Gouvernance des caisses de retraite pour non-initiés

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Gouvernance des caisses de retraite pour non-initiés
Gouvernance des caisses de retraite pour non-initiés
Un survol du contenu et du rôle du règlement intérieur, de la législation au Québec et des
changements à venir en Ontario, par Annette Dupré, CMA
Le 13 décembre 2007 était la date limite à
laquelle les caisses de retraite du Québec
devaient avoir complété leur plan de
gouvernance en établissant un règlement
intérieur1. En effet, la Loi modifiant la Loi sur
les régimes complémentaires de retraite
(« Loi RCR »), adoptée un an plus tôt, rendait
cet exercice obligatoire.
Les régimes complémentaires de retraite
désignent les régimes de retraite offerts par
les employeurs. Ceux-ci incluent entre autres
les régimes à prestations déterminées et ceux
à cotisations déterminées2.
Le changement législatif s’imposait pour
assurer la pérennité des régimes et améliorer
leur gouvernance à cause des facteurs
suivants :
•
Les régimes sont maintenant plus
matures en raison du nombre élevé de
retraités.
•
Leurs
engagements
sont
devenus
beaucoup plus importants en proportion
de la masse salariale des entreprises.
•
Au 31 décembre 2004, près de 70 % des
régimes étaient en déficit de solvabilité.
En effet, la chute des marchés boursiers
de 2001-2002 et la baisse des taux
d'intérêt avaient durement touché ceux-ci.
Que sont les caisses de retraite
et comment sont-elles gérées ?
Les caisses de retraite sont des fiducies qui
détiennent des actifs gérés distinctement de
ceux des employeurs qui y cotisent. En cas
d’insolvabilité, l’employeur ne peut donc y
puiser des fonds et les actifs de la fiducie sont
ainsi protégés. Selon Statistique Canada, au
31 décembre 2007, les actifs des régimes
complémentaires de retraite s’établissaient à
966 milliards $. Environ 4,6 millions de
travailleurs y cotisent.
Au Québec, les caisses de retraite sont
gérées par un comité de retraite qui en est à
la fois l’administrateur et le fiduciaire3. Le
régime de retraite prévoit le nombre maximal
de membres qui siègent au comité et les
conditions pour les désigner. Habituellement,
le comité de retraite est composé de sept à
neuf membres, dont des membres désignés
par l’employeur, par les employés, par les
retraités et, parfois aussi, par le syndicat.
Le comité doit compter au minimum trois
membres, dont un membre indépendant
désigné selon les règles prévues au régime
de retraite, ainsi qu’un membre nommé par
les employés et un autre choisi par les
retraités (et bénéficiaires) lors d’une
assemblée annuelle.
_____________________________
1
Loi sur les régimes complémentaires de retraite (Loi RCR), art. 151.2. Notons que la Loi RCR est aussi désignée par
L.R.Q., c. R-15.1. La Loi modifiant la Loi RCR décrite dans cet article est aussi appelée Projet de loi no 30.
2
Avec un régime à prestations déterminées, l’employé reçoit à la retraite une rente au montant déterminé selon une
formule tenant compte du nombre d’années d’emploi multiplié par un facteur par année, par exemple 2%. Avec un régime
à cotisations déterminées, l’employeur verse à la caisse de retraite au nom de l’employé un pourcentage donné de son
salaire. Le montant que l’employé reçoit à la retraite n’est donc pas garanti ; celui-ci dépend des sommes versées et des
rendements obtenus sur ces fonds en fonction des placements effectués et des risques encourus (fluctuation des taux
d’intérêts, des indices boursiers, etc.).
3
Loi RCR, art. 147 et 150
Le comité gère le régime de retraite
conformément au texte du régime, ainsi
qu’aux lois et règlements. Il veille à ce que la
caisse de retraite soit en mesure de payer les
prestations promises aux membres du régime
et à leurs survivants; il doit également
conserver et faire fructifier les actifs de la
caisse de retraite.
Dans les autres provinces, les fiduciaires des
caisses de retraite assument un rôle similaire
à celui du comité de retraite. Ceux-ci sont
désignés exclusivement par l’employeur dans
le cas d’un régime avec un seul employeur.
