Penser la violence des femmes, C. Cardi, G. Pruvost (Eds). La
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Penser la violence des femmes, C. Cardi, G. Pruvost (Eds). La
Comptes rendus / Sociologie du travail 57 (2015) 126–149 133 Goffman, E., 1959. The Presentation of Self in Everyday Life. Doubleday Anchor Books, New York. Goffman, E., 1963. Behavior in Public Places. Notes on the Social Organization of Gatherings. The Free Press, New York. Goffman, E., 1971. Relations in Public. Microstudies on the Public Order. Basic Books, New York. Goffman, E., 1973a. La mise en scène de la vie quotidienne. Tome I : La présentation de soi. Éditions de Minuit, Paris, Traduction : Alain Accardo. Goffman, E., 1973b. La mise en scène de la vie quotidienne. Tome II : Les relations en public. Éditions de Minuit, Paris, Traduction : Alain Kihm. Winkin, Y., 1981. La nouvelle communication. Le Seuil, Paris. Yves Winkin Centre national des arts et métiers (CNAM), 292, rue Saint Martin, 75141 Paris Cedex 03, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 13 janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2014.12.008 Penser la violence des femmes, C. Cardi, G. Pruvost (Eds.). La Découverte, Paris (2012). 446 p. Nombre de disciplines se sont donné pour objet d’étude la violence, contribuant à l’inflation d’un mot censé appréhender tant de phénomènes. Cependant, en dépit de l’extensivité et de la polysémie du concept, les violences concernant les femmes, victimes ou auteures, tardèrent à émerger comme objet. À partir des années 1970, les violences masculines envers les femmes sortent de l’ombre grâce aux approches féministes et se constituent en objet de sciences sociales par la production de données qualitatives et quantitatives. Quinze ans après Cécile Dauphin et Arlette Farge (Dauphin et Farge, 1997), Coline Cardi et Geneviève Pruvost tentent à leur tour de sortir de l’oubli scientifique les violences des femmes, en s’inscrivant dans la problématique des rapports sociaux de sexe. L’entreprise, périlleuse, qui cette fois-ci a été bien accueillie, retient l’attention à plus d’un titre. Tout d’abord, l’ouvrage collectif, issu du colloque international et interdisciplinaire organisé en 2010 par les deux éditrices, est une somme de 442 pages, remarquablement articulée, faisant appel à trente-deux chercheurs et chercheuses de différentes disciplines : histoire, littérature, sociologie, anthropologie, science politique. Les deux premières parties, consacrées respectivement aux formes de violence dans les luttes collectives et dans la sphère privée, en différents contextes culturels, géographiques et historiques, dressent l’inventaire des visages multiples de la violence féminine, répondant à cette nécessité de mettre au jour un phénomène aussi constant que tabou : femmes en armes en France du XVIe siècle, combattantes au Pérou ou au Proche-Orient actuels, génocidaires au Rwanda, auteures de violences conjugales lesbiennes ou de violences domestiques, ou jeunes délinquantes brésiliennes sont quelques-unes des figures qui composent un tableau inédit. Les deux parties suivantes explorent le traitement réservé à ces violences, à la fois du point de vue des réponses sociales et des représentations artistiques. La variété des discours, des représentations et des pratiques sur les violences féminines n’est pas moindre que celle des violences elles-mêmes : regard du savant du XIXe siècle, décisions de comparution immédiate d’aujourd’hui, discours médiatiques sur les militantes d’Action directe ou encore, dans les représentations fictionnelles, le personnage féminin de Terminator par exemple. Cependant, l’interrogation sur les outils d’appréhension comme sur les cadres d’analyse ne cesse de 134 Comptes rendus / Sociologie du travail 57 (2015) 126–149 poindre au cours des vingt-trois chapitres et des introductions de chaque partie, montrant que si la thématique est en plein essor, les problèmes méthodologiques parsèment ce champ encore à défricher. Aussi la solide introduction théorique des deux coordinatrices, de plus de cinquante pages1 , constitue-t-elle le point d’ancrage de l’ouvrage, son apport fondamental, sur lequel nous souhaitons nous arrêter. Elle permet au premier chef de surmonter l’écueil d’un assemblage kaléidoscopique de travaux (aux degrés d’aboutissement divers), en éclairant la cartographie dessinée dont la bibliographie de près de vingt pages donne la mesure de l’étendue et de la précision2 . À cet effet, trois types de récits, brièvement résumés ci-après, sont mis en exergue, chacun illustré par de nombreux chapitres du livre. Le premier type de récit, sous l’effet des stéréotypes de genre, dénie les violences des femmes — qu’il s’agisse des faits de criminalité ou de la participation guerrière — et les refoule « hors cadre », judiciaire, social ou politique. À l’inverse, les deux autres types de récits mettent en scène la violence féminine. Le deuxième la disqualifie, quel que soit le scénario — violences imputées à la nature ou au contraire à la dénaturation des femmes, ou encore à leur subordination aux hommes — et prône un contrôle des corps. Seul le troisième type de récit fait de la violence un outil d’émancipation, soit par domination féminine, ce qui relève davantage du mythe et de la fiction que de réalités observées, soit par l’indifférenciation égalitaire. La question se pose alors des liens entre accès à la violence et accès au politique. Mais au-delà de cette mise en récits des contributions, le dessein plus audacieux de l’introduction est de proposer de nouveaux outils et de nouveaux cadres interprétatifs. Deux difficultés épistémologiques majeures sont identifiées : la définition de la violence, et sa sexuation implicite. C’est