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iufm d’Auvergne / sauve qui peut… le court métrage dossier F ilm (les n° entre parenthèses renvoient aux ouvrages cités en bibliographie) PALE RIDER en classe de français Le choix… Clint Eastwood s’impose assez facilement comme un réalisateur essentiel, d’autant plus, on pourrait se demander pourquoi, dans le milieu enseignant. Néanmoins, le choix d’un film à destination des élèves peut s’avérer difficile : A PERFECT WORLD (un monde parfait – 1993) paraît évident pour un niveau collège, ou BIRD (1988) peut-être, davantage pour le lycée, malgré sa durée ; c’est pourtant HONKYTONK MAN (1982) qui participe du dispositif ‘collège au cinéma’ ; c’est le seul film de Clint Eastwood qui apparaisse dans les dispositifs CNC à destination de l’école. Que représente Clint Eastwood, en tant que personnage, en tant que réalisateur ? Quel est son rapport aux genres (western, certes, mais aussi policier, film de guerre) ? Comment son personnage, hérité d’autres univers (Eastwood est avant tout un acteur), contamine ses créations ? Au cœur de la carrière d’Eastwood, au centre de ces questions, PALE RIDER s’impose dès lors afin de mieux comprendre la carrière de ce réalisateur, et de proposer une approche du genre western à des élèves, approche distanciée, ironique parfois, mais toujours révérencieuse. Eastwood et le western Eastwood naît comme acteur avec le western ; c’est dans le western qu’il se forge un personnage, d’abord dans les séries télévisées DEATH VALLEY DAYS (1956) 1, WEST POINT (1957), MAVERICK (1959) 2, puis RAWHIDE, qui le fait connaître : il est alors le jeune premier, un cowboy fringant et joli-cœur, enchaînant plus de deux cents épisodes entre 1959 et 1965. Il tourne alors pour Sergio Leone dans la trilogie des dollars (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus…, Le Bon, la Brute et le Truand, 1964 – 1966), interprétant un personnage qui le marque à jamais, dont on retrouve les traces jusque dans UNFORGIVEN (Impitoyable, 1992), en passant par HIGH PLAINS DRIFTER (L’Homme des hautes plaines, 1973), THE OUTLAW JOSEY WALES (Josey Wales hors-la-loi, 1976) et PALE RIDER (Pale Rider, Le Cavalier solitaire, 1985). Si Eastwood choisit de partir tourner en Europe, c’est parce que le scénario de POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS, dit-il, lui rappelle très fortement YOJIMBO (Le garde du corps – 1961) d’Akira Kurosawa. 1 2 source imdb.com l’épisode figure sur l’édition dvd de IMPITOYABLE. Depuis son apparition en tant que « l’homme sans nom » dans POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS de Sergio Leone, Clint Eastwood n’a eu de cesse de redéfinir l’identité de son personnage en éliminant les traits superflus. C’est un maître du minimalisme. La caméra ne renvoie rien de vain, elle recherche l’aspect mythique du héros. Vincent Canby, New York Times, 28 / 06 / 1985 Traduit par nos soins MAVERICK (1959) HIGH PLAINS DRIFTER (1973) IMPITOYABLE (1992) Le succès de ces films est énorme, et Eastwood se voit proposer plusieurs projets, qu’il refuse ; il fonde alors Malpaso, sa boîte de production et produit, et joue dans HANG’EM HIGH (Pendez-les haut et court), un western réalisé par Ted Post, et très influencé par les westerns de Leone. Eastwood est arrivé au western quand ce genre en est à ses derniers soubresauts. Eastwood boucle la boucle, accomplissant pour le western ce que Jerry Lewis a fait pour le burlesque : ces réalisateurs-acteurs maintiennent vivant ce qui est mort. Jean-Louis Leutrat, Le Western, découvertes Gallimard Cité par Nicolas Chemin (4) L’âge d’or du genre est loin, la profusion des années cinquante s’est peu à peu tarie, les idoles ont vieilli. Eastwood reconnaît être arrivé trop tard (« j’avais une génération de retard », dit-il dans directed by… publié dans le n°400 de la revue positif). Son approche du western est fortement marquée, dès lors, par ce qui se passe en Italie, et par les westerns dits révisionnistes 3 des années 70. La trilogie de Sergio Leone façonne un nouveau héros, “L’Homme sans nom” : laconique, il n’existe que par sa haute silhouette aux déplacements d’une lenteur mesurée, masquant tension et fébrilité, et par un regard inquisiteur, foudroyant, teinté de mépris. Encyclopedia universalis, citée dans la fiche film Honkytonk Man (12) Quand Eastwood en vient à la réalisation, il se lance dans un thriller, très à la mode au début des années soixante dix (PLAY MISTY FOR ME – Un frisson dans la nuit, 1971), puis il réalise HIGH PLAINS DRIFTER, son premier western, qui hante toute sa carrière. 3 qui développent un propos critique, une vision contestataire de l’histoire des Etats-Unis (Little BIG MAN, JEREMIAH JOHNSON… ; néanmoins la vision critique ne date pas d’hier, font remarquer Suzanne Liandrat Guigues et Jean Louis Leutrat (8), et « les films ‘critiques’ de John Ford, comme LE MASSACRE DE FORT APACHE ou L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE sont par avance révisionnistes ». Le rapport aux sources PALE RIDER se nourrit de deux sources principales, à savoir SHANE de George Stevens, dont le film de Clint Eastwood est un remake non avoué, et HIGH PLAINS DRIFTER, le premier western de Clint Eastwood (1973). SHANE (George Stevens, 1952) Le western classique vieillit et au début des années cinquante, quelques réalisateurs vont renouveler le genre (notamment Anthony Mann, Robert Aldrich). SHANE, de George Stevens (GIANT, A PLACE IN THE SUN) se trouve à la lisière. Le film raconte la lutte entre les jeunes éleveurs, aux méthodes modernes, et les ‘anciens’, qui ont sécurisé la terre, et qui s’en croient les propriétaires. La morale de SHANE peut paraître datée, voire contestable : en effet, les jeunes propriétaires développent un système individualiste, fondé sur la propriété. Ryker, l’ancien, paraît dépassé, usé, incapable de contenir cette avancée sinon par la force, avec l’aide d’un mercenaire (interprété par Jack Palance). Shane, interprété par Alan Ladd, intervient en faveur de Starett (noter la proximité des noms Starett – Barrett 4) ; il est arrivé un beau matin, de nulle part, pour le plus grand plaisir du fils de Starett, qui lui voue une admiration sans bornes. Même la femme de Starett tombe sous le charme. On voit très clairement les liens qui unissent les deux films. Eastwood avoue ces liens bien sûr, en admettant que les thèmes développés par SHANE sont des thèmes classiques du western, qu’il se réapproprie. Certes, néanmoins la proximité entre les deux films tient plus du remake que de l’hommage ou de l’emprunt thématique ou narratif. Eastwood s’empare de la progression générale de SHANE, ainsi que des scènes clefs : les intimidations, la collaboration entre Starett et Shane, la concertation entre les paysans pour faire face à Ryker… Mais si Eastwood propose un remake de SHANE, il s’en écarte sur plusieurs points. Evidemment, l’enfant devient une jeune fille dans PALE RIDER, mais ça reste assez anecdotique. En revanche, Eastwood renverse complètement les valeurs défendues par SHANE. D’un film qui se range du côté des petits certes, mais qui exalte des valeurs conservatrices, le ‘chacun pour soi’, Eastwood utilise une toile de fond écologique contre la production à outrance, dans laquelle l’union des prospecteurs est la clef de leur réussite. 4 Starett, Charles, est un des cowboy heroes des années 30 à 50, ayant tourné dans plus d’une centaine de films (http://www.imdb.com) Le tronc dans SHANE Joey Starett Le caillou dans PALE RIDER Megan L’écho le plus étonnant entre les deux films reste les plans finals dans lesquels les deux ‘enfants’ appellent leur fantasme qui s’évanouit au loin, fantasme du héros dans SHANE, fantasme plus charnel dans PALE RIDER. Les deux ‘enfants’ se mettent à appeler à tue-tête Shane et le preacher. Cette scène est reprise quasiment telle quelle dans PALE RIDER, et elle renvoie à une autre séquence du film, la plus fantastique, dans laquelle le héros est appelée par « une voix venue du passé ». C’est une voix d’homme, lointaine, qu’on ne peut attribuer à aucun personnage (Stockburn ? l’option est peu passionnante !), un véritable acousmêtre 5 ! Que dire de cette voix qui seule ancre le film dans le fantastique ? un repli du temps (« voice from the past »), un écho du passé, mais de quel passé ? De celui du preacher, ou plus encore, de celui du film ? En effet, ne peut-on pas voir dans cet écho le retour de Joe Starett, qui 32 ans après, appelle encore Shane, devenu le preacher ? HIGH PLAINS DRIFTER (Clint Eastwood, 1973) Si l’influence de SHANE est bien plus importante que ne semble vouloir le laisser paraître Eastwood, les westerns de ce dernier entretiennent tous un lien entre eux, dans la mesure où ils semblent tous issus d’un même terreau constitué des influences du western classique, mais aussi des westerns italiens, et de ce que Don Siegel a aussi pu apporter au personnage d’Eastwood. 