RMV 05:Revue 08-09.qxd - Revue de Médecine Vétérinaire
Transcription
RMV 05:Revue 08-09.qxd - Revue de Médecine Vétérinaire
Apports recommandés et pratique de l’alimentation des émeus d’élevage (Dromaius novaehollandiae L.) A. DELEBECQUE1, N. PRIYMENKO2,3* 1 2 3 Docteur Vétérinaire, Clinique du pays des cent vallées, 19 boulevard du Rouergue, 12800 Naucelle, FRANCE. Université de Toulouse, ENVT, UMR1089, F-31076 Toulouse, FRANCE. INRA, UMR1089 Xénobiotiques, F-31076 Toulouse, FRANCE. * Auteur chargé de la correspondance : [email protected] RÉSUMÉ Le développement de l’élevage d’émeus (Dromaius novaehollandiae L.) en Europe pour la production de viande, d’huile, de plumes et d’œufs, n’a pas été soutenu. Aussi, les pratiques d’élevage et les besoins alimentaires dans cette espèce ont été déterminés à partir des données existantes concernant l’alimentation de l’autruche et des volailles de production. Néanmoins, bien qu’étant un oiseau de l’ordre des Ratites, comme l’autruche, l’émeu provient d’Océanie et se distingue de sa voisine Africaine par de nombreux éléments anatomiques, physiologiques, voire comportementaux, qui ont des conséquences très importantes sur les apports recommandés et la pratique de l’alimentation en élevage. Les besoins alimentaires des émeus sont souvent plus élevés que chez les autruches, principalement chez les animaux en production. Les besoins alimentaires et les apports recommandés sont présentés en fonction des données disponibles dans la littérature puis la pratique du rationnement est détaillée en fonction des classes d’âge. Mots-clés : Emeu, Dromaius novaehollandiae L., Ratite, Alimentation, Besoins, Rationnement. Introduction - Eléments de zootechnie L’émeu (Dromaius novaeholladiae L.), l’oiseau le plus grand après l’autruche, est originaire d’Australie. Son élevage a été développé en France et en Europe, afin de produire de la viande, des plumes, de l’huile issue de la graisse sous cutanée et des œufs qui sont très fortement valorisés dans la décoration. L’émeu est considéré comme un gibier et doit être abattu dans un abattoir agréé. A partir de la graisse sous cutanée, on peut extraire 5 à 10 litres d’huile par oiseau adulte, valorisés dans les industries cosmétiques et pharmaceutiques. A l’âge adulte, ce Ratite mesure 1,75 m (1,50-1,90 m) en moyenne pour 50 kg (40-65 kg). Le dimorphisme sexuel est très peu marqué, le mâle est un peu plus petit que la femelle. Les petits sont « des répliques en miniature des adultes », ils pèsent de 440 à 500 g à la naissance. La maturité sexuelle est atteinte vers l'âge de vingt mois et la mise à la reproduction est possible dès la fin de la deuxième année. Les émeus sont monogames et forment un couple toute l’année et fidèle pour la vie. L’activité sexuelle dépend de la photopériode : l’émeu est un oiseau qui se reproduit durant les jours courts, bien Revue Méd. Vét., 2010, 161, 5, 219-224 SUMMARY Nutritional requirements and feeding practice of breeding emus (Dromaius novaehollandiae L.) Emu’s (Dromaius novaehollandiae L.) breeding development in relation with its production of meat, oil, feathers and eggs was never supported in Europe. So, breeding habits and feeding were defined from oister and poultry practice. Thus, even if emu belongs to the Ratites order like oister, its Oceanic origin and its anatomy, physiology and also behaviour are very different to its neighbour oister of African origin. Those considerations have great consequences in regards with nutrient requirement and feeding practices. Emu’s nutrient requirements are often upper than those of oister, mainly for production animals. The purposes of this article are to provide an overview of the literature knowledge about this Ratite feeding, to present minimal requirements and adequate intake of nutrients for emus, and to report feeding practice for the different physiological states. Keywords: Emu, Dromaius