Que se cache-t-il derrière une action chinoise?

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Que se cache-t-il derrière une action chinoise?
TOPIC
octobre 2006
Que se cache-t-il derrière une action chinoise ?
L’euphorie ambiante sur les Bourses de Shanghai et de Hong Kong
depuis l’annonce de la levée de fonds par la Industrial and Commercial Bank
of China (ICBC) ferait-elle oublier toute prudence aux actionnaires, qu’ils
soient petits porteurs ou institutionnels ?
Bref retour en arrière. Le 16 mai dernier, Ernst & Young s’empressait
de retirer de la circulation un rapport qu’il avait publié un jour plus tôt et qui
lui avait valu les foudres de Pékin. Le tableau que le cabinet américain brossait
de l’état du système financier chinois n’avait visiblement pas été du goût des
autorités centrales qui l’avaient qualifié de « ridicule ». Ernst & Young
malgré les
avertissements de épinglait au passage les quatre grandes banques publiques dont les créances
certains analystes. douteuses s’élevaient d’après ses calculs à 358 mds $, très loin donc des
133 mds $ officiels. Dans le contexte des introductions en Bourse de ces
mastodontes orchestrées par les autorités centrales, le chiffre détonait
sérieusement.
ICBC entre en
grande pompe
dans la cour des
grandes
capitalisations
boursières,
La Chine aime pulvériser les records, c’est entendu. Elle n’a pas failli
une fois de plus puisque cette même ICBC a levé 22 mds $ le 27 octobre
simultanément à Shanghai (pour 6 mds $) et Hong Kong (pour 16 mds $), un
montant jamais atteint jusque là sur les places boursières dans le monde (le
précédent record appartient au groupe japonais de télécommunications mobiles
NTT DoCoMo qui en 1998 avait réussi à lever 18,4 mds $).
Ce succès a de quoi surprendre pour qui s’y arrête un peu. Voilà une
… d’une banque
institution qui reste sous le giron de l’Etat chinois, ce qui ne constitue pas la
qui obéit avant
tout aux impératifs meilleure garantie de transparence et d’efficacité. Les objectifs stratégiques
répondront-ils aux atteintes des actionnaires qui détiennent désormais 20% du
fixés par l’Etat
capital de la banque (Goldman Sachs en détient de son côté environ 7% depuis
chinois,…
quelques années) ? Où l’Etat chinois est-il susceptible par exemple, d’aller
chercher le financement dont il a besoin pour mener à bien sa politique
« sociale harmonieuse » ? Gageons qu’il piochera dans les avoirs des banques
publiques…
Que dire aussi de la série de scandales qui a affecté la ICBC à Shanghai
… qui compte
parmi ses clients ou ailleurs ? La nature de sa clientèle n’est pas faite non plus pour rassurer
quelques canards puisque 70 à 80% des prêts qu’elle accorde sont octroyés à des firmes
boiteux notoires… chinoises, publiques ou privées, dont nombre d’entre elles ont une capacité
de remboursement plus que limitée. Rappelons qu’en 2005, 40% des
entreprises publiques industrielles continuaient à perdre de l’argent. On pourra
Privatisation à
petits pas…
… mais qui s’est
offert un lifting
réussi à coup de
restructurations
massives et de
recapitalisation.
toujours souligner que cette proportion diminue et que la profitabilité des
banques comme des entreprises auxquelles elles prêtent s’est améliorée - en
particulier cette année. On est tout de même très loin encore d’une saine
gestion des bilans comptables du côté des entreprises et des banques.
