Xavier Gosé, son influence sur les derniers modernistes décadents

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Xavier Gosé, son influence sur les derniers modernistes décadents
1 Xavier Gosé, son influence sur les derniers modernistes
décadents et l’Art Déco en Espagne
Elisée TRENC
Université de Reims
[email protected]
Résumé : L’art de Xavier Gosé a joué un rôle important auprès de la dernière
génération des artistes modernistes décadents par son raffinement ainsi qu’auprès de la
génération des illustrateurs et affichistes espagnols Art Déco par le synthétisme et la
géométrisation de son dessin et sa riche gamme chromatique orientalisante.
Abstract: The art of Xavier Gosé influenced the last generation of the modernist and
decadent artists because of his refinement and also the new generation of Spanish
illustrators and Art Déco poster-designers by his synthetism, his geometrical design and
the rich orientalist chromatic range.
Mots-clés : Xavier Gosé, arts graphiques, Modernisme catalan, Art Déco
Keywords: Xavier Gosé, graphic arts, Modernisme, Art Déco
Xavier Gosé est né en 1876, il appartient donc à la deuxième génération du
Modernisme, celle d’Isidre Nonell et Joaquim Mir, nés en 1873, Joaquim Sunyer (1874)
et Ricard Canals (1876), qui sont plus jeunes d’une dizaine d’années que la génération
centrale du Modernisme, celle de Ramon Casas et Santiago Rusiñol, nés dans les années
1860. Gosé suit les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Barcelone, la Llotja, entre 1891
et 1897, mais son véritable maître fut le dessinateur de presse réaliste, Josep Lluís
Pellicer, qui l’aidera à se débarrasser de l’enseignement académique et l’orientera vers
les scènes réalistes de la rue. Gosé fréquente la célèbre brasserie « Els Quatre Gats » et
collabore à la revue du même (6 avril 1899). Proche de la « Colla del Safrà », de Mir et
de Nonell, il dessine le monde prolétaire des banlieues de Barcelone qu’il présente dans
la grande salle de « Els Quatre Gats » en avril-mai 1899. L’exposition eut beaucoup de
succès et le grand critique catalan de l’époque, Raimon Casellas1, parlant des 38 dessins
au fusain, rehaussés d’aquarelle et de pastel, souligna cette vision de tristesse
banlieusarde prolétaire qui était la marque de cette deuxième génération moderniste à
cette époque-là. Mais en même temps, il s’inscrit aussi dans le courant Art Nouveau
avec ses collaborations en 1898 pour la revue El Gato Negro. Un de ses dessins sera
même repris pour illustrer la couverture du catalogue de l’exposition El modernismo en
España (Madrid, 1969). En 1900, Gosé s’installe à Paris et commence à collaborer dans
les revues de la presse satirique parisienne, Cocorico, Le Rire, L’Assiette au Beurre,
Frou-Frou, Sans-Gêne, etc. Ceci ne l’empêche pas de collaborer entre 1901 et 1904 à
des revues barcelonaises, Catalunya Artística, Il·lustració Llevantina, La Ilustración
Artística, sans oublier son importante exposition individuelle à la Sala Parés en octobre
1
C [ASELLAS]. « IV Gats : Exposició Gosé ». La Veu de Catalunya, Barcelona, 114 (26 avril
1899), p. 2.
2 1903. Comme le remarque Raimon Casellas2, même si son style reste synthétique et
réaliste, il y a un changement thématique important dans son œuvre, et c’est l’image de
la femme, de l’éternel féminin, qui remplace petit à petit les scènes de la vie prolétaire,
même si au départ il s’intéresse au monde interlope de la prostitution, aux protecteurs de
ces dames, à leur clientèle, dans une intention toujours satirique de dénonciation du
cynisme et du mercantilisme des bas-fonds. Ceci se fait peu à peu, car surtout dans
L’Assiette au Beurre, Gosé va dresser un portrait satirique des Rastaquouères, des
Sportsmen, et surtout de la monarchie espagnole avec des caricatures du roi Alphonse
XIII, critiquant en bon républicain et libéral qu’il était, le cléricalisme, l’oppression et la
décadence de son pays natal.
