des domaines surnaturels.
Bon nombre de tableaux et de reliefs Mayas représentent des scènes de saignées, tout comme des
serpents visionnaires symbolisant les expériences intérieures. Les saignements étaient provoqués par
l’utilisation de petits piquants faits d’épines, de silex, ou d’obsidienne pour blesser langue, les lobes
des oreilles et les organes génitaux. Ce pic était perçu comme un objet sacré pourvu d’un pouvoir
énorme ; il était personnifié sous la forme du Dieu Perforateur. Les Mayas voyaient dans le sang tiré
des différentes parties du corps, une nourriture nécessaire aux dieux.
Le jeu de ballon rituel était le thème central de la confrontation entre les Jumeaux
Héroïques, Hunahpu et Xbalanque, et les dieux de la mort qui gouvernaient les Enfers Xibalba. La
version maya du jeu pok-ta-pok, telle qu’elle est décrite dans le Popol Vuh joua un rôle capital dans la
mythologie précolombienne de la mort et de la renaissance, tout comme dans les rituels sacrificiels.
Comme son équivalent aztèque, il a été pendant de nombreuses années un sujet fascinant pour les
universitaires et tous les membres du grand public visitant les sites archéologiques mayas. Alors que
les aspects ésotériques de ce jeu – la disposition et l’architecture des terrains de jeu ainsi que les
éléments techniques du jeu - sont bien connus, son sens ésotérique total et son symbolisme spirituel
sont restés enveloppés de mystère. Le jeu rituel était clairement et profondément connecté à la mort
et au sacrifice, deux domaines qui obsédaient la culture maya.
Le jeu maya était un sport dangereux qui requérait une manipulation adroite d’un grand
ballon de caoutchouc d’environ trente centimètres de diamètre. Les joueurs portaient des vêtements
protecteurs sur leurs jambes et leurs bras, les deux parties du corps qui souffraient les coups les plus
douloureux. Les équipes d’un à quatre joueurs essayaient d’avoir le contrôle de la balle sans la
toucher avec leurs mains et de la diriger vers des points ou des anneaux. L’objectif du jeu était de
faire passer la balle à travers l’anneau de pierre situé haut dans le mur du terrain de jeu, ou au moins
de toucher le point. Il était très difficile de faire passer la balle dans l’ouverture ; même les joueurs
légendaires n’y parvenaient que quelques fois durant leurs vies. Le jeu était extrêmement populaire,
comme en témoignent les nombreux terrains de jeu dispersé à travers l’Amérique Centrale.
Sacrifice dans le terrain de jeu.
Frise d’après une sculpture d’après le grand terrain de jeu à Chichen Itza, qui dépeint le point
culminant du jeu : les joueurs victorieux décapitent les vaincus. Le ballon est représenté comme
crâne vomissant ; six serpents et un arbre élaboré jaillissant de la victime symbolisent la fertilité et
l’énergie de vie que ce sacrifice apportera. (Chichen Itza, Yucatan, Mexico, Période Post-Classique
Maya 900-1200 après Jésus-Christ).
Outre les défis du jeu, les probabilités de recevoir un grand coup de la lourde balle en
caoutchouc, et le jeu qui accompagnait cela, faisaient partie de l’excitation du jeu : c’était
certainement la connexion mythologique à la mort et au sacrifice qui étaient responsables de la
popularité de ce jeu. Le jeu était un combat de gladiateurs qui testait la force d’un captif ou d’un
esclave et son désir d’échapper à la mort. Les perdants étaient sacrifiés et leurs cœurs étaient offerts
aux dieux. Certains des terrains de jeu avaient même des portants pour exhiber les crânes des
joueurs les plus malchanceux.
Le symbolisme le plus profond du jeu suggérait que le joueur, tout comme les Jumeaux
Héroïques qui dans le Popol Vuh vinrent à bout des Seigneurs de Xibalba, avaient la capacité de
triompher sur la mort. Lorsque ce jeu était joué par les membres de la royauté, il est fort probable
que les gouverneurs mayas s’habillaient comme les Jumeaux Héroïques, jouant ainsi le rôle des demidieux qu’ils imitaient. La victoire contre leurs opposants - des rois habillés en guerriers ou en dieux -
était alors gravée dans la pierre comme étant un combat victorieux contre la mort et les forces
obscures des Enfers.
Beaucoup d’images de la vaisselle du style codex accentuent l’importance des thèmes de la
mort et de la résurrection dans la mythologie et dans la religion maya. Dans le Popol Vuh, les défis
des Jumeaux Héroïques sont suivis par la renaissance, la divinisation des deux frères et leur
transformation en des corps célestes. Dans l’art maya visuel, la fin du voyage spirituel triomphant –la
renaissance et la résurrection – était généralement représentée bien moins fréquemment que ses
défis. Ce dernier aspect peut être représenté de manière plus intensive parce que bon nombre des
objets contenant ces images furent retrouvés dans les tombes et leur objectif était de préparer les
défunts aux vicissitudes du passage. Beaucoup de peintures et de sculptures représentent des
exemples extraordinaires du thème de la renaissance. Ces artéfacts représentent de jeunes seigneurs
naissant d’un crâne craquelé ou d’une carapace de tortue et émergeant de l’eau des lys en fleurs. Le
Lotus était un puissant signe spirituel dans les cultures précolombiennes, tout comme en Inde et en
Egypte. Sur les céramiques mayas, il symbolise aussi l’environnement de l’eau : une rivière, un étang,
un lac, ou la mer. A un niveau plus profond, il représente le lac mythologique primitif sous la terre, la
source de toute vie. Les Mayas Lacandons ont encore un mythe de création dans lequel la déité
créatrice donne d’abord naissance à un lys d’eau d’où ensuite naissent les dieux. Le lotus qui naît
dans la boue, émerge à travers l’eau et s’ouvre au soleil, est un symbole de renaissance spirituelle. Il
représente aussi les ancêtres, les Enfers, la vie, la mort et la résurrection, et il apparaît associé au
calendrier maya.
Souvent les scènes des enfers sur les vases mayas représentent l’Enfant Jaguar entretenant
des relations spécifiques avec une entité mystérieuse et fantastique, le Monstre Cauac. Le Cauac a
des caractéristiques très étranges, presque anormales : sa forme et sa taille peuvent beaucoup varier
en fonction de différentes vaisselles et il peut s’écarter, se diviser et produire des extensions bizarres.
En dehors du fait qu’il représente un monstre, le Cauac peut aussi servir comme autel sacrificiel ou
comme description d’un lieu - un lieu semblable à une cave où se déroulent de nombreuses activités.
Francis Robicsek a montré que les différentes positions de l’Enfant Jaguar et le Cauac décrit sur les
vases mayas peuvent être arrangés en une suite significative et il suggère qu’ils peuvent être reliés
aux mouvements d’un corps céleste (Robicsek 1981). Cependant une inspection plus en profondeur
montre que cette suite reflète probablement la naissance biologique, avec le Cauac représentant de
façon stylisée l’utérus donnant naissance à un enfant. Cela semble confirmer les conclusions de la
conscience moderne qui associent l’expérience de la mort psychospirituelle et de la renaissance au
fait de revivre le trauma de la naissance.
Pour les anciens Mayas, le mythe des Jumeaux Héroïques et leur visite aux Enfers avec
renaissance consécutive et la déification, offrait un modèle optimiste à leur propre voyage
posthume, tout comme leur expérience initiatique de mort psychospirituelle et de renaissance. Les
parallèles thématiques et symboliques entre l’eschatologie maya d’une part et le Pert Em Hru
égyptien, et le Bardo Thödol tibétain d’autre part sont hautement significatifs. A un autre niveau, un
dénominateur commun à tous ces textes est que la plupart des connaissances qu’ils contiennent
étaient transmises par les états de conscience holotropiques produits par les psychédéliques et par
de puissantes techniques autres que les drogues. Ce dénominateur commun offre un pont à la
recherche de la conscience moderne et rend l’information transmise par les arts funéraires mayas
pertinente pour notre époque.
Ars Moriendi : L’art de bien mourir et de bien vivre
Alors que bon nombre d’Occidentaux ont entendu parler du Livre Tibétain des Morts et du
Livre Egyptien des Morts, on ignore généralement qu’un corpus étendu de textes et d’art visuel
associé aux problèmes de la mort et de son processus, existe également dans la tradition culturelle
européenne. On se réfère souvent à cela comme à l’Ars Moriendi ou « Art de Mourir ». A la fin du
Moyen-âge, les travaux appartenant à ce genre étaient parmi les formes de littérature les plus
populaires et les plus distribuées dans bon nombre de pays européens, plus particulièrement en
Autriche, en Allemagne, en France et en Italie.
L’intérêt intense à l’époque médiévale concernant la mort et de son processus était la
résultante de l’incertitude de l’existence humaine pendant cette période historique. La mort était
toujours présente dans la vie quotidienne, dans les villes comme dans les villages. Le taux de
mortalité était astronomique - les gens mouraient par centaines de milliers dans bon nombre de
batailles et de guerres, dans des épidémies de masse de maladies infectieuses telles que la peste et
la syphilis, lors de voyages à travers des territoires dangereux, lors de grandes famines et encore en
raison des conditions de vie non-hygiéniques.
Les gens assistaient souvent à la mort de leurs proches, de leurs voisins, et de leurs amis.
Pendant les épidémies de peste, un quart, un tiers ou la moitié de la population toute entière pouvait
être exterminée. Des cortèges funéraires et les processions avec les cadavres étaient des
caractéristiques normales de la vie quotidienne. Des enterrements de masse, des incinérations de
cadavres, des exécutions publiques, tout comme les immolations d’hérétiques et de sorcières et de
Satanistes dans les autodafés avaient lieu à grande échelle. D’après certaines estimations le nombre
de personnes accusées de sorcellerie et assassinées par la Sainte Inquisition excédait les trois
millions.
La mort toujours présente ainsi que la corruption massive et la désintégration de la
machine sociale, politique et religieuse dans l’Europe médiévale offrait le contexte qui inspira la
littérature Ars Moriendi. La tradition mystique et les scolastiques contribuèrent à la fois au
développement de ce genre eschatologique et bon nombre de théologiens célèbres considéraient ce
sujet digne de leur temps et de leur énergie. Cependant, le message de l’Ars Moriendi n’était pas
limité aux personnes malades, vieilles ou mourantes qui étaient les premières à être concernées par
la mort biologique. Comme le livre égyptien Pert Em Hru, et le livre tibétain Bardo Thödol, les écrits
européens eschatologiques parlaient non seulement des problèmes liés à la mort mais aussi de ceux
de l’existence humaine.
Ars Vivendi ou l’Art de (Bien) Vivre
Le corpus extensif de littérature appelé Ars Moriendi rentre dans deux amples catégories.
La première traite d’abord de la signification de la mort dans la vie et devrait être appelée plus
justement Ars Vivendi ou l’Art de (Bien) Vivre. Il accentue l’importance d’avoir la bonne attitude
envers la mort dans la vie de tous les jours, et décrit une stratégie de l’existence qui conduit à la
salvation. La seconde catégorie met plus spécifiquement l’accent sur la mort et son processus, ainsi
que sur la gestion de personnes mourantes et l’appui émotionnel et spirituel durant leurs derniers
jours ou leurs dernières heures.
Un thème récurrent de bien des textes dans la catégorie d’Ars Vivendi est une
contemplation de la mort (contemplatio mortis) qui conduit au mépris du monde et des poursuites
séculaires (contemplus mundi). Dans bien des formes différentes cette littérature transmet l’idée que
la vie orientée exclusivement vers les buts matériels est futile et gâchée : une telle attitude est
fondée sur le concept de la profonde ignorance, qui est le fait des personnes qui ne sont pas
conscientes que tout dans le monde matériel est éphémère, et de ceux qui n’ont pas accepté le rôle
souverain et l’importance capitale de la mort dans leur vie.
Le problème de base de l’existence humaine est le mieux décrit pas le proverbe latin « mors
certa, hora incerta » (la mort est sûre, l’heure ne l’est pas). La plus grande certitude de la vie est que
nous allons mourir ; la plus grande incertitude est le moment où la mort nous frappera. La conscience
de la mort est le début de toute sagesse ; cela introduit dans notre vie humaine une vigilance
constante et une tendance à éviter les conduites nocives. Notre préoccupation première ne devrait
pas être de vivre longtemps, de chercher à prolonger notre vie à tout prix ; mais de vivre de façon
correcte d’après la Loi Divine. Etant donné que nous ne savons pas quand la mort nous frappera,
nous devons vivre chaque moment de nos vies comme s’il était le dernier.
Cela ne signifie pas forcément qu’il faut vivre dans l’angoisse constante et l’anticipation de
la mort. La meilleure interprétation est de réduire le temps et l’énergie gâchés dans la poursuite de
multiples buts externes qui ne peuvent pas nous apporter de satisfaction véritable, et de nous
concentrer plutôt dans l’expérience du don de la vie comme il se manifeste dans l’instant présent.
Une parabole de la sagesse de l’Ars Moriendi qui illustre cette attitude était l’une des histoires
préférées de Joseph Campbell, le plus grand mythologiste du XXème siècle :
Un homme poursuivi par un tigre vicieux tombe dans un profond précipice et
parvient à interrompre sa chute en s’accrochant aux branches qui poussent sur la petite
pente. En perdant doucement de sa force, il aperçoit une fraise sauvage près d’une motte
d’herbe proche de son visage, il l’attrape avec sa langue, et il la laisse se dissoudre
doucement dans sa bouche. Ah, comme elle avait bon goût !
Les travaux concernant le mépris du monde, faisaient état de l’impermanence et la futilité
de toutes les poursuites terrestres dans bien des images symboliques, des métaphores et des
paraboles. Leurs cibles préférées, étaient les puissants, les riches et les célèbres, et toutes les
personnes influentes de leur époque. Les membres de la hiérarchie religieuse – l’évêque, le cardinal,
et le Pape - les représentants du pouvoir séculaire – le juge, le chef militaire, le Duc, le Roi, le César apparaissaient de manière très fréquente. Décrivant des individus qui avaient obtenu leurs buts les
plus élevés dans ce monde matériel et montrant leur désespoir au moment de leur mort était une
preuve irréfutable des profondes vérités contenues dans les affirmations succinctes de l’Ars Moriendi
afin de montrer la futilité des toutes les luttes matérielles : vanitas vanitatum, omne est vanitas
(vanités des vanités, tout n’est que vanités), Memento Mori (souviens-toi que tu dois mourir) Sic
transit gloria mundi (c’est ainsi que passe la gloire du monde) et Memento, homo quia pulvis es, et in
pulverem revertis (souviens-toi, homme que tu es poussière et que tu redeviendras poussière).
L’argument le plus puissant pour le mépris de l’existence matérielle était la contemplation
de la laideur de la mort, qui comprenait des descriptions réalistes du corps humain à de nombreux
états de putréfaction et de décomposition. Dans certaines formes de méditation, il était demandé
aux moines médiévaux de visualiser leur propre mort et de s’identifier à leurs propres corps tandis
qu’ils étaient graduellement réduits à de la chair putride, des squelettes et finalement de la
poussière. La recherche sur la conscience moderne a montré que des exercices de ce type sont bien
plus que de l’indulgence pathologique sur des sujets morbides. La profonde acceptation du caractère
physique matériel de chacun, y compris de ce que la biologie a à offrir de pire, mène à la réalisation
que nous sommes bien plus que nos corps. Cette compréhension est un pré-requis à la
transcendance du corps et à l’ouverture spirituelle. Le message de base de l’Ars Vivendi était ainsi
que nous ne devions pas nous battre pour obtenir à tout prix les plaisirs terrestres tels que le pouvoir
et la richesse, étant donné que toutes ces choses se transforment en tristesses au moment de la
mort. Au lieu de cela, nous devons fixer notre attention sur les réalités transcendantales.
Le thème de la mort qui était si puissamment exprimé de façon prosaïque dans la
littérature de la contemplation de la mort et du mépris du monde, était aussi exprimé dans bien des
poèmes de memento mori rappelant aux gens leur propre mort. Les poèmes polémiques étaient
particulièrement intéressants (Streitgedichte : les problèmes des vies et morts religieuses et
philosophiques y étaient présentés sous formes de dialogues argumentatifs entre l’homme et la
mort, l’homme et le monde, la vie et la mort, l’âme et le corps, ou les mourants et de diable. Dans
des poèmes appelés Vado Mori (je marche à la mort), des mourants représentatifs de plusieurs
groupes sociaux, ou qui étaient des personnifications symboliques de différents traits de caractères
humains, partageaient leurs sentiments et leurs réflexions. Ces poèmes étaient en bien des façons les
prédécesseurs des textes utilisés dans les danses de la mort (danses macabres Totentänze), des
manifestations médiévales fascinantes de la psychologie de masse, dont il est question plus tard dans
ce chapitre.
Le principal objectif de la littérature de l’Ars Moriendi était de mettre l’accent sur la futilité
d’une stratégie de vie dominée exclusivement par la poursuite de buts séculaires et fondée sur
Commentaire [E15]:
Commentaire [E16]: Olivier, Je ne
comprends pas très bien ( cad pas du tout)
l’obtention du bonheur par des réussites extérieures, telles que l’argent, les possessions matérielles,
les plaisirs sensuels, le pouvoir et la célébrité. Les textes utilisaient de nombreux moyens pour
démontrer qu’une telle orientation n’apportait pas de réalisation et qu’elle était inutile. Seule une
vie orientée de manière spirituelle pouvait apporter la paix de l’esprit et la satisfaction véritable.
Dans leurs efforts pour divertir les gens des efforts subalternes qui, en outre, les conduisaient à leur
propre échec, et dans une volonté de les tourner vers Dieu, les artistes de l’Ars Moriendi utilisaient le
thème de la mort et de l’impermanence comme leur devise d’enseignement ultime. Dans le large
corpus de littérature, d’art visuel et de musique de l’Ars Moriendi, nous pouvons dégager trois grands
thèmes populaires:
 Le Triomphe de la Mort
 La Danse de la Mort
 Les Trois Vifs et les Trois Morts
Le Triomphe de la Mort
Si nous confondons qui nous sommes avec ce que nous avons et que nous voyons nos
acquisitions comme formant partie intégrante de notre identité personnelle, nous allons vivre une
profonde crise existentielle au moment de notre mort biologique. L’éminence de la mort nous
confronte sans merci à la dure réalité qui fait que nous ne pouvons prendre aucune de nos
possessions matérielles et attributs mondains avec nous au moment de la mort. Bien évidemment
nous avons toujours su cela de manière intellectuelle, mais nous avons généralement refoulé
l’impact émotionnel de ce sujet douloureux jusqu’à ce que nous affrontions ce moment de vérité
finale où le déni n’est plus possible.
A ce moment-là nous réalisons que ce que notre société nous a appris sur la propriété
privée est en fait totalement erroné. Nous ne possédons jamais vraiment quoi que ce soit ; nous
l’utilisons seulement pendant que nous sommes en vie. Cette vérité est le plus évidente par rapport à
la Terre, qui demeurera ici pendant des éons bien après notre mort, ainsi que l’affirme de façon
puissante une version du Traité Oratoire 1854, attribué par certaines sources au Chef Seattle. En
outre lorsque nous affrontons la mort, tout le temps que nous avons passé à chercher et à
poursuivre de fausses sécurités et des sources de bonheur dans le monde matériel apparaît
désormais comme ayant été gâché. Nous réalisons qu’en nous orientant toujours vers des réussites
futures, nous n’avons jamais vécu dans le présent, et dans un certain sens, que nous n’avons jamais
vraiment vécu du tout. Plus nous avons accumulé de béquilles existentielles, plus nous devons en
laisser derrière nous, et plus le processus de la mort nous sera difficile.
Bon nombre de personnes ont déjà réussi ce dont nous nous contentons seulement de
rêver : les puissants, les riches et les personnes célèbres. Nous voyons clairement que leurs
acquisitions fabuleuses, leurs réussites et leur pouvoir ne les ont pas rendus heureux. Et cependant
nous avons tendance à nous laisser berner et à croire qu’il en irait différemment pour nous. La
littérature de l’Ars Moriendi se concentre sur cette catégorie de personnes proéminentes et illustres,
et les textes et les images tentent de montrer que la gloire du monde n’a qu’une petite valeur
lorsque nous affrontons la mort, et que nous attachements matériels peuvent représenter un sérieux
obstacle et des complications. Le message est clair : les réussites extérieures ont échoué à rendre les
individus décrits heureux lorsqu’ils étaient en vie, et elles ne furent pas capables de les protéger
contre la crise ultime au moment de leur mort.
La grande Faucheuse est une grande justicière et elle ne fait pas de différences. Elle ne fuit
pas les riches, les célèbres et les puissants et elle saisit des personnes de tous styles de vie,
professions et classes sociales. Les textes de l’Ars Moriendi abondent en descriptions de rois, de
grands chefs militaires, et de papes ou d’autres représentants du pouvoir séculaire de l’Eglise, en
train de mourir. Cette littérature dresse un portrait de la Mort comme étant le chef suprême de
tout : tout ce qui est vivant ou qui existe mourra tôt ou tard ou sera réduit à néant. Les peintures,
dessins, gravures sur bois, gravures, et sculptures inspirées par l’Ars Moriendi forment un chapitre
important de l’histoire de l’art européenne.
Le dilemme de base de l’existence humaine – le besoin de trouver un sens à la vie en
dehors de la mort et de l’impermanence - fut graphiquement illustré dans le tableau médiéval de
l’Escalier de la Vie. Cette image représentait le processus de vieillissement comme le fait de grimper
un escalier et de devenir de plus en plus âgé à chaque marche. Le haut des marches symbolisait la
fleur de la vie et les années à suivre étaient représentées par des marches descendantes sur le même
escalier. Dans un contraste poignant, le bébé venant de naître dans un berceau et la personne
défunte dans une tombe occupaient les places correspondantes dans les côtés opposés de l’escalier,
en miroir. Cette puissante allégorie suggérait que cette dure réalité de notre existence devait être
considérée comme une adaptation intelligente au processus de la vie.
Le même thème était exprimé d’une façon quelque peu différente dans le tableau de la
Roue de la Vie, qui montrait la Mort au dessus du globe terrestre comme le maître suprême du
monde. Sous cette figure de squelette, une roue horizontale en rotation représentait le cours de la
vie humaine. Chaque personne rentrait dans cette roue comme nourrisson, grandissait tandis qu’elle
tournait et tombait morte au même endroit où elle était montée sur la roue. Un tableau célèbre de
Hans Baldung–Grien, les Trois Ages de la Femme, représente de manière succincte une autre
variation sur ce thème. Il juxtapose les images de la même femme à trois périodes de sa vie – comme
nourrisson, comme jeune belle, et comme vieille laide. La mort se tient derrière sous la forme de la
Grande Faucheuse tenant dans ses mains un sablier, comptant les jours de vie restants.
La représentation la plus puissante et la plus géniale du pouvoir de la mort est le tableau du
XVIème siècle par Peter Bruegel l’Ancien intitulé le Triomphe de la Mort. Il illustre le concept
médiéval de l’égalité de tous devant la mort : le roi, l’évêque, le chevalier, les moines, les soldats et
les paysans attaqués par la mort et vaincus sans aucune distinction. La nature incessante de la mort
est représentée de manière convaincante par l’idée géniale de l’artiste d’en faire le portrait sous la
forme de grandes armées de squelettes en surnombre et en surpuissance par rapport à leurs
victimes désemparées. L’atmosphère de catastrophes terrifiantes, telles que des feux, des naufrages
de navires et des exécutions, complète le tableau.
Danse de la Mort : Scènes de La Danse macabre des Hommes, imprimé par Guyot
Marchant, Paris 1486, et de La Danse macabre des Femmes, imprimé par Antoine Vérard, Paris 1486.
La Mariée et la Prostituée in La Danse macabre des Femmes
Commentaire [E17]: Gravures p
109 et 110
Le Pape et l’Empereur in La Danse macabre des Hommes
Le Docteur et l’Amant in La Danse macabre des Hommes
L’Astrologue et le Bourgeois. In La Danse macabre des Femmes
Le chef d’œuvre de Bruegel est puissant dans son ensemble et dans chacun de ses détails.
L’un des détails de ce grand canevas montre, par exemple deux figures représentant l’autorité
séculaire et religieuse – le roi et l’évêque - au moment de leurs morts. Aucun de leurs pouvoirs
terrestres ne leur est utile à ce moment-là. Des squelettes réclament occasionnellement leurs corps
et collectionnent l’or et l’argent que ces puissantes figures ont amassé au cours de leurs vies. Un
autre détail montre la mort sous forme d’un groupe de squelettes descendant à une fête joyeuse de
personnes poursuivant les joies de la vie. Alors qu’un joueur essaye de se cacher sous la table et deux
amants tentent d’échapper à ce monde de terreur en s’occupant l’un de l’autre, un soldat fort fait
une tentative infructueuse de résister au pouvoir de la mort.
La Danse de la Mort (Danse macabre, Danza de la Muerte, Totentänz)
Alors que les représentations du Triomphe de la Mort montrent le pouvoir universel de la
mort comme étant le maître ultime incontesté de tout ce qui vit, le thème de la Danse de la Mort se
concentre sur l’aspect dynamique de la mort. Dans sa représentation, la Mort rencontre des
personnes de nombreuses manières différentes et dans des contextes divers et elle les embarque
dans sa frénésie intoxicante. Le thème de la Danse de la Mort n’était pas seulement décrit dans la
littérature et dépeint dans l’art, mais également joué dans des processions allégoriques grotesques
impliquant des centaines de participants et de spectateurs. De grandes foules de personnes en
costumes bizarres et portant des masques étranges se baladaient dans les villes médiévales dansant
au son de musiques fortes et pénétrantes. La danse frénétique des vivants et des morts représentait
les pouvoirs suprêmes, inévitables et impartiaux de la Mort. Des épidémies tuant des personnes par
centaines conféraient à ces processions un fond de pouvoir extraordinaire.
La Danse de la Mort était un phénomène de masse populaire et il trouva son expression
dans la littérature, la poésie, le drame et dans les arts visuels. Elle débuta à la fin du XIIIème siècle et
au début du XIVème siècle en France où elle était connue sous le nom de danse macabre ;
cependant, beaucoup d’autres pays européens avaient leurs équivalents locaux, tels que la totentänz
allemande, ou la danza de la muerte espagnole. Le concept anticipé dans les poèmes de Vado Mori
(Je marche à ma mort) semble s’être cristallisé et avoir acquis son élan en conséquence de la Mort
Noire au milieu du XIVème siècle. La chanson du XIVème siècle « Ad mortem Festinamus » (nous
nous hâtons à la mort) offre un exemple précoce de ce motif dans la musique, et à la fin de ce siècle,
une version dramatisée fut jouée dans une église de Normandie.
L’exemple le plus ancien de la Danse de la Mort dans son intégralité est une série de
peintures qui se trouvait anciennement dans le cimetière parisien des Innocents. Dans cette série de
peintures, la hiérarchie complète de l’Eglise et de l’Etat, du Pape et de l’Empereur jusqu’à l’enfant, au
clerc et à l’ermite, formaient une configuration de danse, les vivants mêlés aux squelettes et aux
cadavres qui escortaient les vivants à leur tombeau. Ce sévère rappel de l’inévitabilité de la mort et
l’exhortation au repentir fut détruit en 1669, mais sa reproduction suivit dans les gravures de bois de
l’imprimeur Guyot Marchant, et les vers explicatifs ont également été préservés. Une collection des
gravures du peintre allemand Hans Holbein le Jeune datant le la première moitié du XVème siècle est
une autre célèbre série d’illustrations puissantes dépeignant de nombreux thèmes de l’Ars Moriendi.
L’Orchestre de la Mort. Gravure sur bois par Michaël Wolgemut.
(in Liber Chronicarum, de Hartmann Schedel Nüremberg 1493)
Le Thème de la Danse de la Mort a eu un profond impact sur la vie culturelle pendant
plusieurs siècles. Ces motifs apparaissent dans la littérature, la poésie, les caricatures, les peintures
et les sculptures, tout comme dans la musique, les pantomimes et le ballet. Beaucoup de
personnalités proéminentes de la culture – dont Johan Wolfgang Von Goëthe, et Franz Liszt - étaient
attirées et inspirées par la Danse de la Mort. Ce goût pour la danse atteint des proportions
exceptionnelles dans bien des pays européens et était de loin la manifestation la plus radicale de
toutes les préoccupations médiévales concernant la mort, en raison de son pouvoir psychologique
inhabituel transcendant les barrières du sexe, de l’âge et des classes sociales. La danse accentuait les
peurs de la mort et de l’égalité sociale. Elle servait également de moquerie envers les riches et
puissants.
Les Trois Vivaces, et les Trois Morts48
Une puissante fable d’enseignement de la mort et de l’impermanence est l’histoire de trois
jeunes gens et de trois cadavres. Trois jeunes et riches nobles chassent à travers la campagne en
compagnie de leur entourage. A un moment donné, ils découvrent trois cercueils contenant trois
cadavres à trois différents stades de leur décomposition. A leur grande surprise, les cadavres
commencent à parler et leur transmettent un message déplaisant et effrayant concernant la vérité à
laquelle les trois aristocrates avaient tenté d’échapper en poursuivant les plaisirs terrestres : « nous
étions ce que vous êtes maintenant et le temps viendra où vous deviendrez ce que vous avez sous les
yeux ». Le rendu le plus célèbre de ce thème dans l’art visuel est la grande fresque à Camposanto de
Pise généralement attribuée à Francesco Traini, qui montre les trois cadavres dans leurs cercueils
s’entretenant avec les trois nobles. Cette même peinture montre également une fête avec leurs amis
célèbres festoyant et se divertissant. A l’arrière-plan, des diables réclament les personnes qui n’ont
pas mené une vie convenable et ils les transportent en Enfer.
L’Art de mourir et les attaques de Satan
48
Voir les illustrations en couleur, la fresque de Traini (NdT)
Commentaire [E18]: Gravure p 112
L’autre plus grande catégorie de travaux médiévaux traitant de la mort, est la littérature
concernant l’Ars Moriendi, dans son sens le plus étroit, comprenant des textes traitant de
l’expérience de la mort en elle-même et de l’art de guider et d’appuyer les individus mourants dans
leur dernier voyage. Comme dans le cas des textes de l’Ars Vivendi, les idées exprimées dans ces
travaux ont profondément influencé non seulement la littérature et la philosophie mais aussi la
peinture et la sculpture de l’époque. Le début de ce genre littéraire date de la fin du XIVème siècle,
lorsque le taux de mortalité atteignit ses dimensions les plus dramatiques, et qu’il devint
physiquement impossible aux prêtres de visiter personnellement toutes les personnes gravement
malades, et de les préparer à la mort.
Dans ces circonstances, beaucoup de personnes mouraient sans aucune assistance
cléricale, et selon le point de vue de l’Eglise Catholique «en plein pêché ». En conséquence beaucoup
de représentants du clergé s’intéressèrent au fait de disséminer des informations afin d’aider les
personnes à se préparer à la mort pendant qu’ils étaient encore en vie. Les moines dominicains et
franciscains prêchaient spécialement et enseignaient que la mort est une des dernières affaires des
êtres humains. Originellement, l’Ars Moriendi, fut rédigé comme un manuel pastoral pour les jeunes
prêtres afin de les préparer à travailler avec les individus mourants. Plus tard, le nombre de prêtres
devint insuffisant à combler la demande de plus en plus importante, les textes furent traduits en
langage populaire pour les rendre compréhensibles et disponibles aux agonisants.
Attaques de Satan. D’après la croyance chrétienne médiévale, au moment de la mort les
forces diaboliques faisaient leurs dernières tentatives désespérées pour détourner l’âme de son
chemin vers le Ciel. Ces dessins montrent les « attaques de Satan » à travers la tentation par
l’avarice, la vanité et l’impatience. (Livre xylographique édition hollandaise de l’Ars Moriendi 1471)
Certaines parties de ces textes étaient profondément influencées par les techniques
chrétiennes orthodoxes. Ces parties traitaient des questions spécifiques que les membres du clergé
considéraient comme importantes vis-à-vis des mourants et qui, selon eux, requerraient des
réponses spécifiques. D’autres parties contiennent des passages de grand intérêt pour les
thanatologues et les psychologues transpersonnels, car ils traitent des états de conscience vécus par
les mourants pour les préparer à de nombreuses difficultés et défis du voyage posthume de l’âme.
Des sections spéciales contiennent également de nombreuses instructions pour les membres de la
famille et pour les autres personnes assistant les personnes grièvement malades. Elles décrivent
comment traiter et guider les individus affrontant la mort pendant les derniers jours et les dernières
heures de leur vie de façon à leur faciliter leur transition vers l’au-delà.
Le nombre de manuels médiévaux de ce type traitant de la mort semble de prime abord
énorme. Cependant, bon nombre d’entre eux sont des variations de plusieurs sources originales.
Quoi qu’il en soit, plusieurs traits fondamentaux de la pensée ainsi que des thèmes récurrents
peuvent être extraits de cette partie de la littérature de l’Ars Moriendi. Comme nous l’avons dit
précédemment, certains de ces textes sont de nature relativement formelle, fondés sur un système
rigide et codifié de questions spécifiques adressées aux mourants, qui requerraient les réponses
prescrites. Un modèle d’instructions et d’admonestations concrètes y figurait également avec des
prières-types au Christ à Marie et à l’Archange Saint-Michel. Cet aspect de soins aux mourants était
directement influencé par les croyances traditionnelles du christianisme, et il permit aux doctrines
orthodoxes d’accroître leur influence.
Les autres parties des textes sont beaucoup plus intéressantes d’un point de vue moderne.
Quoiqu’également colorées du symbolisme chrétien, elles se concentrent sur les aspects
expérimentaux de la mort. Le phénomène généralement appelé « attaques de Satan » (die
Anfeschtungen Satans) entre autres mérite une attention particulière. C’étaient là des défis
particuliers que les mourants traversaient pendant les états de conscience holotropiques qui
survenaient pendant les dernières heures de leur vie. Les autorités de l’Eglise Chrétienne
interprétaient ces expériences difficiles comme étant la résultante de la tentative de dernière minute
du diable de détourner les âmes de leur chemin vers le Ciel, en intervenant à ce moment clef
spécifique et stratégique.
La plupart des manuels distinguaient et traitaient de cinq principales « attaques du
diable » :
 Les sérieux doutes concernant la foi
 Le désespoir et les doutes de conscience
 L’impatience et l’irritabilité due à la souffrance
 La vanité, la fierté et l’arrogance
 La gourmandise, l’avarice et d’autres préoccupations terrestres
Par ailleurs, certains textes ajoutent à cette liste le refus de se rendre à la mort. Ces
tentatives du Diable étaient alors contrées par les interventions et les influences divines, qui
donnaient au mourant un avant-goût du Ciel, un sentiment d’être soumis au jugement divin, une
sensation d’obtenir une aide supérieure, et une promesse joyeuse de rédemption. J’ai traité plus
haut dans ce chapitre des passages semblables des Livres des Morts Egyptien et Tibétain, qui
décrivent la mort, le jugement divin les domaines de l’Au-Delà, et la renaissance dans une autre vie.
Homme Riche, Vieillard, Marchand et Fermier, in Imagines Mortis, par Hans Holbein le
Jeune. (Imprimé par J. Fellon Lyons 1547)
Empereur, Abbé Duchesse et Religieuse, in Imagines Mortis, par Hans Holbein le Jeune.
(Imprimé par J. Fellon Lyons 1547)
La plupart des manuels médiévaux tombaient d’accord sur le fait que le but de cette
préparation à la mort biologique était de provoquer chez la personne affrontant la mort la bonne
disposition et la bonne attitude envers elle. Certains des manuels affirmaient de manière explicite
qu’il était moins nocif que les personnes qui portaient assistance au mourant évoquent la peur de
celui-ci, plutôt que de lui permettre d’utiliser le déni, et ainsi de permettre à la personne de mourir
de façon non-préparée.
L’approche de la mort recommandée dans l’Ars Moriendi était ainsi diamétralement
opposée aux pratiques qui jusqu’à il n’y a pas si longtemps ont prévalu dans la médecine moderne
occidentale. Dans nos hôpitaux, les personnes et le personnel médical essayaient généralement de
cacher aux patients le diagnostic et les pronostiques, ainsi que les maladies graves, car ils craignaient
l’impact émotionnel que cela aurait sur le patient. La même attitude et stratégie était souvent
partagée par les membres de la famille. Dans notre programme Spring Grove décrit au chapitre 13,
nous avons souvent rencontré des situations où le personnel médical et les proches parents
concentraient tous leurs efforts à cacher la vérité de la situation au patient. Malgré une énorme
avancée dans ce domaine, ce genre d’approche n’est pas habituel, même de nos jours.
Chapitre 7
Commentaire [E19]: Gravures p
116 et 117
PERSPECTIVES CULTURELLES SUR LA NATURE DE LA REALITE ET
DE LA CONSCIENCE
Le plus grand obstacle aux découvertes n’est pas l’ignorance, mais les connaissances
illusoires.
Daniel J. Boorstin auteur et Bibliothécaire du Congrès
LES SYSTEMES DE CROYANCES des cultures préindustrielles ont rendu la situation
psychologique des personnes mourantes plus aisée par rapport à l’expérience des mourants dans la
civilisation occidentale moderne. Les personnes des cultures antérieures croyaient
traditionnellement à la survie de la conscience après la mort, aux réalités spirituelles, aux royaumes
ancestraux, et à la réincarnation. La conclusion à laquelle on parvient immédiatement lorsqu’on est
un Occidental éduqué, est que cet avantage psychologique était dû au fait que les personnes dans les
sociétés antérieures avaient de fausses conceptions concernant la nature de la réalité. Leurs
spéculations à propos de la vie après la mort, du voyage posthume de l’âme, et de l’au-delà,
n’étaient rien d’autre que des produits de leur peur et de leur déception pleine d’espoirs. Si de telles
croyances n’étaient que naïves, la grande difficulté que les personnes modernes ont à affronter la
mort serait le prix à payer pour leur connaissance plus avancée et plus mature du schéma universel
des choses. Dans ce cas, nous préférerions courageusement affronter la sinistre réalité de notre
existence, et supporter les conséquences émotionnelles dérivant du fait de savoir la vérité.
Cependant l’examen plus en profondeur des preuves existantes montre que ce qui peut à première
vue sembler n’être que des superstitions enfantines des cultures préindustrielles peut être appuyé
par les conclusions modernes de la recherche sur la conscience.
La compréhension de la nature humaine et du cosmos partagée par les pays à technologie
moderne diffère de façon significative des visions du monde des cultures anciennes et
préindustrielles. Dans une certaine mesure, c’est là une conséquence naturelle et attendue du
progrès historique. Au fil des siècles, les scientifiques des différentes disciplines ont exploré de façon
systématique le monde matériel – depuis le domaine des particules subatomiques jusqu’aux galaxies
– et ils ont accumulé une quantité impressionnante d’informations non-disponibles auparavant.
Etant donné la technologie incroyable employée pour publier ces informations, dans le but de les
préserver et les divulguer, des générations de scientifiques ont complété, corrigé et remplacé les
concepts précédents à propos du monde et de la matière. Cependant la différence la plus
surprenante et la plus frappante entre les deux visions du monde n’est pas la quantité et la justesse
relative d’informations concernant la réalité matérielle, mais le désaccord fondamental concernant la
psyché humaine et les dimensions sacrées ou spirituelles de l’existence.
Les états holotropiques et la nature de la réalité.
La recherche sur la conscience moderne a montré que la raison principale de la divergence
entre ces deux perspectives culturelles n’est pas la supériorité de la science matérialiste sur la
superstition primitive, mais notre profonde ignorance concernant les états de conscience
holotropiques. La seule manière pour que la vision du monde matérialiste et moniste de notre
science occidentale puisse être maintenue est soit la destruction, soit la mésinterprétation de
grandes quantités de preuves générées par les études de la conscience humaine, que cette source
soit historique, anthropologique, thanatologique, ou qu’elle provienne de la psychothérapie
psychédélique, la privation sensorielle, les psychothérapies expérientielles, ou encore du travail avec
les individus dans des crises psychospirituelles (les urgences spirituelles).
L’exposition systématique à des formes variées d’états holotropiques, composante
essentielle de la vie rituelle et spirituelle des cultures anciennes ou aborigènes, mène inévitablement
à une compréhension de la nature de la réalité et de la relation entre la conscience et la matière qui
est fondamentalement différente du système de croyances des sociétés technologiques. Je n’ai
encore jamais rencontré jusqu’à ce jour un seul académicien Occidental qui après avoir travaillé de
manière extensive sur les états de conscience holotropiques, continue à souscrire exclusivement à la
vision du monde scientifique généralement enseignée dans les universités occidentales. La résultante
de telles expériences est que la compréhension de la psyché, de la conscience, de la nature humaine,
et de la nature de la réalité passe généralement du côté des Grandes philosophies Orientales et de
leur point de vue mystique. Ce changement est totalement indépendant de l’éducation, du quotient
intellectuel, et des domaines de spécialisation des individus en question. Ainsi, la différence
d’opinion concernant la possibilité de survie de la conscience après la mort est simplement le reflet
de la quantité d’expériences faites dans les états de conscience holotropiques.
Les cultures anciennes et préindustrielles tenaient en haute estime ces états et ils en
faisaient l’expérience régulièrement dans des contextes reconnus socialement. Ils consacraient
beaucoup de temps et d’énergie à développer des techniques sûres et efficaces pour les provoquer.
Ces expériences représentaient le principal véhicule pour les rituels et la vie spirituelle de ces
cultures et ils communiquaient de manière directe avec le monde des déités et des démons, les
domaines archétypaux, la nature, et le cosmos. Les états holotropiques étaient également utilisés
pour diagnostiquer et guérir des maladies, pour cultiver l’intuition et pour servir comme source
d’inspiration artistique. D’autres utilisations étaient plus pratiques, tels que trouver un jeu et suivre
ses mouvements ou encore localiser les personnes et les objets perdus. (D’après l’Anthropologue
Vicot Turner, la participation de groupes dans les rituels contribue aux liens tribaux, et tend à créer
une sensation de profonde connexion (« communitas ») (Turner 1974). Par ailleurs, les expériences
holotropiques, spontanées ou résultant de pratiques spirituelles rigoureuses, représentaient aussi la
source la plus importante des grandes religions du monde.
Sous l’influence de la Révolution Scientifique et Industrielle, les sociétés Occidentales
rejetaient les états holotropiques et les révélations qu’ils offraient et ils interdisaient même quelques
uns des moyens et des contextes propres à leur apparition, simplement parce que les perspectives
résultant de tels états rentraient en conflit avec les formes de pensée rationnelle. Dans l’ère
moderne, tout ce qui est associé à de tels états est vu comme un résidu embarrassant des Temps
Obscurs, ou comme un légat de l’enfance de l’humanité, que le progrès scientifique a discrédité et
dépassé. Les psychiatres traditionnels ont eu tendance à rendre les états de conscience
holotropiques pathologiques, et ils ont consacré beaucoup de temps à essayer de développer des
façons efficaces de les supprimer lorsqu’ils arrivent de manière spontanée. Les cultures primitives
sont vues comme « primitives » dans le sens péjoratif du terme et leurs pratiques rituelles et
spirituelles comme des produits d’une façon de penser magique et immature, ou même de
psychopathologie. Cette perspective a profondément influencé l’attitude des scientifiques
matérialistes envers la religion, étant donné que les expériences visionnaires ont joué un rôle
cardinal dans l’histoire spirituelle de l’humanité.
Gautama Bouddha, méditant à Bodh Gaya, sous l’arbre Bo, a vécu une expérience radicale :
Kama Mara, le maître du monde illusoire, essaya de le détourner de sa quête spirituelle. Kama Mara,
utilisa d’abord ses trois belles filles – le Désir, la Réalisation, et le Regret- dans un effort de divertir
Bouddha de son intérêt pour la spiritualité vers le sexe. Voyant que cela échouait, il fit venir son
armée menaçante pour susciter la peur de la mort chez Bouddha, et pour l’empêcher d’atteindre
l’Illumination. Bouddha vainquit ces obstacles et atteignit l’Illumination et de l’éveil spirituel. Dans sa
méditation, Bouddha vit également ses précédentes incarnations et il vécut une profonde libération
de ses limites karmiques.
Dans la tradition judéo-chrétienne, l’Ancien Testament décrit de nombreuses expériences
visionnaires, comme celle de Yahvé parlant à Moïse depuis le Buisson Ardent, et la vision de Daniel
Commentaire [E20]: Olivier: Je ne
comprends pas/ Locating game and
following it's movements. haut de la page
121
des quatre bêtes et du futur Messie. D’autres passages concernent l’expérience puissante de Joshua
du « capitaine de l’Hôte du Seigneur » (l’ange qui lui donna les instructions pour la capture de
Jéricho), et l’apparition du « Dieu Elevé et Souverain » du prophète Isaïe. Le Nouveau Testament
décrit la tentation de Jésus par le Diable pendant qu’il était dans le désert. De la même façon, la
vision aveuglante que Saul eût de Jésus sur le Chemin de Damas, la révélation apocalyptique de
Saint-Jean dans sa cave sur l’île de Patmos, l’observation du chariot enflammé d’Ezéchiel, et bien
d’autres épisodes sont clairement des expériences transpersonnelles d’états de conscience
holotropiques. La Bible fournit bien d’autres exemples de communication directe avec Dieu et avec
les anges. En outre, la description des tentations de Saint-Antoine et d’autres expériences
visionnaires d’autres pères du Désert et de Saints sont des épisodes bien documentés de l’histoire
chrétienne.
Le texte Islamique Miraj Nameh décrit « le voyage miraculeux de Mohamed », une
puissante expérience visionnaire durant laquelle l’Archange Gabriel escorta Mohammed à travers les
Sept Cieux Musulmans et l’Enfer (Gehenna). Pendant sa visite visionnaire au Ciel, Mohamed eut une
entrevue avec Allah. Dans un état décrit comme une « extase approchant le nihilisme » il reçut un
message direct d’Allah. Ces visions prophétiques dans lesquelles l’Archange Gabriel le proclama
« Messager de Dieu » se poursuivirent pendant une vingtaine d’années. Les suiveurs de Mohammed
mémorisèrent ces visions et plus tard ils les transcrivirent sur des feuilles de palmiers, des rochers et
des os. Le travail rassemblé ainsi devint les bases des sourates du Coran et de la foi musulmane.
Les psychologues traditionnels interprètent généralement toutes les expériences
visionnaires, y compris celles des fondateurs des religions, de leurs saints et de leurs prophètes,
comme des manifestations de sérieux problèmes mentaux, même s’il n’y a pas d’explication
médicale qui fasse état de ce point de vue. Dans ce contexte-là, aucune distinction n’est faite entre
une expérience mystique ou spirituelle et une expérience psychotique - les deux sont vues comme
des processus pathologiques d’étiologie inconnue. En rejetant la religion, la psychiatrie traditionnelle
ne fait pas la différence entre les croyances traditionnelles primitives ou l’interprétation des
fondamentalistes des écritures et des traditions mystiques sophistiquées d’une part, et les
philosophies orientales fondées sur des siècles exploration et d’introspection systématiques de la
psyché d’autre part. Les écrits et les textes psychiatriques contiennent de nombreux articles et livres
qui traitent de ce que serait le diagnostique le plus approprié pour bon nombre des plus grandes
figures de l’histoire spirituelle (Vondraček et Holub 1993).
Les cliniciens modernes voient généralement les personnages religieux de la stature d’un
Bouddha, d’un Jésus-Christ, d’un Ramakrishna49 et d’un Sri Ramana Maharshi, comme souffrant de
schizophrénie ou d’une autre forme de psychose, parce qu’ils interprètent les expériences
visionnaires des maîtres spirituels comme des hallucinations et leurs idées comme des illusions. Dans
la même veine, Saint-Jean de la Croix a été qualifié de « dégénéré héréditaire », Sainte Thérèse
d’Avila d’« hystérique psychotique sévère » et les expériences mystiques de Mohammed ont été
attribuées à l’épilepsie. De la même façon, des anthropologues instruits se sont demandé si les
chamanes devaient être diagnostiqués comme étant des schizophrènes, des psychotiques ambulants,
des épileptiques ou des hystériques. Le célèbre psychanalyste Franz Alexander, connu pour être l’un
des fondateurs de la médecine psychosomatique, a écrit un essai dans lequel la méditation
bouddhiste est décrite en termes psychopathologiques et appelée « catatonie artificielle »
(Alexander 1931). Le jugement académique le plus favorable jusqu’à présent concernant le
49
Ramakrishna : sage de l’Inde du XIXème siècle, maître spirituel de Swami Vivékanada. Ramakrishna était à
l’origne un prêtre de la déesse Kali. Quoique Brahman, Ramakrishna était à peine éduqué. Pour Ramakrishna,
l’intellect n’est pas le sommet de la connaissance, il existe une connaissance au-delà de l’intellect, plus
profonde et plus vraie : la connaissance spirituelle atteinte par voie méditative. On lui doit également la
parabole de l’eau. Dieu est comme l’eau d’un lac : les riverains du lac l’appellent tantôt Dieu, tantôt Yahvé,
tantôt Allah, et ainsi de suite selon la langue et les croyances de chacun. Mais il s’agit toujours de la même
eau.(NdT)
Commentaire [E21]: Olivier je sais très
peu de choes sur RM. SI tu veux rajouter
une note de bas de page, you're welcome!
thanks
mysticisme, fut la conclusion du Comité de Psychiatrie et de Religion pour l’Avancement de la
Psychiatrie intitulé « Le mysticisme : Quête Spirituelle ou Désordre Psychique ? ». Ce document
publié en 1976, concéda que le mysticisme pouvait bien être un phénomène qui se trouve quelque
part entre la normalité et la psychose.
La religion et la spiritualité ont été des forces de l’histoire de l’humanité et de la civilisation
extrêmement importantes. Si les expériences visionnaires des fondateurs des religions, des saints et
des prophètes n’étaient que des produits de processus pathologiques affectant le cerveau, il serait
difficile d’expliquer pourquoi des millions de personnes ordinaires ont trouvé de telles expériences
inspirantes et pourquoi elles leur ont permis de façonner leurs vies, sans parler de l’influence
profonde que les idées religieuses ont eu sur l’histoire commune à travers les siècles. Et si nous
considérons les créations extraordinaires inspirées par les grandes religions du monde - des
peintures, sculptures et musiques sacrées de tous les âges à couper le souffle jusqu’aux temples
hindous, en passant par les mosquées musulmanes et les cathédrales gothiques - il est absurde de les
considérer comme les hallucinations et les désillusions d’individus psychotiques. La vie rituelle et
spirituelle a joué un rôle cardinal dans chacune des cultures anciennes ou préindustrielles.
L’approche actuelle de la psychiatrie occidentale et de la psychologie fait non seulement de la vie
spirituelle, mais aussi de la vie culturelle de tous les groupes humains à travers les siècles, des
pathologies. Selon ce point de vue, le seul groupe sain et normal, serait celui de l’élite éduquée de la
civilisation industrielle occidentale, qui partage le point de vue matérialiste et athéiste du monde.
Comment la religion aurait-elle pu influencer l’histoire du monde de manière aussi
profonde si la vie rituelle et spirituelle était fondée sur des hallucinations, des illusions et des
superstitions totalement infondées ? Pour exercer un effet tellement puissant la religion doit
clairement refléter un aspect très profond et authentique de la nature humaine, aussi problématique
et distordue que soient les expressions de cette sagesse originelle. Par bonheur, la recherche sur la
conscience moderne des cinquante dernières années a généré une grande quantité d’informations
fascinantes qui offrent de nouveaux points de vue à la spiritualité en général, et au problème de la
littérature eschatologique et de la survivance de la conscience après la mort en particulier.
Preuves de dimensions spirituelles de la réalité et survivance posthume de la conscience
Des études modernes des états holotropiques de conscience ont révolutionné la
compréhension de la conscience et de la psyché humaine, du moins chez les chercheurs qui sont en
mesure d’examiner les preuves disponibles avec ouverture d’esprit. Malheureusement bon nombre
d’académiciens ont un engagement inébranlable envers les paradigmes existants et sont totalement
fermés à tous les faits susceptibles d’ébranler leurs croyances. Cette attitude caractérise les religions
fondamentalistes mais ne leur est malheureusement pas exclusive. La véritable science est ouverte à
toute recherche sur les phénomènes existants. Avec cette idée en tête, examinons maintenant les
expériences et observations qui apportent des preuves à l’appui de l’existence des dimensions
spirituelles de la réalité et à la possibilité de la survivance de la conscience après la mort.
Ces expériences rentrent dans deux catégories. La première regroupe les expériences qui
ne rentrent pas dans les travaux et les conceptions actuels et requiert par conséquent que le modèle
de la psyché humaine utilisé dans la psychologie soit revu et étendu dans son ensemble. Ces
anomalies représentent un défi critique à la philosophie moniste et matérialiste de la science
occidentale et sa compréhension de la conscience ainsi que sa relation à la matière. Les résultats de
telles expériences offrent des preuves convaincantes de l’existence des dimensions spirituelles de
l’existence et de la légitimité des poursuites spirituelles, car elles montrent que les arguments allant
dans le sens du point de vue mystique du monde sont bel et bien fondés d’après les informations
obtenues par la recherche. En sapant l’affirmation selon laquelle la conscience est un épiphénomène
de la matière, ces conclusions donnent du crédit à la possibilité que la conscience survive à la mort
biologique mais n’offrent pas de preuves directes à la croyance en la vie après la mort.
La seconde catégorie d’observations des états de conscience holotropiques comprend le
phénomène spécifiquement lié au problème de la survie de la conscience après la mort. A cette
catégorie appartiennent les apparitions et bien des événements associés à la mort et à son
processus, aux expériences de mort imminente, et à celles suggérant la possibilité de la réincarnation
et la communication avec les personnes décédées. Alors que ces conclusions ne constituent pas de
preuves définitives à la continuation de la conscience et à l’existence au-delà du moment de la mort
biologique, elles rendent ce concept possible et même plausible. L ‘existence de telles expériences
transpersonnelles montre que les croyances évoquant la survie de la conscience, le voyage
posthume de l’âme, les domaines de l’au-delà et la réincarnation sont bien plus que des fantasmes.
Dans le chapitre suivant, je mets en évidence la cartographie étendue de la psyché, fondée
sur la recherche des états holotropiques. Outre le niveau biographique personnel et celui de
l’inconscient individuel, cette nouvelle carte inclut deux domaines transbiographiques : le périnatal
et le transpersonnel. Ces domaines de la psyché sont les sources d’expériences mystiques qui ont
fourni l’inspiration aux grandes religions et aux traditions mystiques du monde et qui continuent de
nourrir la quête spirituelle. Après avoir explicité cette cartographie essentielle à la compréhension de
la spiritualité, je traite ensuite dans les chapitres suivants des expériences qui sont directement
significatives au problème de la survie de la conscience après la mort.
CHAPITRE 8
DIMENSIONS DE LA CONSCIENCE : NOUVELLE
CARTOGRAPHIE DE LA PSYCHE HUMAINE
Il est un spectacle plus grandiose que la mer, c’est le ciel ; il est un spectacle plus grandiose
que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme.
Victor Hugo, Les Misérables
LES EXPERIENCES et les observations portant sur les états holotropiques ne peuvent pas
être expliqués dans les cadres conceptuels utilisés par la psychiatrie et la psychologie classiques
lesquels sont limités à une biographie postnatale et à la conscience individuelle freudienne. Ces
nouvelles données représentent un défi conceptuel essentiel au matérialisme moniste et au
paradigme cartésio-newtonien qui prévaut dans la science classique. Afin d’explorer de manière
sensée le problème de la survie de la conscience après la mort, nous avons besoin d’une image plus
grande et plus exhaustive de la psyché humaine et d’une compréhension radicalement différente de
la conscience.
Pendant les premières années de mes recherches psychédéliques, j’ai esquissé une
cartographie très étendue de la psyché qui semble relever ce défi. La source de cette carte étaient
mes travaux cliniques avec les psychédéliques, mais sa pertinence générale fut plus tard confirmée
par nos observations issues de la pratique de la respiration respiratoire holotropique, où aucune
substance n’était utilisée. Ce nouveau modèle de la psyché a également été confirmé en outre par
les résultats d’autres domaines de recherche sur la conscience, par les psychothérapies
expérientielles, et par le travail avec les individus traversant des crises psychospirituelles spontanées.
Dans sa forme présente, cette cartographie étendue est fondée sur des observations de séances avec
des centaines de milliers de clients, d’apprentis et de participants dans les ateliers expérientiels (Grof
1980 et 2000, Grof et Grof 1990).
La nouvelle carte de la psyché partage avec la psychologie classique et la psychiatrie deux
choses : le domaine de souvenirs-biographiques ainsi que l’inconscient individuel freudien.
Cependant, dans le cadre conceptuel traditionnel, ces deux domaines représentent la totalité de la
psyché ; la nouvelle cartographie quant à elle, est en revanche, bien plus étendue. Elle englobe deux
grands domaines importants qui sont transbiographiques par nature ; ils se trouvent au-delà (ou en
dessous) du domaine des contenus conscients et inconscients liés à la biographie postnatale.
J’appelle le premier de ces deux nouveaux domaines le domaine périnatal, car cette appellation
Commentaire [E22]: Citation traduite
à partir de l’anglais. J’ai cherché partout (
wiki quot et autres sites sur VH mais rien
trouvé
Commentaire [E23]: Olivier C'est Bien
ça "experiential workshops"?
reflète son lien proche à la naissance biologique, et le second domaine transpersonnel, car il va audelà de l’identité personnelle telle qu’elle est généralement définie.
La cartographie étendue de la psyché dans sa forme présente n’est pas entièrement
nouvelle. Bien qu’elle soit issue de ma propre recherche, elle représente une synthèse des
perspectives de nombreuses écoles de psychologie des profondeurs50 connues de l’histoire de la
psychanalyse. Elle utilise quelques uns des concepts freudiens d’origine, mais elle apporte aussi
d’importantes révisions apportée par de nombreux renégats psychanalytiques. Par exemple, dans
son livre pionnier le Trauma de la Naissance, Otto Rank décrivit l’existence de l’inconscient périnatal
et accentua son importance pour la psychologie et la psychothérapie (Rank 1929). Les psychanalystes
Fodor Nandor et Lietaert Peerbolte ont confirmé par ailleurs les idées de Rank concernant
l’importance du trauma de la naissance (Fodor Nandor et Lietaert Peerbolte 1975).
Wilheim Reich a découvert les puissantes énergies stockées dans la psyché et dans le corps
responsables de ce qu’il appelait « l’armure du caractère » (Reich 1949). Il parla du rôle important
que de telles énergies jouent dans une grande gamme de phénomènes, allant des névroses au
désordre psychosomatiques, jusqu’aux mouvements sociopolitiques (Reich 1961, 1970). Un autre des
disciples de Freud, Sandor Ferenczi considéra dans son essai Thalassa, la possibilité que l’inconscient
profond héberge des souvenirs de la vie dans l’océan primitif (Ferenczi 1968). C.G. Jung introduisit la
de loin l’apport le plus radicale : sa découverte de l’inconscient collectif et des principes qui le
gouvernent, appelés archétypes (Jung 1959). Le concept de l’inconscient collectif formait également
une partie intégrante de la psychosynthèse de Roberto Assagioli (Assagioli 1976). Les idées de ces
pionniers de la psychologie des profondeurs ont été modifiées de manière significative à la lumière
des observations des états de conscience holotropiques avant d’être intégrées à la nouvelle
cartographie (Grof 1985).
Commentaire [E24]: Olivier, une pttite
note de bas de page à vérifier STP
Biographie Postnatale et inconscient individuel
Le domaine de souvenirs biographiques comprend des souvenirs de la tendre enfance, de
l’enfance, puis de la vie. Etant donné que cet aspect de la psyché est bien connu de la psychiatrie, de
la psychologie et de la psychothérapie traditionnelles, il ne requiert pas qu’on s’y étende
longuement. En fait, le modèle de la psyché utilisé dans les cercles classiques est limité de manière
exclusive à ce domaine biographique et à l’inconscient individuel freudien. Comme Freud l’a très bien
décrit, l’inconscient est lié de près à la biographie postnatale, en cela qu’il contient des choses que
nous avons oubliées ou activement réprimées. Mais dans la nouvelle cartographie, les descriptions
du niveau biographique de la psyché ne sont pas identiques à celles du niveau traditionnel. La
recherche avec les états holotropiques a montré certains aspects des dynamiques du domaine
biographique qui restent inaccessibles aux chercheurs utilisant uniquement la psychologie verbale.
Contrairement à la thérapie fondée sur les échanges verbaux, dans la thérapie utilisant les
états holotropiques les gens ne se limitent pas à se souvenir des événements significatifs, ou à les
reconstruire de manière indirecte d’après les narrations, les associations libres ou les désordres liés
aux transferts. Ces émotions originelles, les sensations physiques et même les perceptions
sensorielles sont revécues pleinement pendant la régression. Cela signifie que pendant le revécu
d’un trauma important de la tendre enfance ou de l’enfance, la personne n’a pas seulement l’image
corporelle, ainsi que la perception naïve du monde : elle revit également les sensations et les
émotions correspondant à l’âge qu’elle avait à ce moment-là. L’authenticité de cette régression
apparaît de façon évidente sous bien des formes différentes ; en l’occurrence, les rides sur le visage
50
Psychologie des profondeurs ou psychologie analytique : née à la fin du XIXème siècle, elle traite du
psychisme profond, de ses troubles et de leur correction. Elle est la science de l'inconscient et du conscient, la
science de la motivation et du sens de la vie. Freud, Adler et Jung en sont les principaux maîtres (NdT)
Commentaire [E25]:
Commentaire [E26]: est-ce que le
terme exact serait mémoires? cf p 126
"Consists of memories"
Commentaire [E27]: dans le texte :
transference distortions.
des individus régressés disparaissent le temps de la régression, leur conférant une expression
infantile, et leurs postures, leurs gestes et leur comportement deviennent enfantins. Les personnes
profondément régressées salivent comme des bébés et sucent leurs pouces.
Le contenu biographique qui émerge dans les états holotropiques se distingue en outre des
psychothérapies verbales en cela que les traumas de nature physique - et non simplement les
psychotraumas émotionnels habituels dont il est question dans les écrits psychothérapeutiques- sont
revécus et intégrés. Bon nombre de personnes qui participent à des thérapies psychédéliques, ou qui
pratiquent la respiration holotropique, ou tout simplement qui vivent des crises psychospirituelles
spontanées, ont revécu des opérations, des accidents ainsi que des maladies d’enfance. Les griefs
associés à l’étouffement semblent particulièrement importants : les moments de quasi-noyade, de
diphtérie, d’accès de toux, d’aspiration par un objet étranger, ou d’agressions par étranglement. Tout
cela émerge à la conscience de manière assez spontanée, et sans aucune programmation.
A mesure que les souvenirs de ces traumas corporels émergent à la conscience, leur impact
devient apparent dans son intégralité. D’une part ils sont nocifs pour le corps, et d’autre part ils ont
également un puissant impact psychodramatique et jouent de fait, un rôle important dans la
psychogénèse des problèmes émotionnels et psychosomatiques. Les traumas physiques sont
fréquemment la cause du développement de désordres tels que l’asthme, les migraines, les douleurs
psychosomatiques, les phobies, les tendances sadomasochistes, la dépression et les tendances
suicidaires (Grof 1985, 2000). Revivre et intégrer ces souvenirs traumatiques peut avoir des effets
thérapeutiques puissants. Cette observation contraste fortement avec la position des psychiatres et
des psychologies classiques qui ne reconnaissent pas l’énorme impact des traumas physiques ainsi
que leur importance.
Les Systèmes COEX
Un autre fait important de l’étude du niveau biographique de la psyché au cours des états
holotropiques fut la découverte que les souvenirs émotionnels ne sont pas conservées dans
l’inconscient comme une mosaïque d’empreintes isolées, mais sous la forme de constellations
dynamiques complexes. J’ai inventé le terme de systèmes COEX ou « systèmes d’expériences
condensées51 » pour les désigner. Ce concept est d’une telle importance théorique et pratique qu’il
mérite une attention particulière. Un système COEX est constitué de souvenirs à la charge
importante d’un point de vue émotionnel, issues de différentes périodes de la vie. Elles ont en
commun la qualité de l’émotion ou de la sensation physique qu’elles partagent. Chaque système
COEX a un thème de base, ou dénominateur commun présent à chacune de ses couches. Les couches
individuelles contiennent des souvenirs d’événements de différentes périodes de la vie de la
personne qui représentent des variations à ce thème de base. Le nombre et la nature des
constellations COEX varie considérablement d’une personne à une autre.
Par exemple les couches d’un système particulier peuvent contenir les principaux souvenirs
d’humiliation, de honte et d’avilissement qui ont terni l’auto-estime et l’image de soi de la personne.
Dans un autre système COEX, le dénominateur commun peut être l’anxiété vécue dans plusieurs
situations bouleversantes et terrifiantes ou des sensations claustrophobes et suffocantes activées
par des circonstances oppressives et oppressantes/ limitatives. Autre motif commun : celui du rejet
et de la privation émotionnelle, qui entame la capacité de faire confiance aux hommes, aux femmes
et aux autres en général. D’autres exemples courants sont les situations qui ont généré de profonds
sentiments de culpabilité et une sensation d’échec, les événements qui ont engendré l’idée que le
sexe est dangereux ou dégoutant, et des rencontres de nature agressive ou violente. Les systèmes
COEX les plus importants sont ceux qui contiennent des souvenirs/mémoires de situations mettant
en danger la vie, la santé et l’intégrité du corps.
Avant que je ne découvre les domaines périnataux et transpersonnels de la psyché, ma
compréhension de la psychologie était limitée à l’étroit modèle biographique que j’avais hérité de
51
Systems of condensed experiences
Commentaire [E28]: revoir la def des
systèmes COEX p128
mes professeurs, et plus particulièrement de mon psychanalyste freudien. Ainsi aux premiers
moments de ma recherche psychédélique lorsque j’ai découvert pour la première fois l’existence de
systèmes COEX, je les ai perçus comme étant des principes gouvernant les dynamiques du niveau des
souvenirs-biographiques de l’inconscient. Cette notion fut appuyée plus tard par des observations
des séances thérapeutiques psychédéliques initiales (plus particulièrement lors de l’utilisation de
dosages inferieurs) parce que les contenus biographiques dominaient généralement le tableau. A
mesure que mon expérience avec les états holotropiques devint plus riche et plus étendue, j’ai vu
que les racines des systèmes COEX se prolongeaient de plus en plus profondément.
Ma vision actuelle est que chaque constellation COEX est sur-imprimée et ancrée à un
aspect particulier du trauma de la naissance ; autrement dit, une constellation COEX est connectée
de manière psycho-dynamique aux expériences faites par le fœtus pendant l’une des étapes de
l’accouchement. L’expérience de la naissance biologique est tellement complexe et riche en
émotions et en sensations physiques qu’elle contient sous forme prototypique les thèmes
élémentaires des systèmes COEX les plus concevables. Cependant une constellation COEX va encore
plus loin, et ses racines les plus profondes sont des formes variées d’éléments transpersonnels tels
que les expériences de vies antérieures, les archétypes jungiens, l’identification consciente à divers
animaux et autres.
Je vois désormais les systèmes comme des principes d’organisation généraux de la psyché
humaine. Ce concept rassemble dans une certaines mesure aux idées de C.G. Jung concernant les
« complexes psychologiques » (Jung 1960) et la notion de « systèmes dynamiques
transphénoménaux » de Hanscarl Leuner (tdysts) (Leuner 1962), mais avec bien des caractéristiques
différentes. Les systèmes COEX jouent un rôle différent dans notre vie psychologique : ils peuvent
influencer la manière dont nous nous percevons, dont nous percevons le monde et comment nous
nous sentons et agissons. Ce sont là les formes dynamiques présentes derrière nos symptômes
émotionnels et psychosomatiques, ainsi que derrière nos difficultés relationnelles et nos
comportements irritants (Grof 1975-2000).
En fonction de la nature de la charge émotionnelle, les systèmes COEX peuvent être soit
négatifs (parce qu’ils contiennent des souvenirs d’événements traumatiques spécifiques et
d’expériences déplaisantes) soit positifs (parce qu’ils synthétisent des aspects agréables de l’histoire
personnelle). Les personnes qui sont syntonisées à des systèmes COEX négatifs perçoivent le monde
et leur propre personne d’une manière plutôt pessimiste. Ils vivent la dépression, l’anxiété, la
culpabilité et d’autres perturbations émotionnelles qui dépendent de la nature et du contenu des
systèmes COEX qui y sont impliqués. Par ailleurs, ils montrent aussi une variété de symptômes
psychosomatiques dérivés des aspects physiques des expériences enregistrées dans les systèmes
COEX correspondants. Les individus qui sont influencés par des systèmes COEX positifs, en revanche
vivent la plupart du temps un état de bien-être général, et sont capables de jouir pleinement de la
vie et du monde.
Commentaire [E29]: je ne comprends
rien et toi?
Les états Holotropiques comme radar intérieur
Les états holotropiques agissent comme un « processus de radar intérieur », caractéristique
très importante et remarquable extrêmement utile lorsqu’il s’agit de faire état des territoires
expérimentaux de la psyché. Ce processus apporte à la conscience les contenus de l’inconscient
possédant la charge émotionnelle la plus importante, qui sont les plus pertinents en termes de
dynamiques psychologiques et les plus accessibles à ce que la conscience les traite. Cet aspect
extraordinaire des états holotropiques s’est également trouvé être d’une aide inestimable pour la
psychothérapie (Grof 2000).
Dans la psychothérapie qui repose sur les moyens verbaux, les clients présentent, au cours
de leurs libres associations ou narrations, une grande quantité d’informations, et le thérapeute doit
l’évaluer en jugeant de ce qui est important, de ce qui est pertinent, de là où le client bloque, etc… Le
principal problème avec cette approche-là est qu’il y a beaucoup d’écoles de psychothérapie, et elles
tombent d’accord sur très peu de processus psychologiques, même en ce qui concerne les problèmes
Commentaire [E30]: Je ne comprends
pas du tout: traduis à l'aveulgle p129 avt
dernier paragraphe
fondamentaux. Les nombreuses écoles de psychothérapie ont des points de vue divergents sur les
principales forces de motivation et les mécanismes psychodynamiques de la psyché humaine, sur les
causes et les significations des symptômes, sur la nature des mécanismes thérapeutiques efficaces,
et des techniques psychothérapeutiques.
Sans un accord général préalable sur ces problèmes fondamentaux théoriques, beaucoup
d’interprétations faites au cours de la psychothérapie verbale sont arbitraires et questionnables ;
elles reflètent toujours les points de vus subjectifs du thérapeute, tout comme les spécificités de son
école. Les états holotropiques soulagent le thérapeute de décisions aussi problématiques, et
éliminent une bonne part de la subjectivité et de l’idiosyncrasie professionnelle des approches
verbales. Une fois que le client entre dans un état holotropique, les choix des contenus utiles au
traitement se font de manière assez automatique. A partir du moment où le client maintient son
expérience interne, le rôle premier du thérapeute est d’accepter et d’appuyer ce qui arrive, que cela
cadre ou non avec les préconçus théoriques ou avec ses attentes.
Cette fonction de radar intérieur, caractéristique des états holotropiques, a rendu évident
le fait que les souvenirs des traumas physiques contiennent une puissante charge à la fois
émotionnelle et physique et qu’ils jouent un rôle important dans la genèse des désordres
émotionnels et psychosomatiques. Cette sélection automatique de contenu émotionnel pertinent a
également guidé mes clients de façon spontanée dans leur processus d’auto-exploration depuis la
biographie postnatale jusqu’aux niveaux périnataux et transpersonnels de l’inconscient, domaines
transbiographiques non-reconnus par la psychiatrie et la psychologie classiques.
Commentaire [E31]: The material for
processing is chosen quite automatically
Commentaire [E32]: Hein ? Au
secours Olivier !
Commentaire [E33]:
Le domaine périnatal de la psyché
Lorsque notre démarche d’auto-exploration personnelle va au-delà des souvenirs de
l’enfance et de la tendre enfance et va puiser jusque dans la naissance, nous commençons à rentrer
en contact avec des émotions et des sensations physiques d’une intensité extrême, dépassant
souvent tout ce que nous considérions auparavant comme humainement possible. A ce moment-là le
contenu de l’expérience devient un mélange étrange des thèmes de la naissance et de la mort,
provoquant des sensations de sévère confinement mettant la vie en péril, ainsi qu’une lutte
désespérée et déterminée pour s’en libérer et survivre. En raison de la connexion proche entre ce
domaine de l’inconscient avec la naissance biologique, j’ai choisi de l’appeler périnatal, terme grecolatin dans lequel le préfixe péri signifie proche ou autour, et la racine natalis signifie « relatif à la
naissance de l’enfant ».
La psychiatrie académique nie généralement la possibilité que la naissance ait un puissant
impact psychotraumatique sur l’enfant. Les neurones du cortex cérébral du nouveau-né ne sont pas
complètement recouverts de la substance grasse appelée myéline. Ceci est généralement présenté
comme étant la cause évidente du fait que l’expérience de la naissance soit non-pertinente d’un
point de vue psychologique et pourquoi elle n’est pas gardée en mémoire. L’absurdité de cette
perspective est assez évidente par bon nombre de ses aspects. Nier le fait que le nouveau-né puisse
se souvenir de sa naissance, et en même temps attribuer de grandes significations psychologiques
aux souvenirs de la période de l’allaitement, viole les lois les plus élémentaires de la logique. Par
ailleurs cette position entre en conflit avec les observations quotidiennes de la psychothérapie
expérientielle, avec celles de l’anatomie comparative et avec celles de la physiologie, mais aussi avec
la recherche prénatale (Grof 1985, 2000).
La quantité de stress émotionnel et physique qui intervient au moment de la naissance d’un
enfant surpasse clairement celui de tout trauma postnatal de l’enfance et de la tendre enfance dont
il est question dans les livres psychodynamiques, à la seule exception des formes extrêmes d’abus
physique. Plusieurs écoles de psychothérapie expérientielle ont amassé des preuves convaincantes
selon lesquelles la naissance biologique est le trauma le plus profond de notre vie et de surcroît un
événement d’une importance capitale. Cet événement ancien est inscrit dans notre mémoire en
détails minuscules au niveau cellulaire, et il affecte profondément notre développement
Commentaire [E34]: hein? bas p 130 is
psychologically irrelevant
psychologique. Comme la naissance représente une situation où la vie est menacée soit de façon
potentielle, soit de façon concrète , cela crée une profonde association entre la naissance et la mort
dans notre inconscient. Le souvenir de la naissance est à l’origine de la peur de la mort ; ceci
explique pourquoi le fait de revivre la naissance au moment de la mort et de la renaissance
psychospirituelles, peut nous libérer de cette peur et transformer notre façon de vivre.
Les contenus riches et complexes ayant leur origine au niveau périnatal de l’inconscient
apparaissent dans les états holotropiques dans quatre schémas ou projets expérientiels. Dans mes
premières recherches, il devint très vite évident que ces combinaisons caractéristiques d’émotions,
de sensations physiques et d’images étaient liées de près aux expériences du fœtus ou du nouveauné dans les étapes successives du processus biologique de la naissance. C’est la raison pour laquelle
j’ai inventé le terme de « matrices périnatales fondamentales », ou BPM52, pour les désigner. Dans le
texte suivant je décris brièvement ces matrices dans l’ordre qui correspond aux étapes de
l’accouchement pendant la naissance de l’enfant. Cependant, dans la thérapie psychédélique et dans
les séances de respiration, cet ordre chronologique n’est généralement pas suivi, et des matrices
individuelles peuvent survenir dans un ordre différent.
L’Expérience d’unité cosmique ou « l’univers amniotique » (BPM I)
Cette importante expérience périnatale est liée à l’union primaire du fœtus à la mère
pendant la grossesse avancée : situation où les deux organismes forment une unité symbiotique.
Lorsqu’il n’y a pas de stimuli nocifs, les conditions pour le fœtus sont idéales ; elles lui offrent un
sentiment de protection, de sécurité et de satisfaction de tous les besoins. Les principales
caractéristiques de cette expérience sont l’absence de la dichotomie sujet-objet, la transcendance du
temps et de l’espace, des émotions positives d’une puissance exceptionnelle (la paix, la tranquillité,
la sérénité et le bonheur) et des sentiments de sacralité (mysticisme). Cet état d’extase océanique,
est typiquement associé à de profondes impressions de dimension cosmique.
L’imagerie associée à cette matrice combine les éléments fœtaux avec les motifs
océaniques et cosmiques : flotter dans la mer, s’identifier à des animaux aquatiques variés ou
naviguer dans l’espace interstellaire, comme par exemple un astronaute marchant sur l’espace. Les
expériences intra-utérines positives peuvent également être associées à des visions archétypales de
Dame Nature- sûres, belles et nourrissantes de manière absolue, comme le giron d’un dieu. Les
images mythologiques de l’inconscient collectif qui apparaissent souvent dans ce contexte
représentent des domaines célestes variés et des paradis tels qu’ils sont décrits dans les mythologies
de différentes cultures. Revivre les épisodes de désordres intra-utérins apporte une sensation
d’obscurité et de menace inquiétante ainsi que des sensations d’empoisonnement. Des épisodes de
ce genre peuvent être associés à des visions archétypales d’entités démoniaques effrayantes, ou à
une sensation de mal omniprésent.
L’expérience d’engouffrement cosmique de « sans issue » ou d’enfer (MPB II)
L’expérience d’engouffrement cosmique est liée au tout début de la naissance biologique,
lorsque l’équilibre originel d’existence intra-utérine est perturbé, d’abord par les changements
chimiques puis par les contractions musculaires. Ce stade du processus est généralement associé à
un sentiment envahissant d’anxiété inquiétante, et à une impression que la vie est menacée. La
source de l’approche du danger peut ne pas être clairement identifiée, et les personnes dans cette
situation délicate ont fréquemment tendance à avoir une vision paranoïaque de leur environnement
immédiat ou du monde dans son ensemble. Ils se sentent souvent empoisonnés ou vivent des
52
Basic Perinatal Matrices
Commentaire [E35]: au secours!
milieu p 131
Commentaire [E36]: le texte dit
different sequential patterns, et je traduis à
l'aveugle après avoir pris soin de faire une
recherche dans tes PDF
expériences diaboliques provenant d’organisations secrètes, d’habitants d’autres planètes, et de
magiciens démoniaques. Ils peuvent également ressentir les énergies nocives, les gaz toxiques, et les
radiations menaçantes pour la vie, ou se sentir influencés par des machines ou des appareils
diaboliques.
La sensation d’anxiété s’intensifie généralement avec la sensation d’un maelström pompant
l’individu et son monde entier incessamment jusqu’à son centre-même. Une variation fréquente de
ce thème d’engouffrement universel est celui d’être avalé et absorbé par un monstre archétypal
terrifiant. Une autre forme de cette même expérience est le voyage de descente aux Enfers et la
rencontre avec de dangereuses entités ou créatures. Ce sont des motifs bien connus de la sagesse
chamanique, de la mythologie du voyage du héros et des textes sacrés spirituels (Jung 1956,
Campbell 1968) dont il est question plus en détail dans les chapitre précédents de ce livre.
Le paroxysme de l’expérience d’engouffrement cosmique prend généralement cette
forme : l’individu a le sentiment d’être pris au piège et emprisonné sans aucun espoir de libération.
Ce schéma expérientiel correspond à l’étape aboutie du premier état clinique de l’accouchement au
moment où les contractions utérines compriment totalement le fœtus. A ce moment-là, le col de l’
utérus est encore fermée, et la voie de sortie n’est pas encore disponible. Dans les états
holotropiques, cette expérience est caractérisée par la perte de la perception des couleurs et une
obscurité frappante au champ visuel. On se sent emprisonné, enfermé dans un monde
claustrophobe, et l’on vit des tortures psychiques et physiques incroyables.
Comme la sensation linéaire du temps est perdue pendant cet état, les tourments semblent
éternels, et leur intensité évoque l’atmosphère de l’enfer. La terreur s’articule autour de trois
thèmes : la folie, la mort et la situation de non-retour. Sous l’influence de cette matrice, la vie
humaine et l’existence en général semblent complètement dépourvues de sens, et complètement
futiles. Le symbolisme le plus commun qui accompagne ce schéma d‘expérientiel comprend des
images de l’enfer de plusieurs cadres culturels. Ce schéma est caractérisé en outre parce qu’il insiste
sur le « côté victime » et le fait qu’il semble impossible d’échapper à la situation, qui paraît par
ailleurs éternelle, sans issue possible ni dans le temps, ni dans l’espace. Beaucoup de mystiques
célèbres tels que Sainte Thérèse d’Avila ou Saint Jean de la Croix ont vécu des tourments agonisants
qui présentaient de nombreuses caractéristiques des BPM II ; cette matrice contient ce qui dans la
littérature spirituelle est connu comme étant la « nuit noire de l’âme » (Bache 1985, 1991a).
BPM II est également lié de manière importante à la philosophie existentialiste et au
« théâtre de l’absurde ». Les individus qu’elle influence sont en bonne partie aveugles et incapables
de voir quoi que ce soit de positif dans leurs vies et dans l’existence humaine en général. La
connexion à la dimension divine semble perdue à jamais. A travers le prisme de cette matrice, la vie
apparaît vide de tout but, une farce dépourvue de sens, dans laquelle « on attend Godot ». La
philosophie existentialiste semble proposer la seule description valable de l’existence. A ce propos,
le travail de Jean-Paul Sartre était profondément influencé par une séance mal menée et mal résolue
de mescaline dominée par BPM II (Riedlinger 1982). Les préoccupations de Samuel Beckett pour la
naissance et mort et sa relation torturée avec sa mère révèlent également de puissantes influences
périnatales (Knowlson 2004).
L’expérience de la lutte de la naissance-renaissance (BPM III)
Le schéma BPM III est lié au second état clinique de l’accouchement. Lors de cette phase,
les contractions de l’utérus se poursuivent, mais le col est désormais grand ouvert. Le fœtus est
graduellement poussé vers le canal de naissance, et subit des pressions écrasantes, lutte pour la
survie, et vit souvent un fort degré de suffocation. Dans les phases terminales de l’accouchement, le
fœtus peut intimement rentrer en contact avec des matériaux biologiques variés tels que du sang, du
mucus, du liquide fœtal, de l’urine, et même des fèces. L’expérience de ce schéma est plutôt
complexe, et il a plusieurs facettes importantes : l’atmosphère d’une lutte titanesque, des rapports
sado-masochistes, une poussée sexuelle intense, des éléments scatologiques, et le motif du feu
purificateur (pyrocatharsis).
Commentaire [E37]: this experiential
pattern
Commentaire [E38]: merci Doctor
Grof ! Bravo ! enfin quelqu’un qui a tout
compris à ces déglingués d’existentialistes !
quel humour subtil !
L’aspect titanesque du BPM III est assez compréhensible, si l’on considère l’énormité des
forces opérant lors de la dernière étape de la naissance de l’enfant. Lorsqu’on rencontre cette
facette de la troisième matrice, on vit des courants envahissants d’énergie incroyablement intense
circulant à travers le corps et générant des décharges explosives. A ce moment-là on peut s’identifier
aux éléments de la nature déchaînée, tels que les volcans, les orages électriques, les tremblements
de terre, les vagues géantes, ou les tornades. L’expérience peut également représenter les énergies
immenses du monde des machines, tels que les tanks, les fusées, les vaisseaux spatiaux, les lasers, les
usines nucléaires, ou même les réacteurs thermonucléaires et les bombes atomiques. Les
expériences titanesques de BPM III peuvent atteindre des dimensions archétypales et représenter
des batailles de proportions gigantesques telles que le clash cosmique entre les forces de la Lumière
et de l’Ombre, entre les anges et les démons, ou entre les dieux et les titans.
Les aspects agressifs et sado-masochistes de cette matrice reflètent la furie biologique de
l’organisme dont la survie est menacée de suffocation, tout comme l’attaque destructrice des
contractions utérines. Lorsque nous affrontons cet aspect du BPM III, nous pouvons vivre des
cruautés aux proportions étonnantes, se manifestant dans des scènes de meurtres violents et de
suicide, de mutilation et d’automutilation, de massacres de divers types, de guerres et de révolutions
sanglantes. Ces séquences prennent souvent la forme de torture, d’exécution, de sacrifices rituels et
d’autosacrifices, de combats sanglants d’homme à homme et de pratiques sado-masochistes.
La logique expérientielle de l’aspect sexuel du processus de mort-renaissance n’est pas
aussi évidente à première vue. L’organisme humain semble avoir un mécanisme psychologique non
construit, qui traduit les souffrances inhumaines et plus particulièrement la suffocation en une sorte
étrange de stimulation sexuelle, puis finalement en ravissement extatique, comme l’illustrent les
expériences des martyrs et des flagellés décrites dans la littérature religieuse. On trouve d’autres
exemples dans les textes concernant les camps de concentration, dans les reportages de prisonniers
de guerre, et dans les archives d’Amnesty International. Le lien entre le sexe et la mort est
passablement évident dans le phénomène bien connu des hommes pendus mourant de suffocation
sur la potence, ayant une érection et pouvant aller jusqu’à éjaculation.
Les expériences sexuelles qui ont lieu dans le contexte de BPM III sont caractérisées par
intensité énorme de leur force sexuelle, par leur caractère mécanique, et leur nature abusive,
pornographique ou déviante. Elles décrivent des scènes des quartiers « rouges » avec leur caractère
sexuel, leurs pratiques extravagantes érotiques, et leurs rapports sado-masochistes. Les épisodes
décrivant l’inceste, l’abus sexuels ou le viol sont aussi fréquents. Dans quelques cas rares, l’imagerie
BPM III peut contenir les extrêmes répugnants et gores de la sexualité criminelle - du crime ayant
pour origine une cause érotique, du démembrement, du cannibalisme et de la nécrophilie. De telles
expériences sont plus probables dans les sessions psychédéliques à haut dosage où les individus
revivent une naissance extrêmement difficile mettant la vie en péril. A ce niveau-là de la psyché, la
stimulation sexuelle est inextricablement liée à des événements hautement problématiques : la
menace de vie, le danger extrême, l’anxiété, l’agression, les impulsions autodestructrices, la douleur
physique, et les matériaux biologiques ordinairement répugnants. Cette connexion forme une base
naturelle au développement des types les plus importants de dysfonctionnements sexuels, des
variations, des déviations et des perversions.
L’aspect démoniaque de BPM III, peut présenter des problèmes spécifiques pour ceux qui
en font l’expérience aussi bien que pour les thérapeutes et les médiateurs, en raison des
caractéristiques étranges et inquiétantes des manifestations qu’il implique. Malgré la nature souvent
effrayante de telles expériences, il est important que celles-ci soient appuyées et de travailler dans
un contexte thérapeutique. Les motifs les plus fréquents sont des scènes du sabbat des sorcières
(Nuit Walpurgis), des orgies sataniques et des rituels de messes noires, ainsi que de la tentation des
forces du mal. Le dénominateur commun reliant cette étape de la naissance de l’enfant aux motifs
de ce sabbat est l’étrange amalgame de la mort, de la sexualité perverse, de la douleur, de la peur,
de l’agression, de la scatologie, et de l’impulsion spirituelle. Cette observation semble avoir une
grande pertinence quant à l’explication de l’épidémie des récentes expériences d’abus de type
satanique rapportés par les clients dans des formes variées de thérapie régressive.
Commentaire [E39]: Italique ds le
texte. Idem pour chacun des aspects
énumérés.
Commentaire [E40]: Mais ne
comprends pas. Peut-être parce que je ne
connais pas grand chose à ce domaine ?
