Le point de vue d`un professionel - Le kinésithérapeute

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Le point de vue d`un professionel - Le kinésithérapeute
formation continue
Photo 1.
D.R.
La rééducation après intervention du syndrome du canal carpien opéré
(140 000 cas annuels) consiste à conserver la fonction de la main ou
à en récupérer les déficits des formes graves, à prévenir tout enraidissement
et autres complications. Conduite de façon douce, elle donne d’excellents
résultats sans générer d’effets secondaires. Son coût reste dérisoire
comparé à celui des arrêts de travail.
par Jean-Claude Ferrandez, Avignon
CANAL CARPIEN
Tour d’horizon
Le syndrome du canal carpien (SCC) est une affection
fréquente. En France, le nombre de SCC opérés annuellement est estimé à 140 000. Son incidence sur le
nombre de jours d’arrêts de travail est diversement
appréciée selon les patients qu’il affecte. S’il touche
des intellectuels, leur l’activité n’est pas interrompue.
Pour les artisans, l’arrêt de travail s’élève entre 8 et
20 jours. Pour les fonctionnaires, il atteint 1 à 3 mois.
Sa longueur varie aussi lorsqu’il rentre dans le cadre
d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Il s’étend alors de 2 à 8/12 mois.
Responsable de très nombreuses questions de la part
de nos patients, cet article court est destiné à rappeler
les données relatives à son étiopathogénie, ses traitements et le rôle de la rééducation.
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LES DONNÉES MÉDICALES
Le syndrome du canal carpien est le tableau clinique
associé à la compression irritative du nerf médian
(voir photo 1) à son passage sous le ligament annulaire du carpe. Nerf primordial avec des contingents
moteurs et sensitifs au niveau de la main avec le cubital,
le nerf médian chemine à l’avant-bras dans la partie
superficielle de la loge antérieure au contact des tendons fléchisseurs communs superficiels. Il passe sous
le ligament annulaire antérieur (rétinaculum des fléchisseurs). Le canal carpien est plus un “tunnel” anatomique
(d’où la dénomination anglo saxone “carpal tunnel”)
limité en avant par le ligament annulaire et les os du
carpe sur lesquels il s’insère (scaphoïde et trapèze
d’un côté et pisiforme et os crochu de l’autre). Il est
à remarquer que les éléments qui passent dans le
Ka
canal carpien convergent de l’avant-bras vers cet espace
réduit avant d’en diverger pour s’étaler dans la paume
et vers les doigts. Ce ligament joue le rôle d’une poulie,
permettant aux éléments qui le traversent, de coulisser
lors des mouvements passifs et actifs du poignet.
La symptomatologie
Elle est la traduction d’un conflit mécanique du contenu
et du contenant. Que le premier grossisse, que le second
soit fonctionnellement trop étroit ou qu’il s’agisse
d’une combinaison des deux, le nerf médian est comprimé. Les étiologies sont très nombreuses.
La pathogénie qui explique ce syndrome se base sur
deux phénomènes liés à la compression du nerf. Le
premier est en relation directe avec la contrainte
mécanique de la gaine du nerf sur le relief osseux, la
seconde est en relation avec la mise en tension des
petites artères qui assurent la vascularisation du nerf.
La symptomatologie est progressive. Elle touche deux
fois plus fréquemment la femme que l’homme au-delà
de la cinquantaine. La gêne est le plus souvent d’abord
sensitive et nocturne. Il s’agit de paresthésies dans les
doigts innervés par le médian et de troubles moteurs
si le syndrome est ancien ou aigu. Des douleurs typiques
apparaissent dans le territoire sensitif du médian. Elles
affectent les trois premiers doigts dans leurs régions
antérieures et parfois la moitié radiale du quatrième.
