Incipit Zazie /17 1 - Français Littérature

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Incipit Zazie /17 1 - Français Littérature
INCIPIT ZAZIE
• A la découverte de Raymond Queneau
(1)(2) : Que retenir avant tout de la biographie de Raymond Queneau ?
- Le milieu social : une famille bourgeoise provinciale, qui autorise la poursuite d’études à Paris,
explique en partie la relation de questionnement de Queneau face à ses origines, écrivain iconoclaste, d’une
grande liberté d’esprit. Une relation d’opposition qui se retrouve également dans le parcours de Louis Malle.
- La formation et les expériences de la jeunesse : l’entrée dans le cercle surréaliste de Breton, les
liens avec les communistes, l’intérêt pour l’orientalisme, la psychanalyse, et, surtout : l’étude des
mathématiques, très poussée, qui l’amène à se présenter au concours de l’Ecole Polytechnique.
- La carrière littéraire : il est important de constater que Raymond Queneau est à la fois le poète de
Chêne et chien (1937), le romancier du Chiendent (1933), l’auteur de chansons à succès (Si tu t’imagines,
chanté par Juliette Gréco), un expérimentateur en littérature (Exercices de style, 1947). Au moment de la
publication de Zazie dans le métro, il n’est pas encore un romancier populaire, mais un écrivain reconnu dans
les médias (radio, presse, cinéma, télévision) : c’est lui qui fonde la Bibliothèque de la Pléiade, chez
Gallimard, en 1956.
- La publication de Zazie correspond à la fondation de l’Oulipo, à l’écriture de « Cent mille milliards
de poèmes » (1961).
•
Prolongement : Etude de l’épigraphe
Selon l’édition de la Pléiade (Romans II, p. 1707), la phrase originale serait « Ho dè plasas poiétès
éphanisèn » (= Le poète qui l’avait modelée la détruisit), référence à l’Iliade et à Homère, imaginant un
rempart au camp des Grecs, avant de le supprimer ensuite dans le cours de la fiction.
Appliquée à Queneau, cette épigraphe renvoie à une conception du travail de romancier : après avoir créé ses
personnages, et plus généralement une fiction, il les efface en mettant un terme à son récit. Est ainsi mis en
avant le caractère artificiel de tout roman, construction vouée à l’anéantissement quoi qu’il arrive…
C’est également le commentaire d’un auteur jetant d’emblée le voile de suspicion sur son œuvre, qui va
naître dans la puanteur et se dissoudre au dernier chapitre dans la disparition progressive des personnages.
C’est, enfin, l’assimilation de l’écrivain à l’artisan, en raison de la « plasticité » de son récit, susceptible de
modifications et de toutes les fantaisies possibles. On pense, bien entendu, à l’auteur d’Exercices de style, et
à l’entreprise de démythification, de sabordage systématique de tous ses textes. S’ils sont sujets à autant de
fluctuations, où se situe donc le vrai ? Ou s’agit-il d’une éternelle reconduction du faux, à l’image du
personnage de Pédro-Surplus, le plus énigmatique de tous ?
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(3) Corpus de textes autour de l’œuvre de Raymond Queneau 1 :
A- Exercices de style, 1947. « Récit », « Homéotéleutes », « Lettre officielle », « Passé indéfini »
B- Chêne et chien, 1937, v. 1 à 64
C- Oulipo, Atlas de littérature potentielle (ouvrage collectif), 1981, Folio, p. 166-67. La méthode S +
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D- L’Instant fatal, 1948, « Si tu t’imagines »
E- Les Fleurs bleues, 1965, incipit
Les questions suivantes peuvent guider la recherche des élèves : en quoi l’écriture de Queneau vous
paraît-elle ici originale ? Quels liens feriez-vous immédiatement avec votre lecture de Zazie ?
Cette première séance, partant de la lecture des élèves, permet de dégager quelques traits marquants de
l’écriture de Queneau : une poésie comme « fabrique » et réinvention du langage, l’écriture sous contrainte,
le jeu sur l’intertextualité, les positions iconoclastes, la déconstruction de l’univers romanesque, la mise à
distante des stéréotypes et le refus du lyrisme effusif, la fantaisie, enfin, et toutes les marques d’ironie… Ces
différents aspects seront directement reliés à l’étude de l’incipit du roman au programme.