novaehollandiae L., Ratite, Feeding, Requirements, Feeding practice. que les mécanismes qui régulent la sécrétion des hormones sexuelles soient similaires à ceux des oiseaux se reproduisant durant les jours longs, avec une augmentation en période de jours courts de la sécrétion de LH et de testostérone, chez le male [3]. Dans notre hémisphère, la saison de reproduction s’étale donc de novembre à mars [12]. La femelle pond de 7 à 18 œufs durant une saison avec un intervalle de 2 à 4 jours entre chaque œuf. Entre chaque ponte, la femelle s’éloigne du nid et se désintéresse complètement des œufs. Dans la nature, seul le mâle couve les œufs pendant 56 à 61 jours, avec une grande assiduité. Dans de bonnes conditions d’élevage (alimentation adaptée et ramassage quotidien des œufs), un couple peut produire jusqu’à 40 œufs par saison. Les œufs sont ramassés et placés en incubateur ; les meilleurs résultats d’éclosion sont obtenus avec 35,836,4°C, pendant 48 à 56 jours. Les œufs sont vert‑foncé, granuleux en surface et volumineux : ils mesurent environ 135 mm de longueur sur 90 mm de diamètre et pèsent 600 g [7, 16]. Les poussins sont élevés soit pour être de futurs reproducteurs, soit pour la production de viande. Dans ce cas, ils sont abattus vers 12 mois. Les trois premiers mois, les poussins sont entretenus dans une atmosphère chaude (32°C jusqu’à 5 220 PRIYMENKO (N.) ET DELEBECQUE (A.) semaines, avec une diminution de 1,5°C ensuite par semaine), avec maximum 3 oiseaux par m2 en groupe de moins de 25 oiseaux. Les poussins doivent avoir accès à un parcours extérieur de 5 m2 par oiseau dès la 5ème semaine. et les apports recommandés, avant de détailler les modalités pratiques de l’alimentation de l’émeu. A l’âge de trois mois, les émeus sont placés dans des prés extérieurs avec des clôtures d’au moins 2 m de haut. Chaque enclos doit disposer d’un abri (maximum 2 oiseaux par m2) et les poussins vivent en groupe, en respectant une densité maximale de 175-250/ha, 100-175/ha puis 12-24/ha pour les oiseaux de 3-6, 6-12, puis plus de 12 mois, respectivement. Adultes, il est préférable de mettre chaque couple dans un enclos particulier d’au moins 0,25 ha. Besoins alimentaires et apports recommandés Contrairement aux autruches, les émeus ne mangent pas n’importe quoi. Dans leur milieu naturel, ils se nourrissent de feuilles d'arbres et de buissons, d'herbe sèche ou fraîche, de graines, de fruits tombés des arbres, de fleurs, d’insectes (chenilles, sauterelles), de vers et de petits mollusques terrestres [7]. L’ingestion d’aliments est plus importante en période de jours longs, en liaison avec l’augmentation de la durée des repas, et non de leur fréquence qui est la même tout au long de l’année [2]. Lorsque les jeunes naissent en début de printemps, ils consomment de l’herbe et les jeunes feuilles succulentes de certaines plantes (Portulacca sp, par exemple), avant de se nourrir comme les adultes [7, 15]. En élevage, les aliments utilisés seront présentés, et leurs caractéristiques expliquées, à partir des besoins des animaux. L’appareil digestif de l’émeu présente des particularités anatomiques et fonctionnelles très différentes de celles de l’autruche. Cet oiseau dispose d’un tractus digestif court, avec un intestin grêle très développé (88,5 % du volume total) et un gros intestin réduit (11,5 % du volume total) [1, 23]. Ces proportions sont inversées par rapport à l’autruche, ce qui montre que l’émeu est moins adapté que l’autruche à l’utilisation des glucides pariétaux. Cependant, la digestibilité des fibres n’est pas négligeable (digestibilité apparente de 35 à 45 %) et le NDF contribue de 10 à 50 % au besoin d’entretien [13]. Des travaux seraient nécessaires pour savoir exactement sur quel(s) site(s) a lieu la digestion microbienne dans cette espèce, même si elle a lieu au moins vraisemblablement au niveau du colon. Néanmoins, à ce jour, les