LA CITÉ DE DIEU

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CANNES 2002
SÉLECTION OFFICIELLE - HORS COMPÉTITION
02 Filmes, VideoFilmes et StudioCanal présentent
LA CITÉ DE DIEU
Un film de
Fernando MEIRELLES
avec
Alexandre RODRIGUES
Matheus NACHTERGAELE
Leandro FIRMINO DA HORA
Phelipe HAAGENSEN
Seu JORGE
Distribution : MARS DISTRIBUTION
A Paris : 12, avenue de Messine - 75 008 Paris
Tél. : 01 58 56 75 00 - Fax : 01 58 56 75 01
A Cannes : 140, rue d’Antibes - 06 400 Cannes
Tél. : 04 93 99 80 30 - Fax : 04 93 99 80 29
Presse : LAURETTE MONCONDUIT
JEAN-MARC FEYTOUT
A Paris : Tél. : 01 40 24 08 25 - Fax : 01 43 48 01 89
A Cannes : Le Méridien : 1, rue des Frères Pradignac - 06 400 Cannes
Tél. : 04 93 39 72 87 et 06 12 37 23 82
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SYNOPSIS
À LA FIN DES ANNÉES SOIXANTE
“Fusée” est un gamin de onze ans de la Cidade de Deus, une banlieue de Rio. Frêle et timide, il observe le ballet
des jeunes durs de son quartier, leurs chapardages, leurs rixes, leurs heurts quotidiens avec la police. Il sait déjà
ce qu’il deviendra, s’il survit à toutes ces violences : photographe…
“Petit Dé”, un enfant du même âge, emménage dans la Cité. Il rêve, quant à lui, de devenir le plus grand criminel
de Rio, et commence son apprentissage en rendant de menus services à la pègre locale. Il admire “Tignasse” et
son gang, qui arraisonnent les camions et cambriolent à tout va. “Tignasse” donne à “Petit Dé” l’occasion de commettre un meurtre, le premier d’une longue série.
LES ANNÉES SOIXANTE-DIX
“Fusée” poursuit ses études, travaille à l’occasion, se cherche et hésite entre le crime et une vie “respectable”.
“Petit Dé”, lui, a choisi : il ne restera pas longtemps un petit gangster, car il a compris que le trafic de coke lui serait
infiniment plus profitable que la cambriole. Il monte son propre business, vite florissant.
AU DÉBUT DES ANNÉES QUATRE-VINGT
Après quelques tentatives de vol à main armée, “Fusée” déniche enfin une caméra et réalise son rêve d’enfance.
“Petit Dé” a concrétisé ses ambitions : à 18 ans, il se fait appeler “Petit Zé”, et passe pour être le plus redoutable
dealer de la ville. Il fait la loi dans la favela, entouré de ses copains d’enfance et d’une armée de gosses de 9 à 14
ans. Personne ne conteste son pouvoir… jusqu’au jour où “Manu Tombeur” entre en scène. Receveur de bus, ce
dernier a vu sa petite amie se faire violer, et décide de faire la peau à “Petit Zé”. Une bande d’enfants se forme en
quelques heures, animée des mêmes intentions. La guerre éclate dans la Cidade de Deus…
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PRÉSENTATION
LA CITÉ DE DIEU, adapté du roman de Paulo Lins, décrit la montée du crime organisé dans la banlieue “Cidade de
Deus” de Rio de Janeiro, de la fin des années soixante au début des années quatre-vingt. L’un des principaux
protagonistes du film est ce lieu, connu pour être l’un des plus dangereux de Rio. L’action est commentée par
“Fusée”, un jeune noir trop fragile, trop timide, pour faire un hors-la-loi, mais assez doué pour devenir artiste et photographe. C’est à travers ses yeux que nous voyons agir, se battre, aimer et mourir les dizaines de personnages
de la Cité dont les destins s’entremêlent au fil de l’histoire et du temps qui passe.
Le réalisateur Fernando Meirelles et la coréalisatrice Katia Lund ont réuni pour ce film 110 jeunes acteurs non professionnels, issus de divers quartiers populaires de Rio, qu’ils ont préparés en atelier pendant huit mois, mettant à
profit tout au long du tournage leurs expériences personnelles, leur langage, leurs facultés d’improvisation.
LA CITÉ DE DIEU a été coproduit par 02 Filmes et VideoFilmes. Le tournage a duré en 9 semaines, de juin à août
2001, doté d’un budget de 3,3 millions de dollars. Le financement a été assuré à 85% par 02 Filmes, et les droits
internationaux, vendus en totalité dès la première projection.