5 Personnage invisible que crée pour l'auditeur l'écoute d'une voix acousmatique hors-champ ou dans le champ mais dont la source est invisible, lorsque cette voix a suffisamment de cohérence et de continuité pour constituer un personnage à part entière - même si ce personnage n'est connu qu'acoustiquement, pourvu que le “porteur” de cette voix soit présenté comme susceptible à tout moment d’apparaître dans le champ. http://www_lampe-tempete_fr_ChionGlossaire.pdf Nourris de ces diverses influences, les quatre films se répondent, l’un reprenant les thèmes de l’autre, ou en dérivant les motifs. Dans ce canevas, PALE RIDER est en lien avec les trois autres bien sûr, mais il entretient une relation forte avec le premier (HIGH PLAINS DRIFTER). Les personnages interprétés par Eastwood sont très proches, tous deux des copies de l’homme sans nom de la trilogie des dollars de Leone, teintés de la violence et détermination brute propre à l’inspecteur Harry (DIRTY HARRY – L’inspecteur Harry, Don Siegel, 1971).Douze ans après HIGH PLAINS DRIFTER, Eastwood a néanmoins teinté sa misanthropie d’humanisme, et la vengeance n’est plus si personnelle : le preacher se met au service d’une communauté, comme le personnage d’UNFORGIVEN, Willim Munny, qui se mettra au service des prostituées de Big Whiskey. Mais les points communs entre HIGH PLAINS DRIFTER et PALE RIDER abondent : ● Le personnage de HIGH PLAINS DRIFTER apparaît de nulle part pour accomplir sa propre vengeance, et mettre plus bas que terre (en enfer de fait) la petite ville de Lago. ● Son apparition est la même que dans PALE RIDER, en surimpression, arrivant du fond de l’image, qui représente un paysage désert. De la même manière les deux films se closent sur la disparition du rider dans un plan identique à celui de son apparition. HIGH PLAINS DRIFTER PALE RIDER entrée dans le film HIGH PLAINS DRIFTER PALE RIDER sortie du film L’entrée d’Eastwood dans la fiction en tant qu’héros se fait très souvent par le centre de l’image : on peut voir, en guise de comparaison l’ouverture de DIRTY HARRY de Son Siegel, ou THE BRIDGES OF MADISON COUNTY (Sur la route de Madison, 1995). ● Une image énigmatique hante Lago, la ville de HIGH PLAINS DRIFTER. L’homme sans nom y rêve, et son cauchemar est habité par un homme, vêtu de noir, immobile, et isolé. Le cauchemar y représente le lynchage, au fouet, du marshall. La ville assiste aux violences, complice. Mais l’homme est à l’écart, n’appartient pas à la communauté, ne participe pas, observe, impassible : manifestement, il s’agit du fossoyeur, dont le lien à l’au-delà apparaît dans l’image-même. HIGH PLAINS DRIFTER Cette image surprend d’autant plus quand on se rappelle PALE RIDER, tant ce personnage sorti de nulle part ressemble à s’y méprendre au shérif Stockburn, comme si, a posteriori, l’adversaire du preacher venait s’inscrire, en référence, dans le film de 1973, convoquant qui plus est la figure de … interprétée par Lee Van Cleef dans Et pour quelques dollars de plus (S. Leone, 1965). LaHood, une ville fantôme La représentation de la ville dans le western en dit long sur le propos du film et sur sa conception du genre : c’est par exemple le cœur de la série DEADWOOD (2004 – 2006 : dernier grand western en date). Il peut être intéressant de confronter les villes des westerns de Clint Eastwood, à savoir Lago pour HIGH PLAINS DRIFTER, Santario pour THE OUTLAW JOSEY WALES, LaHood pour PALE RIDER et Big Whiskey pour UNFORGIVEN. Le nom de cette dernière est d’ailleurs assez éclairant sur l’une des caractéristiques de la ville dans le western : la ville est source d’alcool. C’est aussi le cas dans PALE RIDER, puisque c’est ce qui cause la mort de Spider. Si elle est source d’alcool, c’est que le cœur de la ville est le saloon : c’est ce qui reste à Santario, seul endroit peuplé. Toute la ville est morte semble-t-il, asséchée, il ne reste même plus une goutte d’alcool, mais les quelques habitants se sont réfugiés dans le saloon ; comme à Lago, c’est là qu’on se retrouve quand il y a danger de mort. Le saloon est le lieu de vie : il est éclairant de constater qu’à LaHood, il n’y a même pas de saloon. C’est la boutique Blankenship qui remplit cet office. HIGH PLAINS DRIFTER PALE RIDER LaHood est une ville fantôme, qui ne vit pas, elle n’a pas de cœur, contrairement à Lago, où le saloon tourne, les commerces (hôtel peuplé, barbier…). A Lago, le rôle de l’homme sans nom réside dans la destruction de la ville, dans son assainissement et dans la prise de conscience qui en découle : il s’agit bien de livrer la ville à ses démons, de lui révéler sa véritable couleur (le rouge de l’enfer). LaHood est une ville fortement latéralisée : si à Lago, la population va et vient à son gré, à LaHood, soit on vient du côté gauche (quand on entre) et l’on peut aller à sa guise, soit on reste du côté droit (comme les commerçants, et les prospecteurs). Seul le preacher peut enfreindre cette règle. Chaque côté est contraint d’observer depuis les fenêtres fermées. Spider meurt en tentant de s’adresser au côté gauche. Comme à Lago, la ville est une enfilade de bâtiments, que le cavalier croise dédaigneusement lors de son entrée : Eastwood met en place un code de filmage pour signifier la tension que provoque cette entrée, le déséquilibre qu’elle induit. Un plan montre le cavalier, puis le plan suivant montre en contrepoint celui ou ceux qui le regarde, alors que la caméra emprunte le mouvement du cavalier (traveling lattéral + panoramique). On emprunte en tant que spectateur la place du cavalier, mais lui ne regarde pas les habitants : il connaît leur étonnement, leur méfiance, leur crainte, et c’est cette connaissance que l’on voit mise en image. Les femmes chez Eastwood Dans la plupart des films réalisés dans les années soixante dix apparaît Sondra Locke (6 films en 10 ans) – elle est à l’époque, la compagne d’Eastwood, ceci explique cela. Si Eastwood ne la choisit pas pour PALE RIDER, c’est que le rapport aux femmes dans ce film est différent : les deux femmes sont mère et fille, et Sondra Locke n’aurait pas pu interpréter l’une ou l’autre. En revanche, on retrouve dans PALE RIDER le personnage de la jeune fille (15 ans) que Sondra Locke interprétait dans THE OUTLAW JOSEY WALES (1975), premier film de Clint Eastwood la mettant en scène. Dans ce film, Sondra Locke manquait de se faire violer par une horde de pilleurs de caravanes, mais Josey Wales (Clint Eastwood), venait à son secours. Les femmes dans les deux films forment une sorte de triangle assez identique : la jeune fille (Laura Lee dans JOSEY WALES… ; Megan dans PALE RIDER) ; la femme (l’indienne Clair-de-Lune / Sarah) et la vieille (Mrs Blankenship / Grandma Sarah et la ‘passeuse’). Le rapport aux femmes est inverse dans HIGH PLAINS DRIFTER ou même dans plusieurs films policiers de ou mettant en scène Clint Eastwood (THE GAUNTLET – L’épreuve de force, 1977) ; dans ce film, l’homme sans nom agresse une prostituée tombée sous son charme, et couche avec la seule autre femme de la communauté, qui ne peut elle non plus lui résister. Aucun acteur n’a incarné et mis en scène avec tant d’insistance des personnages au départ cyniques et jouissant de leur pouvoir érotique… produisant de fait une caricature pour la mettre en pièces et espérer y échapper. B. Benoliel (2) De fait, Sarah (le personnage porte le même nom dans HIGH PLAINS DRIFTER et PALE RIDER, et les deux comportent de nombreuses ressemblances) tombe dans les bras, ou sous le charme du personnage interprété par Eastwood, cédant sans difficulté à ce pouvoir érotique. Dans PALE RIDER cependant, et c’est là peut-être une des entrées les plus intéressantes, cette attirance est prise en charge aussi par la fille. Ce n’est pas la première fois qu’Eastwood met en scène l’attirance d’une jeune fille, adolescente, ou très jeune femme pour un homme d’âge mûr. Comme Megan, Laura Lee (dans THE OUTLAW JOSEY WALES) n’a pas vingt ans, et elle tombe amoureuse de Josey Wales. Dans BREEZY (1973), Breezy (rôle interprété par Kay Lenz qui a alors 20 ans) s’éprend de Frank Harmon (interprété