valeurs énergétiques des matières premières et des aliments composés sont calculées à partir d’équations définies chez les volailles domestiques et donc ne tiennent pas compte de l’énergie issue de la fermentation des glucides pariétaux. Les densités énergétiques des rations (hors démarrage) sont donc certainement sous-estimées [1]. Le transit digestif est rapide, en moyenne 4 h pour la phase liquide et 6 h pour la phase solide. L'émeu est aussi adapté aux conditions climatiques très dures des régions semidésertiques de l'Australie, bien que ses reins aient de faibles capacités à concentrer les urines. En effet, c’est la portion distale de l'intestin (rectum et cloaque) qui, ayant une surface épithéliale multipliée par cinq du fait d'importantes villosités et microvillosités [9], absorbe la majeure partie de l'eau et des ions provenant des reins et de l'iléon. Même par rapport à l’autruche, qui est le Ratite le plus connu et le plus élevé, l’émeu est un animal qui a des besoins alimentaires très spécifiques. Nous allons présenter les besoins Les besoins et les apports recommandés sont définis par rapport à la matière brute, pour des aliments contenant 85 à 90 % de matière sèche. Le tableau I récapitule tous les apports recommandés, en fonction des différents stades de production. BESOIN EN EAU Le besoin en eau de l’émeu à 25°C (2-3 l/kg de matière sèche ingérée) est comparable à celui de l’autruche [10] et à celui des volailles domestiques. Il varie avec la température ambiante (il double entre 25 et 35°C) et avec la nature de la ration (si celle-ci est riche en sel ou en fibres, le besoin en eau augmente). L’émeu est capable de limiter ses pertes hydriques en diminuant son activité physique et son métabolisme de base, comme les autres animaux, mais également, en modifiant la conductance de sa peau [24]. En élevage, il est préférable de fournir aux animaux un accès permanent à l’eau. BESOIN EN ÉNERGIE Chez l’émeu, le besoin énergétique lié au métabolisme de base (MB en kJ/jour) est estimé à : MB = 245 x PV0.73 [13] ou MB = 227 x PV0.75 [8], soit 3620 ou 3611 kJ d’énergie métabolisable pour un adulte de 40 kg. Par ailleurs, il semble que le besoin énergétique lié au métabolisme de base serait inférieur de 20 % chez le mâle par rapport à celui de la femelle [17]. Pour l’émeu adulte, le besoin d'entretien, exprimé en énergie métabolisable (EM), est de [8] : EM = 284 x PV0.75 (EM en kJ/jour, PV en kg), ce qui correspond à 4517 kJ par jour pour un adulte de 40 kg. Ce besoin énergétique d’entretien est relativement faible par rapport au métabolisme de base (EM =1,25 x MB), surtout pour un oiseau. Il semble que l’évolution des Ratites à partir d’ancêtres capables de voler se soit accompagnée d’une réduction des dépenses énergétiques [5], et que les oiseaux vivant en milieu aride comme l’émeu aient des besoins et des dépenses énergétiques plus faibles que les autres oiseaux [24]. Comme il existe un reflux d’urines du cloaque vers le colon, on suppose qu’il existe chez l’émeu, comme chez l’autruche, un recyclage partiel de l’azote par la flore digestive, ce qui constitue un apport supplémentaire d’azote et d’énergie [8]. Chez l’autruche, le besoin énergétique d’entretien est Revue Méd. Vét., 2010, 161, 5, 219-224 ALIMENTATION DES ÉMEUS D’ÉLEVAGE Energie métabolisable (MJ /kg) Protéines (%) Lysine (%) AA soufrés (%) Méthionine (%) Tryptophane (%) Isoleucine (%) Thréonine (%) Cellulose brute (%) NDF (%) Calcium (%) P non phytique (%) Sodium (%) Vitamine A (UI/kg) Vitamine D3 (UI/kg) Vitamine E (UI/kg) Vitamine B12 (µg/kg) Choline (ppm) Cuivre (ppm) Zinc (ppm) Manganèse (ppm) Iode (ppm) 221 Entretien Ponte 10-11 Démarrage 0à6 semaines 11,2 Croissance 6 à 36 semaines 10,2-11 Finition 36 à 48 semaines 10,2-12 10,5-10,6 16 0,63-0,75 0,47-0,6 0,25-0,36 0,12 0,41 0,38 6-7 14 -16 1,2 0, 5-0,6 0,15-0,2 8800 3300 44 22 2200 20-33 70-110 60-154 0,4-1,1 20-22 