Je suis Joaquín - Musée d`Aquitaine

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Je suis Joaquín - Musée d`Aquitaine
Je suis Joaquín : poème épique, 2000 Je suis Joaquín, Perdu dans un monde de confusion, Attrapé dans le tourbillon d’une Société de gringos, Confondu par les règles, Déprécié par les attitudes, Annihilé par des manipulations, Et détruit par la société moderne. Mes parents ont perdu la bataille économique et ont gagné la lutte pour la survie culturelle. Et maintenant ! Je dois choisir Entre le paradoxe du Triomphe de l’esprit, malgré la faim physique Ou exister dans la main fermée de la névrose sociale américaine, stérilisation de l’âme Et un estomac plein. Oui, Je suis venu de très loin et suis arrivé nulle part, De mauvaise grâce traîné par ce monstrueux géant techno-­‐industriel appelé Progrès et succès anglo-­‐américain. Je me regarde. Je vois mes frères. Je pleure des larmes de lamentation. Je sème des graines de haine. Je bats en retraite en sécurité dans le Cercle de la vie… MA PROPRE RACE Je suis Cuauhtémoc, Orgueilleux et Noble 1 Leader d’hommes, Roi d’un empire, civilisé au-­‐delà des rêves du Gachupín Cortez. Qui est aussi le sang, le reflet de moi-­‐même. Je suis le Prince des Mayas. Je suis Nezahualcóyotl, Grand chef des Chichimecas. Je suis l’épée et la flamme de Cortez le despote. Et Je suis l’Aigle et le Serpent de la civilisation aztèque J’étais le maître de toute la terre que l’œil pouvait embrasser sous la couronne espagnole, Et je travaillais ma terre et je donnais ma sueur et mon sang indien au maître espagnol, Qui régnait avec tyrannie sur les hommes et les animaux et tout ce qu’il pouvait piétiner. Mais… LA TERRE ÉTAIT À MOI… J’étais à la fois le tyran et l’esclave. L’église chrétienne prit sa place au nom du bon Dieu, pour prendre et utiliser ma force vierge et Ma foi confiante, Les prêtres qu’ils soient bons ou mauvais prirent Mais donnèrent aussi comme vérité éternelle qu’espagnol, indien métis Tous étaient des enfants de Dieu Et de ces paroles naquirent des hommes qui priaient et se battaient pour 2 leur propre mérite comme des êtres humains pour ce MOMENT DORÉ de LIBERTÉ Et je fus une partie du sang et de l’esprit de ce courageux prêtre villageois Hidalgo qui en mille huit cent dix sonna le glas de l’indépendance et lança le cri éternel : « Le Cri de Dolores, Que meurent les Gachupines et que vive la Vierge de Guadalupe… » J’ai condamné celui qui était moi. J’ai excommunié mon sang Je l’ai éloigné de la chaire pour mener une révolution sanglante pour lui et pour moi… Je l’ai tué. Sa tête, qui est à moi et à tous ceux qui sont passés par ici, Je l’ai accrochée au mur du fort en attendant l’Indépendance. Morelos ! Matamoros ! Guerrero ! Tous camarades dans l’action, s’arrêtèrent EN FACE DE CE MUR D’INFAMIE pour sentir la puissance chaude du plomb fait par mes mains. Je suis mort avec eux... J’ai vécu avec eux… J’ai pu voir ma patrie libre. Libre de la domination espagnole, en mille huit cent vingt et un. 3 Le Mexique était libre ? Il n’y avait plus de couronne mais il restait encore ses parasites qui gouvernaient et enseignaient avec le fusil et la flamme et le pouvoir mystique. Je travaillais, Je transpirais, Je saignais, Je priais, Et j’attendais en silence que la vie reprenne. Je me suis battu et je suis mort pour Don Benito Juarez Gardien de la Constitution J’étais lui sur les chemins poussiéreux dans les champs arides quand il protégeait ses archives comme Moïse protégeait ses sacrements. Il avait son Mexique dans la main dans le terrain le plus solitaire et reculé qu’était sa patrie, Et ce Grand Petit Zapotèque ne donna même pas l´équivalent d’une main de la terre de sa patrie à des Rois ni à des Monarques ni à des Présidents de puissances étrangères. Je suis Joaquín. J’ai chevauché avec Pancho Villa rude et affectueux. Une tornade puissante, alimentée et inspirée 4 par la passion et le feu de tous ses hommes de la terre. Je suis Emiliano Zapata. « Ce terrain Cette terre est À NOUS » Les villages Les montagnes Les