Hormone de croissance

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Hormone de croissance
Hormone de croissance – De l’origine de l’affaire à l’arrêt rendu le 7 /01 /2014 par la Cour de cassation
02 /2014
Jean VILANOVA – Juriste
[email protected]
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L’affaire dite de l’hormone de croissance constitue un interminable et douloureux feuilleton judiciaire. Peut-on envisager sa conclusion prochaine après la
dernière décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation (arrêt du 7 /01 /2014) ? Celle-ci renvoie en effet devant la cour d’appel de Paris les
parties encore en présence mais sur les seules dispositions civiles, les prévenus ayant été définitivement relaxés au pénal. Il appartient maintenant à la cour
d’appel de mettre un terme à cette affaire qui défraie la chronique depuis maintenant 22 années. Retour sur les faits et commentaires…
I. LE CHEMINEMENT VERS LA CATASTROPHE SANITAIRE
Un risque émergent non ou mal appréhendé
C’est en 1974 que sont initiés les premiers traitements destinés aux enfants exposés au risque de nanisme en raison d’un déficit de l’hormone de croissance.
Par la suite, entre 1983 et 1988, en France, 1 698 enfants de petite taille dont il s’agit de doper la croissance vont recevoir un traitement à base d’extraits
d’hypophyses prélevés sur des cadavres humains. L’association France-Hypophyse se charge de la collecte. Puis, dans un second temps l’Institut Pasteur, par
le biais de son laboratoire de recherche de l’Unité de radio-immunologie (URIA) s’occupe du conditionnement et de la distribution de ces extraits en
collaboration avec la Pharmacie Centrale des Hôpitaux.
On le sait, aucun traitement n’est anodin. Et celui-ci va rapidement révéler un risque émergent. Les premières mises en garde datent du début des années
80. Le professeur Luc Montagnier pointe dès 1980, c’est-à-dire avant les premières injections, le danger induit par l’utilisation de tels extraits hypophysaires
dans la transmission de certains virus. Il est fait état de la maladie de Creutzfeld-Jakob, forme humaine de l’encéphalopathie spongiforme bovine. Il s’agit
d’une affection dégénérative du système nerveux central évoluant vers la destruction des fonctions neurologiques. Maladie rare, incurable, elle conduit au
décès dans des conditions très pénibles.
Assez rapidement, aux USA, on établit un lien entre la survenue de trois décès dus à la maladie de Creutzfeld-Jakob et le traitement à l’hormone de
croissance humaine. C’est pourquoi dès avril 1985, le National Hormone and Peptide Program (NHPP) suspend la délivrance de l’hormone de croissance
extraite de cadavres. 6 mois plus tard, le NHPP mettra sur le marché une hormone de croissance synthétique fabriquée en laboratoire.
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Au même moment, en France le choix est différent et l’on décide de poursuivre les prélèvements sur cadavres. La tendance, en effet n’est pas à l’hormone
de synthèse perçue comme trop complexe. Pour autant, France-Hypophyse n’exclut pas totalement la possibilité d’un lien entre le décès des trois patients
nord-américains et l’hormone qui leur a été administrée issue de cadavres.
L’évocation des premiers cas de malades français ne sera faite qu’au cours du printemps 1991, très tard donc, peu avant le décès du premier patient, un
garçon de 15 ans, des suites de la maladie. Ses parents portent plainte avec constitution de partie civile. Entre 1991 et 2008, plus de 100 jeunes patients
décèdent à leur tour des mêmes maux. Tous ont reçu des hormones de croissance humaines contaminées et ceci marque le début d’un nouveau scandale
sanitaire.
Quant aux autres patients, aujourd’hui adultes, ils restent sous la menace de la maladie dont le temps d’incubation peut s’avérer très long, de l’ordre de
plusieurs décennies.
