LA VISION ISLAMIQUE DU DÉVELOPPEMENT

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LA VISION ISLAMIQUE DU DÉVELOPPEMENT
LA VISION ISLAMIQUE DU DÉVELOPPEMENT
A LA LUMIÈRE DE MAQASSID AL-CHARIA
Par :
M. UMER CHAPRA*
Conseiller à la recherche
Institut Islamique de la Recherche et de la Formation
Banque Islamique de Développement
Djeddah
Traduit de l’anglais par :
Prof. Mohammed BOUDJELLAL
*
L’auteur tient à remercier Cheikh Muhammad Rashid pour les services de secrétariat offerts pendant la préparation
du présent article, et plus particulièrement pour la saisie des sept schémas et illustrations contenus dans ce papier. Il
remercie également M.Rasul-ul-Haque, Noman Sharif, M. Farooq Moinuddin, Muhammad Ayub et M. Sajjad pour
leur assistance si précieuse. De la même manière, l’auteur remercie le Pr. Ahmad Khan de l’université Roi
Abdelaziz, le Pr. Abdelwahab Abu Sulaiman de l’université Umm al Qura et membre du comité académique de
l’IIRF, le Pr. Mohammed Boudjellal, et Jasser Awda, les deux évaluateurs anonymes ainsi que le Dr. Sami
Alsuwailem, Salman Syed Ali et les autres participants au séminaire, pour leurs précieux commentaires la première
version du présent travail. Cependant, les opinions exprimées dans ce papier appartiennent à l’auteur et ne reflètent
pas nécessairement celles de l’IIRF/BID.
1
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Objectifs de la Charia
Revitalisation de l’âme
Enrichissement de la foie, de l’intellect, de la postérité et du patrimoine
Enrichissement la foie
Enrichissement de l’intellect
Enrichissement de la postérité
Développement et expansion de la richesse
Conclusion
Références
2
INTRODUCTION
La finalité des enseignements islamiques est la bénédiction pour l’humanité. Cela
représente en effet le but essentiel pour lequel le Prophète, bénédiction et Salut de Dieu sur Lui
(BSDL) a été envoyé à notre monde ici-bas (le Coran, 21 : 107).1 Une manière incontournable
pour la réalisation de cet objectif est de promouvoir le falah (‫ )فالح‬ou le bien-être réel de tous les
hommes vivant sur terre, indépendamment de leur race, couleur, âge, sexe ou nationalité. 2 Le
mot falah et ses dérivés ont été utilisés 40 fois dans le Coran. Un autre mot, fawz (‫)فوز‬, qui est
synonyme de falah, a été utilisé 29 fois avec ses dérivés. Il représente en fait le but répété par le
muâdhin (‫ )مؤذن‬cinq fois par jour soulignant l’importance du falah dans la vision Islamique du
monde.
On pourrait bien rétorquer que cela représente le but de toutes les sociétés et non pas
uniquement celui de l’Islam. Cela est parfaitement vrai. Il semble qu’il n’existe pas de différence
d’opinion dans toutes les sociétés du monde où on suppose que le but primordial du
développement est la promotion du bien-être humain. Il y a, cependant, une grande différence
d’opinion concernant la vision de ce qui constitue réellement le bien-être et la stratégie adoptée
pour la réalisation et sa pérennisation. Une telle différence n’existerait pas si la vraie vision de
l’ensemble des religions n’a pas cessé de dominer la vision du monde au sein de chaque société.3
Cependant, cette vision a été déformée à travers le temps. En outre, le mouvement des lumières
du 17e et 18e siècles a marqué par son influence séculière et matérialiste toutes les sociétés de
par le monde à des degrés différents. Par conséquent, le premier objectif du développement
1
L’expression utilisée dans le Coran est : rahmatoun Lil-’Alamin ( ‫)رحمة للعالمين‬. Le mot Alamin (‫ )عالمين‬a été
interprété différemment par les exégètes du Coran. Leurs interprétations varient d’un sens élargi incluant toute chose
créée par Dieu dans cet univers à un sens restreint incluant toute créature sur terre : les êtres humains, les animaux,
les oiseaux, les insectes et l’ensemble des corps physiques (voir al-Qurtubi, 1952, tome 1, p.138, commentaire du
premier verset de la première Sourah du Saint Coran). Nous avons utilisé le mot ‘humanité’ en supposant que le
bien-être de l’humanité est indissociable de la protection de l’environnement.
2
Cela représente un aspect crucial de l’universalité du message Islamique. D’après le Coran, le Prophète
Mohammed (BSDL) a été envoyé à tous les peuples et non pas à un groupe particulier (7 : 158 et 34 : 28)
3
Le Coran affirme clairement que « A chaque peuple un guide » (13 : 7), et que « Il ne t’est dis que ce qui a été dit
aux Messagers avant toi » (41 : 43). Ce verset fait référence à la seule base de la vision religieuse du monde. Il y a
eu des changements dans certains détails en fonction de l'évolution des circonstances, dans l'espace et le temps.
3
devenait l’accroissement du revenu et de la richesse. Cela soulève la question de savoir si
vraiment le bien-être humain peut être réalisé et soutenu par la seule augmentation du revenu et
de la richesse et la simple satisfaction des besoins matériels de l’homme. Des érudits de la
religion, des philosophes et un certain nombre de penseurs contemporains ont remis en question
la définition du bien-être humain comme un accroissement du revenu et de la richesse.4 Ils ont
souligné les aspects spirituels et immatériels du bien-être.
Des études empiriques ont également recueilli une réponse négative sur le fait d’insister
sur les aspects physiques du bien-être au détriment des aspects spirituels et immatériels. Cela
s’explique par le fait qu’en dépit de l’accroissement soutenu du revenu dans plusieurs pays au
lendemain de la deuxième guerre mondiale, le bien-être enregistré auprès de ces populations n’a
pas seulement stagné, mais il a en réalité régressé.5 Cela s’explique par le fait que le bonheur ne
s’associe positivement avec l’augmentation du revenu que lorsque tous les besoins biologiques
sont satisfaits.6 Au-delà, il n’y a pas de changement significatif à moins que d’autres besoins
supposés indispensables pour l’accroissement du bien-être, soient eux aussi satisfaits.
Quels sont ces autres besoins ? La plupart d’entre eux sont de nature spirituelle et
immatérielle et ne sont pas nécessairement satisfaits à la suite d’une augmentation du revenu. La
seule préoccupation de la richesse pourrait en fait nuire à ces besoins. Cependant, les
économistes ont tendance à éviter de discuter de ce sujet. La première raison invoquée est que les
besoins spirituels et immatériels entraînent des jugements de valeurs qui ne sont pas forcément
quantifiables. Néanmoins ils ont leur importance et on ne peut les ignorer.
Un de ces besoins spirituels et immatériels les plus importants pour la réalisation du bienêtre est la paix morale et le bonheur qui n’est pas forcément satisfait par un accroissement du
4
Hausman et McPherson, 1993, p.693.
Easterlin, 2001, p 472. Voir aussi, Easterlin, 1974 et 1995; Oswald, 1997; Blanchflower et Oswald, 2000; Diener et
Oishi, 2000; et Kerry, 1999.
6
Cela comprend, entre autres : la nourriture, l’eau potable, les vêtements adéquats, le logement approprié, les soins
médicaux en temps opportun, le transport, l'éducation et un environnement propre et sain.
5
4
revenu et de la richesse. La paix morale et le bonheur nécessitent à leur tour la satisfaction d’un
certain nombre d’autres besoins non moins important tels que la justice et la fraternité humaine
qui exigent que tous les individus soient traités d’une manière équitable, dans le respect et la
dignité, indépendamment de leur race, couleur, âge, sexe ou nationalité, et que les fruits du
progrès soient partagés par tous. Il demeure également important le soutien moral et spirituel qui
sert de tremplin pour la réalisation non pas uniquement de l’équité mais aussi la satisfaction de
bien d’autres besoins. Parmi ces besoins qui sont nécessaires à un bien-être durable, on cite la
sécurité pour la vie, la propriété, et l’honneur, la liberté individuelle, le mariage et la bonne
éducation morale et matérielle des enfants, la solidarité sociale, la minimisation de la criminalité,
des tensions et des hostilités. Même si certains de ces besoins ont été reconnus dans le nouveau
paradigme du développement, le fondement spirituel nécessaire pour la satisfaction de ces
besoins n’a pas reçu l’intérêt qu’il mérite. On ne peut assurer le développement durable d’une
société sans pour autant satisfaire tous ces besoins d’une manière convenable.
Alors que l’Islam considère que l’accroissement du revenu et de la richesse pour le
développement est nécessaire pour la satisfaction des besoins essentiels ainsi que la répartition
équitable du revenu et de la richesse, sa vision globale du bien-être humain ne se limite pas à ça.
Il est nécessaire de les compléter par la satisfaction des besoins spirituels et immatériels, non pas
uniquement pour assurer le bien-être mais aussi pour assainir les bases d’un développement
durable dans le long terme. Si l’ensemble de ces besoins n’est pas pris en compte, il y aura une
défaillance au bien-être, conduisant finalement au déclin de la communauté et de sa civilisation.
La satisfaction de tous ces besoins est un droit humain de base qui a été traité dans la littérature
islamique sous l’appellation de maqassid al-Charia (buts de la Charia) que nous abrégerons sous
le terme maqassid (maqsid au singulier). Le présent papier essaie d’expliquer qui sont ces
maqassid ou buts, comment sont-ils mutuellement liés, quelles sont leurs implications et
comment peuvent-ils ensemble aider à promouvoir le bien-être humain réel.
5
MAQASSID (BUTS) DE LA CHARIA (Schéma 1)
Maqassid al-Charia sont soit directement cités dans le Coran et la Sunna, soit déduits à
partir de ces deux sources par un certain nombre de savants musulmans7 qui traitent de la raison
d’être de la Charia. Ces érudits de l’Islam s’accordent à dire que la Charia a pour but de servir
les intérêts (jalb al-massalih, ‫ )جلب المصالح‬pour tous les êtres humains et de les protéger contre le
mal (daf’â al mafassid).8 L’imam Abu Hamid al-Gahzali (d.505H/1111G)9, un éminent érudit et
très respectueux réformateur du cinquième siècle de l’Hégire, a regroupé les maqassid en cinq
catégories en précisant que :
« Le but de la Charia est la promotion du bien-être des gens, qui consiste à
préserver leur foi (din), leur âme (nafs), leur intellect (al-aql), leur progéniture
(nasl) et leurs biens (māl). Tout ce qui garantit la préservation de ces cinq intérêts
est souhaitable, et tout ce qui leur nuit est un mal qu’il faut chasser ».10
Dans ce passage, al-Ghazali insiste sur la préservation de cinq maqassid : la foi (al-din),
l’âme (nafs), l’intellect (al-aql), la postérité (al-nasl) et les biens (al-mal). Moins de trois siècles
plus tard après al-Ghazali, l’Imam Abu Ishaq al-Chatibi (d. 790/1388) a de sa part approuvé la
liste des maqassid préconisée par al-Ghazali.
Cependant, cette liste n’est pas exhaustive pour garantir le bien-être humain et assurer la
satisfaction de tous les besoins humains. Il existe beaucoup d’autres maqassid cités dans le
Coran et la Sunna ou déduits de ces deux sources sacrées par les Ouléma. Cependant, alors que
7
Parmi ces érudits les plus connus en matière de maqassid al-Charia, on cite : al-Māturīdī (d.333/945), al-Shāshī
(d.365/975), al-Bāqillānī (d. 403/1012), al-Juwaynī (d.478/1085), al-Ghazālī (d.505/111), Fakhr al-Dīn al-Rāzī (d.
606/1209), al-Āmidī (d. 631/1234), ‘Izz al-Dīn ‘Abd al-Salām (d. 660/1252), Ibn Taymiyyah (d. 728/1327), alShātībī (d. 790/1388) and Ibn ‘Āshūr (d.1393/1973) For a modern discussion of these, see: Masud, 1977; alRaysuni, 1992; Ibn al-Khojah, 2004, Vol.2, pp. 79-278; Nyazee, 1994, pp. 189-268; al-Khadimī, 2005; and
‘Awdah, 2006.
8
Cela a reçu l’aval de tous les juristes sans exception. Cf. par exemple : ‘Izz al-Din ‘Abd al-Salam (d. 660/1252)
(n.d.), Vol.1, pp. 3-8; Ibn ‘Ashur (d. 1393/1973) (2001), pp. 274 and 299; and Nadvi, 2000, Vol.1, p.480.
9
Toutes les dates citées dans cet article renvoient d’abord au calendrier Islamique Hijri puis en suite au calendrier
Grégorien
‫ فكل‬،‫ وهو أن يحفظ عليهم دينهم ونفسهم وعقلهم ونسلهم ومالهم‬،‫مقصود الشرع من الخلق خمسة‬
،7391 ،‫ المستصفي‬:‫ ودفعها مصلحة (الغزالي‬،‫ وكل ما يفوت هذه األصول فهو مفسدة‬،‫ما يتضمن حفظ هذه األصول الخمس فهو مصلحة‬
).741-793 ‫ ص‬،7‫( ج‬Al-Ghazālī, al-Mustasfā, 1937, Vol.. 1, pp 139-40; see also al-Shātibī (d.790/1388), n.d.,
10
Vol..1, p.38 and Vol..3, pp.46-7).
6
ces cinq maqassid sont considérés comme des buts essentiels ou de base (al-aslyyah), les autres
sont considérés comme corollaires (tabi’â). La réalisation des maqassid de base ne peut se faire
sans la réalisation de ces buts corollaires, conformément au principe fiqhique de l’égalité du
statut légal des moyens (wassayîl) avec celui des buts (maqassid). Par conséquent un maxim
juridique (qayida fiqhyya) stipule que « tout ce qui est indispensable à la réalisation d’une chose
est lui aussi indispensable ».11 A cours terme, certains de ces buts corollaires peuvent avoir
moins d’importance que d’autres, mais à long terme, ils sont tous importants et leur non
réalisation pourrait conduire à de sérieux problèmes politiques et socio-économiques. Par
ailleurs, ces buts corollaires peuvent s’élargir et évoluer dans le temps. La richesse et le
dynamisme contenus dans le Coran et la Sunna nous permettent d’élargir et d’afficher la liste de
ces corollaires de manière à s’assurer que tous les droits humains sont convenablement respectés
et que l’ensemble des besoins humains sont également satisfaits.