0,81-1,0 0,67-0,75 0,38-0,40 0,18 0,58 0,60 7-8 16-18 2,4 -3,5 0,6 0,2 8800 3300 99 44 1980 33 110 154 1,1 22 0,9-1,1 0,8-0,86 0,48-0,50 0,19 0,65 0,60 6-8 14-16 1,5 0,75 0,2 15400 4400 99 44 2200 33 110 154 1,1 20 0,8-0,94 0,78-0,80 0,44-0,50 0,19 0,65 0,60 6-8 14-17 1,3 0,65 0,2 8800 3300 44 22 2200 33 110 154 1,1 17 0,70-0,78 0,65-0,8 0,38-0,50 0,19 0,65 0,60 6-7 10-13 1,2 0,60 0,2 8800 3300 44 22 2200 33 110 154 1,1 TABLEAU I : Apports recommandés chez l’émeu à l’entretien, en ponte et en croissance [1, 19, 20, 23]. réellement de 311 kJ/kg PV0.75 mais il a été estimé à 425 kJ/kg PV0.75 sans l’existence de ce recyclage [6]. Durant la période de ponte, les besoins augmentent de manière différente en fonction du sexe. A l’état sauvage, le mâle ne se déplace pas, ne se nourrit pas et ne boit pas durant toute la période d’incubation, il perd donc régulièrement du poids. Une étude reproduisant ces conditions a montré que la dépense énergétique moyenne était de 2,7-3,4 MJ/jour pour un mâle pesant 40 kg avant l’incubation et perdant 113 g de PV par jour [4]. Cette dépense est du même ordre de grandeur que les besoins énergétiques dus au métabolisme de base, ce qui montre que, dans cette situation, le mâle est capable de diminuer ses dépenses au minimum. En élevage, le ramassage des œufs modifie le comportement des mâles qui continuent à ingérer de l’aliment durant la période de ponte mais ils restreignent leur consommation de nourriture de 50 à 75 %. Pendant la période de reproduction, on estime que les besoins énergétiques des femelles sont couverts avec la consommation de 800-1200 g d’un aliment contenant 10 à 11 MJ/kg (soit 8-13,2 MJ/jour)[11, 22]. Chez les jeunes, la période de croissance est divisée en plusieurs phases. Le besoin énergétique est mal connu et il s’exprime indirectement via les recommandations sur la concentration en énergie métabolisable de la ration (Tableau I). Le mode de découpage de la croissance en plusieurs phases Revue Méd. Vét., 2010, 161, 5, 219-224 dépend de la durée d’engraissement qui varie entre 48 et 70 semaines [11, 20, 23]. En Australie, l’objectif est d’obtenir des carcasses grasses bien valorisées pour la production d’huile : la durée d’engraissement est donc plus longue et la densité énergétique des rations plus élevée durant la finition. En Europe, la durée d’engraissement est généralement de 48 semaines et correspond à un objectif de valorisation bouchère des jeunes. Les normes qui sont présentées dans ce document concernent le mode d’élevage européen [23]. BESOIN EN PROTÉINES Le besoin en protéines a été mesuré à 0,09 g d’azote/kg PV0.75, ce qui correspond à 0,56 g de protéine/kg PV0.75 pour un émeu à l’entretien (soit 9 g pour un émeu de 40 kg). Ce besoin est faible mais est en relation avec l’hypothèse de l’utilisation d’une partie de l’azote urinaire par les bactéries, dans le colon [8]. En pratique, les apports recommandés sont bien plus élevés : en période de ponte, la ration doit contenir de 20 à 22 % de protéines brutes (soit environ 200 g/MJ) et 16 % à l’entretien (soit environ 153 g/MJ) [23]. Chez les émeus en croissance, les apports recommandés en protéines brutes varient de 22 % en début de croissance à 17 % 222 en fin de croissance. Les besoins en acides aminés essentiels ont été déterminés, soit en sacrifiant de jeunes émeus à différents stades [11], soit en comparant les courbes de croissance obtenues avec des rations contenant des teneurs variables en acides aminés [20]. Ils sont particulièrement élevés pour la méthionine et pour la lysine [1, 11]. Par exemple, chez les émeus âgés de 23 à 65 jours, les teneurs en lysine pour optimiser le gain moyen quotidien et l’indice de consommation ont été estimées à 0,90 et 0,83 g/MJ d’EM, respectivement [18]. La lysine et la méthionine sont les acides aminés essentiels les plus limitants en pratique [1] et doivent souvent être apportés sous forme