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LA CITÉ DE DIEU
WALTER SALLES
La réalité brésilienne dépasse, de très loin, la plupart des films de fiction qui ont tenté de la dépeindre. Une décomposition sociale accélérée a fait de la violence un phénomène endémique. Peu de livres ont capté aussi complètement cette situation - l’apartheid brésilien, l’état de “non-droit” des favelas - que “Cidade de Deus” de Paulo Lins.
Écrit par un enfant de la favela, ce roman a été le premier à décrire la lutte pour le pouvoir dans les bidonvilles et
le développement du trafic de drogue en une véritable économie parallèle.
Le film de Fernando Meirelles LA CITÉ DE DIEU est une puissante transposition du livre de Paulo Lins un film coup
de poing, viscéral, au traitement moderne, qui repose essentiellement sur les épaules de jeunes amateurs recrutés
dans les favelas de Rio.
Meirelles et sa coréalisatrice Katia Lund ont préparé ces jeunes en atelier pendant plus de six mois, processus
comparable seulement à celui d’Hector Babenco sur PIXOTE.
Orchestré par un réalisateur qui connaît parfaitement la grammaire du cinéma, LA CITÉ DE DIEU renouvelle le
cinéma brésilien et donne au spectateur l’occasion de comprendre un peu mieux les raisons du chaos social qui
affecte aujourd’hui notre pays.
FILMOGRAPHIE :
2002 AVRIL BRISÉ
1999 LE PREMIER JOUR
1998 CENTRAL DO BRASIL
1996 TERRES LOINTAINES
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LA CITÉ DE DIEU
NAISSANCE DU PROJET
Un ami m’avait demandé de lire le roman de Paulo Lins, “Cidade de Deus”, avec l’idée de tirer un film de ce livre
de 600 pages. Sur l’instant, je n’ai guère accordé d’intérêt à sa suggestion. Je savais que l’ouvrage traitait des
origines du trafic de stupéfiants à Rio de Janeiro ; que cette histoire violente, désespérée, se déroulait tout entière
dans une favela. Or je n’ai jamais touché à la cocaïne, le sujet ne m’intéressait pas, je savais peu de chose sur
l’organisation des favelas ou du trafic de drogue, et je n’avais nulle envie d’abandonner ma famille à São Paulo pour
tourner un film à Rio.
Je décidai néanmoins de lire le livre, intrigué par le succès qu’il avait eu. Arrivé à la page 100, je fus bien obligé de
reconnaître, comme mon ami, que cette histoire était passionnante. À partir de la page 200, j’ai commencé à
souligner une ligne par ci, une ligne par là. En refermant le livre, j’avais en main un relevé complet des décors et
des personnages, et me sentais déjà totalement impliqué dans le projet. Je m’aperçois aujourd’hui que je n’ai
jamais décidé d’adapter ce roman ; c’est lui qui a pris possession de moi, qui m’a convaincu de l’adapter.
présenté par son réalisateur, FERNANDO MEIRELLES
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POURQUOI J’AI FILMÉ LA CITÉ DE DIEU
Cette lecture fut une révélation - la découverte d’une facette inconnue de mon pays. Bien sûr, j’avais lu des livres et
des articles sur les favelas et le trafic de stupéfiants, je me croyais raisonnablement bien informé de l’apartheid social
qui règne au Brésil. Mais ce livre va infiniment plus loin, il bouleverse de fond en comble l’idée que nous nous faisons
de cet univers particulier. Son auteur, Paolo Lins, a grandi dans la favela de Cidade de Deus et a vu passer sous ses
fenêtres les personnages de son roman.
La litanie des vies fauchées en peine jeunesse. La résignation des habitants de ces quartiers face au cycle ininterrompu des morts violentes, est peut-être ce qui m’a le plus frappé dans ce livre, et décidé à le tourner. Un gosse de
16 ans sait aujourd’hui qu’il a derrière lui ses plus belles années, et peut s’estimer heureux de survivre encore trois
ou quatre ans. Il se sait condamné à mourir dans la fleur de l’âge, et l’accepte comme une fatalité incontournable. Ce
gâchis est le thème central du film.
L’ADAPTATION
Il n’est pas facile de condenser en deux heures un livre de plus de 600 pages rassemblant quelque 300 personnages. Nous avons rejeté d’emblée l’idée de réduire LA CITÉ DE DIEU à une seule intrigue, car c’est précisément le
foisonnement des personnages et des situations qui m’avait impressionné dans le livre. Écartant le principe d’une
structure dramatique en “trois actes”, j’ai choisi de diversifier et multiplier les intrigues, dont la juxtaposition
permettait de retrouver l’ambiance du livre.