ruisseaux Sont aux Zapatistes. Notre vie Ou la Tienne est l’unique monnaie d’échange pour la terre tendre et brune, et le maïs. Tout ce qui est notre récompense, Un credo qui devint une constitution pour tous ceux qui osent vivre libres ! « Cette terre est à nous… Père, je te la rends. Le Mexique doit être libre… » J’ai chevauché avec les révolutionnaires malgré moi Je suis le paysan vulgaire et rustre, Je suis l’Indien de la montagne, supérieur en tout. Les traces bruyantes sont celles de mes chevaux. Le grincement des mitrailleuses est la mort pour ce que je représente : Yaqui Tarahumara Chamula Zapotèque Métis Espagnol J’ai été la Révolution Sanglante, Le Vainqueur, Le Vaincu, J’ai tué et on m’a tué. 5 Je suis les despotes Diaz et Huerta et l’apôtre de la démocratie Francisco Madero Je suis les femmes fidèles avec leurs manteaux noirs qui meurent avec moi ou vivent en fonction du lieu et du temps. Je suis le loyal, le humble Juan Diego, la Vierge de Guadalupe, et Tonantzin, la déesse Aztèque. J’ai chevauché les montagnes de San Joaquín. J’ai chevauché à l’est et au nord jusqu’aux Montagnes Rocheuses Et tous les hommes avaient les pistolets de Joaquín Murrieta. J’ai tué ces hommes qui ont osé voler ma mine, qui ont violé et tué mon Amour mon Epouse Ensuite J’ai tué pour survivre. Et j’ai été Elfego Baca vivant pleinement mes neuf vies. J’ai été les frères Espinoza de la Vallée de San Luis. Tous furent ajoutés au nombre de têtes qui au nom de la civilisation furent accrochées au mur de l’indépendance. Les têtes d’hommes courageux qui sont morts pour une cause ou par principe. Bons ou mauvais. 6 Hidalgo ! Zapata ! Murrieta ! Espinozas ! en font partie. Ils ont osé affronter la force de la tyrannie d’hommes qui régnaient avec farce et hypocrisie. Me voici regardant vers le passé et maintenant je vois le présent et toujours Je suis le paysan Je suis le gros coyote politique Moi, je porte aussi le nom de Joaquín. Dans un pays qui a effacé toute mon histoire, étouffé tout mon orgueil. Dans un pays qui a mis un poids d’indignité différent sur mes épaules fatiguées et usées. Infériorité est la nouvelle charge… L’Indien demeure et c’est encore le vainqueur qui s’en est sorti. Le Métis doit encore se dépasser, Quant au Gachupín nous ne ferons que l’ignorer. Je me regarde et je vois la partie de moi qui renonce à mon père et à ma mère et se dissout dans le mélange de cette société pour disparaître dans la honte. Parfois je trahis mon frère et je me l’approprie quand la société me donne 7 un pouvoir symbolique au nom même de la société. Je suis Joaquín, qui se saigne de plusieurs façons. Les autels de Moctezuma Je les ai tachés de mon sang rouge Mon dos d’esclave indigène fut dénudé et rougi par les coups des patrons qui perdront leur sang si pur quand la Révolution exigea d’eux une récompense Debout, en face des murs de la Rétribution. Mon sang… a coulé sur tous les champs de bataille entre Paysan, Propriétaire Esclave et Maître et la Révolution. Je me suis jeté du haut de la tour de Chapultepec dans la mer de la renommée ; Le drapeau de ma patrie mon suaire ; Avec les Niños, qui ne purent remettre avec orgueil et courage le drapeau de leur patrie avec indignité À des étrangers… sur leurs terres. Maintenant je me vide de mon sang dans une cellule qui pue le garrot, ou le pistolet, ou la tyrannie. Je me vide de mon sang pendant que les gants vicieux de la faim me frappent le visage, les yeux, pendant que je me bats dans les quartiers nauséabonds sous le charme du ring et les lumières de la renommée 8 ou les regrets mutilés. Mon sang court pur sur les collines glacées des Iles de l’Alaska, sur les plages de Normandie jonchées de corps, les terres étrangères de la Corée et maintenant du Vietnam. Me voici face à la cour de Justice Coupable de toute la gloire de ma Race pour être jugé par désespoir. Me voici Pauvre sans argent Arrogant d’orgueil Vaillant de Machisme Riche en valeur Et Riche en esprit et en foi. Mes genoux ont des croûtes de boue. Mes mains sont couvertes de durillons provoqués