Situation du passage :
Le passage fait suite à l'altercation qui a permis de présenter Gabriel et de lancer l'interrogation
emblématique du roman : « Doukipudonktan », qui témoigne des préoccupations littéraires de
Queneau concernant la transcription du français moderne parlé. Si l'on met de côté ce désormais célèbre
effet de surprise, on pourra tout d'abord montrer aux élèves que cet incipit remplit les fonctions
habituelles de l'ouverture romanesque.
(4) Bibliographie remise aux élèves. Elle permet de lancement d’exposés par binômes, à partir d’une fiche
accompagnatrice qui servira de feuille de route, et de critère d’évaluation 2
Entrée dans l’oeuvre romanesque : une langue en aventure
1 Voir l’annexe 3
2Voir l’annexe 4 : conseils méthodologiques pour l’exposé. Afin d’éviter le traditionnel copié-collé documentaire
assorti d’un écrit oralisé, on a privilégié le choix de deux ou trois passages de l’œuvre, que les élèves doivent
commenter de manière sensible et personnelle.
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I)
Une ouverture traditionnelle
A) La présentation des personnages
l/ Quels sont les personnages présentés ? Qu'évoqué leur nom respectif ? Quel éclairage cette
scène de rencontre à la gare projette-t-elle sur leurs relations ?
Trois personnages apparaissent qui forment un triangle :
*une mère (Jeanne Lalochère) confie
*sa fille.(Zazie)
*à son oncle (Gabriel).
Leur nom et leur mode de désignation sont significatifs.
Le patronyme de Jeanne permettra au lecteur féru d'étymologie régionaliste de goûter une première
allusion grivoise aux mœurs de la maman de Zazie : il est issu du verbe « locher » qui signifie en patois
normand « secouer un arbre pour en faire tomber les fruits ».
En argot, il renvoie plus communément au geste de la branleuse, ce qui n'a pas totalement échappé à
Zazie qui commente en ces termes « l'occupation » de sa mère : « C'est comme ça qu'elle est quand elle
a un Jules, la famille ça compte plus pour elle. »
C'est pourtant bien aussi un nom de mère puisqu'il peut également renvoyer au phénomène postnatal des
« lochies » (= saignements après l’accouchement).
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La mère de Zazie est ainsi d'emblée présentée comme le personnage de Jean-Eustache : maman et putain,
dualité qui s'inversera au dernier chapitre.
Les didascalies du narrateur (« s'amenant enfin »),
ainsi que les répliques du personnage (« J'aurai pas le temps », « tu comprends, je ne veux pas qu'elle
se fasse violer »), lui confèrent un mélange de nonchalance et de brutalité peu conforme au stéréotype
maternel.
Tout concourt ainsi à présenter Jeanne comme une mère ne parvenant pas à l'être.
Le prénom de notre héroïne éponyme ressemble au surnom d'une égérie des zazous du Paris de
l'Occupation (la grande Zaza)
a des allures de zigzag comme la trajectoire du personnage.
Ses modes de désignation (synonymes argotiques d'enfant, « la gosse », « la mouflette »...) ont tous
pour effet de la réduire au statut inférieur de l'« objet » (et non de \'engin comme le fait attendre la
formule de Jeanne : « tu vois l'objet ») qu'on peut s'échanger sur le quai d'une gare.
Pourtant entre Zazie et l'infans, il y a peu de rapports.
En effet, Zazie parle et son langage est « transitif », il vise toujours à obtenir quelque chose.
Elle se montre en revanche peu sensible aux effets de manche de son tonton (« la gosse se mare ») et le
lecteur a aussitôt l'impression que la mouflette l'emporte sur le colosse.
D'ailleurs elle le reconnaît avant lui et se montrera ainsi, souvent, d'une grande lucidité.
Deux éléments la rattachent pourtant au monde de l'enfance : le « manman » dont elle use pour
désigner sa mère et la furie aux allures de caprice que déclenche la nouvelle de la grève et qui lui vaut
une première leçon de philosophie de son tonton.