En outre, si on veut assurer un développement durable et le bien-être de la société, le mot
‘préservation’ utilisé par al-Ghazali dans la précédente citation ne veut pas dire la préservation
du status quo pour la réalisation des maqassid. La préservation a lieu lorsque le summum du
processus de réalisation des maqassid est atteint. Mais cela ne peut se réaliser pour les êtres
humains dans le monde d’ici-bas. Il y a toujours un espace pour l’amélioration. Le verdict de
l’histoire est que la préservation des maqassid à long terme est tributaire de l’existence d’un
progrès interrompu de leur réalisation à travers un mouvement dans la bonne direction. La
stagnation conduira certainement au déclin. Le célèbre poète et philosophe du subcontinent
Indopakistanais Mohammed Iqbal a clairement souligné cette idée dans un passage rédigé en
perse : « j’existe tant que je bouge, mais si je ne bouge plus, je n’existe plus ».12 Il est donc
nécessaire de faire des efforts pour un enrichissement permanent des maqassid préliminaires
11
‫‘( للوسائل أحكا م المقا صد‬Izz al-Din ‘Abd al-Salam, n.d. Vol.1, p. 46); and
‫( ماال يتم الواجب إ ال به فهو واجب‬See al-Shatibi, n.d., Vol.. 2, p. 394; see also Mustafa al-Zarqa
(1967), pp. 784 and 1088; and Nadvi, 2000, Vol. 1, p. 480.
12
( ‫ ڴرنه روم نيستم‬، ‫هستم اڴرمى روم‬،Iqbal, 1954, p.150.
7
ainsi que leurs corollaires de manière à ce que l’on ne cesse d’améliorer le bien-être tout en étant
à jour avec des changements qui s’opèrent non pas sur le plan individuel mais également au sein
de la société d’une manière générale. Cela permettra à tout un chacun de se hisser tout droit vers
un futur meilleur. Un tel enrichissement ne peut avoir lieu si nous nous limitons aux seuls
besoins définis et analysés d’une manière classique par les fouqaha. Les temps ont changé et les
besoins ont eux aussi évolué et se sont diversifiés. Il est donc important d’aborder les maqassid
dans le contexte où nous vivons actuellement.
Alors que les cinq maqassid préliminaires ont été endossés par les autres penseurs
musulmans, certains n’ont pas nécessairement adhéré à l’ordre proposé par al-Ghazali.13 Même
al-Shatibi n’a pas toujours suivi cet ordre.14 Cela s’explique par le fait que l’ordre dépend
essentiellement de la nature de l’analyse choisie. Ainsi Fakhr al-Din al-Razi (d. 606/ 1209), un
éminent juriste musulman postérieur à al-Ghazali d’une centaine d’années, réserve la première
place à l’âme (al-Nafs).15 Cela semble plus logique avec le thème du développement durable
pour la simple raison que les êtres humains, en tant que Khalifah ou lieutenant d’Allah sur terre,
représentent la fin ainsi que les moyens du processus de développement. Ils sont eux même les
acteurs de leur développement ou de leur déclin tel qu’il a été clairement annoncé dans le
Coran : « En vérité, Allah ne modifie point de l’état d’un peuple tant que les individus [qui le
composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. » (13 :11). La Charia est là pour servir cet
objectif en aidant les hommes à faire leur propre réforme ainsi que celle des institutions qui les
concernent. Par conséquent, si nous commençons par al-Nafs (‫)النفس‬, maqassid al-Charia
peuvent être résumés comme suit :
13
Cf. al-Raysuni, 1992, p. 42.
Alors qu’al-Shatibi a suivi le même ordre d’al-Ghazali en page 38 du tome 1, il s’est référé à un ordre différent en
page 46-7 du tome 3 : al-Din, al-Nafs, al-Nasl, al-Mal et al-Aql. Cela implique que l’ordre d’al-Shatibi peut être
altéré selon l’objectif de l’analyse engagée. Voir al-Raysuni, 1992, pp. 41-45, et en particulier la page 48.
15
Al-Razi, 1997, Tome 5, P. 160. L’ordre qu’il propose est le suivant : al-Nafs, al-Mal, al-Nassab, al-Din, et al-Aql.
A la place de ‘al-Nasl’, il proposa al-Nassab qui a rapport avec la généalogie et l’ascendance. Al-Nasl, tel qu’utilisé
par al-Ghazali et al-Shatibi, a rapport avec la génération future, il a donc un sens plus large qu’al-Nassab, et de ce
fait nous avons préféré le retenir dans notre analyse.
14
8
Schéma 1
Maqassid al-Charia
Réalisation du développement humain et du bien-être
en assurant un enrichissement au niveau de chaque individu des cinq
composantes suivantes
(Nafs)
L’âme
Bien-être et
développement
humain
(Grâce de
l’humanité)
(Māl)
la richesse
(Dīn)
la foi
(‘Aql)
l’intellect
(Nasl)
la postérité
Revitalisation de l’âme (al-Nafs)
Sachant que la revitalisation de l’âme est l’un des cinq buts de la Charia, il est impératif
de comprendre comment cet objectif peut être réalisé. A cet effet, il est important de définir les
principaux besoins des êtres humains qu’il y a lieu de satisfaire non pas pour accroître et soutenir
leur développement et bien-être seulement, mais aussi pour pouvoir jouer pleinement leur rôle de
Khalifah d’Allah sur terre. Ces besoins qu’on peut appeler besoins corollaires par rapport à
9
l’objectif primaire de renforcement de l’âme, ils sont cités d’une manière explicite ou implicite
dans le Coran et la Sunna et repris par les juristes musulmans dans leurs écrits. La réalisation de
ces besoins peut renforcer le soutien moral, physique, intellectuel et technologique des capacités
présentes et futures des générations et par là assurer un bien-être durable.
1) Dignité, respect de soi-même, fraternité et justice sociale
Un des plus importants de ces besoins est la dignité, le respect de soi-même, la fraternité
humaine et la justice sociale (schéma 2). La vision Islamique par rapport à ce besoin se résume
par le fait qu’elle considère l’homme comme une création divine sublime, en déclarant que la
vraie nature humaine (fitrah) est par essence bonne et libre de toute imperfection spirituelle. Et
comme Allah est bon, Son lieutenant sur terre est de nature (fitrah) bon aussi (Le Coran, 30 :30
et 95 :4), tant qu’il ne quitte pas le droit chemin.16 Il est du devoir de l’homme de préserver sa
vraie nature et sa bonté innée en lui (fitrah). De plus, Le Créateur de l’univers a Lui aussi conféré
un honneur et une dignité à tous les êtres humains indépendamment de leur race, couleur, sexe
ou âge tel qu’il a été dit dans le Coran « Certes, nous avons honoré les fils d’Adam » (17 :70).
Cet honneur a été conféré à l’homme en étant Khalifah ou Lieutenant d’Allah sur terre (le Coran,
2 :30). Quel autre honneur peut égaler le fait que l’homme soit le vicaire d’Allah ? Sachant que
tous les êtres humains sont des Khalifah d’Allah, ils sont donc tous égaux et frères les uns les
autres. Ils doivent donc vivre en paix, dans la tolérance et l’entraide mutuelle afin de promouvoir
le bien-être de tous à travers une utilisation rationnelle et équitable des sources qu’Allah leur a
confiées (le Coran, 57 :7).
16
Voir al-Qurtubi (d. 463/1070), 1952, Tome 14, pp. 24-31. Voir aussi Ibn Ashur, 2001, pp-261-266.
10
Schéma 2
Revitalisation de
l’âme
(Nafs)
Dignité, respect
personnel,
fraternité
humaine et
justice sociale
(1)
Besoin
d’accompli
ssement
(8)
Justice
(2)
Promotion
spirituelle et
morale
(3)
Emploi et
autoemploi
(9)
Répartition
équitable des
revenus et de
la richesse
(10)
Securité de
la vie, des
biens et de
l’honour
Liberté
(5)
Education
(6)
(4)
Mariage et
éducation
appropriée des
enfants
(11)
Solidarité
familiale
et sociale
(12)
Minimisation de la
criminalité
et de l’
anomie
(13)
Richesse
(Māl)
Intellect
(‘Aql)
Foi
(Dīn)
Succès ou bien-être
humain
(Falah)
11
Postérité
(Nasl)
Bonne
gouvernan
ce
(7)
Paix
morale et
bonheur
(14)
L’environnement où nous vivons, y compris les animaux, les oiseaux et les insectes est
lui aussi une sorte d’objet confié en dépôt qu’il y a lieu de le préserver non seulement dans le
présent mais aussi pour les générations futures.
L’Islam ne considère donc pas les êtes humains comme des créatures nées dans le
péché. Le concept de ‘né pécheur’ est contraire à la dignité humaine et par conséquent
incompatible à la vision islamique du monde. Pourquoi le tout Miséricordieux crée un ‘né
pécheur’ et le condamne éternellement pour une faute qu’il n’a pas commise ? L’idée du
péché originel laisse supposer que le péché est génétiquement transférable et que chaque être
humain vient à ce monde souillé de fautes et de péchés commis par d’autres. En outre, si un
‘sauveur’ devait venir le ‘racheter’ de son ‘péché originel’ qu’il n’avait pas commis, pourquoi
il a pris du retard et pourquoi il ne s’est pas manifesté lors de l’apparition du premier être
vivant sur terre ? Si l’Homme naît avec le péché, comment le responsabiliser alors de ses
actes.
Le concept du ‘péché originel’ est donc en complète contradiction avec la vision
coranique de la responsabilité de tout un chacun de ses actes (Le Coran, 6:164, 17:15, 35:18,
39:7 et 53:38). Il est également en contradiction avec les attributs d’Allah d’al-Rahman et alRahim (le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux) qu’un musulman répète sans cesse
durant sa vie. Allah ne fait pas une chose pareille, sachant qu’Il est Très Affectueux (‫ )ودود‬et
qui pardonne toujours (‫ )غفور‬et qu’Il possède les attributs les plus beaux qu’on puisse
imaginer (Le Coran, 7:180). Il n’y a pas de doute que même les rationalistes et les
romantiques du 19e siècle ont rejeté l’idée de faute inhérente à la nature humaine (péché
originel) comme font la plupart des philosophes contemporains.
De la même manière, les concepts de déterminisme et d’existentialisme développés
par les philosophes occidentaux sous l’influence du mouvement des lumières sont eux aussi
contraires à l’Islam. L’Islam ne considère pas que la vie humaine est déterminée par des
12
forces
matérielles
(Marx),
psychologiques
(Freud),
instinctives
(Lorenz)
ou
environnementales (Pavlov, Watson, Skinner et autres).17 Le déterminisme et la responsabilité
humaine ne sont pas réconciliables l’un avec l’autre. Non seulement ils nuisent à la dignité
humaine mais ils écartent la responsabilité humaine quant aux conditions du moment, ainsi
que l’allocation irrationnelle et inéquitable des ressources.18
A l’autre extrême du déterminisme, l’existentialisme de Sartre est lui aussi contraire à
l’Islam.19 Selon Sartre, les hommes sont « condamnés à être libres ». Il n’y a pas de limite à
cette liberté excepté qu’ils ne sont pas libres de cesser d’être libres.20 Chaque aspect de la vie
mentale de l’homme est intentionnel, choisi et relève de sa responsabilité. Cela représente
certainement une amélioration par rapport au déterminisme. Toutefois, pour Sartre cette
liberté est absolue, ¬ tout est permis. Il n'y a pas de sens ni de but ultime de la vie humaine. Il
nie toute valeur transcendante ou objective destinée aux êtres humains, ni lois divines, ni
platoniques, ni autres. L’homme est livré à l’abandon et doit se prendre en charge totalement.
Le seul fondement de valeurs est la liberté humaine et il n’y a nul besoin de justification pour
les valeurs adoptées ou choisies par tout un chacun.21 Il n’est pas question de parler de valeurs
communément acceptées ou d’imposer des restrictions à la liberté individuelle pour créer une
harmonie entre l’intérêt personnel et l’intérêt général, ou bien pour conduire à une allocation
et une répartition rationnelle et équitable des ressources en dehors de celle occasionnée d’une
manière automatique par les forces du marché. Une telle conception de la liberté absolue
17
Les problèmes liés au déterminisme et à la responsabilité ont été abordés par plusieurs auteurs in Sydney Hook
(ed.), Determinism and Freedom in the Age of Modern Science (1958), qui contient un certain nombre de travaux
faits par des philosophes contemporains, et aussi in Sidney Morgenbesser et James Walsh (eds.), Free Will
(1962), qui contient des écrits minutieusement choisis d’auteurs classiques et contemporains, destinés
principalement aux étudiants. Cf. aussi A. J. Alden, Free Action (1961), qui contient une analyse pertinente
d’une variété de concepts qui ont toujours été cruciaux dans la controverse de la libre action. Bien que l’auteur
n’essaie pas de prouver d’une manière directe que les hommes sont libres d’action, il fustige cependant les bases
d’un certain nombre de théories du déterminisme.
18
Cf. Chapra, 1992, pp. 202-206.
19
Jean-Paul Sartre, l’Etre et le Néant, traduit vers l’anglais par Hazel Barnes sous le titre Being and Nothingness
(1957). Voir aussi Stevenson (1974), pp. 78-90, et Anthony Mauser : Sartre : une étude philosophique (1966).
20
Sartre (1957), pp. 439 et 615.
21
Ibid, p. 38.
13
mène directement à la notion du laisser-faire et à la neutralité comme valeur. Alors que la
liberté est indispensable pour chaque individu, le bien-être de tous est lui aussi indispensable
et ne peut être compromis. Par conséquent, certaines restrictions socialement acceptées sont
nécessaires pour assurer que les individus ne violent pas les droits des autres et ne mettent pas
en péril leur bien-être. Cela soulève la question de savoir qui détermine ces restrictions. Cette
question sera traitée sous le cinquième besoin de la personnalité humaine.
2. L’équité
Le deuxième besoin de la personnalité humaine est l’équité22. Les objectifs de
dignité humaine, du respect pour soi, de fraternité, d’égalité sociale et du bien-être de tous
demeurent des concepts vides de sens et sans substance s’ils ne sont pas étayés par une équité
socio-économique. En conséquence, le Coran place l’équité tout proche de la piété (5:8) pour
montrer son importance dans la foi islamique. La piété (taqwa) est naturellement beaucoup
plus importante car elle sert de tremplin pour les autres bonnes actions, y compris l’équité.
L’établissement de l’équité fut donc la principale mission de tous les Messagers d’Allah (Le
Coran, 57:25). Le Coran l’a clairement dit qu’il ne peut y avoir de paix sans équité : « Ceux
qui ont cru et n’ont point troublé la pureté de leur foi par quelqu’inéquité, ceux-là ont la
sécurité ; et se sont eux les bien-guidés » (Le Coran, 6:82).23 L’absence de l’équité est
annonciatrice de misère et de destruction (le Coran, 28 :59).
22
Des études empiriques ont constamment révélé que des taux élevés d'activité et d'engagement religieux sont
associés à la santé mentale, la réduction du stress et l'augmentation de la satisfaction de vivre (Elliston, 1991 et
1993 ; Iannaccone 1998).
23
Le contexte de ce verset fait allusion à l’injustice envers Allah (kufr) en lui associant des partenaires (shirk) tel
qu’il a été souligné par les exégètes du saint Coran comme al-Qurtubi (d.671/1272) et Ibn Kathir (d. 744/1375).
Cependant, en contemplant minutieusement l’intérêt que porte le Coran et la Sunna sur la notion d’équité envers
nous même et envers tout ce qui nous entrave, on peut élargir les implications de ce verset à tous les êtres
humains et à toutes les créatures d’Allah. Cela a été souligné par un certain nombre de penseurs mu’tazilit
(‫ )معتزلة‬tel qu’il a été rapporté par Fakhr al-Din al-Razi (d. 606/1209) dans son commentaire du verset in alTafsir al-Kabir, Tome 7, p. 60.