Sur le papier il est vrai, la ICBC se porte beaucoup mieux qu’en 2001,
date de l’entrée de la Chine à l’OMC. Une large partie des prêts non
performants avait déjà été transférée dans une structure de défaisance en 1999
faisant place nette dans son bilan. Le coup de pouce de la recapitalisation de
15 mds $ en 2005 l’a aussi bien aidée à se renflouer et réduire simultanément
la part des créances douteuses dans ses comptes. La restructuration entamée
voilà dix ans lui a aussi permis de faire peau neuve. Elle a taillé dans le
vif avec 200 000 employés licenciés et 19 000 succursales qui ont dû fermer
leurs portes sur la décennie. La ICBC est donc bien plus présentable
aujourd’hui qu’il y a cinq ans ce qui lui a valu cette entrée fracassante en
Bourse à la suite de ses consœurs China Construction Bank (pour 9 mds $) et
Bank of China (pour 11 mds $). Et puis la présence de l’Etat chinois équivaut
à un fantastique joker qui garantit contre tout risque de faillite. Un bon
investissement, puisqu’il n’y a pas de risque souverain, un cas d’école,
d’ « aléa moral » en tous cas.
Pour autant, les introductions en Bourse successives des majors ne
résout en rien les difficultés dans lesquelles se trouve plongé le secteur
bancaire chinois en particulier au niveau local. Et le mouvement va continuer
car il y a fort à parier que les succursales des quatre grandes banques ne seront
affectées qu’à la marge par les levées de fonds de leur maison-mère, dans le
système de gestion cloisonnée un peu particulier de la pratique bancaire
locale. Autrement dit, elles ne verront probablement jamais la couleur de ce
capital supplémentaire et devront continuer à miser sur les pratiques
habituelles de prêts ou sur la collusion d’intérêts entre entreprises et autorités
locales - avec lesquelles elles ont pris l’habitude d’entretenir des liens plus
qu’amicaux. D’autre part, à la tête des majors, la vieille garde s’accroche
et avec elle des méthodes de management inadaptées à l’ouverture prochaine
du secteur financier chinois aux acteurs étrangers et à la forte croissance
chinoise.
L’arrivée sur le marché boursier ne constitue donc pas la panacée ni
La confiance des
pour les banques concernées, ni pour le système financier en général. En
investisseurs
particulier, l’extrême concentration entre les mains des quatre majors de
va-t-elle pousser
l’épargne chinoise qui, particuliers et entreprises confondus, s’élève à
l’Etat chinois à
1800 mds $ constitue un obstacle majeur au développement du système
approfondir les
financier. En outre, le risque que les autorités chinoises interprètent le succès
réformes dans le
de l’opération ICBC comme un signe favorable à un rythme de réformes des
secteur des
marchés financiers très mesuré existe bel et bien.
services
A l’opposé, la vague d’introductions en Bourse des principales banques
financiers ?
publiques est susceptible d’accélérer l’assainissement des secteurs bancaire et
financier, qui reste l’une des conditions essentielles de leur ouverture aux
institutions étrangères. Dans le cas de la ICBC, la levée de fonds devrait lui
permettre de renforcer la gestion de son réseau qui compte 18 000 agences en
Chine pour un total de 153 millions de clients.
Reste à
transformer le
management et
les mentalités.
Les banques
étrangères ne
Pékin a beau jeu de faire miroiter aux banques étrangères l’accès au
réseau de ses propres banques. Beaucoup semblent prêtes à payer le prix fort
pour posséder une part du gigantesque gâteau que constituent l’épargne
chinoise et la demande de produits financiers qu’elles anticipent dans le cadre
de l’ouverture des services financiers programmée pour le début de 2007
- selon le planning défini entre la Chine et l’OMC. Elles se bousculent au
portillon. Fin 2003, les institutions étrangères contrôlaient 0,3% du capital
total du secteur bancaire chinois. Fin 2007, on estime que leur part passera à
16 ou 17%. Déjà HSBC, la Royal Bank of Scotland, le Singapourien Temasek
… et prennent
ou Bank of America ont pris position. Et la bataille à laquelle se livrent la
position dans le
Société Générale et Citigroup depuis plus d’un an pour acquérir une partie du
secteur bancaire
capital de la 12ème banque de Chine, la Guangdong Development Bank donne
chinois,…
toute la mesure des ambitions des groupes étrangers sur le marché chinois.
