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Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
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Fiche de lecture
L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme
Max Weber
1905
Alice de Rochechouart – avril 2012
Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2009-2010
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme
Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Histoire de la critique » donné
par Ève Chiapello et Ludovic François au sein de la Majeure Alternative Management,
spécialité de troisième année du programme Grande École d’HEC Paris.
Gallimard, Paris, 2003
Première date de parution de l’ouvrage : 1905
Résumé : Cet ouvrage se propose d’étudier comment l’éthique du protestantisme ascétique a
contribué à façonner et à diffuser l’esprit du capitalisme moderne. Ainsi, les protestants
réformés croyant à la prédestination, ils cherchent la preuve de leur élection divine par une
éthique du travail sans relâche, où le profit économique est le signe de la grâce et où la
profession est vécue comme une véritable vocation.
Mots-clés : Ascèse, Esprit capitaliste, Calvinisme, Profession-vocation
The protestant ethic and the spirit of capitalism
This review was presented in the “Histoire de la critique” course of Eve Chiapello and
Ludovic François. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the
third-year HEC Paris business school program.
Gallimard, Paris, 2003
Date of first publication : 1905
Abstract : This book studies how the protestant ethic and its asceticism contributed to shape
and to spread the spirit of modern capitalism. The reformed Protestants believed in
predestination, and were looking for the evidence of their divine election in strict labor ethics,
where economical profit was the proof that they had been chosen, and where their career was
a true calling from God.
Key words : Asceticism, Spirit of capitalism, Calvinism, Calling
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de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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Table des matières
1. L’auteur et son œuvre..........................................................................................................4
1.1. Biographie.....................................................................................................................4
1.2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur.....................................................................5
2. Résumé de l’ouvrage............................................................................................................6
2.1. Plan de l’ouvrage..........................................................................................................6
2.2. Principales étapes du raisonnement et principales conclusions....................................7
2.2.1. Le problème............................................................................................................7
2.2.2. L’éthique de la profession comme vocation dans le protestantisme ascétique.......9
3. Commentaires critiques.....................................................................................................14
3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage............................................................................14
3.2. Avis de l’auteur de la fiche.........................................................................................14
4. Bibliographie de l’auteur..................................................................................................16
5. Références...........................................................................................................................17
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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1. L’auteur et son œuvre
1.1. Biographie
Max Weber naît en 1864 à Erfurt en actuelle Allemagne, au sein d’une famille bourgeoise
protestante, dans un milieu riche et intellectuel. La famille déménage rapidement à Berlin, où
il fait des études de droit tout en suivant également des cours de philosophie, d’histoire et de
théologie, à la suite desquels il obtient une chaire d’économie politique à l’université de
Fribourg, en 1894. Il vient également de se marier avec une femme qui portera des valeurs
féministes, sera une grande figure de la vie politique et intellectuelle allemande et aura un rôle
décisif dans la publication des œuvres de Max Weber – en particulier pour la publication de
ses œuvres posthumes. En 1897, juste après la mort de son père, il fait une grave dépression
pendant cinq ans, ce qui arrête ses recherches et le détourne de l’enseignement pendant plus
de dix ans. Lorsqu’il reprend ses activités intellectuelles, il se réoriente vers la sociologie et
publie peu après L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. En 1909, il fonde avec
Georges Simmel la Société allemande de sociologie, si bien que lorsqu’il retourne à
l’enseignement en 1919, c’est pour diriger la chaire de sociologie créée spécialement pour lui
à l’université de Munich. Pendant la Première Guerre mondiale, il se porte volontaire pour
être officier de réserve : Max Weber était en effet un nationaliste convaincu, et a d’ailleurs fait
partie de la délégation chargée de rédiger la constitution du nouveau Reich après la défaite
allemande de 1918. Il a également par la suite été un des membres fondateurs du parti
démocrate allemand.
Par ailleurs, c’est pendant la guerre qu’il décide de publier une sociologie comparée des
religions mondiales : il publie ainsi Le judaïsme antique, Hindouisme et bouddhisme ou
encore Confucianisme et taoïsme après la guerre. Il meurt subitement en 1920 des suites
d’une pneumonie mal soignée, en laissant derrière lui le manuscrit inachevé de son deuxième
grand projet, celui d’Économie et société.
