Médiation et démocratisation culturelle

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Médiation et démocratisation culturelle
HETS – Module E6 – Article
Juin 2011
Médiation et démocratisation culturelle
Lorsqu'on entend résonner la douce appellation « démocratisation culturelle », on
ne peut s'empêcher de penser à un monde idéal où la culture serait équitablement répartie
et accessible en tous lieux et pour toutes « classes sociales », envers et contre toutes
barrières qu'elles soient physiques, psychologiques ou financières. On imagine avec un
sourire mêlant fierté et satisfaction le peuple qui s'est battu pour que la culture « élitaire »,
« dominante » soit accessible, depuis la Révolution Française à nos jours, via Malraux,
l'éducation populaire...Et quoi depuis?
Les étudiantes appliquées que nous sommes se sont penchées sur ce thème en
espérant réussir à produire un état des lieux (non exhaustif) et une réflexion sur la
question. Certes parfois un peu « genevo-genevoise » et centrées sur notre formation,
nous avons pris le parti de contextualiser notre approche. Et ce, uniquement de notre point
de vue d'étudiantes en travail social.
Des mots lourds de définitions
Les travailleurs sociaux, entre autres, participent déjà beaucoup à la démocratie
culturelle, notamment en maisons de quartier et autres lieux d'accueil libre, en favorisant
l'expression culturelle des groupes (des minorités, entre autres). Par contre l'aspect de la
démocratisation est a priori plutôt investi par les champs politique et artistique. Lors de nos
recherches, nous avons naturellement été orientées vers un axe émergeant dans
l'animation socioculturelle, celui de la médiation culturelle.
Ces mots « fourre-tout » ne reflètent en rien la définition de cette pratique. Tout
d'abord médiation est utilisé pour désigner le lien entre deux entités, créé par un tiers
(personnes ou objets) : médiation de voisinage, conciliation juridique, médiation scolaire,
outils de médiation, etc. Ce mot a donc une connotation conflictuelle dans le langage
courant1. Que dire ensuite de culturel, tant utilisé, et regroupant de multiples définitions et
notions. Nous garderons celle de l'UNESCO au sens de patrimoine culturel2. Par ailleurs
un médiateur culturel est aussi en charge de faire le lien entre deux cultures, au sens
« ethnique » du terme.
Nous sommes donc plus dans une médiation socio-esthétique où se crée un
discours entre le « regardeur » et l’œuvre, ainsi qu’une certaine lecture de celle-ci.
Politique de démocratisation de la Ville de Genève
L'étude sur les pratiques culturelles des genevois-es (M.I.S Trend 2004) met à mal
la politique de démocratisation culturelle menée depuis 1992. En effet, les résultats de
l’enquête révèlent les points faibles des politiques de la ville et du canton en matière de
démocratisation culturelle.
1 Même si étymologiquement il renvoie à intermédiaire ou à centre
2 Voir UNESCO (2003). Culture : définition. sous
http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.phpURL_ID=29911&URL_DO=DO_PRINTPAGE&URL_SECTION=201.html
et UNESCO (2008). Culture : définition du patrimoine culturel. sous
http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.phpURL_ID=34050&URL_DO=DO_PRINTPAGE&URL_SECTION=201.html
Céline Berset & Charlotte Deléamont
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Tout d’abord, il y est établi une hausse de fréquentation des institutions culturelles.
Or il ne s’agit pas d’un public élargi, mais d’une augmentation de la fréquence des visites
de la part du public déjà existant.
La réussite d’une démocratisation culturelle, et dans le cas qui nous intéresse d’une
médiation culturelle, réside dans l’élargissement d’accès, d’information, et donc
d’interpellation du non-public.
En effet, le défi a relevé est de pouvoir
réunir tout un chacun autour d’une seule et même œuvre. C’est à ce moment précis que
l’animateur entre en scène, car doté de valeurs sociales propres à son métier. Ainsi le
médiateur détient toutes les clés pour une mener intervention adéquate.
L'animation socioculturelle
Nous sommes à l'heure de la professionnalisation des métiers de la culture. La
création de nouveaux CAS3 dans ce domaine, avec en parallèle l'avant projet de loi sur les
arts et la culture4, inscrivent à nouveau et plus précisément la démocratisation et la
médiation au sein du paysage culturel genevois. Malgré cela, nous avons le sentiment que
l'animation socioculturelle peine encore à former dans le domaine culturel. Est-ce dû à un
petit complexe d'infériorité des travailleurs sociaux, ou à une idéologie de rejet de la
culture consacrée dite « dominante »? La HETS de Genève s’y met concrètement, par
une approche de la médiation culturelle avec le tout récent remaniement du cursus , qui
amène donc l'aspect du lien à développer entre le public et l’œuvre par l’animation
socioculturelle.
Jusqu'à présent, la médiation culturelle était le domaine des historiens de l'art ou
des artistes. L'axe privilégié était donc plutôt la transmission d'informations sur l’œuvre et
l'artiste, et en second, l'aspect social, relationnel, et le développement de la pensée des
publics. Un renversement s'est produit, et il est temps que les travailleurs sociaux
prennent part et développent la médiation sous tout son aspect de développement de la
pensée critique et d’expression de la citoyenneté.
Critiques et questionnements
De prime abord, la relation directe entre démocratisation culturelle et médiation ne
sera effective que lorsque celle-ci arrivera à toucher ce que Francis Jeanson appelle le
non-public. Sinon pourquoi tenter de mettre en place des activités de lien entre les œuvres
et le spectateur, si celui-ci est déjà tout entier acquis à ce genre de pratiques, au risque de
se retrouver dans des groupes de joyeuse « masturbation intellectuelle ». Dès lors, il
s'agirait donc de les appeler Clubs (de lecture, de danse, etc.).
La définition même de démocratisation induit une certaine division. Nous prenons le
parti de ne pas la nier, car il existe bel et bien un art valorisé qui relève du patrimoine.
L’argent public injecté dans les musées contribue à une valorisation de ceux-ci. Mais les
politiques tarifaires pratiquées restent élitistes5. Peut-on dès lors parler d’une redistribution
équitable, en terme d’accessibilité, au contribuable?
3 Certificate of Advanced Studies (CAS) HES-SO
4 Voir à ce sujet le dossier de la Ville de Genève sous www.geneve.ch/scc/dossiers/consultation_culture.asp
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Voir à ce sujet Enquête sur les pratiques culturelles dans le canton de Genève sous http://www.villegeneve.ch/fileadmin/public/Departement_3/Rapports/pc_rapport.pdf
Céline Berset & Charlotte Deléamont
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Concernant l’augmentation de fréquentation des lieux culturels, le revers de la
médaille serait alors d'amasser un nombre considérable de personnes, qui, par ricochet,
prive ainsi une autre catégorie de la population de l'accès complet aux œuvres. Prenons
comme exemple extrême : le musée du Louvre à Paris drainant tant de personnes que la
plupart du patrimoine exposé est inaccessible.
Pour reprendre les mots d'un proche désirant rester anonyme: « Et puis quoi? On
se retrouve avec des tas de cons en short et appareil photo dans les églises et galeries
romaines et dans les musées parisiens!!! ».
Pour prendre la part de l'avocat du Diable, la facilité réside alors dans la proposition
de laisser la culture à ceux que ça « intéresse vraiment » et préservons-nous du qu'en
dira-t-on...
Par Céline Berset et Charlotte Deléamont,
Pour toutes réflexion, critiques, insultes ou propositions d’emploi, veuillez vous adresser
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