d’acides aminés de synthèse, dans la ration. MATIÈRES GRASSES ET FIBRES Bien que les besoins minima en matières grasses ne soient pas connus, il est recommandé de formuler des aliments contenant au moins 4 % de matières grasses. L’apport en acide linoléique doit être au moins de 1 % de la ration chez les animaux en ponte, et de 0,4 % pour les autres animaux. La teneur en fibres est très importante à considérer et explique pourquoi on ne peut pas alimenter des émeus avec des aliments pour poulets ou pour autruches. En effet, la teneur en cellulose brute d’un aliment pour émeus doit être idéalement de 6-8 % pour tous les stades de production, contre environ 1-2 % pour les poulets et 10-14 % pour les autruches. PRIYMENKO (N.) ET DELEBECQUE (A.) en sélénium et en iode, chez l’émeu. Ceci est délicat lorsque l’intervalle entre l’apport recommandé et la dose toxique est faible, comme pour le sélénium. En effet, pour cet oligo-élément, l’apport recommandé est de 0,2 ppm [1] et la dose toxique serait entre 1,4 ppm [14] et 5 ppm [1]. De plus, pour le cuivre, des rations contenant 20 ppm [1] avec une forte quantité de fer (477 ppm) ont été à l’origine de la formation d’œufs anormaux avec une coquille bleutée (communication personnelle). Il semble que l’apport de cuivre doive être au minimum de 33 ppm et que l’émeu soit sensible à des excès en fer (apport en fer recommandé de 80 ppm [1]). En ce qui concerne les vitamines, aucune mesure directe n’a permis de définir les besoins chez l’émeu et les apports recommandés ont été évalués à partir de rations donnant satisfaction ou ont été copiés sur les apports recommandés pour les dindes. Pratique du rationnement Ni les formules destinées aux volailles domestiques, ni les formules destinées à l’autruche ne sont exactement adaptées aux besoins de l’émeu, surtout en ce qui concerne la teneur en fibres (trop ou pas assez élevée). En plus des exigences alimentaires spécifiques à cet oiseau, les apports recommandés puis les contraintes utilisées tiennent compte des grandes variations d’appétit de cette espèce en fonction de la saison, des conditions climatiques, de l’âge et du stade de production. MINÉRAUX ET VITAMINES Les besoins en minéraux et en vitamines ne sont pas connus avec précision chez l’émeu, même à l’entretien. Les apports recommandés proviennent essentiellement d’un travail de synthèse réalisé à partir de nombreuses publications présentant la composition de rations utilisées avec succès chez l’émeu en élevage [1] ou ont été directement copiés sur ceux destinés à la dinde. Comme chez la poule, la femelle en ponte a un besoin en calcium important et le rapport Ca/P recommandé est de 3 à 4, contre un maximum de 2 en moyenne pour l’émeu en croissance ou à l’entretien. Par contre, le mâle n’a pas un besoin en calcium aussi élevé et même l’excès de calcium nuit directement à la spermatogenèse. De plus, un excès de calcium ainsi que de phosphore phytique dans la ration inhibe l’absorption de manganèse, de zinc, de cuivre ou d’autres oligo-éléments, générant des carences secondaires ayant pour conséquence une altération de sa fertilité. Par conséquent, il faudrait fournir un aliment minéral riche en calcium à la femelle de façon séparée mais ceci est rarement réalisé en pratique : par commodité, le mâle et la femelle reçoivent la même ration. Chez les jeunes, les besoins minima en calcium, phosphore, manganèse, zinc et cuivre ont été déterminés à partir de l’évolution de la composition chimique des oisillons au cours du temps, lors de la croissance [11]. Il reste de larges incertitudes concernant les apports recommandés en potassium, en magnésium, en zinc, en cuivre, en fer, LES ALIMENTS DISTRIBUÉS Les aliments distribués en élevage sont soit des aliments complets formulés spécifiquement pour les émeus en fonction des différents stades de production, soit des mélanges réalisés sur l’exploitation. En