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BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT
INSTITUT ISLAMIQUE DE RECHERCHE ET DE FORMATION
Document d’Information
No. 7
BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT
INSTITUT ISLAMIQUE DE RECHERCHE ET DE FORMATION
STATUT LEGAL (HOKM)
DES TRANSACTIONS BANCAIRES
AVEC INTERET
Dr Hassan Abdullah Al Amin
Document d’Information
No. 7
(Original : en Arabe)
1
© BANQUE ISLA MIQUE DE DEVELOPPEMENT, 2002
INSTITUT ISLAMIQUE DE RECHERCHE ET DE FORMATION
King Fahd National Library Cataloging-in-Publication Data
Al-AMIN, HASSAN ABDALLAH
Statut Légal des Opérations Bancaires avec Intérêt- Djeddah
50 pages, 17 cm X 24cm
ISBN
9960-32-115-0
1. Les Banques Islamiques
330.121 dc
2. L’Adresse
5050/22
Legal Deposit no . 5050/22
ISBN
9960-32-115-0
Les opinions exprimées dans ce livre ne reflètent pas nécessairement celles de
l’Institut Islamique de Recherche et de Formation ou celles de la Banque
Islamique de Développement.
La référence à ce livre et les citations sont permises à condition d’en mentionner
la source.
Première édition 1422H (2002)
2
AU NOM D’ALLAH LE TRES MISERICORDIEUX,
LE TOUT MISERICORDIEUX
3
4
TABLE DE MATIERES
Page
PREFACE………………………………………………………………………… 7
INTRODUCTION………………………………………………………………. 9
PREMIER CHAPITRE : Al Riba (L’Usure)……………………………….. 13
Sens du Riba…………………………………………………………….. 15
Sens du Riba dans l’acception de la Charia………………………… 15
Premier Type : Riba al Jahiliyya……………………………………… 16
Commentaires des Exégètes…………………………………………… 17
Commentaires des Savants du Fiqh………………………………….. 19
L’intérêt des Prêts ne fait pas partie de Riba Al Fadhl……………… 21
Deuxième Type : Riba Al Biyou’ (L’intérêt des Ventes)…………… 24
DEUXIEME CHAPITRE : L’intérêt Bancaire……………………………. 27
Le terme Intérêt sur le Plan Linguistique…………………………….. 29
Sens du mot Intérêt dans la terminologie de la Chari’a……………. 29
Différence entre Intérêt et Profit……………………………………… 30
Différence entre intérêt et Produit…………………………………….. 31
Différence avec le Sens Conventionnel de l’intérêt Bancaire……… 31
Conformité du Sens de l’intérêt Usuraire avec celui de l’intérêt
Bancaire…………………………………………………………………. 31
Caractère Evident du Problème……………………………………….. 33
TROISIEME CHAPITRE : L’intérêt Bancaire et Al Salam…………… 35
Réfutation de l’Assertion selon laquelle l’intérêt bancaire s’inscrit
dans le cadre de Al Salam……………………………………………… 37
5
Al Salam n’a pas lieu si les deux termes de l’Echange
sont les Nakdein (l’Or et l’Argent)………………………………… 39
QUATRIEME CHAPITRE : Les Types d’Opérations Bancaires…… 41
Premier Type
:
Les Services …………………………………… 43
Deuxième Type :
Octroi des Crédits et de Prêts………………… 44
ANNEXE :
(3ème) Résolution de l’Académie du Fiqh Islamique
à Djeddah concernant le Statut Légal des Opérations
bancaires avec Intérêt et Celui des Opérations
Bancaires Islamiques………….……………………………………. 47
REFERENCES ……………………………………………………………….. 49
6
PREFACE
Né avec l’histoire, Al Riba ou l’usure a été un problème grave dont les
peuples ont toujours souffert. C’est ainsi que le peuple arabe de la période préislamique et même après l’avènement de l’Islam en ont subi les effets néfastes.
C’est pourquoi, l’attitude de l’Islam, à son sujet a été des plus claires, des plus
fermes et des plus sévères. De tous les interdits, Al Riba a été effectivement le
plus dénoncé et condamné. Allah Tout Puissant a même menacé de mener la
guerre contre ceux qui le pratiquent : «Ô les croyants! Craignez Allah et
renoncez au reliquat de l’intérêt usuraire si vous êtes croyants. Et si vous ne le
faites pas, alors recevez l’annonce d’une guerre de la part d’Allah et de Son
Messager » D’où l’interdiction formelle et unanime du Riba. Notons que non
seulement, les religions divines l’ont proscrit mais de nombreux penseurs non
musulmans l’ont déclaré répréhensible et condamnable.
Toutefois, une certaine controverse a été soulevée au sujet du Riba, et
précisément celui qui est visé par l’interdiction prescrite dans les textes de la
Chari’a. Peut-on considérer comme Riba, les intérêts imposés par les banques
sur les prêts, malgré l’avantage, selon les uns, tiré par les deux parties? Faut-il
croire à la permissibilité des intérêts considérés comme une contrepartie de la
baisse du pouvoir d’achat résultant des prêts différés? Ou bien doit-on
considérer les intérêts perçus par les banques, à titre de vente à livrer (Salam) et
non de prêt? Ne doit-on pas estimer les prix, préalablement fixés, sur les
emprunts obligataires -appelés certificats d’investissement- et qui sont
surajoutés à leur valeur fixe, comme une incitation à l’épargne ou comme une
forme de Moudaraba reconnue par la Chari’a ?
Doit-on juger permissible ce qui, dans le cadre de Sadduth-thara’e
(blocage des expédients) peut réaliser une Maslaha (utilité) et éviter une
Mafsada (nuisance), comme pour le cas de Riba Al Biyou (intérêts usuraires des
ventes) et comme le déclare Ibn Al Quayyem Al Jousiyah ?
Telles sont toutes ou quelques-unes des questions qui continuent à être
soulevées, malgré les innombrables discussions et débats qui ont animé les
nombreux séminaires et conférences, tenus à ce sujet, et malgré les recherches,
les études et les ouvrages qui ont abordé ce problème.
7
La présente étude cherche à répondre à toutes ces questions, examinant
le problème du Riba dans ses origines mêmes. C’est ainsi qu’elle se réfère à ses
fondements dans la Charia pour mieux l’appréhender, tout en établissant des
comparaisons entre les différentes conceptions et acceptions qui s’y rapportent.
Tous ces problèmes- et dans leurs moindres détails- ont été analysés, débattus et
élucidés. Adoptant une approche à la fois critique et analytique, l’étude a réfuté
tous les raisonnements formulés par ceux qui ont soulevé ces questions par des
arguments irrécusables et des preuves concluantes, mettant terme ainsi à toutes
ces controverses et présentant des solutions définitives à cette importante
question. L’Institut Islamique de Recherche et de Formation, de la BID, chargé,
entre autres, de dégager et d’éclaircir, du point de vue Islamique, les problèmes
d’ordre financier et économique, a le plaisir de présenter au lecteur musulman,
cette sérieuse recherche, élaborée par l’un des éminents spécialistes en ce
domaine, Docteur Hassan Abdullah Al Amin, membre de l’Institut.
Prions Allah Tout Puissant, pour que ce travail soit une défense de
l’Islam et un rempart contre les doutes et allégations des falsificateurs, et qu’il
soit profitable à tous les musulmans.
La réussite ne dépend que d’Allah
Allah nous suffit, Il est Notre Meilleur Garant
Directeur de l’IIRF
Prof. Dr Abdul Hamid Hassan Al
Ghazali
8
Introduction
Le sujet de cette recherche nous a été dicté par l’attitude de certains
penseurs et chercheurs dans le domaine de l’économie et des banques, et qui
continuent à estimer que les transactions bancaires avec intérêts- actuellement
pratiquées dans les banques commerciales et autres- sont permises par la
Chari’a. Ils fondent leur raisonnement sur les points suivants :
1.
C’est la Maslaha des deux parties qui est ainsi réalisée, alors
qu’il n’en résulte aucune Mafsada (nuisance). Or, la réalisation
de la Maslaha est permise par la Charia d’Allah Tout Puissant.
2.
S’il faut parler de Riba, il s’agit en fait, de Riba Al Fadhl. Or
son interdiction, selon Ibn Al Quayyem, n’a été prescrite que
pour bloquer les expédients (Sadduth thara’e). Par conséquent,
ce genre de Riba, d’après ces économistes, est permis dans les
cas de nécessité impérieuse, ou lors qu’il réalise une Maslaha et
évite une Mafsada: « Al Riba, disent-ils du prêt conditionné
par un surplus appartient à ce genre de Riba » et non au Riba
An Nassia’ interdit par le Saint Coran.
3.
Pour d’autres, la détermination au préalable d’un certain
surplus, comme profit, sur les fonds destinés à l’investissement
sous forme de certificats d’investissement ou de caisses
d’épargne est possible, vu qu’il s’agit d’un accord établi par le
consentement réciproque des deux parties. Aucun différend ne
peut donc surgir, étant donné que chacune des deux parties
connaît bien son droit. Par conséquent, on ne peut parler ni
d’interdiction ni de Riba dans ces transactions1.
