Fairplay financier - CIES Football Observatory
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Fairplay financier - CIES Football Observatory
Document:/Le_Temps/Quotidien/2012/10/03/Temps fort/Pages/TF_0310.pgl Le Temps Mercredi 3 octobre 2012 Auteur:peca Date:03.10.2012 12:03:07 Temps fort 3 DANIEL OCHOA DE OLZA/AP Le foot tente la normalité financière > Sport Près de vingt ans après la libéralisation du marché des joueurs, l’UEFA veut mettre un terme aux déficits abyssaux des clubs > Le «fair-play financier» est entré en vigueur cet été > Le système bride les challengers Servan Peca Manchester City - Dortmund, Ajax - Real Madrid ou Benfica - Barcelone. Hier et ce soir, pour la deuxième fois de la saison 20122013, la Ligue des champions reprend ses droits. Dans les gradins ou derrière l’écran, rien n’a changé. Les grosses écuries sont là et la plupart des challengers n’en sont pas à leur premier essai. Dans les coulisses de ce grand spectacle se joue pourtant une révolution. Pour le football européen, l’exercice qui débute sera à marquer d’une pierre blanche, quelles que soient son issue et ses suites. Au mois d’août, le fair-play financier de l’UEFA est entré en vigueur. Le fair-play financier, c’est un document juridique d’une centaine de pages. Il explique par le menu comment la puissante association basée à Nyon veut instaurer un principe simple pour tous, mais ô combien compliqué pour un secteur économique comme le football: on ne dépense pas plus que ce que l’on gagne. «Cette règle découle du bon sens mais elle n’a pas toujours été respectée, confirme Vincent Chaudel, économiste du sport au sein du cabinet de conseil Kurt Salmon, à Paris. C’est un vrai changement de régime.» «Liverpool ou Lyon doivent réduire la voilure. Ils peineront à rattraper les Barcelone ou Manchester» Finis les pertes abyssales et les investissements à fonds perdus. Le club qui aspire à participer aux compétitions européennes doit non seulement être rentable mais il ne peut plus dépendre d’un généreux mécène prêt à combler les déficits chroniques. «L’UEFA veut éviter qu’ils ne faussent l’équité sportive et le marché des joueurs. Elle ne veut plus que ce soit eux qui donnent le ton», résume un expertcomptable bien au fait des questions juridico-sportives. En cas de non-respect de ses nouvelles règles, l’association présidée par Michel Platini a prévu tout un éventail de sanctions. L’ultime étant l’interdiction de participer à ses compétitions. Avec comme conséquence directe un manque à gagner important, si l’on sait que le FC Barcelone, en remportant la Ligue des champions en 2009, a encaissé quelque 110 millions d’euros, tous types de recettes confondus. L’UEFA elle-même ne s’en est jamais cachée: la tâche est titanesque. A fin 2010, la perte globale des 665 clubs qu’elle a audités s’élevait à 1,64 milliard d’euros. En un an, elle avait grimpé de 36%. Pire, les trois quarts des «grands clubs», ceux qui affichent des revenus de plus de 50 millions d’euros, étaient déficitaires. La même année, alors que le nouveau règlement prenait encore forme, Andrea Traverso, responsable de l’unité de licences de clubs à l’UEFA, confirmait déjà l’urgence: «Il faut absolument baisser le niveau général des dépenses.» Real Madrid Manchester City. Dès à présent, les plus dépensiers sont scrutés à la loupe. MADRID, 18 SEPTEMBRE 2012 Comment le football européen est-il arrivé à un tel stade de déséquilibre? Depuis l’arrêt Bosman en 1995, qui a mené à la libéralisation du marché des joueurs, les indemnités de transferts et les salaires ont pris l’ascenseur. Il est acquis depuis longtemps que ce sont essentiellement ces charges qui ont plombé les comptes d’une majorité de clubs. Il faut plusieurs dizaines de millions d’euros, parfois plus, pour s’attacher les services et assurer le salaire des grands talents du ballon rond. En 2009, le Portugais Cristiano Ronaldo arrivait au Real Madrid pour 94 millions. Son salaire, qui vient d’être revalorisé, s’élève à 15 millions par an. Le Suédois Zlatan Ibrahimovic, transfuge récent du Paris Saint-Germain, a lui coûté 21 millions. Quant à sa paie, elle devrait dépasser 10 millions d’euros par an. Et ce ne sont que des exemples extrêmes. Mais le marché des seconds couteaux a suivi la tendance. Conséquence de cette hyperinflation, la