Ces douleurs sont majorées dans la deuxième partie
de la nuit. Elles sont caractéristiques de l’atteinte du
nerf. Ces signes sensitifs peuvent être reproduits par
la mise en flexion du poignet (signe de Phalen) ou
d’extension. La compression directe du nerf au niveau
du canal peut provoquer également les mêmes douleurs. Les signes moteurs quant à eux s’expriment
souvent beaucoup plus tardivement (à l’exception du
SCC aigu) Ils concernent les muscles innervés par le
médian (court abducteur, court fléchisseur pour son
faisceau superficiel, les premiers lombricaux). La perte
de la force affecte les pinces avec une amyotrophie de
la loge thénar. Ces signes moteurs n’apparaissent qu’avec
la chronicité du syndrome non traité ou lors d’un syndrome aigu qui représente une urgence chirurgicale.
L’exploration électromyographique est toujours demandée par le chirurgien pour confirmer l’atteinte du
médian au niveau du poignet. L’exploration concerne
les voies de conduction motrices et les voies sensitives, ces dernières sont altérées le plus souvent.
Le traitement médical
Le traitement médical avec la prescription d’anti-inflammatoires est une première attitude. Il est légitimement
proposé car près d’1 SCC sur 3 est symptomatologiquement réversible. Il est adapté à l’intensité des
signes douloureux. L’infiltration est parfois proposée
avec de bons résultats immédiats mais diminuant avec
le temps. Elle permet le diagnostic différentiel de la
hauteur de l’atteinte du nerf médian.
Les orthèses nocturnes sont une aide précieuse à ce
stade. Il s’agit d’orthèses de repos réalisant un soutien
du poignet et des doigts. Il s’agit d’orthèses palmaires
statiques longues.
La rééducation du SCC non opéré n’a pas fait la preuve
de son efficacité. Pas plus que certains traitements
ostéopathiques rapportés par certains à propos d’un
cas. Ces résultats isolés, s’ils semblent intéressants
doivent être soutenus par le résultat de séries compte
tenu la réversibilité spontanée de certaines formes.
LA CHIRURGIE
Elle concerne les résultats insuffisants du traitement
médical et les formes graves du SCC.
Son but est de faire disparaître la compression. L’intervention consiste en la section du ligament annulaire
sur toute sa hauteur. Cette section permet la chute de
la pression (de façon identique à celle obtenue par
l’aponévrectomie dans un syndrome des loges). Elle
autorise un soulagement très rapide pour la majorité
des formes peu anciennes. Dans les formes plus chroniques, la chute de la compression ne suffit pas et le
processus inflammatoire du nerf prend plus de temps
pour disparaître. Une synovectomie est parfois nécessaire.
Les techniques chirurgicales se réalisent le plus souvent de façon traditionnelle par chirurgie à ciel ouvert
réalisant l’incision de l’aponévrose palmaire moyenne
ou par endoscopie et de façon plus récente avec les
plasties. Les suites opératoires restent cependant marquées fréquemment par les douleurs, le manque de
force, l’insuffisance de récupération sensitive ou motrice
et les récidives ne sont pas si rares.
La chirurgie classique à ciel ouvert réalise une courte
incision verticale en regard du rétinaculum. Réalisée
sous anesthésie loco régionale par bloc plexique et
garrot pneumatique, il s’agit d’une chirurgie conventionnelle. La fermeture par points résorbables permet
de ne plus protéger la cicatrice par un pansement dès
le15e jour.
La chirurgie endoscopique évite l’incision de la peau
en regard du carpe. Elle demande cependant une installation plus longue au bloc opératoire.
L’utilisation des plasties a permis de façon récente de
reconsidérer cette chirurgie et ses suites. Son principe
est basé sur l’observation de la section du ligament
annulaire qui se traduit en peropératoire par la création d’un espace nouveau entre les deux berges sectionnées. L’espacement des deux berges correspond à
la position de non-tension du canal. Cet espace peut
être comblé par une plastie locale ou reconstruit par
un implant protecteur du rétinaculum.
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formation continue
Ka
Cet implant protecteur du canal carpien dit
“Canaletto” est destiné à reconstruire le ligament épais
après son ouverture ; il permet ainsi de restituer la
continuité de ce ligament tout en pérennisant la
décompression du canal carpien. Le nerf médian est
immédiatement protégé et la force est récupérée
beaucoup plus rapidement.