Il est donc, évident que le problème des opérations bancaires avec
intérêt, telles qu’elles sont pratiquées par les banques commerciales, ainsi que
les autres procédés d’investissement, sus-mentionnés, exigent, une étude
sérieuse, plus approfondie et surtout plus exhaustive, malgré tous les ouvrages
et articles qui leur ont été consacrés et qui comportent des opinions nettes et
1
Ces opinions seront analysées et discutées dans le chapitre (1)
9
claires prescrivant l’interdiction de ce type d’opérations bancaires, à caractère
usirier.
L’Académie du Fiqh Islamique de l’OCI, étant la plus haute autorité
Islamique spécialisée, a pris, en conséquence, l’initiative d’entreprendre une
étude à ce sujet et d’aboutir à une résolution pour départager les différentes
opinions qui s’y rapportent.
Ayant été invité par l’Académie du Fiqh Islamique, avec d’autres
éminents chercheurs spécialisés en la matière, à étudier ce problème et à y
porter remède, fondé sur des bases scientifiques permettant au Conseil de
prendre une résolution à son sujet, j’ai modestement accepté cette invitation. Le
projet de recherche soumis au Directeur de Département de Recherches de
l’Institut Islamique de Recherche et de Formation (IIRF) de la BID, a été admis
et inclus au programme de recherches de l’Institut, dans le cadre habituel de la
coopération entre l’Institut et l’Académie du Fiqh.
Plan d’Etude :
Cherchant à adopter une démarche scientifique afin de réaliser l’objectif
visé par l’étude de ce problème, nous avons suivi le plan suivant :
Dans un premier chapitre, nous avons essayé de déterminer l’acception
et le sens du mot Riba au niveau linguistique ainsi que son concept chez les
Arabes et dans leurs coutumes et usages et sa connotation pour eux. Le sens du
mot Riba, avec le signe de détermination (Alef, Lam) a été ensuite expliqué, tel
qu’on rencontre dans la Parole d’Allah Tout Haut : « Allah a rendu licite le
commerce et illicite l’intérêt1 » et en tant que pratique exercée dans certaines de
leurs opérations. Des exemples ont été donnés de ce qu’ils entendaient par ce
terme pour mieux l’expliquer et l’élucider.
Le second chapitre a été consacré à préciser, sur le plan linguistique et
celui de la Charia, le sens du mot «intérêt» et celui de termes similaires, tels
que le profit et le produit. Le sens de l’intérêt bancaire a été ensuite expliqué,
tout en établissant des parallèles entre cette forme d’intérêt et les aspects de
gains licites, qui sont le profit, le produit ainsi que l’intérêt permis par la
Chari’a. Nous avons également comparé l’intérêt bancaire au Riba dans son
acception courante et connue depuis la période pré-Islamique et dont
l’interdiction a été prescrite dans le Saint Coran. Nous avons cherché par là à
1
Sourate Al Baqqara (La Vache, 275)
10
conférer à l’intérêt bancaire soit un statut légal s’il ressemble à ces aspects de
gains précités et permis par la Chari’a, soit celui de l’interdiction, si, au
contraire, cet intérêt bancaire ressemble ou est analogue au Riba (intérêt
usuraire) interdit par Allah Tout Haut. Cette analyse et ces comparaisons nous
ont permis d’aboutir à la conclusion suivante. « L’intérêt bancaire est totalement
différent de l’intérêt dans l’acception du Fiqh Islamique, comme il diffère des
autres aspects de profits licites tels que le produit et les gages ou salaires. Par
contre, cet intérêt bancaire est parfaitement analogue au Riba dans son
acception de la période pré-Islamique, interdit par le Coran sous ses deux
formes, couramment pratiquées par les Arabes à cette période ».
D’autre part, il a été ainsi prouvé que le Riba des prêts contractés sous
condition d’une augmentation par rapport à leur valeur initiale, n’est qu’une
copie conforme du Riba de la Jahiliyya (période pré-Islamique) cité et prohibé
par le Coran. En outre, les intérêts bancaires actuels sont en fait une
concrétisation de ce type de Riba, connu dans la Jahiliyya, qui ne fait point
partie du Riba Al Fadhl, vu qu’il ne s’inscrit pas dans le cadre du Riba Al
Biyou’e (des ventes), interdit par la Sunna, pour autoriser ces interprétations
avancées par les tenants de cette opinion et qui considèrent les intérêts
bancaires permissibles.
Troisièmement :
L’opinion d’après laquelle les intérêts bancaires entrent dans le cadre
de Salam, et ne constituent pas une augmentation dans le montant d’un prêt, a
été l’objet d’étude du troisième chapitre. Ce point de vue ainsi que les
arguments sur lesquels il repose ont été exposés pour être ensuite analysés et
réfutés en nous fondant sur des arguments et des preuves évidentes.
Quatrièmement :
Enfin, dans un dernier chapitre, et pour élucider définitivement cette
question, nous avons mis l’accent sur certains types d’opérations bancaires
comportant un intérêt usuraire, tout en présentant d’autres types qui
n’impliquent point cette forme d’intérêt.
Allah est le Seul Qui Sait.
Dr Hassan Abdullah Al Amin
11
12
CHAPITRE 1
AL RIBA
13
14
Al Riba
Le mot Riba1, quel sens a-t-il sur le plan linguistique ? Quelle
signification acquiert-il dans les traditions du peuple arabe ? Quelle acception at-il quand ce terme est utilisé par la Chari’a ?
Premièrement : Sens du Riba sur le Plan Linguistique :
Le terme, dans la langue arabe, signifie toute augmentation ou
croissance, pris dans leur sens absolu sans aucune précision déterminée. Le
verbe tiré du radical (Yarbou) veut dire augmenter ou croître, comme on le
trouve dans cette Parole d’Allah et dans ce verset : "Ils désobéirent à leur
Seigneur, Celui-ci donc, les saisit d’une façon irrésistible.2”. De même : « tu
vois la terre desséchée : dès que Nous y faisons descendre de l’eau, elle remue,
se gonfle 3» c’est à dire croît ou augmente en volume.
Deuxièmement : Al Riba dans l’acception de la Chari’a :
Le Fiqh contemporain répartit al-Riba en : Riba al Diyoun (intérêt
usuraire des dettes) connu par les Arabes du temps de la Jahiliyya et Riba Al
Biyou (intérêt usuraire des ventes) que la Sunna a dégagé et montré, répartition
plus claire que celle que nous trouvons dans les vieux ouvrages du Fiqh, Riba
1
La traduction du terme coranique «riba » a toujours prêté à confusion, puisque aucun terme en
langue française ne semble rendre avec justesse le sens originel de ce mot. Dans le présente
traduction du travail du Dr Hassan A. Al Amin, le terme «riba» est traduit parfois par usure
et parfois par intérêt usuraire. Pour une meilleure compréhension de cet important concept
de l’économie islamique, rappelons la traduction qui en a été donnée par M. Mazigh et M.
Hamidullah, deux éminents traducteurs des sens des versets du Coran. Dans sa traduction
(Maison tunisienne de l’édition : Tunis, sans date), Mazigh utilise le mot usure. Quant à
Hamidullah, dans sa traduction, révisée et éditée par la Présidence générale des directions des
recherches scientifiques islamiques, de l’Ifta, de la prédication et de l’orientation religieuse,
il utilise les termes intérêt et intérêt usuraire. Consciente de l’équivoque que pourraient créer
ces termes, l’institution qui a édité la traduction faite par Hamidullah a néanmoins tenu à
prévenir le lecteur, dans une note de bas de page, en précisant que : «…ce n’est pas
seulement l’usure qui est interdite, mais le moindre prêt à intérêt. Toute transaction à base
d’intérêt est défendue, c’est-à-dire tout gain à risque unilatéral»
2
Sourate Al Haqqah (Celle qui montre la Vérité, 10)
3
Sourate Al Haj (Le Pélérinage, 5)
15
An-Nassi’a et Riba Al Fadhl. Les détails de cette répartition se présentent
comme suit :
Premier Type : Riba Al Jahiliyya
C’est le type interdit par le Saint Coran dans de nombreux versets,
dont: “O croyants ! Ne pratiquez pas l’usure en multipliant démesurément
votre capital 1 » et dans Sa Parole : ‘Ceux qui mangent (pratiquent) de l’intérêt
usuraire ne se tiennent (au jour du jugement dernier) que comme se tient celui
que le touche de Satan a bouleversé. C’est parce qu’ils disent «le commerce est
tout à fait comme l’intérêt" Alors qu’Allah a rendu licite le commerce et
illicite l’intérêt (usuraire)2 »
Ce type d’intérêt usuraire (Riba) dont parle le Saint Coran, représente
Riba Al Diyoun (Intérêt usuraire des dettes) que les Arabes ont connu et
pratiqué sous deux formes, devenant ainsi une réalité admise par les us et
coutumes.
Première forme :
L’augmentation de la valeur initiale de la dette si son remboursement à
l’échéance due, n’est point respecté et si on cherche à le différer par
insolvabilité.
Deuxième forme :
L’augmentation imposée au préalable lors de la conclusion du contrat
sur la dette prêtée.
