L`affaire Filippetti

Transcription

L`affaire Filippetti
25 JUIL 13
Hebdomadaire Paris
OJD : 412278
74 AVENUE DU MAINE
75682 PARIS CEDEX 14 - 01 44 10 10 10
Surface approx. (cm²) : 1080
N° de page : 22-24
Page 1/3
FRANCE
L'affaire Filippetti
Fronde.
La ministre de la
Culture est accusée de sectarisme
à droite, de brutalité à gauche...
PAR MARION COCQUET
(AVEC EMMANUEL BERRETTA)
A
cte I : Frédéric Mitterrand, furieux de voir ses nominations
remises en question, accuse
Aurélie Filippetti de pratiquer une
«chasse aux sorcières politique».
Les deux ministres de la Culture
s'empoignent par presse interposée.
La ministre rejette l'accusation, bien
que son cabinet reconnaisse que,
Rue de Valois, « on estplus àgauche».
Plus à gauche que l'Elysée ? Rebondissement à l'acte II : cette fois, ce
CAUBERE
1454017300506/XMB/OTO/2
sont quarante artistes, souvent à
gauche, qui se dressent contre le
projet de Filippetti de pousser dehors des sommités aux succès confirmés au nom du rajeunissement et
de la féminisation... Les tréteaux
s'embrasent et les tribunes des pro
et des anti se multiplient. «Onpeut
comprendre la volonté de renouvellement», concède Pierre Arditi, l'un
des pétitionnaires opposés au rajeunissement systématique avec
Gérard Jugnot, François Berléand,
François Morel, Daniel Mesguich,
Guillaume Gallienne ou Samuel Le
Bihan. «Mais il faut du temps pour
donner une identité à une maison,
ajoute-t-il. // est toujours délicat de
demander ades créateurs de cesser leur
acûvitésuruncritèred'âge.Est-cequ'on
mettrait Picasso à la retraite ?»
Filippetti, elle, est pressée. Et prête
àbrusqueraubesoinleséluslocaux,
partenaires financiers pourtant indispensables. Le cheval de bataille
Polémique. La ministre
de la Culture, ici au défile Chanel, le 2 juillet,
réclame le depart
de certains directeurs
de theâtre au nom
du rajeunissement et
de la féminisation.
qu'elle avance pour justifier son
coup de balai : la féminisation. Il est
vrai que, sur trente-quatre centres
dramatiques nationaux (CDN), cinq
seulement sont aux mains d'une
directrice. De plus en plus de femmes sont metteurs en scène ; il leur
faut maintenant une place dans les
directions et les programmations.
Justement, une douzaine de mandats expirent fin 2013 ou fin 2014:
l'occasion idéale.
Les grincements de dents ne
tardent pas. Gilles Bouillon, écarté
du Centre dramatique régional de
Tours, déplore la «façon défaire»
de la ministre et son «manque de
respect». Marisol Touraine, aux
Affaires sociales, qui soutient
Bouillon, tente de sensibiliser I
Filippetti. En vain. Face au départ J
annonce de Jean-Louis Martinelli jt
duThéâtredesAmandiers,lamai- ï
rie de Nanterre proteste à son tour, g
Les élus locaux regrettent d'avoir i
Eléments de recherche : PHILIPPE CAUBERE : comédien et autres fonctions, articles significatifs
25 JUIL 13
Hebdomadaire Paris
OJD : 412278
74 AVENUE DU MAINE
75682 PARIS CEDEX 14 - 01 44 10 10 10
Surface approx. (cm²) : 1080
N° de page : 22-24
Page 2/3
été mis devant le fait accompli. La
ministre demeure inflexible.
L'affaire prend un tour plus politique encore avec les cas de JeanMarie Besset, au Théâtre des 13 Vents
à Montpellier, et de Daniel Benoin,
au Théâtre national de Nice. Le pre
mier, nommé en 2009 par Frédéric
Mitterrand, s'insurge. Il est vrai que l'espèce.financentmajoritairement
le rapport d'inspection évoque un les planches niçoises (1,6 million
«théâtre satisfait de lui-même», qui d'euros, contre 1,4 million de la part
«ne se soucie pas du renouvellement de l'Etat). Estrosi soupçonne la
de ses formes», et la transformation «gaucho» Filippetti de régler des
des 13 Vents en « base am'ère»pour comptes avec lui à travers Benoin.
des productions destinées aux salles «Ce mouvement de réaction montre
privées parisiennes. Besset saisit le surtout que j'aifaitbouger les lignes»,
tribunal administratif (recours re- rétorque Aurélie Filippetti.
« Va-t-oncontreunebonneidéeparce
jeté), puis annonce qu'ilenappellera
7
à Bruxelles. Rue de Valois, on me- qu'ellenerentrepasdanslescases J'ai
le sentiment qu 'on est sur des priorités
nace de lui retirer l'accompagne
mentde 150 oooeuros pendant trois qui ne sontpas les miennes, comme s'il
ans prévu pour les patrons de CDN fallait répondre a des critères avant de
sortants. On exige des excuses. «Je répondre a des talents, a des envies ar
suis de gauche, je nesuispas un homme tistiques», déplore dans Le Monde
de chicane, mais je n'ai pas souvenir Zabou Breitman, qui refuse de se
qu'on ait si mal traité les artistes par présenter en solo, comme l'y encourage le ministère. La Rue de Valois
le passé», s'indigne Besset.