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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1.2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur
Cet essai de sociologie est paru en deux parties dans une revue allemande nommée Archive
pour les sciences sociales et la politique sociale, en 1904 et 1905. Weber avait initialement
prévu d’écrire un deuxième tome de cet ouvrage, mais abandonna finalement l’idée après la
publication de l’ouvrage d’Ernst Troeltsch, Les doctrines sociales de l’Église et des groupes
chrétiens, et se contenta de nombreux ajouts dans une deuxième édition publiée en 1920.
L’œuvre ne fut traduite en France qu’en 1964.
Cet ouvrage a été déterminant dans la vie de Max Weber : en effet, il a d’une part été son
premier ouvrage de sociologie, et c’est dans cet ouvrage qu’il met en pratique pour la
première fois ses axiomes épistémologiques – que nous évoquerons plus tard. Par ailleurs, cet
ouvrage a été celui qui l’a déterminé à entreprendre une sociologie des religions mondiales,
qu’il poursuivra après la guerre, avec notamment les ouvrages Le judaïsme antique,
Confucianisme et taoïsme, ou encore Hindouisme et bouddhisme.
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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2. Résumé de l’ouvrage
2.1. Plan de l’ouvrage
I - Le problème
1) Confession et stratification sociale
2) L’esprit du capitalisme
3) La conception du Beruf chez Luther : objet de la recherche
II – L’éthique de la profession comme vocation dans le protestantisme ascétique
1) Les fondements religieux de l’ascèse intramondaine
2) Ascèse et esprit capitaliste
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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2.2. Principales étapes du raisonnement et principales
conclusions
Il est pertinent pour résumer cet ouvrage de conserver le plan adopté par Max Weber : en
effet, celui-ci relève de sa démarche d’analyse sociologique, et permet de retranscrire
fidèlement la pensée de l’auteur.
2.2.1. Le problème
1. Confession et stratification sociale
Max Weber constate que la majorité des possesseurs de capital sont de confession
protestante, pas seulement dans les pays de confession majoritairement protestante, mais bien
dans tous les pays où le développement capitaliste a permis de réorganiser la stratification
sociale. Ainsi, que les protestants soient en majorité ou en minorité dans quelque pays
concerné que ce soit, ils seront au cœur du développement économique de la région.
Une explication à ceci semblerait pouvoir résider dans cette fameuse « étrangeté au
monde » souvent mentionnée pour décrire les catholiques, face à la « joie d’être au monde »
matérialiste des protestants. Toutefois, Weber contredit cette thèse et montre brièvement que
cette image d’Épinal est bien souvent erronée. Il donne par la suite un grand nombre
d’exemples, montrant que les représentants du calvinisme sont souvent les meilleurs dans les
affaires, sans pour le moment proposer d’explication spécifique quant à cette observation.
2. L’esprit du capitalisme
Cette partie a pour objectif de définir ce terme d’esprit du capitalisme : puisqu’il s’agit,
selon Weber, d’une « expression prétentieuse », il ne tente ici que d’en donner des
illustrations plutôt qu’une définition conceptuelle. Il commence par citer un texte de Benjamin
Franklin, qui exprime sa pensée capitaliste, avec des formules bien connues telles que « le
temps c’est de l’argent » : ainsi, augmenter son capital est une fin en soi, d’un point de vue
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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éthique et non pas par cupidité. Dégager du profit n’est ici pas une vertu utilitariste mais bel et
bien une éthique, car cet objectif de gain n’est en rien eudémoniste. Il s’agit du « devoir
ordonné à la profession » : et si Max Weber affirme qu’aujourd’hui, le capitalisme forge les
individus à cette éthique, l’esprit de Benjamin Franklin n’est autre que la genèse de cette
forme de pensée qui a dû s’imposer contre le traditionalisme précapitaliste (« quand la mise
en valeur rationnelle du capital dans le cadre de l’entreprise et l’organisation rationnelle
capitaliste du travail n’étaient pas encore devenus des puissances dominantes pour
l’orientation de l’agir économique »), qui n’était orienté que vers la recherche de la
subsistance et non vers le profit. Ainsi, s’il pouvait exister des formes d’organisations
capitalistes sans cet ethos capitaliste, il n’en reste pas moins qu’un nouvel esprit apparaît via
l’idéal-type de l’entrepreneur capitaliste ascétique et se diffuse à toute la société. Weber pose
alors la question de savoir s’il existe, dans la genèse de cet esprit, un lien avec la religion. En
effet, pour les catholiques, la recherche du profit était une réelle turpitude morale, certes
tolérée, mais totalement méprisée : comment donc expliquer que cette attitude soit devenue
une « profession-vocation » ? Une des explications pourrait être que le rationalisme
économique s’est développé comme fondement de l’économie moderne, et que donc le
développement de cet esprit capitaliste pourrait être une des composantes de ce rationalisme
nouveau : le protestantisme pourrait donc n’avoir été qu’une préparation au rationalisme.