Erreurs d’appréciation et communication déficiente donnent lieu à de sévères critiques
Dans notre pays, les conclusions nord-américaines d’avril 1985 ayant abouti à l’abandon de l’hormone humaine au profit de l’hormone synthétique, sont
d’abord sous-estimées et même traitées avec condescendance, un responsable de la Pharmacie Centrale des Hôpitaux allant même jusqu’à évoquer… « le
magnifique coup de marketing de la part de Kabi... » (le laboratoire fabricant l’hormone de synthèse). On a connu avis mieux inspirés ! Et le directeur de la
Pharmacie et du Médicament de saluer dans la foulée … « le très remarquable travail réalisé par l’association France-Hypophyse en liaison avec la Pharmacie
Centrale et la Commission Nationale de l’Hormone de Croissance. » Tout au plus est-il demandé à France-Hypophyse de renforcer le processus de
purification des extraits hypophysaires prélevés.
Mais en 1992, après les premiers décès français, son de cloche dissonant de la part de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS). Celle-ci rend un
rapport alarmant qui fustige le modèle ainsi mis en place. La critique est vive en effet et porte sur le fond :
- des dysfonctionnements et des principes empiriques là où des procédures précises s’imposaient ;
- l’absence d’AMM ;
- la sous-estimation du risque de maladie de Creutzfeld-Jakob lié à la pratique extractive (pratique française) et la surestimation de ce même risque
né de l’adoption de l’hormone synthétique (pratique nord-américaine) ;
- des précautions manifestement insuffisantes dans la collecte des hypophyses ;
- une communication en direction des malades et de leur famille totalement inadaptée.
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Sur la communication aux familles justement… Elle n’est pas absente. Tout au contraire, dès 1985, la Pharmacie Centrale des Hôpitaux tient à sensibiliser
les médecins prescripteurs de l’hormone de croissance sur l’importance de l’information à adresser aux familles. Certes, mais quelle information ? Une
information hélas tronquée, en déphasage totale avec le risque extrême encouru par les patients. Pour autant, s’agit-il d’en faire reproche aux médecins
soignants ? A ce stade, pour beaucoup d’entre eux, la maladie demeure peu connue. Ils se fient donc aux informations communiquées par l’association
France-Hypophyse qui tient, nous l’avons vu, un discours en négation du danger réel ; un discours qui renvoient les premiers patients américains décédés
aux insuffisances présumées du produit extractif qu’ils ont reçu, sans relation avec le produit français.
Avec le recul, on est en droit de trouver ceci pour le moins léger…
Qui plus est, une telle information se situe en rupture avec les règles déontologiques et légales prévues en l’espèce. Les règles applicables au moment des
faits, rappelons-le, permettent à un médecin, en conscience, de laisser son malade dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave. Et, dans le cas
d’un pronostic fatal, elles autorisent le médecin à prévenir la famille sauf si le malade s’oppose à cette révélation.
Or, loin de tout cela, c’est par les médias, à partir de juillet 1993 que de nombreuses familles vont être informées, notamment lors des mises en examen
successives pour homicide involontaire et tromperie aggravée des personnes impliquées dans le dossier.
Comment les pouvoirs publics ont-ils réagi ? Comment s’est développée l’action judiciaire ?
Quelles conclusions apporter et quels enseignements tirer de cette grave affaire ?
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II. L’INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS
A juste titre, les pouvoirs publics redoutent une situation
comparable à celle des patients hémophiles contaminés par le
virus du sida entre 1983 et 1985. Le 7 /10 /1993, le
gouvernement met en place un dispositif d’indemnisation des
victimes de la maladie de Creutzfeld-Jakob et de leur famille
pour autant que la maladie résulte bien de l’administration de
l’hormone extractive contaminée. L’ONIAM est placé au cœur
de ce dispositif. L’article L. 1142-22 du code de la santé
publique stipule ainsi :
« Les obligations de l’association France-Hypophyse nées de
son rôle dans l’organisation du traitement des patients par
l’hormone de croissance extractive entre 1973 et 1988 sont
transférées à l’Office national d’indemnisation des accidents
médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales. »
Deux commissions sont créées :
- la première, une commission d’indemnisation chargée d’émettre un avis sur
la réalité de la maladie, l’imputabilité et le montant proposé de l’indemnité ;
- la seconde, une commission de surveillance appelée à veiller au respect des
principes d’indemnisation et à émettre un avis sur les modalités
d’instruction des dossiers.
