Eroliange - De l`amour virtuel au reel.odt

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Eroliange - De l`amour virtuel au reel.odt
Eroliange
De l'amour
virtuel au réel
La séparation
–
Je te quitte. Voilà, ça c'est simple, et c'est la réalité. Adieu.
Sur ces mots je lui raccroche au nez.
Quelques instants à observer mon téléphone portable.
Non, je ne culpabilise pas.
Non, je viens de la quitter, et de lui raccrocher au nez, mais je ne culpabilise pas.
Bizarrement, je n'ai absolument aucun regret.
Elle était jolie. C'est vrai.
Elle avait une situation professionnelle intéressante. C'est un fait.
Elle passait son temps sur son smartphone. C'est une réalité.
Son temps se divisait entre son boulot, les bonnes affaires pour s'habiller, se maquiller, se
décorer, et les restaurants ou les bars avec les amis et amies. Dans ces moments-là, ils
discutaient des bons plans pour s'habiller, se maquiller, entre deux instants à s'occuper de
son smartphone. Si, occasionnellement, ils jugeaient une personne qui ne leur semblait
pas à la page, pour tel ou tel prétexte, ils se riaient de lui, ou elle.
Nous faisions l'amour entre deux mails.
Depuis près de six mois que nous nous fréquentions, elle ne connaissait pas mes goûts,
mes envies, mon histoire, et je ne connaissais pas plus les siens.
Nous n'avions que le sexe comme intimité partagée.
Je ne sais pourquoi ce soir, plutôt qu'un autre soir, mais cela faisait des semaines que cela
m'oppressait.
Rompre avec elle, rompre avec ce type de rencontres, ou j'arrive moi-même à me sentir
étranger à ma propre vie.
J'ai multiplié ce type de rencontres pendants quelques années, et il faut bien l'avouer, cela
me convenait.
Je ne me sentais pas dans mon monde, donc je savais que cela ne durerait pas et cela
me convenait.
C'était plutôt facile de rencontrer une femme. La chance des mégapoles.
Mais depuis quelques mois, je dormais de moins en moins bien, avec un sentiment de
manque de quelque chose. Et ce quelque chose c'est le manque d'humanité, de naturel, le
retour aux sources. L'overdose de paraître, et le manque d'être.
J'ai eu la chance de trouver un boulot, ou je gagne bien ma vie. Cela me permet de sortir
dès que j'en ai envie, et de vivre plutôt bien, malgré la ou les crises.
Cette vie professionnelle, a induit des sorties dans le même type de milieu, et de
rencontrer des personnes de ce milieu également.
En bref, un communautarisme élitiste, et en dehors de l'activité professionnelle, une vie de
nantis superficiels et immatures.
Changer de vie.
Ce n'est pas moi.
Je ne suis pas heureux.
A partir de demain, je m'isole de ce monde.
Point de sortie au restaurant avec les collègues le soir.
Point de bar ou pub avec les amis des amis.
Point de réponses aux texto et autres mails intempestifs.
S'isoler.
Faire le point, sur ma vie, et sur ce que j'en attends.
Premier contact
Me voilà rentré à l'appartement.
Que ce fut dur de refuser toutes les invitations.
Un petit tour vers le frigo... vide.
Ici, je n'ai que de l'alcool, au cas où. Je mange toujours à l'extérieur.
Penser à faire des courses.
Une boîte de conserve de maman.
Ça fera l'affaire pour ce soir.
Mon téléphone sonne... ne pas répondre.
D'ailleurs, je vais l'éteindre. Voilà.
Tranquille. Me voilà enfin seul.
Je prends la télécommande et allume la télé.
Ma pauvre télé, tu dois être bien surprise de reprendre vie après de si longs mois
d'attente.
Je passe les chaînes en revue, mais, définitivement, je ne suis pas intéressé.
Lire.
Pourquoi pas, je n'ai pas lu depuis si longtemps.
Là non plus, je ne me décide pas.
Je m'assois sur le canapé, pour réfléchir.
Je sais, en moi-même, ce que je recherche, mais comment le trouver. Et surtout, comment
le chercher.
Ce que je souhaite? Rencontrer la femme de ma vie. Rien d'original me direz-vous, c'est
le vœu de tous ceux qui ne l'ont pas encore trouvée.
Mais je désire rencontrer celle avec qui nous partagerons enfin. Qui m'aimera pour moi,
s'inquiètera pour moi. Et celle que je connaîtrais sur le bout des doigts, que j'aimerais pour
elle, pour ce qu'elle est dans sa totalité.
Je suis sur la bonne voie, je sais ce que je veux.
Maintenant, si je sors pour rencontrer, je vais retrouver les mêmes personnes que je veux
fuir.
Et internet?
C'est du virtuel, donc rien de concret, de réel.
Oui, mais mon réel me fera toujours rencontrer le même type de personnes.
Que rechercher sur internet?
Des sites de rencontres? Et devoir rencontrer toutes les célibataires sans avoir échangé
avant.
Je veux juste trouver mon fantasme intellectuel. Celle qui me fera vibrer.
Et un tchat ?
Une multitude d'utilisateurs virtuels, et perdue au milieu, peut-être celle qui va me parler
vraiment.
Dans tous les cas, tout débute par un dialogue et non des mensurations et autres
caractéristiques.
Banco.
Un moteur de recherche, et nous voilà partis sur plusieurs sites de dialogues.
Inscriptions.
Lequel d'entre eux me conviendra?
Nous verrons.
Mon pseudo? ETRE VRAI.
Et me voilà connecté.
J'attends de longues minutes.
Personne ne me contacte.
Je suis inscrit sur quatre sites de dialogue, et aucune femme ne veut discuter avec moi.
Regardons qui est connecté.
Une femme pour dix hommes.
Bon, il va falloir que je chasse, sinon je risque d'attendre longtemps.
Me voilà à analyser les messages d'accueil des personnes féminines présentes.
Certaines sont sexuellement explicites... du racolage pour des sites adultes payants, voire,
des numéros de téléphones surtaxés.
Certaines ne veulent pas discuter avec des hommes.
Certaines sont des hommes se faisant passer pour des femmes. Quels imbéciles.
Bon, au total, le nombre de femmes se restreint.
Je me décide à envoyer le même message à toutes les femmes qui me semblent être de
vraies femmes.
Le message est d'une originalité à couper le souffle : « bonsoir ».
Après avoir envoyé, entre mes quatre différents sites, une centaine de bonsoirs, j'obtiens
dix réponses, toujours les mêmes : « bonsoir ».
Me voilà bien embarqué.
Comment poursuivre?
Une idée me vient : « marre du superficiel, je cherche à découvrir réellement une femme,
au plus profond de nos intimités. »
Avec ça, si j'ai des réponses, elles savent où je veux aller.
Je m'attends tout de même à une hécatombe.
J'ai finalement quatre réponses en retour... Je m'attendais à moins.
Une première réponse bourrée de fautes d'orthographes. Je réponds sans conviction.
Une seconde réponse, me disant qu'elle accepte de discuter, mais qu'elle ne dévoilait pas
son intimité le premier soir...
Une troisième réponse me demandant si j'aimais les scénarios. Que répondre? De quel
type?
Une dernière réponse : « jusqu'à quel degré d'intimité es-tu prêt à aller? ».
Enfin une réponse intéressante.
Je lui réponds : « n'être plus qu'un ».
Les autres contacts répondaient, et je dois bien dire que je ne me souviens plus ce que je
répondais. J'attendais son retour. Elle m'avait piqué au vif.
Puis son message apparaît : « tu sais ce que tu y perds? ».
Ma réponse : « je sais aussi ce que j'y gagne ».
Je ne sais pourquoi, mais je devinais que cette femme était une étape obligatoire dans ma
construction.
Elle avait un pseudo qui m'attirait : « bohème ». Son message d'accueil était tout aussi
intéressant : « d'amour et d'eau fraîche. ».
Sur son profil, elle avait 32 ans.
Elle cherchait du solide, à moi de montrer que je pouvais l'être.
Et, j'ai oublié tous les autres messages pour ne m'intéresser qu'aux siens.
J'attends sa réponse comme un chien attend son os.
–
tu n'y es pas prêt.
–
Si, tu ne me connais pas.
–
Tu ne cherches qu'à t'amuser.
–
Non, à enfin partager.
–
Tu es prêt à partager quoi?
–
Tout.
–
Tu es prêt à abandonner quoi?
–
Tout.
–
Des mots.
–
Si je donne autant que je reçois, pourquoi serait-ce des mots?
–
Parce que tu veux me séduire, comme un trophée.
–
Non, parce que je suis malheureux, et que je cherche le bonheur.
–
Quel bonheur?
–
Le bonheur de partager, bons et mauvais moments, mais avec celle qui sera là,
dans tous les moments.
–
Tu recherches une écoute, non? Tu es mal dans ta peau.
–
Non, je recherche mon idéal, mon âme perdue.
–
Tu cherches une femme maîtresse et mère, donc.
–
Non, je cherche mon ange, mon alter ego.
–
Tu penses que c'est ma recherche?
–
Je me suis livré, à toi d'être honnête sur ce que tu recherches.
–
Tu corresponds à ce que je cherche... pour le moment.
–
Mais encore.
–
J'ai été trop déçue.
–
Moi aussi.
–
Tu ne me décevras pas?
–
J'essaierai.
–
Je dois aller me coucher, je travaille demain.
–
Moi aussi, tu vois, mais je l'oubliais.
–
Tu seras ici demain soir?
–
Oui, sans fautes.
–
A demain alors.
–
A demain, et passe une bonne nuit.
–
Bonne nuit.
Un virtuel si réel
Voilà pas mal de temps que je ne m'étais pas levé d'une aussi bonne humeur.
A peine levé, il me tarde déjà le soir de poursuivre cette discussion.
Bohême attise ma curiosité.
Je veux en savoir plus.
Elle me paraît tellement sûre d'elle.
Elle me paraît compliquée, je dois dire.
Mais compliquée dans le bon sens.
Par contre, j'ai l'impression que je vais devoir ramer.
Mais, ce n'est que du dialogue sur internet, sans engagement, et c'est un bon défi. A moi,
d'être à la hauteur.
La journée se passe, d'une banale habitude.
A nouveau refuser quelques invitations.
Visiblement, ma nouvelle condition de célibataire est connue.
Pour le moment, refuser toutes les invitations, quitte à passer pour celui qui souffre.
L'heure de débaucher.
Faire quelques courses, car le frigo est bien orphelin de nourriture.
Me voilà rentré dans mon appartement, plutôt grand, au décor design, mais qui subitement
me parait dépourvu d'âme. Les murs sont blancs, le sol est de carreaux blancs, les
canapés sont noirs, les meubles noirs ou en verre, et les tableaux sont en noir et blancs.
Que tout cela est froid.
Penser à refaire la décoration, en y intégrant la notion de couleurs.
Des petites douceurs à déguster.
Déboucher une bouteille de vin. Un Côtes de Bourg fera l'affaire.
J'installe le tout autour de l'ordinateur, j'allume ce dernier et me voilà connecté.
Retour sur le site de ma rencontre d'hier au soir.
Il y a tant de personnes connectées sur ces sites.
Que cherchent donc toutes ces personnes?
L'amour? Non. Si c'était ça, il y aurait plus de femmes que d'hommes, non?
J'attends ma Bohème, mais elle n'est pas connectée.
Soudain, le pseudo Bohême me contacte, mais Bohême est devenu un homme.
–
Bonsoir.
–
Bonsoir. N'y aurait-il pas du changement depuis hier au soir?
–
Si, je me suis métamorphosée en homme en quelques clics. Le pouvoir du virtuel.
–
Je t'avoue que j'aimais bien la bohème au féminin, je m'y sentais plus à mon aise.
–
Si je me connecte au féminin, je serais harcelée, et serais donc moins disponible
pour toi.
–
Tu m'accordes donc l'exclusivité? J'en suis flatté.
–
Pour un instant, ne te fais pas trop d'idées.
–
Je commence à comprendre pourquoi il y a si peu de femmes sur ce type de site.
–
C'est le nombre que tu recherches?
–
Non, Mais en faisant un tour d'horizon des connectés, je me posais la question.
–
Tu en as contacté beaucoup?
–
Hier, je dois t'avouer que oui.
–
Et ce soir?
–
Ce soir, je t'attendais.
–
Dois-je me sentir flattée.
–
La suite te le dira, non?
–
Nous verrons bien, en effet.
–
Je suis ravi que tu sois avec moi ce soir.
–
Je n'avais rien d'autre à faire. Lol.
–
Étrangement, moi non plus.
–
Ce ne sera pas tous les jours comme ça, il faut une vie sociale.
–
Cela peut dépendre de toi.
–
Comment ça?
–
A l'heure actuelle je préfère limiter ma vie sociale.
–
Ah, un bouton sur le nez?
–
Lol, presque. Un nœud au cerveau.
–
Tant qu'il est loin du cou.
–
Je suis très loin de ces idées.
–
Mais tu ne me connais pas encore, lol.
–
Je conserve la corde et jette le nœud.
–
Tu ne me connais pas, et ignore encore à quoi je ressemble.
–
Tout comme toi.
–
Et cela ne te fais pas peur? Cet inconnu?
–
Non, pourquoi? J'ai une bonne sensation, inexplicable, mais c'est comme ça.
–
Mais on ne sait jamais?
–
D'un autre côté, nous ne faisons que discuter. Si le courant passe, pourquoi ne pas
poursuivre?
–
Oui. De mon côté j'ai tout de même un certain nombre d'exigences physiques,
intellectuelles et morales.
–
Pour le côté intellectuel et moral, tu peux juger ici, pour le physique, il n'y a que les
imbéciles qui ne changent pas d'avis.
–
J'attendais cette réponse.
–
Tu l'as eue.
–
J'ai l'impression que nous nous comprenons.
–
C'est ce que je te disais avant. J'ai une bonne sensation.
–
Oui, on peut le définir comme ça.
–
Et encore, nous ne connaissons rien de nous.
–
Oui, juste des mots qui attirent.
–
Tout à fait.
–
Tu voudrais que l'on se connecte sur une messagerie instantanée.
–
Oui, ce serait un plaisir, et beaucoup plus rapide.
–
Connectons-nous alors.
–
Laisse-moi le temps de créer un compte, et nous serons branchés.
J'avais son adresse, à moi de créer la mienne.
Quelques clics, une inscription, une confirmation d'enregistrement, un téléchargement de
logiciel et me voilà connecté.
Chercher « ajouter un contact ».
Entrer son adresse, et attendre.
Quelques instants de suspense.
Enfin, une fenêtre de discussion s'ouvre sur un « coucou » rassurant.
–
coucou, nous voilà un peu plus connectés.