14
Le Prophète (BSDL) a également condamné l’injustice d’une manière catégorique. Il
qualifie l’absence d’équité comme suit : « l’injustice conduit à l’obscurité le Jour du
Jugement ».24 L’obscurité de l’au-delà est tout simplement le reflet de l’obscurité que nous
avons créée dans le monde d’ici-bas à travers notre injustice (dhulm). Cette obscurité fait
échouer tous les efforts visant à réaliser la paix, le développement durable, la solidarité
sociale et conduit finalement au mécontentement, à la tension, aux conflits et au déclin.
L'injustice et l'Islam sont, par conséquent, en contradiction l’un avec l’autre et ne peuvent pas
coexister sans qu’aucun des deux soit déraciné ou affaibli. En Islam, le Dhulm (injustice) est
un terme se référant à toutes les formes d'inégalité, d'injustice, d'exploitation, d'oppression et
d'actes répréhensibles, par lesquelles une personne fait du mal aux autres, les prive de leurs
droits, et ne remplit pas ses obligations à leur égard.25
C’est cet aspect d’équité cité dans le Coran et la Sunna qui a été reflété dans les écrits
de la plupart des penseurs musulmans classiques. Al-Mawardi (d. 450/1058) par exemple
considère que l’équité « inculque l’affection et l’amour mutuel, le respect et l’obéissance, le
développement de la patrie, l’expansion de la richesse, la croissance de la progéniture, et la
sécurité du souverain », et que « rien d’autre ne précipite la destruction du monde et la
corruption de la conscience des peuples que l’injustice ».26 Ibn Taymiyyah (d. 728/1328)
considère pour sa part que « l’équité envers toute chose et envers chaque personne est
obligatoire, et l’injustice est prohibée envers toute chose et envers chaque personne.
L’injustice n’est absolument pas permise envers qui que ce soit, musulman, mécréant, ou
"‫( "الظلم ظلمات يوم القيامة‬Sahīh Muslim, Vol.. 4, p. 1996:56, Kitāb al-Birr wa al- Silah wa al-Adab, Bāb Tahrīm
al-Zulm, from Jābir Ibn Abdullah). Le prophète (BSDL) a utilisé le mot Dhulumat dans ce hadith. Dhulumat est
le pluriel de Dhoulmah ou obscurité qui signifie plusieurs couches de ténèbres entassées les unes au-dessus des
autres pour culminer dans un noir total comme décrit dans le verset coranique 24 :40.
25
Cf. Chapra, 1985, pp. 27-8. p. 14.
26
Al-Mawardi, Adab (1955, p. 125).
24
،‫ ويكثر به النسل‬، ‫ وتنموبه األموال‬،‫ وتعمر به البالد‬، ‫ ويبعث على الطاعة‬،‫ يدعو إلى األلفة‬، ‫وأما القاعدة الثالثه فهي عدل شامل‬
.... ‫ويأمن به السلطان‬
.)721 ‫ ص‬،7311. ،.‫ الماوردى‬،‫ من الجور"(ادب الدنيا والدين‬، ‫ وال أفسد لضمائر الخلق‬، ‫ "وليس شئ ا سرع فى خراب األرض‬p.
14.
15
même personne injuste ».27 Il soutient avec zèle l’adage répandu à l’époque que : « Allah
soutient un Etat juste même s’il est incrédule, et ne soutient pas un Etat injuste même s’il est
croyant ».28 Ibn Khaldun (d. 808/1406) a clairement souligné qu’une nation ne peut se
développer en l’absence de la justice.29
Cependant, il est impossible d’assurer l’équité en l’absence du respect de certaines
règles de comportement par l’ensemble des membres de la société. Ces règles s’appèlent
‘valeurs morales’ dans l’approche religieuse et ‘institutions’ dans l’approche économique. On
compte parmi ces valeurs : l’honnêteté, l’équité, la ponctualité, la conscience, la diligence,
l’autonomie, la tolérance, l’humilité, l’austérité, le respect des parents, des enseignants et des
vieilles personnes, la sympathie et la tendresse envers les pauvres, les handicapés et les
opprimés, et le respect des engagements envers tous les êtres humains où qu’ils se trouvent.
Le respect de ces valeurs favorise la confiance mutuelle et les relations cordiales au sein de la
communauté et incite les gens à remplir leurs obligations, à s’entraider et donc à promouvoir
la solidarité familiale et sociale, la tolérance, la cohabitation pacifique et la maîtrise de la
propagation de l’anatomie.30 Cela conduira à une augmentation du capital social, qui est
nécessaire pour promouvoir l'efficacité et l'équité et, par conséquent, l'accélération du
développement et du bien-être humain
3. Le développement moral et spirituel
La vision islamique du bien-être ne peut se réaliser sans le développement moral qui
constitue en fait le troisième besoin de l’homme. Le respect de ces valeurs dans nos
27
Ibn Taymiyyah, vol.8, p. 166.
‫ سواء كان مسلماً أو‬،ً‫ فاليحل ظلم أحد أصال‬،‫ والظلم محرما في كل شى ولكل أحد‬، ‫كان العدل أمراً واجباً في كل شى وعلى كل أحد‬
)711‫ ص‬،8 ‫ ج‬،‫ كافراً أو كان ظالماً" ( مجموع فتاوي أبن تيميه‬p.14.
28
Voir aussi son Minhaj al-Sunnah, 1986, Vol..5, p. 127.
‫ وال يقيم الظالمة وإن كانت مسلمة‬،‫( إن اهلل يقيم الدولة العادلة وإن كانت كافرة‬Imām Ibn Taymiyyah, Al-Hīsbah fī p.15.
29
‫( ان الظل مخرب للعمران‬Ibn Khaldun, Muqaddimah, p. 287).‫ م‬p. 15.
30
L’ensemble de ces valeurs sont citées dans le Coran et la Sunna et constituent une composante essentielle de
la vision Islamique du monde.
16
comportements ne peut cependant avoir lieu sans un système de motivation qui prend en
compte la vision islamique du monde traitée sous le second objectif de renforcement de la foi.
4 La sécurité de la vie, des biens et de l’honneur
La vision islamique et les valeurs qu’elle incarne abordent également le quatrième
besoin de la personnalité humaine qui concerne la sécurité de la vie, des biens et de l’honneur.
Le Coran considère que quiconque tuerait sans raison un seul individu (qu’il soit musulman
ou non) c’est comme s’il avait tué tous les hommes, et quiconque fait revivre une personne
doit être considéré comme ayant fait revivre tous les hommes (5:32). Cela parait tout à fait
logique car le respect de l’Islam pour la vie humaine n’aurait pas de sens si la vie d’un non
musulman n’était pas considérée aussi sacrée que celle d’un musulman. Le prophète (BSDL)
avait bien rappelé les musulmans du caractère sacré de la vie humaine lors de la célèbre
causerie d’adieu prononcée durant Son pèlerinage : « Vos vies, vos biens et votre honneur
sont aussi sacrés que ce jour-ci (hajj), de ce mois-ci, dans ces lieux-ci ».31 Sachant que le hajj
est très sacré en Islam, la vie, les biens et l’honneur de chaque personne jouissent du même
degré d’inviolabilité et de sa sacralisation.
5. La liberté
La liberté représente le cinquième besoin de l’homme. La liberté est un élément
indispensable pour la personnalité humaine. En l’absence de la liberté, l’individu ne peut pas
être créatif et innovateur et par conséquent, il ne va pas améliorer son bien-être. En tant que
Lieutenant d’Allah sur terre, il n’est soumis à personne sauf Allah (swt).* Par conséquent, la
première mission du Prophète Mohammed (BSDL) est de libérer l’humanité du fardeau et des
‫ إن دماءكم وأموالكم وأعراضكم حرام عليكم كحرمة يومكم هذا في شهركم هذا في بلدكم هذا‬31
(Rapporté par Ibn Kathīr (d. 774/1373) (1981) dans son commentaire du verset 13, sūrah 49 (al-Hujurāt), Vol..
3, p. 365)
*
Soubhanahu wa taâla.
17
jougs qui lui ont été imposés (Le Coran 7:157). Le servage, de quelle nature qu’il soit, social,
politique ou économique est donc contraire aux enseignements de l’Islam. Par conséquent, nul
n’a le droit, mêmes les pouvoirs publics, d’abolir cette liberté, ni de soumettre l’individu à
toute forme de servage ou d’aliénation. C’est cet enseignement qui a poussé le second
Khalifah Omar Ibn al-Khattab à s’exclamer « Depuis quand vous avez contraint les hommes à
l’esclavage alors que leurs mères les ont enfantés libres ».32
Cependant, en tant que Khalifah d’Allah sur terre, les hommes ne sont pas totalement
libres dans le sens décrit par Sartre dans sa théorie de l’existentialisme. Cette liberté est
protégée par des garde-fous moraux qui garantissent non seulement le bien-être des hommes
eux-mêmes, mais également celui de toutes les créatures d’Allah. Lorsque les Anges ont
réalisé au moment de la création de l’homme que celui-ci sera le Khalifah d’Allah sur terre et
qu’il jouira de la liberté d’action, ils ont instantanément appréhendé que cette liberté pourrait
le mener à semer le désordre et à répandre le sang (le Coran, 2:30). Les Anges ont peut-être
manifesté cette appréhension parce qu’ils n’ont pas réalisé en ce moment là qu’en plus de la
liberté, Allah allait doter l’homme de trois autres atouts qui l’aideraient à mener une vie autre
que celle anticipée par les Anges. Le premier d’entre eux est la conscience, qui est le
reflet de leur vraie nature (fitrah)
(al-Qur'ān, 30:30).
qu’Allah a originellement insufflé aux hommes
Si cette fitrah n’est pas préservée, l’homme est ramené au niveau le
plus bas (asfala safilin) (Le Coran, 95:5).. Pour l’aider à éviter une telle chute,
Allah a doté l’homme d’un deuxième atout précieux qui est la guidance
(orientation) envoyée par Lui à tous les êtres humains et les nations à
différents moments dans l'histoire à travers une chaîne de Ses messagers.
Le but de cette guidance est d’assister les hommes à gérer leur vie dans le monde d’ici-bas de
32
( "‫‘( ) ”متى استعبدتم الناس وقد ولدتهم أمهاتهم احرارآ ؟‬Alī al-Tāntawī and Nājī al-Tantāwī, Akhbāru ‘Umar, 1959,
p.268).
18
manière à assurer le bien-être de tous en harmonie avec leur mission de Khalifah d’Allah.33
Leur liberté est, par conséquent, dans les limites de l'orientation donnée par Lui. Le troisième
atout est l'intelligence qu’Allah a donné aux êtres humains. Si elle est utilisée dans le cadre de
la conscience et du respect de la Guidance Divine, elle leur permettrait d'utiliser à bon escient
leur liberté avec sagesse et en complète harmonie avec la vision islamique qui prône le rejet
de la corruption (désordre) ou la diffusion du sang qui sont parmi les pires crimes dans le
Système de valeurs de l'islam.
6. L’éducation
Cela nous conduit au sixième besoin de l’homme qui se résume par la
promotion de l’intellect à travers un système éducatif de bon niveau. L’éducation doit servir
un double objectif. Premièrement, elle doit éclairer les membres de la société sur les valeurs
de l’Islam et sur leur mission en tant que Khalifah d’Allah sur terre. Deuxièmement, elle doit
leur apprendre non seulement à accomplir leurs tâches efficacement en travaillant dur et en
toute conscience, mais également à faire rayonner le savoir et la connaissance technologique
au sein de la société. En l’absence de ces valeurs morales et de ce rayonnement du savoir, il
serait impossible d’asseoir les bases d’un développement durable. Le Coran et la Sunna ont
souligné l’importance de l’éducation comme on le verra plus haut lorsqu’on abondera la
promotion de l’intellect qui représente le troisième maqsid (but) de la Charia.
7. La bonne gouvernance
La bonne gouvernance qui sera traitée plus haut est liée à la foi. Elle représente le
septième besoin indispensable à l’homme. En l’absence de la stabilité politique et de la bonne
33
Le Coran dit clairement « Nous avons certes envoyé dans chaque communauté un Messager » [16 :36] et que
« Certes, Nous avons envoyé avant toi des Messagers. Il en est dont Nous t’avons raconté l’histoire ; et il en est
dont Nous t’avons pas raconté l’histoire » (40 :78 et 4 :164). Selon un hadith rapporté par Abu Dhar, Allah a
envoyé 124000 Messagers dans des temps différents à des communautés différentes (Cf. l’exégèse du verset
4 :164 in tafsir Ibn Kathir. L’Islam est sans doute la seule religion qui reconnaît tous les Messagers d’Allah sans
discrimination.
19
gouvernance, il ne serait pas possible d’appliquer les règles de la bonne conduite de la société.
Dans ce cas, le non respect des règles peut se généraliser et perdurer d’une manière
systématique.34 On assistera ainsi à une recrudescence de la corruption, de l’inefficacité et de
la culture du chacun pour soi sans aucun souci pour les autres. C’est pour cela que le devoir
de la bonne gouvernance a été mis en exergue à travers l’histoire musulmane par la plupart
des savants musulmans, y compris Abu Yusuf, al-Mawardi, Ibn Taymiyyah et Ibn Khaldun.
Une des raisons principales du déclin des musulmans est l’absence de la bonne gouvernance
durant les siècles écoulés.35
8. La lutte contre la pauvreté et la satisfaction du besoin du sentiment de plénitude
L’attachement intensif de l’Islam à la dignité humaine, à l’équité et à la fraternité
conduit au huitième objectif qui est la lutte contre la pauvreté et la satisfaction du besoin de
sentiment de plénitude ou d’accomplissement. La pauvreté mène à l’immobilisme, au désarroi
et à la dépendance sur autrui. Selon les propos mêmes du Prophète (BSDL), elle peut pousser
à la mécréance.36 La pauvreté est donc contraire à l’objectif de dignité humaine contenu dans
les enseignements islamiques. Cependant, la lutte contre la pauvreté ne peut se faire sans une
utilisation rationnelle et équitable de toutes les ressources mises à la disposition des hommes.
Ces ressources sont, il faut le rappeler, une sorte de dépôt qu’Allah nous a confié et qu’il y a
lieu de respecter les termes de ce dépôt dont, entre autres, l’utilisation de ces ressources d’une
manière responsable qui mène à la satisfaction de l’ensemble des besoins.
La lutte contre la pauvreté et la satisfaction du besoin d’accomplissement de chaque
individu de la société ont ainsi eu une place importante dans le fiqh et les différents écrits à
travers l’histoire musulmane. Les jurisconsultes musulmans ont clairement souligné que la
34
Voir North, 1990, pp. 93-94.
Cf. notre dernier ouvrage intitulé : Muslim Civilization : the Causes of decline and the need for Reform, The
Islamic Foundation, Leicester, UK, 2008.