Ces deux formes du concept Riba ou intérêt usuraire à l’époque de la
Jahiliyya et qui sont mentionnées dans de nombreux versets du Coran ont été
explicitement signalées par un certain nombre d’exégètes. Toutefois, quelquesuns se sont restreints à la première forme, plus connue et couramment appliquée
par les Arabes de cette période.
Pourtant, la deuxième forme n’est pas moins importante que la
première, la preuve en est sa célébrité chez les Juifs le long des siècles. Or, on
sait qu’ils étaient implantés dans la ville Yathreb (La Médine) avant l’Islam et à
1
2
Sourate Al Imran (La Famille d’Imran, 130 et suivantes)
Sourate Al Baqqara (La Vache, 275 à 280)
16
ses débuts avant leur exode. Il est donc logiquement inconcevable qu’ils aient
pratiqué l’usure sous cette forme, sans que leurs voisins arabes n’en aient pas,
au moins, pris connaissance, s’ils ne l’ont pas, en fait, pratiqué avec les juifs,
ou même entre eux, après l’avoir appris des premiers.
Il est ainsi évident que le texte Coranique parle de cette forme dans son
acception chez les Arabes et tel que l’usage a consacré.
Les Arguments des Exégètes :
Voici quelques-uns des arguments que soutiennent les exégètes
concernant ces deux formes d’intérêt usuraire de la période pré-Islamique,
interdites par le Coran.
Parlant de la première forme, Ibn Jarir At-Tabari écrit : « Quatada a
déclaré : l’intérêt usuraire de la Jahiliyya consiste en une vente où le vendeur
vend une marchandise à un terme fixe. Mais si à l’échéance, l’acheteur par
insolvabilité, n’est pas en mesure de rembourser sa dette, celle-ci est augmentée
par le vendeur et le remboursement est différé. » De son côté, Zeid Bin Aslam
affirme : « Al Riba à l’époque pré-Islamique comporte de la multiplication et de
l’âge. « Si une personne s’endette auprès d’une autre, et à l’échéance, le
créancier dit au débiteur: « Acquitte-toi de la dette ou bien augmente. » Si le
débiteur est en mesure de payer, il honorera sa dette, sinon, l’acquittement est
différé à l’année suivante. S’il s’agit d’un chevrette de lait, ce sera une chèvre à
lait l’année suivante…et ainsi de suite. S’il s’agit de monnaie (Ayn) - l’or ou de
l’argent et que le débiteur est insolvable, le créancier redouble la dette remise à
l’année suivante. Si la somme due n’est pas encore payée, sa valeur sera
redoublée encore une fois : Si elle était de cent, et que son remboursement est
différé, elle s’élèvera à deux cents, puis à quatre cents en cas d’insolvabilité. La
dette est ainsi redoublée chaque année, ou une partie de l’année.1)
Rapportant les paroles de Atta’a, il écrit également : “Pendant la
période de la Jahiliyya, Bani Al Moghirah étaient redevables à la tribu Thakif.
A l’échéance, les débiteurs disaient : « On augmente et vous différez. » C’est
en référence à cette question, que le verset suivant a été révélé: " O les
croyants ! Ne pratiquez pas l’usure en multipliant démesurément votre
capital. 2»
1
2
Ibn Jarir At Tabari, Jame’i Al Bayan, vol.7, p. 217, Dar Al Ma’aref.
Sourate Al Imran (La Famille d’Imran, 130)
17
Presque tous les exégètes, à la suite de Ibn Ishak, ont utilisé les mêmes
termes pour parler de cette forme de l’intérêt usuraire de la Jahiliyya.
Quant à la seconde forme de Riba de la période pré-Islamique,
représentée par l’intérêt usuraire du prêt, notons qu’elle a été mentionnée par
les exégètes au cours de leurs interprétations des versets concernant Al Riba.
Nous reprendrons ici, ce qui a été rapporté dans notre ouvrage : (Les dépôts
monétaires bancaires et « leurs investissements » dans l’Islam) (p.261 et
suivantes.). Dans son ouvrage, «Ahkam Al Coran », Abou Bakr Al Jassas,
commente en ces termes, le verset : "Ceux qui mangent (pratiquent) de l’intérêt
usuraire, ne se tiennent (au jour du jugement dernier) que comme se tient celui
que le toucher de Satan a bouleversé. Cela parce qu’ils disent «le commerce est
tout à fait comme l’intérêt», alors qu’Allah a rendu licite le commerce et illicite
l’intérêt. » il écrit: « l’intérêt usuraire pratiqué par les Arabes consistait en un
prêt à terme de dirhams ou de dinars dont le remboursement sera différé sous
condition d’une augmentation de la valeur initiale de la dette, avec le
consentement réciproque des deux parties. Parlant de cette pratique réputée à
cette époque, Allah Tout Puissant dit : « Tout ce que vous donnerez en usure
pour augmenter vos biens au dépens des biens d’autrui ne les accroît pas auprès
d’Allah. ».
Cette augmentation ou surplus, n’était donc que l’intérêt usuraire sur le
capital en or ou en argent, étant donné qu’il n’a point de contrepartie dans la
somme prêtée.
«L’intérêt usuraire, ajoute-t-il, n’était pratiqué que sous cette forme
précitée, c’est à dire le prêt à terme de dirhams ou de dinars sous condition
d’une augmentation.1 »
De son côté, Al Fakhr Al Razi, écrit dans ouvrage, "Tafsir Al Kabir”:
«Riba An-Nassi’a était la forme la plus connue dans la Jahiliyya. En effet, ils
versaient des fonds à condition de recevoir mensuellement une certaine somme,
le capital restant entièrement dû. A l’échéance, le créancier demande au
débiteur de débourser le capital. En cas d’insolvabilité, le créancier augmente le
dû et proroge le délai fixé ». Cette forme de Riba est celle que pratiquaient les
Arabes à l’époque de la Jahiliyya.2 »
1
2
Ahkam Al Coran, vol.1, p.465
Mafatih Al Ghai’b, connu sous le nom de Al Tafsir Al Kabir, vol.2, p. 529
18
Reprenant ce qu’a déclaré Al Fakhr Al Razi, et presque dans les mêmes
termes, Ibn Hajar Al Haïthamy dit : “A l’époque de la Jahiliyya, Riba AnNassi’a était une forme couramment pratiquée par les Arabes. Ainsi, une
personne prêtait à terme ses fonds à une autre personne à condition d’être
déboursé mensuellement d’une certaine somme, le total des fonds reste
préservé. A l’échéance, le créancier, en cas d’insolvabilité du débiteur, peut
alors augmenter et la créance et le délai. Nous appelons, cette forme, ajoute-t-il
Nassi’a bien qu’on puisse lui appliquer aussi le nom du Riba-Al-Fadhl, mais
c’est la Nassi’a qui est impliqué. Actuellement cette forme célèbre est
couramment appliquée1. »
Les Opinions des Savants du Fiqh (Faquihs) :
Si, après avoir parlé des interprétations des exégètes portant sur les
formes d’intérêt usuraire de la période pré-Islamique abordées dans certains
versets du Coran dont celle de prêt avec surplus lors de la conclusion du contrat,
nous passons à présent aux commentaires des savants du Fiqh, nous verrons que
de nombreux savants estiment ce surplus stipulé lors de la conclusion du contrat
est une forme de l’intérêt usuraire pratiqué à cette période et interdit par le
Coran.
Ainsi, Al Kamal Bin Al-Hammam déclare : « Al-Riba se dit de ce qui
majore et d’après la Parole d’Allah Tout Puissant: “O les croyants ! Ne
pratiquez pas l’usure » c’est à dire, le surplus dans un prêt et l’avance sur la
somme versée. Le même sens «de surplus» se trouve dans la racine du mot,
comme le montre le verset «Allah a rendu licite la vente et illicite l’intérêt
(usuraire) ». En d’autres termes, Allah a interdit, le surplus dans le prêt et
l’avance sur la somme versée.2 »
Il est ainsi évident que l’augmentation conditionnelle du prêt lors du
contrat n’est qu’une des formes de l’intérêt usuraire de la Jahiliyya interdit par
le Saint Coran.
Quant à Ibn Rochd (le petit–fils), il divise l’intérêt usuraire en Riba Al
Diyoun (intérêts usuraires des dettes) et Riba Al Biyou’ (intérêts usuraires des
ventes). Il dit à ce propos : « Les savants se sont accordés à dire que le Riba
existe dans deux transactions : celle des ventes et celle des dettes contractées
1
2
Al Zawaagun Ar Ekteraf Al Kaba’er, vol. 2, p. 226 (Moustafa Al Halabi)
Fath Al Qadir Alal Hadayah, vol.4, p. 274. Imprimerie Al Amiriya.
19
concernant des ventes, de prêts ou autres »1 . Notons que cette distinction
précise a été adoptée par certains savants érudits de l’époque actuelle. Quant au
Riba Al Diyoun (intérêt usuraire des dettes), il comporte les deux formes du
Riba interdit par le Coran : Riba An-Nassi’a, c’est à dire l’intérêt perçu au-delà
de la dette initiale en contrepartie du délai accordé. L’intérêt des dettes apparaît
soit dans le cas d’un prêt avec augmentation conditionnelle lors du contrat, soit
dans celui d’une vente différée dont le terme a été prorogé pour insolvabilité à
la première échéance. Par conséquent, Riba ad-Diyoun (intérêt usuraire des
dettes) est exculisvement du Riba an-Nassi’a et ne renfrerme nullement du Riba
al-Fadhl ».