L’indemnisation, objet d’une transaction individuelle par protocole entre chaque
famille et l’Etat porte sur :
- le préjudice de contamination à hauteur de 1,2 MF (182 940 €) ;
- le préjudice moral des parents, grands-parents, frères et sœurs, beauxparents, conjoint et concubin ;
- le préjudice économique des suites de la maladie pour les personnes ayant
pris en charge le patient.
Selon les données de l’ONIAM, 129 familles ont ainsi été indemnisées pour un montant moyen de 305 000 € par famille. Le total des versements équivaut à
environ 35 M€.
Une fois l’indemnité allouée, en application du principe indemnitaire, les signataires du protocole reconnaissent… « être intégralement indemnisés des
préjudices subis du fait de la maladie de Creutzfeld-Jakob moins 1 € symbolique. Ils renoncent à tout droit et toute requête amiable ou action contentieuse à
raison des mêmes préjudices contre l’Etat, ses mandants, leurs organes, représentants, préposés et collaborateurs… le protocole ne fait pas obstacle à ce que
les personnes indemnisées puissent se constituer partie civile et avoir accès au dossier pénal… sans que celle-ci puisse donner lieu au versement d’indemnités
autres que l’euro symbolique. »
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III. L’ACTION JUDICIAIRE
Elle débute en 1991 après que la juge d’instruction Mme Bertella-Geffroy ait été saisie des premières plaintes. L’instruction va s’avérer très longue, 15
années avant le renvoi par la magistrate de 7 prévenus devant le Tribunal correctionnel de Paris :
- Jean-Claude J., ancien responsable de l’association France-Hypophyse,
- Fernand D. ancien responsable du laboratoire Uria en charge de la production de l’hormone,
- Marc M. et Henri C., anciens dirigeants de la Pharmacie Centrale des Hôpitaux,
- Jacques D., ex-directeur de la Direction de la pharmacie et du médicament,
- Elisabeth M., médecin responsable de la collecte des hypophyses,
- Micheline G., médecin prescripteur.
Tous sont poursuivis pour homicide involontaire et tromperie aggravée à l’exception de Micheline G. poursuivie quant à elle sur le seul premier motif.
1. Par jugement rendu le 14 /01 /2009 le tribunal correctionnel de Paris relaxe 6 prévenus, Jean-Claude J. étant décédé en octobre 2008 (1).
Pour les juges en effet… « Compte tenu du contexte scientifique des
années 1980-1985, les responsables du système de production, de
mise en forme pharmaceutique et de distribution et utilisation de
l’hormone de croissance extractive en France n’ont pas dénoté de
l’ensemble de la communauté scientifique en considérant comme
négligeable, voire en ignorant le risque potentiel de transmission de
la maladie de Creutzfeld-Jakob par l’usage d’un produit dérivé du
système nerveux humain. » Le délit d’homicide involontaire n’est
donc pas rapporté.
Il en est de même à propos du délit de tromperie aggravée qui, pour
les juges, ne saurait s’analyser en l’absence de contrat, le tribunal
estimant dès lors que… « les liens existant entre d’une part les
bénéficiaires du traitement et leurs familles et d’autre part les
médecins hospitaliers et la Pharmacie Centrale des Hôpitaux qui
distribuaient l’hormone de croissance s’analysent en une relation
usager /service public exclusive de tout lien contractuel. »
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Le parquet fait immédiatement appel de trois des relaxes ainsi prononcées, celles de Fernand D., Marc M. et Elisabeth M.. Marc M. décède avant le nouveau
procès en appel qui se tient à partir du 24 /11 /2010. Restent donc seuls poursuivis Fernand D. et Elisabeth M.