Mais, comme le montre Weber, ce rapport presque mystique au travail n’a rien de rationnel
puisqu’il n’est pas qu’utilitariste, et peut même être qualifié d’irrationnel ! L’explication doit
donc se trouver ailleurs.
3. La conception du Beruf chez Luther : objet de la recherche
L’objectif de cette partie est de montrer qu’un mot nouveau, ainsi qu’une idée nouvelle,
sont apparus pendant la Réforme au sein des populations protestantes : celui de Beruf en
allemand, ou de calling en anglais. Ce mot, qui n’existe pas chez les catholiques, mais que
Luther emploie dans sa traduction de la Bible, peut être traduit par « profession-vocation », et
consiste à « estimer l’accomplissement du devoir à l’intérieur des professions séculières
comme le contenu le plus élevé que pût revêtir dans l’absolu l’activité morale de l’individu » :
en d’autres termes, « le travail quotidien dans le monde revêt une signification religieuse »,
loin de la distinction catholique praecepta / consilia, qui réservait la soumission à une réelle
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ascèse et à la perfection religieuse aux ordres (avec notamment les trois vœux d’obéissance,
de chasteté et de pauvreté), laissant à la vie séculière ses petits péchés quotidiens. Mais pour
Luther, choisir la vie monastique, c’est « se dérober égoïstement aux devoirs du monde »,
tandis que le travail dans la profession séculière est la volonté de Dieu. On ne peut réellement
dire que Luther soit imprégné de l’esprit du capitalisme – il est d’ailleurs probable qu’il n’eût
pas été d’accord avec Benjamin Franklin. Néanmoins, pour Luther, l’individu doit accepter la
position qui lui a été donnée comme un commandement divin et se soumettre à la Providence
divine. Ainsi, il semble pertinent d’étudier ici d’autres formes de protestantismes, notamment
le calvinisme et les sectes protestantes centrées sur le salut de l’âme et la prédestination, car
celles-ci partagent la notion de Beruf, tout en autorisant leurs ouailles à changer de profession,
comme nous le verrons par la suite.
Comme le souligne ici Weber, il ne s’agit pas toutefois d’affirmer que la Réforme a été une
condition nécessaire au développement capitaliste, ni qu’elle a directement créé le système
capitaliste, mais bien qu’elle a contribué au façonnement et à la diffusion d’un esprit nouveau.
2.2.2. L’éthique de la profession comme vocation dans
le protestantisme ascétique
1. Les fondements religieux de l’ascèse intramondaine
Dans cette partie, Max Weber se propose d’étudier les dogmes fondateurs de quatre
religions du protestantisme ascétique (calvinisme, piétisme, méthodisme et anabaptisme),
même s’il précise que dans la réalité, les frontières dogmatiques sont souvent floues : il s’agit
dès lors d’idéal-types.