–
Des champs d'octets à échanger.
–
Pour une vie de bohème virtuelle.
–
Pour, pourquoi pas, au final, être vrai.
Et nous avons communiqué des heures.
J'étais ensorcelé de ses mots, et les miens, visiblement, ne la faisaient pas fuir.
Pour cette première en instantanée, nous ne nous sommes pas raconté nos vies.
Bizarrement, je ne sais rien de plus sur elle, et elle n'en sait pas plus sur moi.
Une première fois à se dompter, à apprendre nos réactions, à appréhender nos
expressions, notre humour.
Puis vient l'heure, où nous devons nous quitter, pour pouvoir être efficace le lendemain.
En éteignant l'ordinateur, je ressens une sensation de frustration, en quittant des instants
que je n'ai pas envie de quitter, peut-être par peur de ne pas les retrouver.
J'ai retrouvé la magie enivrante d'une première rencontre réelle, et cela dans un monde
virtuel.
Une promesse
La nuit fût douce.
Je m'éveille avec le sourire.
Tiens, c'est nouveau.
Le café, la douche, se préparer, et le départ. Un refrain quotidien, mais de bonne humeur,
aujourd'hui.
Une journée de boulot débute, avec une sensation d'optimisme intense.
Refuser de nouvelles invitations pour le soir, en prétextant une soirée déjà chargée.
Vite rentrer chez moi et retrouver la bohème.
Allumer l'ordinateur, et l'attendre quelques minutes.
Elle se connecte.
–
Bonsoir ma bohème.
–
Bonsoir toi.
–
Je m'impatientais de ta présence.
–
Et me voilà.
–
Une apparition virtuelle.
–
Mais bien réelle.
–
Je le souhaite.
–
Peut-être nous rencontrerons nous?
–
J'imagine que nous nous rencontrerons quand nous serons prêts tous les deux.
–
Tu n'y serais pas prêt maintenant?
–
Si. Mais...
–
Mais quoi?
–
J'ai la sensation que nous devons encore attendre. Nous nous découvrons peu à
peu, intimement, et se voir nous rendrait peut-être plus timides, et au final, moins réels
que derrière ces claviers.
–
Je partage complètement ton point de vue. Par contre, un jour peut-être aurai-je
envie, subitement de te voir, pour ne pas rester sur du virtuel uniquement. On ne sait pas
de quoi est faite la vie, et nous pouvons rencontrer du monde.
–
Et je le comprendrais et l'accepterais, et je ferai de même.
–
Merci. Si notre contact reste le même, je souffrirais de rencontrer quelqu'un d'autre
sans t'avoir découvert.
–
Moi aussi, je dois dire. En même temps, j'ai peur de rompre ce charme. Mais si je
devais rencontrer quelqu'un d'autre, je garderais le regret de ne t'avoir connue.
–
Et tu essayerais de me voir avant?
–
Oui, mais nous n'en sommes pas là.
–
Promets-moi que si nos moments sont toujours aussi agréables, nous ne
couperons pas le dialogue subitement, sans s'être vus.
–
Promis, ma bohème. J'en serais malheureux, tout autant.
–
Peux-tu me promettre autre chose?
–
Nous verrons bien, dis-moi?
–
Ne parlons jamais de boulot, mais toujours de nous.
–
Avec plaisir.
Une fois ces promesses faites, elle commence à me raconter sa vie, et moi la mienne, en
évitant le boulot.
La proposition
Tous les soirs, nous nous connectons.
Je la découvre un peu plus à chaque connexion, et je l'aime un peu plus, à chaque fois.
Sans aucune logique, sans l'avoir jamais vue, j'ai besoin, chaque soir de son contact
virtuel.
Cela fait quelques semaines que nous communiquons ainsi tous les soirs, et que je pars
travailler heureux, même si c'est dans l'attente du soir.
Et subitement, me voilà convoqué par mon patron.
Ne me sentant pas d'une conscience professionnelle irréprochable depuis quelques jours,
je suis un peu inquiet.
Je fais mon boulot, heureux de vivre, mais dans un état d'esprit moins combatif vis-à-vis
de mes autres collègues.
Voilà que pour vivre des instants virtuels magiques, et me sentir un peu revivre
personnellement, je vais le payer professionnellement.
J'attends devant le bureau de mon patron. Que vais-je dire pour assurer ma défense? Que
je suis amoureux? Que j'ai changé? Non.
Nous verrons bien, le boulot n'est pas tout.
La porte s'ouvre, et mon patron me dit d'entrer.
J'entre, et m'installe face à lui.
Il me paraît détendu.
Ça va faire mal.
Pas le temps de m'inquiéter plus avant :
–
Vous savez pourquoi je vous ai fait venir?
–
Je dois vous avouer que non, dis-je d'une voix un peu inquiète.
–
Pour tout vous dire, je m'en doutais.
–
Ah?, et je suis sûr qu'il se sent drôle.
–
Avez-vous entendu parler du projet Prothéus?
–
Oui, un projet commun entre notre société et trois autres?
Sur le coup je ne m'attendais pas du tout à ça.
–
Oui, tout à fait. Un projet sensible.
–
Oui.
–
Nous cherchons un chef de projet.
–
Oui.
–
Nous avons songé à vous?
–
À moi?, là, je suis cloué sur place.
–
Oui, vous seriez intéressé?
–
Oui, bien sûr, c'est un projet intéressant, qui doit demander beaucoup de temps,
mais j'ai déjà des journées chargées par d'autres projets.
–
Là, n'est pas le problème. Seriez-vous intéressé?
–
Oui, bien sûr, mais...
–
C'est une promotion.
–
Oui, mais...
–
Vous seriez le chef de projet pour les quatre sociétés.
–
Mais je ne pourrais plus gérer les autres projets.
–
Une personne les suivra, qui vous rapportera en direct.
–
C'est une vraie promotion.
–
Oui.
–
Quel est l'objet exact de ce poste?
–
C'est un projet stratégique pour la société, je dois vous le dire, sans vous mettre de
pression.
–
Ça ne me met pas du tout la pression, et je souris.
–
Oui, présenté comme ça, c'est un peu froid.
–
Je peux assurer.
–
Je sais, mais vous aurez énormément de déplacements à faire.
–
C'est à dire.
–
Vous serez en déplacement en permanence. Suivre les projets dans les différentes
équipes, dans les différentes sociétés pour que nous réussissions.
–
Ce projet est immense, comment le gérer seul?
–
Vous ne serez pas seul.
–
Comment ça?
–
Un chef de projet de chaque société et vous en coordinateur.
–
Vous me faites un beau cadeau, vraiment, mais pourquoi moi?
–
Vous êtes mûr.
J'espère qu'il n'insinue pas que je sois vieux. Je lui réponds :
–
Je suis flatté, et j'espère ne pas vous décevoir.
–
Je vous observe, vous avez mûri, je sais que vous êtes capable.
–
Merci.
–
Vous acceptez?
–
Oui.
–
Vous commencez lundi, la secrétaire vous fournira toutes les autres informations
nécessaires.
–
Merci encore.
–
Bonne journée.
–
Elle le sera.
Je sors de là fou de joie, mais essaie de garder au maximum mon sang froid.
Cacher mes émotions.
Je ne peux en parler à personne au boulot, pour éviter les jalousies.
Je rentre le soir, et me connecte. Ma bohème.
Nous avons décidé de ne pas parler boulot, c'est vrai.
Ce n'est pas grave, je vais partager ma bonne humeur avec elle.
Aussitôt rentré, je me connecte.
Je ne lui en parle pas, mais nous rions de nos années bêtes, et cela me suffît.
Je ne peux partager avec elle, mais elle partage mon bonheur, sur un autre sujet.
Premières découvertes
Nous voilà le week-end.
Je suis connecté avec ma bohème.
Le vendredi soir, nous nous quittons après avoir continué à rire sur nos erreurs du passé.
Le samedi, nous nous connectons dès le réveil.
Chacun de nous fait ses affaires, et nous commentons nos activités, du ménage au
lavage.
Nous décidons d'aller acheter le même plat tout prêt pour le soir, comme si nous faisions
un restaurant ensemble, ou partagions un repas en couple.
Quelques minutes de coupure de contact, le temps de faire des courses.
Nous nous reconnectons.
J'ai de plus en plus envie de la voir.
Elle me propose de prendre l'apéritif à distance.
J'accepte avec plaisir.
Nous voilà à trinquer. Elle au vin cuit, et moi au pastis. On ne se refait pas.
L'apéritif à distance durant, nous nous détendons, et soudain bohème m'envoie ce
message :
–
J'ai envie de te voir.
–
Moi aussi, mais j'ai peur.
–
Tu as une webcam?
–
Oui.
–
Moi aussi, on pourrait se voir?
–
Oui, mais j'ai peur.
–
Moi aussi, mais ne pourrait-on pas se voir, en dessous du visage?
–
C'est une bonne idée.
–
Je règle ma caméra.
–
Moi la mienne.
Me voilà à régler cet objet en dessous de mon visage, et à régler la luminosité. L'alcool
aidant, j'y prends un peu de temps.
Une fois les réglages faits, je me reconnecte.
Elle est là.
Un tee-shirt bleu marine, et un jean. Elle est assise. Elle est fine, mais sa poitrine me
semble bien développée.
Je la vois taper sur le clavier.
–
J'avais peur que tu sois gros, même si ça ne m'aurait peut-être pas dérangée.
–
Tu es ce que j'imaginais.
–
Tu dis cela pour me flatter.
–
Non, J'aime ce que je vois.
–
Merci.
–
Enfin un corps sur ces mots.
–
Oui, ça fait du bien de voir un peu de réel.
–
Oui.
Nous nous montrons nos verres et trinquons contre la caméra.
–
J'aime bien mon petit apéritif, me dit-elle.
–
Moi aussi. Ça détend.
–
Oui.
La soirée avançant, et l'apéritif s'éternisant, nous voilà tous deux décontractés.
J'ai de plus en plus de mal à taper au clavier, les touches devenant plus petites à chaque
verre supplémentaire.
L'alcool aidant, je commence à sentir des pulsions monter, et je me retiens de lui écrire de
nous voir en réel de suite. Je ne suis de toute façon pas en état de me déplacer, et elle
non plus.
J'essaie soigneusement d'éviter ce sujet, par crainte de l'effrayer, quand soudain elle
m'écrit :
–
Tu me montrerais ton torse?
–
Oui.
Et je m'exécute.
–
Tu es un peu poilu.
–
Oui, cela te gène?
–
Pas du tout. Me répond-elle.
–
Et toi? Tu me montre ton torse?
A peine ce message envoyé, je regrette de l'avoir écrit. Elle va me prendre pour qui?
Pas le temps de m'inquiéter que la réponse n’apparaît.
–
Oui.
Je m'attends à la voir en soutien-gorge.
Elle enlève tout le haut.
Elle a des seins ronds, épais et magnifiques.
La luminosité des webcams est trompeuse et de mauvaise qualité, mais je devine une
peau un peu ambrée, et une peau de soie.
Je reste admiratif.
–
tu dors? Me demande-t-elle.
–
Non, j'admire.
–
Quoi?
–
Tu as des seins superbes.
–
Merci.
Elle pose ses mains sur ses seins quelques instants, pour les cacher, puis les enlève.
–
Je ne voulais pas te gêner.
–
Tu ne me gênes pas, mais je réalise que je me suis déshabillée comme ça, sans
retenue et presque naturellement, car ce n'est pas mon habitude.
–
J'adore ce que je vois, tu es vraiment magnifique.
–
Merci, mais je n'aimerai pas que tu penses que je me montre comme ça,
facilement.
–
J'imagine que tu ne te dévoiles pas comme ça en public.
–
Si bien sûr, je suis comme ça, lol.
–
Il faudra que tu me dises où tu t'exposes, je viendrais te voir tous les jours.
–
Une exhibitionniste, tu as gagné le gros lot.
–
Non, une exposition. On exhibe un corps, et on expose une œuvre d'art.
–
C'est adorable. Mais pour être sérieuse, je ne m'expose pas, et encore moins
m'exhibe. J'ai une certaine idée de ma dignité.
–
C'est tout à ton honneur. Mais je dois dire qu'en ce moment, j'adore te regarder
m'écrire, lol.
–
Ne serais-tu pas vicieux?
–
Non, esthète.
Et nous continuons notre dialogue, comme si de rien n'était.
Elle a ma poitrine sur sa caméra, et j'ai la sienne, dans mon champ de vision.
Un verre de plus, et nous sommes de plus en plus détendus.
Je vois sa poitrine se mouvoir au gré de ses mouvements sur le clavier. C'est d'un
excitant.
Petit à petit, la soirée dérive sur le sexe. De notre première fois, aux impressions diverses
et variées au travers des différentes relations, sans rentrer dans les détails, bien entendu.
Soudain, elle m'écrit :
–
Tu as des tabous sur le sexe, en couple?
–
Non, enfin oui. En fait, tout dépend de l'amour et de la confiance, j'imagine.
–
Oui, là, je suis d'accord. L'amour et la confiance font tomber des barrières.
–
Oui, voilà. Après il faut trouver celle avec qui... C'est le plus dur.
–
C'est vrai aussi. Je me sens à l'aise avec toi, tu sais?
–
Moi aussi, je dois dire. Je me sens bien.
–
J'ai envie de tester cette sensation.
–
Comment ça?
–
Je me sens tellement bien que j'ai envie de pousser un peu plus pour voir.
–
Pour voir quoi?
–
Si je me sens toujours à l'aise.
–
Jusqu'où veux-tu pousser?
–
Si je te dis que j'ai envie de voir ton corps complètement, tu serais choqué?
–
Non, mais tu ferais la même chose de ton côté?
–
Naturellement.
–
Alors, ok.
Nous voilà tous deux à nous déshabiller complètement, en simultané.
Je suis nu et m'assois nu devant la caméra.
Elle s'assoit, mais je devine ses fesses fermes, sa taille fine, et malgré sa position assise,
son sexe épilé.
–
tu es magnifique, lui dis-je.
–
Tu as un beau corps et un beau sexe.
–
Merci, lui dis-je un peu gêné.
–
Maintenant, nous nous connaissons.
–
Tu as un très beau corps.
–
Merci, toi aussi.
–
Tu es une flatteuse née.
–
Non, il est rassurant et sensuel.
–
Tu dois avoir des problèmes de vue, non?
–
Mets-toi debout, que je t'observe mieux, j'ai peut-être raté quelque chose, lol.
–
J'adore ta façon de me mettre à l'aise.
–
Bizarrement, même nue, je suis à l'aise en ta présence virtuelle, devant ton regard.
–
Moi aussi en fait. Je me sens nu de mes barrières.