36
‫( كاد الفقر أن يكون كفرا‬Cited by al-Suyuti (d.911/1505) in his al-Jami‘al-Saghir from Anas ibn Malik on the
authority of Abu Nu‘aym’s al-Hilyah under the word Kada, p.89).
35
20
satisfaction des besoins essentiels des pauvres dans une société islamique est un devoir
religieux collectif (fardh kifayah).37 En effet, et selon al-Shatibi, ceci représente la raison
d’être de la société elle-même.38 L’ensemble des jurisconsultes contemporains sont de cet
avis, y compris Mawlānā Mawdūdī, Imām Hasan al-Bannā, Sayyid Qutub, Mustafā al-Sibā’ī,
Abū Zahrah, Bāqir al-Sadr, Muhammad al-Mubārak, and Yūsuf al-Qaradawī.
Cela nous mène à la question de savoir qu’est ce qui constitue le besoin dont la
satisfaction fait de lui un impératif individuel et social en même temps. Les besoins sont
classés par les fouqaha en trois catégories : Les besoins essentiels (dharouriyyat), les besoins
de confort (hajiyyat) et les besoins de raffinement (tahsiniyyat). Tous ces besoins, tels que
définis par les fouqaha, ont un lien avec les biens et services qui permettent de promouvoir le
bien-être des individus, et qui, une fois satisfaits, atténuent la souffrance, offrent la joie, le
confort et la paix morale.39 Cette liste ne contient pas les besoins de ‘luxure’ qu’on peut
définir comme étant les biens et services recherchés à des fins de snob sans avoir un effet
concret sur le bien-être de la personne. De tels biens et services qui ne répondent pas vraiment
à un besoin bien précis relèvent, selon les fouqaha, de la prodigalité et sont donc
vigoureusement désapprouvés.40
37
38
Cf. Par exemple Ibn Hazm , Tome 6, p. 156 :725.
al-Shātibī, Vol..2, p.177.
)711‫ ص‬،2‫ ج‬، ‫فجعل اهلل الخلق خالئف فى أقامة الضروريات العامه (الشاطبي‬
39
For the definition of these terms within the perspective of fiqh, see al-Shātibī, al-Muwāfaqāt, Vol.. 2, pp. 812: and Anas Zarqa, “Islamic Economics: An Approach to Human Welfare”, in K. Ahmad, 1980, pp.13-15.
See also Imām Hasan al-Bannā, Majmū[ah Rasā’il (1989), p. 268, and Hadīth al-Thulāthā’ (1985), p.410; and
Sayyid Abul A‘lā Mawdūdī, Īslām awr Jadīd Ma[āshī Nazariyyāt (1959), pp. 136-40.
40
Cf. Le Coran, 7 :31, 17 :26-7 et 25 :67 pour ce qui concerne les versets qui condamnent le gaspillage et
l’extravagance. Le Prophète (BSDL) condamne fermement l’extravagance et exhorte les musulmans à
l’humilité et à la simplicité. Il nous apprend que le gaspillage des ressources n’est pas interdit dans les cas de
la rareté seulement, mais également dans les cas de l’abondance (Tabrizi, Mishkat, 1966, Tome 1, p.
133 :427). Le Prophète dit également : « Allah m’a révélé de vous apprendre à être humble de façon à ce
qu’aucun ne nuit aux autres ou ne se montre arrogant » ((Sunan Abu Dawud,. 1952, Vol.. 2, p. 572, from ‘Iyad
ibn Hīmār) et que : « Allah ne regarde pas ceux qui portent des habits pour se montrer arrogants ». " (Sahih alBukhārī, Vol. 7, p. 182, and Sahīh Muslim, 1955, Vol. 3, p. 1651:42). Il dit également : « Celui qui, par
humilité, s’abstient de porter des habits somptueux tout en ayant les moyens de le faire, sera récompensé par
Allah le Jour de la rétribution en présence de tous les hommes et aura le choix de jouir du fruit de la foi qu’il
désire » (Jamī[ al-Tīrmīdhī wīth commentary, Tuhfat al- Ahwadhī, Vol. 3, pp. 312-13, d’après Mu‘adh ibn
Anas al-Juhani), et « Mangez et buvez, faîtes la charité et habillez-vous sans extravagance, ni vanité » (Suyūtī,
al-Jāmi' al- Saghīr. Vol.. 2, p. 96, from Ibn ‘Umar, on the authority of Musnad Ahmad, Nasa’i, Ībn Mājah and
Mustadrak Hākim). Ainsi, le Coran et la Sunnah exhortent les croyants à mener une vie modeste, et les
21
Cependant, il y a lieu de rappeler que sachant que l’Islam est la religion du juste
milieu et n’approuve en aucun le monachisme, la négation de soi-même ou la renonciation au
monde d’ici-bas (Le Coran, 57 :27), la classification des biens et services citée auparavant ne
demeure pas rigide dans le temps. L’Islam autorise la satisfaction de l’ensemble des besoins
(essentiels ou de confort) pour renforcer le bien-être de l’individu. Cette classification des
biens et services doit donc refléter l’état du niveau de vie d’une société islamique donnée. Par
conséquent, la nature des besoins varie dans le temps selon le degré de développement
technologique, l’état de la richesse et du niveau de vie. En effet, la plupart pays musulmans
sont plutôt riches et sont capables de garantir un niveau de vie meilleur que celui des temps
anciens. Certaines choses qui n’existaient même pas du temps du Prophète (BSDL) sont
aujourd’hui considérées comme des besoins. Mais cela ne doit pas conduire au snobisme ou à
un écart des niveaux de vie qui fragilise l’esprit de fraternité islamique ou de solidarité
sociale. L’objectif étant d’éviter un climat de monotonie qui risque de ternir la joie de vivre
dans une société musulmane. La simplicité peut avoir lieu sans porter atteinte à la créativité et
la diversité.
9. Emploi et possibilités de travail indépendant
Sachant que la mendicité dégrade la dignité de la personne et est d’ailleurs peu
appréciée en Islam,41 un neuvième objectif se manifeste qui concerne la satisfaction du besoin
Ouléma affirment que l’orgueil et la rivalité entre musulmans à des fins de prestige sont formellement haram
(prohibés). (See "Kitāb al-Kasb" of al-Shaybānī in al-Sarakhsī, Kitab a/-Mabsūt. Vol. 30, pp. 266-8.)
‫عن عبداهلل بن عمرو بن العاص ان النبي صلى اهلل عليه وسلم مر بسعد وهو يتوضأ فقال (ما هذا السرف يا سعد) قال أفى الوضوء‬
‫ كتاب الطهارة – باب‬421 ‫ نمرة‬،799 ‫ ص‬،7 ‫ ج‬،‫ مشكاة‬،‫ (نعم وإن كنت على نهر جار) رواه أحمد في المسند وابن ماجه‬:‫سرف قال‬
‫سنن الوضوء‬
‫ (إن اهلل أوصى إلى أن تواضعوا حتى ال يبغى أحد‬:‫ قال رسول اهلل صلى اهلل عليه وسلم‬:‫عن عياض بن حمار رضي اهلل عنه أنه قال‬
.112 ‫ ص‬،2 ‫ ج‬،‫على أحد وال يفخر أحد على أحد) ابو داؤد‬
41
Le Prophète (BSDL) désapprouve la mendicité en disant: « Ne demandez rien aux autres » )ً‫(ال تسألوا الناس شيئا‬
Abū Dawud, 1952, Vol. Ī, p, 382, par ‘Awf ibn Malik), et que « la main haute est meilleure que la main basse ».
)‫(اليد العليا خير من اليد السفلى‬
22
d’accomplissement qui se réalise à travers l’effort individuel de tout un chacun. Par
conséquent, la prise en charge de soi-même et de sa famille demeure une obligation religieuse
(fardh ayn) pour chaque musulman.42 Le Prophète (BSDL) exhorte les musulmans à
apprendre un métier qui leur permet de mener une vie décente.43 Les penseurs musulmans ont
donc clairement souligné que sans le travail, le musulman ne peut pas maintenir un bon
physique ni un bon moral, ni même remplir ses obligations en tant que Lieutenant d’Allah sur
terre.44
(Al-Bukhārī. Vol.. 2, p. 133. par ‘Abdullah ibn ‘Umar).
Le Prophète (BSDL) nous apprend également que la charité ne convient pas à quelqu’un qui n’est pas dans le
besoin ou à celui de bonne constitution physique capable de travailler.
)‫(ال تحل الصدقة لغني وال لذي مرة سوى‬
(Abū Dāwūd, 1952, Vol.. I, p, 379; Nasā’ī, 1964, Vol.. 5, p. 74 et Ibn Mājah, 1952, Vol.. Ī. p. 589:1839).
Il a réservé une bonne place à celui qui gagne sa vie par son labeur en disant : « Celui qui évite la mendicité,
cherche un travail pour nourrir sa famille tout en étant généreux envers son voisin, il rencontrera Allah le Jour de
la rétribution avec un visage rayonnant de lumière comme la pleine lune ». ‫(من طلب الحالل استعفافا عن المسألة‬
)‫وسعياً على أهله وتعطفاً على جاره لقي ربه تعالى يوم القيامة ووجهه مثل القمر ليلة البدر‬
) Tabrizi, Mīshkāt, 1381 A.H., Vol.. 2, p. 658:5207, par Abū Hurayrah, sous l’autorité de Bayhaqī’s Shu‘ab alĪmān).
42
Le Coran ordonne aux musulmans de se disperser sur terre et de rechercher (quelque effet) de la grâce d’Allah
une fois la prière terminée (62 :10). Le Prophète dit : « La recherche d’un revenu licite est une obligation pour
tout musulman ». )‫( (طلب الحالل واجب على كل مسلم‬Suyūtī, AĪ-Jami' al-Saghir, par Anas Ibn Malik. p. 54). Il dit
aussi : « Le meilleur des gains qu’un homme reçoive c’est celui de son propre labeur ». ‫(ما كسب الرجل كسباً أطيب من‬
)‫( عمل يده‬Sunan Ibn Mājah, 1952, Vol. 2, p. 723:2138. from Miqdam ībn Ma‘dikarib). Selon le Prophète (BSDL),
compter sur Allah ne veut pas dire que le musulman s’abstienne de fournir un effort. Au contraire, il doit
travailler au maximum et compter sur Allah pour les résultats. Cela se comprend à travers la désapprobation du
Prophète (BSDL) de l’action d’un homme qui n’a pas attaché son chameau sous prétexte qu’Allah le surveillera
parce qu’il a entière confiance en Lui. Le Prophète (BSDL) l’ordonna alors d’attacher le chameau et de compter
sur Allah par la suite. (see "Kitāb al-Kasb" of Muhammad Ibn al-Hasan al-Shaybānī in al-Sarakhsī, Kitāb alMabsūt Vol. 30.p. 249). Le Calife Omar Ibn al-Khattab avait lui aussi insisté sur le devoir de chacun de se
prendre en charge par son propre labeur.
‫ فنن السماء ال تمطر ذهباً وال فضة ولكن اهلل يرز‬،‫ اللهم ارزقني‬:‫قال عمر رضي اهلل عنه "ال يقعد أحدكم عن طلب الرز ويقول‬
.)268 ‫ ص‬،‫ أخبار عمر‬،‫الناس بعضهم من بعض"(على الطنطاوي وناجي الطنطاوي‬
‫"أن من يزعم أن حقيقة التوكل في تركه الكسب فهو مخالف للشريعة وإليه أشار رسول اهلل صلى اهلل عليه وسلم في قوله للسائل الذى‬
‫ المبسوط‬،‫ "ال بل اعقلها وتوكل" ( كتاب الكسب لمحمد بن الحسن الشيباني‬:‫ فقال صلى اهلل عليه وسلم‬،‫قال أُرسل ناقتي وأتوكل‬
.)243 ‫ ص‬،91 ‫ج‬، ‫للسرخسي‬
43
Le Prophète (BSDL) dit : « Allah adore le musulman qui a un métier » (rapporté par al-Mundhiri par Ibn
‘Umar sous l’autorité d’al-Tabarani’s al-Kabir et al-Bayhaqi, Vol.2, p.523:10).
"‫ "إن اهلل يحب المؤمن المحترف‬: ‫ عن ابن عمر رضى اهلل عنهما عن النبي صلى اهلل عليه وسلم قال‬124 ‫ ص‬،2‫ ج‬، ‫ المنذري‬، ‫(رواه الطبراني في الكبير و البيهقى‬
44
On ne peut citer la liste de toutes ces références. Cependant on recommande au lecteur de consulter "Kitāb alKasb" de al-Shaybānī īn al-Sarakhsī, Kitāb al-Mabsūt, Vol. 30, pp. 344-87, particulièrement, pp. 245, 250 et
256; Abū Hāmid Muhammad al-Ghazālī, Īhyā ‘Ulūm al-Dīn, Vol. 2, pp. 60-4; al-Shātībī, Al-Muwāfaqāt, Vol. 2,
pp. 176-7 et al- ‘Abbādī (1974-75), Vol. 2, pp. 22-5.
23
Il relève donc d’une obligation collective (fardh kifaya) pour une société Islamique de
gérer son économie d’une manière à ce que chaque membre ait la chance de gagner sa vie
honnêtement selon ses capacités et l’effort fourni par tout un chacun. De nos jours, la
microfinance dispose d’un potentiel d’expansion du marché du travail et de l’auto-emploi
qu’il va falloir exploiter par les pays musulmans. Néanmoins, il y aura toujours une partie de
la population qui sera incapable de gagner sa vie par le travail pour cause d’handicape ou
d’incapacité. L’Islam prévoit donc un programme d’aide sociale pour venir en aide à ces
personnes à travers les institutions caritatives telles que la zakat, sadaqat et awqaf. Ce
mécanisme d’aide sociale fonctionne sans stigmates ni récrimination. Au cas où les ressources
de ces institutions ne suffisent pas, l’Etat intervient alors pour jouer son rôle complémentaire
de lutte contre la pauvreté.
10. Répartition équitable des revenus et de la richesse
Le Coran exige que la richesse ne doive pas circuler parmi les seuls riches (59:7). Le
dixième objectif de la vision islamique est donc la répartition équitable des revenus et de la
richesse. Cela paraît évident car un écart excessif des revenus est nuisible aux pauvres et à
ceux qui n’ont pas l’occasion de mettre en œuvre leur potentiel. L’absence d’un programme
efficace de réduction des inégalités détruit le sentiment de fraternité que l’Islam nous exhorte
à promouvoir. Ainsi, l’Islam ne se limite pas à nous interpeller à combattre la pauvreté et à
satisfaire les besoins de tout un chacun via une source de revenu convenable, mais il propose
un programme d’aide sociale sous forme de zakat, de sadaqat, et d’awqaf. Cependant, ce
serait une erreur de compter exclusivement sur ces institutions caritatives pour réaliser
l’objectif d’une répartition équitable des revenus et de la richesse. Il faudrait accélérer le
développement (tel qu’on le verra dans notre analyse de la richesse) et adopter les autres
mécanismes de redistribution qui ont fait leur preuve ailleurs dans le monde, pourvu qu’ils
soient compatibles avec la Charia.