Commentaire [E41]: C’est possible
comme mot ? gory dans le texte
L’aspect scatologique du processus de mort-renaissance a sa base biologique naturelle dans
les situations arrivant dans les phases finales de l’accouchement, lorsque le fœtus entre en contact
avec des formes diverses de matériaux biologiques – le sang, les sécrétions vaginales, l’urine, et
même les fèces. Cependant, la nature et le contenu de ces expériences excèdent de loin ce que le
nouveau-né aurait vécu au moment de la naissance. Les expériences les plus extrêmes de cet aspect
de BPM III peuvent comprendre des scènes telles que des tas d’abats, d’énormes systèmes de
traitement des eaux usées, et d’excréments ou des images répugnantes de putréfaction – une
rencontre intime et bouleversante avec les pires aspects de l’existence biologique.
Au moment de sa résolution, l’expérience de BPM III devient moins violente et moins
dérangeante. L’atmosphère qui prévaut est celle d’une passion extrême et d’une énergie cinglante
d’une intensité intoxicante ; son imagerie représente des explorations excitantes et des conquêtes
de nouveaux territoires, des chasses d’animaux sauvages, des sports extrêmes et des parcs
d’animation. Ces expériences sont clairement liées aux activités qui impliquent des « montées
d’adrénaline » tels que les sports de course, les sauts à l’élastique, les prouesses de cirque ardues, les
dangereuses cascades de cinéma, et les plongeons acrobatiques.
A ce moment là on peut également rencontrer des figures de déités archétypales, des
demi-dieux et des héros représentant la mort et la renaissance. Des visions de Jésus-Christ, de ses
tourments, de son humiliation, de son chemin de croix, et de sa crucifixion, peuvent surgir, ou on
peut encore s’identifier pleinement à sa souffrance. Même si nous ne sommes pas familiarisés avec
ces mythologies, nous pouvons faire l’expérience de la résurrection de l’ancien dieu Osiris, ou de la
mort et la renaissance des déités grecques telles que Dionysos, Attis ou Adonis. L’expérience peut
également être celle de l’enlèvement de Perséphone par Pluton, de la descente dans le monde des
Enfers de la déesse Sumérienne Inanna, ou les épreuves des Jumeaux Héroïques mayas du Popol
Vuh.
Juste avant l’expérience de la naissance psychospirituelle, l’élément feu est souvent
rencontré, soit dans sa forme ordinaire de tous les jours, soit dans sa forme archétypale de feu
purificateur (pyrocatharsis). On peut avoir l’impression que le corps est en feu, avoir des visions de
villes et de forêts brûlantes, et s’identifier aux victimes des immolations. Dans la version archétypale,
le feu semble totalement détruire tout ce qui est corrompu en nous, et nous préparer à la
renaissance spirituelle. Un symbole classique de la transition de BPM III à BPM IV est l’oiseau Phénix
légendaire qui meurt brûlé et qui renaît de ses cendres.
Le motif pyrocathartique est un aspect de BPM III qui suscite la confusion, étant donné que
sa connexion avec la naissance biologique n’est pas aussi directe que comparée à certains des autres
éléments symboliques. L’équivalent biologique de cette expérience peut être la libération explosive
d’énergies précédemment bloquées au dernier stade de la naissance de l’enfant ou la sur-stimulation
du fœtus avec brûlage indifférencié des neurones périphériques. De manière assez intéressante,
cette rencontre avec le feu a son parallèle dans l’expérience ressentie par la mère qui accouche : à ce
stade de l’accouchement, celle-ci a en effet l’impression que son vagin est en feu. L’énorme
libération de l’énergie précédemment accumulée peut également trouver son expression dans des
images d’explosions atomiques ou dans le motif archétypal du génie, libéré de la lampe magique.
De nombreuses caractéristiques importantes de ce schéma expérientiel le distinguent de la
situation sans-issue décrite précédemment (BPM II). Dans BPM III, cependant, elle ne semble pas
sans espoir. Le sujet n’est pas désespéré mais plutôt engagé de manière active. La souffrance semble
avoir en outre une direction ou un but défini. En termes religieux, cette situation est plus proche du
concept du Purgatoire que de celui de l’Enfer. Par ailleurs, les sujets ne jouent pas exclusivement le
rôle de victimes impuissantes. Ils sont des observateurs et ils peuvent également s’identifier aux
deux perspectives à la fois, à tel point qu’ils distinguent difficilement s’ils sont l’agresseur ou la
victime. Alors que dans la BPM II, l’impossibilité à s’échapper implique une souffrance certaine,
l’expérience de la lutte mort-renaissance (BPM III) représente un étrange mélange d’agonie et
d’extase. Contrairement à l’extase océanique du bon giron, cet état peut-être appelé extase
volcanique ou dionysiaque.
Commentaire [E42]: Hein ? Mais c’est
bien ce qui est marqué,non ?! je crois avoir
bien recopié
Commentaire [E43]: Ou purification pr
le feu. C’est un néologisme, non ?
Commentaire [E44]: Ou purification
pr le feu. C’est un néologisme, non
L’expérience de mort-renaissance (BPM IV)
Ce schéma expérientiel est lié au troisième état clinique de l’accouchement. Le processus
agonisant de la lutte de la naissance culmine, la propulsion à travers le canal de naissance est achevé,
et le processus de l’accouchement se termine par un soulagement excessif et un relâchement. Après
que le cordon ombilical est coupé, la séparation physique de la mère est terminée, et le nouveau né
commence son existence dans un organisme anatomiquement indépendant. Lors de cette transition,
la souffrance et l’agonie culminent en une expérience d’épuisement et d’anéantissement à tous les
niveaux imaginables – physique, émotionnel, intellectuel, moral, et transcendantal. Cette étape est
généralement appelée « mort de l’ego » et semble impliquer des destructions instantanées de tous
les points de référence de l’individu. En outre, dans les circuits d’addiction aux narcotiques, cette
expérience est connue comme « le fait de toucher le fond », moment important dans les vies de bon
nombre d’alcooliques ou de toxicomanes.
Si l’expérience consistant à entrer dans le monde au moment de la naissance biologique
n’était pas obscurcie par une anesthésie importante, la sensation d’anéantissement total serait suivie
de visions aveuglantes de lumières blanches ou dorées, de dessins de paons et du spectre de l’arc-enciel. Les sentiments de la décompression et de l’expansion culminent en un sentiment de renaissance
psychospirituelle. Ce domaine archétypal à ce moment-là fait intervenir les Grandes Déesses Mères,
et des déités heureuses de cultures variées qui apparaissent dans une lumière brillante. L’univers est
perçu comme indescriptiblement beau et radieux ; on se sent purifié et purgé. En des termes
religieux, cette expérience pourrait être décrite comme la rédemption, la salvation, la seconde
naissance ou l’union avec Dieu. Ce genre de ravissement associé à des impressions extraordinaires
d’intérêt cosmique peut être appelé extase prométhéenne ou épiphanie.
Le domaine transpersonnel de la psyché
Outre les matrices périnatales, la recherche avec les états holotropiques a ajouté un second
domaine expérientiel à la cartographie de la psychiatrie traditionnelle de la psyché humaine. Il s’agit
du domaine transpersonnel, ce terme signifiant littéralement « au-delà du personnel », ou
« transcendant le personnel ». Des expériences à ce niveau impliquent la transcendance de limites
habituelles du corps - c’est-à-dire de l’ego- et les limitations de l’espace tridimensionnel et du temps
linéaire qui restreignent notre perception du monde dans l’état ordinaire de conscience. Les motifs
transpersonnels peuvent apparaître dans les états holotropiques sous des combinaisons variées avec
des événements périnataux ou indépendamment d’eux. Le domaine transpersonnel est la source
d’un grand éventail de phénomènes anormaux, présentant de sérieux défis non seulement pour les
cadres conceptuels de la psychologie et de la psychiatrie modernes, mais aussi pour la philosophie
moniste et matérialiste de la science moderne.
La meilleure manière de définir les expériences transpersonnelles est de montrer en quoi
elles diffèrent des expériences de la vie quotidienne. Dans l’état de conscience ordinaire ou normal,
nous faisons l’expérience de nous-mêmes comme étant des objets matériels contenus dans les
frontières de notre peau et opérant dans un monde aux caractéristiques newtoniennes. L’écrivain
américain et philosophe Alan Watts se référait à cette expérience comme étant celle de la peau
recouvrant l’ego (Watts 1961). Dans des circonstances ordinaires, notre perception de
l’environnement est restreinte par les limitations physiologiques de nos organes sensoriels et par les
caractéristiques physiques de l’environnement.
Par exemple, nous ne pouvons pas voir les objets séparés de nous par un mur solide, les
bateaux qui sont au-delà de l’horizon, ou à la surface de l’autre côté de la lune. Si nous sommes à
Prague nous ne pouvons pas entendre ce que nos amis disent à San Francisco. Nous ne pouvons pas
ressentir la douceur du pelage d’un agneau à moins que la surface de notre corps soit directement en
contact avec celle-ci. En outre, nous ne pouvons réellement ressentir avec tous nos sens, les
événements qui nous arrivent au moment présent. Nous pouvons nous nous souvenir du passé, et
anticiper les événements futurs, fantasmer sur eux, ou essayer d’utiliser diverses méthodes pour les
prédire. Cependant ce genre de relation au passé et au futur est très différente de la perception
immédiate et sensorielle de ce qui arrive au présent. Dans les expériences transpersonnelles, de
telles limitations ne s’appliquent pas ; et n’importe laquelle d’entre elles peut être dépassée.
Types d’expériences transpersonnelles
Les expériences transpersonnelles peuvent être divisées en trois grandes catégories. La
première implique la transcendance des barrières spatiales habituelles, ou les limitations de « l’ego
recouvert de peau ». Se mêler à une autre personne dans un état qui peut être appelé « unité
duelle », assumer l’identité de l’autre personne ou s’identifier à la conscience d’un groupe entier de
personnes (par exemple les mères du monde, la population tout entière de l’Inde, ou les personnes
dans les camps de concentration) constituent des exemples typiques de ce phénomène. Dans des cas
extrêmes, une personne peut même faire l’expérience d’une extension de la conscience tellement
importante qu’elle semble contenir toute l’humanité, l’espèce humaine tout entière. Des expériences
de ce type ont été décrites de façon répétée dans la littérature spirituelle du monde.
De la même façon on peut transcender les limites de l’expérience spécifiquement humaine
et s’identifier à la conscience de divers animaux, de plantes ou même prendre la forme de
conscience qui est associée aux objets et aux processus inorganiques. Dans des cas plus rares, il est
possible de faire l’expérience de la conscience de la biosphère tout entière, de notre planète ou du
monde matériel tout entier. Aussi incroyable que cela puisse sembler à un Occidental souscrivant à la
vision du monde formulée par la science matérialiste, ces expériences suggèrent que tout ce que
nous pouvons vivre dans notre état de conscience quotidien sous forme d’objet possède bien, dans
les états holotropiques, une vision subjective correspondante. C’est comme si tout dans l’univers
avait son caractère objectif et subjectif, à la manière de ce qui est décrit dans les grandes
philosophies spirituelles orientales. Par exemple, dans l’Hindouisme tous les mondes phénoménaux
sont vus comme le jeu divin de la Conscience Absolue ou Brahman (Lila) ; dans le Taoïsme, tous les
éléments de la réalité matérielle sont décrits comme étant des transformations du Tao etc..
La seconde catégorie d’expériences transpersonnelles est caractérisée de façon primaire
par le dépassement des barrières temporelles plutôt que spatiales, i.e. par la transcendance du
temps linéaire. Nous avons traité précédemment de la possibilité de revivre de manière vive les
souvenirs importants de la tendre enfance, de l’enfance, de la naissance et de l’existence prénatale.
Dans les états holotropiques cette régression historique peut se poursuivre plus loin et impliquer ce
qui apparaît comme étant une identification authentique au sperme et à l’ovule au moment de la
conception, au niveau de la conscience cellulaire. Mais le voyage consistant à remonter le temps ne
s’arrête pas là, et il peut se prolonger à travers des épisodes des vies de ses ancêtres humains et
animaux ou même à travers ceux qui semblent venir de l’inconscient collectif de toute l’espèce, tel
qu’il est décrit par C. G. Jung. Très fréquemment, les expériences qui semblent arriver dans d’autres
cultures et périodes historiques sont associées à un sentiment de souvenir personnel. Les gens
parlent alors du fait de revivre les mémoires de leurs vies passées. Comme nous le verrons plus tard,
ces observations jettent une nouvelle lumière sur le problème de la réincarnation et du karma, un
concept d’une importance culturelle et spirituelle extrême, qui a été écarté par la science
matérialiste.
Le contenu des expériences transpersonnelles décrit jusqu’ici reflète de nombreux aspects
du monde matériel et d’événements ayant lieu à des moments spécifiques de l’espace et du temps.
Ces expériences impliquent des éléments de la réalité quotidienne - d’autres personnes, animaux,
plantes et matériaux. Cela n’est pas spécialement surprenant, mais la manière dont nous
l’appréhendons est très significative : nous sommes capables de voir ou de nous identifier à quelque
chose qui n’est pas ordinairement accessible à nos sens, ce qui est considéré comme impossible d’un
point de vue humain. Nous reconnaissons le fait que la Révolution Française ait eu lieu mais nous ne
sommes pas capables d’en avoir une expérience vive, comme y être et mourir sur les barricades de
Paris. Nous savons que beaucoup de choses arrivent dans le monde dans des endroits éloignés, mais
Commentaire [E45]: Ici je crois que
c’est le bon terme
généralement nous ne pouvons pas faire l’expérience d’un événement qui a lieu dans des endroits
vagues sans la médiation de la technologie tels que les ordinateurs, les satellites et la télévision. Nous
pouvons également être surpris de découvrir la conscience associée à des vers de terre, à des
plantes et à la nature non-animée.
La troisième catégorie des expériences transpersonnelles est encore plus puissante. Ici la
conscience semble s’étendre à des niveaux et à des dimensions que la culture industrielle occidentale
ne considère pas comme « réels » tels que de nombreuses visions d’êtres archétypaux, et de
paysages mythologiques, des rencontres ou même des identifications avec des déités et des démons
de cultures variées, et la communication avec les êtres désincarnés, les guides spirituels, les entités
surhumaines, les extra-terrestres et les habitants d’univers parallèles. La conscience individuelle peut
même aller jusqu’à s’identifier à la conscience cosmique, ou à l’Esprit Universel connu sous des noms
divers - tels que Brahaman, Buddha, le Christ Cosmique, Keter, Allah, le Tao, le Grand Esprit, l’Anima
Mundi etc.. La dernière de toutes les expériences apparaît être l’identification au Vide
Supracosmique et Métacosmique, le néant absolu et originel, le rien conscient de soi qui est l’ultime
berceau de toute existence. Il n’a pas encore de contenu concret, mais cependant, il contient tout ce
qui est sous forme germinale et en puissance.
Le domaine transpersonnel est tellement extraordinaire et fantastique que les personnes
qui n’en ont pas fait l’expérience et qui n’y sont pas préparés culturellement refusent de croire qu’il
existe. Le brillant auteur et philosophe Aldous Huxley, étonné de ce qui avait émergé des
profondeurs de sa psyché lors de ses expériences de mescaline et de LSD, écrivit ce témoignage
remarquable :
Tout comme la girafe et l’ornithorynque, les créatures habitant ces lointaines
régions de l’esprit sont excessivement improbables. Cependant elles existent, ce
sont des faits observables ; et comme tels, elles ne peuvent être ignorées de
personne qui tente de comprendre honnêtement le monde dans lequel il vit
(Huxley 1959).
Défis scientifiques et philosophiques soulevés par les expériences transpersonnelles
Les expériences transpersonnelles ont de nombreuses caractéristiques étranges qui
bouleversent les affirmations métaphysiques les plus fondamentales des paradigmes newtoniens et
cartésiens, et du monde moniste matérialiste. Les chercheurs qui ont étudié ou qui ont fait
personnellement l’expérience de ces phénomènes fascinants réalisent que les tentatives de la
science orthodoxe de les mettre à l’écart comme produits non-pertinents de l’imaginaire humain ou
comme hallucinations –c’est à dire comme produits erronés issus de processus pathologiques du
cerveau - sont naïfs et inadéquats. Toute étude objective du domaine transpersonnel de la psyché
parvient à la conclusion qu’il remet en question non seulement la psychiatrie et la psychologie, mais
aussi la philosophie de la science occidentale et le système de croyances populaires de la civilisation
industrielle.
Bien que les expériences transpersonnelles se déroulent lors du processus de l’exploration
profonde de l’individu, elles ne peuvent pas être interprétées simplement comme des phénomènes
intrapsychiques au sens conventionnel. D’abord, elles apparaissent sur le même champ que les
expériences biographiques et périnatales et elles proviennent de l’intérieur de la psyché de l’individu,
au moment de l’introspection. Cependant elles semblent piocher directement, sans médiation des
sens, dans des sources d’information qui sont clairement bien au-delà de la portée conventionnelle
de l’individu. Quelque part au niveau périnatal de la psyché, une étrange réorganisation a lieu : ce qui
était jusque-là une enquête profonde intrapsychique commence à rapporter des expériences de
différents aspects de l’univers tout entier obtenues par les moyens extrasensoriels. Certaines
Commentaire [E46]: A vérifier p 140
paragraphe 2
personnes ont comparé cela à un « ruban de Möbius53 » étant donné qu’il n’est plus possible de
distinguer l’expérience interne de l’expérience externe.
Ces observations indiquent que l’information concernant l’univers peut être obtenue de
deux façons radicalement différentes. En dehors de la possibilité conventionnelle d’apprendre à
travers les perceptions sensorielles, ainsi que par l’analyse et la synthèse de l’information, nous
pouvons aussi explorer les divers aspects du monde en les identifiant directement à un état
holotropique de conscience. Chacun de nous apparaît ainsi être un microcosme contenant
l’information sur le macrocosme tout entier. Dans les traditions mystiques, ce principe est exprimé
par des phrases telles que « tel qu’il en va en haut, il en va en bas » ou « l’extérieur reflète votre
intérieur ». Par le passé, ce principe de base des écoles ésotériques, telles que le Tantra, la tradition
Hermétique, le Gnosticisme, et la Kabbale, a semblé n’être qu’une absurde confusion entre la
relation entre la partie et le tout, une violation de la logique aristotélicienne. Ces derniers temps,
cette affirmation a reçu un appui scientifique inespéré, grâce à la découverte des principes opérant
dans l’holographie optique. (Talbot 1991).
Lors des épisodes transpersonnels de l’existence embryonnaire, au moment de la
conception et de la conscience des tissus, des cellules et des organes, les gens obtiennent souvent
des aperçus médicaux des aspects anatomiques, physiologiques et biochimiques des processus
impliqués. Ces impressions qu’ils acquièrent sont justes d’un point de vue médical. De la même
façon, les mémoires ancestrales, raciales et collectives, et les expériences d’incarnations passées
apportent fréquemment des détails très précis sur l’architecture, les costumes, les armes, les formes
d’art, la structure sociale, et les pratiques religieuses et rituelles des cultures et des périodes
historiques adéquates, ou encore d’événements historiques concrets précédemment inconnus de la
personne. Ceux qui font l’expérience de suites phylogéniques (i.e. de stades de développement
évolutionnaire d’une espèce), ou l’identification à des formes de vie existantes, ne les trouvent pas
seulement incroyablement authentiques et convaincantes, mais acquièrent généralement des
impressions extraordinaires concernant la psychologie animale, l’éthologie, les habitudes spécifiques
ou les cycles reproductifs inhabituels. Dans certains cas, ces expériences s’accompagnent
d’innervations musculaires archaïques ou même de comportements aussi complexes que le mime
des danses nuptiales des espèces correspondantes.
Les défis scientifiques et philosophiques associés à de telles observations sont augmentés
encore par la dimension mythologique de l’expérience transpersonnelle. Des épisodes reflétant
correctement le monde matériel apparaissent souvent dans le même champ et sont intimement liés
aux éléments du monde mythologique que la culture occidentale industrielle ne considère pas
comme ontologiquement réels. Ces expériences font intervenir des déités et des démons de
plusieurs cultures, des domaines de l’au-delà tels que des cieux et des paradis, et les suites
légendaires ou les contes de fées. Par exemple, nous pouvons faire l’expérience de la communication
avec le Christ, la Vierge Marie ou le Diable ; vivre une rencontre bouleversante avec la déesse Kali, ou
nous identifier au Shiva-Dansant. Nous pouvons également visiter de nombreux royaumes
mythologiques tels que le paradis du dieu aztèque de la pluie Tlaloc, des enfers sumériens, le paradis
de Shiva ou l’un des enfers chauds bouddhistes. Même ces épisodes peuvent apporter de nouvelles
informations concernant le symbolisme religieux et les motifs mythiques qui étaient précédemment
inconnus à la personne impliquée.
Ces types d’expériences viennent appuyer le concept de Jung selon lequel en dehors de
l’inconscient freudien, nous pouvons aussi avoir accès à l’inconscient collectif qui contient l’héritage
53
En topologie, le ruban de Möbius (aussi appelé bande de Möbius ou anneau de Möbius) est une surface
fermée dont le bord se réduit à un cercle. Elle a la particularité d'être réglée et non-orientable (logo universel
des matériaux recyclables). Dans le vocabulaire de Jacques Lacan : 1962/63 - L'angoisse - 09/01/63 - Qu'est-ce
qui fait qu'une image spéculaire est distincte de ce qu'elle représente ? C'est que la droite devient la gauche et
inversement. - Une surface à une seule face ne peut pas être retournée. - Ainsi une bande de Mœbius, si vous en
retournez une sur elle-même, elle sera toujours identique à elle-même. C'est ce que j'appelle n'avoir pas d'image
spéculaire.
Commentaire [E47]: Je ne connais pas
les traductions traditionnelles
Commentaire [E48]: Phrase traduite à
l’aveugle : p 140 début dernier paragraphe
Commentaire [E49]: Idem : rien
compris
culturel de toute l’humanité (Jung 1959). Même si l’accès à ces éléments mythiques se fait de
manière intrapsychique, lors d’un processus d’introspection, ils ont une existence objective et sont
réels d’un point de vue ontologique. Pour distinguer les expériences transpersonnelles des produits
de l’imaginaire humain, les jungiens se réfèrent à ce domaine par le terme d’ « imaginal ».
L’universitaire français, philosophe et mystique Henri Corbin fut le premier à utiliser le terme mundus
imaginalis. Ce terme lui fut inspiré par son étude de la littérature islamique mystique (Corbin 2000).
Les théosophes islamiques donnent au monde imaginal (dans lequel tout ce qui existe dans le monde
sensitif a son analogue) le nom de alam a mithal ou le « huitième climat », de façon à le distinguer
des « sept climats » qui constituent les régions de la géographie islamique traditionnelle. Le monde
imaginal possède extensions, dimensions, formes et couleurs, mais ceux-ci ne sont pas perceptibles à
nos sens comme c’est le cas lorsqu’ils sont des propriétés d’objets physiques. Cependant, ce
domaine est ontologiquement aussi réel que le monde matériel et il peut être de validé de façon
consensuelle par d’autres personnes tout comme le monde matériel perçu par nos organes
sensoriels.
Ces conclusions sont tirées d’observations quotidiennes faites sur une période de plus de
cinquante ans de recherches sur les états holotropiques de conscience. Cependant ces informations
sont tellement révolutionnaires qu’il serait irréaliste d’espérer que quelques généralisations
suffiraient à forcer les lecteurs, aux idées culturelles profondément arrêtées, à réexaminer leurs
points de vue. En effet, ils ne sont pas familiarisés avec la dimension transpersonnelle, et ils ne
peuvent pas faire le lien entre ces informations et leur expérience personnelle. Moi-même, j’ai eu
l’opportunité d’observer de près et d’entendre les comptes-rendus de centaines de milliers de
personnes vivant des états holotropiques. Cependant c’était des décennies avant que je ne puisse
pleinement absorber l’impact du choc cognitif qui intervenait. La preuve la plus convaincante de la
validité de cette information étonnante et nouvelle m’est venue de ma propre expérience, et non de
l’observation extensive des autres.
Des histoires de cas vécus illustrant la nature des expériences transpersonnelles et des
impressions extraordinaires et la nouvelle connaissance qu’elles offrent est disponible ailleurs (Grof
1975, 1988, 1992). Ces sources traitent largement des différents types d’expériences
transpersonnelles, et montrent comment ces expériences renseignent de façon pertinente sur
d’autres personnes, et sur les animaux, plantes, matériaux inorganiques, ainsi que sur des processus
et des domaines mythologiques. Ceux qui souhaitent vérifier personnellement de telles observations
peuvent assister à des ateliers de respiration holotropique avec les thérapeutes certifiés à travers le
monde ayant terminé l’Entrainement Transpersonnel Grof. L’information nécessaire est disponible
sur notre site web (www.holotropic.com).
L’existence et la nature des expériences transpersonnelles vont à l’encontre de certaines
des affirmations de base de la science mécaniste. Elles impliquent des notions en apparence aussi
absurdes que la relativité, la nature arbitraire de toutes les limites physiques, la connexion non-locale
dans l’univers, la communication par des moyens et des canaux inconnus, la mémoire sans substrat
matériel, la non-linéarité du temps, ou la conscience associée à tous les organismes vivants et même
à la matière non-organique. Beaucoup d’expériences transpersonnelles impliquent des événements
du microcosme et du macrocosme - domaines qui ne peuvent pas être atteints normalement par les
sens humains si on ne les y aide pas - ou encore des événements de périodes historiques qui
précèdent l’origine du système solaire et l’émergence de l’Homo sapiens. Dans toutes ces
expériences, nous avons accès à de l’information totalement nouvelle qui surpasse de loin tout ce qui
est obtenu par les moyens conventionnels. L’étude de la conscience qui peut s’étendre au-delà du
corps, la « thêta conscience » de William Roll ou le « long corps » des Iroquois, est extrêmement
importante pour le problème de l’existence d’après la mort, étant donné qu’il s’agit de l’aspect de la
personnalité humaine qui est susceptible de survivre à la mort (Roll 1974).
La science classique traditionnelle décrit les êtres-humains comme des animaux hautement
développés et des machines pensantes biologiques. Lorsqu’on nous étudie dans l’état quotidien de
conscience, nous sommes des objets newtoniens faits d’atomes, de molécules de cellules, de tissus
et d’organes. Cependant les expériences transpersonnelles dans les états holotropiques montrent
clairement que chacun de nous peut aussi manifester des propriétés d’un champ de conscience qui
transcende l’espace, le temps et la causalité linéaire. La formule nouvelle complète rappelle
vaguement le paradoxe des particules-vagues de la physique moderne, décrit ainsi les humains
comme des êtres paradoxaux qui ont deux aspects complémentaires : ils peuvent faire preuve de
propriétés newtoniennes de l’objet, mais aussi de champs de conscience infinis. La pertinence de
chacune de ces descriptions dépend de l’état de conscience dans lequel ces observations sont faites.
La mort physique semble alors terminer l’aspect de nous décrit par la première moitié de cette
définition ; au moment où l’autre arrive à son expression achevée
La recherche concernant les états holotropiques révèle également un autre paradoxe
étonnant concernant la nature des êtres humains. De façon mystérieuse et inexpliquée chacun de
nous contient de l’information sur l’univers et sur l’existence tout entière. Chacun de nous a
également le potentiel d’avoir accès à chacune de ses parties, et dans un certain sens, est le réseau
cosmique tout entier. En même temps, dans une autre perspective, chacun de nous est également
une partie infinitésimale de l’univers, une entité biologique insignifiante séparée. La nouvelle
cartographie de la psyché reflète ce paradoxe et présente la psyché individuelle humaine à la mesure
du cosmos tout entier et de la totalité de l’existence. Aussi peu plausible cette idée puisse-t-elle
sembler, elle peut assez facilement être réconciliée avec les nouveaux développements
révolutionnaires de plusieurs disciplines scientifiques, auxquels on se réfère généralement comme au
nouveau paradigme ou paradigme émergeant. La science moderne a ainsi apporté la réponse que
les anciens Upanishads indiens donnent à la question sur notre véritable la nature « Tu es Cela (en
sanskrit tat tvam asi) – tu es à la mesure du principe créatif du Cosmos et de tout-ce-qui-est ».
D’après la science matérialiste, tout souvenir, requiert un substrat matériel tel que le
réseau neurologique dans le cerveau ou les molécules d’ADN. Cependant, il est impossible d’imaginer
aucun moyen matériel pour l’information donnée par les formes variées d’expériences
transpersonnelles décrites plus haut. Cette information n’a pas été acquise au cours de la vie de
l’individu par les canaux conventionnels, c’est-à-dire par la perception sensorielle, mais semble
exister indépendamment de la matière - elle est contenue dans le champ de conscience en luimême, ou dans d’autres types de champs qui ne peuvent pas être détectés par nos instruments
scientifiques. Les observations à partir de l’étude d’expériences transpersonnelles sont appuyées par
des preuves d’autres domaines d’études. En mettant à l’épreuve les affirmations métaphysiques de
base de la pensée de Descartes et de Newton, des scientifiques tels que Heinz Von Foerster et Rupert
Sheldrake explorent sérieusement de telles possibilités, comme la « mémoire dans substrat
matériel » (Von Foerster 1965) et les « champs morphogénétiques » (Sheldrake 1981, 1990).
La tentative la plus radicale de ce genre de travail est de loin celle du théoricien des
systèmes Ervin Laszlo, dont le travail est reconnu mondialement. Bon nombre des caractéristiques de
l’expérience transpersonnelle et des «phénomènes anormaux similaires » de disciplines variées
peuvent être éclairées par la théorie de Laszlo (Grof 2005). Par un tour de force intellectuel, Laszlo a
exploré un grand éventail d’observations paradoxales et de défis paradigmatiques pour lesquelles ces
disciplines, y compris la psychologie transpersonnelle, n’avaient pas d’explications (Laszlo 19942003). En utilisant les avancées de la science pure et des mathématiques, il a offert une solution
interdisciplinaire à bon nombre des énigmes de la science occidentale. La base de la solution de
Laszlo est son « hypothèse de connectivité » qui a en son fondement l’existence du champ
akachique54 (Laszlo 2004). Laszlo le décrit comme un champ sub-quantique qui tient un compte-
54
Akachique, néologisme inventé par la théologienne britannique Annie Bésant qui provient de ākāśa, terme
sanscrit signifiant éther, fluide impalpable subtil et intangible qui selon les anciens hindous pénétrait tout
l’univers et qui était le véhicule du son et de la vie. Mais il n’y a pas de mot sanscrit signifiant « registre
akachique ». Les registres akachiques sont des espèces d’archives de tout ce qui est arrivé depuis le début des
temps, enregistrées dans l’éther. Là se trouvent répertoriés tout ce qui est arrivé depuis le début des temps et
toutes les connaissances de l’univers. Les philosophes, les médiums, les mystiques et les praticiens de Reiki,
croient que les événements répertoriés dans l’akacha peuvent être lus dans certains états de conscience, qui
Commentaire [E50]: Alors c’est quoi
ça encore ?
Commentaire [E51]: ?? à l’aveugle
Commentaire [E52]: Comes into full
expression p143
Commentaire [E53]: Je suis désolée
Olivier de n’avoir pas fait mieux mais Je ne
comprends pas quel paradigme, parce que
je ne sais pas
Commentaire [E54]: ???
Commentaire [E55]: System theorist :
c’est quoi ça encore ?
rendu holographique de tous les événements qui ont eu lieu dans le monde phénoménologique
depuis le début des temps.
Afin de comprendre la position des mystiques, selon laquelle l’individu est mesurable et
identique à l’univers tout entier, nous devons réaliser que cela s’applique au monde de l’information
et non au monde matériel (entendu dans le sens de la science cartésio-newtonienne comme étant un
assemblage de particules indestructibles). Nous ne tenons pas compte ici de l’avertissement de
Galilée, qui nous conseille de ne s limiter notre exploration scientifique uniquement à ces choses
dans le monde qui peuvent être mesurées et pesées. Nous refusons en outre d’écarter les
informations et les conclusions dont chaque être-humain peut faire l’expérience par lui-même. Les
affirmations que la science matérialiste a faites à propos des aspects de la réalité que l’on peut
mesurer et peser demeurent valides en elles-mêmes, mais elles ne sont pas pertinentes pour les
observations et les conclusions résumées dans ce livre.
Je crois fermement que la cartographie étendue de la psyché dont il est question dans ce
chapitre est d’une importance capitale pour toute approche de phénomènes tels que le chamanisme,
les rites de passage, le mysticisme, la religion, la mythologie, la parapsychologie et les expériences
psychédéliques. Par dessus-tout, elle offre de nouvelles perspectives sur bon nombre de sujets
explorés dans ce livre tels que les expériences de mort imminente, la survie de la conscience après la
mort, la voyage posthume de l’âme, la réincarnation, et bien d’autres. Ce nouveau modèle de la
psyché n’est pas seulement un thème d’intérêt académique - il a des conséquences profondes,
permettant de mieux comprendre les désordres émotionnels et psychosomatiques, y compris les
psychoses fonctionnelles. Il offre ainsi de nouvelles possibilités thérapeutiques révolutionnaires
(Grof, 1985 et 2000 ; Grof et Grof, 1989 et 1990).
Commentaire [E56]:
ICI GRAVURES SANS COULEUR
CHAPITRE 9
LA CONSCIENCE AU SEUIL DE LA MORT
Vous souffrez en vain pour ceux pour qui il ne faudrait pas souffrir.
Les sages ne souffrent ni pour les vivants, ni pour les morts.
Jamais à aucun moment ai-je cessé d’être.
Tout comme toi, tout comme les princes des hommes.
Et nous ne cesseront jamais d’être.
Car ce qui n’est pas réel n’a pas d’être et le réel ne cesse jamais d’être.
Bhagavad-Gita
peuvent être provoqués dans des états de sommeil, de faiblesse, de maladie, de drogues et de méditation. Cela
fait les mystiques ne sont pas les seules personnes qui perçoivent les registres akachiques.
Commentaire [E57]: J’ai traduit à
partir de l’anglais mais peut être y a t’il une
tra officielle sur le web comme tu me l’as
dit ? j’ai trouvé un site mais est-ce la trad
officielle ? TU pleures sur ceux, sur
lesquels il ne faut pas pleurer […]
Les sages ne pleurent ni sur les
morts, ni sur les vivants.
En vérité, il n'a pas été de temps,
auquel je n'aie pas été ou toi,
ou ces princes des hommes et jamais
en vérité nous ne cesserons
d'être[…].
L'Irréel apparait et disparait.
Le Réel ne cesse jamais d'Etre."
LES RECHERCHES menées à la fin du vingtième siècle sur certains aspects spécifiques de la
mort furent motivées par l’intérêt croissant envers les phénomènes suggérant la possibilité de la
survie de la conscience après la mort. La plupart des études ne s’intéressaient pas aux expériences et
aux comportements des personnes mourantes elles-mêmes : elles se concentraient surtout sur les
expériences extrasensorielles et les phénomènes physiques constatés lors de la mort de certaines
personnes.
Premières recherches : signes physiques, apparitions et visions sur lit de mort
Les premiers chercheurs ont rassemblé de nombreux comptes-rendus de parents, d’amis et
de connaissances qui disaient avoir eu des visions de la personne mourante au moment ou aux
alentours de la mort de cette personne. Une étude conséquente dirigée par un groupe de savants de
Cambridge pendant la seconde moitié du XIXème siècle démontra que de telles visions arrivaient
avec une fréquence statistique élevée pendant la période de douze heures précédant et suivant la
mort de l’individu visualisé (Sidgewick 1894). Bon nombre de ces études pionnières se concentraient
aussi sur des événements physiques inexplicables ayant lieu au moment du décès : des montres
s’arrêtaient ou se remettaient en marche, des cloches se mettaient à tinter, ou des photographies
tombaient des murs. Il y avait d’autres incidents de ce type qui semblaient annoncer la mort de la
personne (Bozzano 1948).
Ces premiers travaux prenaient également en compte des rapports qui révélaient que les
individus sur le point de mourir avaient souvent des visions de leurs parents décédés qui semblaient
les accueillir dans l‘au-delà. Ces visions sur lit de mort sont très authentiques et convaincantes. Elles
provoquaient souvent chez la personne un état d’euphorie qui semblait faciliter sa transition de la vie
à la mort. Ces visions ne pouvaient pas être aisément expliquées en termes psychopathologiques et
elles ne pouvaient pas être mises au placard comme hallucinations, étant donné que les individus
chez qui elles étaient observées avaient une conscience claire, qu’ils ne déliraient pas, pas plus qu’ils
n’étaient désorientés ou confus. Cependant ces phénomènes en eux-mêmes n’étaient pas
particulièrement intéressants pour les chercheurs, étant donné que selon eux, la personne
agonisante aurait très bien pu reconstruire ces images à partir de souvenirs passés.
Les premiers chercheurs se concentrèrent donc sur un important sous-groupe de sujets
auxquels on se référait souvent par l’expression « Pic en Darien ». Cette idée fut conçue par Frances
Power Cobbe en 1877, et elle fut plus tard développée et approfondie par James Hyslop, William
Barret et Harnell Hart (Cobbe 1877, Hyslop 1908, Barret 1926, Hart 1959). Ce concept se fonde sur la
croyance selon laquelle les esprits des parents morts viennent en aide à la personne mourante, et
facilitent sa transition vers l’autre monde où ils l’emmènent. Le concept du « Pic en Darien »
implique ainsi que les personnes mourantes voient seulement des personnes qui sont déjà mortes.
Ainsi, si un patient voyait une apparition d’une personne morte sans avoir été au préalable mis au
courant de sa mort, alors cela constituait une preuve immense de la survie après la mort.
Un argument encore plus pertinent encore pour notre propos est l’étude de médecins et
d’infirmiers d’observations au moment de l’agonie ; cette étude fut dirigée par Karlis Osis et ses
collègues et menée à grande échelle (Osis 1961). Au lieu d’analyser une hypothèse spécifique étroite,
Osis enregistra un grand éventail de phénomènes se déroulant chez des individus mourants ; il a
ensuite analysé les schémas ainsi obtenus. Son étude était fondée sur un grand sondage : 10 000
questionnaires couvrant des aspects divers d’observations sur lit de mort furent envoyés, en quantité
égale aux médecins, et aux infirmières. Des analyses détaillées furent entreprises sur les 640
questionnaires qui leur revinrent. Même si le nombre de personnes y ayant répondu était
relativement faible, ceux qui renvoyèrent le questionnaire rapportèrent un grand nombre de cas : un
total de 35 540 observations de personnes sur le point de mourir.
Osis s’aperçut alors qu’environ 10% des mourants étaient conscients dans l’heure
précédant leur mort. Au grand étonnement des médecins et des infirmières qui les assistaient, la
Commentaire [E58]: de la
conscience ?? pas dans el texte
peur n’était pas l’émotion principale de ces individus. Le personnel soignant rapporta que ces
personnes vivaient le plus souvent l’inconfort, la douleur et même l’indifférence. Par ailleurs,
environ une personne sur vingt montrait des signes d’exaltation. La grande occurrence de visions
présentant un contenu non-humain constituait une autre conclusion inattendue : celles-ci étaient
environ dix fois plus fréquentes que ce à quoi on pourrait s’attendre dans un groupe de personnes en
bonne santé.
Certaines de ces visions cadrent plus ou moins avec les concepts religieux traditionnels et
représentaient le Ciel, le Paradis, la Cité Eternelle. D’autres étaient des images séculaires de beauté
indescriptible, tels que des paysages à la végétation splendide et des oiseaux exotiques. D’après leurs
auteurs, la plupart de ces visions étaient caractérisées par des couleurs brillantes et ressemblaient de
près aux expériences psychédéliques provoquées par la mescaline ou le LSD. D’autres personnes
rapportaient, moins fréquemment toutefois, des visions de diables et de l’enfer, ainsi que d’autres
expériences effrayantes telles que le fait d’être enterré vivant. Cette étude se concentrait
principalement sur les visons qui concernaient les êtres-humains : les visions de parents proches
représentaient des personnes décédées tandis que celles d’autres personnes représentaient des
personnes vivantes
Osis était en mesure d’appuyer les hypothèses de Barret et Hyslop selon lesquelles les
mourants voyaient surtout les personnes déjà décédées qui disaient venir les aider à accomplir leur
transition vers leur existence post-mortem. Il confirma également le caractère d’apparition de ces
visions étant donné qu’une large majorité de patients qui les vivaient en étant tout à fait conscients.
Leur mental n’était pas perturbé par les sédatifs ou d’autres médicaments ou par des températures
corporelles élevées ; et seule une petite proportion d’entre eux présentait une maladie pouvant être
à l’origine d’hallucinations : accidents cérébral, troubles du cerveau, maladies mentales ou, urémie.
La plupart des personnes en fin de vie étaient pleinement éveillées, elles avaient conscience de leur
environnement et y répondaient. Cette étude démontra également que les variantes psychologiques,
culturelles et physiologiques avaient une influence toute relative dans les caractéristiques
principales de ces visions. Les racines de ce genre d’expérience semblaient dépasser les différences
de personnalité liées au sexe de la personne, les facteurs physiologiques tels que des diagnostics
cliniques et le type de maladie, et ainsi que niveau d’éducation et de croyances religieuses.
Etudes pionnières d’expériences de mort imminente
Les expériences associées à une situation où la vie est menacée ou à la mort clinique sont
particulièrement pertinentes pour la recherche sur la conscience. Bon nombre de descriptions de ce
type peuvent être trouvées dans des rapports autobiographiques, dans les nouvelles et dans la
poésie. Mais jusqu’en 1960, ce domaine a été étonnamment négligé par les psychiatres et les
psychologues. La première étude sur les expériences de mort imminente ne fut pas entreprise par un
psychiatre ou par un psychologue mais par un professeur de géologie suisse de Zurich, Albert Heim.
Heim était connu pour ses études sur les Alpes et pour son livre sur la formation des montagnes.
Ayant vécu lui-même des accidents ayant failli lui coûter la vie, Heim était très intéressé par
l’expérience subjective de la mort.
Il passa plusieurs décennies, à rassembler des comptes-rendus de personnes ayant survécu
à des situations qui mettaient la vie en péril. Les personnes qui se portaient volontaires étaient des
soldats blessés lors de guerres, des zingueurs et des maçons tombés de toits, des ouvriers qui
avaient survécu à des désastres dans des projets en montagne ou à des accidents ferroviaires, et un
pêcheur qui avait failli se noyer. Cependant, la partie la plus importante de l’étude de Heim
s’appuyait sur de nombreux comptes-rendus faits par des alpinistes qui étaient tombés de falaises et
qui avaient pu être sauvés, dont trois de ses collègues. Heim présenta les résultats de ses recherches
au Club des Alpinistes Suisses le 26 février 1892. Son essai fut ensuite publié sous le titre de «
Notizen über den Tod durch Asturz » (« Remarques sur des chutes fatales ») dans le livre annuel du
Club des Alpinistes Suisses (Heim 1892).
Commentaire [E59]: je ne suis pas
sûre d’avoir saisi cette phrase p 47
paragraphe 1
Dans son étude Heim conclut que 95% des victimes avaient des expériences subjectives de
mort imminente étonnamment similaire, et qu’elles ne présentaient que quelques variations
minimes. Le fait que la personne soit tombée d’une falaise, de la glace, d’une surface enneigée, d’un
ravin ou d’une cascade, ne faisait pas de différence. Même les perceptions subjectives des individus
qui avaient été renversés par un wagon de train, écrasés par des machines, sur lesquels on avait tiré
lors de batailles, ou qui avaient failli se noyer, suivaient le même schéma d’ensemble. Pratiquement
toutes les personnes qui affrontaient la mort dans des situations accidentelles développèrent un état
mental semblable, dans lequel il n’y avait pas de douleur ou de désespoir, de souffrance, ou
d’anxiété – émotions qui tendent à paralyser des individus dans des situations où les dangers sont
moindres qui ne mettent pas la vie en péril. Au lieu de cela, l’activité mentale augmentait et
s’accélérait, s’élevant à une intensité et à une vélocité cent fois supérieure. Puis les individus vivaient
des sentiments de calme et d’acceptation profonde. La perception des événements et l’anticipation
de l’issue étaient clairs, sans désorientation ou confusion aucune. Le temps semblait s’étendre et les
individus agissaient avec la rapidité de l’éclair et de manière à la fois efficace et réaliste à la
situation. Dans bien des cas, la personne revoyait tout son passé. Finalement la personne affrontant
la menace de la mort entendait souvent une musique divine et vivait une expérience de beauté
transcendante.
J’illustrerai la description que fait Heim de situations mettant la vie en danger par deux de
ses comptes-rendus subjectifs contenus dans son essai d’origine. Le premier traite de son propre
accident alpin qui arriva lorsqu’il escaladait les Alpes Suisses et tomba d’un glacier, fit une chute de
vingt mètres de haut et atterrit sur une bordure de neige :
Dès que j’ai commencé à tomber j’ai réalisé que j’allais être jeté sur le
rocher escarpé, et j’ai anticipé l’impact que cela allait avoir. En grattant avec
mes doigts, j’ai creusé dans la neige, cherchant à freiner la chute. Les bouts de
mes doigts étaient en sang, mais je n’éprouvais pas de douleur. J’ai entendu
clairement les coups sur ma tête lorsque je me suis écrasé sur le rocher, et j’ai
entendu un bruit sourd en frappant le sol. Mais j’ai surtout ressenti de la
douleur quelques heures plus tard. Les pensées décrites plus haut démarrèrent
pendant la chute. Ce que j’ai éprouvé en l’espace de cinq-dix minutes ne
pourrait être décrit en dix fois ce temps-là. Toutes mes pensées et idées étaient
cohérentes et très claires, et elles n’étaient effaçables en aucune façon,
contrairement aux rêves.
Tout d’abord, j’ai envisagé les possibilités de ma destinée et je me suis
dit : « Je vais certainement atterrir sur un mur abrupte étant donné que je n’en
vois pas la base. Il est important pour moi de savoir s’il y a de la neige ou non sur
le mur de la falaise. S’il y a de la neige, la neige aura fondu du mur et formé un
coussin à la base. Si je tombe sur la neige, je vais pouvoir m’en tirer vivant, mais
s’il ne reste plus de neige, je vais certainement tomber sur des gravats et à une
telle vélocité la mort sera inévitable. Si lorsque j’atterris je ne suis pas mort ou
inconscient, alors je dois immédiatement prendre ma petite bouteille de
vinaigres et en mettre quelques gouttes sur ma langue. Je ne veux pas lâcher
mon alpenstock55, peut-être qu’il peut encore m’être utile. Donc je le garde tout
contre moi.
J’ai pensé à retirer mes lunettes et à les jeter afin que les éclats ne
blessent pas mes yeux, mais j’étais tellement bousculé que je n’ai pas réussi à
mobiliser mes forces pour bouger mes mains. Un groupe d’idées concernant
ceux que j’avais laissés à la maison s’en suivit. Je me suis dit que lorsque
j’atterrirai, que je sois sérieusement malade ou non, je devais immédiatement
55
Alpenstock : bâton pointu et ferré anciennement utilisé par les alpinismes anciens. (NdT)
appeler mes compagnons pour leur dire que j’allais bien. Puis que mon frère et
trois amis allaient pouvoir se remettre du choc facilement et accomplir la
descente jusqu’à moi, bien qu’elle fut assez ardue. Ma pensée suivante était que
je n’allais pas pouvoir donner ma conférence à l’université qui avait été
annoncée pour dans cinq jours. J’ai pensé ensuite à la manière dont la nouvelle
de ma mort allait être accueillie par les personnes qui me sont chères et je me
suis réconforté.
Puis j’ai vu toute ma vie passée se dérouler en quelques images,
comme si, elle avait lieu sur scène à quelque distance de moi. Je me suis vu en
héros de ce spectacle. Tout était transformé comme par une lumière céleste et
tout était beau sans douleur, sans anxiété et sans souffrance. Le souvenir
d’expériences tragiques que j’avais vécues était clair mais pas triste. Je n’ai
éprouvé aucun conflit ou désaccord ; le conflit s’était transformé en amour. Les
pensées élevées et harmonieuses dominaient et elles étaient réunies en images
individuelles, et une musique magnifique, un calme divin traversa mon âme. Un
splendide ciel bleu avec de petits nuages délicats roses et violets m’entourait. Je
m’y suis fourré sans douleur et doucement, et je me suis vu, tombant
librement ; un champ de neige m’attendait juste en dessous. Les observations
objectives, les pensées, et les sentiments subjectifs étaient simultanés. Puis j’ai
entendu un bruit sourd, et ma chute était terminée.
Le second exemple de l’essai de Heim est, selon lui une présentation classique des
expériences subjectives ayant lieu lors des accidents soudains. Ce compte-rendu est celui d’un
étudiant en théologie qui vécut un accident ferroviaire avec l’effondrement du Pont Münchenstein
en 1891 :
Près du Pont Birs, j’ai senti un choc profond qui suivit notre avancée
erratique. Mais au même moment, le train s’arrêta au milieu de sa course la plus
rapide. Le choc envoya les passagers vers le plafond. J’ai regardé derrière-moi,
incapable de voir ce qui était arrivé. D’après le puissant son métallique qui
résonnait à l’avant, j’en ai déduit qu’il y avait eu une collision. J’ai ouvert la porte
avec l’intention de sortir. Je me suis rendu compte que la voiture suivante s’était
relevée et qu’elle était sur le point de tomber sur moi. Je me suis retourné sur
place et j’ai voulu appeler mon voisin à la fenêtre. « Par la fenêtre ! » J’ai fermé
ma bouche en me mordant la langue.
A ce moment-là eut lieu, dans l’espace de temps le plus réduit, la
descente la plus effrayante que l’on puisse imaginer. Je me suis accroché
spasmodiquement à mon siège. Mes bras et mes jambes fonctionnaient de leur
façon habituelle, comme s’ils prenaient instinctivement soin d’eux-mêmes. Aussi
agiles que l’éclair, ils faisaient des mouvements reflexes évitant les perches et
les bancs qui se brisaient partout autour de moi et sur moi. A ce moment-là un
flux de pensées me traversa l’esprit de la façon la plus claire qui soit. Les
pensées disaient : « le prochain impact me tuera ». Une série d’images me
montra toutes les belles choses aimantes que j’avais vécues jusque-là et entre
elles, il y avait la puissante mélodie d’un prélude que j’avais entendu le matin :
« Dieu est tout puissant. Le Ciel et la Terre se trouvent dans Sa main, nous
devons agir selon Sa volonté ».
Un sentiment de paix éternelle, m’envahit au milieu de ce tourbillon.
La voiture se balança encore deux fois vers l’avant ; puis la partie de l’avant
tomba perpendiculairement dans les Birs et la partie arrière dans laquelle j’étais
se balança latéralement au-dessus du remblai et dans le Birs. La voiture était
brisée. Je gisais recouvert de bouts de bois et de bancs et je m’attendais à ce
que la voiture d’à côté s’écroule sur ma tête ; mais il y eu un silence soudain. Le
bruit s’arrêta. Du sang coula de mon front, mais je n’éprouvais aucune douleur.
La perte de sang me fit me sentir léger. Après une petite lutte, je me suis dégagé
des nombreux tas et débris, et je suis passé par la fenêtre. Ce fut seulement à ce
moment-là que j’ai eu un aperçu du désastre qui venait d’avoir lieu…
Heim conclut son essai en disant que la mort par chute est une mort très plaisante. Ceux
qui sont morts dans la montagne ont, durant les derniers instants de leur vie, revu leur passé
individuel dans des états transfigurés. Au-delà de la douleur physique, ils ont vécu des pensées
nobles et profondes, de la musique magnifique, et des sentiments de paix. Ils sont tombés dans des
cieux magnifiquement bleus ou rosacés, et puis tout devint soudainement immobile. D’après Heim,
les chutes fatales sont beaucoup plus « cruelles et horribles » pour les survivants que pour les
victimes. Il est incomparablement plus douloureux de voir une personne tomber que de tomber soimême, et la sensation du moment, ainsi que les souvenirs, sont aussi plus douloureux. Dans bon
nombre de cas les spectateurs furent profondément bouleversés et ils perdirent leurs facultés,
paralysés par l’horreur, et ils gardèrent un trauma de cette expérience, alors que la victime, elle, si
elle n’était pas grièvement blessée, vivait un sentiment de paix libre de toute angoisse. Heim a
illustré cela par son expérience personnelle lorsqu’il vit une vache tomber, il en éprouva de la
douleur, alors que sa propre infortune était enregistrée dans son esprit comme une transfiguration
puissante et même extatique, sans douleur et sans angoisse, exactement comme il l’avait vécue.
Les comptes-rendus autobiographiques et les descriptions dans la fiction et la poésie
confirment que les personnes vivant un danger mettant leur vie en danger, ainsi que ceux au seuil de
la mort, vivent généralement des fractions d’états de conscience inhabituels. Ces expériences ont des
propriétés différentes de celles nos états de conscience quotidiens et ils ne se prêtent pas aisément
aux descriptions verbales. Afin de rendre la saveur et les dimensions de telles expériences, il est
cependant nécessaire de se référer à des comptes-rendus d’individus qui sont à la fois introspectifs
et logiques. Une excellente description vient de l’autobiographie de C. G. Jung, Ma vie, Souvenirs,
Rêves, et pensées (Jung 1961). Au début de l’année 1944, Jung sa cassa la jambe puis il souffrit une
attaque cardiaque. Alors que Jung était à deux doigts de la mort et recevait de l’oxygène et du
camphre par injections, il eut une série d’expériences visionnaires. Ce qui suit est un résumé du
compte-rendu de l’état dans lequel il se trouvait.
Il me semblait que j’étais quelque part en haut de l’espace. Bien endessous, je voyais le globe terrestre, baignant dans une lumière bleue, la profonde
mer bleue et les continents. Sous mes pieds il y avait le Sri Lanka et plus loin,
l’Inde. Mon champ de vision n’incluait pas la Terre entière mais il m’était difficile
de distinguer sa forme générale et ses contours brillaient d’une lumière argentée
à travers cette merveilleuse lumière bleue. Dans bien des lieux, le globe semblait
coloré, ou tacheté de vert foncé comme l’argent oxydé. Loin à ma gauche, il y
avait une large étendue – le désert rouge d’Arabie ; c’était comme si l’argent de la
terre avait pris une teinte rouge et or.
Puis il y avait la Mer Rouge et loin, loin derrière – comme dans la partie
gauche supérieure de la carte - je pouvais deviner un morceau de la
Méditerranée. Mon regard fut dirigé principalement vers cela. Tout le reste
apparaissait de façon indistincte. Je pouvais aussi voir les neiges de l’Himalaya,
mais, dans cette direction, c’était embrumé ou nuageux. Je n’ai pas regardé à
droite du tout. Je savais que j’étais sur le point de quitter la terre. Plus tard, j’ai
découvert à quel point il faudrait être haut dans l’espace pour avoir une vue aussi
large - environ deux milliers de kilomètres. La vue de la terre depuis cette lumière
était la chose la plus sublime que j’aie jamais vue.
Après avoir contemplé cela pendant un instant, je me suis retourné. Je
m’étais tenu dos à l’Océan Indien, et mon visage regardait vers le nord. Puis il me
Commentaire [E60]: articulate
semble qu’il s’est retourné vers le sud. Quelque chose de nouveau entra dans
mon champ de vision. A une courte distance, j’ai vu dans l‘espace un immense
bloc de pierre, comme un météorite. Il faisait environ la taille de ma maison ou
encore davantage. Il flottait dans l’espace, et moi-même je flottais dans l’espace.
J’ai vu des pierres similaires sur la côte du Golfe du Bengale. C’étaient des blocs de
granite, et certains d’entre eux étaient devenus des temples. Ma pierre était un
bloc gigantesque et sombre. Une porte menait à une petite salle.
A la droite de l’entrée, un Hindou noir était assis silencieusement dans la
position du lotus sur un banc de pierre. Il portait une petite robe blanche, et je
savais qu’il m’attendait. Deux marches conduisaient à son antichambre, et à
l’intérieur, à gauche, il y avait le portail du temple. De petites niches
innombrables, chacune avec une cavité semblable à celle d’une soucoupe, étaient
emplies d’huile de noix de coco. De petites mèches entouraient la porte avec une
couronne de flammes claires. J’avais déjà vu cela, lorsque je visitais le temple de
Holy Tooth à Kandy, au Sri Lanka ; le portail était entouré de plusieurs rangées de
lampes à huile de ce type, toutes allumées.
En m’approchant des marches conduisant à l’entrée creusée dans le roc,
une chose étrange m’arriva : j’ai eu la sensation que tout avait été balayé, tout ce
que j’avais cherché à obtenir, ou souhaité, ou auquel j’avais pensé. Toute la
fantasmagorie de l’existence terrestre s’écroulait ou bien m’était enlevée –il
s’agissait là d’un événement extrêmement douloureux. Cependant, quelque chose
demeura ; c’était comme si je portais en moi tout ce que j’avais jamais vécu ou
fait, tout ce qui m’était jamais arrivé. Je devrais également dire : c’était en moi, et
j’étais cela. C’était constitué de tout cela. C’était là ma propre histoire, et je
sentais avec une grande certitude : je suis cela. Je suis ce paquet de ce qui a été,
et de ce qui a été accompli.
Dans ce cas-ci, la qualité de la vision et la nature mythique du compte-rendu de Jung
peuvent être attribués à sa personnalité rare et à ses intérêts professionnels. Un second exemple
nous vient d’un individu au caractère et à la profession très différents : l’acteur allemand Curt
Jungens, qui mourut au cours d’une opération chirurgicale compliquée, à Houston dans le Texas,
faite par le Docteur Michael DeBakey. Afin de remplacer l’artère déficiente par un tube en plastique,
le chirurgien devait retirer le cœur. Pendant cette opération Curt Jungens mourut, mais uniquement
l’espace de quelques instants. Le compte-rendu de cette expérience inhabituelle est extrait de
Glimpses of the Beyond (Aperçus de l’Au-Delà), de Jean-Baptiste Delacour.
La sensation de bien-être que j’ai éprouvée après l’injection de
Pentothal n’a pas duré longtemps. Bientôt la sensation que la vie me quittait
émergea depuis mon subconscient. Aujourd’hui j’aime à dire que cette sensation
arriva au moment où mon cœur cessa de battre. La sensation que ma vie me
quittait m’évoqua des sensations de terreur. Je voulais m’accrocher à la vie plus
que tout, cependant, il m’était impossible de le faire. J’avais regardé dans la
grande coupole de verre au-dessus de la salle d’opération. Cette coupole
commença à changer. Soudain elle devint d’un rouge brillant. J’ai vu des visages
grimaçants, tordus, qui me regardaient. Pris de terreur, j’ai essayé de lutter et de
me défendre contre ces fantômes pâles, qui se rapprochaient de moi.
Puis il me sembla que la coupole de verre était devenue un dôme
transparent qui s’enfonçait progressivement en moi. Une pluie violente me
tombait dessus, mais bien que ses gouttes fussent énormes, aucune d’entre elles
ne me toucha. Elles éclaboussaient autour de moi, et des flammes menaçantes en
sortaient, me frôlant. Je ne pouvais plus me cacher la vérité effrayante : sans nul
doute, les visages qui dominaient ce monde fougueux étaient les visages des
damnés. J’éprouvais un sentiment de désespoir, j’étais abandonné et seul. La
sensation d’horreur était tellement énorme qu’elle me frappa terriblement, et
j’avais l’impression que j’étais sur le point de suffoquer.
J’étais de manière évidente en Enfer, et les langues brillantes du feu
pouvaient me toucher à n’importe quel moment. Dans cette situation, la
silhouette noire d’une figure humaine se matérialisa et commença à s’approcher
davantage. Au début, je la vis seulement de manière indistincte, au milieu des
flammes et des nuages de fumée rougeâtre, mais rapidement, elle devint de plus
en plus claire. Il s’agissait d’une femme, vêtue d’un voile noir, une femme élancée
avec une bouche sans lèvres. Dans ses yeux il y avait une expression qui provoqua
des frissons glacés le long de ma colonne. Lorsqu’elle se tenait en face de moi, la
seule chose que je pouvais voir était deux trous noirs vides, avec lesquels la
créature me regardait. La figure me tendit ses bras, et emmené par une force
irrésistible, je l’ai suivie. Un souffle glacé me toucha, et je suis rentré dans un
monde de sons évanescents de lamentations bien qu’il n’y ait eu personne en vue.
Alors j’ai demandé à la personne de me dire qui elle était. Une voix
répondit : « Je suis la Mort ». J’ai rassemblé toute ma force et ma pensée : « Je ne
la suivrai pas plus loin, car je veux vivre ». Ai-je trahi cette pensée ? Elle se
rapprocha encore davantage de moi et elle mit ses deux mains sur ma poitrine
nue afin que je sois encore sous le charme de sa force magnétique. Je pouvais
sentir ses mains glaciales sur ma peau, et les globes oculaires vides était fixés sur
moi, immobiles. Encore une fois, j’ai concentré toutes mes pensées sur la vie, afin
d’échapper à la mort déguisée en femme. Avant de rentrer dans la salle
d’opération, j’avais embrassé ma femme. Maintenant son fantôme vint à ma
rescousse pour me délivrer de l’enfer et pour me reconduire à l’existence
terrestre.
Lorsque Simone [son épouse] apparut dans la scène, la femme au voile
noir repartit sans un bruit, avec un sourire terrible sur les lèvres. La Mort ne
pouvait rien contre Simone, radieuse de vie et de jeunesse. Je n’ai éprouvé que de
la fraîcheur de la tendresse lorsqu’elle me reconduisit par la main sur le même
chemin où j’avais auparavant été conduit par le charme de la figure sombre. Petit
à petit, nous avons quitté ce royaume de peur et d’ombres et nous nous sommes
rapprochés de la grande lumière. Cette luminosité nous guida encore, et
finalement elle devint tellement brillante qu’elle commença à m’aveugler, et j’ai
dû fermer les yeux.
Puis soudainement, une douleur sévère, menaçant de déchirer la cavité
de ma poitrine. J’ai serré la main de Simone de plus en plus fort après mon retour
soudain à la conscience. Je l’ai trouvée assise sur mon lit, portant un uniforme
blanc d’infirmière. Je n’avais que la force d’esquisser un léger sourire. C’était la
seule chose que je pouvais faire pour dire le mot « merci ». Par ce mot j’ai conclu
un voyage effrayant mais fascinant dans l’Au-delà, un voyage que je n’oublierai
jamais tant que je vivrai.
David Rosen, un psychiatre de Langler Porter Neuropsychiatric Institute à San Francisco a
mené une étude très précieuse pour la littérature de la mort imminente. Rosen a dirigé les
entretiens de contrôle de six des huit personnes qui avaient survécu à des sauts suicidaires depuis le
Golden Gate Bridge, ainsi qu’avec l’un des deux survivants qui avait sauté du San Francisco Bay
Bridge (Rosen 1975). Rosen n’a pas seulement essayé d’obtenir des informations qui aideraient à
clarifier l’attraction que le Golden Gate Bridge exerce sur les personnes suicidaires, il a également
pris en note et analysé la nature des expériences subjectives pendant les chutes - et les effets à long
terme - de cet événement sur les vies des survivants.
Tous les survivants, pendant et après leurs chutes, ont vécu des états mystiques de
conscience caractérisés par la perte de la sensation du temps et de l’espace, et par la sensation de
renaissance spirituelle, ainsi que le sentiment de l’unité avec les autres êtres humains, l’univers
entier, et Dieu. La conséquence de leur expérience intime avec la mort fut que certains d’entre eux
eurent de profondes conversions religieuses ; d’autres évoquèrent une confirmation de leurs
croyances religieuses antérieures. L’un des survivants nia la tentative suicidaire elle-même. Il vit le
Golden Gate Bridge comme des « portes dorées » à travers lesquelles il passerait d’un monde
matériel à un nouveau domaine spirituel. Il affirma que son saut du pont était la réalisation d’un
besoin spirituel et que cela avait davantage à voir avec la parapsychologie qu’avec la psychologie ou
la psychopathologie.
Lorsque Rosen examina les vies des survivants après leurs tentatives de suicide, il découvrit
des changements bénéfiques dans leurs états émotionnels, leur façon de penser et leurs
comportements. L’aspect le plus frappant de cette transformation était un puissant surgissement de
sentiments spirituels résultant en des conversions ou en le renforcement de croyances religieuses
préexistantes. Une sensation de renaissance spirituelle fut associée à une nouvelle façon de
percevoir et d’être au monde. La conséquence pratique la plus significative de ce regain
d’enthousiasme envers la vie, étaient des tendances moindres à l’autodestruction, davantage de
vitalité et une affirmation joyeuse de l’existence humaine. L’un des survivants le décrivit de la façon
suivante :
J’étais de nouveau rempli d’une espérance et d’un objectif nouveaux dans
la vie. La plupart des gens n’ont pas accès à ceci. J’apprécie le miracle de la vie comme le fait de regarder un oiseau voler- les choses prennent soudain davantage
de sens lorsqu’on est le point de les perdre. J’ai vécu un sentiment d’unité avec
toutes les choses et les personnes. Depuis ma renaissance psychique, j’éprouve
aussi la douleur des autres. Ma survie a reconfirmé ma foi et les objectifs dans ma
vie. Tout était clair et brillant - je suis devenu conscient de ma relation au créateur.
Avec le Mont Mihara, un volcan du Japon, le Golden Gate Bridge est le lieu où les taux de
suicide sont le plus élevés. Au moins 1200 personnes ont sauté ou ont été retrouvées dans l’eau
depuis l’ouverture du pont en 1937, et les tentatives de suicide continuent au rythme de une toutes
les deux semaines (Friend 2003). Le pont semble avoir une attraction magique pour ces personnes
aux tendances suicidaires, peut-être parce que son nom est la combinaison de trois symboles
transcendantaux - l’or (Golden) la porte (Gate) et le pont (Bridge). Selon moi, le suicide représente
une confusion tragique entre la mort de l’ego qui mènerait à la renaissance psychospirituelle et la
mort physique, entre l’egocide et le suicide (Grof 1985, 2000).
Les comptes-rendus subjectifs des survivants de l’étude de Rosen sont assez semblables
aux textes de Heim et à ses comptes-rendus d’expériences de mort imminente provenant d’autres
sources. Les principales différences sont que l’accent est mis sur la phase transcendantale avec les
éléments de lutte et de résistance notablement absents. Le fait de revivre des souvenirs et de revoir
toute sa vie est tronqué ou du moins il n’est pas mentionné. Rosen a expliqué ces différences par la
nature volitive du suicide comparé au caractère involontaire des accidents. Les individus qui pensent
au suicide se sont battus jusqu’à la fin de leurs vies avant d’en être arrivés à la décision d’y mettre un
terme. De la même façon le fait de revoir sa vie peut très bien avoir eu lieu avant.
Dans les débuts de la recherche sur les expériences de mort imminente, les efforts destinés
à comprendre le mécanisme des expériences associées à la mort et de formuler un cadre théorique à
leur interprétation étaient encore plus rares que les études descriptives et phénoménologiques.
Edward Clarke, auteur de Visions : A Study of False Sight (Visions : une Etude Sur la Perception
Faussée) - l’étude classique sur les expériences de mort imminente qui fait autorité, rédigée lorsqu’il
était en train de mourir - a considéré l’affaiblissement de l’esprit comme étant une explication
satisfaisante aux changements de conscience observés chez les individus mourants (Clarke 1878).
D’autres firent référence à un mécanisme plus spécifique – l’anorexie cérébrale - et ils montrèrent la
similitude entre les expériences de mort imminente et de nombreux phénomènes anormaux
observés dans les hautes altitudes, pendant l’anesthésie, chez des sujets expérimentaux dans des
salles hypoxiques, et d’autres situations impliquant le manque d’oxygène. Karlis Osis (1961) et
Russell Noyes (1971) trouvèrent des parallèles intéressants entre les expériences visionnaires des
mourants et les états provoqués par les drogues psychédéliques. Cette observation, bien que tout à
fait acceptable d’un point de vue théorique, ne permet pas vraiment de nous faire comprendre
l’expérience que constitue la mort. Comme nous l’avons vu précédemment, les expériences
psychédéliques sont elles-mêmes un phénomène très complexe qui remet en question les cadres
conceptuels actuels, et ils n’ont pas encore été expliqués de manière adéquate.
De telles explications rendent surtout compte d’un des aspects spécifiques du phénomène
de mort imminente- la gâchette physiologique ou biochimique de ces expériences - et passent sous
silence leur contenu spécifique et leur signification psychologique plus profonde. Deux études
psychanalytiques ont tenté sérieusement d’appliquer les concepts psychanalytiques de base à
l’étude des expériences de mort imminente. Dans le premier de ces essais, Oskar Pfister a utilisé
comme point de départ à ses spéculations l’étude dirigée par Albert Heim décrite plus haut dans ce
chapitre (Pfister 1930). Outre les observations de Heim rassemblées pendant les vingt-cinq années
suivant sa chute quasi-fatale, Pfister avait à sa disposition une lettre de Heim décrivant son
expérience plus en détail que le récit contenu dans son essai d’origine.
La grande quantité d’informations obtenue de Heim permit à Pfister de se familiariser avec
la nature globale des expériences de mort imminente. Cependant pour une évaluation
psychodynamique plus en profondeur et pour une interprétation de ce phénomène, il avait besoin
des associations libres des survivants concernant leur au contenu spécifique. Une telle analyse fut
rendue possible grâce à l’information offerte par un voyageur, un homme qui avait failli être tué
pendant la guerre dans une tranchée, treize ans avant de rencontrer Pfister. Cette personne fut à
même de décrire les images qu’elle avait eues à ce moment-là, et de proposer des associations libres
concernant leur contenu. En s’appuyant sur ce contenu, Pfister tira des conclusions théoriques sur les
mécanismes psychodynamiques des pensées et des images issues du choc qu’un individu peut avoir
lorsqu’il se retrouve en danger mortel.
Dans son livre Au-delà du Principe du Plaisir Freud a exprimé l’idée que l’organisme vivant
serait anéanti par la charge énergétique du monde extérieur s’il n’était pas équipé d’un appareil
protecteur qui fonctionne comme une barrière aux stimuli (Freud 1975). Pfister trouva ce concept
extrêmement utile à la compréhension du mécanisme des expériences de mort imminente. D’après
lui, les fantasmes du choc sauvent l’individu des émotions traumatiques excessives, et fonctionnent
comme un mécanisme le protégeant de la perte de conscience, comme un système d’éveil
l’empêchant se s’endormir ou de s’évanouir. Ce mécanisme serait ainsi un équivalent de la fonction
que jouent les rêves dans la protection du sommeil. Là où le danger est moindre un individu réagirait
par la paralysie et la perte de la parole. Cependant, dans le cas d’un danger extrême, le résultat est
une augmentation de l’activité et une stimulation de l’activité cérébrale. Plusieurs mécanismes de
protection ont lieu pendant cette phase. Parmi elles, il y a l’illusion que le danger peut être géré
efficacement ; l’autre est la capacité à exprimer tous les sentiments qui l’accompagnent. D’après
Pfister, la déréalisation observée tellement fréquemment dans cette situation sert elle aussi de
fonction protectrice, car elle implique un déni de la situation ou de ses conséquences lorsqu’il n’est
plus possible de faire face de manière réaliste au danger.
Dans de telles circonstances, le sens de la réalité s’amoindrit et des fantasmes régressifs
ont lieu. Certains des souvenirs qui se forment sont réconfortants, comme des allusions à des
situations dangereuses du passé qui se terminaient bien, ou des fantasmes libres. Les expériences de
déjà-vu ou l’anticipation du futur peuvent également être vues comme le déni d’une situation réelle
sinistre. L’extrême est, bien sûr, de s’évader dans une situation transcendante du ciel ou du paradis,
ce qui selon les concepts psychanalytiques est une régression au bonheur océanique de l’existence
prénatale. Pfister vit ainsi les expériences de mort imminente comme des manifestations d’une
« brillante victoire d’une pensée pleine d’espoirs sur des faits atroces et de l’illusion sur la réalité ».
Commentaire [E61]: Cher Olivier j’ai
posé la question à mes amis anglais ou
americains, et ils ont répondu
The sentence structure is atrocious difficult to tell which clause is subordinate
and therefore wide open to interpretation
of what the author meant to emphasize.
Somebody who has survived an ordeal may
reveal interesting thoughts when faced
with a concrete reminder (the specific
manifest content) of the ordeal and
encouraged to communicate his free
associations (uncensored thoughts). That's
what I think he's saying.
Mais je bloque parce que j’ai trop réfléchi à
ça; ton esprit vierge ( pas en termes
d’astro) sera bien plus à même de
comprendre ce qui m’échappe
Une autre étude psychanalytique pertinente du processus de la mort a été publiée par R .C.
A. Hunter, qui eut l’opportunité unique d’analyser le contenu d’une expérience de mort imminente
d’une infirmière qu’il psychanalysait (Hunter 1967). Il la voyait dans des séances régulières d’analyse,
et la rencontra deux heures avant son accident et vingt-quatre heures après celui-ci. Ces
circonstances permirent ainsi l’assemblage de ses fantasmes et des expériences dont elle se
souvenait, avec quelques unes de ses associations libres. Sa patiente était une femme de trentequatre ans en bonne santé, mère de trois enfants. Au moment de l’accident, elle ne semblait pas
déprimée d’un point de vue pathologique, et rien ne portait croire qu’elle aurait eu des instincts
suicidaires. Elle faisait une analyse en raison de problèmes relationnels avec son mari. L’accident
quasi-fatal était inattendu et commença tout à fait soudainement.
Le dentiste fit une radio de l’une de ses dents qui lui causait de la douleur, et diagnostiqua
un abcès à la racine ; il lui prescrivit de l’aspirine-codéine et de la pénicilline. Elle prit un cachet de
l’antibiotique en rentrant chez elle en voiture avec son mari à une heure de pointe. Vingt minutes
plus tard, en raison d’une réaction allergique à la pénicilline, elle développa un œdème laryngal et
glottal accompagné par un degré élevé de suffocation et finalement une perte de conscience. On lui
administra de l’adrénaline et elle fut emmenée en ambulance à un hôpital peu éloigné, où on lui
donna de l’oxygène, davantage d’adrénaline et des stéroïdes corticaux. Elle se remit pleinement en
peu de temps, et les jours suivants elle fut capable d’évoquer son expérience lors d’une séance
d’analyse. Voici le compte-rendu de Hunter :
Elle n’avait jamais souffert d’aucune manifestation allergique, et il n’y
avait pas nom plus d’historique familial allergique. Etant infirmière, elle était
connaissait cependant l’existence de l’allergie à la pénicilline et lorsqu’elle prit le
comprimé, la pensée qu’elle pouvait y être allergique lui traversa l’esprit. Dans la
voiture, lorsque sa respiration commença à devenir malaisée, elle réalisa ce qui se
passait, et elle éprouva de la peur qui disparut rapidement. (Elle dit qu’elle
n’aurait plus jamais peur de la mort). Elle ressentit une intense sympathie pour
son mari. Puis elle se sentit coupable de le soumettre à une telle épreuve. Elle
avait honte. Il lui semblait maintenant (post hoc) qu’il s’agissait en partie d’une
vengeance, mais qu’elle n’avait eu aucun contrôle là-dessus. Elle se souvint d’une
« dernière réaction violente » dans laquelle elle avait lutté de façon désespérée
contre la mort, mais elle n’en avait pas eu peur et ensuite elle y avait cédé,
sachant que c’était ce qu’elle voulait.
Elle avait ensuite revu, dans un enchaînement rapide, un grand nombre
de scènes de sa vie. Elles semblaient commencer à l’âge de cinq ans. Elle se
souvenait d’une impression de couleur vive. Elle avait vu une poupée à elle qu’elle
chérissait, et fut étonnée de voir à quel point ses yeux bleus en verre étaient
clairs. Il y avait aussi une photo d’elle-même sur sa bicyclette rouge très
lumineuse, sur le gazon vert tout aussi lumineux. Elle savait que sa vie entière
n’était pas représentée de manière picturale, seules quelques scènes de son
enfance l’étaient, et elle insista sur le fait que tout vivait un état béatifique.
Son souvenir suivant fut celui d’un état de bonheur suprême et d’extase.
Il y avait une photo du Taj Mahal dans laquelle elle était profondément absorbée,
et de manière idyllique. C’était une photo qu’elle devait avoir vue à plusieurs
occasions - la photo habituelle prise depuis le bord de l’étang de lys. Elle était
colorée, l’étang et les lys étaient bleus et verts, les minarets et le dôme d’une
belle couleur or et crème. Elle devint consciente des personnes essayant de la
réveiller, et elle leur en voulait, ressentait de l’irritation. Elle voulait être laissée
seule dans son beau rêve de Taj Mahal. Puis elle prit conscience du masque à
oxygène, et des perfusions. Elle reprit conscience, malgré elle, pour se retrouver
dans le département des urgences de l’hôpital.
En analysant son expérience, Hunter fut surpris par la similitude entre ce qu’elle rapportait
et ce que publia Pfister. Dans les deux comptes-rendus, la reconnaissance du danger est suivie par
une brève réaction de peur, un déni de la menace, et ensuite les souvenirs de scènes
particulièrement heureuses ou extatiques affluent. Hunter suggère dans ses observations qu’il est
important de distinguer la mort comme état de la mort comme expérience. Alors que la mort peut
avoir beaucoup de significations idiosyncratiques pour les différents individus, le processus
consistant à mourir de façon soudaine et inattendue peut traverser des étapes définies et
prévisibles. Le contenu de ces expériences est cependant coloré par des schémas de personnalité
établis.
Hunter vit dans les souvenirs qui affluaient chez la patiente un déni de la situation. La suite
de souvenirs heureux et de tableaux apportait un aspect plaisant à l’expérience, ce qui masquait en
réalité un effet déplaisant. Dans l’interprétation de Hunter, la vision du Taj Mahal avait un sens
idiosyncratique et psychodynamique pour la patiente. Non seulement il l’aida à nier et à transcender
le danger mortel, cela reflétait également les fantasmes qu’elle nourrissait à l’égard de son mari,
étant donné que le Taj Mahal est un mausolée construit par un mari aimant pour son épouse adorée.
A un niveau plus profond de régression, d’après Hunter, la piscine et le dôme suggéraient des
fantasmes concernant l’utérus et la poitrine.
Russel Noyes, professeur de psychiatrie à l’Université de l’Iowa, examina certains comptesrendus subjectifs d’individus affrontant la mort et les analysa du point de vue psychiatrique et
psychodynamique (Noyes 1972). Il découvrit une uniformité étonnante, des schémas traditionnels, et
des suites expérientielles caractéristiques sous-tendant le contenu d’apparence riche et multiforme
des comptes-rendus individuels. D’après Noyes, les descriptions d’expériences de mort imminente et
d’expériences de mort se déroulent en trois étapes : la résistance, le moment où l’on revoit sa vie, et
la transcendance. Le degré où ces étapes individuelles d’expériences sont représentées dans un
compte-rendu particulier peut varier considérablement, et dans certains cas, l’un d’eux peut être
complètement absent. Cependant ces étapes apparaissent de façon fréquente et de manière assez
cohérente pour justifier une telle division.
L’étape initiale de résistance implique la reconnaissance du danger, suivie de sa peur ou
d’une lutte contre ce danger, et finalement l’acceptation de la mort. Le fait de réaliser que la mort
est imminente crée une lutte, brève mais violente, généralement accompagnée par une anxiété
marquée. L’individu oscille entre le besoin d’une maîtrise active et d’une envie de résignation
passive. Aussi longtemps qu’il demeure ne serait-ce qu’une petite chance de survie, la conscience de
la personne et son état d’alerte face à la situation dangereuse sont grandement augmentés. Dans de
telles circonstances, l’énergie disponible à la fois pour l’activité mentale et physique peuvent
augmenter de façon importante. La panique désorganisée est remise à plus tard, mais elle peut
émerger dans toute sa puissance une fois le danger immédiat passé.
L’accélération remarquable des processus mentaux arrivant chez un individu affrontant la
mort ou grièvement blessé résulte souvent en une série de pensées conscientes, soutenues et
complexes mais aussi en une activité efficace pour garder la vie sauve. Ceci peut être illustré par le
compte-rendu d’Albert Heim d’un autre accident où une activation aussi extraordinaire de ses
ressources mentales le sauva de blessures physiques graves :
A l’été de 1881, je suis tombé entre les roues avant et arrière d’un
attelage voyageant entre Aoste et Saint Remi, et l’espace d’un instant je fus
encore capable de m’accrocher au bord du wagon. La série de pensées suivante
traversa mon esprit : « Je ne peux pas attendre jusqu’à ce que le cheval s’arrête ;
je dois tout lâcher. Si je lâche tout, je vais tomber sur le dos et la roue va
m’écraser les jambes. Dans ce cas, une fracture du genou ou du tibia, sera
inévitable ; je dois tomber sur mon ventre, et alors les roues passeront sur
l’arrière de mes jambes. Si je tends alors mes muscles ils seront un coussin
protecteur pour les os. La pression exercée par le sol aura moins de chance de
rompre mes os que celle de la roue. Si je suis capable de me retourner vers la
Commentaire [E62]: Established
personnality patterns p 159 fin prem para
gauche, alors je pourrai peut-être tirer suffisamment ma jambe gauche ; si je me
tournais vers la droite cela causerait, d’après les dimensions de l’attelage, la
cassure de mes deux jambes ». Je sais que c’est seulement à la suite de ces
réflexions rapides qui m’ont traversé l’esprit que je me suis laissé tomber. D’un
coup sec de mon bras, je me suis retourné, j’ai balancé ma jambe gauche de façon
énergique et j’ai immédiatement tendu mes muscles le plus possible. La roue
m’est passée sur la jambe droite, et je m'en suis tiré avec un léger bleu.
(Heim 1892)
Les individus qui meurent plus graduellement ont l’impression que leur volonté de vivre les
soutient, et ils ont peur de mourir s’ils cèdent. A ce moment-là de capitulation, la peur s’apaise, et la
personne développe un certain sentiment de sérénité et de tranquillité. Lorsque la mort devient une
chose sûre, sa venue est affrontée avec un grand calme intérieur. Généralement l’étape où l’on
revoit sa vie suit le passage de la maîtrise à la capitulation. A ce moment-là le moi se sépare de sa
représentation corporelle, un événement qui peut précipiter les expériences de décorporisation. Les
individus peuvent voir leurs corps approchant la mort, mais sans lutter contre la mort qui guette. La
mort comme réalité est niée, et le moi devient un témoin regardant la scène avec un intérêt détaché
toutefois.
Le moment où l’individu revoit sa vie prend la forme d’un courant de souvenirs qui se
suivent de façon successive et qui semblent brasser le passé tout entier de la personne. Le
déroulement de cet espèce de film de sa propre vie est parfois rétro-régressif, passant du moment
de l’accident à l’enfance, parfois progressif, répétant la suite chronologique des événements.
Souvent des émotions plaisantes accompagnent cette revue ; moins fréquemment la revue peut
engendrer un effet négatif. Parfois cette revue peut être panoramique plutôt que successive - dans
ce cas, des souvenirs importants de périodes différentes de vie apparaissent simultanément comme
faisant partie d’un seul ensemble.
Cette étape où l’on revoit sa vie peut être illustrée par un extrait de lettre écrite par
l’Amiral Beaufort, dans laquelle il décrit sa propre quasi-noyade. Lorsqu’il était jeune, sur un bateau
au Port de Porthmouth, il tomba dans l’eau. Incapable de nager, il devint vite épuisé et il coula
temporairement sous la surface avant d’être repêché. Son récit fut publié dans le livre de W.Munk
Euthanasie ou le traitement médical dans l’aide pour une mort facile (Munk 1887) :
Tout espoir s’envola, tout effort cessa, un sentiment de calme, et de la
tranquillité la plus parfaite, succéda aux sensations tumultueuses précédentes. On
pourrait appeler cela de l’apathie, certainement pas de la résignation car la
noyade n’apparaissait plus comme un mal. Je ne pensais plus à me faire repêcher,
et je n’avais aucune douleur nulle part. Au contraire, mes sensations étaient
désormais plutôt d’un genre plaisant, une espèce de sentiment sombre mais
satisfaisant comme ceux qui précèdent le sommeil lorsqu’on est très fatigué.
Même si mes sens étaient endormis, ce n’était pas le cas de mon esprit ; son
activité semblait considérablement augmentée, à un niveau quasi indescriptible,
car les pensées se succédaient à une rapidité non seulement indescriptible mais
probablement inconcevable à toute personne qui n’a pas été dans une telle
situation.
Maintenant encore, je peux retracer le cours de ces pensées dans une
large mesure - l’événement qui venait de prendre place, la maladresse qui en était
à l’origine, le sursaut d’activité qu’il avait occasionné, l’effet que cela produirait
sur un père aimant et une centaine d’autres circonstances liées à ma vie familiale
furent la première série de réflexions à arriver. Elles prirent alors un tour plus
large : notre dernière croisière, un voyage et un naufrage précédent, mon école,
les progrès que j’y avais fait et le temps que j’y avais perdu, et même toutes mes
poursuites et aventures de jeune garçon.
Voyageant ainsi dans mon passé, tous les incidents de ma vie semblaient
apparaître dans mon souvenir en une suite rétrograde ; mais pas dans leurs
grandes lignes comme je le rapporte ici, plutôt comme un tableau qui emplissait
chaque minute ; en bref, ma vie entière semblait être placée devant moi de façon
panoramique et chacune de ses actions semblait être accompagnée par une
conscience du juste ou de l’injuste, ou par des réflexions sur sa cause ou sur ses
conséquences ; en effet beaucoup d’événements insignifiants qui avaient été
oubliés depuis longtemps traversèrent alors mon imaginaire avec une familiarité
certaine.
D’après Noyes, le retour de souvenirs du passé pouvait résulter de la perte soudaine de
l’orientation du temps futur. Les personnes vieillissantes approchant de la fin de leurs vies ont
tendance à retirer leur investissement dans le futur et se tournent vers des réminiscences du passé.
De la même façon, des individus qui sont soudainement confrontés à la fin de leurs vies peuvent faire
l’expérience d’un surcroit d’investissement dans leur passé. Cette concentration étroite d’énergie
vitale sur des événements passés peut être liée à l’intensité et à la vivacité des mémoires des temps
anciens qui émergent. Noyes montra la signification existentielle de cet afflux d’images et insista sur
la perspective unique de vie que cela apporte.
Au moment de la mort, l’existence d’un individu devient un schéma achevé, et inaltérable.
A travers l’histoire, la mort a été reconnue comme étant un moment paroxystique pour cette même
raison ; elle représente la dernière opportunité pour atteindre ou défendre les buts les plus élevés.
Les individus mourants qui revoient leur vie affirment de façon passionnée la signification
transcendante de leur existence et ils l’intègrent à l’ordre universel, qu’ils embrassent. Cela peut être
vu comme une puissante affirmation des aspirations spirituelles de la personne mourante. Dans bien
des cas, les expériences visionnaires de certains sont tellement gratifiantes qu’ils désirent en fait
mourir et rester pour toujours dans les domaines transcendantaux ; de telles personnes sont
généralement hostiles ou éprouvent de la rancœur lorsqu’elles sont ramenées à la réalité
quotidienne.
Généralement l’étape de transcendance évolue naturellement à partir du moment où
l’individu revoit sa vie. Les individus qui examinent leur existence à partir des points de vue moraux
tels que le bien et le mal, la voient depuis une perspective de plus en plus distante. Ils peuvent
arriver à un moment donné à revoir leurs vies dans leur intégralité et dans les plus grands détails.
Finalement, même cette limitation est dépassée, et les individus mourants font l’expérience de ce
qui est habituellement désigné sous des termes tels que mysticisme, transcendance, conscience
religieuse ou cosmique ou ce qu’Abraham Maslow a appelé «expérience du sommet» (Maslow
1964). Parfois les individus ne revoient pas leur vie, et l’individu soudainement confronté à la mort
passe directement à l’étape de transcendance.