- le calvinisme : ici, le dogme de l’élection par la grâce est central, notamment pour ses
effets sur l’histoire culturelle. Souvent combattu car perçu comme un danger politique, ce
dogme est précisé dans la confession de Westminster, paru en 1647 : en particulier, il
comprend la question de la prédestination, et la toute-puissance de la Providence divine. Selon
Weber, ce dogme provient de la « sensation certaine de devoir tout à l’efficacité exclusive
d’une puissance objective, et pas la moindre chose à la valeur personnelle ». Luther ressent
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cette grâce divine, mais n’en fait pas un dogme central, puisque selon lui cette grâce est
admissible et dépend donc de l’action des hommes. Chez Calvin, en revanche, les hommes
n’existent que pour Dieu, et sont des moyens de sa glorification : il est donc impossible de
comprendre ses décrets, et il existe un abîme infranchissable entre lui et les Hommes. La
grâce ne peut ainsi être acquise par l’action des Hommes, et Dieu décide, de manière
inéluctable, qui est élu et qui ne l’est pas. Ceci pourrait conduire à un certain isolement de
l’Homme, puisqu’il n’existe plus aucun sacrement ou aucune Église pouvant le délivrer – au
sein de l’Église cohabitent des élus et des non-élus – et que le Christ n’est venu que pour
sauver les élus. Ce « désenchantement du monde » entraîne un rejet de tous les moyens
magiques d’obtenir le salut (comme la confession et l’absolution chez les catholiques par
exemple), et de tous les éléments sensuels et affectifs pouvant mener à des superstitions. Pour
le calviniste, « le seul confident doit être Dieu » : il est ainsi plongé dans l’individualisme et
l’isolement. Toutefois, Dieu veut que le chrétien agisse socialement, et désire une forme
sociale qui soit conforme à ses commandements : dès lors, le travail est une glorification de
Dieu, en tant qu’il est une activité objective et impersonnelle au service du façonnement
rationnel qui promet la gloire de Dieu. Une question se pose alors : comment savoir si je suis
moi-même un élu de Dieu ? Deux réponses sont apportées par la religion calviniste : d’une
part, le chrétien a pour devoir de se considérer comme élu de Dieu (par opposition aux
« humbles pécheurs » catholiques), et doit travailler sans relâche pour atteindre cette certitude
de soi. Tandis que Luther cherchait une unio mystica avec Dieu et prônait la pénitence
quotidienne, Calvin est partisan de l’agir ascétique : il participe ainsi à la gloire de Dieu, et sa
conduite est d’ailleurs « agie » par Dieu. Ainsi, les bonnes œuvres ne peuvent servir à
acquérir la béatitude, mais elles sont les signes de l’élection : le calviniste crée ainsi la
certitude de sa béatitude, dans un contrôle de soi systématique. Quand le catholique,
pratiquant les bonnes œuvres au jour le jour, voyait ses actions particulières jugées en
fonction de leur intention, tout en pouvant se purifier via les actions transcendantales de son
Église, les calvinistes érigeaient leur sainteté par les œuvres en système, en méthode. La
grâce, soit un arrachement de l’état de nature, nécessitait une transformation systématique : la
vie du saint était certes orientée vers la béatitude, mais elle était organisée de manière
rationnelle – en ce sens, la vie d’un calviniste peut être comparée à une vie monastique
catholique. Il s’agit dès lors d’une ascèse purement séculière, tandis que chez les catholiques,
plus l’ascèse était intense, plus celui qui la respectait s’éloignait du monde : l’ascèse
catholique n’était donc qu’un renchérissement sur la moralité intramondaine. Pour Calvin,
cette recherche et cette nécessité de la confirmation de la foi dans la vie professionnelle
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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séculière était donc une incitation positive à l’ascèse. Dès lors, « pour les élus qui jouissaient
de la grâce divine et donc étaient des saints, l’attitude adéquate face au péché du prochain
n’était point une bienveillance secourable et indulgente, dans la conscience de leur propre
faiblesse, mais la haine et le mépris pour celui qu’ils considéraient comme un ennemi de
Dieu et qui porte sur lui les signes d’une réprobation éternelle. »
- le piétisme : il s’agit d’un courant de l’église réformée qui met l’accent sur l’exercice de
la piété, si bien que l’orthodoxie dogmatique est parfois reléguée au second plan. Mais le
piétisme désire également goûter de la béatitude dans ce monde-ci, et rajoute donc de
l’affectif par rapport au calvinisme : les communautés piétistes sont donc parfois presque
sectaires, avec une conception de l’ascèse encore plus stricte. Ce mouvement a pénétré des
zones non-calvinistes, notamment en Allemagne, et s’est donc heurté à des pensées
luthériennes par exemple : ainsi, il existe toujours un développement méthodique de l’ascèse,
et la Providence est toujours présente, mais les piétistes désirent également ressentir de la
béatitude au moment présent, et non pas seulement dans l’au-delà, si bien que la doctrine
piétiste manque parfois de cohérence. En ce qui concerne la question de l’esprit du
capitalisme, il semblerait donc que les piétistes aient davantage été des salariés fidèles à la
tâche ou des employeurs patriarcaux, que des entrepreneurs capitalistes implacables.