Il me semblait également important de commencer l’histoire dans les années soixante et d’aller jusqu’aux années
quatre-vingt pour donner au film l’ampleur d’une saga et illustrer le développement du business de la drogue à Rio.
Bien qu’il n’y ait pas de personnage central dans le livre, le scénariste Bráulio Mantovani et moi avons tout de suite
pensé que le protagoniste du film devait être “Fusée”, qui est un peu l’alter ego de Paulo Lins. “Fusée” est un observateur/narrateur qui n’intervient pas directement dans l’action, mais en est partie prenante.
Le plus difficile, dans cette adaptation, ne fut pas de créer des situations, mais d’en éliminer, encore et encore, de
supprimer certains développements, d’enlever des personnages ou de fondre deux ou trois de ces personnages en un.
À la quatrième mouture, il m’a semblé que notre scénario était pratiquement au point. Nous avons alors entamé la
préproduction.
Durant les douze mois de préproduction, nous avons fini par écrire huit nouveaux traitements. Katia Lund se joignit
à nous, et son concours nous fut des plus précieux car elle connaît intimement ce monde. Notre chef opérateur,
César Charlone, apporta également sa contribution, et nos acteurs ne cessèrent de modifier les dialogues et de
créer de nouvelles situations à chaque répétition.
Paulo Lins nous servit de “consultant” chaque fois que nous doutions de l’authenticité d’un personnage, d’une
expression, voire d’un simple vêtement. Bráulio dut intégrer en permanence toutes ces données à son script.
C’est finalement la douzième mouture que nous avons filmée, en y introduisant toutefois encore quantité de
modifications en cours de tournage. J’avais tellement travaillé à l’écriture, j’avais fait tant de répétitions, que je ne
me suis pas inquiété de perdre mon exemplaire personnel du scénario au cours de la deuxième semaine. Je n’ai
même pas cherché à en avoir un autre : j’avais tout le film en tête.
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LA DISTRIBUTION
Je souhaitais que le spectateur ait un rapport direct avec les personnages, qu’il les perçoive sans le “filtrage”
qu’impose un acteur de métier. Je ne voulais pas qu’il assiste à une “grande interprétation” de “Petit Zé”, mais qu’il
en vienne à connaître réellement celui-ci.
Nous sommes donc partis de l’idée d’utiliser des inconnus. Je savais que mon plus gros problème serait de réunir
la distribution - une centaine de garçons de 12 à 19 ans, avec une majorité de mulâtres et de noirs, sensibles,
charismatiques, intelligents, généreux et disponibles. Cela demanderait une année entière ; il était exclu de lancer
la préproduction avant d’avoir obtenu toute satisfaction sur ce point.
Ce n’est pas simple, pour un représentant de la moyenne bourgeoisie de São Paulo, d’aller recruter des candidats
dans les favelas de Rio de Janeiro. J’avais besoin qu’on m’ouvre des portes. Ma première clé fut Katia Lund.
Katia avait réalisé plusieurs films dans les favelas de Rio. Elle y a des amis et de bon contacts, elle connaît le code
des dealers. Originaire de São Paulo, de parents américains, rousse à la peau blanche, elle faisait figure d’extraterrestre dans ces quartiers, mais elle y évolue comme un poisson dans l’eau. Elle s’est tout de suite investie corps
et âme dans le projet auquel elle a énormément apporté.
Ma deuxième clé fut l’acteur Guti Fraga qui a réussi, à force d’obstination, à monter et à diriger une troupe de
comédiens dans la favela de Vidigal. Il est parvenu, quasiment sans aide extérieure, à construire un atelier, un
théâtre, à enrôler trois cents jeunes dans un programme d’études très varié : art dramatique, littérature, danse,
musique, cinéma… Il était l’homme de la situation. Nous l’avons invité à se joindre à nous, sans penser un instant
qu’il s’impliquerait personnellement. Erreur ! Il a lu le script, l’a aimé, et a décidé de se consacrer au film en dépit
d’un emploi du temps passablement chargé. Je savais dès lors que nous étions sur la bonne voie.
