Entre danger et passion - Un protecteur inattendu
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Entre danger et passion - Un protecteur inattendu
1 Harte leva les yeux du barbecue où grésillaient les steaks. Ses frères Lucas et Ethan se faisaient des passes dans l’immense jardin de leurs parents. Personnellement, il préférait des sports plus solitaires : la course, la randonnée, le vélo. C’était probablement pour cela que ses frères le traitaient souvent de mauviette. Il aimait les choses calmes. Tandis que Lucas faisait un bond spectaculaire pour rattraper le ballon de foot, il retourna la viande. — Le dîner est prêt dans cinq minutes, annonça-t‑il. Sa mère apparut alors, sortant de la cuisine d’été. Elle posa sur la table déjà surchargée une salade de pommes de terre. Angela, la femme de Lucas, suivait avec une énorme marmite de haricots mijotés. — Ça a l’air délicieux, commenta Harte. — J’espère, soupira sa mère avec son habituelle note autocritique. Les tomates n’ont pas l’air bien fameuses. Harte jeta un coup d’œil aux grosses tranches rouge vif et observa d’un ton amusé : — Plus belles que ça et le Times-Picayune viendrait faire un reportage. Tu ne crois pas, papa ? lança-t‑il à son père. Robert Delancey, installé dans son fauteuil roulant, regardait ses frères. — C’est parfait, articula-t‑il en tournant légèrement la tête. 8 Entre danger et passion Quatorze ans plus tôt, une attaque l’avait laissé partiellement paralysé et incapable de s’exprimer. Avec l’aide de sa femme, il avait cependant réappris à parler. Lucas et Ethan vinrent se laver les mains dans l’évier extérieur en se disputant sur la valeur de leurs lancers respectifs. Puis Lucas embrassa Angela sur la joue avant de s’asseoir à côté d’elle. Ethan prit place face à eux. Harte, lui, retira le dernier T-bone steak du gril et posa le plat au milieu de la table. Il s’assit entre Lucas et leur mère. — Alors monsieur le procureur, ça te dit de faire des passes à trois, tout à l’heure ? demanda Lucas en ébouriffant les cheveux de son frère. Harte ne se baissa pas assez rapidement pour éviter le geste de Lucas. — Ou faut‑il t’appeler « chef » ? plaisanta son frère en plantant sa fourchette dans un steak. Harte avait l’habitude que Lucas le taquine sur sa carrière et ses talents de cuisinier. Comme Ethan, il était inspecteur dans la police de La Nouvelle-Orléans. Le quatrième garçon de la famille, Travis, faisait partie des forces spéciales et était en poste outre-mer. Tous trois ressentaient comme une sorte de trahison le fait que leur plus jeune frère ait étudié le droit au lieu de suivre la tradition familiale. Harte le savait pertinemment. Comme si elle avait lu dans ses pensées, sa mère déclara soudain : — J’espérais que nous aurions des nouvelles de Travis cette semaine. — C’était quand, la dernière fois que tu lui as parlé ? Il y a six mois ? demanda Ethan, en se servant du thé glacé. — C’est ça, mon chéri, confirma sa mère en coupant le steak de son mari en petits morceaux. Il y aura sept mois la semaine prochaine. Lucas et Ethan échangèrent un regard, remarqua Harte. Entre danger et passion 9 Il en comprenait parfaitement le sens. Ils étaient agacés de voir leur mère se montrer aussi attentionnée avec son mari. Peu importait que son attaque l’ait transformé en une pâle version de lui-même, personne — et surtout pas Lucas — n’avait pardonné à leur père ses rages avinées et ses coups de poing vengeurs. A cet instant, la porte du patio s’ouvrit. C’était leur sœur Cara Lynn, souriante et vêtue d’une robe printanière. — Quelle soirée magnifique pour manger dehors ! dit‑elle en faisant le tour de la table pour donner un rapide baiser à chacun. — Gentil de ta part de nous honorer de ta présence, commenta Ethan en