24
11. Le mariage, moyen idéal pour une vie familiale stable
Un onzième besoin naturel pour les membres mâles et femelles de la société est le
partenariat pour la vie à travers le mariage.45 Le but de celui-ci ne se limite pas à la simple
satisfaction du besoin sexuel mais d’en faire un lieu convivial où les partenaires trouvent la
paix, l’affection et le respect mutuel. Le Coran dit : « Et parmi Ses signes : Il a créé de vous,
pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de
l’affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour les gens qui réfléchissent » (30:21).
Toutefois, la vie conjugale ne peut réaliser cet objectif qu’à la condition que le mari et
l’épouse aient chacun un caractère noble (khuluq hassan)46, s’entraident mutuellement et ne
rechignent pas à se sacrifier l’un pour l’autre.47 Une telle relation riche en affection et en
sacrifice favorise la promotion d’un cadre familiale stable, idéal pour élever la progéniture et
assurer le renouvellement des générations.
12. Le foyer familial et la solidarité sociale
45
Le Coran utilise les mots zawj et sahibah pour une femme qui signifie qu'elle est un partenaire et un ami ou un
compagnon et non un employé ou un subordonné. A la lumière de cela, la littérature fiqhique considère le
mariage comme un partenariat basé sur l’égalité des deux partenaires. Il est célébré dans le but de satisfaire des
besoins mutuels dans le cadre d’une coopération réciproque. Cf. voir al-Sarakhsī (d.483/1090) (s.d.) al-Mabsut
Vol. 5, p. 109; al-Qarafi (d.684/1284) (1994), al-Dhakhirah, Vol. 13, p. 34.
‫ "عقد الزواج عقد ازدواج و هوينبنى على المساواة في األصل " و المراد باالزدواج معنى المشاركة‬)713 ‫ ص‬، 1‫ ج‬، ‫ المسبوط‬، ‫( السرخسي‬
)94 ‫ ص‬،79 ‫ ج‬، ‫ الذخيرة‬،‫" إن الزوج والزوجة كالشريكين المتعاونين على المصالح" ( القرافي‬
Ces textes de référence fiqhique m’ont été communiqués par notre collègue le Dr. Sami Al-Suwaylem
46
Le Prophète (BSDL) dit : “Le meilleur parmi vous est le plus vertueux” (Al-Bukhārī, Vol. 8, p.15).
( ً‫باب لم يكن النبي فاحشا وال متفحشا‬، ‫إن من أخيركم أحسنكم خلقا ( البخاري‘ كتاب اآلداب‬
47
Les études empiriques ont montré que l’attachement à la religion diminue les risques de divorce et favorise la
stabilité conjugale (Iannaccon, 1998; Lehrer and Cheswick, 1993; and Gruber, 2005).
25
Pour promouvoir un climat d’amour, de compassion et de quiétude entre le mari et son
épouse, le Coran a prescrit pour les femmes des droits équivalents à leurs obligations (2:228)
et a ordonné les hommes à se comporter convenablement envers elles (4:19) et (2:237). Le
Prophète (BSDL) a appuyé ces recommandations coraniques en qualifiant les femmes comme
les frères des hommes.48 Dans son sermon donné lors de son pèlerinage, le Prophète (BSDL)
exhorte les hommes de craindre Dieu dans leur traitement avec les femmes parce qu’ils les ont
acceptées comme des êtres confiés par Allah.49 Dans un autre hadith, il ordonna aux hommes
de ne pas usurper le droit des femmes en profitant de leur faiblesse. 50 De la même manière il a
averti les hommes contre l’humiliation de leurs filles en privilégiant les garçons à leurs
dépens.51 Ces hadiths et beaucoup d’autres témoignent du statut d’égal à égal entre l’homme
et la femme et le rôle complémentaire de chacun à promouvoir le bien-être de tous. Le second
Calife Omar (d. 23/644) a dit : « Durant la période préislamique (al-jahiliyya), nous ne
considérions pas les femmes comme telles (dignes de respect). Mais après l’avènement de
l’Islam où Allah les a cité, nous avions réalisé qu’elles avaient des droits sur nous ».52 Il n’y a
48
Cité in ‘Ā’īshah par al-Suyuti dans son al-Jami al-Saghir sous l’autorité de Ahmad, Abu Dawud et alTirmidhi, Vol... 1, p.102.
.
‫ إن رسول اهلل صلي اهلل عليه وسلم قال (إنما النساء‬،‫ عن انس رضي اهلل تعالى عنهما‬،‫ عن البزار‬،‫عن عائشة رضي اهلل تعالى عنها‬
،‫ رواه احمد وأبو داؤد والترمذي‬،712 ‫ ص‬،7‫ ج‬،‫شقائق الرجال) الجامع الصغير للسيوطي‬
49
Cité par Jabir ibn ‘Abdullah par Muslim in his Sahih, Kitab al-Manasik, Bab hajjat al-Nabiyy, Vol. 2, p.
889:147; and Abū Dāwūd, Kitāb al-Manasik, Bab sifat hajj al-Nabiyy; also Ibn Majah and Musnad Ahmad.
:‫ قال قال رسول اهلل صلى اهلل عليه وسلم في خطبة الوداع‬،‫عن جابر بن عبد اهلل رضى اهلل تعالى عنه‬
‫ باب حج النبي صلى اهلل‬،‫ كتاب الحج‬،‫"فالتقوا اهلل في النساء فننكم أخذ تموهن بأمان اهلل واستحللتم فروحهن بكلمة اهلل"( صحيح مسلم‬
‫كتاب المناسك‬،‫ أبو داود‬، ‫ كتاب المناسك‬، ‫ ابن ماجة‬، )‫ ( فننكم أخذ تموهن بأمانة اهلل‬،)741 ‫ رقم‬883 ‫ ص‬، 2 ‫ ج‬، ‫عليه وسلم‬
50
Le contenu du hadīth est comme suit: “Je vous interdit l’usurpation des droits des personnes faibles : les
orphelins et les femmes.” (Rapporté par Abū H
par al-Hākim dans son Mustadrak, Vol. 1, p. 63.) Ce
h
est
h (authentique) selon Muslim.
‫ اليتيم والمرأة) مستدرك‬: ‫(إني أحرج عليكم حق الضعيفين‬: ‫عن أبي هريرة رضي اهلل عنه قال "قال رسول اهلل صلى اهلل عليه وسلم‬
‫ كتاب االيمان‬، 69 ‫ ص‬،‫ ج‬،‫الحاكم‬
51
Relaté par Ibn ‘Abbas et rapporté par al-Mundhiri sous l’autorité de Abu Dawud et al-Hakim, Vol. 3, p. 68:29.
52
Relaté par ‘Umar par al-Bukhari dans son Sahih, Kītāb al-Libās, Bāb mā kanā al-Nabiyy yatajawwaz min allibās wa alT. 4, p.281: 735.
)23 ‫ رقم‬86‫ ص‬9‫رواه أبو داوود والحاكم (المنذري ج‬
26
aucune raison de rejeter l’idée que la noblesse du caractère, les relations conjugales
conviviales et la volonté mutuelle d’élever sa progéniture avec amour et tendresse conduisent
à la satisfaction du douzième besoin de l’être humain qui n’est autre que le foyer familial et la
solidarité sociale.
13. Minimisation de la criminalité et de l’anomie
La satisfaction des douze besoins cités ci-dessus devrait, espérant le, aider à créer un
environnement propice pour la satisfaction du treizième besoin qui est le la minimisation de la
criminalité et de l’anomie. Si tous ces besoins sont satisfaits, on peut franchir le pas vers le
quatorzième besoin qui est traité ci-dessous.
14. La paix morale et le bonheur
La satisfaction de tous ces besoins devrait avoir un effet positif non seulement sur la
personne humaine, l’intellect, la progéniture et le patrimoine, mais également sur la foi en
promouvant un environnement favorable pour une bonne mise en œuvre de ces objectifs et
une meilleure compréhension. Cela aiderait certainement à la réalisation d’un développement
durable dans tous les secteurs de la société, y compris les secteurs de l’économie et de la
politique.
ENRICHISSEMENT DE LA FOI, DE L’INTELLECT, DE LA POSTERITE ET DU
PATRIMOINE
Alors que l’objectif final de la Charia est le bien-être de tous les individus, il est
également nécessaire de renforcer les autres quatre maqassid (foi, intellect, postérité et des
biens). Ces maqassid ont un rôle important à jouer dans la réforme et l’enrichissement de
chaque personne. Au cas où ces quatre maqassid ne sont pas correctement pris en charge tout
en dotant la société des moyens nécessaires pour faire face aux défis imposés par le
‫ باب ما كان‬،‫ كتاب اللباس‬،‫ رأينا لهن علينا حقا (صحيح البخاري‬،‫ فلما جاء االسالم وذكرهن اهلل‬،‫كنا في الجاهلية ال نعد النساء شيئا‬
. )191 ‫ رقم‬،287 ‫ ص‬،4‫ ج‬،‫النبي صلى اهلل عليه وسلم يتجوز من اللباس والبسط‬
27
changement des circonstances, on ne peut réaliser le bien-être optimal ni pour la génération
actuelle ni pour les générations futures, et à long terme c’est la survie de la civilisation ellemême qui sera compromise.
Renforcement de la foi (schéma 3)
La première question que peut poser le lecteur est de savoir pourquoi la foi a été placé
immédiatement après l’âme alors que nous vivons dans un monde où le laïcisme, le
libéralisme et le matérialisme dominent le monde. Est-ce que réellement la foi mérite un tel
classement dans la liste des maqassid ? La chose incontestable est que les êtres humains
représentent la fin et en même temps les moyens du processus de développement, et par
conséquent, la prise en charge de leurs besoins est d’une importance cruciale. En fait, c’est la
vision religieuse du monde qui procure le potentiel nécessaire à la réforme des âmes visant à
satisfaire les besoins spirituels et matériels de l’homme tels que décrits précédemment. Cela
se fait par l’injection d’un sens et d’un but à la vie, par la canalisation de l’effort humain vers
la bonne direction, par la transformation des individus pour un bien-être meilleur en créant les
conditions d’un changement positif de leur comportement, mode de vie, goût, préférences,
attitude envers eux-mêmes, envers leur Créateur, envers les autres êtres humains, envers les
ressources à leur disposition et envers l’environnement. C’est pour cela que le Coran indique
clairement que « Réussit, certes, celui qui se purifie, et se rappelle le nom de son Seigneur,
puis célèbre la Salat [prière] » (87 :14-15 et 91 :9-10). Par conséquent, tous les penseurs
musulmans ont souligné le besoin de la réforme de l’être humain et le rôle de la foi dans ce
processus.
Toynbee, Will et Ariel Durant sont arrivés à la conclusion après une longue étude de
l’histoire des peuples, que l’inspiration morale et la solidarité sociale ne peuvent se réaliser
sans la conscience morale annoncée par les religions. Toynbee affirme que « les religions ont
tendance à accélérer au lieu de détruire le sens de l’obligation sociale par la dévotion de leurs
28
adeptes » et que « la fraternité de l’homme présuppose la paternité de Dieu, une vérité qui
implique la thèse universelle selon laquelle, si le père divin de la famille humaine est exclu du
calcul, il n’existe aucune possibilité de forger une alternative à texture purement humaine qui
pourra maintenir l’humanité rassemblée ».53 Will et Ariel Durant ont pareillement remarqué
dans leur précieux ouvrage, The Lessons of History, que : « Il n’y a pas d’exemple significatif
de l’histoire, avant notre temps, d’une société maintenant avec succès la vie morale sans
l’aide de la religion ».54
Les valeurs
Cela soulève la question de savoir pourquoi l’inspiration morale et la solidarité sociale
ne peuvent se réaliser sans l’aide de la foi. La réponse est que deux des conditions les plus
importantes pour une inspiration morale sont : premièrement, l’existence de valeurs ou de
règles de comportement répandues de telle manière qu’elles deviennent obligatoires ; et
deuxièmement, le respect de ces valeurs par chaque individu dans le sens d’une obligation
morale de telle sorte que quiconque viole ces valeurs sera automatiquement censuré. Cela
soulève une autre question de savoir comment arriver à répandre des valeurs qui sont
acceptées et respectées par chaque personne. Est-il possible d’arriver à de telles règles par le
biais d’un ‘contrat social’ tel que suggéré par certains philosophes laïcs contemporains ou
certains spécialistes de la politique ? La réponse est oui si tous les participants au débat sont
socialement, économiquement et intellectuellement égaux de manière à ce que chacun dispose
d’une pondération juste dans la formulation des règles désirées. Puisque cette égalité est
impossible à réaliser, les riches et les plus forts domineront le processus de la prise de
décision et on aboutira ainsi à une formulation de règles qui servent leurs intérêts d’abord.
Cela créera des frustrations chez le grand public envers les valeurs ainsi formulées. Il est donc
nécessaire qu’un personnage étranger omniscient et bienveillant se charge de cette tâche –un
53
54
Toynbee, Somervell's abridgement, 1958, Vol.2, p. 380 and Vol.1, pp 495-96.
Will and Ariel Durant, 1968, p. 51.
29
outsider qui soit impartial, qui connaît les forces et les faiblesses de l’être humain, qui les
traite sur le même pied d’égalité, qui se préoccupe de tout le monde sans discrimination
aucune, et qui est capable d’analyser non seulement les effets à court terme mais aussi les
effets à long terme des règles imposées par lui. Qui est mieux placé pour remplir cette tâche
autre que le Créateur de l’Univers et de l’Homme lui-même ?
Le Créateur s’est chargé de cette tâche. Selon la vision Islamique du monde, Il a
envoyé, comme indiqué précédemment, Sa Guidance à tous les peuples en des temps
différents de l’histoire, à travers une chaîne de Messagers (qui sont tous des hommes) y
compris Abraham, Moïse, Jésus, et le dernier de tous Mohammed, bénédiction et salut de
Dieu sur eux tous. Il y a donc une continuité et une similitude de la vision du monde et des
systèmes de valeurs de toutes les religions monothéistes dans la mesure où le message divin
n’est pas déformé. L’homme, en tant que khalifah d’Allah sur terre, est chargé de la mission
d’observer avec ferveur de la foi les valeurs révélées par le Créateur. En fait, c’est la mission
et la raison d’être de son séjour éphémère dans le monde d’ici-bas. S’il utilise les ressources
rares qui lui sont confiées, et traite avec ses pairs conformément à ces valeurs, le résultat
serait la réalisation d’un bien-être de tous les hommes dans le respect de l’environnement
avec toutes ses composantes. Comme l’a remarqué Schadwik, les principes moraux
« dépendent de certaines normes convenues dans le cadre d’un consensus accepté d’une
manière axiomatique qu’il est difficile d’en débattre » et que « à l’exception d’un nombre
restreint de groupes de gens, les principes moraux n’ont jamais été séparés de la religion à
travers toute l’histoire de l’humanité ».55 Bernard Williams n’a donc pas tord d’affirmer que
« la moralité sociale n’est pas une invention des philosophes ».56
Une motivation appropriée
55
56
Schadwick, 1975, pp.229 and 234.