–
Tu es toi, nu devant moi, et moi nue, offerte, sans mensonges. C'est rare.
–
Oui, et je dois dire, que plus je te découvre, plus je t'aime.
–
Tu m'aimes?
–
Oui, je suis désolé d'avoir écrit ça, mais j'aime être avec toi.
–
Mais ne sois pas désolé. Moi aussi.
–
Merci, et ce n'est pas la nudité.
–
Tu es sûr.
–
Oui. Depuis que je t'ai rencontré, je n'ai qu'une envie... te retrouver ici.
–
Merci. Moi aussi. J'aimerai que tu sois à mes côtés.
–
Moi aussi, te serrer contre moi.
–
Mais c'est un peu tôt.
–
Je sais.
–
Et si, lors de notre rencontre nous n'avions rien à nous dire?
–
J'en suis mort de peur.
–
Et si nous ne nous plaisions pas, notre visage, notre voix?
–
J'en suis horrifié.
–
Tu veux que l'on arrête de se connecter pour ne rien gâcher?
–
C'est trop tard. Je ne suis pas capable de faire machine arrière.
–
Moi non plus.
–
Nous sommes dans une impasse amoureuse.
–
Oui. Nous perdre en nous trouvant.
–
Oui, ce serait fâcheux pour moi.
–
Pour moi également.
–
Tu as une idée?
–
Oui, et toi?
–
Moi aussi.
–
Nous retrouver dans un hôtel.
–
Oui, lumière éteinte, et sans parler.
–
Oui. Laisser parler nos corps.
–
Oui. Et se retrouver ici pour en parler.
–
Nous sommes en accord parfait.
–
Oui
–
Il ne reste qu'à trouver quand.
–
Le week-end prochain.
–
Parfait, samedi soir.
–
Je réserve la chambre, et la paie d'avance.
–
Je récupère les clés à ton nom.
–
Je te rejoins.
–
Parfait.
–
Mais je ne pourrais me passer de toi jusque-là.
–
Moi non plus.
–
Connectons-nous plus tard.
–
Oui, et nus.
–
Nous sommes vraiment en accord sur tout.
–
Oui, et ça me fait encore plus peur.
–
Restons comme nous sommes, et tout devrait aller.
–
Tu as raison. A demain soir, je vais aller me coucher.
–
Bonne nuit ma bohème.
–
Bonne nuit mon tendre amant virtuel.
–
A demain ma douce épaule.
–
A demain mon chevalier charmant.
Nous nous quittons ainsi.
Avant de m'endormir et pour pouvoir m'endormir, justement, ayant son corps imprimé dans
mes yeux, je ne peux m'empêcher de me donner du plaisir.
Elle hante ma nuit, comme un fantôme bienveillant.
Je m'endors, un sourire aux lèvres.
Première inquiétude
Dimanche.
Un réveil tardif, tout sourire.
N'ayant pas été très productif la veille, il me faut laver, nettoyer, repasser, afin d'être prêt
pour ma journée du lundi et mon nouveau poste qui démarre sur un déplacement.
Plus la journée s'avance, plus je commence à me poser des questions sur notre dernière
soirée.
Ne sommes-nous pas allés trop loin, sous l'effet de l'alcool?
Ne va-elle pas regretter cette soirée?
Je me mets à culpabiliser, et à regretter de ne pas avoir limité la soirée à un dialogue.
Je ne peux plus me passer de sa connexion, de son contact virtuel.
Je n'arrive même pas à comprendre comment il est possible de tomber amoureux de
mots, d'un corps, d'échanges, sans écouter la voix, sans voir le visage.
Je passe ma journée à ruminer ainsi, dans l'attente du soir, ou je pourrais enfin la
retrouver.
Elle sera déçue de moi, c'est sûr.
Elle regrettera, c'est sûr.
La journée passe lentement, trop lentement, c'est insupportable.
Plus la journée passe, plus je deviens une boule de nerf.
Calme-toi, tu ne la connais pas. Essaie de garder ton sang-froid.
Impossible.
Vingt heures pétantes. Je me connecte. Je ne peux plus attendre.
Mes affaires pour la semaine sont prêtes, et j'ai même repassé pour les six mois qui
viennent, tellement je suis nerveux.
Elle n'est pas connectée.
Je reste transi devant mon écran.
Plus les minutes passent, plus un sentiment de panique m'envahit.
20h10.
Nous avons été trop loin, hier.
20h15.
Pourquoi, pourquoi diable ai-je joué le jeu.
20h20.
Connecte toi, s'il te plaît, allez, j'essaierai de me faire pardonner. J'effacerai ton corps de
ma mémoire, mais connecte toi.
20h25.
Ne me laisse pas, je t'aime. Allez, connecte-toi, s'il te plaît.
20h30.
Elle ne se connectera plus. C'est sûr. La bohème s'en est allée, me laissant le cœur
dévasté. Je reste prostré.
20h31.
Une fenêtre de dialogue s’ouvre.
C'est elle.
–
Tu es là?
–
Oui, je t'attendais.
–
Tu es sûr?
–
Oh que oui, et depuis trop longtemps.
–
Je me suis retenue pour ne pas me connecter plus tôt.
–
Tu n'aurais pas dû.
–
Mais nous avions décidé de nous connecter plus tard, et j'ai tenu ce que j'ai pu.
–
Tu as plus de volonté que moi.
–
J'étais inquiète que tu sois choqué pour hier soir.
–
Je l'étais tout autant. Je culpabilisais.
–
Pourquoi?
–
Parce que j'ai passé une soirée géniale, mais que j'avais peur qu'avec l'alcool, tu ne
regrettes le tout.
–
J'avais la même crainte.
–
J'ai adoré.
–
Moi aussi.
–
Alors, bonsoir, ma bohème adorée, heureux de te retrouver.
–
Bonsoir mon preux chevalier virtuel.
–
Je peux être honnête?
–
Oui.
–
J'étais mort de trouille avant que tu ne te connectes.
–
Moi aussi.
–
Je crois que je t'aime, je suis désolé.
–
Moi aussi, et nous ne nous sommes jamais vus.
–
J'ai encore plus peur de te perdre.
–
Moi aussi.
–
Cessons de nous inquiéter, profitons de nous.
–
Tu as raison. Une webcam?
–
Oui, hier soir, nous avions décidé de nous connecter nus. Je ne le suis pas. La peur
que tu n'aies changée d'avis, et quelque part, de te faire peur.
–
J'ai aimé ce moment d'intimité.
–
Moi aussi.
–
Alors, pourquoi hésiter.
Et nous voilà, à nouveau connectés en cam, nus.
Elle est toujours aussi sublime.
La soirée se passe ainsi.
Elle me parle de sa famille, moi de la mienne.
D'anecdotes en anecdotes, nous approchons de l'heure tardive et fatidique ou nous
devons nous quitter.
Nous nous quittons avec regrets, en nous donnant rendez-vous le lendemain soir.
A peine nous nous sommes quittés que je me mets à paniquer.
Mais demain, je suis en déplacement. Elle va voir que je ne suis pas chez moi.
De plus, j'aurai mon PC professionnel. Je ne suis pas sûr que ce type de logiciel soit
toléré.
Si je ne peux pas, je lui enverrai un mail, mais il me manquera son dialogue.
Nous verrons bien demain.
Une nouvelle vie professionnelle
Le lundi.
J'arrive au boulot, costard cravate, et chaussures cirées.
A peine arrivé, une réunion de lancement de projet.
Je m'attends à du beau monde, mais en entrant dans la salle de réunion immense, un
petit déjeuner pantagruélique nous attend, et toutes les directions des quatre sociétés sont
là. Je me sens un peu intimidé.
En bref, je panique un peu.
Mon responsable me prend par le bras pour me présenter tout le monde.
Comme ça, si je me plante, tout le monde me connaîtra.
Puis, il me présente l'équipe projet.
Une jeune femme, talons hauts, tailleur, souriante et avenante. Elle est superbe, mais me
semble, justement, un peu trop avenante.
Un homme, la cinquantaine, qui me paraît jovial et bon enfant.
Une femme, classe, en costard pour femme, mais froide, terriblement froide.
Voilà l'équipe que je devrais coordonner.
Ils ont tous de très bonnes expériences, mais, je ne sais pourquoi, je me sens mal à l'aise
et un peu intimidé.
Mon patron, me prend à part.
–
Ne sois pas impressionné.
–
J'essaie.
–
Tu es meilleur qu'eux.
–
J'espère.
–
Tu vas passer tes soirées avec eux, donc, bouffe-les.
–
Je vais faire de mon mieux.
–
Et il y a des compensations.
–
Comment ça ?
–
A mon avis, la jeunette, elle ne doit pas trop aimer être seule le soir.
–
Nous verrons bien.
Il s'éloigne tout en lançant :
–
profite, mais réussis le projet.
–
Merci.
Voilà. Un moment de solitude à me demander ce que je fais ici.
La jeune femme vient me voir :
–
Moi, c'est Clara.
–
Fred.
–
Enchantée.
–
De même.
L'homme de la cinquantaine s'approche à son tour :
–
Moi c'est Hubert.
–
Fred.
–
On va passer de bons moments.
–
Je n'en doute pas.
La femme s'approche à son tour.
–
Marine.
–
Fred.
–
Vous serez à la hauteur?
Elle m'impressionne et me fait peur.
–
Vous me le direz.
–
Nous n'y manquerons pas.
Voilà, l'équipe était posée.
Où es-tu ma bohème, pour me tenir la main?
A peine les présentations faites, nous voilà à devoir partir pour prendre un avion vers
Munich, pour une réunion projet dès le lendemain.
Aéroport.
Vol sans encombre.
Hubert a tenté de faire des blagues tout le trajet, et Clara a ri tout le long du trajet. Marine,
n'a pas souri une minute.
Taxi.
Hôtel.
Restaurant.
Hubert est en pleine forme, et il a un fan absolu en Clara. Par contre, elle me regarde avec
insistance.
Elle est mignonne, mais je connais ce type de personnage.
Marine est, et reste, froide.
A mon avis, elle va rapidement me prendre pour une truffe.
Le repas terminé, Hubert veut aller prendre un verre.
Je refuse l'offre, ainsi que Marine.
Je monte dans ma chambre, suivi par cette femme d'une froideur immense.
En nous séparant, je lui lance un « bonne nuit » le plus avenant possible.
J'obtiens un « bonne nuit » glacial en retour.
Mes aïeux, je vais m'en voir.
Vite, rentrer dans ma chambre et aimer ma bohème.
Essayer de me connecter.
Ça marche.
Elle n'est pas connectée.
J'espère qu'elle n'est pas allée se coucher.
Je patiente.
Dix minutes plus tard et la voilà.
–
Bonsoir ma bohème bien aimée.
–
Bonsoir mon chevalier adoré.
–
Tu m'as manqué.
–
Toi aussi. Tu mets le visuel?
–
Je te préviens, je suis en déplacement, et je serais sur mon lit.
–
Je m'installe dans ma chambre alors.
–
Je t'attends.
Quelques minutes, et me voilà reconnecté nu devant ma perle allongée et nue également.
–
Tu es encore plus sublime allongée.
–
Merci.
–
Tu m'as manqué.
–
Toi aussi.
–
Il me tarde ce week-end.
–
Et moi donc.
–
J'espère que tu ne seras pas trop déçue.
–
Et toi non plus.
–
Aucune chance.
–
Nous verrons bien.
Le reste de la soirée se passe, à discuter de tout et de rien, mais suffisamment pour me
remonter et affronter le lendemain.
C'est une magicienne.
Elle transforme une terre en friche en une terre fertile.
Je l'aime.
Nous nous quittons, et malgré la nouveauté de mon poste, je m'endors comme un enfant.
Les retrouvailles
La semaine se passe. Je fais ce que je peux, mais j'ai du mal à convaincre Marine. Clara
et Hubert semblent heureux.
Après Munich, Vienne, puis Milan, pour finir par Madrid.
Une semaine épuisante.
J'ai essayé de faire de mon mieux, mais j'ai cette impression de n'avoir convaincu
personne.
Tous les soirs, mes discussions bohèmes, me permettaient de garder le moral.
Et ce samedi soir, je devrais être à la hauteur.
Mais comment l'être?
Je ne le savais pas.
J'ai réservé la chambre, et payé d'avance.
Je rentre le vendredi soir exténué de cette semaine marathon.
Me servir un apéro, et me connecter.
–
Bonsoir mon chevalier servant.
–
Bonsoir ma bohème bienfaitrice.
–
Pourquoi bienfaitrice.
–
Tu le sauras un jour.
–
Dis-moi.
–
On ne parle pas boulot, donc, no comment.
–
D'accord mon beau mâle.
–
Tu n'as pas peur pour demain?
–
Si.
–
Rien n'est obligé.
–
Je sais.
–
Tu me feras comprendre si tu n'es pas à l'aise?
–
Oui, ne t'inquiète pas.
–
Tu sais, je serais peut-être très excité.
–
Tout comme je le suis.
–
Mais, je ne veux pas te perdre. Fais-moi comprendre si ça ne va pas.
–
Je te le promets.
–
Merci.
Nous nous quittons dans l'impatience du lendemain, comme des enfants dans l'attente de
leurs cadeaux de Noël.
Demain sera un jour essentiel. Elle m'aimera, ou pas.
Le début de la découverte ultime.
Le virtuel devient réel
Je me lève heureux.
Ce soir, je vais découvrir, et surtout ressentir ma bohème.
Cette journée me semble bien longue et je suis de plus en plus stressé par ce soir.
Je ne sais pas comment gérer cette rencontre, sans nous voir, sans parler, juste se
toucher.
Je fais un petit tour sur ma messagerie, voir si elle n'a pas annulé.
Non, rien.
Soudain, je la vois se connecter.
Un message :
–
Bonjour beau chevalier.
–
Bonjour ma bohème.
–
tu es là?
–
Oui.
–
Pourquoi?
–
Je venais vérifier si tu n'avais pas annulé.
–
Là, tu ne me fais pas confiance.
–
Si, mais je n'ai jamais fait une rencontre comme ça, et je dois avouer que je suis un
peu stressé.
–
Je t'avoue que je me suis connecté pour les mêmes raisons.
–
Merci de ton honnêteté, je me sens moins nul.
–
Tu sais, nous pouvons juste nous toucher.
–
Oui.
–
Je ne tiens pas à te perdre, dès notre première rencontre.
–
Moi non plus, et encore moins te décevoir.
–
Tout se fera naturellement, ou ne se fera pas.
–
Oui, tu as raison, ne stressons pas, et profitons de cette rencontre hors norme.
–
Je te quitte, et te dis à tout à l'heure, mon chevalier.
–
A tout à l'heure ma bohème adorée.
Ce dialogue m'a un peu rassuré.