coupant son steak. Cara Lynn lui fit une grimace. — Le mois prochain, je dois exposer douze œuvres au Salon des arts textiles de La Nouvelle-Orléans, précisat‑elle en s’asseyant, et j’en ai cinq à finir. Alors vous ne me reverrez sans doute pas avant la fin du Salon. Leur mère soupira en posant deux baguettes sur la table. — C’est pour ça que j’essaie de vous réunir aussi souvent que possible. Vous êtes tous si occupés ces temps-ci ! — En parlant de ça, intervint Harte, la date de l’affaire Freeman Canto a été avancée. Les auditions préliminaires sont prévues mardi. — Mardi ? s’exclama Lucas. Dans cinq jours ? C’est plutôt rapide. Je croyais que tu n’avais pris l’affaire qu’il y a deux ou trois mois ? — Et on parlait de la mettre au rôle en juin. Mais l’avocat de la défense, Felix Drury, doit subir une opération du cœur, et le juge ne voulait pas attendre la fin de sa convalescence. — Felix Drury ? répéta Ethan. Tu veux dire « Jury Drury » ? ironisa-t‑il. Harte acquiesça. On avait donné à Felix Drury le sobriquet de Jury Drury car, face à un jury, il était aussi 10 Entre danger et passion modeste et charmant que James Stewart dans Monsieur Smith au Sénat. En réalité, c’était un pisse-vinaigre imbu de sa personne, qui rappelait davantage Charles Laughton dans Les Révoltés du Bounty. — Avec un peu de chance, Jury Drury plaidera coupable pour en finir le plus vite possible, reprit Ethan. J’ai témoigné dans une ou deux affaires qu’il a défendues. Il traite les jurés comme ses fans personnels. Il joue avec eux et fait traîner les choses en longueur. En plus, il adore déposer des requêtes, non ? — Oui, c’est vrai, reconnut Harte. La nouvelle date a été notifiée au district attorney aujourd’hui à 13 h 30 et, à 15 heures, il y avait déjà deux requêtes de Drury sur son bureau. Ce qui veut dire que je n’aurai pas le temps de respirer jusqu’à la fin du procès. Il avait à peine fini de parler que son portable se mit à sonner. — Fichus engins, marmonna son père. Harte jeta un coup d’œil à l’écran et se leva en s’excusant. — Il faut que je prenne cet appel, expliqua-t‑il en s’éloignant vers l’extrémité du patio. — Delancey ? Mahoney à l’appareil, dit inutilement l’inspecteur Tom Mahoney. Le vieil homme n’aimait pas plus les portables que le père de Harte. — On a un problème. — Quel genre de problème ? interrogea Harte en retenant un soupir. Mahoney était un excellent inspecteur, mais sa définition du mot « problème » était très large. — Votre témoin dans l’affaire Canto a failli se faire écraser tout à l’heure. Un désagréable frisson parcourut Harte. — Dani ? Que s’est‑il passé ? Elle va bien ? Une vision perturbante de Danielle Canto renversée Entre danger et passion 11 sur la chaussée lui traversa l’esprit et il s’empressa de la chasser. — Ouais. Un véhicule lui a foncé dessus sur le trottoir, près de chez elle. Je doute que ce soit un accident. Ce dingue a laissé des marques de pneus — et des traces de dérapage — sur la pelouse. Manifestement, il n’a même pas ralenti. — Tom ! le coupa Harte. Ce que je veux savoir, c’est comment va Dani ! — Elle s’en est sortie. Mais elle est secouée. Elle s’est jetée sous la véranda, et elle a quelques égratignures et des bleus. Ce qui l’a sauvée, c’est que le bois dont on fait les vérandas n’est plus ce qu’il était. — J’arrive tout de suite. — Inutile de vous presser, rétorqua Mahoney. La bataille est terminée. — Ce n’est pas sûr. Vous êtes au courant que l’affaire Canto a été avancée ? Le procès commence mardi. — Hmm, ça pourrait expliquer bien des choses. C’est sûrement Yeoman qui est à l’origine de ça. Il ne veut pas que Mlle Canto témoigne contre lui. Harte approuva. Ernest Yeoman était un importateur qui fournissait les grandes surfaces Hasty Market de