lettre - Eglise réformée du Bouclier

Transcription

lettre - Eglise réformée du Bouclier
Lettre adressée à Monsieur le pasteur Pierre Magne de la Croix et à mesdames et messieurs
les membres du conseil presbytéral de la paroisse réformée du Bouclier à Strasbourg
Monsieur le pasteur, chers sœurs et frères en Christ
Par la présente, nous soussignés Eric S. et Fabrice B. avons l’honneur de solliciter de votre
haute bienveillance la bénédiction pastorale de notre union homosexuelle que nous avons
concrétisée par la signature d’un pacte civil de solidarité (ou PACS) début septembre 2012.
Nous sommes venus plusieurs fois participer au culte de votre paroisse depuis le mois de
septembre 2012. Nous avons été très agréablement surpris par la chaleur de l’accueil lors de
vos cultes et c’est ce qui nous a encouragés dans notre démarche d’aujourd’hui. Nous savons
qu’en protestantisme un pasteur peut, s’il est d’accord, accompagner un couple homosexuel
et prononcer en privé la bénédiction de Dieu sur cette union mais aussi que pour organiser une
cérémonie publique il lui faut obtenir l’accord de son conseil presbytéral. Nous savons aussi
qu’un pasteur doit obtenir l’accord des instances de son église parce que cette cérémonie
publique n’engage pas seulement le pasteur qui la préside mais l’église qu’il représente toute
entière. Nous savons enfin que la mission populaire évangélique de France qui fait partie
comme l’église réformée d’Alsace et de Lorraine de la Fédération Protestante de France,
autorise ses pasteurs à bénir des couples de même sexe pacsés sous réserve de l’accord du
conseil presbytéral de la paroisse concernée. Notre souhait est de demander la bénédiction de
Dieu sur notre union lors d’une cérémonie publique, d’y inviter nos familles et nos amis et
d’y prendre des engagements envers Dieu, et l’un envers l’autre.
Nous voudrions par les lignes qui suivent partager avec vous le parcours de nos vies qui nous
a amené à proférer cette demande qui peut vous paraître inhabituelle
Moi, Eric S., j’ai 32 ans, je suis protestant d’origine, fils de pasteur. Dans ma jeunesse j’ai
participé activement à la vie paroissiale dans les différentes communautés où mon père a
œuvré. C’est vers la fin de mon adolescence, vers 18 ans que j’ai découvert que j’étais attiré
par les hommes. J’ai d’abord essayé de lutter contre cette tendance, en n’en parlant pas autour
de moi pendant quelques années. J’ai fait vers 22 ans une dépression nerveuse grave qui m’a
conduite à faire mon « coming out » c’est à dire à en parler à mes proches pour ne plus vivre
ce cauchemar. Leur réaction a été très variée : acceptation par mes frères et sœurs, rejet assez
violent de la part de mes parents qui ne m’ont pas adressé la parole pendant deux ans puis
adoucissement des relations familiales qui sont redevenues normales depuis plusieurs années.
Je participe à nouveau avec plaisir à toutes les rencontres familiales et je m’y sens maintenant
bien et accepté tel que je suis. L’attitude initiale de mes parents et plusieurs remarques
blessantes de membres des communautés qu’ils servaient m’ont éloigné pendant plusieurs
années de toute vie d’église. Je suis professeur d’anglais en lycée depuis 7 ans, j’ai passé avec
Fabrice un an comme professeur associé dans une université américaine avant d’obtenir ma
mutation pour un grand lycée strasbourgeois où je travaille depuis la rentrée scolaire.
Mon compagnon, Fabrice B., a 34 ans. Il est le benjamin de trois enfants d’une famille
catholique non pratiquante. Son parcours diffère du mien. Il a été marié pendant cinq ans
entre 200O et 2005 et est père de deux enfants. Il a pris conscience peu à peu de son
homosexualité refoulée jusqu’alors et a décidé de divorcer pour vivre en harmonie avec luimême. La prise de cette décision n’a pas été facile pour lui mais il est allé au bout de sa
décision. Il continue à voir ses enfants un week-end sur deux et la moitié des vacances. Nous
les recevons chez nous et je m’en occupe avec lui comme s’il s’agissait de mes propres
enfants. Après un nécessaire temps d’adaptation et d’apprivoisement réciproque nous avons
établi eux et moi une relation de confiance qui nous apporte beaucoup à eux et à moi. Fabrice
se définit comme un homme en recherche sur le plan spirituel soucieux de trouver un sens à sa
vie. Déçu par le rigorisme de son église et de ses responsables sur la question de
l’homosexualité, Fabrice a découvert le protestantisme pendant notre année aux Etats-Unis
puis à Strasbourg depuis que nous fréquentons la paroisse du Bouclier. Il est heureux de
m’accompagner au culte, aimerait participer au catéchisme pour adulte le dimanche matin et
s’associe pleinement à ma démarche de demande de bénédiction.
Après plus de quatre ans de vie commune nous avons le souhait de nous engager pour la vie
entière dans la fidélité l’un à l’autre, dans la foi et dans l’amour de Dieu. Nous souhaitons
avec l’aide de Dieu construire et vivre une vie de couple fidèle, durable, aimant et rayonnant.
