jardins partagés Eric Predine

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jardins partagés Eric Predine
LES JARDINS PARTAGÉS,
PARTAGÉS, DE NOUVEAUX ESPACES PUBLICS
Eric Predine
Association Saluterre
De nouveau, nous vivons une crise sociale et économique, mais qui s’ajoute à la conscience d’une crise
environnementale. L’usage du jardin dans des
politiques publiques d’intérêt général ne date pas
de l’avènement des jardins partagés, introduits
en France, il y a une quinzaine d’années.
facilement leur lundi à l’improviste pour aider leurs
familles aux champs ou simplement retrouver leur
dulcinée au village d’origine. Les jardins contribuaient
donc à une bonne « gestion » de l’usine d’à côté.
Les jardiniers n’étaient donc guère impliqués sur les
modalités de gestion que des bons samaritains dictaient
pour leurs biens. Malgré, certains enjeux pour le moins
désuets aujourd’hui, la démarche des jardins partagés
est très proche dans les objectifs d’amélioration
du cadre de vie des plus fragilisés d’entre nous.
Les jardins, une tradition ancienne des politiques
d’intérêt général
La création des premiers jardins ouvriers par l’abbé
Volpette à St Etienne en 1894, puis repris et très
largement amplifiée par l’abbé Lemire à partir de 1896
était déjà une réponse sociale à une crise sanitaire cette
fois–ci, mais aussi économique. L’abbé Lemire
poursuivait plusieurs objectifs au travers de ces jardins
ouvriers. Ils donnaient l’accès à un air sain, au moins
le dimanche, aux familles d’ouvriers vivant dans des
taudis humides contaminés par la tuberculose.
Ils amélioraient l’apport alimentaire. Une des
intentions était «d’éduquer » les ouvriers pour qu’ils
acquièrent des pratiques de « petits propriétaires »,
mais aussi, qu’ils évitent de fréquenter les bistrots.
Il s’agissait de contribuer à la lutte contre l’alcoolisme,
mais surtout d’atténuer la « contamination »
des ouvriers par les idées modernes du syndicalisme
ou du communisme. L’abbé Lemire, Député de la
Nation, siégeait à gauche certes, mais restait abbé….
Aujourd’hui comme hier, les jardins sont des lieux
de résistances à la crise alimentaire et à la crise
économique. Toutes les études de santé publique,
menée dans le cadre de la nutrition démontrent que
les moins fortunés diminuent la part des fruits
et des légumes dans leurs alimentations pour des
questions de coûts et d’attitude culturelle vantée par
l’industrie agro-alimentaire de l’aliment, préparé,
emballé, et bientôt prédigéré ? Ce fait a déjà des
conséquences désastreuses en matière de santé
publique sur les pandémies de diabète, d’obésité et
de maladies cardio-vasculaires.
Mais aujourd’hui, la démarche porte les valeurs de
l’autonomie, de la coopération et de la responsabilité
vis-à-vis des siens, mais aussi de son habitat.
Les jardiniers sont donc directement impliqués dans
la définition des usages et du fonctionnement
de ces jardins.
Ces jardins pouvaient voir le jour au côté des usines,
non seulement grâce à la persuasion de ce personnage
hors du commun, mais aussi à la contribution du
patronat éclairé. C’est lui qui fournissait les terrains.
Bien souvent, les « dames » patronnesses participaient
à la gestion de ces jardins dans le cadre de démarche
d’éducation populaire, tels des cours de tricot ou
d’hygiène corporelle. Ces jardins permettaient
de compléter les salaires des ouvriers sans apport
numéraire supplémentaire. De plus, en maintenant
les ouvriers sur place, les jardins facilitaient
le regroupement familial. En ce temps, les ouvriers
étaient souvent jeunes et célibataires. Ils prenaient
C’est en quoi les jardins partagés
du mouvement issu de l’abbé Lemire.
diffèrent
« En cultivant la terre, ce sont des solidarités
nouvelles, les échanges, l’épanouissement personnel, le respect du monde du vivant, le bien-être
que l’on irrigue, que l’on amende comme le terroir d’un nouveau développement durable et désirable. »*extrait de la charte du réseau du Jardin
dans Tous Ses Etats.
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Depuis quelques années, ces nouveaux jardins sont
apparus dans le paysage. Ils peuvent prendre la forme
de jardins familiaux, être un outil d’éducation
à l’environnement pour des enfants, devenir collectifs
pour favoriser l’insertion des personnes en grande
difficulté ou être un lieu de rencontre dans les
quartiers comme les jardins communautaires nommés
aussi jardins collectifs d’habitants. Ces jardins sont
implantés, au cœur des cités ou cultivés en zone rurale.
de la demande de jardins la plus adaptée aux réalités
sociales et économiques d’un territoire.
