L`enseignement des mathématiques en DEUG scientifique : réussite

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L`enseignement des mathématiques en DEUG scientifique : réussite
L'enseignement des mathématiques en DEUG scientifique :
réussite ou apprentissage ?
NTE ?
A. Robert
Introduction : partir de la transition entre secondaire et supérieur
A première vue, on peut se dire que les réductions successives des programmes de
mathématiques du second degré (sans connotation négative), les modifications des exigences
des enseignants devant l'afflux d'élèves différents (même si c'est un phénomène variable),
l'intérêt quasi exclusif de certains élèves envers leurs résultats, indépendamment de toute
acquisition, ne contribuent pas à diminuer les différences entre le DEUG (scientifique) et la
terminale S. Cependant, à y regarder de plus près, les mêmes caractéristiques affectent les
premiers cycles : réductions de programmes, afflux d'étudiants démotivés, et/ou étrangers à
une démarche scientifique, prédominance massive d'une logique de la réussite sur une logique
de l'apprentissage. Y a-t-il donc une simple "translation" vers le bas ?
Or, à écouter les étudiants et les enseignants, il y a un grand dysfonctionnement en
DEUG scientifique, du moins c'est ce qui est ressenti et exprimé par tous les acteurs. Il semble
même que le fossé entre ce qui est attendu par les uns et les autres et ce qui est obtenu,
puisque c'est souvent en ces termes que s'expriment les insatisfactions, s'élargisse et se creuse,
au fil des ans. Y aurait-il plus qu'une simple translation ?
De ce fait, avant de nous poser une fois de plus la question des moyens à mettre en
œuvre devant cette situation préoccupante, NTE, enseignements différents, formes de travail
différentes, nous allons démonter quelques rouages de ce dysfonctionnement.
Pour résumer
dès le début la position que nous adoptons à ce sujet, disons qu'une grande partie des
difficultés nous semble tenir à une inadéquation, peut-être croissante, entre :
* les contenus (et pratiques associées) à enseigner en DEUG, qu'il est difficile de beaucoup
changer, même si certaines suppressions ont eu lieu (du côté des fondements)
* les acquisitions possibles des étudiants, compte tenu de leurs connaissances effectives quand
ils arrivent, des progrès qu'ils se donnent les moyens de faire, et de l'enseignement qu'ils
reçoivent, examens compris.
Et c'est de cette analyse que nous partons pour réfléchir à des modifications éventuelles en
DEUG ou à l'introduction de NTE, encore au stade de l'exploration.
Cette description globale résulte de la mise en relation de certaines analyses des
contenus enseignés et des pratiques attendues d'une part, et d'autre part de constats sur les
acquisitions effectives des étudiants, leurs difficultés, leurs modes de travail. Nous allons
présenter très rapidement ce tableau global, les différents exposés qui suivront tout au long du
colloque permettant d'en préciser, beaucoup plus en détail, certains éléments (non exhaustifs).
I Contenus et pratiques attendues en DEUG : les étudiants peuvent-ils se contenter
d'applications isolées de théorèmes indiqués ?
Il n'y a évidemment pas une rupture radicale entre les mathématiques de niveau
terminale S et celles de niveau DEUG scientifique. Il y a plutôt une série de différences
significatives dans les contenus enseignés, qui sont associés à des changements dans les
pratiques mathématiques attendues des étudiants.
Pratiques attendues, mais pas nécessairement testées par les examens. En effet, suivant
les cas, ou les énoncés des exercices proposés aux examens sont d'un niveau bien inférieur à
ce qui serait possible, compte tenu du cours, ou ce sont les notes attribuées (c'est à dire les
barèmes), qui ne reflètent pas la réalité des productions. Ainsi souvent les notes obtenues
témoignent-elles d'un niveau d'exigence bien inférieur à ce qui devrait accompagner les
contenus effectivement enseignés. Il y a là un phénomène général qui revient à reculer pour
mieux sauter, dans la mesure où les étudiants finissent par être rattrapés par leurs manques, et
le plus tard n'est pas toujours le mieux. Nous décrirons ici ce qui est en rapport avec les
programmes, sans analyser ce qui est demandé aux examens, compte tenu de l'artefact
précédent (décalages possibles des notes).