Les années 1906 et 1907 constituent une sorte de transition pour son art, qui devient
plus raffiné comme on peut le voir dans ses dessins pour la revue mondaine, spirituelle
et distinguée La Vie Parisienne et pour la couverture du roman Toute à l’amour. Son
style réaliste antérieur disparaît, l’artiste représente le monde du Paris mondain et
frivole, et il nous transmet le charme de l’élégance et du raffinement. En 1907 il
commence à collaborer à Le Témoin, la revue fondée par le grand dessinateur Paul Iribe,
en 1908 à la grande revue satirique allemande Simplicissimus et en 1910 à Jugend, la
revue munichoise la représentative de l’Art nouveau, le jugendstil en Allemagne. C’est
à ce moment-là que Gosé, élégant et mondain, introduit dans le demi-monde, devient un
des meilleurs dessinateurs de mode du Paris de la Belle Époque, et il collabore à partir
de 1912 aux principales revues spécialisées Journal des Dames et des Modes, de La
Gazette du Bon Ton et de Femina.
Pour comprendre et juger l’art de Gosé, sa nouveauté à l’époque, et l’influence qu’il
exerça sur les dessinateurs en Espagne, il faut tout d’abord insister sur le fait qu’il s’agit
d’un art de l’estampe et non de la peinture. Il s’agit donc d’une œuvre décorative, il n’y
a pas d’imitation de la nature, de l’atmosphère, de la lumière, du modelé ou du volume ;
c’est une œuvre arbitraire, aussi bien dans les formes que les couleurs qui ne se
justifient que par une harmonie interne. La composition est japonisante, c'est-à-dire
essentiellement plane, asymétrique, dynamique, souvent en diagonale, avec une savante
utilisation du vide qui fait ressortir les formes pleines du dessin. Ce dernier est devenu
très fin et délimite les couleurs en aplats. Cependant il est toujours nerveux, d’une
extraordinaire précision et il décrit parfaitement les types féminins de Gosé, raffinés et
« fin de race ». Leur expression se trouve le plus souvent dans les corps que dans les
visages, souvent inexpressifs et d’une beauté conventionnelle. Généralement, les
mouvements, l’attitude, la coupe des vêtements c'est-à-dire la silhouette intéressent plus
Gosé que l’observation psychologique. Notre artiste évolue volontairement dans un
univers superficiel, un monde de l’artifice, de l’apparence et il semble vouloir nier à
toutes ces demi-mondaines la possibilité d’avoir des sentiments, une âme. Gosé
s’éloigne de plus en plus du dessin en arabesques de l’Art Nouveau et de sa profusion, à
laquelle il avait toujours opposé sa sobriété. Il accentue les traits rectilignes, géométrise
les formes humaines et la décoration des fonds, influencé en partie par un cubisme
géométrique non déformateur, à la manière des dessins humoristiques contemporains de
Juan Gris. À cette influence générale dans les arts décoratifs, à partir des années 1910,
de la géométrisation cubiste, il faut ajouter l’influence orientale contemporaine, avec
l’inspiration persane des créations du grand couturier Paul Poiret et des célèbres ballets
russes de Diaghilev avec les décors et costumes de Léon Bakst. C’est dans la gamme
chromatique de Gosé que l’on voit le mieux l’influence orientale. Il s’agit évidemment
d’un orientalisme raffiné, pas du tout barbare ou violent. Les couleurs, toujours en
2
CASELLAS, Raimon. « Cosas d’art. Exposició Gosé ». La Veu de Catalunya, Barcelona, 1698 (14
octobre 1903), p. 3. 3 aplats, harmonieuses, créent des nuances raffinées surtout dans les vêtements féminins.
L’artiste utilise une gamme chromatique d’une grande variété, il joue du contraste entre
le noir et le blanc, le sombre et le clair, ce qui lui permet de mettre en valeur le rouge ou
le bleu d’une fleur décorative. Il utilise beaucoup des marrons et des jaunes, des
camaïeux de couleurs automnales qui s’harmonisent avec des verts-bleus, formant des
ensembles d’une grande délicatesse.
Ainsi, en unissant une certaine géométrisation des formes et un certain exotisme
oriental du chromatisme, Gosé, avec d’autres grands dessinateurs de l’époque, Barbier,
Bakst, Boutet de Monvel, Iribe et Lepape, préfigure le style Art Déco qui triomphera
dans les années 1920. On peut dire que ce mouvement naît dans le domaine de la mode,
précisément entre 1910 et 1914, avec grâce à Paul Poiret la suppression du corset et la
liberté du corps féminin couvert par des vêtements qui s’adaptent aux mouvements.
