Le degré autobiographique dans l`œuvre de Marguerite Duras
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Le degré autobiographique dans l`œuvre de Marguerite Duras
Le degré autobiographique dans l’œuvre de Marguerite Duras Une étude comparative entre Un Barrage contre le Pacifique et L’Amant Marieke Smits, numéro d’étudiant: 1834541 Mémoire de Maîtrise dirigé par Dr. J.M.L. den Toonder Faculté des Lettres, Langues et Cultures Romanes Université de Groningue Juillet 2014 Remerciements Dans un premier temps j’aimerais remercier ma directrice de mémoire, Madame Jeanette den Toonder. Il s’est écoulé presque deux ans depuis le moment où je lui avais demandé de diriger mon mémoire. Depuis, beaucoup de choses ont changé mais elle a toujours accordé du temps à mon travail et m’a donné des conseils tout en restant critique. Ensuite, j’aimerais remercier mes parents qui m’ont toujours encouragée à poursuivre mes études, que ce soit aux Pays-Bas ou ailleurs. Je leur serai reconnaissante toute ma vie de m’avoir donné cette liberté. Grâce à eux j’ai eu l’occasion d’étendre le champ de mes connaissances et de devenir la personne que je suis aujourd’hui. Heit en Mem : bedankt ! Celui qui m’a toujours poussée à terminer ce mémoire, même pendant les moments où je ne savais plus comment m’y prendre est mon copain Alex. Il m’a donné le temps et les moyens dont j’avais besoin, surtout au cours de ces quatre derniers mois. Sans lui, je ne serais pas où je suis aujourd’hui. Lieverd, ik ben je eeuwig dankbaar. Et pour terminer, j’aimerais accorder quelques lignes à deux amies qui me sont extrêmement chères : Linda et Jill. Nous nous sommes connues dans les salles de cours de l’Université et avons développé une amitié qui restera pendant des années. L’une avait choisi le français comme langue principale, l’autre l’espagnol mais cela ne nous a pas empêchées de devenir très proches. Les explications de sémantique avec des pommes et des poires de Jill resteront à toujours gravées dans ma mémoire. Avec Linda j’ai partagé un appartement pendant quatre ans, des années où nous avons travaillé, vécu mais surtout beaucoup ri ensemble. Groninger guapas : gracias et merci ! 2 Table des matières Remerciements ............................................................................. 2 Table des matières ........................................................................ 3 1. Introduction .............................................................................. 4 2. Cadre théorique ......................................................................... 7 2.1 La définition de Philippe Lejeune ............................................. 8 2.2 Contrats vérité et sincérité. ................................................... 10 2.3 Le roman autobiographique ................................................... 15 2.4 L’autofiction .......................................................................... 17 2.5 Un texte dans le texte ........................................................... 21 3. Analyse de la métatextualité et de la mémoire ........................ 22 3.1 Le rôle de la narratrice. ......................................................... 24 3.2 La mémoire............................................................................ 25 3.3 Vérité et sincérité .................................................................. 30 4. Le tissu de personnages .......................................................... 36 4.1 Une jeune fille et son amant .................................................. 42 4.2 Les personnages masculins ................................................... 46 4.3 La relation entre mère et fille ................................................ 50 5. Conclusion ............................................................................... 53 6. Bibliographie ........................................................................... 55 3 1. Introduction « Au tribunal de l’écriture autobiographique, l’écrivain doit avouer et s’avouer toute la vérité, rien que la vérité sur un parcours que, parfois, il n’a pas voulu tel. » (Jean-Philippe Miraux, 11) Marguerite Duras était une écrivaine française de grande envergure. Son œuvre est abondante et diverse et les thèmes abordés sont nombreux. Au cours de sa vie, elle a été une auteure souvent discutée et bien après sa mort son œuvre reste une source d’échange pour un grand nombre de chercheurs. L’un des thèmes récurrents et qui forme le sujet de notre étude est celui de l’autobiographie. L’œuvre de Marguerite Duras est riche, mais dans le cadre de cette recherche nous avons choisi de nous concentrer sur deux de ces livres dont nous allons comparer plusieurs aspects. Un Barrage contre le Pacifique est le troisième roman de Marguerite Duras et est publié en 1950. Ce texte présente la vie d’une mère veuve et de ses deux enfants qui vivent en Indochine sur une concession incultivable. La mère a acheté cette concession, car elle souhaite laisser un bien à ses deux enfants. Malheureusement, cette concession s’avère incultivable, car chaque année elle est inondée par les marées de l’océan Pacifique. La mère décide de faire construire des barrages pour protéger ses plantations mais ces barrages ne tiennent pas et l’eau salée de l’océan vient encore une fois ruiner ses plantations de riz. La concession devient une obsession pour la mère qui perd de plus en plus la raison. Nous avons choisi d’étudier ce roman car il contient, d’après nous, de nombreux éléments autobiographiques. De plus, la façon dont on lit ce roman, après avoir lu L’Amant, change. C’est ce que nous verrons par la suite. L’Amant est un livre que Duras a écrit en trois mois seulement. Le titre original du livre était Une photographie absolue car il devait être un commentaire de l’album photos personnel de l’auteure. Ce livre, qui a obtenu le prix Goncourt en 1984, a connu un succès immense et était le 4 livre tant attendu de cette auteure. Pour la première fois, elle dévoile une partie de son enfance en Indochine mais plus important encore, elle décrit sa relation avec son amant. Le personnage du Chinois avait déjà été introduit dans d’autres ouvrages sous une forme plus ou moins réaliste, mais c’est dans celui-ci, après la mort de sa mère et de ses frères, qu’elle raconte son histoire. Ce livre est celui qui se rapproche le plus d’une autobiographie et c’est donc pour cette raison que nous avons choisi de l’étudier dans ce travail. Dans ce mémoire, nous nous proposons de faire une étude comparative de ces deux livres de Marguerite Duras car ses textes se laissent difficilement catégoriser. En faisant une comparaison, leur complexité sera mise en avant. Nous nous intéressons tout particulièrement au degré autobiographique de ces deux textes. Bien que la couverture d’Un Barrage contre le Pacifique mentionne le terme de roman, un certain nombre d’années plus tard, après la parution de l’Amant, certains événements et situations du premier roman de Duras ont été comprises comme étant autobiographiques. Pensons par exemple à l’histoire de la mendiante qui voyage avec son enfant malade et son pied blessé. Son histoire est présentée pour la première fois dans Un Barrage contre le Pacifique et elle est reprise dans L’Amant. En comparant les histoires des deux textes, il y a également beaucoup de différences. Ce qui frappe le plus ici est la relation entre le ‘je’ et le Chinois. Comme celle-ci diffère d’un livre à l’autre, cette relation sera examinée en détail dans l’analyse. C’est la raison pour laquelle il est tellement intéressant d’en analyser le caractère autobiographique. Afin de pouvoir faire une bonne comparaison de ces deux textes, nous présenterons dans un premier temps un panorama des théories écrites sur l’autobiographie, notamment celle de Philippe Lejeune issues de son ouvrage Le Pacte Autobiographique (1975). Il a commencé à aborder la question de l’autobiographie en 1971 dans L’Autobiographie en France. Lejeune avance en 1975 une définition révisée de ce qu’est selon lui une autobiographie. Dans le chapitre où nous discuterons cette définition afin de déterminer sa pertinence pour l’œuvre durassienne. Lejeune a 5 présenté sa définition en 1975, et de nombreux chercheurs ont continué les recherches jusqu’à nos jours. Nous aborderons entre autres JeanPhilippe Miraux qui reprend les théories avancées par Lejeune mais en les situant dans un contexte plus récent. De plus, nous nous attarderons sur les termes de roman autobiographique et d’autofiction. Nous insisterons sur la thèse de Vincent Colonna concernant l’autofiction qui est un terme relativement nouveau dans l’histoire de la catégorisation littéraire, mais qui est tout à fait pertinent dans le cadre de notre recherche, car il rassemble les deux genres d’autobiographie et de fiction auxquels nous avons à faire dans notre comparaison. Pour terminer, nous présenterons brièvement les relations qu’il peut y avoir entre plusieurs textes ou dans un seul et même texte. Pour cela, nous nous appuierons sur les définitions proposées par Gérard Genette dans son ouvrage Palimpestes (1982). Dans un second temps, nous passerons à l’analyse des deux livres choisis pour cette étude. Ces deux textes ont été sélectionnés pour les raisons suivantes. Un Barrage contre le Pacifique, paru en 1950, est le premier texte dans lequel se présente la situation dans laquelle elle a vécu étant jeune et qui a été traumatique pour toute la famille. L’Amant, publié en 1984, fait également preuve d’un grand nombre d’éléments autobiographiques mais sous une autre forme. Un Barrage contre le Pacifique a été publié comme roman alors que l’Amant ne porte pas ce sous-titre, c’est justement cette absence d’indication générique qui nous intrigue. Marguerite Duras explique dans un entretient avec Bernard Pivot suite à la publication de l’Amant que son livre devait, au début, être présenté comme un roman mais qu’au final elle a refusé de qualifier son texte de roman car ce n’en est pas un. Quels sont les éléments repris d’un texte à l’autre et de quelle façon sont ils présentés ? Quelles sont les ressemblances et les différences entre ces deux textes qui ont été écrits par la même personne mais avec trente-quatre ans d’écart ? Et que signifient ces ressemblances et différences pour une analyse à un niveau plus abstrait, c’est à dire un niveau métatextuel, ce qui pourrait aider à classifier ces textes sous un des genres étudiés dans le cadre théorique? Ce sont ces questions qui se trouvent à la base de cette étude. 6 2. Cadre théorique Le terme autobiographie consiste en trois parties : une histoire sur la vie de quelqu’un écrite par la personne elle-même. Le terme est issu de trois termes grecs, auto qui signifie soi, bios qui signifie vie et graphein qui signifie écrire. Dans son ouvrage Auto-bio-graphie (1990), Georges Gusdorf analyse le genre autobiographique sous une perspective philosophique. Pour cela, il découpe le terme en trois parties distinctes qui, selon lui, représentent les trois dimensions du genre. Auto c’est « l’identité, le moi conscient de lui-même » (Gusdorf, 10), bio c’est « le parcours vital, la continuité, le cheminement de cette identité unique et singulière » (Gusdorf, 10) et enfin graphie, qui ne peut surgir que lorsque le rapport entre auto et bio a été tracé : « […] ce rapport, chacun d’entre nous le connaît, rapport souvent difficile et non réciproque entre l’individualité et le déroulement pratique d’une existence, entre le moi et son inscription dans la réalité, les vicissitudes du quotidien, les échecs et les rêves non réalisés. » (Gusdorf, 11) Une fois le rapport établi, l’auteur peut procéder à l’écriture, ou bien la graphie « L’auto-bio est donc le lieu complexe de cet inaccomplissement. Alors, […], peut surgir la graphie » (Miraux, 11). « La vie personnelle peut rencontrer dans l’activité scripturaire la possibilité d’une nouvelle vie : l’auto inscrit dans le bio la décision d’écrire ; l’autobiographie est renaissance, initiative qui pose les conditions d’une éventuelle reconquête de soi, d’une reconstruction. » (Miraux, 11) Cette citation insiste sur la complexité du genre autobiographique : il ne suffit pas de retracer les événements vécus, il est également question d’une recherche de soi. Et c’est cette quête qui nous intéresse plus particulièrement et que nous aborderons plus en détail dans la partie analytique de notre travail. Ce qui est à la base du genre autobiographique classique selon Lejeune – l’identification de l’auteur, du narrateur et du personnage principal – est 7 repris par de nombreux chercheurs. L’identification de ces trois instances constitue selon Lejeune la preuve de l’autobiographie classique. Malgré les tentatives de Lejeune et de nombreux chercheurs après lui, il s’avère que l’autobiographie n’est pas un genre qui se laisse facilement définir. En effet, plusieurs chercheurs ont tenté de donner une définition de ce genre qui ne porte son nom que depuis une période relativement courte mais qui est connu sous d’autres appellations depuis longtemps (les confessions de St. Augustine par exemple). Les définitions données doivent souvent être revues car elles s’avèrent ne plus être d’actualité étant donné que le genre autobiographique a beaucoup changé au fil du temps. Cette révision, Philippe Lejeune l’a également connue. En effet, il a tenté de donner une définition du genre en 1971 dans son ouvrage L’Autobiographie en France. Mais comme il le dit lui même : « Est-il possible de définir l’autobiographie ? J’avais essayé de le faire, dans L’Autobiographie en France, pour être en mesure d’établir un corpus cohérent. Mais ma définition laissait en suspens un certain nombre de problèmes théoriques. J’ai éprouvé le besoin de l’affiner et de la préciser, en essayant de trouver des critères plus stricts. » (Lejeune, 13) C’est pourquoi, en 1975, il publie Le Pacte Autobiographique où il revoit et complète sa première définition. C’est donc cet ouvrage que nous prenons comme point de départ dans notre approche théorique. De plus, nous présenterons également d’autres théories développées par différents chercheurs afin d’observer les différences et les similitudes. 