L`étonnant parcours de Barbara Abel - Culture

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L`étonnant parcours de Barbara Abel - Culture
La Libre Belgique (par page), 04/07/2015, page/bladzijde 58
L’écrivain belge a été
couronné il y a peu
par 3000 lycéens.
l
A l’occasion de la parution
de “L’innocence des
bourreaux”, elle revient
sur son incroyable parcours.
l
l Du succès au succès,
en passant par la case
traversée du désert.
Portrait Geneviève Simon
ébut mai, quelque trois mille élèves du
secondaire réunis au Passage 44, à
Bruxelles, décernaient à Barbara Abel le
prix des Lycéens pour “Derrière la haine”
– paru il y a peu en format Poche, chez
Pocket. Une couronne de lauriers de plus pour celle
qui avait abandonné l’espoir de devenir écrivain
avant que de bonnes fées ne décident de lui offrir un
étonnant parcours.
Retour en arrière sur une trajectoire peu banale.
Barbara Abel a juste 30 ans, elle est enceinte et “nulle
part professionnellement”, se souvient-elle l’œil pétillant. “J’avais essayé d’être comédienne, ça ne marchait pas. Je tentais d’être écrivain, ça ne démarrait pas.
J’avais donc décidé de devenir maman : il fallait bien
que je fasse quelque chose de ma vie !” C’est le moment
que, “par des détours incroyables”, Serge Brussolo
choisit pour entrer en scène. Directeur de collection
aux Editions du Masque, il revient chez lui avec,
dans les poches de sa veste, une nouvelle de Barbara
Abel – écrite naguère dans le cadre de la “Fureur de
lire”. Déterminée, la jeune femme en avait distribué
le plus largement possible dans les librairies…
Deux ans auparavant. Mme Brussolo est tombée sur
le texte après avoir fait les poches de son mari et l’a
interpellé : “Toi qui cherches de jeunes auteurs, lis ça,
c’est pas mal”… Ce qu’il fait, avant d’envoyer dans la
foulée un mail à Barbara Abel qui, à ce stade, n’avait
d’autre projet que de “pondre son œuf”.
D
L’étonnant
parcours
de Barbara Abel
théâtre à Paris, cette Bruxelloise née le 3 décembre 1969 écrit une pièce “L’Esquimau qui jardinait”,
avec celui qu’elle aime. “Je me suis rendu compte que
j’y avais pris beaucoup de plaisir.” Cette œuvre sera
montée et jouée à Bruxelles, puis présentée au Festival de théâtre de Spa. Barbara Abel enchaîne alors
les castings mais n’abandonne pas l’écriture.
Succès fulgurant, succès déclinant
Le thriller psychologique sera sa veine d’élection,
s’imposant à elle sans préméditation. “J’étais une lectrice globale. Je suis arrivée au Masque un peu comme
un ovni, je n’avais aucune référence et ils ont dû se dire
que ce que je faisais était différent, frais.” Le succès est
immédiat : “L’instinct maternel” s’écoule à
35 000 exemplaires et les droits du livre sont vendus
16 000 euros aux Allemands. “Mon premier salon,
c’est le 20e Festival du film policier de Cognac. Je mange
des huîtres avec Jacques Audiard, je serre la patte de
Georges Lautner, je dîne à deux mètres de Brian De
Palma, je me cogne dans Alain Delon : pour moi, c’est
ainsi qu’un écrivain vit ! Sauf que j’ai vite déchanté :
mon deuxième roman se vend à 20 000 exemplaires,
mon troisième tombe à 5 000, mon quatrième à 2 500
et le suivant à 1 000, dans l’indifférence totale.” Les
Editions du Masque, qui vivent sur la rente royale
que leur rapporte Agatha Christie, n’ont ni le besoin
ni l’envie de défendre un jeune écrivain. D’autant
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Littérature de détente
C’est une éditrice du Fleuve Noir, rencontrée lors
d’un salon, qui l’accueille (la même qu’elle vient de
suivre chez Belfond). Elle y signe deux comédies
– une clause d’exclusivité la retenant au Masque –
qui se soldent par deux échecs. Sans nouvelle de son
premier éditeur, elle se relance et signe “Derrière la
haine”, qui lui permet de renouer avec le public : il
s’en écoulera 40 000 exemplaires. “Ce livre m’a sauvée.”