par la houe, J’ai rendu le gringo riche mais L’Égalité n’est toujours qu’un mot, Le Traité de Hidalgo s’est brisé et n’est plus qu’une autre promesse traîtresse. Ma terre est perdue et volée, Ma culture a été violée, Je rallonge la file devant la porte de l’assistance sociale et je remplis les prisons avec mes crimes. Voici donc les récompenses que cette société garde Pour les fils de Chefs et de Rois et des Révolutionnaires sanglants. Qui ont donné à des étrangers tous leurs dons et leur ingéniosité pour préparer le chemin avec l’Intelligence et le Sang 9 à ces hordes affamées par l’Or Des étrangers Qui ont changé notre langue et plagié nos faits en exploits pour eux. Ils ont méprisé notre façon de vivre et ont pris ce qu’ils pouvaient utiliser. Notre Art, Notre Littérature, Notre Musique, ils les ont ignorés et ont ainsi abandonné les choses qui ont véritablement une valeur et ont entraîné leur propre destruction avec leur Gloutonnerie et leur Avarice. Ils ont ignoré cette source purificatrice de nature et de fraternité Qu’est Joaquín. L’art de nos grands seigneurs Diego Rivera Siqueiros Orozco est seul un autre acte de révolution pour la sauvegarde de la race humaine. La Musique du Mariachi, le cœur et l’âme des gens de la terre, la vie de l’enfant et la joie de l’amour. Les poèmes racontent les histoires de la vie et de la mort, de la tradition, Les Légendes vieilles et récentes, de la joie de la passion et des regrets des gens… comme moi. Je suis dans les yeux de la femme, protégée sous son manteau noir avec des yeux profonds et 10 douloureux, Qui portent la peine d’enfants enterrés depuis longtemps ou agonisant Morts sur le champ de bataille ou les fils barbelés de la lutte sociale. Elle prie et touche son rosaire sans fin comme la famille qui travaille un sillon de betterave et tourne et travaille et travaille Il n’y a pas de fin. Ses yeux sont un miroir plein d’affection et d’amour pour moi, Et je suis elle Et elle est moi. Ensemble nous affrontons la vie avec peine, courage, joie, foi et rêves dorés. Je pleure des larmes d’angoisse quand je vois mes fils disparaître derrière le voile de la médiocrité pour ne jamais regarder en arrière pour se souvenir de moi. Je suis Joaquín. Je dois me battre et gagner cette lutte pour mes enfants, et eux ils ont besoin d’avoir de mes nouvelles Qui suis-­‐je. Une partie du sang qui court profondément en moi N’a pu être vaincue par les Maures. Je les ai vaincus au bout de cinq cents ans, et j’ai survécu. Le sang qui est à moi a agi sans cesse pendant cinq cents ans sous le talon des Européens luxurieux Je suis encore ici ! J’ai survécu aux montagnes escarpées 11 de notre pays J’ai survécu aux travaux et à l’esclavage des champs. J’ai existé dans les quartiers de la ville, dans les banlieues de l’intolérance, dans les mines du snobisme social, dans les prisons du découragement, dans les saletés de l’exploitation et dans la chaleur féroce de la haine raciale. Et maintenant la trompette résonne, La musique des gens encourage la Révolution, Comme un géant endormi lentement lève la tête au son des Pas lourds Nombreuses voix retentissantes Airs de Mariachi Explosions ardentes de téquila L’arôme du chili vert et Les yeux doux et bruns de l’espérance d’une vie meilleure. Et dans tous les champs fertiles, les prairies arides, les villages des montagnes, les villes polluées Nous commençons à bouger. La Raza ! Mejicano ! Español ! Latino ! Hispano ! Chicano ! ou peu importe comment je m’appelle, J’ai la même apparence, J’ai les mêmes sentiments, Je pleure et 12 Je chante de la même façon Je suis les masses de mes gens et je refuse d’être envahi. Je suis Joaquín Les défis sont nombreux mais mon esprit est fort Ma foi inébranlable Mon sang pur Je suis le Prince Aztèque et le Christ Chrétien JE VIVRAI LONGTEMPS ! JE VIVRAI LONGTEMPS ! Traduction de Marie Subra du poème Yo soy Joaquín Message to Aztlán Selected Writings of Rodolfo “Corky” Gonzalez Compiled, with an Introduction by Antonio Esquibel Arte Público Press, Houston, Texas, 2001 13