élevage, les aliments sont le plus souvent présentés sous forme de granulés contenant des céréales, des graines protéagineuses et oléagineuses et/ou leurs co-produits, des minéraux, des vitamines et des acides aminés de synthèse. Il est nécessaire d’utiliser un aliment différent pour chaque phase de vie [11] : - un aliment démarrage pour les oiseaux entre 0 et 2 mois, - un aliment croissance pour les émeus entre 2 mois et l’âge de l’abattage (environ 12 mois), - un aliment ponte pour les mâles et les femelles en période de ponte, - un aliment entretien pour les animaux adultes en dehors des périodes de ponte. A ces quatre aliments s’ajoute éventuellement un cinquième destiné aux jeunes conservés sur l’élevage pour devenir de futurs reproducteurs. Après 48 semaines, ces animaux sont nourris soit avec cet aliment croissance spécifique restreint en énergie, soit avec l’aliment adulte à l’entretien distribué en quantité limitée. Pour les jeunes en croissance, les différents paliers sont clairement définis. Les animaux sont élevés en groupe et nourris avec des aliments spécifiquement formulés pour leur classe d’âge. Revue Méd. Vét., 2010, 161, 5, 219-224 ALIMENTATION DES ÉMEUS D’ÉLEVAGE 223 Pour les adultes, la transition entre l’aliment adulte entretien et l’aliment de ponte a lieu six semaines avant la première ponte attendue, soit en décembre, sous nos latitudes. En effet, la durée totale de formation d’un œuf (de l’ovulation à la ponte) étant d’environ six semaines, il convient de distribuer un aliment pour reproducteurs au moins six semaines avant le commencement de la saison de ponte [19], d’autant que la composition de cet aliment tient compte du fait que les mâles et les femelles diminuent leur consommation alimentaire durant cette période. Par commodité, le mâle et la femelle sont nourris avec le même aliment qui a une composition optimisée pour couvrir le besoin des femelles. Or, en élevage, l’incubation est artificielle et les besoins spécifiques du mâle sont relativement peu respectés, ce qui n’est pas optimum pour leur fertilité. A minima, il serait préférable de fournir aux femelles une source de calcium à part, mais cela n’est jamais réalisé. La composition de mélanges réalisés à la ferme et utilisés avec succès est présentée sur le tableau II mais ces essais ont été réalisés dans des fermes d’élevage en Australie et les mélanges contiennent des farines de viande. En France, l’utilisation de farine de viande est interdite, il faut donc la remplacer par une autre source de protéines, par exemple de la farine de poisson. MODALITÉS DE DISTRIBUTION DES ALIMENTS Deux modes de distribution de l’aliment sont possibles : soit à volonté, soit restreinte. Pour une distribution à volonté, les mangeoires sont constamment pleines et les animaux ont toujours accès à la nourriture. Ce mode de distribution est le plus fréquemment employé en élevage. A titre indicatif, on estime qu’un émeu adulte consomme de 800 à 1200 g de nourriture par jour, à l’entretien [11, 22], un adulte pendant la saison de reproduction jusqu’à 2000 g, et un jeune de 200 à 2000 g d’aliment en fonction de son âge. Cependant, un excès de consommation durant la croissance favorise l’apparition de troubles ostéoarticulaires, chez les jeunes [21]. Entretien Sorgho 30,0 Blé 34,2 Farine de viande et d’os 55 5,7 Tourteau de soja 45 Tourteau de tournesol 32 Tourteau de coton Son 10,0 Farine de luzerne 16,4 Carbonate de calcium 2,0 Phosphate bicalcique 0,7 Sel 0,29 DL-Méthionine de synthèse 0,09 L-Lysine de synthèse 0,10 Oligo-éléments et vitamines 0,50 Ponte 31,6 30,0 10,3 4,9 6,5 10,0 5,7 0,22 0,17 0,07 0,50 Avec une distribution rationnée, l’aliment est distribué à heures régulières, tous les jours. Pour être efficace, cette méthode nécessite d’observer en continu les oiseaux pour distinguer à l’œil et au toucher un émeu maigre, normal ou gras, afin d’adapter les quantités distribuées