Life time value

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Life time value
La dynamique de clientèle : segmentation
et valeur actualisée du client
Dominique Crié, Professeur Associé (IAE Lille)
Christophe Benavent, Professeur des Universités (IAE Pau)
Equipe de Recherche En Marketing
IAE de Lille
104, Avenue du Peuple Belge
59043 LILLE Cedex
Tél. : 03 20.12.34.64
Fax : 03 20.12.34.48
La dynamique de clientèle : segmentation
et valeur actualisée du client
Résumé
Cet article a pour objectif d'introduire la notion de Valeur Actualisée du Client et d'en
systématiser une méthodologie de mesure. Ce concept est ensuite appliqué à une évaluation
dynamique de la valeur des portefeuilles de clients. En conclusion, les possibilités d'utilisation
pour l'analyse stratégique des segments de clientèle est développée ainsi que quelques voies de
recherche.
Abstract
This paper aim to introduce the Customer Life Time Value concept, and try to
systematize a measurement methodology. This concept is then applied to a dynamic valuation
of the customer portofolios value. Exploration of the utility of this methodology for building
better customer portfolios management and the ways of research make the conclusion.
2
La dynamique de clientèle : segmentation
et valeur actualisée du client
L'analyse de la valeur actualisée des clients1 est une notion utilisée par certains
professionnels du marketing pour évaluer la valeur de leur portefeuille de clientèle. Celle-ci est
basée sur le même principe que l'évaluation d'une société. Au lieu de prendre la somme des
bénéfices futurs actualisés à un certain taux, on calcule la somme des revenus futurs produit
par un client ou un groupe de clients, représentant ainsi une part importante de la valeur de
l’entreprise (Bitran et Mondschein 1996, Blattberg XXXX). Cette somme peut être actualisée
par un critère monétaire (un taux d'inflation par exemple), mais également par un taux de
croissance des ventes au cours du temps et surtout par une probabilité de survie du client.
Cette idée assez simple permet d'envisager de manière nouvelle la gestion de la clientèle
d'une entreprise. Celle-ci ressemble alors à une activité d'exploitation de ressources naturelle.
L'objectif est d'exploiter au mieux un gisement détenu par l'entreprise, son fichier de clientèle,
et de trouver de nouvelles réserves à exploiter. Ce mode de gestion est aujourd'hui facilité par
l'existence de systèmes d'information marketing sophistiqués et puissants2. Le faible coût des
équipements informatiques, l'efficacité et la démocratisation des logiciels de gestion des bases
de données, ouvre à une évaluation individualisée des segments et des clients. Tous les secteurs
sont concernés, l'efficacité marketing passant par la connaissance du client et de son historique,
rendue possible grâce à l’enregistrement dynamique de son comportement dans des fichiers
spécifiques).
La principale difficulté posée par le calcul de la VAC résulte de l'estimation de la
probabilité de survie d'un individu, ou du moins d’un segment de consommateurs, mais aussi
dans l'évaluation des revenus futurs. Dans cet article nous présentons une méthodologie de
calcul de ces valeurs actualisées nettes des clients. Dans un premier temps, une définition de la
valeur actualisée des revenus futurs d'un client est proposée. Dans un second temps, les
méthodes d'analyse de survie sont sommairement présentées. Dans un troisième temps on
étudie l'évolution des revenus futurs par l'examen du concept de cycle de vie des ventes, lequel
s'appuie sur un principe d'apprentissage et d'usure.
1Plus
couramment on emploie l'expression américaine de (Customer) Life Time Value. On traduit cette
notion par Valeur Actualisée du Client (en employant par la suite l'acronyme VAC)
2
On pense notamment aux Datawharehouses ou entrepôts de données et au Datamining littéralement
forage des données
3
La cinquième étape de cet exposé consiste à tirer les conclusions de cet essai de
modélisation en explorant les conséquences managériales et stratégiques de l'utilisation de ce
concept. On s'attachera plus particulièrement aux implications de l’utilisation de la VAC sur la
procédure d'évaluation des segments et de choix d'une cible. En conclusion, les voies de
recherche sont explorées, notamment celles qui permettraient une meilleure modélisation.
Avant de présenter de manière détaillée les problèmes afférents à la mise en place d'une
méthodologie de calcul et d'utilisation des VAC, il est utile d'abord d'en donner une définition,
puis de l'éclairer d’un exemple simple. Cet exemple s'appuie sur des données réelles : les
données du fichier client d'une compagnie d'assurance.
