Cinéma / Cinéma - L`Homme qui aimait les femmes, François

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Cinéma / Cinéma - L`Homme qui aimait les femmes, François
Cinéma / Cinéma
Bertrand et Hélène au sortir d’une salle de cinéma : double ellipse cinématographique.
Dès les premières propositions de son coscénariste Michel Fermaud, Truffaut lui
recommande d’écrire « quelques histoires de drague au cinéma. La plus compliquée (mais logique
et plausible dans sa complication) sera la meilleure. »1 Ceci paraît attendu venant d’un cinéaste qui
a depuis fort longtemps nourri sa création de nombreuses aventures cinéphiles, même si avec ce
film, son souhait est avant tout de célébrer dans un même élan, la passion des femmes et celle de
la littérature.
Ainsi lors de la promenade nocturne avec la belle Hélène, Truffaut laisse rapidement entrevoir la
devanture d’un cinéma avec son lot de photos de films que jadis le jeune Antoine Doinel volait
comme de précieux fétiches. Morane passe devant sans même leur jeter un coup d’œil !
Néanmoins, il y a fort à parier que la soirée passée avec Hélène fut cinéphile plus que
gastronomique. En effet, le grand escalier qu’ils empruntent, reliait à l’époque le centre
commercial du Polygone à un complexe de trois salles flambant neuf inauguré à l’automne 1975,
place Francis Ponge, à deux pas de l’ancienne mairie de Montpellier. Ce cinéma assura une
programmation très commerciale jusqu’au début des années 90. Est-ce pour cela que Truffaut se
dispense d’en montrer la façade toute neuve où, à côté des films à l’affiche, trônaient,
conquérantes, les enseignes lumineuses d’une cafétéria Flunch et d’un « pub love »… sans
majuscule ?2
1 François Truffaut à Michel Fermaud cité dans Carole Le Berre, Truffaut au travail, Cahiers du cinéma, Paris, 2004,
p.231.
2 Sur les salles de cinéma à Montpellier, Cf. Max Brunel, Que reste-t-il de nos cinés ? Les cinémas de Montpellier, Editions
Domens, 1995, Pezenas, 174 p.
La façade commerciale des 3 cinémas du Polygone (Max Brunel, D.R.)
Une lumière dans le noir
Truffaut écrit encore : « Le cavaleur peut également donner rendez-vous dans un cinéma
ou avoir une histoire avec une ouvreuse. », amenant lui-même l’épisode de Nicole, l’ouvreuse
sourde et muette. Malgré l’absence de plans larges dans la salle de cinéma ou du moindre plan de
coupe sur le film documentaire projeté, cette séquence fut tournée dans un véritable cinéma, le
Lynx Cinéma, au 16 boulevard Victor Hugo, qui n’existe plus aujourd'hui que dans la mémoire
de vieux cinéphiles locaux.
« Ce soir-là le spectacle était dans la salle » raconte le chasseur anxieux et solitaire. Assis
dans la pénombre, il ne peut alors se retenir d’admirer les jambes gainées de l’ouvreuse qui, nous
dit-il en voix off, « s’obstine à les éclairer plutôt que d’indiquer le chemin au spectateur ». Cette
salle de cinéma où est projeté un documentaire très didactique, se pare soudain d’un incroyable
parfum érotique, sensation bientôt décuplée par le bruit du frottement des bas de soie lorsque
l’ouvreuse, assise à côté de lui, croise et décroisent ses jambes, en gros plans.
Pas farouche, Nicole, l’ouvreuse de cinéma, était veuve, sourde et muette ! Pour l’incarner et par
souci d’authenticité, Truffaut avait envoyé l’une de ses assistantes faire un casting au Centre
d'Education Spécialisée pour Déficients Auditifs de Montpellier (CESDA), déjà installé rue SaintVincent de Paul. Jeune apprentie couturière, Roselyne Puyo fut donc engagée parce qu’elle était
sourde et muette, mais aussi parce qu’elle était grande, belle et élancée. Peut-être aussi, Truffaut
pensa-t-il que le léger strabisme qui affectait son regard, ajourerait encore à la joyeuse perversité
de cette aventure cinématographique.