LA SÉLECTION DES ACTEURS
La “Fundição Progresso”, un vaste centre culturel de Rio, nous a ouvert un espace de travail où nous avons établi
nos bureaux. Six collaborateurs étaient chargés, chaque jour de visiter en tandem les nombreuses banlieues
populaires de la ville : Rocinha, Cantagalo, Chapéu Mangueira, Cidade de Deus, Dona Marta, Vidigal, etc. Ils se
bornaient à informer les associations de quartiers de leur désir de recruter de jeunes candidats à une école d’art
dramatique, mais ne faisaient pas mention du film.
Au jour dit, plusieurs centaines de personnes se présentèrent pour auditionner, et furent filmés. L’équipe visita aussi
des cours de théâtre amateurs et diverses institutions de soutien à la jeunesse. Quarante jours plus tard, nous
disposions de quelques 2000 interviews.
Nous nous sommes alors réunis pour sélectionner 400 de ces jeunes, selon des critères hautement subjectifs : “Ce
gars a une bonne bouille”, “Celui-ci a l’air triste”, “Celui-là est agressif, il me plaît”, etc. Chacun proposait ses
propres candidats, sans droit de veto sur les autres.
Nous avons ensuite rappelé ces 400 jeunes deux semaines de suite. Guti Fraga leur a fait faire des exercices, puis
une improvisation collective. Nous avons filmé ce travail, tout en prenant des notes. Ensuite, nous avons visionné
ces enregistrements et avons retenu les 200 jeunes qui travailleraient en atelier avec Guti.
Ces 200 jeunes furent répartis en 8 groupes, en fonction de leur âge et de leur disponibilité. Ils viendraient
s’entraîner chez nous deux fois par semaine, repas et transports étant à notre charge. Chaque jour se tenaient ainsi,
11 heures de cours, assurées par 4 équipes. Guti dirigeait le travail, entouré de deux de ses assistants habituels,
ainsi que de Katia et de moi. Les jeunes n’avaient pas été informés que nous réaliserions le film. Nous voyant assis
en tailleur parmi eux, ils nous acceptèrent spontanément. Lorsqu’ils découvrirent nos attributions, ils étaient déjà
pleinement à l’aise face à nous, et se sentaient libres d’apporter leurs suggestions ou de contester telle ou telle
scène. Au bout de deux mois, nous avons commencé à donner seuls certains cours. L’enthousiasme collectif nous
a permis d’unifier le groupe et de contrôler cette remuante assemblée.
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LES COURS D’INTERPRÉTATION
Les premiers cours se limitèrent à des exercices, propres, selon Guti Fraga, à susciter un climat de compréhension
mutuelle, à rendre solidaires ces jeunes de diverses origines. La caméra fut omniprésente dès la première séance,
afin qu’ils s’habituent à elle. Peu de temps après, nous avons entamé des improvisations libres, puis des improvisations tirées de scènes du film. Nous avons alors fractionné les classes en sous-groupes, lesquels préparaient les
scènes proposées, puis les jouaient devant l’ensemble de la classe, face à la caméra. Les remarques des jeunes
étaient toujours focalisées sur la “vérité”. Ils ne demandaient pas à leurs copains d’interpréter, mais de réagir de
façon authentique.
Au terme de ce cycle, chaque étudiant a livré son bilan. La majorité a jugé l’expérience enrichissante. Beaucoup ont
pensé que ce processus leur avait appris discipline et concentration.
La suite du casting fut des plus classiques. Les rôles secondaires, les personnages adultes ou jouissant d’une
meilleure position sociale furent attribués à des acteurs professionnels, mais peu connus du grand public.
L’APPORT DES COMÉDIENS
En atelier, chaque scène du film fit l’objet de multiples répétitions au sein des différents groupes. Chaque fois, nous
avons ajouté ou coupé des répliques, des réactions ou des plaisanteries, et précisé certaines intentions.
Le scénariste Bráulio Mantovani incorpora ces changements dans de nouvelles moutures, qui furent ensuite
redistribuées aux acteurs. Il vint également nous rendre visite pour assister aux improvisations et se familiariser
avec le langage des jeunes.
Mais les acteurs nous apportèrent encore plus. Lorsqu’une situation ou un dialogue ne rencontrait aucun écho en
eux, ne faisait manifestement pas partie de leur univers, nous les coupions. Il aurait été inutile d’insister.
C’est en transcrivant les dialogues pour les sous-titreurs que j’ai réalisé à quel point les gosses y avaient contribué.
Ils s’expriment par des phrases très brèves, de style télégraphique, qu’ils répètent deux ou trois fois et parsèment
d’interjections ou de jurons. Un scénariste peinerait à élaborer une telle syntaxe face à son ordinateur.