Il apparaît donc que Gosé est à la charnière entre le monde de la Belle Époque et le
goût moderne des années 1920. En Catalogne, Gosé, bien que contemporain du
Noucentisme, ce mouvement de retour au classicisme et à la culture méditerranéenne,
n’en fait pas partie, n’y est pas inclus, à cause de sa modernité parisienne. Néanmoins il
est un des responsables de la liquidation du Modernisme dans les arts graphiques, à
Barcelone, mais surtout en Espagne comme nous allons le voir maintenant, à travers ses
imitateurs et parfois plagiaires. La connaissance directe que les jeunes artistes
madrilènes et barcelonais eurent de l’art de Gosé est un fait important et qui ne doit pas
être négligé, car il explique en grande partie son influence. Gosé exposa à Madrid, en
1909, au Salon Vilches, 75 œuvres, peintures, aquarelles et dessins. L’exposition fut
commentée élogieusement par la presse3 et eut, comme nous le verrons, un impact sur
les jeunes artistes espagnols. À la fin de l’année 1911, notre artiste présenta une
centaine d’œuvres dans les Galeries Dalmau, de Barcelone. Bien que reconnu comme
un artiste international, qui avait triomphé à Paris, on note dans la critique orthodoxe
« noucentiste » de Folch i Torres, une tendance à considérer son art comme étranger4.
Néanmoins à Barcelone, bien avant l’exposition, Gosé était connu par ses collaborations
aux grandes revues parisiennes et allemandes déjà citées, et il avait déjà été imité
comme nous allons le voir maintenant.
L’influence de Gosé en Catalogne et en Espagne
Barcelone
Gosé n’eut qu’une seule élève, Laura Albéniz. Notre artiste était très ami d’Isaac
Albéniz et la jeune Laura, née en 1890, commença à dessiner très jeune, influencée par
le dessin de Gosé, sa ligne dynamique, son élégance et la composition japonaise en
diagonale. Ceci apparaît dans ses ex-libris de 1906, ainsi que dans un dessin en couleurs
de visage de femme à rapprocher d’un pastel de Gosé. Dans cette dernière génération
des artistes modernistes, nés dans les années 1880, que Laura Mercader5 a qualifié de
Els darrers modernistes decadents, et qu’elle n’arrive pas à situer vraiment puisqu’elle
s’interroge dans son titre Modernistes o noucentistes ?, je me suis demandé si Gosé
3
ALCANTARA, Francisco. « En el Salón Vilches – Exposición Gosé ». El Imparcial, Madrid (22
novembre 1909), p. 4 ; DOMENECH, Rafael. « La vida artística – Exposición Gosé ». El Liberal, Madrid
(27 novembre 1909), p. 2 ; « Dos exposiciones – Salón Iturrioz – Salón Vilches ». La Época, Madrid (30
novembre 1909), p. 2.
4
FOLCH i TORRES, Joaquim. « La den Gosé a can Dalmau ». La Veu de Catalunya. Suplement artístic,
Barcelona (7 décembre 1911), p. 2.
5
MERCADER, Laura. « Modernistes o noucentistes ?... Els darrers simbolistes decadents ». El
Modernisme, pintura i dibuix. Barcelona : Edicions L’isard, vol. III (2002), p. 301-316.
4 avait pu les influencer, sachant que Laura Albéniz faisait partie de ces artistes et qu’elle
exposa avec certains d’entre eux, Nestor, Smith et Andreu en 1911 à Barcelone, dans la
galerie du Faians Català. Il y a chez ces quatre artistes un côté précieux, dandy, qui a
certainement quelque chose à voir avec l’univers mondain et raffiné de Gosé (voir le
portrait d’Ismael Smith par Mariano Andreu)6), mais Gosé n’est pas un décadent, et en
fait une autre influence, plus profonde, apparaît chez eux, et c’est celle d’Aubrey
Beardsley, le maître même de ce courant décadent symboliste européen, avec son côté
thématiquement pervers et stylistiquement synthétique, dont ils avaient pu connaître
l’œuvre dans l’atelier d’Alexandre de Riquer7. Néanmoins, pendant le long séjour
d’Ismael Smith à Paris, entre 1910 et 1914, même si on n’a pas de témoignage direct de
contacts entre Smith et Gosé, l’influence du second sur le premier est évidente, surtout
dans le domaine de la mode. Smith, ami, ainsi que Mariano Andreu, de Laura Albéniz,
ne pouvait ignorer l’œuvre amplement diffusée par les revues de mode de Xavier Gosé.