En 1966, Walter Pahnke a dirigé une étude de littérature comparative traitant des
expériences transcendantales des professeurs mystiques et religieux à travers les âges (Pahnke
1966). Il modifia le critère de William James et de Walter Stace (James 1929, Stace 1960) et définit
les caractéristiques suivantes comme les dénominateurs communs les plus importants d’une
« expérience de sommet »
 Un sentiment d’unité (intérieur et extérieur)
 Emotion positive intense
 Transcendance du temps et de l’espace
 Sens du sacré (mysticisme)
 Nature paradoxale
 Objectivité et réalité des impressions
 Ineffabilité
Commentaire [E63]: A completed and
inalterabe pattern ????
Commentaire [E64]: Pas pu faire la
recherche dans Nvelles perspec
 Effets secondaires positifs
Comme le montre cette liste, lors d’une expérience de sommet, nous avons le sentiment de
dépasser la fragmentation habituelle du corps et de l’esprit, et nous sentons que nous avons atteint
un sentiment d’unité et de complétude. Nous transcendons également la distinction ordinaire entre
le sujet et l’objet et nous éprouvons une union extatique avec l’humanité, la nature, le cosmos et
Dieu. Au cours de cet instant nous éprouvons une joie intense, l’état de grâce, la sérénité et la paix
intérieure. Lors d’une expérience mystique de ce type, nous avons le sentiment de quitter la réalité
ordinaire, dans laquelle l’espace a trois dimensions et où le temps est linéaire. Nous rentrons dans
un domaine métaphysique transcendantal où ces catégories ne s’appliquent plus. Dans cet état,
l’infini et l’éternité deviennent des réalités dont on peut faire l’expérience concrètement. La qualité
mystique de cet état n’a rien à voir avec les croyances religieuses que l’on pouvait avoir auparavant,
mais elle reflète plutôt une appréhension directe de la nature divine de la réalité.
Les expériences du sommet sont généralement emplies de paradoxes. L’expérience peut
être qualifiée de « vide contenant tout » ; elle n’a pas de contenu spécifique mais contient tout en
puissance. Nous pouvons éprouver que nous sommes simultanément tout et rien. Alors que notre
identité personnelle et notre égo disparaissaient, nous sentons que nous nous accroissions au point
que notre être intègre l’univers tout entier. De la même façon nous percevons toutes les formes
comme vides, ou bien que le vide est dans toutes les formes. Nous pouvons même atteindre un état
dans lequel nous voyons que le monde existe et n’existe pas en même temps.
L’expérience du sommet peut traduire ce qui semble être la sagesse ultime et la
connaissance dans des matières de pertinence cosmique, ce que les Upanishads décrivent comme
« ce par la connaissance de quoi tout dans l'Univers est». La connaissance qui résulte de cette
expérience est ineffable ; la nature et la structure de notre langage semblent inadéquats à la décrire.
Cependant l’expérience peut influencer positivement notre système de valeurs et notre stratégie
d’existence. Les situations associées à la mort clinique ont toutes les caractéristiques décrites par les
catégories mystiques de Pahnke. Ces épisodes d’états de conscience inhabituels peuvent être
accompagnés par des changements de perception, et particulièrement par une imagerie vive.
Renouveau de l’intérêt pour les expériences de mort imminente
En 1970, le livre Vivre avec la Mort et avec des Mourants d’Elisabeth Kübler-Ross et La Vie
après la Vie de Raymond A. Moody, marquèrent une nouvelle ère dans l’étude des phénomènes
associés à la mort (Kübler-Ross 1969, Moody 1975). Alors que Kübler-Ross se concentra davantage
sur le travail clinique avec les mourants, le best-seller international de Moody explora la
phénoménologie des expériences de mort imminente (les EMI). Le travail de Moody était à bien des
égards une contribution particulière à l’étude de l’expérience de la mort : son approche était à la fois
psychologique et médicale, il interrogea personnellement les survivants, et son approche était
également objective et dépourvue de tout sensationnalisme.
Moody rassembla des informations provenant de cent cinquante personnes de trois
catégories différentes. Certaines personnes avaient été ressuscitées après avoir été considérées,
jugées ou déclarées mortes par leurs docteurs. La seconde catégorie concernait les individus qui au
cours d’accidents, de blessures sévères ou de maladies avaient été confrontées de près à la mort
physique. La troisième catégorie concernait les personnes qui décrivaient leur expérience d’agonie à
d’autres personnes présentes sur leurs lits de mort.
Moody lui-même interrogea en grand détail plus de cinquante personnes dans les deux
premières catégories et trouva bon nombre de similitudes frappantes dans les rapports individuels. Il
parvint à isoler certaines caractéristiques fondamentales de l’expérience de la mort qui étaient des
constantes. Certaines avaient des points en commun avec les thèmes expérientiels décrits plus haut
dans la section des expériences périnatales et transpersonnelles. Par exemple, bon nombre de
comptes-rendus comprenaient des descriptions de passage à travers un espace sombre fermé,
auquel on se référait sous les termes de cheminée, cave, tunnel, cylindre, vallée, canal, ou égout.
Même si le processus de naissance n’était pas spécifiquement mentionné en tant que tel par Moody,
Commentaire [E65]: In a potential
form/ dans sa forme potentielle= en
puissance ?
Commentaire [E66]: Y a t’il une
Traduction officielle , j’ai mis celle que j’ai
trouvé sur le web, mais je sais pas si elle
est officielle sinon traduit à partir de
l »anglais ? le fait de savoir Cela, la
connaissance qui donne la connaissance de
tout
les allusions à celui-ci semblent évidentes. On peut voir cela dans des récits parlant de glisser la tête
la première, passer à travers un tunnel à cercles concentriques, rester dans un espace fermé,
manquer d’air et avoir des difficultés respiratoires, ou de rencontre avec des éléments scatologiques.
Les individus sur le point de mourir disaient souvent entendre des sons extraordinaires
semblables à ceux décrits dans le Livre tibétain des Morts et à ceux arrivant au cours des séances de
psychédéliques. Certains de ces sons étaient déplaisants tels que des cliquetis bruyants, des
grognements, des bourdonnements, des sifflements, ou des bruits de coups. D’autres étaient beaux
et consolateurs – des carillons célestes, ou une musique majestueuse de nature transcendantale
souvent accompagnée par des sentiments de paix et de tranquillité. Bon nombre des survivants des
EMI se plaignaient de l’ineffabilité de l’expérience et du caractère inadéquat de notre langage à
décrire sa nature extraordinaire. Certains ont décrit comment, dans un état de coma ou après leur
mort physique, ils ont entendu des affirmations et même des discussions entières de docteurs,
infirmiers ou même de parents, sur leur état. Parfois la pertinence de telles perceptions était
corroborée par des enquêtes ultérieures.
Les phénomènes de décorporisation étaient parmi les caractéristiques les plus communes
des expériences de mort imminente. Ils pouvaient prendre des formes diverses. Certains individus se
voyaient comme des nuages amorphes, de l’énergie ou de la pure conscience. D’autres sentaient
qu’ils avaient un corps, mais un corps perméable, invisible et inaudible à ceux dans le monde
matériel. D’autres décrivaient des sensations extatiques d’éternité, de légèreté de leurs corps
physiques, d’autres étaient totalement indifférents. Certaines perceptions faisaient totalement
défaut : les odeurs, la température, et les sensations physiques. En revanche, la vue et l’ouïe s’en
trouvaient augmentées à un niveau qui ne connaissait pratiquement pas de limites.
Beaucoup d’individus mourants mentionnés par l’étude de Moody ont rapporté des
rencontres avec d’autres êtres tels que des parents décédés ou des amis, des « esprits gardiens » ou
des guides spirituels. Des visions « d’êtres de lumière » étaient particulièrement communes - une
apparition de lumière radiante, brillante, non terrestre, exprimant des caractéristiques propres l’amour, la chaleur, la compassion, et un sens de l’humour. La communication avec cet être divin
advenait sans mots, par un transfert de pensées. Dans le contexte de cette rencontre ou en dehors
d’elle, l’individu agonisant revoyait souvent partiellement ou totalement sa vie, en couleurs vives et
dans une forme dynamique à trois dimensions. Le message de cette expérience semblait être la
compréhension que les valeurs les plus importantes dans la vie d’un être humain étaient d’apprendre
à aimer d’autres personnes et d’acquérir une connaissance supérieure.
Certains comptes-rendus parlaient d’atteindre une frontière absolue ou une limite, où les
décisions devaient être prises concernant le fait de revenir ou de continuer le voyage dans l’Au-delà.
Dans certains cas, cette frontière avait une forme purement abstraite ; dans d’autres, elle était
représentée par une frontière ou un obstacle symbolique – un portail ou une porte, de l’eau, un
brouillard gris, une haie, ou une ligne. L’attitude des individus vis-à-vis du retour semblaient changer
pendant le processus de mort. Les premières minutes après la mort étaient souvent caractérisées par
un désir désespéré de revenir dans le corps, ainsi que par des regrets concernant sa mort. Cette
attitude devenait ensuite une réticence à revenir après qu’une certaine profondeur ait été atteinte,
et spécialement après la rencontre avec l’être de lumière. Certains individus attribuaient leur retour
à une décision personnelle de leur part, alors que d’autres sentaient qu’ils étaient renvoyés par l’être
de lumière ou qu’ils étaient ramenés soit par l’amour soit par les besoins et les prières des autres,
sans prendre en compte leurs propres souhaits. Parfois les survivants ne se souvenaient pas de
comment ni de pourquoi ils étaient revenus.
Moody se concentra particulièrement sur les problèmes que les personnes avaient
lorsqu’elles essayaient de communiquer leurs expériences aux autres. Souvent, elles trouvaient cela
extrêmement difficile de décrire de façon fidèle un événement aussi significatif. Moody suggéra que
la raison pour laquelle on savait tellement peu de chose de ces événements relativement fréquents
était précisément parce qu’ils étaient extrêmement difficiles à décrire. Ce qui compliquait davantage
les choses était que les personnes qui écoutaient ces comptes-rendus étaient incapables de les
comprendre et que ceux qui les relataient étaient parfois gênés par une attitude condescendante ou
moqueuse. Un seul médecin dans l’équipe de Moody avait une quelconque familiarité avec les
expériences de mort imminente.
Les conséquences des expériences des survivants et de ceux ayant été confrontés à la mort
clinique furent de nouvelles conceptions de la mort et des attitudes différentes envers elle.
Beaucoup d’entre eux perdirent leur peur de la mort et ils développèrent même des sentiments
positifs à son égard, mais cela ne signifiait toutefois pas qu’ils allaient jusqu’à la désirer ou qu’ils
avaient des tendances suicidaires. Les doutes des survivants sur la possibilité d’une existence après la
mort étaient dissipés, et la continuité de la conscience après le moment de la mort physique fut pour
eux un fait prouvé par l’expérience.
L’un des aspects les plus importants de l’étude de Moody concernait la manière dont la vie
des personnes était transformée par leurs expériences de mort imminente. La plupart d’entre elles
sentaient que leurs vies changèrent de façon significative et devenaient plus profondes. Elles
développèrent un intérêt sérieux envers les questions philosophiques et spirituelles essentielles, et
se mirent à avoir des valeurs différentes dans la vie. L’existence leur apparut soudain précieuse, et ils
mettaient davantage l’accent sur l’appréciation du moment présent – sur l’ici et maintenant - plutôt
que sur le fait de ruminer le passé ou rêver leur futur. Leur perception de l’importance relative du
corps physique et de la conscience changea radicalement. Quelques survivants développèrent même
des dons de voyance.
Ces conclusions sont en accord avec celles de W. Pahnke concernant les conséquences des
expériences mystiques qui surgissent de façon spontanée ou lors de pratiques religieuses, sans
qu’elles soient associées à une situation menaçante pour la vie (Pahnke 1963). L’une des catégories
de Pahnke décrivant la conscience mystique inclut des changements positifs à long terme dans les
sentiments, et le comportement en fonction de l’expérience. Ces changements apparaissent
identiques à ceux décrits par Moody. Russel Noyes rapporte des conclusions semblables issues de
son analyse de plusieurs expériences de mort imminente et de mort clinique (Noyes 1972). Les
changements temporaires ou à long terme de ce type sont communs parmi les personnes qui ont
vécu une expérience intime avec la mort, que cela arrive dans la vie réelle - dans un accident, une
tentative de suicide, une maladie grave, ou une opération - ou dans une forme symbolique. Par
exemple une expérience mystique spontanée bien intégrée, une séance psychédélique, la
participation à un puissant rite de passage, ou une émergence spirituelle, peuvent provoquer des
aspects positifs semblables.
Malgré les nombreuses similitudes entre les conclusions de Moody et les observations que
nous avons faites lors de notre travail avec des patients en phase terminale, il est certaines
différences fondamentales qui méritent une attention spéciale. Moody mit l’accent sur le manque
d’éléments mythologiques dans les expériences de mort imminente qu’il avait observées, mais aussi
sur les nouveaux concepts de mort qui en résultaient. Il écarta ce qu’il appelait « les portes perlées
du ciel, les rues dorées et les anges ailés jouant de la harpe au Paradis d’une part , et l’Enfer de
flammes et de démons avec des fourches que l’on trouve dans les dessins animés d’autre part ». Il
mit également en avant l’idée que les EMI étaient toujours de nature positive (Moody 1975).
Lorsque le livre de Moody La Vie Après la Vie fut publié, mon livre La Rencontre de l’homme
avec la mort écrit en collaboration avec Joan Halifax (Grof et Halifax 1977) était en cours
d’impression. Moody et moi-même fûmes donc en mesure de comparer les résultats respectifs de
nos recherches, et je lui ai fait remarquer en quoi nos observations différaient. Dans notre étude à
l’hôpital de recherche psychiatrique du Maryland, décrite dans les chapitres 13 et 14, des images
archétypales spécifiques d’êtres divins et de présences démoniaques apparaissait aussi fréquemment
que le Divin dépourvu de forme. Nous avons également observé des EMI effrayantes et d’autres qui
étaient absolument infernales. L’expérience de Curt Jurgens, décrite plus haut, illustre un épisode de
ce type. Dans le livre qui faisait suite à La Vie après la Vie, Moody rapporta que plus récemment il
avait rencontré des EMI avec des éléments tels que le royaume des fantômes confus et des « villes
de lumière » (Moody 1977). Quelques années après, il devint clair que des EMI effrayantes sont assez
communes et qu’elles ont attiré depuis un intérêt théorique considérable (Greyson et Bush 1992,
Bache 1996).
Le livre de Raymond Moody La Vie après la Vie a réveillé à un grand intérêt dans les
expériences de mort imminente aussi bien chez le grand public que dans les cercles professionnels. Il
a inspiré une génération entière d’enquêteurs – Kenneth Ring, Michael Sabom, Bruce Greyson,
Phyllis Atwater, Barbara Harris Whitfield, et bien d’autres encore - à explorer ce phénomène
fascinant. Ces chercheurs ont montré que les EMI arrivent environ à un tiers des personnes qui
rencontrent des formes de vie variées : des situations menaçantes telles que des maladies graves,
des accidents de voiture, des quasi-noyades, des crises cardiaques, ou les arrêts cardiaques pendant
les opérations chirurgicales. Dans certains cas, des effets semblables peuvent être provoqués par un
grand sentiment de mort imminente ou même par le fait de s’attendre à mourir.
Les EMI ont également été provoquées de manière expérimentale. James Whinnery, un
professeur de pharmaceutique à l’Université A & M du West Texas, a exposé des sujets cobayes tels
que des pilotes de guerre et des étudiants de cours médicaux d’aviation, à des forces de gravitation
intenses dans un centrifugeur géant, dans le but de simuler les conditions extrêmes d’une manœuvre
de combat aérien. Whinnery a recueilli les informations obtenues à partir de quinze ans de
recherche d’accélération et de recherche sur la perte de conscience causée par l’augmentation de la
gravitation (G-LOC) ayant eu lieu dans les avions de combat d’une part et dans les expériences de
simulation d’autre part. Whinnery a montré que sous l’influence de forces de gravitation extrêmes,
les pilotes de guerre et les sujets cobayes perdent conscience et ont une expérience de mort
imminente (Whinnery 1997).
Caractéristiques de base des expériences de mort imminente
Les EMI peuvent arriver quel que soit le sexe et l’âge (y compris chez les enfants). Ces
événements semblent arriver à la même fréquence sans distinction de groupe socio-économique
d’éducation, de croyance religieuse, et de vécu. Le phénomène des EMI présente des variations
significatives, et il n’y a pas deux expériences identiques. Cependant, les thanatologues sont
parvenus à définir et à décrire certains traits qui sont généralement présents dans plusieurs
combinaisons, y compris les expériences de décorporisation, les moments où les personnes passent
sous des tunnels pour rejoindre la lumière, ceux où elles revoient des scènes de leur vie, en
éprouvant soit des sentiments extatiques, soit de façon moins fréquente, des sensations pénibles.
Certaines expériences de mort imminente possèdent tous ces éléments à la fois, mais dans la plupart
des cas, certains font défaut.
L’aspect le plus extraordinaire des EMI est l’occurrence d’expériences de décorporisation
« véridiques » (ED), terme utilisé lorsque la conscience sortie du corps est capable d’avoir une
perception précise de son entourage. Les études thanatologiques ont reconfirmé que les personnes
qui apparaissent inconscientes à des observateurs extérieurs, y compris ceux qui sont morts
cliniquement, ont des ED pendant lesquelles leur conscience continue à percevoir l’environnement.
Dans ces situations, les personnes sont capables d’observer leurs corps et les processus destinés à
leur sauver la vie depuis l’Au-delà, et voyager librement dans les autres pièces du même bâtiment ou
à d’autres endroits. La recherche indépendante a confirmé la pertinence des observations faites par
la conscience hors du corps (Ring et Valarino 1998, Sabom 1982 et 1998).
De telles expériences ressemblent étrangement à celles du Bardo du corps que l’on trouve
dans le Livre tibétain des Morts. D’après le Bardo Thödol, après s’être évanoui de peur dans le
Chönyid Bardo, la personne agonisante se réveille dans le Sidpa Bardo en ayant pris une forme
nouvelle – le corps bardo. Le corps bardo diffère du corps de la vie de tous les jours : il n’est pas
composé de matière et il a de nombreuses qualités remarquables, telles que le pouvoir du
mouvement absolu, et la capacité de pénétrer les objets solides. Ceux qui existent dans la forme du
corps bardo, peuvent voyager instantanément à n’importe quel endroit de la planète et même à la
montagne sacrée cosmique, le Mont Mérou. Il n’y a que deux endroits qui ne sont pas accessibles à
cette forme : le ventre de la mère et Bodh Gaya, ce sont là de claires références au fait de quitter
l’état bardo au moment de la conception ou de l’illumination (Evans-Wentz 1957).
Commentaire [E67]: J’ai traduit ce
qu’il disait mais je trouve ça pas top, peut
être y a t’il un de ces termes officiels
inventés exprès
Commentaire [E68]: Peut être qu’il y a
encore u terme spécifique : accelerationreseach
Une étude étendue dirigée par Ken Ring et ses collègues a ajouté une dimension fascinante
à ces observations : les personnes qui sont aveugles de naissance pour des raisons biologiques, et qui
n’ont jamais été capables de voir quoi que ce soit dans leurs vies, peuvent voir l’environnement
lorsque leur conscience est décorporée au cours d’émergences de la sorte. La véracité de bon
nombre de visions a été confirmée par la validation consensuelle (Ring et Valarino 1998, Ring et
Cooper 1999). De nombreux aspects de l’environnement sont perçus de manière précise par la
conscience décorporée des sujets aveugles : cela va des détails concernant la manière dont les
lampes électriques sont fixées au plafond de la salle d’opération, à l’entourage de l’hôpital observé
d’en haut. La recherche thanatologique moderne a ainsi confirmé un aspect important des
descriptions classiques d’ED qui peut être trouvé dans la littérature spirituelle et les textes
philosophiques de tous âges.
L’occurrence d’ED véridiques n’est pas limitée aux expériences de mort imminente, aux
moments où la vie est menacée, et à la mort clinique. De telles expériences peuvent survenir au
cours des séances de psychothérapie expérientielle puissante (telle que la thérapie primale, le
rebirthing,56 ou la respiration holotropique), dans le cadre d’expériences provoquées par les
psychédéliques, particulièrement l’anesthésique dissociatif Ketalar (kétamine). Elles surviennent
également de manière spontanée - soit comme épisodes isolés dans la vie de l’individu, ou de façon
répétée comme une crise d’ouverture médiumnique ou tout autre type d’émergence spirituelle.
Robert Monroe, le principal chercheur en ED a vécu lui-même des expériences spontanées
de voyage hors du corps pendant de nombreuses années (Monroe 1971, 1985,1994). Il a notamment
mis au point des techniques de laboratoire électroniques destinées à provoquer des ED et a fondé
un institut spécial à Faber, Virginie, destiné à les étudier de façon systématique. D’autres études
cliniques contrôlées ont également démontré l’authenticité des ED, y compris des expériences par le
psychologue et parapsychologue Charles Tart avec Ms. Z. à l’Université de Californie à Davis (Tart
1968) et des tests de perception dirigés par Karlis Osis et D. McCormick avec Alex Tanous (Osis et
McCornick 1980).
Le fait de revoir sa vie, autre aspect important des EMI, peut consister en plusieurs choses :
soit simplement revoir son existence, soit revivre sa vie dans son entièreté ou comme une mosaïque
d’événements séparés. Cette vision a lieu en vitesse accélérée et peut être terminée en l’espace de
quelques secondes. Quelques uns des sujets de David Rosen ont revu leur vie dans son intégralité, ou
comme une mosaïque d’événements séparés, en l’espace des trois secondes que cela prend de
tomber du Golden Gate Bridge à la surface de l’eau. Le sens de la suite des événements varie. Dans
certains cas, cela commence par la naissance, puis la vie elle même, et cela se termine par la
situation qui met la vie en danger. Dans d’autres cas, cela va à reculons, partant du moment où la vie
est menacée jusqu’à l’adolescence, l’enfance, la petite enfance et la naissance. (Selon certaines
sources, les individus dont la vie se déroule en sens inverse, en s’éloignant toujours davantage de
l’accident, ne souffrent que de légères blessures). Cependant, une autre possibilité est une « vue
panoramique de la vie », dans laquelle la vie de quelqu’un apparaît dans son entièreté sans
temporalité linéaire.
Un trait caractéristique des EMI est le sentiment de passer à travers un grand tunnel
obscur ou un canal, et d’avancer vers une source de lumière brillante blanche ou dorée et de qualité
56
Le rebirth ou rebirthing (re-naissance) est une méthode qui s'est développée dans les années 1960 aux EtatsUnis dans la mouvance New Age (Nouvel âge) notamment à Esalen, l’institut où travaille l’auteur de ce livre.
Elle se fonde sur l'utilisation d'une respiration volontaire amplifiée qui modifie fortement le contact du sujet
avec son corps et ses émotions, en amplifiant les perceptions. Son objectif annoncé est de favoriser une
libération dans le présent par un revécu subjectif du passé, des expériences traumatiques anciennes,
fondatrices pour l'identité, notamment de celles liées à la naissance . Ses inventeurs sont Leonard Orr et Sondra
Ray ; ils s’inspirent des techniques respiratoires de l Inde et du Tao. (NdT)
Commentaire [E69]: J’imagine que
c’est pareil que dans spiritual emergencies
mystique. Beaucoup de survivants d’EMI, mais aussi les thanatologues étudiant ces expériences, ont
signalé que le passage à travers la lumière du tunnel semble être lié de près à des expériences
similaires d’états holotropiques ayant lieu au niveau périnatal. Cette expérience peut ainsi
représenter un visionnage en accéléré du processus de naissance comme faisant partie du film revu.
Dans ce contexte l’expérience du voyage à travers un tunnel reflète un schéma archétypal qui
caractérise la transition de la vie prénatale à une vie postnatale, tout comme le passage de
l’existence incarnée à l’existence désincarnée.
Ainsi, les vicissitudes de la lutte dans le canal de naissance pendant l’accouchement
biologique pourraient être ce qui nous sépare et nous aliène de la connexion aux dimensions
mystiques de la réalité, et de notre identité véritable qui est divine. Pour reprendre les termes d’Alan
Watts, la souffrance émotionnelle et physique impliquée dans ce processus serait à l’origine du tabou
concernant le fait de « savoir qui nous sommes » et nous forcerait à nous identifier avec « l’égo
recouvert de peau protectrice » (Watts 1961). Un passage à travers le tunnel dans la direction
opposée nous reconnecterait alors avec les dimensions mystiques de la réalité et à notre identité
transpersonnelle. C’est ce qui arrive dans l’expérience psychospirituelle de la mort et de la
renaissance, dans les situations de mort imminente, et au moment de la mort biologique. Dans les
tableaux de personnes qui traversent une thérapie régressive profonde, ce schéma expérimental est
généralement dépeint comme un sablier ou une spirale, en fonction du point de vue.
La radiance divine que nous rencontrons lorsque nous sortons du tunnel a des
caractéristiques personnelles définies et possède même un certain sens de l’humour. Elle peut
communiquer de manière télépathique, c’est-à-dire poser des questions et donner des réponses sans
utiliser de mots. De la même façon, elle peut recevoir des questions et des réponses de la part
d’êtres-humains. Les personnes qui ont fait l’expérience de cette entité lumineuse la décrivent
comme « Etre de Lumière », « Etre Suprême » ou Dieu. Cette rencontre est souvent combinée avec
l’évaluation et le réexamen moral de sa vie au cours duquel la personne a l’impression d’être jugée
ou de se juger dans le cadre d’un ordre cosmique supérieur. Dans cette évaluation éthique, l’accent
est mis sur la capacité à aimer et à aider les autres. Cette observation représente la validation
empirique d’un autre thème récurrent trouvé dans les mythologies eschatologiques de plusieurs
religions : elle renvoie à la scène du jugement divin que l’âme du défunt rencontre lors de son voyage
posthume.
La plupart des EMI sont également accompagnées par des sentiments positifs profonds qui
peuvent atteindre le niveau du ravissement extatique ou de « la paix qui dépasse tout
entendement ». De tels sentiments peuvent être associés à des visions de domaines célestes, des
gardiens paradisiaques de belles scènes naturelles, des chants exquis d’oiseaux, et de musique
céleste. Cependant, contrairement aux résultats des recherches originelles de Moody, toutes les EMI
ne sont pas agréables et réconfortantes. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les textes
thanatologique contiennent beaucoup de références à des EMI effrayantes douloureuses, pénibles et
même infernales (Grey 1985, Irwin et Bramwell 1988, Greyson et Bush 1992, Ring 1994, Bache 1996).
D’après Greyson et Bush, les EMI pénibles rentrent dans trois catégories. La première et la
plus commune d’entre elles a les mêmes traits caractéristiques que la version agréable - une
expérience de décorporisation, et un mouvement rapide à travers un tunnel ou un vide, vers la
lumière - mais l’individu se sent envahi et hors de lui et il éprouve une profonde frayeur. Le second
type d’EMI pénibles, moins commun, est caractérisé par une conscience précise de non-existence ou
d’être totalement seul, perdu à jamais dans un vide dépourvu de tout sens. Dans ce genre
d’expériences, il arrive que les personnes reçoivent le message que dans le monde matériel, rien y
compris eux mêmes n’a jamais existé. Le troisième type d’EMI et le plus effrayant concerne
l’imagerie de l’enfer telle que des paysages laids et menaçants, des êtres démoniaques des bruits
tonitruants et dérangeants, des animaux effrayants et d’autres êtres variés extrêmement pénibles
(Greyson et Bush 1992). Barbara Rommer a ajouté une quatrième catégorie : une EMI avec un
visionnage négatif de la vie de l’individu et une expérience de jugement par un pouvoir supérieur qui
n’est pas aimant et consolateur, mais qui au contraire provoque la culpabilité et qui détruit
émotionnellement les personnes qu’il juge (Rommer 2000).
Bon nombre de survivants rapportent qu’ils ont reçu des enseignements et de la sagesse les
ayant éclairés au sujet de l’existence, du schéma universel des choses ou du sens de la vie - le type
d’expérience que les Upanishads appellent « connaissance de Cela, ce par la connaissance de quoi
tout dans l'Univers est connu ». Moins fréquemment l’information peut être de nature concrète et
spécifique telle que le dévoilement de secrets de famille concernant l’adoption, le parentage, ou des
frères décédés, des traits spécifiques des ancêtres et bien d’autres. Dans certains cas, les EMI
contiennent des visions montrant le cours autodestructeur que l’humanité poursuit et des images
alarmantes du futur qui nous attend si nous ne changeons pas. Dans certains cas plus rares, les EMI
peuvent prédire des événements futurs. L’exemple le mieux connu d’une telle occurrence est de cas
de Dannion Brinckley :
En septembre 1975, Dannion Brinkley parlait au téléphone pendant un
orage. Un éclair frappa la ligne téléphonique, et l’électrocuta ; son cœur s’arrêta
et il mourut. Lorsqu’il revint à la vie il se trouvait à la morgue vingt-huit minutes
plus tard ; Brinkley eut une histoire incroyable à raconter à propos de l’EMI qu’il
avait eue au moment où il était cliniquement mort. Il décrivit un passage à travers
un tunnel obscur et son séjour dans une ville de cristal ainsi qu’une « cathédrale
de connaissance ». Là, treize anges partagèrent avec lui cent dix-sept révélations à
propos de plusieurs événements futurs qui se sont déjà réalisés. Parmi eux il y
avait la prédiction du désastre de Tchernobyl, la guerre au Moyen-Orient, et la
présidence d’ « un acteur dont les initiales seraient R. R57 et qui projetterait une
image de cow-boy au reste du monde ».
Beaucoup de comptes-rendus d’EMI évoquent ce qui apparaît comme étant un « point de
non-retour ». Ce seuil peut prendre une forme concrète – une haie, un corps d’eau, une falaise ou un
autre type de barrière – ou impliquer simplement un sens profond de l’invisible mais avec une
obstruction cependant indéniable. L’atteinte de cette limite est associée à une intuition profonde :
continuer au-delà de cette limite signifierait la mort physique et rendrait le retour dans le cops
impossible. La décision de ne pas demeurer et de retourner au corps reflète le sentiment
d’inachèvement de l’individu ou une mission restant à accomplir dans la vie terrestre. Cela peut
également être profondément influencé par des réactions émotionnelles des enfants survivants, du
compagnon ou de la compagne, des parents ou d’autres membres de la famille qui sont attachés à la
personne et qui sont incapables de le lâcher. Cette pression émotionnelle a son équivalent inverse :
parfois un « comité de bienvenue », constitué des apparitions de parents morts et d’amis souhaite la
bienvenue à l’individu en crise et qui l’invitent à se joindre à eux dans l’Au-delà.
Plusieurs chercheurs ont décrit les effets secondaires des EMI (Ring 1984, Atwater 1988,
Sutherland 1992) qui comprennent un regain d’enthousiasme envers la vie, une tendance à vivre plus
pleinement dans le présent, et moins de temps passé à ruminer le passé ou à fantasmer sur le futur.
De tels changements sont à l’origine d’ une attitude de tolérance moindre envers les horloges, les
emplois du temps, la pression liée au temps, et la rapidité de la vie moderne. Les personnes
montrent bien moins d’intérêt envers les possessions matérielles et les buts concrets, et ils se
concentrent plutôt sur l’apprentissage ou les services aux autres. La consommation de cigarettes,
d’alcool et de drogues tend à décliner considérablement. Ce qui est particulièrement surprenant est
l’observation que les survivants d’EMI sont fréquemment incapables de porter des montres et qu’ils
ont des problèmes avec la conduction électrique. Il s’ensuit des phénomènes tels que le blocage des
ordinateurs, et la démagnétisation de cartes de crédit.
Une plus grande capacité à aimer les autres, les animaux, la nature, et la vie en général est
une des conséquences les plus communes des EMI. Ces expériences tendent à engendrer une
spiritualité indépendante non-sectaire, universelle et englobant la nature tout entière, une
57
Ronald Reagan était acteur et président des Etats-Unis dans les années 1981-89. (NdT)
Commentaire [E70]: Idem Upanishad
translation trouvée sur web pour
connaissance de Brahman
spiritualité qui ressemble à celle des mystiques et qui n’a que très peu de rapport avec l’affiliation à
une église et avec les religions organisées. Certains des aspects essentiels de cette nouvelle
orientation spirituelle sont l’absence de peur de la mort, la confiance en la vie après la mort, et la
croyance en la réincarnation. Le sens de l’identité personnelle tend à passer de la persona et du
corps/ego à un être immortel, une conscience ou une âme. Ce passage est souvent accompagné par
un sentiment de citoyenneté planétaire, et une puissante envie de participer à des activités vues
comme bénéfiques pour le futur de l’humanité. L’augmentation de l’intuition et de la sensibilité sont
d’autres effets secondaires des EMI.
Les expériences de mort imminente et la nature de la conscience
Les tentatives pour apporter une explication biologique aux EMI se sont avérées
infructueuses et peu convaincantes. Selon certains, les EMI seraient causées par des drogues
administrées aux patients au moment de la crise, telles que des anesthésiques et de la morphine.
Cependant, les EMI peuvent avoir lieu dans des situations où aucune de ces drogues-là n’est
administrée : il peut s’agit des cas où la mort est attendue mais où il n’y a aucune d’urgence
physiologique d’aucune sorte. A l’exception de l’anesthésique dissociatif kétamine, les effets de ces
drogues diffèrent en outre complètement du phénomène des EMI. La même chose est vraie pour les
endomorphines et les substances semblables à la morphine produites par le corps, substances qui,
selon certains auteurs, seraient la cause des EMI. D’autres ont attribué cette expérience à l’anoxie58 ;
cette explication est également peu plausible pour les mêmes raisons que celles des théories
pharmacologiques. Toutes les EMI ne sont pas associées à l’anoxie. Par ailleurs le manque d’oxygène
cause une confusion et un mélange des fonctions cognitives, c’est à dire l’antithèse de la clarté et de
l’expansion de la conscience qui caractérise les EMI.
Peter Fenwick, le célèbre neuropsychiatre britannique, a résumé ses doutes quant au fait
que les EMI puissent être exprimées par les changements physiologiques et chimiques dans le
cerveau de la façon suivante :
Commentaire [E71]: P 172 bas de
page. Bref quelqu’un qui meurt de
vieillesse ?
Je suis absolument certain que de telles expériences n’ont pas pour origine
le manque d’oxygène ou d’endorphines, ou d’autres choses de cet ordre. Et aucune
de ces choses ne pourrait rendre compte du caractère transcendantal de bon
nombre de ces expériences, et du fait que les personnes éprouvent un sentiment
infini de perte lorsqu’ils les laissent derrière eux. Il ne fait pas de doute que les
désorientations des fonctions du cerveau ont pour conséquence une perturbation de
la perception et une réduction de la mémoire. Il est peu probable que vous ayez des
expériences hautement structurées et que vous puissiez vous en souvenir clairement
si votre esprit est abîmé ou perturbé. (Fenwick et Fenwick 1995)
Michael Sabom, un cardiologue connu dans les cercles thanatologiques pour son livre
Recollections of Death (Souvenirs de la mort, Sabom 1982) démontre de la manière la plus
convaincante que les EMI ne résultent pas de dysfonctionnements des fonctions du cerveau. Dans
son livre le plus récent, Light and Death : One Doctor’s Fascinating Accounts of Near-Death
Experiences (Lumière et mort : comptes-rendus fascinants d’un docteur sur des expériences de mort
imminente Sabom 1998), il rapporte le cas extraordinaire de Pam Reynolds. Pam vécut une opération
chirurgicale en raison d’un aneurisme géant de l’artère basilaire à la base de son cerveau. La taille et
le lieu de son aneurisme exigeaient un processus ardu, appelé arrêt hypothermique cardiaque.
Lorsque la température du corps de Pam fut descendue à quinze degrés, le battement de
son cœur et sa respiration s’arrêtèrent. Son cerveau était mort, d’après les trois critères qui
déterminent la mort du cerveau : son encéphalogramme était plat, la réponse de son cerveau à des
58
Anoxie : diminution de l’oxygène utilisé par les tissus de l’organisme. (NdT)
Commentaire [E72]: ?? passage ardu
potentiels acoustiques était nulle, et il n’y avait pas de circulation sanguine dans son cerveau.
Cependant, il est intéressant de noter que lorsqu’elle était dans cet état, elle vécut l’EMI la plus
profonde parmi les cinquante personnes participant à l’étude de Michael Sabom, à Atlanta. Ses
observations à l’état de décorporisation s’avérèrent très précises. Son cas est considéré d’être l’un
des exemples les plus puissants d’EMI, en raison de sa capacité unique à décrire des instruments
chirurgicaux et les procédés utilisés par l’équipe médicale lorsqu’elle était en état de mort clinique et
lorsque son cerveau était mort.
Les théories psychologiques existantes sur EMI sont aussi peu convaincantes que les
théories biologiques. Celles qui expliquent que les EMI sont des actes imaginaires agréables
protégeant un individu de la souffrance et de la menace de destruction (Pfister 1930, Hunter 1967,
Noyes et Kletti 1972) ne peuvent pas expliquer l’occurrence d‘EMI déplaisantes et effrayantes. Quant
à l’idée qu’elles reflèteraient l’éducation religieuse et les conditionnements culturels d’un individu,
elle est tout aussi insatisfaisante, car il n’y a absolument aucune corrélation entre les croyances
religieuses et les EMI (Grosso 1981, Sabom 1982, Ring 1984). Et le phénomène d’expériences de
décorporisation représente un défi formidable et un coup mortel envers les théories biologiques et
psychologies actuelles.
Les références évoquant la similitude entre les EMI et les expériences psychédéliques, plus
particulièrement celles qui ont leur origine au niveau périnatal, sont très pertinentes et
intéressantes. Dans notre programme de thérapie psychédélique avec les patients en phase
terminale du cancer, menée au Centre de recherche psychiatrique du Maryland à Baltimore, nous
avons observé plusieurs patients qui avaient d’abord eu des expériences psychédéliques et ensuite
des EMI une fois que leur maladie empira (par exemple un arrêt cardiaque au cours d’une opération).
Ces patients rapportèrent que les deux situations étaient très similaires et ils décrivirent les sessions
psychédéliques comme un entraînement précieux à la mort (voir à ce propos l’histoire de Ted au
chapitre 14).
Cependant, la similitude entre ces deux catégories d’expériences appuie difficilement une
simple explication chimique aux EMI. Les états psychédéliques sont eux-mêmes extrêmement
complexes et ils présentent des défis théoriques formidables. Les expériences de décorporisation qui
confirment l’existence d’une perception extrasensorielle de l’environnement, sapent l’affirmation de
base de la science matérialiste moniste qui voit la conscience comme un épiphénomène, une
fonction qui émerge de façon mystérieuse de la complexité des processus neurophysiologiques du
cerveau. Les expériences de décorporisation rendent absolument évident le fait que la conscience est
capable de faire des choses que le cerveau ne peut absolument pas faire. Ces observations indiquent
que la conscience est l’égal du cerveau, si le cerveau ne lui est pas subordonné.
Les expériences de décorporisation dans les situations de mort imminente sont
particulièrement pertinentes pour le problème de la survie de la conscience après la mort, étant
donné qu’elles démontrent que la conscience peut opérer indépendamment du corps. Si la
conscience n’était que le produit de processus neurophysiologiques du cerveau, elle ne pourrait pas
se détacher du corps ni du cerveau, devenir autonome, et percevoir l’environnement
indépendamment des sens. Cependant, c’est précisément ce qui arrive dans de nombreux cas bien
documentés d’expériences de décorporisation. Naturellement, les gens qui ont des expériences de
décorporisation dans les situations de mort imminente, et qui sont revenus faire leurs comptesrendus, ont pu approcher la mort de très près. Mais pour une raison ignorée, ils n’ont pas dépassé le
point de non-retour. Cependant, si la conscience peut fonctionner indépendamment du corps au
cours d’une vie, il est probable qu’elle puisse faire de même après la mort.
Chapitre 10
LE MYSTERE DU KARMA ET DE LA REINCARNATION
« Il n’est pas plus surprenant d’être né deux fois que de n’être né qu’une seule fois »
Commentaire [E73]: Pas trouvé
Voltaire, philosophe et écrivain français
Les expériences mettant en scène des périodes historiques et des pays différents comptent
parmi les phénomènes transpersonnels les plus intéressants et les plus controversés. Ces scènes
associées à un profond sentiment de déjà vu et déjà vécu nous procurent la sensation d’un souvenir
personnel et l’impression qu’on a déjà vu ou déjà vécu ces mêmes événements au cours d’une autre
vie. Les personnes qui vivent de telles expériences se réfèrent souvent à elles comme à des
mémoires d’incarnations passées et y voient une preuve - ou du moins une indication - d’une vie
antérieure. Les mémoires de vies antérieures sont de façon évidente pertinentes concernant la
question de la survie de la conscience après la mort. Elles nous donnent aussi un aperçu fascinant de
la croyance dans le karma et la réincarnation, croyance développée et maintenue indépendamment
par de nombreuses religions et groupes culturels dans le monde.
Le concept de karma et de réincarnation représente la pierre angulaire de l’Hindouisme, du
Bouddhisme, du Jaïnisme, du Sikhisme, du Zoroastrisme, du Bouddhisme tibétain Vajrayana, et du
Taoïsme. On trouve des idées semblables dans des groupes aussi divers que les tribus d’Afrique, les
Indiens d’Amérique, les cultures précolombiennes, les Kahunas Hawaïens, les pratiquants de
l’Umbanda Brésilien, les Gaulois et les Druides. Dans la Grèce antique, plusieurs grandes écoles de
pensée ont souscrit à ce concept : les pythagoriciens, les orphiques et les platoniciens. Les Essenes,
les Pharisiens, les Karaïtes, et d’autres groupes Juifs et demi-Juifs ont également adopté ces concept
du karma et de la réincarnation qui faisaient également partie intégrante de la théologie
kabbalistique du judaïsme médiéval. D’autres groupes, tels que les néo-platoniciens et les
gnostiques, adhéraient à cette croyance.
Des concepts semblables à la réincarnation et au karma existaient aussi chez les premiers
Chrétiens. D’après Saint-Jérôme (340-420), la réincarnation était interprétée de manière ésotérique,
et comme telle, elle n’était communiquée qu’à une élite choisie. Origen (186-253) l’un des plus
grands pères fondateurs de l’Eglise de tous les temps, fut le penseur Chrétien le plus célèbre à
spéculer sur la préexistence des âmes et des cycles du monde. Dans ses écrits, plus particulièrement
dans son livre De Principiis ( Des principes premiers , Origenes Adamantius 1973), Origen affirmait
que certains passages des Ecrits, ne pouvaient être expliqués que par la réincarnation. Ses
enseignements rassemblés par l’Empereur Justinien en 553, furent condamnés par le Second Concile
de Constantinople et décrétés comme doctrine hérétique. Le Concile de Constantinople déclara
alors : « Si jamais quelqu’un affirme la préexistence des âmes et se soumet à la doctrine
monstrueuse qui en découle, cette personne sera anathème ! » Cependant, quelques universitaires
affirment détecter des traces de ses enseignements dans les écrits de Saint-Augustin, Saint-Grégoire
et même de Saint-François d’Assise.
Sholem Asch, universitaire hassidique du XXème siècle, décrit le problème des vies
antérieures dans un langage métaphorique :
« Ce n’est pas la capacité à se souvenir, mais son exact opposé, la
capacité à oublier qui est la condition nécessaire à notre existence. Si la sagesse
de la transmigration des âmes est une vraie, alors ces âmes au moment où elles
changent de corps doivent passer par la mer de l’oubli. Selon la tradition juive,
nous faisons notre transition sous la protection de l’Ange de l’Oubli. Mais il arrive
parfois que l’Ange de l’Oubli lui-même oublie de retirer de nos mémoires les
enregistrements du monde précédent, alors nos sens sont hantés par des
Commentaire [E74]: Scriptural
passages
Commentaire [E75]: Le texte dit
power… p176
souvenirs fragmentaires d’une autre vie. Ils se déplacent comme des nuages
déchirés au-dessus des collines et des vallées de l’esprit, et se tissent dans les
incidents de notre existence actuelle. » (Asch 1967)
Nous avons certainement besoin de plus qu’une référence poétique à la mythologie
ancienne pour valider le concept de réincarnation. Une étude attentive des preuves assemblées est
absolument nécessaire pour tirer des conclusions valides. Pour les Hindous, les Bouddhistes ainsi que
pour bien d’autres groupes religieux et culturels, tout comme pour les chercheurs de la conscience,
la réincarnation n’est pas une question de croyance, mais un problème empirique, fondé sur des
observations et des expériences spécifiques. D’après Christopher Bache, les preuves dans ce
domaine sont tellement riches et extraordinaires que les scientifiques qui ne pensent pas que le
problème de la réincarnation mérite qu’on s’y attarde sérieusement, sont « soit mal informés, soit
des têtes dures » (Bache 1991b). Colin Wilson, auteur de nombreux livres sur la psychologie, la
philosophie et le mysticisme, fait preuve d’encore plus d’emphase : « la quantité de volumes
contenant des preuves de la survie après la mort est tellement immense que les ignorer peut être
comparé au fait d’être face au Mont Everest, et s’obstiner à nier qu’il y ait là une montagne ».
Ce problème est d’une grande importance étant donné que les croyances concernant la
réincarnation ont un grand impact éthique sur la vie des hommes. Etant donné que le monde
traverse une crise mondiale, toute chose susceptible de freiner ce carnage gratuit et d’augmenter les
chances de survie de la race humaine, mérite une attention particulière. Vue l’importance théorique
et pratique du problème du karma et de la réincarnation, ainsi que sa nature hautement
controversée, les preuves existantes doivent être examinées attentivement et soumises au jugement
critique.
Souvenirs spontanés de vies antérieures chez les enfants : recherches de Ian Stevenson
Les petits enfants qui se souviennent et qui décrivent leurs vies antérieures dans d’autres
corps, d’autres lieux et avec d’autres personnes constituent d’importantes preuves en faveur de la
réincarnation. Ces souvenirs émergent généralement de façon spontanée, juste après que ces
enfants ont appris à parler. Ils sont souvent associés à des complications diverses telles que des
pathologies comme les phobies, des réactions étranges à certaines personnes, ou de nombreuses
idiosyncrasies. L’accès à ces mémoires disparaît généralement entre cinq et huit ans.
Bon nombre de cas de ce type ont été décrits par des psychiatres et des psychologues pour
enfants. Ian Stevenson, professeur de psychologie à l’Université de Virginie à Charlottesville VA, a
dirigé des études méticuleuses sur trois mille cas de ce type et les a rapportées dans ses livres
Twenty cases Suggestive of Reincarnation (La réincarnation : vingt cas probants), Unlearned
Languages (Langues non-apprises) et Children who Remember Previous Lives (Les enfants qui se
Souviennent de Vies antérieures) (Stevenson 1966, 1984 et 1987). Seuls les cas les plus pertinents
sont rapportés dans ces travaux, et il y sept mille cas de ce type. Les autres cas furent éliminés parce
qu’ils ne satisfaisaient pas les exigences des critères : ceux par exemple où la famille de l’enfant
recevait des bénéfices financiers, de l’attention publique ou du prestige. Les cas où il trouva une
personne qui aurait pu être le lien médiumnique posaient également problème. Les autres causes
d’exclusion pouvaient être l’inconsistance des témoignages, la cryptomnésie (l’apparition d’images
qui semblaient être de pures créations), des témoins de nature douteuse, ou des indices de fraude.
Les conclusions de Stevenson sont assez remarquables. Même si dans tous les cas
rapportés, il avait éliminé la possibilité que l’information ait pu être obtenue par des médiums
conventionnels, il fut capable de confirmer par des enquêtes indépendantes les histoires que les
enfants racontaient sur leurs précédentes vies, souvent avec un grande précision dans les détails.
Dans certains cas, il emmena même les enfants au village dont ils se rappelaient. Même s’ils n’y
avaient jamais été dans leur vie présente, ils connaissaient la topographie du village, étaient capables
de retrouver la maison dans laquelle ils avaient vécu, reconnaissaient les membres de leur « famille »
ainsi que les villageois et connaissaient les noms de ces personnes. Afin d’illustrer le caractère
remarquable des informations de Stevenson, je vais rapporter ici l’histoire de Parmod Sharma, l’un
de ses cas les plus intéressants. La version condensée du cas de Parmod Sharma fut publiée dans le
livre de Chris Bache Lifecycles : Reincarnation and the Web of Life (Cycles de vie : la réincarnation et
la toile de vie Bache 1991b).
Le cas de Parmod Sharma
Parmod Sharma est né le 11 octobre 1944 à Bisauli en Inde. Son père était le Professeur
Bankeybehary Lal Sharma, un universitaire spécialiste du sanscrit dans une université environnante.
Lorsque Parmod avait environ deux ans et demi, il commença à dire à sa mère d’arrêter de lui
préparer des repas parce que son épouse à Morâdâbâd pouvait cuisiner pour lui. Morâdâbâd était
une ville à environ cent quarante kilomètres au nord-ouest de Bisauli. Lorsqu’il avait entre trois et
quatre ans, Parmod commença à évoquer en détail sa vie à Morâdâbâd. Il décrivit plusieurs
commerces qu’il avait possédés et où il travaillait avec d’autres membres de sa famille. Il parla plus
particulièrement d’une , qui portait le nom de « Frères Mohan » et qui était exploitée par la famille
Mehra : on y fabriquait et on y vendait des biscuits et du soda. Il répétait qu’il était l’un des frères
Mehra et qu’il avait aussi un commerce à Sahâranpur, une ville à environ cent cinquante kilomètres
au nord de Morâdâbâd.
Au lieu d’aller jouer avec les autres enfants, Parmod restait tout seul à la maison à
construire des maquettes de boutique où il prévoyait même le système électrique. Il aimait
particulièrement faire des biscuits de boue, qu’il servait à sa famille avec du soda ou du thé. A cette
époque-là, il donna beaucoup de détails sur sa boutique, sa taille et le lieu où elle se trouvait à
Morâdâbâd, ce qui s’y vendait et les activités qui y étaient liées, tels que son voyage d’affaires à NewDelhi. Il se plaignait même à ses parents de la situation médiocre de leur foyer en comparaison de
son niveau de vie de commerçant prospère.
L’oncle de Parmod avait été transféré à Morâdâbâd de façon temporaire comme employé
de chemins de fer lorsque Parmod était très jeune. En raison de l’intérêt de Parmod pour les biscuits,
son oncle lui avait acheté des biscuits de la boutique des Frères Mohan. Sur les biscuits était indiqué
le nom de la boutique et même si Parmod ne pouvait pas encore lire, il est probable que les biscuits
aient stimulé des associations en lui. Il est intéressant de noter que la mère de Parmod disait qu’il
n’avait pas reconnu les biscuits. Son oncle n’était pas à Morâdâbâd lorsque Parmanand, (l’un des
frères Mohan mort de façon prématurée) était encore en vie, et en outre il ne connaissait
personnellement aucun des frères Mohan.
Parmod détestait le produit du lait caillé, le curd, ce qui est assez inhabituel chez un enfant
Indien, et un jour, il alla même jusqu’à conseiller à son père de ne pas en manger, lui disant que
c’était dangereux. Parmod expliqua que dans sa vie précédente il était tombé gravement malade
après en avoir trop mangé. Il détestait également être submergé dans l’eau, ce qui pouvait être
associé au fait que dans sa vie antérieure il serait « mort dans sa baignoire». Parmod disait qu’il avait
été marié et qu’il avait eu cinq enfants – quatre fils et une fille. Il avait très envie de revoir sa famille
et suppliait souvent ses parents de l’emmener à Morâdâbâd pour leur rendre visite. Sa famille refusa
mais sa mère le convainquit de commencer l’école en lui promettant de l’emmener à Morâdâbâd
lorsqu’il aurait appris à lire.
Les parents de Parmod n’avaient jamais cherché à vérifier ou à enquêter sur les
affirmations de leur fils, sans doute en raison de la croyance indienne selon laquelle les enfants qui
se souviennent de leurs vies antérieures sont morts jeunes. Cependant, les affirmations de Parmod
arrivèrent finalement aux oreilles d’une famille à Morâdâbâd appelée Mehra dont la situation
cadrait avec bon nombre de détails de l’histoire de Parmod. Les frères de cette famille possédaient
plusieurs commerces à Morâdâbâd, dont une boutique de biscuits et de soda appelée « Frères
Mohan ». C’est le frère aîné Mohan Mehra qui avait donné son nom à la boutique appelée
successivement « Mohan et ses Frères » puis « Frères Mohan ». Cette boutique avait été ouverte par
Parmanand Mehra jusqu’à sa mort le 9 mai 1943, dix huit mois avant la naissance de Parmod.
Lors d’un mariage, Parmanand avait mangé du curd de façon exagérée, l’un de ses aliments
favoris à la suite de quoi il avait développé une maladie chronique gastro-intestinale suivie d’une
appendicite et d’une péritonite dont il mourut. Deux ou trois jours avant sa mort, il avait insisté
contre l’avis familial, pour manger davantage encore de curd, en disant qu’il n’en profiterai peut-être
plus jamais. Parmanand tenait son indigestion au curd pour responsable de sa maladie et de sa mort.
Lors de son appendicite, Parmanand avait essayé une série de traitements naturopathes de
thalassothérapie. Bien qu’il ne soit pas mort dans sa baignoire, il avait pris un bain juste avant de
mourir. Parmanand laissa sa femme veuve avec cinq enfants : quatre garçons et une fille.
L’été 1949, la famille Mehra décida de faire un voyage à Bisauli pour rencontrer Parmod qui
n’avait pas encore cinq ans. Lorsqu’ils arrivèrent, Parmod n’était pas là : ils ne se rencontrèrent donc
pas. Peu de temps après cependant, le père de Parmod emmena son fils à Morâdâbâd pour vérifier
ses histoires directement. Parmi les gens qui retrouvèrent Parmod à la station de train, il y avait le
cousin de Parmanand, Sri Karam Chand Mehra qui avait été assez proche de Parmanand. Parmod se
jeta à son cou en larmes tout en l’appelant « grand frère » et en lui disant « je suis Parmanand ».
Parmod n’avait pas utilisé le nom Parmanand auparavant. Les Indiens appellent souvent leurs cousins
« frère » s’ils ont une relation proche avec eux, ce qui avait été le cas de Parmanand et Karam.
L’intensité et l’authenticité des émotions que cette réunion occasionna semblaient en elles-mêmes
assez significatives : elles constituent une preuve au moins aussi importante que les événements et
objets extérieurs .
Parmod donna des indications au chauffeur sur le chemin à prendre pour arriver à la
boutique des « Frères Mohan ».. En entrant dans la boutique, il se plaignit que « son » siège spécial
avait été changé. En Inde la coutume veut que le propriétaire de la boutique ait son propre siège – un
gaddi - situé près de l’entrée de la boutique d’où il peut accueillir les clients et diriger son commerce.
L’endroit du gaddi de Parmanand avait en effet été changé quelques temps après sa mort. Une fois
qu’il était entré dans la boutique, Parmod demanda qui s’occupait de l’usine de soda et de la
boulangerie. La machine sophistiquée qui fabriquait le soda avait été secrètement dérangée de façon
à tester Parmod. Cependant lorsqu’on la montra à Parmod, il savait exactement comment la faire
fonctionner. Sans l’aide de personne, il retrouva le tube déconnecté et donna des instructions pour
faire réparer la machine.
Plus tard à la maison de Parmanand, Parmod reconnut la chambre où Parmanand avait
dormi et il fit une remarque concernant un paravent qui comme, il le dit très justement, était absent
à l’époque de Parmanand. Il identifia aussi une armoire où Parmanand avait mis ses affaires, tout
comme la table basse spéciale qui lui avait également appartenue. « C’est la table où je prends mes
repas » dit-il. Lorsque la mère de Parmanand entra dans la chambre, il la reconnu immédiatement
comme étant sa mère avant que qui que ce soit ait pu dire un mot. Il reconnut également la femme
de Parmanand, et se comporta de manière embarrassée face à elle. Après tout, elle était une femme
adulte et lui un enfant de cinq ans, bien que possédant certains des sentiments d’un mari adulte.
Lorsqu’ils furent seuls, il lui dit : « je suis venu mais tu n’as pas mis le bindi » faisant référence au pois
rouge que les épouses indiennes portent. Il lui reprocha aussi de porter un saree blanc de veuve, au
lieu du saree coloré porté par les épouses.
Parmod reconnu aussi la fille de Parmanand et celui de ses fils qui était à la maison lorsqu’il
arriva. Lorsque le fils le plus jeune de Parmanand arriva un peu plus tard à la maison, Parmod
l’identifia correctement et l’appela par son surnom Gordhan. Dans leur conversation, Parmod ne
permettait pas que Godhan qui était plus âgé que lui, s’adresse à lui par son prénom. Il devait
l’appeler « Père ». « Je suis seulement devenu petit » dit-il. Lors de sa visite, Parmod identifia aussi
correctement l’un des frères de Parmanand et un de ses neveux.
Parmod fit preuve d’une connaissance frappante d’autres détails de la vie de Parmanand.
Lorsqu’ils firent le tour de l’Hôtel de la Victoire que les frères Mehra possédaient à Morâdâbâd,
Parmod commenta les nouveaux abris qui avaient été construits sur la propriété. La famille Mehra
confirma qu’ils avaient en effet été ajoutés après sa mort. En rentrant dans l’hôtel, Parmod montra
une armoire et dit « Ce sont les almirahs que j’ai construits dans la Maison Churchill ». La Maison
Churchill était le nom d’un autre hôtel que les frères Mehra possédaient à Saharanpur, un village a
environ cent cinquante kilomètres au nord de Morâdâbâd. Peu après la mort de Parmanand la
famille avait décidé de déménager ces armoires que Parmanand avait fait faire pour la Maison
Churchill, à l’Hôtel Victoire.
Lors d’une autre visite cet automne là, Parmod identifia de façon spontanée un docteur
connu de Parmanand dans cette ville, « c’est un docteur et un vieil ami à moi », dit-il. Au cours de la
visite, il reconnut également un homme appelé Yasmin qui devait de l’argent à Parmanand. « Je n’ai
pas récupéré mon argent » dit-il. Au début Yasmin ne voulait pas reconnaître le prêt mais après avoir
été rassuré quant au fait que la famille Mehra n’allait pas le presser de rendre l’argent, il admit que
Parmod avait raison concernant la dette.
Pourquoi de tels enfants se souviennent-ils de leurs vies précédentes ? D’après Stevenson,
les circonstances spécifiques de la mort jouent un rôle clé, particulièrement celles où il y a un choc
qui peut préserver de l’amnésie. Cela va avec le fait que les souvenirs les plus vifs concernent
généralement des événements qui précédent et conduisent à la mort. Stevenson fait remarquer que
ces enfants sont incapables de dire quoi que ce soit sur les événements qui ont eu lieu après leur
mort dans le cadre de leurs personnalités précédentes. C’est là un facteur important pour
déterminer s’ils reconstruisent inconsciemment les détails de cette vie par la lecture télépathique
des personnes qui connaissaient le défunt, ou s’ils possèdent ces détails de mémoire authentique.
Peut-être que les preuves les plus puissantes qui puissent appuyer l’hypothèse de la
réincarnation est un livre en deux volumes intitulé Reincarnation and Biology : a contribution to the
Etiology of Birthmarks and Body Defects (Réincarnation et Biologie : un apport à l’étiologie des tâches
et défauts de naissance Stevenson 1997). Sur 2265 pages en petits caractères illustrées par des
diagrammes, des photographies et des rapports d’autopsie, Stevenson présente son unique et
convaincante démonstration biologique sur la réincarnation. Il montre que 35% des enfants qui se
souviennent de leurs vies antérieures ont des tâches de naissance, des anormalités physiques ou de
rares défauts de naissance qui correspondent à une blessure, souvent fatale ou à une cicatrice dans
le corps de la personne décédée que l’enfant se souvient avoir été. Stevenson entreprit une étude
méticuleuse sur deux cent dix de ces enfants. Il parvint à obtenir des documents médicaux,
généralement un rapport post-mortem, pour quarante-neuf de ces deux cent dix cas. Dans les cas où
la personne décédée fut identifiée, il trouva une correspondance proche entre les tâches de
naissance et /ou les défauts sur l’enfant d’une part et les blessures de la personne décédéed’autre
part. Après ce travail méticuleux et documenté, il devint beaucoup plus difficile aux détracteurs de
Stevenson de mettre en doute la réalité de ce phénomène.
Il est important de signaler que les cas de Stevenson ne sont pas seulement issus de
cultures dites « primitives », « exotiques » avec une croyance a priori en la réincarnation, mais ils
proviennent également de pays occidentaux tels que le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Sa recherche
est extrêmement rigoureuse et elle a reçu beaucoup de témoignages d’estime. En 1977, le Journal
des maladies mentales et nerveuses dédia presque toute une publication à ce sujet. Plus récemment
le travail de Stevenson a été réexaminé lors du Journal de l’association médicale américaine (JAMA
2004)
Mémoires de vies antérieures spontanées et provoquées chez des adultes
Le fait de revivre des souvenirs passés de façon vive et spontanée arrive le plus souvent
durant des surgissement spontanés d’états de conscience holotropiques (« émergences
spirituelles »). Cependant, plusieurs degrés de souvenirs, allant des puissantes expériences de déjàvu dans des endroits spécifiques à des flashbacks vifs peuvent également avoir lieu dans des états de
conscience plus ou moins ordinaires de la vie de tous les jours. La psychiatrie académique et les
théories actuelles de la personnalité sont fondées sur la vision du monde moniste et matérialiste et
souscrivent à la vision du temps unique. Les professionnels traditionnels sont conscients de
l’existence de vies antérieures, mais ils les traitent comme des symptômes de psychose et donc
comme des indicateurs de psychopathologies sérieuses.
Les vies antérieures peuvent être identifiées par une grande variété de techniques qui
donnent accès à des niveaux profonds de la psyché, tels que la méditation, l’hypnose, les substances
psychédéliques, l’isolation sensorielle, le travail du corps et des psychothérapies variées et
puissantes (la thérapie primale, le rebirthing, ou la respiration holotropique). De tels moments
apparaissent souvent de manière spontanée au cours de séances avec des thérapeutes dont le but
n’est pas de les provoquer, et dans certains cas, cela arrive même à ceux qui ne croient pas en ler
existence, prenant ces personnes complètement au dépourvu. L’émergence de mémoires karmiques
est également complètement indépendante des croyances philosophiques ou religieuses du sujet.
Par ailleurs de telles expériences arrivent avec des souvenirs de l’adolescence, de l’enfance, de la
tendre enfance, de la naissance et de la période prénatale qui peuvent être vérifiées de manière
sûre. Souvent les vies antérieures émergent en relation avec les matrices périnatales, soit
simultanément en même temps que des éléments fœtaux variés comme un niveau plus profond de
la même expérience, soit en alternance (Grof 1988, 1992).
Les incarnations de vies antérieures rappellent par de nombreux d’aspects les mémoires
ancestrales, raciales et collectives. Cependant, elles ont généralement une charge émotionnelle
puissante, et le sujet s’identifie profondément au protagoniste. Le sens de son identité personnelle
passe à une autre personne, à un autre lieu, à une autre époque. Un aspect essentiel de ces
expériences est le sentiment profond de se rappeler et de revivre quelque chose qui est déjà arrivé à
la même personne, à la même unité de conscience. Ce sentiment de déjà-vu et déjà vécu est assez
simple – comparable à la qualité empirique utilisée dans la vie de tous les jours qui nous aide à
distinguer nos souvenirs d’événements actuels de nos rêves éveillés ou fantasmes. Il serait très
difficile, par exemple de convaincre une personne qui nous parle du souvenir de quelque chose qui a
eu lieu la semaine dernière ou le mois dernier que cet événement n’a pas vraiment eu lieu et qu’il
s’agit d’un produit de son imagination.
Les expériences d’incarnation de vies antérieures comprenent généralement des vies
antérieures d’une ou plusieurs autres personnes. Dans quelques rares cas, divers animaux peuvent y
jouer le rôle de protagonistes. L’individu a alors la sensation d’avoir a été « marqué karmiquement »,
dans une scène où il a été tué par un tigre, écrasé à mort par un éléphant sauvage, battu par un
taureau en furie, ou mordu par un serpent venimeux. Les scènes de ce type rappellent d’autres types
de scènes karmiques par leur impact à long terme sur l’individu, mais elles en diffèrent par leur
absence de répétition dans les incarnations suivantes. Ainsi elles ressemblent à des situations où
l’effet psychologique transcendant les incarnations individuelles a pour origine des causes
impersonnelles. Par exemple : de l’amertume ou de l’envie associées à une maladie douloureuse et
handicapante, ou à la difformité, ou à un handicap,d’une part ; l’anxiété et l’agonie vécues en
relation avec la mort accidentelle : par chute d’une falaise, dans une inondation dans des sables
mouvants, au cours d’une éruption volcanique ou un incendie d’autre part.
Les expériences karmiques rentrent dans deux catégories distinctes caractérisées par la
qualité des émotions qu’elles impliquent. Certaines reflètent des liens positifs avec d’autres
personnes : profonde amitié, amour passionné, compréhension spirituelle, relation maître-disciple,
liens du sang, ou engagement à vie. Plus souvent, elles impliquent des émotions intensément
négatives et placent les sujets dans des situations fratricides, caractérisées par une douleur physique
atroce, une agression criminelle, ou une terreur inhumaine. L’angoisse intense, l’amertume et la
haine, la jalousie maladive, la vengeance insatiable, la luxure incontrôlable ou la gourmandise et
l’avarice morbides sont d’autres traits émotionnels qui rentrent dans cette catégorie.
Beaucoup d’individus qui ont vécu des expériences karmiques négatives sont capables
d’analyser la nature du lien destructeur entre les protagonistes. Ils réalisent que ce large éventail
d’émotions différentes, telles que la passion meurtrière, la jalousie dévorante, le désir insatiable ou
l’angoisse mortelle - lorsqu’elles s’intensifient au-delà de certaines limites - commencent à se
rassembler les unes aux autres. Lorsqu’elles ont atteint à un certain degré d’excitation biologique et
émotionnelle, toutes ces qualités affectives extrêmes convergent et atteignent des dimensions
métaphysiques. Lorsque deux ou plusieurs individus convergent et atteignent ce « melting pot »
Commentaire [E76]: Karmically
imprinted
Commentaire [E77]: superposer
universel de passions et d’instincts, ils deviennent marqués par la totalité de la situation qui en est à
l’origine, peu importe le rôle particulier qu’ils ont joué dans cette situation.
Dans des situations d’intensité émotionnelle extrême, l’excitation sadique du bourreau et la
douleur inhumaine de la victime torturée se rassemblent de plus en plus. De la même façon la rage
du meurtrier se mélange à l’angoisse et à la souffrance de la victime agonisante. C’est cette fusion
émotionnelle, qui semble être la cause du marquage karmique, plutôt qu’un rôle spécifique dans la
suite d’expériences. D’après les témoignages de personnes qui ont revécu des vies antérieures,
lorsque deux individus sont impliqués dans des situations où leurs émotions atteignent un niveau tel,
ils répèteront ces mêmes schémas dans leurs vies futures mais en alternant les rôles, jusqu’à ce qu’ils
atteignent l’état de conscience nécessaire à la résolution de leur lien karmique.
Certaines personnes assimilent cet état d’excitation émotionnelle indifférenciée qui
engendre le lien karmique avec le concept bouddique de trsna (tanha) ou « soif de chair et de sang »,
la force qui mène le cycle de la mort et de la renaissance responsable de toute la souffrance
humaine. D’autres rapportent des témoignages concernant la profonde ressemblance entre cet état
et le mélange d’expériences qui caractérise les étapes finales de la naissance biologique (BPM III) où
la douleur physique, l’agression meurtrière, l’angoisse vitale, l’excitation sexuelle extrême, les
tendances démoniaques et les éléments scatologiques se mélangent en amalgame étrange et
inextricable avec une ferveur religieuse. La naissance biologique semble représenter une station
potentielle de transformation, où les « champs morphogénétiques » intangibles du compte karmique
(appelé compte akachique dans la littérature spirituelle) entrent dans la vie biopsychique de
l’individu.
Afin de parvenir à se libérer totalement du schéma karmique, l’individu doit vivre
pleinement toutes les émotions douloureuses et les sensations physiques qui étaient impliquées
dans une scène d’incarnation passée destructrice. L’événement doit être transcendé
émotionnellement, éthiquement, philosophiquement et spirituellement avant que la personne
puisse le dépasser entièrement, pardonner et être pardonnée. Une telle libération du schéma
karmique et de l’asservissement qu’il provoque, est généralement associé à une sensation
d’accomplissement et de triomphe qui va au-delà de toute compréhension rationnelle et qui est
accompagnée de la sensation d’avoir attendu ce moment et travaillé pendant des siècles pour
atteindre ce but. A ce moment-là, la personne vit un ravissement extatique et un bonheur extrêmes.
Dans certains cas, l’individu revoit rapidement son histoire karmique se rejouer, et il a des aperçus de
la manière dont ce schéma s’est répété dans diverses formes vie après vie. Plusieurs personnes
qualifient cela de nettoyage d’un « ouragan karmique » ou d’un « cyclone » soufflant dans leur passé
et détruisant tous leurs liens karmiques dans toutes les situations impliquant ce schéma qu’ils
viennent tout juste de résoudre. Une belle description de l’expérience de libération des liens
karmiques du Bouddha peut se lire dans le Pali Canon (Tipitaka), ensemble des textes qui fonde la
doctrine du Bouddhisme Theravada.
Les épisodes d’incarnation passés se retrouvent dans la psychothérapie expérientielle et
ont un grand potentiel thérapeutique. Ils ont également une signification théorique conséquente,
parce que plusieurs de leurs aspects remettent en question la vision du monde mécanique et
matérialiste. Etant donné que le manque de connaissances factuelles est l’une des principales
sources du scepticisme actuel concernant la réincarnation et le karma, je décris ci-dessous quelques
traits spécifiques de vies antérieures qui méritent une attention spéciale. Ils devraient être d’un
intérêt majeur pour tout chercheur s’intéressant à la conscience et à la psyché humaine. Comme
nous le verrons, il y a d’importantes raisons de croire que les vies antérieures sont des phénomènes
authentiques sui generis, avec des implications majeures pour la psychologie et la psychothérapie, en
raison de leur potentiel heuristique et thérapeutique.
La première caractéristique extraordinaire des expériences karmiques est qu’elles
contiennent souvent des informations pertinentes concernant des périodes historiques variées, y
compris d’événements très spécifiques, auxquels l’individu n’aurait pas pu acquérir par les voies
ordinaires. Dans certains cas, la pertinence de telles informations peut être vérifiée de manière
objective, parfois de façon très détaillée. Un autre trait caractéristique précieux est leur lien profond
Commentaire [E78]: P 183 Para milieu
Commentaire [E79]: Rather than a
specific role in the experentiel sequence
Commentaire [E80]: Phrase
incompréhensible pour moi
à des problèmes émotionnels, psychosomatiques et interpersonnels. Le thème des souvenirs
karmiques témoigne souvent d’une relation tellement intime et spécifique avec les symptômes et les
difficultés psychopathologiques dans la vie actuelle qu’il ne peut y avoir de doutes que ces
expériences karmiques représentent un facteur clé dans la genèse de ces problèmes.
La psychiatrie actuelle n’attribue de signification pathogénique qu’aux événements
traumatisants de l’histoire postnatale. Les observations d’expériences karmiques étendent de
manière significative le champ des possibilités – le moment des événements traumatiques semble ne
pas avoir d’importance. Des séquences de l’Egypte ancienne, de l’Allemagne nazie, de la Russie
tzariste, peuvent être aussi significatives que des épisodes de la vie prénatale, de la naissance, de la
tendre enfance et de l’enfance dans la vie présente de l’individu. Revivre et intégrer ces épisodes de
vies antérieures a un potentiel thérapeutique remarquable. Par conséquent un thérapeute qui
n’appuie pas l’émergence spontanée de ces expériences chez ses patients et qui refuse de travailler
avec elles, prive ces individus d’un puissant mécanisme de guérison et de transformation de la
personnalité.
Le témoignage le plus convaincant concernant le statut spécial des souvenirs de
réincarnation est leur association avec des synchronicités extraordinaires. Dans bien des cas, mes
patients ayant vécu des séquences karmiques se sont aperçus que les compagnons karmiques qui
faisaient partie de celles-ci étaient aussi des personnes particulières de leur vie présente – des
parents, des enfants, leur époux ou épouse, leur petit amie ou petit ami et d’autres personnes
importantes. Une fois qu’ils avaient terminé de revivre la scène karmique et qu’ils étaient parvenus à
la résoudre, ils ont eu la sensation que ces compagnons respectifs avaient eux aussi fait tellement
profondément partie de ce qu’ils venaient de vivre qu’ils devaient eux-mêmes éprouver quelque
chose de semblable, et qu’ils étaient certainement influencés par cette expérience. Lorsque j’ai été
suffisamment ouvert pour vérifier ces choses par moi-même je me suis aperçu à ma grande surprise
qu’elles étaient souvent pertinentes. Les personnes que mes patients avaient identifiées comme
étant leurs compagnons dans les séquences karmiques, avaient également vécu des changements
positifs radicaux dans leurs sentiments envers mes patients au moment exact où le processus fut
terminé. Cette liaison synchronique entre les événements de la session et les changements dans les
attitudes des « compagnons karmiques » ne pouvait pas être expliquée par la causalité linéaire.
Souvent ces autres individus se trouvaient à des centaines ou à des milliers de kilomètres de là et
n’avaient pas pu avoir connaissance de l’expérience que mes patients venaient de vivre. Par ailleurs,
les changements qu’ils avaient vécus étaient provoqués par une séquence d’événements
entièrement indépendante : soit ils vivaient une profonde transformation d’eux-mêmes, soit ils
recevaient des informations qui changèrent entièrement leur perception du sujet, soit ils étaient
influencés par un développement indépendant dans leur environnement. Le timing de ces
événements synchroniques était souvent remarquable, dans certains cas, cela avait lieu à quelques
minutes d’écart. Cet aspect des expériences de vies antérieures, suggérant des connexions nonlocales dans l’univers est semblable au phénomène décrit par le théorème de Bell dans la physique
quantique-relativiste (Bell 1966, Capra 1982).
Preuves appuyant l’authenticité des mémoires des vies antérieures
Les critères pour déterminer l’authenticité et la véracité des souvenirs des vies antérieures
sont essentiellement les mêmes que nous utilisons pour les souvenirs d’événements ayant eu lieu la
semaine dernière, le mois dernier ou il y a dix ans. Il faut récupérer ces mémoires le plus en détail
possible et obtenir des preuves indépendantes pour au moins quelques-unes d’entre elles. (Toutefois
,même nos souvenirs actuels ne peuvent pas toujours être corroborées). Naturellement les souvenirs
des vies antérieures sont plus difficiles à vérifier. Ils ne contiennent pas toujours d’informations
spécifiques qui puissent être aisément confirmées. En outre, étant donné que les épisodes sont
beaucoup plus anciens et qu’ils impliquent d’autres pays et d’autres cultures, il est plus difficile d’en
obtenir des preuves. Les souvenirs provoqués des vies antérieures ne permettent pas le même degré
de vérification que les souvenirs spontanés de Stevenson, qui sont plus récents et qui contiennent
Commentaire [E81]: Bas p 183-184
Commentaire [E82]: Je n’ai pas trouvé
d’infos à ce sujet
davantage d’informations spécifiques. Cependant, dans certains cas isolés, les circonstances
permettent la vérification des souvenirs provoqués de vies passées, en grand détail, comme vous
pouvez le lire ci-dessous, dans ces deux cas advenus lors de mes recherches. Dans ces deux cas, les
aspects les plus étranges de la narration ont pu être vérifiés par la recherche historique.
Le cas de Karl
Les souvenirs karmiques de Karl commencèrent à émerger lors de séances de thérapie
primale. Les contenus continuèrent à affluer à la surface et cela se termina au cours de séances de
respiration holotropique, lors de notre séminaire d’un mois à l’Institut Esalen.
Au début de sa thérapie, tandis que Karl revivait de nombreux aspects de son trauma de
naissance, il commença à revivre des fragments de scènes de cractère tragique qui semblaient avoir
lieu dans un pays étranger et à un autre siècle. Les scènes mettaient en jeu des émotions puissantes
et des sensations physiques et même si elles semblaient avoir un lien intime et profond avec sa vie
actuelle, aucune d’entre elles n’y faisait sens. Il eut des visions de tunnels, d’espace de stockages
souterrains, de baraques militaires, de murs épais et de remparts qui s’avérèrent former partie d’une
forteresse située sur un rocher qui donnait sur l’océan. C’était parsemé d’images de soldats dans des
situations variées. Il se sentit confus, étant donné que les soldats semblaient être espagnols, mais le
lieu ressemblait davantage à l’Ecosse ou à l’Angleterre.
Au fur et à mesure que le processus continua, les scènes devenaient de plus en plus
dramatiques et elles contenaient des combats féroces et des massacres sanglants. Bien qu’entouré
de soldats, Karl se voyait lui-même en prêtre, et à un certain moment il eut une vision très profonde
où il y avait une Bible et une Croix. A ce moment-là il vit un anneau de scellage à son doigt, et il put
clairement reconnaître ses initiales. Etant un artiste talentueux, il décida d’illustrer son étrange
aventure, bien qu’il ne l’ait pas comprise au moment où elle eut lieu. Il fit également une série de
dessins et des puissantes peintures faites avec ses doigts. Certaines images dépeignaient différentes
parties de la forteresse, d’autres des scènes de massacres, et quelques-unes ses propres expériences,
y compris celle d’avoir été transpercé d’une épée, jeté du haut des remparts de la forteresse et
d’être mort sur la plage. Il dessina également l’anneau de scellage avec les initiales.
Lorsqu’il rassembla les petits bouts de l’histoire, Karl trouva de plus en plus de connexions
significatives avec sa vie actuelle. Il découvrit que beaucoup de symptômes émotionnels et
psychosomatiques tout comme les problèmes dans ses relations interpersonnelles dans sa vie
quotidienne actuelle, étaient clairement liés à son expérience intérieure et impliquaient le
mystérieux événement passé. Il y eut un moment où les choses changèrent : Karl décida
soudainement sur un coup de tête d’aller passer ses vacances dans l’Ouest de l’Irlande. Après son
retour, lorsqu’il regardait pour la première fois les photos qu’il avait prises sur la côte est, il réalisa
qu’il avait pris onze photos consécutives du même lieu qui ne semblait pas particulièrement
intéressant. Il prit une carte et regarda où il se tenait à ce moment-là, et le lieu dont il avait pris les
photos. Il réalisa que l’endroit qui avait attiré son attention était la ruine d’une vieille forteresse
appelée Dün an Oir, ou Forte di Oro (Fortresse d’Or).
Ayant l’intuition qu’il devait y avoir là une connexion avec son exploration intérieure, Karl
décida d’étudier l’histoire de Dün an Oir. Il découvrit à sa grande surprise qu’à l’époque de Walter
Raleigh, la forteresse fut prise par les Espagnols puis assiégée par les Britanniques. Walter Raleigh
négocia avec les Espagnols et leur promit de sortir libres de la forteresse à condition qu’ils ouvrent le
portail et se rendent aux Britanniques. Les Espagnols se rendirent à ces conditions, mais les
Britanniques ne tinrent pas leur promesse. Une fois à l’intérieur de la forteresse, ils massacrèrent
tous les Espagnols sans merci, ils les jetèrent du haut des remparts et ils les laissèrent mourir sur la
plage.
Malgré ces confirmations absolument étonnantes de l’histoire qu’il avait laborieusement
reconstruite au cours de ses séances, Karl n’était pas satisfait pour autant. Il continua ses recherches
en bibliothèque, jusqu’à ce qu’il découvre un document spécial concernant la bataille de Dun an Oir
où il apprit qu’un prêtre accompagnant les soldats espagnols fut tué en même temps qu’eux. Les
Commentaire [E83]: Souvenirs ?
Commentaire [E84]: To document
initiales du prêtre étaient identiques à celles du sceau que Karl avait vu au cours de sa vision et qu’il
dépeignit dans l’un de ses dessins.
Le cas de Renata
L’histoire de Renata, une patiente névrosée qui reçut une thérapie de LSD en guise de
traitement à sa cancérophobie, met en scène l’une des coïncidences les plus surprenantes que j’aie
jamais vécues lors de mes recherches psychédéliques. Les phénomènes ici sont ambigus en ceci qu’ils
manifestent des caractéristiques à la fois d’expériences généalogiques les et d’incarnations passées.
Cet exemple montre clairement la complexité de ce domaine de recherche.
A un stade avancé de la thérapie de Renata, nous observâmes une suite d’événements
inhabituels et sans précédents. Quatre de ses séances de LSD consécutives consistaient
exclusivement en des scènes d’une période particulière de l’histoire Tchèque – elle vécut plusieurs
épisodes qui eurent lieu à Prague au XVIIème siècle. Cette périodre fut cruciale pour les Tchèques.
Après la bataille désastreuse de la Montagne Blanche en 1621, qui marqua le début de la guerre de
Trente ans en Europe, le pays cessa d’exister comme royaume indépendant et fut soumis à
l’hégémonie des Habsbourg pendant trois cent ans.
Dans un effort destiné à détruire les sentiments d’orgueil national et vaincre les forces de la
résistance, les Habsbourg envoyèrent des mercenaires pour capturer les nobles les plus importants
du pays. Vingt sept membres de la noblesse furent arrêtés et décapités lors d’une exécution publique
qui eut lieu sur la Place de la Vieille Ville à Prague. Lors de ses séances de caractère historique,
Renata recevait une variété d’images et d’aperçus bizarres concernant l’architecture de la période,
les habits et les costumes ainsi que les armes et les ustensiles utilisés dans la vie quotidienne. Elle fut
également capable de décrire les relations compliquées existant à cette époque entre la famille
royale et les vassaux. Renata n’avait jamais étudié cette période et j’ai dû consulter des ouvrages
spécialisés pour vérifier les informations qu’elle rapportait.
Beaucoup de ses expériences concernaient des périodes différentes de la vie d’un jeune
noble, l’un des vingt sept membres de l’aristocratie décapité par les Habsbourg. A un moment
donné, Renata finit par revivre avec de puissantes émotions et dans des détails incroyables les
événements de l’exécution, y compris l’angoisse intense de ce jeune noble et son agonie. Renata
s’identifia pleinement à cet individu. Elle ne connaissait pas la signification de ces événements
historiques ni la façon dont ils étaient liés à sa personnalité actuelle. Elle finit par conclure qu’elle
devait avoir revécu les événements de l’un de ses ancêtres, même si cette possibilité ne cadrait pas
avec ses croyances personnelles et sa philosophie.
En tant que témoin de ce drame émotionnel je partageai la surprise de Renata et sa
confusion. Pour essayer de déchiffrer cette énigme, j’ai choisi deux approches différentes. D’une part
j’ai essayé de vérifier les informations historiques et je fus extrêmement impressionné par leur
pertinence. D’autre part, j’ai essayé d’appliquer l’approche psychanalytique au contenu des histoires
de Renata pour voir si je pouvais les comprendre en termes psychodynamiques comme un
déguisement symbolique aux expériences de son enfance ou aux éléments de la situation de sa vie
actuelle. Mais malgré tous mes efforts, ces suites d’expériences ne faisaient aucun sens depuis ce
point de vue là. J’ai finalement abandonné ce problème lorsque les expériences de Renata au LSD
changèrent de sujet. Me concentrant sur des tâches plus immédiates, j’ai arrêté de penser à cet
incident étrange.
Deux ans plus tard, alors que je me trouvais déjà aux Etats-Unis, je reçus une longue lettre
de Renata avec l’introduction suivante plutôt étrange : « Cher Docteur Grof vous allez certainement
me croire perturbée lorsque je partagerai avec vous les résultats de mes dernières recherches… »
Dans le texte qui faisait suite, Renata raconta comment elle avait rencontré son père qu’elle n’avait
pas revu depuis le divorce de ses parents lorsqu’elle avait trois as. Après une courte conversation,
son père l’invita à venir dîner avec lui, sa seconde femme et ses enfants. Après le dîner il lui dit qu’il
voulait lui montrer les résultats de son occupation préférée qu’elle pouvait trouver intéressant.
Lors de la Seconde Guerre Mondiale, les Nazis ordonnèrent à chaque famille dans les pays
occupés de soumettre son arbre généalogique en vie de prouver qu’il n’avaient pas de personnes
d’origine Juive sur les quatre dernières générations. Bien qu’il ait dans un premier temps était forcé
de travailler sur la généalogie de la famille le père de Renata finit pas y prendre gôut. Après qu’il
avait terminé le travail sur les cinq générations requis par les autorités Nazies, il continua sa
recherche par intérêt personnel et retraça l’histoire de la famille à travers les siècles, grâce aux
registres de naissance relativement complets tenus par les mairies des pays européens. Avec
beaucoup d’orgueil, le père de Renata montra une longue généalogie ramifiée de la famille et lui
expliqua qu’ils étaient les descendants de l’un des jeunes nobles exécutés après la Bataille de la
Montagne Blanche.
Après avoir relaté cet événement dans sa lettre, Renata exprima sa satisfaction liée au fait
d’avoir finalement obtenu la confirmation de l’authenticité de sa mémoire ancestrale. Elle y vit pour
preuve que les souvenirs hautement chargés émotionnellement pouvaient être marqués sur le code
génétique et transmis à travers les siècles aux futures générations. Après ma surprise initiale je
découvris une grande incohérence logique dans l’histoire de Renata. Lors de ses séances historiques
de LSD, elle avait revécut l’angoisse terminale du noble au moment de son exécution. Cependant la
mort physique met un terme à la possibilité d’un transfert génétique, elle détruit la ligne héréditaire
biologique. Une personne morte ne peut pas procréer et transmettre génétiquement la mémoire de
son angoisse terminale aux générations futures.
Avant de d’écarter l’information contenue dans la lettre de Renata comme preuve venant
corroborer ses expériences, plusieurs faits méritent notre attention. Aucun des patients tchèques - et
il y avait eu au total plus de deux mille séances - n’avait jamais fait mention de cette période
historique. Dans le cas de Renata, quatre séances consécutives de LSD contenaient presque
exclusivement des événements historiques de cette période donnée. Il est pratiquement impossible
qu’il ait pu s’agir là d’une coïncidence insignifiante. L’absence de chemin conventionnel pour le
transfert biologique de ces informations et la confirmation indépendante des visions de Renata par la
quête généalogique de son père suggèrent une situation qui caractérise les expériences des vies
antérieures. Dans tous les cas, il est difficile d’imaginer une quelconque explication plausible à une
telle coïncidence sans violer les principes de base de la science occidentale.
Les caractéristiques extraordinaires des expériences de vies antérieures ont été confirmées
de manière répétée par des observateurs indépendants. Cela pose une question très intéressante :
est-ce que l’existence de telles expériences constitue une « preuve » définitive qu’une partie
essentielle de nous survit à la mort et se réincarne dans la même unité de conscience, la même âme
individuelle ? Malgré tous les témoignages extraordinaires dont il est question plus haut, la réponse à
cette question doit être négative. Présumer de la survie de la conscience individuelle au travers de
plusieurs vies n’est qu’une interprétation possible des témoignages existants, c’est à dire, une
théorie forgée essentiellement sur la base des observations précédentes. C’est ce genre de situation
que les chercheurs rencontrent chaque jour dans d’autres disciplines scientifiques : ils amassent de
grandes quantités d’informations et d’observations et cherchent des théories qui les rendraient
compréhensibles dans un cadre conceptuel cohérant.