au jour le jour. Apparemment plus contraignante, ce mode de distribution présente certes des inconvénients (perte de temps et difficulté d’évaluer la quantité exacte à distribuer) mais aussi de nombreux avantages pour les oiseaux et donc également pour l’éleveur. En effet, ce mode de distribution : - améliore l’efficacité alimentaire : une étude a montré que les oiseaux consomment moins d’aliment et le métabolisent plus efficacement lorsque les repas sont à heures fixes et sont suivis d’une période de repos [21], - permet de mesurer la quantité consommée donc facilite le suivi sanitaire et les prévisions budgétaires de l’éleveur, - restreint le tri par les animaux et donc le risque de déséquilibres et de carences alimentaires. En effet, les matières premières d’une ration n’ont souvent pas toutes la même texture surtout lors de fabrication d’aliments à la ferme (granulés, légumes et herbe, compléments en poudre pour les minéraux et les vitamines). Lors d’une distribution à volonté, les éléments les moins grossiers s’accumulent facilement dans le fond des mangeoires et sont donc moins consommés. - limite les risques de contamination bactérienne ou fongique car les aliments stagnent moins longtemps dans les mangeoires, - diminue le stress des animaux : la routine est sécurisante et l’association de la présence humaine avec un stimulus agréable (la nourriture), facilite l’apprivoisement et, par exemple, le ramassage des œufs pendant le repas [1, 15]. - prévient les abus de nourriture : tout animal confiné peut avoir tendance à trop manger s’il a un accès illimité à la nourriture, soit par ennui, soit par goût. Ainsi, pour améliorer le confort des animaux et les résultats zootechniques, il vaut mieux privilégier un mode de distribution rationné. Démarrage 34,7 36,0 10,3 3,2 9,9 2,9 1,8 0,28 0,23 0,23 0,50 Croissance 30,9 30,0 10,0 8,6 15,0 2,9 1,5 0,21 0,19 0,17 0,50 Finition 31,6 30,0 10,1 6,7 15,0 4,1 1,5 0,20 0,17 0,11 0,50 TABLEAU II : Exemple de rations pour les émeus en fonction de leur stade de production (en kg pour 100 kg d’aliment) [19, 20]. Revue Méd. Vét., 2010, 161, 5, 219-224 224 Conclusion Bien que la rentabilité économique de l’élevage de l’émeu reste discutée à ce jour en France, elle passe par une diminution des coûts de production et donc par l’amélioration des connaissances en alimentation. Comme l’élevage de l’émeu est une pratique récente (une trentaine d’années seulement), les connaissances de terrain et scientifiques restent limitées, notamment en ce qui concerne l’alimentation. Les apports recommandés présentés dans cette étude sont donc susceptibles d’évoluer. Néanmoins, ce travail souligne le fait que l’émeu a des exigences alimentaires particulières, différentes de celles de l’autruche et des volailles domestiques. L’ensemble des travaux présentés ici est destiné à faire connaître aux vétérinaires les apports alimentaires recommandés afin d’améliorer la prise en charge de cette production. Les troubles pathologiques liés à l’alimentation chez l’émeu seront envisagés dans un prochain article. Bibliographie 1. - ANGEL C.R., SCHEIDELER S.E., SELL J.L.: Ratite nutrition. In: TULLY T.N., SHANE S.M.: Ratite management, medecine and surgery, 188 pages, Malabar, KRIEGER publishing company, 1996. 2. - BLACHE D., MARTIN G.B.: Day length affects feeding behaviour and food intake in adult male emus (Dromaius novaehollandiae). Br. Poult. Sci., 1999, 40, 573-578. 3. - BLACHE D.,TALBOT R.T., BLACKBERRY M.A., WILLIAMS K.M., MARTIN G.B., SHARP P.J.: Photoperiodic control of the concentration of luteinizing hormone, prolactin and testosterone in the male emu (Dromaius novaehollandiae), a bird that breeds on shorts days. J. Neuroendocrinol., 2001, 13, 998-1006. 4. - BUTTEMER W.A, DAWSON T.J.: Body temperature, water flux and estimated energy expenditure of incubating emus (Dromaius novaehollandiae). Comp. Biochem. Physiol., 1989, 94, 21-24. 