- le méthodisme : dans ce courant protestant, l’affectif est aussi présent, notamment dans
l’acte de la conversion, mais la méthode est celle de la recherche de la certitude du salut. Les
méthodistes, cependant, recherchent une sanctification, une recherche rationnelle de la
perfection, qui les conduit à un sentiment de joyeuse certitude : la conduite correcte n’est pas
suffisante, il est nécessaire de ressentir l’état de grâce. Cet enthousiasme affectif n’est
toutefois que ponctuel, et la méthode est au cœur de leur religion, puisque ce sont les
caractéristiques de la conduite qui montrent l’authenticité de la conversion : en revanche, le
dogme de la prédestination est abandonné.
- les sectes protestantes et l’anabaptisme : le fondement dogmatique est ici différent de
chez Calvin, puisque l’Église n’est plus une institution regroupant justes et injustes : elle ne
regroupe en effet que des croyants et des « régénérés », ceux qui ont connu la révélation
individuelle, offerte à chacun, et permettant de connaître la lumière intérieure qui éloigne
définitivement du péché. La prédestination est ici rejetée, et chaque individu est en attente de
l’Esprit Saint, dans le silence et la patience, en surmontant ses pulsions irrationnelles et en
faisant son examen de conscience. Ce courant s’est au départ marqué par un certain
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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éloignement du monde, et le refus notamment d’assumer des fonctions officielles : dès lors,
ils se trouvaient plus qu’ancrés dans le monde économique et apolitique.
Selon Weber, le piétisme et le méthodisme peuvent être négligés dans l’étude qu’il se
propose de faire, puisqu’ils ne constituent que des déclinaisons du calvinisme ou de
l’anabaptisme, sans avoir réellement apporté de déploiement nouveau aux dogmes fondateurs
et notamment à la notion de Beruf. Il existe toutefois un point commun entre ces quatre
religions : la conception de l’état de grâce, qui l’amène à transformer son style de vie de
manière systématique. Ainsi, « cette rationalisation de la conduite de vie à l’intérieur du
monde avec l’au-delà comme horizon, fut l’œuvre de la conception de la profession-vocation
propre au protestantisme ascétique ».
2. Ascèse et esprit capitaliste
Cette partie vise à faire l’ultime lien, déjà pressenti, entre éthique protestante et esprit
capitaliste. Pour ce faire, Weber considère le protestantisme ascétique comme une globalité
unique, et utilise pour commencer les travaux de Richard Baxter, théologien anglais du dixseptième siècle, sur la conception de l’argent et de la richesse. Ainsi, il semble que la richesse
soit un grave danger, amenant toutes les tentations, et que rechercher la richesse est non
seulement futile et dérisoire au regard de l’importance de Dieu, mais que ceci est
répréhensible moralement. Mais en réalité, c’est le fait de se reposer sur ses possessions qui
est répréhensible : c’est l’oisiveté qu’il faut combattre, puisque le repos ne se trouvera que
dans l’au-delà. Gaspiller son temps est un grave péché, car « toute heure perdue est soustraite
au travail consacré à la gloire de Dieu ». Le travail est ainsi non seulement un moyen
ascétique de prévenir des tentations de la vie, mais également une fin en soi prescrite par
Dieu. A l’inverse de Thomas d’Aquin, qui considère le travail comme une raison naturelle
pour préserver la vie de l’individu et de la collectivité mais dont la répartition est fortuite, ou
de Luther, qui y voit l’œuvre de la Providence divine, Baxter met l’accent sur le caractère
méthodique de l’ascèse et sur sa rationalité et son utilité : par conséquent, un homme pourra
changer de profession si cela est plus utile à Dieu – l’utilité étant mesurée par des critères
moraux ainsi que pratiques, tels que le profit dégagé, d’où l’expression « Dieu a béni son
commerce ». En effet, pour Baxter, vouloir être pauvre s’apparenterait à vouloir être malade.
