« Un président politique »
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« Un président politique »
entretien par Françoise Vlaemÿnck « Un président politique » Scientifique 1 et militant de la première heure de la lutte contre le sida, Bruno Spire, 47 ans, a été élu président de Aides à l’issue du congrès national de l’association en juin dernier. Avant cette élection, il présidait Aides-Rhône-Alpes-Méditerranée. Entretien. Vous avez déclaré souhaiter que l’innovation redevienne l’un des principaux objectifs de Aides. Existe-t-il déjà des projets précis dans ce domaine ? Oui. Nous réfléchissons particulièrement à la diversification de l’offre de dépistage – que nous jugeons insuffisante –, grâce à des dispositifs de dépistage communautaire par les pairs. Il ne s’agit pas de concurrencer les centres existants, mais d’être complémentaires, afin de capter d’autres publics et des groupes qui ont envie et besoin de recourir fréquemment et facilement à un test. Nous allons rapidement lancer diverses expériences. Nous souhaitons aussi mettre en place une université de la prévention et de la sexualité dédiée aux personnes homosexuelles. L’objectif n’est pas seulement de donner de l’information, mais de leur permettre d’acquérir des compétences et des capacités de négociation. 1 Virologue de formation, spécialiste du VIH, Bruno Spire dirige une équipe de chercheurs en sciences sociales sur le VIH à l’Inserm. 2 Coordinations 3 Centres humaine. régionales de lutte contre l’infection à VIH. d’information et de soins de l’immunodéficience Qu’attendez-vous du gouvernement et particulièrement du ministère de la Santé ? Qu’il considère que le VIH est important ! Je ne suis en effet pas tout à fait sûr qu’il figure dans les priorités actuelles du gouvernement. Quant au ministère de la Santé, reste à savoir quels seront son poids et sa marge de manœuvre dans les décisions du gouvernement qui, pour l’heure, semble plus occupé par les lois sur l’immigration que par la santé. Dans ce contexte, je suis d’ailleurs très inquiet sur le droit au séjour des personnes malades. Comptez-vous mener de front vos recherches scientifiques et votre activité militante ? Je l’espère bien ! Je pense d’ailleurs que Aides n’a plus besoin d’un président à plein temps. L’association est maintenant solide et possède une direction générale qui l’est tout autant et est à même de prendre en charge l’activité opérationnelle de l’association. Pour ma part, je pense qu’il faut dissocier le politique du technique. Et je veux être un président politique afin, entre autres, de pouvoir prendre du recul par rapport à ce que nous faisons au quotidien. Par ailleurs, je souhaite tisser des liens plus étroits avec les associations de lutte contre le sida, dont Sidaction. Chacun a un rôle à jouer dans ce combat. Et nous ne devons pas nous quereller, nous diviser, nous tromper d’ennemis. Transversal n° 38 septembre-octobre entretien Vous souhaitez également que Aides soit « moteur dans l’animation des Corevih 2 », comment ce vœu se traduira-t-il ? Au préalable, je veux souligner que Aides s’est mobilisée dès l’annonce de la réforme des Cisih 3. Cet engagement s’est ensuite relâché, car sa mise en œuvre a traîné et que nous ne pouvions maintenir indéfiniment la pression sur les délégations. Aujourd’hui, les Corevih se mettent en place et les listes de représentants interassociatifs sont en passe d’être établies, mais je ne suis pas certain que tout le monde ait pris conscience des enjeux que sous-tend l’installation de ces coordinations. Être moteur de ce nouveau dispositif signifie qu’il faut continuer à former et informer nos volontaires et les associations sur le rôle et les objectifs de cette nouvelle instance pour qu’ils y prennent pleinement part. Si les représentants ne sont pas dynamiques ou ne se sentent pas légitimes par rapport aux médecins, on risque de retomber dans les travers des Cisih avec une mainmise des hospitaliers sur ce réseau. Par ailleurs, vous appelez à une coalition internationale des associations de lutte contre le sida, pour quelle raison ? Aujourd’hui, les personnes touchées ou concernées par le VIH sont absentes des organes décisionnels et des postes à responsabilité des organismes humanitaires. De surcroît, les associations de malades n’ont aucun rôle politique alors que bien souvent elles contribuent largement à la prise en charge des malades, voire bâtissent le système de santé comme en Afrique subsaharienne. Il nous faut donc mieux afficher et valoriser ce travail afin de défendre l’idée que les malades sont des partenaires, et peser ainsi sur les décideurs de santé publique au niveau international. Je pense qu’une coalition peut donner cette visibilité. Nous avons déjà pris des contacts avec plusieurs structures afin de réfléchir à la manière dont elle pourra être organisée. 7