2.1 La définition de Philippe Lejeune Dans son ouvrage Le Pacte autobiographique, Lejeune donne la définition suivante : « Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » (Lejeune 1975, 14) 8 Il explique également qu’il existe différentes approches quand il s’agit d’analyser une autobiographie. Il y a une approche historique « puisque l’écriture du moi qui s’est développée dans le monde occidental depuis le 18ème siècle est un phénomène de civilisation. » (Lejeune 1975, 7) C’està-dire que l’on peut observer ce phénomène dans l’histoire de la littérature. Notons que c’est un genre relativement ‘neuf’ car il ne commence à se développer qu’à partir du 18ème siècle, selon Lejeune. D’autres chercheurs donnent l’étiquette de texte autobiographique à des textes plus anciens. Il peut être inscrit dans l’histoire et être comparé à d’autres genres littéraires. De plus, ce genre peut se différencier d’un pays à l’autre, d’un auteur à un autre ou encore d’une époque à une autre. Bien que cette approche historique du genre autobiographique soit intéressante à étudier elle n’est pas pertinente dans le cadre de notre étude sur l’œuvre durassienne. L’approche qui nous intéresse ici, et qui est également mentionnée par Lejeune, est l’approche psychologique car « elle met en jeu de vastes problèmes tels que la mémoire, la construction de la personnalité d’un individu et l’auto-analyse. » (Lejeune 1975, 7) Les termes de mémoire, d’identité et de vérité, jouent un rôle important dans l’ouvrage qu’Aliette Armel a voué à Marguerite Duras et à l’autobiographie. Selon Armel « le rapport de Marguerite Duras à l’autobiographie se rattache à des préoccupations rejoignant des concepts plus larges : la mémoire, l’identité, la vérité. » (Armel, 11) Ces propos indiquent que les livres de Duras s’inscrivent dans un concept beaucoup plus large que celui de l’autobiographie traditionnelle. Comme le dit Armel « l’étude de l’œuvre de Marguerite Duras dans une perspective autobiographique n’exclut en rien les autres aspects de l’univers durassien qui ont jusqu’ici servi d’angle d’approche. » (Armel, 11) Le terme de « perspective autobiographique » (Armel, 11) aide à mieux décrire la façon dont les livres de Duras sélectionnés pour cette étude pourraient être analysés. Pendant l’écriture, l’autobiographe remonte dans le temps. Toutefois, cette remontée peut prendre plusieurs formes : « Lorsque l’autobiographe 9 écrit, il arrête le temps présent et se déplace dans le temps passé ; le temps de l’écriture est ainsi un temps suspendu qui peut être, à chaque ligne, distendu, rétréci, déformé. » (Miraux, 62) L’auteur décide lui même combien de temps il accorde à certains événements ou sentiments et dans quelle mesure il veut entrer dans les détails. La mémoire fonctionne comme un déclencheur. En pensant à ce qui s’est passé à un certain moment de sa vie, l’autobiographe peut être amené à avoir d’autres souvenirs ou d’autres pensées. Celles-ci peuvent surgir dans un ordre tout à fait arbitraire, comme nous le verrons chez Duras. La définition proposée par Lejeune en 1971 n’est plus la même que celle présentée en 1975 car lui aussi s’est rendu compte que sa première définition était trop restreinte. De plus, c ‘est un genre qui s’est développé au cours du temps et qui a donc également changé. Il dit dans son ouvrage Moi aussi (1986) : « Dans ces dix dernières années […] du ‘mentir vrai’ à ‘l’autofiction’ le roman autobiographique littéraire s’est rapproché de l’autobiographie au point de rendre plus indécise que jamais la frontière entre ces deux domaines. » (Lejeune 24) A ces propos, Armel ajoute « la première personne du singulier du présent n’est plus le seul moyen de conjuguer les verbes au temps de l’autobiographie. » (Armel, 19) Cette remarque d’Armel souligne encore une fois la complexité d’un genre difficile à définir. De plus, l’évolution du genre appelle à la redéfinition. En effet, les limites de l’écriture autobiographique telles qu’elles ont été proposées par Lejeune ne sont pas toujours valables pour déterminer si un texte est autobiographique ou non. Les différentes perspectives présentées ci-dessus permettent de déterminer les critères sur lesquels l’analyse sera basée. 2.2 Contrat et vérité et sincérité Pour renforcer l’idée qu’un texte ne peut pas être qualifié d’autobiographique seulement parce qu’il est écrit à la première personne du singulier ou bien parce que l’on y retrouve des événements réellement 10 vécus par l’auteur, Philippe Lejeune insiste sur le besoin d’une sorte d’accord entre l’auteur et le lecteur. En effet, il parle d’un Pacte Autobiographique qui doit être établi. Une autobiographie en est une quand ce Pacte Autobiographique a été établi de façon claire entre l’auteur et le lecteur. « Le genre autobiographique est un genre contractuel. » (Lejeune, 1975, 44) Le terme de contrat, un des critères que nous utiliserons dans l’analyse, montre qu’il y a, comme avec toute autre sorte de contrat, un accord qui a été passé entre deux ou plusieurs personnes. Il parle « [d’] un contrat implicite ou explicite proposé par l’auteur au lecteur. » (Lejeune, 1975, 44) L’auteur a écrit son texte avec une intention autobiographique et le lecteur lit ce même texte en sachant qu’il lit une autobiographie. Autrement dit « [le] contrat qui détermine le mode de lecture du texte et engendre les effets qui attribués au texte, nous semblent le définir comme autobiographique. » (Lejeune, 1975, 44) Lorsque ce pacte n’est pas clairement formulé, on ne peut parler, selon Lejeune, d’une autobiographie au sens propre du terme. Ce contrat est également mentionné par Sébastien Hubier dans son ouvrage Littératures intimes. Les expressions du moi, de l’autobiographie à l’autofiction (2003). Il insiste sur le pacte de lecture qui existe entre l’auteur et le lecteur et se pose la question suivante : « pourquoi et comment lit-on les textes à la première personne ? » (Hubier, 16) D’après Hubier le pacte est un « ensemble des conventions déterminant la manière dont un lecteur aborde le texte qu’il découvre. » (Hubier, 16) Si un auteur veut écrire une autobiographie et s’il veut que son lecteur perçoive son texte comme telle, il doit donc, selon Lejeune et Hubier, établir un pacte avec celui-ci afin qu’il n’y ait pas de malentendu. Il doit y avoir une sorte d’accord, implicite ou explicite, entre l’auteur et son lecteur afin que le texte puisse être qualifié d’autobiographie. A propos de ce pacte, Lejeune explique également les effets qu’il peut avoir sur le lecteur. En effet, « On voit d’ailleurs l’importance du contrat, à ce qu’il détermine en fait l’attitude du lecteur : si l’identité n’est pas affirmée (cas de la fiction), le lecteur cherchera à établir des ressemblances, malgré 11 l’auteur ; si elle est affirmée (cas de l’autobiographie), il aura tendance à vouloir chercher les différences. » (Lejeune 1975, 26) Lejeune insiste ici sur l’importance de passer ce contrat dès le début du texte. Lorsqu’un texte est qualifié de fiction, il y a des chances que le lecteur veuille établir des liens entre ce qu’il lit et les informations qu’il possède sur la vie de l’auteur. C’est qu’il reconnaîtra certains événements et qu’il ne pourra pas s’empêcher de faire le rapprochement. Si, au contraire, un texte porte l’étiquette ‘autobiographique’, le lecteur aura plutôt tendance à remarquer les différences entre ce qu’il lit et ce qu’il sait de la vie de l’auteur. Cette idée nous intéresse tout particulièrement dans le cadre de notre analyse car justement ce contrat est absent dans le livre que nous considérons le plus autobiographique des deux textes analysés ici. Cette réflexion nous amène également vers un autre facteur qui est souvent mentionné par les chercheurs comme par exemple Miraux ou encore Lejeune et qui nous semble également jouer un rôle important : la vérité. Nous pouvons nous poser la question : quand est on, en tant que lecteur, vraiment sûr de la véracité d’un texte ? Un auteur peut prétendre écrire un texte autobiographique et le présenter comme tel mais le lecteur n’est jamais sûr à cent pour cent que tous les événements qu’il décrit soient vraiment tels qu’ils se sont déroulés dans la vie de l’auteur. Ici, le pacte autobiographique de Lejeune est passé mais comment savoir si l’auteur écrit la vérité. De plus, il écrit son texte à partir de ses souvenirs, de sa mémoire. La mémoire n’est jamais complètement fidèle à la réalité passée. Plus le temps passe, moins on se souvient de la façon exacte dont quelque chose s’est déroulé, donc il est fort possible que l’auteur ajoute toujours un peu de fiction dans son texte. Cette question est également posée par Laure Adler dans la biographie qu’elle a écrite sur Duras « Il y a, d’un côté, la vie de Marguerite Duras telle qu’elle l’a vécue et, de l’autre, celle qu’elle a racontée. Comment distinguer la vérité de la fiction, des mensonges ? » (Adler, 16) Le terme de mensonge implique à notre avis, la volonté consciente de vouloir raconter des choses non vraies. Après avoir considéré ces points de vues et après avoir réfléchi sur la 12 question, nous considérons que, lorsqu’il s’agit d’une fiction, le but de l’auteur n’est pas vraiment de mentir mais plutôt de changer certains éléments de l’histoire afin que celle-ci puisse être mieux racontée et mieux comprise par le lecteur. Souvent l’écriture d’une fiction peut aider l’auteur et le lecteur par la même occasion à se rapprocher de la réalité. Un bon exemple en est le livre de Georges Perec : W ou le souvenir d’enfance (1975). En écrivant son histoire individuelle et l’histoire collective du peuple juif à travers une fiction, il arrive mieux à affronter une période très difficile et très noire de sa vie, à savoir la Seconde Guerre mondiale. Hubier remarque également que « Récits ou discours, les écritures à la première personne, quel que soit le genre auquel elles appartiennent, sont toujours complexes. » (Hubier, 12) Mais il va plus loin dans ses réflexions sur ce sujet en disant que « […] ces écritures à la première personne représentent, bel et bien, une réalité textuelle autonome. » (Hubier, 12) mais également « qu’il est capital que l’étude de ces dernières soit menée aussi dans une perspective pragmatique qui tienne compte de leur force perlocutoire, c’est-à-dire qui indique combien les compétences mêmes des lecteurs se trouvent, par elles, modifiées. » (Hubier, 12) Sur ces propos, il explique que la façon dont on lit un texte, dans le cas présent un texte autobiographique est en rapport avec la valeur illocutoire de ce texte. Cette valeur définit la fonction d’un texte. L’autobiographie prétend être un texte sincère et véridique envers le lecteur, son acte est donc illocutoire promissif. La force illocutoire que nous venons de citer est, comme nous l’explique Hubier, « l’effet concret d’un acte illocutoire sur le destinataire. » (Hubier, 12) Le fait de faire des promesses encourage la compassion ou l’indulgence du lecteur. Un autre terme que nous avons rencontré au cours de nos recherches est celui de l’imaginaire. Notons tout d’abord que « la notion d’imaginaire ne doit pas être confondue avec un terme comme « imagination » qui renvoie à la faculté d’inventer et entraîne une connotation de fantasmes et de mensonges. » (Den Toonder, 26) Ce terme doit ici être vu comme un endroit où l’auteur mélange la fiction et le vécu, là où il est difficile de distinguer le réel de la fiction. Ce phénomène en est un qui apparaît de plus en plus souvent dans les autobiographies dites nouvelles « Les 13 limites entre « vrai » et « faux » disparaissent ; ces concepts ne servent plus à distinguer le fictionnel du réel. » (Den Toonder, 27) En abordant les trois pactes définis par Lejeune, Jean-Philippe Miraux développe ses idées dans son ouvrage L’autobiographie. Ecriture de soi et sincérité (19960. Il commence par la définition proposée par Philippe Lejeune lorsque celui-ci aborde le pacte autobiographique. D’après Miraux « c’est [donc] dans une perspective de confrontation qu’il [Lejeune] axe l’ensemble de ses recherches. » (Miraux, 16) En effet, Lejeune part du principe qu’il doit y avoir un rapport d’identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal, c’est à dire que pour pouvoir définir un texte comme étant une autobiographie, l’auteur, le narrateur et le personnage principal doivent être une seule et même personne. Toutefois, Miraux constate que cette relation peut différer dans certains cas : « il peut en effet exister une identité du narrateur et du personnage sans que la première personne soit nécessairement employée. » (Miraux, 17) Comme le constate également Miraux, les cas sont rares où, dans un récit autobiographique, l’auteur emploie la deuxième ou la troisième personne pour désigner le narrateur. L’emploi des pronoms ‘tu’ et ‘il’ risque de confondre le lecteur. C’est pourquoi « il conviendra donc de vérifier très simplement si la corrélation existe entre la personne grammaticale et le narrateur qu’elle désigne. » (Miraux, 17) C’est-à-dire que les limites que Lejeune a établies sont peut-être un peu trop restreintes dans certains cas car, même si dans la plupart des cas l’auteur d’une autobiographie emploie la première personne, il se peut que la deuxième ou la troisième personne soit employée sans que cela n’affecte vraiment le caractère autobiographique du récit. Miraux cite l’exemple de Rousseau qui, parfois, dans certains épisodes des Confessions (1767), tutoie son je du passé. Marguerite Duras, elle aussi, mélange l’emploi de la première et de la deuxième personne du singulier dans son livre l’Amant. Dans l’analyse, nous reviendrons sur la nuance proposée par Miraux concernant cette forme du récit. 14 Ensuite, il passe au ‘pacte référentiel’ qui, selon lui, « cerne au plus près la problématique du genre autobiographique. » (Miraux, 19) En effet, ce pacte est « [Le] contrat que conclut le lecteur avec le texte autobiographique dont il entreprend la lecture, admettant que le fondement même de leur relation sera l’authenticité en tant qu’elle est la vérité du texte, de l’image du narrateur en train de se peindre et de l’image qu’il veut donner de ce qu’il était à telle ou telle époque de sa vie. » (Miraux, 20) Le pacte garantit l’inscription du texte dans la vérité. Non pas la vérité qui suit exactement les événements vécus par l’auteur et ensuite écrits mais la sincérité de ce que l’auteur a choisi d´écrire à ce moment précis, le moment où il a décidé d’écrire un texte autobiographique. Le lecteur ne doit donc pas s’attendre à lire un texte qui raconte exactement ce qu’il s’est passé dans la vie de l’auteur mais à lire un texte qui décrit l’authenticité au moment où l’auteur a décidé d’écrire un texte autobiographique. Marguerite Duras a attendu très longtemps avant d’écrire un livre qui se rapproche autant de sa vie que le fait L’Amant. C’est pourquoi, dans l’analyse, nous examinerons si le critère de la sincérité du texte joue un rôle pertinent dans L’Amant. 