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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L’Homme est « l’intendant des biens qu’il a reçus de la grâce de Dieu », il a donc « un
devoir à l’égard des possessions qui lui ont été confiées ».
En outre, l’ascèse étant « une lutte contre la jouissance ingénue de l’existence et des joies
que celle-ci peut offrir », l’ostentation et la consommation sont bannies, ce qui conduit d’une
part à l’uniformisation des modes de vie, favorable à la standardisation de la production
capitaliste, et à la formation d’épargne puisque le gain augmente sans aucune consommation :
il s’agit donc d’une « formation de capital par la contrainte ascétique à l’épargne », et donc à
la contribution la plus parfaite non seulement à l’esprit du capitalisme, mais également à ses
mécanismes propres.
Weber présente ensuite l’effet sécularisant de la possession, qui a aujourd’hui dépouillé cet
esprit de toutes ses racines religieuses. D’ailleurs, il met brièvement en garde la société contre
cette soumission aux biens, et affirme que si « le puritain voulait être un homme de la
profession-vocation, nous sommes contraints de l’être », avant de se rétracter quelque peu,
dans un souci de neutralité axiologique.
Enfin, il termine son ouvrage en citant plusieurs autres études qu’il serait intéressant de
faire pour compléter celle-ci, telle que la mesure de l’influence protestante sur l’esprit
capitaliste – affirmant qu’il n’a ici étudié que ses modalités, ou encore comment l’ascèse
protestante a elle-même été influencée par
l’époque.
On
perçoit
ici
la
rigueur
les conditions économiques et sociales de
de
l’universitaire,
qui
donne
des
pistes
d’approfondissement de son travail à qui voudra les suivre, et qui clôt son ouvrage par une
ouverture à la discussion et aux critiques.
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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3. Commentaires critiques
3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage
L’œuvre a connu de nombreuses controverses, la plupart desquelles relevant d’une
mauvaise compréhension des thèses soutenues par Max Weber. En effet, il a souvent été
compris que Weber affirmait que le protestantisme avait créé le capitalisme lui-même, ou bien
qu’il avait été la condition sine qua none de la naissance de son esprit propre, alors que celuici atteste que le protestantisme ascétique a contribué à façonner cet esprit, et à le diffuser. Dès
lors, des auteurs comme Schumpeter ou Sombart ont contredit cet ouvrage en affirmant que le
capitalisme était né bien avant en Italie, ou que son esprit provenait davantage du judaïsme.
Par ailleurs, on a reproché à la thèse wébérienne de ne pas être en mesure d’expliquer par
exemple pourquoi l’Écosse calviniste était si pauvre du XVIIème au XIXème siècle.
Face à ces critiques et à ces controverses, Max Weber a d’ailleurs publié un court ouvrage,
intitulé Anticritiques, dans lequel il se défend contre tous les reproches qui ont pu lui être
effectués.
Néanmoins, cette œuvre a été considérée comme fondatrice pour la sociologie, en raison
notamment des éléments épistémologiques qui apparaissent dans cet ouvrage, tels que l’idéaltype, la neutralité axiologique ou encore la causalité.