tout le sud-est des Etats-Unis. Il était depuis longtemps soupçonné de faire de la contrebande de drogue derrière le paravent de sa société d’import. — Dites-moi que vous avez quelque chose pour le relier à cette histoire. Mahoney se gratta la gorge. — Peux pas dire. On a trouvé des morceaux de phare et des traces de peinture là où la voiture a embouti les marches. On verra si le labo pourra déterminer la marque et le modèle. — Où est Dani ? s’enquit Harte. Est‑ce qu’elle a été 12 Entre danger et passion conduite à l’hôpital ? Je veux qu’elle me raconte ce qui s’est passé. — Elle est chez elle. On a pris sa déposition, vous pourrez la lire dès qu’elle sera tapée. Harte cherchait déjà sa clé de voiture dans la poche de son jean. — Vous l’avez laissée seule ? — Je lui ai dit d’aller à l’hôtel ou chez une amie, mais elle est aussi têtue que son grand-père. J’ai demandé à une voiture de patrouiller toutes les heures cette nuit. — Bon. J’irai là-bas dès que j’aurai trouvé un juge. La patrouille suffira pour cette nuit, mais je vais demander une ordonnance de protection. Il n’est pas question de faire courir le moindre risque à mon témoin. La bouteille de vin heurta l’étagère de verre du réfrigérateur. Avec un grognement d’exaspération, Dani resserra les doigts autour du col de la bouteille. Ce n’était pas son genre d’avoir les mains qui tremblent. Mais ce n’était pas non plus un jour comme les autres, pensa-t‑elle ironiquement. Juste avant de bondir sous la véranda, elle avait senti le souffle de l’acier brûlant et le picotement des échardes de bois sur ses mollets. Elle se souvenait à peine de son saut, mais ce devait être un nouveau record car la véranda était à plus d’un mètre cinquante du sol. Elle avait atterri brutalement sur le plancher de celleci, ce qui lui avait valu des bleus et des égratignures aux genoux et aux coudes, sans compter un poignet foulé. Elle s’était redressée immédiatement, mais entre la douleur et la panique, elle n’avait pas réussi à lire la plaque d’immatriculation de la voiture. Le temps qu’elle reprenne son souffle et écarquille les yeux, elle avait à peine distingué le Entre danger et passion 13 pare-chocs arrière du véhicule, qui dérapait bruyamment en faisant gicler la boue et les gravillons. En toute hâte, elle avait sorti son téléphone pour appeler le 911 et avait attendu sans bouger qu’ils arrivent. Elle n’avait même pas envisagé d’inspecter les dommages infligés aux marches et à la véranda. Peut‑être aurait‑elle dû s’y résoudre plutôt que de sortir du vin du réfrigérateur, mais il aurait fallu qu’elle se munisse d’une lampe de poche et qu’elle fasse le tour par le jardin, sans parler du choc prévisible devant l’ampleur des dégâts. Non, elle préférait ne pas savoir… Pas ce soir. Après l’avoir cuisinée une vingtaine de minutes sur les circonstances de l’accident, l’inspecteur Mahoney avait émis l’hypothèse que c’était Ernest Yeoman qui avait commandité cette tentative d’agression. Elle frissonna. Yeoman était‑il assez stupide ou assez arrogant pour croire qu’il pouvait l’empêcher de témoigner par la terreur ? Une idée encore plus horrible lui traversa soudain l’esprit. Et si le chauffeur de la voiture n’avait pas voulu l’effrayer, mais la tuer ? Elle carra les épaules. Quel que soit le mobile de cette attaque, il était grand temps de prendre des mesures. Elle n’était pas la petite-fille de son grand-père pour rien. Freeman Canto lui avait appris à s’occuper d’elle-même. Elle baissa les yeux sur la bouteille de chardonnay qu’elle tenait toujours et la posa soigneusement sur le comptoir. Elle avait davantage besoin d’un moyen d’autodéfense que d’un verre. Fonçant vers le placard de sa chambre, elle prit un coffret métallique sur l’étagère du dessus et