Page 1 sur 2 TelQuel : Le Maroc tel qu`il est 14/05/2005 http://www

Transcription

Page 1 sur 2 TelQuel : Le Maroc tel qu`il est 14/05/2005 http://www
TelQuel : Le Maroc tel qu'il est
N° 175
Page 1 sur 2
Samedi 14 Mai 2005
Webmaster
Archives
Interview (enfin, presque). Archane craque
Sahara. Les méandres de la marocanité
Société. Orphelins à la rue !
Festival. Sur la route du Boulevard
Hommage. Fatna Bent Lhoucine. Eloge d'al aïta
Par Mohamed Ameskane*
Hommage.
Fatna Bent Lhoucine. Eloge d’al aïta
(DR)
Boulevard des jeunes musiciens, J-27 : making of d’un festival
100% bénévole, miroir d’une génération qui n’a pas froid aux
yeux.
J'ai rencontré Fatna Bent Lhoucine, à l’occasion du décès de Mohamed
Bouhmid, pionnier au Maroc de la recherche sur al Aïta. Je co-réalisais
alors, un documentaire en hommage à sa mémoire, "Bouhmid et la
folie d’al Aita". Derrière la pop star, j’ai découvert une dame d’une
grande dignité. En nous recevant chez elle à Tlat Sidi Bennour, moi et
l’équipe de la RTM, elle
nous servit du thé à la menthe, des gâteaux et nous raconta des bribes de sa tumultueuse vie. Sur le
documentaire, ses propos rivalisaient en sincérité avec ceux d’une pléiade de spécialistes. Dans le lot,
Alessandra Tucci, une éthno-musicologue italienne qui commença à s’intéresser à la aïta après avoir écouté
un CD de Fatna Bent Lhoucine, édité par l’Institut du monde arabe à Paris. Alessandra rédige actuellement
une thèse pointue sur le sujet…
De cette rencontre, je garde l’image d’une dame fière. Elle était née à El Hasba (à côté de Safi), dans le
berceau de la tragédie épique de Kharboucha. Assassinée au 19° siècle, cette dernière était une cheikha,
poétesse de la tribu des Oulad Zid, et avait défié le pouvoir autoritaire du caïd Issa Ben Omar El Abdi et de
ses sbires. Mais elle avait fini par être emmurée par ses hommes, rapporte la mythologie locale. Orpheline,
Fatna subit quelques décennies après la disparition de Kharboucha, la cruauté d’une sœur sans cœur.
Adolescente, n’aimant que le chant et la danse, elle fugue. Ainsi débuta l’épopée de celle qu’on considère
comme la dernière représentante du blues des plaines atlantiques. Une disciple des voix archéologiques des
http://www.telquel-online.com/175/sujet5.shtml
14/05/2005
TelQuel : Le Maroc tel qu'il est
Page 2 sur 2
Rouida, El Arjounia, Bent Loukid et de la judéo-marocaine Reno. Voix gravées dans les lourds 78 tours des
Baidaphone, Polyphone et autres Pathé Marconi dans les années trente et quarante. Des morceaux de
cheikha Reno ont été exhumés récemment et gravés sur CD. Ils sont sortis aux états-Unis, loin de leur terre
inspiratrice et nourricière, loin du Maroc !