2. Mis en délibéré, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 5 /05 /2011 confirme en tous points le premier jugement (2).
a. Sur le délit d’homicide volontaire
Pour les juges du fond, Fernand D. n’a pu se rendre coupable du
délit d’homicide involontaire par commission d’une faute délibérée
ou caractérisée au motif qu’il a mobilisé… « tout son savoir-faire au
service de la mission qui lui avait été confiée, ne rechignant pas à se
former dans les domaines où ses connaissances lui paraissent
insuffisantes et n’hésitant pas à modifier ses techniques quand une
amélioration lui apparaissait possible ; qu’il ne saurait lui être
reproché de ne pas avoir eu l’intuition d’un risque de contamination
qu’aucun
professionnel
Sur
le délit de
blessure… évoluant dans ce secteur d’activité n’avait
perçu
à l’époque
qu’il
êtrecoupable
imputé du
la relative
Pour
les juges
du fond,; M.
Draynen’apeut
pu selui
rendre
inadéquation à une production de masse des moyens et méthodes
d’un laboratoire de recherche… étant en outre observé que cette
option avait d’emblée été avalisée par les pouvoirs publics, présents
au conseil d’administration de l’association, via deux directions du
ministère de la santé… »
En parallèle, la cour d’appel se prononce sur les reproches formulés à
l’encontre d’Elisabeth M. en tant que responsable de la collecte des
hypophyses :
- incitation des garçons d’amphithéâtre à prélever des
hypophyses en dehors de toute autopsie ou contrôle
médical ;
- mélange d’hypophyses de qualité différente ;
- absence de rappel aux services hospitaliers des règles de
précaution et de contre-indication aux prélèvements ;
- initiation où poursuite de la collecte des hypophyses dans des
établissements à risques ou non habilités.
Les charges sont lourdes. Cependant les juges considèrent que…
« l’examen des faits délimités n’a pas permis de relever à l’encontre
de la prévenue les éléments constitutifs du délit d’homicide ou de
blessures involontaires par commission d’une faute délibérée ou
caractérisée… »
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b. Sur le délit de tromperie
En ce qui concerne Fernand D.
A la différence du tribunal correctionnel, les juges parisiens ne nient
pas le lien contractuel existant avec les patients mais ce lien se noue,
selon eux, non pas avec le laboratoire URIA dont Fernand D. était le
représentant mais directement avec l’association FranceHypophyse… « sous l’égide de laquelle le médicament était fabriqué,
prescrit et distribué. » D’autant que c’est à la demande de
l’association France-Hypophyse que le laboratoire URIA… « a
participé à l’élaboration du principe actif et que la Pharmacie
centrale des Hôpitaux a été chargée de sa mise en forme injectable
et que les flacons remis aux familles portaient la mention « FranceHypophyse ».
Clairement, pour la cour, URIA et Fernand D. apparaissent ici comme
les préposés de l’association France-Hypophyse.
En ce qui concerne Elisabeth M.
La cour estime que… « Celle-ci n’avait aucune raison de mettre en
doute le bien-fondé et le sérieux des décisions du conseil
d’administration de France-Hypophyse… alors même que ses
connaissances scientifiques ne lui permettaient pas de porter un
regard critique sur les conditions dans lesquelles les hypophyses
qu’elle livrait à URIA y étaient traitées… ; qu’ainsi, alors qu’elle
n’avait aucune raison de douter de l’innocuité du produit distribué
par France-Hypophyse, la manière dont elle a effectué la collecte des
hypophyses dans le secteur qui lui avait été attribué ne saurait
caractériser l’élément moral de l’infraction, et le comportement de la
prévenue ne saurait être analysé comme une aide ou une assistance
sciemment fournie pour la commission d’une tromperie aggravée… »
Cette nouvelle relaxe suscite la colère et l’incompréhension des 21 parties civiles encore engagées. Elles forment un pourvoi devant la Cour de cassation.
3. L’arrêt de la chambre criminelle de la haute juridiction est rendu le 7 /01 /2014 (3).
Le volet pénal, considéré comme définitivement clos, c’est sur le terrain civil que le droit doit enfin être dit. Et, en la matière, le pourvoi se voit
favorablement accueilli comme nous le verrons plus bas.