l’ouvrit. Dedans se trouvait la trousse de serrurier que son grand-père lui avait offerte pour ses dix ans. 14 Entre danger et passion « On ne sait jamais quand on a besoin de franchir une porte », lui avait‑il dit. Elle se rappela avec plaisir les heures passées dans son enfance à crocheter toutes les serrures de la maison. Quand avait‑elle cessé de trimballer cet outillage partout avec elle ? Sans doute quand elle avait commencé à mettre du rouge à lèvres et à s’intéresser aux garçons, songea-t‑elle. Eh bien, elle allait de nouveau s’en servir. Avec un sourire de nostalgie, elle posa la pochette sur la commode et sortit l’autre objet qui se trouvait dans le coffret : le revolver de son grand-père, un SIG Sauer. Elle le prit par la crosse, le poids et la fraîcheur de l’arme lui firent du bien. Puis, stabilisant sa main droite sur sa main gauche, comme le lui avait appris son grand-père, elle entoura la détente de l’index. Elle n’avait jamais tiré sur quelqu’un et, avec un peu de chance, n’aurait jamais à le faire. Mais, après une telle journée, elle était reconnaissante à son grand-père de lui avoir appris à se défendre. Elle éjecta, vérifia et réinséra le chargeur de dix-sept balles. Puis elle prit le deuxième chargeur dans la boîte. Les yeux fixés au bout du canon, elle hocha légèrement la tête. Elle ne se séparerait plus de son arme jusqu’à la fin du procès. La prochaine fois que quelqu’un essaierait de l’écraser, elle l’abattrait — ou, du moins, elle lui tirerait dans les pneus. Elle emporta l’arme, le chargeur supplémentaire et la trousse de serrurier dans le hall et les mit dans son grand sac à main, qu’elle soupesa en le tenant par la bandoulière avant de le reposer sur la console. Rassurée par leur présence, elle se détendit. Après un rapide tour de la maison, elle retourna dans la cuisine. Manipuler le SIG lui avait fait du bien, mais quand elle prit le tire-bouchon pour ouvrir la bouteille de char- Entre danger et passion 15 donnay, ses mains se mirent de nouveau à trembler. Elle eut presque du mal à se servir un verre. Enfin, levant celui-ci, elle dit à haute voix : — A la tienne, grand-père. Si ça ne tenait qu’à moi, le salopard qui t’a tué pourrirait en prison. Sur ce, elle avala une longue gorgée en frissonnant. Puis, emportant la bouteille, elle alla dans sa chambre et retira d’un coup de talon ses escarpins. Une longue éraflure sur le cuir du soulier droit la fit froncer les sourcils. — Génial, soupira-t‑elle avant de s’effondrer sur le lit. Dehors, un lointain coup de tonnerre se fit entendre. Elle trembla de nouveau ; elle n’aimait pas les orages. Son père était mort dans une tornade alors qu’elle n’avait que sept ans. Jusqu’à la terrible nuit où son grand-père avait été assassiné, les orages étaient la seule chose qui la terrifiait. Cette nuit‑là, elle avait compris qu’on n’était pas toujours en sécurité chez soi, que des monstres sans scrupules pouvaient assassiner, et que malgré la force et l’habileté dont elle se croyait dotée, elle n’avait pu sauver son grand-père. Au moins, Ernest Yeoman, l’homme dont elle était persuadée qu’il avait commandité le meurtre de son grand-père, allait bientôt être jugé. Selon le procureur chargé de l’affaire, le district attorney se réjouissait de pouvoir mettre la main sur ce trafiquant de drogue. L’homme était depuis longtemps soupçonné de faire des affaires louches. On disait qu’il avait des amis parmi les représentants de l’Etat. La rumeur s’était même répandue que Freeman Canto en faisait partie. La détermination qui la soutenait depuis la mort de son grand-père monta de nouveau en elle, repoussant sa frayeur. Elle ne laisserait pas Yeoman, ou qui que ce soit d’autre, la contraindre par des menaces. Personne ne salirait le nom