par William Holden, 55 ans). Dans BEGUILED (LES PROIES – Don Siegel, 1970), Eastwood se retrouve aux prises avec plusieurs femmes. Il interprète un soldat de l’armée nordiste, le caporal John McBurney, qui, blessé, est abandonné aux lignes ennemies. Il est recueilli dans une école pour jeunes filles, dans laquelle la directrice tente tant bien que mal de protéger sa petite communauté. Tour à tour l’institutrice, l’une des élèves âgée de 18 ans, la directrice, et la plus jeune fille de l’école tombent amoureuse du bel ennemi, qui les embrassent toutes pour arriver à ses fins. Le film, souvent vendu comme un western (voir l’affiche ci-dessous, qui se sert de l’image – porteuse, commercialement – de Clint Eastwood en cowboy), n’en comporte cependant aucun élément ; la guerre de sécession reste confinée à l’arrière plan sonore et aux génériques. Le film est un huis clos étouffant, dans lequel la violence se retourne contre le personnage hautain et sûr de lui du caporal. Lecture d’affiche L’affiche de PALE RIDER donne de nombreux renseignements sur le film, quant à son contenu narratif, mais surtout quant aux objectifs que s’est fixés Clint Eastwood. Une imagerie marquée Rappelons que le genre western est en pleine déliquescence dans les années quatre-vingts. L’image fantomatique du Pale Rider proposée par l’affiche parle et du personnage, et du genre lui-même. Le Pale Rider (Clint Eastwood, puisque le nom apparaît en exergue sous le visage) est à donc aussi le spectre du western, mort vivant au travers de la personne même de Clint Eastwood. La couleur choisie pour l’affiche participe elle aussi de ces deux tendances : proche du bois, elle enferme le film dans l’histoire du genre ; elle est aussi celle du sable, que l’on retrouve dans de nombreuses affiches de western (même pour celle de SHANE, qui est un western assez nocturne). Elle est aussi presque rougeoyante dans la partie haute, elle évoque le feu de l’enfer (ou un soleil écrasant - ?) repris dans l’épigramme « and hell followed with him » (et l’enfer l’accompagnait), renvoyant aussi explicitement à l’affiche de HIGH PLAINS DRIFTER. On remarque d’ailleurs en comparant les deux affiches que le personnage est de pied dans HIGH PLAINS DRIFER, et qu’il a pris de la hauteur, une dimension presque divine sur l’affiche de PALE RIDER. C’est en tout cas une affiche particulièrement vide que celle de PALE RIDER : la dynamique s’inscrit sur la diagonale Gauche – haut / Droite –bas, comme pour l’affiche de HIGH PLAINS DRIFTER, mais l’image est épurée, apaisée. La partie haute est chargée du seul visage du preacher / Eastwood, tandis que la partie basse est laissée aux hommes du shérif Stockburn, confinés en bas à gauche, isolés par la diagonale qui impose au regard le titre du film. LaHood, la ville, est symbolisée par quelques murs à l’arrière fond, derrière les mercenaires. L’ensemble est donc placé sous la figure écrasante, démesurée, du preacher. Une équipe régulière Les noms présents sur l’affiche peuvent donner lieu à une recherche : on s’aperçoit que Clint Eastwood a constitué une sorte de ‘famille’ artistique. On a évoqué Sondra Locke, qui n’apparaît pas dans PALE RIDER, mais on retrouve dans ce film Doug Mc Grath (THE OUTLAW JOSEY WALES, BRONCO BILLY, THE GAUNTLET) et John Russell (HONKYTONK MAN, THE OUTLAW JOSEY WALES). De même, les deux auteurs Dennis Shryack et Michael Butler ont aussi écrit THE GAUNTLET pour Eastwood. Eastwood s’entoure d’une ‘famille’ d’acteurs, de techniciens surtout, avec sa maison de production malpaso 6 fondée en 1967, que l’on retrouve de films en films. Les années 1976-1985 sont celles où [Eastwood] agrège et rassemble sur son nom des communautés, dans ses films comme dans sa vie. B. Benoliel (2) Lennie Niehaus, l’auteur de la musique, collabore pour la première fois avec Eastwood sur PALE RIDER ; il travaille depuis sur quasiment tous les films d’Eastwood, bien que ce dernier ait pris quant à la musique une place de plus en plus importante, jusqu’à écrire certaines partitions (MYSTIC RIVER par exemple). La classification On peut aussi s’arrêter sur le logo ‘rated R’, et comparer les restrictions selon les pays sur la page imdb (http://www.imdb.com/title/tt0089767/) consacrée au film : aucune restriction n’est émise en France, alors que le film est donc interdit aux moins de 17 ans non accompagnés. De nombreux pays ont émis des interdictions diverses (moins de 16 ans généralement). Quels sont les critères qui ont pu pousser à de telles restrictions ? Le film ne contient aucune image de nudité. Les deux plans montrant les impacts des balles dans le front de Spider et de Stockburn ont pu en revanche inciter à ces classements. Un film ‘R-rated’ possède un contenu destiné aux adultes : il présente des thèmes, des activités adultes, un langage explicite, des scènes de violence intense ou dans la longueur, de la nudité clairement sexuelle, usage de drogues… les parents sont avertis qu’ils doivent prendre sérieusement en compte cette classification. […] normalement, il ne faut pas que les parents amènent leurs jeunes enfants avec eux à un film ‘R-rated’. http://www.filmratings.com/ 6 malpaso produit des films pour la universal dans un premier temps (ou pour la warner, DIRTY HARRY en 1971), puis, à l’occasion de JOSEY WALES HORS LA LOI (1975), elle passe chez warner bros., où Eastwood trouve une plus grande liberté. Notez que le classement ‘R-rated’ est une habitude pour les films de Clint Eastwood : la plupart des films réalisés par Clint Eastwood ont reçu ce classement depuis PLAY MISTY FOR ME (son premier film) jusqu’à PALE RIDER. THE OUTLAW JOSEY WALES (1975 – a priori plus violent que PALE RIDER !) BRONCO BILLY, HONKYTONK MAN et FIREFOX ont reçu un classement PG (avis parental). En tout, seuls 8 films d’Eastwood sur 26 (en excluant les films télé) ont eu un classement PG ; les autres sont tous ‘Rrated’. (voir les affiches de BREEZY et THE GAUNTLET plus haut). Découpage séquentiel Séquence 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. Descriptif Carton warner (10’) Ouverture au noir Montage alterné : le générique se déroule sur les deux scènes a) Un groupe de cavalier b) Un camp de chercheurs d’or, serein ; la tension monte à la découverte d’or, une femme s’inquiète, une jeune fille appelle son chien c) destruction du camp par les cavaliers Constatation des dégâts : le chien de la jeune fille a été tué, la femme la soutient, ainsi qu’un homme. L’enterrement du chien : la jeune fille se rend en forêt pour enterrer son chien, elle en appelle aux forces divines pour les aider. Sur sa prière, apparaissent les éléments (ciel, montagne, neige…), puis un cavalier en surimpression. Le cavalier poursuit sa route, à travers une forêt épaisse Barrett, l’homme vu dans la séquence 2, se rend en ville ; les villageois essaient de l’en dissuader ‘avec ce qui s’est passé la dernière fois’. Fondu enchaîné a) Barrett en ville : l’ambiance est tendue, on retrouve des visages vus chez les agresseurs. Barrett vient acheter du matériel pour réparer les dégâts. Le boutiquier, et sa femme, est un appui pour les villageois, mais il ne peut plus leur faire crédit. La ville est tenue par LaHood. b) Les hommes de LaHood agressent Barrett à sa sortie de la boutique, ils plaisantent sur sa relation avec la femme et la fille ; l’homme des montagnes veille et il prend la défense de Barrett. Il défait les hommes de LaHood au bâton devant les habitants et Barrett admiratifs. Barrett, sur le chemin du retour, invite le cavalier au camp ; on apprend que la femme est sa fiancée Hull Barrett et l’inconnu croisent un chercheur d’or du camp qui a décidé d’arrêter. La jeune fille et sa mère, chez elles : la jeune fille fait la lecture de la Bible ; elles assistent à l’arrivée de Barrett et de l’inconnu. Chez Barrett : l’homme se lave, Barrett voit les marques de balles que porte son dos. L’homme observe les femmes qui arrivent par la fenêtre embuée. Pertinences sonores Chapitre DVD Nombre de plans Durée 113 / 113 6’44 Time code 1 Son crescendo ; musique inquiétante 2 6’44 3 16 / 129 1’03 7’46 Musique 3 8 / 137 Tonnerre 1’57 9’43 (fin de la musique) 3 3 / 140 0’35 7 / 147 0’36 10’18 4 10’54 4 5 132 / 279 7’06 Musique 18’00 5 1 / 280 0’38 18’38 Voix de la jeune fille lisant la Bible 6 6 / 286 0’42 19’20 6 19 / 305 1’10 20’30 Musique 6 7 / 312 0’36 21’06 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. Le repas : Barrett discute de sa rencontre avec les femmes ; la jeune fille, Megan, est très remontée