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Gabriel est un prénom d'archange, celui de l'Annonciation, faut-il dès lors lui reconnaître une
fonction de médiation auprès de Jeanne vers la reconnaissance de la maternité ?
Peut-être même si Michel Bigot voit en lui un « archange sans message » (op. cit., p. 107).
Figure protectrice (« colosse ») et affectueuse (« tonton », « Gaby »), il est campé dans une attitude
(« Il regarde dans le lointain ») qui l'oppose au pragmatisme de Zazie.
Tout un jeu allusif sur l'ambiguïté sexuelle du personnage se déploie :
il apparaît tour à tour misogyne (« les femmes c'est toujours à la traîne »),
efféminé (le besoin d'affirmer que Barbouze de chez Fior est un parfum d'homme).
Son autorité, Gabriel cherche surtout à l'assurer par une utilisation grandiloquente du langage
(« anoblissant son ton », il utilise des figures de style...), aussitôt discréditée par le rire de Zazie, dont la
désacralisation est la principale vertu.
B) La mise en place du cadre spatio-temporel
2l Commentez le cadre spatio-temporel et relevez les indices du contexte de l'après-guerre.
L'histoire se déroule entièrement à Paris.
La gare d'Austerlitz voit débarquer Zazie en provenance de Saint Montron, petite ville de province
imaginaire.
L'univers romanesque sera ainsi constitué, tout au long du récit, d'un mélange de réalisme et de
fantaisie.
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Effets de réel; la présentation du lieu, c’est-à-dire, Paris (l.8), les odeurs caractéristiques (l.13), le
décor réaliste...
Elle arrive en fin d'après-midi et repart tôt le surlendemain : « Je vous retrouve ici après-demain » dit
Jeanne, ce qui est une manière d'annoncer la clôture circulaire du récit et sa durée (un jour et deux
nuits).
Le traitement du temps présente donc une certaine unité classique avec, comme pour le cadre
spatial, une irruption insidieuse de l'absurde liée à la mention du train de six heures soixante.
Le contexte est celui du Paris de la Libération, ce qui transparaît à la fois dans les allusions à
l'Occupation, encore récente (cf. le « natürlich » de Jeanne, ainsi que la syllepse sur l'adjectif «
occupée ») et dans les mutations de cette société française en transition, qui sont mentionnées au
passage : encore traditionnelle et vieillotte (la plupart des appartements n'ont pas de salle de bains)
mais en cours de modernisation (la petite provinciale rêve de voir le métro) ; ce qui rappelle les
plans de Paris ouvrant Mon oncle, film contemporain de Jacques Tati.
Zazie parle de « les Mémoires du général Vermot ». Elle mélange les Mémoires de guerre du
général De Gaulle et l'almanach Vermot.
Pour finir, la rencontre à la gare semble pertinente puisqu’ainsi cet incipit crée une avec son
épilogue, qui se passe aussi à la gare. Ainsi, l’oeuvre semble “tourner en rond” pour finalement finir
au point de départ quelques jours plus tard. Cette impression est renforcée par ce que dit Zazie à la
fin: “J’ai vieilli”.
II)
Un récit d’initiation
A) Un incipit initiatique
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3/ Dans quelle mesure cette ouverture contient-elle les données habituelles du récit
d'initiation ?
Dans quelle mesure cette ouverture contient-elle les données habituelles du récit d’initiation
(cherchez la définition de ce genre) ?
Le récit d’initiation, ou pour le roman, le roman d’apprentissage, est un genre littéraire né en
Allemagne au 18e siècle (appelé Bildungsroman).
Ce genre de roman suit le personnage principal au cours de sa vie, maturation et apprentissage vers
l’idéal d’un homme accompli et cultivé.
Un enfant,
une quête (voir le métro),
un adjuvant (tonton Gabriel),
un obstacle (la grève),
une première péripétie (Charles et son tac).
Tels sont, rapidement posés, les éléments de l'intrigue à venir.