de son grand-père. Elle leva son verre pour porter un second toast à celui-ci. 16 Entre danger et passion — C’est pour toi que je me bats, murmura-t‑elle, la gorge serrée. Mais alors qu’elle approchait le verre de ses lèvres, quelque chose l’arrêta net. Qu’est‑ce que c’était ? Des pas ? Ou bien la pluie qui s’était finalement mise à tomber ? Retenant son souffle, elle tendit l’oreille. Le bruit se reproduisit. Ce n’était pas la pluie, c’étaient des pas. Elle ne bougea pas un muscle. Le rythme des craquements excluait la possibilité que ce soient les ratons laveurs qui renversaient sa poubelle au moins une fois par semaine. Les ratons laveurs ne faisaient pas autant de bruit. Cet animal-là était humain. Son pouls s’accéléra, tandis que les pas faisaient crisser le gravier de l’allée. Peut‑être était‑ce un policier ou un technicien de la police scientifique qui prenait quelques photos de plus avant que la pluie ne se renforce, mais elle en doutait. L’inspecteur Mahoney l’aurait appelée pour la prévenir, sachant combien elle était secouée. Qui que ce fût, ses pas n’avaient rien de furtif. Mais il ne martelait pas non plus le sol. Il fit le tour de la maison puis gravit les marches de la porte de derrière. Alors, curieusement, tout devint silencieux. Posant son verre de vin, Dani se redressa, fâchée de son appréhension. Il était hors de question de laisser Ernest Yeoman lui donner l’impression qu’elle était en danger dans sa propre maison. Enfin, des coups rapides retentirent à la porte. Bien qu’elle s’y soit attendue, elle sursauta. Sortant du lit, elle se rendit sur la pointe des pieds dans le hall d’entrée où elle prit l’arme dans son sac. Le poids du SIG dans sa main lui redonna courage et elle pénétra dans la cuisine. La silhouette d’un homme se découpait derrière le store. Entre danger et passion 17 S’il n’avait rien de menaçant, son profil n’avait pas non plus le contour rassurant de l’uniforme des policiers, ni du blouson des techniciens de scène de crime. Elle s’arrêta à quelques mètres de la porte et, du pouce, dégagea la sûreté du revolver. Juste au moment où l’inconnu levait le bras pour frapper de nouveau, elle lança : — Qui est‑ce ? La main s’immobilisa en l’air. — Allez-vous-en ! cria-t‑elle d’une voix forte. Tout de suite ! — Dani, c’est moi, Harte. Je venais voir comment vous alliez. Le soulagement la gagna et son pouls ralentit. C’était Harte Delancey. Génial ! Merci Mahoney, pesta-t‑elle en levant les yeux au ciel. Elle aurait dû s’en douter : l’inspecteur avait appelé le procureur chargé de l’affaire. — Allez-vous-en. Je vais très bien ! lança-t‑elle avec irritation. Retournez donc palucher vos sous-chemises. L’ombre se déplaça et Harte secoua la tête. — Ha-ha. On ne me l’avait encore jamais faite cellelà. Allons, Dani, ouvrez-moi, insista-t‑il en tendant les mains devant lui. Je ne suis pas armé. — Eh bien moi, je le suis, rétorqua-t‑elle en secouant la tête d’exaspération. Maintenant, allez-vous-en. Je ne suis pas habillée. — Bien sûr que si, dit‑il. Je vous vois à travers la porte, vous savez. Marmonnant des jurons très peu féminins, Dani repoussa le verrou, tourna la clé dans la serrure et se prépara mentalement à la vue du procureur. Harte Delancey était toujours tiré à quatre épingles : cheveux parfaitement coiffés, chaussures luisantes comme des miroirs et costumes chics. A dire vrai, son physique était agréable 18 Entre danger et passion à l’œil, ce qui causait d’habitude à Dani toutes sortes de sensations inconfortables. Mais l’image qu’elle découvrit en ouvrant la porte la stupéfia. Harte Delancey avait les cheveux ébouriffés, portait un jean et un T-shirt. Dani observa celui-ci de plus près. Datant manifestement de plusieurs années, il arborait le logo du