En matière sociale, ces jardins deviennent des lieux
de rencontres, d’élaboration des petites solidarités
du quotidien. Les hommes et les femmes par-dessus
les clôtures s’échangent la garde d’enfants, une salade
ou l’apprentissage d’un geste.
Les jardins contribuent dans les quartiers à la pratique
du papotage, pas si innocents que cela. On discute de la
pluie et du beau temps, qu’avant les tomates fussent
meilleures, de la météo détraquée. Bref, les futilités
fusent et tissent entre voisins, un réseau de civilité qui
contribue à l’ambiance sociale apaisée si regrettée dans
certains quartiers populaires.
Ils ont en commun d’être des « jardins partagés ».
Les jardins partagés sont des lieux très divers où vivent
les valeurs de solidarité, de créativité, de respect
de l’environnement, et de reconnaissance de l’autre
dans sa singularité et la richesse de sa différence.
Ces jardins ont un esprit d’ouverture, ce sont des lieux
d’expérimentation, d’innovation, et de convivialité.
Le jardin partagé, un concept de fonctionnement
et non, une organisation spatiale
Individuels ou collectifs, familiaux ou communautaires, les jardins peuvent être partagés quand les
habitants s’investissent dans la cogestion de ces
espaces publics. Les jardins familiaux apportent à la
sphère privée, des moyens concrets pour mieux
résister à la malbouffe, répondre avec plus de qualité
aux plaisirs de la diversité culinaire, à la capacité
à transmettre à ses enfants des gestes et des pratiques
liés à sa culture. Comment peut-on rester gascon, si
au printemps on ne déguste pas les fèves à la croque
au sel ?
Dans la sphère publique, les jardins individuels créé
des groupes d’habitants responsabilisés et impliqués
dans la gestion de l’habitat. Ces groupes comme
à la Crapaudine à Nantes participent à l’animation
de la cité ou comme au Jardin de l’Arnaga du Haillan
expérimente des techniques de réduction des déchets
organiques de la résidence.
Quelques critères pour vous permettre de reconnaître
un jardin partagé :
- Les pratiques sont participatives dans la conception, la gestion, le mode de fonctionnement. Il est
nécessaire d’instaurer une concertation forte avec
tous les acteurs.
- L’ouverture à tous les publics favorise le brassage
social et la mixité des usages.
- L’aménagement tient compte du besoin d’appropriation des usagers.
- Le projet jardin est animé par une personne compétente.
- Les objectifs sont divers et diversifiés : sociaux,
culturels, pédagogiques…
- Le respect de l’environnement est pris en compte
dans les modes de culture
Les jardins collectifs dits communautaires dans le sens
anglo-saxon du terme, soit « du quartier », offrent
une gamme souvent moins « jardinée », mais plus
solidaire, basée sur la dynamique de groupe.
Ils correspondent à un centre social ou culturel
de quartier, en moins onéreux en équipement pour la
collectivité et souvent aussi efficace, si le savoir
animer est présent. A Lyon, il peut être un lieu
de créativité « land-art » éphémère, à Paris, un espace
garden-partie où coule à flot le champagne de sureau,
à Lille une salle des fêtes de plein air avec barbecue,
guitare et botte de paille en guise de fauteuil. L’enjeu
est la convivialité. Le jardin partagé est alors un espace
vert habité qui redonne une âme un bout de terrain
- L’intégration paysagère du jardin est recherchée.
De la concertation, germe la pertinence
des jardins partagés
C’est de la mobilisation des habitants, puis de la
concertation que naît la dynamique d’habitants.
C’est ensuite aux habitants de choisir les modalités
structurelles de leurs fonctionnements de groupe.
Cette mobilisation, puis la concertation sur les usages
et le fonctionnement des jardins suscitent l’émergence
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souvent délaissé.
Rénover les méthodologies
de conception de l’aménagement
En matière environnementale, chacun de ces jardins
est autant de support d’éducation à l’environnement,
plus pratique que moraliste. Il s’agit de réapprendre
avec ses mains, les liens généreux avec la terre et ses
éléments. La pratique du naturel n’est pas spontanée.
Elle s’acquiert par l’expérience et la conscience.
Ce concept innovant de parc public potager entraîne
de nouvelles méthodes d’actions des collectivités.
La collectivité se fixe un cadre pour la gestion des
espaces jardinés par les habitants. La ville reste garante
de l’intérêt public, particulièrement sur trois critères :
l’ouverture à la mixité sociale et culturelle, l’harmonie
paysagère, et le respect de l’environnement. Ce cadre
de gestion prend la forme d’une charte concertée avec
les usagers où sont définies les valeurs et les finalités
des jardins. Cette charte est la base de constructions
des modalités conventionnelles entre la ville et
les usagers.
Du point de vue de l’aménageur ou de la collectivité,
le jardin partagé est avant tout, une nouvelle manière
d’intégrer les habitants dans la conception des espaces
publics. De consommateurs d’espace, ils deviennent
acteurs. Il s’agit à travers leurs implications
de responsabiliser les habitants à l’aménagement
et surtout la gestion de ces espaces.