Williams, 1985, p. 174
30
Cependant, même en cas d’acceptation du grand public des valeurs de la société, la
question est de savoir comment assurer le respect de ces valeurs par tout le monde. En fait, le
respect de ces valeurs nécessite un sacrifice personnel de la part de tous les individus de la
société. De quelle manière la foi aide à motiver les individus à respecter ces valeurs et à
remplir leurs obligations sociales, économiques ou politiques qui nécessitent un sacrifice? A
vrai dire la foi intervient pour donner à l’intérêt personnel une vision à long terme qui dépasse
le monde éphémère d’ici-bas pour s’élargir au monde éternel de l’au-delà. L’intérêt individuel
égocentrique et restreint peut être réalisé dans ce monde sans que la personne ne remplisse ses
obligations envers les autres. Cependant, elle ne bénéficie de rien dans l’au-delà si la personne
concernée a manqué à ses obligations dans le monde d’ici-bas.
C’est cette vision à long terme de l’intérêt personnel, appuyée par la récompense ou la
punition dans l’au-delà, selon le cas, qui va motiver les hommes à remplir leurs obligations
même si cela conduit à un sacrifice temporel dans le court terme. Il relève de l’irrationalité
pour un individu de sacrifier son intérêt éternel pour un intérêt court de ce monde d’ici-bas.
Cette dimension de l’intérêt personnel a été complètement négligée par l’analyse économique
positive sous l’influence d’une vision séculière du monde. Elle ne dispose donc pas de
mécanismes de motivation des individus pour accepter un sacrifice pour le bien-être des
autres.
31
Figure 3
Enrichissement
de la foi
Vision du monde
(Tawhīd, Khilāffah,
*
Rissālah et Ākhirah)
Valeurs
(Règles de
comportement)
Justice, liberté,
sécurité de la vie, des
biens et de
l'honneur, honnêteté,
respect de toutes les
obligations socioéconomiques et
politiques, patience,
austérité, prudence,
tolérance, soins et
confiance mutuelle,
etc
Lutte contre
la pauvreté,
besoin
d'épanouisse
ment de tous,
emploi et
possibilité de
travail
indépendant
Bonne motivation
Répartition
équitable
(Fraternité
humaine)
Education
(morale et physique)
Créer un
environnemen
t propice pour
la droiture,
l'intégrité de
la famille, la
solidarité
sociale et la
stabilité
politique
Rôle de
l'Etat
Bonne
gouvernance
Enrichissement de
l’âme, de l’intellect,
de la postérité et de la
richesse
Bien-être de tous,
(Falāh)
* Ces termes signifient l'unicité de Dieu (tawhid), la lieutenance de l’être humain (khilafah), la Guidance
envoyé par Dieu à travers Ses Messengers (risalah) et de la responsabilité de l'homme devant Dieu au Jour
du jugement sur la façon dont il / elle a vécu dans ce monde et utilisé les ressources fournies par Lui
(akhirah).
32
L’éducation
Cependant, même en présence de ces valeurs et d’un système de motivation, cela ne
suffit pas pour faire adhérer le grand public à ces valeurs. C’est pourquoi l’Islam exhorte
chaque musulman à acquérir les connaissances nécessaires non pas uniquement celles liées à
la vision du monde et des valeurs de la société, mais également celles liées au développement
technologique de chaque époque (voir la section sur l’intellect). Cela ne va pas seulement
aider les individus à devenir de bons musulmans capables de prendre leur destin en main,
mais également permettre à la société de se développer, de lutter contre la pauvreté et de
réduire les écarts de revenus et de la richesse. Ces objectifs seront davantage réalisés si le
système financier est conçu d’une manière qui permet l’accès aux circuits de financement de
larges couches de la population par l’adoption des modes de financement islamiques.57
Créer un environnement propice pour la justice et la solidarité familiale et sociale
L’Islam aide à la création d’un environnement propice pour renforcer la justice, la
solidarité familiale et sociale, la promotion de l’entraide mutuelle et la coopération entre les
individus. En l’absence d’un tel environnement, les valeurs et le système de motivation seront
émoussés. La célébration des prières, le carême durant le mois de Ramadhan, la zakat et le
pèlerinage ainsi que le respect réservé par la société à ceux qui prêchent le bien et récusent le
mal (amr bi al-ma’rūf wa nahī ‘an al-munkar), tout cela constitue une partie intégrante du
programme islamique visant à créer un tel environnement favorable.
L'existence d'un tel environnement peut aider à promouvoir les qualités recherchées
chez les individus et réprimer les vices qui font obstacle à la réalisation des objectifs sociaux
humanitaires. Par exemple, la promotion de la vie simple et la réduction du gaspillage et de la
consommation luxueuse peuvent aider à réduire la demande excessive sur les ressources. Cela
57
La littérature sur ce sujet abonde. Cf. par exemple Chapra, 2007a et 2007b.
33
peut non seulement libérer un plus grand volume de ressources pour le besoin général de
l'accomplissement, qui est nécessaire pour promouvoir l'harmonie sociale, mais aussi de
renforcer l'épargne et l'investissement et, partant, contribuer à promouvoir l'accroissement de
l'emploi et la croissance. L'absence d'analyse de ces valeurs dans la microéconomie et de
l'environnement a créé un fossé entre celle-ci et la macroéconomie. Sans une discussion sur le
type de comportement et les goûts et les préférences qui sont nécessaires pour les individus,
les familles et les entreprises pour réaliser les objectifs macroéconomiques humanitaire, ces
objectifs ne seront jamais atteints sans soutien. Les objectifs humanitaires macroéconomiques
ne sont donc plus en harmonie avec la microéconomie parce que celle-ci privilégie
l'individualisme et l'intérêt personnel à travers la maximisation de la richesse et de satisfaction
inconsidérée des besoins.
Le mouvement des Lumières du 17e et 18e siècles en occident a tenté de saper ce rôle
de la religion par sa vision laïque et matérialiste du monde. Il a, cependant, réussi que
partiellement parce que les valeurs chrétiennes ont continué de prévaloir jusqu'à ce qu'elles
deviennent progressivement de plus en plus faibles. Les fruits amers de ce développement ont
provoqué des protestations et le retour à la religion est entrain de se manifester de par le
monde58. Schweitzer, un lauréat du Prix Nobel, a souligné à juste titre que «si les fondements
éthiques reculent, la civilisation s'écroule alors, même si des efforts créatifs dans d'autres
directions fonctionnent de la meilleure manière possible».59 Par conséquent, selon lui, «le
contrôle moral du comportement des hommes est beaucoup plus important que la maîtrise de
la nature».60 Plus récemment Benjamine Friedman, un professeur de Harvard, a également fait
valoir dans son récent ouvrage que le développement éthique et le développement
58
Les éditeurs de l’ouvrage intitulé « Place de la religion en Europe contemporaine » admettent témoigner du
début de la fin de 200 ans d’hostilité à la religion (Futton et Gee, 1994).
59
Schweitzer, 1949, p.xii
60
Schweitzer, 1949, pp. 22-23, 38-39, 91.
34
économique vont de pair, et que chacun renforce l’autre61. Bien avant ces auteurs
occidentaux, Al-Ghazālī, al-Shatībī et un certain nombre d'autres érudits musulmans, ont
réservé une place de grande importance à la foi dans la réalisation du bien-être humain.
Une question qui pourrait être posée ici est de savoir si le retour à la foi limiterait
l’espace de la liberté humaine. Pas nécessairement. Les êtres humains sont toujours libres de
choisir. Ils peuvent soit être à la hauteur des exigences de leur foi ou de les rejeter. Cette
liberté de choix est soulignée dans plusieurs versets du Coran, dont l'un dit: «La vérité émane
de ton Seigneur. Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut, qu’il mécroit."(18:29).
Toutefois, même s’ils rejettent la foi, ils ne peuvent pas avoir une liberté absolue. Il y a des
restrictions sur la liberté, dans toute société, sous la forme de règles de comportement. Par
exemple, un feu rouge est aussi un frein à la liberté individuelle. Néanmoins, personne ne lui
vient à l’esprit de s’opposer car tout le monde sait que cela favorise les maqassid en aidant à
prévenir les accidents, sauver des gens contre le mal et, partant, améliorer le bien-être.
Le rôle de l'Etat
La foi à elle seule ne peut cependant aider à réaliser le bien-être humain. Il n'est pas
réaliste de supposer que tous les individus deviendront moralement conscients parce qu’ils
croient en Dieu et, partant, ils sont responsables devant Lui dans l'au-delà. En outre, même si
une personne est moralement consciencieuse, elle peut tout simplement ne pas être au courant
des priorités sociales dans l'utilisation des ressources. Ceci fait, il incombe à l'Etat de jouer un
rôle complémentaire. Le Prophète (BSDL), dit que «Allah empêche, par le biais du
souverain, les gens à faire du mal plus qu’ils ne le font par le biais du Coran."62 Le Coran est
un Livre de Guidance qui contient des orientations éthiques (valeurs), il ne peut à lui seul les
61
62
Friedman, 2005.
‫( إن اهلل ليزع بالسلطان أكثر مما يزغ بالقرآن‬Cīté par al-Māwardī, 1955, p. 121).
“Ibn 'Ashur a justement indiqué que si la Charia n'est pas respectée par tous et ne soit pas dûment appliquée,
les bénéfices attendus d’elle ne seront pas pleinement réalisés (2001, p.376),
‫ إذ ال تحصل المنفعة المقصودة منه كاملة‬، ً‫" من مقاصد الشريعة من التشريع أن يكون نافذاً في األمة وأن يكون محترمًا منا جميعا‬
916 ‫بدون نفوذه و احترامه" ابن عاشور ص‬
35
faire respecter. C'est à l'État de le faire. Il s'agit de la responsabilité morale et juridique de
l'État d'assurer la justice et le bien-être de la population. Le Prophète (BSDL) a dit:
«Quiconque a eu la charge d'un peuple, mais ne le fait pas avec sincérité, il ne sentira même
pas l’odeur du paradis».63 Ceci est également reflété dans les écrits d'un certain nombre de
penseurs musulmans classiques et contemporains aussi. Par exemple, l'imam Hassan AlBanna a souligné que les pouvoirs publics sont au coeur de la réforme socio-économique; s'ils
deviennent corrompus, ils peuvent corrompre tout, et, s'ils agissent correctement, c’est toute la
société qui fonctionne bien.64
L'Etat devrait, toutefois, essayer d'accomplir ses fonctions de façon à ne pas le rendre
totalitaire et despotique. La maîtrise excessive de la liberté individuelle nuirait à l’esprit
d'initiative et d'innovation des individus et des groupes. A cet effet, il est impératif d'avoir des
contrôles efficaces et des contre-pouvoirs institutionnels à l'État, y compris l’organe de la
Choura (parlement), un système judiciaire performant, une presse libre, et des lois et
règlements bien conçus. Celles-ci doivent être étayés par des mécanismes incitatifs et des
dispositifs dissuasifs appropriés pour renforcer l’éthique de la société et créer un
environnement favorable. Néanmoins, on ne peut échapper à la bonne éducation morale des
individus afin de les motiver à faire ce qui est juste et de s'abstenir de faire du mal de leur
propre gré.
Plus les gens sont motivés à mettre en œuvre les valeurs Islamiques de leur
propre gré, et plus les institutions financières, socio-économiques et judiciaires sont efficaces
en matière de création d'un environnement propice pour la réalisation d'un ordre économique
et social juste et équitable, moins le recours à l'état s'impose pour faire respecter les lois afin
‫ "ما من عبد استرعاه اهلل رعية فلم يحطها‬:‫ سمعت النبي صلي اهلل عليه وسلم يقول‬:‫ قال‬،‫عن معقل بن يسار رضي اهلل تعالى عنه‬63
) ‫ باب من استرعي رعية فلم ينصح‬، ‫ كتاب األحكام‬،81‫ ص‬،3‫ ج‬،‫بنصيح ٍة إال لم يجد رائحة الجنة "( رواه البخاري‬
Al-Bukhārī, d’après Ma‘qil Ibn Yasar, T. 9, p. 80, Kitāb al-Ahkām.
‫ وإذا صلحت صلح األمرر كلره" (مجموعرة‬،‫ فنذا فسدت أوضاعها فسد األمر كله‬،‫" الحكومة وال شك قلب اإلصالح االجتماعي كله‬64
)211 ‫ص‬،7383 ، ‫ باب مشكالتنا الداخلية في ضوءا النظام االقتصادي‬،‫رسائل اإلمام الشهيد حسن البنا‬
Īmam Hasan al-Bannā, Majmu‘ah Rasā’il al-Imām al-Shahīd Hasan al-Bannā’' (1989), p. 255.
36
de réaliser les objectifs sociaux souhaités. En outre, plus la responsabilisation des dirigeants
politiques devant le peuple s’affirme, et plus il y a d’espace pour la liberté d'expression et de
pouvoir du parlement, des tribunaux et des médias dans la dénonciation et la répression des
inégalités et de la corruption, plus l'Etat Islamique devient efficace pour s’acquitter de ses
obligations. Un certain nombre de techniques adoptées dans d'autres sociétés pour protéger les
intérêts sociaux devront peut-être être adoptées, même dans les pays musulmans, si en effet,
ces techniques se sont avérées efficaces.
Enrichissement de l’intellect (Aql) (Figure 4)
L’intellect est la caractéristique distinctive de l'être humain et doit être enrichie afin
d'améliorer continuellement la connaissance et la base technologique de l'individu lui-même
ainsi que celui de sa société et de promouvoir le développement et le bien-être humain. Selon
Al-Ghazali, "L’intellect est la source, le point de départ, et le fondement de la connaissance. Il
produit de la connaissance, tout comme les fruits de l'arbre, la lumière du soleil, et la vue de
l'œil. Si tel est le cas, alors pourquoi il ne devrait pas être honorée d'être la source de la
réussite dans ce monde ainsi que l'au-delà.»65 L'importance accordée au rôle de la foi dans la
réalisation de la vision islamique du développement ne signifie pas nécessairement la
dévalorisation de l'intellect. La raison en est que la révélation et la raison sont comme le coeur
et l'esprit d'un individu et les deux ont un rôle crucial à jouer dans la vie humaine. Aucun des
deux ne peut être écarté si on souhaite réaliser le maximum de bien-être.
C'est la foi qui donne la bonne direction pour l'intellect. Sans l'orientation de la foi, de
l'intellect peut conduire à de plus en plus de façons de tromper et d’exploiter les gens et à la
fabrication d'armes de destruction massive. Toutefois, si l'intellect nécessite la guidance de la
65
Al-Ghazali, Ihya’, T. 1, p.83.