Par contre, il me faut m'habiller, me préparer.
Elle ne me verra pas, mais touchera, donc privilégier des vêtements aux contacts
agréables.
J'ai ce qu'il faut.
Ne pas trop se parfumer, mais sentir bon quand même.
Le temps de tergiverser, il faut que je me dépêche pour ne pas être en retard.
Voilà, je suis prêt, et pas en avance.
Je pars, un léger nœud au ventre.
Plus je m'approche du but, et plus je me sens stressé.
Je dois la rejoindre dans la chambre.
Tu vas voir que je vais m'étaler dans le noir, et être ridicule.
Me voilà arrivé.
Me garer.
Sortir dignement de la voiture.
Pénétrer dans l'hôtel en saluant le réceptionniste.
Monter les escaliers.
Traverser un couloir.
Me retrouver devant la porte de la chambre.
Étrange moment de solitude. Je suis devant la porte et je reste ainsi quelques instants
sans pouvoir l'ouvrir.
Ma bohème est derrière cette porte, ou ne l'est pas du tout.
Si elle est là, que je rentre, je risque de tout perdre. Si je n'entre pas, je perds tout, c'est
sûr. Je ne vais pas être à la hauteur, je le sens.
Je commence à me fluidifier devant cette porte, qui ne m'a rien fait.
Mais, sur un sursaut d'orgueil subit, je l'ouvre et rentre.
Je la referme aussitôt.
L'obscurité.
Déjà, la porte était ouverte, donc elle est bien là.
Me diriger vers le lit, à tâtons.
Une main me touche, je la saisis aussitôt, pour me rassurer.
Elle est d'une douceur et d'un réconfort, cette main, que je la porte à ma bouche pour
l'embrasser. Une peau de satin.
Cette main me dirige vers le lit pour que je m’asseye.
Je m'assois, et garde sa main dans la mienne.
J'ai envie de lui parler, de la voir, mais les règles sont définies.
Je suis assis.
Je caresse sa main, comme un automate, ne sachant que faire d'autre.
Elle pose son autre main sur mon bras gauche.
Je desserre mes doigts autour de sa main pour suivre son bras jusqu'aux épaules.
Là, je me détends et l'invite à venir contre moi.
Nous nous étreignons, assis dans le noir.
Je passe mon autre main autour d'elle et la serre contre moi.
Elle me rend volontiers cette étreinte.
Nous restons ainsi de longues minutes, nous étreignant de plus en plus fort, avant de
nous décider à nous embrasser.
Un baiser timide d'abord, puis ce baiser grandit pour devenir torrent de passion.
Le lendemain
Je suis parti en silence et dans l'obscurité.
Mais quelle nuit.
Je n'ai pas dormi, et elle non plus par la même occasion.
Nous avons découvert nos corps de nos doigts, de nos langues. Nous avons découvert
nos respirations, nos battements de cœur.
J'étais totalement attentif à la moindre de ses réactions.
Nous étions unis comme jamais.
Une nuit à nous découvrir, à nous aimer, à nous écouter dans le plus profond du silence.
Son corps contre le mien, toute cette nuit.
Nous avons fait l'amour, c'est vrai. De nombreuses fois.
La chambre sentait nos corps unis.
Je rentre chez moi, complètement rêveur de cette nuit.
Récupérer. Préparer mes affaires pour la semaine, et dormir.
La douche? J'ai son odeur sur moi, la garder jusqu'au lendemain.
Me coucher.
Je me lève vers 19h00, avec une faim énorme.
Un bon repas.
20h00.
Je me connecte.
Surprise, ma bohème est là.
Je ne peux m'empêcher de lui écrire.
–
Bonjour ma bohème d'amour.
–
Bonsoir, mon bel étalon.
–
J'ai passé une nuit merveilleuse.
–
Et moi donc.
–
Je vis un rêve éveillé.
–
Je suis heureuse.
–
Tu imagines? Je ne connais, ni ton visage, ni ta voix, et je t'appartiens déjà, tout
entier.
–
M'appartiendras-tu toujours si nous nous découvrons plus.
–
Il nous suffira d'éteindre la lumière.
–
Quel souvenir.
–
Oh oui.
–
Je t'aime.
–
Tu ne me l'avais jamais dit, je suis flatté.
–
Et tu vas en profiter.
–
Oui, pour t'aimer encore plus.
–
Tu es un ange.
–
Tu es ma déesse.
Nous nous quittons quelques minutes après.
Je me sens amoureux fou, mais je me sens un peu frustré d'être amoureux d'une
personne que je pourrais croiser, voire bousculer, sans la reconnaître.
Je me couche en pensant à elle, et dort en pensant à elle.
Quel week-end.
Une aide inattendue
Lundi.
Le réveil.
Vite se préparer.
Effacer les odeurs du week-end sur mon corps.
Aéroport.
Rejoindre ma fine équipe.
Je suis dans un coton, et répond comme un automate, en ne faisant attention à rien.
Monter dans l'avion, direction Lisbonne.
J'ai une présentation à faire, je ne suis pas prêt, mais je suis dans un autre monde.
Soudain, un voix d'homme entre dans mon rêve.
C'est Hubert.
–
Tu es prêt?
–
Pas vraiment.
–
Tu plaisantes?
–
Non.
Clara bondit :
–
Cette journée est essentielle.
–
J'improviserai.
–
Improviser quoi, s'énerve Hubert?
–
Tu n'as rien préparé, s'énerve Clara?
–
Je n'ai rien préparé.
–
Tu plaisantes, enrage Hubert.
–
Oui, je sais de quoi je vais parler.
–
Ah!, firent Clara et Hubert. Point de Marine.
Je n'ai rien préparé, et elle va me cueillir à froid.
J'aurai dû préparer mon sujet ce week-end, mais ma bohème... oh, ma bohème.
Je maîtrise mon sujet, mais je n'ai pas réfléchi à la façon de le présenter.
Ça va être une tuerie, je le sais, mais je m'en fous. J'aime ma bohème.
Vivre lumière éteinte, ne pas se parler. Juste être contre elle.
Atterrissage.
Taxi.
Ça y est j'y suis. Là tu peux leur vendre ta bohème.
Tu vas être ridicule.
Nous arrivons sur site.
Un café avec tout le monde.
Je commence à sérieusement redescendre sur terre et à légèrement paniquer.
Je sens Hubert et Clara inquiets, et contre toute attente, Marine détendue.
Elle va me crucifier.
Me voilà seul devant mon jury.
Ils attendent des informations, des objectifs et des jalons, et je suis à la rue.
Je débute en leur donnant les informations génériques du projet.
Jusque-là tout va bien.
Puis je dois attaquer les objectifs et les différentes étapes.
Mais là, je commence à me perdre un peu.
Une question.
Je dois bien dire que je ne me souviens même pas de la question.
Marine s'est levée, et a prit le relais en disant :
–
c'est ma partie, je vais vous répondre.
Et elle a assuré comme un as, tout en vantant mon travail, en plus.
J'étais interloqué, stupéfait.
Quelle mouche l'avait piquée?
La journée s'est poursuivie par des visites de sites.
Le soir Hubert et Clara décident de sortir avec les employés locaux.
Voulant rejoindre ma bohème, je prétexte du travail pour éviter la sortie. Marine fait de
même.
Marine et moi prenons les clés de la chambre ensemble.
Nous sommes à côté.
Je suis son pas pour rejoindre notre espace d'intimité.
Au moment ou elle ouvre, je la regarde et lui dit :
–
Merci.
–
Merci pour quoi.
–
Tu m'as sauvé.
–
De quoi?
–
Du ridicule.
–
Juste ça? Ce n'est rien.
–
Vraiment merci.
–
Je n'aime pas les mercis.
–
Tu manges au restaurant de l'hôtel?
–
Oui.
–
Veux-tu dîner avec moi.
–
Si on ne parle pas boulot.
–
Pas de soucis, dans dix minutes en bas.
Et me voilà, ayant invité Marine, tout en espérant que le repas sera le plus rapide possible
pour ne pas faire patienter ma bohème.
Je la retrouve au restaurant quelques minutes plus tard.
Nous nous asseyons.
C'est une belle femme.
Elle a une classe naturelle, sans être bourgeoise.
Elle m'a paru froide, mais, ce soir, elle me paraît détendue.
J'attaque :
–
Encore merci.
–
Ah non, sinon, je pars.
–
Non, je te suis juste reconnaissant.
–
Bon, ce n'est rien.
–
Je peux être honnête?
–
Oui.
Je la sens inquiète.
–
Tu m'impressionnes.
–
Comment ça?
–
Je ne sais pas, je me sens mal à l'aise, et aussi surprenant que ça puisse paraître,
pas là.
–
Non, je ne comprends pas, mais je peux aller manger seule.
–
Non, surtout pas. Tu as une assurance, une froideur au boulot. Je ne me sens pas
à la hauteur, peut-être.
–
On a dit que l'on ne parlait pas de boulot.
–
Oui, tu as raison.
–
Mais j'aime ta franchise.
–
Merci, je suis maladroit aussi.
–
J'ai vu.
–
Et pas très sérieux.
–
J'ai vu.
–
J'ai une excuse.
–
Ah?
–
Mais je ne peux pas en parler.
–
Ce n'est pas une excuse, mais un aveu.
–
Ça restera entre nous?
–
Non, je vais courir en parler à Clara et Hubert, quand ils rentreront bourrés. Je
plaisante.
–
Je suis amoureux, et c'est le début.
–
Amoureux comment?
–
Je ne peux pas le décrire, mais c'est nouveau pour moi.
–
Tu es honnête?
–
Toujours.
–
Je le sais.
–
Merci.
–
Je le sens.
–
A première vue, je te voyais comme une personne ultra rigide, mais là, je suis très
surpris.
–
Je sais, on me l'a souvent dit.
Elle fait une légère moue contrariée.
Elle a des cheveux bruns, longs et raides, des yeux noisettes, un visage de poupée, dès
qu'elle est détendue.
–
je te rassure. L'homme a cette sensation dès qu'il croise un femme qui a confiance
en elle, et que lui n'a pas confiance en lui.
–
Belle analyse. Mais elle implique que tu n'aurais donc pas confiance en toi.
–
Gagné.
–
Bel aveu.
–
Tu peux en profiter.
–
Jamais.
–
Tu aurais dû avoir ma place, tu as les compétences.
–
Je ne le veux pas.
–
Pourquoi?
–
Je ne le veux pas. J'ai aussi une vie.
–
Oui, je comprends.
L'entrée arrive.
Je n'arrive pas à la lâcher des yeux. Je le trouvais froide, mais je la découvre charmante.
L'entrée terminée, elle m'attaque :
–
Tu as géré beaucoup de projets de ce type?
–
Non.
–
Je le savais. N'hésite pas à me demander de l'aide.
–
Merci.
–
Point final sur le boulot.
–
Point final.
–
Parfait. Tu es amoureux depuis longtemps?
–
Non.
–
C'est nouveau alors?
–
Oui.
–
Elle est belle?
–
Elle est ce que je cherchais depuis longtemps.
–
C'est beau.
–
C'est magnifique.
–
Tu es heureux.
–
Oui, je le suis.
–
C'est le principal.
–
Et toi?
–
Je peux te faire confiance?
–
Oui.
–
Je suis amoureuse.
–
C'est génial.
–
Il est adorable.
Le plat arrive.
–
Je te souhaite beaucoup de bonheur.
–
C'est un début.
–
Tu le ressens bien?
–
Oui.
–
C'est l'essentiel.
Le reste du repas, nous avons parlé actualité, littérature, musique.
Un repas fort agréable.
Tout le repas, malgré tout, je culpabilisais de la situation d'attente dans laquelle devait se
trouver ma bohème.
Nous nous sommes quittés, et à peine dans ma chambre, je me suis connecté.
Elle n'était pas là.
Elle avait dû se déconnecter, à force de m'attendre.
Soudain elle apparaît.
Je m'excuse du retard, et elle accepte mes excuses.
Quelques minutes à s'aimer de mots, de phrases imprimées sur l'écran, à se souvenir de
cette nuit si sensuelle.
Quelques minutes de bonheur intense.
Elle me manque.
Je lui manque également, c'est bon signe.
Nous convenons d'une nouvelle rencontre le week-end suivant.
Cette fois-ci, elle l'organise.
J'accepte.
Nous nous quittons ainsi, et il me tarde déjà d'être le week-end.
Une collègue
Mardi.
Se préparer.
Petit déjeuner avec mes trois acolytes.
Clara et Hubert ont de petites mines. Ils ont dû faire la fête une partie de la nuit.
Ils nous raconteront une fois bien réveillés.
Marine est souriante. C'est nouveau.
Nous revoyons le planning de la journée.
Une dernière réunion de débriefing sur site, un repas, puis départ pour Tunis.
Demain, une autre réunion importante. Cette fois-ci, essayer de la préparer avant, pour
être plus efficace.
En plus il me faudra faire un compte rendu de ces premières journées pour la direction, et
mettre en place le planning projet exact.
En bref, je vais commencer à avoir du boulot.
Il va falloir que je mette un peu mes acolytes à contribution.
Un taxi.
Partir sur site.
Je fais une présentation rapide de l'état du projet, et explique qu'en l'état, tout risquait
d'évoluer, mais que nous devions rencontrer tous les acteurs pour affiner les étapes, et
donc les objectifs de chacun.
Ils nous remercient; nous déjeunons ensemble.
Le départ.
Aéroport.
Nous montons dans l'avion.
Nos places sont dispatchées.
Je me retrouve assis à côté de Marine.
Cela tombe bien, contre toute attente, c'est avec elle que je me sens le plus à l'aise,
surtout depuis hier soir.
Je sors mon ordinateur portable, pour commencer à rédiger le compte rendu, et ainsi
m'avancer un peu.
Marine me propose de m'aider, et j'accepte la proposition aussitôt.
–
J'imagine que tu n'as rien fait hier au soir.
–
Tu imagines bien.
–
Normalement, nous devrions travailler ensemble, tous les quatre sur ce projet.
–
Oui, mais je suis censé être coordinateur.
–
Coordinateur ne veut pas dire tout faire.
–
Oui, tu as raison.
Et nous voilà travaillant le plan projet et le compte rendu.
Un vrai casse-tête.
Nous arrivons à destination, et tout est quasi terminé... Enfin, beaucoup de questions
restent en suspens, et il va falloir mettre nos deux acolytes à contribution.
Nous atterrissons à Tunis.
Direction l'hôtel.
Arrivés à l'hôtel, Clara et Hubert veulent aller se promener en ville.
Je prends mon rôle à cœur, et leur dit qu'il est encore tôt. Ils iront en ville après manger.
Ils ont une demi-heure de détente, et on fait une réunion avant de dîner.