Zazie dans le métro est considéré un récit d’initiation car il montre un personnage en ses années de
jeunnesse (c’est la première partie du roman d’apprentissage) qui, tout en étant naïve jusqu’à un
certain point et pleine d’idéaux, se voit confrontée à un monde qu’elle ne connaît pas (Paris).
Le récit est d’ailleurs vécu sous une vision d’enfant (sachant bien que Zazie n’est pas la narratrice).
L’apprentissage est subi par l’inaccessibilité du métro.
Cette naïveté disparaît au même temps qu’elle subit certaines confrontations dans une ville
étrangère pour elle et qu’elle “vieilli”(à certaines reprises elle éduque les adultes par des références
de Freud).
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Ils donnent immédiatement au récit les allures d'un roman d'initiation et notre passage s'achève
significativement sur une ouverture propice au développement des aventures parisiennes de Zazie : «
En route » dit Gabriel.
B) Une révolution du langage
4/ Relevez les différentes licences qui affectent le langage dans les dialogues et dans les
interventions du narrateur. Quels registres sont employés par l'auteur ? Dans quel but ?
L'action est lancée, de même que le ton.
Le chapitre 1 donne la tonalité générale du roman.
Son registre particulier surprend par le travail sur le langage parlé qui affecte les dialogues en leur
donnant leur saveur particulière.
Il repose sur divers procédés.
* phénomènes de transcription phonétique (« chsuis », « manman », « bin oui »)
* d'élision (« jparie », « àrvoir », « ya », « jm'en fous », « n'empêche », « Imétro », « moi qu'étais
»...),
*des tournures « zaziques » (la forme particulière de superlatif « tu sens rien bon »)
*auxquelles sont liés jurons (« Sacrebleu », « merde alors »)
*et termes argotiques (« Jules », « mordue », « se grouiller », « un pote », « un tac »)
*Systématiquement, la suppression des négations,
*différentes altérations phonétiques qui peuvent être subies par les mots,
*métaplasmes (= En rhétorique, on nomme métaplasme toute modification phonétique ou morphologique
qui altère l'intégrité d'un mot par addition, suppression, substitution ou permutation).
*emploi de la crase, ou contraction de deux syllabes en une seule, comme dans le parler populaire (« Les
gens qu’attendent »),
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*l’aphérèse, ou suppression du début d’un mot ou d’une expression (« Non vraiment y a pas de raison »)
*Enfin, la présence de mots-valises (par exemple « Fior », superposition de la fleur, du parfumeur bien
connu et de l’argotique désignation du cul).
= tous ces procédés concourent à la vertu désacralisante de l'héroïne.
Mais le travail sur la langue ne se limite pas à ce jeu sur la langue populaire.
Ce qui est saisissant dans le comique et le style de Queneau c'est le contraste entre parler populaire
et langue savante, sensible ici dans les répliques de Gabriel qui mêlent
*aux calembours faciles (« Charles attend »)
*les homérismes (« les employés aux pinces perforantes »)
*et des procédés plus complexes comme le calque du chinook qui consiste à redistribuer
complètement l'ordre des mots dans la phrase selon le modèle de cette langue amérindienne qu'est le
chinook, la plus proche selon Queneau du français parlé (« Je nous le sommes réservé à cause de la
grève précisément, son tac. »).
Même Zazie se montre à l'occasion capable de ce genre de prouesses, comme ici,
*dans l'emploi de la locution verbale « s'aller voiturer» qui juxtapose l'archaïsme de l'emploi
pronominal du verbe « aller » avec le verbe « voiturer » (en parlant de personnes, légèrement
familier).
Certaines interventions que Zazie fait qui ne sont pas très cohérentes pas rapport à son âge, par
exemple, dans cet extrait elle parle du nouveau “jules” de sa mère avec son oncle.
Nous pouvons remarquer que les personnages font des erreurs : Jeanne Lalochère dit “six heures
soixante” au lieu de dire “sept heures”.
Cette créativité verbale affecte aussi les interventions du narrateur, c'est en ce sens qu'on peut
parler avec Queneau, comme avec Céline, qui lui est d'ailleurs contemporain, de révolution
stylistique.
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Dès lors, le registre essentiel du roman semble se fonder sur le burlesque ou le parodique ; il
convient à présent de s'interroger sur la cible de cette parodie.