Trois types de nouveautés au moins se combinent à notre avis :
* Des notions généralisatrices au début des programmes qui amènent à adopter une nouvelle
démarche pour résoudre les problèmes
Dès la première année de l'enseignement du DEUG, on présente aux étudiants
beaucoup de concepts qui ne sont pas dans la stricte continuité des notions déjà acquises, qui
demandent pour être mis en fonctionnement d'effectuer un certain saut théorique. Cela
correspond à des notions qui historiquement ont mis longtemps à émerger, unificatrices de
plusieurs manières particulières d'aborder des problèmes relevant de ces notions, grâce un
nouveau formalisme adapté à la généralisation qu'elles permettent. Limites (formalisées) et le
début de l'algèbre linéaire (espaces vectoriels, bases, applications linéaires) relèvent
notamment de cette catégorie.
Cela veut dire qu'on ne peut pas se passer de cours pour exposer ces nouveaux savoirs,
et que ces cours sont difficiles, puisque très nouveaux. Or en terminale il y a peu de cours. De
ce fait, écouter un cours (en tirant un certain profit) est une vraie nouveauté pour beaucoup
d'étudiants, surtout si c'est un peu long, et s'il n'est pas possible de tout comprendre tout de
suite.
De plus, les mises en fonctionnement de ces concepts impliquent l'utilisation plus ou
moins lourde du nouveau formalisme qui les définit, avec le minimum de logique très
élémentaire que cela sous-tend, minimum cependant souvent supérieur à ce qui était demandé
auparavant.
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Ceci dit, il n'y a pas que des notions très généralisatrices dans les programmes de
DEUG. Il y a bien entendu d'autres types de notions, extensions de notions déjà enseignées
(c'est le cas par exemple pour les séries présentées après les suites) ou notions permettant
d'aborder des problèmes que les étudiants peuvent au moins comprendre avec leurs acquis
antérieurs (cf. intégrale ou développements limités).
* Une nouvelle exigence pour les démonstrations
Les démonstrations demandées doivent être des preuves complètes, correctes, c'est à
dire admissibles par une communauté de mathématiciens, et adaptées aux notions en cause.
Ceci n'était qu'en germe auparavant, souvent faute de théorèmes justement, en analyse
particulièrement.
* Des problèmes consistants
Les problèmes proposés (et donc les démonstrations qui doivent être faites) sont à
certains moments plus complexes qu'aux niveaux antérieurs1, compte tenu des notions sur
lesquelles ils portent : il peut y avoir des étapes, et surtout des adaptations, voire des
transformations des théorèmes à utiliser. Ils peuvent porter sur des cas particuliers (étude
d'une suite numérique), des cas génériques (étude d'une suite non précisée). En un mot, il n'y a
pas que des applications élémentaires de théorèmes indiqués. Alors un certain nombre de
démonstrations ne se trouvent pas instantanément, et ne se rédigent pas en quelques lignes. Il
peut y avoir des étudiants pour lesquels c'est une nouveauté.
Les résolutions proposées nécessitent l'introduction de démarches plus "plurielles",
plus riches, qu'en terminale, soit parce qu'il faut penser à plusieurs choses à la fois, ou penser
en plusieurs temps, soit parce qu'il faut changer de domaine de travail, ou de point de vue, etc.
; cela nécessite aussi d'avoir de nouveaux garde-fous (moyens de contrôle), car l'intuition, le
"concret", ne suffisent plus pour des notions trop généralisatrices (espaces vectoriels par
exemple), il faut donc se construire des situations de référence (exemples d'espaces vectoriels
faciles mais non banaux).
Tout cela commence à rappeler les pratiques des mathématiciens, notamment dans le
fait de "faire varier" systématiquement ce qu'on peut, ou encore de pouvoir expérimenter sur
des terrains bien balisés. Ce peut être aussi le début de la mise en place d'une démarche un peu
réflexive, pour faire face à ces nécessités de pensée plurielle, non immédiate.
D'autant plus que la combinatoire des problèmes possibles devient très vaste, et qu'il
est beaucoup plus difficile de se préparer en ayant "tout" vu ! Il y a là une sorte de paradoxe :
le travail à la maison devient incontournable, on ne peut pas tout couvrir en classe, mais... à
la maison non plus ! C'est autre chose qu'il faut viser, nous y reviendrons.
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Ceci doit être tempéré par la réalité des examens, que leurs énoncés soient faciles, ou que ce soit les notes
attribuées qui laissent passer même les étudiants ayant des productions très faibles. On sait bien que le travail des
étudiants est complètement conditionné par le souci de réussir les examens, et qu'il n'est pas la peine d'espérer un
travail sur quelque chose qui serait sans aucun rapport explicite avec les examens.