Comprendre le rôle du comité de retraite est
donc utile quelle que soit la province où l’on
habite.
Comité de retraite,
équivalent à un conseil d’administration
Le comité de retraite s’apparente à un conseil
d’administration. Fiduciaire de la caisse de
retraite, celui-ci doit agir avec prudence,
diligence et compétence ; il doit aussi agir
avec honnêteté et loyauté dans le meilleur
intérêt des participants et bénéficiaires4.
Les membres du comité de retraite sont
personnellement
et
solidairement
responsables des décisions prises dans leur
rôle d'administrateur du bien d'autrui qu’est la
fiducie. Disposer d’une bonne assurance
responsabilité fiduciaire est donc important
pour se protéger contre d’éventuelles
poursuites.
Un membre d'un comité de retraite ne peut
exercer ses pouvoirs dans son propre intérêt
ni dans celui d'un tiers; il ne peut non plus se
placer dans une situation de conflit entre son
intérêt personnel et les devoirs de ses
fonctions5.
Le membre d’un comité est tenu de mettre en
œuvre dans l'administration du régime de
retraite les connaissances et les aptitudes
_____________________________
4
Loi RCR, art. 151
Loi RCR, art. 158
6
Loi RCR, art. 151
7
Loi RCR, art. 152
5
utiles qu’il détient compte tenu de sa
profession ou de son expérience6.
Finalement, le comité de retraite délègue
généralement une partie de ses pouvoirs7.
Les gestionnaires de placement, les firmes
d’actuaires, l’employeur, les vérificateurs
externes, les conseillers juridiques et les
gardiens de valeur sont parmi les fournisseurs
de services que l’on retrouve le plus
fréquemment. Le comité doit toutefois exercer
une surveillance appropriée auprès de ceux-ci.
Contenu du plan de gouvernance
Le gouvernement du Québec a voulu
s’assurer de la bonne gouvernance des
régimes de retraite en insérant dans la Loi
RCR les éléments suivants qui doivent être
couverts dans le règlement intérieur :
1. les fonctions et obligations des
membres du comité de retraite ;
2. un code de déontologie ;
3. les procédures applicables lors
des réunions, la fréquence de
celles-ci et les règles à suivre pour
désigner le président, le viceprésident et le secrétaire ;
4. les contrôles internes, ainsi que
les mesures à prendre pour gérer
les risques et pour former les
membres du comité ;
5. les livres et registres à tenir ;
6. les règles à suivre pour choisir,
rémunérer, surveiller et évaluer les
fournisseurs de services, les
délégataires et les représentants ;
7. les
normes
concernant
les
services rendus par le comité et
les communications avec les
participants et les bénéficiaires.
Le comité de retraite doit régulièrement
réviser son règlement intérieur pour s’assurer
qu’il continue d’être aligné à son contexte et
aux pratiques de saine gestion.
Toutefois, la Loi RCR va plus loin en
obligeant les comités de retraite à adopter
des règles de gouvernance bien précises et
non pas en les y incitant tout simplement.
Le règlement intérieur,
un outil à usage multiple
Québec à l’avant-garde
Le règlement intérieur est appelé à dépasser
le cadre de la gouvernance en jouant un rôle
multiple. En effet, celui-ci guide le comité
dans sa prise de décision et son
fonctionnement, ainsi que facilite l’intégration
des nouveaux membres qui disposent de
règles précises. De plus, il définit le partage
des responsabilités entre le comité de retraite
et ses fournisseurs de service. Finalement, le
règlement établit des normes pour assurer la
qualité du service rendu aux membres du
régime et maintenir un haut degré d’éthique.
Pourquoi avoir obligé le comité de retraite
à se doter d’un plan de gouvernance ?
Le gouvernement du Québec a voulu outiller
les membres des comités de retraite en
spécifiant les éléments de régie interne à
couvrir dans le règlement intérieur, jouant
ainsi un rôle éducatif.