Une des règles fondamentales de la philosophie moderne de la science est que la théorie
ne devrait jamais être confondue avec la réalité qu’elle décrit « la carte ne devrait jamais être prise
pour le territoire » (Korzybski 1933, Bateson 1972). L’histoire de la science montre clairement qu’il
existe toujours plus d’une théorie qui rende compte des informations disponibles. La situation
concernant les recherches sur la réincarnation n’est pas différente. Dans l’étude des phénomènes de
vies antérieures, comme dans d’autres domaines de recherche, nous devons séparer les faits
d’observation, des théories qui tentent d’en rendre compte. Par exemple nous savons tous que si
nous lâchons un objet, il tombe. C’est un fait évident et indiscutable, quelque chose que nous
observons tout le temps. Cependant, au fil des siècles Aristote, Newton, Einstein et les physiciens
quantiques ont proposé des théories entièrement différentes à la gravité, et il est possible que bien
d’autres soient proposées dans le futur.
Commentaire [E85]: Je ne comprends
pas : puiqu’il s’agit d’un homme il le peut
non ? On peut avoir des enfants post
mortem, non ? elle était l’arrière petite fille
de son ancêtre non ?
Tout chercheur sérieux suffisamment ouvert d’esprit et intéressé par la vérification de des
témoignages existants peut vérifier l’existence des vies antérieures avec toutes leurs caractéristiques
remarquables. Il est également clair qu’il n’y a pas d’explication plausible à ces phénomènes dans le
cadre conceptuel de la psychiatrie et la psychologie traditionnelles. Cependant l’interprétation des
informations existantes est bien plus complexe et difficile. La compréhension populaire de la
réincarnation comme cycle répété de vie, de mort et de renaissance du même individu est une
conclusion raisonnable étant donné les témoignages disponibles, une conclusion qui est bien
supérieure à l’attitude de la plupart des psychologues et des psychiatres traditionnels. Ces
professionnels sont soit remarquablement désinformés, soit ils ignorent volontairement ces
conclusions, préférant plutôt adhérer aux façons de penser établies, tout comme le font les
fondamentalistes religieux.
Bien que les observations allant dans le sens de la réincarnation soient très
impressionnantes, d’ autres interprétations de ces mêmes informations peuvent certainement être
imaginées. Naturellement, aucune de ces interprétations alternatives n’est compatible avec le
paradigme moniste et matérialiste de la science occidentale. Dans la tradition hindoue, la croyance
en la réincarnation d’individus à part entière est interprétée comme une compréhension populaire et
peu érudite de la réincarnation. Il n’y a qu’un seul être qui ait une existence véritable : il s’agit de
Brahman ou principe créatif lui-même. Tous les individus dans toutes les dimensions de l’existence
sont simplement des produits des métamorphoses infinies de cette entité unique immense. Etant
donné que toutes les divisions et les limites dans l’univers sont illusoires et arbitraires, seul Brahman
s’incarne vraiment. Tous les acteurs dans la pièce de l’existence sont des aspects différents de ce Un.
Lorsque nous atteignons cette connaissance ultime, nous parvenons à voir que nos incarnations
passées représentent un autre niveau d’illusion ou maya. Selon ce point de vue, considérer ces vies
comme « nos vies » requiert de percevoir les acteurs karmiques comme des individus séparés ce qui
reflète une nouvelle fois l’ignorance concernant l’unité ultime de tout.
Sri Ramana Maharshi faisant écho au philosophe hindou Shankara, exprima la relation
paradoxale entre le principe créatif et les éléments du monde matériel d’une façon très succincte :
Le monde est illusoire
Brahman seul est réel
Brahman est le monde.
Utilisation de l’hypnose pour vérifier les vies antérieures
Un travail intéressant expérimental a été mis en place avec des techniques d’hypnose afin
d’obtenir des informations vérifiables à propos de la réincarnation. Les objections à ce genre de
recherche mettent l’accent sur le danger de la suggestion. Cependant, on peut utiliser l’information
qui vient d’une utilisation compétente de l’hypnose et qui est vérifiable. Helen Wambach régressa
sept cent cinquante sujets à diverses vies antérieures et utilisa un questionnaire sociologique détaillé
pour obtenir des informations spécifiques à propos des vêtements, de la nourriture, des armes, de
l’argent et d’autres aspects des périodes en question. Elle remarqua souvent que les plus petits
détails se vérifiaient. Elle analysa autant d’hommes que de femmes, sauf aux périodes de guerre où
les femmes étaient plus nombreuses que les hommes. Les personnalités célèbres n’étaient pas
fréquentes. En fait, elle ne trouva pas une seule personne historique célèbre. La plupart étaient des
vies de pauvreté, ennuyeuses et sans couleur (Wambach 1979)
Pratiques tibétaines pertinentes pour le problème de la réincarnation
La littérature spirituelle tibétaine décrit certains phénomènes intéressants suggérant que
les êtres humains hautement développés sont capables d’acquérir des connaissances supérieures
concernant le processus de la réincarnation. Cela implique la possibilité d’exercer de l’influence sur le
moment de sa mort, de prédire ou de diriger le temps et l’espace de sa prochaine incarnation et de
maintenir la conscience à travers les états intermédiaires entre la mort et la prochaine incarnation
Commentaire [E86]: Don’t get it… the
attitude….
Commentaire [E87]: Separate
individus un individu c’est forcément
séparé non ?
Commentaire [E88]: Shankarakaria ?
Commentaire [E89]: Pas vérifié la
citation
(bardos). Les moines tibétains accomplis peuvent appliquer de nombreux indices reçus dans les
rêves, la méditation et à travers d’autres moyens pour localiser et identifier l’enfant qui est la
réincarnation du Dalaï Lama ou un autre tulku. L’enfant est alors soumis à un test où il doit identifier
parmi des ensembles d’objets similaires, ceux ayant appartenu à la personne décédée. En théorie, on
pourrait au moins soumettre certains des aspects de cette pratique à des tests plutôt rigoureux selon
les standards occidentaux. Sa Sainteté le Dalaï Lama a montré une grande ouverture d’esprit à
l’égard d’expériences similaires lorsqu’il autorisa de tester les effets de la pratique tibétaine de
Tummo59 qui mène en un bref espace de temps à une augmentation étonnante de la température du
corps de plusieurs degrés (Benson et al. 1982).
Chapitre 11
MESSAGES ET VISITES DE L’AU-DELA
Il ne fait nul doute que si on se concentre sur les phénomènes occultes le résultat sera que
très vite un grand nombre d’entre-eux seront confirmés, et il faudra certainement un long laps de
temps pour qu’on arrive à une théorie acceptable rendant compte de ces faits.
C.G. Jung, Mémoires, Rêves, Réflexions
Les apparitions de personnes décédées et la communication avec elles peuvent advenir
dans le cadre d’expériences de mort imminente et dans les visions au moment de l’agonie, comme
nous l’avons décrit au chapitre 9. Cependant de telles apparitions ne sont pas restreintes aux
situations de mort ou de processus de mort. Elles peuvent en effet arriver spontanément dans des
situations de la vie quotidienne ou être provoquées par l’ingestion de psychédéliques, ou par le biais
de méthodes de psychothérapie expérientielles ou encore par la méditation. Bien sûr la pertinence
de telles expériences en tant qu’informations de recherche doit être évaluée précisément. Une
expérience isolée de ce type peut être écartée comme fantasme désiré ou hallucination. Quelques
59
Tummo : forme de méditation tibétaine à valeur thérapeutique qui se traduit physiologiquement par une
augmentation de la température du corps.
Commentaire [E90]: Private
experience : j’avais mis au début
expérience privée, mais… ça sonnait pas …
je n’aime pas trop exp isolée non plus
facteurs supplémentaires sont requis pour qualifier ces expériences de valides. Il faut pour le moins
distinguer ces expériences qui semblent satisfaire un puissant besoin de la personne qui les vit, de
celles où l’on ne peut trouver aucune motivation de ce type.
Quelques apparitions ont certaines caractéristiques qui les rendent particulièrement
intéressantes ou qui vont jusqu’à constituer des défis pour les chercheurs, comme les cas où les
apparitions de personnes inconnues du sujet sont plus tard identifiées au moyen de photos et de
descriptions verbales. D’autres situations notables et relativement communes concernent les
apparitions qui sont vues collectivement ou par plusieurs personnes différentes aux cours de grandes
périodes de temps, comme c’est le cas dans les maisons hantées et dans les châteaux. Les
apparitions peuvent également avoir des signes distinctifs sur le corps advenues au moment de la
mort à l’insu de la personne.
Exemples de synchronicités extraordinaires et d’informations vérifiables
Les cas où les personnes décédées apportent des informations qui peuvent ensuite être
vérifiées ainsi que les cas où ces événements sont liés à une synchronicité extraordinaire sont
particulièrement intéressants. J’ai observé plusieurs cas de ce type dans la thérapie psychédélique et
dans la respiration holotropique : voici trois exemples résumés qui illustrent la nature des
observations de ce type.
Le premier exemple vient de la thérapie au LSD d’un jeune patient dépressif, Richard, qui
avait fait des tentatives de suicide à répétition. Lors d’une de ses séances sous LSD, Richard a eu des
expériences assez étranges où apparaissait un domaine astral et mystérieux. Ce domaine avait une
luminescence inquiétante et était empli d’êtres spirituels qui essayaient de communiquer avec lui
avec urgence et insistance. Il ne pouvait pas les entendre, cependant, il pouvait ressentir leur
présence presque tangible et recevait d’eux des messages télépathiques. J’ai écrit l’un de ces
messages qui semblait très spécifique dans l’espoir de le vérifier plus tard.
Le message demandait à Richard de un couple contacter dans la ville moravienne de
Kromeriz et de leur dire que leur fils Ladislav allait bien et que l’on prenait bien soin de lui. Le
message comprenait le nom du couple, la rue, l’adresse ainsi que le numéro de téléphone. Toutes
ces informations étaient inconnues de moi et de mon patient. Cette expérience était extrêmement
déstabilisante, elle semblait être une enclave étrangère dans la vie de Richard, sans aucun lien avec
ses problèmes ou avec le reste de son traitement. Après quelques hésitations et des sentiments
mitigés, j’ai finalement décidé de faire ce qui aurait certainement fait de moi la risée de mes
collègues s’ils l’avaient découvert. J’ai pris mon téléphone, j’ai fait le numéro de Kromeriz et j’ai
demandé si je pouvais parler à Ladislav. A mon grand étonnement la femme à l’autre bout du fil se
mit à pleurer. Lorsqu’elle se calma, elle me dit d’une voix brisée : « notre fils n’est plus avec nous. Il
est décédé, nous l’avons perdu il y a trois semaines ».
Le second exemple implique un ami proche et ancien collège, Walter N. Pahnke, un
membre de notre équipe de recherches psychédéliques au Centre Psychiatrique du Maryland à
Baltimore. Walter était profondément intéressé par la parapsychologie, et plus particulièrement par
le problème de la conscience après la mort, et il avait travaillé avec beaucoup de médiums célèbres,
y compris avec notre ami commun Eileen Garret, président et fondateur de la Fondation de
Parapsychologie. Par ailleurs il fut aussi l’initiateur du programme de LSD pour les patients mourant
de cancer, dont il est question dans les chapitres 12-15.
A l’été 1971, Walter et sa femme Eva emmenèrent leurs enfants en vacances en bateau au
bord de l’océan dans le Maine. Un jour il partit faire de la plongée tout seul et ne revint jamais plus.
Malgré des recherches exhaustives et bien menées on ne parvint jamais à retrouver son corps ni son
équipement de plongée. Dans de telles circonstances, il fut très difficile à Eva d’accepter et d’intégrer
la mort de son mari. Le souvenir qu’elle gardait de Walter fut le moment où il quitta le bateau
débordant d’énergie et en parfaite santé. Il lui était difficile de croire qu’il ne faisait plus partie de sa
vie, et encore plus difficile de démarrer un nouveau chapitre de sa vie en ayant l’impression de
n’avoir refermé le précédent.
Commentaire [E91]: J’imagine car je
n’ai pas trouvé le mot percipient dans le
dico, sauf anglais mais à mon avis c’est pas
ça
adjective
...
Etant elle-même psychologue, Eva décida de faire une séance de formation pour
professionnels que nous proposions dans un programme spécial au sein de notre institut. Elle se
décida à tenter une expérience psychédélique dans l’espoir d’obtenir d’autres impressions et elle me
demanda de l’assister. Dans la seconde moitié de la séance, elle eut une puissante vision de Walter
et eut une conversation significative avec lui. Il lui donna des instructions précises concernant chacun
de leurs trois enfants et lui permit de commencer une nouvelle vie, en la libérant ainsi de son
engagement moral vers lui. Ce fut une expérience profonde et libératrice.
Pendant qu’Eva se demandait si cet épisode n’était pas simplement un fantasme de son
esprit, Walter réapparut une nouvelle fois juste le temps de lui demande de rendre un livre qu’il avait
emprunté à l’un de ses amis. Eva parvint à retrouver ce livre en suivant les indications qui lui avaient
été données.
Le troisième exemple concerne Kurt, un psychologue participant à notre formation
professionnelle de trois ans. Lors de sa formation, il eu l’occasion de voir une grande variété
d’expériences transpersonnelles au cours des séances de respiration holotropique de ses collègues. Il
avait également des expériences périnatales puissantes et quelques notions du domaine
transpersonnel lui-même. Cependant il continuait à se montrer sceptique concernant l’authenticité
du phénomène, et se demandait constamment si ces expériences étaient ontologiquement réelles ou
non. Puis au cours d’une de ses séances de respiration holotropique, il vécut une synchronicité
frappante qui le convainquit de son conservatisme dans son approche de la conscience humaine.
Voici un bref compte-rendu de cet épisode.
A la fin de sa séance de respiration holotropique, Kurt eut une vive rencontre avec sa
grand-mère qui était décédée plusieurs années auparavant. Il avait été très proche d’elle pendant
son enfance, et il était profondément touché d’avoir pu communiquer avec elle une nouvelle fois.
Malgré son investissement émotionnel profond au cours de cette expérience, il continua à maintenir
une attitude de scepticisme professionnel quant à cette rencontre. Naturellement il avait eu
beaucoup d’interactions réelles avec sa grand-mère lorsqu’elle était en vie et il pensa que son esprit
aurait pu aisément créer une rencontre imaginaire à partir de ces vieux souvenirs. Cependant cette
rencontre avec sa grand-mère décédée était tellement profonde et convaincante d’un point de vue
émotionnel qu’il ne pouvait tout simplement pas l’écarter comme étant le fruit imaginaire de son
désir. Il se décida donc à chercher des preuves démontrant la réalité de cette expérience. Il demanda
à sa grand mère de lui apporter une confirmation de cela et reçut le message suivant : « Va voir ta
tante Anna et va chercher des roses coupées ». Quoique toujours sceptique, il décida néanmoins de
rendre visite à sa tante chez elle le week-end suivant. Lorsqu’il arriva, il trouva sa tante dans le jardin
entourée de roses coupées. Il était sidéré. Le jour de sa visite était le seul jour de l’année où sa tante
avait décidé de prendre soin de ses roses.
Des expériences de ce type sont certainement loin d’être des preuves irréfutables pouvant
justifier l’existence des domaines astraux et des êtres spirituels. Cependant de telles synchronicités
montrent clairement que ce domaine fascinant mérite une attention sérieuse de la part des
chercheurs qui travaillent sur la conscience. La croyance en l’existence de domaines astraux et en la
possibilité de communiquer avec les personnes décédées est fondée sur des expériences semblables
à celles que je viens de décrire ci-dessus.
Témoignages issus du spiritisme et des médiums en transe
Les témoignages quasi-expérimentaux de la survie de la conscience après la mort
provenant de la source hautement controversée que constitue le spiritisme et les médiums,
présentent un intérêt majeur. Même si certains des médiums professionnels (comme Eusapia
Palladino) ont été pris à tricher, d’autres tels que Madame Piper, Madame Léonard, et Madame
Verall, ont réussi tous les tests et ont aquis la haute estime de chercheurs attentifs et réputés
(Grosso 1981). Les meilleurs médiums sont capables de reproduire la voix du défunt, ses gestes, ses
manières et d’autres traits caractéristiques du défunt.
Commentaire [E92]: Dans le text
original c’est plus beau : sense of
commitment to his memory
Commentaire [E93]: Je ne comprends
pas s’il les avait vécues ou observées ; P195
Parfois, l’information reçue est inconnue des personnes présentes ou même des personnes
vivantes. Il est arrivé que des identités non-invitées aient également fait irruption soudainement.
Dans certains cas leur identité a été confirmée plus tard. Dans d’autres cas, des messages pertinents
ont été reçus par procuration. Quelquefois un groupe éloigné et non-informé a reçu l’information à
la place d’un parent proche ou ami du défunt. Dans les cas de « correspondance croisée » les
fragments d’un message de taille importante ont été transmis par plusieurs médiums.
Certains des rapports de spiritisme ouvrent considérablement l’esprit d’un Occidental, sans
parler de celui d’un scientifique de formation traditionnelle. Par exemple la forme extrême du
phénomène de spiritisme, « la médiumnicité physique » comprend la télékinésie et la
matérialisation, des lévitations d’objets et de personnes, la projection d’objets à travers les airs, la
manifestation de formations ectoplasmiques60, et l’apparition soudaine de textes écrits ou d’objets
(« apports »). Dans le mouvement spirituel brésilien les médiums font des opérations chirurgicales
médiumniques en utilisant leurs mains ou des couteaux en étant guidés par les esprits des personnes
défuntes. Ces opérations ne requièrent pas d’anesthésie et les blessures se ferment sans points de
suture. Les événements de ce type ont été filmés plusieurs fois et étudiés par les chercheurs
occidentaux de la carrure de Walter Pahnke, Stanley Krippner et Andrija Puharich.
Ma femme Christina et moi avons eu le privilège d’être les témoins d’une performance
remarquable de Luiz Gasparetto, un psychologue brésilien également membre de l’Eglise Spiritiste.
Nous l’avions invité à l’un de nos séminaires d’un mois à l’Institut Esalen. On disait de Luiz qu’il
d’interceptait les esprits des grands peintres et qu’il peignait dans leur style. Il pouvait peindre dans
l’obscurité la plus totale. Cependant pour sa performance d’Esalen, la chambre habituellement
obscure était partiellement éclairée par une lumière rouge obscure. Il y avait ainsi suffisamment de
lumière pour que les spectateurs puissent le voir travailler mais cela ne permettait pas que Luiz luimême distingue les couleurs avec ses sens normaux.
Tout en écoutant les Quatre Saisons de Vivaldi (musique qui l’inspirait particulièrement),
Luiz produisit à une vitesse fulgurante des tableaux remarquables les uns après les autres dans le
style de différents peintres : Van Gogh, Picasso, Gauguin, Rembrandt, Monet, Manet, entre autres. Il
utilisait ses deux mains, peignant parfois deux tableaux différents simultanément. La plupart du
temps il ne regardait même pas le papier. Il peignit un portrait de Manet sous la table avec son pied
gauche sans même le regarder. Le travail de Luiz dura un peu plus d’une heure. Quand il eut fini, le
sol était recouvert de grandes peintures, vingt-six au total. Malgré la lumière rouge de la pièce, qui
rendait toute distinction de couleurs impossible, Luiz parvint à choisir les tons adéquats pour chacun
des tableaux.
Les personnes dans la pièce commencèrent à bouger, pressés de s’approcher et d’examiner
les peintures. Cependant, il était évident que le Luiz n’avait pas encore terminé. Il s’assit l’espace
d’un instant en méditation silencieuse puis il annonça : « Il y a ici un esprit qui s’appelle Fritz Pearls et
qui veut que Toulouse-Lautrec fasse son portrait». Il fit alors le portrait du célèbre thérapeute sudafricain fondateur de la pratique Gestalt61 qui avait passé les dernières années de sa vie à Esalen. Non
seulement ce portrait était-il très ressemblant mais il possédait toutes les caractéristiques du style de
Toulouse-Lautrec.
Luiz termina le tableau mais il n’annonça pas la fin de la représentation. Après un bref
moment de réflexion il dit : « Il y a ici un autre esprit : son nom est Ida Rolf. Elle voudrait également
60
61
Ectoplasme : terme de biologie cellulaire, zone externe du cytoplasme d’une cellule .(NdT)
La Gestalt-thérapie ou Gestalt : psychothérapie qui analyse l'expérience du "ici et maintenant" et la
responsabilité personnelle. Elle se situe dans une optique dynamique et s'intéresse au « processus », à
l'ajustement permanent entre un individu et son environnement. Cet ajustement est par définition en
perpétuel changement.
Commentaire [E94]: J’ai traduit le
terme sans le trouver sur le web
Commentaire [E95]: note
Commentaire [E96]: si j’ai bien
compris dernier paragraphe p 196 media
perform ? media, les médias, ou les
méduims ? media est le pluriel de
meduim…
Commentaire [E97]: par les
médias ???
Commentaire [E98]: Olivier, tu peux
voir ça sur You Tube
son portrait, non pas telle qu’elle était au moment de sa mort mais au moment où elle avait
quarante ans ». Ida Rolf était une autre figure légendaire d’Esalen. Biochimiste allemande, elle avait
développé la technique de travail corporel qui porte son nom62. Elle avait vécu de nombreuses
années à Esalen, à deux kilomètres des bâtiments principaux qui plus tard, après son départ
devinrent notre résidence.
Le portrait de Fritz le montrait tel qu’on se souvenait de lui ou tel qu’on le connaissait
d’après ses photographies. Le portrait d’Ida, représentait bien une femme de quarante ans mais n’y
avait aucune manière de vérifier son exactitude. Personne dans la communauté d’Esalen n’avait la
moindre idée de l’apparence d’Ida Rolf à quarante ans, étant donné qu’elle était déjà âgée
lorsqu’elle arriva d’Allemagne à Esalen. Dick Price le co-fondateur d’Esalen était fasciné par la
représentation donnée par Luiz, mais plus particulièrement par les portraits des deux personnes de
l’histoire d’Esalen que Luiz n’avait jamais rencontrés. Dick fit de nombreux efforts par la suite pour
faire venir d’Allemagne une photographie d’Ida à l’âge de quarante ans. La photographie qui arriva
finalement ressemblait de façon remarquable au portrait d’Ida depuis l’au-delà et constitua donc une
preuve indiscutable des dons médiumniques de Luiz.
Le psychomanteum de Moody et la transcommunication interdimensionnelle
Raymond Moody décrit un processus intéressant et innovant pour se connecter aux défunts
dans son livre Reunions, Visionary Encounters with Departed Loved-Ones. (Réunions : rencontres
visionnaires avec les défunts bien-aimés). Ce projet lui fut inspiré par un complexe grec souterrain
(psychomanteum) qui permettait aux visiteurs de voir des apparitions de leurs parents et amis
décédés à la surface de l’eau contenue dans un grand chaudron de cuivre. Durant ses recherches
préparatoires Moody passa en revue la littérature concernant les phénomènes tels que les boules de
cristal et des phénomènes semblables . Puis il utilisa un grand miroir et des draps de velours pour
créer un environnement spécial qui d’après lui pouvait faciliter les rencontres visionnaires avec les
personnes défuntes et aimées. Moody rapporta des cas où les apparitions émergeaient du miroir et
bougeaient librement dans la pièce comme des images holographiques en trois dimensions (Moody
1993).
Une discipline fascinante appelée transcommunication instrumentale (TCI) vise au
développement de la communication avec les esprits des personnes désincarnées. TCI, qui utilise la
technologie électronique moderne, est née en 1959 lorsque le portraitiste, cinéaste et ornithologue
amateur Friedrich Jürgenson enregistrait les sons d’oiseaux dans une forêt silencieuse. Jürgenson
enregistra également sur son dictaphone des voix humaines qui appartenaient à des personnes
décédées. Certaines de ces voix lui parlèrent directement, essayant de communiquer avec lui. Cet
événement inspira en outre, le psychologue letton Konstantin Raudive qui entreprit une étude
systématique et enregistra 100 000 voix paranormales qui s’exprimaient en plusieurs langues
multilinguistiques qu’il identifia comme étant des messages de l’au-delà (Raudive 1971). Il est
intéressant de noter que selon certaines sources Thomas Alva Edison aurait travaillé pendant de
nombreuses années sur une machine permettant la communication avec le monde des esprits.
Cependant Edison mourut en 1931 sans avoir publié ses notes.
Plus récemment un réseau de chercheurs du monde entier comprenant entre autres Ernest
Senkowski, George Meek, Mark Macy, Scott Rogo et Raymond Bayless a rassemblé ses efforts pour
établir « des transcommunications interdimensionnelles » (Senkowski 1994). Ce groupe affirma avoir
reçu beaucoup de communications paranormales et verbales ainsi que des images des défunts à
travers les médias électroniques, les dictaphones, les téléphones, les fax, les ordinateurs et les écrans
de télévision. Parmi les esprits qui communiquaient depuis l’au-delà on compte certains des
NdT :
62
Rolfing : technique de massage global du tissu conjonctif, inventée par Ida Rolf
Commentaire [E99]: je n’ai pas trouvé
le mot scrying dans le dico. Il faisait partie
de ces phénomènes énumérés
Commentaire [E100]: il s’agit du
terme en rigueur ( vérifié)
Commentaire [E101]:
chercheurs dans ce domaine aujourd’hui décédés tels que Jürgenson et Raudive, et qui tentent
maintenant de prendre contact avec les vivants. Par ailleurs un esprit qui a pour nom « le
Technicien » dessine des circuits électroniques afin de parfaire la communication
interdimensionnelle avec l’au-delà et il transmet ces informations aux chercheurs terrestres
(Senkowski 1994). Lors d’une conférence récente, Mark Macy a également décrit ses entretiens avec
neuf êtres angéliques obtenus par la technologie de transcommunication interdimensionnelle (Macy
2005).
Tout comme les observations issues des recherches thanatologiques concernant les
expériences de mort imminente, ainsi que les informations obtenues sur les vies antérieures grâce
aux enfants et aux adultes, notre savoir concernant la communication avec les entités désincarnées
et les domaines astraux ne peut pas être considérée comme une « preuve de la survie de la
conscience » après la mort. Cependant elles appartiennent à n’en point douter à la catégorie des
« phénomènes anormaux » pour lesquels les paradigmes scientifiques modernes ne proposent
aucune explication.
Commentaire [E102]: pas exactment :
who calls himself
Commentaire [E103]: Il y’a peut –être
un terme mais j’ai pas trouvé
Commentaire [E104]: idem
CHAPITRE 12
HISTOIRE DE LA THERAPIE PSYCHEDELIQUE AVEC LES
MOURANTS
« Les derniers rites devraient rendre plus conscients et non moins conscients, plus humains plutôt
que moins humains »
Aldous Huxley, auteur d’Ile et Le Meilleur des mondes
MON EXPERIENCE PERSONNELLE avec les mourants est liée de près à la thérapie
psychédélique avec l’acide d-lysergique et diethylamide (LSD-25), N ,N-dipropyltryptamine (DPT) et
3,4 methylenedioxyamphétamine (MDA). Même si ce traitement est issu des recherches de la
thérapie pharmacologique et clinique, elle rassemble des procédés pratiqués dans de nombreuses
cultures primitives. Les sources de la thérapie psychédélique remontent aux temps les plus reculés
de l’histoire humaine, aux cérémonies de guérison de civilisations anciennes et même encore plus
loin, aux rituels chamaniques. Plusieurs sources indépendantes de l’époque actuelle évoquent le fait
que la thérapie psychédélique puisse soulager la souffrance de patients atteints de cancer. Ce
chapitre résume quelques uns des apports majeurs dans ce domaine de recherches.
Recherche éthnomycologique par Gordon et Valentina Pavlovna Wasson
Valentina Pavlovna Wasson, pédiatre d’origine russe, fut la première à avoir l’intuition que
les substances psychédéliques pouvaient avoir des propriété thérapeutiques pour les personnes
condamnés. La contribution de Valentina et son mari Gordon Wasson à l’histoire psychédélique est
fascinante et elle mérite toute notre attention. Gordon Wasson était semblait de primer abord la
dernière personne susceptible de s’engager dans quoi que ce soit qui fut lié aux psychédéliques.
Commentaire [E105]: Pas toruvé trad
sur le web
Gordon Wasson était banquier à New York et vice président de la Société de Trusts J.P. Morgan.
L’histoire commence en 1927 pendant son voyage de noces avec sa jeune épouse aux Montagnes
Catskill. Au cours de l’une de leurs promenades en forêt Valentina Pavlovna cueillit quelques
champignons sauvages qu’elle prépara pour le dîner.
Comme on pouvait s’y attendre la part d’un Anglo-Saxon, Gordon était mycophobe (terme
qu’il inventa plus tard pour désigner les personnes qui pensent que les champignons comestibles
sont ceux qui se trouvent uniquement dans les supermarchés et qui qualifient les champignons
sauvages de « nourriture à crapauds »). Il était terrifié à l’idée de manger des champignons sauvages
et il tenta d’en dissuader sa femme, mais sans succès. Valentina qui était mycophile (le terme que
Gordon utilisa pour qualifier ces personnes d’Europe Centrale qui se régalaient en mangeant des
champignons sauvages) prépara un délicieux dîner avec pour ingrédient principal les champignons
sauvages. Gordon les goûta à contre-cœur et il trouva cela délicieux. Le matin suivant, en découvrant
à sa grande surprise qu’ils étaient tous les deux en vie et bien-portants, il eut une conversation d’une
importance cruciale de mycophobe à mycophile.
Cette expérience éveilla en lui un profond intérêt pour les champignons qui se prolongea
durant tout le reste de sa vie et il devint dès lors éthnomycologue amateur de notoriété mondiale.
Gordon et Valentina passèrent ensuite vingt ans à étudier le rôle que les champignons avaient joués
dans l’histoire de l’humanité, l’archéologie, les différentes religions, le folklore et la mythologie.
Leurs recherches extensives culminèrent dans un travail colossal : Mushrooms, Russia and History
(les Champignons, la Russie et l’Histoire Wasson et Wasson 1957), dans lequel les Wasson
concluaient que l’adoration pour les champignons était une composante significative de la vie
religieuse à l’époque préhistorique dans la majeure partie de l’Eurasie et des Amériques. Ils étaient
particulièrement fascinés par l’usage rituel du champignon psychoactif Amanita muscaria par les
chamanes des peuples Fino-Ougrariens et des autres peuples nordiques de l’Eurasie.
Cet intérêt les conduisit finalement à découvrir l’usage rituel des champignons
« magiques » dans les cultures pré-hispaniques et dans l’Amérique Centrale d’aujourd’hui. Après
trois voyages dans les plaines du Mexique, ils découvrirent Maria Sabina, la curandera (guérisseuse)
Mazatèque, qui utilisait dans ses rituels de guérison les champignons psychoactifs appelés
teonanacatl, ou chair des dieux en Amérique Centrale. En juin 1955, les Wasson et leur ami le
photographe new yorkais Allan Richardson, devinrent les premiers occidentaux autorisés à participer
aux rituels ou velada de Maria Sabina. Mushrooms, Russia and History rendait compte de la première
entrevue des Wasson avec Maria Sabina et de leur expérience avec les champignons magiques.
Les Wasson furent profondément impressionnés par les puissants effets des champignons
qu’ils avaient goûtés dans la velada de Maria Sabina. En 1957 Valentina Pavlovna donna une
interview, qui fut publiée dans le magazine de Baltimore, This Week, sur l’histoire de leur découverte
et sur son expérience personnelle après ingestion de teonanacatl (Wasson 1957). Dans cette
interview, elle disait que si l’on parvenait à isoler et à produire en quantités suffisantes l’agent actif, il
deviendrait un outil crucial pour l’étude de la psyché humaine. Elle affirma également qu’au fur et à
mesure que cette drogue serait mieux connue, on trouverait ses utilisations médicales : notamment
pour le traitement de l’alcoolisme, des addictions aux drogues, des désordres mentaux ou autres
maladies mentales associées à des douleurs sévères.
Valentina ne dut pas attendre longtemps pour que son extraordinaire prédiction devienne
réalité. Roger Heim, un célèbre mycologue français dont les Wasson sollicitèrent l’aide, identifia que
les champignons teonanacatl faisaient partie de la famille botanique Psilocybe mexicana . Il envoya
des échantillons aux laboratoires de la compagnie pharmaceutique suisse Sandoz afin qu’ils les
analysent. Dans un tour de force chimique, Albert Hofmann qui avait découvert le LSD, parvint à
identifier deux alcaloïdes actifs responsables de l’effet des champignons Psilocybe : psilocybine et
psilocine. Sandoz produisit de grandes quantités de dragées à partir des deux nouveaux
psychédéliques et les rendit disponibles pour les laboratoires et la recherche clinique.
Ainsi que nous le décrivons plus loin, quelques années plus tard une équipe de chercheurs
travaillant à Baltimore testa la validité de l’hypothèse émise par Valentina Pavlovna. Un groupe de
psychiatres et de psychologues au Centre de Recherche Psychédélique du Maryland qui n’avaient pas
eu connaissance de l’article dans This Week lancèrent une série d’études systématiquement
contrôlées de thérapie psychédélique avec du LSD, drogue liée de près à la psilocybine, pour traiter
les désordres proposés par Valentina Pavlovna : alcoolisme, addictions aux drogues narcotiques,
névroses et patients en phase terminale de cancer (Grof 1980). J’ai été moi-même très surpris de
découvrir l’article de presse avec l’interview de Valentina dans la bibliothèque de Gordon Wasson en
1974, lors d’une visite chez eux en Nouvelle-Angleterre.
Apports d’Aldous Huxley63
L’autre pionnier à préconiser l’utilisation des psychédéliques avec les individus mourants
n’était ni médecin, ni thérapeute, mais l’écrivain Aldous Huxley64. Les expériences personnelles de
Huxley au LSD et à la mescaline éveillèrent en lui une fascination envers les expériences religieuses et
mystiques ainsi qu’envers la mort. En 1955, il utilisa ses connaissances pour aider sa première Maria
qui était en train de se mourir d’un cancer. Formé à l’hypnose, Huxley soulagea ses dernières heures
en utilisant l’induction hypnotique d’une façon très particulière. Lorsqu’elle était en état de transe, il
l’aida à retourner aux expériences extatiques qu’elle avait spontanément vécues plusieurs fois au
cours de sa vie. Le but de Huxley était de faciliter sa mort en la guidant vers des états de conscience
mystiques à mesure que sa fin approchait. Huxley utilisa les souvenirs de ces procédés
extraordinaires dans son roman Ile, pour décrire de manière émouvante la mort de Lakshmi, un de
ses personnages principaux (Huxley 1963).
Huxley écrivit une lettre à Humphry Osmond, le psychiatre et pionnier de la recherche
psychédélique qui lui avait fait connaître le LSD et la mescaline, dans laquelle il disait : « Ma propre
expérience avec Maria m’a convaincu que les vivants pouvaient faciliter le passage aux mourants
d’une façon incommensurable élevant ainsi l’acte le plus pur de l’existence humaine au niveau de la
conscience et peut-être même à la spiritualité ». Il ne fait aucun doute à ceux qui connaissent les
effets des drogues psychédéliques et l’histoire personnelle de Huxley, que « soma » dans son livre Le
Meilleur des mondes et le « médicament moksha » dans l’Ile sont des substances psychédéliques
ayant des effets semblables aux LSD, mescaline et psilocybine. Dans l’œuvre de Huxley, « moksha »
provoque aux habitants de l’île des expériences mystiques qui les libèrent de la peur de la mort et qui
leur permettre de vivre de manière plus détachée.
Dans une autre lettre à Humphrey Osmond écrite en février 1958, Huxley s’est montré
assez explicite par rapport à son idée d’utiliser le LSD avec les individus mourants : « … encore un
autre projet - l’administration de LSD aux patients en phase terminale du cancer- dans l’espoir que
la mort devienne un processus plus spirituel et moins physiologique ». D’après sa seconde épouse,
Laura, Huxley, aurait dit à plusieurs reprises que « les derniers rites [devaient] rendre plus conscients
et non moins conscients, plus humains plutôt que moins humains ». En 1963, alors qu’il se mourait
lui-même d’un cancer, Huxley démontra le caractère sérieux de son opinion. Plusieurs heures avant
sa mort, il demanda à Laura de lui donner 100 microgrammes de LSD afin de faciliter sa transition.
Cette expérience émouvante fut plus tard rapportée par Laura dans son livre This Timeless Moment
(Cet Instant Eternel Laura Huxley, voir l’appendice). Malgré cet exemple personnel unique, la
recommandation de Huxley n’eut aucune influence sur les chercheurs et ce, pendant plusieurs
années.
Etudes d’Eric Kast sur les propriétés analgésiques du LSD
Un autre apport majeur à la thérapie psychédélique avec les mourants provint d’une source
plutôt inattendue sans rapport avec l’idée pionnière et les efforts de Huxley. Au début des années
63
Pour lire la description de l’écrivain sur la mort de son épouse Maria, se référer à l’appendice. (NdT)
64
1894-1963
Commentaire [E106]: dates
Commentaire [E107]: pas trouvé la
citations ur me web
Commentaire [E108]: soma en fait est
la fameuse drogue utilisée par les hindous
comme kykeon chez les grecs : si on
pouvait mettre des notes de bas de page –
je les laisse au cas où pour toi- ce serait
bien de le préciser, car je suis certaine qu’il
n’a pas choisi ce nom au hasard.
Commentaire [E109]: Libération en
sanscrit
Commentaire [E110]: Mescaline et
psilocuybine sont du LSD n'est ce pas?
Sinon il faut mettre des atricles devant.
Commentaire [E111]:
Commentaire [E112]: Olivier, si tu as
fait des changements dans la citation qui
ouvre la chapitre, il faut harmoniser celle
ci. Et par ailleurs, cette ciation revient
encore en appendice.
1960, Eric Kast de l’Ecole Médicale de Chicago, en quête d’un analgésique efficace et fiable étudia les
effets de plusieurs drogues sur la douleur. Il voyait le LSD comme un candidat possible en raison de
certaines particularités de son effet sur les humains. Chez certains de ses utilisateurs, le LSD altérait à
la fois la perception du corps et libérait de ses limites Par ailleurs, il semblait également interférer
dans la capacité à se concentrer et à maintenir une attention sélective sur des sensations
physiologiques particulières. Kast émit l’hypothèse que les seules impressions visuelles des individus
qui étaient sous l’influence de LSD étaient à même de l’emporter sur les sensations de douleur ou sur
les préoccupations liées à la survie. L’effet du LSD sur l’image du corps et son effet sur des points
précis où il était administré semblaient donc dignes d’être explorés en raison de son potentiel
d’altération de la douleur physique.
Kast et Collins ont conduit une étude qui comparait les propriétés analgésiques du LSD à
celles de deux drogues narcotiques puissantes reconnues : dihyrdromorphinone (dilaudid) et
meperidine (démerol) (Kast et Collins 1964). Le groupe de cinquante personnes souffrant de douleurs
physiques comprenait trente neuf patients avec plusieurs types de cancers à des phases différentes,
dix patients souffrant de gangrène aux pieds ou aux mains et un avec un herpès sévère. Les analyses
statistiques de cette comparaison indiquaient que l’effet analgésique du LSD était supérieur à la fois
à ceux du Dialaudid et à ceux du Demérol. Outre le soulagement de leur douleur, certains individus
cessèrent de dramatiser la gravité de leur situation personnelle. Ils parlaient fréquemment de leur
mort imminente avec une maîtrise émotionnelle considérée comme étrangère à notre culture.
Cependant il était assez évident que cette nouvelle perspective était bénéfique vu la situation qu’ils
vivaient.
Dans une étude postérieure portant sur cent vingt huit individus avec cancer métastatique,
Kast examina quelques unes de ses conclusions antérieures plus en détail (Kast 1964). Cette fois, il se
concentra non seulement sur les effets que le LSD avait sur la douleur mais également sur des
paramètres émotionnels supplémentaires : les changements émotionnels, les schémas de sommeil et
les manières d’appréhender la maladie et la mort. Si l’on prend en compte le fait que l’accent n’était
pas mis sur les effets psychothérapeutiques et que les patients n’étaient même pas informés du fait
qu’il leur avait été administré du LSD, les résultats étaient assez remarquables. Environ deux ou trois
heures après l’administration de cent microgrammes de LSD, de nombreux patients vécurent un
soulagement de douleur radical qui dura en moyenne douze heures. L’intensité de la douleur du
groupe dans son ensemble (donc pas nécessairement pour chaque personne) diminua pendant une
période de trois semaines. Pendant les dix jours qui suivirent la séance, Kast observa des
améliorations dans la qualité du sommeil et remarqua que les patients étaient moins soucieux de
leur maladie et de leur mort imminente.
En 1966, Kast publia un autre essai dans lequel il accorda une attention plus explicite à
l’influence du LSD sur les expériences et les opinions religieuses et philosophiques des patients (Kast
1966). Le groupe qu’il étudiait était composé de quatre vingt personnes dont il avait connaissance du
diagnostic dans sa totalité, qui souffraient de maladies mortelles en phase terminale avec des
espérances de vie allant de quelques semaines à quelques mois. Contrairement aux études
précédentes, les séances de LSD se terminèrent par des injections intraveineuses de cent
milligrammes de chlopromazine en vue de traiter l’apparition de la peur, de la panique, des images
déplaisantes ou le désir de repos. L’influence bénéfique d’une seule administration de cent
milligrammes de LSD sur la douleur physique, le moral et les schémas de sommeil était semblable
aux études précédentes. Par ailleurs, Kast décrivit de nombreux changements chez les patients qui
rendaient leur situation plus tolérable. Il remarqua une amélioration dans la communication à la fois
entre l’observateur et les patients ainsi que parmi les patients eux-mêmes. Cela exalta leur moral et
leur respect pour eux-mêmes, et créa un sentiment de cohésion et de communauté au sein du
groupe. On nota en outre l’apparition significative de « sentiments heureux et océaniques » se
prolongeant douze jours après l’administration de LSD.
Kast rapporta également quelques résultats qualitatifs qui n’étaient pas reflétés par ses
graphiques et ses chiffres, à savoir que les croyances philosophiques et religieuses de ses patients
avaient changées, tout comme leur attitude envers la mort. Malgré quelques limites dans le
Commentaire [E113]: Si j’ai bien
compris : produced a marked distortion of
the body image and alterations of the body
boundaries
Commentaire [E114]: a vérifier de
très près
Commentaire [E115]: J’imagine donc
qu’il s’agit de maîtrise: le texte dit attitude,
mais je trouvait pas ça super en français
Commentaire [E116]: Tu pense qu’il
veut dire ses staitiques ?
protocole expérimental de Kast, la valeur historique de ses efforts pionniers est indiscutable. Non
seulement il découvrit la valeur analgésique du LSD chez les patients souffrant de douleur
incommensurable, mais il apporta également des preuves expérimentales à l’idée d’Aldous Huxley
selon laquelle l’administration de LSD aux personnes souffrant de cancer, pouvait faciliter leur façon
d’aborder la mort. Kast conclut la dernière de ses études en faisant remarquer que non seulement le
LSD peut améliorer le sort des individus mourants en les rendant plus réceptifs à leur environnement
et à leur famille, mais qu’il augmente en outre leur capacité à apprécier les nuances et les subtilités
de la vie quotidienne. Cela leur apporte une satisfaction esthétique et crée une « nouvelle envie de
vivre et un goût de l’expérience qui, face à une perspective d’obscurité et de peur, offre une
perspective prometteuse » (Kast 1966).
Recherche de thérapie psychédélique par Cohen et Fisher
Les résultats encourageants des études de Kast ont incité Sidney Cohen, ami d’Aldous
Huxley et éminent psychiatre de Los Angeles, également pionnier dans la recherche sur le LSD, à
démarrer un programme de thérapie psychédélique pour les patients mourant du cancer.
Malheureusement les résultats de son étude et les détails de ses protocoles de traitement n’ont
jamais été publiés. Dans un article datant de 1965, Cohen exprima son opinion quant au potentiel de
la thérapie psychédélique pour les mourants. Il se fondait sur ses expériences pilotes avec un petit
groupe de patients (Cohen 1965). Il affirma que son propre travail confirmait les résultats des
recherches de Kast, selon lesquelles le LSD avait des effets bénéfiques sur les douleurs physiques
sévères. Il émit l’hypothèse selon laquelle le LSD pourrait un jour fournir une technique pour altérer
l’expérience des mourants. Cohen estimait hautement le sens de ses recherches : « La mort doit
devenir une expérience plus humaine. L’un des plus grands dilemmes de la médecine moderne est de
préserver la dignité dans la mort et d’empêcher les vivants d’abandonner ou de prendre leurs
distances avec les personnes mourantes ».
Le collaborateur de Cohen, Gary Fisher, publia plus tard un essai sur les problèmes
personnels et interpersonnels des mourants, dans lequel il insistait sur la signification des
expériences transcendantales, qu’elles soient spontanées, résultant de plusieurs pratiques
spirituelles ou produites par des drogues psychédéliques (Fisher 1970). La conséquence
d’expériences telles sur le malade est qu’il cesse de se préoccuper de sa mort physique et qu’il la voit
comme un phénomène naturel formant partie du cycle de la vie. Cette acceptation modifie de
manière drastique le style de vie d’une personne : le patient ne réagit plus avec panique, peur,
douleur ou dépendance aux changements qui ont lieu. Il a au contraire envie de partager ses
nouvelles connaissances avec ses parents proches ou avec ses amis. Fisher traita de l’utilisation de la
thérapie de LSD dans le cadre d’un projet de recherche où cette drogue était comparée à un
analgésique expérimental et où on ne disposait que d’une heure pour préparer les patients à la
séance. Malgré ces limites imposées, il observa des résultats radicaux dans la réduction de la
douleur, des effets secondaires psychologiques et dans l’adaptation des patients à leur mort
imminente.
Psychothérapie psychédélique à l’Institut de Recherches Psychiatriques de Prague
Une autre série d’observations, intégrées par la suite dans des thérapies psychédéliques
pour les mourants, débutèrent à l’Institut de Recherche Psychiatrique de Prague en
Tchécoslovaquie ; j’étais le principal chercheur au sein d’un programme de recherche destiné à
étudier les effets du LSD et de la psilocybine dans la psychothérapie assistée. En 1960, notre équipe
entreprit des expériences avec les patients psychiatriques pour explorer le potentiel de ces
substances dans les diagnostics de personnalité et dans la psychothérapie. Cette recherche nécessita
un travail psychologique intense et une série de séances thérapeutiques avec des dosages moyens de
LSD et psilocybine. Cette approche était initialement fondée sur la théorie et la pratique de la
psychanalyse freudienne. Cependant, au fil des ans, notre approche de recherche fut modifiée
Commentaire [E117]: Le texte dit
« might ease their encounter with death”
radicalement et devint un processus thérapeutique indépendant qui comprenait un travail à la fois
sur les thèmes liés à la naissance (périnataux) et transpersonnels, en plus des problèmes
psychodynamiques biographiques. Il devint rapidement évident que lorsque la psychothérapie était
combinée à l’administration de psychédéliques, tous nos patients quel que soit leur diagnostic,
transcendaient tôt ou tard le domaine de la vie postnatale et de l’inconscient individuel. Le processus
de leur auto-exploration personnelle allait spontanément aux domaines qui se situent bien au-delà
des frontières étroites de la psyché telle qu’elle est définie par Freud. A notre grande surprise
souvent teintée d’une certaine consternation intellectuelle, nous fûmes les témoins d’un phénomène
largement décrit au fil des millénaires à la fois dans bien des cultures préindustrielles mondiales
dans le contexte procédés chamaniques, dans de nombreuses traditions mystiques, dans les
mystères des temples et dans les rites de passage. Le plus commun et le plus important de ces
phénomènes était lié aux expériences de mort et de renaissance, souvent suivies par des sentiments
d’unité cosmique. Cette profonde rencontre avec sa propre impermanence et sa mortalité était très
complexe ; elle avait en outre des répercutions biologiques, émotionnelles, intellectuelles,
philosophiques et spirituelles.
Ces expériences semblaient avoir des effets très bénéfiques sur les symptômes émotionnels
et psychosomatiques de mes clients, y compris chez ceux qui n’avaient jusqu’à présent réagi à
aucune des thérapies conventionnelles. A la suite d’épisodes tels de mort et de renaissance
psychospirituelles et plus particulièrement après les expériences d’unité avec l’Univers, plusieurs
conditions psychopathologiques chez les patients s’améliorèrent presqu’immédiatement. Ces
observations révélèrent l’existence de mécanismes thérapeutiques puissants encore inconnus de la
psychiatrie et de la psychologie occidentales pourvues d’un potentiel de guérison et de
transformation bien supérieur à ceux que la psychothérapie et la pharmacothérapie conventionnelles
avaient à offrir.
De nombreux patients ayant vécu une expérience de mort et de renaissance
psychospirituelles rapportèrent que leur attitude à l’égard de la mort et la conception qu’ils en
avaient se transformèrent radicalement. La peur à l’égard de leur mort physiologique diminua, et ils
devinrent ouverts à la possibilité de l’existence de la conscience après leur mort clinique. Ils avaient
tendance à voir le fait de mourir comme une aventure dans la conscience plutôt que comme leur
défaite personnelle ou un ultime désastre biologique. Deux patients souffrant de thanatophobie
sévère (c’est à dire d’une peur pathologique de la mort) vécurent des changements étonnants. Au
cours de nos recherches, nous fûmes plusieurs fois témoins d’un processus étonnant qui ressemblait
de près aux pratiques initiatiques dans les anciens mystères de la mort et de la renaissance et qui
impliquaient souvent des enchaînement d’événements semblables à celles décrites dans les livres
Tibétains ou Egyptiens des Morts.
Les comptes-rendus des attitudes altérées envers la mort étaient si fréquentes et
profondes qu’il semblait important de tester leur pertinence pratique. Il était évident que de tels
changements dans l’attitude envers la mort pouvaient être tellement bénéfiques aux mourants, plus
particulièrement ceux présentant des maladies chroniques incurables. J’ai donc décidé de faire des
séances au LSD avec plusieurs patients cancéreux. Les observations pilotes indiquaient que le
soulagement de la peur de la mort que j’avais observé chez mes patients psychiatriques, jeunes pour
la plupart et physiquement sains, pouvait aussi advenir chez des individus où le problème de la mort
était imminent. A ce moment-là, le groupe de Prague commença à discuter sérieusement de la
possibilité de travailler de façon systématique avec des personnes mourantes, et j’ai alors mis au
point un programme de recherches utilisant des séances de LSD avec des patients en phase
terminale de cancer.
Premières recherches psychédéliques à l’Hôpital Public de Spring Grove
Ces plans furent interrompus lors de ma visite en 1965 aux Etats-Unis, date à laquelle la
Fondation de Recherches en Psychiatrie à New Haven m’offrit une bourse pour passer un an à
Baltimore, Maryland, en qualité de chercheur clinique à l’Université de John Hopkins. Mon hôte et
Commentaire [E118]: Postnatal
biography : peut être que biographie est
bien le terme ici. Biographie postnatale ??
nouveau chef, le Docteur Joel Elkes, à la tête de la Clinique Psychiatrique Henry Philips à John
Hopkins, m’invita à démarrer un programme de thérapie psychédélique. Malheureusement juste
avant mon arrivée à Baltimore, Maimon Cohen et ses collègues publièrent les résultats de leurs
recherches qui indiquaient que le LSD faisait partie des substances pouvant causer des changements
structurels dans les chromosomes des globules blancs (Cohen, Marinello et Back 1967). Leur essai fut
découvert par des journalistes de la presse à scandale qui lancèrent une énorme campagne de
médias les mettant en garde les utilisateurs de LSD contre ses effets dommageables sur les
générations futures.
Les journalistes qui avaient initié cette campagne médiatique négligèrent le fait que dans
son essai Cohen décrivait une expérience dans un tube-test (c’est-à-dire in vitro) et non avec des
êtres humains, et qu’en outre il avait déjà rapporté des changements chromosomiques structurels
dans des expériences comprenant d’autres substances communément utilisées, comme l’aspirine, la
caféine et les antibiotiques à base de tétracyline. Ils firent par ailleurs des extrapolations nonfondées à partir de cette expérience in vitro et parlèrent des effets mutagéniques teratogéniques et
carcinogéniques du LSD et du fait que le LSD pourrait être à l’avenir la cause de la claustrophobie .
Toutes ces affirmations aléatoires se sont avérées fausses et furent désapprouvées par les recherche
postérieures. Mais la publicité adverse créa une hystérie nationale au détriment des recherches sur
le LSD, déjà sévèrement affectées par les usages massifs non contrôlés de la jeune génération.
Dans ces conditions, le Docteur Elkes décida d’annuler sa décision d’entreprendre un
nouveau projet LSD à John Hopkins. Cependant, par une extraordinaire coïncidence, le seul projet de
psychothérapie de LSD aux Etats-Unis ayant survécu aux sévères mesures légales et administratives
faites pour pallier l’utilisation de masse non contrôlée, se trouvait à l’Hôpital d’Etat de Spring Grove
à Baltimore. Etant donné les nouvelles circonstances, le Docteur Elkes me proposa un changement
dans le programme de ma collaboration : au lieu de créer un nouveau programme de recherche à
John Hopkins, j’allais devoir donner des cours à l’université et me joindre à l’équipe de Spring Grove
pour participer à leur programme de recherches.
Lors de ma première rencontre avec l’équipe de Spring Grove, j’ai été surpris de voir que la
plupart des discussions tournaient autour des perspectives que la psychothérapie au LSD offrait dans
le soulagement la souffrance émotionnelle et physique des patients atteints de cancers. L’équipe de
recherches s’était déjà intéressée à ce domaine en 1963, lorsqu’un groupe constitué de psychiatres,
psychologues et assistants sociaux de Spring Grove avait exploré les effets d’un petit cours de
psychothérapie au LSD sur le comportement, la condition psychologique et l’insertion sociale des
alcooliques. Dans une étude parallèle, le potentiel thérapeutique de ce nouveau traitement avait été
testé chez un groupe de patients névrosés. Les évaluations postérieures de suivi -clinique fondées sur
les entretiens cliniques ainsi que sur une série de tests psychologiques (l’Inventaire de Personnalité
Multiphasique de Minnesota IPMM, l’Inventaire Personnel d’Orientation de Shostrom IPO, le Test de
la Tâche d’Encre Rorschach entre autres) montrèrent que la dépression et l’anxiété étaient les
symptômes que à la thérapie psychédélique traitait le plus efficacement.
Le Cas de Gloria
Alors que ces études avec les alcooliques et les névrotiques allaient bon train, un
événement tragique attira l’attention de l’équipe de recherche sur les besoins émotionnels des
patients atteints de cancers. On diagnostiqua à l’un des membres de l’équipe, Gloria, une femme
dans la petite quarantaine, un cancer du sein. La tumeur était déjà dans un état très avancé lorsqu’on
la découvrit. On lui fit une mastectomie totale et la biopsie qui suivit révéla des métastases
inopérables dans son foie. A la maladie physique de Gloria s’ajoutait la dépression émotionnelle.
Gloria était complètement consciente de sa condition et de son pronostique et elle fit part de ses
sentiments de désespoir aux autres membres de l’équipe. Sid Wolf, psychologue et membre de
l’équipe thérapeutique proposa une séance avec un dosage élevé de LSD pour soulager l’anxiété et
la dépression de Gloria, tout comme cela avait été fait pour les alcooliques.
Commentaire [E119]: Je ne connais
pas ces substances, ma tournure est elle
correcte ?
Commentaire [E120]: Traduction à
partir de l’anglais : je n’ai pas été vérifier
Commentaire [E121]: LSD-assisted
psycho…
L’équipe de Spring Grove décida de tenter une séance de LSD, tout en étant totalement
consciente que la condition émotionnelle de Gloria était différente de la dépression et de l’anxiété
présentes chez les alcooliques, en cela qu’il s’agissait d’une réaction à un mal-être physique dû à une
maladie mortelle incurable. Après maintes discussions avec le mari de Gloria, son médecin et après
avoir obtenu l’approbation de toutes les personnes concernées, nous débutâmes un cours de
thérapie psychédélique avec Sidney Wolf comme accompagnateur. Dans son travail avec Gloria, Sid
suivit la démarche utilisée par l’équipe de Spring Grove dans le traitement des patients
psychiatriques. La préparation de la dernière séance dura environ une semaine. Les entretiens
quotidiens qui avaient lieu à ce moment-là se concentraient sur l’histoire personnelle et les relations
interpersonnelles présentes. Au cours de la séance d’entretiens précédant l’administration de LSD, le
thérapeute mit au clair tous les problèmes importants liés aux effets de la substance et donna toutes
les instructions nécessaires à la séance. L’objectif premier de cette démarche était de faciliter
l’accueil d’une profonde expérience spirituelle (« expérience de pic psychédélique») dans le cadre de
cette psychothérapie intense quoique brève.
Le matin du jour de la séance, Gloria ingéra 200 milligrammes de LSD. Elle passa la majeure
partie de la journée allongée sur le canapé dans la salle de traitement avec les yeux couverts et des
écouteurs à écouter de la musique stéréo en son haute fidélité. Sid resta avec elle pendant l’heure
précédant la prise de la substance et jusqu’à tard dans la soirée. Pendant les cinq premières heures, il
changea la musique et supervisa l’ensemble à des intervalles réguliers. Plus tard au cours de la
séance, il lui parla et l’aida à intégrer l’expérience. L’issue de cette expérience pionnière fut
extraordinaire et elle dépassait de très loin les attentes de l’équipe de chercheurs. La qualité des
derniers jours de vie de Gloria en fut grandement améliorée.
Peu après la séance de LSD, Gloria partit en vacances avec son mari et ses enfants.
Lorsqu’elle revint, deux semaines après la séance, elle rédigea le rapport rétrospectif suivant :
Le jour avant mon ingestion de LSD, j’avais peur et j’étais anxieuse. A ce momentlà il s’en est fallu de peu que je ne fasse marche arrière. A la fin de la séance préparatoire,
pratiquement toute mon anxiété avait disparu. Les instructions furent bien assimilées et le
processus était clair. J’ai passé la nuit calmement à la maison. Des amis proches m’ont
rendu visite, nous avons regardé des albums photo et nous sommes rappelés les bons
souvenirs de famille. Mon sommeil fut profond et paisible. Je me suis réveillée rafraîchie et
sans pratiquement aucune peur. La matinée était superbe et l’air était frais. Je suis arrivée
au bâtiment de LSD avec le thérapeute. Les membres du département étaient tout autour
pour me souhaiter que bonne chance. C’était une sensation agréable.
Dans la salle de traitement il y avait un beau bouton de rose, rouge et velouté qui
était malheureusement, d’une variété moins odorante que les autres. Un bol de succulents
fruits frais était également posé sur la table. On me donna immédiatement la première
dose et je me suis assise pour regarder les images de mon album de famille. Graduellement
mes mouvements se brouillèrent et je me suis sentie bizarre. On me demanda de
m’allonger et on me donna des écouteurs en me couvrant les yeux. A ce moment-là on
m’administra la seconde dose de LSD. Cette phase était généralement associée à de
l’impatience. On m’avait donné des instructions en cas de douleur, de peur, ou autres
difficultés de ce type. J’étais prête à mettre à l’épreuve mes capacités à affronter l’inconnu
devant moi et à triompher des obstacles. J’y étais préparée mais exception faite des
sensations physiques bizarres et des étourdissements, il ne se passa rien d’autre.
A ce moment-là il me sembla me fondre à la musique qui me transportait. Je
faisais tellement une avec la musique que quand une mélodie ou le disque s’arrêtait, je
vivais l’attente avec impatience Un jeu délicieux était en train de se jouer. Qu’allait-il se
passer ensuite ? La musique serait-elle puissante, tendre, dansante ou sombre ? J’avais
l’impression qu’on me taquinait, mais d’une façon si agréable, tellement suave !. J’avais
envie de rire de plaisir, peu soucieuse de l’endroit où je me trouvais, de ma tristesse
Commentaire [E122]: Ça a un rapport
avec le famauxPIc en Darien?
antérieure ou de mon émerveillement. Dès que la musique commençait, je repartais. Je n’ai
pas souvenir de toutes ces explorations.
Je me souviens surtout de deux expériences. J’étais seule dans un monde éternel
sans frontières. Il n’y avait pas d’atmosphère. Il n’y avait pas de couleur, pas d’imagerie,
mais il se peut qu’il y ait eu de la lumière. Soudain j’ai réalisé que j’étais moi-même un
fragment de temps, créée par ceux qui m’avaient précédée, et que j’étais à mon tour la
créatrice d’autres personnes. J’avais fait mon temps et ma fonction principale était
parvenue à son terme. Ma naissance avait donné un sens à l’existence de mes parents.
De nouveau dans le vide ; seule hors des limites de l’espace et du temps. La vie se
réduisait au plus petit dénominateur commun. Je ne me souviens pas de la logique de
l’expérience, mais j’ai compris que l’mour est au cœur de la vie. A ce moment-là, j’ai eu la
sensation que je m’ouvrais au monde entier à toutes les personnes et plus spécialement à
mes proches. J’ai longtemps pleuré les années gâchées, la recherche de mon identité à des
endroits vains, les opportunités manquées, l’énergie émotionnelle perdue poursuivre des
quêtes absurdes.
Plusieurs fois, après des moments de répit, je suis revenue, mais toujours vers des
variations du même thème musical. La musique m’emportait et me soulevait. Parfois au
cours des moments de pause, j’avais conscience de l’odeur des pêches. La rose n’égalait en
rien le fruit. Le fruit était du nectar et de l’ambroisie (la vie) ; la rose n’était qu’une belle
fleur. Lorsqu’on me donna une nectarine, ce fut là la quintessence d’une saveur aussi
succulente que subtile.
Lorsque j’ai commencé à émerger de nouveau, je fus transportée vers un monde
frais où le vent soufflait. Les membres du département me souhaitèrent la bienvenue et j’ai
éprouvé de la joie non seulement pour moi, mais parce que j’avais réussi à utiliser cette
expérience que les personnes qui m’aimaient voulaient que je vive. Je me suis sentie
proche d’un grand nombre de personnes. Plus tard lorsque les membres de ma famille
arrivèrent, la proximité semblait toute nouvelle. Cette soir-là mes parents sont arrivés euxaussi chez moi,. Ils ont tous remarqué qu’une grande transformation s’était opérée en moi.
J’étais radieuse, je semblais sereine, disaient-ils. J’éprouvais moi aussi un sentiment de
paix. Qu’est-ce donc qui avait changé en moi ? Maintenant je vis, et je suis. Je vais prendre
les choses comme elles sont. Certains de mes symptômes physiques sont partis - la fatigue
excessive, certaines douleurs. Je suis parfois irritée, et je hurle. Je suis toujours moi, mais je
suis davantage en paix. Ma famille ressent cela et nous sommes plus proches. Tous ceux qui
me connaissent bien disent que cela a été une expérience bénéfique.
Cinq semaines après cette séance, Gloria a soudain développé des ascites (des
accumulations de fluides séreux dans la cavité abdominale) et elle a dû être ré-hospitalisée. Elle est
décédée trois jours plus tard dans un état plutôt tranquille. Le résultat de cette expérience de Sidney
Wolf fut tellement encourageant que le personnel de Spring Grove décida d’explorer plus avant le
potentiel de la thérapie psychédélique dans le soulagement des souffrances des patients se mourant
du cancer. Un groupe de chirurgiens ouverts d’esprit à l’hôpital de Sinaï de Baltimore exprima son
intérêt pour cette procédure, et nous offrit de collaborer. Ces chirurgiens nous envoyèrent des
patients en thérapie de LSD. Après la séance de Gloria, Sandy Unger, un psychologue qui avait joué
un rôle important dans le lancement des études sur les alcooliques et les névrotiques dirigea des
séances de LSD avec trois autres patients cancéreux.
L’Initiative de Walter Pahnke et son rôle dans le programme de Spring Grove
Walter N. Pahnke, qui rejoignit l’équipe de Spring Grove à l’automne de 1967 fut l’initiateur
de la suivante étape conséquente dans le développement du programme de thérapie psychédélique
avec les patients cancéreux. Au chapitre onze, j’ai évoqué sa mort tragique au cours de la description
de la séance psychédélique de son épouse, Eva. Walter était un psychiatre qui rejoignit l’histoire des
psychédéliques en 1962, lorsqu’il dirigea sa célèbre expérience Good Friday (Vendredi Saint) dans la
chapelle Marsh de l’Université de Boston, visant à enquêter sur le potentiel des substances
psychédéliques afin de faciliter les expériences mystiques. Il administra de la psilocybine à un groupe
d’étudiants protestants, et il put ainsi démontrer que comparé aux autres sujets, ceux qui avaient
reçu de la psilocybine avaient vécu de manière plus intense le phénomène rapporté par les
mystiques (Pahnke 1963).
Walter était diplômé de l’Université Médicale de Harvard, et il était également titulaire
d’un doctorat en religion comparée et un diplôme en religion. Sa formation éducative faisait de lui la
personne idéale pour ce genre de travail : grâce à sa formation à la fois en médecine, en psychologie
et en religion, il était mieux qualifié que quiconque pour diriger la thérapie psychédélique avec les
patients mourants. C’est Walter qui transforma les premiers tâtonnements des expériences avec les
patients cancéreux, en une étude pilote à part entière, pour parvenir finalement à en faire un
programme de recherche étendu. Avec une énergie, un enthousiasme, et une dévotion rares, il
devint le principal enquêteur au sein du projet. Il réussi en outre à obtenir l’appui financier
nécessaire au lancement d’un programme de recherches explorant la valeur de la thérapie au LSD
pour les patients en phase terminale de cancers, de la fondation de Mary Reynolds Babcock.
En juillet 1971, la vie de Walter et sont travail se sont conclus de façon abrupte par un
accident tragique lorsqu’il était en vacances avec sa femme et ses enfants dans le Maine. Mis à part
sa passion pour les recherches sur la conscience, Walter avait d’autres centres d’intérêt et des loisirs
qu’il poursuivait avec une énergie et un enthousiasme égaux. Il irradiait d’une joie de vivre hors du
commun : c’était également un motard et un skieur hors-pair. Peu avant ses vacances dans le Maine,
il rajouta à la longue liste de ses activités la plongée sous-marine. Sa cabine étant située au bord de
l’océan, elle était idéale pour son nouveau hobby. Comme il débutait, il utilisait un matériel
d’occasion qu’il avait acheté à l’un de ses amis, et, il s’aventura dans l’Océan Atlantique pour « une
brève séance de plongée avant le déjeuner » sans marqueur. Il n’en est jamais revenu. Son corps et
son équipement de plongée n’ont jamais été retrouvés. La nature de son accident est demeurée un
mystère et ce, malgré les efforts groupés des gardes côtiers et de célèbres voyants entre autres .
La mort de Walter a constitué une perte considérable pour l’équipe de Spring Grove, tant
sur le plan humain que professionnel. J’avais travaillé avec Walter dans l’étude du cancer depuis le
début, et après sa mort c’est moi qui en ai pris la responsabilité médicale et c’est alors devenu mon
activité principale. Mon objectif n’était pas seulement de terminer ces recherches et d’accumuler
suffisamment d’informations mais également de tenter de rendre compte de façon théorique de
certains des changements radicaux qui avaient lieu après la thérapie au LSD. A ce stade de la
recherche, il nous fallait analyser minutieusement les informations issues des séances de LSD de
personnes volontaires, de patients en psychiatrie, et d’individus mourants, pour formuler une théorie
intelligible d’une thérapie de LSD fondée sur une nouvelle approche de l’inconscient. Le chapitre
suivant traite en détail du programme de la thérapie psychédélique de Spring Grove.
Chapitre 13
LE PROGRAMME DE SPRING GROVE
Ce qui n’a pas de son, ce qui ne peut pas se toucher, ce qui n’a pas de forme, ce qui est
impérissable,
De la même façon ce qui est sans goût, constant, sans odeur,
Ce qui n’a ni début, ni fin, plus haut que la grandeur, stable.
C’est en discernant Cela, que l’on est libéré de la bouche de la mort.
Katha Upanishad
LE PROGRAMME DE SPRING GROVE reposait initialement sur une coopération entre l’Unité
de Recherche de l’Hôpital d’Etat de Spring Grove à Catonsville (banlieue de Baltimore dans le
Maryland) et l’Unité Cancérologique de l’hôpital de Sinaï à Baltimore. En 1969, les recherches
psychédéliques de Spring Grove, déménagèrent vers un Centre de recherches du Maryland qui avait
été construit dans les locaux de l’hôpital entre 1967 et 1969. Ce lieu crée spécialement par l’équipe
de Spring Grove pour les études systématiques des états de conscience holotropiques, était constitué
de deux suites avec des caméras en circuit fermé, un grand laboratoire biochimique, des laboratoires
spéciaux pour l’étude du sommeil, du rêve, de l’hypnose et de la privation sensorielle, ainsi que d’un
département de surcharge sensorielle.
Entre 1967 et 1974 plus d’une centaine de personnes se mourant de cancers participèrent
au programme de thérapie psychédélique de Spring Grove. Ces personnes étaient réparties en
quatre groupes :
 Les patients ayant suivi une psychothérapie au LSD pendant la période initiale
d’expériences pilotes (avant le début des études contrôlées et l’introduction des
systèmes de classage)
 Les patients s’étant portés volontaires pour paticiper à l’étude contrôlée de thérapie
psychédélique au LSD
 Les patients ayant reçu en plus de la psychothérapie de la dipropylryptamine (DTP),
une substance psychoactive à court terme avec des effets similaires au LSD
 Les patients qui avaient été assignés aux groupes de contrôle dans les principales
études et à qui on a proposé ensuite des séances psychédéliques une fois leur rôle de
sujets de contrôle parvenu à terme.
Sélection des patients
Dans les études de LSD et de DPT, Walter Pahnke et moi avons fait office de ponts entre le
Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland et l’hôpital de Sinaï. Nous avons tous les deux
passé une journée par semaine dans l’Unité de Cancérologie de Sinaï, où nous nous trouvions
pendant les visites de patients dans la clinique de consultations externes. Nous avons participé dans
les grands rounds dans la salle de cancérologie et avons assisté aux conférences des membres de
l’équipe. Notre but était de trouver grâce à notre collaboration avec les cancérologues et les
infirmières, des patients cancéreux en phase terminale qui pouvaient être des candidats potentiels
au traitement psychédélique et de les inviter dans notre programme. Généralement il s’agissait de
patients ayant des pronostiques pessimistes sur lesquels on avait essayé plusieurs traitements
médicaux qui avaient échoué pour la plupart.
Les principaux critères psychologiques pour être accepté dans ce programme étaient
l’anxiété, la dépression, l’insomnie, la tension émotionnelle et le retrait social associé à la maladie du
patient. D’après les textes d’Eric Kast et d’après ses observations de notre étude pilote nous avons
par la suite ajouté à notre liste de critères, les douleurs intenses pour lesquelles les analgésiques et
l’administration de drogues étaient inefficaces. La participation à l’étude contrôlée requérait une
espérance de vie d’au moins trois mois étant donné que nous étions intéressés non seulement par le
résultat du traitement mais aussi par la durée des résultats positifs. Les patients avec une courte
espérance de vie étaient traités eux aussi, mais on n’en tenait pas compte dans l’étude contrôlée.
Commentaire [E123]: sensory
overlaod department
Les désordres cardio-vasculaires tels que la haute pression artérielle, l’artériosclérose
avancée ou l’anévrisme constituaient des contre-indications à la thérapie psychédélique. Le fait
d’avoir fait par le passé un infarctus du myocarde ou d’avoir souffert de désordres cardiaques ou
d’hémorragies du cerveau constituait également une contre-indication. La raison de ces contreindications n’était pas un danger pharmacologique inhérent aux drogues psychédéliques en ellesmêmes mais la propension de ces substances à créer de puissantes émotions accompagnées d’une
augmentation de la pression sanguine pouvant engendrer des complications cardio-vasculaires. Un
antécédent de crises d’épilepsie était considéré comme un autre signe d’avertissement, car les
études passées avaient suggéré que chez les personnes avec un passé épileptique, ou même
simplement présentant des dispositions épileptiques, les psychédéliques pouvaient provoquer des
crises ou dans certains cas plus rares un status epilepticus - suite rapide de crises très difficiles à
contrôler.
Dans les dernières étapes de la recherche nous avons ajouté à la liste des contre-indications
physiques les tumeurs primaires et métastatiques du cerveau. Les résultats obtenus avec plusieurs
patients souffrant de néoplasmes du cerveau que l’on avait traités dans les premiers moments de
cette recherche ne s’étaient pas avérés satisfaisants. Toutes ces observations laissaient entendre
qu’un cerveau anatomiquement intact était un pré-requis nécessaire à une séance psychédélique
réussie et à une bonne intégration de l’expérience.
D’une manière générale la thérapie psychédélique s’avéra être physiquement très sûre, si
l’on prend en compte l’état plutôt grave de la plupart des individus de notre étude. Jamais aucun
patient n’est décédé et au cours de nos séances personne n’a failli mourir non plus. Il y eut un cas
cependant, où le patient, Jesse, était tellement proche de la mort qu’il mourut quatre jours après sa
séance de DPT. Son histoire est relatée au cahapitre suivant.
Les conditions personnelles et psychologiques des patients constituaient un autre facteur
important. Si par le passé les patients avaient eu des problèmes psychologiques sérieux requérant
une hospitalisation - réactions schizophréniques, épisodes maniaco-dépressifs ou autres types de
désordres psychotiques telles que les profondes dépressions avec tentatives de suicide ou des
comportements psychotiques limites- cela constituait aussi des contre-indications au traitement de
LSD dans notre programme de Spring Grove. (De mon côté, il m’était déjà arrivé de traiter des
patients présentant certaines de ces conditions à l’Institut de Recherches Psychiatriques de Prague,
dans lequel je disposais de ma propre salle de dix-huit lits avec des infirmières entraînées à travailler
avec les états holotropiques de conscience. Cependant, dans de telles circonstances, cela n’aurait
pas été sage). Le risque encouru lorsqu’on travaille avec ce type de patients, sont les flashbacks, les
réactions prolongées et la précipitation d’épisodes psychotiques éphémères. La gestion de telles
complications requiert une assistance vingt-quatre heures sur vingt quatre avec un personnel
spécialement entraîné, ce dont notre équipe ne disposait pas. Le Centre de Recherches du Maryland
avait des suites de traitement, des laboratoires et des bureaux, mais il ne disposait pas de lits
d’hôpital. Dans le cas d’une urgence psychiatrique nous aurions dû compter sur les salles fermées de
l’Hôpital d’Etat Spring Grove, un lieu qui avait une philosophie toute différente de la nôtre et des
installations loin d’être idéales. Un tel service aurait également demandé que nous puissions
répondre aux besoins spécifiques de patients cancéreux, y compris de pouvoir traiter les urgences.
Lorsque nous avons trouvé des patients qui présentaient les critères évoqués et qui se
montraient intéressés par le fait de participer à ce programme, nous leur avons organisé des
entrevues spéciales, dans lesquelles nous leur avons expliqué la nature du traitement psychédélique.
Nous les avons informés du fait que la thérapie psychédélique était une forme expérimentale de
thérapie et nous avons discuté ouvertement avec eux de ses bénéfices potentiels et de ses risques.
Nous avons également parlé avec les membres de la famille des patients ou avec d’autres personnes
importantes de leur vie. Lorsque nous sommes parvenus à un accord, nous avons demandé au
patient de signer un formulaire de consentement, à la suite de quoi nous avons accepté la personne
dans le programme.
Après les entretiens initiaux, les patients étaient présentés à l’un des thérapeutes du centre
et le travail thérapeutique pouvait démarrer. La thérapie psychédélique consistait en trois étapes :
Commentaire [E124]: pas sûre du
tout : an experimental form of therapy.
Une thérapie à l’état embryonnaire ??? Ou
une thérapie fondée sur les
expériences ???
une étape préparatoire à la séance, la séance psychédélique en elle-même, et une post-séance avec
plusieurs entretiens dans lesquels le thérapeute aidait le patient à comprendre la séance, à intégrer
dans la vie quotidienne les impressions nouvellement acquises, ainsi que les changements
psychologiques.
Préparation à la séance
La phase de préparation durait généralement huit à douze heures et se prolongeait
pendant une période de deux à trois semaines. La préparation consistait en une série de discussions
pendant lesquelles nous explorions à la fois le passé du patient ainsi que sa situation présente. Etant
donné qu’une relation positive et une atmosphère de confiance mutuelle sont les facteurs qui
déterminent la réussite d’une thérapie psychédélique, nous nous sommes efforcés au cours de cette
période d’apprendre à nous connaître mutuellement et d’établir des rapports de proximité. Le travail
psychothérapeutique se concentrait sur l’histoire du patient et sur la manière dont de nombreux
événements, circonstances et expériences avaient façonné sa vie. Nous avons exploré les relations
interpersonnelles du patient et les problèmes non résolus avec les personnes significatives de sa vie :
les parents, les frères et sœurs, les compagnons et les enfants. Autre étape importante dans la
préparation de la séance : l’examen des interactions et des relations des patients avec les médecins
en charge et le personnel de l’hôpital.
Dans de nombreux cas, une brève vérification du réseau social du patient révélait une
distorsion et une confusion dans la communication avec les proches parents, les amis et les médecins
responsables ainsi qu’avec les infirmières. Le déni, la fuite, la culpabilité, un comportement passifagressif, les faux-espoirs et les mensonges bien intentionnés prédominaient souvent et créaient une
atmosphère toxique et destructrice. Parfois nous avons rencontré des situations dans lesquelles le
personnel et les membres de la famille, tout comme le patient, connaissaient le diagnostic et le
pronostique lugubres, mais continuaient à jouer à cache-cache de manière à se « protéger » les uns
les autres. Si la thérapie ne parvenait pas à rompre ce cercle vicieux, la mort du patient laissait aux
membres de la famille et parfois même au personnel de l’hôpital des sentiments de douleur, de
frustration et de culpabilité profonde.
Nous avons découvert qu’il était essentiel en vue d’obtenir les meilleurs résultats dans
cette séance de gérer la communication malhonnête et fausse dans le champ interpersonnel du
patient. Souvent les interactions extrêmement distordues et douloureuses pouvaient être rectifiées
par plusieurs interventions catalysatrices : nous voyions les membres de la famille dans des
combinaisons variées, avec et sans le patient, en fonction de la nature des problèmes impliqués.
Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour donner l’occasion au patient et à ses parents de
discuter de leurs sentiments les uns à propos des autres, de la maladie et sur la gravité de la
situation, y compris du décès imminent.
Chaque situation était unique et il n’y avait pas de formule simple ou de recette technique
pour travailler avec le réseau familial. Notre stratégie générale était de faciliter la communication
sincère et honnête, d’aider à la résolution des conflits interpersonnels et de parvenir à un accord sur
les problèmes importants. Nous avons encouragé les membres de la famille à avoir davantage
d’interactions avec le patient d’une part, et les uns avec les autres d’autre part, et ce, dans le plus de
domaines et de niveaux possibles, de manière à soulager l’isolement psychologique tellement
fréquent chez les individus affrontant la mort. C’est au cours de ce processus, que les membres de la
famille découvraient généralement leur propre peur de la mort masquée par les manœuvres évasives
utilisées pour aborder la personne mourante. De semblables distorsions dans la communication se
retrouvaient souvent dans les interactions avec le personnel médical, l’individu mourant et les
membres de la famille. Dans la plupart des cas, le personnel médical et la famille du patient étaient
soulagés lorsqu’ils découvraient que le patient connaissait le diagnostic et qu’il s’y attendait. Le fait
de découvrir ce qu’on avait dit au patient des diagnostics et des pronostiques s’avéra être d’une
extrême importance, de même que sa réaction à la nouvelle. Souvent nous avons observé qu’à la fois
les membres de la famille et les médecins en charge ne souhaitaient pas informer les patients
atteints de cancer de leur diagnostic et qu’ils ne voulaient pas discuter de ce problème. Bien que
nous n’ayons pas révélé de façon discriminatoire ni leur diagnostic, ni leur pronostique, ni
l’imminence de leur mort, nous n’avons pas non plus cherché à éviter les discussions sur ces
questions cardinales et nous avons répondu de façon honnête lorsque les patients nous posaient la
question directement. Même si nous avons évoqué les problèmes de la mort et de son processus de
façon très détaillée, l’accent n’était pas mis sur la mort mais sur le fait de vivre le plus pleinement
possible pendant les jours restants. Au cours de ce travail, il devint clair que nos propres réactions
émotionnelles jouaient un rôle fondamental dans ce processus. Lorsqu’un thérapeute a peur de la
mort cela peut sévèrement entraver la qualité de la communication et créer une situation
d’aliénation effrayante pour l’individu mourant. Nos propres expériences de mort et de renaissance
dans les séances d’entraînement psychédélique nous ont permis de nous investir d’une manière plus
totale et plus honnête avec les individus qui affrontaient l’éventualité de la mort physique dans leur
futur immédiat.
Nous n’avons jamais présenté la thérapie psychédélique comme pouvant être un remède
au cancer. Lorsque les patients nous demandaient si le traitement psychédélique pouvait guérir le
cancer, nous les renvoyions aux ouvrages qui émettaient les hypothèses selon lesquelles les facteurs
psychologiques jouaient un rôle important pour déterminer la capacité de l’organisme à se défendre
contre toute maladie. Nous avons également signalé que les émotions peuvent influencer le cours du
processus pathologique et en affecter les résultats. Il nous arrivait de discuter de quelques
hypothèses concernant le rôle des facteurs psychogéniques dans l’étiologie et le cours du cancer.
Cela laissait ouverte la possibilité d’explorer les aspects psychosomatiques du cancer si les
impressions des séances psychédéliques pointaient dans cette direction. Cette approche sauvait par
la même occasion, les patients de la déception lorsque les efforts pour se guérir soi-même
échouaient. Cela nous protégeait à la fois nous-mêmes ainsi que notre recherche, de la colère des
cancérologues qui étaient tous traditionalistes et convaincus que le cancer était un problème
purement biologique. Ils auraient considéré toutes les discussions concernant le rôle joué par la
psyché dans cette maladie comme un manque de professionnalisme et auraient probablement
interrompu la recherche.
A cette époque-là le cancérologue Carl Simonton et sa femme Stephanie MathewsSimonton faisaient partie des chercheurs mettant l’accent sur les facteurs psychologiques dans
l’étiologie, la pathogénèse et la thérapie du cancer. Ils développèrent une méthode utilisant
l’imagerie guidée pour mobiliser les défenses immunitaires du corps afin de combattre le cancer, un
programme qui était approuvé par le Bureau général de chirurgie en 1973 (Simonton, Creighton et
Simonton 1978). Dans l’une de nos discussions concernant l’utilisation de la thérapie psychédélique
dans le traitement du cancer, Carl mit l’accent sur le fait que nous devrions explicitement suggérer à
nos clients que la thérapie psychédélique peut influencer non seulement la condition psychologique
et la douleur, mais la maladie elle-même. Il soutint que la croyance selon laquelle le cancer est une
maladie incurable et fatale fonctionne comme le sort d’un chaman dans certaines cultures primitives.
D’après lui, ce diagnostic jette un sort sur les patients qui doit être rompu afin que le traitement
puisse fonctionner. Malheureusement, nous travaillions dans un contexte médical traditionnel, et par
conséquent nous ne pouvions pas tester la validité de l’hypothèse de Carl.
Problèmes philosophiques, religieux et spirituels
Bon nombre de discussions que nous avons eues avec nos patients atteints de cancer
traitaient des problèmes philosophiques, religieux et spirituels. De telles discussions jouaient un rôle
important dans le contexte de la thérapie psychédélique avec les mourants pour de plusieurs
raisons. La confrontation avec sa propre impermanence et sa mort physique peut créer ou
approfondir l’intérêt envers les dimensions spirituelles et philosophiques de l’existence. Le concept
de la mort, l’attitude envers la mort et la qualité des derniers jours et des dernières heures d’une
personne mourante sont profondément influencés par la philosophie personnelle et l’orientation
spirituelle, ainsi que par les croyances religieuses. Par ailleurs, les expériences psychédéliques elles-
mêmes provoquent souvent de puissantes expériences mystiques, et explorer ce domaine pendant la
période préparatoire peut épargner beaucoup de confusion à la séance elle-même. Ce problème est
d’une importance telle qu’il mérite d’être abordé.
Pendant les années 1950 et 1960, période connue comme étant l’âge d’or de la
psychopharmacologie, le LSD et les autres substances psychédéliques devinrent le sujet
d’expériences scientifiques brûlantes car ils étaient capables de provoquer un large éventail
d’expériences spirituelles. Au cœur de cette controverse se trouvait le problème fascinant
concernant la nature et la valeur de cet « instant » ou de ce mysticisme « chimique ». Ces débats
générèrent rapidement quatre perspectives différentes à partir desquelles envisager le problème. La
première était la position des scientifiques matérialistes purs et durs qui accueillirent
chaleureusement l’observation selon laquelle les psychédéliques étaient capables de provoquer des
expériences décrites par les mystiques. Pour ces scientifiques, cette observation indiquait que ce que
les mystiques considéraient comme des révélations de dimensions surnaturelles de la réalité
n’étaient rien d’autre que des artifices toxiques, les produits aberrants de processus chimiques dans
le cerveau. Donc ces expériences n’avaient pas de valeur ontologique et par conséquent, elles
appartenaient au domaine de la science et non plus de la religion.
La seconde perspective dressait un tableau totalement différent. Etant donné que les
psychédéliques avaient le pouvoir de provoquer des expériences mystiques, elles n’étaient pas des
substances chimiques mais des substances sacrées. En tant que sacrements, les psychédéliques
connectaient les utilisateurs à des dimensions de la réalité certes invisibles, mais néanmoins réelles
d’un point de vue ontologique. Les défenseurs de ce point de vue étaient généralement des
chamanes et des guérisseurs de cultures primitives qui faisaient une distinction similaire avec les
plantes. Les plantes qui présentent des effets psychédéliques sont considérées comme sacrées, c’est
ce que sous-entend le nom précolombien donné aux champignons magiques mexicains : teonanacatl
ou « Chair des Dieux ». Ces substances issues de plantes offrent soit un accès aux réalités divines ou
sont elles-mêmes des déités. Il semblerait totalement absurde aux chamanes et aux membres des
sociétés qui utilisent des plantes psychédéliques dans leurs rituels, de qualifier leurs expériences
mystiques soient irréelles ou d’inférieures uniquement parce qu’elles sont provoquées par des
composants chimiques. Selon eux, ces plantes sont des dons des dieux faits aux hommes, et en tant
que telles, elles sont sacrées. Ce sont les véhicules principaux de leurs pratiques spirituelles et
rituelles.
Le troisième point de vue reconnaissait que les substances psychédéliques étaient capables
de provoquer des expériences qui ne pouvaient pratiquement pas être distinguées de celles des
fondateurs des religions, des saints, des prophètes et des mystiques de tous âges. L’expérience de
Good Friday (Vendredi Saint) de Walter Pahnke apporta des preuves scientifiques convaincantes à ce
propos (Pahnke 1966). Cependant ces expériences ne sont pas nécessairement authentiques ou de
même valeur spirituelle que celles qui peuvent être atteintes par la méditation, le jeûne, la prière
dévouée, le comportement pieux et une vie au service de Dieu ou à celles qui arrivent de manière
spontanée par un don de grâce divine. Selon les partisans de ce point de vue, c’est aux maîtres
spirituels et aux figures religieuses et non aux scientifiques, qu’il incombe de décider en dernière
instance de la valeur des expériences provoquées par les psychédéliques. Malheureusement les
points de vue des différents maîtres spirituels divergent sur ce point.
Meher Baba, le saint indien silencieux appelé « le Compatissant » et considéré par ses
disciples comme étant un avatar de Dieu sur Terre fait partie de ces grandes figures spirituelles qui
nia toute valeur spirituelle aux psychédéliques. Dans son pamphlet Dieu dans un cachet, il exprima de
façon virulente son opinion selon laquelle les expériences psychédéliques n’avaient pas lieu d’être
dans la quête spirituelle. Il les considérait en fait comme étant des pièges et des détractions pour
ceux qui étaient en recherche spirituelle : « Aucune drogue quelle que soit sa grande promesse ne
peut aider à atteindre notre but spirituel. Il n’y a pas de raccourci qui mène au but, excepté par la
grâce du Maître Parfait. Le LSD, la mescaline et la psilocybine sont superficielles et entretiennent
l’addiction aux illusions qui ne sont que l’ombre de la réalité ».