En ce qui concerne Riba Al Biyou (intérêt usuraire des ventes), il
comporte à la fois Riba Al Fadhl et Riba An-Nassi’a. Comme exemple de Riba
An-Nassi’a à lui seul, nous avons le cas de la vente usuraire d’un bien contre un
autre de la même espèce, comme une once d’or contre une once d’or en
différant le déboursement de l’une d’elles. Le Riba Al Fadhl consiste, de sa
part, en une vente usuraire d’une marchandise contre une autre de la même
espèce avec un surplus. Une même opération peut comporter les deux formes,
comme le cas de la vente usuraire à terme et avec surplus (Fadhl) d’une
marchandise contre une autre de la même espèce : telle que la vente d’une once
d’or contre une once et quart avec un délai d’un mois par exemple.
Reprenant son raisonnement, Ibn Rochd donne les précisions
suivantes : L’intérêt usuraire qui a fait l’objet d’un consentement réciproque
comporte deux sortes : l’une sur laquelle l’unanimité s’est faite, qui est Al Riba
de la Jahiliyya. C’est ce qui a été interdit, vu, qu’on prêtait avec surplus et
prorogation du terme, disant : « Proroge et j’augmente ». C’est ce qu’entend le
Messager d’Allah (PPSL) dans son discours du Pélerinage d’adieux : « Al Riba
de la Jahiliyya est condamné et interdit et le premier Riba que je condamne est
celui de Al Abbas Bin Abdul Mottaleb.2 » Pour Ibn Rochd, le prêt avec surplus
fait donc partie du Riba de la Jahiliyya interdit par le Saint Coran, et sur lequel
l’unanimité s’est faite.
De son côté Ibn Quodama déclare : « Tout prêt conditionné par une
augmentation ou surplus est certainement illicite. » Dans le même sens, nous
trouvons cette parole de Ibn Al Monthir : « Si le prêteur accorde sous condition
1
2
Bedayat Al Quadir Alal Hidaya, vol.5, p. 128, édit. Dar Al Ma’arefa
Ibid.
20
d’une augmentation ou d’un présent, un prêt au débiteur, et qu’il reçoit cette
augmentation, il s’agit alors par consensus, de Riba1 »
L’Intérêt des Prêts ne fait pas partie de Riba Al Fadhl :
De ce qui précède, il apparaît clairement que le prêt avec augmentation
stipulée comme condition lors de la conclusion du contrat, n’est qu’une des
formes de l’intérêt usuraire de la Jahiliyya, interdit par le Coran, et qui était
couramment connu et pratiqué par les Arabes de cette époque. En fait, il fait
partie de l’intérêt des dettes (Riba Al Diyoun) appelé Riba An-Nassi’a par les
savants du Fiqh et non de Riba Al Fadhl, interdit par la Sunna, et qu’on ne
rencontre que dans les ventes (biyou’) et qui est totalement différent de l’intérêt
des dettes.
Comme déjà mentionné dans l’introduction, notons que certains savants
contemporains ont cherché à rattacher l’intérêt usuraire des prêts conditionnés
par une augmentation lors de la conclusion du contrat, au Riba Al Fadhl, afin de
lever l’interdiction, vu sa nécessité pressante.2 Etant donné que, comme ils le
disent, Riba Al Fadhl entre, comme le dit Ibn Al Quayyem dans le cadre de
Sadduth thara’e (Blocage des expédients), impliquant que ce qui est interdit
peut être permis par besoin impérieux.
Or, cette question est fallacieuse et comme il a été prouvé plus haut, en
effet, l’intérêt perçu sous condition au-delà du capital prêté se rattache au Riba
Al Diyoun (intérêts des dettes) une des formes de l’intérêt usuraire de la
Jahiliyya, interdit par le Saint Coran, et non au Riba Al Biyou’ (intérêt des
ventes) qui inclut Riba Al Fadhl.
En outre, le surplus plus le paiement différé n’est pas seulement Fadhl
(bienfaisance ou grâce), mais elle est également une compensation du délai
supplémentaire et une contrepartie. Al Fadhl à lui seul, n’existe que lorsque la
paiement n’est point différé. L’augmentation est ainsi considérée comme Fadhl
si l’échange des deux espèces s’effectue sur le coup. Mais en cas d’échange
1
2
Al Moghni de Ibn Quodama, vol. 4, p.360.
Cheikh Rachid Reda, Rissalet Al Rib’aWaaal Moamalat Fil Islam, p. 15 et Fatawi vol.2, pp.
107-108. Cheikh Abdul Wahhab Khallaf, revue Kewa’a Al Islam n011, 4ème année,
Monsieur Abdul Karim Al Khatib, revue, les banques Islamiques , publiée par l’Union
Internationale des Banques Islamiques, Monsieur Ma’rouf Al Dawalibi, étude présentée à la
deuxième session du Centre du Fiqh Islamique tenu à Djeddah du 10-17 Rabi’ Al Akhar
1406-H, p. 1à 8.
21
différé ou de délai, ce type combine à la fois
prorogé, et Al Fadhl.
An-Nassi’a contre le délai
Tous ces textes rapportés concernant le comportement des gens de la
Jahiliyya relatif au Riba de prêts, montrent clairement que le prêt s’effectuait
lors de la conclusion du contrat même, sous condition d’un surplus. Il s’agit, en
somme de ce qu’on appelle actuellement dans les banques …l’intérêt.
Comment donc prétendre que l’augmentation ajoutée au capital après
l’échéance puis la prorogation du terme est Riba- que cette dette soit
initialement un prêt ou le prix d’une marchandise- alors que le surplus ajouté au
capital prêté, dans les opérations de prêts, n’est ni Riba ni illicite ?
De deux choses l’une : ou bien reconnaître que les deux augmentations
sont illicites (haram), celle qui, dans l’opération de l’emprunt est imposé au
consommateur et celle qui est ajoutée au capital après l’échéance puis la
prorogation du terme, établissant ainsi l’harmonisation des préceptes de la
Chari’a, et qui caractérise tout ce qui la concerne. Ou bien- qu’Allah nous en
garde- conclure à la contradiction des préceptes de la Chari’a, ce qui est
impossible1. Il ne nous reste donc, qu’à égaliser ces deux sortes d’augmentation,
les juger similaires et considérer alors que le texte coranique est applicable à
l’une comme à l’autre.
Par ailleurs, si on s’accorde à considérer qu’une des formes du prêt de
la Jahiliyya était sans intérêt alors que d’autres comportaient une majoration
conditionnelle lors du contrat et si on s’accorde aussi à considérer ce dernier cas
comme analogue à celui d’une augmentation est analogue à l’augmentation
ultérieure à l’échéance et la prorogation du terme, on ne peut, par conséquent,
qu’appliquer aux deux cas la même sentence qu’appliquer la même sentence, à
moins d’une preuve indiscutable concernant un cas à l’exclusion de l’autre. Or,
ne disposant point d’une telle preuve, il serait absolument arbitraire de les
différencier.
D’autre part, on ne peut admettre l’opinion selon laquelle la
détermination au préalable des profits- comme on l’appelle- est possible et
permise, vu le consentement réciproque des deux parties contractantes et
qu’aucun texte du Coran ou de la Sunna ne l’interdit2.
1
2
Cheikh Othman Safi, Ribawiyat Al Fawaïd Al Mesrafeya Al Maltal Al Islami p. 28, Beyrout.
Revue “ Octobre”, n0 687, date du Dimanche 24 dccembbre 1989. Le Caire.
22
Or cette opinion est insoutenable pour deux raisons :
Premièrement : Cette opération ne relève pas des opérations commerciales
pour appeler son rendement «profit », car le «profit » (ou
bénéfice), d’après les savants du Fiqh, est ce qui résulte d’une
activité commerciale. Il s’agit en fait, d’un prêt en monnaie avec
intérêt, représentant un surplus qui est Riba (intérêt usuraire). Cette
réalité ne peut être contrefaite ou modifiée, par le seul fait de
l’appeler «profit » par les tenants de cette opinion, vu que, selon la
règle du Fiqh, l’important est le sens ou le contenu et non les
termes ou leur structure.