2.3 Le roman autobiographique Si la définition proposée par Lejeune n’est pas sans faille, elle est essentielle pour comprendre les bases de l’autobiographie traditionnelle. Afin de pouvoir procéder à une comparaison des deux livres de Marguerite Duras et de pouvoir répondre à notre question de recherche, une analyse des deux autres termes pour qualifier un texte littéraire qui se concentre sur le ‘moi’ s’impose. Le premier terme est celui du roman autobiographique, le deuxième celui de l’autofiction. Comme le terme l’indique le roman autobiographique marie les notions d’autobiographie et de fiction. Lejeune le décrit dans Le Pacte autobiographique : 15 « J’appellerai ainsi tous les textes de fiction dans lesquels le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner, à partir des ressemblances qu’il croit deviner, qu’il y a identité de l’auteur et du personnage, alors que l’auteur, lui, a choisi de nier cette identité, ou du moins de ne pas l’affirmer. » (Lejeune, 25) Ce qui est important ici c’est le terme de ressemblance, car comme Lejeune le dit également, ces ressemblances que le lecteur peut observer ne sont pas toujours affirmées clairement par l’auteur et ne peuvent par conséquent ne pas être qualifiées d’autobiographie. Un roman autobiographique ne comportera jamais de pacte autobiographique. Armel remarque également que, se référant à L’Amant, celui-ci peut aussi bien être inscrit dans un pacte romanesque qu’autobiographique. Elle argumente en reprenant les propos de Lejeune : « symétriquement au pacte autobiographique, on pourrait poser le pacte romanesque, qui aurait lui-même deux aspects : pratique patente de la non-identité [et] attestation de fictivité. » (Lejeune, 27) Et plus loin elle rajoute « La noncoïncidence de l’identité du personnage principal avec l’auteur constituerait une autre caractéristique du pacte romanesque. » (Armel, 18) D’après ce raisonnement, un pacte romanesque doit être établi entre l’auteur et le lecteur. Dans ce pacte, il faudrait clairement indiquer que le texte est une fiction et que l’identité d’un ou de plusieurs personnages ne peuvent être reliés à l’auteur. De plus, l’identité du personnage principal de ce texte ne peut pas être la même que celui de l’auteur. Ceci serait à considérer comme un trait essentiel du pacte romanesque. Si, dans le pacte autobiographique, l’auteur s’engage à raconter sa vie ou une partie de sa vie dans un esprit de vérité, le pacte romanesque, lui, accentue au contraire le fait que le texte qui va être lu n’est vraiment pas la vérité autobiographique et qu’il ne peut pas être interprété comme telle par le lecteur. Lejeune remarque également à propos du roman autobiographique que « à la différence de l’autobiographie, il comporte des degrés. » (Lejeune, 25) Contrairement à l’autobiographie, les livres autobiographiques peuvent être classés selon le degré de ressemblance avec la vie de l’auteur. Si nous prenons les deux livres sélectionnés pour ce travail, 16 Un Barrage contre le Pacifique peut être classé à un degré inférieur à celui de L’Amant lorsqu’il s’agit de l’authenticité des événements décrits dans le livre par rapport à ce qui s’est réellement passé. En ce qui concerne l’autobiographie, Lejeune précise « L’autobiographie, elle, ne comporte pas de degrés : c’est tout ou rien. » (Lejeune, 25) Toutefois, nous avons vu plus haut que l’exactitude n’est pas toujours ce qui importe le plus dans l’écriture autobiographique. Comme le soulignent certains critiques, la fidélité est beaucoup plus importante. Selon Lejeune, un texte ne peut pas être un peu ou à moitié autobiographique. En revanche, un roman autobiographique peut comporter plus ou moins d’éléments autobiographiques. D’après la théorie de Lejeune, le roman autobiographique s’oppose à l’autobiographie par les degrés selon lesquels un roman peut être plus ou moins autobiographique et que ce terme peut s’appliquer aux textes dans lesquels le lecteur peut avoir des soupçons mais où le pacte autobiographique n’a pas été établi et, par conséquent, le texte ne peut pas être considéré comme tel. L’ambiguïté du mot autobiographie se trouve à la base du troisième terme que nous allons aborder: l’autofiction. Comme son nom l’indique, cette forme hybride décrit un univers où réalité et fiction se rencontrent. 2.4 L’autofiction L’auteur Serge Doubrovsky prétend avoir inventé le terme d’autofiction en 1977 pour qualifier un de ses livres : Fils. Le mot autofiction se compose de deux termes qui sont par définition opposés l’un à l’autre, à savoir auto et fiction. Tout comme l’autobiographie, ce genre littéraire est fondé sur le principe des trois identités réunies en une seule et même personne (l’auteur équivaut au narrateur et au personnage principal). Toutefois, il comporte également des caractéristiques de la fiction comme par exemple les éléments péritextuels et les modalités narratives. On peut voir ce genre comme un croisement entre un récit réel de la vie de l’auteur et un 17 récit fictif qui raconte une expérience vécue par celui-ci. Dans une autofiction, l’auteur raconte une série d’événements de sa vie sous une forme plus ou moins romancée. L’emploi de la troisième personne du singulier à la place de la première est une technique souvent employée. De plus, on observe dans l’autofiction que les noms de personnages ou de lieux ont été changés par rapport à la réalité. L’autofiction est en fait le nom donné au genre qui correspond aux cases aveugles dans le tableau proposé par Lejeune dans le Pacte Autobiographique: Nom du ≠ nom de = O = l’auteur de l’auteur Romanesque Roman Roman =O Roman Indéterminé Autobiographique nom Autobiographique Autobiographique Autobiographique Ce tableau1 donne la grille des combinaisons possibles. Nous remarquons qu’une case porte le terme indéterminé et que deux cases restent vides. Ce sont ces deux cases vides qui nous importent ici, dans le cadre de l’autofiction. En effet, « elles désignent des récits soit présentés comme des romans (mais dans lesquels le personnage principal porte le nom de l’auteur), soit explicitement désignés comme des autobiographies (mais dans lesquelles le personnage porte un nom différent de l’auteur). » (Hubier, 121) Dans le premier cas où il s’agit d’un roman où l’auteur et le personnage principal portent le même nom, le genre peut bien être celui du roman. Le choix du nom peut être une coïncidence ou bien l’auteur peut avoir choisi ce nom mais le reste des événements peut être tout à fait différent de sa propre vie. Dans le cas où il s’agit d’une autobiographie et où le protagoniste porte un nom différent de celui de l’auteur, la règle établie par Lejeune ne s’applique pas. En effet, le narrateur et personnage doivent avoir la même identité afin de pouvoir avoir la qualification d’autobiographie. 1 La conclusion qu’il ne s’agit donc pas d’une Lejeune, Philippe, Le Pacte Autobiographique, p.28 18 autobiographie classique peut être tirée. L’autofiction montre qu’un texte peut comporter un certain degré d’autobiographie recevoir sous l’étiquette ‘autobiographie classique’ et peut être fictionnel sans être un ‘roman classique’. Toutefois, comme pour chaque définition d’un genre littéraire, les avis sont partagés. Les grandes différences entre les définitions que l’on peut trouver témoignent du fait que tout le monde n’est pas d’accord sur la question. Le Petit Robert propose une définition plutôt courte de ce terme, à savoir : « Récit mêlant la fiction et la réalité autobiographique. » (2009) De nombreux auteurs ont tenté d’en donner une définition, plus ou moins élaborée. Vincent Colonna, qui a une grande fascination pour ce genre, y a consacré sa thèse de doctorat. Dans cette thèse, il propose une définition de ce genre que tout le monde croit nouvelle mais qui en réalité peut être retrouvée bien avant que Serge Doubrovsky ne propose une étiquette pour ce ‘genre’ littéraire : « une autofiction est une œuvre littéraire par laquelle un écrivain s’invente une personnalité et une existence, tout en conservant son identité réelle. » (Colonna, 34) Jacques Lecarme observe que lorsqu’un texte ne peut être qualifié de roman ni d’autobiographie, on peut également voir le texte sous un autre angle. En effet, il remarque que : « se trouvait aménagée la possibilité de la subvertir et de faire du pacte même la matière d’un jeu littéraire. » (Lecarme, 273) Il explique que le terme d’autofiction peut réunir les textes qui ne peuvent appartenir complètement au genre romanesque ni au genre autobiographique : « la case aveugle pourrait ainsi devenir ligne de mire, et un certain nombre d’œuvres, reliées par un air de famille plus que par l’unité formelle d’un genre, nous semblent pouvoir êtres réunies sous le terme d’autofiction. » (Lecarme, 273) C’est-à-dire que bien que l’autobiographie soit un genre littéraire difficile à définir, l’autofiction l’est encore plus. Il peut regrouper toutes les œuvres dont l’appartenance reste floue mais dans lesquelles on peut discerner un air d’autobiographie mais qui sont toutefois qualifiées comme romans. Sébastien Hubier aborde également le thème de l’autofiction dans son ouvrage. Selon lui : 19 « L’auteur d’autofiction brouille méthodiquement les pistes et laisse au lecteur la liberté de suivre les chemins obscurs de l’authenticité et des chimères, de découvrir, çà et là, des points d’émergence et de clarté de la personnalité. » (Hubier, 134) Contrairement à une autobiographe qui a pour but de partager les événements de sa vie avec le lecteur, l’auteur d’une autofiction, lui, sait que lui même ne connaitra sans doute jamais toute la vérité. C’est pour cette raison qu’il laisse une sorte d’ambiguïté entre son texte et le lecteur afin que ce dernier puisse lui-même interpréter les différents aspects du texte à sa manière. « L’usage de la première personne permet à l’auteur d’autofiction de réévaluer ses expériences intimes. Ses habitudes. » (Hubier, 134) L’auteur d’une autofiction peut partager ses expériences personnelles avec le lecteur tout en les réévaluant en se considérant luimême comme personnage. Il crée un personnage à base de ses propres expériences, toutefois il y enlève ou rajoute des éléments, il travaille son personnage et son texte afin que celui-ci entre dans la catégorie qui se trouve entre le roman et l’autobiographie. « Non seulement la littérature narrative permet tour à tour de dire une vérité intime, de la celer, de la métamorphoser ou de s’y soustraire, mais elle offre également la possibilité de la créer, en une dynamique qui, au contraire de celle qui préside à la naissance de l’autobiographie, est résolument tournée vers l’avenir. » (Hubier, 115) En effet, c’est en s’imaginant à travers un autre personnage que l’auteur d’une autofiction arrive souvent à dire la vérité sur lui-même et sur sa vie. L’étude des trois termes essentiels pour notre analyse mène à la distinction de plusieurs critères pertinents. En effet, le but de cette recherche est de desceller le caractère autobiographique de deux livres de Marguerite Duras à l’aide d’une étude comparative. Comme définition de l’autobiographie classique, celle proposée par Lejeune en 1975 sera utilisée. Pour ce qui est du genre du roman autobiographique, la définition suivante sera utilisée : un texte dans lequel on peut, en tant que lecteur, soupçonner que l’auteur y a incorporé des éléments réels mais que ce dernier a choisi de nier cet aspect autobiographique de son texte. Le roman autobiographique se caractérise de plus par la présence d’un pacte 20 romanesque. Celui-ci peut, selon nous, tout simplement être la mention de ‘roman’ en quatrième de couverture du livre. Enfin, en ce qui concerne l’autofiction, nous nous basons sur les propos avancés par Vincent Colonna et par Jacques Lecarme. Nous considérons l’autofiction comme un texte qui allie autobiographie et fiction. Contrairement à l’auteur du roman autobiographique, l’auteur de l’autofiction ne nie pas avoir incorporé des éléments de son vécu dans sont texte. Il insère de manière consciente des éléments réels dans son texte qu’il mélange avec des éléments fictifs afin de créer une nouvelle personnalité. 2.5 Un texte dans le texte Les livres de Marguerite Duras ne peuvent pas être facilement étiquetés d’un certain genre. Elle joue avec les limites des genres mais elle tisse également des liens entre ses textes et dessine une carte de son passé à travers son écriture. Dans son ouvrage Palimpestes (1982), Gérard Genette aborde les relations que différents textes peuvent avoir entre eux. Cette relation a été définie par plusieurs chercheurs, celle que nous trouvons la plus pertinente dans le cadre de cette étude est la suivante « une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre. » (Genette, 8) Ensuite, ces relations entre deux ou plusieurs textes peuvent être plus spécifiques. Celle qui nous importe le plus ici est la métatextualité « la relation, on dit plus couramment de « commentaire », qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite, sans le nommer. » (Genette, 11) Nous verrons que dans le cas de Duras, il existe d’une part des commentaires sur ses écrits antérieurs, mais d’autre part certaines relations ne sont pas explicitement nommées. 