‫ فكيف ال يشرف‬،‫والعقل منبع العلم ومطلعه وأساسه والعلم يجري منه مجري الثمر من الشجرة والنور من الشمس والرؤية من العين‬
.)89 ‫ ص‬،‫ ج ا‬،‫ احياء علوم الدين‬،‫ما هو وسيلة السعادة فى الدنيا واآلخرة (الغزالى‬
37
foi pour agir au service de l'humanité, la foi exige également le service de l'intellect de
maintenir son dynamisme, de répondre avec succès à l'évolution de l'environnement socioéconomique et intellectuel, de développer le genre de technologie qui peut accélérer le
développement, en dépit de la rareté des ressources, et de jouer un rôle crucial dans la
réalisation des maqāssid. Par conséquent, comme indiqué précédemment, la raison et la
révélation sont à la fois nécessaires et interdépendantes. Leur utilisation harmonieuse peut
conduire au développement des types de connaissances et de technologies qui peuvent
promouvoir un réel bien-être humain, et non la destruction. La négligence de l'une des deux
ne peut que déboucher sur le déclin. Le Coran lui-même insiste fortement sur l'usage de la
raison et de l'observation (Le Coran, 3:190-91, 41:53).
Cette insistance s'est reflétée dans les écrits de la plupart des savants musulmans à
travers l'histoire. Par exemple, Ibn Taymiyyah (d.728/1328) a clairement souligné que la
dérivation par les musulmans de leurs croyances, de leurs prières et autres à partir du Coran,
de la Sunna et du consensus de la Oummah, "n'est pas en contradiction avec la raison, car ce
qui est contraire à la raison c’est le faux (batil) »66 Il a en outre souligné que les gens
n’apprécient peut-être pas que les textes du Coran et de la Sunna sont composés de mots et
qu'il est possible pour eux de comprendre ces mots incorrectement ou de les interpréter de
façon erronée. Donc, le problème se situe au niveau de l’interprétation et non pas au niveau
du Coran ou de la Sunna67. Mustapha al-Zarqā, un éminent et respecté érudit de l’Islam du
20e siècle, ainsi qu'un lauréat du Prix Faysal, a également déclaré clairement qu ' «il est bien
66
،‫ وما اتفق عليه سلف األمة وأئمتها‬،‫فيأخذ المسلمون جميع دينهم من االعتقادات والعبادات وغير ذلك من كتاب اهلل وسنة رسوله‬
.)431 ‫ ص‬،77‫ ج‬،‫ مجموع الفتاوى‬،‫ (ابن تيمية‬،‫ فنن ما خالف العقل الصريح فهو الباطل‬،‫وليس ذلك مخالفاً للعقل الصريح‬
Ibn Taymiyyah, Majmū’ al-Fatāwā, Tome 11, p. 490.
67
‫ مجموع‬،‫ فاآلفة منهم ال من الكتاب والسنة ( ابن تيمية‬،‫ أو يفهمون منها معنى باطال‬، ‫ولكن فيه ألفاظ قد ال يفهمها بعض الناس‬
431 ‫ ص‬،77 ‫ج‬، ‫الفتاوى‬
(Ibn TaymIyyah, Majumū ‘ al-Fatāwā, Vol... 11, p. 490).
38
établi chez les ‘oulémas’ qu'il n'y a rien dans les croyances et règles de l’Islam qui soit en
conflit avec l'intellect."68
L'accent sur les maqassid dans l'interprétation des textes
Cela montre que la foi et l'intellect sont à la fois interdépendants et doivent être utilisés
de telle sorte qu'ils renforcent l’un l’autre et aident à réaliser les maqassid. Sans le rôle actif
de l'intellect, il n'est peut-être pas possible d'exercer l’ijtihād et d'évaluer rationnellement
toutes les interprétations du Coran et de la Sunna ainsi que les verdicts du fiqh prononcés
contre leur impact sur l'actualisation de la maqassid. Toute interprétation ou jugement qui
n'est pas en harmonie avec les maqassid et est susceptible d'aboutir à des résultats qui peuvent
nuire au bien-être humain, a besoin d'être réexaminé avec soin et soit ajusté ou rejeté
catégoriquement. Cela a été souligné par un certain nombre d'éminents spécialistes de Charia.
L’Imām d’al-Haramayn, Abul Ma'ālī al-Juwaynī (d.478/1085) dit que: "Celui qui ne
comprend pas le devoir de sanction dans ce qui est ordonné et ce qui est interdit par la Charia
ne peut pas apprécier son statut réel. »69
Cheikh Muhammad al-Tāher Ibn Achūr a également déclaré que: "La plupart des
questions liées à uçūl al-fiqh (principes de la jurisprudence islamique) concernent l'obtention
de jugements tirés des textes sacrés plutôt que d'être utilisées pour servir les buts ou les
objectifs de la Charia".70 Le résultat déplorable de ceci est que «beaucoup de ‘Ulūm-al-
68
Mustafa al-Zarqa, Al-[-Aql wa al-Fiqh, 1996, p. 14.
‫ ص‬،‫م‬7336 ،‫ العقل والفقه‬،‫"من المقرر الثابت عند علماء اإلسالم أنه ال يوجد في عقيدته وأحكامه ما يصادم العقل"(مصطفى الزرقا‬
.) 74
69
Al-Juwayni (d.478/1085), al-Ghiyathi, 1400, Vol... 1, p. 295.
231
70
7
7411
Muhammad al-Tāhir ibn [Āshūr, Maqāsid al-Sharī‘ah al-Islāmiyyah, 2è ed. 2001, p. 166).
"... ‫ ولكنها تدور حول محور استنباط األحكام من ألفاظ الشارع‬،‫"أن معظم مسائل أصول الفقه ال ترجع إلى خدمة الشريعة ومقصدها‬
‫ ص‬،2117 ،2‫ األردن ط‬،‫ دار النفائس‬،‫ تحقيق محمد طاهر الميساوي‬،‫ مقاصد الشريعة اإلسالمية‬،‫الشيخ محمد الطاهر ابن عاشور‬
.766 – 761
39
Schéma 4
Enrichissement de
l’intellect
(Aql)
Enseignement
religieux et
scientifique de
haut niveau et
à des prix
abordables
Accent sur les
maqassid dans
l'interprétation des textes
Bibliothè
-ques et
moyens de
recherches
La
liberté
de penser
et de
s'exprimer
Expansion de la
connaissance et du
savoir technologique
Valorisation de la foi, de
soi-même, de la postérité
et de la richesse
Développement politique
et Socio-économique
40
Récompenser le
travail
créatif
Finance
Diniyyah’ (sciences religieuses), y compris uçul al-fiqh, ont perdu le véritable esprit dont il a
bénéficié dans les périodes précédentes. La relance de cet esprit est la tâche la plus cruciale
pour la renaissance de la connaissance religieuse.»71
Besoin d’une éducation et d’un enseignement religieux de bonne qualité
Mettre l'accent sur la maqāssid plutôt que simplement sur les mots dans l'interprétation
des textes doit non seulement aider à rétablir le vrai éclat des enseignements de l'Islam, mais
aussi à réduire les différences d'opinion, ainsi que les conflits qui prévalent, le fanatisme,
l'intolérance, et l'insistance excessive sur les apparences. Cependant, un tel rôle
complémentaire et harmonieux de l'intellect et de la révélation ne peut être possible sans la
création dans les pays musulmans d'un système d'éducation qui combine l'enseignement des
sciences modernes aux sciences religieuses et apprend les étudiants à réfléchir, à analyser et à
interpréter les textes de façon rationnelle à la lumière des maqāssid en vue de restaurer le
dynamisme de l'Islam et de lui permettre de faire face aux défis de la vie moderne.
Il est tout à fait naturel qu’une vision du monde qui met tant d'accent sur la réforme et
la promotion socio-économique des êtres humains accorde une grande importance à
l'éducation. Pas étonnant que la toute première révélation du Coran dis au Prophète : «Lis, au
nom de ton Seigneur …Qui a enseigné à l'homme par la plume ce qu'il ne savait pas» (Le
Coran, 96: 1 -5). Même le Prophète (BSDL), a réservé une grande place à l’éducation
(apprentissage) en la rendant obligatoire pour chaque musulman, homme ou femme, à
rechercher le savoir, et a appris aux musulmans la supériorité du savant sur le mystique
comme celle de la pleine lune sur les autres étoiles.72 Ce n'est que grâce à une combinaison de
71
Abī al-Fadl ‘Abd al-Salām (1424/2004), pp. 576-7.
‫ فقد فقدت الروح‬،‫ ومنها أصول الفقه‬،‫"إن هذا الطرح لهذه القضية الجسيمة ليقوظ في النفس شعوراً قوياً بأن كثيرًا من العلوم الدينية‬
."‫ وأن استعادة تلك الروح هي اليوم من أعظم الضرورات لتحقيق نهضة علمية دينية‬،‫العالية التي كانت تتمتع بها في عهودها األولى‬
.111 – 116 ‫ ص‬،‫ المكتبة اإلسالمية‬،‫ القاهرة‬،‫ التجديد والمجددون في أصول الفقه‬،‫أبي الفضل عبدالسالم بن محمد بن عبدالكريم‬
72
Les deux hadīths sont: «La quête du savoir est une obligation (faridah) pour chaque musulman», et «la
supériorité du savant (alīm) sur une mystique (abid) est comme celle de la pleine lune sur toutes les autres
étoiles,” (Les deux hadīths sont rapportés par Ibn Majah, le premier d’après Anas Ibn Malik et le second d’après
Abu al-Darda’, T.1, pp.81, 223-224, al-Muqaddimah, Bab: 17- fadl al-‘ulama’ wa al-hathth ‘ala talab al-‘īlm).
41
l'enseignement scientifique et religieux qu’on peut offrir à la population une base solide de
connaître les valeurs de la société, augmenter leurs connaissances pour leur permettre de
gagner leur vie d’une manière licite (halāl) cours, et à rendre possible pour eux de contribuer
pleinement au développement des sciences et des technologies et de réaliser les maqāssid. En
respectant l'accent mis sur l'éducation dans le Coran et la Sunna, la littérature fiqhique a aussi
fait de même. Abū Zahra, un des éminents juristes du XXe siècle, affirme qu'il est nécessaire
"de former une personne, afin qu'il devienne une source de profit, et non un danger pour la
société".73
Les autres obligations
Cependant, l'éducation et la recherche doivent être de bonne qualité si elles sont
souhaitées pour servir l'objectif d’un développement moral, matériel et technologique rapide
des communautés musulmanes. Ce but peut rester un espoir difficile à atteindre si les moyens
pour la recherche et les supports bibliographiques ne sont pas fournis, s’il n'y a pas de liberté
de pensée et d'expression, si le travail créatif n'est pas dûment récompensé, et si les
nominations et les promotions sont basées sur les affinités et les connaissances, plutôt que sur
le mérite et les contributions faites à la société. Le manque de ressources financières peut être
un obstacle à la promotion d'un enseignement de qualité. Toutefois, si l'éducation, la
recherche et le progrès technologique sont considérés comme importants pour le
développement, la corruption doit être réduite au minimum et les ressources doivent être
utilisées d’une manière rationnelle autant que faire se peut (figure 4).
Pour d’autres ahadiths sur le sujet, Cf. pp. 80-98. Voir aussi al-Qurtubi (d. 463/1070). Jami‘ Bayan al-‘llm wa
Fadluhu, T. 1,.pp 3-63, et al-Ghazali (d. 505/1111), Ihya’, T. 1, pp. 4-82).
‫ "طلب العلم فريضة على كل‬:‫ قال رسول اهلل صلى اهلل عليه وســــــلم‬،‫عن أنس ابن مالك رضي اهلل تعالى عنهما قال‬.‫الحديث األول‬
. (‫ باب فضل العلماء والحث على طلب العلم‬،‫ المقدمة‬،224 ‫ رقم‬،87 ‫ ص‬،‫مجلدا‬، ‫مسلم")ابن ماجه‬
‫ قال قال رسول اهلل صلى اهلل عليه وسلم" إن فضل العالم على العابد كفضل‬،‫ رضي اهلل تعالى عنه‬،‫والحديث الثاني عن ابي الدرداء‬
( 229‫ حديث رقم‬،‫القمر على سائر الكواكب" ) نفس المرجع‬
73
Abu Zahrah, Uçul al-Fiqh, 1957, p. 350.
42
Schéma 5
Enrichissement de la postérité
L'enrichissement de la
postérité
(Nasl)
Bonne éducation,
développement
moral et intellectuel
Mariage et
intégrité
familiale
Besoin
d'accomplissement
Enrichissement de l’âme,
de la foi, de l'intellect et
de la richesse
Développement
humain durable
43
Environnement sain et
propre
Abri de la
peur, des
conflits et de
l'insécurité
Développement moral
Aucune civilisation ne peut survivre si ses générations futures sont spirituellement,
physiquement et mentalement de moindre qualité que les précédentes et ne sont donc pas en
mesure de répondre avec succès aux défis auxquels ils sont confrontés. Il y a donc lieu
d’œuvrer pour une amélioration continue de la qualité de la génération future, qui dépend d'un
certain nombre de facteurs. L'un d'eux est le type d'éducation que les enfants sont en mesure
d'obtenir. Afin de faire d'eux de bons musulmans, il est nécessaire d'inculquer en eux toutes
les qualités nobles (khuluq hassan) que l'Islam exige de ses adeptes. Ils devraient apprendre à
leur jeune âge à être très honnêtes, véridiques, consciencieux, tolérants, ponctuels,
travailleurs, économes, polis et respectueux envers leurs parents et les enseignants, prêts à
s'acquitter de toutes leurs obligations envers les autres, en particulier leurs subordonnés, les
pauvres et les défavorisées, et capables de s'entendre avec les autres en paix.
Education appropriée et intégrité familiale
La famille est la première école pour l'éducation morale des enfants et, si cette école
ne parvient pas à leur inculquer les bonnes qualités de caractère (khuluq hassan) que l'Islam
attend de ses adeptes, il peut être difficile de surmonter les revers par la suite. La famille ne
peut, toutefois, être en mesure d'assumer cette énorme responsabilité de manière satisfaisante
que si le caractère des parents eux-mêmes ne reflète pas l'éclat des enseignements de l'Islam.
Dans ce cas, ils ne seront pas capables de servir de modèles pour leurs enfants et ne seront pas
en mesure de les prendre en charge convenablement et de les éduquer correctement pour
devenir de bons citoyens, loyaux et productifs. En outre, il doit y avoir une atmosphère
d'amour, d'affection et de quiétude au sein de la famille comme l'a souhaité le Coran (39:21).
Une telle atmosphère ne l'emportera que si les parents s'acquittent de leurs responsabilités les
uns envers les autres consciencieusement et amicalement. Rien ne peut être pire pour les
enfants que les querelles des parents. Cette discorde pourrait déboucher sur un divorce, ce qui
44
aura un impact préjudiciable sur le développement moral, mental et psychologique des
enfants.74 C'est la raison pour laquelle, même si l'Islam a permis le divorce, le Prophète
(BSDL) a dit: «De toutes les choses permises par Allah, le plus méprisé par Lui est le
divorce"75, et que " Mariez vous mais ne divorcez pas parce que le divorce fait trembler le
trône Divin».76 Par conséquent, dans l'intérêt du bien-être des enfants, il est nécessaire d'éviter
la discorde et le divorce, autant que possible, et, dans le cas où il devient inévitable, il faut
tout faire pour les sauver de ses effets néfastes.