1.
Définition de la VAC
Il convient de remarquer en préambule que cette notion de valeur du client ou d’une
clientèle a été développée initialement par les spécialistes de la vente à distance. C’est en effet
dans ce secteur que sont apparues les premières bases de données clientèle permettant de tels
calculs.
Comme bon nombre d’autres concepts en marketing, la Life Time Value ou VAC se
définit clairement au travers de sa mesure. En marketing direct, on a coutume de définir cette
notion comme étant le montant total de profit net qu’un consommateur génère durant sa vie
active au sein du fichier de l’entreprise. Mais cette définition doit être revue d’une façon
probabiliste : la VAC est la valeur actuelle de l’espérance future de profits qu’un
consommateur est susceptible de générer lors de ses achats ultérieurs. C’est donc le produit de
l’espérance mathématique de profits réalisés par un consommateur durant une période de
temps « t » et de la probabilité de survie de ce même consommateur à l’issue de cette période.
Une première expression de cette valeur en serait la suivante :
t
à l’issue d’une période t, VAC =
∑ E( X
t =0
0
 1 

) St (1 + At )
t
1
+
I
)
(
avec E ( X 0 ) l’espérance de gain à t=0, S t la probabilité de survie à la période t et At le
coefficient estimé de progression des ventes pouvant être constant sur les différentes périodes
et I le coefficient de dépréciation de la valeur des achats au cours des t périodes élémentaires.
At peut correspondre en fait à l’augmentation des ventes dues à la fidélité du client ou à sa
position dans son cycle de vie.
En général cependant, on suppose que l'évolution des revenus et celle des probabilités de
survie sont indépendantes. On sépare donc étroitement ce qu'un consommateur dépense s'il est
toujours client, et la probabilité qu'il soit encore client au moment t. Du point de vue du
comportement du consommateur, ceci signifie que l'expérience du consommateur formée par
l'accumulation de satisfactions et insatisfactions, des connaissances sur le produit et ses
concurrents, a un double effet : sur ce qu'il dépense, et sur le fait qu'il soit, ou non, client. Cet
effet d'expérience peut jouer différemment dans les deux cas. Néanmoins, ces deux aspects de
l'expérience vont se combiner pour former l'espérance de revenu cumulé sur la période t .
4
A partir du moment où un individu entre dans le fichier de l'entreprise à l'occasion d'un
premier achat, il peut être compté comme client. D'autres définitions peuvent être utilisées, par
exemple un seuil en terme de fréquence d'achat. Il conviendra en effet de définir exactement les
critères d'inclusion en fonction des spécificités propres à l'entreprise. La vie d'un client peut
s'interrompre à tout moment avec une certaine probabilité (Schmittlein, Morrison et Colombo
1987, Schmittlein et Peterson 1994). Cette mort peut être naturelle (disparition du fichier) ou
définie (définition d'un critère d'inactivité). La probabilité de survie d’un client est
naturellement décroissante, plus le temps passe moins il y a de chance que le client survive.
Pour caractériser la durée de vie d’un segment de clients, on utilisera ainsi la notion de demivie ou médiane de survie. Cette valeur correspond très exactement à la durée où l’on observe
la moitié de survivants, ou de manière équivalente, au temps "t" ou la probabilité de survie est
de 0.5.
De façon plus fine, on peut remarquer que l'évolution des revenus produits par les clients
dépend de deux facteurs principaux : le montant unitaire des achats (principalement lié aux
politiques de prix, de gamme....) et le volume de consommation (principalement lié au besoin).
Un facteur de fréquence d'achat peut être ajouté. Ces facteurs sont eux-mêmes expliqués par
d'autres variables : la position sociale, la situation familiale, le revenu, la position dans le cycle
de vie, le niveau d'éducation, mais aussi par certains événements tels que les naissances, le
mariage, la séparation, la perte d'emploi etc...C’est ici la notion de cycle de vie du client. On
verra plus loin que des hypothèses peuvent être formulées sur la forme des ces cycles de vente.