21 3. Analyse de la métatextualité et de la mémoire C’est l’impossibilité de distinguer la vérité de la fiction dans l’œuvre de Duras qui la rend tellement fascinante et c’est ce qui nous amène à l’analyse de deux de ses livres. Dans un premier temps, nous ferons une analyse des deux textes sur un niveau métatextuel pour ensuite pouvoir passer à une analyse plus détaillée des différents personnages et leurs relations. Comme nous l’avons mentionné dans notre cadre théorique, nous distinguons deux sortes de métatextualité, à savoir les liens implicites qu’il peut y avoir entre deux ou plusieurs livres et la réflexion sur l’écriture dans le texte même. Nous donnerons des exemples de ces deux sortes de liens dans la suite de cette analyse. Ce qui est donc important à retenir dans le cadre de cette étude est la relation entre deux ou plusieurs textes et la réflexion qu’un auteur peut faire sur le texte au sein du texte. Dans L’Amant, nous le verrons plus en détail par la suite, Duras fait allusion à Un Barrage contre le Pacifique ; cette relation est donc clairement mentionnée. D’autres relations sont plus subtiles. La métatextualité fait partie intégrante de l’œuvre de Duras. Prenons India Song (1975) par exemple. Avant d’être adapté au cinéma, ce texte est une pièce de théâtre. Dans ce texte, nous retrouvons le personnage d’Anne-Marie Stretter, qui était déjà présent dans Le Ravissement de Lol V. Stein et qui a incité Duras à l’écriture de L’Amant : « C’est cette répétition qui m’a intriguée, figurez-vous. J’avais huit ans lorsque j’ai connu Anne-Marie Stretter. Pourquoi j’ai été chercher cette femme pour faire India Song ? C’est curieux ! C’est pour comprendre la raison de mon attirance pour cette femme que j’ai décidé d’écrire sur cette période un livre qui, pour la première fois, n’est pas une fiction. » (Apostrophes) Lorsqu’elle parle du premier livre qui n’est pas une fiction, elle parle bien entendu de L’Amant. Dans cette première partie de notre analyse, nous allons aborder les deux intrigues d’une façon abstraite pour ensuite pouvoir passer à une étude plus en détails des différents personnages. Par la forme des deux textes, les pactes autobiographiques et romanesques semblent clairs. Comme 22 nous l’avons mentionné dans notre cadre théorique, s’il existe un pacte autobiographique comme le suggère Philippe Lejeune, il peut également y avoir un pacte romanesque. Toutefois, en les observant de plus près, nous verrons que ces pactes, bien qu’ils semblent clairement établis au début du livre, n’excluent pas qu’un roman présente des événements plus réels qu’une autobiographie. Jean-Philippe Miraux explique : « Aborder la question de l’autobiographie, c’est donc tenter de réfléchir sur ces trois pierres d’achoppement auxquelles se heurte l’autobiographe. Question du style, question de la vérité, question des destinataires sont, tour à tour, au centre de ses interrogations, simplement parce que ces questions soulignent le franchissement d’une frontière sensible, celle qui sépare l’intériorité du moi et l’extériorité dangereuse du monde. » (Miraux, 9) La question de style mais notamment celle de vérité sont particulièrement intéressantes à étudier dans le cadre de cette recherche, car en lisant une autobiographie, la vérité s’y présente d’une façon intéressante. Dans un premier temps, nous observerons le rôle qu’occupe la narratrice dans chaque texte et si un changement de type de narration influence la lecture du livre. Dans un second temps, nous nous concentrerons sur le fonctionnement de la mémoire. La mémoire ne garde pas chaque détail de ce qui s’est passé et au fil du temps, la mémoire change et donc les souvenirs changent également. Pour terminer, nous nous pencherons sur la véracité du texte et sur la question de savoir si celle-ci est influencée par les éléments mentionnés ci-dessus. Comme L’Amant se présente sous forme autobiographique, la définition de Lejeune et la référence aux événements réels semblent s’appliquer. Comme nous l’avons mentionné dans notre cadre théorique, la fidélité d’un texte est beaucoup plus importante que la vérité. En effet, même si une autobiographie ne retrace pas exactement les événements tels qu’ils se sont déroulés, cela ne veut pas dire que l’auteur n’est pas sincère et qu’il ne raconte pas la vérité. Nous verrons dans la suite de notre analyse que des nuances sous différentes formes peuvent être apportées. 23 3.1 Le rôle de la narratrice Dans Un Barrage contre le Pacifique, nous avons affaire à une narratrice qui est omnisciente. En effet, elle se trouve à l’extérieur de l’histoire et sait tout des personnages. Dans L’Amant, la narratrice est clairement la même personne que l’auteur car le récit est en grande partie raconté à la première personne du singulier. Cet emploi de la première personne et le fait que le terme ‘roman’ ne soit pas imprimé en quatrième de couverture amène à penser qu’il s’agit d’une autobiographie telle que Lejeune l’a définie. Toutefois, l’identification entre les trois entités ne peut pas directement être faite et l’emploi de la première personne du singulier n’est pas constant tout au long du livre. Ce mélange de l’emploi des pronoms nous pousse à examiner le rôle de la narratrice plus en détail. En prenant une certaine distance de l’histoire, l’auteur écrit son histoire et utilise un narrateur externe dans le premier livre. En prenant cet écart, elle arrive peut-être mieux à cerner les événements qui se sont déroulés en Indochine, car elle se place au dessus des événements pour pouvoir les observer et les décrire. De cette façon elle sort son propre personnage de l’histoire et en utilise un autre, celui de Suzanne, pour refléter certains traits de caractère et certains sentiments. En prenant cette distance par rapport à sa propre vie, l’auteur fait une sorte d’auto-analyse d’elle même et des événements qu’elle a vécus. Dans L’Amant, écrit trente-quatre ans après Un Barrage contre le Pacifique, l’auteur n’arrive toujours pas à écrire un livre entièrement à la première personne. En utilisant tantôt ‘je’ et tantôt ‘elle’, elle crée de nouveau une certaine distance entre elle et le lecteur « Dans le contexte de ce livre, cette troisième personne exprime la distance que la narratrice crée vis-à-vis de son récit. » (Den Toonder, 105) En utilisant ce procédé, elle crée un filtre pour ses pensées et ses sentiments. L’emploi de la première personne crée une intimité qui rapproche le lecteur de l’auteur « Sur le bac, regardez-moi, je les ai encore. » (A, 24) Elle s’adresse directement au lecteur. En utilisant la troisième personne, la 24 narratrice se présente comme une spectatrice de ce dont elle est en train de se souvenir. Selon Den Toonder « Le pronom de la troisième personne marque une absence, puisque celui dont on parle n’est jamais présent au moment de l’énonciation. » (Den Toonder, 104) Ce jeu narratif montre le caractère intuitif de ce texte. Contrairement au Barrage contre le Pacifique qui a une structure plus traditionnelle, L’Amant est une suite de souvenirs présentés dans un ordre arbitraire. Les passages où la troisième personne est employée évoquent des souvenirs qui peut-être n’ont pas réellement eu lieu mais qui auraient pu se dérouler de la façon dont ils sont décrits. Dans le passage suivant où une photographie réelle est décrite, Duras écrit à la première personne : « J’ai quatre ans. Ma mère est au centre de l’image. Je reconnais bien comme elle se tient mal, comme elle ne sourit pas, comme elle attend que la photo soit finie. » (A, 21) Dans ce passage, c’est une photographie véritable qui est décrite. Elle a été prise quand elle était petite et elle la revoit plus tard quand elle retrouve des photos de son enfance. En revoyant cette photo, sa mémoire se met en route et elle se souvient que sa mère n’aimait pas se faire prendre en photo mais le faisait tout de même. La photographie provoque la mémoire et grâce à cette provocation, l’auteur se rappelle de certains sentiments: le fait que sa mère n’aimait pas se faire prendre en photo. Ces souvenirs ne reviennent que plus tard dans sa vie, lorsqu’elle regarde les photos que la mère faisait prendre lorsqu’elle était jeune « Les photos, on les regarde, on ne se regarde pas mais on regarde les photographies, chacun séparément, sans un mot de commentaire, mais on les regarde, on se voit. » (A, 115) La famille regarde ces photographies sans avoir des sentiments spécifiques. Ce n’est que plus tard qu’elles fonctionneront comme points de départ, comme éléments clés qui provoqueront les souvenirs de Duras. 3.2 La mémoire Lors de l’écriture d’une autobiographie, la mémoire joue un rôle très important. Dans le cas de Duras, c’est au cours de l’écriture que la 25 mémoire et les souvenirs reviennent, qu’elle réussit à remettre les événements dans l’ordre chronologique et qu’elle a comme des flashbacks. Comme nous l’avons expliqué dans notre cadre théorique, la métatextualité peut également se présenter sous forme de métaréflexions. Dans cette partie de l’analyse nous allons explorer la façon dont la métatextualité est liée à la mémoire et comment ce rapport fonctionne dans les deux livres choisis. Dans Un Barrage contre le Pacifique, présenté comme un roman, les règles classiques de l’écriture s’appliquent. Les événements sont présentés dans l’ordre chronologique, le livre est divisé en deux parties très claires. La première partie du roman se déroule sur la concession de la famille et la seconde se déroule à la ville. Le livre a un début et une fin. Dans L’Amant, cette chronologie n’est pas du tout respectée. Le livre a un début, la rencontre de la jeune fille et du Chinois, et une fin, le départ de la jeune fille pour la France. Tous les événements décrits entre ce début et cette fin pourraient être mélangés et disposés dans un autre ordre sans que cela ne gêne à la compréhension du texte. Dans une autobiographie traditionnelle, l’histoire de la vie personnelle de l’auteur remonte en général à l’enfance. Duras ne remonte pas aussi loin dans le temps mais elle écrit à partir de l’âge où « […] il était déjà trop tard. » (A, 10), c’est à dire à l’âge de dix-huit ans. C’est à cet âge là qu’elle a senti le besoin d’écrire et qu’elle a vieilli « A dix-huit ans j’ai vieilli. » (A, 10) A propos de cet âge, Armel explique « La séparation d’avec le lieu de la mère, à dixhuit ans, provoque le jaillissement de l’écriture qui est – en retour – dressée contre la mère. » (Armel, 40) C’est donc à cet âge-là qu’elle a commencé à écrire et qu’elle a pu commencer à écrire grâce à la séparation de sa mère. Toutefois, ce n’est qu’après la mort de sa mère qu’elle a pu écrire de façon plus sincère et plus directe l’histoire de sa vie en écrivant sous forme autobiographique. Dans ce texte on voit clairement que l’auteur a écrit à partir de sa mémoire. Elle écrit des passages, décrit des situations ou des personnages qui se réfèrent à sa propre vie. Ce qui frappe le plus dans cette forme d’écriture sont les passages qu’elle voue à des femmes qu’elle 26 a connues plus tard dans sa vie lorsqu’elle habitait déjà à Paris et qui n’ont joué aucun rôle à l’époque où elle avait une relation avec son amant : Marie-Claude Carpenter (A, 79) et Betty Fernandez (A, 82). Bien que L’Amant raconte sa liaison avec son amant chinois en Indochine, ces deux femmes sont mentionnées dans le livre. Elle sont décrites de façon non traditionnelle « Marie-Claude Carpenter. Elle était américaine, elle était, je crois me souvenir, de Boston. Les yeux étaient très clairs, grisbleus. 1943. Marie-Claude Carpenter était blonde. » (A, 79-80) Dans cette partie de la description, nous remarquons que l’auteur fait allusion à cette femme en utilisant son nom complet à deux reprises dans un passage relativement court, procédé que nous retrouvons dans le passage consacré à Hélène Lagonelle. Elle utilise le même procédé que pour le reste du livre où elle mélange la première et la troisième personne du singulier. Ce qui est également frappant est la date au milieu de cette citation : 1943. Est-ce l’année où elle a connu cette femme ? Signifie-telle autre chose ? Le sens de cette date n’est pas expliqué dans le reste du passage sur cette femme. Ces pages consacrées à ces deux femmes sont étonnantes car rien de ce que Duras écrit avant, ou après n’a de rapport avec ces femmes. Bien que la description de ces femmes saute tout de suite aux yeux, le livre contient d’autres éléments qui ne sont pas forcément en rapport avec l’histoire annoncée par le titre. Cela accentue le fait que L’Amant est une série de souvenirs déclenchés les uns par les autres. C’est grâce à cette écriture autobiographique et donc grâce à l’utilisation de sa mémoire que Duras a pu retourner dans le passé : « L’autobiographie est donc un moyen pour retourner aux origines de la fascination, qui ne se situent pas là où on pourrait les attendre. » (Armel, 40) Comme nous l’avons mentionné plus haut, Marguerite Duras a toujours eu une grande fascination pour les personnages féminins qui occupent souvent un rôle principal dans ses textes. Cela peut s’expliquer par le fait que sa mère était une femme avec un caractère très singulier mais également par le fait qu’elle a grandi sans connaître son père. Cette fascination nous la retrouvons dans la description de Marie-Claude Carpenter, de Betty Fernandez ou d’Hélène Lagonelle dans L’Amant, mais 27 également dans la description de Carmen dans Un Barrage contre le Pacifique. Anne-Marie Stretter, un personnage qui l’a également longuement fasciné mais qui n’est pas présent dans les deux livres analysés ici, occupe toutefois un rôle très important dans la vie de l’auteur et dans la raison pour laquelle elle a décidé d’écrire L’Amant : « Marguerite Duras déclare donc ouvertement avoir eu recours, dans L’Amant, à l’écriture autobiographique, pour répondre aux questions qu’elle se posait au sujet du personnage d’Anne-Marie Stretter depuis le milieu des années 1970. » (Armel, 40) Même si ce personnage n’est pas mentionné une seule fois avec son propre nom dans le livre, il forme la base de la raison pour laquelle Duras a décidé d’écrire un livre qui n’est pas une fiction. Cette femme, que Duras a réellement connue et qui s’appelait Elizabeth Striedter, a eu une influence considérable sur Duras, « Je me demande si l’amour que j’ai d’elle n’a pas toujours existé. Si le modèle parental, ça n’a pas été elle, la mère de ces deux petites filles, Anne-Marie Stretter, non pas ma mère, voyez que je trouvais trop folle, trop exubérante, et qui l’était d’ailleurs. » (Lieux, 11) Le fait qu’elle remémore ces deux femmes, Marie-Claude Carpenter et Betty Fernandez, peut être expliqué par le propos d’Aliette Armel. C’est au moment où on ne s’y attend pas que l’on se souvient d’un événement important du passé mais c’est surtout sa fascination pour les femmes qui fait que ces passages soient quelque peu logiques dans ce livre. Cette fascination, Armel y revient plus tard dans le même chapitre de son ouvrage et dit que « Grâce à l’autobiographie, Marguerite Duras est parvenue à se libérer de la fascination et elle a obtenu ce résultat par son écriture même […] » (Armel, 43) La fascination pour ce personnage et pour les personnages féminins en général a toujours été présente dans les livres de Duras, mais grâce à L’Amant qui n’est pas une fiction, elle arrive à se libérer de cette fascination. Duras écrit un enchainement de souvenirs, comme si elle contemplait un album de photographies de son passé et qu’elle écrivait une légende pour ses images : « L’Amant est né d’une série de photographies retrouvées par hasard et je [Marguerite Duras] l’ai commencé en pensant mettre le texte en retrait pour privilégier l’image. Mais l’écriture a pris le dessus, elle allait plus vite que moi. » (Della Torre, 58) Nous reviendrons sur ces propos