L’historien de la religion R.C. Zaehner exprima une réaction tout aussi négative au
« mysticisme instantané ». Dans ses livres Mysticism, Sacred and Profane (Mysticisme sacré et
profane Zaehner 1957) et Zen, Drugs and Mysticism (Zen, drogues et mysticisme Zaehner 1972,) il
examina et réfuta les assertions religieuses sur la mescaline qu’Aldous Huxley exprima dans son livre
Les Portes de la Perception (Huxley 1959). Il expliqua que d’un point de vue chrétien c’était un
sacrilège que de supposer que l’utilisation de drogues pouvait provoquer « les mêmes transports »
que ceux des mystiques chrétiens. Le fait que les expériences psychédéliques prennent souvent une
forme hindouiste ou bouddhiste dans laquelle Dieu apparaît non pas en tant que personne mais
comme « état éternel et inconditionnel » rend ces expériences doublement suspectes. C’est là ce qui
compliquait encore la question selon ceux qui étaient traditionnellement opposés au mysticisme y
compris dans sa forme Chrétienne
Beaucoup de chercheurs spirituels de cet ordre s’opposent fortement à ces perspectives
négatives. Outre des chamanes sibériens, des chamanes américains originaires d’Afrique, du
Mexique et d’Amérique latine, ce groupe comprenait aussi des Brahmanes indiens et des membres
de certains ordres Soufis qui utilisent le haschisch en guise de sacrement. J’ai eu moi-même
l’honneur d’assister aux expériences psychédéliques de plusieurs professeurs tibétains et j’ai
entendu des histoires personnelles de séances d’autres personnes comme Lama Govinda. Ils étaient
tous d’accord sur le fait que les psychédéliques sont des outils spirituels d’un pouvoir incroyable,
mais prévenaient qu’ils devaient être utilisés avec de grandes précautions. Il y a plusieurs années, j’ai
donné moi-même du LSD à Solon Wang, un universitaire bouddhiste important et diplomate du
cercle de Chang-Kai-Tchek à Taïwan. Après une vie consacrée à l’étude du Bouddhisme et une
pratique rigoureuse qui avait échoué à lui apporter les résultats espérés, il eut ce qu’il considéra être
une expérience absolument authentique de nirvana lors de sa première séance de psychédéliques,
qu’il décrivit plus tard dans son livre The Multiple Planes of the Cosmos and Life (Les Plans multiples
du cosmos et de la vie Wang 1979).
Huston Smith, universitaire en religions comparées à la notoriété internationale a proposé
le quatrième point de vue sur le problème concernant le « mysticisme chimique ». Au cours de sa
vie, Huston Smith a eu de profondes expériences psychédéliques, et il parle ainsi avec une
compréhension interne qui fait défaut à bien d’autres critiques, dont Meha Baba. Comme on pouvait
s’y attendre de la part d’une personne de sa sagesse et de son envergure, la perspective de Huston
Smith propose un point de vue modéré. Selon lui, il ne fait aucun doute que les substances
psychédéliques facilitent les expériences mystiques originelles. Cependant, il insiste sur le fait que
pour juger de la valeur de ces expériences et leur impact sur la vie des individus il faut prendre en
compte bien d’autres facteurs. En effet, une expérience qui arrive à un chercheur dévoué après des
années de pratique spirituelle sérieuse et d’études religieuses serait certainement bien plus
précieuse et aurait plus d’influence qu’une expérience qui arrive à un invité non préparé et pris au
dépourvu dans une soirée à Berkeley, où quelqu’un jette une poignée de cubes de sucre au LSD dans
le punch.
Pour évaluer les expériences mystiques provoquées par les psychédéliques, il faut connaître
les croyances religieuses des patients et leur affiliation à l’Eglise. Il est essentiel de parler
ouvertement des conflits que les individus mourants peuvent avoir concernant leur éducation
religieuse fondamentaliste, les expériences traumatiques avec les prêtres, les activités de l’église à
laquelle ils appartiennent et le rôle tenu par Dieu dans leur vie et dans le monde. Certains des
problèmes qui émergent souvent au cours de ces discussions concernent les écarts entre les idéaux
mis en avant par les organisations religieuses et leurs actions concrètes dans le monde, tout
particulièrement dans les guerres internes entre les diverses croyances et toutes les atrocités
perpétrées au nom de Dieu.
Afin d’éviter l’incompréhension et la confusion, il est crucial d’opérer une claire distinction
entre la spiritualité de la religion. Bon nombre de personnes dans notre culture ne connaissent pas
la différence fondamentale entre les deux. La spiritualité se fonde sur les expériences directes avec
des dimensions et des domaines de la réalité normalement invisibles. Elle ne requiert pas d’endroit
spécial ni de personne désignée officiellement comme médiateur pour rentrer en contact avec le
Commentaire [E125]: state of being
Divin. Les mystiques n’ont pas besoin d’église ou de temple. C’est dans leur corps et dans la nature
qu’ils vivent les dimensions sacrées de la réalité, y compris leur divinité propre, Les mystiques se
passent de prêtres : ils n’ont besoin que de l’appui d’un groupe de camarades eux aussi en
recherche spirituelle ou des conseils d’un maître plus avancé qu’eux dans le voyage intérieur. La
spiritualité implique ainsi une relation spécifique entre l’individu et le cosmos. C’est
fondamentalement une question d’ordre privé et personel.
Les religions organisées quant à elles, se fondent sur une activité de groupe
institutionnalisée qui se déroule dans un lieu spécialement prévu à cet effet comme un temple ou
une église, et qui requiert toute une hiérachie d’officiers désignés qui peuvent avoir fait ou non des
expériences personnelles avec les réalités spirituelles. Une fois qu’une religion devient organisée elle
perd souvent la connexion avec sa source spirituelle et devient une institution séculaire qui exploite
les besoins spirituels humains sans pour autant les satisfaire. Les religions organisées ont tendance à
créer des systèmes hiérarchiques qui se concentrent sur la poursuite du pouvoir, du contrôle, de la
politique, de l’argent, des possessions et d’autres préoccupations séculaires. Dans de telles
circonstances, la hiérarchie religieuse va jusqu’à décourager les expériences religieuses chez ses
membres, car elles favorisent l’indépendance, et par conséquent elles échappent à tout contrôle
efficace. Dans ce cas, la vie spirituelle authentique s’exprime uniquement dans les branches
mystiques, les ordres monastiques et les groupuscules extatiques des religions impliquées.
Insister sur le fait que les expériences spirituelles des séances psychédéliques ne prennent
jamais de forme religieuse orthodoxe et qu’il s’agit là d’une règle, aide les patients qui se sentent mal
à l’aise à propos de certains des aspects spirituels de la thérapie psychédélique. Si elles contiennent
des formes et des domaines archétypaux spécifiques, ceux-ci peuvent être tirés de n’importe quelle
culture dans le monde indépendemment des antécédants culturels personnels des individus.
Fréquemment cependant, ils transcendent tous les symbolismes séculaires et archétypaux et
présentent toutes les caractéristiques de ce que les Hindous appellent « nirvikalpa samadhi » ou
expérience de Dieu dénuée de forme. Elles sont ainsi universelles, sans dénomination et englobent
tout.
Les aspects spirituels des séances psychédéliques ressemblent souvent à ce qu’Einstein
désignait sous le terme de « religion cosmique ». Cette forme de spiritualité ne requiert pas de Dieu
personnifié, ni de panthéon de saints intermédiaires, ni de procédures rituelles formalisées. L’accent
est surtout mis sur l’émerveillement et la plénitude que vit celui qui est confronté aux forces
créatrices de la nature et aux nombreux mystères de la conception universelle. Les sentiments
spirituels sont associés à des problèmes tels que les dilemmes et les énigmes concernant la nature du
temps et de l’espace, de l’origine de la matière, de la vie et de la conscience, de la complexité de
l’univers et de l’existence humaine, ainsi que du but ultime sous-tendant le processus de création.
S’il peut s’avèrer que les expériences psychédéliques soient liées à l’une des grandes
religions du monde, elles présentent les caractéristiques décrites par les mystiques de la foi en
question plutôt que de refléter ou d’appuyer les dogmes de leur orthodoxie traditionnelle. Ainsi elles
apportent des révélations sur le mysticisme chrétien plutôt que sur le Christianisme traditionnel, sur
la Kabbale ou le Judaïsme hassidique plutôt qu’orthodoxe et sur le Soufisme plutôt que sur la religion
musulmane officielle. Souvent les expériences psychédéliques impliquent des éléments totalement
étrangers aux traditions religieuses personnelles de l’individu qui les vit ou appartiennent à un cadre
culturel différent. Ainsi un chrétien ou un musulman peut avoir un épisode de vie antérieure et
découvrir la Loi du Karma, un Bouddhiste japonais peut s’identifier au Christ sur la croix, ou un Juif
peut vivre une conversion au Bouddhisme tibétain ou hindouiste.
Entretiens finaux de préséances
Immédiatement avant la séance, après nous être occupés de tous les problèmes cités cidessus, nous avons mis en place un entretien spécial destiné à donner aux patients toutes les
informations dont ils avaient besoin avant d’ingérer la substance. Nous leur avons expliqué les effets
des psychédéliques, leur potentiel de guérison des états de conscience holotropiques et nous avons
décrit le déroulement de la séance ainsi que tous les détails techniques nécessaires. Il s’agissait là
une partie essentielle de la préparation, étant donné qu’une personne lambda, vivant dans une
société industrielle n’a que très peu d’informations sur les états holotropiques de conscience en
général et sur les substances psychédéliques en particulier. Les préjugés dus à la propagande antidrogues pouvaient s’avérer encore plus problématiques.
Nous décrivions les psychédéliques comme des amplificateurs ou des catalyseurs qui
permettent de voyager dans la psyché et d’explorer des recoins de l’inconscient qui autrement
seraient impossibles à explorer. En parlant de l’expérience psychédélique, il nous semblait utile de la
comparer à un « rêve éveillé » ou à un film intrapsychique vif. Nous avons mis l’accent sur le fait qu’il
était important, et ce, afin d’obtenir le meilleur résultat, que les patients demeurent le plus
longtemps possible dans une position allongée au cours de la séance, en conservant leurs yeux
recouverts d’un bandeau et en utilisant un casque pour écouter la musique que nous leur passions.
Cela contribuait à préserver l’expérience à l’intérieur et amoindrissait la confusion entre le monde
intérieur et extérieur.
la phase de préparation comprenait une autre étape importante qui était d’informer les
patients que leur expérience les emmènerait très probablement au-delà des frontières du monde
étroit et superficiel de la psyché utilisé par la psychiatrie et la psychologie traditionnelles. Les hauts
dosages de psychédéliques utilisés dans les recherches de Spring Grove offraient généralement un
accès non seulement aux souvenirs de l’enfance et de la petite enfance, et à des domaines de
l’inconscient de l’individu en question, mais ils permettaient également de remonter aux souvenirs
de la naissance biologique, de la vie prénatale et de ce que nous appelons les expériences
transpersonnelles. Ces dernières comprennent des expériences d’identification avec d’autres
personnes, des animaux et d’autres formes de vie, aussi bien que des épisodes ancestraux raciaux,
collectifs, karmiques et phylogéniques.
Les psychiatres traditionnels ne considèrent pas ces expériences transbiologiques comme
étant des constituants normaux de la psyché humaine et ils voient en eux des artéfacts causés par un
processus pathologique inconnu, et par tant, comme la manifestation d’une maladie mentale
sérieuse. Nous avons assuré les patients qu’il s’agissait là d’une conception erronée. Les recherches
sur la conscience moderne ont montré que les expériences périnatales et transpersonnelles ne sont
pas seulement normales mais qu’elles ont aussi un potentiel de guérison, de transformation et
d’évolution extraordinaire. Nous avons encouragé nos patients à s’abandonner à l’expérience quelle
que soit la direction qu’elle allait prendre, à affronter tout ce qui pourrait émerger au cours de la
séance, à le vivre pleinement et à l’exprimer. Afin de garantir l’effet maximum des substances
psychédéliques, nous interrompions toute médication tranquillisante avant la séance. Les
médications hormonale et antibiotique n’étaient pas interrompues, et les narcotiques que les
patients prenaient étaient disponibles sur demande.
Nous rencontrions également les membres de la famille ou les autres personnes
importantes que les patients souhaitaient inclure dans « la réunion de famille » au cours des
dernières heures de l’expérience. Le but de ce briefing était d’aider ces individus à comprendre la
nature de l’expérience psychédélique et de leur expliquer comment ils pouvaient soutenir le patient
le mieux lorsqu’il serait encore dans un état de conscience non ordinaire. Nous demandions aux
proches parents d’apporter des photos ou des tableaux qui avaient une signification particulière pour
le patient ainsi que des fleurs et des fruits pour la pièce où la séance allait se dérouler.
La séance psychédélique
La plupart de nos séances psychédéliques avaient lieu au sein même de l’Unité de
Cancérologie de l’hôpital Sinaï parce que les patients qui nous étaient envoyés par les cancérologues
de Sinaï souffraient de cancers très évolués. Les transporter le jour de la séance, surtout le soir
lorsqu’ils étaient encore dans des états holotropiques de conscience, aurait été difficile. Etant donné
la gravité de leur condition, cela permettait aussi de leur apporter une aide médicale immédiate en
cas de besoin. Après avoir rendu publiques, les résultats de notre étude, et après que l’information
sur le projet avait été diffusée par les médias, des patients volontaires dont la maladie était moins
évoluée ont rejoint notre programme. Ces séances avaient lieu dans les suites de traitement au
Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland, qui étaient équipées de manière idéale pour la
thérapie psychédélique et qui avait des TV en circuit fermé, ce qui nous permettait de filmer la
plupart des séances.
Lorsque la séance avait lieu à Sinaï, on transférait le jour précédant le patient dans une
chambre privée. L’équipement musical stéréo était également préparé le jour précédant, afin
d’accoutumer le patient aux casques musicaux et à avoir les yeux bandés, étant donné que nous
allions faire usage de ces deux choses pendant plusieurs heures le jour de la séance. Nous avons
essayé de rendre ce cadre le plus confortable possible pour ce faire nous avions recours aux fleurs, à
de l’encens, à des tableaux, à de petites sculptures, à de jolies couvertures et à divers objets de ce
type Le matin du jour j, le personnel de l’hôpital donnait au patient les soins routiniers nécessaires,
et la séance pouvait commencer dès notre arrivée.
Après une courte discussion avec le patient sur sa condition émotionnelle présente et ses
sentiments à l’égard de la séance, nous lui administrions les substances psychédéliques. Le dosage de
LSD allait de 200 à 600 microgrammes en fonction de la condition du patient. Le LSD peut
généralement être administré de manière orale, mais dans les cas où nous craignions une absorption
inadéquate de la substance par le système gastro-intestinal ou une possible nausée accompagnée de
vomissements (si le cancer était localisé dans l’estomac ou dans l’œsophage), nous préférions
l’administration intraveineuse. Dans les séances de LSD il y a une période latente de vingt à quarante
minutes entre l’administration de la drogue et son effet, qui dépend de la manière dont elle est
appliquée. Nous passions généralement ce temps-là à avoir des discussions relaxantes ou à regarder
les images apportées et à écouter de la musique doucement.
Si la drogue psychédélique utilisée au cours de la séance était du DPT65, elle était toujours
administrée par voie intraveineuse. Cette substance est inefficace lorsqu’elle est ingérée car le
système digestif la désactive rapidement. Le dosage de DPT variait de 90 à 150 milligrammes, en
fonction de la condition physique du patient, de ses défenses psychologiques et de son poids. Cette
quantité moindre était cependant comparable en termes d’effet au dosage du LSD utilisé dans les
recherches sur le cancer qui nous faisions en parallèle. Etant donné que les effets du DPT sont
pratiquement immédiats et assez radicaux, on demandait aux patients au DPT de s’allonger
immédiatement et de mettre le bandeau sur les yeux et le casque sur les oreilles.
L’Utilisation de la musique dans les séances
A mesure que le patient commençait à éprouver les effets de la substance, il était
encouragé à rester en position allongée et à utiliser le bandeau et le casque. Cela aidait la personne à
axer son attention sur le phénomène interne qui se mettait en place et à éviter les distractions
externes. A partir de ce moment-là, les différences entre l’approche au LSD et celle au DPT
s’estompaient. Nous mettions la musique et la séance commençait. C’est à Helen Bonny à la fois
musicothérapeute expérimentée et thérapeute psychédélique qu’il incombait de choisir la musique
pour la séance. La musique choisie était une combinaison de morceaux classiques, de sélections de
musiques ethniques de différents pays du monde, et des enregistrements de plusieurs traditions
spirituelles dans la plupart des cas.
La position allongée, des yeux bandés, du casque musical et de la musique en stéréo
intensifie contribue à intérioriser la séance ce qui a pour conséquence d’approfondir l’expérience
psychédélique. La musique a plusieurs fonctions importantes dans une séance : d’abord elle facilite
65
DPT : dipropyltryptamine
LSD : diéthylamide de l’acide lysergique, produit semi-synthétique à base d’ergot de seigle
l’émergence de profondes émotions à la conscience, elle aide les patients à laisser aller leurs
défenses psychologiques, enfin c’est une vague porteuse qui leur fait traverser les impasses difficiles.
Souvent nos clients rapportaient que le flux de leur expérience était interrompu lorsqu’on changeait
les disques, et qu’ils attendaient le changement avec une impatience pouvant aller jusqu’à l’ anxiété.
Nous choisissions de mettre une musique qui soutenait l’expérience du patient. Cela
impliquait de suivre la trajectoire d’une expérience psychédélique typique. Au début, nous mettions
une musique réconfortante qui devenait de plus en plus intense. Puis nous passions à une musique
d’orchestre dynamique et évocatrice. Entre la troisième et la quatrième heure dans les séances de
LSD, (bien avant dans celles au DPT), moment charnière dans bien des cas, nous introduisions ce
que nous appelions une musique « brise-glace ». Ces puissants morceaux musicaux étaient
généralement teintés de forts accents spirituels, dans lesquels l’orchestre était mélangé à des voix
humaines. Après ce moment-là, la musique devenait plus silencieuse, réconfortante et douce. Dans
les dernières heures nous choisissions la musique qui suivait ce schéma d’ensemble. Par exemple il
aurait été incongru de jouer un solo de violons doux au moment où l’expérience du patient culminait,
ou à l’inverse d’introduire des tambours africains puissants pendant les dernières heures de la
séance lorsque le patient était détendu et dans une humeur plus méditative.
Outre le fait de suivre ces indications générales, les thérapeutes essayaient de répondre de
la manière la plus sensible à certains traits spécifiques des séances individuelles. Si le patient disait
que la séance était très sensuelle et érotique, ou que nous le déduisions d’après ses mouvements
pelviens ou d’autres signes physiques, nous lui passions par exemple les dernières scènes de Tristan
et Isolde de Wagner ou Shéhérazade de Rimsky-Korsakoff. Lorsque nous observions qu’il serrait les
poings ou les mâchoires ou encore lorsque nous ressentions que le contenu de l’histoire du patient
était violent, nous soutenions cette humeur à l’aide d’une musique intense et dynamique.
De la même façon, lorsque les expériences se concentraient sur un pays en particulier, (par
exemple l’Inde, la Chine, le Japon ou la Russie) ou sur un groupe culturel spécifique (par exemple les
Indiens d’Amérique ou les gitans) nous trouvions qu’il était utile de fournir une musique ethnique
correspondante. Nous évitions généralement la musique qui contenait des mots dans des langues
que le patient comprenait parce que cela avait tendance à détourner l’attention des émotions et des
sentiments physiques en faveur des processus intellectuels et cognitifs ce qui se faisait aux dépens de
la profondeur de l’expérience. Deux membres de notre équipe, Helen Bonny et Walter Pahnke ont
publié un essai concernant la fonction de la musique dans les séances psychédéliques (Bonny et
Pahnke 1972).
Une fois que le LSD avait été administré, le patient passait dix ou douze heures
(pratiquement la moitié de temps si on avait utilisé du DPT) en compagnie du thérapeute et d’un cothérapeute : il s’agissait toujours un couple homme-femme. Si le cours de la séance se déroulait de
façon suave, la principale fonction des thérapeutes était de changer la musique et de brièvement
vérifier comment se comportaient les patients en fonction de ces changements. Ils faisaient aussi des
compte-rendus détaillés de ce qu’ils observaient et de ce que les patients disaient. En outre les
thérapeutes prenaient soin des besoins primaires des patients : ils les emmenaient aux toilettes, leur
apportaient un verre d’eau ou de jus, leur donnaient une couverture supplémentaire, ou leur
tendaient un mouchoir. Lorsque l’expérience leur devenait trop intense, les patients retiraient le
bandeau et le casque. Lorsque cela arrivait, la tâche des thérapeutes consistait à les réconforter et à
les rassurer tout en leur rappelant qu’il était important de conserver le caractère intérieur de
l’expérience. Notre stratégie générale était de convaincre les patients de retourner à leur monde
intérieur le plus rapidement possible.
La plupart des discussions avaient lieu avant ou après la séance, à et dans les jours qui
suivaient. Au cours de la séance elle-même l’accent était surtout mis sur le vécu des expériences et
sur les sentiments. Pendant les heures où la séance psychédélique était intense, la communication
verbale était minime. A des intervalles réguliers, généralement lorsque nous changions la musique,
nous retirions le casque et nous échangions quelques mots avec le patient pour voir comment le
patient se sentait, et s’il avait besoin de quelque chose. En cas de besoin, nous rappelions au patient
qu’il était important de suspendre les défenses psychologiques et nous l’encouragions à vivre
pleinement ce qui émergeait de son inconscient tout en exprimant les émotions et les énergies
physiques qui y étaient associées.
Utilisation du contact physique de soutien et travail corporel concentré
Lorsque les patients vivaient des épisodes inhabituellement douloureux ou effrayants,
datant de l’époque où ils ne savaient pas encore parler, nous avions recours au contact physique
destiné à les soutenir, qui s’avéra beaucoup plus efficace que les réconforts verbaux. Cette façon
d’intervenir était fondée sur l’observation de deux formes fondamentalement différentes de
traumatismes requérant des approches diamétralement opposées. Le premier traumatisme, dit
traumatisme par commission, résultait d’intrusions externes ayant eu un impact destructeur sur le
développement futur de l’individu. Dans cette catégorie se trouvent les choses telles que l’abus
physique ou sexuel, les situations effrayantes, les critiques destructives, ou le ridicule. Ces
traumatismes représentent des éléments étrangers dans l’inconscient qui peuvent être ramenés à la
conscience, pour en être évacués de manière énergique et résolue.
Même si cette distinction n’est pas reconnue dans la thérapie conventionnelle, la seconde
forme de traumatismes psychologiques, les traumatismes par omission diffère radicalement de la
première. Le manque d’expériences positives qui sont essentielles à un développement émotionnel
sain en sont à l’origine. Les pédiatres et les psychiatres désignent sous le terme d’anaclitiques (du
grec anaklinein, signifiant « se coller » ou « se pencher sur ») les puissants besoins primitifs de
satisfactions instinctives et de sécurité présentes chez le petit enfant et chez le bébé. On compte
parmi ces besoins, le besoin d’être pris dans les bras, caressé, réconforté, le besoin de jouer et d’être
le centre principal de l’attention de la personne s’occupant du bébé. Si ces besoins ne sont pas
satisfaits, de sérieuses répercussions sur le futur de l’individu sont à craindre.
Bon nombre de personnes ont subi de telles carences émotionnelles, d’abandon et de
négligence dans le passé qui engendrent une sérieuse frustration des besoins anaclitiques. Proposer
une expérience correctrice sous la forme d’un contact physique nourrissant est une façon très
efficace de guérir un traumatisme émotionnel aussi précoce. Afin de garantir l’efficacité de cette
approche, l’individu doit être profondément régressé à son état infantile de développement. Dans le
cas contraire, la mesure corrective n’atteint pas le niveau de développement où le traumatisme a eu
lieu. En fonction des circonstances, ce soutien psychologique peut aller de la simple prise de la main
ou la caresse sur le front jusqu’à une embrassade réconfortante dans les bras.
Sitôt que les effets pharmacologiques de la substance psychédélique s’apaisaient (cinq ou
six heures si la substance utilisée était le LSD, trois - quatre heures s’il s’agissait de DPT), nous
proposions au patient de retirer le bandeau et le casque et nous engagions une conversation avec lui.
L’objectif était d’avoir un bref compte-rendu de ses expériences afin d’évaluer dans quelles mesures
les principaux problèmes abordés dans la séance étaient intégrés et achevés. S’il restait des tensions
physiques ou des émotions non résolues, nous proposions au patient une forme spécifique de travail
corporel afin de conclure au mieux la séance.
La stratégie générale du travail corporel était de demander aux clients de trouver un
endroit de leur corps où ils éprouvaient du mal-être – une douleur, une tension, un trop plein
d’énergie, de la nausée ou d’autres sensations physiques inconfortables. Nous les aidions alors à
intensifier ces sensations plus précisément par une intervention externe, et nous les encouragions à
trouver une réponse spontanée à cette situation. Il était important que cette réaction ne reflète pas
un choix conscient mais qu’elle soit complètement déterminée par le processus inconscient. Il
arrivait que la réponse vocale soit déstabilisante : il pouvait s’agir d’un grognement, un soupir ou un
cri. Parfois, elle prenait une forme surprenante comme un balbutiement de bébé, la voix d’un animal,
ou du charabia ou une langue étangère. De la même façon les réactions physiques ne comprenaient
pas seulement des tremblements, de la toux ou des grimaces, mais aussi des mouvements complexes
qui ressemblaient à un comportement animal ou à des formes d’art de cultures diverses. Ces
manifestations extraordinaires provenaient clairement des réserves de souvenirs phylogénétiques et
d’inconscient collectif.
Réunion avec les parents et les amis
Les principaux effets de LSD duraient dans la plupart des cas entre six et dix heures. Il nous
arrivait de rester avec le patient quatorze heures ou plus. Les effets de DPT duraient
considérablement moins longtemps. Quatre ou cinq heures après l’administration, ces séances de
DPT se terminaient par un retour relativement rapide à l’état normal de conscience. A mesure que le
patient commençait à revenir à la normale, nous invitions les membres de la famille ou d’autres
personnes qui comptaient aux yeux du patient, à la salle de traitement où se tenait alors une
« réunion ». A ce moment-là l’état de conscience du patient facilitait une communication plus sincère
et plus honnête et conduisait à une interaction exceptionnellement gratifiante.
Les règles à observer lors de cette entrevue étaient d’être sensible à l’état d’esprit des
patients et à leurs besoins : s’ils se montraint d’humeur sociable et communicative d’avoir une
conversation, s’ils étaient d’humeur introspective et pensive de se recueillir avec eux en silence, en
bref d’ être sérieux ou jovial en fonction de leur humeur. A ce moment-là, nous leur servions
également un dîner apporté de restaurants voisins. En respectant les préférences culinaires des
patients, nous choisissions des plats qui avaient du goût, des couleurs et des textures intéressantes.
Parmi les plats préférés des patients il y avait les plats de la Chine du Nord et la cuisine japonaise. La
principale intention était de créer une situation qui connecterait le sentiment positif que le patient
avait nouvellement acquis à des expériences et à des activités de la vie quotidienne. Lorsque la visite
touchait naturellement à sa fin, nous passions davantage de temps avec les patients seuls avant de
les confier au personnel de l’hôpital. Les patients dont le cancer était le moins évolué et qui faisait la
séance au Centre psychiatrique du Maryland passaient la nuit là-bas en compagnie d’autres
personnes de leur choix. Les suites de traitement étaient décorées de meubles semblables à ceux
que l’on trouve dans les maisons et possédaient leurs propres kitchenettes et salle de bain. Elles
offraient un confort adéquat aux patients et à leurs compagnons.
Le travail clinique avec les patients volontaires non-envoyés par des médecins
J’ai décrit les procédures de traitement psychédélique suivies dans les études contrôlées de
LSD et de DPT, où les thérapeutes devaient se plier aux exigences rigides du plan de recherche. Les
conditions de travail clinique avec les patients atteints de cancer qui s’étaient portés volontaires
différaient considérablement de celles qui gouvernaient le projet pilote à ses débuts, mais aussi de
ceux des études contrôlées de LSD et de DPT. Le principal objectif de l’expérience thérapeutique au
sein du projet pilote était de rassembler les premières impressions cliniques sur le potentiel de la
thérapie psychédélique chez les patients atteints de cancer. Lorsque nous avons commencé à
travailler avec les patients du groupe volontaire, nous bénéficions déjà d’une expérience
considérable quant à cette procédure de traitement. Le but de notre exploration dans ce cas était
d’apprendre ce que la thérapie psychédélique avait à offrir sous ces conditions non restreintes par la
méthodologie rigide qui nous avait été imposée auparavant. Autrement dit, nous essayions de voir
comment cette thérapie devait être pratiquée de manière à atteindre son plein potentiel.
Ce travail thérapeutique différait des deux autres programmes de recherche pour d’autres
raisons importantes. Dans les études contrôlées, les patients étaient envoyés par des chirurgiens et
d’autres médecins de l’Unité Cancérologique de l’Hôpital de Sinaï. Ces patients arrivèrent dans le
programme pendant les dernières phases de leur maladie, généralement après l’échec de toutes les
approches médicales tentées La plupart des patients dans la catégorie des volontaires non-envoyés
par les médecins passaient outre ce processus de sélection habituel. Ils provenaient d’autres endroits
que Baltimore, et nous avaient contactés après que les premiers résultats du programme de Spring
Grove avaient été présentés lors de conférences, publiés dans des journaux scientifiques et dans les
médias. Plusieurs de ces patients se trouvaient à des étapes moins avancées de leur maladie, et le
travail avec eux était généralement plus facile et plus gratifiant. Le reste des patients dans cette
catégorie avaient généralement été inclus dans des études de LSD ou de DPT mais ils avaient été
confiés aux groupes de contrôle qui ne recevaient pas la substance psychédélique. Après la période
requise pour le suivi, il leur était laissé le choix de faire leur séance psychédélique en dehors du cadre
de recherche.
Au sein des études de contrôle restreintes, le plan des recherches restreignait la quantité
de temps passée avec l’individu mourant et les membres de la famille. Dans le groupe de volontaires
venus d’eux-mêmes, il nous incombait de décider du temps que nous voulions passer avec les
individus mourants et leur famille à la fois pendant le processus de préparation et pour les entretiens
suivant les séances psychédéliques. Par ailleurs le thérapeute et le co-thérapeute travaillaient tous
les deux avec le patient et la famille depuis la prise de contact jusqu’à la dernière rencontre. Cela
différait considérablement des projets de recherche de LSD et de DPT où le co-thérapeute (ou
infirmier) intégrait le traitement généralement un jour ou deux avant la séance de psychédéliques.
Les interviews sans drogues et les séances psychédéliques avaient généralement lieu dans
l’une des deux suites de traitement au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland. Lorsque les
patients étaient de Baltimore, nous essayions de faire le maximum de travail dans le cadre
confortable et familier de leurs maisons. Dans la dernière étape de leur travail, nous avons eu la
chance d’obtenir la permission de faire les séances psychédéliques chez eux. Le travail thérapeutique
dans ce contexte était une expérience beaucoup plus profonde et plus personnelle pour nous aussi
bien que pour les patients et leur famille. Il s’avéra être une source inestimable d’apprentissage en
profondeur des aspects psychologiques, spirituels et philosophiques des mourants et de la valeur de
l’expérience psychologique pour la rencontre avec la mort.
Interview de post-séance et suivi
Le jour suivant la séance et plus tard dans la semaine, nous avons rencontré les patients
pour des entretiens de suivi. Au cours de ces rencontres nous discutions en profondeur de ce que
nous avions ressenti pendant la séance, nous conseillions les patients sur ce qu’ils pouvaient faire
afin de faciliter une bonne intégration de l’expérience d’une part et nous les aidions à apporter de
nouvelles impressions à leur vie quotidienne d’autre part. Les patients fournissaient des compterendus écrits de leurs expériences durant les séances et après. Lorsque le résultat de la séance
psychédélique s’avérait probant, on ne prévoyait pas de séances supplémentaires de drogues. Si le
résultat n’était pas satisfaisant, ou si la condition émotionnelle du patient empirait à mesure que la
maladie progressait, les séances psychédéliques étaient reconduites.
Evaluation des résultats thérapeutiques
Les changements que nous avons observés chez les patients atteints de cancer qui suivaient
la thérapie psychédélique étaient extrêmement variés, complexes et multidimensionnels. Certains
d’entre eux tels que le soulagement de la dépression, de la tension, de l’anxiété, des désordres du
sommeil et du retrait psychologique nous étaient familiers. Ils pouvaient souvent être atteints par
des formes de thérapie traditionnelle. Cependant, bien d’autres changements impliquaient un
phénomène spécifique à la thérapie psychédélique qui était nouveau à la psychiatrie et à la
psychologie occidentales : l’atténuation voire l’élimination de la peur de la mort, des changements
radicaux dans la philosophie et la stratégie de la vie quotidienne d’une part, dans les orientations
spirituelles d’autre part ainsi que dans la hiérarchie des valeurs. Outre leur influence sur les aspects
émotionnels, philosophiques et spirituels de l’existence des patients, les LSD et les DPT influaient
également sur la douleur physique, y compris sur celle qui n’avait pas répondu aux drogues
narcotiques.
En raison de la complexité de ces changements et du manque d’instruments
psychologiques précis et adéquats il était difficile pour certains patients d’évaluer de façon objective
ou quantitative les résultats du traitement. La condition physique ou émotionnelle de bon nombre
de patients atteints du cancer jointe à leur attitude fréquemment négative à l’égard des tests
Commentaire [E126]: specific and
sensitive psychological instruments
psychologiques longs et épuisants nous limitait davantage encore dans l’utilisation des instruments
de recherche existants, ce qui compliquait encore notre d’évaluation en termes de critères objectifs.
Pendant les études menées à Spring Grove, nous avons expérimenté différentes méthodes
d’évaluation et n’avons pas trouvé aucune solution pleinement satisfaisante à ces problèmes.
Pour illustrer ceci, je décris brièvement nos méthodes d’évaluation des résultats
thérapeutiques ainsi que notre approche de l’analyse des informations issues de notre étude
contrôlée de psychothérapie au LSD, laquelle comprenait trente-et-un patients cancéreux. Pour plus
d’informations détaillées sur la méthodologie de la recherche, des informations quantitatives, des
tableaux et les résultats des analyses statistiques on pourra se référer aux écrits originaux (Pahnke et
son équipe 1970, Richards et son équipe 1972). Selon le projet de recherche originel, on espérait que
chaque patient passe plusieurs tests psychologiques avant et après le traitement. Cependant, cela
s’avéra être une attente plutôt irréaliste. De tels tests requerraient un degré de concentration et de
persévérance qui pour bon nombre de ces patients gravement malades était tout simplement
impossible en raison de leur douleur physique et de leur fatigue. Par conséquent, ce furent les
compte-rendus extérieurs qui devinrent notre outil d’évaluation principal.
Walter Pahnke et Bill Richards développèrent un instrument spécial dans ce but : l’échelle
d’évaluation émotionnelle (EEE). Cette échelle rendait possible l’obtention de valeurs allant de -6 à
+6 reflétant le degré de la dépression du patient, son isolement psychologique, son anxiété, sa
difficulté dans la gestion médicale, sa peur de la mort et sa préoccupation à l’égard de la douleur et
de sa souffrance physique. Les évaluations étaient faites un jour avant et trois jours après
l’administration de la substance psychédélique par les psychiatres en charge, les membres de la
famille, les thérapeutes et les co-thérapeutes. Dans les étapes ultérieures de la recherche, un
psychiatre de l’assistance sociale destiné à évaluer les résultats de manière indépendante a rejoint
notre équipe. En outre, la quantité de narcotiques requise dans la gestion du patient était utilisée
comme critère permettant d’évaluer le degré de la douleur physique.
L’efficacité du programme de traitement psychédélique a été évaluée par des tests de
valeur statistique en fonction des évaluations de la condition clinique avant ou après la séance. Nous
avons effectué des calculs séparément pour chacune des sous-échelles des individus – dépression,
isolement psychologique, anxiété, difficulté dans la gestion médicale, peur de la mort et
préoccupation à l’égard de la douleur et de la souffrance physique - mais aussi pour les représentants
des six catégories de classificateurs : thérapeute, co-thérapeute, médecin en charge, infirmière,
parent le plus proche et évaluateur indépendant. Par ailleurs, nous obtenions pour chacune des
catégories de douleur,un index composite , par une synthèse de toutes les évaluations obtenues.
Les résultats thérapeutiques dans chacune des catégories étaient obtenus en évaluant les
index composites des individus d’avant le traitement par rapport à ceux après le traitement. Pour
évaluer grosso modo le degré d’amélioration, un index global de la condition clinique générale nous
synthétisions les informations de tous les évaluateurs pour toutes les catégories cliniques mesurées.
Grâce à cette procédure faisait on pouvait décrire la condition de chaque patient avec un seul index
numérique. Même si cette approche obscurcissait les spécificités des problèmes cliniques aussi bien
que les divergeances d’opinion parmi les évaluateurs, elle était néanmoins utile à la compréhension
chez les patients individuels d’une part, et d’autre part à l’expression du degré d’amélioration en
termes de pourcentage du groupe entier. Les résultats de l’évaluation confirmaient les impressions
cliniques des effets souvent radicaux de la psychothérapie au LSD sur les conditions émotionnelles et
sur la douleur physique des patients atteints de cancers. Les changements thérapeutiques les plus
prononcés étaient observés dans la dépression, l’anxiété et la douleur, suivis de près par ceux liés à la
peur de la mort. Les résultats étaient moins impressionnants dans le domaine médical à proprement
parler .
« L’amélioration drastique » était celle dans laquelle il y avait une augmentation de quatre
ou plus de points dans l’index global, et une amélioration était dite « modérée » lorsqu’il y avait un
gain de deux à quatre points. Les patients chez qui l’augmentation était inférieure à deux points ou
nulle était considérés comme « globalement inchangés ». Selon ces critères, neuf des patients (29%)
montrèrent une amélioration radicale grâce à la psychothérapie au LSD, treize patients (42%) une
Commentaire [E127]: the results
were least impressive in the area of
medical management
amélioration modérée, et les neuf personnes restantes (29%) ne subirent aucune modification. Seuls
deux patients avaient un index global inférieur dans la période de post-traitement, par rapport à
avant le traitement. Dans les deux cas, la diminution était minime (-0,21 et -0,51 points
respectivement). En ce qui concerne la demande de narcotiques, l’utilisation de la dose quotidienne
globale évolua de façon positive, cependant, cette diminution était imperceptible d’un point de vue
statistique Ces conclusions semblent contredire les évaluations qui indiquent une diminution
supérieure de la douleur ; le chapitre quinze rend compte de cet écart.
Les résultats de l’étude de DPT ont été décrits et évalués par Bill Richards, un psychologue
et thérapeute du Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland, ayant participé au programme
de recherches sur le cancer depuis son implantation en 1967. Ce projet impliquait quarante cinq
patients assignés de façon aléatoire dans le groupe de contrôle ou dans le groupe expérimental.
Deux évaluateurs indépendants utilisaient des échelles psychologiques pour évaluer les patients et
les membres de la famille. La thèse de doctorat de Bill Richards présente des analyses détaillées des
informations et discute des résultats de l’étude de DPT de Spring Grove (Richards 1975).
Même si la psychothérapie au DPT apporta des résultats positifs et spectaculaires dans les
cas individuels, le résultat clinique du groupe expérimental complet il n’y a pas eu de degré
d’amélioration suffisant qui soit significatif d’un point de vue statistique. Des résultats significatifs et
les tendances importantes eurent lieu et elles sont reportées dans les échelles de certains individus,
mais d’une façon générale selon cette étude ne conclue pas que DPT peut remplacer de manière
efficace le LSD dans la thérapie psychédélique des patients atteints de cancer. Cela cadrait avec les
impressions cliniques et les sentiments des thérapeutes du Centre de Recherches Psychiatriques du
Maryland, qui préféraient à unanimité travailler avec le LSD.
L’effort de Bill Richards pour détecter la valeur thérapeutique de l’expérience de pic
psychédélique telle qu’elle est décrite par Abraham Maslow (Maslow 1964) s’est avérée encore plus
intéressante que les résultats globaux de l’étude. L’occurrence d’expériences de pic était mesurée
par le Questionnaire d’Expériences Psychédéliques (QEP) mis en place par Pahnke et Richards. Ce
questionnaire mettait l’accent sur les catégories de base de l’expérience de pic : l’unité, la
transcendance du temps et de l’espace, l’objectivité et la réalité, les sentiments de sacralité, une
humeur profondément positive, et l’ineffabilité (pour la définition et la description de ces catégories,
voir le chapitre quinze). Les réponses étaient évaluées dans une échelle d’intensité, allant de zéro à
cinq. L’évaluation des thérapeutes des expériences psychédéliques des patients constituait une
autre source d’informations. Bill Richards trouva que l’information rassemblée dans l’étude de DPT
montrait des résultats thérapeutiques meilleurs chez les patients qui avaient une expérience
psychédélique de pic que chez ceux qui n’en avaient pas.
Il existe un aspect important de ce travail qui nous échappera toujours, quand bien même
nous utiliserions la méthodologie la plus sophistiquée dans toutes les études semblables qui auront
lieu dans le futur : la profondeur de l’expérience personnelle de ceux qui ont la chance de partager la
situation de l’agonie d’un autre être humain et qui voient comment la profonde crise psychologique
accompagnant fréquemment la rencontre avec la mort peut être soulagée ou même complètement
retournée par une expérience psychédélique. Voir cet événement hors du commun se produire de
façon répétée est bien plus convaincant que les informations chiffrées et dans l’esprit du thérapeute
psychédélique, cela ne laisse aucun doute que ce travail avec la personne mourante vaut d’être
accompli.
CHAPITRE 14
CAS D’EXPÉRIENCES DE THÉRAPIE PSYCHÉDÉLIQUE
Le thème sous-jacent qui demeure une constante dans tous mes écrits est la nature
intolérable de la réalité humaine lorsqu’elle est dépourvue de toute dimension spirituelle et
métaphysique.
David Gascoyne, poète et écrivain anglais
DANS LES CHAPITRES PRÉCÉDANTS j’ai résumé l’histoire de la thérapie psychédélique avec
les patients atteints de cancers, j’ai décrit la manière dont elles ont été conduites dans le programme
de Spring Grove, et j’ai fait une synthèse de nos résultats et observations cliniques dans ce domaine.
Ce chapitre présente sept exemples, de manière à fournir davantage d’impressions intimes et
personnelles de cette forme de traitement. J’ai sélectionné des patients dont les histoires illustrent
certains aspects importants de la thérapie psychédélique et de ses effets sur la condition
émotionnelle, l’attitude envers la mort et la douleur physique accompagnant le cancer.
 Mathieu était à la fois un brillant médecin et un musicien talentueux issu d’un milieu
très cultivé. Comme il évoluait dans le milieu médical, ses proches parents tout comme
lui-même, étaient pleinement conscients des problèmes qu’il devait affronter. La
communication dans la famille de Mathieu était très sincère et honnête. La principale
difficulté que Mathieu avait à affronter la mort venait de son orientation pragmatique et
athée issue de son parcours scientifique. Sa séance psychédélique et la transformation
qu’il vécut illustrent le fait que les expériences mystiques peuvent survenir chez des
individus bien éduqués, sceptiques, et dont l’orientation scientifique engendre une
vision du monde matérialiste.
 Ted était en tout l’opposé de Mathieu. Son éducation était très limitée, et il était
assez ouvert aux idées religieuses. Les relations au sein des membres de sa famille
étaient fausses et malhonnêtes et elles nécessitaient beaucoup de travail psychologique.
Ted et sa femme avaient tous deux des secrets personnels, y compris concernant les
informations sur sa maladie. Les trois séances avec prise de LSD de Ted donnèrent lieu à
des expériences puissantes à propos de Dieu et à des impressions spirituelles profondes
à propos des cycles de la mort et de la renaissance. Grâce à cela, il se réconcilia non
seulement avec sa maladie, mais aussi avec sa mort.
 Jesse était un ouvrier non qualifié, avec des croyances issues de la foi catholique
traditionnelle. Il était presque analphabète -lire les quotidiens et la Bible présentait un
défi intellectuel pour lui. À notre grande surprise il découvrit et adopta dans sa séance
psychédélique un système métaphysique qui comprenait la croyance en la réincarnation
et qui rassemblait les philosophies spirituelles de l’Orient. Le pouvoir psychologique de
sa nouvelle vision était tellement puissant qu’il l’aida à dépasser sa phobie de la mort.
Jesse fut capable de lâcher prise par rapport à son corps ravagé infiltré de métastases
multiples et de cesser de s’acharner désespérément à vivre.
 Suzanne s’était portée volontaire à la thérapie psychédélique en raison de la douleur
atroce associée à son cancer. Quoique la thérapie psychédélique ait eu de puissants
effets positifs sur elle et ce, par divers aspects, sa douleur atroce qui constituait son
principal problème demeura inaltérée et ne fut aucunement soulagée. Cependant ses
expériences psychédéliques, lui permirent d’abandonner sa peur de la chirurgie
palliative laquelle finit par lui apporter le soulagement qu’elle avait tant recherché.
 Inversement, le cas de John illustre l’effet capricieux et surprenant que la thérapie
psychédélique peut avoir sur la douleur, y compris sur celle qui résiste aux hautes doses
de narcotiques. Il reçut une dose relativement faible, et ses expériences n’avaient pas la
profondeur que nous avions observée dans les séances de bon nombre d’autres
Commentaire [E128]: Come to termes
with his mortality
patients. Après ce qui avait d’abord semblé être une tentative avortée de thérapie, sa
douleur atroce disparut complètement pendant une période de plusieurs mois.
 La thérapie de Catherine montre que même une personne dont la vie a été
extrêmement traumatisante peut vivre une transformation profonde, parvenir à se
réconcilier avec une vie entière de souffrances, et approcher la mort avec dignité en
adoptant une vision spirituelle. Son expérience nous donna également l’occasion de
comparer les influences toutes relatives qu’une vie très difficile et une naissance en
revanche très facile peuvent avoir sur la nature d’une séance psychédélique.
 L’histoire de Joan est un exemple du potentiel de la thérapie psychédélique
lorsqu’elle atteint son sommet. Le résultat de ses trois séances avec prise de LSD fut
qu’elle parvint à une transformation spirituelle profonde qui changea totalement la
qualité des jours qui lui restaient à vivre. La nouvelle façon dont elle aborda les
situations de la vie de tous les jours, mais aussi les circonstances pratiques de sa mort
étaient une source constante d’émerveillement parmi ses proches parents et ses amis.
En outre, son mari, éducateur, avait accès à ses propres séances psychédéliques dans le
cadre de notre programme d’entraînement à la thérapie au LSD pour les professionnels.
Cela l’aida non seulement à mieux comprendre le processus de la mort de Joan, mais
aussi à travailler avec ses propres sentiments concernant le cancer et la mort.
L’histoire de Mathieu
Mathieu était un interne âgé de quarante-deux ans souffrant d’un cancer du pancréas
inopérable. Il connaissait bien notre programme de thérapie psychédélique. Quelques années
auparavant, il nous avait envoyé l’un de ses patients atteint de cancer, pour qui la thérapie à base de
LSD avait été très efficace. Étant donné que sa femme nous décrivit au téléphone sa situation comme
étant critique, nous avons immédiatement répondu à leur demande de thérapie au LSD et nous leur
avons rendu visite chez eux.
Nous avons trouvé Mathieu dans un état extrêmement faible, anxieux et désespéré. Il avait
beaucoup de symptômes physiques désagréables, des douleurs, des nausées, un sentiment de ventre
plein en permanence, des éructations, des flatulences, et une perte progressive d’appétit et de poids.
Mathieu était parfaitement conscient de sa condition non seulement en termes de diagnostic ou de
pronostics généraux, mais aussi du stade et de l’avancement de sa maladie. Il suivait son propre cas
de près, revoyait régulièrement ses analyses, et surveillait la détérioration progressive de ses
fonctions physiologiques. Il fut même capable de diagnostiquer une embolie pulmonaire mineure qui
avait échappé à son médecin.
Mathieu semblait complètement dépassé par sa maladie. Sa santé avait toujours été
parfaite et sa vie avait été gratifiante et réussie. Lorsque la maladie le frappa, il avait une belle
femme, un beau mariage, trois enfants et une pratique médicale bien assise. Il n’était absolument
pas préparé ni émotionnellement, ni philosophiquement, ni spirituellement au retournement
inattendu de son destin. La religion n’avait jamais signifié grand chose pour lui, et il avait toujours eu
une approche globale de la vie très rationnelle et pragmatique.
À mesure que la souffrance de Mathieu augmenta, il réfléchit à l’absurdité de sa maladie et
se demanda comment et pourquoi cela lui était arrivé. Son attitude envers la maladie et la situation
délicate qu’il vivait avait été bien meilleure jusqu’aux deux semaines précédant notre première visite,
lorsqu’il subit un épisode de douleur sévère qui dura plusieurs jours. Même si la morphine était
parvenue à atténuer, la douleur, la sévère dépression et anxiété qu’elle avait provoquées
perduraient. Une tentative pour tranquilliser Mathieu avec de la chlorpromazine s’avéra un échec
cuisant. Sa médication ne faisait qu’accentuer sa dépression, son abattement, et son désespoir.
Le degré de souffrance physique et émotionnelle de Mathieu était telle qu’il vivait chaque
jour comme étant une torture intolérable. Il nous supplia de raccourcir la préparation à son strict
minimum et de procéder à la séance le plus rapidement possible. Nous avons décidé de réduire le
travail préparatoire à deux jours. Pendant ces deux jours, nous avons passé de nombreuses heures à
Commentaire [E129]: le dico des
difficultés dit que ce mot est un barbarisme
à moins d'être employé dans le cadre du
sport. Si tu en connais un meilleur, you're
welcome
discuter avec Mathieu et sa femme, ses enfants et ses parents proches. Même si le temps imparti à la
préparation était relativement court, nous avons eu la chance d’établir une relation avec toutes les
personnes impliquées, et nous avons obtenu toutes les informations nécessaires sur la situation
passée et présente de Mathieu.
Malgré la gravité de la condition de Mathieu, l’interaction entre lui et sa femme Déborah
était très efficace ; il s’agissait en effet de l’un des rares exemples qu’il m’ait été donné de rencontrer
d’une situation de communication complètement sincère et honnête. La seule complication que le
couple devait affronter était liée au problème de Mathieu avec l’intimité. Déborah avait tendance à
être aimante et à se rapprocher de lui physiquement ; comme il avait manqué de contact émotionnel
dans son enfance, cette approche mettait Mathieu mal à l’aise. Il concevait toujours l’intimité
physique comme un préambule à d’éventuels rapports sexuels. Mais en raison de sa condition
somatique sévère, il avait développé une dysfonction érectile. Il vivait par conséquent la proximité de
Déborah comme un rappel douloureux de son inadéquation et il avait tendance à la fuir. Par ailleurs,
il croyait que c’était à lui de gérer la situation, et il voyait le soutien de sa femme comme une chose
infantilisante.
Malgré notre prise de contact relativement brève, notre relation avec Mathieu et la
situation de sa famille s’est avérée tellement encourageante, que nous avons décidé de procéder
immédiatement à la séance. À la demande de Mathieu, nous avons obtenu une permission spéciale
de procéder à la séance chez lui et non dans la salle de l’hôpital. En discutant des expériences qui
pouvaient avoir lieu dans les séances à base de LSD, Mathieu était globalement très curieux du
processus général, mais il était incrédule et sceptique concernant les aspects spirituels que le
traitement pouvait avoir. Nous lui avons proposé d’approcher la séance comme une expérience
scientifique en lui demandant d’essayer d’être aussi ouvert que possible, puis de tirer ses propres
conclusions une fois l’expérience terminée. Il était très enthousiaste à l’idée que nous utilisions de la
musique dans la séance, étant donné que la musique était son principal réconfort dans sa triste
situation. Mathieu était lui-même musicien, et par le passé, il avait essayé de composer. Lorsqu’il
écoutait de la musique classique il lui arrivait d’être parfois suffisamment pris par la mélodie pour
oublier la gravité de sa condition.
La séance au LSD de Mathieu
Le jour de sa séance, Mathieu reçut 200 microgrammes de LSD. Nous avons décidé de lui
administrer la substance par intraveineuse car nous étions préoccupés par les capacités de son
système gastro-intestinal à l’absorber. La période de latence sembla plus longue que d’habitude, et,
pendant plus d’une heure, Mathieu semblait complètement normal. Plus tard, son comportement
devint inhabituel, mais il continuait à nier le fait que quoi que ce soit était en train de se produire. Il
était allongé sur son matelas un casque sur les oreilles, et il écoutait de la musique classique. De
temps en temps il se tournait et se retournait et il passait par des moments où il lui était difficile de
respirer. La dimension visuelle était presque entièrement absente de sa séance, et cela rendait à
Mathieu plus difficile l’identification du résultat de l’expérience au LSD.
Il finit par devenir évident que Mathieu était dans un état de conscience holotropique. Il
devint extatique concernant la qualité de la musique et il s’y immergea complètement. Il ne cessait
de nous demander d’écouter attentivement et de lui dire si nous avions jamais entendu quelque
chose d’aussi merveilleux auparavant. La musique lui semblait totalement divine, ses limites
s’estompèrent et il se fondait à son flux. Assez tôt dans la séance, Mathieu éprouva un intense besoin
de chaleur et il demanda Joan Halifax qui était sa co-thérapeute dans la séance. Elle répondit
immédiatement, le prit dans ses bras et le berça pendant plus de quatre heures. Il continuait à
écouter ainsi la musique avec une expression extatique sur son visage. Ses traits montraient un
mélange inhabituel de bonheur infantile suprême et de ravissement mystique.
À un moment donné, il prononça des phrases sans rapport apparent les unes avec les
autres, qui semblaient être des extraits de textes bouddhistes et de comptes-rendus de mystiques
chrétiens et juifs. « Un seul monde et un seul univers… Tout est un… Rien et tout… Tout et rien… Rien
est tout… lâchez prise au moment opportun… Cela ne change rien… La maladie… Les blessures… C’est
soit la chose vraie, ou ça ne l’est pas… Les formes basses et les formes élevées… Les extrémités
brillantes de la possession de sa majesté… Je suis tellement immortel… C’est vrai ! »
Déborah, qui venait de temps en temps à la porte du salon où la séance avait lieu, avait
peine à croire que ces affirmations viennent de son mari pragmatique et athée. Au cours de la
sixième heure de la séance, elle entra, prit la place de Joan, prit Mathieu dans ses bras et le berça. Il
portait encore son bandeau sur les yeux et son casque, et il était immergé si profondément dans la
séance qu’il ne remarqua même pas le changement. Ils passèrent un long moment dans les bras l’un
de l’autre silencieusement. Puis Mathieu retira son bandeau et prit un verre de jus d’orange qu’il
apprécia énormément. Il ne quitta pas Déborah des yeux et il était submergé par des sentiments
d’amour et de proximité.
A mesure que les effets de sa séance s’atténuaient, Mathieu éprouva un mal-être physique
intense. Il se sentait constipé et il fit des efforts intenses pour mouvoir ses intestins. Il éprouva que
c’était le seul obstacle qu’il devait surmonter pour revenir à un état de bonheur suprême. Il croyait
que s’il pouvait vider ses intestins, il « atteindrait le monde entier ». Mais la constipation était
tellement sévère qu’il dût en être soulagé. Plus tard dans la journée, Mathieu voulut prendre un bain.
Il s’assit dans la baignoire pendant presque une heure, appréciant la musique et s’amusant dans son
bain. Il passa la soirée à continuer à écouter de la musique et découvrit des dimensions entièrement
nouvelles dans des œuvres qu’il connaissait assez bien. Les sensations de douleurs intestinales
étaient le seul inconfort dans sa situation, agréable par ailleurs.
Il était assez intéressant de noter que Mathieu ne semblait pas capable de reconstruire les
séquences de son expérience de prise de LSD, et il ne se souvenait que vaguement de son contenu.
Son trou de mémoire atteignait un degré assez extraordinaire étant donné que la plupart des
personnes se souviennent des événements majeurs de leurs séances. Il ne parvenait qu’à
communiquer son sentiment global concernant la journée : il disait que l’expérience était
incroyablement belle et qu’il n’avait jamais vécu quoique ce soit de tel dans sa vie. Mathieu affirma
qu’il avait eu l’impression d’être « dans un cocon chaud, entouré d’amour infini, se sentant
impuissant mais heureux et en sécurité ».
Il affirma que l’expérience la plus puissante avait été lorsqu’il était allongé sur le matelas
avec Déborah, la prenant dans ses bras et éprouvant qu’il se fondait à elle. Lorsque Mathieu évoqua
cela, ils étaient tous les deux très émus et ils pleurèrent ensemble. Avant de partir ce soir-là, Mathieu
résuma ses sentiments à propos de la séance. « Que ceci s’avère une aide ou non, je veux que vous
sachiez que je vous suis très reconnaissant pour ce qui est arrivé aujourd’hui. C’était vraiment le plus
beau jour de ma vie, et celui où je me suis senti le plus accompli. Je ne vois pas en quoi cela pourrait
nuire en quoi que ce soit… »
Deux jours après la séance, Mathieu dût être hospitalisé de nouveau, en raison d’une
obstruction intestinale complète. Avec ce sévère rappel de la gravité de sa maladie Mathieu
recommença à glisser dans la dépression. Étant donné qu’à l’hôpital, il avait une chambre à lui tout
seul, nous lui avons apporté un magnétophone, un amplificateur, et un casque, afin qu’il puisse
bénéficier des effets que la musique avait eus sur lui. Nous lui avons également apporté les
enregistrements des morceaux écoutés lors de sa séance de prise de LSD. Nous avions observé
auparavant que la musique utilisée dans les séances psychédéliques avait une propension spéciale à
faire ressurgir certains des sentiments vécus par les patients lorsqu’ils les écoutaient sous l’influence
de la drogue.
Dans une séance spéciale, Joan apprit à Mathieu comment combiner la musique à une
technique de relaxation et à de la méditation. Elle lui expliqua qu’il avait le choix de se concentrer
sur sa maladie et sa souffrance physique ou se reconnecter à l’expérience de sa séance de LSD. Après
environ vingt minutes, Mathieu passa à un état d’esprit paisible. Grâce à la musique et à Déborah,
qui resta avec lui pendant de nombreuses heures chaque jour, il fut capable de maintenir son nouvel
équilibre émotionnel pour les jours qui lui restaient. Le blocage de Mathieu à l’égard de l’intimité
semblait avoir complètement disparu à la suite de sa séance de prise de LSD, et il appréciait
Commentaire [E130]: By an anema
énormément la proximité physique. Mathieu et Déborah nous dirent tous les deux séparément qu’il
s’agissait là de la période la plus significative de leur mariage.
On nous avait assigné à voyager à Hartford, dans le Connecticut pendant deux jours pour
diriger un séminaire. Avant de quitter Baltimore, nous avons rendu visite à Mathieu à l’hôpital. Sa
condition physique se détériorait rapidement, et nous avons eu l’intuition que nous n’allions plus le
revoir. Il était évident qu’il partageait nos sentiments. À la fin de notre visite il nous confia : « Se
battre n’a plus aucun sens lorsqu’il est temps de partir…ne vous inquiétez pas, tout va bien… »
Lorsque nous étions à Hartford, Joan fut réveillée à trois heures du matin par un puissant rêve
concernant Mathieu. Il lui était apparu souriant et il répétait ses derniers mots : « Tout va bien ». Elle
eu la nette intuition que Mathieu venait de mourir. Lorsque nous appelâmes l’hôpital le matin
suivant, le médecin en charge nous dit que Mathieu était décédé à trois heures du matin ce jour-là.
Nous sommes allés aux funérailles de Mathieu et avons fait le minyan (la prière) pour lui.
Nous sommes restés en contact avec la famille pendant leur période de deuil. Le rétablissement de la
famille a été étonnamment facile, si l’on songe à leur proximité. Cela semble signifier que la gravité
de la perte n’est pas nécessairement le facteur le plus important influençant la nature de la douleur.
Dans le cas de Mathieu, nous avons clairement vu que le sentiment de prendre part de façon
significative dans le processus de la mort peut enlever une grande partie du désespoir des survivants.
L’histoire de Ted
Ted était un Afro-américain de vingt-six ans, souffrant d’un cancer du côlon inopérable. Il
était marié et avait trois enfants. Nous l’avons contacté fin 1971 à la clinique externe de l’Hôpital
Sinaï, comme candidat potentiel pour une étude de DPT. À cette époque là, sa principale difficulté
avec la maladie était une douleur constante et intolérable dans l’abdomen. En outre, il était
gravement dépressif, irritable et anxieux, et avait des problèmes constants dans ses relations
interpersonnelles, et plus particulièrement dans sa vie de couple. Les interactions entre lui et sa
femme Lily étaient très insatisfaisantes et compliquées, et ils se sentaient profondément étrangers
l’un à l’autre. Des périodes de silence obstiné alternaient avec des échanges très colériques au cours
desquels ils se lançaient des accusations mutuelles, le plus souvent portant sur le manque d’intérêt
et d’affection.
Six ans auparavant, la maladie de Ted avait été diagnostiquée pour la première fois, et on
lui avait fait une colostomie. Le médecin en charge avait dit à Lily que la situation de Ted était très
grave et qu’il ne lui restait plus que quelques semaines à vivre. On lui avait fortement conseillé de ne
dévoiler ni son diagnostic ni ce pronostic, afin d’éviter une réaction désespérée de la part de Ted
pouvant aller jusqu’au suicide. Mais l’envie de vivre de Ted et sa résistance physique avaient été
énormes, et la durée de sa survie dépassait toutes les espérances. Pendant les années de lutte contre
la maladie, Lily avait évité de manière angoissée toutes les allusions à ce diagnostic et ces pronostics.
Le résultat avait été que leurs relations s’étaient distordues, étaient devenues mécaniques,
superficielles, et de plus en plus douloureuses. Lily avait eu des relations extraconjugales, était
tombée enceinte d’un autre homme et avait dû avorter. Ted, malgré la gravité de sa condition
clinique et son handicap dû à la colostomie, avait eu une aventure avec une autre femme qu’il avait
mise enceinte.
Après un bref entretien, Ted fut accepté dans le programme de Spring Grove. Cependant,
en raison de la sélection aléatoire exigée par le plan de recherche, il fut confié au groupe de contrôle.
Après la fin de la période de suivi, les patients assignés au groupe de contrôle avaient eu la possibilité
d’avoir leur thérapie psychédélique en dehors du cadre de l’étude. Ted et Lily exprimèrent leur
intérêt pour une psychothérapie avec de fortes doses de LSD. Lors d’un entretien privé, Lily posa ses
conditions avant d’y consentir. Elle insista sur le fait qu’il ne fallait pas que le diagnostic et les
pronostics soient dévoilés à Ted ou évoqués pendant le processus. Nous savions d’expérience que,
parfois, les patients pour qui la situation n’était pas discutée ouvertement découvrent la vérité euxmêmes au cours de la thérapie psychédélique. Aux vues de la profondeur du sentiment de Lily à ce
Commentaire [E131]: Outpatient
clinic
sujet, nous avons décidé d’accepter Ted avec cette restriction et nous avons commencé le travail
thérapeutique.
Dans la phase de préparation, nous avons brièvement revu l’histoire personnelle orageuse
de Ted. Toute son enfance durant, il avait souffert d’un sévère manque émotionnel et d’abus
physiques. Il avait perdu ses parents à l’âge de trois ans et avait passé plusieurs années à aller
d’orphelinat en orphelinat. Il avait fini par arriver dans la maison de son oncle et de sa tante qui
devinrent ses parents adoptifs. Chez eux il vécu beaucoup de rejet cruels physiques et émotionnels
Pendant son enfance et son adolescence, Ted s’impliqua dans des activités de révolte sociale
mineures, se battit souvent dans des combats de rues, et aimait distractions brutales. Plus tard,
lorsqu’il rejoignit l’armée, il apprécia son implication dans la guerre, lieu où ses tendances agressives
trouvaient l’approbation sociale. Dans son mariage, il se montrait jaloux et possessif envers sa
femme, mais il avait lui-même de fortes tendances aux aventures extraconjugales.
La première séance au LSD de Ted
Le jour de sa première séance, nous administrâmes 300 microgrammes de LSD à Ted. Au
moment où la drogue commença à produire ses effets, il devint très confus. C’était là sa première
expérience psychédélique, et il n’était pas habitué aux effets de la substance. Il sentait qu’il perdait
tous ses repères et il ne savait pas ce qui lui arrivait ; il compara cette sensation au fait « de flotter
sur un nuage et de ne pas avoir ses pieds sur terre ». Il commença à penser à sa famille et à sa vie
présente et il vit les visages de ses trois enfants. Puis la scène changea : Ted et Lily participaient à un
show télévisé, du genre de « This is your life66 », où leurs enfants étaient aussi présents.
Plus tard, les effets du LSD s’intensifièrent, et Ted se vit lui-même comme un patient dans
un grand hôpital. Il était allongé sur la table d’opération et il était entouré d’une équipe de médecins,
d’aides-soignants et d’infirmiers. Il vit des instruments chirurgicaux variés -rayons X, bouteilles à
infusion, seringues, et appareils qui assurent les fonctions vitales à la place de l’organisme de façon à
à maintenir les gens en vie. Il ne savait pas s’il était en train de revivre une opération ou s’il
l’imaginait. Il se sentit très proche de la mort, et il vit beaucoup de personnes dont les vies étaient
également menacées -des soldats périssant dans des guerres, des adultes et des enfants emportés
par des épidémies, et de nombreuses personnes tuées dans des accidents. Cependant, il pouvait voir
au-delà de la mort. Aucune des personnes dans ces situations ne mourait réellement ; ils vivaient
simplement une transition dans une existence d’un genre différent. Étonné, Ted vit des cycles de vie
et de mort se déroulant sous ses yeux. Rien n’était jamais vraiment détruit ; tout était dans un flux
éternel et en transformation.
Puis il se sentit transporté dans son enfance et commença à revivre de nombreux épisodes
d’abus physiques et psychologiques vécus chez son oncle et sa tante. Le sentiment était tellement
profond et réel qu’il perdit toute notion d’être dans une séance de prise de LSD. Il me vit, moi, sous
les traits de son oncle, et Ilse Richards, ma co-thérapeute, sous ceux de sa tante. Il éprouva un
profond manque de confiance envers nous, et il eut l’impression d’être piégé, au pied du mur et
suffocant. Dans cet état de peur-panique, il fit plusieurs tentatives pour se lever et quitter la
chambre, certaines d’entre elles assez décidées et agressives. Il devint rapidement évident que le
souvenir de sa naissance ré-émergeait à sa conscience et influençait son comportement.
Au moment de la séance, Ilse en était à la seconde moitié de sa grossesse, et son état
semblait attirer Ted comme un aimant. Il concentra une grande partie de son agressivité sur le ventre
d’Ilse. Plusieurs fois il essaya de la chasser de la pièce : « Madame, vous devriez sortir d’ici, c’est trop
dangereux pour vous d’être ici ». Ilse, qui environ un an avant cette séance avait perdu un bébé au
sixième mois de sa grossesse, était naturellement très sensible à ces menaces, et elle se mit dans un
coin de la salle de traitement. La méfiance de Ted atteignit alors un niveau dangereux. Comme nous
le découvrîmes plus tard, deux facteurs supplémentaires intervenaient dans cette expérience. Les
66
This is your life (C’est Votre vie) genre de reality show
Commentaire [E132]: Life support
devices.J’ai cherché partout sur le web et
j’ai pose la question autour de moi à mes
médecins… j’attends la réponse
souvenirs de son comportement agressif et de ses tueries indiscriminées affluaient à la surface, et il
eut l’impression que nous lui faisions un lavage de cerveau, afin de lui faire confesser ses crimes de
guerre. Au plus profond de lui-même, il me percevait comme le Diable qui le tentait et qui essayait
de lui voler son âme.
Au moment le plus crucial de la séance de Ted, lorsque sa paranoïa atteignit son sommet,
une profonde et pénétrante sirène se mit en marche et sonna pendant trois minutes. Au milieu de ce
désordre, le pompier en chef arriva à la porte, accompagné de son assistant, et exigea que nous
quittions l’immeuble immédiatement parce qu’un exercice d’alerte au feu était prévu. Tout en
gardant un œil sur Ted dont le manque de confiance fut encore alimenté par cette scène bizarre, et
l’autre sur Ilse, qui était terrifiée et potentiellement en danger, j’ai tenté d’expliquer au mieux la
nature exceptionnelle de la situation aux deux hommes qui étaient déterminés à accomplir leur
travail. C’était de loin le moment le plus difficile que nous ayons vécu jusque là dans notre travail
psychédélique, et pendant un certain temps, la séance de Ted sembla être un échec total.
De façon assez surprenante, tous les problèmes furent résolus au moment où la séance
arriva à son terme. Ted entra dans un état extatique relaxé et exempt de douleur. Il eut le sentiment
qu’il se débarrassait de beaucoup de choses traumatisantes qui l’avaient tourmenté pendant des
années. Il témoignait d’un enthousiasme inouï quant à cette expérience de prise de LSD. Avant la fin
de la séance, il parlait déjà de sa prochaine séance. Cependant, le résultat de sa première séance
était tellement convainquant qu’il ne semblait pas nécessaire ni désirable d’en faire une autre dans
le futur proche. La douleur de Ted fut tellement estompée qu’il arrêta de prendre des analgésiques
et des narcotiques. Même si jusqu’à ce moment-là il avait été cloué au lit, il entreprit un travail
bénévole et le conserva pendant plusieurs mois. Par ailleurs il commença à faire toutes sortes de
petites tâches ménagères.
La situation clinique de Ted se détériora rapidement au moment de Thanksgiving, cinq mois
après sa première séance au LSD. Il devint dépressif et s’affaiblit de plus en plus, sa douleur revint et
elle atteignit un niveau intolérable. Lily nous appela à l’aide. Ilse, qui avait été la co-thérapeute
durant la première séance, avait interrompu son travail dans le centre de recherches. Elle avait
accouché entre temps et était chez elle à prendre soin de son enfant. Joan Halifax prit sa place dans
le travail avec Ted. À titre de préparation pour la seconde séance, nous eûmes plusieurs longs
entretiens avec Ted et Lily. Nous avons passé beaucoup de temps à explorer les développements
récents de la situation de Ted, sa condition physique et émotionnelle, et les schémas d’interrelations
entre lui et les autres membres de sa famille.
Au cours de ces discussions, l’amour et la sincère inquiétude de Lily pour Ted devinrent
soudainement évidents. Ted et Lily étaient encore assez étrangers l’un à l’autre. Leurs relations
distordues, malhonnêtes et chaotiques, semblaient être liées à leur incapacité à communiquer à
propos de la maladie de Ted, de son diagnostic et de ses pronostics. À ce moment-là, ces jeux de
cache-cache étaient devenus une charge quasi intolérable à Lily, et elle acceptait graduellement
l’idée qu’il fallait faire quelque chose pour arranger la situation. Dans une conversation tenue en
privé avec Ted, nous avons découvert qu’il soupçonnait ce diagnostic depuis le début, lorsqu’il avait
entendu deux internes discuter son cas devant la porte de sa chambre à l’hôpital. Plus tard, ses
soupçons avaient trouvé confirmation lorsqu’il lut dans le Physician’s Desk Reference 67 que le cancer
était le seul cas où l’un des médicaments qu’il prenait était indiqué.
Étant donné que Lily n’évoquait pas ce diagnostic, il en conclut qu’on ne lui avait rien dit. Il
décida de lui cacher la vérité car il ne doutait pas qu’elle le quitterait si elle savait qu’il avait un
cancer car « qui veut vivre avec un homme qui a un cancer ? » nous dit-il lorsque nous proposâmes
de discuter ouvertement du problème de son diagnostic. Dans une séance aussi dynamique qu’
orageuse, nous fûmes les catalyseurs de l’échange du « secret » entre les deux époux. Après une
entrée agressive en matière et des accusations mutuelles de malhonnêteté, Lily et Ted étaient tous
67
Physician’s Desk Reference Livre destiné aux médecins, où sont répertoriés les indications aux médicaments.
Son équivalent français est le Vidal ( NdT)
deux contents de la sincérité de cette nouvelle situation. Lily était soulagée car elle n’avait plus à
mentir ou à faire semblant. Ted était à la fois agréablement surpris et ému d’apprendre que Lily était
restée avec lui pendant toutes ces années tout en n’ignorant pas pendant tout ce temps qu’il avait le
cancer.
Un autre sujet important de notre discussion était le problème de l’intimité et des rapports
sexuels entre les deux époux. Pendant les derniers mois, Ted avait été incapable d’avoir des rapports
sexuels, et il se sentit découragé et humilié. À un moment donné, il se plaignit amèrement : « à quoi
suis-je bon ? Je ne peux pas bouger, je ne peux pas aller travailler, rapporter de l’argent à la famille,
ni satisfaire Lily sexuellement ». Depuis un fiasco sexuel, il avait cherché à éviter la proximité
physique. Nous avons évoqué sa dysfonction érectile comme étant une conséquence naturelle du
processus de la maladie, et nous avons bien insisté sur le fait que cela n’avait aucune incidence sur sa
valeur en tant qu’homme ou en tant qu’être humain. Nous avons encouragé Ted et Lily à trouver des
expressions non-sexuelles de l’affection qu’ils éprouvaient l’un envers l’autre.
Nous avons passé beaucoup de temps avec les enfants afin de travailler sur les difficultés et
les blocages dans les relations de Ted avec eux. Ted voulait être un père fort et autosuffisant, pour
pouvoir soutenir ses enfants. Mais en réalité les rôles étaient inversés, et Ted était vulnérable et
dépendant d’eux. Ted trouvait cette situation très douloureuse et inacceptable. Il ne voulait pas que
ces enfants soient autour de lui, et il les chassait souvent de la chambre lorsqu’ils apparaissaient.
Nous avons essayé de montrer à Ted comment cette expérience affectait le concept de la mort chez
ses enfants, et leur attitude envers elle. Il finit par comprendre comment une personne mourante
peut apporter une leçon infiniment précieuse aux vivants, et il réalisa qu’il pouvait agir comme un
professeur pour ses enfants et leur communiquer un message unique par la manière dont il
affrontait la mort. Il fut également capable d’accepter leur aide sans se sentir humilié et vit cela
comme une occasion importante pour eux de parvenir à une maîtrise de soi.
Seconde séance au LSD de Ted
Un peu avant la seconde séance au LSD, nous avons revu la première expérience
psychédélique de Ted avec lui, et plus particulièrement sa crise de confiance et l’épisode de paranoïa
qui nous avait posé de sérieux problèmes de gestion. Nous avons mis l’accent sur le fait qu’il était
important de garder l’expérience intériorisée afin que les émotions désagréables remontent à leurs
sources dans la vie de Ted.
Dans la seconde séance de Ted, nous utilisâmes de nouveau 300 microgrammes de LSD, la
même dose que dans la première séance. Cette fois-ci, l’expérience de Ted fut très puissante, mais
suave et sans problèmes sérieux. Il fut capable de conserver son bandeau sur les yeux et son casque
sur les oreilles pendant toute la séance et il eut très peu d’expériences difficiles. Globalement il
apprécia beaucoup plus la séance , mais il se souvenait des séquences de manière moins vive,
probablement parce que son contenu visuel était moins concret. Dans la seconde séance, l’accent
était davantage mis sur les états émotionnels et sur les processus.
Les premiers effets de la séance furent remarqués environ vingt-cinq minutes après
l’administration du LSD. Nous avons passé ce temps-là avec Lily à écouter une cassette que Ted avait
enregistrée le soir avant la séance. La première expérience de Ted fut une image de traversée d’une
grande rivière. Cet épisode semblait avoir un sens plus profond pour lui, comme le symbole d’un
voyage vers un autre monde, vers l’au-delà. Pendant une brève période suivant cette vision
d’ouverture, Ted apprécia la musique et il se vit jouant du vibraphone dans l’orchestre. Puis cela
devint beaucoup plus dynamique et prit un tour plus dramatique. Tout comme au cours de sa
première séance, Ted devint conscient de la nature répétitive de nombreux cycles de vie, et revit
encore de nombreuses séances de mort et de gens qui se faisaient tuer. Quelques épisodes
impliquaient des êtres humains, vivant diverses situations critiques et dangereuses. D’autres avaient
lieu dans le monde animalier. Par exemple, une de ses visions concernait un abattoir où des
centaines de porcs étaient abattus.
Ces scènes de souffrance étaient parsemées de bon nombre d’allusions à la maladie de Ted.
Il devint conscient de son corps à un niveau cellulaire et matériel, et il eut le sentiment qu’il était en
train de pourrir. Il vit sa famille comme étant de belles pommes dans un panier et il se vit comme
étant l’une pomme pourrie entrourée de ces spécimens parfaits. Puis Ted commença à visualiser une
grande variété de scènes émanant de plusieurs nations, peuples et croyances différentes, à travers
les siècles. Quoique ces images fussent belles et intéressantes, elles l’ennuyaient. Ce qu’il voulait
c’était surtout trouver Dieu, et outre que ce cadre ne lui semblait pas pertinent, il le détournait aussi
de son but. Cependant, à mesure que la séance se prolongeait, les expériences commencèrent à se
rassembler, et Ted commença à comprendre l’unité sous-jacente à toutes ces scènes.
La séance culmina au moment où Ted fit l’expérience de sa propre mort, au cours de
laquelle Dieu lui apparut comme une source brillante de lumière. C’était un moment très beau et très
réconfortant, car Dieu lui signifia qu’il n’y avait pas de quoi avoir peur, et il lui assura que tout irait
très bien. Ted était ébloui en réalisant que derrière le chaos et la complexité de la création, il n’y
avait qu’un seul Dieu. À la lumière de ces nouvelles impressions, il se concentra sur sa maladie, et il
essaya de trouver les raisons de sa souffrance à un sens plus profond. Il s’acharnait à demander
pourquoi Dieu lui avait infligé cette agonie absurde et dépourvue de sens. A un moment donné, il
éprouva qu’il avait atteint la compréhension et qu’il avait trouvé les réponses à ses questions.
Après sa rencontre avec Dieu, la séance de Ted fût magnifique et extatique. Il eut des
visions de cristal, de diamants, de bijoux, de gobelets ornés et de calices aux belles couleurs et aux
irradiations surnaturelles. Il ressentit un sursaut de vagues de sentiments aimants envers Lily et ses
enfants, et il exprima aussi son amour et sa gratitude à Joan et à moi, en nous remerciant de lui avoir
permis de vivre cette expérience. A un moment donné, il visualisa une scène dans laquelle quatre
d’entre nous (y compris Lily qui n’était pas présente à ce moment-là) étions assis près d’une
cheminée en communion amicale, appréciant de la nourriture délicieuse, et passant un bon moment.
Il n’y eut plus de scènes radicales. Ted avait eu des sentiments de chaleur et de complétude ; il était
détendu et il se voyait flottant sur un nuage rosacé. Sa douleur semblait avoir disparu, et la mobilité
et le contrôle de ses jambes augmentèrent considérablement. Son appétit augmenta aussi, et il
apprécia un dîner consistant en compagnie de Lily. Il passa une bonne partie de la nuit à revoir ses
expériences et ses impressions du jour, et il ne s’endormit qu’à quatre heures du matin.
Les changements de Ted après cette séance étaient tellement radicaux que cela déconcerta
Lily. Il était très paisible, serein, centré, et de bonne humeur. Le commentaire que fit Lily à l’égard de
la nouvelle situation était : « je ne comprends pas, c’est lui qui est en train de mourir et il me semble
que c’est moi qui ai tous les problèmes. C’est comme s’il avait réglé quelque chose et accepté la
situation… Comme s’il avait trouvé la réponse, que moi je ne trouve pas. Pour moi c’est toujours
aussi difficile et douloureux qu’avant ». Ted lui-même résuma ses sentiments après la
séance : « Quelque chose a changé… J’éprouve plus de paix à l’intérieur…J’ai comme l’impression que
je vais aller au Paradis si je meurs… J’en viens d’ailleurs… ».
Même si l’état mental de Ted était relativement stable, sa condition physique se dégradait
sans cesse. En raison de ces problèmes pour uriner on dût introduire une tige dans sa vessie, et un
sac en plastique fut attaché à sa cuisse ; cela venait s’ajouter à l’inconfort de sa colostomie, ce qui
compliquait encore davantage sa vie quotidienne. Il passait alors la majeure partie de son temps
dans son lit et les visites à l’hôpital lui devenaient de plus en plus éprouvantes. Même si la séance
soulagea considérablement la douleur, cela ne la fit pas pour autant disparaître. Ted trouvait les
mouvements physiques difficiles car cela précipitait les moments de sensations douloureuses.
Ted vivait également des sentiments de solitude et d’ennui. Lorsque Lily travaillait, et que
les enfants étaient à l’école, il passait de nombreuses heures à la maison tout seul. Dans ces
moments-là, il était particulièrement conscient de l’absurdité de sa vie. Nous lui avons rappelé qu’en
raison de sa condition et de la situation il avait potentiellement beaucoup de choses à enseigner aux
autres sur une dimension de la vie très importante. Nous lui avons demandé d’utiliser un petit
dictaphone pour enregistrer ses idées, ses sentiments et ses réflexions. Ted apprécia énormément
cette activité, et il continua à nous donner des cassettes avec des messages qu’il avait enregistrés
pour Lily, ses enfants, et pour nous deux. Il trouva cette activité très gratifiante et était fier de son
Commentaire [E133]: Indwelling
cathater
catheter: WordReference EnglishFrench Dictionary © 2009
catheter
...
nouveau rôle, surtout parce qu’il faisait partie de l’une des personnes mourantes impliquées dans un
nouveau programme expérimental. Il réalisa que cela donnait une signification spéciale à
l’information qu’il pouvait fournir.
À ce moment-là, une équipe de télévision de la BBC nous contacta et nous demanda si nous
leur permettrions de filmer le processus d’une thérapie psychédélique avec un patient atteint de
cancer. Ils avaient entendu parler de nos recherches et ils souhaitaient en inclure une partie dans une
émission spéciale sur la mort et son processus. En raison d’expériences très difficiles avec les
journalistes et les médias dans le passé, nous étions réticents à l’idée d’accepter cette proposition.
Cependant, , nous en vînmes à leur faire confiance à l’issue de nos négociations avec l’équipe de la
BBC. Après quelques hésitations, nous avons contacté Ted qui semblait être le candidat idéal pour ce
projet, et nous lui avons parlé de la proposition de la BBC. Il se montra immédiatement très
enthousiaste et était tout excité à cette idée : il y vit une occasion de donner un sens à sa situation,
par ailleurs sombre et désespérée. Cette perspective lui avait tellement redonné tellement d’entrain
et de moral que lorsque l’équipe du film arriva chez lui, s’attendant à le trouver dans son lit, Ted était
habillé des pieds à la tête et il était en train de lustrer sa voiture.
Nous avons essayé d’organiser la troisième séance de Ted de façon à ce que le tournage lui
soit le moins importun possible. L’environnement de la séance fut modifié au minimum : le seul
changement dans la salle de traitement était la présence du caméraman avec les lampes et câbles
nécessaires. Grâce à la présence d’un circuit télévisé fermé, les enregistrements audio et toutes les
autres opérations étaient contrôlés depuis l’extérieur de la chambre. Nous avions convenu avec
l’équipe pour que la priorité soit le bien-être de Ted. Le film serait interrompu à tout moment s’il
interférait avec le cours de la séance, et ce, sans considérer les pertes économiques éventuelles.
La troisième séance au LSD de Ted
C’est dans de telles circonstances que Ted reçut sa troisième dose de 300 milligrammes de
LSD. La nature de cette séance combinait les éléments de ses deux premières expériences
psychédéliques. Au tout début, il vécut une profonde expérience religieuse : il se trouvait dans une
cathédrale avec de beaux vitraux. La présence de Dieu emplissait le lieu et Ted se sentait
profondément connecté à Lui. On lui montra encore que cette vie était une succession de cycles
infinis, dans laquelle devenir, être et mourir étaient des chapitres d’un seul même grand livre.
Cependant il ne s’agissait pas simplement d’une répétition de ce qu’il avait déjà compris dans les
deux premières séances ; Ted parvint à reconnaître certaines nouvelles dimensions et des aspects qui
n’avaient pas trouvé leur expression auparavant.
Ensuite, sa défiance commença à prendre le pas sur tout le reste, comme cela avait déjà été
le cas au cours de sa première séance mais d’une façon beaucoup moins grave. Ted revécut un
certain nombre de ses expériences négatives avec les femmes, et il exprima beaucoup d’hostilité
envers les présences féminines dans sa vie - sa tante, ses amies, et plus particulièrement Lily. Lorsque
les souvenirs des aventures extraconjugales de Lily, de sa grossesse d’un autre homme et de son
manque d’honnêteté envers lui émergèrent à la conscience de Ted, il éprouva beaucoup
d’amertume, de ressentiment et d’agressivité. Il retira le bandeau de ses yeux et Joan, lui apparu
transformée en Lily puis en une allégorie ou une personnification de toutes ses déceptions causées
par des femmes.
Ted eut l’opportunité de donner libre cours à sa colère profondément ancrée pendant ce
transfert. Après cet épisode radical, lorsque les liens de confiance entre nous furent renoués, il
parvint à se reconnecter aux sentiments positifs qui caractérisaient la première partie de la séance.
Lorsque Lily se joignit à nous un peu plus tard, Ted éprouva qu’après les accès d’émotions négatives
envers elle, ses sentiments étaient bien plus profonds que jamais auparavant. Il eut la sensation que
son manque de confiance et son insécurité dans la relation disparaissaient et il éprouva une montée
de sentiments chaleureux et aimants. Nous avons conclu cette journée par un repas de famille. Ted
revenait progressivement de la séance dans une forme plutôt bonne, et il apprécia énormément le
dîner. Après le repas, nous avons reconduit Ted et Lily chez eux, et nous avons passé du temps au
chevet de Ted en discutant son expérience de prise de LSD et les événements de la journée.
La troisième séance renforça la vision spirituelle de Ted envers la vie, envers la maladie et
envers sa mort. Ses enregistrements étaient emplis d’affirmations rappelant la philosophie
bouddhiste et à la cosmologie hindoue. Il parlait des cycles de la mort et de la renaissance, des
causes de la souffrance et de la nécessité de se détacher. Sa peur de la mort diminua
considérablement, malgré la rapide détérioration de sa condition physique. Malheureusement, peu
de temps après sa troisième séance, Ted développa de sévères symptômes d’urémie. Quelques
années auparavant l’un de ses reins lui avait été retiré en raison d’une tumeur. À ce moment,
l’uretère du rein qui lui restait fut obstrué par une infection, et Ted développait des symptômes de
contamination par les produits toxiques de son propre métabolisme. Les chirurgiens ayant des
doutes sur la valeur d’une intervention qui, dans le meilleur des cas, ne prolongerait sa vie de
quelques semaines, ajournaient sans cesse l’intervention.
Après que Ted avait fait trois jours d’urémie qui s’aggravait de plus en plus, nous avons reçu
un coup de fil urgent de Lily à cinq heures du matin. Cette nuit-là, Ted m’avait vu en rêve et il
souhaitait discuter d’un problème qu’il considérait comme crucial. Nous sommes donc arrivés à
l’hôpital environ une heure après. À ce moment-là, la condition de Ted s’était considérablement
détériorée, et il se trouvait dans le coma. Il était entouré de plusieurs membres de sa famille, qui
essayaient de communiquer avec lui. Mais Ted ne répondait pas, exception faite d’un balbutiement
occasionnel assez incompréhensible. La mort de Ted semblait imminente. Tandis que je m’assis pour
réconforter Lily et les parents, et que j’essayais de les aider à accepter la situation, Joan s’assit à côté
de Ted. Elle lui parla doucement, utilisant ses propres instructions occidentalisées du Bardo Thödol,
et elle lui proposa d’avancer vers la lumière et de se fondre en elle sans être effrayé de sa brillance.