5. - CALDER W.A., DAWSON T.J.: Resting metabolic rates of ratites birds : the kiwi and the emu. Comp. Biochem. Physiol., 1978, 60, 479-481. 6. - CILLIERS S.C., HAYES J.P., CHWALIBOG A., SALES J., DU PREEZ J.J.: Determination of energy, protein and amino acid requirements for maintenance and growth in ostriches. Anim. Feed Sci. Technol., 1998, 72, 283-293. 7. - DAVIES S.J.J.F.: Emus. Aust. Nat. Hist, 1963, 14, 225 - 229 8. - DAWSON T.J., HERD R.M.: Digestion in the emu: low energy and nitrogen requirements of this large ratite bird. Comp. Biochem. Physiol., 1983, 75, 1, 41-45. 9. - DAWSON T.J., HERD R.M., SKADHAUGE E.: Osmotic and ionic regulation during dehydration in a large bird, the emu (Dromaius novaehollandiae): an important role for the cloaca-rectum. Q. J. Exp. Physiol., 1985, 70, 423-436. 10. - DEGEN A.A., KAM M., ROSENSTRAUCH A., PLAVNIK I.: Growth rate, total body water volume, dry mater intake and water PRIYMENKO (N.) ET DELEBECQUE (A.) consumption of domestic ostriches (Struthio camelus). Anim. Prod., 1991, 52, 225-232. 11. - FRAPPLE P., O’MALLEY P., SNOWDEN J., HAGAN R.: Emu processing and product developpement. Rural Industries Research and Developpement Corporation, 1997. ISBN 0 642 24686 6 (ISSN 1321 2656). Available from Internet : http://www.ridc.gov.au/reports/NAP/DAW-34A.DOC (page consultée en janvier 2008). 12. - GUITTIN P. : Les Struthioniformes en parc zoologique : reproduction, croissance, élevage, 405 pages, Th. Univ. Paris VII, 1985. 13. - HERD R.M., DAWSON T.J.: Fiber digestion in the emu, Dromaius novaehollandiae, a large bird with a simple gut and high rates of passage. Physiol. Zool., 1984, 57, 70-84. 14. - KINDER L.L., ANGEL C.R., ANTHONY N.B.: Apparent selenium toxicity in emus (Dromaius novaehollandiae). Avian. Dis., 1995, 39, 652-657. 15. - LICOUR H. : L’élevage des émeus, 109 pages, Th. Med. Vet. Nantes, 1993. 16. - MAJEWSKA D.: The influence of emu (Dromaius novaehollandiae) egg storage time on hatchability and chick survival. Electronic Journal of Polish Agricultural Universities, Animal Husbandry, 2001, 4 (issue 2). Available from Internet: http://www.ejpau.media.pl/volume4/issue2/animal/art-09.html (page consultée en janvier 2008). 17. - MALONEY S.K., DAWSON T.J.: Sexual dimorphism in basal metabolism and body temperature of a large bird, the emu. Condor, 1993, 95, 1034-1037. 18. - MANNION P.F., KENT P.B., BARRAM K.M., TRAPPETT P.C., BLIGHT G.W., SALES J.: Lysine requirements of growing emus. Br. Poult. Sci., 1999, 40, 309-311. 19. - MANNION P.F., KENT P.B.: Nutrition for breeding emu. Quennsland Government, Department of Primary Industries, 1998a. Available from Internet: http://www.dpi.qld.gov.au/cps/rde/ xchg/dpi/hs.xsl/27_2720_ENA_HTML.htm (page consultée en janvier 2008). 20. - MANNION P.F., KENT P.B.: Nutrition for growing emu. Quennsland Government, Department of Primary Industries, 1998b. Available from Internet: http://www.dpi.qld.gov.au/cps/rde/ xchg/dpi/hs.xsl/27_2721_ENA_HTML.htm (page consultée en janvier 2008). 21. - MINNAAR M., MINNAAR P.: The emu farmer’s handbook, 177 pages, Groverton, INDUNA Company, 1992. 22. - NICHOLLS J.: Investigation of growth rate and cost factors affecting commercial emu rearing using cool climate forage based production systems. Rural Industries Research and Developpement Corporation, project N° NAP15. Available from Internet : http://www.ridc.gov.au/reports/NAP/DAT-32A.DOC (page consultée en janvier 2008). 23. - SCHEIDELER S.E., SELL J.L.: Nutrition guidelines for ostriches and emus. Iowa State University, University Extension, 1997. Available from Internet : http://www.extension.iastate.edu/Publications/PM1696.pdf (page consultée en janvier 2008). 24. - TIELEMAN B.I, WILLIAMS J.B.: The adjustement of avian metabolic rates and water fluxes to desert environments. Physiol. Biochem. Zool., 2000, 73, 461-47. Revue Méd. Vét., 2010, 161, 5, 219-224