La Croix - L`obscur avenir des trains de nuit

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La Croix - L`obscur avenir des trains de nuit
L’obscur avenir des trains de nuit
Le train reliant Paris à Berlin a fait son dernier voyage de nuit le 12 décembre. Une décision qui illustre les difficultés des lignes
ferroviaires nocturnes en Europe, et notamment en France.
Lapegue Bertrand/PHOTOPQR/SUD OUEST
Train de nuit Paris-Hendaye, en gare de Bayonne.
Berlin n’est plus au bout de la nuit. Le dernier départ du train nocturne entre Paris et la capitale allemande a eu lieu le
12 décembre. À la gare de l’Est, d’où est parti le convoi, des membres du collectif «Rendez-moi mon train» protestaient
contre cette disparition par ailleurs contestée au sein même de l’opérateur, à savoir la Deutsche Bahn (DB), l’équivalent
allemand de la SNCF. Des actions similaires étaient menées outre-Rhin et des pétitions internationales de voyageurs sur
Internet réclament le rétablissement de ce lien ferroviaire, vieux de plusieurs dizaines d’années.
La fin du Paris-Berlin n’est pas un cas isolé. Les dernières années ont vu disparaître bien d’autres liaisons européennes
sous les étoiles. Parmi les plus récentes, les trains Elipsos entre l’Espagne et la France ou encore la ligne Paris-Rome
exploitée par l’opérateur privé Thello. «Le programme de 2015 ne prévoit plus de Prague-Copenhague ni de
Bâle-Amsterdam», indique une porte-parole de la Deutsche Bahn, une société qui fait rouler de nombreux «City night
line».
L’argumentation est financière. «Au global, le nombre de passagers sur les lignes de nuit a baissé de 30% ces dix
dernières années», explique-t-on à la DB. En cause: la concurrence de l’aérien à bas coût et de la grande vitesse
ferroviaire. Les trains de nuit allemands auraient perdu plusieurs dizaines de millions d’euros. Cependant, la DB affirme
qu’il ne faut pas interpréter ces disparitions comme «le début de la fin des trains de nuit».
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Selon Arnaud Aymé, du cabinet Sia, si nombre de compagnies maintiennent des trains de nuit, c’est d’abord pour une
question d’image. Mais «en réalité, elles pensent qu’il n’y a pas de salut en dehors de la grande vitesse», estime-t-il.
Le spécialiste rappelle que les lignes internationales de nuit exigent des accords entre les compagnies et les réseaux des
pays traversés et qu’elles mobilisent davantage de personnel qu’un train de jour. Surtout les taux de remplissage seraient
médiocres. «Au global, les jeunes préfèrent l’avion à bas coût et depuis peu le covoiturage, tandis que les touristes se
concentrent sur quelques trains mythiques, souligne Arnaud Aymé. Et les pertes qui étaient supportables ne le sont plus
aujourd’hui, d’autant que les voitures datent de près de cinquante ans et coûteraient une fortune à remplacer.»
La douzaine de trains de nuit français Intercités n’échappe pas à ces menaces. «La SNCF aimerait pouvoir n’opérer que
des trains de nuit saisonniers: l’hiver, vers les stations de ski, et l’été, vers le Sud», affirme un connaisseur du dossier.
Ces trains sont en effet lourdement déficitaires, le syndicat de cheminots Unsa évoquant une perte annuelle de
350 millions d’euros. «Leur recette ne couvre pas la moitié des coûts d’exploitation, indique Thierry Marty, secrétaire
général adjoint de l’Unsa-transport. Et les voitures-couchettes sont à bout de souffle.» Le syndicat estime qu’il faudrait
investir 200 millions d’euros pour du nouveau matériel.
Contactée, la SNCF précise qu’elle ne peut s’exprimer sur des trains dont l’offre reste du ressort de l’État. Depuis 2010,
les anciennes grandes lignes classiques (de jour comme de nuit), dénommées maintenant trains d’équilibre du territoire
(TET), sont conventionnées par l’État, qui en garantit l’avenir. Sa contribution s’est élevée en 2014 à 325 millions d’euros,
mais cette somme est financée à 95% par une taxe prélevée… sur la SNCF.
La recherche du modèle économique des TET, de jour comme de nuit, fait aujourd’hui l’objet des travaux d’une
commission que le gouvernement a confié au député (PS) du Calvados Philippe Duron. La concurrence des TGV et de
l’aérien est là aussi évoquée. Le développement du covoiturage et la libéralisation annoncée des transports en autocar
pourraient également contribuer à leur fragilisation. En attendant, la convention entre l’État et la SNCF a été prolongée
d’un an.
«Parmi les TET, les trains de nuit captent près du tiers de ce que verse l’État alors qu’ils représentent moins de 10% du
trafic d’Intercités», dit-on à l’Unsa qui évoque une chute de fréquentation de 30% en cinq ans. Selon Jean Sivardière,
président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, ces lignes sont pourtant utiles et
pourraient encore attirer de nombreux usagers. «À condition qu’on sache capter la clientèle, dit-il. Or la SNCF se
désintéresse de ces trains. L’information est presque inexistante et le service se dégrade.»
Un constat que partage le secrétaire général du syndicat de cheminots First, Bernard Aubin. «Tout est fait pour inciter les
clients à voyager le jour, dit-il. La nuit, les incidents sont fréquents et la réservation n’est possible que quelques jours à
l’avance car ces trains perturbent les très nombreux chantiers de nuit et sont souvent annulés…»
Dans ce contexte morose, le Paris-Venise se distingue. Il est exploité depuis fin 2011 par Thello, seul concurrent venu
défier la SNCF dans une gare de l’Hexagone (1) après que cette dernière a abandonné les trains de nuit vers l’Italie. «En
2014, nous devrions avoir transporté 340 000 personnes sur cette ligne, avec un chiffre d’affaires de 31 millions d’euros et
un léger profit», indique Albert Alday, directeur général de cette filiale du français Transdev et de Trenitalia (les chemins
de fer transalpins).
En revanche, le Paris-Rome, lancé fin 2012, n’a pas connu le succès escompté et a été arrêté. «Le potentiel des trains de
nuit n’est pas évident, estime l’économiste Yves Crozet. Ils vont peut-être connaître ce qui s’est passé pour les bateaux
transatlan-ti-ques: devenir un marché de niche concentré sur le luxe.»
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LES MODES DE TRANSPORT EN EUROPE
Selon le rapport 2013 de la SNCF sur « les mobilités en Europe », le marché du transport de voyageurs dans l’Union
européenne reste dominé par l’automobile, qui totalise 83% du nombre total «voyageurs x kilomètres». Cette unité de
mesure utilisée par les spécialistes équivaut au transport d’un voyageur sur une distance d’un kilomètre.
Les modes collectifs routiers (bus et cars) arrivent en deuxième position avec 8,8 % des « voyageurs x kilomètres »
européens. Suivent le rail (7%) et le tram et le métro (1,6%).
La France se caractérise par une part modale du train plus élevée, avec 10 % et surtout la plus forte distance parcourue
en train par habitant et par an: 1 410 km.
Entre 2008 et 2012, le trafic ferroviaire des Trains express régionaux (TER) a augmenté de près de 12 %, alors que celui
des TGV n’a progressé que d’environ 3%. Plus de 2 milliards de voyageurs ont pris un train à grande vitesse depuis 1981.
Michel Waintrop
(1) Thello vient de lancer une liaison de jour entre Marseille et Milan.
http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/L-obscur-avenir-des-trains-de-nuit-2014-12-28-1285672
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