De plus à chaque période, le revenu produit doit être actualisé en fonction d'un taux qui
peut être soit un critère de TIR (Taux Interne de Rendement), soit un objectif de croissance,
soit simplement un taux d'inflation présumé. Ce taux peut aussi représenter un simple facteur
de myopie contrôlée. Si l'avenir est incertain, on peut souhaiter ne prendre en compte que la
valeur réalisable dans un délai très court. Dans ce cas, le taux d'actualisation sera choisi avec
une forte valeur. Une érosion artificielle de la valeur est introduite, celle-ci reflète l'aversion au
risque. On peut la comparer à une norme qui est celle d'une confiance absolue : le taux de
l'inflation. Elle agit comme un coefficient d’amortissement.
Les définitions précédentes peuvent être naturellement altérées pour correspondre à telle
ou telle situation pratique. Elles sont cependant suffisamment générales pour servir de guide
méthodologique. Un schéma général peut être esquissé :
Survie
Autres
variables
Quantité
Temps
Montant
Figure 1 : Modèle d'évolution d'un client.
Ce modèle graphique peut être retraduit en tenant compte de l’introduction de nouvelles
variables. On obtient donc pour l'ensemble des périodes, si on considère le temps comme une
5
échelle discrète, une définition mathématique de la valeur actualisée du client avec l'équation
suivante:
Vit = ∑t Sit Qit Pit
t
0
avec Sit = S0 e
1
(1 + I ) t
βX
Vit : valeur actualisée des revenus futurs du client i à la période t,
Sit : probabilité de survie du client i au bout de t périodes,
Qit : quantité consommée par le client i à la période t,
Pit : prix unitaire payé par le client i à la période t,
I : coefficient d'actualisation,
t : nombre de périodes après t0.
L'exemple numérique suivant illustre le calcul. Dans le tableau 1, cinq périodes sont
représentées. Chaque ligne correspond à une période. On trouve successivement le taux
d'actualisation calculé sur la base d'un taux d'inflation à 3%, la probabilité de survie d'un client
(dont le complément à 1 est parfois appelé taux d'attrition en marketing direct), le montant
d'achat unitaire à la période considérée (ici en milliers de francs) et la quantité de produits
achetée. La valeur du client à "t" est égale au produit de la probabilité de survie calculée au
niveau agrégé, du montant et de la quantité achetés. La valeur actualisée de chaque période
(dernière colonne) est alors la valeur du client pondérée par le taux d'actualisation. Les totaux
(dernière ligne) indiquent ainsi que compte tenu de l'inflation on diminue globalement la valeur
du client de 7,6%.
L'examen du temps montre également qu'à la seconde période le taux de survie global est
de 49%. La valeur actualisée d'une demi-vie de client, qui peut servir de référence pour les
comparaisons, est de 2+17+44=63, soit 47% de la valeur sur 5 ans. En terme d'exploitation
ceci signifie qu'en deux ans il est possible de réaliser la moitié de la valeur du client.
Périodes (t)
inflation
Actualisation
Survie à t
Montant à t
Quantité à t
Valeur à t
0
100%
100%
2
1
2
2
1
97%
70%
5
5
18
17
2
94%
49%
8
12
47
44
3
92%
34%
7
17
41
37
4
89%
21%
6
18
23
20
5
86%
16%
5
18
14
12
71
144
133
3%
total
Tableau 1: un exemple numérique de la VAC
6
VAC (t)
2.
La courbe de survie.
Le calcul des probabilités de survie peut être conduit en utilisant les techniques d'analyse
de survie (Droesbeke et Al. 1989). Dans cet article, on se limitera à utiliser l’une des méthodes
les plus simples, celle dite des tables de survie ou démographiques pour en introduire les
concepts de base.
Dans l'exemple d'application nous avons utilisé un fichier de 4780 individus. On possède
pour chacun d'entre eux, deux informations : la date d'entrée dans le fichier et la date de sortie
si il y a eu résiliation du contrat. Si le contrat n’a toujours pas été résilié à la date d’étude, les
observations sont dites censurées et les individus sont codés 0. Compte tenu de ces données,
une analyse de survie est conduite sur la base de la mesure des intervalles de durée de vie
(temps s'écoulant entre l'entrée et la sortie du fichier) et d'une variable de censure qui indique
que la durée de présence au sein du fichier est artificiellement interrompue par la date d’étude
(ce sont donc, des individus qui ne sont pas encore sortis du fichier et dont la durée de survie
nous est par conséquent inconnue).