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La question centrale est la suivante : l’hormone de croissance a-t-elle qualité de médicament au sens des articles L. 511 (4) et l’article L. 512 (5) du code de
la santé publique ?
C’est, depuis l’origine de la procédure, l’avis des parties civiles, mais un avis écarté par la Cour d’appel de Paris. Les juges du fond retiennent en effet qu’un
médicament… « s’entend comme un produit fini dont la forme permet l’administration à l’homme ou l’animal et qui a pour objectif d’établir un diagnostic
médical, de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques… »
Sur ce point précis, les juges du fond observent que le laboratoire URIA dirigé par Fernand D. se limitait à extraire des hypophyses collectées par Elisabeth
M. de la poudre d’hormone de croissance non susceptible d’être administrée en l’état. Ils dénient au produit la qualité de médicament, cette qualité
n’intervenant qu’après le conditionnement du dit produit par la Pharmacie Centrale des Hôpitaux et sa mise à disposition sous forme d’ampoules
administrables par injections sous-cutanées.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris est cassé en cette unique
disposition dans les termes qui suivent :
« … en se déterminant ainsi, alors que l’extraction et la purification
de l’hormone de croissance d’origine humaine entraient dans la
préparation du produit pouvant être administré à l’homme et
relevaient en conséquence du monopole pharmaceutique, la cour
d’appel a méconnu les textes susvisés (les articles L. 511 et L. 512)…
CASSE ET ANNULE… et pour qu’il soit à nouveau statué,
conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi
prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris
autrement composée… »
La Cour de cassation a une vision du médicament beaucoup moins restrictive
que celle de la cour d’appel de Paris qui semble y voir « un produit fini » au
sens d’un produit administrable en tant que tel à l’homme ou l’animal. Or, si
la poudre d’hormone n’est pas un produit fini, elle n’en entre pas moins
dans… « La préparation des médicaments destinés à l’usage de la médecine
humaine » ainsi que le stipule le 1° de l’article L. 512 du code de la santé
publique. Dans son arrêt, la juridiction suprême rappelle que cette
préparation, préalable au conditionnement puis à la mise à disposition en
vue de soins relève pleinement du monopole pharmaceutique… Un monopole
dont ne relève pas le laboratoire URIA dirigé par Fernand D. D’où cette
cassation et le renvoi devant la cour d’appel de renvoie à qui il appartiendra
de statuer sur les dommages et intérêts réclamés par les parties civiles.
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IV. COMMENTAIRES ET CONCLUSIONS
58 % des cas mondiaux de maladie de Creutzfeld-Jakob répertoriés en France (pourcentage surréaliste !), 22 années d’une procédure toujours en cours…
l’affaire de l’hormone de croissance interpelle la collectivité autant que le juriste. Et, après bien d’autres affaires dramatiques touchant à la santé, on reste
une fois encore saisi devant l’incapacité du droit pénal à fonder les bases d’un système de sanctions clair et compris de tous. Le constat est amer. Il n’y aura
en effet, au bout du compte que des perdants, les défenseurs et demandeurs directement impliqués, mais aussi, bien au-delà, le corps médical et la société.
Mais il faut revenir au droit…
Les juges du tribunal correctionnel puis, souverainement, ceux de la cour d’appel ont estimé que le comportement des acteurs et décideurs ainsi les choix
qu’ils ont opérés échappaient à tout motif de sanction. Pour autant ces acteurs et décideurs ont-ils commis des fautes et, à ce titre, sont-ils, même de façon
indirecte, impliqués dans la mort après d’intenses souffrances de quelque 120 jeunes patients ?
1. Traitons d’abord de la question de la causalité à laquelle la cour d’appel s’est curieusement peu attachée. Le statut d’observateur sans a priori n’interdit
pas de pointer certains faits tels que :
- les conditions souvent discutables, voire parfois éminemment critiquables de la collecte des hypophyses ;
- un certain aveuglement et l’absence de remise en cause de la part des responsables alors que les signaux d’alerte se manifestaient.