Juste au moment où tout le monde dans la chambre semblait avoir accepté la mort
imminente de Ted, un événement assez inattendu se produisit. Contre toute attente, à la dernière
minute, l’équipe chirurgicale décida de l’opérer malgré tout. Sans que nous ayons été prévenu, deux
hommes rentrèrent soudainement dans la chambre, mirent Ted sur un brancard, et l’emmenèrent
dans la salle d’opération. Toutes les personnes dans la chambre furent choquées par ce qui leur
semblait être une intrusion brutale dans une situation intime particulière. Au cours de l’opération,
Ted eut deux arrêts cardiaques résultant en une mort clinique, les deux fois et il fut réanimé.
Lorsque nous avons rendu visite à Ted dans l’après-midi dans l’unité de soins intensifs, il se
remettait tout juste de son anesthésie. Il regarda Joan et eut ce commentaire pertinent tout à fait
inattendu qui la surprit : « Vous avez changé de robe ! » Réticents à croire que quelqu’un dans le
coma pouvait avoir correctement observé l’environnement et s’être souvenu d’un tel détail, nous
avons commencé à enquêter sur la nature des expériences de Ted dès le matin suivant. Nous avons
rapidement compris qu’il avait correctement perçu les personnes présentes dans la chambre, même
si pendant tout ce temps il avait conservé les yeux fermés. À un moment donné, il avait même
remarqué des larmes le long des joues de Joan. Tandis qu’il était pleinement conscient de son
environnement, il avait également eu un nombre d’expériences inhabituelles qui semblaient se
dérouler au moins à trois niveaux différents.
Il pouvait entendre la voix de Joan et répondre à ses propositions. L’obscurité initiale fut
remplacée par une brillante lumière, et il parvint à s’en approcher et de se fondre en elle. À mesure
qu’il se mêlait à la lumière, il éprouva un sentiment de sacralité et de profonde paix intérieure.
Cependant, au même moment, il vit un film au plafond où ces crimes lui étaient rejoués. Il revit les
visages de toutes les personnes qu’il avait tuées pendant la guerre, et les adolescents qu’il avait
battus lorsqu’il était un jeune voyou. Il devait vivre la douleur et l’agonie de toutes les personnes
qu’il avait fait souffrir durant sa vie. Tandis qu’il faisait cela, il était conscient de la présence de Dieu
qui regardait et jugeait cette représentation de la vie de Ted.
Avant qu’on ne le quitte ce jour-là, Ted nous témoigna encore sa reconnaissance envers
ces trois séances de prise de LSD. Il avait trouvé le fait de mourir vraiment très semblable à ses
expériences psychédéliques, et pensait que cela constituait un entraînement et préparation à la mort
excellentes. « Sans les séances au LSD, j’aurais eu peur de ce qui se passait mais, connaissant ces
états, je n’ai pas eu peur du tout».
Même si la situation critique de Ted était améliorée par la chirurgie palliative, son corps
montrait des signes de profonde détérioration. Il était épuisé par les nombreuses années de lutte
contre le cancer, et affaibli par l’intoxication des produits de son propre métabolisme. Il perdait du
poids et se dépérissait à vue d’œil. Nous avons quitté Baltimore, un mois après la dernière séance de
Ted. Avant notre départ, nous lui avons rendu visite et nous savions que nous n’allions plus nous
revoir. À la fin de la visite, nous avons passé quelques instants en silence à nous regarder. Ted
interrompit le silence : « Mon corps en a assez, mon corps est tout criblé par le cancer, il est temps
pour moi de partir. Mais mon esprit va bien… J’ai dépassé la peur maintenant… Je vais y
arriver…Merci pour toute votre aide… ».
Nous avons su que Ted était décédé quelques semaines après notre dernière visite. Le tube
de drainage de son uretère s’était obstrué et il était retourné à l’hôpital. Lily avait passé beaucoup de
temps avec lui là-bas. Le dernier jour de sa vie, il avait dit à Lily de rentrer lui chercher des pyjamas
propres. Lily quitta l’hôpital, et une infirmière qui rentra dans la chambre de Ted quelques minutes
plus tard le trouva se reposant dans le calme sur son oreiller. Il ne montrait plus aucun signe de vie.
L’histoire de Jesse
Jesse avait été envoyé à notre programme dans une situation de graves souffrances
physiques et émotionnelles. À l’âge de trente-deux ans, il s’était fait opérer la lèvre supérieure en
raison de carcinomes squameux. Treize ans plus tard, il était retourné à l’hôpital avec une
propagation incontrôlable du même type de cancer sur le corps. De grandes masses de tumeurs
étaient visibles sur la partie gauche de son cou, le côté droit de son visage, et autour de son front. Il
se plaignait de graves douleurs, de faiblesse et de fatigue excessives, de toux et de difficultés à
avaler. Il souffrait aussi d’insomnie, de profonde dépression et de grande instabilité émotionnelle.
Jesse avait de grandes crises de larmes et d’angoisse, avec un sentiment de mort
imminente. Il était préoccupé par les aspects esthétiques de sa maladie : la défiguration de son cou
et l’odeur intense des bandages imbibés du fluide qui coulait de ses ulcères dermiques. La maladie le
gagnait assez rapidement, résistant à un régime agressif de radiation extérieure et de
chimiothérapie. Malgré sa situation physique désespérée, Jesse était terrifié à ce point par la mort
qu’il s’accrochait désespérément à la vie. Étant donné que rien d’autre ne pouvait être fait pour
arrêter son processus néoplasique, il fut accepté dans le programme DPT qui avait pour objectif de
tenter de soulager sa souffrance émotionnelle et sa douleur physique.
Au cours de la préparation à sa séance psychédélique, Jesse partagea son histoire
compliquée avec ma co-thérapeute Ilse Richards et moi-même. Jesse, qui avait seize frères et sœurs,
avait seulement cinq ans lorsque ses parents furent tués dans un accident de voiture. Il fut élevé
dans un orphelinat jusqu’à l’âge de quatorze ans ; il commença alors à travailler et devint
indépendant financièrement. Il changea souvent de travail, et, en raison de son éducation limitée, il
ne parvint jamais à des compétences suffisantes dans aucun de ces métiers. Il travailla dans un
premier temps comme ouvrier dans une ferme ; puis il déménagea à Baltimore et travailla
successivement comme menuisier, plombier, et zingueur.
Jesse avait toujours eu de grandes difficultés pour communiquer avec les femmes. Après
plusieurs relations superficielles, il épousa une femme avec une éducation catholique sévère, qui
venait tout juste de commencer à se libérer de son passé contraignant. Leur mariage fut de courte
durée ; après environ un an, sa femme démarra une relation avec un autre homme, ce qui mit fin au
mariage. Jesse apprit l’infidélité, et il eut une bagarre à mains nues avec son rival. Sa femme le quitta
alors et il ne la revit plus jamais.
Pendant les quinze années qui avaient précédé notre rencontre, Jesse avait vécu une
relation assez stable avec Betty, une veuve considérablement plus âgée que lui. L’amitié entre eux
avait été dans un premier temps sexuelle, mais leurs rapports avaient cessé bien des années avant le
traitement au DPT de Jesse. Betty et sa sœur prenaient soin de Jesse d’une façon tout à fait
Commentaire [E134]: j'ai trouvé deux
acceptions: néoplasitique et néoplasique
remarquable : elles étaient littéralement des infirmières à plein temps. Elles partageaient leur petit
appartement avec lui et enduraient patiemment l’odeur nauséabonde que les bandages trempés
exhalaient au cours de l’été humide et chaud de Baltimore. Jesse, catholique convaincu, se sentait
profondément coupable à l’égard de cette relation. Il croyait que le mariage à l’Église représentait un
lien éternel que même par la mort physique, ne pouvait dissoudre, sans parler de la séparation ou du
divorce. En ce qui le concernait, ses obligations envers sa femme demeuraient inchangées depuis son
départ.
Pendant la préparation à sa séance au DPT, Jesse exprima sa terreur obsédante de la mort.
Lorsqu’il pensait à la mort, il voyait deux possibilités, aussi effrayantes l’une que l’autre. Dans la
première, la mort était la fin absolue de tout, un pas dans le néant et dans l’obscurité. La seconde
était la conception chrétienne que lui avait enseignée sa sévère éducation catholique : lorsqu’on
meurt, l’existence et la conscience perdurent pour l’éternité, et la qualité de la vie dans l’au-delà
dépend de la conduite que l’on a eue sur terre. Jesse ne trouvait pas l’idée de l’existence posthume
suffisamment convaincante, et elle n’était de toute façon pas réconfortante. Si les enfers chrétiens
existaient, alors Jesse se voyait à jamais condamné aux tortures de l’Enfer pour avoir vécu sa vie dans
le péché. La résultante de ce dilemme était qu’il s’accrochait désespérément à la vie, avec une
angoisse profonde.
La séance au DPT de Jesse
Le jour de sa séance psychédélique, Jesse manifesta une peur presque enfantine et une
grande appréhension par rapport à ce qui risquait d’arriver. Il reçut 90 milligrammes de DPT par voie
intraveineuse et il nous fallut beaucoup d’efforts pour parvenir à le convaincre de mettre le bandeau
et le casque. Le début de la séance fut marqué par une intense lutte contre les effets de la drogue.
Jesse semblait s’accrocher à la réalité avec la même détermination anxieuse avec laquelle il
s’accrochait à sa vie dans une lutte quotidienne. Cette lutte se manifestait par une profonde détresse
physique, et plus particulièrement une toux et des nausées qui culminèrent finalement en des
vomissements répétés. Jesse était submergé par l’impact de ce qui sortait de son esprit. La musique
semblait rude, haute et distordue et il la vivait comme un assaut. Il avait l’impression que s’il se
laissait aller à l’expérience, il allait mourir. À plusieurs reprises, il exprima son profond regret d’avoir
pris la drogue.
Pendant cette lutte héroïque, il voyait des images et des scènes innombrables. Dans toutes
ces images, il était à la fois le spectateur et l’acteur. Sa nausée était accompagnée de visions de
créatures géantes, effrayantes, et de formes variées, qui l’attaquaient et essayaient de le détruire. Il
visualisa des centaines de scènes de guerre, où les agressions et les destructions abondaient, et
d’autres situations dans lesquelles «les personnes mouraient et étaient arrachées à elles-mêmes».
Pendant une longue séquence, Jesse vit de nombreuses scènes de dépotoirs emplis de cadavres, de
carcasses, de squelettes, d’abats pourris et de cannettes exhalant des odeurs putrides. Il vit son
propre corps dans ces scènes, emballé dans des bandages puants, dévoré par le cancer ; sa peau
craquée, fuyante et recouverte d’ulcères cancéreux.
Soudain une boule de feu géante apparut, sortie de nulle part. Tout le désordre et les
déchets étaient jetés dans ces flammes purifiantes qui les consumaient. La chair et les os de Jesse
furent détruits dans ce feu, mais son âme survécut. Il vécut alors le Jugement Dernier où Dieu
(« Jehovah ») pesait ses actions bonnes et mauvaises. De nombreux souvenirs de sa vie traversèrent
son esprit dans ce qui semblait être un jugement final. Les aspects positifs de sa vie pesaient
davantage que ses péchés. Jesse éprouva que les portes de sa prison s’étaient ouvertes et qu’il était
devenu libre. À ce moment-là, il entendit une musique céleste et des chants angéliques et il
commença à comprendre le sens de son expérience. Un profond message lui arriva par des canaux
surnaturels et non-verbaux et traversa son être entier : « lorsque tu mourras ton corps sera détruit,
mais tu seras sauvé ; ton âme sera avec toi tout le temps. Tu reviendras sur terre, tu revivras à
nouveau, mais tu ne sais pas ce que tu seras une fois revenu sur Terre ».
Le résultat de cette expérience fut que la douleur de Jesse fut soulagée ; et que sa
dépression et son anxiété disparurent. Il émergea de la séance avec une profonde croyance en la
réincarnation, même si ce concept était étranger à sa propre tradition religieuse. Jesse se battit
profondément avec les limitations issues de son éducation pour communiquer la nature et l’ampleur
de son expérience. Il ne réalisa pas qu’en parlant de la réincarnation, il décrivait un concept
fondamental de la pensée orientale religieuse et philosophique, et de bien d’autres traditions à
travers les âges. Il était à la fois très hésitant et prudent en partageant ses nouvelles idées avec moi :
il craignait que je ne considère ces idées, qui entraient en conflit avec les croyances chrétiennes,
comme un signe de maladie mentale.
Après sa séance, Jesse fut capable d’en finir avec sa situation et il développa une nouvelle
attitude envers sa mort imminente. La perspective d’une autre incarnation le libéra de son
attachement désespéré à son corps, qui était totalement détruit par le cancer. Il vit son corps comme
un fardeau et comme une source de complications injustes dans la vie de Betty et de sa sœur, qui
avaient accepté le devoir d’en prendre soin. Jesse mourut paisiblement cinq jours après sa séance,
peut-être un peu plus tôt qu’il ne l’aurait fait sinon dans sa lutte contre sa mort inévitable. Il semblait
presque qu’il se pressait de replonger dans un nouveau corps pour la « prochaine venue sur Terre ».
L’histoire de Suzanne
Suzanne nous avait été envoyée par son médecin qui appartenait au département de
gynécologie de l’hôpital de Sinaï. C’était une femme attirante, sensible, et intelligente ; une mère
divorcée de trois enfants. Au moment de notre première rencontre, elle avait trente-deux ans, et elle
faisait des études de psychologie. Elle avait été hospitalisée en raison d’un cancer gynécologique
avancé qui s’était répandu dans son bassin malgré une hystérectomie radicale, et des lasers intenses.
Le processus néoplasique avait envahi le nerf rachidien le long de sa colonne, lui causant une douleur
atroce qui ne réagissait que faiblement à la morphine.
Son chirurgien avait proposé, en ultime recours, une cordotomie, opération consistant à
sectionner les nerfs de la moelle épinière qui conduisent les stimuli de la douleur. Elle désirait
désespérément un soulagement de sa douleur, mais elle était incapable d’affronter les risques de ce
procédé : une possible paralysie des jambes, et de l’incontinence. Elle devint profondément
dépressive, à un tel point qu’elle songeait sérieusement à se suicider. En outre, elle se sentait
complètement épuisée, et elle manquait d’initiative et d’intérêt pour quoi que ce soit. C’est donc
bien chaleureusement qu’elle accueillit la proposition de thérapie psychédélique, surtout lorsqu’elle
apprit que dans bien des cas, cela avait aidé à soulager les douleurs atroces associées au cancer.
Pendant le processus de préparation, nous avons entendu l’histoire difficile et émouvante
de Suzanne, plus particulièrement celle de son enfance, sévèrement défavorisée. Sa mère était une
femme attirante mais émotionnellement instable. Elle était très dévergondée et se prostituait de
temps en temps. Elle s’était mariée cinq fois et elle avait eu de nombreux petits amis. Suzanne avait
passé la majeure partie de son enfance seule. La négligence de sa mère affectait même les aspects
les plus élémentaires de l’existence de sa fille. Suzanne se souvint de nombreuses fois où, affamée,
elle s’asseyait devant la porte de son voisin, espérant obtenir quelque chose à manger, ou lorsqu’elle
allait chercher des restes dans les poubelles. Son ressentiment à l’égard de sa mère était assez
évident ; elle la décrivait comme fourbe, destructrice et dominatrice. Plus tard dans son enfance,
Suzanne avait été envoyée en pensionnat. Malgré le régime emprisonnant et rigide, l’école était une
nette amélioration par rapport à sa situation chez sa mère. Des épisodes de profonde dépression
avec des envies de suicide, de la panique, la peur de l’obscurité et des terribles cauchemars, venaient
compléter le tableau des luttes émotionnelles de Suzanne dans son enfance.
L’adolescence et l’âge adulte de Suzanne étaient aussi parsemés de sérieux problèmes et
conflits. Elle n’avait eu que quelques relations superficielles avant de rencontrer son mari. Leur
relation était au début très enthousiasmante et épanouissante, mais elle se détériora rapidement
après leur mariage. Suzanne vécut des abus émotionnels, puis physiques, de la part de son mari. Au
moment de leur divorce, elle était tellement déstabilisée émotionnellement qu’elle dut être
Commentaire [E135]: The nerve
plexuses
Commentaire [E136]: cordotomie
Intervention neurochirurgicale visant à
calmer la douleur et consistant à
sectionner les nerfs de la moelle
épinière qui interviennent dans la
transmission des signaux de douleur.
hospitalisée dans un centre psychiatrique. En raison de ses problèmes émotionnels, ce fut son exmari qui reçut la garde de leurs enfants. Après le divorce, Suzanne ne voyait ses enfants que très
rarement et ils lui manquaient beaucoup. Peu de temps après son divorce, elle commença à vivre
avec Michael, un artiste au chômage. Le couple était entretenu financièrement par la mère de
Suzanne qui, d’après elle, essayait de rattraper sa négligence passée et de calmer sa culpabilité. Sa
mère utilisait la dépendance financière du couple pour les manipuler et les contrôler. Suzanne essaya
de toutes ses forces de se libérer du puissant lien ambivalent avec sa mère et de « couper le cordon
ombilical », mais elle n’y parvenait pas.
Les problèmes gynécologiques de Suzanne avaient commencé lors d’un voyage au Mexique,
où elle avait contracté la dysenterie et avait développé des saignements vaginaux. Au moment de
son retour, elle avait fait un frottis de dépistage du cancer, et une biopsie de l’utérus qui lui
donnèrent tous les deux des résultats positifs. Lorsqu’elle apprit son diagnostic, elle y réagit par la
peur et la dépression, et elle pleura amèrement pendant plusieurs jours. Il lui arrivait d’avoir des
moments de colère où elle se disait que la vie lui avait joué un sale tour. Ses tendances suicidaires
étaient très fortes et elle aurait essayé de se tuer si elle n’avait eu l’intuition que tout ce qui lui
arrivait avait une raison d’être plus profonde.
Suzanne fit remonter l’origine de ce sentiment optimiste à une expérience spirituelle
inhabituelle qui lui était arrivée de façon spontanée peu après son hystérectomie : elle avait eu
l’impression qu’elle avait quitté son corps et qu’elle flottait au-dessus de la ville de San Francisco. La
ville était illuminée de milliers de lumières, et la vue était à couper le souffle. À ce moment-là, toute
sa douleur émotionnelle et physique disparut, et elle vécut un ravissement extatique, une profonde
paix intérieure, et un bonheur inouï. Pendant la semaine qui suivi cet épisode, elle pouvait quitter
son corps lorsqu’elle le souhaitait et avoir des expériences similaires, mais elle était trop effrayée
pour explorer plus profondément ces états.
La première séance au DPT de Suzanne
Tout comme Jesse, Suzanne fut désignée au projet de recherche psychédélique au DPT. Sa
première séance psychédélique fut très intense et assez difficile. Peu après l’injection de 120
milligrammes par voie intraveineuse, elle eut la sensation que tout commençait à tourner autour
d’elle, comme dans un tourbillon géant. Elle entrepris une lutte vicieuse contre un danger dépourvu
de toute forme ou inconnu, une bataille à la vie, à la mort, qui était accablante et qui lui était
totalement incompréhensible. Elle se sentait contrainte physiquement et elle haletait tout en
s’étouffant. Une énergie puissante traversait tout son corps, et ses cuisses tremblaient violemment.
Les sentiments qui prévalaient étaient une douleur intense et la maladie. Elle essaya d’arrêter
l’expérience, mais sans succès. Des vagues de nausée traversaient son être entier et culminèrent
dans des vomissements explosifs qui avaient une puissante qualité purgatoire.
Pendant ce moment difficile, nous avons essayé de soutenir Suzanne, mais le contact avec
elle était très limité parce qu’elle était totalement absorbée dans son expérience. Plus tard, elle nous
dit qu’elle avait essayé désespérément de traverser une grande masse triangulaire de matériau noir
brillant, qui semblait être une montagne de charbon anthracite avec des bords irréguliers. Elle eut
l’impression qu’elle mordait et suçait son chemin et déchirant la masse noire avec ses doigts.
Lorsqu’elle parvint finalement à venir à bout de la montagne noire, elle vit des formes affluant, de
couleurs rose brillant et or. Elle eut l’intuition que le rose symbolisait la douleur, et que l’or
représentait la bonté. L’expérience se transforma ensuite en un monde de millions de couleurs et
d’images de galaxies tournantes. Plus tard, Suzanne identifia la montagne noire d’où elle avait été
libérée comme étant un symbole de la mort.
Le résultat de cette séance fut que la condition émotionnelle de Suzanne s’améliora
considérablement. Sa dépression disparut totalement, ses peurs furent soulagées et elle ressentit un
regain d’énergie et d’initiative. Cependant, l’amélioration dont elle avait désespérément besoin, le
soulagement de sa douleur physique, n’arriva pas. Étant donné que la seule alternative restante était
la neuro-chirurgie, qui l’effrayait nous avons calé une autre séance au DPT, peu de temps après la
première, pour lui donner une seconde chance.
Seconde séance au DPT de Suzanne
Dans la seconde séance, nous avons utilisé la même dose de DPT, 120 milligrammes par
voie intraveineuse. Suzanne recommença à se sentir nauséeuse. Cependant, cette fois, la sensation
de nausée était accompagnée par un contenu psychologique très clair. Suzanne se vit comme une
mère enceinte et s’identifia simultanément avec le bébé dans un ventre toxique. Elle faisait de
l’hyper-salivation et elle vivait l’eau dans sa bouche comme étant un liquide amniotique. Soudain une
tâche de sang apparut dans son champ visuel, et ensuite, tout devint taché de sang.
Suzanne commença à traverser de nombreuses séquences de mort et de naissance dans
des conditions variées. Le trait principal de ces séquences était un étrange mélange entre l’agonie de
la mort et l’extase de la naissance. Elle oscillait entre des sentiments d’emprisonnement et des
tentatives désespérées pour se libérer, entre l’agonie de la solitude métaphysique, et la lutte pour se
réunir, entre la rage meurtrière et des sentiments d’amour passionné. Elle s’identifia profondément à
toutes les mères qui avaient jamais donné naissance, et avec tous les enfants qui étaient jamais nés.
À travers ces épisodes de naissance et de mort, elle se connecta à « toute l’humanité souffrante,
avec des millions et des millions de personnes qui criaient de douleur ». Elle pleurait avec eux, et, au
même moment, elle s’identifiait à eux, et éprouva de l’extase dans cette union dans l’agonie.
Plusieurs fois elle eut des aperçus de quelque chose qui semblait être des séquences de vies
antérieures ou de ses incarnations précédentes. Dans l’une d’elles elle était une Africaine courant
avec les membres de sa tribu dans des plaines desséchées par le soleil, dans ce qui semblait être une
scène de violente guerre tribale. À la fin de cet épisode, elle fut transpercée par une lance, qui la
pénétra profondément dans le dos. Blessée à mort, elle perdit conscience et mourut. Dans une autre
séquence, elle donna naissance à un enfant dans l’Angleterre Médiévale. Elle eut l’intuition que cette
mort particulière et la naissance de cet enfant dans ses vies antérieures étaient liées de près à au
revécu de sa propre naissance.
Plus tard dans la séance, elle devint un oiseau transpercé par une flèche en plein vol et qui
l’aile blessée s’échut. Finalement, toutes ces séquences de mort et de naissance semblaient
converger en une puissante image unificatrice. Elle devint la mère de tous les hommes qui avaient
jamais été tués dans toutes les guerres dans l’histoire de l’humanité. En devenant toutes ces mères,
et tous ces enfants, elle eut la sensation qu’elle devint aussi un fœtus géant grandissant à l’intérieur
d’elle-même et essayant de se donner naissance soi-même. Dans une séquence finale, de naissance
et de mort, son ego adulte mourut et un nouveau soi était né. Puis elle devint un petit point dans
l’espace, dans un univers infini empli d’étoiles magnifiques.
À mesure que l’expérience s’atténuait, Suzanne se souvint de périodes différentes de sa vie
actuelle. Elle se vit comme un petit enfant pleurant dans le berceau, revécut ses cauchemars
d’enfance (y compris son besoin de dormir avec la lumière allumée), et elle vit son père et sa mère
en train de se battre. En revivant ses épisodes, elle parvint à les réévaluer par rapport au nouveau
tableau de ses impressions universelles et de ses sentiments cosmiques. Puis elle ressentit un
profond amour pour son compagnon Michael et le besoin qu’il la rejoigne dans la séance.
La seconde séance de DPT de Suzanne était encore décevante en ce sens qu’elle ne
soulagea pas sa douleur. Dans les jours qui suivirent la séance sa souffrance physique était aussi
intense et atroce que jamais. Cependant, elle en tira d’énormes bénéfices dans tous les autres
domaines. La dépression avait complètement disparu et elle irradiait d’énergie et de détermination.
Elle décida de continuer ses études de psychologie, aussi intensément que sa maladie le lui
permettrait. Dans son nouvel état d’esprit, elle réussit également à résoudre le problème de
cordotomie qui par le passé l’avait tellement effrayée. Le risque de paralysie et d’incontinence
semblait valoir désormais le coup, car il lui offrait la possibilité de se débarrasser de la douleur. Elle
dit : « Je m’en fiche si je suis handicapée de mon cou jusqu’aux pieds et si je pisse partout dans
Baltimore ; je veux que ma conscience soit claire sans être monopolisée par cette douleur. »
L’opération eut lieu après la séance et son résultat fut étonnant. La douleur de Suzanne disparut
complètement, et le chirurgien réussi à sectionner uniquement les nerfs sensibles sans abîmer du les
neurones moteurs. Aucune des complications que l’on avait craintes ne s’était matérialisée.
La conséquence la plus frappante de la seconde séance au DPT, était le changement dans sa
conception de la mort et son attitude envers elle. Elle devint ouverte à la possibilité qu’après la mort
une partie de l’énergie qui constitue l’être humain continue à exister, dans une forme consciente. Au
lieu de voir la mort comme un désastre ultime, la noirceur absolue, le néant et le vide, comme elle
l’avait conçue jusque-là, elle commença à la voir en termes de cycles cosmiques et de transitions. Le
concept de la réincarnation et de la chaîne de vies lui était devenu quelque chose de très plausible.
Suzanne parvint à continuer sa vie sans être opprimée par son cancer, vivant au jour le jour,
et se concentrant sur les problèmes de chaque jour. Elle nous dit : « En fait, c’est ce que nous
devrions tous faire, que nous soyons malades ou en bonne santé ; aucun d’entre nous ne sait quel
jour et à quelle heure il va mourir ». Pendant quelque temps, il sembla que la nouvelle attitude de
Suzanne allait vaincre sa maladie. Une laparotomie exploratoire, faite quelques jours après sa
cordotomie, montra que sa tumeur diminuait. Cela confirma l’optimisme de Suzanne, et pendant
plusieurs mois, elle vécut comme si elle n’avait jamais eu de cancer : « je n’y pense plus », dit-elle
lorsque nous lui avons demandé comment elle se sentait par rapport à sa maladie. A cette époque-là,
elle postula à une bourse, et elle était déterminée à poursuivre ses études de psychologie. Le titre
provisoire de sa thèse était « L’Effet de la Thérapie Psychédélique Sur Les Personnes Souffrant de
Cancer ».
À notre grande surprise et déception, sa douleur revint. Le début fut progressif, mais, plus
tard, son intensité augmenta rapidement, jusqu’à ce que sa douleur devienne de nouveau
insupportable. Elle commençait dans sa tumeur résiduelle et elle se prolongeait dans son bassin et
ses jambes. Une autre intervention chirurgicale n’apporta qu’un soulagement temporaire. Suzanne
continuait à perdre du poids, et développait des effets secondaires sévères à la chimiothérapie,
traitement qui n’avait qu’un effet mineur. La tumeur se propagea jusque dans ses reins, et lui causa
des dégâts irréversibles. À partir de ce moment-là, la maladie de Suzanne progressa rapidement.
Dans cette dégringolade, elle parvint néanmoins à maintenir les impressions de sa séance au DPT,
selon laquelle qu’il devait y avoir une existence au-delà de la mort physique : « il y a une lumière de
l’autre côté de la montagne d’anthracite ». Malgré toute sa souffrance physique, la mort de Suzanne
fut très paisible.
L’histoire de John
Lorsque nous avons rencontré John pendant les grandes tournées de l’Unité de
cancérologie de l’hôpital de Sinaï, il était profondément dépressif et annihilé par sa maladie. Cela
faisait pendant plusieurs semaines qu’il restait couché, incapable de se lever, ni même d’aller aux
toilettes. Il était rare qu’il mange ses repas, il n’écoutait pas la radio, et ne voulait pas lire de livre ni
de journal. Regarder la nouvelle télévision couleur que son beau-père lui avait offerte expressément,
ne l’intéressait pas. John était complètement préoccupé par la nature et l’intensité de sa douleur et
de sa souffrance physique. Il se plaignait que, peu importe la position qu’il prenait, sa douleur était
intolérable et elle empirait à chaque instant. Il craignait même les plus petits changements de sa
position, passifs ou actifs, et il se sentait littéralement immobilisé par son agonie physique qui avait
capturé et annihilé toute son attention.
Une année auparavant, les médecins de Sinaï avaient découvert que John avait une
hypernéphrome maligne, une tumeur dans son rein droit, originaire de la glande ad rénale. Une
opération chirurgicale au cours de laquelle. On procéda sur le champ à une néphrectomie, au cours
de laquelle on lui retira son rein droit. Cependant la tumeur avait déjà métastasé. Dans les mois qui
suivirent, John développa des symptômes progressifs de croissances secondaires. Au moment où
nous nous sommes vus la première fois, la tumeur s’était propagée vers sa colonne vertébrale, et elle
lui causait de graves problèmes neurologiques.
Commentaire [E137]: La laparotomie
est un acte chirurgical consistant en
l'ouverture de l'abdomen par une incision
large, laissant le passage direct à d'autres
actes chirurgicaux sur les organes
abdominaux et pelviens. Différentes
incisions sont possibles, et la plus courante
est une ouverture allant du pubis au
sternum (appelée laparotomie médiane
xyphopubienne). Dans le cadre de
certaines interventions en chirugie
gynécologique, notamment les
césariennes, la laparotomie est horizontale
et très basse, à la limite des poils pubiens,
et est nommée incision de Pfannenstiel.
John avait trente-six ans, il était marié et avait trois enfants. Les deux époux considéraient
leur mariage meilleur que la moyenne. Parfois, il leur arrivait de se disputer à propos de l’éducation
de leurs enfants, mais, d’une façon générale, la famille manifestait un sens de profonde loyauté, de
coopération et de chaleur. La femme de John, Marthe, venait chaque jour à l’hôpital vers dix heures
du matin, et elle y restait jusqu’au soir bien que son mari lui parlât à peine au cours de ces visites, et
qu’il ne témoignât aucun intérêt concernant les affaires familiales. Soit il se plaignait de sa douleur
insoutenable soit sa forte médication l’avait assoupi. Marthe apportait toujours un travail à faire à
l’hôpital ; elle s’asseyait calmement sur le fauteuil, et elle était disponible lorsque John avait besoin
d’elle.
Marthe avait appris le diagnostic de son mari peu de temps après les analyses, et elle
semblait affronter le problème avec un courage considérable. Elle avait caché le diagnostic et le
pronostic à John, pendant de nombreux mois aussi longtemps qu’elle avait pu tenir. Peu avant que
notre première rencontre avec John, elle avait décidé de lui dire la vérité. John savait désormais qu’il
avait un cancer ; mais son attitude concernant son futur oscillait entre le pessimisme et l’optimisme.
Il évoquait souvent la mort, et il dit même à Marthe d’organiser des funérailles simples, pour
économiser de l’argent pour les enfants. À d’autres moments, il avait des plans à long terme
concernant son travail, et il parlait de vacances qu’ils prendraient tous à l’étranger une fois qu’il
serait guérit. Peu de temps après avoir dit la vérité à John, elle décida de parler ouvertement de la
situation avec la mère de John. Cependant, elle avait décidé de ne pas dire à John ce qu’elle avait dit
à sa mère parce que « John serait contrarié sachant à quel point cette nouvelle affecterait sa mère ».
John était un patient plutôt problématique pour la thérapie psychédélique dans laquelle la
préparation psychologique et la coopération sont considérées comme essentielles à la réussite de
l’expérience. Il était extrêmement réticent à établir le contact et à engager une conversation. Il était
tellement préoccupé par sa maladie et sa douleur, ou altéré mentalement par les narcotiques et les
médicaments qui le faisaient dormir, que toute conversation ciblée était impossible. Il ne voulait pas
évoquer la situation de sa vie, son passé, ou des aspects psychologiques de la thérapie psychédélique
tout simplement parce qu’il ne voyait pas de lien direct entre ces sujets et sa douleur physique.
La préparation fut, de ce fait, écourtée au strict minimum, et certaines des informations
fondamentales nous furent données par son épouse. Dans ces conditions, nous étions un peu
réticents à l’idée de conduire la séance, car nous avions l’impression que nous avions échoué à
établir un rapport suffisant de confiance et de compréhension : éléments que nous considérions
essentiels à une thérapie sûre et productive. Malgré nos sentiments mitigés, nous avons finalement
décidé de procéder à la séance, en raison des demandes désespérées de Marthe et de l’insistance de
John pour que nous lui administrions le traitement promis, si celui-ci lui laissait entrevoir l’espoir de
soulager sa douleur.
La séance au DPT de John
Le matin de la séance, John reçut 60 milligrammes de DPT par voie intraveineuse, une dose
moindre que d’habitude, car nous avions le sentiment que John n’était pas prêt pour l’expérience.
Lorsque la drogue commença à faire effet, nous avons encouragé John à mettre le bandeau et le
casque. Il s’y plia de façon réticente, après avoir insisté sur le fait que la seule chose qu’il pouvait
supporter était de la musique douce, suave et discrète. Cela cadrait avec l’attitude de John envers les
sons et avec son comportement dans la vie de tous les jours. Il préférait se reposer toute la journée
dans l’obscurité et dans un silence absolu. Les stimuli visuels, tactiles ou acoustiques semblaient
accroître sa douleur et l’irriter.
Au début de sa séance de DPT, John se plaignait fréquemment de son inconfort physique,
de ses sensations de chaleur, et du fait qu’il détestait la musique. Il était nauséeux, et vomit plusieurs
fois. D’une façon générale, ses expériences semblaient assez inintéressantes, et il ne s’y passait pas
grand chose. Il passa beaucoup de temps à lutter contre les effets de la drogue, et garder le contrôle
lui demandait de grands efforts. Il lui était extrêmement difficile de laisser aller ses défenses et
d’affronter le matériel inconscient qui émergeait. Le contenu de sa séance semblait relativement
superficiel, il s’agissait surtout de souvenirs de sa vie. John se souvint de diverses périodes de sa vie,
et revécut plusieurs événements traumatisants de son enfance, y compris un accident ferroviaire
qu’il avait vu, lorsqu’il était enfant, et une blessure dont sa petite sœur de trois ans souffrit lorsque
son traîneau frappa un arbre et qu’elle se cassa la jambe.
John rencontra aussi de nombreux épisodes de scènes de guerre violentes qui lui firent
revivre des souvenirs de son service militaire. À un moment donné dans la séance, John eu des
visions d’un orage sur l’océan, de bateaux qui coulaient, et de personnes qui se noyaient. Après cela,
il se reconnecta à un souvenir d’un événement dangereux sur la baie de Chesapeake : John et
quelques-uns de ses amis proches étaient partis en croisière sur un bateau qui faillit avoir une
collision avec un cargo japonais. Dans la seconde moitié de la séance, John devint progressivement
de plus en plus fatigué, et il insista pour enlever le bandeau et le casque. Il eut l’impression
qu’aucune solution ou déblocage n’avait eut lieu. Les effets de la drogue disparurent et nous fûmes
tous déçus par la séance. Le seul aspect qui semblait rattraper un peu les choses fut un souvenir, en
apparence trivial, d’un grand bol ou pichet rempli de thé glacé. Cette vision lui semblait très
pertinente, liée à une situation importante ou à un problème de son enfance. Dans nos discussions
dans les séances de suivi, John revenait sans arrêt à cette image. Bien qu’il ne parvint jamais à en
comprendre le sens, ce souvenir le remplit d’enthousiasme.
Lorsque nous vîmes John à l’hôpital le jour suivant la séance, il était dans son lit, faible,
extrêmement fatigué, et il ne communiquait pratiquement pas. Cela confirma nos sentiments selon
lesquels la séance n’avait pas été productive. Cependant, le surlendemain de la séance, la condition
de John se transforma soudain de façon radicale. Son humeur s’améliora, il souriait aux gens, et il se
mit à communiquer avec sa famille. Lorsqu’il parla avec sa femme, il témoigna de l’intérêt envers les
enfants, et envers la famille pour la première fois depuis des mois. Il réclama une radio, et il passa du
temps à écouter une musique douce. Il mettait la nouvelle télévision couleur pendant plusieurs
heures par jour.
Au grand étonnement de tout le monde, la douleur de John avait complètement disparu.
C’était extrêmement surprenant car l’une des métastases touchait les nerfs de sa colonne. John était
maintenant capable d’aller aux toilettes sans la moindre aide, et même de marcher dans les couloirs
de l’hôpital. Il cessa de parler de sa maladie et de sa souffrance et il appréciait les discussions à
propos des problèmes politiques, sociaux et familiaux. D’après Marthe, John semblait totalement
transformé ; c’était « le jour et la nuit ». Maintenant il riait souvent, faisait des blagues et montrait
de l’intérêt pour plein de sujets différents.
Dix jours plus tard, nous eûmes encore des informations intéressantes en analysant ses
réponses au Questionnaire d’Expériences Psychédéliques (QEP). Nous avons découvert que John
avait répondu de façon affirmative à l’article « Visions de personnages religieux (Jésus, Bouddha,
Mohammed, Sri Ramamna Maharashi etc…). La note qu’il avait donnée à son expérience était de 5
points, sur une échelle allant de 0 à 5. C’était assez étonnant étant donné que nous lui avions
demandé explicitement après sa séance s’il avait rencontré des éléments religieux au cours de son
expérience, et qu’il l’avait nié. Lorsque nous lui avons demandé d’expliquer ce décalage, il dit qu’à un
moment donné il avait vu « de grandes statues de bronze des Orientaux…comment les appelle-ton déjà ? Ah oui, des Bouddhas. Il y avait des inscriptions en dessous, en latin. Je ne lis pas le latin
alors je n’ai pas réussi à les déchiffrer. C’est pourquoi je ne vous en avais pas parlé ».
Peu après cette séance, John interrompit toute médication et il fut libre de toute douleur
pendant les deux mois qui suivirent, juste avant qu’il ne meurt. Cette séance, qui avait d’abord été
considérée par tout le monde comme un échec, s’était trouvée être l’un des plus brillants succès
thérapeutiques de notre étude. Concernant la douleur intraitable, le cas de John était le plus
significatif de la thérapie psychédélique qu’il nous ait jamais été donné d’observer. Le décalage entre
le contenu et le cours de la séance d’une part, et le résultat thérapeutique d’autre part, illustre
particulièrement bien la nature imprévisible de la thérapie psychédélique sur la douleur.
L’histoire de Catherine
Catherine était une femme d’affaires de soixante ans souffrant d’un cancer du sein et de
carcinome des intestins, avec métastases au foie. L’histoire de sa vie était l’une des histoires les plus
difficiles que nous ayons jamais rencontrées chez nos patients : une combinaison de traumatismes
d’enfance dans une famille sévèrement perturbée, des abus et des ridiculisations qu’elle avait vécu
en tant que juive, une histoire sexuelle extrêmement traumatisante, et un mariage difficile. Le
traumatisme le plus important de sa vie arriva à l’âge de treize ans, lorsqu’elle fut brutalement
violée : elle tomba enceinte et contracta la gonorrhée. Sa mère la força à avorter illégalement à un
stade très avancé de sa grossesse. Le fœtus avorté était vivant, et Catherine regarda l’avorteuse
noyer le fœtus dans un évier et s’en débarrasser. Toute sa vie d’adulte, Catherine avait voulu avoir
des enfants, mais la gonorrhée l’avait laissée stérile.
Connaissant le passé difficile de Catherine, nous avons entrepris son traitement avec une
certaine réserve. Pendant les séances psychédéliques, les patients sont généralement confrontés aux
événements traumatisants de leur passé, et, généralement, il faut une série de séances pour en venir
à bout. De tels efforts sont justifiés s’il y a suffisamment de temps pour la thérapie systématique et si
les patients ont suffisamment d’espérance de vie pour bénéficier des résultats positifs. Nous avons
donc hésité à contribuer à la souffrance de Catherine étant donné le peu de temps qu’il lui restait à
vivre. Cependant, une circonstance encourageante était qu’elle avait été la huitième de neufs
enfants, que sa naissance avait été facile et n’avait duré que quelques heures. D’après notre
expérience, la nature de sa naissance était d’augure positif pour la séance psychédélique. Mais il
restait à voir si la nature de la séance de Catherine allait être davantage influencée par sa naissance
facile ou par son histoire postnatale gravement traumatique.
La séance au LSD de Catherine
Le matin de sa séance, on donna 400 milligrammes de LSD à Catherine. Son premier
symptôme fut une intense nausée ; cependant, cette sensation n’était pas seulement physique : elle
avait un profond sens spirituel. Il s’ensuivit une brève période de calme, ensuite Catherine
commença à voir de belles émeraudes et des opales dans des verts et des bleus doux, tournoyant et
tombant du ciel. Un magnifique rayon de brillante lumière verte les illuminait ; la lumière semblait
venir de l’intérieur d’elle-même. Les pierres précieuses et les bijoux avaient un sens bien plus
profond que leur simple beauté. La lumière verte émanant d’eux était de nature spirituelle et elle la
soulageait de sa douleur et de sa souffrance.
Puis toute la beauté disparut et Catherine commença à revoir des aspects variés de sa vie.
Des larmes coulaient le long de ses joues lorsqu’elle revécut les frustrations de son enfance, la
confusion de sa lourde histoire sexuelle, les échecs de son mariage et les humiliations qu’elle avait
vécues en tant que Juive. Pendant cette purification, sa grande haine d’elle-même fut transformée
en humour incisif. Pour la première fois de sa vie, elle commença même à éprouver des sentiments
authentiques d’amour. Plus tard dans la séance, la musique lui semblait de plus en plus forte, comme
un cyclone tournant à une grande vitesse, une tornade très sauvage et courroucée qui lui déchirait
les intestins. La tornade la ramassa et menaça de la jeter dans l’espace, où plus rien ne resterait
d’elle.
Elle lutta contre la force absorbante de ce tourbillon puissant, ayant peur de se laisser
entraîner vers le centre de ce vortex, où elle sa chair et ses os risquaient de lui être arrachés, et où
plus rien ne resterait d’elle. Puis, elle eut l’intuition qu’une bataille vicieuse se jouait avec des armes
très primitives : des épées, des poignards, et des arbalètes. Catherine était directement engagée
dans cette guerre sanguinaire, elle cisaillait férocement et elle était férocement cisaillée en retour.
Simultanément elle avait l’impression d’être emportée vers le haut par la musique. Deux roues de
musique la levaient et la poussaient vers l’avant. La pression était insoutenable, et elle avait peur
d’exploser. Sa situation était tellement intense qu’il semblait qu’une bombe atomique géante, bien
plus grande que tout ce qui était connu sur la terre, une bombe qui allait détruire tout l’univers, et
pas seulement une de ses parties menaçait à chaque instant d’exploser. Il lui semblait avoir le visage
cassant, comme la porcelaine la plus raffinée de Chine, et elle pouvait entendre de petits os se casser
sur ses joues et sur sa tête. Puis son crâne craqua, et se brisa en mille morceaux. Le sang inonda son
visage. Elle se sentait comme un petit bébé sans défense, luttant pour naître et buttant contre
quelque chose pendant l’accouchement.
L’expérience avait une caractéristique que Catherine appela «miroitement d’intimité». Elle
culmina dans une vision d’une roue gigantesque atteignant l’infini. Toutes les religions du monde
étaient autour de la roue sur sa jante infinie, irradiant vers le centre et vers l’extérieur. Elles étaient
représentées par des images de leur service divin, des symboles sacrés et des inscriptions, évidentes
ou cryptées. Catherine parvint à en reconnaître certaines d’entre elles et elle connaissait leur nom :
Christianisme, Judaïsme, Islam, Hindouïsme et Bouddhisme. Elle vit beaucoup d’autres croyances
qu’elle ne reconnut pas mais elle parvenait à comprendre leurs messages spirituels et leur culte.
Catherine se tenait au milieu de la roue, attrapée en son centre, attirée, entraînée, et tiraillée entre
ces différentes fois religieuses. Toutes les religions se l’arrachaient et se la disputaient en lui donnant
le meilleur de ce qu’elles avaient à offrir. À chaque fois que Catherine était prête à succomber à l’une
ou l’autre de ces religions, elle parvint à en discerner les faiblesses et elle changea d’avis.
Puis la roue tourna de plus en plus vite, jusqu’à ce que Catherine ne puisse puis rien
distinguer. Elle était totalement immobilisée, dans le centre du temps et de l’espace. Les segments
périphériques de la roue, qui représentaient des crédos variés, se fondirent finalement en une foi
unique : l’Au-Delà Central, le Divin transcendant toutes les formes et toutes les limites, à la fois sans
forme et à la source même de toute forme. Tout était inondé par une lumière douce et dorée ; elle
flottait et s’y baignait, se sentant réconfortée et bercée. Cette vision unifiée divine semblait être ce
qu’elle avait intensément voulu, et désiré pendant toute sa vie. Elle atteignit presque la totale fusion
et unité, mais elle resta à une distance de un pas de là. Juste avant de se fondre avec la lumière
divine, elle réalisa que Dieu Suprême est toujours mâle et qu’elle ne pouvait pas s’y abandonner ou
s’y fondre complètement.
Après ce point culminant, la session se termina, et la période de fin fut douce et suave.
Catherine se sentit immergée dans une brillance chaude et dorée et elle se vit aimant et étant aimée.
Lorsque nous lui avons donné des fraises à la crème chantilly, elle dit : « c’est le repas le plus
fantastique que j’aie eu de ma vie. Tellement sensuel, que cela en devenait presque obscène, et les
goûts sont incroyablement distincts. » À un moment donné, Catherine regarda ma co-thérapeute
Joan pendant un long moment, et elle la vit comme une figure féminine composite représentant
simultanément sa mère, sa sœur et sa fille.
Plus tard dans la soirée, elle exprima sa profonde gratitude pour son expérience, et pour
toutes les impressions cosmiques, qu’elle voyait comme une grâce spéciale et un privilège. Deux
expériences lui étaient particulièrement précieuses : celles de souvenirs d’incarnations passées. Dans
l’une d’elles elle s’identifia à un érudit grec, asservi à un Romain riche et le tuteur de ses enfants.
Même s’il se savait soumis, il se sentait au-dessus de lui et libre dans sa tête et dans son esprit. Dans
le second, elle s’était vue comme un moine oriental avec le crâne tête rasé, vêtu de vêtements
couleur safran et irradiant de joie et de paix.
Catherine voyait la séance comme un événement très important de sa vie. Auparavant, elle
avait été gravement déprimée et elle avait cherché à se procurer un poison efficace. Son envie de
suicide avait à présent disparu complètement. Elle sentait qu’elle avait entrepris un chapitre
entièrement neuf. « J’ai existé pendant toutes ces années, j’ai commencé à vivre ce vendredi. Je me
sens sincèrement une autre personne, avec un esprit complètement neuf ; je suis libérée de toute
douleur ».
L’histoire de Joan
Joan était une mère au foyer de quarante ans, mère de quatre enfants, lorsqu’elle se porta
volontaire à notre programme de LSD. Deux de ces enfants, une fille de dix-sept ans et un fils de huit
ans, étaient issus de son premier mariage. Elle prenait également soin d’un enfant adopté de neuf
ans et d’un autre enfant de neuf ans issu du premier mariage de son mari ; en outre elle prenait part
aussi à bon nombre d’autres activités, comme de groupes de rencontre et d’une école de ballet. Son
Commentaire [E138]: Shimering
coming togtherness
cancer lui avait été diagnostiqué en 1971 après une longue période de perturbations superficielles de
transits gastro-intestinaux. Le médecin qu’elle avait consulté avait d’abord découvert un ulcère
gastrique, puis, voyant qu’au bout de six mois il n’était toujours pas guéri, il lui conseilla une
intervention chirurgicale. Le chirurgien trouva une tumeur dans son estomac, et il fit une
gastrectomie supérieure totale. Il remarqua une invasion gastrique agressive, mais pas de métastases
généralisées. Un examen microscopique du tissu gastrique prélevé révéla des carcinomes
anaplasiques nombreux.
On informa Joan de son diagnostic en plusieurs étapes. D’abord, elle apprit qu’elle avait un
ulcère gastrique, et plus tard elle découvrit qu’il s’agissait d’une tumeur, mais sans détails
concernant sa nature. Puis son docteur lui dit qu’il s’agissait d’une tumeur maligne et lui révéla le fait
le plus inquiétant : le tissu malin allait jusqu’au point de l’ablation. Elle eut ainsi le temps de
s’adapter graduellement au diagnostic, avec tous les pronostics que cela impliquait. Sa première
réaction fut une profonde dépression et de l’anxiété. Plus tard, elle parvint à se détacher, et cela
remplaça sa désespérance et son sentiment d’impuissance. Au même moment, elle décida qu’elle ne
voulait pas passer le temps qu’il lui restait à vivre à attendre passivement la mort. Elle était
déterminée à faire quelque chose de sa maladie, à contribuer de quelque façon au processus de
guérison, en faisant abstraction de ses chances de survie. Après que les médecins lui avaient dit que
plus rien ne pouvait être fait par voie médicale, Joan passa du temps à chercher des guérisseurs et
d’autres aides alternatives.
C’est à ce moment-là qu’elle entendit parler du programme de Spring Grove de thérapie
psychédélique, pour les personnes souffrant de cancer. Elle prit rendez-vous avec nous, pour voir le
lieu, rencontrer l’équipe de recherche, et recevoir davantage d’information sur le programme. Nous
avons expliqué la nature de la thérapie psychédélique et nous lui avons montré à la fois son potentiel
thérapeutique et ses limites. Nous avons évoqué le fait que, nous savions d’expérience, que cette
thérapie pouvait avoir des effets très bénéfiques sur la douleur, et sur la détresse émotionnelle
accompagnant la maladie. Nous avons également parlé brièvement d’à quel point les séances au LSD
avaient affecté les concepts et les attitudes des gens à l’égard de la mort. Nous avons insisté sur le
fait que nous n’avions aucune information concernant les effets de la thérapie psychédélique sur le
processus du cancer en lui-même. Cependant, nous n’avons pas exclu de manière explicite la
possibilité qu’un changement favorable de la condition émotionnelle du patient influence le progrès
de la maladie.
Joan arriva à la première interview accompagnée de son mari Dick ; comme il était
éducateur, il s’inquiétait tout naturellement des effets pervers éventuels du LSD. Nous lui avons
expliqué qu’avec un dosage judicieux du LSD, le rapport entre les bénéfices et les risques était
totalement différent de celui de l’expérimentation personnelle non supervisée. Après avoir mis au
clair ce point, Joan et Dick participèrent tous les deux de manière enthousiaste au programme de
LSD. La préparation à la première séance au LSD consistait en plusieurs entretiens exempts de toute
médication avec Joan seule, et en une autre entrevue avec Joan et Dick. À ce moment-là, Joan était
anxieuse et dépressive. Elle était très fatiguée et les sujets et les activités qui, avant sa maladie,
avaient été des sources de grandes joies ne l’intéressaient plus. Sa maladie l’avait rendue très tendue
et irritable ; son degré de tolérance à la frustration était plus bas que jamais.
Pendant nos discussions préliminaires, sa souffrance physique lui était encore tolérable.
Elle éprouvait un inconfort gastro-intestinal général, mais sa douleur n’avait pas en elle-même
atteint une intensité qui la rendait malheureuse ou qui rendait sa vie insupportable. Elle avait bien
plus d’appréhension envers le futur qu’envers sa souffrance physique. Joan était parfaitement
consciente du diagnostic et du pronostic de sa maladie et elle était capable d’en discuter assez
ouvertement lorsqu’on le lui demandait de façon explicite. Sa principale préoccupation était de
conclure dignement sa relation à ses enfants et à son mari. Elle espérait les quitter libres de toute
culpabilité, de colère, d’amertume, ou de douleur pathologique, de façon à ce qu’ils puissent
continuer à vivre leur vie libres du fardeau psychologique de sa mort.
Joan comprenait qu’il était nécessaire pour elle d’explorer son passé avant la séance de
LSD. Nous lui avons expliqué que le succès du traitement dépendait de sa capacité à atteindre le plus
Commentaire [E139]: High subtotal
gastrectomy
Commentaire [E140]: On trouve
anaplasiques et anaplastiques. lorsqu'on
cherche.
de clarté et compréhension possibles concernant les schémas et les conflits qui sous-tendaient la
trajectoire de sa vie, depuis la naissance jusqu’au moment présent. Elle entreprit cette tâche avec un
zèle inhabituel et écrivit son autobiographie détaillée, que nous avons ensuite utilisée comme base à
nos discussions ultérieures concernant les aspects les plus importants de sa vie. L’enfance de Joan
avait été profondément influencée par sa mère émotionnellement instable qui souffrait de
dépressions sévères et était traitée par électrochocs lors de ses nombreux séjours en hôpital
psychiatrique. La relation de Joan avec sa mère manquait d’intimité, était instable et déstabilisante.
Joan se sentait bien plus proche de son père, qui lui, exprimait des sentiments chaleureux envers
elle, et qui lui apportait son soutien. Cependant, pendant les dernières années, elle s’aperçut que
leur relation avait un contenu sensuel puissant, ce qui provoqua chez Joan de la peur et de la
culpabilité en raison de sa sévère éducation catholique. La relation entre ses parents était
disharmonieuse, avec des bagarres et des disputes constantes. Le mariage se solda finalement par un
divorce.
Joan se décrivit comme étant dans sa jeunesse une « enfant relativement renfermée dotée
d’un riche imaginaire ». Elle n’avait que quelques amis et n’entretenait que peu de relations avec ses
camarades en dehors de ce cercle restreint. Dans sa relation à ses quatre frère et sœurs, elle avait un
lien de proximité profond avec son jeune frère, en revanche, elle éprouvait une grande rivalité envers
sa sœur. Au moment de sa séance au LSD, elle se sentait assez étrangère à ses frères et sœurs. Sa
fréquentation d’ une école paroissiale tenue exclusivement par des religieuses acheva de renforcer
les éléments puritains dans l’éducation de Joan. Ce qu’elle vécut à l’école entrava plus tard son
développement sexuel. Pendant son adolescence, elle éprouvait des difficultés relationnelles d’une
façon générale, en raison de son anxiété, de son insécurité et de ses sentiments d’inadéquation. Tous
ces problèmes s’intensifiaient lorsqu’il s’agissait de partenaires sexuels potentiels.
Le monde de Joan était garni d’un imaginaire romantique contrastant radicalement avec sa
vie érotique réelle. Ses quelques relations avaient été superficielles et de courte durée ; elle n’eut
pas d’expériences sexuelles avant son mariage. De nombreux problèmes et conflits, notamment la
possession et la jalousie de la part des deux époux troublaient son mariage. Son mari, qui au début
avait des opinions strictes concernant le sexe avant le mariage et la monogamie, s’intéressa à
d’autres femmes et eu plusieurs aventures extraconjugales. Il eut une relation avec l’une de ses
élèves qui tomba enceinte, ce qui fut la cause du divorce des époux. Peu après avoir divorcé de son
premier mariage, Joan épousa Dick. Le second mariage était bien meilleur que le premier bien qu’il
ne fut pas exempt de problèmes.
Dans un entretien avec les deux époux, nous avons essayé d’identifier les sources de la
difficulté de leur relation et de faciliter la communication entre eux. Nous leur avons demandé quel
était l’aspect le plus gênant de leur mariage ; Joan évoqua l’impulsivité de Dick et sa possessivité.
Dick de son côté avait l’impression que Joan n’était pas suffisamment engagée dans la relation et
qu’elle ne s’investissait pas assez dans leur vie familiale. Sa grande indépendance constituait pour lui
une grande menace, et il n’avait pas l’esprit en paix. L’exploration des nombreux cercles vicieux dans
les relations quotidiennes de Joan et Dick, leur permit de déceler des précédents et des causes
possibles à leurs peurs, insécurités et idiosyncrasies dans leurs enfances respectives. La conclusion à
laquelle ils parvinrent était qu’ils allaient désormais chercher à communiquer à plusieurs niveaux en
choisissant des voies plus efficaces. Ils tombèrent d’accord pour essayer de vivre au jour le jour
chacun des jours restants à Joan, de la manière la plus achevée possible, sans permettre aux
programmations passées et aux préoccupations à propos du futur de contaminer leur relation
quotidienne présente. Nous avons tous eu le sentiment que les conditions étaient réunies pour
conduire la première séance psychédélique de Joan. Voici la description, faite par Joan, de la séance.
Première séance au LSD de Joan
« J’avais une appréhension considérable lorsque j’ai commencé ma séance et j’ai
trouvé ça extrêmement réconfortant de tenir les mains de Stan et de Nancy [Nancy Jewell
était l’infirmière et co-thérapeute de la séance]. Environ vingt minutes après
l’administration de 300 milligrammes de LSD, j’ai commencé à avoir des sensations de
flottement et de vibration. En écoutant le second concerto pour piano de Brahms, je me
suis vue dans le hall gigantesque d’un aéroport futuriste, à attendre mon vol. L’aéroport
était empli de passagers habillés d’une façon extrêmement moderne ; un étrange
sentiment d’excitation et d’attente semblait se dégager de cette foule inhabituelle.
Soudain, j’ai entendu une voix forte à travers le système de haut-parleurs de
l’aéroport : «C’est de Vous-même que vous allez faire l’expérience. Chez certains d’entrevous, ainsi que vous l’aurez remarqué, cela advient déjà ». En regardant les personnes qui
m’entouraient, j’ai vu des changements étranges dans leurs visages ; leur corps avaient des
tremblements nerveux, et prenaient des positions inhabituelles, alors qu’ils commençaient
leurs voyages dans les mondes intérieurs ; à ce moment-là j’ai remarqué un son étrange
d’une qualité réconfortante et calmante, comme un signal radio qui me guidait à travers les
expériences et me rassurait. Il me semblait que mon cerveau était doucement brûlé,
révélant son contenu, au fil des images.
L’image de mon père apparut avec une grande clarté, et la nature de notre
relation était analysée et explorée avec la précision d’une opération chirurgicale. J’ai perçu
le besoin de mon père que je sois quelqu’un ou quelque chose que je ne pouvais pas être.
J’ai réalisé que je devais être moi-même, même si cela le décevait. Je suis devenue
consciente de tout un réseau de besoins émanant d’autres personnes – ceux de mon mari,
de mes enfants, de mes amis. J’ai réalisé que les besoins des autres personnes rendaient
pour moi plus difficile d’accepter la réalité de ma mort imminente et de m’en remettre au
processus.
Puis le voyage à l’intérieur se fit plus profond, et je rencontrai plein de monstres
terrifiants qui ressemblaient à des images d’art oriental : des démons vicieux et des
créatures maigres, affamées, surréalistes, dans un vert fluorescent. C’était comme si toute
la panoplie des démons du Livre Tibétain des Morts avait été invoquée et qu’elle se mettait
à faire une danse sauvage dans ma tête. À chaque fois que je m’avançais, la peur
disparaissait, et l’image se transformait en quelque chose d’autre, généralement d’assez
agréable. À un moment donné, alors que je regardais une créature vaseuse du mal, je
réalisai qu’il s’agissait de produits de mon propre esprit, et d’extensions de moi-même. Je
marmonnais :« Humm, ça aussi, c’est moi ».
La rencontre avec les démons était accompagnée par une lutte intense pour
respirer et par des sentiments d’anxiété, mais elle a duré relativement peu. Lorsqu’elle se
termina, je ressentis des quantités d’énergie fantastique circulant dans mon corps. J’ai eu la
sensation qu’il y avait tellement d’énergie qu’un seul individu ne pouvait pas toute la
maîtriser ou la gérer efficacement. Il devint clair que je contenais tellement d’énergie que
dans la vie de tous les jours, il devait m’arriver de la nier, ou de l’utiliser maladroitement et
de la projeter sur d’autres personnes. J’ai eu des flashs de moi-même dans plein d’étapes
de ma vie, endossant des rôles différents -fille, amante, jeune épouse, mère, artiste- et j’ai
réalisé qu’ils ne pouvaient pas fonctionner correctement étant donné qu’ils étaient des
récipients inadéquats à mon énergie.
L’aspect le plus important de ces expériences était leur pertinence pour la
compréhension de la mort. J’ai vu le magnifique déroulement du plan cosmique dans
toutes ses nuances infinies et ramifications. Chaque individu représentait un fil dans le
magnifique tissu de la vie et jouait un rôle spécifique. Tous ces rôles étaient également
nécessaires au cœur de l’énergie centrale de l’univers, pas un n’avait plus d’importance que
les autres. J’ai vu qu’après la mort, l’énergie de la vie vivait une transformation et que les
rôles étaient redistribués. J’ai vu que mon rôle dans cette vie était d’être un patient atteint
de cancer, et j’étais capable et désireuse de l’accepter.
J’ai visualisé et compris intuitivement les dynamiques de la réincarnation. Elle
était représentée symboliquement comme une vision de la terre avec beaucoup de
chemins menant dans toutes les directions ; ils ressemblaient à des tunnels dans une
montagne géante. Il devint clair à mes yeux qu’il y avait eu beaucoup de vies avant celle-ci,
et que bien d’autres vies allaient suivre. L’objectif et la tâche est de vivre et d’explorer ce
qui nous est assigné dans le scénario cosmique. La mort est simplement un épisode, une
expérience transitoire dans cette magnifique pièce pérenne.
Au cours de ma séance, j’ai eu des images de tableaux, de sculptures, d’artisanat,
et d’architecture de nombreux pays et de cultures différents : l’Égypte ancienne, la Grèce,
Rome, la Perse et l’Amérique précolombienne du nord et du sud, et l’Amérique Centrale. À
travers la richesse de mon expérience, j’ai découvert que les dimensions de mon être
étaient bien plus grandes que tout ce que j’avais jamais imaginé.
Je me voyais participer et projeter sur les autres tout ce que je voyais dans le
monde, des choses que je niais en moi : les pays hostiles, les guerres, les haines raciales et
les émeutes, les politiques corrompues, ou la technologie polluante. Je suis rentrée en
contact avec ce qui me semblait être de « l’être pur » et j’ai réalisé qu’il ne pouvait pas être
compris et qu’il était à lui-même sa propre justification. Avec cela je pris conscience que ma
seule tâche était de conserver l’énergie en circulation et de ne pas « m’asseoir dessus »
comme j’avais coutume de le faire. Le flux de la vie était symbolisé par des images
différentes d’eaux en mouvement, de poissons, de plantes aquatiques et de scènes
dansantes merveilleuses, certaines majestueuses et éthériques et d’autres sur la Terre.
Grace à ces expériences et impressions j’ai développé une attitude positive à
l’égard de la totalité de l’existence et de la capacité à accepter ce qui arrivait dans la vie
comme étant un bien ultime. J’ai fait de nombreux commentaires enthousiastes concernant
l’incroyable l’humour et les traits d’esprit cosmiques présents dans le tissu de l’existence.
En permettant que l’énergie de la vie circule à travers moi et en m’y ouvrant, mon corps
tout entier vibrait d’enthousiasme et de plaisir. Après avoir apprécié cette nouvelle façon
d’être pendant un certain temps, je me suis recroquevillée dans une position fœtale
confortable.
Au bout de cinq heures de séance, j’ai décidé de retirer mon bandeau des yeux,
de m’asseoir et de me connecter à l’environnement. Je me suis assise sur le canapé dans
une paix profonde, à me détendre et à écouter de la musique de méditation Zen et à
regarder un unique bourgeon de rose dans un vase de cristal sur une table proche. De
temps en temps, je fermais les yeux et retournais dans mon monde intérieur. Comme j’ai
pu le constater plus tard sur la vidéo prise au cours de la séance, mon visage rayonnait, et
j’avais l’expression du silencieux bonheur béatifique que l’on trouve sur les sculptures
bouddhistes. Pendant une longue période de temps, la seule choses que j’aie ressentie ce
fut une belle brillance chaude, comme une pluie transcendantale d’or liquide. A un moment
donné, j’ai remarqué un bol de raisins dans la chambre et j’ai décidé d’en goûter quelquesuns. Ils avaient le goût de l’ambroisie, et les grappes semblaient tellement belles que j’ai
décidé d’en ramener quelques-unes chez moi pour le souvenir.
Un peu plus tard dans l’après-midi, Dick nous a rejoints dans la chambre de la
séance. Immédiatement après son arrivée, nous nous sommes pris dans les bras l’un de
l’autre et nous sommes restés dans cette position pendant un long moment. Dick dit qu’il
ressentit une énorme quantité d’énergie irradiant de moi. Il était conscient d’un champ
d’énergie quasi-tangible entourant mon corps. On nous accorda alors deux heures
d’intimité absolue que nous avons énormément appréciées. Cela me donna l’occasion de
partager mes expériences avec Dick. L’un de mes meilleurs souvenirs de la séance était la
douche que nous avons prise ensemble, je me suis sentie en osmose avec le corps de Dick,
comme jamais tout comme dans le mien, et j’ai vécu une sensation de sensualité exquise
différente de tout ce que j’avais connu auparavant.
Le repas chinois que nous avons partagé constitua une autre expérience
fantastique. Même si la nourriture nous venait d’un restaurant chinois des environs et
qu’elle était certainement de qualité moyenne, j’ai trouvé qu’il s’agissait là du meilleur
repas que j’avais jamais goûté. Je ne pouvais pas me souvenir d’un moment où j’avais
apprécié la nourriture ou moi-même davantage. La seule chose qui ternit quelque peu mon
plaisir culinaire fut ma conscience rationnelle que je devais être un peu plus modérée avec
la nourriture en raison de ma gastrectomie totale, qui réduisait la taille de mon estomac.
Pendant le reste de la soirée, Dick et moi avons partagé du temps silencieusement
ensemble, allongés que le canapé en écoutant de la musique stéréo. Dick était très
impressionné par mon ouverture d’esprit et par toutes mes impressions. Il était convaincu
que j’avais touché à des sources de sagesse cosmique authentiques qui lui demeuraient
inaccessibles. Il admira la profondeur de mes rapports, la confiance spontanée et l’autorité
avec laquelle je parlais de mon expérience.
J’étais transportée de joie, dans une humeur irradiante, et j’éprouvais une liberté
absolue par rapport à l’anxiété. Ma capacité à apprécier la musique, les goûts, les couleurs
et la douche était grandement rehaussée. Dick affirma que c’était un vrai plaisir d’être avec
moi. C’était une expérience tellement contagieuse que Dick lui-même éprouva et exprima
son désir d’avoir une séance psychédélique. Il envisagea de participer à une séance de
formation psychédélique professionnelle qui était également disponible dans le Centre de
Recherches Psychiatriques du Maryland. Je suis restée debout pendant un long moment à
parler à Dick et je me suis réveillée plusieurs fois pendant la nuit. J’ai fait un rêve, dans
lequel je travaillais dans une librairie et j’entendais des personnes dire : « Ces histoires de
Zen n’ont aucun sens ». J’ai souri, sachant que c’était bien trop simple pour que cela puisse
avoir du sens à leurs yeux. Le matin suivant, après la séance, je me sentais rafraîchie,
détendue, et très en osmose avec le monde. Dick mit le concerto brandebourgeois de Bach,
qui me semblait absolument parfait. Le monde extérieur semblait clair, serein et beau. Sur
le chemin de la maison, j’ai vu des choses que je n’avais jamais vues auparavant. Les arbres,
l’herbe, les couleurs, le ciel – toutes étaient un vrai plaisir ».
Pendant environ les deux mois qui suivirent sa première séance au LSD, Joan se sentit
détendue, remplie de joie et optimiste. L’expérience psychédélique semblait également avoir ouvert
de nouveaux domaines de sentiments mystiques et cosmiques en elle. Les éléments spirituels qu’elle
avait vécus au cours de sa séance transcendaient les barrières étroites de la religion catholique
traditionnelle avec lesquelles elle avait été éduquée. Elle embrassait désormais des approches
universelles trouvées dans les philosophies orientales comme l’Hindouisme et le Bouddhisme. Joan
avait une telle énergie en circulation qu’elle déconcertait les médecins qui s’occupaient d’elle. Ils
trouvaient ses ressources d’énergie assez incongrues par rapport à sa condition clinique relativement
grave, et ils exprimèrent leur surprise de façon explicite quant au fait qu’elle était encore capable de
se déplacer par elle-même, et de conduire sa voiture. Ils exprimèrent également leurs doutes quant
au fait que Joan puisse passer l’été qui arrivait en Californie, comme la famille avait prévu de le faire.
Joan quant à elle avait confiance et croyait que cela serait possible.
Le cours des événements futurs confirma ses sentiments ; les vacances en Californie furent
une période très gratifiante et significative pour elle et pour toute sa famille. Ce développement
positif fut interrompu de manière radicale lorsque Joan vit son médecin à la mi-janvier, pour ses
éructations constantes et ses vomissements. Il découvrit une nouvelle masse à l’endroit de sa rate,
qu’il identifia comme étant une croissance de métastases. Joan était très déçue en voyant qu’aucune
procédure médicale concrète ne lui était proposée et lorsqu’elle réalisa que les médecins avaient
laissé tombé son cas. À ce moment-là, Joan et Dick eurent la profonde sensation que Joan devait
vivre une autre séance psychédélique. Notre équipe tomba d’accord. Joan était optimiste quant au
fait que la séance allait améliorer sa condition émotionnelle et approfondir ses visions
philosophiques et spirituelles. Elle espérait aussi qu’une autre séance psychédélique aurait une
influence positive sur la composante psychosomatique qu’elle pensait être la cause de son cancer.
Seconde séance au LSD de Joan
La seconde séance au LSD eut lieu en février 1972. Étant donné que le dosage de 300
milligrammes avait eu un puissant effet la première fois, nous avons décidé d’utiliser la même
quantité. Ce qui suit est le résumé fait par Joan des principaux événements de la séance.
« Cette séance était pour moi une séance sinistre. Chacun de ses aspects
contrastait vraiment avec ceux de ma première séance : ici pas de couleurs en dehors du
noir et du blanc, cette séance était d’ordre personnel et non plus cosmique enfin elle était
triste et non joyeuse. Il y eut un court moment au début où je me sentais dans un espace
universel et où je savais encore une fois que le cosmos entier est en chacun de nous et qu’il
y a une signification en nos vies et en nos morts. Après quoi, cette expérience se rétrécit et
devint beaucoup plus personnelle. La mort était le principal sujet de ma séance. J’ai vécu
plusieurs scènes funéraires dans des églises traditionnelles ou richement ornées, parfois au
cimetière, parfois à l’intérieur d’une église avec un grand chœur. J’ai pleuré souvent
pendant ces quelques heures. J’ai également posé beaucoup de questions et j’y ai
répondu ; elles me conduisaient à des questions sans réponse finalement, si bien que cela
en devenait drôle. Je me souviens de m’être dit au début « toute cette laideur est en fait de
la beauté ». Dans le cours de la journée, d’autres polarités arrivèrent à mon esprit : le bien
et le mal, la victoire et la défaite, la sagesse et l’ignorance, la vie et la mort.
J’ai revécu mon enfance, mais pas de scènes spécifiques, simplement le ton
général : un ton très triste. Cela avait en grande partie un rapport avec les sentiments de
frustration, de manque, de faim voire de très grande faim de ma tendre enfance. Je me suis
demandé s’il pouvait y avoir un lien entre ces expériences et mon ulcère peptique qui
s’était transformé en cancer. Je me souviens d’avoir été une fois sous la pluie avec mes
frères pendant ce qui m’avait semblé être une longue période de temps. Je me souviens
d’avoir été exclue d’un spectacle ou d’un cirque par l’homme qui s’en occupait. Je me
sentais très triste lorsque nous nous sommes éloignés, incertaine concernant notre
destination. L’allusion cachée à ma situation présente était évidente : le fait d’être exclue
de la participation plus avant dans le spectacle de ma vie, et d’affronter l’incertitude de la
mort.
Pendant ce qui avait semblé une longue période de temps, je me suis vue
préparant ma famille à ma mort. Il y avait une scène dans laquelle, après m’être préparée
pendant un certain temps, j’en venais finalement à la leur annoncer. Dans une suite de
scènes, j’étais capable de dire au revoir à mes enfants, à mon mari, mon père et à d’autres
parents, tout comme à des amis et à des connaissances. Je l’ai fait d’une façon très
individualisée, en prenant en compte la personnalité et la sensibilité de chacun d’entre eux.
Des larmes s’en suivirent, mais au bout d’un certain temps, il y avait de la chaleur et le
moral revenait. A la fin ils se sont tous rassemblés autour de moi. Je me souviens qu’ils
m’ont préparé à manger des choses chaudes et sucrées. Après cela, j’ai passé un bon bout
de temps à leur dire au revoir à eux ainsi qu’à mon mari, et j’ai eu la sensation que quelque
chose allait survivre en eux.
Il y avait une scène heureuse vers la fin de ma séance, que j’observais et à laquelle
je ne participais pas, mais je l’ai vraiment appréciée. C’était une scène avec des adultes et
des enfants qui jouaient dehors dans la neige. J’ai l’impression que c’était dans un endroit
nordique. Tout le monde était rassemblé et cela nous maintenait au chaud en dépit du froid
et de la neige. Les adultes s’occupaient bien des enfants qu’ils appréciaient beaucoup ; il y
avait des rires et des jeux et une bonne humeur générale. Je me souviens d’avoir vu toute
une rangée de bottes, sachant que les pieds des enfants étaient à l’intérieur bien au chaud.
Dans la soirée après la séance, on peut dire que je me sentais bien, en quelque sorte -assez
réceptive et contente de voir Dick- mais j’ai pleuré pendant le reste de la soirée. J’ai eu
l’impression de me voir et de voir la situation de manière réaliste, j’étais consciente que je
pouvais mieux la gérer maintenant, mais je me sentais quand même triste. J’ai souhaité que
l’expérience puisse continuer encore pendant quelques heures et que mon sentiment
puisse aller de la tristesse à la joie ».
La seconde séance s’avéra être très bénéfique pour Joan. Elle se réconcilia avec la situation
et elle décida de passer les jours qui lui restaient concentrée sur sa quête spirituelle. Après des
vacances en famille sur la côte ouest, elle décida de dire au revoir à son mari et à ses enfants. Elle
pensait que cela leur éviterait d’assister à sa douloureuse détérioration progressive, et que cela les
aiderait à se souvenir d’elle emplie de joie et d’énergie. Arrivée en Californie, Joan resta en contact
avec son père qui était intéressé par son cheminement spirituel et qui lui présenta un groupe de
Védanta qu’elle rejoignit.
La troisième séance au LSD de Joan.
Tard dans l’été, Joan eut envie d’une troisième séance au LSD. Elle nous écrivit pour se
renseigner sur la possibilité d’organiser une troisième séance en Californie. Nous lui avons
recommandé d’aller voir Sidney Cohen, un psychiatre et psychothérapeute de Los Angeles, qui avait
une grande expérience dans la thérapie psychédélique et une licence pour utiliser le LSD (voir le
chapitre 12 pour plus d’informations concernant les apports de Cohen à la thérapie psychédélique).
Ce qui suit est le compte-rendu de Joan de sa troisième séance au LSD, qu’elle eut sous la direction
de Cohen. Cette fois le dosage avait été augmenté à 400 milligrammes.
« Ma première réponse après que la drogue avait commencé à faire effet était de
me refroidir de plus en plus. Il semblait que les couvertures aussi nombreuses fussent-elles
n’arrivaient pas à m’ôter ce froid, aigu, glacial qui me pénétrait jusqu’aux os. Il était difficile
de croire plus tard qu’on m’ait recouverte d’autant de couvertures chaudes, car à ce
moment-là, rien ne semblait soulager mon froid. J’ai demandé du thé chaud, que j’ai bu au
moyen d’une paille. Lorsque je tenais la tasse de thé chaude, j’ai vécu une expérience très
intense. La tasse devint l’univers tout entier, et tout était étonnamment clair et réel. La
couleur vert-marron du thé se fondait à un vortex tournoyant. Plus de questions ; la vie, la
mort, le sens, tout était là. J’avais toujours été là -nous étions tous là. Tout était un. La peur
n’existait pas ; la mort, la vie étaient une seule et même chose. La circularité tournante de
ce tout. L’intense désir pour que tout le monde réalise que l’univers est en tout. La larme
coulant le long de ma joue, la tasse, tout ! Quelle harmonie subsiste derrière ce chaos
apparent !
Je voulais garder cela à l’esprit, je voulais que tout le monde participe à cette
expérience ; alors il ne pourrait plus y avoir de discorde. J’avais la sensation que le Docteur
Cohen le savait tout comme moi. Puis mon père est entré et j’ai essayé de partager avec lui
ce que je pouvais de cette expérience intense, essayant d’exprimer l’inexprimable : qu’il n’y
a pas de peur, pas de raison d’avoir peur. Nous avons toujours été là où nous allons. Être
simplement est suffisant. Pas la peine de s’inquiéter, de se poser de questions, de
raisonner. Simplement être. Je lui ai dit notre importance à tous, conservant les choses en
mouvement dans le monde de tous les jours. J’ai pris mon thé et mon bouillon chauds, en
ayant une irrépressible envie de nourriture et de chaleur. Après une pause, je suis
retournée en moi. Cette fois-ci, j’ai vécu des scènes tristes et sombres du début de ma vie
que je connaissais déjà des séances précédentes. Les images prenaient la forme de petites
créatures squelettiques flottant dans le vide, cherchant à se nourrir, mais ne trouvant rien.
Le vide, l’absence de réalisation. Des oiseaux décharnés cherchaient de la nourriture dans
un nid vide. Moi et mes frères seuls, cherchant, avec nulle part où aller.
À un moment donné, je suis rentrée dans ma tristesse principal sujet qui jonchait
toute ma vie depuis ma tendre enfance. Je suis devenue consciente de l’effort progressif
pour le déguiser, et ce, pour satisfaire ce que les autres voulaient à la place : « souris, aies
l’air vivante, arrête de rêvasser ! » Plus tard dans la séance, j’ai eu la sensation que certains
sont choisis pour éprouver la tristesse inhérente à l’Univers. Si je suis l’une de ces
personnes, alors ça va. J’ai pensé à tous les enfants recherchant des mères absentes. J’ai
pensé au chemin de croix et j’ai pensé à la souffrance de Jésus-Christ ou à la tristesse qu’il
avait dû éprouver. J’ai réalisé que le karma de certains est d’éprouver le contentement, ou
la beauté, ou la force etc… Pourquoi ne pas accepter volontiers cette tristesse ?
À un autre moment, j’étais sur plein de coussins avec des tétines posées sur moi,
au chaud, en sécurité. Je ne voulais pas renaître en tant qu’être-humain, mais peut-être
comme un arc-en-ciel- orange, rouge, jaune, doux, beau. À un moment donné, dans l’aprèsmidi, je suis devenue consciente de la centralité de mon estomac. Beaucoup d’images de
personnes réconfortées par la nourriture, une envie irrépressible de thé chaud un peu plus
tôt, un bouillon arrivant toujours dans mon estomac. J’ai réalisé que j’étais consciente que
dans ma vie de tous les jours, maintenant, je voulais toujours le sein et la cuillère de
substitution, la paille, la cigarette. Je n’en avais jamais assez !
Je suis redevenue enfant encore une fois, dépendante, mais ayant une mère pour
prendre soin de moi qui avait envie et voulait prendre soin de moi. J’ai éprouvé du
réconfort et du plaisir à obtenir ce que je n’avais jamais eu en tant qu’enfant. Il y avait des
moments passés à apprécier l’odeur et la sensation des fruits : une belle mangue, une
poire, une pêche, des raisins. En les regardant, je voyais chaque mouvement cellulaire en
eux. Plus tard, j’ai apprécié le bouton de rose, velouté, parfumé et beau. Vers la fin de la
journée, je suis soudainement devenue consciente que j’avais trouvé un moyen de
légitimer la tristesse de toute ma vie : grâce à la maladie en phase terminale. L’ironie de
cette situation était qu’ensuite cette découverte me fit éprouver de la joie et un certain
soulagement. Je voulais parvenir aux sources de ma tristesse. Je me suis rendu compte que
depuis ma plus tendre enfance, ma mère n’avait pas grand-chose à me donner, qu’en fait
elle voulait que ce soit moi qui lui donne. Je vivais cela comme un lourd fardeau.
J’ai eu une grande discussion avec mon père à propos de la tristesse, ce qui
dérange en elle et pourquoi elle est tellement dévalorisée par les autres personnes. Je lui ai
décrit combien d’énergie j’avais dépensée à faire semblant d’être contente ou heureuse ou
à sourire. J’ai parlé de la beauté de la tristesse -la douceur triste, la tristesse doucereusequi nous permet tant à soi-même qu’aux autres de l’accueillir lorsqu’elle survient. La
tristesse n’est peut-être pas à la mode, contrairement à la joie, la spontanéité ou
l’amusement. Ces choses que j’employais mon énergie à exhiber. Maintenant, je me
contente d’être, non pas d’être ceci ou cela, mais d’être tout court. Parfois je suis triste,
souvent je suis paisible, parfois je suis en colère ou irritable, parfois j’éprouve de la chaleur
et du bonheur. Je ne suis plus affligée à l’idée de mourir. J’ai bien plus de sentiments
d’amour que jamais auparavant. Toutes les pressions consistant à être quelqu’un d’autre
m’ont été ôtées. Je me sens soulagée de tous les faux-semblants. De nombreux sentiments
spirituels emplissent ma vie quotidienne ».
Un membre de notre équipe, qui rendit visite à Joan peu avant sa mort, nous fit une
description émouvante de la manière dont Joan passa les derniers jours de sa vie. Elle conserva son
intérêt pour la quête spirituelle et elle passa plusieurs heures par jour à méditer. Malgré la rapide
détérioration de son corps, elle était équilibrée émotionnellement et de bonne humeur. Elle ne
perdit aucune occasion de profiter du monde le plus pleinement qu’elle put. Par exemple, elle
insistait pour recevoir tous les repas que les autres mangeaient, même si le passage vers son
estomac était totalement obstrué, et qu’elle ne pouvait rien avaler. Elle suçait doucement la
nourriture, en savourait son goût et la recrachait dans un seau. Elle passa la dernière soirée de sa vie
à regarder le soleil se coucher, totalement absorbée par sa beauté. Ses derniers mots après être allée
se coucher, furent : « Quel coucher de soleil merveilleux ! » Cette nuit-là elle mourut tranquillement
dans son sommeil.
Après la mort de Joan, ses proches parents et amis de la Côte Est reçurent une invitation
pour un rassemblement à sa mémoire qu’elle avait écrit personnellement au moment où elle était
encore en vie. S’étant tous rassemblés à l’heure indiquée, ils furent surpris d’entendre la voix de Joan
sur une cassette. Il s’agissait là de bien plus qu’un adieu habituel émouvant. D’après les participants,
le contenu et le ton de son discours avaient un effet profondément réconfortant sur ceux qui étaient
venus à cette rencontre avec un sentiment tragique de profonde douleur. Joan parvint à leur
communiquer un sentiment de paix intérieure et de réconciliation auquel elle était elle-même
parvenue au cours de ses séances.
Potentiel de guérison de la thérapie psychédélique
Comme nous l’avons vu, la thérapie psychédélique a une extraordinaire capacité à soulager
à la fois les personnes mourantes et leurs survivants, ainsi que l’agonie émotionnelle et physique de
ce qui est potentiellement la crise la plus douloureuse dans une vie humaine. Les projets de
recherche de Spring Grove et les études cliniques dirigées dans de nombreux pays du monde ont
également montré que les psychédéliques peuvent être utilisés de manière sûre et qu’ils ne créent
pas de dépendance physique. Les interdictions politiques et administratives qui empêchent des
milliers de personnes en phase terminale de bénéficier de cette procédure remarquable ne sont pas
nécessaires, elles sont indéfendables voire inhumaines. Des administrateurs et des législateurs
prudents à l’excès ont soulevé beaucoup d’objections contre l’utilisation de psychédéliques avec
d’autres groupes de personnes comme les patients avec troubles émotionnels et psychosomatiques,
les professionnels de la santé psychique, les artistes ou le clergé. Une telle opposition est absurde,
surtout quand il s’agit de situations limitées dans le temps où la vie est en péril, et où les problèmes
impliqués sont tellement graves qu’on a même levé le tabou de l’utilisation de narcotiques
réellement dangereux qui ont propension à créer de hautes dépendances.
Chapitre 15
LES MÉTAMORPHOSES PSYCHÉDÉLIQUES DU MOURIR
Mourir , ce n’est pas éteindre la lumière, c’est éteindre la lampe parce que l’aube est
venue.
Rabindranath Tagore, Prix Nobel de Littérature, poète et dramaturge bengali
AU COURS DE NOS RECHERCHES, nous avons pu observer bon nombre de
caractéristiques spécifiques intéressantes dans le travail avec les patients atteints de
cancers ; notamment la nature de leurs problèmes émotionnels et conflits psychologiques,
le contenu particulier de leurs séances, et les facteurs responsables des effets du traitement.
Dans notre conception initiale du travail, nous avions naïvement espéré que les patients
cancéreux seraient des personnes relativement «normales», affrontant une maladie
physique grave et de fait, ayant la réaction émotionnelle compréhensible et proportionnelle
à la situation qu’ils étaient en train de vivre. Nous nous sommes rapidement aperçus que
c’était loin d’être le cas. Pendant la thérapie psychédélique, il s’est avéré que bon nombre de
patients cancéreux souffraient d’une grande diversité de problèmes émotionnels sérieux et
de conflits psychologiques, qui précédaient le début et le diagnostic de leur maladie
physique. En fait, ces problèmes émotionnels étaient dans certains cas tellement frappants
et importants, qu’ils semblaient avoir un lien direct avec le cancer en lui-même.
Problèmes Émotionnels et conflits psychologiques chez les patients cancéreux
D’une manière générale il s’est avéré que chez les patients atteints de cancer
l’occurrence d’états dépressifs, d’attitudes passablement négatives envers la vie et même de
tendances suicidaires et autodestructrices, semblait être bien plus élevée que dans la
population générale. Bien que cette observation vienne d’impressions cliniques et qu’elle ne
soit pas étudiée de façon systématique et contrôlée, il nous a également été donné de voir
des cas étonnamment fréquents de culpabilité grave, de sentiments de haine de soi,
d’autopunition, ainsi que des tendances autodestructrices, qui avaient précédé les
manifestations cliniques du cancer, et ce, pendant des années voire parfois même des
décennies. Pendant leurs séances psychédéliques, les patients atteints de cancer voyaient
eux-mêmes souvent des liens directs entre les tendances évoquées et leur maladie. Dans
certains cas moins fréquents, mais néanmoins courants, il leur arrivait de concevoir leur
cancer comme une punition à leurs transgressions passées. Les patients faisaient remonter
ces traits de caractère et ces symptômes à leur enfance- à des souvenirs d’abandon et de
manque ou d’abus physiques ou émotionnels dans l’enfance et la tendre enfance. Pour eux
ces expériences intensément douloureuses, qui impliquaient la solitude, l’anxiété, la colère,
la faim et d’autres émotions difficiles, étaient des causes probables ou des facteurs
contribuant à leur maladie.