Safi, Tlat Sidi Bennour, Azemmour, Louis Gentil-Youssoufia, Casablanca… Une vie d’incessantes fuites et de
providentielles rencontres. Cheikha El Ghalia, El Qasmiate, Oulad Sbita, Salah Smaili, Si Jalloul… Ce fut le
temps "de la beauté, de la jeunesse et du métier". Deux rencontres furent décisives dans la carrière de
Fatna Bent Lhoucine : celle de Khaddouj El Abdia, dont quelques 45 tours jaunis sauvegardent l’icône qui
vous marque avec sa longue et noire chevelure et son fameux grain de beauté. C’est cette dernière qui
l’initia aux subtilités de l’art aïti. La deuxième rencontre est celle des fréres Oulad Ben Aguida qui ne la
quittèrent qu’au bout de vingt ans de collaboration. La rencontre a eu lieu à la Terrasse, haut lieu des nuits
casablancaises des années soixante dix. "Si tu veux taper la tasse, attends qu’on arrive à la Terrasse",
entonne l’une de ses chansons. Elle s’y produisait en compagnie d’autres troupes, à l’instar du mythique duo
amazigh Bennasser Oukhouya et Hadda Ouakki, auteurs du tube "Manich manna", repris aujourd’hui par
d’autres, sur les chaînes satellitaires, qui ne prennent pas soin de citer leurs auteurs ! Fatna chante à Casa,
fête et célèbre la ville de Sidi Belyout. "Casa est notre pays, j’implore le propriétaire du palmier" est le
refrain de "âar aalik a moul nakhla". Avec Oulad Ben Aguida, elle dirige la deuxième troupe de chikhates à
se produire sur les planches du défunt théâtre municipal, après Bouchaïb El Bidaoui, "Cheikh al achiakh". à
l’époque, elle sillonne les villes du pays et celles de l’étranger. Au cours d’une longue tournée en Europe, elle
se lie d’amitié avec l’un des grands derniers représentants de l’Amarg du Souss, Demsiri. Ce dernier lui prêta
ses "Raïssate" après la défection d’une partie de sa troupe. Arabophones, berbérophones, même java ! Les
années quatre-vingt furent celles de la télé. Les archives de la RTM conservent de mémorables soirées des
samedis soir avec, outre Fatna, Cheikha Hamounia, El Khouda et l’infatigable Hajja Hamdaouia… Après son
pèlerinage et sa "retraite", la chaîne nationale lui a rendu deux hommages avec les émissions "naghma
watay" et "baina jilain". Je n’oublierai pas de citer le documentaire qu’Iza Genini à consacré aux chikhates
dans sa série "Le Maroc : Corps et âmes". Fatna Bent Lhoucine en fut la vedette. On le revoit de temps à
autres, au fil du zapping, sur TV5 et autres chaînes thématiques. Bent Lhoucine n’a pas eu d’enfants. Elle a
sacrifié sa vie au plaisir des autres. Elle a laissé d' inoubliables refrains. Fredonnons- les en guise de prière !
*Auteur d'un documentaire de la RTM sur Fatna Bent Lhoucine
Discographie. Un répertoire époustouflant
Le regretté Mohamed Bouhmid, en connaisseur averti, l’avait surnommée "Souk al attar", l’échoppe de
l’herboriste où on peut tout dénicher. En "Tabaâ", maîtresse incontestée de son art, Bent Lhoucine excelle
dans les multiples facettes d’al aïta. Elle maîtrise les difficiles classiques d’al Hasba, région de Abda, les
"Kebt l’ikhil ala l’lkhil", "Hajti f’grini", "Kharboucha", "Rjana fi l’aali", "Al ammala", "Barghala"… Elle fait la
joie des Mersaouis avec "Rkoub l’khil", "Illi bgha habibou", "Dami", "Jalini"… excelle dans le Zaari, le
Chiadmi, le Khribgui, le Mellali, ainsi que dans les Swakens, célébration des "moualin l’mkan", les
propriétaires du lieu ou les mille et un saints qui jalonnent la géographie et l’histoire de ce pays. Sans
oublier une infinité de compositions dont une partie est l'oeuvre du poète autodidacte Moulay Thami Filali.
Citons les incontournables "Alaar a lahbab", "L’hmama", "Hlakni zine", "Wa malkoum, malkoum",
"Rada,rada"… A son actif plus de deux cents chansons, une cinquantaine de cassettes audio-vidéo. Un
patrimoine à sauver, à sauvegarder, à l’air du tout numérique, pour la mémoire… du futur !
© 2005 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés
http://www.telquel-online.com/175/sujet5.shtml
14/05/2005