C)
Le roman parodique d'un univers déchu4
Un roman ou un récit d’énonciation est un récit où on nous présente l’évolution d’un personnage
qui tente de comprende le monde ou lui-même.
La structure de ce récit s’éloigne de la tradition ainsi que le point de vue qui est très particulier ou
même spécial, propre de Queneau.
Le point de vue est omniscient malgré de petits éléments ou passages qui peuvent nous mener à
penser que le point de vue de Zazie dans le métro est interne.
En même temps, Queneau met à distance le caractère artificiel de tout dialogue dans le tissu romanesque,
comme l’attestent la répétition ostentatoire du verbe dire (alors qu’on ne dit rien…).
Nombreuses licences qui affectent la langue du narrateur,
*au niveau de la syntaxe (lourdeur du procédé de mise en relief du pronom « elles » dans la
transcription du discours intérieur misogyne de Gabriel,
*abus du style coupé pour marquer le caractère protocolaire des embrassades à la gare...),
*du vocabulaire (fréquence de termes argotiques)
*ou de l'orthographe (« se mare », « stope », « espliquer »), explication de l’Oulipo.
L'effet est évidemment burlesque et vise à un véritable travail de sape des piliers sur lesquels
repose ordinairement l'autorité littéraire à savoir : *l'histoire,
*l'épopée,
*la philosophie.
Le traitement de l'histoire dans les romans de Queneau paraît souvent dérisoire.
Les événements historiques émergent sans hiérarchie et sont dissous dans la quotidienneté ou la «
factidiversialité » (cf. séance 6).
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Ainsi en va-t-il des allusions à l'Occupation encore toute récente qui passent, ici, par la syllepse
ironique sur l' « occupation » de Jeanne, formulation dérisoire qui rend l'indice historique aussi vain
que les destinées des personnages...
De la même manière, l'épopée se trouve réduite, dans notre passage, à l'utilisation parodique de
certaines expressions (comme l'épithète homérique : « les employés aux pinces perforantes »,
pour désigner les poinçonneurs) qui donnent aux discours de Gabriel leur emphase un peu
ridicule.
La désacralisation de la philosophie, enfin, passe par le décalage entre le vocabulaire érudit
utilisé par le narrateur dans ses commentaires et le registre familier des dialogues qu'il est en train
de transposer.
La présence d'un vocabulaire philosophique (« thomisme kantien », « cosubjectivité ») est
ici insolite et participe de la métaphysique burlesque chère à Queneau.
Au total, à la fin du premier chapitre, l'horizon d'attente du lecteur est à la fois comblé (Incipit
remplit les fonctions habituelles de l'ouverture romanesque) et malmené par cette esthétique de la
surprise et de la provocation qui ne cesse de jouer avec ses habitudes, minant en profondeur les
valeurs attendues de la littérature.
CCL
L’étude de l’incipit se fonde sur ces remarques préalables : la langue est ici malmenée, mais
constitue une autre forme de littérature.
L’étude met en évidence une déconstruction du langage : l’œuvre s’affirme tout à la fois réflexive et
iconoclaste, à partir d’un démontage ludique et jubilatoire de la matière verbale.
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OUVERTURE : Entrée dans l’oeuvre filmique : vers un autre langage cinématographique
• Objectif : Entrer dans le film : clefs pour un langage cinématographique iconoclaste.
• Démarche adoptée : Partir de la recherche préalable des élèves sur la carrière de Louis Malle, que l’on
complète à partir d’extraits représentatifs de son œuvre. Cette approche initiale est prolongée par l’étude des
deux premières séquences du film (le générique initial et l’arrivée à la gare de Zazie).
• Eléments biographiques et contextuels3 :
Quels aspects importants peut-on retenir de la carrière de Louis Malle ?
-
Sa naissance dans une famille très aisée, et sa décision personnelle de faire du cinéma, plutôt que
de suivre une carrière dans l’entreprise familiale (les Beghin-Say, industriels du sucre). La satire
sociale est une constante de tous ses films ; s’y joint, également, un caractère frondeur, iconoclaste,
dans une entreprise de déstabilisation des valeurs acquises (Les Amants, Lacombe Lucien, Le souffle
au cœur, films qui suscitent des réactions scandalisées à leur sortie).