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LE TOURNAGE
Le film décrit les premières étapes de la prise en main des favelas par les trafiquants de drogue, au début des
années soixante-dix. Ce processus se déroula à l’identique dans la quasi totalité des favelas de Rio. Aujourd’hui,
chaque quartier est sous la coupe d’un “propriétaire” qui y fait régner sa loi.
Lors de ma première visite à Cidade de Deus, j’avais parqué ma voiture dans une rue très animée et poursuivi à
pied, escorté par un jeune complice des dealers, censé m’éviter les ennuis. À peine avais-je fait trente mètres dans
la Cité, qu’un garçon me braqua par derrière avec un énorme pistolet. Il aurait fait feu sur le champ si mon accompagnateur ne s’était interposé. Cinq secondes plus tard, le gosse au pistolet s’était évanoui dans la nature. Le cœur
battant, j’ai réalisé que Paulo Lins n’avait rien exagéré.
À qui vient de l’extérieur, la favela apparaît comme une terre étrangère. L’État en semble absent, les lois ordinaires
ne s’y appliquent pas, la police constitue une menace, une source de conflits et de désordres. Les “propriétaires”
font aussi fonction de juges, tranchent tous les litiges ou problèmes personnels, familiaux et administratifs de la
favela. C’est ainsi que nous avons vu le maire de Cidade de Deus téléphoner au “QG” de la drogue pour obtenir la
permission de remplacer les lumières dans le quartier et savoir à quelle date envoyer ses camions. Ce n’est pas la
mairie, mais l’organisation de la drogue, qui nous a délivré les autorisations de tournage. Pour filmer dans une
favela, vous devez embaucher un directeur de production qui sache comment joindre le “propriétaire” et qui
connaisse les codes de conduite appropriés. Le scénario de LA CITÉ DE DIEU parvint, derrière les murs de la prison
de haute sécurité de Bangu, à un discret “décideur” qui en autorisa le tournage, en nous recommandant de ne pas
copier les films américains et de montrer la réalité telle qu’elle est.
L’idée de départ était de tourner dans la Cité même. Par chance, nous y avions réalisé un court métrage six mois
plus tôt, et avions compris qu’il était hors de question de s’y attarder. Une cascade de difficultés s’abattit en effet
sur nous tout au long de cette courte semaine. Dès le premier jour, des gens se mirent en tête de nous interdire de
tourner, sous prétexte que le “propriétaire” jugeait le scénario trop violent. Il estimait en outre qu’il ne fallait pas
montrer les dealers au cinéma car cela donnait un mauvais exemple aux jeunes. Nous avons tourné à la va-vite et
essayé de résoudre les problèmes sur le tas. Les échos d’innombrables coups de feu, les carences de la police
censée nous protéger, l’omniprésence de dealers lourdement armés suffirent à nous convaincre que LA CITÉ DE
DIEU ne pouvait être filmé dans son décor originel.
La première partie du tournage se déroula dans un lotissement en cours d’achèvement : Nova Sepetiba, dont
l’apparence générale était conforme à celle de la Cité des années soixante. Les dealers n’avaient pas encore pris
possession du quartier, et ne le feraient qu’en fin de chantier.
La deuxième partie s’est déroulée dans un lotissement de l’époque de la Cité, mais situé à l’autre extrémité de la
ville. Son “propriétaire” avait la quarantaine et était plus stable que les gamins de 19 ans qui contrôlent d’autres
zones. Il demanda à voir le scénario et posa certaines conditions : embaucher dans l’équipe autant de gens du
quartier que possible, identifier soigneusement nos véhicules, indiquer leurs heures d’arrivée et de départ. Il fixa
également le montant du droit d’utilisation du site et le tarif de la figuration. Le tout à travers une série d’intermédiaires, car ce monsieur occupait alors une cellule de la prison de Bangu. Après cela, nous n’eûmes pas le
moindre problème. Les gens nous accueillirent tous à bras ouverts, et s’efforcèrent de nous faciliter la tâche, en
évacuant des rues les voitures modernes, en nous louant des garages, en ouvrant leurs maisons pour nous
permettre d’y tourner, etc. Personne ne se plaignit du dérangement, et nous n’avons jamais manqué de figurants.
Nous n’avons même pas signé le moindre document. Ce n’était pas nécessaire…
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FERNANDO MEIRELLES
RÉALISATEUR
Fernando Meirelles est né en 1955 à São Paulo. Pendants ses études d’architecture à l’Université de São Paulo, il
produit avec un groupe d’amis ses premières vidéos expérimentales, qui conduisent à la création de la société de
production indépendante “Olhar Electrônico”. Fernando Meirelles et son équipe remportent de nombreux prix dans
des festivals brésiliens et s’imposent comme référence en matière de production indépendante.