festival de jazz de La Nouvelle-Orléans. Tendu sur les épaules et le torse, il retombait en plis lâches sur un jean délavé et très ajusté. Elle déglutit : pas de doute, les costumes ne rendaient pas justice à Harte Delancey. Ce dernier s’éclaircit la gorge et Dani se ressaisit : elle était en train de fixer son jean ! Gênée au plus haut point, elle reporta son regard sur le visage du procureur et y retrouva l’homme impeccable qu’elle avait l’habitude de croiser. Ses yeux sombres brillaient d’espièglerie et un sourire entendu arquait ses lèvres. Elle lui lança un regard noir. — Que faites-vous ici ? Il fourra la main dans ses cheveux, dispersant des gouttes de pluie. — Puis-je entrer ? — Oh ! naturellement ! ironisa-t‑elle en levant de nouveau les yeux au ciel. Après tous les efforts que vous avez faits pour vous faufiler dans mon jardin… — Faufiler ? Je ne me faufilais pas. Mais je ne pouvais pas me présenter dans cette tenue à la porte de devant, expliqua-t‑il. Il la jaugea du regard. — Est‑ce que vous allez bien ? — Très bien, lâcha-t‑elle en haussant les épaules. — Vous n’en avez pas l’air. Vous êtes blessée ? Elle secoua la tête, la gorge soudain serrée. — C’est juste que je pensais… à mon grand-père. Harte plissa le front, et l’expression de ses yeux Entre danger et passion 19 s’adoucit. Il ouvrit la bouche pour parler, mais Dani lui coupa la parole. — Je suppose que Mahoney vous a raconté ce qui s’est passé ? — Où avez-vous pris ce revolver ? questionna-t‑il sans lui répondre. Elle écarquilla les yeux. Elle avait complètement oublié l’arme dans sa main. Elle remit la sûreté et alla la déposer sur le comptoir. — J’ai un permis, précisa-t‑elle. Il se détendit visiblement. — Sérieusement, Dani. Est‑ce qu’on vous a examinée ? Vous n’avez rien de cassé ? — Non, je n’ai pas de fractures. C’est ma véranda qui est en miettes, remarqua-t‑elle tristement. Tout ce qu’elle voulait, c’était retourner au lit et remonter les couvertures par-dessus sa tête. — Que vous arrive-t‑il, monsieur le procureur ? Vous craignez de perdre votre témoin vedette ? Je peux vous assurer que je serai là pour témoigner. Cet incident n’est qu’un simple désagrément. Le sourire de Harte s’évanouit et il secoua la tête. — Je peux vous affirmer que je ne perdrai pas mon témoin. Il tira de la poche arrière de son jean un morceau de papier et l’agita en l’air. Le cœur de Dani chavira. — Oh non ! Non, non… Vous n’avez pas fait ça, grinçat‑elle, les dents serrées. Dites-moi que ce n’est pas… Elle tenta d’atteindre le document, mais il le tenait bien au-dessus de sa tête. Si elle avait porté ses talons habituels, elle aurait pu l’attraper mais, pieds nus, elle mesurait quinze bons centimètres de moins que lui. — C’est une ordonnance de protection…, commença-t‑il. 20 Entre danger et passion — Non ! le coupa-t‑elle. Vous n’allez pas me coller des semaines dans un bouge mal aéré et infesté de punaises ! — Cela ne durera pas des semaines et avec un peu de chance, ce ne sera ni mal aéré ni infesté de punaises, argumenta-t‑il d’une voix où perçait distinctement une note d’amusement. En fait, c’est une maison victorienne, dans le district de Lower Garden. — Je n’irai pas, fit Dani en croisant les bras. Le bureau de l’aide judiciaire est déjà à court de personnel. J’ai des dossiers par-dessus la tête et les dates de procès ont été fixées. — Vos dossiers sont‑ils plus importants que votre sécurité ? rétorqua-t‑il. Plus important que votre vie ? — Ma vie ? reprit‑elle en écho en cillant. Objection : vous faites des suppositions sans fondement. — Mahoney m’a parlé de la voiture et j’ai vu l’état de vos marches, répliqua Harte en secouant la tête. Si ce véhicule vous avait écrasée, vous ne seriez plus qu’une tache sur le trottoir.