dans la seconde partie de notre 28 analyse lorsque nous aborderons plus en détails les différents personnages. Armel explique que le besoin qu’a ressenti Marguerite Duras d’écrire découle donc d’une certaine fascination. Cette fascination, Duras l’avait surtout pour les femmes qui l’ont entourée. Les hommes occupent, en général, un rôle secondaire dans ses livres. Le personnage féminin le plus important dans la vie de Duras était bien évidemment sa mère : « Ma vie est passée à travers ma mère. Elle vivait en moi jusqu’à l’obsession. » (Della Torre cite Duras, 29) Cette mère est omniprésente dans Un Barrage contre le Pacifique. Cette fascination se retrouve également dans les passages mentionnés plus haut où elle décrit Marie-Claude Carpenter et Betty Fernandez : « Betty Fernandez. Le souvenir des hommes ne se produit jamais dans cet éclairement illuminant qui accompagne celui des femmes. Betty Fernandez. Etrangère elle aussi. » (A, 82) Son amie au lycée Hélène Lagonelle pour qui elle éprouve des sentiments homosexuels est également décrite en détail et de la même façon que les deux autres femmes, en répétant le nom complet de la personne : « Je reviens près d’Hélène Lagonelle. Elle est allongée sur un banc et elle pleure parce qu’elle croit que je vais quitter le pensionnat. Je m’assieds sur le banc. Je suis exténuée par la beauté du corps d’Hélène Lagonelle. » (A, 89) Dans ce passage, l’auteur cherche à traduire les sentiments qu’elle ressent en regardant son amie de telle façon que le lecteur puisse ressentir la même chose. Les descriptions sont faites de manière presque poétique et avec beaucoup d’attention dans un livre autrement très simple en ce qui concerne le style de l’écriture. Dans Un Barrage contre le Pacifique, beaucoup d’attention est portée à la description de Carmen, la femme qui tient l’hôtel dans lequel séjourne la famille pendant qu’ils sont à la ville « Carmen était assez grande, bien tenue, elle avait des yeux petits mais d’un bleu franc et limpide. […] Mais ce qui faisait que Carmen était Carmen, ce qui faisait sa personne irremplaçable, et irremplaçable le charme de sa gérance, c’était ses jambes. » (BP, 172) Contrairement à la description physique de M. Jo, qui occupe quelques lignes, celle de Carmen s’étend sur plusieurs pages. Cette écriture a été une façon pour Duras de se distancier de certains sentiments qu’elle a eus au cours de sa 29 vie : « Grâce à l’autobiographie, Marguerite Duras est parvenue à se libérer de la fascination et elle a obtenu ce résultat par son écriture même, sans avoir besoin d’explications venues d’ailleurs. » (Armel, 43) La fascination, parfois obsédante qu’avait Duras pour certaines femmes, elle n’a pu l’exprimer qu’à travers l’écriture autobiographique qui découle de sa mémoire. Le fait que dans L’Amant, elle décrive deux femmes qui n’entrent pas dans la chronologie de l’histoire montre qu’elles ont, d’une façon ou d’une autre, eu une grande influence, sinon elle ne s’en serait pas souvenue et elle ne les aurait pas mentionnées dans son livre. L’écriture et le processus de réflexion qui en découle donnent lieu à des souvenirs. De plus, Duras se rend compte du caractère arbitraire de la mémoire : « Je me souviens, à l’instant même où j’écris, que notre frère aîné n’était pas à Vinhlong quand on lavait la maison à grande eau. Il était chez notre tuteur, un prêtre de village, dans le Lot-et-Garonne. » (A, 77). Cette citation suit un passage où elle décrit que, de temps en temps, sa mère lavait la maison entière et que toute la famille s’amusait et chantait ensemble, un des rares moments où ils étaient joyeux. Le fait qu’elle évoque un souvenir de son enfance et qu’elle l’écrive la fait réfléchir et donc se rendre compte que son frère n’était pas toujours avec eux. C’est au cours de l’écriture que sa mémoire revient et qu’elle se souvient de ce qui s’est passé. 3.3 Vérité et sincérité Comme L’Amant ne s’inscrit pas dans le cadre de l’autobiographie traditionnelle parce que l’auteur mélange l’emploi de la première et de la troisième personne du singulier, le pacte autobiographique de Lejeune n’est pas respecté. Contrairement au pacte autobiographique, le pacte romanesque accentue le décalage entre le texte et la réalité. La comparaison entre L’Amant et Un Barrage contre le Pacifique montre des nuances intéressantes par rapport à l’interprétation de la réalité. Nous reviendrons sur cet aspect à la fin de notre mémoire. Dans ce paragraphe, 30 nous insisterons sur la façon dont l’interprétation de L’Amant transforme la compréhension d’Un Barrage contre le Pacifique pour ce qui est du rapport avec la vie réelle de l’auteur. Pour reprendre les propos de Lejeune, un roman autobiographique peut comporter des degrés, c’est-àdire que celui-ci peut plus ou moins suivre la réalité : « L’autoportrait que produit Duras à travers ses livres correspond à l’utilisation du miroir faite dans ses films : un espace vide d’où parfois surgissent quelques reflets, morceaux de réel, parcelles de la vie, apparaissent sans lien logique – ni encore moins chronologique – unis simplement par le désir, à un moment précis, de dire, de montrer. » (Armel, p.133) Cette citation exprime très bien la façon dont Duras a écrit L’Amant. Ses souvenirs sont rassemblés en un seul et même endroit sans que ceux-ci soient placés dans un ordre chronologique ni liés entre eux. L’autobiographie aussi bien que la fiction peuvent être deux façons de raconter une seule et même histoire vécue. L’une n’est pas forcément plus vraie que l’autre mais la forme utilisée par l’auteur peut jouer un rôle dans la perception d’un texte par le lecteur. En effet, le genre roman suggère qu’il s’agit d’une histoire fictive référant à des personnages et des lieux fictifs. Toutefois, cela n’exclut pas que ces éléments sont basés sur des faits réels et que quelquefois, ces ressemblances sont accentuées grâce à la lecture d’une autre intrigue du même auteur. De même, le pacte autobiographique met l’accent sur l’histoire de la vie de l’auteur. Or, et surtout dans le cas de Duras « Seule Marguerite Duras est capable de corroborer l’exactitude des pistes autobiographiques lancées dans ses textes, tout commentateur extérieur étant voué à des hypothèses presque impossibles à vérifier. » (Armel, 128) Le fait qu’elle n’utilise pas seulement la première personne du singulier mais également la troisième montre que Duras problématise le pacte autobiographique. Dans les entretiens 2 suite à la parution de ce livre, elle reste très vague sur certains sujets et événements. Il s’avère que ses remarques ne peuvent pas toujours être considérées comme des faits réels. Elle brouille 2 Apostrophes avec Bernard Pivot (1984) 31 constamment les pistes afin que ses textes gardent un certain caractère de mystère. A cause des frontières fluides entre la vérité et la fiction, il vaut mieux à notre avis utiliser ici le terme de sincérité. La question concernant la vérité a également été mise en question par Miraux « comment en effet écrire l’absolue vérité lorsque le temps a recouvert les actes et les rencontres, plus encore, lorsque l’on fait œuvre à partir de sa vie ? » (Miraux, 49) D’après nous, la vérité peut être racontée sans que tous les détails du déroulement des événements doivent absolument être racontés, car souvent ceux-ci sont oubliés avec le temps qui passe. Le terme de sincérité nous semble plus approprié ici : « La sincérité remplace la vérité ; du moins, la sincérité intérieure est infiniment plus fiable que la vérité rationnelle, froide et objective ; on voit que les faits ne signifient objectivement rien ; ils ne signifient que vécus à travers la perception du narrateurpersonnage qui, sincère, les relate. « Miraux, 51) La vérité est plus une énumération de faits tels qu’ils se sont réellement déroulés, alors que la sincérité est le désir de l’auteur de vraiment partager ses souvenirs mais surtout ses sentiments « L’écriture sincère est un flot ininterrompu de mots et de phrases qui expriment du dedans la vérité intime de l’être. » (Miraux, 51) L’Amant entre très bien dans cette description de l’écriture sincère telle qu’elle est définie par Miraux, parce que les événements racontés dans ce livre se suivent comme dans un flot ininterrompu, sans chronologie ni logique. Un Barrage contre le Pacifique est beaucoup plus structuré, il s’agit d’une construction fictionnelle où les événements suivent la logique des causes et effets. Toutefois, cela n’exclut pas qu’il ne puisse pas y avoir de la sincérité dans ce que Duras a écrit dans ce livre. La sincérité n’est donc pas forcément en rapport avec la chronologie d’un texte mais surtout avec la métatextualité que l’on peut retrouver dans un ou plusieurs textes. La comparaison avec L’Amant montre que les événements décrits dans Un Barrage contre le Pacifique se basent sur des faits réels. Dans Un Barrage contre le Pacifique, le narrateur ne cherche pas à être sincère, c’est cela qui forme la grande différence entre une autobiographie et un roman. Dans l’autobiographie, 32 l’auteur réfléchit sur la possibilité de raconter sa vie. La métatextualité permet de lire le premier livre de façon différente. Sur cette vérité, Duras explique elle-même dans un entretien qu’elle n’avait pas pu l’écrire pendant des années car sa mère était encore vivante. Elle a menti sur cette période de sa vie et elle ne voulait pas que sa mère apprenne ce qui s’était passé : « J’avais dû mentir pendant des années sur tant d’histoires du passé. Ma mère vivait encore, je ne voulais pas qu’elle apprenne certaines choses. Et puis, un jour, j’étais seule et je me suis dit : pourquoi ne pas dire la vérité maintenant ? Chaque chose dans le livre [L’Amant] est vraie : les vêtements, la colère de ma mère, la nourriture douceâtre qu’elle nous faisait avaler, la limousine de l’amant chinois. » (Della Torre cite Duras, 54) Ce n’est donc qu’après la mort de sa mère qu’elle a pu écrire toute la vérité et peut-être même se l’avouer à elle même. Elle explique également que sa mère n’était pas contente lorsque qu’Un Barrage contre le Pacifique est paru. Le critère de vérité et surtout celui de sincérité peut absolument être retrouvé dans les événements racontés par l’auteur. Comme elle l’explique elle même « Je lui ai répondu que ce que je voulais avant toute autre chose c’était écrire, rien d’autre que ça, rien. » (A, 31) Elle a donc ressenti le besoin d’écrire depuis qu’elle était très jeune, mais elle n’a pas pu écrire certaines choses lorsque sa mère et ses frères étaient encore en vie, ce n’est qu’après leur mort qu’elle a pu partager certains épisodes de sa vie. Elle a toujours eu l’intention et le besoin d’être sincère, mais elle ne voulait pas faire de mal à sa famille en écrivant sur une période difficile dans leurs vies. Nous reviendrons plus en détail sur cet aspect dans la seconde partie de notre analyse lorsque nous examinerons les relations qu’ils entretenaient entre eux. Un autre terme présenté dans notre cadre théorique est celui de l’imaginaire. Les limites entre réel et fiction sont effacées par Duras et le lecteur n’a pas de vision claire sur ce qui est réel ou non, car l’auteur 33 utilise une façon d’écrire qui n’est pas habituelle. Toutefois, il est intéressant d’observer de quelle façon cette imagination fonctionne. A ce sujet Den Toonder explique « Un exemple de fonctionnement de l’imaginaire dans l’écriture autobiographique est donné par les souvenirs dont l’évocation transpose un monde hors-texte dans l’autobiographie. Ils sont transformés en rêve ou en conversations imaginées présentées comme réelles, ou encore en photographies non existantes. » (Den Toonder, 27) Lorsque Duras écrit L’Amant, elle décrit des photographies fictives de son enfance, mais elle dessine également des photographies qui auraient pu être prises mais que ne l’ont pas été. Elle se souvient de sa première rencontre avec le Chinois et se souvenir évoque un certain sentiment ; elle imagine la photographie qui aurait pu être prise ce jour là sur le bac qui traverse le fleuve. C’est à partir de cette photographie imaginée mais basée sur un événement réel qu’elle continue l’écriture de son livre et l’évocation des souvenirs qui en découlent. Dans Un Barrage contre le Pacifique, nous assistons à une construction du passé par l’auteur. Dans L’Amant, c’est plus une observation du fonctionnement de la mémoire. Comme le dit Aliette Armel, dans le cas de Duras il est difficile de classifier ses livres et de leur coller une étiquette autobiographique. Cependant, ils peuvent être analysés dans une perspective autobiographique. Par ce terme, nous entendons que l’on peut analyser ses textes en utilisant des théories sur l’autobiographie mais que l’on ne pourra jamais les catégoriser entièrement. Nous avons vu que la voix narrative dans les deux textes joue un rôle primordial. Grâce à l’utilisation du ‘je’ dans L’Amant, le lecteur à le sentiment d’être plus proche de l’auteur. Toutefois, les passages où elle utilise ‘elle’ marquent une certaine distance entre le lecteur et l’auteur mais également entre l’auteur et ses souvenirs. Les souvenirs, qui sont déclenchés par les photographies devant elle, forment la base de L’Amant. Au cours de l’écriture, ses souvenirs reviennent et lui permettent de mettre de l’ordre dans ses pensées. Bien que moins clairement présents, ils jouent également un rôle dans Un Barrage contre le Pacifique qui a également été écrit à partir de sa mémoire mais où plus d’éléments ont été fictionnalisés et où l’aspect autobiographique est donc moins clair. Nous 34 verrons dans la suite de cette analyse que la lecture du second livre changera l’interprétation du premier. La vérité aussi bien que la fiction peuvent décrire une seule et même vérité et Marguerite Duras le montre très bien dans les deux livres examinés ici. Dans la seconde partie de notre analyse, nous allons observer les différents personnages de plus et examiner les relations qu’ils entretiennent. Nous mettrons l’accent sur trois ‘personnages’ avec qui la jeune fille, Suzanne, dans Un Barrage contre le Pacifique et la narratrice dans L’Amant, a une relation pertinente: la mère, le(s) frère(s) et le Chinois. 