A 6 6 ans, Daniel Benoin arrivait, menace de retirer au théâtre le label
£ lui, au terme des quatre mandats de centre dramatique national.
«Si l'affaire a pris des proportions
I autorisés, mais proposait une nou
§ yelle candidature en tandem avec nationales, c'est que le pouvoir de no
I Zabou Breitman. Refus net du mi- mination dans les grandes structures
% nistère.quiyvoitunprétextepour reste aux mains de l'Etat, quand les
8 resterenposte.Làencore,lamairie premiersfinanceurs de la culture sont
£ n'a aucune envie de lâcher Benoin, aujourd'hui les collectivités territoria
a. qui «remplit la salle». Christian Es les», analyse le sociologue Jean
I trosi, le député maire UMP, entre Louis Fabiani (par ailleurs ancien
=1 dans la bagarre pour dénoncer la patron d'une direction régionale
3 «brutalité» et le «sectarisme» de la des affaires culturelles). «La tradi
^ ministre, comme son «mépris» tionfrançaisededépendancedel'artiste
F pour l'avis de collectivités qui, en fl l'Etat est en décalage avec la réalité
«Je n'ai pas le souvenir
qu'on ait si mal
traité les artistes par
le passé.» Besset
du paysage des institutions », aj outet il. Un lien d'autant plus friable
que Hollande est épaulé par une
ministre au budget restreint. «Les
crédits alloués a la création ont été
sanctuarisés », rétorque Aurélie
Filippetti. Suffisant7 Le coût des
productionsaugmente:avecautant,
onfaitmoïns.«L'équationestdiffidk,
reconnaîtlaministre.///autréj'7éc/ii'r
aune bonne répartition dans le réseau
des théâtres, sans assécher la création,
mais sans, non plus, déshabiller Paul
pourhabillerJacques...»?\usA'àrgent,
donc. Restent les nominations...
Comme dans toutes les pièces,
c'est l'acte III qu'on attend. Nous y
sommes : bataille rangée ' Le 8 juillet,
vingt-neuf « professionnels du théâ
tre », dont Catherine Anne, Cathe
rine Marnas ou Anne Alvaro, défendentdanslz'fcérafi'onla politique
d'Aurélie Filippetti. «La durée des
mandats a un sens, écrivent-ils. Les
limiter dans le temps, comme dans les
cumuls, contribue au renouvellement
des générationsetdes esthétiques. »Le
9 juillet, contre-attaque : un comité
dè soutien se forme pour défendre
l'examen de lacandidature BenoinBreitman. Berléand, Jugnot et
consorts sortent les mousquetons.
Le ton est vif, bien que certains
confessentnepas connaîtrele détail
du dossier et qu'Olivier Py, d'abord
signataire, ait précisé avoir donné
son aval par erreur. «Toute exclusion
a priori serait un déni de droit et de
démocratie», écrivent les auteurs.
Guillaume Gallienne atténue la
portée de sa signature:
Trois révoltés, un défenseur
5 DANIEL BENOIN. Arrive au terme de
1 son quatrieme mandat a la tête du
5 theâtre de Nice, il propose en vain
2 une nouvelle candidature en
£ tandem avec Zabou Breitman.
CAUBERE
1454017300506/XMB/OTO/2
JEAN-MARIE BESSET. Nommé par
Mitterrand, demis par Filippetti,
ce dramaturge a attaque devant
le juge administratif le ministere,
lequel exige de lui des excuses
PIERRE ARDITI. Ce compagnon
de route du PS fait partie de
la quarantaine d'artistes qui
soutiennent le tandem BenomBreitman, écarte par la ministre
Eléments de recherche : PHILIPPE CAUBERE : comédien et autres fonctions, articles significatifs
PATRICE CHÉREAU. Le prestigieux
metteur en scène, prenant la defense d'Aurélie Filippetti, a violemment attaque ses confrères JeanMarie Besset et Daniel Benoin
25 JUIL 13
Hebdomadaire Paris
OJD : 412278
74 AVENUE DU MAINE
75682 PARIS CEDEX 14 - 01 44 10 10 10
Surface approx. (cm²) : 1080
N° de page : 22-24
Page 3/3
comme Arditi, il dit s'être
engagé uniquement pour que la
candidature de Benoin et Breitman
soit examinée comme les autres, et
non «contre la ministre». «Ilfaut
arrêter de lui mettre des bâtons dans
les roues, son bilan est loin d'être médiocre», corrige-t-il. Il ne faudrait
pas non plus, souligne le comédien,
oublier les débarquements pratiques sous MitterrandouDonnedieu
de Vabres. Philippe Caubère est, lui,
moins nuance (voir interview).