L'analyse de survie est conduite à partir d'un petit nombre de définitions simples. La
première idée est qu'à chaque instant de la vie du client, il y a une certaine probabilité pour qu'il
disparaisse de la clientèle. Cette probabilité peut admettre une fonction de densité "f"
déterminée, telle que
f(t)= lim[Pr(t < T < t+dt)] quand dt tend vers 0
et qui représente la probabilité de subir l'événement à un instant donné. La fonction de
répartition F(t) mesure la probabilité que T soit inférieur à t, c'est à dire que l'événement se
produise avant un temps t donné; c'est donc la probabilité cumulée de décès avant un terme
donné :
F(t) = Pr(T < t),
Les données de survie sont donc composées d'une variable aléatoire positive "T"
(représentant la durée) et d'une variable binaire indicatrice de la survenue de l'événement étudié
(1 si décès et 0 si censure).
La première notion, celle de probabilité cumulée de survie est définie simplement comme
le complémentaire à 1 de la probabilité de disparition:
S ( t ) = 1 − F ( t ) = 1 − p( T < t ) = p( T ≥ t )
A partir de cette première définition, un second concept peut en être dérivé : celui de
fonction de risque. Elle est définie simplement comme le rapport de la fonction de densité de
probabilité sur la fonction de survie. Autrement dit c'est le rapport de la probabilité que l'on
disparaisse à un moment précis, sur la probabilité de survie jusqu'à ce moment. C’est donc une
probabilité conditionnelle. Si ce rapport est élevé cela signifie qu'il y a un taux de disparition
important, au contraire s'il est faible on enregistre un taux de sortie minimal.
h(t ) =
f (t )
f (t )
=
1 − F ( t ) S(t )
7
A partir de ces calculs on peut construire des tables de survie à l'exemple de celle
présentée dans le tableau 2.
L'analyse de survie des individus est faite par la procédure SURVIVAL de SPSS. Celleci permet de calculer les statistiques fondamentales de ce type de problème : les probabilités de
survie et le taux de risque. Sans entrer encore dans le détail des définitions, notons que la
probabilité de survie est la probabilité qu'un individu soit encore vivant au bout d'un certain
délai, et que le taux de risque peut s'interpréter comme le taux instantané de sortie (de décès).
Pour effectuer l'ensemble des calculs deux autres notions doivent être explicitées : celle
d'individu soumis au risque et celle de censure. La première notion signifie simplement qu'au
fur et à mesure que certains individus disparaissent (deviennent inactifs), l'ensemble des
individus soumis au risque diminue; la seconde notion est liée au fait que l'observation n'est pas
complète : certains individus au moment où s'arrête l'étude sont toujours actifs, sans que l'on
sache quand ils vont disparaître. Dans le tableau suivant on rassemble les caractéristiques de la
courbe de survie pour l'ensemble des individus du fichiers
EFFECTIFS
PROBABILITES
ERREURS TYPE
période survivants censures expositions Nb départs Tx survie Surviv.
Tx dép. Densité Tx risque Surviv. Densité Risq.
0
4746
0
4746,0
0
100%
100%
0%
0,000
0,000
0,000
0,000
0,000
1
4746
28
4732,0
2
100%
100%
0%
0,000
0,000
0,000
0,000
0,000
2
4716
454
4489,0
50
99%
99%
1%
0,011
0,011 0,002
0,002
0,002
3
4212
440
3992,0
141
96%
95%
4%
0,035
0,036
0,003
0,003
0,003
4
3631
379
3441,5
234
93%
89%
7%
0,065
0,070
0,005
0,004
0,005
5
3018
236
2900,0
185
94%
83%
6%
0,057
0,066
0,006
0,004
0,005
6
2597
175
2509,5
191
92%
77%
8%
0,063
0,079
0,007
0,004
0,006
7
2231
147
2157,5
173
92%
71%
8%
0,062
0,084
0,008
0,005
0,006
8
1911
140
1841,0
117
94%
66%
6%
0,045
0,066
0,009
0,004
0,006
9
1654
104
1602,0
85
95%
63%
5%
0,035
0,055
0,009
0,004
0,006
10
1465
103
1413,5
70
95%
60%
5%
0,031
0,051 0,009
0,004
0,006
11
1292
116
1234,0
49
96%
57%
4%
0,024
0,041 0,009
0,003
0,006
12
1127
140
1057,0
79
93%
53%
7%
0,043
0,078
0,010 0,005
0,009
13
908
120
848,0
51
94%
50%
6%
0,032
0,062
0,010 0,004
0,009
0,010
14
737
89
692,5
41
94%
47%
6%
0,030
0,061
0,011 0,005
15
607
68
573,0
38
93%
44%
7%
0,031
0,069
0,011 0,005
0,011
16
501
57
472,5
28
94%
41%
6%
0,026
0,061
0,011 0,005
0,012
17
416
46
393,0
17