3.2. Avis de l’auteur de la fiche
Cet ouvrage brille par sa force de raisonnement et par sa limpidité. Il déroule une logique
sans faille, implacable et méthodique, qui, si elle est lue avec attention, ne saurait réellement
être contredite. En effet, Max Weber part d’un constat sociologique, puis, après avoir
consacré un bon nombre de pages à la définition précise des termes qu’il utilise – ici, l’esprit
du capitalisme et la notion de profession-vocation – il étudie les fondements théoriques de
quatre religions, pour en arriver au point fort de son ouvrage : le lien entre éthique protestante
et esprit du capitalisme. Lorsque l’on arrive à cette dernière partie, on est déjà conquis et
convaincu, d’autant plus qu’en utilisant ses fameux éléments épistémologiques, Weber ne
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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laisse aucune place à la contradiction : en effet, en raison de la neutralité axiologique qu’il
rappelle régulièrement, aussi bien en cœur de texte qu’en note de bas de page, par des
formules telles que « mais nous entrons là dans le domaine des jugements de valeur et de
croyance qui ne devraient pas hypothéquer cet exposé purement historique », il est impossible
de l’accuser de subjectivisme ou de mauvaise foi. Par ailleurs, grâce à la force de la causalité
(il n’existe pas de causalité simple, et plusieurs causes produisent un effet : il convient donc
de dégager les causes majeures mais il est impossible de n’en dégager qu’une seule, condition
sine qua none), il est impossible de considérer que la thèse de Weber est fausse. Ainsi, cet
auteur a une force de conviction totalement incontestable.
Par ailleurs, cet ouvrage a une résonance étonnamment moderne : quand Weber parle du
« capitalisme d’aujourd’hui » - donc du capitalisme de 1904 – cela fait totalement écho à la
réalité du capitalisme du début du XXIème siècle. La critique qu’il esquisse brièvement à la
fin de son ouvrage, alertant sur cette soumission aux biens et sur cet écrasement de l’Homme,
semble plus que jamais d’actualité, un siècle plus tard.
Enfin, outre le lien brillant qu’il fait entre éthique calviniste et esprit capitaliste, Max
Weber nous gratifie de quelques explications savoureuses sur notamment l’esprit de retenue
qui caractérise l’Europe du Nord, provenant de ce contrôle de soi systématique dans le
protestantisme ascétique, ou encore sur l’irrespect parfois manifesté à l’égard de la hiérarchie
dans ces mêmes nations, provenant cette fois-ci de la sécularisation de l’institution
protestante, privant les ouailles de cette vénération mystique envers l’Église. Et ces
explications, qui s’insèrent dans la longue démonstration des effets de la religion sur l’esprit
des hommes et sur la société, finissent de parfaire cet ouvrage, déjà d’une qualité
intellectuelle rare.
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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4. Bibliographie de l’auteur
•
1895-1919 - Œuvres Politiques, présentation par Elisabeth Kauffmann, introduction
de Catherine Colliot-Thélène, traduction par E. Kauffmann, J.P. Mathieu, M.A. Roy,
Albin Michel, 2004.
•
1894-1896 - La Bourse, traduction P. de Larminat, Allia, 2010.
•
1904-1905 - L’Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, traduction par J. Chavy,
Plon, 1964 ; nouvelle traduction par J.-P. Grossein, Gallimard 2003.
•
1904-1917 - Essais sur la théorie de la science, traduction partielle par Julien Freund,
Plon, 1965; édition de poche, Pocket, 1992.
•
1909 - Économie et Société dans l'Antiquité, introduction de H. Bruhns, traduction
par C. Colliot-Thélène et F. Laroche, La Découverte, 1998.
•
1916 - Confucianisme et taoïsme, traduction par C. Colliot-Thélène et J.-P. Grossein,
Gallimard, 2000.
•
1916 - Hindouisme et bouddhisme, traduction par I. Kalinowski et R. Lardinois,
Flammarion, 2003.
•
1917-1918 - Le judaïsme antique, traduction par Freddy Raphaël, Plon, 1970 - rééd.
Flammarion, 2010
•
1919 - Le Savant et le Politique, préface de R. Aron et traduction par J. Freund,
Plon, 1959.
•
1921 (posthume) - Économie et société, traduction du tome 1, Plon, 1971 ; édition de
poche, Pocket, 1995.
•
1921 (posthume) - Sociologie de la musique. Les fondements rationnels et sociaux
de la musique, traduction J. Molino, A.-M. Métailié, 1997.
•
1923 (posthume) - Histoire économique générale, traduction Ch. Bouchindhomme,
Gallimard, 1991.
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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5. Références
•
« Max Weber », Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Weber
•
« L'éthique
Protestante
et
l'esprit
du
capitalisme »,
Wikipedia,
http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%89thique_protestante_et_l
%27esprit_du_capitalisme
de Rochechouart Alice – Fiche de lecture : «L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme» – avril 2012
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