-
Une volonté d’indépendance : il achète une société de production, les Nouvelles Edtions de Films,
qui assurera son indépendance. C’est sans doute ce point d’appui qui l’amène, dans le générique de
Zazie, à privilégier le film d’auteur, et le collectif de ses artisans.
-
Les films de Louis Malle précèdent de peu ceux de la Nouvelle Vague, désignation d’un groupe
dynamique de créateurs français porteurs d’innovation à la fin des années cinquante : François
Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric Rohmer, Claude Chabrol, et avant eux Jacques Tati. Ce caractère
innovant se retrouve immédiatement dans les premiers plans de Zazie.
-
Lorsqu’il réalise Zazie dans le métro en 1960, Louis Malle est déjà un cinéaste expérimenté et
salué par les critiques, qui lui ont décerné plusieurs prix, notamment pour Le Monde du silence (il est
alors le collaborateur de JY Cousteau), Ascenseur pour l’échafaud. A noter également que Zazie est
son troisième long métrage adaptant une œuvre littéraire. Il affirme donc, dès ses premiers films, une
démarche artistique et créatrice.
3 Pour éclairer le parcours de Louis Malle, on s’appuiera avec intérêt sur le supplément DVD du film Au revoir les
enfants : Louis Malle 26 fois, de Michel Ferry.
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-
Il est intéressant de suivre son parcours après Zazie : son départ pour les Etats Unis, période
américaine de dix ans au cours de laquelle il trouve un nouveau souffle en imprimant son style, dans
une nouvelle forme de film documentaire, croisant les exigences de la fiction : avec lui, la fiction
n’est souvent qu’une version réfléchie –dans tous les sens du terme- du réel (Atlantic City, God’s
country). C’est ce même état d’esprit qui l’amène à entreprendre un long voyage en Inde (Calcutta,
L’Inde fantôme). Cette carrière est donc marquée par l’éclectisme, l’ouverture aux formes les plus
variées. Outre l’ouverture d’esprit, on y remarque la présence de genres, de tons, de propos et de
projets très différents d’une production à l’autre. En même temps, certains de ses films ont une part
émouvante d’autobiographie (Au revoir les enfants).
-
En conclusion de cette étude, on précisera quel fut l’accueil de Zazie dans le métro par les critiques
et le public : Louis Malle parvient à racheter les droits du livre de Raymond Queneau, avec sa
propre compagnie de production, ce qui va lui permettre de travailler en toute indépendance. Il s’agit
pour lui de transposer la critique du monde romanesque, réalisée par Queneau, dans le monde
cinématographique (on fera voir l’archive vidéo de l’INA consacrée à l’interview télévisée de Louis
Malle à la sortie du film : voir les références figurant à la note 1). Les critiques reconnaissent aussitôt
un « film expérimental », un laboratoire de tentatives exaltantes, même si elles ne sont pas toujours
abouties. Si le succès est foudroyant auprès des connaisseurs (Chaplin, Ionesco, Truffaut, et…
Queneau lui-même), en revanche, le film ne connaît qu’un succès mitigé auprès du grand public.
• Etude du début du film :
« Cinématographiquement, il fallait trouver, au comique essentiellement « littéraire » de Queneau qui se
situe au niveau du langage romanesque […] des équivalences et recréer l’univers du livre d’une autre
manière, par une critique de la forme cinématographique. »
On partira de cette réflexion de Louis Malle pour guider la recherche des élèves de la manière suivante :
1- En quoi le générique marque-t-il ici son originalité ?
2- En quoi la première séquence (la scène à la gare) contredit-elle les codes régulièrement en usage au
cinéma ?
3Le générique entraîne le spectateur dans un univers familier, celui des gares de banlieue, dans un
travelling avant très rapide.
Déjà, cependant, des éléments d’incongruité surgissent.