96%
39%
4%
0,018
0,044
0,012 0,004
0,011
18
353
48
329,0
12
96%
38%
4%
0,014
0,037
0,012 0,004
0,011
19
293
37
274,5
13
95%
36%
5%
0,018
0,049
0,012 0,005
0,013
20
243
32
227,0
4
98%
35%
2%
0,006
0,018
0,013 0,003
0,009
21
207
20
197,0
6
97%
34%
3%
0,011
0,031
0,013 0,004
0,013
22
181
18
172,0
9
95%
33%
5%
0,018
0,054
0,014 0,006
0,018
23
154
16
146,0
6
96%
31%
4%
0,013
0,042
0,014 0,005
0,017
24
132
14
125,0
5
96%
30%
4%
0,013
0,041
0,015 0,006
0,018
25
113
8
109,0
0
0%
30%
0%
0,000
0,000
0,015 0,000
0,000
Tableau 2: un exemple de table de survie
Cette approche globale du taux de rétention des clients peut être individualisée et affinée
par l’utilisation du modèle décrit en 1972 par Cox. L’idée principale de ce modèle est qu’il est
possible au niveau global de calculer une fonction de survie de base ( S0 ) qui sera modulée par
l’influence de covariables explicatives. La formulation générale de ce modèle est la suivante :
S(t) = [S0(t)]p
où p = e(B X).
8
3. Le cycle de vente
Si précédemment nous avons vu comment modéliser la probabilité de survie d'un client, il
reste encore à modéliser son cycle d'achat. La vie d'un client peut se manifester de manière plus
ou moins intense, certains supposent qu'elle a la forme d'un cycle. Dans certains cas elle peut
être plus complexe et présenter des variations distinctes du volume et de la fréquence, quand
ce ne sont pas des variations concomitantes sur plusieurs produits ou catégories de produits
comme ce sera le cas en VAD3.
Pratiquement la modélisation du cycle de vente est plus variée que celle de la survie.
Essentiellement basée sur des modèles de régression, sa particularité réside dans le triple fait
d'une dépendance au temps, de l'appartenance à une cohorte et de l'effet de l’âge. Ces trois
sources de variations difficilement discernables sont celles que l'on retrouve dans les études de
cohortes (Glenn 1977).
La dépendance au temps, traduit l'évolution générale des ventes. Elle représente en
particulier l'évolution du pouvoir d'achat, mais aussi les modes, l'évolution des préférences, des
phénomènes d'apprentissage et d'oubli. On peut supposer aussi que le cycle individuel des
ventes est lié au cycle de vie du produit. Globalement, ce facteur est un facteur de tendance.
Le deuxième effet est celui de l’âge. Au cours du vieillissement des évolutions
caractéristiques des opinions, des goûts et des attitudes peuvent se manifester4. Le
vieillissement se caractérise notamment par une fidélité plus forte, un plus grand conservatisme
une plus grande sensibilité au risque...
Le troisième facteur, est celui de la génération. Cette influence s'appuie sur l'hypothèse
que les générations successives possèdent un système de valeurs et de croyances propres et
relativement distinct des autres. Cet effet de génération recouvre partiellement des types
d'expériences distincts. Ceci ce manifeste dans les comportements innovateurs qui varient selon
l'écart entre l'innovation et la génération. C'est ainsi que si les enfants adoptent sans problème
l'innovation des jeux vidéos, il est probable que plus tard ils n'accepteront pas ou difficilement
les jeux de rôles holographiques, non pas parce qu'ils sont plus âgés, mais simplement parce
que, apparaissant après l'émergence de cette génération, ces produits ne feront pas partie du
champ perceptif de ces individus.
Comme on l'aperçoit dans l'exemple précédent, ces trois facteurs souffrent d'un problème
de confusion. Il est très difficile de discerner leur influence respective, ceux-ci étant fortement
corrélés. Sur un plan pratique ce fait est de peu d'importance, si la corrélation est forte, le
modèle sera bien prédictif. Sur le plan théorique, cette situation interdit la connaissance précise
des causes d'évolution, ce qui limite les investigations stratégiques . Les implications en matière
de segmentation sont considérables. Doit-on segmenter les générations et faire évoluer avec
elles des offres spécifiques? Doit-on ouvrir sur une fenêtre d’âge quitte à voir la population se
renouveler rapidement ( renouvellement complet des 13-17 ans en 4 ans)?
