ReconquistA à lA Russe - Institut de l`entreprise
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Livres & idées ReconquistA à lA Russe Bernard Cazes P our essayer de comprendre ce qui s’est passé en Géorgie, prenons un peu de recul et remontons jusqu’aux conséquences de la Première Guerre mondiale. Quatre empires – trois européens et un situé à cheval entre l’Europe et l’Asie – cessèrent d’exister. Que devinrent-ils ? Au chevet des quatre empires d’antan Le plus durement atteint fut l’Empire austrohongrois, qui fut dépecé pour donner naissance à toute une série de micro-nations, et l’Autriche (« c’est ce qui reste ! » disait avec mépris Clemenceau) était bien incapable d’en recoller les morceaux. Le même processus de fragmentation s’amorça pour l’Empire ottoman. Il fut néanmoins interrompu par Kemal Atatürk, qui réussit à en sauvegarder le noyau proprement turc en remplaçant l’ex-Sublime Porte par un État républicain laïc. Après le trop bref interlude de la République de Weimar, l’Allemagne a connu avec le IIIe Reich un court et sinistre épisode impérial qui se serait étalé sur tout le continent européen moyennant un gigantesque nettoyage ethnique. . Sa « saga » vient de faire l’objet d’un remarquable portrait dû à l’historien Mark Mazower (Hitler’s Empire, Penguin, 2008). Et l’Empire russe ? Le processus a été ici fort différent. Le régime tsariste a très vite disparu dès février 97. Après la révolution bolchevik, et une guerre civile d’une rare sauvagerie, la Russie n’a finalement perdu « que » la Pologne et les pays Baltes (plus la Finlande, maintenue il est vrai dans cette situation particulière qu’on a pendant longtemps qualifiée de «finlandisation »). Elle les a ensuite « regagnés » grâce au pacte germano-soviétique et à l’accord de Yalta, pour en reperdre une partie plus importante à cause de ce que M. Poutine a appelé – sans rire – « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Pré carré Il est possible que nous soyons en présence d’une tentative de « reconquista » des terres ex-soviétiques ou de ce qu’à Moscou on appelle, je crois, l’étranger proche – il serait d’ailleurs plus juste de parler d’étranger trop proche… La reconquête en question concerne toutefois des territoires de statuts fort différents. Il y a d’abord ce que j’appellerai la promotion « Yalta », du nom de l’accord qui leur a valu le douteux privilège de tomber dans la zone d’influence de la Russie, ce qui couvre toutes les anciennes démocraties populaires d’Europe centrale et orientale. Il 4 ème trimestre 2008 • 131 Livres & idées est infiniment peu probable qu’ils fassent l’objet d’une OPA de la part de la Russie. En revanche, on notera l’existence d’un groupe à haut risque – appelons-le la promotion « Mur de Berlin » – regroupant les États issus de la dissolution de l’Union soviétique, car ils pourraient acquérir sans l’avoir demandé un « droit de retour » dans la mère patrie, ledit retour portant à la fois sur les individus et le territoire où ils résident. Déjà, au mois de juin dernier, le Financial Times publiait une mise en garde de deux observateurs, Ron Asmus et Mark Leonard, soulignant que Moscou semblait décidé à provoquer Tbilissi et à pousser les Géorgiens à une intervention militaire qui les discréditerait et ruinerait tout espoir d’adhésion de leur part à l’Otan. Il est encore trop tôt pour avoir une idée précise de ce que recherche Moscou : les Russes veulent-il réaliser ce qu’on appelait avant 94 la russification des allogènes ? Se contenteront-ils d’une finlandisation généralisée des territoires revendiqués qui les rendrait géopolitiquement inertes ? Après tout, une Géorgie où ne passerait aucun oléoduc en provenance de la mer Caspienne pourrait être très acceptable vue de Moscou… Pour l’instant, les États-Unis et l’Union européenne donnent l’impression d’incarner la paire classique où le flic méchant, détenteur du hard power, est accompagné du flic sympa incarnant le soft power. Mais le premier flic est très endetté vis-à-vis de la Russie, et le second est fort . Offre publique… d’annexion ! . Ron Asmus, directeur du German Marshall Fund à Bruxelles, et Mark Leonard, directeur de l’European Council on Foreign Relations, auteurs de « Get involved over Georgia or invite a war », Financial Times, 3 juin 2008. 132 • sociétal n°62 dépendant du gaz et du pétrole en provenance de cette même Russie. « Failed states », démocratrie et croissance… Pour vous changer les idées, je conseillerai volontiers de feuilleter le dernier numéro (dans l’une ou l’autre version, anglaise ou française) de Foreign Policy. Premièrement, dans la série « il y a toujours plus malheureux que nous », on trouvera le classement le plus récent des failed states, les États « en échec ». On en retiendra les trois États qui ont légèrement progressé, à savoir la Côte d’Ivoire, le Liberia et Haïti. On retiendra aussi le fait que les deux États ayant régressé – le Bangladesh et le Pakistan – sont les deux principaux pourvoyeurs de casques bleus des Nations unies. Et ils se trouvent opérer précisément dans les trois pays ayant enregistré quelques progrès l’année dernière… Nettement plus réconfortant est l’article d’un professeur de la Sloan School of Management du MIT, Yasheng Wang, qui, à partir d’une comparaison Chine-Inde, montre de façon assez convaincante que la démocratie, loin d’être très défavorable à la croissance économique, constitue pour elle un environnement tout à fait propice. Il note au passage un exploit peu connu de la Chine : avoir dans les années 990 réussi à construire près de 000 gratte-ciel à Shanghai, et à ajouter durant cette même décennie 0 millions de Chinois illettrés.