35 4. Le tissu de personnages Le ‘elle’ d’Un Barrage contre le Pacifique se transforme en ‘je’ dans L’Amant, et ce ‘je’ continue à se présenter sous forme de ‘elle’. D’un livre à l’autre, le narrateur change et par conséquent la perspective sur la protagoniste – elle – change également. Dans le premier livre, le narrateur (le genre du narrateur n’est pas explicité dans ce texte) est hétérodiégétique, tandis que dans le second livre la narratrice est homodiégétique. Nous pouvons faire un rapprochement entre les trois entités – auteur, narrateur et protagoniste - et les réunir dans une seule personne. C’est ce changement qui nous apporte à l’analyse plus en détails des personnages mais surtout des rapports entre eux. Dans cette analyse, non seulement les rapports qu’ils entretiennent dans les deux livres mais aussi les rapprochements et les liens que l’ont peut établir entre eux seront examinés. Les noms des personnages et des lieux présents dans les deux livres est également un aspect qui demande à être analysé. Dans Un Barrage contre le Pacifique, les personnages ont des noms et quelques noms de lieux sont mentionnés. Dans L’Amant, aucun personnage ne porte de nom. Dans la fiction, nous retrouvons des noms fictionnels pour les personnes et pour les lieux. En revanche, dans le livre au degré autobiographique plus important, les noms sont absents. Pour terminer, nous analyserons, grâce à la métatextualité, l’influence de l’autobiographie sur la lecture de la fiction. D’après notre hypothèse, la comparaison des trois éléments de cette analyse montrera l’influence du deuxième livre sur la relecture du premier. Dans notre analyse, nous allons essayer de comprendre pourquoi mais surtout de quelle façon cette (re)lecture est influencée. En effet, le premier livre suggère que l’auteur y décrit des événements, des personnages et des lieux de son enfance passée en Indochine, mais ce n’est qu’après la parution du second livre que ce rapport entre le premier roman et la vie de l’auteur est explicité. Duras joue avec les limites des différents genres littéraires. En écrivant des textes qui ne suivent pas les règles telles qu’elles ont été proposées par Philippe Lejeune, elle crée des textes qui ne sont pas seulement un roman mais qui peuvent également 36 être lus comme un scénario de film ou bien une pièce de théâtre. Certains événements clés d’Un Barrage contre le Pacifique sont réécrits sous forme d’autobiographie dans L’Amant. Ce rapprochement entre ses textes, Duras le fait elle-même dans L’Amant : « L’histoire d’une toute petite partie de ma jeunesse je l’ai plus ou moins écrite déjà, enfin je veux dire, de quoi l’apercevoir, je parle de celle-ci justement, de celle de la traversée du fleuve. Ce que je fais ici est différent, et pareil. » (A, 14) Ces renvois sont également mentionnés par Den Toonder : « Marguerite Duras relie explicitement son autobiographie à ses œuvres antérieures : la phrase : « ce que je fais ici est différent et pareil » renvoie, entre autres, à son troisième roman, Un Barrage contre le Pacifique où elle avait déjà décrit sa jeunesse. » (Den Toonder, 96). Dans Un Barrage contre le Pacifique, qui répond au pacte romanesque, de nombreux détails ont été changés, les personnages ne correspondent pas toujours à ceux que nous trouvons dans L’Amant et les noms des lieux ont été changés, mais le lecteur fait néanmoins le rapprochement avec la vie de l’auteur. Est-ce grâce à certains personnages et à la façon dont ils sont décrits que l’on lit Un Barrage contre le Pacifique d’une façon différente une fois que l’on a également lu L’Amant ? On trouve une certaine ressemblance entre les personnages dans les deux livres. En effet, comme nous le verrons par la suite, chaque personnage d’Un Barrage contre le Pacifique peut être mis en rapport avec un ou plusieurs personnages dans L’Amant. Le tissu de personnages autour de la jeune fille incite à faire des rapprochements entre certains personnages que l’on retrouve dans les deux livres. De quelle façon ces rapprochements sont-ils faits et comment fonctionnent-ils entre les deux lectures ? Dans L’Amant, nous avons affaire à une voix narrative qui raconte son histoire. Cette voix présente une série d’images que l’auteur a gardées d’une certaine période : « L’Amant peut donc être considéré comme un album de photographies sans photographies. » (Den Toonder, 102) Toutefois, l’élément qui déclenche l’écriture de ce livre est justement une photographie qui n’a pas été prise : « Elle aurait pu exister, une photographie aurait pu être prise, comme une autre, ailleurs, dans d’autres circonstances. Mais elle ne l’a pas été. » (A 16) Cette 37 photographie qui n’a pas été prise, Duras en parle également dans son entretien avec Bernard Pivot en 1984. Elle explique que le titre original de ce livre était La Photographie Absolue : « Cette photographie n’avait pas été prise. C’était celle-là, cet instant là, du bac. […] C’est de là que tout est parti. » (Apostrophes) Au moment où sa vie va basculer, elle ne savait pas ce qui allait se passer, elle pensait que cette traversée du Mékong en serait une comme toutes les autres. Duras raconte son histoire grâce à des images dont elle se souvient et à des images inventées comme celle de la traversée qui n’existe pas, et de temps en temps elle fait allusion à certains personnages qu’elle a connus par la suite lors de sa vie en France. Elle décrit un certain nombre de scènes qui sont presque figées dans la mémoire de l’auteur. La façon dont elle décrit les événements, fait penser à des captures d’écran que l’on fait pendant un film : « Cette manière de procéder montre que Duras aspire à effacer les limites entre les genres. Elle s’efforce de créer des œuvres qui soient à la fois roman, pièce de théâtre et film. L’autotextualité émousse les limites entre les genres littéraires. » (Den Toonder, 97) Grâce à ces renvois autotextuels, Duras montre que chaque texte influence l’interprétation d’un autre texte. En jouant avec les événements qu’elle décrit et la façon dont elle les décrits elle montre que tout ne peut être écrit en une seule fois et dans un seul texte. Il lui faut plusieurs livres pour raconter son histoire et chaque livre décrit la même histoire, mais d’une façon un peu différente à chaque fois. Comme nous l’avons mentionné dans notre cadre théorique, chaque texte sous forme autobiographique est une tentative d’observation de la part de l’auteur. En contemplant sa vie et en décrivant celle-ci avec ses propres mots, il tente d’expliquer ce qu’il a ressenti. Duras ne décrit pas tout dans un seul texte mais tisse une sorte de toile avec tous ses textes. C’est la problématique des pronoms personnels qui établit un rapport convaincant entre les deux livres. Marguerite Duras utilise la première et la troisième personne du singulier pour raconter son histoire et en mélangeant ces deux pronoms, un rapprochement avec le ‘elle’ d’Un Barrage contre le Pacifique peut être fait. 38 Le fait que Duras utilise également le pronom ‘elle’ dans L’Amant peut permettre un rapprochement entre la jeune fille et le personnage de Suzanne dans Un Barrage contre le Pacifique. Le fait qu’elle n’emploie pas seulement le ‘je’ mais également le ‘elle’ pourrait être un argument pour prouver que L’Amant est une autobiographie qui dépasse les limites du genre. Grâce au mélange des pronoms personnels, le genre autobiographique traditionnel se transforme. Ce genre se place entre le genre autobiographique et le genre fictionnel qui fait qu’il est lié aux deux et que donc L’Amant est lié à Un Barrage contre le Pacifique. « La première personne du singulier du présent n’est plus le seul moyen de conjuguer les verbes au temps de l’autobiographie. » (Armel, 19) Grâce à cette nouvelle forme hybride, le texte n’appartient pas à un des deux genres mais en crée un nouveau. Duras n’a jamais voulu affirmer qu’il s’agissait d’une autobiographie. Dans de nombreux entretiens, en particulier celui avec Bernard Pivot dans l’émission Apostrophe elle reste très vague sur la question et c’est justement cette non conformité au genre autobiographique traditionnel qui fait que L’Amant est particulièrement intéressant à étudier. En écrivant L’Amant, Duras fait une sorte de retour dans le temps, elle contemple les événements et son enfance en Indochine grâce à une série d’images dans sa tête. La jeune Marguerite dans le livre est décrite par la Marguerite plus âgée. Pendant les passages où elle utilise ‘elle’ à la place de ‘je’, elle crée une certaine distance par rapport à son récit. Elle donne l’impression de décrire le point de vue de quelqu’un d’autre. En utilisant le ‘je’ elle semble décrire les choses comme elle les perçoit. Cependant, en passant de ‘je’ à ‘elle’, elle prend du recul et devient pour ainsi dire la spectatrice de la scène dans laquelle elle se trouve. Un bon exemple en est la photographie qui n’a pas été prise. « L’identité du moi autobiographique ne peut être établie que par une prise de distance. » (Den Toonder, 105) C’est exactement cette prise de distance qui caractérise Un Barrage contre le Pacifique. En projetent une partie de sa vie et des personnes qui l’entouraient dans les différents personnages, elle réussit à décrire sa vie. Toutefois, plus tard, lors de l’écriture de L’Amant, elle s’avance un peu plus vers un genre qui se trouve entre la 39 fiction et l’autobiographie en écrivant à la première personne tout en gardant une certaine distance en utilisant la troisième personne pour un certain nombre d’événements ou de scènes. Cette prise de distance nous ramène vers la définition du roman autobiographique que nous avons présentée dans notre cadre théorique. En effet, nous considérons comme roman autobiographique un roman dans lequel le lecteur peut lire des éléments autobiographiques sans que l’auteur ne le confirme. Lors de la parution d’Un Barrage contre le Pacifique, le terme de roman a clairement été mentionné en quatrième de couverture. Après l’avoir lu, on peut donc toujours l’inscrire dans le genre du roman, un roman avec un degré autobiographique très haut. L’Amant est un texte hybride qui se trouve quelque part entre la fiction et l’autobiographie mais qui ne peut pas être placé, selon nous, dans la catégorie du roman autobiographique. Dans notre cadre théorique, nous avons parlé de l’autofiction. Ce genre allie réalité et fiction dans un seul et même texte. Le but d’une autobiographie est une sorte de quête de l’auteur qui est à la recherche de lui-même. Toutefois, comme nous l’avons mentionné plus haut, l’identité d’un auteur ne peut être complètement acquis sans prendre une certaine distance par rapport aux événements décrits. Dans une autofiction, cette quête est menée de façon différente mais le but reste le même. Notre analyse montre que Duras est bien à la recherche d’elle-même en décrivant sa vie, mais qu’elle transgresse les limites des genres traditionnels et par ce fait écrit un texte hybride qui comporte de la réalité mélangée avec des éléments fictionnels grâce à la prise de distance. En effet, c’est en se plaçant hors de son texte de temps en temps et en donnant la parole à une voix qui semble être extérieure au texte que Marguerite Duras montre cette distance entre elle et elle-même. La perspective narrative change plusieurs fois à travers le livre. Le lecteur sait qu’il s’agit de la même voix que celle qui est présentée à travers le ‘je’. Dans Un Barrage contre le Pacifique, la troisième personne est utilisée pour le personnage de Suzanne. Grâce à ce pronom de la troisième personne, les protagonistes des deux textes – Suzanne et la fille anonyme de L’Amant – se rapprochent l’une de l’autre. 40 Le personnage principal dans L’Amant est la fille. Tous les autres personnages sont liés à la fille et son reliés entre eux par la fille. Comme une analyse individuelle est moins pertinente dans le cadre de cette recherche, nous insisterons sur les éléments qui les relient les uns aux autres et à la relation qu’ils entretiennent avec la fille. Un autre aspect favorisant le lien entre les deux livres est celui des noms. Dans L’Amant, les personnages restent sans noms et sont désignés à travers leur rapport avec la fille : l’amant, la mère, les frères. Dans Un Barrage contre le Pacifique, les personnages ont tous des noms : Suzanne, Joseph, M. Jo. Seul le prénom de la mère n’est jamais mentionné. Les villes ont également des noms, bien que ceux-ci soient également fictifs : Ram et Kam. Bien que les différents personnages dans L’Amant n’aient pas de noms, le lecteur les connaît mieux que dans Un Barrage contre le Pacifique grâce à la protagoniste. A plusieurs reprises, l’auteur s’adresse directement au lecteur, ce qui crée également une sorte de relation entre l’auteur et le lecteur : « Sur le bac, regardez-moi, je les ai encore. » (A 24) « Ce n’est donc pas à la cantine de Réam, vous voyez, comme je l’avais écrit, que je rencontre l’homme riche à la limousine noire, c’est après l’abandon de la concession, deux ou trois ans après, sur le bac, ce jour que je raconte, dans cette lumière de brume et de chaleur. » (A 36) Cette citation est particulièrement pertinente dans le cadre de notre recherche, car d’une part elle illustre cette adresse directe au lecteur, d’autre part, elle montre également très bien que, dans Un Barrage contre le Pacifique, elle décrit la rencontre avec l’homme à la limousine mais que cette description comme elle l’a décrite dans L’Amant ne correspond pas. Cela montre que dans ce roman, il y a bien des aspects autobiographiques mais que de nombreux détails et situations ont changé. De plus, cette citation suggère que la rencontre avec l’homme ne s’est pas faite lorsque la famille vivait encore dans le bungalow sur la concession comme elle le fait dans un Barrage contre le Pacifique mais qu’elle s’est déroulée plus tard. Ces citations montrent que les événements décrits dans Un Barrage contre le Pacifique, se sont en réalité déroulés dans un ordre chronologique différent. 41 Dans le premier livre, l’auteur joue avec l’idée de raconter sa vie mais ne l’affirme pas vraiment. Le second livre porte un degré autobiographique beaucoup plus fort comme nous l’avons déjà vu plus haut. Toutefois, dans son analyse de L’Amant, Aliette Armel remarque que « Cette absence volontaire de noms connus et de dates précises, qui forment l’ordinaire des récits autobiographiques, montre dès l’abord la volonté de ne pas sacrifier à des conventions et de rester fidèle à ses préoccupations personnelles d’écriture. » (Armel, 17) Cette idée affirme que L’Amant n’est pas une autobiographie traditionnelle, mais que le livre dépasse les limites du genre et qu’il propose une nouvelle perspective sur l’écriture autobiographique. Un Barrage contre Le Pacifique reste inscrit dans la catégorie du roman bien qu’il soit mieux compris après la lecture de L’Amant. 