De son côté, l’Etat chinois espère bien mettre ces derniers à
… ce qui n’est pas
contribution pour renforcer l’assise financière de ses principales banques,
pour déplaire à
Pékin qui a grand mettre fin à leur mauvaise gestion et aux affaires de corruption qui les
secouent régulièrement et améliorer leurs pratiques d’attribution des prêts. A
besoin de leurs
plus long terme, il tente ainsi de donner à son secteur financier les moyens
compétences.
d’affronter la concurrence de ces mêmes groupes et surtout un éventuel revers
de fortune de son économie.
sont pas les
dernières à
pousser dans
cette direction…
Attention tout
de même à
l’environnement
des marchés
boursiers
« casinos ».
Au delà de la qualité des avoirs des banques chinoises, de leur
management ou du mouvement de réformes dans le secteur financier qui
pourrait marquer le pas en 2007, le fonctionnement même des marchés
financiers chinois peut laisser perplexe ceux qui s’y frottent. La réforme
engagée en 2005 qui visait les deux tiers des actions des entreprises cotées a
relancé à Shanghai comme à Shenzen la machine boursière. Ces actions qui
jusque-là n’étaient pas échangeables le deviennent progressivement. Les
spéculateurs s’en donnent à cœur joie et profitent largement de l’excès de
liquidité dans l’économie. Oubliés les fondamentaux des firmes, place au
casino. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu l’opération de la ICBC. Prudence
donc…
L.Bougier
A noter : Notre étude parue au printemps 2006 Le marché financier chinois ou les hoquets du
« capitalisme communisme »
Notre prochaine étude en partenariat avec la Commission Asie Pacifique des Conseillers du
Commerce Extérieur de la France (CCE) à paraître en novembre 2006 sur L’internationalisation
des firmes chinoises.
A vos agendas : le 7 décembre 2006, entre 13h30 et 17h00, HEC Eurasia Institute organise sa
« Table Ronde » annuelle. Cette réunion sera l’occasion pour l’Institut de revenir en détail sur
cette étude et de s’attarder sur « l’exubérance irrationnelle » dont la Chine a été le théâtre en
2006.
La ICBC : 1ère banque chinoise en terme d’avoirs…
mais encore loin des principales banques mondiales
Classement des banques
(au 31 decembre 2005)
1
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19
20
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22
23
24
25
Avoirs (en mds $)
Barclays
Mitsubishi UFJ Financial Group
UBS
HSBC Holdings
Citigroup
BNP Paribas
Groupe Crédit Agricole
Royal Bank of Scotland
Bank of America Corp.
Mizuho Financial Group
JP Morgan Chase & Co
Deutsche Bank
ABN Amro Holding
Credit Suisse
Société Générale
Santander Central Hispano Group
HBOS
Sumitomo Mitsui Financial Group
Fortis
ICBC
Groupe Caisse d’Epargne
Dexia Group
Rabobank
Bank of China
China Construction Bank
1 586
1 585
1 563
1 502
1 494
1 484
1 380
1 333
1 292
1 268
1 198
1 170
1 038
1 016
1 001
954
928
906
859
799
700
600
597
587
568
Source : Fortune 500, avril 2006
Les banques chinoises rejoignent peu à peu le top 10 des banques mondiales
en terme de capitalisation boursière
Classement des banques
(au 31 decembre 2005)
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4
5
6
7
8
9
10
Capitalisation boursière
(en mds $)
Citigroup
Bank of America
HSBC Holdings
JP Morgan Chase
Mitsubishi UFJ Holding
Wells Fargo
UBS
Royal Bank of Scotland
China Construction Bank
Mizuho
235
230
200
150
145
120
110
100
100
95
Source : The Economist, juin 2006
Absente de ce classement au 1er semestre 2006, la ICBC va sans aucun doute le bouleverser. Au
premier jour de sa cotation, la banque chinoise affichait une capitalisation de 177,3 mds $ ! Reste à
voir l’évolution de son cours de Bourse à plus long terme.