3
Vente à Distance
4Voir
pour des éléments relatifs à ces évolutions les travaux récents de Stoetzel.
9
Dans tous les cas on peut aborder l'évolution du cycle de vente ou cycle de vie du client
de manière simple. La réflexion s'appuie sur une analyse en cohortes qui consiste à étudier la
relation entre le temps et le cycle de vente. Plusieurs modèles permettent d'approximer les
principaux scénarios illustrés dans le graphe suivant (figure 1). Les allures de quatre modèles
simples fonction du temps y sont illustrés. Ces modèles correspondent à des hypothèses plus
ou moins affinées, ainsi qu'à des réductions de la réalité. Le modèle linéaire est le plus simple, il
décrit une tendance monotone. Le modèle quadratique est le plus commode des procédés pour
ajuster une évolution dont on suppose qu'elle possède un maximum au cours de la période
étudiée. Le modèle cubique sera utile si l'on pense que le phénomène possède deux pic (par
exemple les phénomènes de cycle-recycle comme les voyages, fréquents dans la jeunesse, ils
baissent à l'âge mur à cause des enfants et remontent avec le temps de la retraite). Les autres
modèles polynomiaux ont la propriété gênante de pouvoir s'ajuster à n'importe quel type de
courbe, plus le degré en est élevé et plus nombreux sont les éléments du temps, plus les risques
de multicollinéarité sont importants. Le dernier modèle, non linéaire, est le modèle logistique
de croissance. Utilisé sous des formes plus élaborées, il reproduit les phénomènes de transition
d'un état à un autre.
temps
quadratique
Cubique
C roissance
linéaire
Figure 1: différents modèles possibles du cycle de vente
Cependant, la prise en compte du temps est insuffisante, il s'agira aussi d'évaluer
l'influence d'autres variables susceptibles d'augmenter ou d'affaiblir la consommation. Ces
variables sont aussi candidates à la détermination des courbes de survie. Il s’agit notamment
des indicateurs de position sociale, des indicateurs de socialisation etc.. Ils peuvent être
introduits sous deux formes : soit comme variable d'état n'évoluant pas dans le temps, soit
comme des prédicteurs évoluant au cours du temps (cf le modèle de Cox 1972).
Pour rester général on pourra modéliser le cycle de vente grâce à deux équations
combinées : d'une part celle des montants unitaires et d’autre part celle des quantités achetées.
Ces deux valeurs peuvent être déterminées différemment par les mêmes variables explicatives:
Qit = gi (t ) + ∑ γ kt X ikt + ε i
M it = f i (t ) + ∑ β kt X ikt + ε i
k
k
avec
10
gi (t ) la forme fonctionnelle du cycle de vie des quantités achetées pour l’individu i,
f i (t ) la forme fonctionnelle du cycle de vie des montants achetés pour l’individu i,
X ikt variable indépendante k pour l’individu i à la période t,
γ kt et β kt deux vecteurs de paramètres à estimer.
4.
LTV et segmentation
Si le modèle général est assez simple, se pose la question du niveau de son évaluation :
peut-on l'estimer individuellement? Doit-on se limiter à l'étude d'un certain nombre de
segments? L'étude doit-elle porter sur l'ensemble de la population?
Deux types d'arguments doivent être invoqués pour répondre à cette question. Les
premiers se réfèrent à un problème d'estimation statistique, les seconds à des motifs
stratégiques.
D'un point de vue statistique, l'estimation d'une courbe de survie peut être individualisée
dans le sens où l'on retient des facteurs exogènes qui peuvent influer sur la forme de la courbe
de risque. Cependant ces facteurs sont généraux et correspondent à des événements ou des
facteurs agissants au cours de l'étude, c'est à dire dans le passé. Comme toutes les méthodes de
prévision cela suppose que le futur est identique au passé. Seuls les événements prévisibles
peuvent être introduits dans la courbe de survie. Une question corrélative est de savoir si l'on
peut introduire dans les modèles de survie des facteurs variables dans le temps: cette question
est résolue par l’utilisation du modèle développé par Cox (1972). S'ajoute à ces remarques,
l'idée, qu'il faille suffisamment d'observations pour faire une estimation. S'ajoute encore le fait
que la courbe de risque est commune, seul le facteur de proportionnalité varie. Il résulte de ces
remarques que seule une estimation sur des segments suffisamment grands peut être envisagée.