Pour nous cette bénédiction est importante parce que nous souhaitons en prenant du temps, en
nous déplaçant, en nous préoccupant de la préparation de la cérémonie, en choisissant des
textes bibliques, des lectures et des cantiques, inscrire au plus profond de nous-mêmes
quelque chose d’essentiel de l’ordre du sens et de l’engagement. Cette bénédiction nous
aidera à avancer, à approfondir notre engagement et à recevoir des forces pour l’honorer.
Nous suivons tous deux avec beaucoup d’attention l’actualité. Nous savons que le
gouvernement français, encouragé par un récent sondage qui révélait que 65% des français
sont favorables au mariage homosexuel, a l’intention de reconnaître le mariage gay et lesbien
au même titre que le mariage hétérosexuel à l’instar de ce qui est déjà le cas aux Pays-Bas, en
Belgique, en Norvège, en Suède, au Luxembourg, en Espagne, au Portugal, en Islande et au
Danemark. Nous avons bien compris que le droit à l’adoption fait partie intégrante de cette loi
mais que le recours à la procréation médicalement assistée et le recours à la gestation pour
autrui nous resteront interdits. Au stade actuel de notre réflexion, nous souhaitons seulement
une bénédiction divine, pastorale et communautaire sur notre pacte civil de solidarité. Nous
voudrions rassurer les personnes réticentes en leur disant que nous ne ressemblons en rien aux
personnes extravagantes de la « gay pride » mais que nous sommes un couple de deux
hommes ayant trouvé chacun son âme sœur, vivant une relation de couple faite d’amour, de
fidélité, de solidarité et d’ouverture. Nous voudrions enfin vous dire qu’à travers l’année que
nous avons passée aux Etats-Unis, et des contacts réguliers que nous avons avec des amis en
Allemagne, aux Pays-Bas et en Scandinavie, nous avons eu l’occasion de nous rendre compte
que la réflexion théologique sur les unions homosexuelles dans le protestantisme y est plus
développée qu’en France. Nous nous reconnaissons dans les déclarations des églises
protestantes luthériennes scandinaves, réformée hollandaise, et épiscopalienne ou réformée
« United Church of Christ » américaine qui affirment qu’il n’y a pas dans la Bible une seule
forme de conjugalité vécue par les croyants et qu’une relation amoureuse entre deux êtres
humains trouve dans la monogamie un cadre favorable pour s’épanouir. Nous partageons leur
opinion que devant Dieu selon l’apôtre Paul « il n’y a plus ni juif, ni grec, ni homme, ni
femmes mais seulement des enfants de Dieu, aimés de la même manière, quels que soient leur
statut social, leur identité sexuelle, leur richesse ». Nous sommes enfin d’accord avec ces
églises pour affirmer que la vie à deux a déjà son sens en elle-même et que la sexualité est un
don dont le but n’est pas seulement la procréation ou un projet parental. Le mariage n’est pas
un sacrement à la différence de la Cène et du Baptême et il serait bon que l’église puisse
accompagner et bénir un couple marié ou pacsé civilement de gays ou de lesbiennes pour
l’encourager à s’engager, à rendre un témoignage public de ce que vivent les partenaires et
qu’ils puissent dire leur reconnaissance de l’amour reçu et partagé afin que celui-ci puisse se
dire et s’épanouir au-delà des réussites et des échecs
Nous avons eu l’occasion de participer à plusieurs cérémonies de bénédiction de couples du
même sexe récemment. Des amis gays de Munich se sont pacsés l’année dernière et ont invité
leurs amis et leurs parents à une cérémonie de bénédiction de leur partenariat dans une église
luthérienne de Munich. La cérémonie était présidée par la femme pasteur évêque luthérienne
de Munich qui avait encouragé tous les participants qui le souhaitaient à réfléchir à une
demande de bénédiction personnelle (souffrance de solitude, joie de réussite aux examens,
nouvelle vie professionnelle, deuil difficile etc..) Toutes ces demandes ont été incorporées au
culte de bénédiction en en faisant un temps très fort pour tous les participants. Cet été nous
avons vécu la bénédiction d’un couple d’amies lesbiennes américaines dans une église
épiscopalienne. La femme pasteur a inauguré la nouvelle liturgie pour la bénédiction des
couples de même sexe adoptée pour une période provisoire de trois ans depuis juillet 2012 par
l’église épiscopalienne américaine. Cette liturgie est dénommée « The witnessing and
blessing of a Lifelong Covenant » ou “liturgie à l’occasion de la reconnaissance et de la
bénédiction d’une alliance à vie”. A nouveau un moment riche en émotions pour les amies
concernées mais aussi pour leurs parents et amis.
Nous serons très heureux de vous rencontrer, monsieur le Pasteur Magne, pour débuter avec
vous, un accompagnement de notre union et nous espérons beaucoup avoir une nouvelle
positive de votre part dans un avenir proche
Avec nos salutations fraternelles et reconnaissantes pour la chaleur de l’accueil dans votre
paroisse
Texte composé par Jean-Gustave Hentz et inspiré de diverses rencontres et articles sur
l’homosexualité parus dans Le Monde, die Zeit, Réforme et d’autres journaux durant l’été
2012.