Le groupe passe ensuite à la création télévisuelle, apportant un souffle d’air frais à la télévision brésilienne des
années quatre-vingt. Parmi ses nombreuses productions : “Ernesto Varela”, “The Reporter”, “TV Mix” et la série jeunesse “Ra Tim Bum”.
À la fin des années quatre-vingt, Fernando Meirelles passe de la vidéo à la pellicule, et réalise des pubs. Au début
des années quatre-vingt-dix, il monte avec Paulo Morelli et Andrea Barata Ribeiro la société de production
02 Filmes.
Menant de front production télé et publicité, Fernando Meirelles est devenu au cours des dix dernières années l’un
des réalisateurs de spots les plus célèbres de son pays. Il a également coréalisé ces cinq dernières années trois
longs métrages et deux courts métrages.
FILMOGRAPHIE :
1996 O MENINO MALUQUINHO (long métrage), en coréalisation avec Fabrizio Minto
1997 E NO MEIO PASSA UM TREN (court métrage), en coréalisation avec Nando Olival
1999 DOMESTICAS O FILME (long métrage), en coréalisation avec Nando Olival
2000 PALACE II (court métrage), en coréalisation avec Katia Lund
2002 LA CITÉ DE DIEU (long métrage), en coréalisation avec Katia Lund
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BRÁULIO MANTOVANI
SCÉNARISTE
J’ai dénombré 300 personnages dans le roman “Cidade de Deus”, et il est bien possible que j’en ai laissé échapper
quelques uns. Le livre regroupe une bonne centaine d’histoires distinctes. Des longues et des brèves, de
nombreuses intrigues qui se recoupent, d’autres qui tiennent en quelques lignes. Ces chiffres donnent une petite
idée du travail qui m’attendait après avoir accepté, en 1999, d’adapter le roman de Paulo Lins.
Fernando Meirelles était pressé : il lui fallait tenir les délais imposés par certains décrets de soutien à l’action
culturelle. Je me souviens avoir lu les dialogues et rédigé la première mouture en deux mois. L’important était de
livrer le travail à temps. On verrait plus tard pour peaufiner.
À ma grande surprise, ce scénario que je considérais comme une ébauche, fut retenu par le “Sundance Rio Film
Laboratory” et primé par la “Motion Picture Association” et la “Writers Guild of América”. Il était donc moins bancal
que je ne pensais. Ce qui ne nous empêcha pas d’en écrire onze autres versions, de procéder à de nouveaux changements en cours de tournage et de réécrire une partie du commentaire au montage.
J’ai écrit ce scénario, mais l’auteur du projet fut, d’entrée de jeu, Fernando Meirelles. Il a suivi attentivement toutes
les étapes de l’écriture, il a été mon partenaire et m’a sauvé la mise plus d’une fois. Lorsque la coréalisatrice Katia
Lund s’associa au projet, elle s’impliqua elle aussi dans l’écriture et résolut un des problèmes narratifs qui nous
hantaient depuis le début. Vinrent ensuite les acteurs, avec leurs improvisations, leurs répliques inventées en
atelier ou dans le feu de l’action. Et enfin, Paulo Lins qui apporta sa contribution personnelle à la version définitive
du commentaire.
Cela fait tant de collaborateurs que j’ai un peu honte d’être seul à signer ce scénario… mais rien qu’un peu, car
l’adaptation du roman imposait une “architecture” complexe et audacieuse dont je revendique la paternité.
ÉCRITURE
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IMAGE
CÉSAR CHARLONE
DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE
Je me suis abondamment entretenu avec Fernando Meirelles sur l’orientation qu’il comptait donner à LA CITÉ DE
DIEU. Son souci majeur était, à l’évidence, le respect de l’œuvre originelle. Nous ignorions tout des circonstances
qui avaient fait germer le livre de Paulo Lins, mais il nous fallait les reproduire avec un maximum de fidélité. Nous
ne savions rien de cette réalité, hormis ce qu’en disait la presse et qui nous choquait dans la quiétude, le confort
et la sécurité de nos maisons.