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Rappelons que nous négligeons dans cette description la réalité des examens, qui
fausse peut-être les apprentissages de certains, en laissant "passer" des étudiants n'ayant pas
appris vraiment grand chose, en dehors de mises en fonctionnement isolées, techniques, et qui
surtout n'ont pas changé leur logique d'apprentissage... Qui plus est, ils ne sont pas toujours
conscients de ce phénomène.
II Difficultés observées et nécessité de changer la manière d'apprendre : l'imitation ne
suffit plus, les étudiants doivent organiser leurs connaissances.
Il serait trop long de passer en revue toutes les erreurs rencontrées en DEUG et déjà
répertoriées dans de nombreuses recherches ; pour donner une vision un peu globale, disons
que les difficultés des étudiants sont souvent liées à la complexité des notions en cause. Par
exemple on constate souvent que les étudiants mettent en jeu des modèles réducteurs (de la
convergence notamment), ou des procédures réductrices (invention d'algorithmes inexistants,
la fin justifiant les moyens...).
Parmi les grands classiques des difficultés, se trouvent les démonstrations d'existence
(notamment par analyse, synthèse, deux étapes) - absentes des programmes de terminale. Et
même les conditions nécessaires et suffisantes ou les réciproques dont la nécessité doit être
décidée par les étudiants (rares en terminale). Il en est de même de la détermination de l'image
d'une application, ensembliste ou linéaire.
Plus spécifiquement en analyse, on constate une difficulté persistante avec les
raisonnements mettant en jeu des conditions suffisantes. Ou encore avec les raisonnements
nécessitant de traiter une même expression en deux temps, par exemple en introduisant une
somme et en utilisant un raisonnement différent pour conclure (à la même chose) pour chaque
partie2. En plus c'est souvent une démarche un peu heuristique qui permet de trouver cette
idée. En réalité on trouve souvent derrière ces difficultés les nombres réels et la relation
d'ordre sur |R.
En algèbre le début de l'algèbre linéaire s'avère difficile pour une moitié des étudiants,
qui se plaignent du caractère "abstrait" et manipulent le formalisme algébrique sans le
comprendre. Plus avant, les structures quotient, également non abordées en terminale, sont
difficiles - on travaille sur les classes d'équivalence qui sont tantôt des sous-ensembles, tantôt
des éléments. Repérer que définir une application sur des représentants nécessite une
vérification de compatibilité est une étape importante et non immédiate en DEUG. De même
les structures "engendrées" à partir de sous-ensemble (groupes, espaces vectoriels) sont
sources de difficulté durables, ainsi que, plus généralement, l'existence de contraintes
"invisibles" dues aux structures. Par exemple les étudiants sont très étonnés de constater qu'il
2
Un exemple typique est la démonstration du lemme de Césaro pour les suites.
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n'y a qu'un groupe à trois éléments. Ce constat peut déjà se faire en géométrie, en terminale,
mais n'est pas toujours explicité3.
Si on essaie de réfléchir à un niveau un peu plus général, on constate que ces
difficultés correspondent bien à ce que nous évoquions ci-dessus sur les contenus. Elles sont
associées à la complexité : beaucoup de difficultés concernent des notions d'algèbre linéaire
abstraite (sans composantes dans une base fixée, ni matrices), ou des raisonnements d'analyse
mettant en jeu un formalisme nouveau, on retrouve les notions de type généralisateur
signalées au début.
La nécessité de "résoudre autrement" a pour nous son équivalent en termes
d'apprentissage, il s'agit d'"apprendre autrement". Une dernière fois, soulignons que cette
nécessité peut être obscurcie par le décalage entre les examens et les contenus à acquérir.
Il faut donc, en schématisant, pallier le fait que les moyens élémentaires de résolution
sont désormais caducs, ne suffisent plus aux problèmes proposés, et que d'autre part, on ne
peut se préparer de manière quantitative, exhaustive, en ayant tout vu à l'avance, et en se
contentant de reconnaître et/ou d'imiter. Si les étudiants ne modifient pas leurs méthodes de
travail, s'ils continuent à miser sur l'imitation, sur une logique de la réussite immédiate,
mettant en jeu une formule du type "apprendre le cours, refaire les exercices", sans réflexion
supplémentaire, ils ont du mal à dépasser le stade de résolution isolée d'exercices nécessitant
l'application pure et simple d'un théorème indiqué. Ils ne font pas face aux nouvelles
demandes, ils n'ont plus de situations de référence, même pauvres, pour se contrôler même à
leur insu, si la notion est trop généralisatrice, ils n'arrivent pas à différer leur réussite. Et le
fossé peut se creuser.