Nous avons également eu plusieurs fois l’occasion d’observer que pendant de
nombreuses années, et ce, bien avant le début de la maladie certains patients avaient
accordé une attention très intense aux zones où le cancer était initialement apparu . Ces
zones avaient souvent été les cibles d’agressions émotionnelles ou même physiques.
Certains patients ont rapporté que le lieu de leur cancer avait toujours été la partie la moins
résistante de leur organisme ou bien le chaînon le plus vulnérable de leurs défenses
psychosomatiques. L’organe ou la zone atteinte de cancer avait également souvent répondu
d’une manière spécifique à diverses agressions émotionnelles ayant eu cours pendant leurs
vies.
Par exemple, des femmes atteintes de cancer de l’utérus avaient souvent un vécu
parsemé d’abus sexuels sévères et de conflits avec la sexualité. De la même façon, plusieurs
de nos patients disaient que des problèmes psychologiques significatifs liés à la zone orale et
à l’ingestion de la nourriture avaient précédé le début de leur cancer de l’estomac de
plusieurs années. L’ulcère peptique notamment est certes causé par un micro-organisme,
mais il peut également être influencé par des facteurs psychosomatiques : cet ulcère
s’avérait être une étape intermédiaire entre des dysfonctionnements gastriques de nature
névrotique et le développement de carcinomes. Nous avons également vu des cas où un
passé de mal-être gastro-intestinal précédait le développement d’un cancer pancréatique et
où d’importants problèmes psychologiques de longue durée liés à la zone anale étaient
suivis de changements malins dans le colon. Même si ces données sont encore
anecdotiques, ces liens sont suffisamment frappants et constants pour mériter des
recherches systématiques dans le futur.
Dans un article précurseur, Carl Simonton et Stéphanie Matthews-Simonton ont
étudié la littérature médicale traitant de la relation entre les facteurs émotionnels et les
tumeurs malignes. En analysant plus de deux cents articles sur ce sujet, les Simonton ont
trouvé une confirmation générale du fait que les facteurs émotionnels et la malignité sont
directement reliés. La question pour eux n’était pas l’existence ou l’absence d’existence
d’une telle connexion, mais son degré et sa signification pratique, notamment dans les
implications thérapeutiques (Simonton et Simonton 1974). Les traits de caractère les plus
spécifiques aux patients atteints de cancer et les facteurs de prédisposition les plus
plausibles mentionnés par de nombreux auteurs, cités dans la synthèse des Simonton, sont :
une tendance significative à retenir le ressentiment et une incapacité marquée à pardonner,
une prédilection pour l’apitoiement sur soi, une difficulté à maintenir des relations à long
terme, et une piètre image de soi. Les Simonton ont émis l’hypothèse qu’un passé marqué
par le rejet systématique pouvait être le dénominateur commun éventuel derrière toutes
ces caractéristiques de la personnalité. Ils observèrent que ce schéma atteignait son
paroxysme fréquemment dans la perte d’un grand amour, six à dix-huit mois avant le
diagnostique du cancer.
Au cours des séances psychédéliques beaucoup d’individus atteints de cancers
semblaient avoir de puissantes défenses psychologiques et être très réticents à les relâcher
pour permettre à l’expérience de se dérouler. Ces patients résistaient souvent au fait
d’examiner leur inconscient en profondeur et ils ne réussissaient à relâcher leurs résistances
psychologiques qu’une fois que nous étions parvenus à établir un très bon rapport
thérapeutique. Lorsque ces défenses psychologiques avaient été dépassées, la nature des
séances psychédéliques avec les patients atteints de cancer ne différait pas dans son essence
de celle des autres populations, lesquelles comprenaient bon nombre de catégories de
patients psychiatriques et de professionnels de la santé mentale.
Contenu des séances psychédéliques
Le contenu général des séances psychédéliques était sensiblement identique pour
toute la population avec laquelle nous avons travaillé. Celle-ci était constituée de
névrotiques, d’alcooliques, de toxicomanes, de volontaires «sains» dans le cadre du
programme d’entraînement pour les professionnels, et de patients cancéreux. Dans chacun
de ces cas, le contenu de la séance consistait en une ample gamme d’expériences, allant de
belles visions colorées au fait de revivre des souvenirs traumatiques ou positifs de l’enfance,
des épisodes de mort et de renaissance, et même de profonds états archétypaux et
transcendantaux de la conscience.
Cependant, outre cette similitude globale, certaines caractéristiques étaient
spécifiques aux séances de patients atteints de cancers. Comme on pouvait s’y attendre, ces
individus avaient généralement une proportion plus élevée de symptômes somatiques
difficiles, et ils étaient bien plus préoccupés de leurs corps. Il n’est pas rare de trouver dans
la thérapie psychédélique de nombreuses manifestations psychosomatiques telles que : des
nausées, des vomissements, des tremblements, des désordres cardiaques et des problèmes
respiratoires et ce, quelle que soit la population impliquée. Ces manifestations sont
particulièrement fréquentes lors des premiers effets du produit pharmacologique inhérent
aux substances psychédéliques. Les premiers chercheurs s’intéressant au LSD se référaient à
cette activation initiale du système nerveux autonome comme étant la «phase végétative».
Des manifestations physiques intenses arrivant plus tard dans la séance indiquaient
généralement l’émergence d’un inconscient chargé d’un point de vue émotionnel, et elles
étaient associées à la lutte de l’individu pour dépasser ses résistances habituelles et ses
défenses. Lorsque le patient revit sa naissance biologique des troubles corporels violents et
souvent douloureux, tels que la suffocation, la douleur, la pression, les tensions musculaires
et la nausée, reflètent l’extrême mal-être physique associé au passage à travers le canal de
naissance.
Outre ces manifestations physiques «habituelles» dans les séances psychédéliques,
nos patients atteints de cancers avaient occasionnellement des symptômes somatiques
directement liés à la malignité de leur tumeur, qui reflétaient des troubles spécifiques dans
leur fonctionnement psychologique. Cela comprenait, par exemple, des nausées et des
vomissements pour des patients atteints de cancers gastriques, des obstructions intestinales
ou des manifestations d’incontinence urinaire et fécale chez des patients avec des tumeurs
pelviennes ou des métastases dans la colonne vertébrale. Les patients souffrant de cancers
développés semblaient aussi trouver leurs séances psychédéliques plus affaiblissantes que
les autres catégories de patients avec qui nous avons pu travailler. Beaucoup de patients se
sentaient fatigués non seulement le soir suivant la longue séance avec prise de LSD, mais
également pendant la journée entière du lendemain. Par conséquent, les effets bénéfiques
des séances de LSD étaient fréquemment masqués par l’épuisement physique ou
émotionnel et ils ne devenaient pleinement apparents que le deuxième jour suivant la
séance psychédélique.
Pendant la phase de préparation de la thérapie psychédélique, nous concentrons
tous nos efforts pour faciliter la communication entre les membres de la famille, comme
nous l’avons évoqué au chapitre 13. Cependant, certains patients n’avaient pas été informés
de leur diagnostic ni de leur pronostic avant leur séance de LSD, soit en raison de leur
puissant déni, soit en raison de l’opposition de parents proches. Souvent ces patients
découvraient la vérité concernant leur maladie pendant la séance. Parfois cette découverte
était fondée sur une révision de nombreux indices et observations précédant la séance. Une
autre méthode de compréhension particulièrement fascinante advenait lorsque certains
patients parvenaient à accéder à la conscience cellulaire de leurs tissus corporels et de leurs
cellules de manière expérimentale. Ils voyaient alors ce qui arrivait dans leurs corps en
visualisant la poussée cancéreuse. Des images de la localisation du cancer, de ses
caractéristiques anatomiques et topographiques, et de l'alimentation vasculaire parvenaient
aussi aux patients qui avaient connaissance de leur diagnostic. Ces impressions étaient
fréquemment associées à un contenu psycho-dynamique qui s’était révélé à l’origine de la
genèse de leur cancer.
Il arrivait que, les patients de notre programme fassent des tentatives spontanées
pour s’auto-guérir. Ils suivaient généralement leur intuition concernant quelles devaient être
les interventions thérapeutiques spécifiques. Certains essayèrent de se libérer de blocages
émotionnels ou physiques liés aux parties affectées de leur organisme. Au cours de cette
approche qui reprenait des principes de la médecine chinoise, les patients pensaient que le
fait de localiser les blocages de l’énergie émotionnelle et physique qui étaient à l’origine de à
la maladie, et d’ouvrir le flux d’énergies augmentait grandement leurs chances de guérison
D’autres prirent conscience des énergies destructives et des émotions semblant relever de la
tumeur maligne et essayaient de s’en débarrasser. Ces problèmes se manifestaient tantôt
comme de puissantes émotions négatives, tantôt, ils prenaient la forme de créatures
archétypales vicieuses.
Par ailleurs certains patients tentaient une autre stratégie d’auto-guérison dans
leurs séances psychédéliques consistant à créer des champs énergétiques enveloppant
l’organe malade ou leur corps entier. Ils associaient généralement ce champ à une couleur
spécifique qui, selon leur intuition, possédait l’effet de guérison le plus puissant, comme le
vert, le doré, ou le bleu. D’autres alternatives consistaient à visualiser la tumeur et à essayer
de renforcer les artères qui l’entouraient ou d’augmenter les défenses immunitaires de
l’organisme en mobilisant les anticorps, les leucocytes et les lymphocytes. Ce type
d’approche comportait des ressemblances frappantes avec la technique de visualisation
développée en 1970 par Carl Simonton et Stéphanie Matthews-Simonton pour aider les
individus atteints de cancers et d’autres tumeurs à participer activement à leur propre
guérison. Leur méthode utilisait l’imagerie guidée et des exercices imaginaires pour parvenir
au même but : réactiver les défenses psycho-immunitaires et le potentiel de guérison de
l’organisme (Simonton, Creighton, et Simonton, 1978). En raison de l’environnement
conservateur dans lequel nous travaillions et du manque de connaissances concernant la
nature du cancer, nous avions opté pour une approche neutre consistant à ne pas
recommander de telles expériences thérapeutiques tout en ne les décourageant pas non
plus lorsqu’elles advenaient de manière spontanée.
Certains types d’expériences qui adviennent d’une façon générale dans les séances
psychédéliques semblaient arriver plus fréquemment chez des individus agonisants ou tout
au moins étaient- elles vécues avec un engagement émotionnel supérieur. Vu la situation
qu’ils vivaient, il était assez compréhensible que ces patients considèrent la mort comme
partie intrinsèque de la vie et qu’ils cherchent un sens à l’existence humaine. Par ailleurs, ces
patiens atteints de cancer, avaient tendance à se une concentrer plus intensément sur les
membres de la famille, les amis proches et d’autres figures importantes dans leur vie :cela
constituait un autre élément distinctif. Certains témoignaient d’un effort mûri d’en finir avec
«les vieilles affaires», d’oublier et de pardonner les vieilles rancunes, et de parvenir au
pardon pour leur propre bien-être. D’autres se saisissaient de cette occasion pour remercier
les personnes de leur entourage pour tout ce qu’elles avaient fait pour eux et pour le rôle
qu’elles avaient tenu dans leurs vies. Ces tentatives visant à trouver des dénouements
émotionnels étaient extrêmement émouvantes pour toutes les personnes impliquées.
Souvent, pendant ces séances psychédéliques, nous avons vu des épisodes
similaires à ceux de la littérature ou des expériences de mort imminente (EMI). Les patients
exploraient leur situation sociale et interpersonnelle toute entière, la revoyaient, évaluaient
leur passé et essayaient d’en trouver une conclusion pourvue de sens, étant donné leur mort
imminente. Le sentiment d’une vive rencontre avec l’essence spirituelle de nombreux
parents décédés, voire d’un échange télépathique avec eux, étaient aussi des choses
fréquentes. Comme je l’ai évoqué au chapitre 7, des expériences du «comité d’accueil» de
parents et d’amis décédés avaient été décrits de façon récurrente par les thanatologues
dans la littérature sur les EMI (Osis, 1961). De telles visions étaient souvent rapportées de
façon vivace et convaincante par nos patients cancéreux, qui, généralement, les trouvaient
tellement réelles et authentiques qu’ils en venaient à considérer sérieusement la possibilité
d’une forme d’existence après la mort physique. Dans plusieurs cas, de telles rencontres
avec les parents et amis décédés introduisaient un élément de joie et de familiarité dans
l’agonie et de la mort qui les avait terrifié jusque là. Une séance psychédélique peut ainsi
créer le genre de situation, existant dans de multiples cultures anciennes, où une profonde
croyance dans l’existence d’un royaume spirituel hébergeant un ancêtre est un puissant
facteur facilitant la transition de la vie à la mort.
Effets pharmacologiques et mécanismes psychodynamiques dans la thérapie
psychédélique
Beaucoup de facteurs sont responsables des effets souvent remarquables de la
psychothérapie psychédélique sur les patients atteints de cancers. Cette modalité de
traitement implique un processus complexe qui combine les effets pharmacologiques des
substances psychédéliques aux mécanismes psychodynamiques. Sans notre étude
spécifique, nous étions incapables de déterminer la contribution relative de ces deux
composantes dans le résultat thérapeutique final. Nous ne pouvions que spéculer quant à
l’impact des effets pharmacologiques des substances psychédéliques comme telles et la
contribution de la psychothérapie qui précédait, accompagnait et suivait la séance de prise
de ces drogues.
La valeur de la psychothérapie sans médicaments d’une part ou de la
chimiothérapie au LSD d’autre part avait été précédemment démontrée chez des patients
en phase terminale, où chacune de ces deux modalités avait été appliquée séparément.
Elisabeth Kübler-Ross, Cicely Saunders, Carl Simonton, Stéphanie Matthiew-Simonton, et
d’autres encore, ont rapporté les effets bénéfiques de la psychothérapie chez des patients
avec des maladies en phase terminale sans l’aide de drogues psychédéliques (Kübler-Ross
1969, Saunders 1967, Saunders 1973 et Simonton et Simonton 1974). Même auparavant, les
prêtres et les aumôniers d’hôpitaux étaient parvenus à adoucir la souffrance émotionnelle
des patients et de leurs familles en leur offrant un appui psychologique.
D’autre part, Eric Kast a obtenu des résultats positifs en utilisant une approche
chimio thérapeutique et ce avec une interaction interpersonnelle minimale. Dans son
traitement expérimental, Kast utilisait habituellement cent microgrammes de LSD, sans
préparer psychologiquement ses patients, et sans les prévenir concernant les effets
inhabituels de la substance. Il terminait également les séances en administrant de la
chlorpromazine lorsque ces patients présentaient de la dépression émotionnelle (Kast et
Collins 1966). Kast obtint des résultats tout à fait positifs – à la fois en termes de
soulagement de la douleur et en termes d’amélioration de la condition psychologique de
certains de ses patients - sans la moindre intention ni effort psychothérapiques. Ces
conclusions indiquent
fortement que le potentiel thérapeutique des substances
psychédéliques, en et par elles-mêmes, ne doit nullement être sous-estimé.
La question de la savoir dans quelles proportions les facteurs pharmacologiques et
psychologiques interagissent dans la thérapie psychédélique est une question plus ou moins
académique. Le travail psychothérapeutique et les effets des substances psychédéliques
sont de toute évidence interdépendants et ils forment un amalgame inextricable. Combinés
comme ils l’étaient dans le programme de Spring Grove, les deux ensembles de facteurs –
pharmacologiques et psychologiques - sont complémentaires et se stimulent l’un l’autre. Le
résultat obtenu est une modalité de traitement qui est bien supérieure à chacune de ses
deux composantes individuelles. L’importance d’un bon rapport psychothérapeutique et
d’un bon cadre a été soulignée dans de nombreuses études où les substances
psychédéliques étaient utilisées pour d’autres catégories de patients et de sujets
expérimentaux, comme les professionnels de la santé mentale, les artistes, le clergé et les
scientifiques. Ces facteurs non-pharmacologiques peuvent clairement augmenter les
bénéfices et minimiser les risques de l’administration de LSD.
Nous avons observé beaucoup de résultats thérapeutiques significatifs chez nos
patients atteints de cancers après leur traitement psychédélique. Les changements les plus
importants ont eu lieu dans les cinq catégories suivantes :

Symptômes émotionnels et problèmes comme la dépression, les
tendances suicidaires, l’anxiété, l’insomnie et le renferment psychologique
Commentaire [E141]: Je ne
comprends pas : le LSD est associé à la
chimiothérapie?
The value of either drug free
psychotherapy or LSD chemotherapy alone
had been previously demonstrated
Ne comprenant pas cette phrase j’ai posé
la question à une oncologue : cependant je
ne suis toujours pas sure de l’avoir
comprise. Voici sa réponse :
Hi Eva...just a thought- maybe LSD's are
used for chemotherapy for terminally ill pts,
they have nothing to lose as long as they are
symptom free. Just psychotherapy may not
work as well by itself but the two
modalities of treatment, that is painfree
patients, need to be studied scientifically to
judge which is better in terms of pts
survival and quality of life.
Commentaire [E142]: The relative
contribution of the pharmacological and
physiological factors in psychedelic therapy
is more or less an academic question.

Douleur et détresse physiques

Peur de la mort, concept philosophique de la mort et attitude envers la
mort

Organisation du temps, stratégie de vie et hiérarchie des valeurs
fondamentales

Douleur et deuil des survivants, capacité à accepter et à intégrer la
perte.
Soulagement des symptômes et des problèmes émotionnels
Nos précédentes expériences cliniques avec des catégories variées de patients
psychiatriques, confirment la littérature existante concernant le LSD, et indiquent, de façon
relativement sûre, que la thérapie psychédélique peut avoir un effet positif sur une grande
variété de symptômes et de problèmes émotionnels. En fait, les thérapeutes utilisant le LSD
semblent d’accord sur le fait que la dépression, l’anxiété et les tensions générales symptômes communément observés chez les individus mourants - sont ceux que la
psychothérapie psychédélique était le plus à même de traiter. L’exemple le plus frappant est
l’effet de la thérapie psychédélique sur les patients dépressifs qui étaient préoccupés par la
mort et qui avaient des tendances suicidaires.
Nos premiers travaux à l’Institut de Recherches Psychédéliques de Prague nous
apportèrent des vues extraordinaires sur les psychodynamiques du suicide. Nous avons ainsi
appris que les tendances et les fantasmes suicidaires arrivent lorsque les patients dépressifs
confondent la mort de l’ego avec la mort biologique autrement dit, l’egocide avec le suicide.
De tels individus ne comprennent pas que leur attraction morbide et leur intense désir de
mourir reflètent souvent une envie sous-jacente de mort et de renaissance
psychospirituelles, cela en vue de la transcendance, et non de la destruction de leur corps
physique. Dans cette perspective, le suicide résulte de l’une erreur fatale d’une personne qui
ne parvient pas à réaliser qu’elle peut vivre une mort sans préjudice physique. Dans la
pratique, l’expérience de la mort psychospirituelle de l’ego et de la renaissance dans une
séance psychédélique s’est avérée être le remède le plus puissant aux tendances suicidaires
(Grof 1985, Grof 2000). La confrontation inattendue avec sa propre mortalité, et avec
l’impermanence dans des expériences de mort imminente, a souvent le même impact (Ring
1982, 1984).
Vu ces observations, les effets positifs de la psychothérapie avec prise de LSD sur la
condition émotionnelle de nos patients n’étaient pas tellement surprenants en et par euxmêmes. Cependant, la découverte novatrice et enthousiasmante du Programme de Spring
Grove résidait dans l’obtention de ces changements émotionnels positifs chez les patients en
phase terminale de cancer, dont la dépression et l’anxiété constituaient une réponse
naturelle et totalement compréhensible face à une situation de vie très difficile. Il semblait
plausible qu’une puissante intervention dans les dynamiques de l’inconscient des patients
puisse effacer une programmation datant de l’enfance et de la tendre enfance qui bien
qu’elle soit devenue totalement inutile, ait continué à avoir une influence néfaste sur la
condition émotionnelle et psychosomatique du patient. Cependant, une transformation
radicale de l’attitude émotionnelle et philosophique du patient par rapport à l’imminence de
la mort et aux circonstances de vie tragiques suggérait de façon évidente l’existence de
mécanismes psychologiques puissants d’une nature et d’un ordre totalement différents,
jusqu’à lorsinconnus de la psychiatrie traditionnelle.
Il est difficile d’expliquer le soulagement des symptômes émotionnels et
psychosomatiques, et plus particulièrement les profonds changements dans la structure de
la personnalité, de la vision du monde, de la hiérarchie des valeurs, qui peuvent être atteints
par la psychothérapie psychédélique. Les pratiques actuelles de psychologie des profondeurs
requièrent de longues années de psychothérapie coûteuse pour atteindre des résultats
plutôt médiocres. Dans la thérapie psychédélique pratiquée au Centre de Recherches
Psychiatriques du Maryland, la préparation pour les séances prenait entre dix et quinze
heures. La transformation en elle-même survenait en l’espace de quelques heures pendant
les séances de prise de drogues même si la pleine intégration de l’expérience requérait
souvent des jours ou des semaines. Les changements avaient lieu dans plusieurs domaines
et à plusieurs niveaux : physique, émotionnel, psychologique, interpersonnel, philosophique
et spirituel. Un processus aussi puissant est de toute évidence très complexe et il ne peut
être réduit à un unique facteur commun. Ce qui suit résume notre compréhension présente
des dynamiques sous-jacentes.
La psychothérapie à base de LSD implique tous les mécanismes qui opèrent dans les
approches psychothérapeutiques conventionnelles. A savoir dans un premier temps se
souvenir et revivre des souvenirs traumatiques de l’enfance et de la tendre enfance, mais
aussi des souvenirs refoulés de la vie d’après qui ont engendré des impressions
émotionnelles et intellectuelles, proposer ensuite des expériences interpersonnelles
correctives, et enfin faciliter le transfert psychologique. Ces mécanismes sont grandement
intensifiés au cours des expériences psychédéliques en raison de l’effet d’amplification du
LSD. Cependant le spectre entier de mécanismes thérapeutiques nouveaux et
précédemment inconnus qui devient disponible grâce à la psychothérapie à base de LSD ne
peut être compris qu’en prenant en compte la vaste cartographie de la psyché qui englobe
les domaines périnataux et transpersonnels aussi bien que le niveau biographique de
souvenirs de psychothérapie conventionnelle (voir chapitre 8).
Bon nombre des changements émotionnels et psychosomatiques facilités par les
séances de prise de LSD peuvent être expliqués en termes de changements dans
l’interaction des constellations de souvenirs spécifiques connus sous le nom de systèmes
COEX ; ces systèmes sont traités brièvement au chapitre 8 et de manière plus étendue dans
d’autres publications (Grof 1975, 2000). La fonction qui gouverne des systèmes COEX peut
varier en fonction de processus physiologiques ou biochimiques divers ayant lieu à l’intérieur
de l’organisme ou en réaction à un nombre d’influences extérieures de nature physique ou
psychologique. Les séances de prise de LSD semblent intervenir de manière profonde au sein
des dynamiques des systèmes COEX. Des améliorations cliniques soudaines pendant la
thérapie à base de LSD peuvent souvent être expliquées par le passage d’une dominante
psychologique d’un système COEX négatif vers un système où l’individu est sous l’influence
d’une constellation de mémoires positives. Un tel changement ne signifie pas que tout le
contenu problématique inconscient a été traité ou résolu pour ce sujet précis. Cela indique
simplement un changement intérieur d’un système à un autre. Une telle situation peut être
appelée transmodulation de système COEX. Travailler de façon exhaustive à toutes les
couches d’un système COEX aboutirait à une résolution de ce système COEX.
Un changement dynamique d’un système COEX à un autre ne signifie pas toujours
une amélioration clinique. Une expérience de prise de LSD médiocrement aboutie pourrait
causer un passage d’un système COEX positif à un système COEX négatif. Un tel changement
négatif est caractérisé par une occurrence soudaine de symptômes psychopathologiques qui
n’étaient pas apparents avant la séance. Une autre possibilité est un changement d’un
système COEX négatif à un autre système négatif avec un thème principal identique. La
manifestation externe de cet événement intrapsychique serait un passage dans la
psychopathologie d’un syndrome clinique à un autre. L’exemple le plus radical de ce type
que j’ai pu observer était un patient homosexuel gravement dépressif et suicidaire qui sortit
d’une séance de prise de LSD dans un état d’euphorie et attiré sexuellement par les femmes,
mais avec une paralysie hystérique classique à son bras droit. Plusieurs séances
supplémentaires furent requises pour travailler sur le contenu inconscient sous-tendant la
paralysie avant que la fonction de son bras droit ne revienne à la normale (Grof 1980).
Les mécanismes traités jusqu’ici rendent compte de plusieurs cas de soulagement
de symptômes émotionnels et psychosomatiques par la thérapie psychédélique, mais ils
n’expliquent pas de façon adéquate la guérison et les transformations les plus radicales que
nous ayons observées. Il s’agit de changement d’un type et d’un ordre totalement différents
qui arrivèrent après des séances psychédéliques marquées par des éléments périnataux et
transpersonnels puissants. Pour ces patients, qui ont vécu la mort et la renaissance
psychospirituelles suivies par un sentiment d’une union mystique avec d’autres personnes,
la nature, l’univers et Dieu, les symptômes de la préséance étaient apaisés ou disparaissaient
souvent complètement.
Une amélioration aussi extraordinaire après une seule séance psychédélique peut
durer pendant des jours, des semaines ou même des mois. Bon nombre des changements
positifs peuvent persister indéfiniment. Cette profonde séquence de mort et de renaissance
que l’équipe de Spring Grove appelait «l’expérience psychédélique du sommet» constitue
clairement un mécanisme nouveau et puissant pour accéder à des changements
thérapeutiques fondamentaux et restructurer profondément la personnalité. Une
amélioration clinique significative et une transformation profonde de la personnalité
peuvent également résulter d’autres mécanismes thérapeutiques agissant au niveau
transpersonnel, comme l’émergence d’un archétype, et sa pleine expérience et intégration
consciente, ou le revécu d’une mémoire passée importante, ou enfin l’expérience de Dieu ou
du Vide Supracosmique et Métacosmique.
Les effets de la psychothérapie à base de LSD avec les individus mourants ne sont
pas limités au domaine intrapsychique. Ce travail peut affecter de manière significative le
réseau complet des relations interpersonnelles des patients. À mesure que la condition
émotionnelle d’un individu mourant s’améliore, ses relations avec les membres de sa famille
et d’autres personnes significatives sont affectées de manière positive. Cet aspect de la
thérapie peut également aider profondément les parents survivants et les amis eux-mêmes.
Tirer au clair la communication pervertie, rompre les écrans protecteurs, et ouvrir des
canaux d’interaction honnête et directe sont sans aucun doute d’importants facteurs de
changement. Par conséquent, cet aspect du processus de traitement a souvent une
influence positive sur les sentiments de désespoir, d’aliénation et de confusion affectant
fréquemment les personnes affrontant la mort et leur entourage.
Effets de la Psychothérapie Psychédélique sur les Graves Douleurs Physiques
L’effet généralement radical de la psychothérapie à base de LSD ou de DPT sur la
douleur physique sévère est souvent difficile à expliquer. Il s’est avéré souvent qu’une seule
séance psychédélique pouvait soulager considérablement, et même faire disparaître, une
Commentaire [E143]: Je n’ai pas
compris s’il s’agissait bien d’une
énumération. Voir la ponctuation et les
nombreux and
douleur insoutenable qui parfois n’avait même pas réagi à de hauts dosages de narcotiques.
Ce phénomène important aussi bien d’un point de vue pratique que théorique est très
déstabilisant. Cela remet en question le modèle télégraphique de la douleur où le tissu
malade envoie un signal à travers le thalamus au cortex cérébral et provoque une réponse
motrice. Des études plus poussées de ce phénomène extraordinaire nous ont radicalement
fait revoir notre compréhension de la nature de la douleur.
L’influence mystérieuse des substances psychédéliques sur la douleur ne peut pas
non plus être interprétée en termes d’action pharmacologique. Le soulagement de la
douleur n’était pas suffisamment prévisible ni constant pour pourvoir considérer le LSD ou le
DTP comme des analgésiques pharmacologiques. Par ailleurs, la relation entre la réponse et
le dosage qui est caractéristique les agents pharmacologiques n’a pas pu être établie. Il
arrivait qu’un soulagement radical de la douleur advienne après quelques séances avec des
dosages relativement faibles, alors que certaines séances à haut dosage n’avaient pas d’effet
analgésique détectable. Pour les patients qui avaient reçu plus d’une séance, il arrivait que
cet effet se produise après quelques séances, mais pas après certaines autres, et ce bien que
le même dosage fût utilisé dans toutes les séances. Dans certains cas, un soulagement
significatif de la douleur était observé pendant une période de quelques semaines ou même
de quelques mois après une seule administration de la drogue. Ces observations suggèrent
que des facteurs psychologiques pourraient rentrer en jeu, ou peut-être que des
mécanismes inconnus interviennent dans l’effet analgésique des substances psychédéliques.
Les changements dans l’expérience de la douleur qui suivent des séances
psychédéliques n’impliquent pas simplement une réduction de l’intensité de la douleur ;
nous avons observé plusieurs schémas différents. Certains patients rapportaient qu’après
leurs séances de prise de LSD ou immédiatement après, leur douleur était considérablement
atténuée ou qu’elle avait totalement disparu. D’autres avaient remarqué que la douleur
persistait là, mais leur attitude envers elle avait changé. Soudainement leur tolérance à la
douleur était devenue bien plus importante, ou alors la douleur ne monopolisait plus toute
leur attention. Parfois des individus mourants rapportaient des changements assez
inhabituels dans leur perception de la douleur et dans leur attitude envers elle. Ils étaient
capables de réévaluer la connotation émotionnelle de leur douleur et de lui trouver une
signification philosophique, des qualités expérimentales transcendantales, une signification
religieuse ou une valeur karmique.
Dans le cas de Suzanne (voir chapitre 14) la séance psychédélique soulagea de
manière très significative sa dépression et sa peur de la mort, mais en revanche elle échoua
à avoir une quelconque influence sur la douleur intolérable qui l’empêchait de se concentrer
sur quoi que ce soit d’autre. Cependant la séance l’aida à se résoudre au soin palliatif
recommandé qu’elle avait refusé jusqu’à ce moment-là en raison de sa peur paralysante
concernant les risques possibles. L’expérience de Suzanne montre clairement le potentiel
inverse d’une séance psychédélique : la condition émotionnelle peut radicalement être
améliorée même si le niveau de la douleur ne l’est pas.
Souvent, les patients atteints de cancer ont découvert de nombreuses techniques
qui leur permettaient de dépasser la douleur, non seulement au cours de leurs séances, mais
également après. Certaines de ces méthodes se sont avérées tellement efficaces que nous
les avons adoptées et enseignées de façon systématique à nos patients comme faisant partie
intégrante de la préparation à leurs séances psychédéliques. Par exemple, dans bien des cas,
en vue de détourner l’attention de quelqu’un de la douleur vers la musique, cela s’est avéré
assez utile de l’aider à plonger dans les séquences d’images et d’expériences et d’être
totalement immergé dans l’ici et maintenant. Une autre approche utile et opposée était de
se concentrer sur la douleur mais dans une attitude d’acceptation. Au tout début, cela
provoquait l’amplification des sensations déplaisantes, parfois jusqu’aux seuil de la
tolérance. L’individu était alors capable de traverser la douleur et de la transcender.
Paradoxalement, accepter la douleur, y céder, «y rentrer, l’accompagner, et la traverser»
peut rendre possible le dépassement expérimental de la douleur. Généralement, l’approche
la moins utile était de laisser la douleur occuper le centre de l’attention de quelqu’un, et, au
même moment, d’y résister et de lutter contre elle.
Après leur traitement, bon nombre de nos patients trouvaient cela étonnamment
utile de concentrer leurs méditations quotidiennes sur ces images ou épisodes de leur
séance psychédélique associées à des émotions hautement positives et exemptes de toute
douleur. Ces souvenirs les aidaient souvent à se reconnecter à l’état d’esprit et à la condition
physique plaisante qu’ils avaient vécus à ce moment-là. Par exemple ces souvenirs agréables
pouvaient revenir en écoutant la même musique que lors de la séance psychédélique. Dans
certains cas nous avons également guidé l’imagerie dans un état hypnotique léger pour aider
les patients à dépasser leur souffrance physique et émotionnelle.
Bien que la composante psychologique joue un rôle qui ne puisse pas être remis en
question dans le soulagement de la douleur résultant d’ une séance à base de LSD, les
mécanismes spécifiques qui interviennent dans ce processus continuent à nous échapper.
Nous ne sommes pas parvenus à trouver de relation entre le type de séance psychédélique,
ou son contenu, et le degré ou schéma de soulagement de la douleur. Parfois, nous avons
observé des changements marqués dans l’expérience de la perception de la douleur après
des séances par ailleurs ratées et médiocres et qui n’avaient pas d’effet particulièrement
bénéfique sur les autres aspects de la condition clinique du patient. Inversement, comme
dans le cas de Suzanne, nous avons vu des séances qui transformaient l’individu dans chacun
de ces aspects, excepté dans l’intensité de la douleur physique.
De la même façon, nous n’avons pas pu déceler de corrélation véritable entre le
niveau de l’inconscient activé au cours de la séance et l’effet sur la douleur. Nous avons
observé des soulagements significatifs de la douleur après des séances de tous types biographiques, périnatales et transpersonnelles - cependant il nous est arrivé que des
séances similaires n’aient pas eu le moindre effet sur la douleur de certains individus. Le
caractère quasi-capricieux de ce phénomène est illustré par l’histoire de John (voir chapitre
14). Il est probablement l’exemple le plus saisissant de l’effet radical que les drogues
psychédéliques peuvent avoir dans l’expérience de la douleur, malgré le fait que cette
séance ait semblé superficielle, dépourvue d’événements, et ratée.
Comme les articles d’Eric Kast et de V.J. Collins le soulignent, la douleur
pathologique est un phénomène composite possédant un aspect neurophysiologique,
représenté par la sensation de douleur, et un aspect psychologique, « l’affect de la douleur »
(Kast et Collins 1964). C’est par la modification de la composante psychologique et
psychosomatique - la manière dont la stimulation neurophysiologique est interprétée et
gérée - plutôt qu’en détruisant ou en réduisant les impulsions neuronales essentiellement
responsables des sensations de douleur, que la thérapie psychédélique semble influencer
sur l’expérience de la douleur. Le concept des systèmes COEX, traité plus haut, peut élucider
certains des mécanismes impliqués dans ce processus : dans certains cas, le soulagement de
la douleur peut refléter un passage d’un système COEX avec pour thème central la
souffrance physique vers un autre avec un motif différent.
Commentaire [E144]: . Je ne saisis pas
: The correlation between the unconscious
level. Dans le niveau inconscient? la
corrélation entre le niveau de l’inconscient
activé dans la séance et l’effet sur la
douleur semble être minime De la même
façon, il n'y a pas de vritable corrélation
entre
Beaucoup d’observations de séances psychédéliques indiquent que les diverses
expériences physiquement douloureuses dans le vécu de quelqu’un sont stockées dans des
banques de mémoire associées les unes aux autres. Les constellations de souvenirs qui en
résultent sont liées de manière fonctionnelle à des expériences similaires au niveau périnatal
et transpersonnel. Des épisodes de douleur et de souffrance physique de la vie des individus,
liés à des opérations, des blessures, des maladies et des abus physiques, sont généralement
revécus dans des séances psychédéliques liées de près à l’expérience de la naissance. Si un
individu est exposé dans la vie quotidienne à des situations qui produisent de la douleur
physique –au cours d’une maladie, d’un accident ou d’une intervention chirurgicale-, cela
active des systèmes COEX spécifiques impliquant une souffrance physique ou une menace à
l’intégrité physique ou à la survie. La nature et le contenu d’expériences douloureuses
passées contribueront à déterminer et à colorer la perception de la douleur qui en résultera
et la réaction des individus face à elle.
Les patients souffrant de maladies chroniques et progressives, et spécialement de
maladies considérées comme incurables, ont également une puissante tendance à
s’imaginer des choses effrayantes concernant la manière dont leur douleur va persister et
évoluer dans le futur. Cette anticipation semble alors augmenter davantage encore leur
souffrance présente. Dans son article intitulé «La Douleur et le LSD-25 : une théorie
d’Atténuation de l’Anticipation», Eric Kast fait remarquer que c’est le fait même de réduire
cette anticipation effrayante qui est susceptible d’être l’un des mécanismes responsables
d’au moins une partie de l’action analgésique du LSD. Il suggère également que la formation
de symboles et l’anticipation, si nécessaires à la survie au quotidien, tendent à accélérer
l’agonie de l’individu impliqué dans des situations graves (Kast 1964).
L’expérience de la douleur dans sa globalité semble ainsi refléter non seulement la
réponse neurophysiologique directe aux tissus abîmés, mais également la programmation
passée de l’individu concernant les événements douloureux et l’anticipation de souffrances
futures. Un des effets importants du LSD et d’autres substances psychédéliques est de
dépouiller des souvenirs traumatiques de leur charge émotionnelle. Cela permet aux
patients de se libérer du fardeau de leur passé et de vivre plus pleinement le moment
présent ; par ailleurs en ce qui concerne leur vie future les patients s’investissent de moins
en moins émotionnellement. Cette focalisation sur l’ici et le maintenant qui en résulte qui
peut contribuer à modifier de façon importante l’expérience de la douleur de l’individu.
L’action analgésique des psychédéliques est liée en outre à l’effet puissamment
tyrannique de la douleur physique qui monopolise le champ de l’attention de l’individu.
Comme on peut s’y attendre, la douleur intense a tendance à dominer la conscience de
l’individu au détriment de toutes les autres entrées sensorielles. Beaucoup de patients
souffrant de douleur intense trouvent cela difficile voire impossible de tenir des
conversations, de lire des livres, de regarder la télévision ou de poursuivre aucune autre de
leurs activités précédentes, qui seraient pourtant susceptibles de rendre plus tolérable le
vécu de leur situation pénible. Dans certains cas extrêmes, ils en viennent à perdre leur
intérêt pour les événements importants dans la vie des membres de leur famille.
En raison de leur puissant effet d’expansion de l’esprit, les expériences
psychédéliques peuvent briser les barrières émotionnelles et les appauvrissements
sensoriels des patients cancéreux. Pendant les séances, le champ de conscience des
individus est envahi de matériel hautement chargé d’un point de vue émotionnel, provenant
de l’inconscient individuel et collectif et des organes sensoriels, et plus particulièrement du
système optique. Des étalages visuels de couleurs et de formes, de sons, et de sensations
Commentaire [E145]: Je ne sais pas si
c’est ça car je ne comprends pas pas bien le
fonctionnement de ces systèmes COEX P
289
inhabituelles inondent la conscience qui était jusqu’ à lors obsédée par la monotonie de la
douleur insoutenable. Après une séance psychédélique efficace, le patient peut à nouveau
apprécier la richesse des expériences sensorielles -la beauté de la nature, les sons de la
musique, le goût de la nourriture- ou des composantes des relations humaines. Cette
expansion de la conscience et de l’intérêt émotionnel peut durer plusieurs jours, et même
des semaines, après une séance réussie.
Ainsi, certains de nos patients pouvaient détourner leur attention de la douleur et
du mal-être physique pour se concentrer sur de nouveaux centres d’intérêt inspirés par les
expériences adevnues au cours de leur séance. Bon nombre de personnes ont découvert de
nouvelles dimensions dans la musique et une nouvelle manière de l’écouter. Ils s’achetaient
des enregistrements de morceaux passés au cours de leurs séances (ou qui y ressemblaient
de près ) et ils consacraient beaucoup de temps à leur écoute. D’autres développèrent un
profond intérêt pour les livres sur le mysticisme, le yoga, la réincarnation, le Bouddhisme, le
chamanisme, ou les états de conscience non-ordinaires. Certains utilisaient aussi les
impressions qu’ils avaient vécues dans les séances psychédéliques pour comprendre
comment passer le mieux possible les jours qui leur restaient. Par exemple, une patiente
décida que sa mort pouvait devenir un puissant catalyseur pour rassembler ses parents
étrangers les uns aux autres, et elle passa les dernières semaines de sa vie à travailler de
façon systématique à cette tâche.
L’influence de la thérapie psychédélique sur la douleur associée au cancer ne peut
pas s’expliquer dans toute sa complexité dans le cadre des théories neurophysiologiques.
Ronald Melzack, professeur de psychologie à l’Université McGill à Montréal, rassembla
beaucoup d’observations cliniques et de laboratoire qui défiaient de manière comparable les
concepts contemporains de la douleur. Parmi elles se trouvent l’absence congénitale de la
sensibilité aux stimuli nocifs, et son opposée, la douleur psychogénique spontanée qui arrive
sans irritation externe détectable. Melzac signala certaines caractéristiques particulières de
syndromes de douleur, comme les membres fantômes, les névralgies, et les hauts
pourcentages d’échec après des opérations chirurgicales radicales destinées à soulager la
douleur. Il prêta également attention au succès étonnant de certains programmes
soulageant la douleur, particulièrement les effets analgésiques et anesthésiants de
l’acupuncture. Dans son livre, The Puzzle of pain (L’Enigme de la Douleur), Melzac procéda à
une révision radicale de la pensée médicale à propos de la douleur (Melzac 1973). Son travail
est très pertinent par rapportaux conclusions de nos recherches et il est résumé brièvement
ci-dessous.
Melzack distingue trois composantes majeures de la douleur, aussi bien du point de
vue théorique que pratique :
 La dimension sensorielle et discriminatoire de la douleur, transmise par les chemins
spécifiquement sensoriels (le système de projection spino-thalamique). Cette
dimension utilise l’information perceptuelle concernant le lieu, la magnitude et les
propriétés spatio-temporelles des stimuli nocifs.
 La dimension émotionnelle et motivationnelle de la douleur, impliquant le système
réticulaire du tronc cérébral, et des structures limbiques. Elle est à l’origine de la
caractéristique émotionnelle déplaisante et de la résistance pour échapper aux
stimuli et rechercher le soulagement de la douleur.
 La dimension cognitive et évaluative de la douleur, qui est l’ajout néocortical à
l’expérience totale. Cela comprend l’apprentissage culturel, l’expérience unique de
l’individu à la douleur, la signification que l’individu attribue à la situation produisant
la douleur, l’effet de suggestion, et l’état d’esprit de l’individu à ce moment-là.
Ces trois composantes, ainsi que leur participation relative dans l’expérience de la
douleur, peuvent être influencées de façon sélective par plusieurs facteurs.
Melzack et Wall ont formulé la théorie de contrôle de la douleur dite gate-control68,
qui rend compte de plusieurs aspects mystérieux de la douleur. Ils ont postulé qu’un
mécanisme nerveux dans la corne postérieure de la moelle épinière se comporte comme
une porte. Ce mécanisme peut augmenter ou diminuer la circulation d’impulsions nerveuses
des fibres périphériques vers le système nerveux central. Le degré selon lequel cette «porte»
facilite ou inhibe la transmission sensorielle est déterminé par l’activité relative dans les
fibres diamétrales larges et petites et par les influences qui proviennent du cerveau. Les
entrées somatiques de chaque partie du corps, aussi bien que les entrées visuelles et
sensorielles, peuvent exercer une influence qui module la transmission des impulsions à
travers le mécanisme portier. La présence ou l’absence de douleur est ainsi déterminée par
l’équilibre entre les entrées sensorielles et centrales reçus par le système de contrôle de la
porte. Lorsque la quantité d’information traversant la porte excède un niveau critique, cela
active les zones nerveuses responsables du ressenti de la douleur ainsi que celles de la
réponse à la douleur. (Melzac et Wall 1965).
La théorie de Melzac et Wall fournit un cadre théorique plausible concernant l’effet
en apparence capricieux de la thérapie psychédélique sur l’expérience de la douleur des
patients atteints de cancers. La variabilité des résultats peut refléter une interaction
dynamique entre la nature multidimensionnelle de l’expérience psychédélique et la
complexité des structures neurophysiologiques et des mécanismes sous-tendant le
phénomène de la douleur. Les observations cliniques concernant les effets des LSD et DPT
sur la douleur représentent une source supplémentaire de preuves venant corroborer la
gate-control theory de la douleur et elles sont d’une telle importance pratique et théorique
qu’elles méritent d’être étudiées à l’avenir.
Au cours de notre étude sur le cancer de Spring Grove nous avons été surpris de
constater que le soulagement de la douleur n’était pas proportionnel ou équivalent à la
consommation de narcotiques : ce décalage était pour nous assez inattendu. Pour rendre
compte de cette incohérence il faut considérer au moins quatre facteurs. Premièrement, les
médecins des patients ne faisaient aucune tentative pour changer le régime
pharmacologique ; on ne demanda ni aux patients ni aux infirmières de réduire la
médication narcotique des patients si le degré de douleur des patients diminuait. Ainsi la
consommation de narcotiques ne reflétait que la relation spontanée entre les exigences des
patients et la réponse du personnel médical. Dans ce contexte, les conclusions en apparence
paradoxales auraient simplement pu refléter la routine habituelle et l’inertie des patients,
aussi bien que celle du personnel de l’hôpital.
Deuxièmement, la plupart des patients recevaient une variété d’autres substances
psychoactives outre les narcotiques, comme des tranquillisants majeurs ou mineurs, des
analgésiques non-narcotiques, et des hypnotiques. Les changements dans la consommation
de ces drogues n’étaient pas considérés ou mesurés de manière systématique dans notre
étude. Cette limitation est spécialement importante dans le cas des dérivés de la
68
Gate signifie portail, porte, seuil (NdT).
Commentaire [E146]: The dorsal
horns of the spinal cord. Si j’ai bien compris
en fonction du schéma de la moelle: dorsal
et posterior horn semblent s’employer de
manière indifférenciée
phénothiazine et des tranquillisants mineurs, que nous interrompions systématiquement
une semaine avant la séance, afin qu’ils n’interfèrent pas avec les effets du LSD ou du DPT.
La réduction de la douleur obtenue par la thérapie psychédélique devait ainsi compenser
l’effet analgésique précédent des médecines qui venaient tout juste d’être interrompues.
Troisièmement, même les médications narcotiques lourdes n’étaient pas parvenues
à contrôler de façon satisfaisante la douleur de bon nombre de nos patients atteints de
cancers avant nos séances psychédéliques. En effet, une réponse inadéquate à la médication
narcotique et la douleur persistante sévère étaient les principales raisons pour lesquelles
bon nombre de patients ont souhaité participer à notre étude. Dans certains cas, la
médication n’était pas réduite après les séances psychédéliques, mais la même quantité de
narcotiques devenait plus efficace pour contrôler la douleur et rendre la vie plus tolérable.
Enfin, il se peut que le décalage apparent entre le soulagement de la douleur et la demande
de narcotiques reflète non seulement l’accoutumance mais une addiction physiologique à
proprement parler. Cette hypothèse n’est pas improbable étant donné que bon nombre de
nos patients avaient été soumis à une médication narcotique lourde pendant les mois qui
précédaient leurs séances psychédéliques.
Peur de la mort, concept philosophique de la mort, et attitude envers le fait de
mourir
Une autre dimension importante des changements ayant eu cours chez nos patients
après leur thérapie psychédélique était la profonde transformation de leur idée de la mort et
de leur attitude envers la situation qu’ils affrontaient. Suite à des thérapies à base de LSD,
des patients psychiatriques comme des sujets «normaux» nous ont fréquemment fait part
d’à quel point les expériences psychédéliques avaient radicalement transformé leur
sentiment envers la mort. Les individus ayant vécu la mort psychospirituelle et la
renaissance voyaient cette expérience comme un avant-goût de ce qui allait leur arriver au
moment de leur mort biologique. Ils disaient qu’ils n’avaient plus peur de la mort, et ils
voyaient cela comme un voyage fantastique, une aventure de la conscience aussi
enthousiasmante qu’exaltante. De profondes expériences d’unité cosmique, des mémoires
de vies antérieures, et d’autres formes transpersonnelles de la conscience semblaient rendre
la mort physique moins importante et moins menaçante. Ces expériences transformaient
aussi les attitudes de nos patients qui affrontaient la mort en l’espace de mois, de semaines
ou de jours. Nos observations suggèrent que de telles expériences méritent de profondes
recherches en tant qu’elles sont des phénomènes complexes pouvant fournir des
impressions psychologiques, philosophiques, mythologiques, et spirituelles. Ces
phénomènes sont clairement bien davantage que des hallucinations, des fantasmes
souhaités, ou des mensonges envers soi-même résultant de fonctionnements altérés du
cerveau.
La recherche de Charles A. Garfield a apporté un appui indirect au fait que la
psychothérapie psychédélique pouvait atténuer la peur de la mort. Dans sa thèse de
doctorat, Garfield a exploré la relation entre les expériences systématiques à long terme des
états non ordinaires de conscience et le niveau de peur liée à la mort (Garfield 1974).
Garfield a utilisé une combinaison d’interviews cliniques, de tests psychométriques, et de
mesures psychophysiologiques pour étudier les différences dans la peur de la mort
consciente et inconsciente parmi 150 hommes choisis dans cinq groupes : étudiants
diplômés en psychologie, étudiants diplômés en études religieuses, utilisateurs de drogues
psychédéliques, pratiquants de la méditation Zen, et disciples du bouddhisme tibétain nés
aux Etats-Unis. Les groupes ayant une grande expérience dans les états holotropiques de
conscience (utilisateurs de drogues psychédéliques, pratiquants de la méditation Zen et
étudiants en bouddhisme tibétain) montrèrent une peur liée à la mort bien moindre que
celle étudiants des autres groupes.
Dans une étude antérieure sur la thérapie psychédélique et la peur de la mort, Eric
Kast suggère que certains mécanismes sont susceptibles de protéger les patients mourants
d’un sentiment accablant d’absence d’espoir. Cependant, Kast émet une hypothèse selon
laquelle la «situation désespérée» de tels individus ne diffère que d’un point de vue
quantitatif de celle d’autres personnes, étant donné que tout le monde peut anticiper la
mort à n’importe quel moment, avec d’abord un sentiment de probabilité, puis de certitude.
Kast supposait, par conséquent, que les mécanismes qui nous protègent chaque jour de la
prise de conscience de notre propre mortalité opèrent avec une plus grande force chez les
individus mourants. Dans ces deux cas, de patients en phase terminale et de patients en
bonne santé, la frayeur expérimentée dans la contemplation de la mort est fondée sur la
peur de la perte de contrôle de leurs corps et de leur environnement. Kast voit l’acceptation
de la perte inévitable de contrôle pendant et après une administration de LSD comme étant
l’indication du fait que le LSD anesthésie le coup que la mort imminente porte au fantasme
infantile de la toute puissance (Kast 1964).
Kast insiste également sur le fait que la diminution de l’anticipation est un important
facteur de soulagement à la fois de l’expérience de la douleur et de la peur de la mort. Dans
des circonstances normales, l’anticipation constitue un mécanisme majeur, qui est utile non
seulement pour s’orienter, mais aussi pour se défendre et pour se procurer de la nourriture.
Cependant, Kast suggère que l’anticipation n’apporte rien au bien-être des individus
mourants -cela ne fait qu’accentuer leurs sentiments de désespoir. L’anticipation requiert la
capacité à utiliser des mots de façon sensée et à former et manipuler des symboles. Selon
Kast, la diminution du pouvoir des mots, la perte de la capacité à anticiper en résultant, ainsi
que l’accroissement de la vie sensorielle immédiate, sont les facteurs les plus importants de
modification de l’attitude des individus mourants envers la mort.
Les changements d’attitude envers la mort provoqués par les psychédéliques ne
peuvent pas être exprimés adéquatement en termes de concepts psychodynamiques
traditionnels. Une approche si limitée reflète une profonde incompréhension de la
profondeur et de la nature des expériences spirituelles. Contrairement au soulagement de la
douleur, les changements radicaux dans le concept de la mort et les attitudes envers elle
étaient toujours associés au contenu spécifique des séances psychédéliques, et advenaient
seulement lorsque l’expérience avait un puissant accent périnatal ou transpersonnel. Les
individus qui vivaient la mort et la renaissance psychospirituelles, les sentiments d’unité
cosmique, ou de profondes impressions dans les cycles de la réincarnation, montrèrent
généralement des changements radicaux, et à long terme, dans leur compréhension
fondamentale de la nature humaine et de sa relation à l’univers. Ils développaient une
profonde foi en l’unité ultime de toute la création et se voyaient comme en faisant partie
intégrante. Cette attitude s’appliquait souvent à leur maladie et à la situation douloureuse
qu’ils affrontaient. Au lieu d’être la fin de tout, la mort apparaissait soudain comme une
transition vers un type d’existence différent. Ces patients percevaient l’idée de la conscience
se poursuivant au-delà de la mort physique comme étant une alternative bien plus plausible
que celle de sa fin au moment de leur mort biologique.
Commentaire [E147]: le texte dit
"avec une plus grande force chez le
individus mourants " mais si ces
mécanismes fonctionnent moins bien chez
les patients mourants ne s'agit il pas d'une
moindre force? Je ne comprends pas
Commentaire [E148]: Immediate
sensory life
Le résultat d’expériences périnatales puissantes et convaincantes fut que nos
patients découvrirent des dimensions ordinairement invisibles de l’existence bien au-delà de
leurs anciennes visions du monde et de leurs systèmes de croyances. Ils devinrent également
conscients de la richesse de leur propre héritage ancestral, racial, collectif, phylogénique et
karmique. La solide frontière entre leur identité quotidienne et l’univers immense tendait à
se dissoudre, et la distinction habituelle entre le monde intérieur de leur psyché et la réalité
extérieure devenait beaucoup plus arbitraire. L’ouverture de ce panorama cosmique
fantastique offrait un nouveau système de référence, d’une telle ampleur que la mort
biologique perdait de son impact terrifiant.
Ces patients bénéficiaient clairement des expériences mystiques de leurs séances
psychédéliques. Cette observation pose la question souvent soulevée par les scientifiques
matérialistes : est-ce que des expériences mystiques de ce type - spontanées,
psychédéliques, ou provoquées par d’autres moyens- offrent des informations
ontologiquement valables sur la nature humaine et sur l’univers, ou sont-elles des produits
d’un cerveau altéré chimiquement ou d’une maladie mentale ? Révèlent-elles de dimensions
authentiques de la réalité dans le sens de ce que les philosophies spirituelles orientales
appellent sagesse transcendantale (prajnaparamita) ? Les mystiques sont-ils des personnes
qui ont une compréhension plus profonde de la réalité qu’une personne moyenne, ou bien
sont-ils au contraire des individus souffrant de désordres mentaux sévères, d’hallucinations
et de délires, ainsi que les dépeint la psychiatrie contemporaine ?
Dans Le Jeu Cosmique (Grof 1998), j’avance l’idée que la vision du monde résultant
des états holotropiques, qui ressemble beaucoup à un point de vue de la réalité qu’Aldous
Huxley appelait « philosophie pérenne » (Huxley 1945), est aussi étonnamment compatible
avec beaucoup de découvertes révolutionnaires de la science moderne : découvertes de
l’astrophysique, de la physique quantique-relativiste, de la théorie de David Bohm sur le
holomouvement69, de la nouvelle biologie, ainsi que de la psychologie jungienne. Ainsi, les
impressions des séances psychédéliques de nos clients sont corroborées par la science
moderne la plus avancée. Cependant, dans un tel contexte remettre en question la
pertinence ontologique de ces expériences est discutable. Les patients atteints de cancers
avec lesquels nous avons travaillé trouvaient les visions cosmiques dans leurs séances
psychédéliques totalement convaincantes, et ces expériences et impressions rendaient leurs
situations tragiques beaucoup plus tolérables.
Changement dans la hiérarchie des valeurs et dans la stratégie de la vie
Les changements frappants dans la hiérarchie des valeurs et dans la stratégie envers
la vie que nous avons observés chez nos patients après les séances psychédéliques étaient
souvent directement liés aux impressions spirituelles associés aux expériences périnatales et
transpersonnelles. Au cours de leurs thérapies psychédéliques, beaucoup de personnes
69
Holomouvement : selon Bohm, le monde matériel, tel que nous le percevons à travers nos sens et avec l'aide
d'instruments variés qui étendent la portée de nos organes sensoriels, est seulement un aspect de la réalité qu'il
appelle « l'ordre déplié ou développé ». La matrice qui le génère, c'est-à-dire l'ordre implié ou inveloppé, n'est
pas normalement accessible aux sens ni à l'investigation scientifique directe ; en outre Bohm insiste sur la nature
dynamique et le flux continu de l'Univers. N'importe quel événement, objet ou entité, observable et descriptible,
quel qu'il soit, est abstrait, d'un flux uni, indéfinissable et inconnu, le holomouvement (NdT).
découvraient que leur vie avait été inauthentique au niveau de certains domaines
spécifiques des relations interpersonnelles. Par exemple, les problèmes avec l’autorité
parentale peuvent mener à des schémas spécifiques de difficultés avec les figures de
l’autorité, des schémas dysfonctionnels répétés dans les relations sexuelles peuvent avoir
leur origine chez les parents en tant que modèles de comportement sexuel, une rivalité
intense entre frères et sœurs peut colorer et distordre les futures relations avec les pairs
etc… Ces connexions sont bien connues de la psychothérapie traditionnelle dynamique.
Cependant, les impressions des séances psychédéliques sont plus profondes. Lorsque le
processus d’exploration d’expérimental de soi atteint les niveaux périnatals, nous
découvrons généralement que notre vie a été inauthentique dans sa totalité, pas seulement
dans certaines de ses parties. Nous trouvons, à notre grand étonnement, que notre stratégie
de vie tout entière a été mal dirigée et par là même incapable de nous apporter de
satisfaction véritable. Notre stratégie de vie mal dirigée a d’abord été motivée par des
facteurs que nous n’avons pas traités et intégrés de façon adéquate : la peur de la mort et
les forces inconscientes associées à la naissance biologique. En d’autres termes, pendant
notre naissance biologique, nous avons accompli le processus de naissance biologiquement,
mais non de manière émotionnelle.
Lorsque notre champ de conscience de la vie quotidienne est fortement influencé par
la mémoire sous-jacente de la lutte du canal de naissance, nous vivons des sentiments
d’inconfort et d’insatisfaction par rapport à notre situation présente. Notre
mécontentement peut se concentrer sur un large spectre de problèmes – une apparence
physique insatisfaisante, des ressources et des possessions matérielles inadéquates, une
position sociale et une influence faibles, un pouvoir et une reconnaissance insuffisantes, et
bien d’autres. Tout comme l’enfant pris dans le canal de la naissance, nous éprouvons un
puissant besoin d’aller chercher une meilleure situation qui se trouve quelque part dans le
futur. Quelles que soient les circonstances présentes, nous les trouvons insatisfaisantes.
Notre imaginaire créé continuellement des images de scénarios futurs qui semblent nous
apporter davantage de satisfaction que le scénario présent. Nous voyons notre vie comme
une préparation à un futur meilleur et non comme « la vraie chose ».
Ce genre d’orientation envers la vie implique un schéma de vie que certains de nos
clients ont décrit comme une «course de rats» ou comme un « tapis de course ». L’image
d’un hamster courant dans une roue et n’arrivant nulle part représente la stratégie et le
caractère fondamentalement faillible de la vie d’un être humain moyen, fondés sur la
poursuite incessante de buts. C’est essentiellement une stratégie de perdant, incapable
d’apporter la satisfaction que nous désirons. Que notre stratégie nous apporte des
récompenses dans la vie matérielle, voilà qui n’a que peu de conséquences, étant donné que
nous ne recevons jamais suffisamment de ce dont nous n’avons pas réellement besoin ou de
ce que nous voulons. Lorsque nous parvenons à atteindre le but auquel nous aspirons, nos
sentiments fondamentaux ne changent pas réellement. Nous pensons alors que notre
insatisfaction continuelle a quelque chose à voir avec le but : peut-être est-ce un mauvais
but, ou alors peut-être n’est-il pas assez ambitieux. Par conséquent, soit nous substituons à
l’ancien but un but nouveau, soit nous augmentons nos ambitions. Quoi qu’il en soit, nous
n’avons pas correctement diagnostiqué le fait que l’échec est la conséquence d’une stratégie
de vie totalement erronée, qui est, par principe, incapable de fournir une satisfaction
véritable.
Une poursuite imprudente de plusieurs buts grandioses provoque beaucoup de
souffrance et conduit à de sérieux problèmes à l’échelle de l’individu autant qu’à l’échelle
collective. Cette stratégie fallacieuse se joue à tous les niveaux d’importance et d’influence
étant donné qu’elle n’apporte jamais de satisfaction véritable. Lorsqu’elle est appliquée de
façon globale, cela se manifeste par l’exploitation et la pollution des ressources non
renouvelables, ce qui met en péril la survie sur cette planète. Le Mahatma Gandhi
l’exprimait de façon très succincte : «la Terre offre suffisamment de choses pour satisfaire
tous les besoins de l’homme mais pour satisfaire toute son avidité». L’expérience de la mort
et de la renaissance psychospirituelles, qui inclut la réalisation émotionnelle de la naissance
biologique et la confrontation avec la mortalité et l’impermanence, peut réduire de façon
signifiante cette poussée irrationnelle.
Au-delà du traumatisme de la naissance et de la peur de la mort, les recherches
psychédéliques et la psychothérapie expérientielle ont révélé une source encore plus
profonde à notre insatisfaction et à notre lutte pour la perfection. L’envie insatiable qui
régente la vie humaine est en dernière instance transpersonnelle par nature. C’est le
concept de Ken Wilber du «Projet Atman » (Wilber 1980) qui la décrit le mieux. Notre
véritable nature est divine – Dieu, le Christ Cosmique, Allah, Bouddha, Brahman, le Tao, le
Grand Esprit. Même si le processus de création nous sépare et nous aliène de notre source
et de notre véritable identité, notre conscience n’est jamais totalement perdue néanmoins.
La force de motivation la plus profonde de la psyché, à tous les niveaux de l’évolution de la
conscience, est le chemin pour revenir à l’expérience de notre divinité. Cependant, les
conditions contrariantes des étapes consécutives du développement empêchent une pleine
expérience de notre divinité et nous forcent à rechercher des substituts variés qui s’avèrent
inadéquats et inappropriés.
La transcendance requiert la mort du soi séparé c’est-à-dire mourir à notre
identification exclusive avec le corps/ego. Mais étant donné que nous avons peur de
l’aliénation et que nous nous accrochons à l’ego désespérément, nous devons nous résoudre
aux substituts d’Atman, qui sont spécifiques à chaque étape de développement :
 Pour le fœtus et le nouveau-né, le substitut d’Atman est la satisfaction vécue
dans le bon giron, ou dans le bon sein.
 Pour un petit enfant, c’est la satisfaction de besoins spécifiques à cet âge, et le
besoin de sécurité.
 Pour un adulte, le spectre des projets possibles selon Atman est ample, et
comprend la nourriture, le sexe, l’argent, la célébrité, le pouvoir, l’apparence,
la connaissance et bien d’autres choses encore.
En raison de notre profond sentiment que notre véritable identité est la totalité de
la création cosmique et le principe créatif lui-même, les substituts de tous types, quelle que
soit leur ampleur -les projets d’Atman- seront toujours insatisfaisants. Nos besoins les plus
profonds ne peuvent être réalisés que par l’expérience de notre divinité dans un état de
conscience holotropique. Ainsi, la solution ultime à l’avidité insatiable de l’humanité est le
monde intérieur, non les poursuites séculaires, quels que soient leur type et leur ampleur.
Il est facile de comprendre comment les impressions de ce type peuvent soulager la
souffrance psychologique de patients atteints de cancers. À mesure qu’ils acceptent leur
impermanence et l’imminence de leur mort, ils réalisent l’absurdité ultime et la futilité des
ambitions exagérées, de l’attachement à l’argent, au statut, à la célébrité et au pouvoir, ou à
la poursuite d’autres valeurs séculaires. Cette réalisation rend plus facile l’affrontement de la
fin involontaire de la carrière professionnelle et la perte imminente de possessions
matérielles. Les expériences psychédéliques affectent également profondément la
Commentaire [E149]: IL veut dire
projects = projections ou projets? En fait
c'est dans le sens de substituts d'Atman.
Bref une projection de ce qu'on croit être
Atman ? pourtant le mot project a le sens
de projet
conception du temps : le passé et le futur deviennent moins importants comparés au
moment présent. L’accent psychologique tend à passer de la planification à long terme à
«vivre au jour le jour», un passage qui est accompagné par une capacité augmentée à
apprécier la vie et à trouver du plaisir dans les choses simples.
La spiritualité éveillée par les expériences psychédéliques n’est généralement pas
fondée sur les croyances religieuses et sur les dogmes d’une foi spécifique ou d’une
affiliation spéciale à une église : elle est universelle, entière, et non-religieuse. Cependant,
dans bien des cas, la séance psychédélique a approfondi et illuminé les croyances
traditionnelles de l’individu mourant, et les a remplies de nouvelles dimensions de sens.
Condition psychologique des survivants, et nature du processus de deuil
La signification de la thérapie psychédélique pour la personne mourante transcende
la cadre étroit consistant à aider le patient. Ce genre de traitement peut également
influencer de façon significative la condition psychologique des survivants et la nature du
processus de deuil. Les moments de mort sont des temps de crise dans n’importe quelle
famille. Bien que la plus grande partie de la souffrance soit celle vécue par le patient, la
confrontation avec la mort et la séparation imminente d’avec les personnes aimées sont des
sujets de profonde implication émotionnelle pour toutes les personnes concernées. Les
parents et les amis qui voient la détérioration progressive et la mort d’une personne proche
sont souvent profondément affectés émotionnellement. Dans certains cas, ces personnes
souffrent de réactions émotionnelles à long terme. Les psychiatres en exercice sont bien
conscients que la mort de parents et d’autres proches joue un rôle important dans la vie
future des membres de la famille. Ces événements peuvent être la cause de développement
de bien des désordres émotionnels, tels qu’un traumatisme originel pendant l’enfance, ou
bien agir comme un détonateur de symptômes qui se manifesteront ultérieurement dans la
vie.
Le deuil et la période de perte semblent être fondamentalement influencés par la
nature et l’intensité des conflits dans les relations des survivants avec la personne mourante.
S’adapter à la mort d’un de ses membres est généralement bien plus difficile si la famille se
sent ambivalente dans son rapport et son comportement envers la personne mourante ou
envers la façon dont la situation entière a été gérée. L’incapacité ou le manque d’occasions
d’exprimer sa compassion envers la personne mourante, de prononcer des mots de
gratitude envers le passé, ou de trouver un moyen de dire au revoir, laisse aux survivants
des sentiments d’insatisfaction, d’amertume et souvent de culpabilité intense.
Si le thérapeute peut rentrer dans le système de la famille comme agent catalyseur
et faciliter des canaux d’échange émotionnel et de communication efficaces, cette période
difficile de transition peut devenir un événement de signification profonde pour toutes les
personnes impliquées. La mort et son processus peuvent prendre la forme d’une rencontre
avec les forces cosmiques et les lois universelles qui opèrent dans nos vies, et auxquelles
nous sommes tous sujets. Dans de bonnes circonstances, les survivants vivent très peu de
culpabilité concernant la souffrance et la mort de la personne aimée, et la période de deuil
est considérablement plus courte. Participer au processus de mort de la personne mourante
peut influencer les enfants survivants, et les concepts de la mort des adultes, et les aider à
approcher leur propre mort dans le futur. Passer du temps avec les personnes mourantes
peut même accélérer une profonde expérience d’ouverture spirituelle, et c’est pourquoi cela
constitue un entraînement important chez les moines Tibétains.
Aptitudes et Entraînement Nécessaire à une Thérapie Psychédélique Réussie
Une intervention thérapeutique réussie facilite et soulage souvent l’agonie de la
personne mourante, et au même moment, elle aide les survivants à absorber et à intégrer ce
traumatisme. La thérapie psychédélique n’est pas la chimiothérapie et elle ne fournit pas
non plus de miracle thérapeutique. La qualité de la rencontre humaine, du guidage
psychothérapeutique conscient de la personne mourante, le travail individuel avec la famille,
et l’optimisme du thérapeute sont des facteurs cruciaux. Des séances fascinantes et
profondément émouvantes, des changements positifs des sentiments, des attitudes et des
comportements, sont plus que suffisants pour maintenir l’enthousiasme des thérapeutes et
les protéger du burn-out, même lorsqu’ils affrontent des réalités souvent sinistres.
Cependant l’enthousiasme et l’optimisme ne sont pas des qualifications suffisantes
pour diriger un programme de thérapie à base de LSD réussie. Tous les thérapeutes
participant à de telles recherches doivent recevoir un entraînement spécifique. Une
préparation optimale des thérapeutes requiert plus que de connaître la littérature existante
à ce sujet, de regarder des vidéos choisies de séances psychédéliques, et de participer en
tant que co-thérapeute à des séances dirigées par des thérapeutes expérimentés. Les états
psychédéliques sont en grande partie ineffables : même les meilleures descriptions ne
peuvent pas rendre de façon adéquate leur nature et leur profondeur. Par conséquent, il est
impossible d’obtenir une compréhension véritable de ces états en lisant simplement des
livres et des articles dans des journaux scientifiques. La thérapie psychédélique,
contrairement à la thérapie avec les agents pharmaceutiques ordinaires, nécessite par
conséquent que les thérapeutes compétents aient une expérience personnelle avec les
substances psychédéliques, de manière à comprendre leurs effets pour être capables de les
utiliser de manière efficace. Dans notre programme d’entraînement pour professionnels
Spring Grove, nous offrions aux psychiatres et psychologues la possibilité de faire
l’expérience par eux-mêmes des états de conscience holotropiques, guidés par des
thérapeutes entraînés. Une telle connaissance intime de l’expérience psychédélique s’est
avérée absolument indispensable au travail efficace et sensible avec le LSD et d’autres
psychédéliques.
Les entraînements psychédéliques pour les futurs thérapeutes ont une autre
fonction importante : ils offrent aux personnes formées l’opportunité de se confronter à leur
propre peur de la mort et de travailler sur elle ainsi que sur d’autres problèmes émotionnels
importants qui pourraient être activés en travaillant avec les patients mourants et provoquer
des problèmes dans la séance. L’équanimité et le caractère central du thérapeute lorsqu’il
est confronté aux contenus du patient hautement chargés d’un point de vue émotionnel
sont parmi les facteurs les plus importants pour une thérapie psychédélique réussie.
Pendant mon travail avec la thérapie psychédélique au Centre de Recherche Psychiatrique
de Prague et au Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland à Baltimore, j’eu plusieurs
fois l’occasion d’observer et d’apprécier la compétence et la compassion des infirmières et
des autres membres de l’équipe de recherche, qui avaient fait eux-mêmes l’expérience de
telles séances lors de leur entraînement professionnel.
Avec un entraînement thérapeutique adéquat, la psychothérapie à base de LSD
peut être une approche sûre et prometteuse dans un domaine qui a été jusqu’ici plus que
décourageant. Même si les membres des professions de soutien et le public sont devenus
conscients du besoin urgent d’aider les individus mourants, très peu de programmes
existent. La plupart des patients mourants affrontent encore une réalité sombre, décrite par
Aldous Huxley dans son roman Ile en ces termes «toujours davantage de douleur, toujours
davantage d’anxiété, toujours davantage de morphine, toujours davantage d’exigences, avec
l’ultime désintégration de la personnalité et une perte de l’opportunité de mourir
dignement» (Huxley 1963).
Chapitre 16
PSYCHE ET THANATOS : LA MORT DANS LA PSYCHOLOGIE ET LA SOCIETE
OCCIDENTALES
Il me semble que l’une des expériences humaines les plus fondamentales, une
expérience authentiquement universelle, et qui unit - ou plus précisément qui pourrait unir toute l’humanité, est l’expérience de la transcendance, dans son sens le plus large.
Vaclav Havel, Président de la République Tchèque
CE N’EST QUE TRES RECEMMENT que la psychologie et la psychiatrie traditionnelles
ont commencé à intéresser à la mort et à l’impermanence, aspects cependant essentiels de
la vie humaine qui avaient été amplement négligés. Les premières recherches significatives
dans ce domaine furent d’abord conduites par les pionniers de la psychologie des
profondeurs (comme Freud, Jung, Adler), l’anthropologiste et clinicien Ernest Becker et
certains des philosophes existentialistes qui croyaient à leur façon que la mort jouait un rôle
important dans la psyché et qu’elle influençait profondément la vie humaine. Ils tombèrent
d’accord sur l’importance d’accepter la mort : selon eux, c’était là un prérequis à une
stratégie d’existence réussie. Cependant, ils seraient surpris aujourd’hui des dimensions que
les recherches postérieures ont révélées concernant la puissante représentation de la mort
au sein de la psyché, y compris dans la forme spécifique que prend la présence de la mort
aux niveaux biographiques, périnataux et transpersonnels. En outre aucun de ces pionniers
n’a anticipé la solution radicale aux problèmes liés à la mort qui a été rendue possible par la
thérapie psychédélique et les méthodes expérimentales, lesquelles ne font pas usage de
drogues et utilisent les états holotropiques. Ce travail a conduit à une nouvelle
compréhension de la mort et de son processus avec de profondes implications pour le futur
de l’humanité.
Pionniers de la psychologie des profondeurs et de la philosophie existentialiste
Sigmund Freud, neurologue viennois et fondateur de la psychanalyse, fut le premier
de ces pionniers de la psychologie des profondeurs à prendre en considération la mort dans
ses théories. Étant donné que Freud ouvrit à lui seul ce vaste domaine d’études
psychologiques, il n’est pas surprenant que ses points de vue concernant la pertinence de la
mort aient évolué depuis de façon radicale à travers les années. Dans ses premiers écrits,
Freud concevait la psyché humaine comme étant gouvernée par une tension dynamique
entre deux forces conflictuelles - la force sexuelle (libido), et la force d’auto-préservation
(instinct de l’ego). Durant ces premières années, Freud croyait aussi que la principale force
de motivation dans la psyché était ce qu’il appelait le «principe de plaisir» (das Lustprinzip),
à savoir une tendance à éviter la gêne et à rechercher la satisfaction. À ce stade-là de sa
carrière, Freud ne considérait pas le problème de la mort comme étant pertinent. Il voyait
l’inconscient comme un domaine au-delà du temps et de l’espace, incapable de connaître et
de reconnaître la mort comme fait. De son point de vue, les problèmes qui semblaient liés à
la mort, comme la peur de la mort, n’avaient rien à voir avec la mort biologique et ils
masquaient en réalité d’autres problèmes. La peur de la mort pouvait avoir pour cause les
envies de mort d’une autre personne, lesquelles semblaient inacceptables au surmoi qui
s’empressait alors de les tourner vers le sujet. Cela pouvait être aussi un substitut à la peur
d’un orgasme sexuel irrépressible, la peur de la perte de contrôle, ou la peur de la castration.
Au tout début de son travail, la peur de la mort était essentiellement enracinée dans les
conflits des étapes pro-œdipales et œdipales du développement libidinal (Fenichel 1945).
La pensée de Freud au sujet de la mort commença à changer radicalement lorsqu’il
découvrit l’existence de phénomènes qui n’étaient de toute évidence pas gouvernés par le
principe du plaisir ; le masochisme primaire, le besoin d’un châtiment, l’automutilation et le
suicide violent. Dès lors, son concept précédent de la psyché devenait incohérent et
nécessitait d’être réexaminé dans son ensemble A mesure que Freud se débattait avec les
concepts associés à ce problème et remis en question lui réalisa que les phénomènes qui
étaient « au-delà du principe du plaisir» ne pouvaient pas être compris ou expliqués en
dehors du problème de la mort. Les premières indications de ce changement se trouvent
dans ses formulations théoriques publiées entre 1913 et 1920, spécialement dans son
analyse de la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, intitulée « le Thème des trois
Coffrets » (Freud 1925a) et dans son essai « Considérations actuelles sur la Guerre et la Mort»
(Freud 1925b). Dans ces essais, Freud indique qu’il réexamine ses anciennes thèses selon
lesquelles il n’y avait aucune représentation de la mort dans l’esprit humain. En 1920, il
acheva une synthèse et une intégration de ses divers points de vue sur la mort et formula
une nouvelle théorie biopsychologique plus exhaustive sur la personnalité humaine.
Dans sa nouvelle psychologie que Freud, exprimait dans son livre Au-delà du
Principe du Plaisir, la psyché n’était plus le champ où se déroulait la bataille entre la force
sexuelle et l’instinct d’auto-préservation. La libido (Eros), continuait à être l’une des deux
forces en compétition, mais Freud appelait désormais l’autre nouvelle force en opposition
«l’instinct de mort» (Thanatos), (Freud 1975). Le but d’Eros était de préserver la vie et celui
de Thanatos était de contrer la vie, de la détruire, en vue de finalement la ramener au
domaine inorganique d’où elle provenait originellement. Pour Freud il y avait une profonde
relation entre ces deux groupes de forces instinctives et les deux processus biochimiques
dans l’organisme humain : l’anabolisme et le catabolisme. Les processus anaboliques
contribuent à la croissance, au développement, et au stockage de nutriments. Les processus
cataboliques sont destructeurs, épuisent les réserves et libèrent l’énergie. Freud associait
aussi l’activité de ces deux forces à la destinée de deux groupes de cellules dans l’organisme
humain - les cellules germinales qui sont potentiellement immortelles, et les cellules
somatiques, qui constituent le corps et qui sont destinées à mourir.
Dans ses premiers travaux, Freud considérait presque toutes les manifestations
d’agression comme des expressions de la sexualité donc sadiques par nature; dans le
nouveau cadre conceptuel, il reliait l’agression à l’instinct de mort. D’après sa nouvelle
vision, l’instinct de mort opérait dans l’organisme humain depuis le tout début, le
convertissant graduellement en un système inorganique. La force destructrice pouvait et
devait être en partie détournée de son but primaire et dirigée vers d’autres organismes. Que
l’instinct de mort soit orienté vers des objets dans le monde extérieur, ou contre l’organisme
lui-même, n’avait pas d’importance, du moment qu’il pouvait atteindre son but destructeur.
La formulation finale de Freud concernant le rôle de l’instinct de mort apparut dans
son dernier ouvrage L’Abrégé de Psychanalyse (Freud 1949). La dichotomie fondamentale
entre les deux forces en puissance, l’instinct d’amour (Eros ou Libido) et l’instinct de mort
(Thanatos ou Destrudo) devint la pierre angulaire de la compréhension du processus mental
selon Freud. Ce concept, qui dominait sa pensée pendant les dernières années de sa vie, ne
généra pas beaucoup d’enthousiasme parmi ses disciples, et ne fut jamais pleinement
incorporé dans la psychanalyse traditionnelle. Rudolf Brun, qui fit des recherches statistiques
approfondies portant sur les essais concernant la théorie de Freud sur l’instinct de mort,
trouva que 94% d’entre eux étaient de toute évidence défavorables au concept de Freud
(Brun 1953).
Bien que, pour Freud, Eros et Thanatos soient perçus comme des instincts
biologiques, ils avaient des caractéristiques mythologiques bien définies, tout comme les
archétypes jungiens. Beaucoup de psychanalystes, y compris ses disciples, considéraient
l’intérêt de Freud pour la mort, et son inclusion de Thanatos dans sa théorie des instincts,
comme une enclave étrangère dans le développement de son cadre psychologique. Plusieurs
critiques ont suggéré que les spéculations de Freud concernant Thanatos étaient influencées
de façon défavorable par son âge avancé et par une variété de facteurs externes
traumatisants : son intense thanatophobie, la mutilation de sa mâchoire due à une tumeur
mal diagnostiquée, une prothèse maxillaire mal ajustée, une réaction émotionnelle à son
cancer de la langue, la mort de plusieurs membres de sa famille, et les meurtres
innombrables de la première guerre mondiale.
Les critiques de Freud affirmaient que ce changement inattendu dans sa manière de
penser reflétait sa propre préoccupation pathologique à l’égard de la mort alors qu’en
réalité Freaudt était très en avance sur ses disciples. Ainsi qu’il en est question plus loin dans
ce chapitre, la recherche sur la conscience au cours de ces cinquante dernières années a
confirmé l’intuition générale de Freud concernant l’importance de la mort pour la
psychologie. Bien postérieure que la recherche n’ait pas confirmé l’existence d’un instinct
de mort biologique, tel que le concevait Freud, de riches représentations du thème de la
mort ont été découvertes dans les trois niveaux de l’inconscient - biographique, périnatal et
transpersonnel. Nous savons aussi que l’élément « mort » joue un rôle important dans la
psychogénèse de beaucoup de désordres émotionnels et psychosomatiques.
Alfred Adler, renégat psychanalytique et fondateur de l’école de psychologie
individuelle, était un autre pionnier de la psychologie des profondeurs à avoir reconnu qui
l’importance cruciale dela mort (Adler 1932). D’après le compte-rendu qu’il en a fait, la vie
d’Adler et son travail étaient influencés par sa rencontre bouleversante avec la mort. À l’âge
de cinq ans, il contracta une pneumonie aiguë, et son médecin déclara sa situation
désespérée. Après son rétablissement, il décida d’étudier la médecine en vue de pouvoir
maîtriser la mort. La conséquence directe du fait d’avoir frôlé la mort de près lorsqu’il était
très jeune fut qu’Adler en vint à interpréter les sentiments d’insuffisanceet d’impuissance,
couplés à la profonde envie de les dépasser, comme étant la force laplus importantede la
psyché (la «protestation masculine»).Ainsi , l’incapacité d’une personne à empêcher et à
contrôler la mort était le des sentiments d’insuffisance le plus profond. Bien qu’Adler n’ait
pas explicitement inclu la peur de la mort dans sa théorie, les recherches de toute sa vie
Commentaire [E150]: his
psychological framework
étaient certainement très profondément influencées par son expérience de mort
imminente. La théorie d’Adler mettait l’accent sur le courage et sur la capacité à affronter les
aspects dangereux de l’existence humaine.
Nous avons également vu au chapitre 9 à quel point C.G. Jung, autre pionnier de la
psychologie des profondeurs, avait été influencé par son expérience de mort imminente.
Jung avait aussi un profond intérêt pour la mort, même si sa compréhension différait de
façon significative des spéculations de Freud. Dans son essai De la Psychologie de
l’Inconscient, il réfuta le concept de Freud selon lequel les deux instincts fondamentaux, Eros
et Thanatos, constituaient les forces gouvernant la psyché (Jung 1953). Il récusait
également l’idée a thèse de pas de Freud selon laquelle le but d’Eros est d’établir des unités
toujours plus grandes et de les préserver, et que le but de Thanatos est de défaire les liens et
de les détruire. Jung affirmait qu’un tel choix de contraires reflétait des attitudes de l’esprit
conscient et non les dynamiques de l’inconscient. Il voyait l’opposé logique de l’amour
comme étant la haine, et celui d’Eros comme étant Phobos (la peur). Cependant, le contraire
psychologique de l’amour est la volonté de puissance, une force cardinale dans toutes les
théories d’Alfred Adler.
Jung a observé que là où règne l’amour, il n’existe aucune volonté de puissance ; et
que là où la volonté de puissance prédomine, l’amour est absent. Jung constatait que Freud
était contraint de considérer Thanatos l’instinct de mort destructeur comme étant le
contraire d’Eros parce qu’il faisait une concession à la logique intellectuelle d’une part, et au
préjudice psychologique d’autre part. D’après Jung, Eros n’est pas l’équivalent de la vie. Mais
pour ceux qui identifient Eros à la vie, son contraire sera tout naturellement la mort. Nous
pensons tous que le contraire de notre principe le plus élevé est purement destructeur et
mauvais. Ainsi nous ne pouvons nullement octroyer à la mort des qualités positives, et nous
avons tendance à la craindre et à l’éviter.
Les spécificités de la contribution de Jung à la thanatologie étaient sa pleine
conscience d’à quel point les motifs liés à la mort étaient représentés puissamment dans
l’inconscient. Lui et ses disciples ont attiré l’attention des psychologues occidentaux ainsi
que du grand public sur l’importance capitale du thème de la mort psychospirituelle et de la
renaissance, avec toutes ses variations symboliques, dans l’histoire spirituelle et rituelle de
l’humanité. Ils ont rassemblé et analysé de nombreux exemples du symbolisme de la mort et
de la renaissance issus de cultures diverses et de périodes historiques, allant de la
mythologie des Aborigènes d’Australie à l’alchimie. Cependant, ils n’ont pas reconnu ni
apprécié la relation du symbolisme archétypal de la naissance biologique et de ses étapes (cf
la description des matrices périnatales au chapitre 8). Les psychologues jungiens ont apporté
une autre contribution majeure à notre compréhension de la naissance par leur exploration
des mythologies eschatologiques de différentes cultures et périodes historiques.
Les problèmes liés à la mort jouèrent également un rôle capital dans la psychologie
de Jung à propos du processus d’individuation. Il insista sur le fait qu’il était crucial de voir la
mort comme étant aussi importante que la naissance et de l’accepter comme faisant partie
intégrante de la vie. Si nous pensons que l’ascension de la vie a un but et un objectif, alors sa
descente ne doit-elle pas en avoir aussi? Au lieu de s’accrocher désespérément au passé, on
devrait affronter la mort comme faisant partie d’un processus téléologique naturel. Un point
de vue utile seraitde voir la mort comme la fin de l’homme empirique et comme le but de
l’homme spirituel. Alors que la sexualité est la force dominante dans la première moitié de la
vie humaine, dans l’idéal, les problèmes du déclin biologique et de l’approche de la mort
devraient être le point d’attention central dans la seconde moitié de la vie.
Commentaire [E151]: il semble bien
que c’est comme ça qu’on dit en psycho.
Mais sinon on peut mettre
indivisualisation.
La préoccupation du problème de la mort paraît normale dans les dernières
décénnies de la vie, là où son occurrence dans les années précédentes est généralement
associé à la psychopathologie. Cependant, éviter les problèmes de la mort et de
l’impermanence dans les dernières années est également problématique. Jung a fortement
critiqué ceux qui étaient incapables d’embrasser la mort, et il a exprimé son opinion de
façon assez explicite : «Pour le psychothérapeute, un vieillard qui ne peut pas dire adieu à la
vie semble aussi fragile et aussi malade qu’un jeune homme qui est incapable de
l’embrasser». Le processus d’individuation tel que Jung le concevait aboutissait à un
achèvement de la personnalité et impliquait de résoudre le problème de la mort. Le but de
cette thérapie était d’atteindre la complétude. Une personne qui voit la vie et la mort
comme s’opposant n’est certainement pas complète (Jung 1967, 1970a, 1970 b).
Le livre d’Ernest Becker The Denial of Death : A perspective in Psychiatry and
Anthropology (Le Déni de la Mort : une Perspective de Psychiatrie et d’Anthropologie Becker
1973) contitue une autre contribution importante et influente à la littérature sur la mort.
Becker était anthropologue de formation mais il acquit des compétences considérables en
tant que psychiatrique clinicien et en tant que théoricien lorsqu’il était étudia avec Thomas
Szasz, lui aussi célèbre psychiatre et critique de cette discipline. Becker affirmait que le
problème central de l’existence humaine était que nous sommes mortels et que nous
sommes tous destinés à mourir. Bien qu’il s’agisse là d’une réalité évidente de notre vie, la
peur qui lui est associée est tellement forte et envahissante que nous utilisons tous les
moyens possibles pour nier cette évidence. C’est ce déni de la mort qui pour Becker est la
cause virtuelle de toutes les pathologies auxquelles sont sujets les êtres-humains. La façon
dont cela se manifeste est le narcissisme , un besoin obsessionnel d’être reconnu comme
important. Cela constitue ce que Becker appelait la «destinée tragique humaine», effort
désespéré consistant à se justifier à soi-même que l’on est un objet de grande valeur dans
l’univers, d’être une figure héroïque, et d’apporter une plus grande contribution au monde
que les autres.