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*Le sifflement du train est en discordance avec le visuel (le bruitage du train à vapeur contredit la vision
moderne d’une ligne électrifiée des années 60) ;
*la bande-son est également en décalage avec la rapidité du mouvement,
*et, surtout, le générique se signale par une hiérarchie aux antipodes du « star system » hollywoodien,
priorité étant donnée ici aux réalisateurs du film et à leurs collaborateurs, alors que les comédiens de Zazie
seront rejetés dans le générique final…
Rappel : le générique d’un film n’est pas un moment neutre, mais qu’il induit des choix idéologiques : Louis
Malle signale ici, de manière vigoureuse, une conception créatrice, collective et plasticienne du film dont
l’acteur ne serait finalement qu’un maillon.
La séquence à la gare4 se caractérise par les jeux de décalages opérés :
*l’apparition de Gabriel va à l’encontre du code cinématographique, fondé sur l’adhésion immédiate du
spectateur et l’illusion de réel.
Trois éléments favorisent la distanciation :
1- le son, imparfaitement post-synchronisé, au point qu’il paraît artificiel, et comme décalé par rapport à
l’image.
2- Le rapport hiérarchique attendu entre l’avant-plan et l’arrière-plan, entre personnages principaux et
secondaires, est ici inversé, l’image mettant en valeur les « permanents » (que l’on retrouvera dans les
plans suivants).
3- Le jeu des « permanents » n’est pas neutre comme le serait celui des figurants d’un film classique : leur
jeu confine ici à l’expressionnisme, à la limite de la caricature, le visage tendu vers l’arrivée du train, ce
qui les rend à la fois caricaturaux, grotesques, et inquiétants.
Dans le même plan, on note l’intervention du pickpocket, qui s’empare d’un réveil à la sonnerie tonitruante,
sans que les autres personnages n’en soient le moins du monde perturbés : la scène avoisine l’absurde.
De même que la discontinuité spatiale, l’amant de Jeanne Lalochère apparaissant brutalement à droite de
l’écran au terme du panoramique, alors que le spectateur l’avait quitté dans le même plan sur sa gauche.
4 Voir l’analyse de cette séquence dans le site zerodeconduite (« Médoukipudonktan »), p. 45-47 du dossier
pédagogique.
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Sont ainsi troublées la cohérence logique et chronologique, ainsi que l’illusion de réel qui fonde le
spectacle.
Les plans suivants confirment cette entreprise de déstabilisation du spectateur.
D’une part, l’arrivée des voyageurs est présentée en accéléré, à la manière des films muets d’antan :
l’agitation des personnages s’en trouve déréalisée, et comme objet d’une étrangeté.
La rencontre de Jeanne, moment fort de cet incipit, déjoue toutes les règles du montage
cinématographique :
Le champ/contrechamp,
Et le mouvement du personnage féminin, (appuyé par une musique tonitruante) parodient toutes les scènes
de rencontre déjà vues au cinéma, et aboutissent à la rencontre… de Jeanne et de son amant, alors que l’on
attendrait Gabriel, qui resserre les bras sur du vide.
A l’inverse, le personnage principal de Zazie reste invisible, relégué dans le hors champ : l’entrée de
l’héroïne s’effectue donc à l’inverse de toutes les techniques éprouvées du cinéma.
Aucune anticipation (par exemple, au moyen d’un raccord-regard, comme celui qui introduit Lanna Turner
dans Le facteur sonne toujours deux fois) ;
aucune monstration (le champ de l’image est vide, incongruité totale au cinéma, lorsque Philippe Noiret se
baisse pour accueillir Zazie, dont on n’a encore perçu que la voix).
CCL : Par conséquent : il s’agit d’un incipit clairement revendiqué dans son originalité : un générique
engagé, délibérément tourné vers le film d’auteur et la création artistique.
D’autre part, on assiste à une mise à distance du code cinématographique.
Comme le faisait Brecht au théâtre, Louis Malle fait appel à l’effet de distanciation pour rappeler à tout
moment au spectateur qu’il se trouve bien au cinéma, et non pas dans la réalité.
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A cet effet, il casse les effets d’illusion pour faire jaillir un nouveau discours, où primera le regard neuf sur
l’enfance (et par l’enfance) ainsi qu’une drôlerie mêlée d’inquiétude…
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