René Beaudry, associé chez Normandin
Beaudry
actuaires
conseil,
confirme :
« L'établissement du règlement intérieur s'est
avéré un excellent exercice éducatif pour les
membres de comités de retraite qui, pour un
bon
nombre,
n'ont
pas
réellement
d'expérience en gouvernance d'entreprises. »
Pour Martin Rochette, associé principal chez
Ogilvy Renault, « la gouvernance est un
excellent moyen de gestion des risques ».
Benoit Labrosse, conseiller principal chez
Mercer, abonde dans le même sens : « Le
premier facteur de risque d’une caisse de
retraite est le risque de gouvernance ».
Auparavant, les lignes directrices de
l’Association canadienne des organismes de
contrôle des régimes de retraite (ACOR)
représentaient le standard de l’industrie en ce
qui a trait à la régie interne des régimes de
retraite.
Le tableau ci-dessous montre que le Québec
innove avec la Loi RCR en obligeant à établir
des règles de gouvernance. Le Québec est
aussi
la
seule
province
impliquant
obligatoirement employés et retraités (ou
bénéficiaires) dans la gestion des caisses de
retraite :
Québec Autres
provinces
Règles de
gouvernance
obligatoires
Oui
Non
Participation
obligatoire de
représentants
des employés
et des retraités
(ou
bénéficiaires)
dans la gestion
des caisses de
retraite
Oui
Non pour les
régimes avec
un seul
employeur.
Oui pour les
régimes multiemployeurs en
Ontario.
Qu’en est-il en Ontario?
L’Ontario est en pleine réforme de sa loi des
régimes de retraite, le Pension Benefits Act,
qui n’a pour ainsi dire pas été modifiée depuis
1988. Une commission d’experts a donc été
mandatée ; celle-ci devrait déposer ses
recommandations en octobre 2008.
J. David Vincent, associé principal de Ogilvy
Renault, pense que l’Ontario pourrait mettre
en place une structure de gestion des caisses
de retraite similaire aux comités de retraite du
Québec avec une participation obligatoire des
employés et des retraités (ou bénéficiaires)
dans leur gestion.
Toutefois, il est peu probable que la loi soit
modifiée pour spécifier quels éléments de
gouvernance couvrir comme l’a fait la Loi
RCR au Québec. La caisse de retraite étant
une fiducie, la loi et la jurisprudence indiquent
déjà que les fiduciaires doivent agir avec
prudence, diligence, compétence, honnêteté
et loyauté.
Qu’en est-il presqu’un an après?
La majorité des comités de retraite devraient
avoir rédigé un règlement intérieur tel
qu’exigé par la Loi. La Régie des rentes du
Québec, en charge de surveiller les régimes
complémentaires de retraite, a récemment
modifié la formule de Déclaration annuelle de
renseignements pour que les comités de
retraite confirment l’adoption de leur plan de
gouvernance.
Le règlement intérieur sera-t-il utilisé en
pratique ?
Bien que la plupart des comités de retraite
aient développé un règlement intérieur, on
peut se demander si, en pratique, les règles
seront appliquées.
Les comités qui ne respecteraient pas leur
plan de gouvernance sont toutefois exposés à
un risque accru. En cas de poursuite, le
comité de retraite pourrait être accusé d’avoir
manqué à son devoir fiduciaire s’il n’a pas,
entre autres, respecté les règles de
gouvernance établies.
Conclusion
Les responsabilités des membres des
comités de retraite et des fiduciaires en
général
s’apparentent
à
celles
des
administrateurs de société. C’est pourquoi la
gouvernance des caisses de retraite est
importante, ce qui a conduit le gouvernement
du Québec à modifier la Loi RCR. L’Ontario
est en pleine réforme de sa loi des régimes
de retraite. Il sera donc intéressant de suivre
les débats entourant le dépôt du rapport de la
commission d’experts.
Annette Dupré, CMA, MBA, est Chef, Budgets et
trésorerie à la Ville de Westmount et Secrétairetrésorière du comité de retraite. Elle a reçu une bourse
du Collège des administrateurs qui lui a permis de
suivre le cours Gouvernance des caisses de retraite.
[email protected].

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