Je sens quelques réticences, mais ils acceptent.
Je vais à l'accueil de l'hôtel voir s’ils peuvent nous mettre une petite salle ou une grande
table au restaurant pour faire une réunion.
Ils me proposent une petite salle, mais qu'ils me factureront.
Vu le tarif, j'accepte.
Je m'installe dans ma chambre.
Comme il fait chaud, je me mets un peu à l'aise, et me rafraichis.
Une fois cela fait, me voilà à taper aux portes des trois chambres pour leur indiquer que
nous nous voyons de suite en salle de réunion.
Quelques minutes plus tard nous sommes fin prêts.
Nous réglons les derniers points critiques, et nous découvrons qu'un certain nombre de
données nous manquent pour arriver à être au point.
Je charge Clara, Hubert et Marine de récupérer ces informations pour la semaine
prochaine.
Voilà. Nous pouvons aller dîner.
Tout est calé, il ne me reste que la présentation de demain à voir.
Nous dînons tous ensemble.
Clara et Hubert partent se balader en ville, et me proposent de les accompagner. Je
refuse, indiquant que je dois préparer ma présentation du lendemain.
Ils proposent à Marine, qui refuse également.
Ils s'en vont donc tous les deux.
Je commence à partir du restaurant à mon tour, et Marine me demande si je veux prendre
un café en sa compagnie.
J'accepte.
Nous sommes installés au bar. Le café est servi.
–
Tu es prêt pour demain?
–
Loin de là.
–
Et tu seras prêt?
–
J'espère.
–
Tu veux un coup de main?
–
C'est gentil, mais je crois que tu as quelqu'un à contacter.
–
Oui, mais je peux te rejoindre après.
–
Je n'ai pas réservé de salles, et la réception est fermée à cette heure.
–
On le fait dans une chambre.
–
Oui, j'ai une terrasse, nous mettrons la table dehors.
–
Tu me laisses une petite heure?
–
Oui.
Le café terminé, nous voilà partant dans nos chambres respectives.
A peine dans la chambre, j'allume mon pc.
Vite ma bohème.
Elle est là.
–
Bonjour ma bohème.
–
Bonsoir mon chevalier.
–
Tu me manques.
–
Toi aussi.
–
Je ne pourrais pas rester longtemps ce soir, j'ai une présentation à terminer pour
demain, et je suis à l'ouest.
–
Je comprends. J'espère que ta présentation n'a pas de belles jambes longues, et
des yeux de velours.
–
Non, elle a des touches partout et des schémas, des tableaux, et elle est très
sensuellement peu excitante.
–
Bon, je te fais confiance, mais tu devras te faire pardonner.
–
Tout ce que tu voudras, ma bohème.
–
Ne me tente pas.
–
Mais j'espère bien que je te tente, au moins un petit peu.
–
Tu verras ça, ce week-end.
–
Qu'est ce qu'il me tarde.
–
Moi aussi, mon petit voyageur.
–
Tu es où là ?
–
Dans ma chambre, nue devant tes mots.
–
Ne m’excite pas. Nous ne sommes que mardi. Il faut que je patiente jusqu'à samedi
soir.
–
Mais pour une soirée pleine de surprises.
–
A ce point?
–
Oui.
–
Je suis impatient.
–
Tu penses à moi?
–
Tout le temps.
–
Moi aussi.
–
Plus que quatre nuits sans toi.
–
C'est beaucoup trop. Tu es où, je te rejoins.
–
A Tunis.
–
Tu plaisantes?
–
Non, malheureusement.
–
C'est un peu loin.
–
Je sais.
Nous nous quittons quelques minutes après, en voyant que nous ne pourrons pas nous
rejoindre.
Elle me manque.
J'ouvre le fichier pour essayer de créer ma présentation. Je suis dans mes rêves de
bohème, et j'ai du mal à me concentrer.
Je m'allonge, et me remémore ce week-end.
Mon esprit s'évade complètement.
On frappe à la porte.
Je sursaute, me demandant bien qui cela peut être, puis je me souviens que Marine doit
venir travailler avec moi.
Elle va me prendre pour un charlot, je n'ai rien débuté.
Je vais ouvrir.
Elle s'est changée.
Une robe longue, un peu décolletée, mais rien de choquant.
J'installe le bureau sur le balcon.
Il fait bon.
A peine assis, elle me demande :
–
Tu as commencé?
–
Non.
–
Je m'en doutais.
–
J'étais avec elle.
–
Je m'en doutais aussi.
–
Tu étais en agréable compagnie toi aussi, non?
–
J'avoue.
–
Je suis désolé de n'avoir rien préparé. Je me rends compte que ça n'excuse rien.
–
Ne t'inquiète pas, j'aurais pu être en plus désagréable compagnie.
–
Merci, premier compliment caché.
–
Non, ce n'est pas un compliment. Quand je me sens en confiance, je peux être une
personne tout à fait détendue.
–
Je le sais.
–
Comment?
–
Je le sens.
Nous voilà à débuter la présentation.
Une soirée de boulot.
Par moment, mon regard se pose sur elle. C'est une très belle femme. Un charme froid et
discret au premier abord, mais elle est très jolie.
Nous terminons la présentation.
Je la remercie de son aide.
Je la raccompagne, et au moment où elle va sortir, je lui demande, un peu bêtement:
–
Je peux te faire la bise?
–
Pourquoi?
Je me sens un peu bête, et hésite à répondre.
Elle prend les devants :
–
Tu n'étais pas obligé de demander, je t'aurais fait une bise de façon naturelle.
–
Je préférais demander, j'avais peur que tu refuses.
–
Tu as toujours peur de moi?
–
Non.
–
Mais?
–
Mais rien.
–
Si, il y a un mais.
–
Tu es une très belle femme, compétente et sérieuse, et je me sens un peu,
comment dire, pas à ta hauteur.
–
Tu as d'autres qualités, rassure-toi. Et j'apprécie travailler avec toi.
–
Merci.
–
Bonne nuit.
Elle s'approche, me fait une bise et s'en va.
–
Bonne nuit.
Quelle femme.
Je ferme la porte.
Je commence à penser qu'elle est mon complément professionnel. J'ai des idées, et elle
me tempère. J'ai des solutions, et elle les formalise clairement.
En bref, elle amène de la lisibilité et de la sagesse à mes idées. Et mes idées sont plus
cohérentes, lorsqu'elle est là.
Pour le moment, ce duo professionnel est parfait.
Je vais me coucher en repensant à ma bohème.
Premier problème
Mercredi.
Je présente le projet, préparé la veille avec Marine.
Tout le monde est conquis, et je remercie mes trois contributeurs, en insistant
spécifiquement sur Marine.
Déjeuner.
Une visite de site, puis départ pour l'aéroport.
Direction Casablanca.
Taxi, hôtel et réunion à quatre avant le dîner.
Le dîner.
Clara et Hubert partent visiter la ville de suite après.
Je reste avec Marine.
Nous prenons un café, et nous donnons rendez-vous une heure après pour la
présentation du lendemain.
J'arrive dans ma chambre, me connecte.
Elle est là.
–
Bonsoir ma bohème adorée.
–
Bonsoir mon chevalier manquant. Tu me manques.
–
Toi aussi, mon rêve.
–
Tu es mignon.
–
Non, amoureux.
–
Moi aussi. Tu es où ce soir ?
–
À Casablanca.
–
Ça va, on ne se refuse rien.
–
Je n'ai pas choisi.
–
Tu m'accorderais une requête?
–
Tout ce que tu veux.
–
J'ai envie d'entendre ta voix ce week-end.
–
Seulement si j'entends la tienne.
–
C'était prévu.
–
Alors pas de soucis.
Nous communions ainsi encore quelques minutes avant de nous quitter.
Je regarde rapidement mes mails, et l'un d'entre eux me choque.
La société pour laquelle travaille Marine voudrait libérer Marine pour me mettre une autre
personne à la place.
Je réponds vivement, que c'est une personne qui m'est d'une grande aide et, dans l'état
du projet, dont je ne peux pas me passer.
Je suis tout retourné.
Quelques minutes plus tard, Marine frappe à la porte.
Nous travaillons toute la soirée.
Je ne sais comment lui en parler, mais je ne souhaite pas qu'elle quitte le projet.
Avant qu'elle ne parte, je lui pose la question :
–
Ce projet t'intéresse?
–
Pourquoi me poses-tu cette question.
–
Comme ça, réponds-moi. Tu as un autre projet en vue ou tu veux avancer avec
nous sur ce projet ?
–
Tu es bien curieux.
–
Réponds-moi s'il-te-plaît.
–
Je suis emballée par ce projet, et ne désire pas le quitter.
–
Tu es sûre?
–
Tu vas me vexer.
–
Ce n'est pas ce que je souhaite. J'adore travailler avec toi, mais je ne voudrais pas
apprendre que tu ne t'y sens pas à l'aise, ou que tu désires autre chose.
–
Ce n'est pas le cas, mais je ne te comprends pas.
–
J'aime travailler avec toi.
–
Moi aussi. Tu te répètes.
–
Si tu veux être coordinatrice, je te laisse mon poste.
–
Pourquoi me dis-tu ça? Tu penses que je veux te piquer ton poste?
–
Non, ce n'est pas ça.
–
Tu vois, je m'entendais bien avec toi, et te faisais confiance, mais je trouve que tu
vas trop loin. Tu me déçois.
Et je n'ai pas le temps de répondre qu'elle a claqué la porte.
Super.
Je vais la perdre, je ne le veux pas, et je ne sais comment lui dire que sa direction le veut,
et pas moi.
Cette nuit-là, j'ai très mal dormi.
Début d'amitié
Jeudi.
Une journée de présentation, suivie d'une vraie soirée à l'hôtel, où je pourrais profiter, car
le vendredi, c'est le retour en France.
Je sens Marine tendue toute la journée.
Professionnellement, tout se passe comme sur des roulettes.
Le soir, nous mangeons ensemble.
Marine ne me regarde pas.
Je suis mal à l'aise.
Clara et Hubert poursuivent leurs soirées, et je rentre dans ma chambre, tout comme
Marine.
Je me connecte.
Discuter avec ma bohème me remonte le moral.
Je ne lui dis rien, mais ses mots me font du bien.
C'est une merveille.
Elle m'annonce que nous nous verrons ce samedi soir, et que ce sera dur d'attendre
jusque-là.
Pour moi aussi.
Nous nous quittons.
Je suis perturbé par la réaction de Marine.
Je voudrais aller la voir, mais je ne sais ce que je pourrais lui dire.
Je me connecte sur mon mail.
Une très bonne nouvelle : Marine reste quelques semaines de plus sur le projet.
Je suis ravi, mais d'un coup je remets tout en question.
Elle ne peut plus me regarder. Cela va être dur à gérer.
J'aurais envie d'aller lui parler, mais je ne veux pas qu'elle sache que sa société voulait la
sortir du projet.
Situation compliquée.
Je ne sais pas quoi faire.
Soudain, on frappe à la porte.
Pour le coup, je n'attends personne.
Je vais ouvrir.
Devant moi, Marine, les yeux rougis.
–
Entre.
Elle entre.
Je referme derrière elle.
Elle ne dit rien.
–
Je m'excuse, je ne voulais pas te froisser.
–
Je sais.
–
Je m'en veux.
–
Pourquoi?
–
Pour toutes ces questions. Je n'ai pas été à la hauteur de ce que tu m'as apporté.
–
Si.
–
Non, je ne t'ai pas fait confiance.
–
Si.
–
Non.
Marine pleure et a du mal à parler.
Un peu dérouté, je lui demande :
–
En quoi t'ai-je rendu l'aide que tu m'avais donnée ?
Elle éclate en sanglots.
Je la prends dans mes bras, sans trop comprendre.
Elle me serre dans ses bras et plonge son visage sur mon torse.
Je reste comme cela quelques minutes, le temps qu'elle récupère.
Elle se calme.
Elle s'écarte de moi, et me demande :
–
Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
–
Dis quoi?
–
Que ma société cherchait à me licencier?
–
Parce que je ne le savais pas.
–
Tu le savais.
–
Non.
–
Alors, pourquoi m'as-tu défendue ?
–
Marine, calme-toi, et asseyons-nous.
Elle s'assoit sur mon lit. Je m'assois à côté d'elle.
Je reprends :
–
Je ne comprends pas ton histoire, et je ne t'ai pas défendu, car je n'étais pas au
courant.
–
Mais si. Dis-moi la vérité.
–
Je te la dis.
–
Tu as bien écris un mail pour dire que tu voulais que je reste sur le projet.
–
Oui, mais je croyais que c'était toi qui voulais quitter le projet.
–
Comment ça?
–
J'ai reçu un mail de la direction me disant qu'ils voulaient te mettre sur un autre
projet, et je voulais que tu restes.
–
C'est pour ça tes questions?
–
Oui, je pensais que tu n'appréciais pas de travailler sur ce projet.
–
Et tu as refusé quand même?
–
Oui, j'ai besoin de toi sur ce projet. Tu me complètes parfaitement et j'apprécie de
travailler avec toi.
Elle se remet à pleurer.
Je la prends à nouveau dans mes bras.
Quelques instants plus tard :
–
Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
–
Parce que je ne savais rien.
–
Merci.
–
Merci de quoi?
–
De m'avoir soutenue. J'ai eu une passe difficile ces derniers temps.
–
Merci à toi de m'avoir soutenu.
Elle me serre fort dans ses bras.
Elle me demande si elle peut voir le mail qu'ils m'ont envoyé.
J'accepte.
Mon ordinateur n'est pas éteint.
La première chose qui s'affiche est ma connexion sur ma messagerie directe.
Je la ferme très vite.
Elle n'a pas eu le temps de voir, c'est sûr.
Je lui montre le mail.
Et là, elle se remet à pleurer.
–
Ils voulaient me licencier, et tu m'as sauvée, sans le savoir.
–
Ils ne t'auraient pas licencié, tu es trop compétente.
–
Non, mes derniers projets n'ont pas été glorieux. Je n'ai pas été à la hauteur.
–
Pourquoi?
–
Des histoires d'hommes.
–
Ah!
–
Non, pas ce que tu crois. Eux étaient beaucoup moins sérieux que toi et un peu trop
entreprenants.
–
Tu les a fait partir.
–
Nous sommes dans un monde d'homme. J'aime le travail bien fait, et eux avaient
d'autres idées.
–
Je comprends, mais je veux que tu continues à bosser avec moi, avec toi je suis
rassuré, tu es mon complément.
–
Merci.
–
Merci à toi.
–
Non, tu es adorable.
–
Non, j'aime travailler en confiance.
Elle se remet à pleurer et s'allonge sur le lit.