Deuxièmement : A supposer même qu’il s’agit d’une opération commerciale
où le profit est déterminé et assuré au préalable, cette opération
enfreint une règle de la Chari’a expressément prescrite dans un
texte des Discours ou Ahadith du Messager d’Allah (PPsl) et
rapporté par Amr Bin Cho’aib d’après son père et d’après son
grand-père ainsi que Abi Dawoud, At-Tirmithi et Ibn Majjah. Le
Messager d’Allah (PPsl) a dit: “Tout prêt et vente, toute condition
imposée dans une vente et tout profit ne sont licites que s’ils sont
garantis”. Commentant ces paroles, Ach-Chawkani écrit à propos
de: « Pas de profit licite sans garantie en contrepartie». «Il n’est
point permis de tirer un profit d’une marchandise qu’on ne garantit
pas comme par exemple le cas de celui qui achète une marchandise
qu’il revend à une tierce personne avant que la marchandise ne lui
soit remise. Cette vente est considérée comme nulle et son profit
illicite, étant donné que c’est le premier vendeur qui est le garant
de la marchandise vendue et non celui qui la lui a acheté vu qu’elle
ne lui a pas été livrée1. » Cette même phrase du Hadith a été
également expliquée par l’auteur de Tohfat Al Ahwazi, dans Charh
Sahih At-Tirmithi : “Ce qui est visé est le profit réalisé de la vente
d’une marchandise achetée, avant de l’avoir reçue, l’acheteur
devenant le garant et non le premier vendeur ». Cette vente est
nulle. Dans le commentaire de la Sunna on a écrit : « cela veut
dire que le profit en toute chose est licite, tant qu’on assume la
perte. Mais si on ne prend pas en charge cette perte, comme c’est le
cas de la vente de la marchandise avant d’en avoir pris livraison, la
1
Nail Al Awtar de Ach Chawkani, vol.5, p. 282, Dar Al Gabal, Beyrouth
23
garantie du risque de dépérissement est assumée par le premier
vendeur. L’acheteur (deuxième vendeur)1 ne peut donc récupérer
les services rendus au vendeur par le bien vendu avant sa livraison,
car la chose vendue avant livraison n’étant pas garantie par
l’acheteur, celui-ci n’a pas droit au profit.
Comment donc avec un texte du Messager d’Allah (PPsl),
considérant explicitement comme illicite le profit sans contrepartie
de garantie, comment prétendre que la prédétermination du profit
et sa garantie au préalable dans les titres et certificats
d’investissement et les caisses d’épargne sont permises? Espérons
que les tenants de cette opinion renonceront, après les arguments
précités et le texte des plus explicites à ce sujet, que nous avons
rapporté.
Deuxième Type : Riba Al Biyou’ (Intérêt Usuraire des Ventes) :
Préambule :
Nous avons rappelé, dans un développement antérieur, qu’actuellement,
Al Riba se répartit en Riba Al Diyoun (intérêt usuraire des dettes) et Riba Al
Biyou’ (Intérêt usuraire des ventes), subdivision bien plus claire que l’ancienne
qui distinguait deux types de Riba, Riba An-Nassi’a et Riba Al Fadhl, qui, en
fait, est assez confuse. Nous avons déjà traité Riba Al Diyoun (Intérêt des
dettes) et montré comment l’intérêt usuraire de la Jahiliyya, interdit par le
Coran, relève de ce type, et dont une forme est l’intérêt usuraire des prêts,
correspondant à une majoration exigée au moment du contrat.
Nous passons à présent, au second type, à savoir Riba Al Biyou’ (intérêt
des ventes). Nous le présenterons sommairement, afin d’établir un parallèle
entre les deux types bien qu’il ne soit point nécessaire à notre étude portant sur
le « (Hokm) ou Statut légal des opérations bancaires avec intérêt » qui relève
plutôt du domaine de Riba Al Diyoun (intérêt des dettes) comme on le verra plus
loin.
Répétons que Riba Al Biyou’ est ce qu’a interdit la Sunna du Prophète
(PPsl) qui a précisé, comme le rapporte Ebada Ibn Al Samet : « L’or contre
l’or, l’argent contre l’argent, le blé contre le blé, l’orge contre l’orge, les dattes
1
Nail Al Awtar , Ach-Chawkani, vol.5, p. 300
24
contre les dattes, le sel contre le sel, genre contre genre, quantité contre
quantité, de main à main. Si ces genres diffèrent, alors vendez comme bon vous
semble tant que vous échangez de main à main.1 » Cité par Ahmed, Moslem et
les tenants de la Sunna sauf At-Tirmithi. Par ailleurs, Abou Saïd Al KhedariQu’Allah l’Agrée- raconte que le Messager d’Allah (PPsl) a dit: "Ne vendez
l’or contre l’or, qu’exactement la même quantité ou la même valeur, ne
permettez point à l’une d’empiéter sur l’autre, ne vendez l’argent contre l’argent
qu’exactement la même quantité. N’en vendez rien qui ne soit point dans votre
possession contre ce qui est prêt ou présent. » Consensus.
Ces deux hadiths authentiques, comme d’autres hadiths à ce sujet,
interdisent de façon formelle un type particulier de ventes qu’ils ont appelé
Riba al-Fadhl, faisant prévalaoir l’augmentation (al-Fadhl) sur le délai (anNassi’a), bien qu’il couvre à la fois Riba al-Fadhl et Riba an-Nassi’a dans
certaines de ses formes comme nous l’avons déjà démontré.
Notons que chez les Arabes de la Jahiliyya, ce type de ventes n’était
point reconnu comme Riba, ni sur le plan linguistique ni au niveau de l’usage,
bien qu’ils l’aient pratiqué2. » Ce n’est qu’avec la Sunna du Prophète (PPsl)
prescrite dans les hadiths précités, que ce terme lui a été appliqué. Il sera
rattaché aux ventes, qu’il s’agisse de la vente des deux monnaies (or et argent)
ou celle d’autres biens du nature usuraire mentionnés dans les hadiths
authentiques du Prophète (PPsl), ou bien celle de biens qui par analogie ont été
établis par les savants du Fiqh. Ce type d’intérêt usuraire a été, par consensus,
interdit, à l’instar du premier type relatif aux dettes et interdit par le Saint
Coran. Exception faite de ce qui a été rapporté de Ibn Abbas- qu’Allah l’Agrée,
qui a dénié le caractère usuraire du Fadhl, en se fondant sur un hadith de
Ossama Bin Zeid: “ Pas de Riba sauf dans An-Nassi’a. » Toutefois, on a dit
que Ibn Abbas est revenu sur sa dénégation du caractère usuraire3 de Al Fadhl.
1
2
3
Ibid, p. 297
Abou Bakr Al Jassas, Ahkam Al Coran, vol.1, p. 464 et Mohamad Abou Zahra, Bouhouth Fil
Rib’a, p. 33.
Takmelet Al Majmou’, Charh Al Mohazeb de Al Sobki, vol.1, pp. 31 à 34.
25
26
CHAPITRE 2
L’INTĖRÊT BANCAIRE
27
28
L’intérêt Bancaire
Comme déjà mentionné, il nous faut élucider et de façon évidente le
sens exact des termes Riba et Intérêt, afin de pouvoir les comparer et montrer
s’il y a une concordance partielle ou totale, entre eux et parvenir ainsi à porter
un jugement correct et pertinent concernant les opérations bancaires avec
intérêt. Si cette ressemblance est totale et entière, l’intérêt bancaire devrait être
soumis aux mêmes dispositions légales «Hokm » que le Riba, et que nous
avons déjà expliqué. Dans le cas contraire, il s’agira d’une autre question
nécessitant un autre «Hokm ».
Ayant explicité, de manière plus ou moins exhaustive, le sens et les
acceptions que couvre le mot «Al Riba », nous passons à présent, au terme
«intérêt», pour l’expliquer au niveau linguistique, au niveau du Fiqh ainsi que
dans son acception bancaire. Nous dégagerons également le sens de quelques
termes ayant une certaine similitude avec l’intérêt, du fait qu’ils concernent
certaines formes de gains conformes à la Charia, telles que le produit et le
profit, afin de savoir si l’intérêt correspond à l’une d’elle. Nous commencerons
par l’intérêt.
Le Terme Intérêt sur le Plan Linguistique :
On peut lire dans "Taj Al Arous": “L’intérêt est ce dont Allah Tout
Puissant a doté ses serviteurs comme bienfaits qu’ils exploitent et dont ils
profitent.1 » Le dictionnaire (Tartib Al Quamous Al Mohit) donne la définition
suivante: "Ce dont du tiers profit, de savoir ou de fortune2.» Ce sens d’ordre
général couvre la fortune et autre, que cette fortune soit licite et légalement
gagnée ou non.
Sens du mot Intérêt dans la terminologie de la Chari’a
Au niveau du Fiqh, le gain (Fai’yda) est: “Ce qui est généré, c’est à
dire, ce qui est produit - non d’une fortune - tel que l’héritage et le don - ou
d’une fortune qui n’est pas en croissance, telle que le surplus résultant de la
1
2
Taj Al Arous Min Thawaher Al Kamousse, vol.8, p. 512
Tartib Al Kamousse Al Moheit, vol.3, p. 478.
29
vente d’un bien si le prix de vente est plus élevé que le prix initial, et comme le
lait, la laine et les fruits des palmiers, si ses sources étaient acquises dans
l’intention de les posséder à titre de propriétaire. Il s’agit donc de tout gain
acquis1. Il apparaît donc de façon évidente, qu’au niveau du Fiqh, le sens du
terme «intérêt» est plus spécifique, plus précis que son sens général donné par
les dictionnaires de langue.
Par contre, le sens donné au mot « intérêt » dans la terminologie
bancaire est le suivant: « le prix payé contre l’utilisation de la monnaie », ce qui
constitue un écart par rapport à son sens dans la terminologie du Fiqh mais que
le sens linguistique général du terme implique.