masse salariale des clubs européens s’élevait en moyenne à 64% de leur chiffre d’affaires en 2010. Mais pour certains clubs de l’Est, notamment, elles atteignaient plus de 100%… Alors, aujourd’hui, nombreux sont ceux qui considèrent le fair-play financier comme la plus grande évolution du football depuis l’arrêt Bosman. Même les clubs de l’opulente Premier League anglaise semblent l’avoir compris. Pas plus tard que le week-end dernier, leurs responsables se sont tous réunis pour trouver des solutions. Même si le championnat anglais dispose des revenus les plus importants du monde, les hauts salaires y sont légion et commencent à étouffer certaines grosses écuries. Selon les médias spécialisés, la question d’un plafond salarial, à l’instar des pratiques américaines, devait y être débattue. Mais des clivages apparaissent entre les clubs rentables (Manchester United, Arsenal) et d’autres (Manchester City ou les Londoniens de Fulham notamment, tous deux soutenus par les fonds de mécènes du Golfe). Les Blues de City, champions d’Angleterre en titre et critiqués par certains pour avoir «acheté le titre» en bâtissant une équipe grâce aux millions dépensés par le cheik Mansour d’Abu Dhabi, demandent du temps pour être rentables. Comme le nouveau riche français, le Paris Saint-Germain, dont le nouveau propriétaire qatari a dépensé 147 millions d’euros, cet été. Richard Olivier, le président de la DNCG, l’autorité de surveillance des clubs dans l’Hexagone, tenait récemment une ligne de défense similaire à celle de Manchester City, dans Le Journal du Dimanche: «On a permis à des clubs comme Chelsea de constituer leur fonds de commerce sans restrictions, alors que les nouveaux venus devraient être tout de suite rentables. [Le milliar- daire russe] Roman Abramovitch a dépensé près d’un milliard. Les Qatariens en sont encore loin.» Problème, le nouveau régime financier commence maintenant. Ceux qui veulent participer aux compétitions européennes de la saison 2013-2014 doivent donner des gages financiers tout de suite. Et c’est sans doute ici que se situe la faille d’un système qui prône l’équité. Contraindre les clubs à l’équilibre, c’est aussi brider les ambitions de ceux qui voudraient grandir, pointe Raffaele Poli, responsable de l’Observatoire du football, à Neuchâtel. Car pour augmenter leurs investissements, ils doivent impérativement, et simultanément, augmenter leurs revenus. Et cela, c’est évidemment plus simple pour les très grands clubs à l’envergure internationale, qui se vendent déjà comme une marque à part entière. «Les challengers que sont Liverpool ou l’Olympique Lyonnais, par exemple, doivent réduire la voilure. Ils auront donc grand peine à atteindre le niveau des Manchester United ou Barcelone. A moins de trouver de nouvelles recettes rapidement, de disposer d’un stade à la hauteur», illustre Vincent Chaudel. S’offrir un nouveau stade pour générer plus de recettes reste possible. Pour les investissements dans les infrastructures ou la formation, l’UEFA accorde des exceptions à ses règles. Ce type de charges ne sont pas prises en compte dans son calcul. Mais pour ceux qui veulent progresser vite, ce sont bien les investissements dans les joueurs (et leurs salaires) qui sont essentiels. Alors, comment générer rapidement plus de revenus? En vendant plus de droits TV. A fin 2010, ceux-ci représentaient plus d’un tiers des recettes des clubs européens. Mais dans une Europe en crise où les revenus publicitaires des chaînes sont en baisse, ces dernières sont de moins en moins prêtes à payer le prix fort pour avoir le droit de diffuser des matches. Alors le foot européen se tourne vers de nouveaux marchés pour vendre des droits d’image, mais aussi des maillots et des produits dérivés. Le patron du Bayern Munich, Karl-Heinz Rummenigge, est par Certains clubs ont déjà trouvé des parades > Des méga-contrats de sponsoring ressemblent à du mécénat détourné Le fair-play financier entre à peine en scène que certains ont déjà trouvé des parades pour s’en affranchir. Propriété du fonds d’investissement Qatar Sports Investments (QSI), le Paris Saint-Germain qui, en une année, a dépensé 250 millions d’euros en transferts, serait en passe de conclure un nouveau contrat de sponsoring. Pour remplacer Fly Emirates sur la poitrine des joueurs parisiens