Il faut donc installer petit à petit, et c'est un objet d'apprentissage (déjà commencé pour
certains au lycée), d'autres démarches, assez systématiques, avec des méthodes, des jeux de
cadres, des mises en place de situations de référence, en un mot des questionnements et des
repères. Or, qui dit repères, dit organisation des connaissances : pour nous il y a là un véritable
enjeu des apprentissages post-bac. Cette organisation des connaissances permet notamment
d'avoir une vue un peu globale des différents chapitres des cours, et, du coup, d'introduire à
bon escient des changements de domaines de travail, de points de vue, de stratégies, ou même
des connaissances a priori non indiquées dans un problème. Elle est associée, en un mot, à
une certaine disponibilité des connaissances4 (cf. exposé de J. Pian), qui nous semble une
condition nécessaire à des acquisitions complexes, qu'elle traduit aussi, faisant même partie de
la conceptualisation visée.
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Par exemple, le point d'intersection de la bissectrice issue d'un sommet d'un triangle et de la médiatrice du côté
opposé est non seulement nécessairement à l'extérieur du triangle, sur le cercle circonscrit, mais encore il se
projette sur les autres cotés respectivement à l'intérieur et à l'extérieur...
4 Les connaissances sont dites disponibles si l'étudiant est capable d'aller les chercher tout seul, à bon escient.
5
Pour reprendre un slogan à la mode, pour nous l'organisation des connaissances, la
mise en relation des diverses mises en fonctionnement d'une même notion ou de plusieurs
notions, est à la fois source et critère d'apprentissage.
Pour conclure, revenons à l'enseignement.
Selon les étudiants, ils feront ou non tout seuls la découverte de ces nouvelles
exigences.
A notre avis, ils peuvent être aidés en cela, sur un plan strictement cognitif au moins, à
la fois par la confrontation à des problèmes consistants, justement, et aussi par des réflexions
leur explicitant, au bon moment, certaines de ces nécessités. Ce peut être pendant la résolution
d'un problème, choisi en partie "exprès" pour cela, le fait de dégager l'utilité de telle ou telle
méthode, ou même de tel ou tel questionnement, quand les étudiants "sèchent". Ce peut être
pendant l'exposition des connaissances, et ceci peut être facilité par la place des cours par
rapport aux problèmes, le fait d'indiquer des éléments d'organisation, de retourner en arrière,
d'engager des réflexions transversales, de dégager le caractère unificateur d'une notion et
l'économie réalisée en utilisant le formalisme correspondant, etc.
Dans ce colloque, modestement, nous avons voulu aborder trois aspects de la
conjoncture, au regard des aspects plus généraux évoqués ci-dessus.
* préciser les résultats de ces apprentissages que nous jugeons peut-être insuffisants en
DEUG, en essayant de déterminer ce que savent et ne savent pas ceux qui ont réussi d'une
certaine manière, qui ont poursuivi leurs études (allant jusqu'à la préparation du capes de
math) - J. Pian. Nous en profiterons pour préciser aussi certains modes d'apprentissage
individuels - C. Castela.
* montrer et, si possible, analyser comment, dans ce contexte, intégrer (positivement si
possible !) les NTE - cet après midi et demain matin - il y aura des exposés d'expériences, des
démonstrations en vraie grandeur (ateliers), et un essai de première synthèse des questions
actuelles (M Artigue, MC Bour, P Jarraud).
* montrer comment certains chercheurs en didactique des mathématiques intègrent certains
résultats de leurs travaux à leur enseignement (ou projet d'enseignement) de DEUG - Mason,
Rogalski, Legrand, Grenier, Durand Guérrier. Sans prosélytisme !
C'est en effet une équipe de didactique des mathématiques qui a eu l'idée de ce
colloque, et nous espérons illustrer tout au long comment les outils que nous utilisons
permettent effectivement de faire des diagnostics, de préciser des contenus à enseigner, de
concevoir même des scénarios d'enseignement.
Samedi, trois exemples des recherches aux pratiques sur quatre notions différentes - un
champ théorique avec des notions type généralisateur et unificateur, une notion plus réponse à
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un problème, une pratique transversale accrochée à une notion du même type que la
précédente.
Il s'agit d'illustrer ce que nous évoquions en dernier : "Faire faire des math autrement",
pour aider à changer de logique...
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