Différence entre Intérêt et Profit :
Sens du Profit : Si nous passons au terme, «Profit » un autre aspect du gain
licite, nous trouverons que les savants du Fiqh le définissent comme étant : « le
surplus dans le prix de la chose vendue – c’est-à-dire un échange commercialpar rapport au prix initial2 (or ou argent). En d’autres termes, le profit est le
surplus dans le prix de vente de la marchandise achetée initialement dans le but
et l’intention de faire du commerce. Mais si ce surplus ne concerne pas le prix
de vente d’un bien acheté dans l’intention de le vendre, on ne peut lui appliquer
le terme
de «profit ». On pourrait alors l’appeler «intérêt », comme
précédemment vu, ou bien produit comme on le verra plus loin. Parlant de la
Zakah des actifs de commerce en croissance, Ibn Quodama Al Hanbali donne
cette définition du profit, analogue à celle que lui donnent les Malékites : “La
Zakah n’est requise que sur un bien en croissance […]. La croissance, surtout
dans le commerce, ne se réalise que par le roulement des fonds3. C’est la
croissance, c’est à dire l’augmentation qui se produit par le roulement des
fonds- achat et vente- qui est, sans nul doute, le profit. » Comme on le constate,
le profit, d’après Ibn Quodama comme d’après les savants du Fiqh Malékites,
est le produit d’une opération d’échange commercial où l’argent se transforme
en article de commerce, puis ces articles sont vendus à un prix plus élevé que
1
2
3
Jawaher Al Eklil, Charh Ar-Rissalah de Cheikh Saleh , p. 128, édit, Issa Al Halabi, et notes de
Al Dessouki sur Chaarh Al Kabir, vol.1, p. 431 .Cf Hodoud bin Arafa et son commentateur
Ar –Rassagh At-Tounessi, p. 72-731e édit. Imprimerie Tunisienne, Nahg Sok Al Balate
1350H
Ali Khalil, Charh Al Kharchi, vol. 2, p. 183
Al Moghni, vol.3, p.43.
30
celui de leur achat. Ce surplus par rapport au prix d’achat est appelé, dans la
terminologie du Fiqh, «Profit».
Différence entre Intérêt et Produit
Dans la terminologie du Fiqh, le Produit est ce qui se renouvelle, c’està-dire qui est produit par les biens capitaux avant de les vendre, comme par
exemple, la laine, le lait, les dattes des palmiers achetés dans l’intention d’en
faire du commerce, comme le développement ou la croissance de la chose
vendue elle-même si, par exemple, elle est achetée petite à vingt dans l’intention
de la vendre plus tard, puis si elle est vendue à cinquante par exemple quand
elle grandit1. Cette augmentation dans le prix n’est pas appelée profit ou
bénéfice, mais produit ou rendement.
Différence avec le Sens Conventionnel de l’Intérêt Bancaire :
Comme on peut le constater, le sens conventionnel de l’intérêt bancaire
diffère fondamentalement du sens de ce terme dans la terminologie du Fiqh,
comme il diffère des autres aspects des gains légalement reconnus. Etant,
comme mentionné plus haut, le prix payé contre l’utilisation de la monnaie,
c’est-à-dire contre son emprunt avec surplus, pour un délai
fixe.
«L’intérêt bancaire» ne peut point avoir le sens de «profit » légal, ou celui de
“produit” dans la terminologie du Fiqh.
Conformité du Sens
Bancaire
de l’intérêt Usuraire avec celui de l’intérêt
La question que l’on se pose est la suivante : « Est-ce que le sens de
l’intérêt bancaire correspond à l’acception et à la conception du «Riba » comme
la Chari’a le définit, et doit-on, par conséquent, lui appliquer la même sentence
ou bien est-il différent du «Riba » comme il l’est des autres aspects de gains ?
La définition déjà donnée de l’intérêt bancaire dit qu’il est «le prix
payé en contrepartie de l’utilisation de l’argent ». En d’autres termes, c’est le
surplus imposé à l’emprunt à terme de l’argent, ce qui correspond au sens du
surplus conditionnel dans le prêt lors du contrat. Or, en fait, il s’agit, comme
déjà démontré, d’une des formes de Riba Al Diyoun (intérêt des dettes) connue à
1
A lQuorachi, Wa Jawaher Al Eklil, notes de Al Dessouki Ali Khalil, op. cit.
31
l’époque de la Jahiliyya et dont l’interdiction a été prescrite dans de nombreux
versets du Saint Coran.
La preuve en est que, les fonds utilisés par les banques, c’est-à-dire
accordés dans les opérations de crédit à ceux qui demandent un financement comme les commerçants et les autres hommes d’affaires -, prenant en
contrepartie des sommes prédéterminées, en surcroît du fonds initial accordé
et qui sont appelées intérêts, ces capitaux ou fonds ne sont, dans la plupart des
cas, que les dépôts à terme ou les dépôts des caisses d’épargne.
Or on sait que, du point de vue de la loi de la Chari’a, et de la doctrine
du Fiqh, selon la plupart des savants du Fiqh contemporain qui ont traité ce
problème, ces dépôts ne sont que des prêts. D’autre part, les banques, ellesmêmes, payent à l’échéance aux dépositaires des fonds un surplus conditionnel,
qui vient s’ajouter au capital initial.
L’intérêt bancaire n’est en somme, qu’une augmentation ou un surplus
conditionnel dans un prêt à terme, au profit du dépositaire, tout dans le cas des
dépôts à terme qu’à celui des dépôts d’épargne. La preuve en est qu’elle
n’existe pas dans les dépôts à vue, c’est-à-dire remboursables sur demande,
alors qu’ils sont considérés dans le droit musulman et dans la jurisprudence
comme étant également des prêts. Au cas où des intérêts sont versés pour ces
dépôts à vue, ces intérêts deviennent conformément aux conventions bancaires,
un surplus conditionnel. Or, comme le dit la règle du Fiqh, « ce qui est connu
par usage, est semblable à ce qui est conditionné par une condition » et la même
sentence leur est appliquée. En outre, dans le prêt à terme, l’intérêt est un
surplus conditionnel au profit de la banque dans le cas de crédits accordés aux
autres demandeurs de financement.
Qu’il s’agisse donc ou de l’un ou de l’autre cas, l’intérêt bancaire est
une augmentation conditionnelle dans un prêt à terme, et qui correspond ainsi
exactement aux critères établis par le Fiqh et la Chari’a, c’est à dire le surplus
du prêt déterminé lors du contrat. Il s’agit, en somme, d’une des formes de
l’intérêt usuraire de la Jahiliyya, formellement interdit par les textes du Saint
Coran. Bien plus, il représente la forme la plus évidente et saillante du Riba de
la période pré-Islamique, à tel point que Abou Bakr Al Jassas l’a confirmé avec
force en disant : « Les Arabes de la Jahiliyya ne pratiquaient Al Riba que sous
32
cette forme que nous avons expliquée, à savoir prêter à terme des dinars ou des
dirhams à condition d’un surplus1».
II faut également souligner que les occidentaux eux-mêmes,
considéraient l’intérêt payé à titre de prix d’utilisation de la monnaie comme
intérêt usuraire. Mais l’évolution commerciale et industrielle et le besoin
pressant de crédits pour faire face à cette évolution les a poussés à renoncer à
cette attitude rigoureuse vis à vis des intérêts, limitant le terme « usuraire » à ce
qui dépasse le taux permis par la convention ou la loi.2
Par ailleurs, il est frappant de voir que de grands économistes, comme
Lord Keynes persistent à appeler l’intérêt bancaire « Riba »ou usure. C’est ainsi
que Docteur ‘Issa Abdou -Que la Miséricorde d’Allah soit sur lui- rapporte ces
mots de Keynes, un des piliers de l’économie occidentale : “Lorsque les
capitaux disponibles pour l’investissement sous forme d’épargne individuelle
ou collective abondent, le taux d’intérêt baisse naturellement pour atteindre
zéro, il ne reste plus alors de place pour l’investisseur oisif qui veut vivre au
dépens de la société, en comptant sur un surplus usuraire sous la forme d’intérêt
ou de profits excessifs3"
Caractère Evident du Problème :
De tout ce qui précède, il nous semble que la question des intérêts
bancaires est devenue suffisamment claire et évidente sans confusion ni
équivoque. Il s’agit d’une forme de Riba Al Diyoun (intérêt des dettes) généré
par les prêts contractés sous condition d’un surplus lors de la conclusion du
contrat et ayant dès le début, le consentement réciproque des deux parties
contractantes. L’intérêt bancaire est ainsi frappé d’interdiction formelle vu qu’il
n’est qu’une image du Riba Al Jahiliyya, dénoncé et interdit par le Coran qui a
menacé ceux qui le pratiquent d’une guerre menée par Allah et Son Prophète,
ce qui constitue la plus abominable et la plus effroyable des menaces.
1
2
3
Ahkam Al Coran, vol. 1, p. 465.
Docteur Sami Hassan Hammoud, Evolution des opérations bancaires, p. 294.
La palace dans la construction de l’Economie Islamique, p. 185-86.
33
34
35
CHAPITRE 3
L’INTĖRÊT BANCAIRE ET AL
SALAM
36
37
L’intérêt Bancaire et Al Salam (Vente à livrer)
Certains chercheurs estiment que l’intérêt bancaire ne peut point être
considéré comme un surplus dans une opération de prêt et s’inscrit plutôt dans
le cadre de Al Salam. Pour soutenir cette thèse, ils se fondent sur les arguments
suivants :
1.
