Discours de M. Abdou Diouf - Kinshasa, le 13 octobre 2012

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Discours de M. Abdou Diouf - Kinshasa, le 13 octobre 2012
XIVe Conférence des chefs d’État et de gouvernement
des pays ayant le français en partage
Kinshasa (RDC), les 13 et 14 octobre 2012
Allocution de Son Excellence Monsieur Abdou Diouf
Secrétaire général de la Francophonie
à la cérémonie solennelle d’ouverture du Sommet de Kinshasa
« L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de
gloire et de dignité. »
Cette prophétie de Patrice Lumumba, inscrite dans la dernière lettre qu’il adressa à son épouse,
peu avant de disparaître, la Francophonie l’a résolument faite sienne, dès les origines, parce
que son destin, né en terre africaine autour de la langue française, est irrémédiablement lié à
celui de ce grand continent, aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain.
Alors, par-delà les marques de profonde gratitude que je veux vous exprimer, Monsieur le
Président de la République démocratique du Congo, pour la qualité de l’accueil qui nous est
réservé, je voudrais vous remercier pour l’occasion que vous offrez à la Francophonie
d’honorer, enfin, ce rendez-vous de la solidarité si souvent manqué avec nos sœurs et nos
frères congolais, ce premier rendez-vous avec nos frères et nos sœurs de l’Afrique centrale
et de la région des Grands Lacs, confrontés à tant d’épreuves par l’Histoire, et dire à ces
femmes, ces enfants qui, en ce moment même, dans l’Est du pays, continuent d’être victimes
des exactions les plus barbares que nous ne les oublions pas.
Mesdames et messieurs les Chefs d’État et de gouvernement,
Évoquant comme vous le ferez, ici, les enjeux environnementaux et économiques face à la
gouvernance mondiale, il est deux questions inéluctables qu’il faudra bien se résoudre à
poser, parce que la mondialisation fait que les comportements, les décisions mais aussi les
difficultés de chacun ont désormais des conséquences sur le devenir de tous :
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la première, à qui appartient la planète et qui doit en exploiter les ressources ?

la seconde, à qui appartient le monde et qui doit en déterminer la marche ?
Les réponses sont moins évidentes qu’il n’y paraît ; car comment expliquer, sinon, ce statu
quo, ce déni récurrent, cet égoïsme persistant qui sont en passe de devenir les maîtres mots
tragiques de ce qu’il est plus politiquement correct de qualifier « d’impuissance » de la
communauté internationale ?
La Francophonie, dans toutes ses composantes, se présente à vous, aujourd’hui, avec la
conviction que, comme l’écrivait Tite Live : « Il faut oser, ou se résigner à tout. » ; parce
qu’en laissant certains marchés se déconnecter de l’économie réelle, en laissant perdurer
l’absence d’éthique et de régulation de l’économie mondiale, en laissant se creuser les
inégalités et les injustices, en différant, année après année, l’adoption des mesures urgentes
et innovantes qui s’imposent en matière de développement durable et de préservation des
biens communs de l’humanité, ce n’est pas seulement des centaines de millions d’hommes
et de femmes, de jeunes surtout, que nous condamnons au chômage, que nous condamnons à
être plus pauvres et plus désespérés qu’ils ne l’étaient, c’est aussi le rôle et la stabilité de
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XIV Sommet de la Francophonie
Kinshasa (RDC), 13-14 octobre 2012
l’État, la vitalité de la démocratie que nous mettons en danger, en même temps que la
stabilité et l’avenir de la planète.
En laissant perdurer un déficit de démocratie dans les relations internationales, en reportant
sine die la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, la réforme du FMI et de la
Banque mondiale ─ instances où l’Afrique doit occuper la place qui lui revient de droit ─, en
entérinant le pouvoir autoproclamé de quelques-uns, parmi les plus puissants, de décider,
sans réelle concertation, de l’avenir de tous, singulièrement des plus démunis, c’est encore
la stabilité et la sécurité du monde que nous mettons en danger.
En laissant perdurer une politique du « deux poids, deux mesures », « deux poids, deux
discours », en dénonçant chez certains les manquements que l’on s’abstient de dénoncer
chez d’autres au nom d’intérêts commerciaux ou stratégiques, en décidant, au nom de ces
mêmes intérêts que tous les conflits, si meurtriers soient-ils, ne méritent pas que s’exerce
notre responsabilité de protéger, ce sont les valeurs universelles que nous mettons en danger,
tout en donnant argument à ceux qui réfutent l’universalité des droits de l’Homme, à ceux qui
récusent le droit international, à ceux qui prônent le relativisme culturel, ou qui appellent à la
guerre des civilisations ou des religions.
Mesdames et messieurs les Chefs d’État et de gouvernement,
La Francophonie, vous le savez, s’est montrée avant-gardiste dans bien des domaines,
notamment ceux de l’environnement et de la diversité culturelle. Elle a surtout très tôt pressenti
que de la manière d’appréhender les problèmes dépendait l’efficacité des solutions. La veille,
le dialogue, l’accompagnement à long terme dans le cadre non négociable des principes,
valeurs et idéaux auxquels nous avons unanimement souscrit, la prise en compte de la
diversité des réalités du terrain, le souci d’agir en complémentarité avec les autres coopérations
à l’œuvre et de nous appuyer sur la société civile nous ont permis d’enregistrer des progrès
indéniables et de développer notre magistrature d’influence dans nombre d’instances de
négociation et de décision. Nous ne sommes, certes, ni plus ni moins vertueux que les autres
organisations internationales, mais sans doute avions-nous compris, de par la nature du lien
original qui nous unit ─ je veux parler de la langue française et des valeurs humanistes qui
lui sont attachées ─ que la famille humaine est une et indivisible.
Puissiez-vous donc, dans ce grand pays, si fécond en ressources, en forces vives, en talents,
dans ce grand pays qui a tant offert à l’art nègre et à l’esthétique universelle à travers le
rythme, la couleur, la création littéraire, la statuaire, dans ce grand pays qui incarne, dans le
même temps, les drames, les souffrances, les luttes passées et présentes des peuples
d’Afrique, poser sincèrement les problèmes et esquisser des amorces de solution. Puissiezvous dans cette région centrale de l’Afrique, poumon et cœur de l’humanité, faire bouger les
lignes, ici et ailleurs, parce que l’Afrique est en train d’écrire son histoire et que, ce faisant,
elle écrit une part déterminante de l’Histoire de l’humanité.
Oublions ce que nous n’avons pas été capables de faire jusqu’à maintenant, mobilisonsnous sur ce que nous sommes capables de faire et ce que nous devons faire désormais.
Je vous remercie.
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