Stratégiquement, la réponse dépend du problème posé : la gestion individuelle est
attirante mais peu praticable. L'intérêt général des VAC se réfère plutôt à des problèmes de
gestion de portefeuilles de clientèle. L'objectif est d'arriver à une meilleure connaissance de la
valeur réelle de chaque segment ce qui permet une gestion prévisionnelle du marketing.
L'exemple suivant illustre parfaitement le problème: pour 4 segments on a calculé leur VAC,
pour les 4 années futures. On s'aperçoit ainsi que le segment C prendra la première place en
terme de valeur au cours des années à venir (figure 2).
11
100%
90%
80%
70%
Segment D
60%
Segment C
50%
Segment B
40%
Segment A
30%
20%
10%
0%
1
2
3
4
Figure 2: VAC et segmentation
Dans la continuité de cette réflexion qui favorise une approche par segments, évoquons
la question des cohortes. Compte tenu de l'évolution des courbes de survie, la valeur d'un
segment de clientèle tend à diminuer avec le temps (ici le segment est relatif à un ensemble
d’individu saisis au temps t). Les seules augmentations de valeur possibles dépendent d'un
accroissement soit du volume soit de la valeur des achats. Mais ce fait est improbable (on
risque au mieux d'avoir une stabilisation à niveau élevé, et plus couramment une fonction en U
inversé). Ce fait souligne l'idée qu'un segment est mortel, qu'il ne se renouvelle que par entrée
de nouveaux clients. Il sera donc souhaitable d'opérer une segmentation par cohorte au sein de
chacun des segments de référence pour apprécier plus finement les effets de valeur.
Une supposition importante est faite dans cette perspective : on examine des segments
qui ont été fixés une fois pour toutes. Il faut ainsi prendre en considération une certaine
dynamique des segments qui sera mise en évidence par l’analyse des valeurs cohorte par
cohorte. L'option contraire est de supposer qu'un client peut, d'une période à l'autre changer de
segment d'appartenance. Dans ce cas précis une approche dynamique différente doit être
employée : il s'agit des processus semi-markoviens. Il s'agit ici d'une méthode qui évalue non
seulement la valeur des segments, mais surtout la qualité de la segmentation. Cette méthode
suppose que le choix d'une segmentation dure le temps de son exploitation.
De la première option il ressort alors que la VAC au niveau de l’ensemble des segments
correpondra à la somme des VAC de chacune des cohortes soit:
g
g
T
VAC = ∑ VACg = ∑ ∑ Vitg Sitg
g =1
g =1 t = 0
1
(1 + I )
avec
g le nombre de cohortes,
Vitg la valeur du client i au temps t dans la cohorte g
Sitg la probabilité de survie du client i au temps t dans la cohorte g.
12
Dans cette perspective, on comprendra mieux les stratégies de fidélisation, qui visent
simplement à infléchir les courbes de survie, tout en augmentant la valeur par période, et les
stratégies de recrutement qui visent à renouveler le capital de valeur. Mieux, l'analyse en terme
de LTV conduit à affiner les stratégies de fidélisation, en déterminant la période pendant
laquelle le rendement est le meilleur.
5. Applications stratégiques
L'application stratégique de la notion de valeur actualisée des revenus futurs produits par
un client est à la fois évidente et difficile. L'évidence provient de ce que la valeur actualisée
d'un client est une idée tout à fait intuitive qui correspond bien à certaines pratiques telles que
celles d'évaluer un commerce par un multiplicateur de CA. La difficulté provient de ce que
cette valeur n'est pas plastique. Détenir un stock de CA au travers d'un segment de clients ne
garantit pas d'en profiter dans le futur. De plus ce stock n'est pas liquide; il n'est pas possible de
le réaliser instantanément.
La notion de VAC est de ce point de vue un indicateur qui ne prend de sens qu'avec le
temps. Il vaut mieux en effet évoquer de ce point de vue la valeur actualisée d'une clientèle à
un moment donné. L'idée de LTV s'exprime le plus précisément lorsqu'on considère que les
comportements des consommateurs ne se modifient pas durablement, que la situation
concurrentielle reste constante et que l'action marketing a une pression identique.