4.1 Une jeune fille et son amant Dans le premier livre, la relation entre ces deux personnages est purement économique/financière. Dans le second livre, elle est sexuelle. La différence entre la relation qu’entretiennent Suzanne et M. Jo et celle de la jeune fille avec son amant mérite d’être examinée de plus près. Pour commencer, la description du physique illustre bien la différence entre le rôle joué par M. Jo dans Un Barrage contre le Pacifique et celui que joue le Chinois pour la jeune fille. Dans le premier livre, M. Jo, qui est décrit de façon plutôt négative devient quand même un personnage très important aux yeux de la mère surtout. La première fois que M. Jo est mentionné, c’est à travers les mots de Joseph « Merde, quelle bagnole, dit Joseph. Il ajouta : pour le reste, c’est un singe » (BP, 42). M. Jo est d’abord caractérisé à travers sa voiture qui est un symbole de sa richesse. Joseph rajoute tout de suite que c’est un singe car il est laid et que c’est uniquement parce qu’il est riche que la mère et lui-même sont intéressés. Plus loin, la description de M. Jo continue : « C’était vrai, la figure n’était pas belle. Les épaules étaient étroites, les bras courts, il devait avoir une 42 taille au dessous de la moyenne. Les mains petites étaient soignées, plutôt maigres, assez belles. » (BP, 42). Les termes employés ici : étroites et courts ne sont pas des termes que l’on associe à quelqu’un de physiquement attrayant. Ce sont, dans ce contexte, des termes plutôt négatifs. Le fait qu’il a ‘une taille au-dessous de la moyenne’ montre également que c’est un homme qui n’est pas très viril et qui n’attire pas les femmes. L’attention du lecteur est tout de suite posée sur les mains de ce personnage, qui, comme nous le verrons par la suite, joueront un rôle clé dans la suite de l’histoire. La description du physique du Chinois dans L’Amant, n’est pas très positive non plus mais toutefois, on ressent que la fille est moins répugnée par ce personnage: « La peau est d’une somptueuse douceur. Le corps. Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il pourrait avoir été malade, être en convalescence, il est imberbe, sans virilité autre que celle du sexe » (A, 49). La plus grande différence ici est que la fille désire le Chinois à cause de ce manque de virilité. Joseph juge le Chinois sur sa virilité alors que la fille se sent attirée vers lui grâce à cette absence de virilité : « Elle ne le regarde pas. Elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l’inconnue nouveauté. » (A, 50) Le fait que ce soit une description de son point de vue montre également qu’elle se sent plus proche de ce personnage. La description de M. Jo est faite à travers le regard du frère. La description est donc différente car elle est faite à travers une perspective différente dans les deux livres. Toutefois, notons que c’est la troisième personne qui a été utilisée dans ce passage descriptif en non pas la première personne. En utilisant le pronom ‘elle’, l’auteur crée une certaine distance, comme si elle était spectatrice de la scène où la jeune fille voit son amant nu pour la première fois. Un peu plus loin, pour la description de la scène après l’acte des deux amants, c’est de nouveau le ‘je’ qui apparaît. Pour une description physique, donc de quelque chose qu’elle voit, comme sur une photographie, l’auteur utilise la troisième personne. Pour décrire des sentiments, comme elle le fait un peu plus loin : « Je m’aperçois que je le désire. » (A, 51), elle utilise la première personne comme si elle se souvient mieux de ce qu’elle a ressentit que de ce qu’elle a vu. 43 La relation entre Suzanne et M. Jo est dominée par la peur de la mère. Elle a peur que sa fille s’en aille, mais elle a également peur qu’elle ne puisse plus s’occuper de ses enfants faute de moyens. C’est pourquoi elle pousse Suzanne vers M. Jo alors qu’au fond d’elle ce n’est pas ce qu’elle veut « La rencontre de M. Jo fut d’une importance déterminante pour chacun d’eux. Chacun mit son espoir en M. Jo. » (BP, 67) M. Jo, grâce à sa fortune, incarne l’espoir de la famille pour pouvoir s’en sortir. La mère attend une proposition de mariage de M. Jo. S’il se marie avec sa fille, leur richesse pourra les sortir de cette misère. Elle n’a donc pas vraiment le choix et doit laisser sa fille entretenir une relation avec M. Jo. La peur de la mère se traduit par une violence atroce envers sa fille. Elle la bat pendant des heures entières : « Elle frappait encore, comme sous la poussée d’une nécessité qui ne lâchait pas. » (BP, 136) Dans le second livre, on retrouve également des scènes de violence entre la mère et la fille : « Dans des crises ma mère se jette sur moi, elle m’enferme dans la chambre, elle me bat à coups de poings, elle me gifle, elle me déshabille, elle s’approche de moi, elle sent mon corps, mon linge […]. (A, 73) Dans les deux cas, la mère ne veut pas que sa fille couche avec le Chinois et c’est pour cette raison qu’elle bat sa famille, parce qu’elle a déshonoré sa famille. Dans Un Barrage contre le Pacifique, Suzanne n’a pas de relations sexuelles avec M. Jo. Elle le laisse seulement la regarder lorsqu’elle se déshabille. En revanche, dans L’Amant, la relation entre la fille et le Chinois est presque purement sexuelle. Cette violence illustre l’amour d’une mère pour sa fille. Bien que cette émotion soit illustrée façon très violente, la mère veut protéger sa fille contre la marginalisation. La mère a également une obsession pour la richesse, c’est la raison pour laquelle elle a acheté la concession, afin de pouvoir laisser un bien à ses enfants. Cette obsession devient visible à travers le rôle que joue les diamants dans ce livre. M. Jo porte une bague avec un diamant à son doigt : « Quand il but une gorgée de pernod ils virent à son doigt un magnifique diamant, que la mère se mit à regarder en silence, interdite. » (BP, 42) Quelques temps après leur rencontre, M. Jo offre une bague à Suzanne. C’est pour ce diamant que la mère développera une obsession immense. En effet, dans la seconde partie du livre, la famille se rend en 44 ville, car la mère veut tenter de vendre le diamant en d’en tirer le meilleur prix possible. La mère est tellement sous l’emprise de ce diamant et de vouloir le vendre qu’elle en perd presque la raison : « Et bientôt cette relation fut si profonde que lorsqu’elle parlait de M. Jo il lui arrivait de se tromper de nom et de le confondre, dans une même appellation, avec son diamant. » (BP, 178) Comme nous l’avons constaté, ce caractère obsessif de la mère se montre plus haut dans le roman lorsqu’elle passe ses nuits entières à faire ses comptes et à écrire des lettres aux hommes du cadastre : « La mère en profitait pour « faire ses comptes », comme elle disait. On se demandait quels comptes d’ailleurs. Pendant ces nuitslà, en tout cas, elle ne dormait pas. […] Puis elle allait se remettre à ses comptes, « ses compte de cinglée », comme disait Joseph. » (BP, 34) Comme la mère perd le contrôle sur la vie de ses enfants et sur leurs choix pour le futur, elle s’acharne sur d’autres projets comme ses ‘comptes’, les hommes du cadastre et le diamant de M. Jo. Cet aspect obsessif de la mère pour la richesse, est absent dans L’Amant. Le degré de fictionnalité ou de vérité ne peut pas être déterminé ici, parce que cette histoire de bague et de diamant ne se retrouve pas dans L’Amant. Toutefois le comportement de la famille envers le Chinois ou M. Jo est semblable dans les deux livres. M. Jo les emmène à la cantine de Ram en le Chinois emmène la jeune fille, sa mère et ses frères au restaurant. Dans les deux cas, ils n’adressent presque jamais la parole à l’amant de la jeune fille mais profitent de son argent pour sortir. L’obsession de la mère dans L’Amant se manifeste plus envers sa fille et le fait que celle-ci a un amant. Et c’est pour cette raison qu’elle bat sa fille : « L’épouvante soudaine dans la vie de ma mère. Sa fille court le plus grand danger, celui de ne jamais se marier, de ne jamais s’établir dans la société, d’être démunie devant celle-ci, perdue, solitaire. » (A, 73) Elle a peur de ne pas pouvoir marier sa fille, car celle-ci a un amant chinois et cette idée l’horripile. 45 Dans cette partie de l’analyse, où nous avons insisté sur la relation entre la fille et le Chinois, nous avons observé un glissement de perspective concernant la description du Chinois. Nous avons également vu que la relation entre la jeune fille et son amant est directe et sans intermédiaire contrairement à la relation entre Suzanne et M. Jo où un membre de la famille est toujours entre les deux et où la relation concerne beaucoup plus la famille entière, car ils comptent sur M. Jo pour les sortir de leur misère. Grâce à la lecture de L’Amant, on apprend que cette relation, Marguerite Duras a voulu la garder secrète et qu’elle ne l’a écrite sous forme autobiographique qu’après la mort de sa mère et de ses frères : « J’ai beaucoup écrit de ces gens de ma famille mais tandis que je le faisais ils vivaient encore, la mère et les frères, et j’ai écrit autour d’eux, autour de ces choses sans aller jusqu’à elles. » (A, 14) Dans les livres qui précèdent L’Amant, elle écrivait ‘autour’ de sa famille, sans jamais clairement dire de qui il s’agissait alors que dans L’Amant, il est clair qu’elle écrit sur sa mère, ses frères et son amant. La lecture du premier livre change après la lecture du second, car la perspective change. Le lecteur se sent plus proche du personnage féminin car c’est à travers ses yeux que l’on observe les photographies décrites dans ce livre. Le rapprochement entre le Chinois et le plus jeune frère est fait par Marguerite Duras elle-même dans une interview avec Leopoldina Pallotta della Torre en 1987 : « Le plus jeune de mes frères avait un corps maigre, agile – il me rappelait, Dieu sait pourquoi, celui de mon premier amant, le Chinois. » (La passion suspendue, 26) Ici, elle s’étonne du fait que le corps de son frère lui rappelle celui de son amant alors que la description que nous en avons lu permet tout de suite de faire une ressemblance. Le manque de virilité est ce qui l’attire chez son amant et chez son frère. 4.2 Les personnage masculins Ce frère cadet est absent dans Un Barrage contre le Pacifique. Dans ce livre, c’est le frère aîné qui prend une place importante. Dans la vie réelle, Marguerite Duras avait deux frères. Le frère aîné était une personne 46 violente et méchante. Le frère cadet était plus gentil, malheureusement, il est mort jeune pendant l’occupation japonaise en 1942. Dans Un Barrage contre le Pacifique, le frère s’appelle Joseph. Le personnage de Suzanne a une certaine admiration pour son frère qui va plus loin qu’une relation entre une sœur et son frère : « Il [M. Jo] remarquait seulement que Suzanne, elle, n’avait d’yeux que pour ce frère qui se contentait de fixer soit ses dents, soit la piste d’un air morne et furieux. » (BP, 47) Dans L’Amant de la Chine du Nord (1991), ouvrage que Duras a écrit après la parution de L’Amant et qui a été entièrement écrit à la troisième personne du singulier, elle prête beaucoup plus d’attention à la relation presque incestueuse que Marguerite avait avec son frère. Si nous avons laissé de côté L’Amant de la Chine du Nord dans cette recherche, il est intéressant de noter que ce texte est une réécriture de L’Amant. De plus, ce texte est une réaction au film basé sur L’Amant tourné par Jean-Jacques Annaud. Duras réécrit aussi pour ainsi dire ce film en présentant L’Amant de la Chine du Nord comme un scénario. Joseph est à la fois le personnage violent, donc le frère aîné de Marguerite, mais elle lui porte également des sentiments d’amour comme en témoigne la citation mentionnée plus haut. Dans la citation suivante extraite de L’Amant ces sentiments sont renforcés : « Cet amour insensé que je lui [le petit frère] porte reste pour moi un insondable mystère. Je ne sais pas pourquoi je l’aimais à ce point là de vouloir mourir de sa mort. » (A, 129) Le frère cadet de Marguerite est mort en 1942, Un Barrage contre le Pacifique paraît en 1950. Il se peut que l’auteur n’ai pas encore trouvé la bonne façon de parler de ce frère qu’elle aimait beaucoup au moment de l’écriture du roman et que c’est pour cette raison qu’elle a mélangé les traits de caractère des deux frères pour ne créer qu’un seul personnage. Elle mentionne la difficulté de parler de son frère dans l’entretien avec Bernard Pivot : « C’est difficile pour moi de parler de ça. » (Apostrophes, 19.00) Le fait qu’elle ait fait ce choix lors de l’écriture du roman, peut être expliqué d’une autre façon grâce à la citation suivante : « Pendant quelques années il [le frère aîné] n’a plus fait partie de la famille. C’est en son absence que la mère a acheté la concession. » (A, 12) Bien qu’en réalité, elle soit seule avec son plus jeune frère et sa 47 mère sur la concession, elle a tout de même voulu intégrer le rôle qu’a joué le frère aîné dans le personnage de Joseph. Le frère aîné est un personnage très violent. Il s’en prend souvent à son petit frère et n’arrête pas la mère lorsque celle-ci bat sa fille. Les sentiments d’amour que nous avons mentionnés plus haut dans ce chapitre, la jeune fille les ressent également pour son frère aîné : « En présence de mon frère aîné il [le Chinois] cesse d’être mon amant. Il ne cesse pas d’exister mais il ne m’est plus rien. Il devient un endroit brûlé. Mon désir obéit à mon frère aîné, il rejette mon amant. » (A, 66) Un autre personnage pour lequel la jeune fille éprouve des sentiments amoureux, est son amie Hélène Lagonelle avec qui elle est en pension au lycée. Dans L’Amant, elle la décrit de façon presque poétique et très particulière en faisant de nombreuses répétitions de son nom : « Elle ne sait pas aller à l’école, Hélène L. Elle n’apprend pas, elle ne retient pas. […] Elle ne sait pas qu’elle est très belle, Hélène L. […] Elle trouverait tous les fiancés qu’elle veut, Hélène Lagonelle, mais elle ne les veut pas, elle ne veut pas se marier, elle veut retourner avec sa mère. Elle. Hélène L. Hélène Lagonelle. » (A, 90) Ces répétitions et cette façon d’utiliser le nom entier d’une personne ou de n’écrire qu’une seule lettre du nom de famille rappellent la façon d’écrire dans Le Ravissement de Lol V. Stein (1964). En effet, dans ce livre Duras procède de la même façon : Lol V. Stein, S.Thala, T. Beach, U. Bridge. Remarquons que, dans ce passage, elle utilise bien la première personne du singulier. Comme nous l’avons vu plus haut, elle n’est pas seulement spectatrice de cette scène mais elle est plongée dans une sorte de désir homosexuel envers son amie. Un sentiment