Il aurait été facile d’extraire de notre bagage cinématographique quelques-uns des nombreux procédés suceptibles
d’enjoliver et d’exploiter la violence, de faire un “beau” film d’action, plein de trucs et d’effets spéciaux. Après avoir
relu le livre, il devint clair que notre plus grand défi consisterait à coller de très près à la réalité et à la dépeindre
avec un minimum d’interférences.
Lorsque j’ai commencé à travailler à ce projet, Fernando avait déjà fait un pas décisif dans cette voie, en choisissant
de travailler avec des acteurs issus de ce monde, plutôt qu’avec des professionnels. Cette option pouvait
donner d’excellents résultats et conférer au film une grande “vérité”, mais elle présentait aussi quelques risques.
Le principal était de traiter le film à la manière d’un documentaire. Nos “acteurs” n’avaient jamais mis les pieds sur
un plateau, ils ignoraient tout des marques et des lumières et les plus jeunes d’entre eux avait du mal à
distinguer la fiction de la réalité. Inutile, dans ces conditions, de faire des répétitions classiques ou de tracer au sol
des marques que nul ne respecterait. Leur implication émotionnelle se renforçait de prise en prise, en même temps
qu’ils se créaient leur propre espace et leurs propres repères. C’est sur cette base que s’est élaborée la photo de
LA CITÉ DE DIEU.
La chance voulut que Fernando soit appelé à tourner un court métrage pour “TV Globo” et qu’il m’invite à l’éclairer
pour en faire une sorte de répétition technique de LA CITÉ DE DIEU. C’est ainsi que, durant les quatre jours de tournage de PALACE II, j’ai pu tester 8 types de pellicules 35 mm et 16 mm, différents matériels d’éclairage, différents
styles cinématographiques, plus ou moins formels, plus ou moins improvisés. La dernière expérience consista à
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LES CHOIX ESTHÉTIQUES
DE FERNANDO MEIRELLES
tourner sur pellicule, à faire toute la postproduction en vidéo, puis à transférer le résultat sur pellicule, en bénéficiant de tous les avantages de l’électronique : variations de vitesse, d’intensité lumineuse, passages du 35 mm au
16 mm, etc. J’ai su, après cela, que LA CITÉ DE DIEU ne ressemblerait à aucun de mes films précédents, à
l’exception de certains documentaires du début des années quatre-vingt, que j’avais tournés caméra à l’épaule,
traquant la réalité, lui laissant m’inspirer cadrages et éclairages, comme au temps du néo-réalisme et du Cinema
Novo.
Lorsque nous avons commencé à discuter du film, Fernando m’a dit qu’il comprendrait trois périodes distinctes :
LES ANNÉES SOIXANTE, avec les premiers chapardages. Elles auraient la naïveté d’un western : cadrages
traditionnels, travellings, caméras sur pied, etc.
LES ANNÉES SOIXANTE-DIX : les hippies, le chrome, l’artifice, le LSD, les psychédéliques. Pellicule : Ektachrome.
LES ANNÉES QUATRE-VINGT : le hard rock…
Mais ce n’était que des mots, le plus grand challenge consistait à trouver une forme d’expression cinématographique,
une image, des lumières qui n’exploitent ni ne travestissent la réalité. Comme si Paulo Lins était derrière la caméra.
Fernando appelait cela de la “non photographie”…
Le roman comprend trois grandes sections, qui tournent respectivement autour des personnages de “Tignasse”,
Bené et “Manu le Tombeur”. Mais il évoque surtout une impressionnante kyrielle de personnages de la Cidade de
Deus et leurs rapports au crime. C’est cette lancinante succession d’histoires et l’esprit même du lieu qui ont inspiré
l’ambiance du film.
On retrouve dans LA CITÉ DE DIEU ce découpage en trois parties, mais destiné cette fois à marquer le passage du
temps plutôt que l’entrée en scène de tel ou tel protagoniste. En outre, j’ai décidé de traiter chaque section comme
un film en soi, et j’ai communiqué à toute l’équipe une note d’intention précisant clairement nos objectifs.
La première partie est l’histoire du “Tendre Trio” des années soixante, rythmée au son de la samba. Elle évoque une
certaine forme de criminalité romantique, une certaine innocence juvénile, par le biais d’objectifs traditionnels (du
32 au 65), de cadrages et de compositions assez classiques.
La deuxième partie se situe au début des années soixante-dix. C’est l’histoire de “Petit Zé”, le début des bonnes
affaires, de la prospérité. Couleurs vives, plus de liberté dans les mouvements d’appareil et dans le montage.
Relents de marijuana, échos de pop, samba, funk.