« Unedivisiondelaprofession ?Mais
iln'yapasde profession, c'est l'égoisme
généralisé!», s'exclame le metteur
en scène Claude Régy. «Mon cas à
moi est simple: je n'ai jamais voulu diriger une maison. J'y vois une entrave
à la liberté de création. A un tel poste,
onveutinévitablement se garantir une
marge de succes sans risque. » «La
question posée est celle de la place des
femmes, et c'est une question violente,
note Catherine Anne. Le gouvernementveutêtre volontariste sur ce point?
Jele soutiens. Alors, biensûr, noussom-
mes des courtisanes... » Mitterrand
ironise sur les soutiens de Filippetti :
«Ces gens soit ont obtenu, soit ont quelque chose fl demander au ministère de
la Culture. Je pourrais en dire long sur
les uns et les autres... » L'ex-ministre,
qui défend le maintien de Besset, ria
pas digéré la sentence délivrée par
Patrice Chéreau dans Le Monde du
19 juillet. «Ilfaut en finir avec les rentes de situation », lance le metteur en
scène, tout en décochant une flèche
à Besset («II n'était absolument pas
fait pour être directeur de théâtre public»)et3LBenoin(«Ilnevoudrajamais
partir. Il était déjà resté plus de vingt
ans à la Comédie de Saint-Etienne»).
Et si tout cela n'était qu'une question de tact ? «On ne peutpasjeterles
artistes dehors comme cela s'est fait
dans mon cas», explique Olivier Py,
pourtant favorable au renouvellement, évoquant son éviction de
l'Odéon sous Mitterrand. «Les directeurs sont prévenus un an avant, se
défend Filippetti. Beaucoup de gens
aimeraient avoir un tel délai avant de
quitter leur poste. Je regrette que cela
devienne l'occasion d'organiser des
pressions. » La ministre estime qu'à
Nice l'examen des trois «excellentes»
candidatures retenues doit aller à
son terme. Estrosi dit, lui, mettre
l'épisode sur le compte d'un «coup
de chaud, au cœur de l'été», et espérer
un compromis. A croire que le dernier acteseraceluidel'apaisement...
ou de l'équilibre de la terreur •
Philippe Caubère : « Ce qui se passe est d'une extrême violence »
Le Point : Vous avez signé une tribune
violente sur la politique de nominations
d'Aurélie Filippetti. Pourquoi?
Philippe Caubère*: Oui, j'utilise des gros
mots. Mais ce que je qualifie de «saloperie », c'est l'opération qui consiste à diviser les artistes. Je n'ai pas entendu parler
depuis les calendes grecques de politiques de droite qui auraient menacé de retirer des subventions à des gens qui
n'étaient pas de leur camp. Chez les socialistes, ça se produit. Ce qui se passe
aujourd'hui est d'une extrême violence.
Une politique de renouvellement à la
tête des centres dramatiques n'est-elle
pas souhaitable?
Ce sont des termes maoïstes. On se vante
de jeter des vieux pour mettre des jeunes
à la place ! Cette ministre pratique une
politique de droite archaïque, quand
Frédéric Mitterrand, lui, menait une politique de gauche. Quel paradoxe !
En quoi est-ce une politique de droite?
C'est une politique de réduction
des budgets comme jamais la droite
n'aurait osé le faire, et d'idéologie.
On favorise ceux qui sont de votre camp
et on défavorise les autres. La ministre
CAUBERE
1454017300506/XMB/OTO/2
Révolté. Pour Philippe Caubère, la ministre utilise
des « termes maoïstes ».
s'en prend à la mondanité, mais elle en
crée elle-même une ! Benoin et Besset ne
sont pas dans la mondanité, ils en sont
même exclus. Et le projet de Benoin de
déléguer progressivement les rênes me
paraît profondément responsable, son
tandem avec Zabou Breitman doit au
moins figurer dans la shortlistdes candidatures. Qu'il ait par ailleurs des raisons
personnelles de vouloir rester, bien sûr !
Qui n'est pas ambitieux?
Il ne faut pas de règlements en la
matière?
Si, mais il y a des règlements qui sont
mauvais. Limiter 365 ans la direction
d'un centre dramatique, c'est mauvais.
Roger Planchon a dirigé son centre
jusqu'à 70 ans, Marcel Maréchal jusqu'à
75. Tant mieux, c'étaient des bons ! Pour
les artistes, il n'y a pas de loi commune.
Il n'y a pas de difficulté, pour les femmes,
à conquérir leur place dans ce milieu?
Mais bien sûr ! Il faudrait être idiot - ou
misogyne - pour ne pas le savoir. Mais
les écrivaines qui balaient le territoire
occupé jusque-là par les hommes n'ont
pas attendu une loi pour cela. C'est leur
génie qui les a imposées, comme c'est
son génie qui a imposé Ariane
Mnouchkine. La parité dans les postes ;
politiques ou administratifs, c'est indiscutable. Chez les artistes, c'est absurde. !
Soit cette ministre est incompétente,
'
soit elle est là pour masquer la terrible !
réalité • PROPOS RECUEILLIS PAR MARION COCQUET
* Philippe Caubère est comédien, auteur de
théâtre et metteur en scène.
Eléments de recherche : PHILIPPE CAUBERE : comédien et autres fonctions, articles significatifs

Documents pareils