Rappelons que Smith obtient en 1911 une bourse de la Municipalité de Barcelona pour
un séjour à Paris, qui se prolongera jusqu’en 1914, jusqu’à la Première Guerre
mondiale. À partir de 1912, on trouve dans les gravures à l’eau-forte réalisées par Smith
à Paris8, d’élégantes silhouettes féminines habillées dans le même style que la nouvelle
mode lancée par les revues Gazette du Bon Ton ou Journal des Dames et des Modes,
avec les artistes déjà mentionnés, Iribe, Lepape, Boutet de Monvel et Gosé. On y trouve
aussi quelques dandys vêtus de frac, que l’on retrouve également dans le portrait de
Smith de ces années-là par Mariano Andreu, qui rappellent aussi les élégants qui
accompagnent les mannequins de Gosé. Mais là où l’influence de Gosé ne fait aucun
doute c’est dans les illustrations de figurines de mode réalisées par Smith, en 1913, au
Journal des Dames et des Modes9. Smith est alors très proche, aussi bien dans le
traitement raffiné de la ligne, que dans la gamme chromatique, de l’art de Barbier, de
Gosé, de cette nouvelle mode parisienne inventée par Poiret. Mais après son départ de
Paris en 1914, Smith va cultiver une thématique espagnole, la corrida et le flamenco en
une sorte d’espagnolade qu’il continuera à pratiquer à New York à partir de 1919, et si
l’on trouve encore des figures féminines dans ses gravures et ex-libris, ce seront des
manolas ou des danseuses de flamenco.
D’autres illustrateurs catalans de cette génération subirent également, surtout au
début de leur carrière, avant de rentrer dans l’ordre « noucentiste », l’influence de Gosé.
Un exemple significatif est celui de beaucoup de collaborateurs de la revue Papitu qui
apparut en 1908, qui fut dirigée jusqu’en 1911 par Feliu Elias, qui marqua l’époque et
qui, par sa qualité, fut considérée par Josep Pla comme une des rares publications de
niveau européen qui furent éditées à Barcelone. Parmi les jeunes dessinateurs de la
revue, l’influence de Gosé est évidente dans certaines illustrations de Francesc Labarta,
Manuel Humbert ou Juan Gris. Le dessinateur peu connu Ramon Roqueta, douze ans
plus jeune que Gosé, fut un de ses imitateurs. Il travailla pour l’éditeur López et exposa
aux Galeries Dalmau en 1917. Plus personnel fut le dessinateur Joan Vila Pujol, plus
connu sous son pseudonyme d’Ivori, qui travailla surtout dans le monde de la
bibliophilie. Bien qu’adaptés à un contexte catalan « noucentiste », classique et
méditerranéen, ses ex-libris des années 1910 ont quelque chose de l’élégance et du
6
Reproduction du dessin dans Xavier Gosé il·lustrador de la modernitat, monografies 03.
Barcelona : Museu nacional d’art de Catalunya, 2015, p. 209.
7
TRENC, Eliseo. « Alexandre de Riquer, ambassadeur de l’art anglais et nord-américain en Catalogne ».
Mélanges de la Casa de Velazquez, T. XVIII (1982), p. 311-359.
8
GARCIA HERRAIZ, Enrique y BORBONET I SANT, Carmina.
Ismael Smith grabador.
Barcelona : Biblioteca de Catalunya, 1989.
9
Ismael Smith París 1913, calendari 2008. Barcelona : Víctor Oliva.
5 raffinement de Gosé. C’est surtout dans l’affiche Art Déco des années 20, avec Baldrich
et Josep Alumà, auteur des affiches de music hall des revues présentées à Barcelone, Cri
Cri et Charivari que se refléta à Barcelone le reflet du monde hédoniste et moderne des
spectacles parisiens introduit par Gosé. On pourrait citer aussi Eduard Jener, le designer
qui travaillait pour la maison de parfums Myrurgia, et Rafael Tona, illustrateur de
couvertures de la revue cosmopolite D’Ací i D’Allà.
Madrid
Nous avons divers témoignages qui attestent de l’influence de l’art de Gosé dans
l’illustration et l’affiche en Espagne à partir des années 1910. Le critique d’art très
influent à Madrid, José Francés, qui était le critique attitré de la revue La Esfera, dont
nous allons reparler tout de suite, rappela en 1915, à la mort de Gosé, la grande
influence qu’il eut sur ses contemporains10 :
Ya no veremos más las siluetas gentiles, esbeltas, envueltas en pieles o medio
desnudas dentro de gasas y sedas cosidas con orientales líneas. Ni tampoco las otras
gallardas o varoniles en mozos de jaquette o de frac que servían de figurín a los
sudamericanos aclimatados en París. Sin embargo, tal vez esta afirmación no sea
exacta. Tal vez sigamos viéndolas. Pero firmadas con otro nombre que no es el de
Gosé, sino los de … ¡tente pluma! No esperaron a su muerte los plagiarios. Si ha
existido un artista que tuviera el orgullo de influir sobre contemporáneos, ha sido
Gosé. ¿Nombres? ¿Para qué? Hojead las colecciones de Mundial Magazine, de Por
Esos Mundos, de Nuevo Mundo, incluso de La Esfera, para hallar a Gosé con otras
firmas.
