Marcelle Lagesse décrit la vieille maison de L`Express

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Marcelle Lagesse décrit la vieille maison de L`Express
Marcelle Lagesse décrit la
vieille maison de L'Express
Marcelle Lagesse se souvient. Comment pourrait-elle faire autrement ? N'a-t-elle pas fait, du souvenir,
son pain quotidien, sa raison d'être ? A ses souvenirs, s'ajoutent, bien sûr, ses connaissances historiques,
acquises, à la lecture de vieux grimoires, de vieilles gazettes, parcourues, avec tendresse, aux Archives, sises au
bureau du Registre, avant que le bâtiment Emmanuel-Anquetil ne squatte cet emplacement urbain. Elle sait
donc qu'avant d'être rue Brown-Sequard, la voie publique, passant devant la vieille maison coloniale de
« L'Express », sur le flanc droit de l'église paroissiale de l'Immaculée-Conception, se nomme « rue de la
Pompe », parce qu'elle termine le génial parcours du Canal Labourdonnais, alimentant en eau courante, sinon
potable, le Camp du Jardin de la Compagnie, la Loge du Gouvernement, la Place d'Armes, la rade du Port
Louis.
Marcelle Lagesse se souvient du patronyme « Olsen », tracé, à maintes reprises, sur les poutres massives
des combles de la vieille maison. Des dates l’accompagnent. Elles renvoient à la fin du XIXe siècle. Marcelle
calcule. Elle ajoute un quart de siècle d'activités journalistiques aux trois autres quarts de siècle d'occupations
domestiques, familiales, familières. Elle conclut à une existence centenaire, à une construction pouvant dater
du cyclone du 29 avril 1892, à moins que la « vieille maison » n'ait résisté à cet ouragan dévastateur et lui soit
donc antérieure. De combien d'années, alors ? Et voilà, Marcelle, repartie dans ses songes, dans ses rêveries,
desquels ne déboucheront plus un nouveau chef d'oeuvre, parce qu'une plume, et quelle plume !, lui est tombée
des mains.
Quand La Sentinelle acquiert, en 1962/63, cette vielle maison, pour la somme de Rs 50 000 (le salaire
mensuel, aujourd'hui, de ses employés les mieux rémunérés), un mur d'entourage, typiquement portlouisien, la
sépare de la chaussée. Une cour intérieure, un corridor plus exactement, l'entoure. Elle fait déjà rêver. Pensezy... un étage, un grenier, où rêver à loisir. Le sympathique escalier en bois, conduisant à ces retraites d'où l'âme
peut s'élever. Les fenêtres du grenier d'où le regard surplombe encore un Port Louis, ne comptant aucune
construction en hauteur, hormis, peut-être, le bâtiment de l'Anglo-Mauritius, à la rue de l'Intendance, le Cerné
House, à la Chaussée.
Dès la première décennie, le nouvel acquéreur, La Sentinelle, abat la muraille et la porte cochère, donnant
sur la voie publique et remplace les couloirs nord et est, par une construction à étage, pour faire de la place à la
réception, à l'atelier de mise en page et au bureau administratif, au rez-de-chaussée, au secrétariat de rédaction,
à la salle du conseil d'administration, au bureau du directeur, à l'étage. Les presses d'impression, les ateliers de
composition, la fonderie des caractères en plomb, occupent l'espace disponible au rez-de-chaussée. L'arrière-
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cour devient un débarras où s'entassent des déchets de toutes sortes : vieilles touques d'encre d'imprimerie,
bidon d'huile, de carburant, équipements désuets, vieux journaux, piles d'invendus, des récipients de toutes
sortes, le tout recouvert d'encre, d'huile, de graisse. Si vous voulez savoir comment tout cela ne prend pas feu,
lors de l'incendie du Mauricien, adressez-vous au Père Henri Souchon, sapeur-pompier de service, en ce
dimanche 8 janvier 1978, jour de ce regrettable sinistre. A lui seul, il empêche le feu de communiquer à
L'Express mitoyen. Cela fait, bien sûr, partie de sa lutte incessante en faveur de la Liberté de la Presse. Ce
qu'Henri Souchon ne sait pas c'est que, sous les combles de la « vieille maison de la rue Brown-Sequard »,
s'entassent des collections de journaux et les 25 exemplaires de chaque livraison que la Loi nous oblige de
conserver. Tout cela s'empile en désordre sur un bon mètre d'épaisseur. Il n'y est même pas interdit de griller une
sèche. Rémy Ollier veille sur La Sentinelle Bis. Il serait donc meilleur vigile que Raoul.
Quand, au nom d'un développement exigeant, il a fallu, à la fin des années 1980, démolir la « vieille
maison », il a suffi d'un coup de marteau, pour enlever les grosses chevilles en bois, retenant les poutres
massives, emboîtées les unes aux autres.
Qui dit « vieille maison», dit inévitablement, pour Marcelle Lagesse, fantômes, déguisés, cette fois-ci, en
journalistes, en typographes, en pressiers, bref l'équipe des premiers jours. Aux ardents désirs initiaux, succède
un irrésistible désir de réformer, de révolutionner, un journalisme mauricien encore trop empêtré dans les
réflexes d'avant-guerre. Philippe Forget préside à ces réformes salutaires.
Au Sunday Express de Philippe Baker, succède
L'Express Spécial Dimanche, rédigé en français,
confirmant que le Mauricien a soif de lecture journalistique dominicale.
Oubliée la mévente des premiers jours. Des jeunes s'arrachent désormais L'Express du dimanche, pour
savoir qui l'emporte toujours de Cliff Richard et d'Elvis Presley. Annie Cadinouche interpelle, dans un éclat de
rire continuel, avec un enthousiasme jamais démenti, les lectrices du journal. « Vous avez votre mot à dire »,
leur martèle-t-elle sans cesse. « N'attendez pas qu'on vous donne la parole. Prenez-la ! Elle est à vous ! »
Marcelle Lagesse évoque encore, pour notre bonheur, Percy Mc Gaw, le faux nonchalant, interviewant
l'antiquaire Noël Alleaume.
La fidélité est, alors, de rigueur, à « L'Express », y compris dans le respectueux maintien des possibles
erreurs des premiers jours. On ne change pas une voie, tracée, après mûres réflexions, par un Philippe Forget.
Où êtes-vous, Marcel, Pierre, Volcy, Percy, pour apprécier, comme il se doit, cet hommage à Marcelle,
hommage se voulant filial, en dépit de ses maladresses, de la pesanteur qui le plombe ?
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