dont elle se souvient très bien car elle utilise le ‘je’ pour le décrire. Un autre phénomène de ce livre est également présent dans la suite du passage sur son amie Hélène Lagonelle, à savoir la relation triangulaire. Elle écrit qu’elle aimerait emmener son amie, un soir où elle va rencontrer son amant et qu’elle veut lui faire connaître le même plaisir : 48 « Je suis exténuée du désir d’Hélène Lagonelle. Je suis exténuée de désir. Je veux emmener avec moi Hélène Lagonelle, là où chaque soir, les yeux clos, je me fais donner la jouissance qui fait crier. Je voudrais donner Hélène Lagonelle à cet homme qui fait ça sur moi pour qu’il le fasse à son tour sur elle. Ceci en ma présence, qu’elle le fasse selon mon désir, qu’elle se donne là où moi je me donne. Ce serait par le détour du corps d’Hélène Lagonelle, par la traversée de son corps que la jouissance m’arriverait de lui, alors définitive. De quoi en mourir. » (A, 91-92) Cette relation triangulaire, caractérise également le rapport entre Suzanne, M. Jo et la mère et le fils qui forment une seule entité. Cette relation n’est pas forcément volontaire de la part de Suzanne car elle ne se sent pas attirée vers M. Jo et donc elle n’a aucun désir de passer du temps seul avec lui. Cependant, dans L’Amant, elle crée son propre triangle en voulant emmener Hélène Lagonelle chez son amant. Elle essaye de créer une nouvelle sorte de jouissance en occupant un rôle de voyeur qui observe deux personnes pour lequel elle éprouve du désir. Bien que les deux triangles que l’on peut observer dans les deux livres ne sont pas comparables et que le triangle du désir n’est pas du tout présent dans le premier livre, ce passage est un passage important dans le cadre du caractère autobiographique du second livre. Dans ce passage, l’auteur utilise la première personne pour exprimer ses désirs les plus intimes, ce qui montre que c’est un sentiment très fort dont elle se souvient toujours au moment de l’écriture. Dans l’entretien avec Bernard Pivot, Duras explique que sa mère n’a jamais été au courant de ce qu’elle faisait avec son amant. C’est pour cette raison qu’elle n’a écrit L’Amant qu’après sa mort, pour qu’elle ne le sache jamais. Son obsession pour un amour triangulaire était donc déjà présente dans Le Ravissement de Lol V. Stein mais était écrit sous forme de fiction. Ici nous voyons une fois de plus un bon exemple de la métatextualité dont nous avons parlé plus haut. La lecture de L’Amant n’influence pas seulement la (re)lecture d’Un Barrage contre le Pacifique mais également celle d’autres ouvrages antérieurs. Nous ne présenterons pas une analyse détaillée car cela dépasse le cadre de cette recherche, mais nous tenons à illustrer le fait que tous les textes de Marguerite Duras sont, d’une façon ou d’une autre, reliés entre eux. 49 Dans cette partie de l’analyse, nous avons observé une sorte de mélange des personnalités des deux frères dans Un Barrage contre le Pacifique. En effet, les deux frères sont regroupés et ne forment qu’un seul personnage : Joseph. Nous avons également vu que Duras n’utilise pas seulement les renvois métatextuels entre les deux livres que nous avons choisi d’étudier mais que toute son œuvre peut être reliée aux événements de sa vie et surtout entre elle. 4.3 La relation entre mère et fille La mère est folle, dans les deux livres. Cette folie a été déclenchée par l’achat de la concession qui s’avère être incultivable, mais c’est surtout la peur d’être séparée de ses enfants qui la rend folle et qui incite le comportement qu’elle a envers sa fille. La relation entre la mère et la fille est très violente, en effet la mère bat sa fille de manière régulière. Le fils aîné doit rentrer en France à cause de son comportement, le fils cadet meurt en 1942 pendant l’occupation japonaise « Le petit frère est mort en décembre 1942 sous l’occupation japonaise. » (A, 71) « La folie de la mère, dont il est déjà question dans Un Barrage, est renforcée par la séparation d’avec ses enfants – littéralement ou au sens figuré -, comme la mendiante est séparée de ses enfants morts. » (Den Toonder, 99) Cette mendiante est un bon exemple de la métatextualité qu’utilise Duras et que nous avons mentionné plus haut. Cette mendiante qui, à notre avis, incarne la peur de Marguerite Duras de devenir comme sa mère est présentée dans Un Barrage contre le Pacifique et revient dans L’Amant. Dans le premier livre, cette femme qui est en route vers le Nord avec son enfant malade passe par la concession de la mère et de ses enfants. Son pied est blessé et la mère la soigne. Au bout de quelques jours, elle veut continuer son voyage mais ne peut pas emmener son enfant qu’elle laisse donc avec la mère. L’enfant meurt au bout de trois mois et la mère jure de ne plus jamais s’occuper des enfants des autres. Dans le second livre, Duras décrit une scène qui se déroule lorsqu’elle 50 marche le soir dans une rue déserte. Elle entend quelqu’un marcher derrière elle qui la poursuit « Et tout à coup je suis sûre que derrière moi quelqu’un court dans mon sillage. Tout en courant je me retourne et je vois. C’est une très grande femme, très maigre, maigre comme la mort et qui rit et qui court. Elle est pieds nus, elle court après moi pour me rattraper. Je la reconnais, c’est la folle du poste, la folle de Vinhlong. » (A, 103) Cette scène est suivie par une description de la peur de la fille face à la folie de sa mère : « Tard dans ma vie je suis encore dans la peur de voir s’aggraver un état de ma mère – je n’appelle pas encore cet état – ce qui la mettrait dans le cas d’être séparée de ses enfants. » (A, 104) La séparation d’une mère de ses enfants est inévitable. Arrivés à un certain âge, les enfants quittent la maison familiale et vont faire leur vie ailleurs. La mère dans les deux livres ne peut pas vivre avec l’idée que ses enfants partiront un jour et c’est cette idée qui la rend folle. Bien que la mère batte sa fille avec une violence extrême, la fille éprouve une sorte de compassion pour sa mère : « Je crois que ce sera à moi de savoir ce qu’il en sera le jour venu, pas à mes frères, parce que mes frères ne sauraient juger de cet état-là. » (A, 104) On ressent que la jeune fille, qui est victime de sa propre mère, arrive également à observer la folie de sa mère d’une certaine distance et de se dire qu’elle est la seule à pouvoir la comprendre. « Les figures multiples du personnage de la mendiante sont en place ainsi que les thèmes essentiels qu’elle rassemblent : la folie, la peur, l’errance, l’abandon de l’enfant. » (Armel, 22) Toutefois, la métatextualité est l’ensemble des relations d’un texte avec lui-même. Alors qu’ici nous avons clairement des rapprochements entre deux textes différents. En effet, en rapprochant la figure de la mendiante telle qu’elle se présente dans L’Amant de celle évoquée dans Un Barrage contre le Pacifique, le rôle et l’importance de celle-ci deviennent beaucoup plus clairs. La mendiante fonctionne comme une personnification de la peur de la mère de perdre ses enfants, de la peur de la fille dans L’Amant de devenir comme sa mère, du sentiment d’errance dans lequel se trouve Suzanne dans le premier livre et du sentiment que la mère doit avoir suite à l’échec de sa concession : l’abandon de ses enfants à qui elle ne pourra rien laisser une fois qu’elle sera morte. La mendiante est un élément métatextuel qui rapproche les deux livres. 51 La relation entre la fille et le Chinois est beaucoup plus autonome que celle entre Suzanne et M. Jo. La mère joue, dans Un Barrage contre le Pacifique, un rôle plus important dans la relation qu’entretient Suzanne avec M. Jo. Dans ce livre, les deux se rencontrent sur la concession en présence de la mère et du frère. Dans L’Amant, la relation est beaucoup plus intime et se déroule vraiment entre la fille et le Chinois. Dans le premier livre, ce sont la mère et Joseph qui décident du futur de la relation entre Suzanne et M. Jo. Lorsque celui-ci a donné le diamant à Suzanne, on lui annonce qu’il ne doit plus revenir la voir : « Qui a décidé ça ? demanda-t-il d’une voix raffermie. C’est elle, dit Suzanne. Votre mère ? demanda encore M. Jo, tout à coup sceptique. C’est elle, Joseph est d’accord. » (BP, 151) Après que M. Jo soit parti, la mère demande à Suzanne de lui donner le diamant. C’est donc bien pour cette raison, pour sa fortune que la mère a poussé Suzanne à voir M. Jo. Dans L’Amant, bien qu’elle batte sa fille, la mère est plus tolérante : « Je recommencerai. Ma mère sera prévenue. Elle viendra voir la directrice du pensionnat et elle lui demandera de me laisser libre le soir, de na pas contrôler les heures auxquelles je rentre, de ne pas me forcer non plus à aller en promenade le dimanche avec les pensionnaires. » (A, 88) Les moments qu’ils partagent sont beaucoup plus intimes et leur relation est beaucoup plus physique que dans le premier livre. Le fait que la fille aille au lycée et qu’elle soit dans un pensionnat lui laisse plus de liberté. Sa mère n’est pas là pour veiller à ce qu’elle fait. Les seuls moments où la famille est en compagnie du Chinois, ils se comportent de la même façon que la mère et Joseph avec M. Jo « Mes frères ne lui [l’amant] adresseront jamais la parole. C’est comme s’il n’était pas visible pour eux, comme s’il n’était pas assez dense pour être perçu, vu, entendu par eux. » (A, 65) 52 5. Conclusion Dans ce mémoire nous avons proposé une étude comparative d’Un Barrage contre le Pacifique et de L’Amant de Marguerite Duras en étudiant l’aspect autobiographique des deux livres. A travers les termes de vérité, de mémoire et de métatextualité nous avons observé que les deux livres comportent des éléments autobiographiques, chacun d’une manière différente. L’analyse au niveau métatextuel, a montré que les références présentes dans L’Amant influencent notamment l’interprétation d’Un Barrage contre le Pacifique mais également d’autres livres du même auteur. Bien que l’un soit présenté comme un roman et l’autre ne porte pas d’étiquette de genre, nous avons constaté grâce à une analyse des différents personnages qu’ils ont plus de points communs que l’on ne pourrait penser au premier abord. De nombreux éléments forment une sorte de fil rouge qui se rattache à la vie de l’auteur. Le fait que le narrateur soit omniscient dans le premier livre mais externe à l’histoire fait que l’on ne peut pas qualifier Un Barrage contre le Pacifique d’autobiographie. En créant une distance entre elle-même et l’histoire, le genre romanesque est dominant. Ce n’est qu’après la lecture de L’Amant que des rapprochements avec la vie de l’auteur peuvent être explicités. Le mélange entre la première et la troisième personne du singulier dans le second livre donne à l’histoire un caractère à part oú les limites entre les différents genres sont effacés. Le mélange de différents genres montre que Duras ne désire pas entrer dans une catégorie. Les rapprochements que l’on fait après la lecture de L’Amant deviennent encore plus clairs grâce à une analyse des textes au niveau métatextuel. En effet, les liens entre les deux textes et à l’intérieur du texte lui-même, montrent que ce fil rouge est bel et bien présent, non seulement dans les deux livres étudiés ici mais également dans d’autres textes du même auteur. Enfin nous avons également constaté que pour être crédible et pour qu’un texte porte un degré autobiographique, la sincérité de l’auteur est plus importante que la vérité absolue. Les limites entre fiction et réalité sont floues donc le terme de sincérité semble plus approprié que le terme de vérité. Grâce à certaines annotations faites par l’auteur dans le 53 texte, nous comprenons pourquoi elle n’a jamais choisi d’écrire sous forme autobiographique dans des textes antérieurs à L’Amant. Si les relations métatextuelles dans les deux textes étudiés montrent qu’en effet la lecture du second roman influence celle du premier, les différents personnages et leur relation soulignent cette idée encore plus. De nombreux personnages sont récurrents dans les deux livres. Bien que certains détails soient changés, des connections peuvent êtres faites. La folie de la mère, l’attirance envers le Chinois ou encore un frère agressif mais pour lequel elle ressent un certain amour incestueux sont des sentiments décrits dans Un Barrage contre le Pacifique et qui se retrouvent dans L’Amant. Tous les personnages sont reliés les uns aux autres par le personnage féminin principal : Suzanne ou la jeune fille. Le but de notre recherche n’était pas de pouvoir donner une étiquette aux deux livres analysés mais à montrer leur complexité. La compréhension du premier livre change après la lecture du second. Bien sûr, un certain nombre d’éléments pouvaient déjà être liés à la vie de l’auteur avant l parution de L’Amant mais grâce à ce livre, la complexité de l’écriture et les renvois dans les textes sont mis en avant et permettent au lecteur de mieux comprendre non seulement Un Barrage contre le Pacifique mais également d’autres textes de Marguerite Duras. 54 6. Bibliographie Ouvrages cités Adler, Laure. Marguerite Duras. Paris : Gallimard, 1998. Armel, Aliette. Marguerite Duras et l’autobiographie. Pantin : Le Castor Astral, 1990. Colonna, Vincent. Autofiction & autres mythomanies littéraires. Auch : Editions Tristram, 2004. Duras, Marguerite. L’Amant. Paris : Les éditions de Minuit, 1984. Duras, Marguerite. La passion suspendue. Entretiens avec Leopoldina Pallotta delle Torre. Paris : Editions du seuil, 2013. Duras, Marguerite. Un Barrage contre le Pacifique. Paris : Gallimard, 1950. Genette, Gérard. Palimpestes. La littérature au second degré. Paris : Editions du Seuil, 1982. Gusdorf, Georges. Auto-bio-graphie. Paris : Odile Jacob, 1991. Hubier, Sébastien. Littératures intimes. Les expressions du moi, de l’autobiographie à l’autofiction. Paris : Armand Colin, 2003. Lecarme, Jacques. Universalia, 1984. Fiction romanesque et autobiographie. Paris : Lejeune, Philippe. Le pacte autobiographique. Paris : Editions du Seuil, 1975. Lejeune, Philippe. Moi aussi. Paris : Editions du Seuil, 1986. Les lieux de Marguerite Duras, en collaboration avec Michelle Porte, Editions de Minuit, 1977 Miraux, Jean-Philippe. L’autobiographie. Ecriture de soi et sincérité. Paris : Nathan Université, 1996. Toonder, Jeanette den. « Qui est-je ? » L’écriture autobiographique des nouveaux romanciers. Bern : (Publications Universitaire Européennes) Peter Lang, 1999. 55 Emission télévisée Apostrophes, prod. Antenne 2, émission de Bernard Pivot, réalisation Jean Cazenave, diffusion 28 septembre 1984. 56