pourquoi, s’il est nécessaire d’aiguiser et d’élargir le regard pour débusquer les failles des sources, d’exhumer des formes silencieuses de violence, de saisir les processus sociaux de minimisation ou d’hyperbole, ou de prendre en considération, au-delà des institutions classiques du champ pénal, l’école, les terrains de sport ou la protection sociale, cela n’est pas suffisant pour éviter les pièges interprétatifs. À cet égard, le titre choisi, Penser la violence des femmes, est emblématique du caractère sensible du sujet (avec le risque de réactiver stéréotypes et antiféminisme) et de la posture réflexive nécessaire. La mise à distance de l’objet permet de lever l’interdit de conceptualiser ces violences-là, interdit implicitement présent dans l’urgence de dénoncer les violences faites aux femmes, symptôme et outil de la domination patriarcale. Le genre fait preuve, ici encore, de son utilité comme catégorie d’analyse : il révèle les angles morts et les processus, dans l’exploration du monde des femmes comme de celui des hommes. En mobilisant le genre, l’objectif est de dénaturaliser et repolitiser la violence des femmes, qu’elle soit publique ou privée, par une contextualisation et une historicisation précises, plus encore par une interrogation des opérations de classement et de traitement de la violence, y compris en posant la responsabilité scientifique. Traitant de la division sexuelle de la violence avec une accumulation de preuves et des propositions méthodologiques, cet ouvrage est fondateur et stimulant parce qu’il renouvelle tant le champ d’études sur les violences humaines que celui sur les rapports sociaux de domination et d’oppression. Il démontre qu’envisager la violence des femmes, rappelons-le statistiquement minoritaire, ne saurait aucunement rendre symétriques ou annuler les violences envers les femmes ou justifier les violences commises par elles. En menant à bien cet imposant travail théorique, 1 On lira avec intérêt la préface contextuelle de l’historienne Arlette Farge, devancière sur le sujet, et la postface de la sociologue Rose-Marie Lagrave, soulignant cette contribution novatrice au sein des études de genre. 2 Pour une bibliographie interdisciplinaire, plus vaste et commentée, l’ouvrage renvoie à Cardi et Pruvost (2011). Comptes rendus / Sociologie du travail 57 (2015) 126–149 135 l’ambition des coordinatrices est atteinte : contribuer à déconstruire la naturalité de la différence des sexes et reconnaître ainsi les femmes comme des « humaines à part entière » (p. 12). Référence Cardi, C., Pruvost, G., 2011. La violence des femmes : un champ de recherche en plein essor. Champ pénal VIII, en ligne : http://champpenal.revues.org/8102 Dauphin, C., Farge, A. (Eds.), 1997. De la violence et des femmes. Albin Michel, Paris. Sylvie Cromer Centre de recherches Droits et perspectives du droit, Université de Lille, Campus Moulins, 1, place Déliot, 59000 Lille, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 21 janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2014.12.002 Rethinking Social Distinction, J.-P. Daloz. Palgrave Macmillan, Basingstoke (2013). 252 p. Dans son dernier ouvrage, Jean-Pascal Daloz poursuit l’analyse comparée des manifestations de la supériorité sociale entamée dans The Sociology of Elite Distinction, publié en 2010. Il ne présente pas les résultats d’une enquête inédite mais s’appuie sur ses travaux et sur « un large canevas comparatif » pour étudier « les formes hétérogènes » de la distinction sociale. Les références citées relèvent de la sociologie, des sciences politiques, de l’anthropologie et de l’histoire ; elles portent sur les élites dans l’Antiquité grecque ou la Chine de la dynastie Han, la noblesse et les élites européennes à l’époque moderne, les formes de consommation et de distinction dans des contextes variés du XIXe au XXIe siècles (les États-Unis, la France, la Chine, le Nigéria, Dubaï, la Norvège), etc. La distinction est abordée à travers l’histoire sociale des groupes dominants, et surtout par le prisme de certains marqueurs : l’architecture, l’aménagement intérieur, les vêtements, le rapport à l’art, les manières, le luxe, les voitures... J.-P. Daloz s’appuie en particulier sur les travaux de l’anthropologue Clifford Geertz et revendique une approche « interprétative », qu’illustre notamment le cinquième chapitre : l’auteur montre que les « signes » de la distinction peuvent être caractérisés par des formes de cohérence symbolique ou bien par des « stratégies synecdochiques » (qui reposent sur « l’exhibition de quelques signes prestigieux »). L’ouvrage traite plus largement des manières d’articuler raisonnement sociologique et enquête de terrain, soulignant en introduction les limites du « raisonnement déductif » et des formes d’extrapolation non contrôlée. L’auteur attire l’attention sur les liens entre les principaux modèles d’analyse de la distinction et le contexte au sein duquel ils ont été forgés, notamment à propos de la notion de « consommation ostentatoire ». Avec le souci d’éviter l’écueil « du réductionnisme et de l’ethnocentrisme », chacun des chapitres présente « un thème clé qui n’a pas été compris dans toute sa complexité par les modèles classiques d’interprétation », à savoir les analyses de Thorstein Veblen, d’Erving Goffman, de Norbert Elias, de Pierre Bourdieu et de divers auteurs « postmodernes ». À rebours des approches « unidimensionnelles », l’auteur invite à prendre en compte aussi bien les dimensions utilitaires que symboliques de la distinction (chapitre 6), les raisons inconscientes et stratégiques de la distinction (chapitre 7), les manières ostentatoires ou euphémisées d’exprimer la supériorité sociale (chapitre 2). Il nuance les analyses de la distinction