La guerre de la drogue occupe la dernière partie du film. C’est l’histoire de Mané Galinha. Monochromatique, froide,
percutante. Montage heurté, décadrages, panoramiques filés, images floues, rythme haletant. Et les “mauvaises
vibrations” de la cocaïne…
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DANIEL REZENDE
CHEF MONTEUR
Ce film est le premier long métrage que j’ai monté, après une série de spots, clips et mini-vidéos.
Je travaillais déjà depuis quatre ans avec Fernando Meirelles lorsqu’il m’invita à monter LA CITÉ DE DIEU. J’ai tout de
suite accepté, séduit par la qualité du projet et l’enthousiasme contagieux de Fernando. Le film était solidement
structuré dans son esprit. Le scénario se composait de trois histoires, qui seraient traitées comme autant de films
distincts.
LA PREMIÈRE PARTIE – l’histoire de “Tignasse” –, décrit la montée de la criminalité dans la Cité, au milieu des
années soixante. L’ambiance est encore un peu “naïve”, et nous avons opté ici pour un montage plutôt “classique” :
coupes et raccords traditionnels, respect des axes, mise en valeur de l’action.
LA DEUXIÈME PARTIE – l’histoire de “Petit Zé” –, se situe dans les années soixante-dix. La drogue est devenue la
principale source de revenus de la Cité. Le montage se libère, il est moins conceptuel, moins soucieux des
raccords. Il en résulte un effet de distanciation, qui prépare le spectateur aux drames à venir.
LA TROISIÈME PARTIE – l’histoire de “Manu Tombeur”. Nous sommes maintenant à la fin des années soixante-dix,
en pleine guerre de la drogue. L’atmosphère devient lourde et oppressante. Le montage est totalement libre, sans
aucun souci des raccords, de la continuité spatio-temporelle et autres “règles”. Les coupes sont ostensibles, étranges,
dérangeantes. Elles créent une sensation d’étouffement, de tension, de frénésie. Le spectateur n’a pas le temps de
reprendre son souffle.
Le montage a représenté cinq mois de travail. Certaines scènes avaient été tournées avec deux ou trois caméras,
la majorité des acteurs étaient des amateurs qui ne se privaient pas de changer le dialogue ou de prendre des
marques différentes d’une prise sur l’autre. Ils abordaient en fait chaque prise comme une autre scène. Cette
spontanéité renforçait la véracité du film, mais compliquait singulièrement la tâche du monteur.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous avons gagné notre pari. LA CITÉ DE DIEU est un film impressionnant, authentique, différent de la plupart de nos productions nationales. Il est passionné, il ne laisse personne indifférent. Je suis
content de notre travail.
MONTAGE
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LISTE ARTISTIQUE
Matheus Nachtergaele
Seu Jorge
Alexandre Rodrigues
Leandro Firmino da Hora
Phelipe Haagensen
Jonathan Haagensen
Douglas Silva
Roberta Rodriguez Silvia
“Carotte”
“Manu Tombeur”
“Fusée”
“Petit Zé”
“Bené”
“Tignasse”
“Petit Dé”
“Bérénice”
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LISTE TECHNIQUE
Réalisateur
Co-Réalisateur
Scénariste
Directeur de la photographie
Monteur
Directeur artistique
1er assistant réalisateurs
Producteurs
Co-Producteurs
Producteur exécutif
Son
Musique originale
Costumes
Maquillage
Effets spéciaux
Casting
Fernando Meirelles
Katia Lund
Bráulio Mantovani
César Charlone, ABC
Daniel Rezende
Tulé Peake
Lamartine Ferreira
Andrea Barata Ribeiro et Maurício Andrade Ramos
Daniel Filho, Donald K. Ranvaud, Globo Filmes
Hank Levine, Juliette Renaud, Marc Beauchamps
Vincent Maraval (Wild Bunch/StudioCanal)
et Walter Salles
Elisa Tolomelli
Zeta Audio : Martin Hernández Guilherme Ayrosa
Paulo Ricardo Nunes
Antônio Pinto et Ed Côrtes
Bia Salgado et Inês Salgado
Anna van Steen
Renato Batata
Fátima Toledo
Drame / 2h15 / Couleur / 35 mm / 1:1,85 / Dolby SRD
www.marsfilms.com
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Matheus Nachtergaele
“Carotte”
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Seu Jorge
“Manu Tombeur”
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Alexandre Rodrigues
“Fusée”
Leandro Firmino da Hora
“Petit Zé”
Douglas Silva
“Petit Dé”
Fernando Meirelles
et Katia Lund