et, éventuellement, accoler son nom à celui du Parc des Princes, la Qatar National Bank serait prête à mettre 100 millions d’euros sur la table. Ce, alors que la compagnie aérienne en paie aujourd’hui 3,5 millions par an. Citée par l’AFP, une source à l’UEFA assure que l’association vérifiera si ce contrat et son montant sont en conformité avec le marché actuel. Mais la somme dont il est question et la proximité entre le propriétaire du club et la banque font dire à certains que ce partenariat n’est rien d’autre que du mécénat détourné. «C’est une des manœuvres possibles pour gonfler les recettes», confirme Raffaele Poli, de l’Observatoire du football, alors que l’objectif de l’UEFA est justement de limiter l’intervention de riches mécènes. Pour Vincent Chaudel, de Kurt Salmon, ce contrat fait partie d’une stratégie globale du petit émirat qui, rappelle-t-il, a investi dans d’autres clubs et, surtout, organisera la Coupe du monde en 2022. «Vu ainsi, on comprend mieux les enjeux qui se cachent derrière de tels investissements.» Affaires de famille? En 2011, Manchester City avait aussi levé les soupçons en concluant un contrat de 400 millions de livres sterling avec Etihad Airways. Là aussi, la compagnie devenait sponsor maillot et donnait son nom au City of Manchester Stadium. Là aussi, le montant et la proximité avec le propriétaire du club avaient soulevé des questions – Etihad appartient à la famille royale d’Abu Dhabi. «L’UEFA a mené l’enquête, elle n’a rien trouvé à redire», se souvient Rafaele Poli. Du côté des charges, quelques astuces émergent également. Pratique déjà largement utilisée en Europe, la propriété tierce de joueurs permet de s’affranchir de tout ou partie des sommes de transferts et de salaires. Certains joueurs n’appartiennent pas à leur équipe mais à des investisseurs, des fonds, des sociétés, à des proches du club et même parfois aux présidents du club dans lequel ils évoluent. «La moitié de l’équipe de Saragosse, qui s’est sauvée de justesse l’année passée, était des joueurs dont les droits économiques n’appartenaient pas au club», expose encore le spécialiste. Le propriétaire du PSG a, lui, en tout cas assuré qu’il respecterait les nouvelles règles financières. «Michel Platini a dit qu’il fallait être créatifs, nous avons des idées.» S. P. exemple en train de presser les autorités du football allemand pour que la Supercoupe, qui oppose le vainqueur du championnat au détenteur de la coupe, se dispute en Chine. Ce, argue-t-il, afin d’y accroître la visibilité du foot allemand. Et avec, ses revenus. Karl-Heinz Rummenigge n’invente rien, il suit le mouvement. Il n’est en effet pas rare que les clubs passent leur entre-saison aux EtatsUnis ou en Asie, enchaînant les matches amicaux intéressés. Cet été, par exemple, Arsenal s’est frotté à Manchester City à Pékin. Chelsea et l’AC Milan se sont, eux, retrouvés à Miami. L’UEFA n’a pas tardé. Le 11 septembre sont tombées les premières sanctions de l’ère du fair-play financier Et puis, il y a ceux qui ont vu trop gros, trop vite, et qui, aujourd’hui, peinent à suivre le rythme qu’ils se sont eux-mêmes imposé. L’UEFA n’a d’ailleurs pas tardé, avant de les remettre à l’ordre. Le 11 septembre, elle annonçait les premières sanctions de l’ère du fair-play financier. L’association a suspendu les primes de participation pour 23 clubs. Dans leurs dossiers censés leur offrir l’accès aux coupes d’Europe, l’instance de contrôle financier de l’UEFA a identifié «l’existence d’importants arriérés de paiement envers d’autres clubs et/ou envers le personnel ou les administrations sociales ou fiscales». Parmi les fautifs figurent plusieurs clubs de l’Est à la réputation limitée, mais aussi quelques noms connus, comme l’Atletico Madrid, qui en mai dernier a remporté la cadette de la Ligue des champions, l’Europa League. Cela concerne aussi le club turc de Fenerbahce, habitué de la Ligue des champions, ou encore le FC Malaga, en mains qataries et qui a dépensé (presque) sans compter ces deux dernières années. Autant d’équipes qui aspirent à gravir les échelons, à concurrencer les mastodontes du continent. Lucide sur les limites de la nouvelle donne, Arsène Wenger, l’indéboulonnable manager d’Arsenal, estime qu’elle va au moins permettre de «déterminer la véritable taille de chaque club». e t