Ces faits et comportements constituent sans discussion possible autant d’éléments d’une causalité au moins indirecte avec le préjudice. C’est pourquoi en
l’espèce, la pusillanimité de la cour d’appel ne manque pas de surprendre.
2. La faute ensuite… La qualification pénale de la faute suppose qu’elle soit délibérée ou caractérisée.
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La faute délibérée se situe à un haut niveau de gravité. Elle
comporte un aspect moral, en l’occurrence une violation en toute
connaissance de cause d’une obligation de prudence et de sécurité
prévue par la loi ou les règlements. Une telle faute s’apprécie donc
in concreto.
La faute délibérée est rarement retenue contre les médecins. Rien
de surprenant, dans ces conditions, à ce que l’arrêt rendu le
5 /05 /2011 par la cour d’appel de Paris se place dans ce schéma. Ni
Fernand D., non soumis aux directives européennes n° 75/318/CEE
et 75/319/CEE obligeant les promoteurs de spécialités
pharmaceutiques à de strictes obligations, ni Elisabeth M. dont la
mission ne comportait pas le volet propre au contrôle des
conditions dans lesquelles les hypophyses étaient prélevées n’ont
commis, selon la cour, de faute délibérée. Dès lors, rien de
surprenant non plus dans l’absence de cassation d’une telle
décision.
La faute caractérisée naît de l’exposition d’autrui à un risque d’une
particulière gravité qui ne pouvait être ignoré. Susceptible
d’entraîner une sanction pénale, elle ne nécessite pas, à la
différence de la faute délibérée, le respect d’une obligation de
prudence et de sécurité inscrite dans les textes. Laissée à
l’appréciation des juges, il s’agit d’une faute in abstracto.
Les positions du ministère public et des juges de la cour d’appel
s’avèrent assez radicalement opposées. Le premier allègue
l’accumulation d’imprudence et, pire encore, la connaissance par les
décideurs du risque de transmission de la maladie. Les seconds
rejettent la matérialité de la faute au motif d’une ignorance, au
moment des faits, du risque de transmission du virus. Alors même
qu’elle a souvent adopté une position assez extensive de la faute
caractérisée, la Cour de cassation consacre ici l’arrêt d’appel.
3. Le délit de tromperie enfin, pas davantage rapporté au motif que tant le responsable d’URIA que le médecin en charge des prélèvements n’avaient la
conscience de la dangerosité des produits collectés puis administrés.
D’évidence, foin des emballements médiatiques et émotionnels, il manque à notre droit pénal une composante ouvrant voie à un traitement équitable de la
sanction d’un délit induit par l’atteinte à la vie ou la santé des personnes dans des situations comparables à celle de l’hormone de croissance.
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De toute évidence, les dispositions légales actuellement en cours en matière de délits non intentionnels (loi du n° 2000-647 du 10 /07 /2000 dite loi
Fauchon) s’avèrent par trop restrictives. Elles consacrent en effet la sanction des seules fautes qui présentent un caractère délibéré ou caractérisé, fautes
dont on constate la réticence des magistrats à les qualifier dans certaines affaires touchant à la santé publique.
D’autant qu’il existe une contradiction majeure entre d’une part le principe de précaution censé, dans l’esprit de beaucoup, protéger la collectivité et les
individus qui la composent de la plupart des risques (mais quelle redoutable erreur, quelle vision étroitement erronée de ce principe !) et la détresse de
certaines victimes dont celles de l’hormone de croissance.
ème
(1). Tribunal correctionnel de Paris – 31 chambre. Jugement du 14 /01 /2009
(2). Cour d’appel de Paris – 5 /05 /2011 – Arrêt n° 09/03331
(3). Arrêt n° 6676 du 7 /01 /2014 (11-87.456) – Cour de cassation – Chambre criminelle
(4). Article L. 511 du code de la santé publique (extrait)
« On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou
animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou à l’animal, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions
organiques… »
(5). Article L. 512 du code de la santé publique (extrait)
« Sont réservés aux pharmaciens…
1° la préparation des médicaments destinés à l’usage de la médecine humaine… »
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