Fan de séries télévisées (“Breaking Bad”, “Game of
Thrones”, “Doctor House”, “Desperate Housewives”) dont elle aime jauger les différents degrés de
qualité, elle apprécie leur inventivité : “Les relations
entre les personnages sont incroyables, très fouillées, riches, et les retournements de situations culottés.”
Quant à elle, ce qu’elle écrit doit “rester ludique” et
elle refuse toute description insoutenable. “Je veux
que mes romans soient de la littérature de vacances, de
détente. J’essaie de donner de l’importance psychologique à mes personnages, aux émotions, car c’est le moteur qui fera que le lecteur va s’y attacher ou les détester
– ce qui est aussi une émotion. Le genre veut des effets
fastueux.”
Joie et allégresse
Un comportement bizarre
Aussi inattendue que formidable est la nouvelle,
Barbara Abel n’a rien dans ses cartons. Ce ne sera
pas longtemps un problème puisque, le jour même,
à la caisse de son supermarché, une dame s’intéresse
à elle. Puis l’attend à la sortie pour lui proposer de
lui prêter ses vêtements de grossesse… “J’ai trouvé ce
comportement bizarre et j’ai refusé.” Racontant l’épisode à son mari, elle imagine : “Peut-être qu’elle n’a
pas pu avoir d’enfant, qu’elle voulait me séquestrer
pour me voler mon bébé !” Voilà comment naquit l’intrigue de “L’instinct maternel”, qu’elle propose illico
à Brussolo. C’est par tranches de trois chapitres envoyés dès qu’elle peut qu’il découvre ce qui deviendra un premier roman. Sûr du potentiel du texte,
Serge Brussolo propose à Barbara Abel d’envoyer
son manuscrit au prix Cognac… qu’elle décrochera
en 2002 ! Une belle entrée sur la scène littéraire,
puisque ce prix consiste en une publication… aux
Editions du Masque.
L’écriture, Barbara Abel y pensait, mais elle aurait
préféré devenir comédienne. Après des études en
philologie romane puis deux années de cours de
que, cette année-là, le Masque est racheté par Lattès,
qui baigne alors dans l’euphorie du succès du “Da
Vinci Code”. “Ils ne voulaient pas se fatiguer pour faire
vivre les autres auteurs. Broyée par cette machine, j’ai
décidé de partir au plus vite.”
“L’abnégation maternelle est
une connerie, ça ne te mènera
nulle part, ça ne t’apportera
que des emmerdes.”
BARBARA ABEL
in “L’innocence des bourreaux”.
Et ceci plaît aux adultes comme, désormais, aux
grands adolescents. La participation de cette mère
(Lou, 14 ans, et Gabrielle, 7 ans) au prix des Lycéens
lui a coûté. “C’était un investissement en temps payé
des cacahuètes. Et je n’écris pas pour les élèves de 5e et
6e : comment pourraient-ils s’intéresser aux problèmes
psychologiques des mères ?” Mais elle a tout de même
accepté, ne mesurant pas que, de janvier à mai, elle
verrait deux classes par semaine, ce qui la mènerait
à sillonner le pays de Tournai à Arlon en passant par
Liège. “Cela me prenait une journée complète mais, en
fait, j’étais chaque fois dans un état d’allégresse et de
joie. J’ai rencontré des jeunes qui adoraient le livre,
dans toutes sortes d’écoles. J’étais face à des ados qui
étaient cash et me disaient : ‘Madame, avant, je
n’aimais pas lire, mais votre bouquin, je l’ai trouvé
extraordinaire !’ On m’offrait des biscuits, on me préparait des saynètes, des dessins, des lettres, des poèmes…
Je recevais une telle dose d’amour à chaque visite ! Et en
plus, je chope le prix ! Cela m’a vraiment touchée de savoir que j’ai donné le goût de la lecture à ces jeunes qui,
souvent, ont même fait lire “Derrière la haine” à leurs
parents !”