contre LaHood, la femme, Sarah, temporise et blâme Barrett pour son attitude. l’homme arrive. Il porte un habit de prêtre. Ils se mettent à table A la mine de LaHood ; le contremaître reçoit les hommes qui ont été rossés. Il décide d’envoyer son bras droit se rendre compte de qui est l’inconnu. Au camp : Barrett fait visiter le camp au prêtre. Explication a posteriori : le jeune contremaître est le fils de Coy LaHood / opposition de l’exploitation intensive de LaHood et des méthodes des gens du camp. LaHood contrôle tout ; le grand-père de Megan est mort, depuis Barrett prend soin des femmes. Le prêtre aide Barrett à casser un rocher, devant Megan, et sa mère, puis les villageois, intrigués. LaHood fils, Josh, et son bras droit arrivent. Ils menacent le ‘preacher’, qui met KO le bras droit de Josh, à la grande joie des villageois. Le camp entier se remet au travail à la suite du preacher. Coy LaHood arrive par le train de Sacramento. Il apprend la nouvelle de l’arrivée du preacher. Il a appris à Sacramento que l’extraction hydraulique qu’il pratique risque d’être illégale. Megan questionne sa mère sur son mariage. a) Hull trouve une pépite b) Hull, Megan, Sarah et le preacher partent en ville fêter la découverte. A LaHood Hull part payer ses dettes, tandis que LaHood convoque le preacher : il tente de l’acheter, puis le menace. Il fera intervenir Stockburn. A ce nom, le preacher propose à LaHood de dédommager les prospecteurs. Feu de camp : les prospecteurs votent sur l’offre de LaHood ; ils refusent. ; le preacher les avertit du danger que représente Stockburn Le preacher marche dans la forêt, de nuit ; Megan le retrouve, et lui déclare son amour : le preacher la repousse. Le preacher se rend à l’exploitation de LaHood et annonce le refus à Josh a) La gare : le preacher attend le train, il s’en va. Pendant ce temps, un homme de LaHood fait envoyer un télégramme. b) le télégramme est reçu Au camp a) Hull découvre la disparition du preacher b) Il l’annonce à Sarah et Megan c) Une explosion s’ensuit, leur cours d’eau est détourné. Le preacher, en ville. Il récupère ses armes qu’il avait remisées dans un coffre, les échange contre son col de prêtre. Au camp, le départ du preacher abat un temps les prospecteurs, mais ils se remettent au travail. Arrivée de Stockburn et ses mercenaires a) Au camp : tandis que Megan emprunte la jument de Hull pour aller faire un tour, l’un des prospecteurs, Spider, trouve une pépite énorme. b) Hull demande à Sarah de l’épouser. A l’exploitation LaHood : Megan, dans sa promenade, arrive à l’exploitation ; elle se fait agresser, et manque de se faire violer par Josh. Le preacher intervient. 7 36 / 348 2’49 23’55 8 22 / 370 Musique 2’42 25’37 8 126 / 496 Musique 8’33 9 34’10 9 10 11 15 / 511 2’59 13 / 524 1’11 28 / 552 1’40 37’09 38’20 40’00 11 87 / 639 7’16 47’16 12 57 / 696 4’59 52’15 Musique 13 37 / 733 3’53 56’08 14 13 / 746 0’50 18 / 764 1’27 56’58 14 58’25 15 43 / 807 3’09 Musique 61’34 16 9 / 816 0’43 Musique 62’17 16 Musique ‘’ 16 17 Musique 19 / 835 2’13 2 / 837 0’27 48 / 885 4’38 64’30 64’57 69’35 18 Musique 114 / 999 4’46 74’21 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. Spider à LaHood : il fête sa découverte et se fait descendre par Stockburn. Manifestement, Stockburn connaît le preacher. Le preacher ramène Megan au village ; le corps de Spider a été ramené aussi. Alors qu’il se prépare pour l’affrontement, Sarah avoue ses sentiments au preacher ; une voix l’appelle ‘du passé’ ; ils passent la nuit ensemble Au matin, le preacher croise Hull, les deux hommes se toisent, et Hull accompagne le preacher Les deux hommes dynamitent l’exploitation de LaHood. Le preacher reçoit l’aide inattendue du bras droit de Josh. Le preacher abandonne Hull. Megan et sa mère : Megan part pour dire au revoir au preacher. A LaHood. a) Le preacher entre en ville, se rend chez le commerçant, tandis que LaHood et Stockburn l’observent. Le preacher descend les hommes de LaHood dans la boutique. b) Stockburn s’emmêle. Le preacher descend ses hommes un à un. c) duel d) Hull descend LaHood e) le preacher s’en va f) Megan arrive et crie ses adieux au preacher, déjà loin. Générique : Le preacher s’éloigne dans la neige Plusieurs plans de montagnes Musique 19 140 / 1139 6’29 80’50 20 47 / 1186 3’11 43 / 1229 4’12 88’13 22 13 / 1242 1’05 89’18 22 47 / 1289 2’33 91’51 22 13 / 1302 0’50 222 / 1524 17’21 Musique Musique 24 25 26 27 28 28 108’02 6 / 1530 2’58 111’00 Durée de la séquence : 6’44’’ Les plans de cette séquence sont sans dialogue dans la version originale. Les indications de durée sont approximatives. Tous les plans sont montés ‘cut’. PARTIE 1 – montage alterné Durée : 4’00’’ / 41 plans P2 P3 39’’ - PG montagnes au loin. Un groupe de cavaliers surgi de derrière la colline à l’arrière, se dirige vers la gauche. Ils vont bon train, d’une allure égale pendant tous les plans de la séquence. PANO DG + ZAvt. (le générique se déroule) 8’’ – PR les cavaliers avancent vers la caméra, la dépasse sur les côtés. Son des chevaux essoufflés 10’’ – PE son etouffé / les cavaliers gravissent une colline, traversant l’écran de gauche à droite. P4 P5 92’41 23 Analyse de la séquence d’ouverture P1 84’01 21 10’’ – PE PANO DG Dans un village, deux enfants descendent vers un groupe de personnes 6’’ – PE PANO HB puis DG On suit la course des cavaliers, ils traversent une forêt P6 5’’ – GP pattes des chevaux / bruit de la course PANO BH vers les visages des cavaliers en CPl. P7 3’’ – PE deux sapins encadrent l’image / CPl. Sur le village de tentes ; une carriole passe. 4’’ – PM les enfants courent DG P8 P9 P10 6’’ – PE / Pl+ PANO HB Les cavaliers de face 7’’ – id. TrAvt. Les cavaliers de dos P11 P12 5’’ – PE (en profondeur) les prospecteurs, installés le long du cours d’eau musique lénifiante (banjo ?) 5’’ – PM les cavaliers gravissent une colline (en se rapprochant de la caméra) P13 P14 3’’ – PR deux prospecteurs ont trouvé quelque chose le bruit de l’eau rappelle tel un écho, le bruit de la cavalcade 6’’ – PE / Pl+ les cavaliers entrent de nouveau dans un sous bois P15 P16 4’’ – PR la vie dans le village : un chien lèche affectueusement le visage de son maître 8’’ – PE / CPl. PANO DG La caméra accompagne de son mouvement le passage des cavaliers P17 P18 2’’ – PR une femme étend son linge 2’’ – GP les pattes des chevaux, les cavaliers pénètrent dans un cours d’eau et le suivent P19 P20 6’’ – PM PANO DG + BH La caméra suit le cours d’eau et remonte sur un prospecteur 12’’ – PE les cavaliers de profil PANO DG accompagnant les cavaliers P21 3’’ – PR prospecteur pelletant 3’’ – GP prospecteur qui trouve une pépite P22 P23 4’’ – PM les cavaliers dans la forêt P24 P25 6’’ – PM une jeune fille suit son chien Elle semble entendre quelque chose, se redresse (PR) 5’’ – PE musique saisissante : les cavaliers suivent toujours le cours d’eau P26 4’’ – GP la femme qui étend son linge se retourne inquiète ; des chiens aboient. Musique présente sur tous les plans des villageois à partir de ce plan, mais pas sur les plans des cavaliers – suspense 2’’ – PE plan subjectif la femme regarde vers le haut du village 7’’ – id P26 P27 P28 P29 2’’ – GP / CPl. Les cavaliers traversent l’écran GD P30 3’’ – PR la jeune fille ; elle appelle son chien - Lindsey ! 