Les capitaux que reçoivent les banques des dépositaires
ou qu’elles versent, à terme, aux emprunteurs, ne sont
pas, en fait, des prêts, puisqu’ils sont différé, et le
terme, d’après les Chaféites, n’est pas permis dans le
prêt. C’est ce qu’avance Docteur Safé’i Eddine ;
2.
Ces capitaux, selon lui, se rattachent au contrat Al
Salam, étant donné que, chez les Chaféites, le terme est
permis dans Al Salam ;
3.
Dans Al Salam, Al Riba n’existe que pour les avoirs
usuraires tels que l’or, l’argent, le blé, l’orge etc…
Et, vu que, dans la doctrine Chaféite, les avoirs en monnaie
fiduciaire ne sont pas de avoirs usuraires- comme la monnaie, il estime donc
que l’intérêt bancaire ne se rattache pas au Riba Al Biyou’ (intérêt des
ventes) et par conséquent il est licite (halal)1.
Réfutation de l’Assertion selon laquelle l’Intérêt Bancaire s’inscrit dans
le cadre de Al Salam :
Cette assertion que propose Dr. Safé’i Eddine, est fallacieuse. Voici
les arguments qui le prouvent :
Premièrement : La question soulevée par les savants du Fiqh au sujet du
délai dans les prêts, et sur laquelle le chercheur fonde son point
de vue selon lequel la circulation des capitaux dans les
1
Dr, Ahmad Sae’I El Din, Article publié dans le Journal Al Sahafa alSoudaneya” daté du
4/9/1979
38
banques- prêtés ou empruntés- par ses clients est une sorte de
Al Salam, est la suivante : Le terme dans l’opération de prêt
est-il astreignant ou non ? C’est à dire que l’emprunteur est
obligé de rembourser le prêt au moment où l’exige le prêteur,
même s’il y’ a un terme fixé et que ce terme n’est pas encore
venu à échéance.
Tous les savants du Fiqh, Chaféites ou autres, à l’exception
des Malékites- ont été affirmatifs. Oui, disent-ils, il faut
rembourser le prêt à la demande du prêteur, indépendamment
de l’échéance fixée pour le remboursement, car le prêt est
charité
et solidarité. « Pas de reproche contre les
bienfaiteurs ». Par contre la réponse des Malékites a été
négative : Non disent-ils, l’échéance est astreignante et
obligatoire. L’emprunteur ne doit point rembourser le prêt qu’à
l’échéance fixée. Ne pas s’astreindre à l’échéance due, pourrait
entraîner un darrar (une nuisance) pour l’emprunteur, ce qui
contredit l’objectif de la légitimité du prêt, à savoir être
solidaire avec l’emprunteur, l’aider et non l’accabler et lui
nuire.
Que l’opinion des Malékites et celle des autres soit vraie ou
fausse, une chose est certaine : Pour les Malékites comme pour
les autres, le fait que la stipulation de la condition du terme soit
obligatoire ou non, n’affecte en rien la validité du contrat de
prêt, ne l’annule pas ou modifie sa spécificité, le transformant
en un autre contrat, comme le contrat Al Salam comme
l’avance le chercheur, Dr. Safé’i Eddine.
Deuxièmement : Dire que chez les Chaféites, la stipulation de la condition
du délai dans le prêt n’est pas permise, est également faux. Le
problème soulevé chez les Chaféites, au sujet du terme tourne
autour de la question : Est-il astreignant ou non dans
l’opération du prêt et non à propos de sa stipulation, est-elle
permise ou interdite et la différence est grande entre les deux.
Par conséquent le prêt à terme demeure, par consensus, valable
avec tous les effets qui en découlent et ne se transforme point
39
en contrat Al Salam quel que soit le caractère astreignant ou
non du délai accordé.
Al Salam n’a pas lieu si les deux termes de l’échange (Al Badalaine)
sont des « Nakdein » (or ou argent) :
D’autre part, Al Salam n’a pas lieu dans le cas où le capital du
Salam et de l’autre terme de l’échange- sont donnés au comptant, c’est à
dire le prix et l’objet évalué, même si ce qui est payé est en pièces de
monnaie, sauf si la quantité et le genre sont identiques. Le terme utilisé
serait alors « prêt » ou « crédit », et un contrat de prêt serait nécessairement
conclu et non point un contrat Salam.
En effet, dans son commentaire de Al Charh Al Saghir, Al Sawi
écrit : «En ce qui concerne la phrase : à moins qu’ils ne soient deux
aliments ou deux valeurs (nakdein) etc » on peut affirmer qu’il n’est pas
permis de dire à un autre : Je te livre à l’avance une mesure de blé contre
une mesure de blé, ni un dinar contre une quantité d’argent ou contre un
dinar à moins que la quantité et le genre ne soient identiques et que le terme
utilisé soit «prêt » ou «emprunt ». L’opération est alors permise. Sachez
que la monnaie nouvelle ici est semblable à la « ayn » (chose déterminée),
c’est à dire qu’il n’est pas permis d’en livrer à l’avance (Salam) une
partie1. »
D’autre part, dans son commentaire de la phrase de Rad Al
Mokhtar, « Al Salam n’est pas permis pour les dirhams et les dinars, vu
qu’ils sont des valeurs », Ibn Abdine écrit : "Mais si le capital est aussi des
dirhams ou des dinars, le contrat est, par consensus, invalide2. »
D’après ce qui précède, on peut affirmer que : l’allégation selon
laquelle les capitaux échangés entre les banques et leur clientèle entrent
1
2
vol.3, p. 366, Dar Al Ma’aref. Egypte
Commentaire et mots de Ibn Abdine, vol. 5, p. 209, 2110. Poour plus de détails, cf notre
ouvrage (L’Intérêt bancaire et Al-Rib’a) p. 28 à 32, dit par l’Union Internationale des
Banques Islamiques.
40
dans le cadre du contrat Salam (paiement anticipé) et ne sont point des
prêts, et que l’intérêt perçu sur ces capitaux devient ainsi licite, puisque Al
Salam ne comporte point de Riba si les capitaux utilisés ne font pas partie
des six avoirs usuraires, comme les monnaies papiers et les pièces de
monnaie, cette allégation, dis-je, fausse et fallacieuse comme nous l’avons
démontré est rejetée et proscrite dans son fondement même.
41
CHAPITRE 4
TYPES D’OPERATIONS
BANCAIRES
42
43
Les Types d’Opérations Bancaires
Après avoir expliqué, en détail, ce qu’on entend par Riba (intérêt
usuraire) et par intérêt bancaire, montrant qu’ils ne sont que les deux faces
d’une même monnaie
et qu’aucune différence ne les distingue l’un de
l’autre, nous sommes parvenus à la même conclusion suivante : l’intérêt
bancaire doit être considéré comme l’intérêt usuraire et le même Hokm
(statut légal) doit leur être appliqué. Une dernière question reste à poser :
Quels sont les types d’opérations bancaires qui comportent un intérêt ? Et
quels sont les autres types où l’intérêt est inexistant ?
Disons tout d’abord que les transactions bancaires qui constituent la
fonction fondamentale des banques se divisent en deux catégories :
Premièrement : Les Services
Il s’agit des opérations relatives aux services rendus et présentés par
la banque à sa clientèle contre certains frais. Ces services couvrent les
opérations suivantes :
1.
Accepter les dépôts à vue et les garder à leurs
propriétaires. La banque peut percevoir un droit pour ce service
si les fonds sont limités, mais s’il s’agit de grandes sommes, le
service est alors gratuit, étant donné qu’en fait, la banque en
profite en se servant de ces liquidités pour ses diverses activités.
Par ailleurs, on sait que les dépôts à vue représentent, dans la
plupart des cas, la plus grande partie des ressources des banques.
2.
Garder les titres, les valeurs etc..
3.
Vendre les titres et les valeurs etc…
4.
Emettre des lettres de garantie couvertes. Mais il faut
garder une certaine réserve, quant aux lettres à découvert et
l’activité bancaire dans les domaines de la garde des titres et de
leur vente, ainsi que l’encaissement des traites. En effet, il faut
que les domaines des activités où ces instruments sont utilisés
44
soient conformes à la Chari’a, afin de s’assurer du caractère
licite de ces opérations bancaires.
5.
Les crédits documentaires où les banques ne versent pas
de somme d’argent.
6.
Il faut ajouter également les opérations de change, c’est
à dire la vente et l’achat des différentes devises.
Toutes ces opérations que nous venons de citer ne sont données
qu’à titre d’exemple. Il faut noter que les droits perçus pour ces services
rendus sont permis et ne constituent point des intérêts.
Deuxième Type : Octroi de Crédits et de Prêts
Il s’agit d’un type d’opérations où intervient dans la plupart des cas,
l’intérêt et appelé, selon la convention bancaire, octroi de crédits. Si nous
avons utilisé l’expression «la plupart des cas », c’est qu’il existe des cas où
les prêts et les crédits sont accordés par amour d’Allah Tout Puissant «sans
intérêt ».
Voici les opérations les plus importantes de ce type d’activité :
1.