LA RÉÉDUCATION POSTOPÉRATOIRE
La rééducation postopératoire du SCC n’est pas systématique. La prescription est bien entendu laissée au
jugement du chirurgien. Les Cpam notent des différences du nombre de séances de rééducation postopératoires avec une moyenne nationale de 13.
Le but de la rééducation est de permettre dans la
majorité des cas de mobiliser les doigts et le poignet.
Il s’agit également de freiner l’enthousiasme de certains
qui en feraient trop et de stimuler ceux qui n’en
feraient pas assez. Ces deux types de patients très différents courent le même risque d’algoneurodystrophie.
La rééducation est systématiquement proposée aux
patients porteurs de formes graves du SCC.
Que proposer ?
La rééducation est débutée le lendemain ou le surlendemain de l’opération en conservant le pansement.
Elle est destinée à montrer au patient que les mouvements des doigts sont possibles mais qu’ils doivent
être réalisés paisiblement (voir photo 2). Les mouvements les plus simples sont à contrôler. La flexion-
Photo 2.
sée à la fermeture des doigts. Des exercices de dissociation des fléchisseurs superficiels sont proposés en
faisant réaliser des flexions de certains rayons digitaux
alors que les autres sont maintenus en extension.
La flexion extension du poignet est réalisée au plateau
canadien, l’avant-bras est maintenu par des buchettes.
La main repose à plat sur le plateau. Les inclinaisons
radiales et cubitales sont effectuées également au plateau. L’avant-bras stabilisé par des buchettes, la main
repose sur la paume. Une feutrine peut être interposée entre la main et ce dernier pour faciliter le glissement. Les exercices sont également reproduits comme
précédemment, lentement et sans chercher immédiatement les amplitudes maximales. La main est fermée
sans écrasement sur une balle en mousse pour maintenir un contact de la paume et des pulpes avec un
objet. L’amplitude de la flexion est limitée dans sa
course interne pour éviter le conflit des tendons fléchisseurs et du nerf médian avec la zone de l’incision.
Les mouvements du pouce sont souvent travaillés en
dernier. Des séries simples d’opposition utilisent les
mouvements qui servent à la cotation de Kapandji.
Les exercices de pinces en séries réalisent successivement des contacts avec les différentes pulpes puis avec
le 5e doigt. Il s’agit de diriger la flexion de la colonne
du pouce dans la diagonale qui permettra la cotation
10 si celle-ci peut être réalisée par la main controlatérale qui sert de référence. Le travail du pouce est
effectué initialement sans résistance pour éviter la
traction des insertions des muscles thénariens sur le
ligament rétinaculaire.
A l’issue de 15 jours, les points, le plus souvent résorbables, sont enlevés et le travail mécanisant de la cicatrice peut débuter (photo 3). L’œdème péricicatriciel
résiduel est traité par des manœuvres de drainage
manuel pulpaire effectuées de part et d’autre de la
cicatrice. Les pétrissages doux sont utiles. L’application
des ultrasons utilisés en pulsé peut-être réalisée, le gel
de contact ne nuisant pas à la cicatrisation de l’incision qui est fermée à ce stade. Un travail d’appui du
poignet faisant rouler la cicatrice sur une balle en
mousse permet au patient de la réaccoutumer au
D.R.
extension des doigts est recherchée. Elle est réalisée
en position de facilitation : l’avant-bras reposant sur la
table sur le bord ulnaire, le poignet en légère extension de telle manière que la colonne du pouce soit
dans l’alignement de l’avant-bras. Les doigts s’ouvrent
et se ferment lentement sans chercher initialement une
amplitude extrême. Les exercices répétés en série sont
entrecoupés de temps de repos. Avec un temps
d’échauffement, la pulpe des doigts longs parvient à
toucher la paume. Le but est atteint, tous les tendons
fléchisseurs coulissent. Aucune résistance n’est oppo-
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Photo 3.
D.R.
Ka
Photo 4.
D.R.
contact avec les objets. Une progression peut se réaliser avec des mousses de densité successivement plus
résistante.