Le rôle de la LTV est de projeter une valeur d'une clientèle à travers le temps. Elle
permet éventuellement d'en simuler le comportement sous des hypothèses de politiques de
recrutement différentes. L'application de ce concept réclame une autre gamme de techniques,
celle des analyses en cohortes.
6. Conclusions et voies de recherche
Précédemment la définition de la valeur actualisée du client a été donnée ainsi qu'une
approche méthodologique de sa mesure. On s'est ensuite rendu compte que cette approche
prenait tout son sens dans le cadre d'une double segmentation : segmentation comportementale
d'une part, segmentation par cohorte d'autre part. Cette double segmentation permet de mieux
évaluer l'évolution de la valeur. Chaque cohorte, au sein de chaque segment faisant l'objet d'un
modèle spécifique, il est possible de simuler l'évolution de l'ensemble de la population et de
chacun des segments.
Le développement des méthodes de calcul des valeurs actualisées des clients peut
prendre trois directions générales. La première va dans le sens de l'amélioration des modèles de
survie notamment en ce qui concerne la prise en compte des censures et troncatures gauches.
La seconde est ouverte à l'exploration des cycles de vie de client. Existent-il des modèles
stables de cycle de vie des achats? Comment les modéliser? La troisième direction est plus
13
managériale. Elle consiste à mieux comprendre comment ces concepts peuvent être utilisés
pour développer des plans stratégiques équilibrés et profitables.
L'amélioration des modèles de survie ne pose aucun problème important. De grands
progrès en matière de modélisation ont été réalisés par les biostatisticiens, les qualiticiens et
d'autres. Le travail principal est un travail de transfert et de tests empiriques de ces modèles, au
premier plan desquels on situe le modèle de Cox. Trois grandes familles se partagent le
domaine : les approches paramétriques, non paramétriques et semi-paramétriques. A côté de
ces modèles, se sont aussi développés des modèles de flux, processus markoviens dont les taux
de transition d’un état à un autre sont dépendant d'un vecteur de variables.
La seconde direction de recherche est moins facile. Elle s'appuie sur la conjecture
suivante : la vie de la relation d'achat entre une marque, un produit, une enseigne et un
consommateur se caractérise par l'évolution au cours du temps de la quantité consommée. Le
début du cycle est assez compréhensible. Marqué par le processus d'adoption et un processus
d'apprentissage il se manifeste par un taux de croissance de la consommation, positif. Dans une
seconde phase on peut supposer que le consommateur stabilise son niveau de consommation
après avoir suffisamment exploré l'usage de la marque. La diminution des ventes peut
apparaître à tout moment soit de manière progressive, dénotant un processus d'usure ou de
manière plus brutale, traduisant là des phénomènes de substitution. L'identification de schémas
d'évolution type est ainsi une priorité de la recherche empirique. Elle permettrait de justifier
l'emploi de modèles généraux.
La troisième direction de recherche est sans doute celle qui a l'aspect le plus théorique
mais qui peut être le plus directement utile au manager. Il s'agit de développer les notions de
portefeuille de clients en complément voire en substitut des portefeuilles de produits. Ce style
d'analyse permet ainsi de valoriser un actif fondamental qui est celui du fond de commerce. Les
clients détenus en portefeuille représentent une certaine valeur dont seule une partie est
exploitée à un moment donné. Cette gestion des portefeuilles de clients devra également
prendre en compte de la notion de risque ou de vulnérabilité attachée à certains segments
particuliers.
Des questions importantes telles que la capacité d'exploitation d'une valeur, se posent.
Par exemple, est-il possible par l'action marketing d'infléchir le cycle de vie du client de
manière à gérer dans le temps le flux des revenus? Comment peut-on augmenter les
probabilités de survie et donc accroître la valeur. De ces différents points de vues peuvent être
esquissées des stratégies de portefeuille de clients différentes:
Celles-ci peuvent être classées selon la grille suivante :
Augmenter les réserves
Ne pas augmenter les réserves
Réaliser la valeur
exploitation équilibrée
exploitation
Economiser la valeur
Capitalisation
économie
14
Ainsi au marketing produit on substitue un marketing client, concept rejoignant la notion
de rétention de clientèle, prolongement, s’il en est, des politiques de fidélisation.
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15

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