Les intérêts payés par les banques sur les fonds déposés
dans ces banques, et particulièrement sous forme de comptes à
terme, que ce terme soit un mois, ou plusieurs mois ou un an.
Ayant déjà défini «l’intérêt », nous n’y reviendrons pas.
2.
L’intérêt sur le prêt direct- assez simple, puisqu’il
concerne des opérations restreintes effectuées par les clients de
la banque.
3.
Le découvert bancaire qui, selon la définition de
Docteur Mohammad Chafiq est : « un contrat entre une banque
et un client, où la banque s’engage à mettre à la disposition du
client, pendant une période déterminée, une certaine somme 1»
Il s’agit donc d’un contrat en vertu duquel la banque met à la
disposition du client une somme déterminée qu’il peut retirer en
1
Al Wassit Fi Al Kanoun Al Tigari Al Masri (Wassit du Droit Commercial Egyptien), vol.2,
p. 390, Dar Nachr Al Thakafah
45
un seul ou plusieurs versements, durant la période de sa validité.
D’autre part, l’intérêt n’est payé que sur le montant retiré
effectivement par le client et à partir de la date de retrait. C’est
pourquoi, vu ces deux spécificités, le crédit bancaire représente
le moyen adéquat de l’activité commerciale, contrairement au
prêt direct où les intérêts sont calculés dès le jour de son octroi
même si le client n’en profite dès le début.
4.
L’escompte des effets de commerce, traites et billets à
ordre négociables. L’escompte a été défini comme étant : «Un
accord par lequel la banque débitrice avance au demandeur de
l’escompte la valeur d’un effet de commerce ou d’un billet à
ordre négociable, ou bien une autre créance en déduisant un
montant proportionnel à la durée restante, jusqu’au
recouvrement de la valeur de la créance à l’échéance du papier
de commerce, du billet à ordre ou de la traite. En contrepartie, le
demandeur de l’escompte transfère à la banque le droit de
propriété de cette créance, lui garantissant son recouvrement à
l’échéance1
Si nous traitons dans cette partie de l’étude l’intérêt sur le débit,
c’est que, au niveau de la Chari’a, l’opération de débit s’inscrit, selon
l’opinion la plus prépondérante, dans le cadre du prêt avec intérêt et non
dans celui de la cession de créance à cause de la non égalité de la dette qui
lui a été cédée et celle qu’il a cédée – condition de validité de la cession. En
outre, cette opération ne se rattache pas non plus, à la vente de la dette fixe
contre les effets escomptés, vu que la vente de la dette à une personne autre
que le débiteur exige, selon ceux qui le permettent parmi les savants du
Fiqh, l’échange (ou le troc) et la non différenciation.
Telles sont les différentes et les plus importantes sortes de
transactions bancaires contemporaines comportant des intérêts, qui, comme
nous l’avons démontré le long de cette étude sont des intérêts usuraires
formellement interdits par la Chari’a. Il existe d’autres sortes de
1
Dr. Gamal El Din Awad: les transactions bancaires au niveau pratique, p. 469 et Baker Al
Sadr, la Banque non Usuraire, p. 155.
46
décuplement des opérations bancaires mais d’importance moindre, et dont
la nature effective à l’étude, ne peut qu’être évidente.
47
48
ANNEXE
Résolution de l’Académie du Fiqh Islamique à Djeddah
Au Nom d’Allah , le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Louange à Allah, Seigneur de l’Univers et Paix et Prières soient sur
Mohammed, le dernier des Prophètes et sur sa famille et ses Compagnons
Résolution N0-3
« Hokm » des Transactions Bancaires avec Intérêts
et
« Hokm » des Transactions dans les Banques Islamiques »
Le Conseil de l’Académie du Fiqh Islamique, de l’Organisation de
la Conférence Islamique (OCI) en sa Deuxième Conférence tenue à
Djeddah du 10 au 16 Rabi’ Thani 1406H, ( 22-28 décembre 1985),
Ayant suivi les différentes recherches qui lui ont été soumises
concernant les transactions bancaires contemporaines ;
Ayant analysé ces recherches qui ont fait l’objet de discussions
minutieuses, et ayant noté l’impact désastreux mis en lumière par ce débat,
de ces transactions sur le Système Economique Mondial et sa stabilisation,
particulièrement dans les pays du Tiers Monde
Considérant les ravages que ce système a entraînés, en se
détournant de ce que le Livre d’Allah a prescrit, allant de l’interdiction
partielle et totale du Riba (intérêt usuraire) de manière formelle et évidente,
appelant à sa renonciation et demandant à se restreindre au recouvrement
des capitaux des prêts sans augmentation, ni réduction grande ou petite
jusqu’à la menace d’une guerre destructible menée par Allah et Son
Messager contre les usuriers
49
« Décide » :
Premièrement : Que toute augmentation ou intérêt ajouté à la dette non
remboursé à son échéance pour insolvabilité du débiteur,
contre la prorogation du délai ainsi que l’augmentation
(intérêt) sur le prêt dès le début du contrat, ces deux formes
sont du Riba (intérêt usuraire) interdit par la Chari’a.
Deuxièmement : Que le substitut qui assure la liquidité financière et aide à
l’activité économique selon la forme, admise par l’Islam, est la
pratique des transactions conformes aux principes de la
Chari’a.
Troisièmement : L’Académie a décidé d’exhorter les Gouvernements
Islamiques à encourager les banques qui opèrent
conformément à la Chari’a Islamique, tout en créant des
possibilités de les établir dans tout pays islamique afin de
pouvoir couvrir le besoin des musulmans qui peut ainsi ne pas
vivre dans la contradiction entre son réel effectif et les
exigences de sa croyance.
Et Allah est Celui Qui Sait le mieux
50
REFERENCES
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Le Saint Coran
Tafsir Jame’i Al Tabari, Ibn Jarir Al Tabari- édit. Dar Al Ma’aref
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Bedayet Al Mojtahed, Ibn Rouchd, Imprimerie Al Ma’ahed, Egypte 1335
Al Moghni, Ibn Quodama Ma’a Al Charh Al Kabir, vol.4
Takmelet Al Ma’dou’, Al Matba’gui Charh Al Mohazab,vol. 13-14
Imprim. Al A’simah
Jawaher Al Eklil, Charh Al Rissalah de Saleh Al Abi’e
Hachiyat Al Dessouki ala Charh Al Kabir li Mokhtassar Khalil, Imp. Dar
Ihya’e Al Kotob de Issa’e Al Halabi
Charh Al Khorasi Ali Khalil, Imp. Al Amiriya
AlMahali, de Ibn Hazm Al Zaheri, édit. Beyrouth, Bureau Commercial.
Hacheyet Al Sawi ala Charh Al Saguir. De Al Dardiri, édit. Dar Al Ma’aref
Hacheyet Ibn Abdine ala Al Dor Al Mokhtar, Imp. Mohammad Ali Sobeih
Al Zawaguir ala Iktiraf al Kaba’er de Ibn Hajr Al Haythami, édit. Mostafa
Al Halabi
Ressalat Al Riba wa Al Mo’amalat fi Al Islam. Cheikh Rachid Reda, édit.
Bureau du Caire.
Bouhouth fi Al Riba , Cheikh Abou Zahra, édit. Dar al Bouhouth al I’lmiya
Bouhouth fi Al Iktissad Al Islami, Dr. Ahmad Safi El Din, édit. Al
Chou’oun Al Diniya au Soudan
Bay’ Al Mourabaha comme effectué par les Banques Islamiques, Dr.
Mohammad Soleiman Al Achkar, édit. Maktabet Al Falah .Koweit
Rabaweyet Al Fawa’ed Al Masrafiya (Caratère Usuraire des Intérêts
bancaires), Cheikh Osman Safi, Bureau Islamique, Beyrouth
Al Wada’ei Al Masrafeya Al Nakdeya wa Istismaraha fi Al Islam (Les
dépôts bancaires monétaires et leur investissement dans l’Islam) Dr. Hassan
Abdallah Al Amin, édit. Dar Al Chourouk, Djeddah
51
25.
Hokm al Ta’amol al Masrafi Al Mo’aser bil Fawa’ed (Hokn des Opérations
bancaires contemporaines avec intérêt)Dr. Ma’arouf Al Dawalibi,
Recherche présenté à la 2ème Conférence de l’Académie du Fiqh Islamique
du 10-12 Rabi Thani 1406H
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Cheikh AbdulWahab Khallaf : Article dans la Revue Liwa’e Al Islam,
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31.
publié par l’Union Inte+rnationale des Banques Islamiques, N0 11 4ème
nnée
Abdel Karin Al Khatib, Article dans la Revue des Banques Islamiques
publiée par l’Union International des Banques Islamiques
Dr. Ahmad Safi’e Eddine, Article dans la Revue des Presses Soudanaises,
daté 4/9/1989
Al Fawaed al Masrafiya wa Al Riba, Dr. Hassan Abdallah Al Amin, public.
Union International des Banques Islamiques
‘Amaliyat Al Bounouk min Al Wijhah al ‘Amaliya (Les opérations
bancaires du point de vue pratique), Dr, Ali Gamal Eddine Awad
Al Bank al là Rabawi (la Banque non usuraire)Mohammad Bakar al Sadr,
Impr. Al’asriya – Koweit.
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