6’’ – PAm. Un villageois se retourne, il avance et écoute 5’’ – PM les prospecteurs P31 P32 P33 P34 3’’ – GP visage de l’un des cavaliers 3’’ – PM les prospecteurs P35 3’’ – GP id P33, les cavaliers passent P36 1’’ – GP un prospecteur, il lève les yeux P37 P38 2’’ – id P35 P39 3’’ – PM les cavaliers sortent de la forêt la musique s’étend à ce plan 3’’ – GP deux autres prospecteurs se redressent P40 4’’ – GP un prospecteur écoute, inquiet ; il part en courant Les cavaliers déboulent sur le village par le haut… P41 Le film s’ouvre sur un montage alterné assez long qui oppose deux clans. La première unité de lieu présente une horde sauvage de cavaliers qui se dirige vers la seconde unité de lieu, paisible village de chercheurs d’or. Le procédé entérine un conflit renvoyant à une certaine tradition : la rivalité entre riches propriétaires terriens et exploitants pauvres, thème globalement vidorien. Deux types de déplacement internes à l’image s’affrontent. La rapidité des chevaux, la poussière et le bruit furieux causés par les sabots sur la piste répondent aux cris innocents d’enfants qui jouent. Nicolas Chemin (4) La première partie de cette séquence donne un exemple parfait de l’efficacité que peut avoir le montage alterné au cinéma. La collision des deux espaces, leur entremêlement, permet de faire monter la tension de façon exponentielle ; petit à petit, on pénètre dans l’existence quotidienne du village, tout en sachant que nous n’assistons pas à un montage parallèle (permettant de décrire plusieurs moments, personnages, espaces, d’une unité – ici le village des prospecteurs) parce qu’il est actualisé par la course inéluctable des cavaliers. Petit à petit, on se rapproche des villageois jusqu’à adopter le regard de la femme qui étend son linge – Sarah. L’échange entre les deux ‘colonnes’ est renouvelé à chaque passage : Le premier ‘raccord’ se fait sur la forme (identité entre les deux collines) – entre P3 et P4. Entre P4 et P5, le raccord se fait par le mouvement. Entre P18 et P19, c’est le motif de l’eau qui permet le raccord. Entre P22, P23 et P24, le raccord se fait par la couleur. Entre P24 et P25, raccord regard. Entre les P36, 37 et 38, il y a une identité de cadrage. La variété des raccords permet manifestement de lier les deux morceaux de la séquence, de renforcer l’aspect inéluctable de la course des cavaliers, signalant d’emblée que le village est porteur en lui-même du ‘mal’. Il semble attirer de lui-même la punition qui fondra sur lui. La rédemption ne peut dès lors venir que de l’extérieur. Sur cette séquence, on peut comparer la place qui est faite à la chevauchée, et celle faite au village des prospecteurs, en temps, et en nombre de plans. Partie 2 : la mise à sac du village Durée 2’44 / 72 plans La deuxième partie de la séquence voit le rythme s’accélérer : les plans font en moyenne 2 secondes, le montage est violent, comme la mise à sac du village. Les pillards tuent les animaux, détruisent les tentes… A partir du P43, les cadrages choisis par Eastwood placent le spectateur au niveau des villageois. Dans cette deuxième partie, nous pénétrons jusque dans les tentes des prospecteurs sans que notre regard ne puisse être attribué à un personnage, mais toujours nous sommes au niveau des villageois : les pillards sont cadrés en contre plongée en permanence. La violence est rendue par la rapidité du montage, mais aussi par les mouvements très secs de la caméra, mouvements contradictoires (gauche / droite, puis droite / gauche…) qui suivent les cavaliers. mouvements contradictoires dans trois plans très courts (P70, 71 et 72) Avec l’apparition de Sarah, nous retrouvons un plan en regard subjectif, sur Megan, perdue au milieu de la mêlée, à la recherche de son chien. A la mort du chien, même les villageois (Megan et Sarah) sont cadrés en contre plongée, comme si nous nous trouvions au niveau de l’animal, bientôt sous les sabots des chevaux (P109) dans un plan ‘classique’ du western (voir l’ouverture de 40 GUNS – Quarante tueurs, Samuel Fuller, 1957). La sortie de la séquence se fait par un plan en forte plongée, libérant l’espace pour que les pillards puissent s’enfuir (P110 – 113). P109 P110 P113 Le triangle Hull / Megan / Sarah La deuxième séquence nous en apprend davantage sur les personnages qui ont subi l’assaut. La caméra s’attarde sur les conséquences de la séquence précédente : un plan est répété une seconde fois, celui de la vache abattue. Tandis que le village panse ses plaies, Megan s’est agenouillée devant son chien hors-champ. Dans son dos, sa mère arrive et compatit. La place des femmes et des enfants est centrale dans cette séquence, plus que dans aucune autre. Dans leur dos, apparaît l’un des prospecteurs, on comprend alors qu’ils forment une ‘famille’. Mais leur relation se fige alors ; ils n’apparaissent plus tous les trois, l’homme est exclu de la relation par le champ-contrechamp qui s’engage entre Megan et Sarah. P122 P125 P129 Le triangle formé par ces personnages semble bien fragile. C’est d’ailleurs ce qui est dit par les hommes de LaHood quand ils interpellent Hull Barrett (« tu t’envoies la grande ou les deux ? »). La séquence 11 met en scène de nouveau les trois personnages, autour de la table du dîner. Megan et Sarah sont venues chez Hull pour préparer le repas. Le preacher se prépare ; la discussion tourne autour de lui. Dans cette séquence, les rapports entre les trois ne cessent de se redéfinir, jusqu’à l’entrée du preacher, qui assume alors un rôle stabilisateur. Dans le premier plan (P313), Hull est au centre du triangle : il raconte l’événement. P314, Megan entame un tour de table, cernant ainsi les deux adultes et donnant la place centrale à Sarah. Les plans suivants conservent ce rapport : Sarah réagit violemment aux positions de Hull, mais Megan prend sa défense. Soit Sarah est au centre, fixe, répondant à la véhémence des deux autres, soit elle cerne Hull, encadré par Sarah et son reflet dans le miroir. P313 P316 P317 Puis Hull et Sarah s’éloignent de Megan, qui est isolée dans les bords du cadre. L’entrée du preacher rétablit la situation, mettant les personnages sur un pied d’égalité, en trois plans rapprochés successifs (de fait le cadrage rapproche très nettement les deux femmes, au même endroit dans l’image). Le triangle s’organise alors autour du preacher, et renoue avec sa place de départ. Enfin, les personnages sont cadrés deux par deux, Sarah et Hull d’un côté, le preacher et Megan de l’autre. P337 P343 P344 Le rapport fragile qui existe entre les trois personnages est questionné par l’arrivée du preacher. Qu’est-ce qui ne va pas ? Le rôle du preacher va être de clarifier leur relation, de l’assainir (?). Megan va peu à peu prendre conscience de sa place, au sein de leur ‘famille’, et devoir renoncer temporairement à ses velléités d’indépendance. Comme sa mère, elle est confrontée à ses désirs, et à la possibilité ou non de les assumer. De même Hull, qui est lui confronté à ses limites, en tant qu’homme : il ne peut assurer la protection du village ni attirer à lui les désirs de la femme qu’il convoite. La place qu’occupe le preacher dans ce triangle est inconfortable : il a pour rôle de remettre en place ce qui est bancal, d’assumer la place du 4e angle de ce carré. Son rôle est donc double : permettre aux villageois d’assumer leur volonté sociale face à LaHood, mais aussi de mettre au clair leurs désirs plus personnels. « Quand on attend qu’une femme se décide, ça peut durer longtemps, dit le preacher à Hull, en attendant, mets-moi au travail ! ». Voir ce qu’il en est dans la séquence 22 : Comment évolue le triangle après le départ du preacher ? Le cinéma d'Eastwood est ainsi fondamentalement hanté par le thème du recommencement : non pas la rédemption, qui annulerait tout passé dans le rachat soudain d'une relecture ou d'un instant transfigurateurs, mais la répétition, le retour. […] Eastwood est profondément américain parce qu'il met en scène la contradiction même du rapport à l'innocence. Parce que la légende américaine identifie l'apparition de l'individu souverain avec la naissance d'une nation, le postulat de l'innocence primitive ne peut prendre place qu'à l'horizon de la communauté, dans la question de sa formation. Une telle généalogie n'aboutit qu'à l'aveu qu'il n'y a jamais de commencement pur, que toute renaissance porte en ses mobiles et en sa forme la faute et la faillite qui la rendent à la fois nécessaire et impossible :Josey Wales débute dans l'exil et la fuite, littéralement dans la mort (Josey est laissé pour mort après le massacre des siens qui vaut pour l'explosion de la communauté des hommes), et l'échantillon d'humanité cabossée qui se coagulera au trajet et au secret du personnage montrera que toute patrie s'élabore dans la lutte contre les autres, dans l'exorcisme résigné du passé (la prostituée, l'indien, l'orphelin ... ) ; que toute communauté est la suite d'une faute primitive que la lutte pour la survie oblige, à terme, à entériner. La communauté n'a d'issue que dans la solitude et dans le refus, seul commencement qui, par définition, n'en est pas un. De là provient sans doute le registre, crucial chez Eastwood, de la révolte contre l'ordre des hommes. Frank Kausch (6) Apparition / disparition Les spectres qui hantent les films de Clint Eastwood sont donc des survivants, des êtres qui, sans être morts, ne sont plus en vie, des êtres qui sont condamnés à apparaître et, dans le même geste, dans le même temps, à disparaître. […] Ils nous prennent par la main, nous conduisent dans le royaume des ombres. Et retour. Jean-Christophe Ferrari (6) Séquence 3 : La prière de Megan PLAN (N°) 1 7’47 2 8’05 3 8’42 TAILLE ET ANGLE Plan large DESCRIPTIF Megan avance en forêt à travers les