Je m'allonge face à elle et met son visage sur mon épaule.
Elle est magnifique, triste et désemparée.
Je lutte intérieurement. Ma bohème, et Marine. Si bohème savait...
Pendant des années, je n'ai rencontré que des personnes superficielles, et voilà que je
rencontre deux femmes adorables et saines en même temps.
Elle s'endort.
Nous restons ainsi toute la nuit.
Une excuse et un repas particulier
Vendredi.
Au petit matin, une bise sur la joue me réveille.
Je me lève en sursaut.
Je vois Marine dans ma chambre.
–
Merci pour tout, je vais dans ma chambre me doucher.
–
De rien Marine.
–
J'ai été un boulet pour toi cette nuit.
–
Non, ce fut avec plaisir.
–
Tu es un amour.
–
Tu es adorable.
Elle quitte la chambre.
Elle ouvre la porte et j'entends la voix d'Hubert :
–
Je comprends mieux pourquoi vous ne vouliez pas venir.
–
Euh non. Balbutie Marine.
–
On ne me la fait pas. Je comprends mieux. Et il s'éloigne.
Marine entre à nouveau dans ma chambre :
–
Je suis désolée. Hubert était dans le couloir, et...
–
J'ai entendu.
–
Que vont-ils penser? me dit-elle affolée.
–
Laisse-moi faire, j'ai une solution.
–
Tu es sûr?
–
Oui.
Elle quitte la chambre, visiblement rassurée par mes paroles.
A peine la porte fermée, je me demande bien ce que je vais pouvoir raconter.
Je sens que la journée va être longue.
Je tarde un peu à me préparer.
Je descends rejoindre tout le monde pour le petit déjeuner.
En arrivant dans la salle, j'essaie de prendre un air fatigué.
Hubert me voit arriver, et, un sourire aux lèvres :
–
La nuit a été mouvementée?
–
Ne m'en parle pas. Je suis crevé.
Je vois Marine se décomposer.
–
On avait cru comprendre.
–
Comprendre quoi?
–
Que la soirée avait été pleine de surprise.
–
Des gens se sont plaints?
Là, je sens Marine qui ne me suit plus du tout.
–
Non, je ne crois pas?
–
J'ai eu peur.
–
Peur de quoi? Qu'on vous entende?
Et là, je joue la personne un peu vexée :
–
Qu'on entende qui?
–
Euh?
–
Vas au bout, ça m'intéresse.
–
Vous deux.
–
Nous deux, qui. J'étais avec quelqu'un cette nuit? Vous m'avez vu?
–
Non.
–
Je ne comprends pas.
–
Toi et Marine.
–
Moi et Marine quoi?
Je vois Marine se mettre la main devant les yeux.
–
Tous les deux.
–
Quoi tous les deux, je ne te comprends pas du tout.
–
Et bien... tu vois ce que je veux dire.
–
Non, pas vraiment.
–
Vous avez dormi tous les deux.
–
Ah? Ravi de l'apprendre.
–
Comment ça?
–
Marine est venue me réveiller, certes, et je l'en remercie.
Elle enlève ses mains des yeux, surprise.
Et je continue :
–
Je ne pense pas que Marine ait dormi avec moi, sinon j'en serais vraiment désolé.
Tout le monde est surpris. Marine me regarde d'un œil bizarre. Visiblement, elle n'a pas
appréciée la dernière phrase.
Je poursuis :
–
Oui, j'ai été lourd, hier soir.
–
Comment ça? Demande Hubert intéressé.
–
Bon, j'ai fait le con.
Je vois Marine le visage surpris, qui ne comprend pas du tout ou je veux en venir.
–
Raconte-nous.
Hubert est toujours aussi intéressé.
–
Je me suis pris la tête avec mon amie, j'ai bu, et comme je me sentais seul, je suis
allé ennuyer Marine dans sa chambre...voilà.
–
Et? dis Hubert en regardant Marine.
–
Et elle a été adorable, et m'a reconduit à ma chambre, car je ne tenais plus bien
debout.
–
Ah!
–
Oui, je ne suis pas fier, mais j'essaie d'assumer mes conneries. D'ailleurs encore
désolé Marine.
–
Ce n'est rien, me dit Marine, avec un regard reconnaissant.
–
Tu n'es pas rancunière, toi. Dit Hubert.
–
Il ne m'a pas sauté dessus non plus. Il voulait juste dormir avec moi. Il était saoul.
Voilà, l'histoire est réglée. Par contre je me sens un peu moins crédible vis à vis d'Hubert
et Clara.
Nous récupérons nos affaires et partons pour l'aéroport.
Une fois dans l'avion, je suis situé à côté d'Hubert.
Durant le vol, il fallait bien qu'il attaque le sujet :
–
Bien tenté. Je reconnais que c'est une jolie femme.
–
Hubert, je suis assez gêné vis-à-vis d'une collègue, s'il te plaît n'en rajoute pas.
–
Tu crois que je n'ai pas tenté avec Clara?
–
Comment ça?
–
Attends, nous sommes des hommes.
–
Et elle a accepté?
–
Non.
–
Et vous sortez le soir ensemble?
–
Oui, on aime bien faire la fête ensemble.
–
Je ne comprends plus.
–
Je lui ai demandé, elle a refusé, et voilà, on s'arrête là.
–
Vous êtes zen.
–
Tu réfléchis trop. Marine n'a pas l'air de t'en vouloir, alors ne te prends pas la tête.
–
Tu as sûrement raison.
Hubert réussit à me déculpabiliser d'un acte que je n'ai pas commis. C'est une situation
loufoque.
Atterrissage.
Récupérer les bagages et rentrer chez moi.
Quelle semaine.
Vite me connecter.
A peine le temps d'allumer l'ordinateur que le téléphone sonne.
–
Oui?
–
C'est Marine.
–
Oui Marine.
–
Je ne te dérange pas?
–
Non, pas du tout.
–
Merci pour ce matin.
–
Mais de rien.
–
Tu es adorable, tu sais?
–
Non. Tu étais mal à l'aise, et j'ai trouvé une explication. Bon, elle vaut ce qu'elle
vaut, mais sur le moment, c'était ma seule idée.
–
Merci.
–
Non, Marine, ne me remercie pas. Par contre, on se retrouve lundi, et tu ne me
lâches pas.
–
Non, mon capitaine.
–
Passe un bon week-end.
–
Toi aussi.
–
Bises.
–
Bises.
Vite me connecter à ma bohème.
Je n'en peux plus de cette attente de l'avoir au bout du clavier, enfin seuls.
Elle est connectée.
–
Bonsoir ma bohème bien aimée.
–
Bonsoir mon chevalier tant désiré.
–
Tu m'as manqué.
–
Toi aussi. J'ai pensé au goût de ta peau et à ta chaleur toute la semaine.
–
Moi aussi. Il me tarde demain.
–
Nous ne sommes pas loin.
–
Je sais, et si je savais ou tu étais, j'aurai couru chez toi dès ce soir.
–
Et je t'aurais accueillie à bras ouverts.
–
Tu me mets au supplice.
–
J'ai envie de te sentir près de moi.
–
Et moi donc.
–
Viens.
–
Tu as tout prévu pour demain, je ne veux pas te déranger.
–
Viens.
–
J'arrive.
Une douche, s'habiller.
Partir pour une soirée de bohème.
Je n'ai pas dîné, mais ce n'est pas grave.
Je roule vers toi ma bohème, le cœur et les hormones en ébullition.
Retrouver ta peau.
J'arrive devant chez toi.
Un immeuble récent.
Faire le code d'entrée de l'immeuble.
Monter au second.
Je suis devant ta porte, ivre de désir de te sentir.
Tu m'ouvres.
J'entre et tu refermes aussitôt.
L'obscurité est totale.
Tu me prends par la main et m'attire.
Amène-moi au bout du monde, je te suis.
Tu m'assois sur le lit, et t'installes à côté.
Je prends tes mains dans les miennes.
Elles ont la douceur des cœurs de pétales de rose.
Nous nous embrassons, nous nous déshabillons.
Je caresse longuement ton corps et m'enivre de tes odeurs. Je caresse un champ de fleur.
Tu m'échappes quelques instants pour mieux me revenir.
Tu t'assois sur mes cuisses, et m'enchaînes de tes jambes.
Tu m'embrasses.
J'ai ta poitrine collée à la mienne. Un enchantement.
Là, tu cesses de m'embrasser et insère dans ma bouche une fraise.
Quel délice.
Nous faisons l'amour. Pendant que nous faisons l'amour, tu me nourris de tes mains, de ta
bouche de ton corps. Une fois que j'ai situé l'endroit où tu caches tes victuailles, je fais de
même.
Nous mangeons, nous embrassons, nous caressons, le tout en mangeant.
Les jus coulent sur nos corps, et nous collent un peu plus l'un à l'autre.
Une nuit fruitée et unique.
Je suis aux anges.
L'entendre
Je me lève au petit matin, et quitte le nid ou ma bohème m'a donnée la becquée.
Une becquée tout à fait originale.
A peine rentré, une douche, mettre mes affaires à laver, quelques courses, et nouvelle
connexion.
Ma bohème n'est pas là, mais ne tarde pas à se connecter :
–
Bonjour ma vie de bohème.
–
Bonjour mon chevalier gourmand.
–
J'ai passé une soirée unique, fabuleuse.
–
Moi aussi.
–
Tu m'ensorcèles à chaque rencontre.
–
Mais c'est le but.
–
Tu vas me rendre accroc à ton corps.
–
Juste mon corps?
–
Non, tes idées, notre intimité, ce que nous partageons.
–
Merci.
–
Mais, tu sais que je t'aime.
–
Ça se dit si facilement.
–
Non, tu es mon équilibre et je suis à ta merci.
–
À ce point?
–
Oui.
–
Je te rassure, je ne peux plus me passer de ton contact.
–
Tu crois que de se voir et de s'entendre changera tout?
–
Je ne le souhaite pas.
–
Moi non plus. Mais qui te dit que ce n'est pas de ne pas se voir et s'entendre qui
nous fait nous aimer.
–
Comment ça?
–
D'avoir cette liberté intime, que tu ne peux avoir quand tu connais la personne.
–
C'est possible, je ne me suis pas posée la question dans ce sens.
–
Je viens de me la me la poser, et la partage avec toi.
–
On peut se rencontrer, dans l'obscurité, et ne faire que se parler.
–
S'habituer à nos voix.
–
Oui.
–
Excellente idée.
–
Tu serais partant ce soir?
–
Oui.
–
Où.
–
Je te reçois.
–
Je viens.
–
Discuter de vive voix.
–
Pas de sexe.
–
Oui. Même si je dois dire que ton corps est somptueux.
–
Et le tien appétissant.
–
Je t'attends ce soir.
–
Je serais là.
Nous nous déconnectons.
Faire tous les préparatifs.
Du champagne au frais.
Bien positionner les fauteuils du salon, et savoir les repérer les yeux fermés.
Et puis l'attendre.
L'attendre et l'imaginer.
Je l'ai touchée, apprise, mais je ne connais pas son visage. Je ne sais pourquoi, mais
j'imagine le visage de Marine sur ce corps adoré.
Ne penses pas à Marine.
Tout est prêt.
L'heure approche.
Une sonnerie. Elle est devant ma porte.
Je me tends un peu.
Éteindre les lumières.
Lui ouvrir.
Refermer la porte.
Nous sommes dans l'obscurité la plus totale.
Je la serre contre moi et l'embrasse.
Puis, je la prends par la main, et l'amène jusqu'à son fauteuil.
Je m'assois sur le mien.
Quelques secondes de silence.
Je ne sais comment débuter cette découverte.
Puis, je me lance. Après tout, si tout doit se terminer, autant que cela se fasse vite :
–
Bienvenue ma bohème.
–
Bonsoir mon chevalier.
Elle a une voix douce et sensuelle.
–
J'aime ta voix.
–
Tu as une voix d'homme, telle que je les affectionne.
Je nous sers une coupe de champagne, en aveugle, et lui tend une coupe.
–
Avance un peu ta main, je te tends une coupe de champagne.
Elle l'attrape.
Le début est difficile.
Nous sommes tous les deux un peu intimidés par la proximité.
Puis, nous nous débarrassons de nos craintes, et commençons à discuter.
Cette nuit-là, nous parlons de tout.
De nos intimités, à nos approches de la culture, de l'histoire, de la vie, de la société.
La nuit s'écoule bercée de sa voix.
L'obscurité me permet de boire ses sons.
Parle-moi ma bohème, parle-moi encore. Ta voix est de miel et tes mots sont de sucre.
Au bout de quelques heures à s'écouter parler, je lâche l'inévitable.
–
je t'aime.
–
Moi aussi, mon chevalier.
–
Je peux t'embrasser?
–
Avec plaisir.
Nous nous approchons, nous nous touchons, pour finir par nous embrasser.
Nous nous embrassons tant et si bien que nous finissons par faire l'amour dans l'obscurité
du salon, à même le sol.
Nous restons quelques minutes ainsi, sur la moquette du salon.
Je sens les pores de sa peau commencer à se dresser.
Je me lève, la soulève tendrement et la porte jusqu'à mon lit.
Nous nous lovons l'un contre l'autre, et nous endormons.
L'attente et la lecture
Au petit matin, ma bohème s'est évaporée, tel un doux rêve, ou un mirage.
Il ne me reste d'elle, en ce petit matin, que son odeur sucrée.
Je me sens un peu frustré, mais je me dis qu'elle a dû ressentir la même chose la veille.
Je prépare le nécessaire pour le lendemain, et la reprise du boulot.
J'allume l'ordinateur, tel un automate, et, tout en faisant le ménage, jette un œil
fréquemment, voir si elle ne se connecte pas.
L'après-midi se passe sans qu'elle se connecte.
Je commence à m'inquiéter.
Ai-je été maladroit, hier soir?
Peut-être n'a-t-elle pas aimée ma voix?
J'essaie de me rappeler le moindre détail, pour essayer de voir à quel moment j'aurai pu
ne pas assurer. Peut-être en ai-je trop dit sur moi?
Et si c'était de faire l'amour sur le sol qui ne lui a pas plu. C'est vrai que ce n'est pas
confortable. Mais pris dans le moment, je n'ai pas pensé à l'amener jusqu'à mon lit.
Peut-être l'a-t-elle prit pour un manque de respect ?
Je suis en pleine remise en question lorsqu'un message apparaît :
–
Bonsoir mon preux chevalier.
–
Bonsoir ma bohème.
–
Tu vas bien?
–
Oui et toi?
–
On ne peut mieux.
–
Tu vois, je t'attendais avec impatience.
–
Seul j'espère.
–
Non, le fantôme de tes odeurs, et la mémoire de ton corps, de ta voix et de tes mots
m'accompagnent.