Becker voyait toutes les cultures comme des systèmes qui fournissaient à leurs
membres une opportunité de devenir le genre de héros que cette «destinée tragique»
requiert. La forme de ce système culturel n’y change pas grand-chose, que ce soit une forme
primitive , magique, religieuse ou que ce soit une forme séculaire, civilisée et avec des
connaissances scientifiques. Quelle que soit sa forme, le système culturel fonctionne sur le
paradigme du héros mythique que les gens sont désireux d’atteindre, de manière à parvenir
à un sentiment d’excellence, de sens dans la vie, et de statut spécial. Par conséquent, les on
se met à construire des édifices, à faire des découvertes scientifiques, à créer des œuvres
d’art, à accomplir des actes héroïques et à fonder des familles qui recouvrent des
générations et des générations. La force motrice derrière toutes ces activités est le désir de
créer des choses dans la société avec une valeur à long terme, qui survivront à la mort et à la
détérioration, ou qui continueront de briller. Becker croyait que nous devions devenir
conscients de notre déni de la mort et des fausses structures culturelles que nous avions
érigées pour nous recouvrir d’un vernis d’héroïsme et que la libération de cette vérité
changerait fondamentalement le monde. Nous réaliserions que les systèmes culturels
existants sont artificiels, et que quoi que nous fassions sur cette planète, nous devons le
faire avec la conscience de la terreur sous-jacente à l’existence.
La mort tient également une place importante dans la pensée des existentialistes,
particulièrement dans la pensée de Martin Heidegger. La mort joue un rôle central dans ses
analyses de l’existence abordées dans Sein un Zeit (Être et Temps) (Heidegger 1927). D’après
Commentaire [E152]: Je ne
comprends pas à quoi renvoie le It ici,
j’imagine au déni de la mort….. J’ai donc
traduit d façon tout aussi vague.
Commentaire [E153]: To justify
oneself or to justify to oneself ?
Heidegger, la conscience de l’impermanence, du néant, et de la mort, traverse
imperceptiblement chaque moment de la vie humaine avant l’occurrence réelle de la mort
biologique ou de sa rencontre avec elle. L’analyse existentialiste révèle que la vie est
«existence vers la mort» (Sein zum Tode). Toutes les spéculations ontologiques doivent
considérer la totalité de l’existence, ainsi que cette partie qui n’existe pas encore, y compris
la toute fin. La conscience de la mort est une source constante de tension et d’anxiété
existentielle dans l’organisme, mais elle fournit aussi un territoire dans lequel l’existence et
le temps semblent avoir une signification plus profonde.
Heidegger suivit la recommandation de son professeur Edmund Husserl qui disait
que les philosophes devaient détourner leur attention du monde naturel vers l’expérience
intérieure. Il voyait l’exploration de soi comme une nécessité fondamentale à notre
appréhension du monde et à notre pensée du monde . Heidegger affirmait avoir décrit des
expériences fondamentales qui sous-tendent notre perception quotidienne du monde et qui
sont cependant au-delà et en-dehors de la portée dela méthode scientifique traditionnelle.
Le point de vue de Heidegger ressemble de près aux impressions des états de conscience
holotropiques. Comme nous l’avons vu au chapitre 8, le point de vue existentialiste tend à
dominer la pensée des personnes qui sont influencées par la seconde matrice périnatale
fondamentale (BPM II) caractérisée par des sentiments de «sans-issue». Dans ce genre de
situation, les gens sont incapables de trouver la seule solution, à savoir l’expérience de la
transcendance.
Révolution conceptuelle des années 1960
Le renouveau d’intérêt pour la recherche sur la conscience et poursur
l’expérimentation de soi dans des années 1960 tourmentées fit avancer l’exploration de la
psyché bien au-delà des frontières de la psychanalyse Freudienne. Une révolution
conceptuelle majeure a pris place alors et son plein impact et sa signification n’ont pas
encore été reconnus et assimilés par les cercles académiques. C’est la découverte
inattendue d’Albert Hofmann concernant les effets psychédéliques du LSD, et les recherches
cliniques ou en laboratoire sur les psychédéliques ainsi que l’exploration de soi nonsurveillée avec ces substances qui joua un rôle majeur dans ce développement. Cependant,
des informations importantes concernant la nature de la conscience et les dimensions de la
psyché humaine étaient générées également par le travail avec les autres méthodes
thérapeutiques capables de provoquer des états holotropiques de conscience.
Parmi ces méthodes se trouvaient de nouvelles thérapies expérientielles : les
groupes de rencontre, les marathons, et les séances de marathons nus, des approches
bioénergiques diverses, la thérapie primale,la Gestalt, et l’hypnose. Des sources
supplémentaires de nouvelles informations révolutionnairesprovenaient des expériences
avec les techniques de laboratoire d’altération de l’esprit, telles que la privation sensorielle,
la surcharge sensorielle, le biofeedback70, et bien des appareils inesthétiques. Les années
70
Biofeedback : un ensemble de techniques principalement relatives à la bioélectricité destiné à la mesure de
fonctions organiques, basé sur la visualisation, avec des appareils électriques, des signaux physiologiques d'un
sujet conscient de ces mesures. Plus précisément, il y a biofeedback lorsque le sujet en question peut contrôler
les fonctions organiques mesurées, soit volontairement (par exemple, d'après les résultats et pour corriger un
stress) ou involontairement (par exemple, après un changement d'état psychologique tel que la survenue d'un
stress) (NdT)
Commentaire [E154]: Kinesthetic
devices/ je sais pas ce que c’est et n’ai pas
trouvé d’infos à ce sujet
1960 virent aussi un regain d’intérêt sans précédent pour des traditions mystiques variées :
la méditation, la sagesse ancienne et aborigène, ainsi que les philosophies orientales. Bien
des personnes, y compris des psychiatres et des psychologues devinrent élèves de
professeurs orientaux en visite ou entreprirent des études sérieuses et des pratiques dans
les ashrams et les monastères. On fit des études scientifiques sur de nombreuses
techniques de méditation et leurs effets sur ceux qui les pratiquaient.
Un développement important de cet âge d’or de la recherche sur la conscience
représentait un véritable saut quantique dans la compréhension de la mort et du rôle
qu’elle joue dans l’inconscient humain. Un des événements les plus marquants fut le livre de
Herman Feifel, Le Sens de la Mort, un recueil d’articles par des médecins, des psychiatres,
des psychologues, des philosophes et des théologiens qui se concentrait sur les problèmes
des personnes mourantes (Feifel 1959). Dans les années qui suivirent la publication de ce
livre, les cercles professionnels s’intéressèrent de plus au sujet de la mort, et les gens prirent
conscience du besoin urgent de changement. On procéda alors à la création de la Fondation
de Thanatologie en vue derassembler les membres des professions de soutien, les ministres,
les philosophes, les écrivains, et toute autre personne intéressée par les problèmes liés à la
mort et par la gestion des individus mourants. Cette organisation fut fondée en 1968 à New
York City par Austin Kutscher qui en devint aussi son premier président.
Cette regaind’intérêt professionnel pour les aspects pratiques et théoriques du
processus de mort atteignit son sommentdans le travail du docteur Elisabeth Kübler-Ross au
département psychiatrique de l’Université de Chicago. Dans son livre pionnier Vivre avec la
mort et les mourants elle fit la synthèsede ses expériences de travail psychothérapeutique
avec des individus grièvement malades et dans ses séminaires de formation dirigés avec
des médecins, des infirmiers, des étudiants et des ministres (Kübler-Ross 1969). Kübler-Ross
fournissait d’amples informations sur le fait que bon nombre de personnes mourantes
nécessitaient urgemment des contacts humains authentiques doublés d’une aide
psychothérapeutique. En valorisant l’importance de la communication ouverte et honnête,
elle insista également sur le fait qu’il était de la dernière importance d’être prêt à avoir un
dialogue ouvert sur n’importe quel problème de pertinence psychologique. Lorsqu’on les
approchait de la sorte, ses patients, qui étaient sur le point de mourir, étaient en mesure
d’enseigner aux survivants d’importantes leçons non seulement sur les dernières heures de
leur vie mais encore sur les aspects uniques de l’existence humaine. Ceux qui étaient
impliqués dans ce processus ressortaient enrichis de l’expérience et souvent moins anxieux
au sujet de leur propre mort.
En travaillant avec les patients souffrant de maladies en phase terminale, KüblerRoss découvrit que leurs attitudes psychologiques et leurs réactions envers la maladie
traversaient des changements progressifs à mesure que leur condition physique se
détériorait. Elle décrivit cinq étapes consécutives que tous ses patients mourants semblaient
traverser. La première, suivant de près le diagnostic de la phase terminale de la maladie,
était le choc temporaire dû à la nouvellesuivi du déni, Cela s’accompagnait d’une ferme
volonté de s’isoler d’amis ou de parents. La réaction prédominante dans la seconde étape
était la colère, laquelle pouvait prendre des formes différentes : colère envers Dieu, jalousie
envers les personnes en bonne santé, ou négativité envers les médecins, les infirmiers ou les
parents. Dans la troisième étape, les patients entamaient une démarche de négociation,
proposant ce qu’ils feraient en échange d’un remède. La dépression qui advenait à la
quatrième étape était une réaction partielle aux pertes comme la perte de l’emploi, des
loisirs, de la mobilité, de l’activité sexuelle et d’autres aspects importants de la vie.L’ autre
Commentaire [E155]: uniquely
human aspects of existence
aspect de la dépression concernait les pertes encore à venir. L’étape finale de l’acceptation
était le moment où l’individu mourant se rendait et réalisait que la mort était inévitable.
Dans le chapitre 9, j’ai traité plus longuement des apports de Raymond Moody sur
les expériences de mort imminente et de son livre révolutionnaire La Vie Après la Vie
(Moody 1975) : cela constitue une autre grande contribution à cette révolution dans les
attitudes professionnelles envers la mort. Le travail pionnier d’Elisabeth Kübler-Ross était
axé surtout sur les changements psychologiques chez les individus mourants et sur l’appui
psychologique à leur destiner. Le Livre de Moody incita à son tour une génération entière de
chercheurs à explorer le phénomène de mort imminente, comme Kenneth Ring, Michael
Sabom, Bruce Greyson, Phyllis Atwater, Barbara Harris Whitefield, et bien d’autres encore.
Recherches psychédéliques et thérapies expérientielles
Les recherches psychédéliques et les thérapies expérientielles ont apporté des
aperçus fascinants concernant la signification du thème de la mort dans l‘inconscient
humain. Les nouvelles observations confirmaient l’intuition générale de Freud sur
l’importance de la mort pour la psychologie, mais révisaient et modifiaient sa vision de façon
substantielle en plus d’aller plus loin. Au lieu de confirmer l’existence de l’instinct de mort
comme force biologique, les résultats de ce travail permirent aux chercheurs d’identifier et
de spécifier les représentations diverses que le thème de la mort prend dans la psyché
humaine.
Au niveau biographique, l’élément de la mort est présent sous la forme de souvenirs
d’événements de la vie postnatale représentant de sérieuses menaces à la survie et à
l’intégrité physique : les opérations, les accidents, les blessures et les maladies graves. Les
souvenirs de situations dangereuses ayant un rapport avec la respiration, comme la
diphtérie, les accès de toux , l’étranglement ou la quasi-noyade sont particulièrement
importantes. Une représentation encore plus profonde de la mort arrive au niveau périnatal.
La naissance biologique est un événement potentiellement menaçant qui peut durer de
nombreuses heures. Certaines personnes sont en fait mortes en naissant et ont été
ranimées ensuite. Au-delà de l’urgence vitale associée à un passage difficile à travers le canal
de la naissance, l’accouchement représente la mort du fœtus comme créature aquatique et
sa transformation en un organisme radicalement différent, le nouveau-né qui respire
désormais de l’air. Revivre la mort dans des états holotropiques comprenant l’urgence vitale
concomitante peut être tellement authentique et convaincant que l’individu impliqué peut
croire qu’il est en fait en train de mourir.
Au niveau transpersonnel, la mort et son processus peuvent prendre des formes
diverses. Nous pouvons nous identifier à nos ancêtres ou à des personnes de pays et de
périodes historiques différentes qui meurent ou dont les vies sont menacées. De telles
séquences issues de l’inconscient collectif sont parfois associées au sentiment de souvenir
personnel, qui les caractérise comme mémoires de vies passées. La mort peut même être
expérimentée par l’identification à un animal ou à une plante. Elle est aussi puissamment
représentée dans les motifs mythologiques de la mort et de la renaissance, sous des thèmes
eschatologiques comprenant des dieux de la mort spécifiques, les enfers de cultures variées,
l’archétype de la Mort, les domaines astraux ou bardo, le voyage posthume de l’âme et les
domaines de l’Au-Delà. Comme nous l’avons vu lorsque nouqs avons traité les matrices
périnatales (chapitre 8), et la transformation rituelle (chapitre 3), les déités des diverses
cultures représentant la mort et la renaissance jouent un rôle important dans les états
holotropiques. La destruction et la mort sont aussi des éléments intrinsèques de grands
thèmes archétypaux comme l’Apocalypse chrétienne ou le Ragnarok nordique (le Perte ou le
Crépuscule des Idoles).
Toutes ces représentations de la mort dans la psyché humaine sont arrangées dans
des systèmes COEX à plusieurs niveaux, constitués d’éléments biologiques, périnataux et
transpersonnels. Associés aux émotions et sensations physiques difficiles, ils sous-tendent
des formes différentes de psychopathologie : la dépression suicidaire, les phobies,
l’addiction au sadomasochisme,l’asthme et les douleurs psychosomatiques. Inversement, la
confrontation avec la mort au cours de la psychothérapie expérintielle et le traitement
conscient du matériel inconscient lié à elle ont un potentiel de guérison transformateuret
évolutif important. De toutes les rencontres variées avec la mort que nous pouvons vivre à
différents niveaux de la psyché, l’une d’entre elles a un profond potentiel de guérison, de
transformation et d’évolution. Il s’agit de la confrontation avec notre mortalité et notre
impermanence au niveau périnatal dans le contexte consistant à revivre la naissance et à
faire l’expérience de la mort et de la renaissance psychospirituelles.
Des épisodes de ce type émergent de façon spontanée dans des états holotropiques
variés, sans la moindre programmation spécifique. Ils représentent l’une des expériences les
plus fréquentes dans la thérapie psychédélique, les séances de Respiration Holotropique, et
dans les émergeances spirituelles. La psyché humaine a de toute évidence une puissante
propension à extérioriser son contenu inconscient profond, et à le ramener à la conscience
pour le traiter. Lorsqu’elle est incomplète l’arrivée à la surface des thèmes inconscients liés à
la mortalité et à l’impermanence, , aboutit à des symptômes émotionnels et
psychosomatiques, alors que l’émergence et l’intégration complète de ce contenu conduit à
la guérison et à la transformation. Cette observation explique la l’omniprésence des divers
rituels de mort-renaissance, et l’importance qui leur est attribuée dans toutes les cultures
anciennes et les sociétés de l’ère préindustrielle.
Conséquences de la mort psychospirituelle et de la renaissance
Les bénéfices que l’on tire du vécu de la mort psychospirituelle et de la renaissance
sont profonds. L’élément clef est le soulagement ou l’élimination de la peur de la mort.
L’explication habituelle de la philosophie occidentale concernant la peur de la mort est
qu’elle reflète les connaissances intellectuelles de notre propre mortalité. Mais la recherche
concernant les états holotropiques a démontré que la peur de la mort n’a que très peu de
rapport avec le fait que nous sachions que nous devons mourir. Ces sources sont plutôt des
souvenirs de situations menaçant la vie de la biographie postnatale et les comptes- rendus
de souvenirs des choses vécues au moment de l’urgence vitale vécue au moment de la
naissance ainsi
qu’au moment des nombreuses crises prénatales. Des racines
supplémentaires, comme les mémoires des vies antérieures ou des événements mettant la
vie ou l’intégrité physique en péril et les motifs archétypaux terrifiants, sont
transpersonnelles par nature. À mesure que ce contenu inconscient commence à atteindre
la conscience, la personne fait l’expérience d’émotions qui menacent sa vie. Mais quand on
permet aux thèmes liés à la mort d’affleurer pleinement à la conscience, ils perdent leur
pouvoir de façonner le vécu de la personne. Cela explique pourquoi la peur de la mort peut
être soulagée de façon significative même chez les patients en phase terminale de cancer qui
savent l’imminence de leur mort.
La profonde ouverture spirituelle est une autre conséquence importante de la
rencontre avec la naissance et la mort au niveau périnatal. Lorsque la régression
expérientielle atteint le domaine périnatal, les expériences prennent la tournure qualifiée de
numineuse par C. G. Jung. Le caractère sacré et sacral de l’expérience est une preuve
convaincante de la nature authentique de la dimension spirituelle de l’existence. J’ai vu
tellement d’athées, de matérialistes, de sceptiques, de marxistes, et de scientifiques
positivistes atteindre ce niveau et vivre un changement radical dans leur vision du monde !
La spiritualité qui s’ouvre dans ce contexte n’a rien à voir avec les religions organisées -elle
est mystique, universelle, non-religieuse, exhaustive. Cette forme de spiritualité peut être
découverte si la rencontre avec la mortest symbolique, comme dans les séances
psychédéliques, la respiration holotropique, l’émergeance spirituelle, ou la méditation ; ou
lorsque la personne frôle la mort de près, au cours d’une crise cardiaque, d’un accident
grave, d’une opération mettant la vie en péril ou une situation dangereuse de guerre ou un
emprisonnement en camp de concentration.
Une expérience achevée et bien intégrée de mort et de renaissance
psychospirituelles améliore de façon significative le bien-être émotionnel et physique du
sujet. Ceux qui avaient précédemment des formes variées de mal-être psychosomatique et
émotionnel vivent généralement beaucoup de soulagement après l’expérience. La
dépression se dissout, l’anxiété et les tensions diverses diminuent et disparaissent, les
sentiments de culpabilité s’estompent, l’image et l’acceptation de soi se fortifient
considérablement. Les gens rapportent un sentiment général de bonne santé physique, de
bon fonctionnement physiologique et une augmentation étonnante de la joie de vivre 71. Les
anciens sentiments d’aliénation sont remplacés par un profond sentiment de syntonie avec
la nature et l’univers. Les gens ont l’impression d’être nés à nouveau, purifiés, rajeunis emplis de profonde sérénité et de joie.
Bon nombre de mes patients affirment que le processus de mort et de renaissance a
profondément transformé leur perception sensorielle, comme si on avait retiré une
pelliculesubtile de leurs sens. Selon l’expression de William Blake, leurs «portes de
perception» ont été nettoyées. Ils comparent leur existence précédente au fait de vivre dans
un cylindre de verre qui les empêchait d’appréhender pleinement la réalité et d’être
syntonisés au monde. À la suite de leur expérience de mort et de renaissance, leurs entrées
sensorielles sont devenues extrêmement riches, fraîches et intenses, parfois de manière
époustouflante. Ils comprennent désormais qu’auparavant ils n’avaient jamais vraiment vu
les couleurs, écouté la musique, senti les odeurs, et apprécié l’infinie nuance des goûts. De la
même façon, leur capacité à apprécier la sexualité et à explorer le potentiel sensuel de leurs
corps s’en trouve grandement augmentés.
La rencontre expérientielle avec la mort influence aussi profondément l’attitude
envers les autres personnes, les animaux et la nature, aussi bien que la hiérarchie des
valeurs et la stratégie de l’existence. Les sentiments agressifs et les impulsions sont
considérablement réduits ; la tolérance, l’empathie, et la compassion augmentent
notablement. Les différences entre les personnes paraissent intéressantes et enrichissantes
plutôt que menaçantes ou irritantes, qu’elles soient liées à l’ethnie, la couleur, le sexe, la
culture, l’orientation politique ou à l’obédience religieuse. Tout dans l’Univers semble
parfait, à sa place exacte , non pas nécessairement en tant que status quo, mais en tant que
processus. Les sentiments nationalistes et patriotiques et les sentiments d’exclusivité sont
71
En français dans le texte (NdT)
remplacés par un sentiment d’appartenance planétaire et un de solidarité avec toute
l’humanité. Ce sentiment de profondes connexions et de préoccupations s’étend aux autres
espèces et à la nature en général. Cela a pour conséquence une sensibilité écologique
développée, y compris dans la préoccupation pour la qualité de l’eau, de l’air de la terre -pré
réquis fondamentaux et nécessaires à la santé et à la survie de toutes les formes de vie sur
notre planète. Protéger ces conditions fondamentales de la vie est de toute évidencevu
comme notre principale priorité, priorité qui ne devrait jamais être entachée par les intérêts
économiques, nationalistes, politiques, idéologiques et autres.
Lorsque l’expérience de la mort et de la renaissance est suivie de sentiments d’unité
cosmique, les patients se voient et voient le monde comme des créations de l’énergie
cosmique impliquées dans une pièce divine. Dans ce contexte, la réalité ordinaire est perçue
dans son essence comme sacrée. Le processus d’ouverture et de transformation spirituelles
s’approfondissent généralement davantage après de tels épisodes transpersonnels :
processus tels que l’identification avec d’autres personnes, des groupes humains entiers, des
animaux, des plantes et des processus divers de la nature. Des séquences supplémentaires
offrent un accès conscient aux événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et
périodes historiques, et même dans les domaines mythologiques, et permettent un accès
aux êtres archétypaux de la conscience collective. Les expériences de l’unité cosmique et de
sa propre divinité conduisent à une plus grande identification avec toute la création et
apportent un sentiment d’émerveillement, d’amour, de compassion et de paix intérieure.
L’expérience de la mort et de la renaissance a pour autre conséquence remarquable
un changement d’orientation marqué en ce qui concerne le temps. Cela se manifeste par un
changement radical du point de vue émotionnel : on passe de la préoccupation pour le passé
et pour les plans et les rêves du futur, à vivre pleinement le moment présent. Cela consiste à
apprécier la nature et les activités de la vie de quotidenne telles que jardiner, cuisiner,
manger, passer du temps avec les autres, et faire l’amour. Après les séances psychédéliques,
bon nombre dede personnes ont montré un intérêt soudain pour l’art, plus particulièrement
la musique et la peinture, ou bien leurs intérêts déjà existants dans ce domaine étaient
intensifiés et approfondis. Les intérêts intellectuels passaient souvent au mysticisme,
chamanisme, aux cultures anciennes et aux philosophies orientales. Pour certains patients,
ces nouveaux intérêts prenaient une forme purement intellectuelle ; pour d’autres, ils
étaient associés à un profond engagement à la pratique spirituelle systématique.
S’il existe des bénéfices potentiels au processus de mort-renaissance, certains risques
lui sont associés. Les séances psychédéliques qui impliquent le niveau périnatal peuvent
certainement faciliter tous les changements positifs profonds mentionnés plus haut, mais de
sérieux complication peuvent subvenir également. Lorsque, par exemple, les séances
psychédéliques concernant les éléments périnataux prennent place dans un contexte et un
cadre problématiques, les expériences sont médiocrement résolues, les complications
possibles peuvent comprendre la dépression avec tendance suicidaire, des instincts
destructeurs et autodestructeurs, des états paranoïaques ou des désillusions grandioses et
messianiques. Ces problèmes ne sont pas exclusivement liés aux états psychédéliques. De
tels dangers sont évoqués dans la littérature mystique, les traditions orales de cultures
aborigènes, et de nombreuses histoires mythologiques. Ces sources avertissent des dangers
qui menacent un chercheur ou aventurier spirituel inattentif ou inexpérimenté, comme la
maladie physique, la folie et même la mort. L’appui, la préparation et la guidage adéquats,
sont des prérequis essentiels pour explorer les profonds territoires de l’esprit humain.
Recherches sur les états holotropiques : statut actuel
Comme nous l’avons vu, les recherches sur les états holotropiques a apporté
beaucoup d’impressions fascinantes sur problèmes fondamentaux liés à la mort et à son
processus, à savoir : la phénoménologie des expériences de mort imminente, la peur de la
mort et son rôle dans la vie humaine, la survie de la conscience après la mort, et la
réincarnation. Ces aperçus sont d’une grande importance théorique pour, les psychiatres, les
psychologues les anthropologues et les thanatologues. Ils sont également essentiels à toute
compréhension approfondie des phénomènes comme le chamanisme, les rites de passage,
les mystères des temps anciens de la mort et de la renaissance, ainsi que les grandes
religions du monde. En outre, cette recherche a accru de manière significative notre
connaissance de la nature et de l’architecture des désordres émotionnels et
psychosomatiques, y compris les psychoses fonctionnelles, outre le fait qu’elle propose de
nouvelles stratégies pour les traiter.Étant donné que nous allons tous affronter la mort à un
moment donné, cette nouvelle compréhension de la mort et de son processus représente
une information d’une importance cruciale pour chaque être humain. La thérapie
psychédélique avec les patients atteints de cancers et les individus atteints d’autres maladies
en phase terminale mérite ici une attention particulière. Ayant été le témoin des effets
bénéfiques de ce traitement sur les patients avec des formes extrêmes de souffrances
émotionnelles et physiques, j’ éprouve une profonde tristesse à voir que cette thérapie soit
refusée à d’innombrables personnes qui en ont désespérément besoin. J’espère
fermementque, dans un futur proche, les législateurs, les administrateurs et les politiciens
puiseront leurs informations dans les écrits scientifiques plutôt que par des articles de la
presse à sensation, qu’ils prendront du recul par rapport à l’hystérie entourant les
substances psychédéliques, et qu’ils remettront cet outil prometteur aux mains des
cliniciens et des patients.
J’ai confiance en le fait que les efforts à long terme destinés à légaliser la thérapie
psychédélique sont en train de rencontrer quelques succès. Les recherches à base de
substances psychédéliques ont été légalement poursuivies dans quelques états de au sein
des Etats –Unis et à l’étranger grâce à la persévénrance de Rick Doblin, Président de
l’Association Multidisciplinaire pour les Etudes Psychédéliques (MAPS72) et à d’autres
défenseurs. Ces nouveaux projets comprennent plusieurs études de thérapie psychédélique.
Le Docteur Michael Mithoefer est en train d’évaluer le potentiel thérapeutique du MDMA
(3,4-methylenedioxy-N-methylamphetamine), ou ecstasy, dans une étude de thérapie à base
de MDMA chez des sujets présentant des désordres liés au stress post-traumatique. Il s’agitlà du premier protocole FDA jamais approuvé, destiné à étudier le potentiel thérapeutique
éventuel du MDMA.
D’autres études de thérapie psychédélique sont menées avec des patients atteints de
cancers. Le Docteur Charles Grob, un psychiatre du Centre Médical Harbor-UCLA de Los
Angeles, est actuellement en train de diriger une recherche sponsorisée par l’Institut de
Recherche Heffter, avec l’approbation de l’Administration des Nourritures et Drogues73
(FDA) afin d’examiner dans quelles mesures la psilocybine peut aider les patients en phase
72
MAPS : Multidisciplinary Association for Psychédélic Studies. C’est cette association qui a publié The Ultimate
Journey en version originale(NdT)
73
FDA : Food and Drug Administration (NdT)
terminale de la maladie à gérer les souffrances émotionnelles et physiques, et les problèmes
spirituels associés à la mort. Les résultats préliminaires montrent que la thérapie à basse de
psilocybine, administrée dans un cadre thérapeutique et dans le contexte d’une étude
soigneusement structurée, peut être remarquablement bénéfique ; on a observé chez les
patients de Grof une diminution de l’anxiété, un meilleur moral, des rapports avec la famille
et avec les amis plus approfondis, mais aussi une réduction de leur douleur .
Cela fait quarante ans que les psychologues Timothy Leary et Richard Alpert mènent
également des recherches psychédéliques sontà l’Université d’Harvard après que le
« scandale des drogues » ait fait fureur. . L’étude actuelle, dirigée par le Docteur John
Helpern, Directeur Associé des Recherches sur l’Abus de Substances à l’Ecole Médicale
d’Harvard de l’Hôpital Mac Lean, a été autorisée par la reçu FDA en 2004 àadministrer la
substance psychédélique MDMA à des patients à des stades évolués de leur cancers. Plus
d’un an après, le DEA octroya une licence àcette recherche. Maintenant que l’approbation
légale a été obtenue, l’équipe d’Harvard avance. Ce projet, qui dans un premier temps au
cours des phases initiales du plan et de l’approbation légale a reçu des fonds et de l’aide de
MAPS pendant les se concentre désormais sur les usages duMDMA destinés à soulager
l’anxiété, réduire la douleur, et rehausser la qualité de vie.
Les Docteurs Grob et Halpern espèrent que les résultats satisfaisants faciliteront
l’introduction de la thérapie psychédélique dans la pratique hospitalière comme moyen
d’aider une grande partie des patients affrontant la mort. Je sais de mon’expérience au
Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland que cette étape contribuera aux
stratégies de soins palliatifs que la profession médicale est en mesure de proposer caux
personnes affrontant la mort.
Implications globales de la nouvelle conceptionde la mort
Je conclurai en traitant de certaines de l’incidence considérable que les observations
des recherches sur la conscience ainsi que ’une nouvelle conception de la mort peuvent
avoir pour la crise globale que l’humanité est en train d’affronte actuellement. Des auteurs
contemporains, tels qu’Alan Harrington et Ernest Becker ont souligné que le déni massif de
la mort mène à des pathologies sociales ayant de dangereuses conséquences pour
l’humanité (Harrington 1969, Becker 1973). Pendant la seconde moitié du vingtième siècle,
les recherches psychédéliques, la thanatologie et les nouvelles formes expérientielles de
psychothérapie, ont non seulement fourni suffisamment de preuves pour étayerce point de
vue, mais elles ont en outre montré de manière assez précise dans quelles mesures notre
attitude envers la mort est liée aux dilemmes fondamentaux qui nous travaillent.
Dans la psyché humaine, la mort est puissamment représentée sous la forme de
souvenirs de situations mettant la vie en péril dans la vie post-natale, pendant la naissance
et dans l’existence prénatale. Des thèmes supplémentaires liés à la mort et à
l’impermanence constituent un aspect important des domaines historiques, karmiques et
archétypaux de l’inconscient collectif. Ces éléments de l’inconscient personnel et collectif
jouent un rôle crucial dans bien des désordres psychosomatiques. Ils représentent aussi
l’une des deux sources les plus importantes de deux aspects infâmes de la nature humaine :
l’avidité insatiable et la disposition envers ce que Erich Fromm appelait agression maligne
(Fromm 1973).
L’avidité et la violence sont les deux forces principales à avoir dirigé l’existence
humaine pendant des millénaires. Jusqu’à présent, leurs tragiques conséquences se
limitaient à ceux qui étaient participaient aux nombreuses guerres, révolutions et
conquêtes ; ils n’allaient pas jusqu’à menacerl’évolution de l’espèce humaine dans sa
globalit é et ne présentaient pas de dangers majeurs envers l’écosystème et la biosphère de
la planète. La nature se remettait complètement en l’espace de vingt ans même après les
guerres les plus violentes, . Cependant, depuis un siècle, cette situation a changé du tout au
tout. Les progrès technologiques rapides, la croissance exponentielle de la production
industrielle, une explosion massive de la population et, plus particulièrement, la découverte
de l’énergie atomique ont à jamais changé l’équilibre des forces en puissance. Apprivoiser
ces tendances dangereuses inhérentes à la nature humaine est devenu un besoin impératif à
notre survie et à la survie de la planète dans sa globalité.
La psychothérapie et l’exploration de soi apportent de l’espoir à cette situation
lugubre. Les techniques fondées sur l’expérience holotropique rendent possible d’une part
l’émergence à un niveau conscient des contenus liés à la mort depuis les différents niveaux
de la psyché, et d’autre part de vivre la mort pleinement et de réduire ou d’éliminer ainsi
son impact émotionnel sur l’individu. Au fil des ans, j’ai été le témoin de guérisons
émotionnelles et psychosomatiques profondes, mais aussi de la transformation radicale de
la personnalité, chez des milliers de personnes en quête intérieure approfondie. Certaines
étaient des personnes ayant une pratique spirituelle régulière comme la méditation,
d’autres avaient supervisé des séances psychédéliques ou participé aux nombreuses formes
de psychothérapie expérimentielle et d’exploration de soi. J’ai également vu des
changements positifs profonds chez bien des personnes qui recevaient un soutien adéquat
pendant des épisodes spontanés de crises psychospirituelles.
Après avoir été confronté à la mort de manière pratique , plus particulièrement dans
le contexte de la mort et de la renaissance psychospirituelles, le niveau d’agression diminue
considérablement. Les gens deviennent plus paisibles et à l’aise avec eux-mêmes et plus
tolérants envers les autres. L’expérience de la mort psychospirituelle et de la renaissance et
une connexion constante aux souvenirs postnataux ou prénataux qui réduit par ailleurs les
forces irrationnelles et les ambitions exagérées. À mesure que le point de concentration
émotionnel passe du passé et/ou du futur au moment présent, les gens sont davantage
capables d’apprécier les situations quotidiennes et simples de la vie comme la nourriture,
faire l’amour, la nature et la musique. Une spiritualité accrue résulte également de ce
processus, une spiritualité d’une nature universelle et mystique, qui est à la fois authentique
et convaincante car elle est fondée sur une profonde expérience personnelle.
Ce processus d’ouverture spirituelle et de transformation s’approfondit grâce aux
expériences transpersonnelles -l’identification avec les autres personnes, les groupes
humains entiers, les animaux, les plantes et même les matériaux inorganiques et les
processus au sein de la nature. Des expériences qui y sont liées fournissent un accès
conscient à des événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et périodes historiques,
et même dans les domaines mythologiques, et ils offrent également un accès aux êtres
archétypaux de l’inconscient collectif. Une identification croissante avec toute la création et
un sentiment d’émerveillement, de compassion et de paix intérieure suivent la
connaissance de l’unité cosmique et de sa propre divinité, . Les personnes qui se connectent
au domaine transpersonnel de leurs psychés tendent ainsi à développer une nouvelle
appréciation pour l’existence et une vénération pour la vie tout entière. Une des
conséquences les plus frappantes de ce processus est que des préoccupations humanitaires
et écologiques profondes émergent de façon spontanée, et les gens cherchent à s’engager à
servir les intérêts généraux. Cette attitude est fondée sur une conscience presque cellulaire
que les frontières dans l’univers sont arbitraires ; chacun de nous ne fait qu’un avec la toile
entière de l’existence.
, Une telle transformation augmenterait de façon évidente nos chances de survie si
elle adevenait à une échelle suffisamment grande. Ce scénario requerrait de soutenir
officielement les « technologies du sacré » sous la forme de nombreuses pratiques
spirituelles, de thérapies expérientielles avecétats de conscience holotropiques, des
psychothérapies supervisées à base de substances psychédéliques, des rituels chamaniques
et des rites de passage. Même si cette condition pouvait être remplie, il n’est pas certain que
la transformation radicale que j’ai vue de façon répétée dans des cas individuels puisse être
menée à grande échelle. Cette transformation pourrait-elle être accomplie suffisamment
rapidement pour contrebalancer la crise globale qui s’accroît de plus en plus ? voilà une
autre question plus importante encore
Les problèmes de la survie de la conscience après la mort, de la réincarnation et du
karma sont également très pertinents pour la crise mondiale actuelle. Notre comportement
est profondément affecté par nos croyances dans ce domaine. Il y a plus de 2000 ans, Platon
fit remarquer les profondes implications morales qu’il y avait dans la croyance en
l’immortalité. Dans sa République, la discussion de Platon au sujet de l’immortalité de l’âme
et de la justice ultime se termine par l’expérience de de mort imminente du célèbre guerrier
Er, qui a été tué dans une bataille (Platon 1961b). Une fois revenu à la vie, Er raconte qu’au
moment où son âme quitta son corps, il voyagea dans une région mystérieuse où il fut le
témoin du jugement divin et d’une récompense posthume envers les justes et un châtiment
envers les dépravés. Le concept de la justice post-mortem apparaît également dans son
dernier texte, les Lois, où il cite Socrate en disant que l’absence de la préoccupation pour ses
actions après la mort serait à « l’avantage des vils » (Platon 1961c).
Dans les chapitres précédents, j’ai revisité certaines observations stipulant la
possibilité de la survie de la conscience après la mort ainsi que celle de la réincarnation. Bien
que ces informations issues de la recherche ne soient pas suffisantes en et par elles-mêmes
pour convertir un matérialiste pur et dur, les expériences d’oùelles sont tirées sont
extrêmement convaincantes. De telles expériences holotropiques peuvent affecter les gens
si profondément qu’elles peuvent être la cause de changements fondamentaux dans leur
comportement. Le nouveau code moral qui en résulte n’est pas fondé sur les
commandements, les interdictions, les prohibitions et la peur du châtiment, mais sur une
conscience cellulaire de l’unité sous-tendant toute la création et les lois universelles qui la
gouvernent.
A mesure u’une combinaison d’avidité débridée, d’agressions malignes et
l’existence d’armes de destruction massive menace la survie de l’humanité et probablement
la vie sur cette planète, nous devons prendre sérieusement en considération tout ce qui est
susceptible d’offrir de l’espoir. Cependant, aussi peu plausible quoique la possibilité d’une
transformation profonde à grande échelle semble-t’elle , le fait qu’elle puisse arriver de
façon régulière au niveau de chaque individu est hautement significatif. L’expérience m’a
appris que les individus qui sont capables d’affronter la mort et de l’accueillir dans leur
processus intérieur, tendent à développer un sentiment de citoyenneté planétaire, de
respect pour la vie sous toutes ses formes, une profonde sensibilité écologique, une
spiritualité de type universel et global, une aversion pour la violence et une réticence
marquée à voir l’agression comme forme acceptable de résolution des conflits. Une
transformation intérieure aussi radicale et une élévation vers un nouveau niveau de
conscience est peut-être la seule véritable chance de survie pour l’humanité.
Commentaire [E156]: Redite de plus
haut P 311 dans livre et 315-316 ? est-ce
normal ?
Chapitre 16
PSYCHE ET THANATOS : LA MORT DANS LA PSYCHOLOGIE ET LA SOCIETE
OCCIDENTALES
Il me semble que l’une des expériences humaines les plus fondamentales, une
expérience authentiquement universelle, et qui unit - ou plus précisément qui pourrait unir toute l’humanité, est l’expérience de la transcendance, dans son sens le plus large.
Vaclav Havel, Président de la République Tchèque
CE N’EST QUE TRES RECEMMENT que la psychologie et la psychiatrie traditionnelles
ont commencé à intéresser à la mort et à l’impermanence, aspects cependant essentiels de
la vie humaine qui avaient été amplement négligés. Les premières recherches significatives
dans ce domaine furent d’abord conduites par les pionniers de la psychologie des
profondeurs (comme Freud, Jung, Adler), l’anthropologiste et clinicien Ernest Becker et
certains des philosophes existentialistes qui croyaient à leur façon que la mort jouait un rôle
important dans la psyché et qu’elle influençait profondément la vie humaine. Ils tombèrent
d’accord sur l’importance d’accepter la mort : selon eux, c’était là un prérequis à une
stratégie d’existence réussie. Cependant, ils seraient surpris aujourd’hui des dimensions que
les recherches postérieures ont révélées concernant la puissante représentation de la mort
au sein de la psyché, y compris dans la forme spécifique que prend la présence de la mort
aux niveaux biographiques, périnataux et transpersonnels. En outre aucun de ces pionniers
n’a anticipé la solution radicale aux problèmes liés à la mort qui a été rendue possible par la
thérapie psychédélique et les méthodes expérimentales, lesquelles ne font pas usage de
drogues et utilisent les états holotropiques. Ce travail a conduit à une nouvelle
compréhension de la mort et de son processus avec de profondes implications pour le futur
de l’humanité.
Pionniers de la psychologie des profondeurs et de la philosophie existentialiste
Sigmund Freud, neurologue viennois et fondateur de la psychanalyse, fut le premier
de ces pionniers de la psychologie des profondeurs à prendre en considération la mort dans
ses théories. Étant donné que Freud ouvrit à lui seul ce vaste domaine d’études
psychologiques, il n’est pas surprenant que ses points de vue concernant la pertinence de la
mort aient évolué depuis de façon radicale à travers les années. Dans ses premiers écrits,
Freud concevait la psyché humaine comme étant gouvernée par une tension dynamique
entre deux forces conflictuelles - la force sexuelle (libido), et la force d’auto-préservation
(instinct de l’ego). Durant ces premières années, Freud croyait aussi que la principale force
de motivation dans la psyché était ce qu’il appelait le «principe de plaisir» (das Lustprinzip),
à savoir une tendance à éviter la gêne et à rechercher la satisfaction. À ce stade-là de sa
carrière, Freud ne considérait pas le problème de la mort comme étant pertinent. Il voyait
l’inconscient comme un domaine au-delà du temps et de l’espace, incapable de connaître et
de reconnaître la mort comme fait. De son point de vue, les problèmes qui semblaient liés à
la mort, comme la peur de la mort, n’avaient rien à voir avec la mort biologique et ils
masquaient en réalité d’autres problèmes. La peur de la mort pouvait avoir pour cause les
envies de mort d’une autre personne, lesquelles semblaient inacceptables au surmoi qui
s’empressait alors de les tourner vers le sujet. Cela pouvait être aussi un substitut à la peur
d’un orgasme sexuel irrépressible, la peur de la perte de contrôle, ou la peur de la castration.
Au tout début de son travail, la peur de la mort était essentiellement enracinée dans les
conflits des étapes pro-œdipales et œdipales du développement libidinal (Fenichel 1945).
La pensée de Freud au sujet de la mort commença à changer radicalement lorsqu’il
découvrit l’existence de phénomènes qui n’étaient de toute évidence pas gouvernés par le
principe du plaisir ; le masochisme primaire, le besoin d’un châtiment, l’automutilation et le
suicide violent. Dès lors, son concept précédent de la psyché devenait incohérent et
nécessitait d’être réexaminé dans son ensemble A mesure que Freud se débattait avec les
concepts associés à ce problème et remis en question lui réalisa que les phénomènes qui
étaient « au-delà du principe du plaisir» ne pouvaient pas être compris ou expliqués en
dehors du problème de la mort. Les premières indications de ce changement se trouvent
dans ses formulations théoriques publiées entre 1913 et 1920, spécialement dans son
analyse de la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, intitulée « le Thème des trois
Coffrets » (Freud 1925a) et dans son essai « Considérations actuelles sur la Guerre et la Mort»
(Freud 1925b). Dans ces essais, Freud indique qu’il réexamine ses anciennes thèses selon
lesquelles il n’y avait aucune représentation de la mort dans l’esprit humain. En 1920, il
acheva une synthèse et une intégration de ses divers points de vue sur la mort et formula
une nouvelle théorie biopsychologique plus exhaustive sur la personnalité humaine.
Dans sa nouvelle psychologie que Freud, exprimait dans son livre Au-delà du
Principe du Plaisir, la psyché n’était plus le champ où se déroulait la bataille entre la force
sexuelle et l’instinct d’auto-préservation. La libido (Eros), continuait à être l’une des deux
forces en compétition, mais Freud appelait désormais l’autre nouvelle force en opposition
«l’instinct de mort» (Thanatos), (Freud 1975). Le but d’Eros était de préserver la vie et celui
de Thanatos était de contrer la vie, de la détruire, en vue de finalement la ramener au
domaine inorganique d’où elle provenait originellement. Pour Freud il y avait une profonde
relation entre ces deux groupes de forces instinctives et les deux processus biochimiques
dans l’organisme humain : l’anabolisme et le catabolisme. Les processus anaboliques
contribuent à la croissance, au développement, et au stockage de nutriments. Les processus
cataboliques sont destructeurs, épuisent les réserves et libèrent l’énergie. Freud associait
aussi l’activité de ces deux forces à la destinée de deux groupes de cellules dans l’organisme
humain - les cellules germinales qui sont potentiellement immortelles, et les cellules
somatiques, qui constituent le corps et qui sont destinées à mourir.
Dans ses premiers travaux, Freud considérait presque toutes les manifestations
d’agression comme des expressions de la sexualité donc sadiques par nature; dans le
nouveau cadre conceptuel, il reliait l’agression à l’instinct de mort. D’après sa nouvelle
vision, l’instinct de mort opérait dans l’organisme humain depuis le tout début, le
convertissant graduellement en un système inorganique. La force destructrice pouvait et
devait être en partie détournée de son but primaire et dirigée vers d’autres organismes. Que
l’instinct de mort soit orienté vers des objets dans le monde extérieur, ou contre l’organisme
lui-même, n’avait pas d’importance, du moment qu’il pouvait atteindre son but destructeur.
La formulation finale de Freud concernant le rôle de l’instinct de mort apparut dans
son dernier ouvrage L’Abrégé de Psychanalyse (Freud 1949). La dichotomie fondamentale
entre les deux forces en puissance, l’instinct d’amour (Eros ou Libido) et l’instinct de mort
(Thanatos ou Destrudo) devint la pierre angulaire de la compréhension du processus mental
selon Freud. Ce concept, qui dominait sa pensée pendant les dernières années de sa vie, ne
généra pas beaucoup d’enthousiasme parmi ses disciples, et ne fut jamais pleinement
incorporé dans la psychanalyse traditionnelle. Rudolf Brun, qui fit des recherches statistiques
approfondies portant sur les essais concernant la théorie de Freud sur l’instinct de mort,
trouva que 94% d’entre eux étaient de toute évidence défavorables au concept de Freud
(Brun 1953).
Bien que, pour Freud, Eros et Thanatos soient perçus comme des instincts
biologiques, ils avaient des caractéristiques mythologiques bien définies, tout comme les
archétypes jungiens. Beaucoup de psychanalystes, y compris ses disciples, considéraient
l’intérêt de Freud pour la mort, et son inclusion de Thanatos dans sa théorie des instincts,
comme une enclave étrangère dans le développement de son cadre psychologique. Plusieurs
critiques ont suggéré que les spéculations de Freud concernant Thanatos étaient influencées
de façon défavorable par son âge avancé et par une variété de facteurs externes
traumatisants : son intense thanatophobie, la mutilation de sa mâchoire due à une tumeur
mal diagnostiquée, une prothèse maxillaire mal ajustée, une réaction émotionnelle à son
cancer de la langue, la mort de plusieurs membres de sa famille, et les meurtres
innombrables de la première guerre mondiale.
Les critiques de Freud affirmaient que ce changement inattendu dans sa manière de
penser reflétait sa propre préoccupation pathologique à l’égard de la mort alors qu’en
réalité Freaudt était très en avance sur ses disciples. Ainsi qu’il en est question plus loin dans
ce chapitre, la recherche sur la conscience au cours de ces cinquante dernières années a
confirmé l’intuition générale de Freud concernant l’importance de la mort pour la
psychologie. Bien postérieure que la recherche n’ait pas confirmé l’existence d’un instinct
de mort biologique, tel que le concevait Freud, de riches représentations du thème de la
mort ont été découvertes dans les trois niveaux de l’inconscient - biographique, périnatal et
transpersonnel. Nous savons aussi que l’élément « mort » joue un rôle important dans la
psychogénèse de beaucoup de désordres émotionnels et psychosomatiques.
Alfred Adler, renégat psychanalytique et fondateur de l’école de psychologie
individuelle, était un autre pionnier de la psychologie des profondeurs à avoir reconnu qui
l’importance cruciale dela mort (Adler 1932). D’après le compte-rendu qu’il en a fait, la vie
d’Adler et son travail étaient influencés par sa rencontre bouleversante avec la mort. À l’âge
de cinq ans, il contracta une pneumonie aiguë, et son médecin déclara sa situation
désespérée. Après son rétablissement, il décida d’étudier la médecine en vue de pouvoir
maîtriser la mort. La conséquence directe du fait d’avoir frôlé la mort de près lorsqu’il était
très jeune fut qu’Adler en vint à interpréter les sentiments d’insuffisanceet d’impuissance,
couplés à la profonde envie de les dépasser, comme étant la force laplus importantede la
psyché (la «protestation masculine»).Ainsi , l’incapacité d’une personne à empêcher et à
contrôler la mort était le des sentiments d’insuffisance le plus profond. Bien qu’Adler n’ait
pas explicitement inclu la peur de la mort dans sa théorie, les recherches de toute sa vie
étaient certainement très profondément influencées par son expérience de mort
imminente. La théorie d’Adler mettait l’accent sur le courage et sur la capacité à affronter les
aspects dangereux de l’existence humaine.
Nous avons également vu au chapitre 9 à quel point C.G. Jung, autre pionnier de la
psychologie des profondeurs, avait été influencé par son expérience de mort imminente.
Jung avait aussi un profond intérêt pour la mort, même si sa compréhension différait de
Commentaire [E157]: his
psychological framework
façon significative des spéculations de Freud. Dans son essai De la Psychologie de
l’Inconscient, il réfuta le concept de Freud selon lequel les deux instincts fondamentaux, Eros
et Thanatos, constituaient les forces gouvernant la psyché (Jung 1953). Il récusait
également l’idée a thèse de pas de Freud selon laquelle le but d’Eros est d’établir des unités
toujours plus grandes et de les préserver, et que le but de Thanatos est de défaire les liens et
de les détruire. Jung affirmait qu’un tel choix de contraires reflétait des attitudes de l’esprit
conscient et non les dynamiques de l’inconscient. Il voyait l’opposé logique de l’amour
comme étant la haine, et celui d’Eros comme étant Phobos (la peur). Cependant, le contraire
psychologique de l’amour est la volonté de puissance, une force cardinale dans toutes les
théories d’Alfred Adler.
Jung a observé que là où règne l’amour, il n’existe aucune volonté de puissance ; et
que là où la volonté de puissance prédomine, l’amour est absent. Jung constatait que Freud
était contraint de considérer Thanatos l’instinct de mort destructeur comme étant le
contraire d’Eros parce qu’il faisait une concession à la logique intellectuelle d’une part, et au
préjudice psychologique d’autre part. D’après Jung, Eros n’est pas l’équivalent de la vie. Mais
pour ceux qui identifient Eros à la vie, son contraire sera tout naturellement la mort. Nous
pensons tous que le contraire de notre principe le plus élevé est purement destructeur et
mauvais. Ainsi nous ne pouvons nullement octroyer à la mort des qualités positives, et nous
avons tendance à la craindre et à l’éviter.
Les spécificités de la contribution de Jung à la thanatologie étaient sa pleine
conscience d’à quel point les motifs liés à la mort étaient représentés puissamment dans
l’inconscient. Lui et ses disciples ont attiré l’attention des psychologues occidentaux ainsi
que du grand public sur l’importance capitale du thème de la mort psychospirituelle et de la
renaissance, avec toutes ses variations symboliques, dans l’histoire spirituelle et rituelle de
l’humanité. Ils ont rassemblé et analysé de nombreux exemples du symbolisme de la mort et
de la renaissance issus de cultures diverses et de périodes historiques, allant de la
mythologie des Aborigènes d’Australie à l’alchimie. Cependant, ils n’ont pas reconnu ni
apprécié la relation du symbolisme archétypal de la naissance biologique et de ses étapes (cf
la description des matrices périnatales au chapitre 8). Les psychologues jungiens ont apporté
une autre contribution majeure à notre compréhension de la naissance par leur exploration
des mythologies eschatologiques de différentes cultures et périodes historiques.
Les problèmes liés à la mort jouèrent également un rôle capital dans la psychologie
de Jung à propos du processus d’individuation. Il insista sur le fait qu’il était crucial de voir la
mort comme étant aussi importante que la naissance et de l’accepter comme faisant partie
intégrante de la vie. Si nous pensons que l’ascension de la vie a un but et un objectif, alors sa
descente ne doit-elle pas en avoir aussi? Au lieu de s’accrocher désespérément au passé, on
devrait affronter la mort comme faisant partie d’un processus téléologique naturel. Un point
de vue utile seraitde voir la mort comme la fin de l’homme empirique et comme le but de
l’homme spirituel. Alors que la sexualité est la force dominante dans la première moitié de la
vie humaine, dans l’idéal, les problèmes du déclin biologique et de l’approche de la mort
devraient être le point d’attention central dans la seconde moitié de la vie.
La préoccupation du problème de la mort paraît normale dans les dernières
décénnies de la vie, là où son occurrence dans les années précédentes est généralement
associé à la psychopathologie. Cependant, éviter les problèmes de la mort et de
l’impermanence dans les dernières années est également problématique. Jung a fortement
critiqué ceux qui étaient incapables d’embrasser la mort, et il a exprimé son opinion de
façon assez explicite : «Pour le psychothérapeute, un vieillard qui ne peut pas dire adieu à la
Commentaire [E158]: il semble bien
que c’est comme ça qu’on dit en psycho.
Mais sinon on peut mettre
indivisualisation.
vie semble aussi fragile et aussi malade qu’un jeune homme qui est incapable de
l’embrasser». Le processus d’individuation tel que Jung le concevait aboutissait à un
achèvement de la personnalité et impliquait de résoudre le problème de la mort. Le but de
cette thérapie était d’atteindre la complétude. Une personne qui voit la vie et la mort
comme s’opposant n’est certainement pas complète (Jung 1967, 1970a, 1970 b).
Le livre d’Ernest Becker The Denial of Death : A perspective in Psychiatry and
Anthropology (Le Déni de la Mort : une Perspective de Psychiatrie et d’Anthropologie Becker
1973) contitue une autre contribution importante et influente à la littérature sur la mort.
Becker était anthropologue de formation mais il acquit des compétences considérables en
tant que psychiatrique clinicien et en tant que théoricien lorsqu’il était étudia avec Thomas
Szasz, lui aussi célèbre psychiatre et critique de cette discipline. Becker affirmait que le
problème central de l’existence humaine était que nous sommes mortels et que nous
sommes tous destinés à mourir. Bien qu’il s’agisse là d’une réalité évidente de notre vie, la
peur qui lui est associée est tellement forte et envahissante que nous utilisons tous les
moyens possibles pour nier cette évidence. C’est ce déni de la mort qui pour Becker est la
cause virtuelle de toutes les pathologies auxquelles sont sujets les êtres-humains. La façon
dont cela se manifeste est le narcissisme , un besoin obsessionnel d’être reconnu comme
important. Cela constitue ce que Becker appelait la «destinée tragique humaine», effort
désespéré consistant à se justifier à soi-même que l’on est un objet de grande valeur dans
l’univers, d’être une figure héroïque, et d’apporter une plus grande contribution au monde
que les autres.
Becker voyait toutes les cultures comme des systèmes qui fournissaient à leurs
membres une opportunité de devenir le genre de héros que cette «destinée tragique»
requiert. La forme de ce système culturel n’y change pas grand-chose, que ce soit une forme
primitive , magique, religieuse ou que ce soit une forme séculaire, civilisée et avec des
connaissances scientifiques. Quelle que soit sa forme, le système culturel fonctionne sur le
paradigme du héros mythique que les gens sont désireux d’atteindre, de manière à parvenir
à un sentiment d’excellence, de sens dans la vie, et de statut spécial. Par conséquent, les on
se met à construire des édifices, à faire des découvertes scientifiques, à créer des œuvres
d’art, à accomplir des actes héroïques et à fonder des familles qui recouvrent des
générations et des générations. La force motrice derrière toutes ces activités est le désir de
créer des choses dans la société avec une valeur à long terme, qui survivront à la mort et à la
détérioration, ou qui continueront de briller. Becker croyait que nous devions devenir
conscients de notre déni de la mort et des fausses structures culturelles que nous avions
érigées pour nous recouvrir d’un vernis d’héroïsme et que la libération de cette vérité
changerait fondamentalement le monde. Nous réaliserions que les systèmes culturels
existants sont artificiels, et que quoi que nous fassions sur cette planète, nous devons le
faire avec la conscience de la terreur sous-jacente à l’existence.
La mort tient également une place importante dans la pensée des existentialistes,
particulièrement dans la pensée de Martin Heidegger. La mort joue un rôle central dans ses
analyses de l’existence abordées dans Sein un Zeit (Être et Temps) (Heidegger 1927). D’après
Heidegger, la conscience de l’impermanence, du néant, et de la mort, traverse
imperceptiblement chaque moment de la vie humaine avant l’occurrence réelle de la mort
biologique ou de sa rencontre avec elle. L’analyse existentialiste révèle que la vie est
«existence vers la mort» (Sein zum Tode). Toutes les spéculations ontologiques doivent
considérer la totalité de l’existence, ainsi que cette partie qui n’existe pas encore, y compris
la toute fin. La conscience de la mort est une source constante de tension et d’anxiété
Commentaire [E159]: Je ne
comprends pas à quoi renvoie le It ici,
j’imagine au déni de la mort….. J’ai donc
traduit d façon tout aussi vague.
Commentaire [E160]: To justify
oneself or to justify to oneself ?
existentielle dans l’organisme, mais elle fournit aussi un territoire dans lequel l’existence et
le temps semblent avoir une signification plus profonde.
Heidegger suivit la recommandation de son professeur Edmund Husserl qui disait
que les philosophes devaient détourner leur attention du monde naturel vers l’expérience
intérieure. Il voyait l’exploration de soi comme une nécessité fondamentale à notre
appréhension du monde et à notre pensée du monde . Heidegger affirmait avoir décrit des
expériences fondamentales qui sous-tendent notre perception quotidienne du monde et qui
sont cependant au-delà et en-dehors de la portée dela méthode scientifique traditionnelle.
Le point de vue de Heidegger ressemble de près aux impressions des états de conscience
holotropiques. Comme nous l’avons vu au chapitre 8, le point de vue existentialiste tend à
dominer la pensée des personnes qui sont influencées par la seconde matrice périnatale
fondamentale (BPM II) caractérisée par des sentiments de «sans-issue». Dans ce genre de
situation, les gens sont incapables de trouver la seule solution, à savoir l’expérience de la
transcendance.
Révolution conceptuelle des années 1960
Le renouveau d’intérêt pour la recherche sur la conscience et poursur
l’expérimentation de soi dans des années 1960 tourmentées fit avancer l’exploration de la
psyché bien au-delà des frontières de la psychanalyse Freudienne. Une révolution
conceptuelle majeure a pris place alors et son plein impact et sa signification n’ont pas
encore été reconnus et assimilés par les cercles académiques. C’est la découverte
inattendue d’Albert Hofmann concernant les effets psychédéliques du LSD, et les recherches
cliniques ou en laboratoire sur les psychédéliques ainsi que l’exploration de soi nonsurveillée avec ces substances qui joua un rôle majeur dans ce développement. Cependant,
des informations importantes concernant la nature de la conscience et les dimensions de la
psyché humaine étaient générées également par le travail avec les autres méthodes
thérapeutiques capables de provoquer des états holotropiques de conscience.
Parmi ces méthodes se trouvaient de nouvelles thérapies expérientielles : les
groupes de rencontre, les marathons, et les séances de marathons nus, des approches
bioénergiques diverses, la thérapie primale,la Gestalt, et l’hypnose. Des sources
supplémentaires de nouvelles informations révolutionnairesprovenaient des expériences
avec les techniques de laboratoire d’altération de l’esprit, telles que la privation sensorielle,
la surcharge sensorielle, le biofeedback74, et bien des appareils kinesthétiques. Les années
1960 virent aussi un regain d’intérêt sans précédent pour des traditions mystiques variées :
la méditation, la sagesse ancienne et aborigène, ainsi que les philosophies orientales. Bien
des personnes, y compris des psychiatres et des psychologues devinrent élèves de
professeurs orientaux en visite ou entreprirent des études sérieuses et des pratiques dans
les ashrams et les monastères. On fit des études scientifiques sur de nombreuses
techniques de méditation et leurs effets sur ceux qui les pratiquaient.
74
Biofeedback : un ensemble de techniques principalement relatives à la bioélectricité destiné à la mesure de
fonctions organiques, basé sur la visualisation, avec des appareils électriques, des signaux physiologiques d'un
sujet conscient de ces mesures. Plus précisément, il y a biofeedback lorsque le sujet en question peut contrôler
les fonctions organiques mesurées, soit volontairement (par exemple, d'après les résultats et pour corriger un
stress) ou involontairement (par exemple, après un changement d'état psychologique tel que la survenue d'un
stress) (NdT)
Commentaire [E161]: Kinesthetic
devices/ je sais pas ce que c’est et n’ai pas
trouvé d’infos à ce sujet
Un développement important de cet âge d’or de la recherche sur la conscience
représentait un véritable saut quantique dans la compréhension de la mort et du rôle
qu’elle joue dans l’inconscient humain. Un des événements les plus marquants fut le livre de
Herman Feifel, Le Sens de la Mort, un recueil d’articles par des médecins, des psychiatres,
des psychologues, des philosophes et des théologiens qui se concentrait sur les problèmes
des personnes mourantes (Feifel 1959). Dans les années qui suivirent la publication de ce
livre, les cercles professionnels s’intéressèrent de plus au sujet de la mort, et les gens prirent
conscience du besoin urgent de changement. On procéda alors à la création de la Fondation
de Thanatologie en vue derassembler les membres des professions de soutien, les ministres,
les philosophes, les écrivains, et toute autre personne intéressée par les problèmes liés à la
mort et par la gestion des individus mourants. Cette organisation fut fondée en 1968 à New
York City par Austin Kutscher qui en devint aussi son premier président.
Cette regaind’intérêt professionnel pour les aspects pratiques et théoriques du
processus de mort atteignit son sommentdans le travail du docteur Elisabeth Kübler-Ross au
département psychiatrique de l’Université de Chicago. Dans son livre pionnier Vivre avec la
mort et les mourants elle fit la synthèsede ses expériences de travail psychothérapeutique
avec des individus grièvement malades et dans ses séminaires de formation dirigés avec
des médecins, des infirmiers, des étudiants et des ministres (Kübler-Ross 1969). Kübler-Ross
fournissait d’amples informations sur le fait que bon nombre de personnes mourantes
nécessitaient urgemment des contacts humains authentiques doublés d’une aide
psychothérapeutique. En valorisant l’importance de la communication ouverte et honnête,
elle insista également sur le fait qu’il était de la dernière importance d’être prêt à avoir un
dialogue ouvert sur n’importe quel problème de pertinence psychologique. Lorsqu’on les
approchait de la sorte, ses patients, qui étaient sur le point de mourir, étaient en mesure
d’enseigner aux survivants d’importantes leçons non seulement sur les dernières heures de
leur vie mais encore sur les aspects uniques de l’existence humaine. Ceux qui étaient
impliqués dans ce processus ressortaient enrichis de l’expérience et souvent moins anxieux
au sujet de leur propre mort.
En travaillant avec les patients souffrant de maladies en phase terminale, KüblerRoss découvrit que leurs attitudes psychologiques et leurs réactions envers la maladie
traversaient des changements progressifs à mesure que leur condition physique se
détériorait. Elle décrivit cinq étapes consécutives que tous ses patients mourants semblaient
traverser. La première, suivant de près le diagnostic de la phase terminale de la maladie,
était le choc temporaire dû à la nouvellesuivi du déni, Cela s’accompagnait d’une ferme
volonté de s’isoler d’amis ou de parents. La réaction prédominante dans la seconde étape
était la colère, laquelle pouvait prendre des formes différentes : colère envers Dieu, jalousie
envers les personnes en bonne santé, ou négativité envers les médecins, les infirmiers ou les
parents. Dans la troisième étape, les patients entamaient une démarche de négociation,
proposant ce qu’ils feraient en échange d’un remède. La dépression qui advenait à la
quatrième étape était une réaction partielle aux pertes comme la perte de l’emploi, des
loisirs, de la mobilité, de l’activité sexuelle et d’autres aspects importants de la vie.L’ autre
aspect de la dépression concernait les pertes encore à venir. L’étape finale de l’acceptation
était le moment où l’individu mourant se rendait et réalisait que la mort était inévitable.
Dans le chapitre 9, j’ai traité plus longuement des apports de Raymond Moody sur
les expériences de mort imminente et de son livre révolutionnaire La Vie Après la Vie
(Moody 1975) : cela constitue une autre grande contribution à cette révolution dans les
attitudes professionnelles envers la mort. Le travail pionnier d’Elisabeth Kübler-Ross était
Commentaire [E162]: uniquely
human aspects of existence
axé surtout sur les changements psychologiques chez les individus mourants et sur l’appui
psychologique à leur destiner. Le Livre de Moody incita à son tour une génération entière de
chercheurs à explorer le phénomène de mort imminente, comme Kenneth Ring, Michael
Sabom, Bruce Greyson, Phyllis Atwater, Barbara Harris Whitefield, et bien d’autres encore.
Recherches psychédéliques et thérapies expérientielles
Les recherches psychédéliques et les thérapies expérientielles ont apporté des
aperçus fascinants concernant la signification du thème de la mort dans l‘inconscient
humain. Les nouvelles observations confirmaient l’intuition générale de Freud sur
l’importance de la mort pour la psychologie, mais révisaient et modifiaient sa vision de façon
substantielle en plus d’aller plus loin. Au lieu de confirmer l’existence de l’instinct de mort
comme force biologique, les résultats de ce travail permirent aux chercheurs d’identifier et
de spécifier les représentations diverses que le thème de la mort prend dans la psyché
humaine.
Au niveau biographique, l’élément de la mort est présent sous la forme de souvenirs
d’événements de la vie postnatale représentant de sérieuses menaces à la survie et à
l’intégrité physique : les opérations, les accidents, les blessures et les maladies graves. Les
souvenirs de situations dangereuses ayant un rapport avec la respiration, comme la
diphtérie, les accès de toux , l’étranglement ou la quasi-noyade sont particulièrement
importantes. Une représentation encore plus profonde de la mort arrive au niveau périnatal.
La naissance biologique est un événement potentiellement menaçant qui peut durer de
nombreuses heures. Certaines personnes sont en fait mortes en naissant et ont été
ranimées ensuite. Au-delà de l’urgence vitale associée à un passage difficile à travers le canal
de la naissance, l’accouchement représente la mort du fœtus comme créature aquatique et
sa transformation en un organisme radicalement différent, le nouveau-né qui respire
désormais de l’air. Revivre la mort dans des états holotropiques comprenant l’urgence vitale
concomitante peut être tellement authentique et convaincant que l’individu impliqué peut
croire qu’il est en fait en train de mourir.
Au niveau transpersonnel, la mort et son processus peuvent prendre des formes
diverses. Nous pouvons nous identifier à nos ancêtres ou à des personnes de pays et de
périodes historiques différentes qui meurent ou dont les vies sont menacées. De telles
séquences issues de l’inconscient collectif sont parfois associées au sentiment de souvenir
personnel, qui les caractérise comme mémoires de vies passées. La mort peut même être
expérimentée par l’identification à un animal ou à une plante. Elle est aussi puissamment
représentée dans les motifs mythologiques de la mort et de la renaissance, sous des thèmes
eschatologiques comprenant des dieux de la mort spécifiques, les enfers de cultures variées,
l’archétype de la Mort, les domaines astraux ou bardo, le voyage posthume de l’âme et les
domaines de l’Au-Delà. Comme nous l’avons vu lorsque nouqs avons traité les matrices
périnatales (chapitre 8), et la transformation rituelle (chapitre 3), les déités des diverses
cultures représentant la mort et la renaissance jouent un rôle important dans les états
holotropiques. La destruction et la mort sont aussi des éléments intrinsèques de grands
thèmes archétypaux comme l’Apocalypse chrétienne ou le Ragnarok nordique (le Perte ou le
Crépuscule des Idoles).
Toutes ces représentations de la mort dans la psyché humaine sont arrangées dans
des systèmes COEX à plusieurs niveaux, constitués d’éléments biologiques, périnataux et
transpersonnels. Associés aux émotions et sensations physiques difficiles, ils sous-tendent
des formes différentes de psychopathologie : la dépression suicidaire, les phobies,
l’addiction au sadomasochisme,l’asthme et les douleurs psychosomatiques. Inversement, la
confrontation avec la mort au cours de la psychothérapie expérientielle et le traitement
conscient du matériel inconscient lié à elle ont un potentiel de guérison transformateuret
évolutif important. De toutes les rencontres variées avec la mort que nous pouvons vivre à
différents niveaux de la psyché, l’une d’entre elles a un profond potentiel de guérison, de
transformation et d’évolution. Il s’agit de la confrontation avec notre mortalité et notre
impermanence au niveau périnatal dans le contexte consistant à revivre la naissance et à
faire l’expérience de la mort et de la renaissance psychospirituelles.
Des épisodes de ce type émergent de façon spontanée dans des états holotropiques
variés, sans la moindre programmation spécifique. Ils représentent l’une des expériences les
plus fréquentes dans la thérapie psychédélique, les séances de Respiration Holotropique, et
dans les émergeances spirituelles. La psyché humaine a de toute évidence une puissante
propension à extérioriser son contenu inconscient profond, et à le ramener à la conscience
pour le traiter. Lorsqu’elle est incomplète l’arrivée à la surface des thèmes inconscients liés à
la mortalité et à l’impermanence, , aboutit à des symptômes émotionnels et
psychosomatiques, alors que l’émergence et l’intégration complète de ce contenu conduit à
la guérison et à la transformation. Cette observation explique la l’omniprésence des divers
rituels de mort-renaissance, et l’importance qui leur est attribuée dans toutes les cultures
anciennes et les sociétés de l’ère préindustrielle.
Conséquences de la mort psychospirituelle et de la renaissance
Les bénéfices que l’on tire du vécu de la mort psychospirituelle et de la renaissance
sont profonds. L’élément clef est le soulagement ou l’élimination de la peur de la mort.
L’explication habituelle de la philosophie occidentale concernant la peur de la mort est
qu’elle reflète les connaissances intellectuelles de notre propre mortalité. Mais la recherche
concernant les états holotropiques a démontré que la peur de la mort n’a que très peu de
rapport avec le fait que nous sachions que nous devons mourir. Ces sources sont plutôt des
souvenirs de situations menaçant la vie de la biographie postnatale et les comptes- rendus
de souvenirs des choses vécues au moment de l’urgence vitale vécue au moment de la
naissance ainsi
qu’au moment des nombreuses crises prénatales. Des racines
supplémentaires, comme les mémoires des vies antérieures ou des événements mettant la
vie ou l’intégrité physique en péril et les motifs archétypaux terrifiants, sont
transpersonnelles par nature. À mesure que ce contenu inconscient commence à atteindre
la conscience, la personne fait l’expérience d’émotions qui menacent sa vie. Mais quand on
permet aux thèmes liés à la mort d’affleurer pleinement à la conscience, ils perdent leur
pouvoir de façonner le vécu de la personne. Cela explique pourquoi la peur de la mort peut
être soulagée de façon significative même chez les patients en phase terminale de cancer qui
savent l’imminence de leur mort.
La profonde ouverture spirituelle est une autre conséquence importante de la
rencontre avec la naissance et la mort au niveau périnatal. Lorsque la régression
expérientielle atteint le domaine périnatal, les expériences prennent la tournure qualifiée de
numineuse par C. G. Jung. Le caractère sacré et sacral de l’expérience est une preuve
convaincante de la nature authentique de la dimension spirituelle de l’existence. J’ai vu
tellement d’athées, de matérialistes, de sceptiques, de marxistes, et de scientifiques
positivistes atteindre ce niveau et vivre un changement radical dans leur vision du monde !
La spiritualité qui s’ouvre dans ce contexte n’a rien à voir avec les religions organisées -elle
est mystique, universelle, non-religieuse, exhaustive. Cette forme de spiritualité peut être
découverte si la rencontre avec la mortest symbolique, comme dans les séances
psychédéliques, la respiration holotropique, l’émergeance spirituelle, ou la méditation ; ou
lorsque la personne frôle la mort de près, au cours d’une crise cardiaque, d’un accident
grave, d’une opération mettant la vie en péril ou une situation dangereuse de guerre ou un
emprisonnement en camp de concentration.
Une expérience achevée et bien intégrée de mort et de renaissance
psychospirituelles améliore de façon significative le bien-être émotionnel et physique du
sujet. Ceux qui avaient précédemment des formes variées de mal-être psychosomatique et
émotionnel vivent généralement beaucoup de soulagement après l’expérience. La
dépression se dissout, l’anxiété et les tensions diverses diminuent et disparaissent, les
sentiments de culpabilité s’estompent, l’image et l’acceptation de soi se fortifient
considérablement. Les gens rapportent un sentiment général de bonne santé physique, de
bon fonctionnement physiologique et une augmentation étonnante de la joie de vivre 75. Les
anciens sentiments d’aliénation sont remplacés par un profond sentiment de syntonie avec
la nature et l’univers. Les gens ont l’impression d’être nés à nouveau, purifiés, rajeunis emplis de profonde sérénité et de joie.
Bon nombre de mes patients affirment que le processus de mort et de renaissance a
profondément transformé leur perception sensorielle, comme si on avait retiré une
pelliculesubtile de leurs sens. Selon l’expression de William Blake, leurs «portes de
perception» ont été nettoyées. Ils comparent leur existence précédente au fait de vivre dans
un cylindre de verre qui les empêchait d’appréhender pleinement la réalité et d’être
syntonisés au monde. À la suite de leur expérience de mort et de renaissance, leurs entrées
sensorielles sont devenues extrêmement riches, fraîches et intenses, parfois de manière
époustouflante. Ils comprennent désormais qu’auparavant ils n’avaient jamais vraiment vu
les couleurs, écouté la musique, senti les odeurs, et apprécié l’infinie nuance des goûts. De la
même façon, leur capacité à apprécier la sexualité et à explorer le potentiel sensuel de leurs
corps s’en trouve grandement augmentés.
La rencontre expérientielle avec la mort influence aussi profondément l’attitude
envers les autres personnes, les animaux et la nature, aussi bien que la hiérarchie des
valeurs et la stratégie de l’existence. Les sentiments agressifs et les impulsions sont
considérablement réduits ; la tolérance, l’empathie, et la compassion augmentent
notablement. Les différences entre les personnes paraissent intéressantes et enrichissantes
plutôt que menaçantes ou irritantes, qu’elles soient liées à l’ethnie, la couleur, le sexe, la
culture, l’orientation politique ou à l’obédience religieuse. Tout dans l’Univers semble
parfait, à sa place exacte , non pas nécessairement en tant que status quo, mais en tant que
processus. Les sentiments nationalistes et patriotiques et les sentiments d’exclusivité sont
remplacés par un sentiment d’appartenance planétaire et un de solidarité avec toute
l’humanité. Ce sentiment de profondes connexions et de préoccupations s’étend aux autres
espèces et à la nature en général. Cela a pour conséquence une sensibilité écologique
développée, y compris dans la préoccupation pour la qualité de l’eau, de l’air de la terre -pré
réquis fondamentaux et nécessaires à la santé et à la survie de toutes les formes de vie sur
notre planète. Protéger ces conditions fondamentales de la vie est de toute évidencevu
75
En français dans le texte (NdT)
comme notre principale priorité, priorité qui ne devrait jamais être entachée par les intérêts
économiques, nationalistes, politiques, idéologiques et autres.
Lorsque l’expérience de la mort et de la renaissance est suivie de sentiments d’unité
cosmique, les patients se voient et voient le monde comme des créations de l’énergie
cosmique impliquées dans une pièce divine. Dans ce contexte, la réalité ordinaire est perçue
dans son essence comme sacrée. Le processus d’ouverture et de transformation spirituelles
s’approfondissent généralement davantage après de tels épisodes transpersonnels :
processus tels que l’identification avec d’autres personnes, des groupes humains entiers, des
animaux, des plantes et des processus divers de la nature. Des séquences supplémentaires
offrent un accès conscient aux événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et
périodes historiques, et même dans les domaines mythologiques, et permettent un accès
aux êtres archétypaux de la conscience collective. Les expériences de l’unité cosmique et de
sa propre divinité conduisent à une plus grande identification avec toute la création et
apportent un sentiment d’émerveillement, d’amour, de compassion et de paix intérieure.
L’expérience de la mort et de la renaissance a pour autre conséquence remarquable
un changement d’orientation marqué en ce qui concerne le temps. Cela se manifeste par un
changement radical du point de vue émotionnel : on passe de la préoccupation pour le passé
et pour les plans et les rêves du futur, à vivre pleinement le moment présent. Cela consiste à
apprécier la nature et les activités de la vie de quotidenne telles que jardiner, cuisiner,
manger, passer du temps avec les autres, et faire l’amour. Après les séances psychédéliques,
bon nombre dede personnes ont montré un intérêt soudain pour l’art, plus particulièrement
la musique et la peinture, ou bien leurs intérêts déjà existants dans ce domaine étaient
intensifiés et approfondis. Les intérêts intellectuels passaient souvent au mysticisme,
chamanisme, aux cultures anciennes et aux philosophies orientales. Pour certains patients,
ces nouveaux intérêts prenaient une forme purement intellectuelle ; pour d’autres, ils
étaient associés à un profond engagement à la pratique spirituelle systématique.
S’il existe des bénéfices potentiels au processus de mort-renaissance, certains risques
lui sont associés. Les séances psychédéliques qui impliquent le niveau périnatal peuvent
certainement faciliter tous les changements positifs profonds mentionnés plus haut, mais de
sérieux complication peuvent subvenir également. Lorsque, par exemple, les séances
psychédéliques concernant les éléments périnataux prennent place dans un contexte et un
cadre problématiques, les expériences sont médiocrement résolues, les complications
possibles peuvent comprendre la dépression avec tendance suicidaire, des instincts
destructeurs et autodestructeurs, des états paranoïaques ou des désillusions grandioses et
messianiques. Ces problèmes ne sont pas exclusivement liés aux états psychédéliques. De
tels dangers sont évoqués dans la littérature mystique, les traditions orales de cultures
aborigènes, et de nombreuses histoires mythologiques. Ces sources avertissent des dangers
qui menacent un chercheur ou aventurier spirituel inattentif ou inexpérimenté, comme la
maladie physique, la folie et même la mort. L’appui, la préparation et la guidage adéquats,
sont des prérequis essentiels pour explorer les profonds territoires de l’esprit humain.
Recherches sur les états holotropiques : statut actuel
Comme nous l’avons vu, les recherches sur les états holotropiques a apporté
beaucoup d’impressions fascinantes sur problèmes fondamentaux liés à la mort et à son
processus, à savoir : la phénoménologie des expériences de mort imminente, la peur de la
mort et son rôle dans la vie humaine, la survie de la conscience après la mort, et la
réincarnation. Ces aperçus sont d’une grande importance théorique pour, les psychiatres, les
psychologues les anthropologues et les thanatologues. Ils sont également essentiels à toute
compréhension approfondie des phénomènes comme le chamanisme, les rites de passage,
les mystères des temps anciens de la mort et de la renaissance, ainsi que les grandes
religions du monde. En outre, cette recherche a accru de manière significative notre
connaissance de la nature et de l’architecture des désordres émotionnels et
psychosomatiques, y compris les psychoses fonctionnelles, outre le fait qu’elle propose de
nouvelles stratégies pour les traiter.Étant donné que nous allons tous affronter la mort à un
moment donné, cette nouvelle compréhension de la mort et de son processus représente
une information d’une importance cruciale pour chaque être humain. La thérapie
psychédélique avec les patients atteints de cancers et les individus atteints d’autres maladies
en phase terminale mérite ici une attention particulière. Ayant été le témoin des effets
bénéfiques de ce traitement sur les patients avec des formes extrêmes de souffrances
émotionnelles et physiques, j’ éprouve une profonde tristesse à voir que cette thérapie soit
refusée à d’innombrables personnes qui en ont désespérément besoin. J’espère fermement
que, dans un futur proche, les législateurs, les administrateurs et les politiciens puiseront
leurs informations dans les écrits scientifiques plutôt que par des articles de la presse à
sensation, qu’ils prendront du recul par rapport à l’hystérie entourant les substances
psychédéliques, et qu’ils remettront cet outil prometteur aux mains des cliniciens et des
patients.
J’ai confiance en le fait que les efforts à long terme destinés à légaliser la thérapie
psychédélique sont en train de rencontrer quelques succès. Les recherches à base de
substances psychédéliques ont été légalement poursuivies dans quelques états de au sein
des Etats –Unis et à l’étranger grâce à la persévénrance de Rick Doblin, Président de
l’Association Multidisciplinaire pour les Etudes Psychédéliques (MAPS76) et à d’autres
défenseurs. Ces nouveaux projets comprennent plusieurs études de thérapie psychédélique.
Le Docteur Michael Mithoefer est en train d’évaluer le potentiel thérapeutique du MDMA
(3,4-methylenedioxy-N-methylamphetamine), ou ecstasy, dans une étude de thérapie à base
de MDMA chez des sujets présentant des désordres liés au stress post-traumatique. Il s’agitlà du premier protocole FDA jamais approuvé, destiné à étudier le potentiel thérapeutique
éventuel du MDMA.
D’autres études de thérapie psychédélique sont menées avec des patients atteints de
cancers. Le Docteur Charles Grob, un psychiatre du Centre Médical Harbor-UCLA de Los
Angeles, est actuellement en train de diriger une recherche sponsorisée par l’Institut de
Recherche Heffter, avec l’approbation de l’Administration des Nourritures et Drogues77
(FDA) afin d’examiner dans quelles mesures la psilocybine peut aider les patients en phase
terminale de la maladie à gérer les souffrances émotionnelles et physiques, et les problèmes
spirituels associés à la mort. Les résultats préliminaires montrent que la thérapie à basse de
psilocybine, administrée dans un cadre thérapeutique et dans le contexte d’une étude
soigneusement structurée, peut être remarquablement bénéfique ; on a observé chez les
patients de Grof une diminution de l’anxiété, un meilleur moral, des rapports avec la famille
et avec les amis plus approfondis, mais aussi une réduction de leur douleur .
76
MAPS : Multidisciplinary Association for Psychédélic Studies. C’est cette association qui a publié The Ultimate
Journey en version originale(NdT)
77
FDA : Food and Drug Administration (NdT)
Cela fait quarante ans que les psychologues Timothy Leary et Richard Alpert mènent
également des recherches psychédéliques sontà l’Université d’Harvard après que le
« scandale des drogues » ait fait fureur. . L’étude actuelle, dirigée par le Docteur John
Helpern, Directeur Associé des Recherches sur l’Abus de Substances à l’Ecole Médicale
d’Harvard de l’Hôpital Mac Lean, a été autorisée par la reçu FDA en 2004 àadministrer la
substance psychédélique MDMA à des patients à des stades évolués de leur cancers. Plus
d’un an après, le DEA octroya une licence àcette recherche. Maintenant que l’approbation
légale a été obtenue, l’équipe d’Harvard avance. Ce projet, qui dans un premier temps au
cours des phases initiales du plan et de l’approbation légale a reçu des fonds et de l’aide de
MAPS pendant les se concentre désormais sur les usages duMDMA destinés à soulager
l’anxiété, réduire la douleur, et rehausser la qualité de vie.
Les Docteurs Grob et Halpern espèrent que les résultats satisfaisants faciliteront
l’introduction de la thérapie psychédélique dans la pratique hospitalière comme moyen
d’aider une grande partie des patients affrontant la mort. Je sais de mon’expérience au
Centre de Recherches Psychiatriques du Maryland que cette étape contribuera aux
stratégies de soins palliatifs que la profession médicale est en mesure de proposer caux
personnes affrontant la mort.
Implications globales de la nouvelle conceptionde la mort
Je conclurai en traitant de certaines de l’incidence considérable que les observations
des recherches sur la conscience ainsi que ’une nouvelle conception de la mort peuvent
avoir pour la crise globale que l’humanité est en train d’affronte actuellement. Des auteurs
contemporains, tels qu’Alan Harrington et Ernest Becker ont souligné que le déni massif de
la mort mène à des pathologies sociales ayant de dangereuses conséquences pour
l’humanité (Harrington 1969, Becker 1973). Pendant la seconde moitié du vingtième siècle,
les recherches psychédéliques, la thanatologie et les nouvelles formes expérientielles de
psychothérapie, ont non seulement fourni suffisamment de preuves pour étayerce point de
vue, mais elles ont en outre montré de manière assez précise dans quelles mesures notre
attitude envers la mort est liée aux dilemmes fondamentaux qui nous travaillent.
Dans la psyché humaine, la mort est puissamment représentée sous la forme de
souvenirs de situations mettant la vie en péril dans la vie post-natale, pendant la naissance
et dans l’existence prénatale. Des thèmes supplémentaires liés à la mort et à
l’impermanence constituent un aspect important des domaines historiques, karmiques et
archétypaux de l’inconscient collectif. Ces éléments de l’inconscient personnel et collectif
jouent un rôle crucial dans bien des désordres psychosomatiques. Ils représentent aussi
l’une des deux sources les plus importantes de deux aspects infâmes de la nature humaine :
l’avidité insatiable et la disposition envers ce que Erich Fromm appelait agression maligne
(Fromm 1973).
L’avidité et la violence sont les deux forces principales à avoir dirigé l’existence
humaine pendant des millénaires. Jusqu’à présent, leurs tragiques conséquences se
limitaient à ceux qui étaient participaient aux nombreuses guerres, révolutions et
conquêtes ; ils n’allaient pas jusqu’à menacerl’évolution de l’espèce humaine dans sa
globalit é et ne présentaient pas de dangers majeurs envers l’écosystème et la biosphère de
la planète. La nature se remettait complètement en l’espace de vingt ans même après les
guerres les plus violentes, . Cependant, depuis un siècle, cette situation a changé du tout au
tout. Les progrès technologiques rapides, la croissance exponentielle de la production
industrielle, une explosion massive de la population et, plus particulièrement, la découverte
de l’énergie atomique ont à jamais changé l’équilibre des forces en puissance. Apprivoiser
ces tendances dangereuses inhérentes à la nature humaine est devenu un besoin impératif à
notre survie et à la survie de la planète dans sa globalité.
La psychothérapie et l’exploration de soi apportent de l’espoir à cette situation
lugubre. Les techniques fondées sur l’expérience holotropique rendent possible d’une part
l’émergence à un niveau conscient des contenus liés à la mort depuis les différents niveaux
de la psyché, et d’autre part de vivre la mort pleinement et de réduire ou d’éliminer ainsi
son impact émotionnel sur l’individu. Au fil des ans, j’ai été le témoin de guérisons
émotionnelles et psychosomatiques profondes, mais aussi de la transformation radicale de
la personnalité, chez des milliers de personnes en quête intérieure approfondie. Certaines
étaient des personnes ayant une pratique spirituelle régulière comme la méditation,
d’autres avaient supervisé des séances psychédéliques ou participé aux nombreuses formes
de psychothérapie expérimentielle et d’exploration de soi. J’ai également vu des
changements positifs profonds chez bien des personnes qui recevaient un soutien adéquat
pendant des épisodes spontanés de crises psychospirituelles.
Après avoir été confronté à la mort de manière pratique , plus particulièrement dans
le contexte de la mort et de la renaissance psychospirituelles, le niveau d’agression diminue
considérablement. Les gens deviennent plus paisibles et à l’aise avec eux-mêmes et plus
tolérants envers les autres. L’expérience de la mort psychospirituelle et de la renaissance et
une connexion constante aux souvenirs postnataux ou prénataux qui réduit par ailleurs les
forces irrationnelles et les ambitions exagérées. À mesure que le point de concentration
émotionnel passe du passé et/ou du futur au moment présent, les gens sont davantage
capables d’apprécier les situations quotidiennes et simples de la vie comme la nourriture,
faire l’amour, la nature et la musique. Une spiritualité accrue résulte également de ce
processus, une spiritualité d’une nature universelle et mystique, qui est à la fois authentique
et convaincante car elle est fondée sur une profonde expérience personnelle.
Ce processus d’ouverture spirituelle et de transformation s’approfondit grâce aux
expériences transpersonnelles -l’identification avec les autres personnes, les groupes
humains entiers, les animaux, les plantes et même les matériaux inorganiques et les
processus au sein de la nature. Des expériences qui y sont liées fournissent un accès
conscient à des événements ayant lieu dans d’autres pays, cultures et périodes historiques,
et même dans les domaines mythologiques, et ils offrent également un accès aux êtres
archétypaux de l’inconscient collectif. Une identification croissante avec toute la création et
un sentiment d’émerveillement, de compassion et de paix intérieure suivent la
connaissance de l’unité cosmique et de sa propre divinité, . Les personnes qui se connectent
au domaine transpersonnel de leurs psychés tendent ainsi à développer une nouvelle
appréciat

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