Pour garantir, le cadre, la collectivité doit créer une
fonction de coordination. Elle permet de :
De coordonner les initiatives d’animation et de
fonctionnement des usagers/jardiniers.
De réguler et agir en tant que médiateur des fonctionnements concertés sur la base de la charte des usages
des jardins partagés.
De soutenir techniquement la définition des animations du jardin partagé
De représenter l’autorité de la ville auprès
des jardiniers.
Une nouvelle forme riche
d’une bonne gouvernance territoriale
La demande d’espace vert est de plus en plus forte,
sans une augmentation proportionnelle des budgets.
Au parc Bachelard de Grenoble, à Monlong
(Toulouse) ou à la Crapudine à Nantes, les allées,
les cheminements et les agoras au sein du site de
jardins familiaux sont considérés pleinement comme
des espaces publics, ouverts aux promeneurs, aux
mamans avec leur poussette, aux pique-niqueur.
A Edmond Rostand au Haillan, les chemins d’accès
vers le groupe scolaire sont intégrés dans le site de
jardin. Cette conception de parc public potager
renforce les fonctionnalités multiples de l’espace. Sur
une surface identique, vous répondez à des demandes
légitimes de détente, de promenade, de découverte,
de pratique du jardinage, de liaison protégée intraquartier. La présence des uns ou des autres habitants
protège le site. La pertinence et l’expertise des usagers
diminuent les malfaçons ou les dégradations. Bien
souvent, ceux sont les habitants jardiniers qui
spontanément restaurent les petites dégradations liées
simplement à l’usage ou à la désinvolture.
Ce mode de fonctionnement où coopèrent des
habitants, des structures associatives et des services
de la ville, permet une dynamique de coproduction de
l’espace public. Cette démarche évite l’écueil d’une
privatisation illégitime de l’espace public par une
appropriation partagée des enjeux de l’intérêt général.
Une concertation abouti permet à chacun de tenir son
rôle à la hauteur de sa compétence et de sa responsabilité. A la charge de la collectivité de fixer un cahier des
charges dans lequel les jardiniers concevront un mode
de fonctionnement adéquat à leur intention. A la
charge des jardiniers de concevoir un mode de
fonctionnement, de gérer et entretenir ces espaces
dans le respect de ce cahier des charges.
Il est noté que la fréquentation de ce style de nouveau
parc est plus importante que les traditionnels squares
sans espace réservé au jardinage pour les habitants.
La vie appelle la vie. L’ancien ne loupe pas l’occasion
d’avoir une conversation badine avec un jardinier.
Les potagers sont autant de massifs entretenus qui
attirent l’œil, interrogent le néophyte ou simplement
le badaud à l’humeur champêtre. Ces massifs ne
coûtent rien à l’entretien à la collectivité et sont
profitables à celui qui manie la binette.
Un accompagnement parfois complexe,
à la hauteur des résultats attendus
SaluTerre, correspondant du Réseau du Jardin
Dans Tous Ses États accompagne les collectivités dans
leur projet de jardins partagés selon une démarche
de qualité durable. En effet, ces projets sont d’excellents supports d’une conception des aménagements qui
tienne compte des critères sociaux, économiques
et environnementaux en amont comme en aval, du
projet d’aménagement. Derrière l’apparente simpli3
cité du concept, une réelle complexité s’instaure dans
la conduite des projets. Il s’agit de faire coopérer des
compétences qui n’en ont guère l’habitude, entre celles
d’aménageurs, de médiateurs sociaux, de techniciens
du paysage et d’animateur. Cette transversalité dans
les conduites, rappelle celle pratiquée dans le cadre de
la politique de la ville. D'ailleurs, beaucoup d’initiatives de jardins partagés se sont réalisées dans ce
contexte. Mais aujourd’hui, les jardins partagés sont
une autre façon de concevoir le cadre de vie de nos
territoires. Un cadre où la notion de cogestion entre
démocratie représentative et démocratie participative
prend tous son sens, non seulement comme une force
de proposition de l’intelligence urbaine, mais aussi
de réalisation pratique qui se mesure en huile de coude
sur le râteau et la binette. Les jardins partagés sont les
pépinières du mieux vivre ensemble que nous souhaitons pour demain, des écoles des plaisirs de la terre
et de la responsabilité.
En savoir +
SaluTerre contact Eric Prédine, Franck DAVID
tel 05 57 46 04 37
www.jardinons .com
www.padesautoproduction.org
couriel : [email protected]
Ouvrages conseillés :
Le jardin en partage .Édition « Rue de l’Échiquier »
auteurs : Jean-paul Collaert&Éric Prédine
Jardins Partagés Ed Terre Vivante auteurs : Laurence
Baudelet, Frédérique Basset, Alice Le Roy
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