Le grand affichiste et illustrateur de l’époque, Rafael Penagos, reconnaissait lui aussi
la grande admiration qu’éprouvèrent envers Gosé tous les dessinateurs de sa
génération11 : « Todos los de mi época hemos visto a Gosé, que, a su vez, nos
interpretaba al griego Galanys. Luego nos libertamos como pudimos ».
Ce que l’on a appelé le décorativisme dandy a une claire continuité dans les arts
graphiques espagnols, essentiellement dans les publications madrilènes Blanco y Negro,
Nuevo Mundo et La Esfera. De même les maisons de parfums Floralia, Gal et Myrurgia
fondèrent leur succès commercial sur le design publicitaire qui fut attribué aux mêmes
artistes. En premier lieu, l’influence de Gosé apparaît nettement dans la première
époque de Penagos, avant que vers le milieu des années 20, son dessin devienne
complètement Art Déco. Mais cette influence apparaît aussi chez les deux autres grands
affichistes, avec lui, des années 20 en Espagne, Salvador Bartolozzi et Federico Ribas.
L’artiste de Valladolid José Loygori figure parmi les plagiaires les plus connus de Gosé,
alors que bien d’autres illustrateurs s’inspirent du monde de Gosé. Ils recréent tous
l’atmosphère mondaine, raffinée de ses compositions, avec des femmes d’une grande
pâleur, des yeux en amande, vêtues à la dernière mode, avec un air très chic,
l’esthétique des mannequins. Il y a également un domaine où Gosé apparaît très
moderne, très Art Déco, c’est celui de l’image sportive moins frivole, plus dépouillée et
surtout plus dynamique, plus synthétique (joueuse de golf, patineur, baigneuse, etc.),
que l’on retrouve les années 1920 dans les affiches Art Déco espagnoles de Baldrich,
Penagos, etc.).
10
FRANCES, José. « De Norte a Sur – Javier Gosé ». La Esfera. Ilustración mundial, Madrid, 663 (avril
1915), p. 18.
11
ROBLES, Antonio. « Entrevista a Penagos » in Penagos (1881-1954). Centro cultural Conde Duque.
Madrid, 1969, p. 22. 6 En dehors de la valeur intrinsèque de son œuvre, je pense que Gosé a joué un grand
rôle dans l’implantation d’un art graphique en Espagne, qui a représenté la liquidation
définitive du Modernisme entre 1908 et 1914. En Catalogne, la situation était assez
complexe avec l’implantation du mouvement culturel du Noucentisme, qui reposait plus
sur un changement stylistique tourné vers un retour au classicisme, à un primitivisme
inspiré de l’art antique et à un retour à une tradition catalane folklorique artisanale, en
partie assez éloigné des propositions de raffinement et de préciosité de l’art de Gosé.
Mais il serait faux de croire que l’époque du Noucentisme fut homogène, et Eugeni
d’Ors lui-même, le grand théoricien du mouvement, avant de basculer dans l’orthodoxie
« noucentiste » après 1911, ne fut pas insensible au décadentisme et à la préciosité des
dessinateurs du Papitu et du quatuor Smith, Laura Albéniz, Marià Andreu et Nestor.
Symptomatiquement, après leur exposition au Faians Català, les quatre jeunes artistes
repartirent à l’étranger en 1911, à Londres ou à Paris, ce qui montre bien la difficulté
d’une tendance autre que l’officielle alors à Barcelone, et comme Gosé lui-même, ils
furent jugés comme trop exogènes par les « noucentistes » militants. Néanmoins, en
Catalogne comme dans toute l’Europe, le triomphe de l’Art Déco dans les arts
décoratifs et les arts graphiques se consolida dans les années 1920, et, comme nous
l’avons vu, l’héritage du précurseur de l’Art Déco que fut Gosé, put être récupéré. En
Espagne et à Madrid en particulier, Gosé fut un modèle du passage de la Belle Époque à
la modernité dans les années 1910. Il fut un des introducteurs de ce cosmopolitisme
artistique moderne qui débarrassa les arts graphiques espagnols d’une tradition réaliste
encore présente dans les pages de Blanco y Negro, et des arabesques de l’Art Nouveau.
La stylisation et le synthétisme de son art furent une des voies qui amenèrent la forte
implantation de l’Art Déco dans les années 20 en Espagne.
7 ANNEXES
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8 Gosé, Gazette du Bon ton, 1912
9 L’assiette au Beurre n°118 (04/07/1903)
10 !
Quatre Gats, n°9 (06/04/1899), couverture.
11 Vila, Joan, Ex-libris Montserrat i Mercè