En cas de troubles de la sensibilité induits par l’incision,
l’utilisation d’une désensitization vibratoire permet de
rapidement faire disparaître cet inconfort.
En fin de progression, la stabilisation du poignet peutêtre renforcée par des mouvements en prise fermée
sur un objet qui est déplacé dans l’espace.
Dans les formes graves du SCC, la rééducation est
dirigée en fonction d’un bilan kinésithérapique qui détermine les muscles amyotrophies et cible les exercices.
Qu’éviter ?
La rééducation doit maintenir les capacités d’enroulement des chaînes digitales avec le contact “pulpe paume”
en s’assurant de l’extension des doigts. Les mouvements doivent être libres sans résistance. Les gestes à
éviter sont ceux d’une répétition longue et intense
sans temps de repos. Le travail précoce contre résistance (la “baballe-thérapie” ou l’utilisation de “musclors”)
semble être à l’origine de certains états inflammatoires souvent rencontrés ou du début de certains
syndromes douloureux réflexes chroniques de type 2.
LES NOUVELLES VOIES DE TRAITEMENT
ET DE RECHERCHE : L’IMPLANT
DU CANAL CARPIEN CANALETTO
Depuis mars 2001, l’équipe du Dr Duché (SOS Main,
Avignon) a travaillé sur une nouvelle voie de reconstruction du rétinaculum des fléchisseurs grâce à l’implant Canaletto®™ (voir photo 4). A ce jour, elle a
9 ans de recul avec plus de 7 000 implants posés par
une centaine de chirurgiens. La technique chirurgicale
est simple et l’intervention est réalisée à ciel ouvert :
la pose de l’implant allonge le temps opératoire de 5
à 7 minutes. Il n’est à déplorer aucune complication
particulière et le taux de retrait de cet implant se
situe en dessous de 1 % sans iatrogénicité aucune.
La dernière étude porte sur une analyse prospective
comparative de 400 patients avec implant Canaletto®™
versus 400 patients opérés à ciel ouvert. Le recul
maximal est de 6 ans. Le taux de guérison du syndrome
du canal carpien est de 97,25 % dans le groupe
Canaletto et de 96,11 % dans le groupe ciel ouvert. La
qualité de la cicatrisation est meilleure dans le groupe
Canaletto avec moins d’œdèmes et de douleurs dans
80 % des cas (mesures comparatives de l’épaisseur de
la main au pied à coulisse). La récupération d’une
force mesurée au Jamar comprise entre 80 et 100 %
de la force préopératoire est obtenue chez 67 % des
patients avec Canaletto contre 33 % des patients ciel
ouvert à 1 mois de l’intervention. Dans 20 % des cas,
l’implant Canaletto®™ n’améliore pas la récupération
de force. A long terme (plus de 3 ans) le groupe
Canaletto présente une force comprise entre 120 et
200 % de la force préopératoire supérieure au groupe
contrôle. La récupération sensitive mesurée par échelle
visuelle analogique est également meilleure dans le
groupe Canaletto avec une moyenne de 8,9/10 contre
5,8/10 dans le groupe ciel ouvert chez les patients
déficitaires en préopératoire. Aucune récidive de
canal carpien n’est pour l’instant à déplorer avec le
recul. L’arrêt de travail moyen passe de 5 semaines dans
le groupe ciel ouvert à 3 semaines dans le groupe
Canaletto.
Cet implant présente des avantages multiples et plusieurs rôles lui sont conférés. Le kinésithérapeute
retiendra :
1. Le rôle protecteur pour le nerf médian et les tendons.
2. Le rôle mécanique en assurant la reconstruction du
rétinaculum grâce au pont stabilisateur des deux
berges médiales et latérales (principe de la pierre
de clé de voûte en architecture).
3. Le rôle de guide pour les cicatrisations sus et sousjacente. Induction d’une membrane de revascularisation nerveuse.
4. Le rôle fonctionnel en supprimant le risque de subluxation médiale des fléchisseurs du quatrième et
du cinquième doigt et en permettant l’appui immédiat des tendons sur un élément rigide.
5. Le rôle futur de vecteur biologique ou médicamenteux.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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