arbres avec son chien dans les bras. Légère Clair obscur. Rayons du Plongée soleil à travers les arbres et brume. Megan, de face, finit de Plan recouvrir la tombe de son rapproché. chien et plante un bâton Légère figurant une croix. Elle plongée puis pleure. contre plongée. Ciel d’orage gris et brumeux. Puis les montagnes et collines enneigées. Plan large Megan en prière de ¾ dos. Plan rapproché. Plongée Plan large (moins un peu plus resserré). Horizontal Plan rapproché. Plongée 4 8’53 5 8’59 6 9’08 Les montagnes et vallée. Plus éclairées. une Megan en prière, de profil, relève la tête. MOUVEMENTS DE CAMERA TEXTE (Prière de Megan) MENT Bruits de feuilles et chants d’oiseaux. musique monte en douceur. Même musique et chants d’oiseaux Fondu enchaîné Même musique. Roulements sourds du tonnerre Fondu enchaîné. Même musique Fondu enchaîné. Ta bonté et Ta miséricorde m’accompagnent tous les jours de ma vie. Même musique. Roulements sourds du tonnerre Fondu enchaîné. Si Tu existes. Même musique. Panoramique bas / haut (des mains au visage) « L’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien. Mais je manque de tout. Il me mène près des eaux calmes. Il restaure mon âme. Mais ils ont tué mon chien. Quand je marche Pano haut / bas dans la vallée de l’ombre de la mort je ne crains aucun mal. Mais j’ai peur. Car tu es avec moi ; ta houlette et ton bâton me consolent. Pano droite / Mais il nous faut un gauche miracle. Pano droite gauche qui se poursuit. ENCHAINE- BRUITS Fixe Zoom avant. MUSIQUE ET Fondu enchaîné En surimpression, un cavalier avance, seul, de face, sur un plateau. Plan large. Légère plongée Fixe 6’ 9’11 Et j’habiterai la maison de l’Eternel. 7 9’19 Megan en prière, de ¾ face, relève la tête, regard tourné vers le ciel. Plan rapproché. Plongée En surimpression, le cavalier se rapproche, de face, jusqu’à passer sur l’image de Megan et sortir du champ par la droite. Plan large Pano droite gauche qui se poursuit. Puis fixe. Fixe puis léger travelling arrière ( ?) Mais d’ici, là j’aimerais profiter de cette vie. Si Tu ne nous aides pas nous allons tous mourir. S’il Te plaît. Rien qu’un miracle. Megan en prière. Plan rapproché. Plongée 7’ 9’30 8 9’39 (fin : 9’43) Fixe Amen. » Changement dans la musique : notes prolongées, un peu inquiétantes. Retour à la musique du début. Fondu enchaîné. Nouveau changement dans la musique : mêmes notes inquiétantes. Retour à la musique du début et léger son de cloche après « Amen ». Fondu enchaîné. Coupe (vers séquence 9: cavalier continue sa route) Commentaires : Megan est dans la forêt. Les arbres évoquent la dimension spirituelle de la prière qui s’élève de la terre, où Megan enterre son chien, vers le ciel, auquel elle s’adresse (panoramique du bas vers le haut puis du haut vers le bas, plans 2 et 3). La forêt est aussi le lieu privilégié de l’apparition du merveilleux (voir en particulier le merveilleux des romans du Moyen Âge ou des contes de fées). L’apparition du cavalier est comme appelée par la prière de Megan. Il s’agit d’extraits du Psaume 23 (ou 24 selon les versions). Il est directement présent dans le plan. Il semble venir de nulle part. Il avance avec détermination vers un but inconnu du spectateur. On a l’impression que l’objectif de la caméra le cherche, en partant du ciel (plans 3 et 5). Il apparaît alors qu’elle appelle l’Eternel à l’aide (plan 6) et passe directement dans son image lorsqu’elle demande un miracle (plan 7). Entre les deux on peut noter un plan assez étonnant et très intéressant pour le travail sur la composition de l’image : en surimpression, dans la moitié gauche de l’image, le cavalier qui avance ; dans la moitié droite de l’image, Megan en prière ; au centre et coupant l’image en deux, un tronc d’arbre. Il a une dimension christique, mais inquiétante : la musique change lorsqu’il apparaît, il sort du tonnerre, d’un ciel noir d’orage. Il marche dans une vallée sombre : « dans la vallée de l’ombre de la mort » ? C’est le sauveur que tout le monde attend et le héros du film que le spectateur attend aussi puisqu’il sait qu’il est devant un film de Clint Eastwood. Le personnage du cavalier solitaire a d’emblée une dimension un peu surnaturelle, et il est fortement lié à Megan. C’est d’ailleurs accompagné par ses paroles à elle qu’il reprend la route à la fin du film. Avec la même détermination, sans se retourner. Il retourne vers la montagne. Cette séquence assez brève (1’57) est aussi très dense cinématographiquement : Eastwood utilise le montage, la musique, le jeu sur les couleurs et les lumières, et les contrastes au niveau du cadrage. La dimension biblique et la façon de faire entrer le personnage rappelle le western italien auquel Eastwood doit beaucoup. Séquence 6b : l’intervention providentielle du cavalier Le film a commencé depuis plus de 7 minutes et on attend toujours le héros, dont la séquence 3 nous a annoncé l’arrivée. Et il est grand temps qu’il joue son rôle de sauveur ! 1) Apparition et disparition du cavalier : le regard de Mac Gill a) Apparition : - L’apparition du cavalier est annoncée par le regard de Mac Gill, accoudé au chariot, côté rue, alors que ses acolytes harcèlent Hull de l’autre côté. Plan moyen puis plan rapproché qui montre Mac Gill de profil, regardant la rue, vers l’avant. On entend un hennissement de chevaux (sans doute ceux de Hull). Le sourire satisfait de lui de Mac Gill se fige, son regard se fait interrogateur voir inquisiteur : il a vu quelque chose dans le hors champ de la rue. - Plan large de l’entrée de la ville avec en arrière plan les montagnes et au centre le cavalier de la séquence 3, de profil, arrêté, regardant vers la rue (vers l’objectif). → caméra subjective : regard de Mac Gill. Mêmes bruits de vent dans la tempête, et même musique inquiétante qu’à la séquence 3 quand le cavalier apparaît à l’écran. Ici il n’entre pas dans le plan, il est là d’emblée et semble sortir de nulle part. Eastwood joue avec les codes classiques du western : le souffle du vent, le cadrage sur l’entrée de la ville, la musique… - Quand la caméra revient sur Mac Gill, il fait une grimace comme pour chasser ses inquiétudes et se retourne vers Hull et ses acolytes. Il retrouve en partie le sourire. b) Disparition : - Alors qu’il menace Hull : « Il ne fallait pas venir du tout », nouveau souffle de vent qui semble attirer son attention et nouveau regard inquiet vers le hors champ, l’entrée de la ville. Le cadrage s’est resserré : plan rapproché, toujours de profil. - Nouveau plan large sur l’entrée de la ville mais au cadrage resserré aussi. Le cavalier n’est plus là. Toujours bruits du vent. - Retour au regard de Mac Gill, qui serre les dents. Et monte d’un cran dans l’agressivité en se mettant à inspecter le contenu du chariot. 2) Une aide providentielle : C’est le signal pour la bastonnade. Les commerçants observent par les fenêtres, avec angoisse pour les B. Hull est à terre. Succession de plan très bref, rythme très rapide. Bagarre très réaliste, le spectateur est placé du côté de Hull, empathie avec le personnage. Puis le cavalier réapparaît. a) Réapparition : Plan rapproché sur Mac Gill qui s’apprête à mettre le feu au contenu du chariot. Sous le regard horrifié des B. Puis changement d’angle par rapport aux plans précédents : le seau d’eau jeté par le cavalier dont on ne voit que les mains et les avant-bras. Coup de théâtre très efficace après la montée de la tension soutenue par la musique. C’est aussi l’un des rares plans du film où il entre dans le champ. (On observera le même procédé lors de la bataille finale.) Le rythme est nettement moins rapide. L’image est plus éclairée. Effet de champ / contre champ (et plongée / contre plongée) avec la réapparition complète du cavalier, vu de face cette fois. L’ironie change de camp : « Vous ne devriez pas jouer avec des allumettes. » b) Du bon usage d’une bonne branche de noyer : Mise en scène appuyée. Gros plan sur le cavalier se penchant sur le cinquième et dernier bâton de noyer. Au début de la séquence 6b on avait vu les quatre hommes de LaHood s’emparer chacun leur tour des quatre premiers. Là encore le spectateur était préparé à voir servir le cinquième bâton, dans les mains du sauveur tant attendu… Ensuite le rythme s’accélère à nouveau quand le cavalier s’attaque aux autres. Le ciel, dans lequel volent les bâtons puis les revolvers des agresseurs de Hull, s’est nettement éclairci. Ce qui frappe c’est l’économie de mouvements du cavalier, la dureté de son regard et l’extrême violence de ses coups