–
C'est adorable, ce que tu dis.
–
Non, c'est de l'amour.
–
Je sais, je le sens. Tu me manques, et je dois lutter pour ne pas penser à toi.
–
Je ne lutte plus, je suis vaincu.
–
Tu n'es pas un chevalier très combattif.
–
Le chevalier jure allégeance lorsqu'il a perdu la guerre.
–
Je suis d'accord. Le chevalier doit se soumettre.
–
Oui, j'en ai bien peur.
–
Je vais te faire subir mon supplice, qui te causera force tourments.
–
Mais je t'écoute, et subirais le châtiment sans rechigner.
–
Je veux entendre ta voix.
–
Maintenant?
–
Oui, tu vas m'appeler.
–
De suite, ma reine.
–
Non, tu vas m'appeler et tu vas me faire la lecture, et tu vas me bercer de ta voix
jusqu'à ce que je m'endorme.
–
Tu as une heure pour te nourrir, et me trouver une lecture que j'aimerais écouter.
Elle me laisse ses coordonnées, et raccroche.
Me voilà bien embarqué.
Je fais le tour de ma bibliothèque et j'en ressors trois livres, après de nombreuses
réflexions.
Mon choix s'arrête sur le « Terre des hommes » de Saint-Exupéry, Le « Cyrano de
Bergerac » d'Edmond Rostand, et le classique « le rouge et le noir » de Stendhal.
Le premier n'est pas assez romantique, le troisième est trop long. Je conserve les trois,
mais opte pour Cyrano.
Je mange rapidement, et il est déjà l'heure.
Je prends mon téléphone, et m'installe confortablement dans mon lit, avant de l'appeler.
Je l'appelle :
–
Oui.
–
C'est moi.
–
Je sais.
–
J'adore ta voix.
–
Mais je veux entendre la tienne. Tu as fait ton choix?
–
Oui.
–
Je t'écoute.
Et me voilà à lire Cyrano à haute voix, et à n'entendre que sa respiration.
Visiblement, elle apprécie.
Une heure de lecture, puis soudain, elle me coupe :
–
Merci mon ange, je vais bien dormir, en pensant à ta voix.
–
C'était avec plaisir, ma reine.
–
Veux-tu que demain, je te fasse la lecture?
–
Tu le ferais pour moi?
–
Avec plaisir.
–
Alors, j'accepte avec grand plaisir.
Nous nous quittons ainsi.
Je suis détendu, et prêt pour une bonne nuit.
L'écoute
Je passe la journée dans le bureau spécialement prévu pour le projet.
Je suis en compagnie d'Hubert, Clara et Marine.
Avec ce qui s'est passé le vendredi, j'essaie de ne pas paraître trop proche de Marine.
Nous allons déjeuner tous les quatre.
J'essaie au maximum d'éviter son regard noisette.
Je ne voudrais pas que l'on pense que je la harcèle.
La journée se passe.
Je rentre chez moi.
Mon ordinateur reste éteint ce soir. Ma bohème doit appeler vers 21h00.
Je mange tranquillement, puis m'installe dans le lit avec mon téléphone.
Il sonne.
Ma bohème.
–
Bonjour ma bohème.
–
Bonjour mon chevalier.
–
Ce soir, tu me fais admirer ta voix?
–
Oui, c'était convenu.
Elle débute le marquis de Sade, et « Justine, ou les infortunes de la vertu ».
J'écoute sa voix de miel me câliner.
Je me laisse emporter par sa voix.
Elle m'apaise de sa voix douce, me caresse de ses intonations, me rassure de ses
respirations.
Je ne peux dire combien de temps elle a lu, mais je me sens tellement bercé que je
commence à m'endormir.
Je la coupe :
–
Merci ma douceur, je vais dormir comme un bébé.
–
A demain, mon chevalier, c'est à ton tour demain.
–
Avec plaisir.
Nous nous quittons ainsi.
Je m'endors lové dans sa voix.
L'amitié se complique
Toute la semaine se passe ainsi.
Des journées de travail, à essayer d'éviter le visage et le regard de Marine, des soirées de
lecture, ou je sombre dans la voix envoûtante de ma bohème.
Bizarrement, plus j'écoute ma bohème, plus je l'aime, et plus j'essaie d'éviter le regard de
Marine, plus j'associe son visage à ma bohème.
Je commence à m'inquiéter de cet amalgame.
Le vendredi, mon patron m'annonce que je pars au Japon la semaine suivante, pour trois
jours de visite. Départ le lundi, retour le vendredi.
Le week-end se passe. Je passe mes journées seul, et mes nuits à parler, et faire l'amour
à ma bohème.
Je suis heureux.
Lorsque je lui annonce que je ne serais pas là de la semaine suivante, et que nous aurons
beaucoup de décalage horaire, elle est très déçue, tout comme moi.
Elle me demande de lui donner des nouvelles tous les jours.
Je lui demande de m'en donner en retour.
Je suis amoureux d'une femme géniale, avec laquelle je me sens vivre, je me sens
respirer, aimer, avec laquelle je suis moi-même enfin, dont le corps est aussi doux qu'une
pétale de rose, et dont la voix est capable de me faire revenir en enfance et me bercer.
Mais je n'ai pas de visage à y mettre.
Le temps passant, je commence à être gêné par cette situation, mais j'ai également peur
que de découvrir nos visages, me fasse perdre tout, en un instant. Elle pourrait être déçu,
ou moi. Qui sait.
J'ai l'impression d'être dans une impasse, et que je vis le meilleur, avant de subir le pire.
Lundi.
Je suis dans un coton amoureux, et me retrouve dans un aéroport avec tout, sauf l'envie
de partir.
Je monte dans l'avion.
La place a mes côtés est libre, et tout le reste de l'avion est bondé. Je vais peut-être
pouvoir m'étaler.
Les portes tardent à se fermer. Un dernier passager entre.
Non, c'est une passagère.
C'est Marine.
Elle s'approche de ma place, puis me regarde en souriant, avant de me demander :
–
Je suis à côté, cela ne vous dérange pas.
–
Pas du tout, le trajet sera moins long.
Elle s'installe, nous nous faisons la bise, puis décollage.
Les premières heures de vol, nous nous assoupissons.
Le repas arrive.
Un bon appétit poli.
Pendant le repas, je sens Marine un peu froide vis à vis de moi, ce qui contraste avec son
sourire du départ.
Ce silence me paraît lourd, et je finis par lui poser la question :
–
ça va Marine?
–
Oui.
–
Bon. Tu me parais un peu froide.
–
Et toi?
–
Comment ça?
–
Tu m'as évité tout la semaine.
–
Je voulais qu'ils pensent que j'étais mal à l'aise vis-à-vis de toi.
–
Et c'est moi qui l'ai été.
–
Pourquoi?
–
Parce que je me sentais un peu rejetée.
–
Mais, tu sais bien que non.
–
Et je culpabilisais.
–
Tu culpabilisais de quoi?
–
De m'être endormie dans ta chambre.
–
Mais, nous savons tous les deux qu'il ne s'est rien passé.
–
Oui, mais j'ai quand même dormi avec toi, et dans tes bras.
–
Et alors? Il ne s'est rien passé, et tout est arrangé vis-à-vis de Clara et Hubert.
–
Oui, mais... je n'aime pas être faible devant un homme.
–
Je te rassure, je ne voyais pas ça comme ça.
–
Oui, et à la première occasion, tu te vanteras.
–
Merci. Je vois que tu as une belle opinion de moi.
–
Ce n'est pas ce que je voulais dire.
–
Mais ce que tu as dit. Je ne suis pas comme ça.
–
Je le sais. Je le sais, mais je suis énervée.
–
Contre moi?
–
Non, contre moi-même.
–
Tu sais, un jour tu me remonteras peut-être, et je ne culpabiliserai pas. N'est-ce pas
cela l'amitié?
–
Tu as raison.
Et voilà Marine qui se détend. Tant mieux.
Elle m'apprend que pour des raisons de budget projet, nous ne partons que tous les deux.
Je suis plutôt ravi, même si une petite voix me dit que je ne devrais pas. Cette voix me
rappelle que j'appartiens à la bohème.
Nous passons une semaine professionnelle.
Le boulot, pas le temps de visiter ou de sortir, et la soirée pour préparer le lendemain.
Puis arrive le jeudi soir.
Nous devons partir le lendemain.
Un apéritif qui se prolonge, puis nous dînons tous les deux, en tête à tête.
Je bois beaucoup.
Elle a un visage magnifique.
L'alcool aidant, je me dis que j'aimerais que ma bohème ait le visage de Marine.
Ce n'est pas bon signe.
L'alcool aidant également, nous commençons à parler de sujets plus intimes.
Elle me raconte qu'elle n'est pas très heureuse en couple, et qu'elle va sûrement le quitter.
Elle l'a connu lors d'une soirée entre amis, et s'est laissée séduire par son côté sûr de lui,
beau garçon, bien coiffé, bien habillé, et parlant toujours de lui comme un sujet d'intérêt
général. Un commercial, en bref.
Aujourd'hui, elle ne voit plus que des paroles sans intérêts. Elle ne supporte plus son
narcissisme. Elle me raconte qu'elle ne se sent plus exister, avec lui.
Je compatis, mais lui dit que tous les hommes sont un peu amoureux d'eux-mêmes, c'est
ce qui leur donne la confiance en eux, les sexualise, les masculinise.
Soudain, je lui pose la question qui me taraude :
–
Tu ne me réponds pas, si cela te gêne, je n'insisterai pas, mais j'aurais voulu savoir
pourquoi ta boîte voulait t'enlever du projet.
–
Je me doutais que tu allais revenir, à un moment, là-dessus.
–
Je ne désire pas te mettre mal à l'aise, donc, si tu ne veux pas, ne me réponds pas.
–
Je sais que je peux te parler.
–
Mais si ce n'est pas le moment, je ne serai pas vexé.
–
Il y a quelques mois, j'ai eu une proposition d'évolution.
–
Et?
–
Un directeur, je ne te dirais pas qui, m'a proposé cette évolution. J'étais ravie.
–
Tu as accepté ?
–
Oui.
–
Et?
–
En fait, ce n'était que pour m'avoir … enfin tu comprends. Ce n'était pas du tout
pour mes compétences.
–
Ah. Et?
–
Et je n'ai pas joué son jeu, et l'ai menacé.
–
Ah!
–
J'ai été remis à mon poste antérieur, mais avec une mauvaise réputation, car on ne
permet pas la critique de la direction.
–
Eh, oui, ils ne sont plus dans le même monde.
–
Tout à fait.
–
Et je crois qu'ils cherchaient la faute professionnelle à tout prix, pour se débarrasser
de moi.
–
Et? Ils m'ont mis sur un projet avec un mec qui ne pense qu'à ça... Forcément, je
l'ai envoyé bouler.
–
Et?
–
Ils m'ont mis sur ce projet.
–
Pourquoi sur ce projet, en particulier?
–
Peut-être pour que je me plante professionnellement.
–
C'est vrai que je ne t'ai pas beaucoup aidé au départ.
–
Mais tu t'es bien repris.
–
Merci. Par contre, je ne comprends pas que mon mail ait suffit à ce qu'ils te
conservent. Je ne suis pas grand-chose, au fond.
–
Apparemment, tu es apprécié.
–
Je suis heureux que cela t'ait permis de garder ton poste.
–
Je te remercie de tout cela.
–
Tu n'as pas à me remercier. Je me sens bien professionnellement quand tu n'es
pas loin. Tu me rassures, tu me canalises, tu organises mes pensées.
–
Merci.
–
Non, tu aurais dû être à ma place.
–
Non, tu prends des risques, tu as des idées, tu construis, et tu prends sur toi. Je ne
fais que t'aider.
–
Mais non.
–
Tu es vraiment très bon, tu le sais?
–
Avec toi, oui.
Nous nous regardons, les yeux dans les yeux.
Reprendre une gorgée, car je sens que je m'égare vers Marine, et oublie ma bohème.
Je me perds dans son regard, et cela me met mal à l'aise vis-à-vis d'un pseudo 'être vrai',
et d'un contact charnel et intense.
Soudain, à son tour, elle me pose une question que, finalement, je redoutais.
–
Et toi, ta vie personnelle. Tu ne me parles jamais d'elle. A quoi elle ressemble, que
fait-elle ?
–
Je n'aime pas trop en parler.
–
Un homme qui n'aime pas parler de lui? Je n'y crois pas.
–
C'est récent.
–
Bon, je ne veux pas insister si cela te dérange.
–
Si je t'en parle, tu vas me prendre pour un fou, ou un original.
–
Si tu es heureux, pourquoi devrais-je te juger?
–
Je sais, mais vraiment, j'ai peur que tu sois déçue, et je ne veux pas te mentir.
–
Je ne serais pas déçue. Et tu sais, ma vie est loin d'être un modèle.
–
Je peux te faire confiance. Une confiance absolue.
–
Je peux te répondre oui, mais, toi, que penses-tu ?
–
Que j'ai confiance en toi.
–
Merci.
Et je commence à lui raconter mon histoire avec ma bohème.
Elle m'écoute avec attention.
Tout en lui racontant mon histoire récente, je bois je ne sais quel alcool, mais je bois.
Je finis de lui raconter mon histoire d'amour.
Elle me demande
–
Et tu ne connais pas son visage, encore aujourd'hui?
–
Oui.
–
C'est une histoire vraiment originale.
–
Je sais, je sens que tu vas te moquer.
–
Oh non. C'est d'un romantisme et d'une originalité folle. Je suis admirative. Tu as
presque une vie d'artiste, en fait.
–
Tu vois tu te moques.
–
J'adore. Tu es vraiment particulier.
–
J'essaie d'être moi-même, je ne dis pas que j'y réussis.
Je vois Marine poser un regard attendri sur moi.
Elle est magnifique, et il faut absolument que je me tienne. Avec l'alcool, je suis de plus en
plus attirée par elle.
Je suis saoul.
Je le sens, je le sais.
Nous nous levons pour aller nous coucher.
Je ne marche pas droit, voire je titube fortement. Tout bouge autour de moi.
Elle vient se coller à moi, en me disant de me laisser faire, qu'elle me ramène à ma
chambre.
Je me confonds en excuse, un peu honteux.
Elle me répond que ce n'est pas grave.
Elle ouvre ma chambre.
A peine devant le lit, je me jette dessus.
J'entends sa voix :
–
Tu ne peux pas dormir habillé.
–
Si.
Elle me met en position assise et m'aide à enlever mon pull.
Je comprends qu'elle ne me laissera pas tant que je ne serais pas en tenue pour dormir.
Je me ressaisis, du moins j'essaie, et décide d'aller me déshabiller dans la salle de bain.