Développement intellectuel
En plus de l'intégrité de la famille et de la bonne éducation morale des enfants, un
deuxième facteur qui est nécessaire à l'enrichissement de la postérité pour une bonne
éducation est de leur fournir les compétences dont ils ont besoin pour leur permettre de se
prendre en charge et de contribuer efficacement au développement moral, socio-économique,
intellectuel et technologique de leur société. Pour ce faire, il est indispensable de disposer
d’écoles, de collèges et d’universités de très haut niveau. C'est dans ce domaine que les
musulmans ont échoué au cours des derniers siècles, après plusieurs siècles de performance
louable. Par conséquent, à moins que l'éducation ne reçoive la priorité qu'elle mérite et les
ressources dont elle a besoin, les pays musulmans ne peuvent pas être en mesure d'accélérer le
développement et pour répondre avec succès aux défis auxquels ils sont confrontés. Le
message clair hardiment écrit sur les murs est: "éducation", "éducation" et "éducation".
L'éducation, cependant, ne se propage pas comme souhaité que si elle est fournie gratuitement
et, si cela n'est pas possible, à un coût abordable. Sans cela, seuls les riches seront en mesure
74
Des études empiriques ont établi que les jeunes qui grandissent dans les foyers très attachés à la religion sont
moins susceptibles de se livrer à des activités criminelles (consommation de drogues ou d'alcool, ou rapports
sexuels pré maritaux). (Iannaccon, 1998, p. 1476; see also Bachman, et.al, 2002; Wallace et Williams, 1997;
et Gruber 2005). Voir aussi, Fukuyama, 1997).
75
Cité par al-Qurtubī par Ibn ‘Umar dans son commentaire du verset 1 de la surah (al-Talāq), T.18,
p. 149.
‫ قال رسول اهلل صلى اهلل عليه وسلم (إن أبغض الحالل إلى اهلل الطال ) تفسير القرطبي‬:‫ قال‬،‫ رضي اهلل تعالى عنهما‬،‫عن ابن عمر‬
. ‫ في سورة الطال‬7 ‫تفسير آية رقم‬
76
Ibid, d’après ‘Ali ibn Abi Talib )‫(تزوجوا وال تطلقوا فنن الطال يهتز منه العرش‬
45
d'offrir une éducation de qualité pour leurs enfants. Cela permettra d'intensifier les inégalités
prévalant des revenus et des richesses et, à leur tour, accentuent les tensions sociales et
l'instabilité. Le manque de ressources est une piètre excuse parce que l'importance cruciale de
l'éducation dans le développement exige que lui soit accordée la priorité absolue, même si
cela nécessite la réaffectation de ressources destinées à d'autres secteurs.
Besoin d'accomplissement et environnement sain
Il existe deux autres facteurs qui sont indispensables à l'enrichissement de la postérité.
L'un d'eux est la réalisation de tous leurs besoins, y compris les soins, afin qu'ils soient
physiquement et mentalement en bonne santé et capable de jouer efficacement leur rôle dans
leur société. Le Prophète (BSDLl), a dit que "Un musulman fort est meilleur et plus aimé par
Allah qu’un musulman faible ».77 Si les enfants ne reçoivent pas une nourriture adéquate ainsi
qu'un environnement propre et sain et des soins médicaux appropriés, ils ne peuvent pas
grandir et devenir des adultes forts et en bonne santé et ne peuvent, donc, être en mesure de
contribuer efficacement dans la société, même s’ils sont de bonne moralité et sont bien
éduqués.
Abri contre la peur des conflits, l'insécurité et la charge du service de la dette
L'autre facteur qui est aussi nécessaire à l'enrichissement de la postérité est la
protection contre la peur, les conflits et l'insécurité ainsi que le fardeau du service de la dette
créé par l’endettement démesuré de la génération actuelle à des fins de consommation. La
peur, l'insécurité et les conflits peuvent être réduits par l'adoption d'une politique de tolérance
et de coexistence pacifique. Il est également nécessaire d'allouer des ressources adéquates
pour promouvoir une meilleure compréhension entre les individus et la suppression de tous
les irritants. Le fardeau du service de la dette peut être réduit par l'adoption de deux mesures
importantes. L'une d'elle est un changement dans le style de vie de la génération actuelle dans
77
‫( المؤمن القوي خير وأحب إلى اهلل من المؤمن الضعيف‬Ibn Majah, T. 1, p. 31:79)
46
le but de freiner sa tendance à vivre au-dessus de ses moyens. Cela permettra non seulement
de réduire la dette du secteur privé, mais aussi contribuer à faire augmenter l'épargne et les
possibilités d'emploi pour les jeunes. L'autre mesure qui est également indispensable est
d'introduire une plus grande discipline dans le budget du gouvernement pour réduire les
déficits qui conduisent à une augmentation du fardeau du service de la dette. Cela permettra
également de dégager des ressources nécessaires pour assurer le progrès dans la réalisation
des maqassid.
Développement et expansion de la richesse (Schéma 6)
La richesse est classée par al-Ghazālī et al-Shātibī en fin de liste. Cela ne
signifie pas nécessairement qu'elle est la moins importante. Elle est plutôt aussi importante
que les quatre autres principaux maqāssid parce que sans elle, les quatre autres peuvent ne pas
être en mesure d'obtenir le genre de poussée qui est nécessaire pour assurer le bien-être
général. Pas étonnant, le monachisme et l'abnégation ont été refusées par le Coran et de la
Sunna. Le Coran dit: «Le monachisme qu’ils inventèrent, Nous ne leur avons nullement
prescrit" (57:27). Ce sera peut-être la raison pour laquelle le Prophète (BSDLl) dit que "Il n'ya
rien de mauvais dans la richesse pour celui qui craint Allah » [c'est-à-dire, s'abstient de faire
du mal]78, et que «Celui qui est tué, tout en protégeant ses biens est un martyr"79 C’est peutêtre pour cette raison que la richesse (māl) a été placé immédiatement après l’âme (nafs) dans
le classement des cinq maqāssid par Fakhruddīn al-Rāzī, (d.606/1209), un éminent juriste et
exégète du Coran.80
La richesse est, cependant, une forme de dépôt confié par Allah et doit être développée
et utilisé honnêtement et consciencieusement pour éliminer la pauvreté, satisfaire les besoins
78
Al-Bukhārī, al-Adab al-Mufrad, p. 113:301, Bāb Tīb al-Nafs.
‫أنه ال بأس بالغنى لمن اتقى‬
79
"‫( ”من قتل دون ما له فهو شهيد‬Shahih al-Bukhari, Kitab al- Mazalim, Bab man qatala duna malhi fahuwa shahid; et
Sahih Muslim,Kitab al-Iman).
80
Al-Rāzī ,al-Mahsūl, 1997,T.5, p.160.
47
de tous, rendre la vie aussi agréable que possible pour tout le monde, et promouvoir une
répartition équitable des revenus et de la richesse. Son acquisition, ainsi que son utilisation
doivent être principalement agir dans le but de réaliser le maqāssid. C'est là que la foi a un
rôle crucial à jouer par le biais de ses valeurs et de son système de motivation. Sans les
valeurs offertes par la foi, la richesse deviendrait une fin en soi. Elle servira alors à
promouvoir le manque de scrupules et à accentuer les inégalités, les déséquilibres et les excès,
ce qui pourrait réduire à terme le bien-être de la plupart des membres à la fois des générations
actuelles et futures. C'est pour cette raison que le Prophète (BSDL) a dit: «Misérable est
l'esclave du dinar, du dirham et du velours".81 Par conséquent, la foi et la richesse sont toutes
les deux très nécessaires pour le bien-être humain. On ne peut se passer de l’une ou de l’autre.
Alors que c’est la richesse qui fournit les ressources qui sont nécessaires pour permettre aux
individus de s'acquitter de leurs propres obligations ainsi que celles à l'égard d’Allah, des
êtres humains, et de l'environnement, c'est la foi qui aide à apporter une certaine discipline et
un sens de la manière de gagner et de dépenser la richesse et, partant, de lui permettre de
remplir sa fonction de manière plus efficace.82
Le développement de la richesse est également indispensable pour la réalisation de
l'objectif Islamique crucial de réduire au minimum les inégalités des revenus et de la richesse.
A cet effet, il serait une erreur de compter principalement sur la zakāh, sadaqāt et awqāf
comme mécanismes de redistribution. Bien que tous ces éléments soient indispensables, il est
également important de privilégier le développement économique. Une imposition trop lourde
des riches par le biais de taux excessivement élevés de l'impôt créerait une résistance de leur
81
"‫ "تعس عبد الدينار و تعس عبد الدرهم وتعس عبدالقطيفة الذي إذا أعطى رضي و إن لم يعط لم يرض‬Sahih al-Bukhari, Kitab alJihad wa al-Siyar.
82
C'est pour cette raison que le Prophète (BSDL) a dit: «Une personne ne sera pas en mesure de se déplacer le
Jour du jugement jusqu'à ce qu'il soit questionnée sur quatre choses : sur son savoir qu’est-ce qu’il en a fait avec;
sur sa vie, comment il l’a utilisé; sur sa richesse, comment il l’a gagnée et où il l’a dépensée, et sur son corps,
pour qui il l’a sacrifié "(cité par Abū Yusuf, dans son Kitab al-Kharaj, p. 4)
48
Schéma 6
Développement et
expansion de la
richesse
(Māl)
(confiée par Allah))
Éducation,
recherche, et
amélioration
de la technologie
et de la gestion
Suppression de la
pauvreté, besoin
d'accomplissement
et répartition
équitable
Sécurité de
la vie, des
biens et de
l'honneur
Bonne
gouvernance
Solidarité
sociale et
entraide
mutuelle
Liberté
d’entrepren
dre
Epargne et
Investissement
Valorisation de la foi, de soi-même,
de l'intellect et de la postérité
Bien-être
(Falah)
49
Opportunités
d’emploi et
d’autoemploi
Taux de
développement
optimum
part, que Le Coran a été réaliste d'admettre (47:37)83. Crossland a souligné à juste titre à la
lumière de l'expérience socialiste, que «tout transfert substantiel implique non seulement une
baisse relative des revenus réels, mais aussi une baisse absolue des plus aisés de la moitié
population… et ce qui va susciter leur frustration»84. L'expérience des pays musulmans ne
peut pas être très différente même en cas de transformation moral, si le recours excessif est
mis sur les méthodes de redistribution. Par conséquent, les musulmans ne peuvent pas se
permettre d'ignorer le rôle du développement économique dans la réduction de la pauvreté et
des inégalités. Cela nécessite le renforcement des ressources humaines par le biais d'une
transformation culturelle en faveur de l'éducation, du progrès technologique, du travail dure et
consciencieux, de la ponctualité, de l'efficacité, de la recherche, de la dextérité, du travail
d'équipe, de l'épargne et de caractéristiques individuelles et sociales exigées par l'Islam mais
qui sont actuellement relativement faibles dans les sociétés musulmanes, et qui n'ont même
pas la priorité voulue à l'école et au niveau des programmes scolaires (madrassah) ainsi que
les prêches au niveau des mosquées. En plus de la promotion des ressources humaines, il est
également nécessaire de réorienter les politiques monétaires, budgétaires et commerciales
conformément aux enseignements de l’Islam pour assurer un développement accéléré. Il ne
devrait y avoir aucun scrupule à profiter de l'expérience des autres pays qui ont été en mesure
d'atteindre des taux élevés de croissance d'une manière qui n'est pas en conflit avec la Charia.
Pour asseoir plus de justice dans le processus de développement, il est également
nécessaire de promouvoir les microentreprises pour favoriser le travail indépendant et offrir
plus de possibilités d'emploi pour les pauvres. Cela ne serait peut-être pas possible sans la
promotion de la formation professionnelle et de la microfinance, et de fournir l'infrastructure
nécessaire et de commercialisation dans les zones rurales et les quartiers urbains défavorisés.
L'expérience a montré que la microfinance basée sur l’intérêt n'a pas conduit à autant
83
Le verset dit : « S’Il [Allah] vous les réclamait importunément, vous deviendrez avares et ainsi Il ferait
apparaître vos haines » (47 :37).
84
Crossland, 1974.
50
d'améliorations dans la vie des très pauvres comme souhaité. La raison en est que les taux
d'intérêt réels ont atteint des niveaux élevés variant entre 30 à 45 pour cent. Cela a causé de
graves difficultés pour les emprunteurs et faisant d’eux la proie d’un cycle d'endettement sans
fin85. Posséder des capitaux est l'une des plus importantes bases de la création de richesses et
les pauvres risquent de ne pas pouvoir s’en sortir, même s’ils ont les compétences nécessaires
s’ils n'ont pas accès aux capitaux. Par souci humanitaire, il est donc important de fournir la
microfinance aux très pauvres, sans intérêt bien sûr. Cela nécessite donc l'intégration de la
microfinance au niveau des institutions de la zakāh et du waqf.86 Pour ceux qui en ont les
moyens, il y a lieu de vulgariser les modes de financement participatifs, de ventes et de
location et location-vente islamiques.
CONCLUSION
Ainsi, on peut constater que l'Islam a mis l'accent sur toutes les composantes du bienêtre humain, y compris l’âme, la foi, l'intellect, la postérité et la richesse avec toutes ses
corollaires. Ces maqassid (buts) sont tous interdépendants et servent de soutien l’un à l'autre.
En assurant progressivement la valorisation et l'enrichissement de ces maqassid, il peut être
possible à l'étoile à cinq points de l'Islam de briller de tout son éclat et d'aider à réaliser le
bien-être humain réel (figure 7). C'est alors seulement qu'il sera possible pour le monde
musulman de refléter ce que le Coran dit sur le prophète (BSDL): «Et Nous ne t’avons envoyé
qu’en bénédiction pour l'univers» (Le Coran, 21:107)
85
86
Cf. Ahmad, 2007, pp. xvii – xix et 32.
Cf. Rapport annuel de l’Institut islamique de recherche et de formation (2007).
51
Schéma 7
Le bien-être humain :
La lumière de Muqāsid al- Charī’ah
FOI (DĪN)
INTELLECT (‘AQL))
ÂME (NAFS)
RICHESSE (MĀL)
POSTÉRITÉ (NASL)
La seule concentration sur le développement économique avec la négligence des
autres conditions préalables à la réalisation de la vision islamique du monde peut permettre au
monde musulman d'avoir un taux relativement plus élevé de croissance à court terme.
Toutefois, il peut être difficile de le maintenir dans le long terme en raison d'une montée des
inégalités, de la désintégration de la famille, de la délinquance juvénile, de la criminalité et
l'agitation sociale. Ce recul peut se propager progressivement à tous les secteurs de la vie
politique, économique et sociale par effet de causalité, soulignée par Ibn Khaldun
52
(d.808/1400) dans sa Muqaddima,87 et en fin de compte conduire à un nouveau recul de la
civilisation arabo-musulmane pour perdurer dans le gouffre dans lequel elle s’y trouve déjà
suite à des siècles de déclin.
87
Pour une analyse du modèle de la causalité circulaire d’Ibn Khaldūn, voir
Chapra, 2000, pp. 145-159
53
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