en même temps que la facilité avec laquelle il met hors jeu les agresseurs de Hull. Le réalisme n’est plus de mise. Clint Eastwood joue avec la scène de genre : il donne à voir comment le héros, sauveur solitaire, vient régler leur compte aux brutes imbéciles, avec la distance d’un regard critique, ironique. On pourrait se croire dans une scène de film d’art martial : magistrale démonstration de combat au bâton ! Il est providentiel mais reste inquiétant. Il semble comme extérieur à son propre combat. Et le clôt par une nouvelle preuve d’ironie : « Rien de tel qu’une bonne branche de noyer » qui ne semble s’adresser qu’à lui-même. Il se détourne sans un regard pour Hull, et sans répondre à ses remerciements. A nouveau la musique inquiétante, sorte d’épithète homérique, alors qu’il avance sur la galerie qui longe les commerces, observé par le pharmacien. Puis lorsqu’il s’en va, comme il semble être arrivé, sans un regard pour Hull qui l’observe et se lance rapidement à sa suite vers la sortie de la ville. Le cavalier semble n’être passé par-là que pour répondre à la prière de Megan et réaliser le miracle de sauver la vie de Hull. Mais un miracle bien inquiétant tout de même. Pour élargir le travail sur les apparitions / disparitions du cavalier : Séquences 21a (à la gare, regard du télégraphiste) ; 27 (à la mine de LaHood pour sauver Megan que Josh tente de violer) ; 34 (lors de le dernière bataille avec les hommes de Stockburn puis Stockburn lui-même). Séquence 9 : La découverte du cavalier par Sarah et Megan (en complément : séquence 10) PLAN Time code (Fin séque nce 8) 1 19’22 2 19’28 3 19’33 4 19’36 5 19’45 DESCRIPTIF TAILLE ET ANGLE MOUVEMENTS DE TEXTE (Lecture de la Bible par Megan) « Celui qui le montait reçut le pouvoir de bannir la paix sur la terre MUSIQUE ET ENCHAINE BRUITS MENT Léger pano droite / gauche afin que les hommes s’entretuent. Et on lui donna une grande épée. Bruits de la cuisine. Léger pano gauche / droite et haut / bas Quand il ouvrit le troisième sceau, la troisième bête dit : « Viens, et vois. » CAMERA Hull et le cavalier, de dos, poursuivent leur route vers le camp. Intérieur, salle de la cabane de Sarah : Sarah cuisine. Megan lit la Bible HC puis entre dans le champ par la droite et vient s’asseoir à la table, dos à l’objectif. Megan finit de s’asseoir tout en continuant à lire, de ¾ face. Sarah s’active. Megan se lève en reprenant sa lecture, passe devant la fenêtre ouverte, prend quelque chose et contourne la table vers sa place. Sarah sort un plat du four, le pose et se retourne : regard intrigué vers le HC. Plan moyen. Horizontal PR. Légère plongée. PR. Horizontal. PR. Plongée puis horizontal. PR. Horizontal. pano droite / gauche, haut / bas Pano gauche / droite Pano droite / gauche Coupe Coupe Sarah : « Very good. Apporte-moi du beurre et du sirop. » Je regardai, et il parut un cheval noir. celui qui le montait tenait une balance. Et j’entendis une voix qui disait : « Une mesure de froment pour un denier Coupe Coupe Coupe Un hennissement de cheval. Coupe 6 19’48 6’ 19’50 7 19’52 7’ 19’55 8 20’01 9 20’05 10 20’08 11 20’09 12 20’13 13 20’18 14 20’19 15 20’20 16 20’28 La fenêtre ouverte sur le camp : rien de spécial. PR (par rapport à fenêtre). Légère Pl (vers extérieur). PR Horizontal Fixe. trois d’orge pour un denier Musique qui commence de manière très ténue. Coupe Fixe et ne gâte pas l’huile et le vin. Coupe Megan s’assied. P Moyen Horizontal Pano droite gauche, haut / bas. Regard de Sarah, toujours intrigué.. De profil. Elle se rapproche de a fenêtre. PR Horizontal Aboiements. Musique monte doucement. Musique. Bruits des pas de Sarah. Aboiements. Musique. Aboiements. A travers la fenêtre : Hull arrive avec son chariot accompagné du cavalier sur son cheval clair et qui s’arrête, de profil, au centre du cadre formé par la fenêtre PR (par rapport à fenêtre). Légère Pl (vers extérieur). Megan lit. De face. Lève les yeux sur « Mort » : regard intense (inquiétude ?) Sarah, de profil, très concentrée, toujours à la fenêtre. Megan tourne la tête vers la fenêtre. Se lève. PR Horizontal. Fixe PR Horizontal. Regard intrigué de Sarah. De profil. Quand il ouvrit Fixe puis pano le quatrième sceau, la droite / gauche. quatrième bête dit : « Viens, et vois ». Je regardai. Fixe Il parut un cheval de couleur pale [pale horse] et celui qui le montait Coupe Coupe Musique. Notes plus graves. Bruit de vent dans la tempête. Bruit des chevaux et du chariot. Musique. Coupe Fixe Musique. Coupe PR mais moins resserré. légère Pl. PR Horizontal. Fixe Musique Coupe Fixe Musique Coupe PR Contre plongée. Fixe Coupe Megan et Sarah de face. Megan prononce la dernière phrase de sa lecture. Soupir de Sarah. Le cavalier de ¾ face. Au même endroit. Retient son cheval. Puis avance et sort du champ par la droite. Ciel bleu nuageux. PR Horizontal Fixe PR Contre Pl. Fixe puis léger pano gauche / droite. Megan et Sarah de face. Regard très concentré, semble accompagner le mouvement du cavalier. Inquiétude ( ?). Sarah soupire profondément. PR Horizontal Fixe Musique + Notes plus graves, prolongées. Bruit de vent dans la tempête. Musique + Notes plus graves, prolongées. Musique + Notes plus graves, prolongées. Bruit de vent dans la tempête. Musique. Sarah, même position. Megan la rejoint et se place devant elle (de droite à gauche) pour regarder aussi. Sarah soupire. Le cavalier de profil sur son cheval, regarde vers l’arrière plan puis devant lui, retient son cheval. se nommait la Mort Et l’Enfer l’accompagnait. Commentaires : Comme à la séquence 3, l’arrivée du cavalier est placée sous le signe d’un texte biblique, un texte prophétique cette fois, lu par Megan, l’Apocalypse, chapitre 5, versets 4 à 7. Le cavalier semble répondre aussi à l’appel du texte : cavalier sur un cheval clair (« a pale horse ») qui se met littéralement en scène dans le champ du spectateur comme du personnage Coupe Coupe Coupe Coupe de Sarah (cadre de la fenêtre créant un effet de cadre dans le cadre, de film dans le film). Il s’agit bien pour Eastwood, acteur réalisateur, de mettre en scène sa propre image de héros de western. Et l’aspect inquiétant du personnage est renforcé : - Allusions à la mort (« et celui qui le montait se nommait la Mort ») et à l’enfer (« Et l’Enfer l’accompagnait. »). Cf. séquence 3 : « dans la vallée de l’ombre de la mort ». - Musique qui devient inquiétante avec les mêmes notes que dans la séquence 3, plan 6’ et 7’, et les mêmes bruits de vents dans la tempête que dans la séquence 6. - Lumière extérieure qui s’assombrit quand paraît le cavalier, confortant l’idée de la tempête qu’il apporte. Séquence très intéressante aussi pour le travail sur le clair obscur cher à Eastwood. - La scène ne semble éclairée que par la fenêtre ouverte et le feu du four. - Les personnages sont très nettement dans l’ombre, jamais totalement éclairés et on les entend souvent plus qu’on ne les voit. Les visages en particulier sont souvent très partiellement éclairés. - Ce clair-obscur est renforcé par le fait que la séquence précédente et surexposée, sous le ciel ensoleillé et dans cette séquence même par le contraste avec ce qu’on voit par la fenêtre. - Le clair obscur renforce l’atmosphère inquiétante du texte lu par Megan, atmosphère de mort liée à l’enfer. Et ce qu’on voit dans la lumière de la fenêtre n’est pas moins inquiétant finalement. Etude complémentaire : la séquence 10, le cavalier se lave Clair-obscur encore plus prononcé. Une fenêtre fermée éclaire un peu la pièce plus une autre source de lumière, fixe, du fond de la pièce semble-t-il. Cette fois : - C’est le regard de Barrett qui attire et encadre en quelque sorte le regard du spectateur sur le dos du cavalier et ses 6 cicatrices de blessures pas balles (GP, fixe, légère plongée → caméra subjective). Accompagné par la musique avec les mêmes notes plus graves, prolongées et inquiétantes. - C’est le cavalier qui regarde dehors par la fenêtre et voit arriver Sarah et Megan avec le repas. La caméra insiste sur son dos. Puis le cavalier se regarde dans le miroir (il vient de se laver et peut-être se raser). Plan assez étonnant (21’05) où on voit le dos sans tête de l’homme, et dans la glace le reflet partiel du visage. Le clair-obscur crée un être avec la tête comme coupée du corps. Le personnage est donc mis en scène de manière radicalement différente : homme coupé en deux, entre vie et mort, corps et esprit. → Personnage étrange : sous le regard de tous ; le spectateur au départ (séquence 3), Mac Gill et Hull (séquence 6), Sarah et Megan (séquence 9), le spectateur et le personnage lui-même (séquence 10). A propos du clair-obscur : Voir le début de la séquence 11 au tour de la table dans la cabane de Hull. Comparer avec le tableau de Van Gogh, Les Mangeurs de pommes de terre, qui a servi de référence à Tom Stern (chef électricien), Bruce Surtees (chef opérateur) et Clint Eastwood pour choisir l’éclairage dans Pale Rider. On voit que la composition de l’image est aussi influencée par ce tableau. Voir aussi des tableaux de Rembrandt, Autoportraits en particulier. Voir l’article « L’Atelier Eastwood » dans Les Cahiers du cinéma, n°549, p. 52 essentiellement (7). Autres séquences intéressantes pour qui voudrait creuser la question du clair-obscur : 15 (chez les Wheeler, Megan se fait belle et questionne sa mère sur son mariage) ; 17 (chez LaHood, l’entrevue avec le preacheur) ; 18 (autour du feu de camp, discussion autour de la proposition de LaHood de racheter les concessions) ; 19 (déclaration d’amour de Megan au clair de lune sur les lieux de sa prière du début) ; 30 (déclaration d’amour de Sarah dans la cabane de Hull). Un personnage secondaire : Spider Spider Conway est un personnage secondaire, que le spectateur identifie cependant assez vite grâce à quelques traits bien définis : il est sans cesse en train de chiquer et de cracher, et il a toujours un commentaire un peu mordant pour exprimer sa colère, sa hargne, voire son scepticisme face aux situations. Le personnage apporte un peu de légèreté et nous fait sourire régulièrement. On sait par ailleurs qu’il a deux fils à qui il interdit d’aller en ville. Or, il finira par ignorer la prudence qu’il impose à ses enfants. De plus, le personnage prend de l’importance lors de la séquence du feu de camp qu’il ouvre et qu’il clôt, et où il se montre décidé à ne pas abandonner la concession. Mais c’est vers la fin du film qu’il est véritablement mis sur le devant de la scène. Il découvre une énorme pépite, ce qui apporte un peu d’espoir à la communauté après le départ du pasteur et le détournement du cours d’eau. Cependant, cette découverte va le mener à sa perte puisque dans son enthousiasme, il va bêtement s’exposer au danger. C’est donc par lui que le drame arrive. L’annonce du drame La séquence s’ouvre sur deux plans de Spider, visiblement ivre, parti provoquer seul LaHood en exhibant sa découverte. La caméra suit les mouvements incertains du personnage, tandis que le panoramique droite/gauche nous conduit progressivement chez LaHood. Là, un panoramique gauche/droite nous permet de suivre LaHood alors qu’il se dirige vers Stockburn. Cette opposition entre les mouvements de caméra semble annoncer la rencontre entre Spider et Stockburn et ses adjoints. En outre, le contraste entre les deux plans du début et ceux qui suivent est particulièrement frappant. A l’aspect lumineux du début renforcé par la neige s’oppose l’obscurité qui règne chez LaHood et qui recouvre plus particulièrement Stockburn et ses adjoints, véritables hommes de l’ombre voire cavaliers de l’enfer. Dès lors, la séquence qui semblait revêtir un aspect comique prend une tout autre tonalité. L’inquiétude du spectateur s’accroît et l’on sait rapidement qu’un drame va avoir lieu. Un combat inégal On sort de chez LaHood avec le regard du personnage. Trois plans précédent l’entrée en scène des adjoints, parmi lesquels deux plans consacrés à Spider. La légère plongée est renforcée par le fait que Spider se retrouve à terre. Le personnage ne tient même plus sur ses jambes, ce qui va contraster avec l’arrivée des adjoints. Cette arrivée est marquée par l’apparition de la musique. Nous assistons à la mise en place d’un véritable peloton d’exécution, accentuée par le bruit des bottes. La musique se fait plus présente avec l’entrée en scène de Stockburn qui vient se placer au milieu de ses adjoints. Les plans suivants traduisent l’inégalité du combat. Stockburn et ses hommes sont placés sur une sorte d’estrade, véritable scène sur laquelle les cavaliers de l’ombre vont pouvoir faire admirer leur belle harmonie. Spider est donc écrasé par l’angle de vue, tantôt par la plongée lorsque la caméra nous place du côté de Stockburn et de ses adjoints, tantôt par la contre-plongée lorsqu’elle nous place du côté du chercheur d’or. Le personnage est également écrasé par le nombre de ses ennemis. Ainsi, le défilé des adjoints semble interminable. De plus, lorsque le réalisateur consacre un plan à Spider, il le fait suivre d’une série de trois plans consacrés aux hommes de Stockburn. Cette alternance est utilisée deux fois de suite. Le plan suivant dans lequel la caméra se situe à la hauteur des épaules de Stockburn nous offre une nouvelle plongée où Spider apparaît minuscule. En outre, son précieux trésor semble peser de plus en plus et l’écraser complètement. Dès lors, le personnage apparaît complètement pathétique. Un combat pathétique On peut noter d’emblée le contraste entre Spider qui tient à peine sur ses jambes et Stockburn et ses adjoints qui font preuve d’une belle organisation, d’une belle harmonie. Leur arrivée est en effet réglée comme un ballet : ils découvrent en même leur revolver, geste accentué par le panoramique gauche/droite, ou encore sortent en même temps leur arme. Le personnage de Spider est encore plus pathétique lorsque Stockburn le fait danser : sa danse double le ballet de manière pitoyable. Spider n’est plus qu’une marionnette à la merci de ses bourreaux qui lui ôtent toute dignité. Stockburn lui retire d’ailleurs tout ce qui faisait sa force au début de la séquence : la pépite et la bouteille. Cependant, jusque là, il s’agissait d’un jeu sadique, qui pouvait laisser un peu d’espoir au spectateur quant à l’issue de la confrontation. Or, la séquence se termine par un déchaînement de violence que traduit l’extrême brièveté des plans (moins d’une seconde pour certains). Si on peut dénombrer cinq plans pour les impacts de balles sans compter celle que Spider reçoit dans la tête, le montage n’obéit plus vraiment à une logique précise, ce qui aboutit à une perturbation de l’œil du spectateur qui ne perçoit que la violence de l’action. En outre, le réalisateur prend soin d’intégrer à cette exécution des plans de LaHood qui observe le spectacle derrière la fenêtre. La séquence se termine d’ailleurs sur un plan du personnage s’enfonçant dans le noir. Le réalisateur insiste donc dans cette séquence sur l’inégalité du combat et le pathétique de la situation. Spider oublie l’unité qui faisait la force de la communauté et s’expose seul au danger. Ce qui en faisait un personnage sympathique (son hostilité, sa hargne vis-à-vis de LaHood) le rend imprudent et cause finalement sa perte. Bibliographie sommaire : Sur Clint Eastwood 1. Clint Eastwood, entretiens avec M. H. WILSON, cahiers du cinéma, 2007 2. Clint Eastwood, BERNARD BENOLIEL, cahiers du cinéma, 2008 3. Clint Eastwood, un passeur à Hollywood, NOËL SIMSOLO, cahiers du cinéma, 2006 4. 5. 6. 7. Clint Eastwood, la boucle et le trait d’union, NICOLAS CHEMIN, dreamland, 2002 Clint Eastwood, FRANÇOIS GUERIF, artefact / Veyrier, 1985 Positif n°552, février 2007 Cahiers du cinéma n°549, septembre 2000 Sur le western 8. Splendeur du western, SUZANNE LIANDRAT-GUIGUES & JEAN-LOUIS LEUTRAT, rouge profond, 2007 9. La grande aventure du western, JEAN-LOUIS RIEUPEYROUT, ramsay, 1987 Sur PALE RIDER 10. Journal Tintin n°517 11. Positif n°295, septembre 85 Sur d’autres films d’Eastwood 12. Fiche Le France sur HONKYTONK MAN (http://www.abc-lefrance.com/fiches/honkytonkman.pdf) http://www.youtube.com/watch?v=O5y95OamQEw : Carrie Snodgress à propos de PALE RIDER http://www.imdb.com/video/screenplay/vi2996764953/ : la bande annonce en anglais http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9A07EEDD1E39F93BA15755C0A963948260 : article du New York Times de 1985 Les quatre westerns de Clint Eastwood se trouvent aisément en DVD, édités par warner bros, notamment dans la Clint Eastwood anthologie. Seul IMPITOYABLE a bénéficié d’une édition collector en deux DVD, avec des suppléments conséquents (dont un documentaire sur Eastwood, et un épisode de la série MAVERICK). iufm d’Auvergne - http://www.auvergne.iufm.fr/ Dossier réalisé dans le cadre du stage de formation continue Analyse du Film niveau 2, du 29 avril au 6 mai 2008. Le dossier a été rédigé par Anthony Pniewski, Nawel Abdelhak et Jérôme Peyrel. Sous la direction de Jérôme Peyrel, formateur au département de lettres de l’iufm de Clermont-Chamalières © 2008