Après avoir renversé la moitié de la salle de bain, je ressors dignement, la tête haute.
Je la vois pouffer de rire.
Je suis habillé pour la nuit, dans tous les sens du terme.
Je me couche.
Elle me borde comme un enfant.
Elle veut me dire quelque chose, et là je lance la grenade, de façon tout à fait
involontairement éthylique :
–
Je connais tout d'elle, sauf son visage.
–
Je sais.
Elle me caresse les cheveux. Elle est assise sur le lit, ou je gis profondément alcoolisé.
–
Il faut que tu dormes.
–
Je peux être entièrement honnête avec toi?
–
Oui, mais tu es fatigué.
–
Oui, mais je sais ce que je dis.
–
Je sais.
–
Quand je découvrirais son visage, je sais que je serais déçu.
–
Ah bon?
–
Oui.
–
Pourquoi, elle sera peut-être très belle.
–
Oui, c'est possible.
–
Je ne comprends pas.
–
Voilà, j'ai mis un visage d'ange sur elle, et je serais forcément déçu si ce n'est pas
ça.
–
Mais personne n'a un visage d'ange, ce n'est pas possible.
Je m'allonge sur le ventre, le visage dans l'oreiller. Je commence à pleurer.
–
Si.
–
Si tu imagines le visage d'une star, tu seras déçu, c'est sûr.
–
Arrête.
–
Quel visage?
–
Le tien.
Sur cet aveu, je m'endors instantanément.
Les remords
Le réveil sonne.
J'ai mal à la tête.
J'ai mal à la tête et envie de vomir.
Ce que je fais dès que je suis debout.
Qu'ai-je dit hier soir ? Pourquoi ?
Je me sens mal.
Elle va me prendre pour un fou. J'imagine son visage sur une rencontre internet, dont je
connais la voix, le corps, et le reste.
Je ne vais plus pouvoir affronter son regard.
Je me sens honteux.
Je n'aurai pas dû boire.
Et puis, son visage. Pourquoi a-t-elle ce visage d'ange?
Et pourquoi ma bohème n'est pas là?
Je me sens mal.
Ma laver, m'habiller.
Descendre pour le petit déjeuner.
Marine est là.
Je panique.
Je me sers, et la rejoins, en prenant bien soin de regarder le sol.
A peine assis, le nez dans mon café, Marine me dit :
–
Bonjour.
–
Bonjour.
–
Ça va mieux?
Je me sens ridicule. Je lui réponds sans oser la regarder.
–
Je suis désolé pour hier au soir.
–
Tu n'as pas à être désolé.
–
Oublies, s'il te plaît, j'avais bu.
–
J'oublie, mais je n'étais pas choquée.
–
J'avais bu, je ne savais pas ce que je disais.
–
Tu ne savais pas?
–
Non.
Elle se lève et me quitte sans m'en dire plus.
Je ne sais plus que penser.
Le voyage de retour se passe dans une tiédeur absolue.
Elle ne m'adresse la parole que pour le boulot, mais rien de plus, et sans égard.
Je me sens mal toute la journée.
Nous nous quittons à l'aéroport, froidement.
Je rentre chez moi.
Je ne veux pas la perdre.
J'appelle Marine à peine arrivé.
Répondeur.
Je réessaie.
Répondeur.
A la troisième fois, je laisse un message :
–
Marine, je suis désolé. Je suis maladroit. J'avais bu et j'ai dit des choses que je
n'aurais pas dû te dire. Tu es un équilibre professionnel, mais j'aime aussi être avec toi, te
voir. Je ne te dirais plus de telles choses. Pardonne-moi. Reste mon amie, s'il-te-plait, je
ne te harcellerais pas, je te le promets. Tu es trop importante à mes yeux.
Voilà, je crois que je me suis encore plus enfoncé, mais bon.
Comme par réflexe, je me connecte.
Discuter avec ma bohème. J'ai vraiment honte vis-à-vis d'elle aussi.
Mais j'ai besoin d'elle.
Il faut que l'on se voie, j'ai besoin de son visage, ou je vais devenir fou.
Je dois être honnête avec elle.
Je me sers un grand verre de whisky sec.
J'allume ma messagerie.
Elle n'est pas là.
Je bois mon verre, et elle n'est toujours pas là.
Je m'en sers un second.
Elle n'est toujours pas là.
Sur ma messagerie, je n'ai aucun message d'elle.
Bon, je me décide à l'appeler.
–
Le numéro que vous avez composé n'est pas attribué.
Comment?
J'ai dû me tromper de numéro.
J'essaie à nouveau.
Toujours le même message.
J'essaie de réfléchir.
Que se passe-t-il?
Je lui envoie un mail, lui indiquant que je n'arrive pas à la joindre et que j'ai envie de la
voir.
J'attends son retour.
Un mail me revient me disant que la boîte de messagerie n'existe pas.
Je ne comprends plus rien.
Je vérifie la boîte mail, et lui envoie à nouveau un message.
Même retour.
Je dois devenir fou.
Me connecter sur internet, sur des sites de dialogue, voir si je vois une bohème.
Rien.
Je passe ma nuit connecté.
Rien.
J'appelle sur sa ligne de multiples fois. Rien.
Je persiste sur les mails. Rien.
Je ne comprends plus rien.
C'est un cauchemar.
Ma bohème où es-tu?
J'ai envoyé des mails, la semaine. Tu m'as répondu.
Pourquoi ce soir.
Je me sers un troisième verre.
Je commence à me dire que cela doit être un problème technique.
Je persiste longuement, puis finis par aller me coucher.
Une disparition, une apparition
Je suis debout tôt.
J'ai peu dormi.
Je n'ai pas éteint ma messagerie de la nuit.
Je renvoie un mail... Correspondant non connu.
Je téléphone... Numéro inconnu.
Je deviens fou.
Je n'ai pas rêvé tout cela quand même.
Se laver, se préparer.
Je sais ou elle habite.
Y aller.
Une demi-heure de route.
Je me gare.
J'ai le cœur qui bat la chamade.
Si elle me laisse entrer, nous pourrons, si elle ne veut pas que l'on se voit nous parler de
deux pièces différentes, ou devant sa porte s'il le faut. Je resterai dehors. Lui parler, c'est
tout. Je ne suis pas fou.
Je fais le code et entre dans l'immeuble.
Je n'ai pas rêvé.
Je monte et me retrouve devant son appartement.
Je sonne.
Pas de réponse.
Je frappe.
Pas de réponse.
J'ai envie d'enfoncer la porte.
Je tente d'actionner la poignée pour ouvrir.
Surprise. La porte s'ouvre.
J'entre. Plus je m'avance dans l'appartement, plus je crois délirer.
L'appartement est vide de tout, et peuplé de poussière et de toiles d'araignées.
Je me sens en plein délire, en plein rêve.
Je me pince fortement.
Rien à faire.
Je me décide à aller voir le concierge.
Il me dit que personne n'habite ici depuis des mois.
Je lui dis que je suis venu dans cet appartement le week-end dernier.
Il me répond que ce n'est pas possible.
Je lui demande s'il y a la surveillance vidéo.
Il me répond que non.
Je pars de l'immeuble anéanti.
Je ne comprends plus rien.
Je rentre chez moi.
J'essaie à nouveau d'appeler, de lui envoyer des messages, sans succès.
Je ne sais que penser.
Boire.
Boire pour oublier.
Boire pour ne plus penser.
Boire pour ne pas devenir fou.
Je laisse tout allumé, au cas ou elle m'écrive.
Je finis par m'endormir je ne sais comment, je ne sais quand, sur le canapé du salon.
Même mon rêve éthylique est un délire.
Une voix vient me chuchoter : 'je viens te voir pour te rassurer, tu n'es pas fou. Je t'ai
préparé à ta vie et à celle que tu aimes et qui t'aime. Tu es prêt aujourd'hui. Ne change
pas, tu seras heureux. Aime-la, et ne sois jamais trop sûr de toi. Je t'observe.'
Je me lève, et me sens complètement désorienté, mais bizarrement, je ne me sens plus
fou.
Je passe ma journée cloîtré dans mon appartement.
Un coup de fil au hasard à ma bohème, sans résultat.
Un message, et rien de plus.
La journée se passe.
Je me dis que je ne vais rien pouvoir faire d'autre que de me faire porter pâle le
lendemain. Je ne suis pas à la hauteur de subir une journée de boulot, après ce week-end
de fou.
Le téléphone sonne soudain.
Je saute dessus. Ma bohème.
–
Allo.
Une voix en pleurs.
–
C'est Marine.
Je reviens à moi, et revois son visage angélique.
–
Oui Marine.
–
J'ai besoin de te voir.
J'ai envie de lui dire que moi aussi, qu'elle me sauve la vie, mais je n'ose pas, elle risque
de mal le prendre avec ce qui s'est passé en fin de semaine dernière.
–
Quand?
–
Maintenant.
–
Tu veux que je vienne, ou tu veux venir?
–
Je peux venir?
–
Oui, bien sûr.
–
Je ne te dérange pas?
–
Non.
–
Sûr.
–
Oui.
Quelques minutes plus tard, Marine sonne à ma porte.
Je lui ouvre.
Elle est en pleurs.
Je la prends dans mes bras et la serre fort.
Nous restons ainsi, devant l'entrée quelques minutes.
Elle finit par se calmer.
Je lui dis :
–
Viens te mettre à l'aise.
Je l'accompagne et l'installe sur le canapé du salon.
Je lui demande :
–
Tu veux boire quelque chose?
–
Quelque chose de fort.
–
Un whisky?
–
Oui.
Je nous sers un verre chacun.
Je pose le verre devant elle, et aussitôt, elle avale une gorgée gigantesque, avant de se
mettre à tousser fortement.
Je m'approche d'elle :
–
Bois calmement.
Elle s'énerve :
–
Oh, toi et ta morale.
Elle ajoute :
–
Je ne sais pas pourquoi je t'ai appelé. D'ailleurs, je vais partir.
J'essaie de la rassurer :
–
Je suis ton ami, j'ai été maladroit, mais essaie d'oublier, s'il te plaît.
–
C'est facile pour toi, dit-elle en pleurant.
–
Non.
Elle continue, à la fois énervée et en pleurs :
–
Il me fait cocu. Je ne l'aimais plus, mais il me fait cocu, tu sais ce que ça fait? Toi, tu
ne la connais pas, mais elle est pour toi. Mais moi? Moi. Je ne demande pourtant pas
grand-chose. D'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi je suis venu te voir.
Elle se lève, et veut partir.
Je la retiens et la rassois tendrement.
–
Marine, je suis flatté que tu sois venu me voir. Je viens de vivre le week-end le pire
de ma vie. Je n'ai plus rien pour moi. Et avant ce week-end, je me suis ridiculisé vis-à-vis
de toi. Tu ne peux tomber sur quelqu'un moins en forme que moi.
–
Je suis désolée, me dit-elle en reniflant.
–
Elle n'existe plus.
–
Je ne comprends pas.
–
Moi non plus.
–
J'en suis désolée.
–
Ne le sois pas. Tu vois, c'est peut-être pour me rappeler que je n'ai pas été honnête
avec elle.
–
A quel sujet?
–
Je ne veux pas en reparler.
–
Pourquoi?
–
Parce que, je dis des bêtises et je perds tous ceux que j'aime.
–
Des bêtises?
–
Oui, des bêtises. Mais tu me connais maintenant, je suis maladroit.
–
Et tu as toujours été honnête avec moi.
–
J'ai essayé.
–
C'est ce que j'ai aimé en toi. Et c'est pour ça que je suis là.
–
Je ne te cacherais jamais rien. Tu es mon amie.
–
Je ne savais pas à qui m'adresser.
–
Je serais toujours là, si tu as besoin.
–
Mais pourquoi? Me dit-elle en pleurant.
–
Parce que j'aime être avec toi.
–
Moi aussi.
Elle se calme et me demande :
–
Tu as peur de moi?
–
Non.
Je me sens surpris par sa question.
–
Pourquoi ne me parles-tu pas?
Je la regarde profondément, et le plus sérieusement du monde :
–
Je ne veux pas te perdre. Pour rien au monde.
–
Moi non plus. Je ne te l'ai jamais dit, mais c'est le cas.
–
Et, que dois-je te dire ? Ce que je pourrais te dire nous séparerais.
–
Tu en es sûr?
–
Oui.
–
Essaie. Toujours.
Je me lève et fait les cent pas.
Elle insiste :
–
Essaie, s'il-te-plaît.
Soudain, je me positionne, droit, face à elle :
–
Je vais te le dire, mais tu vas tout regretter, et moi aussi.
–
Mais nous serons honnêtes.
–
Je t'aime, voilà. Je sais que je vais te perdre en disant cela, mais c'est comme ça.
Je t'aime. J'aimais une femme sans visage, et j'imaginais le tien. Voilà. Je n'ai rien à dire
pour ma défense. Je ne voulais être que ton ami, travailler ensemble, mais voilà. Tu vois,
ne crois-tu pas qu'il valait mieux que je me taise ? Qu'est-ce qu'il va rester maintenant? Et
comment puis-je être crédible après t'avoir raconté ma vie? Qu'est-ce qu'on y gagne? Tu
vas me regarder comme un fou? J'étais bien en ta présence. Je voulais juste...
Marine se lève, et met sa main sur ma bouche.
Je me mets à pleurer.
–
Tais-toi.
Je me tais.
D'un ton calme et froid, elle me dit :
–
Je ne veux plus être ton amie.
Cette phrase m'assoit.
En quelques jours, tout perdre.
Je savais bien que le bonheur est de très courte durée.
Je perds tout, mais je perds surtout Marine.
Pourquoi t'es-tu livré?
Que va-t-il te rester ?
Je me mets les mains sur les yeux pour ne pas montrer ma détresse.
Je pleure.
Je veux baisser la tête.
Une main vient sous mon menton, douce comme lit de coton.
Elle me soulève le visage vers elle.
De son autre main, elle écarte mes mains de mes yeux.
J'attends le coup de grâce.
Et puis sa voix de cristal me murmure :
–
Je t'aime aussi.
A peine a-t-elle dit cela qu'elle m'embrasse.
Enfin le réel...
Nous nous aimons.
Moi et Marine.
Elle a quitté son boulot.
J'ai quitté le mien.
Nous avons tout quitté en fait, sauf nous.
Nous redémarrons notre vie.
Ailleurs.
Où?
Partout où nous pouvons nous aimer.
Elle est moi, je suis elle.
Et le virtuel?
Nous avons jeté nos ordinateurs, et nos télévisions, par la même occasion.
Passer sa vie devant des écrans, c'est trop bête.
Le virtuel m'a fait renaître, mais le réel me permet de vivre heureux.

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