Embarquement pour le futur

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Embarquement pour le futur
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AERONAUTIQUE : CONTRÔLE DU TRAFIC AERIEN
Embarquement
pour le futur
Le trafic aérien devrait doubler d’ici à 2030.
Pilotes et contrôleurs doivent disposer de nouveaux
moyens technologiques. Faute de quoi, les retards
vont se multiplier. Et les coûts s’envoler.
Matthew Stibbe
« N147GT, montez au niveau 120 et
virez à droite, au cap 110, puis contactez
Londres sur 118.575. » Ces instructions
sont celles couramment fournies aux
avions décollant d’un aéroport londonien
et mettant le cap à l’est, en direction du
continent. Chaque configuration de vol –
montée, descente, attente, changement
de cap ou transfert vers un autre centre
de contrôle –, nécessite un appel radio
similaire que le pilote doit répéter au
contrôleur du trafic aérien.
Lors d’un vol reliant Londres aux
Pays-Bas, un pilote peut ainsi recevoir 40
ou 50 appels de ce type, et communiquer
avec huit contrôleurs, voire plus, pendant
que l’avion traverse différents secteurs
géographiques pour un vol qui ne durera
finalement qu’une soixantaine de
minutes. Il en va de même des 28 000
vols qui sillonnent chaque jour l’Europe.
Une fréquence radio donnée ne peut
être utilisée que par une seule personne à
la fois. Dans un secteur encombré, au pic
de trafic de la journée, le flux d’instructions
est donc quasiment constant.
L’évolution du trafic aérien
En Europe, aux temps héroïques des
aéroplanes, les pilotes se repéraient avec
des cartes sommaires et naviguaient à
l’estime, en se basant sur un point de
passage identifié.
La Seconde Guerre mondiale verra la
naissance de la radio-navigation, avec des
radio-balises permettant de trouver sa
route, du vol sans visibilité dans les
couches nuageuses, avec des
instruments électromécaniques tel que
l’horizon artificiel ; du radar et des
transpondeurs, permettant aux
contrôleurs au sol de savoir où se trouve
l’avion ; et du radiocontrôle, permettant
de dire au pilote vers où se diriger. Après la
guerre, ces apports technologiques
deviendront courants dans l’aviation
commerciale.
La gestion du trafic aérien connaîtra
une nouvelle évolution au cours des
années 1960 et 1970. Les contrôleurs
sont ainsi passés des bandes de
progression de vol manuscrites à des
messages imprimés par ordinateur. Les
transpondeurs ont évolué, permettant
aux contrôleurs de bénéficier de blocs
de données associés aux échos radar,
fournissant diverses informations telles
que l’altitude et l’indicatif d’appel.
L’automatisation va se poursuivre
dans les années 1980, et au début de la
décennie suivante, avec une meilleure
précision de navigation. La navigation par
En bref
1
De la notion de
« contrôle » du
trafic aérien, on
est passé à l’idée
de « gestion »
du trafic.
2
L’augmentation
du trafic aérien
dans le monde
nécessite un
changement de
paradigme dans
la manière de
gérer celui-ci
globalement.
3
La prise de
décision
dans la gestion
du trafic aérien
nécessite
désormais des
systèmes plus
performants et
une technologie
rationalisée.
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Nouveau système ATC pour la France
Un nouveau système de gestion du trafic aérien introduit en France intègre des
dispositifs avancés de traitement des données, des affichages sophistiqués et des
logiciels de gestion. Mis en œuvre par Thales, ce système permettra de remplacer
les bandes de progression manuscrites par un système électronique. En utilisant les
liaisons de données et autres technologies nouvelles, il réduira la charge de travail
des contrôleurs et sera conforme au futur standard SESAR, gage de pérennité.
« Lors d’un vol reliant Londres aux
Pays-Bas, un pilote peut ainsi recevoir
40 ou 50 appels de ce type, et
communiquer avec huit contrôleurs,
voire plus, pendant que l’avion traverse
différents secteurs géographiques
pour un vol qui ne durera qu’environ
soixante minutes. »
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AERONAUTIQUE : CONTRÔLE DU TRAFIC AERIEN
satellite devient à cette époque chose
courante, venant compléter utilement les
balises sol et les systèmes de navigation
inertielle. La gestion centralisée du trafic
aérien, illustrée notamment par Eurocontrol,
permettait désormais d’interdire le décollage
tant que des contrôleurs en route n’étaient
pas en capacité de prendre l’avion en charge.
L’avionique embarquée dans le cockpit a
également évolué, avec l’adjonction de
systèmes de suivi de terrain et de systèmes
anti-collision.
A nouveaux problèmes,
nouvelles technologies
Alors que le trafic augmentait, la gestion du
trafic aérien a plus ou moins réussi à suivre
le rythme, avec une meilleure prévisibilité
des vols, qui devenaient aussi plus sûrs et
plus efficaces. Cette évolution restait
cependant bridée par les contraintes d’un
système n’ayant pas fondamentalement
changé depuis plusieurs décennies.
Une visite au centre de contrôle du trafic
aérien de Londres, au début des années
1990, permettait de se faire une idée précise
de la situation à l’époque. C’est là
qu’opéraient quelques-uns des contrôleurs
aériens ayant l’un des plans de charge les
plus lourds du monde.
Malgré ces lourdes responsabilités, ils
en étaient encore à utiliser des ordinateurs
« vintage » PDP-11, fleurant bon l’ambiance
aujourd’hui rétro des James Bond de
l’époque. Le hall principal dans lequel
évoluaient les contrôleurs, collés à leurs
écrans, aurait fort bien pu passer pour le
repaire inquiétant de quelque Dr No
espionnant le monde.
Ces hommes et ces femmes étaient
pourtant d’impeccables professionnels. Mais
la technologie qu’ils utilisaient était dépassée.
Leur déménagement dans les nouvelles
installations de Swanwick, à la fin des années
1990, laissait augurer des bouleversements
dans le monde de la gestion du trafic aérien.
Trajectoires de précision 4D :
Séparation automatique en vol :
Imaginez un avion capable de suivre
une trajectoire complexe et de rejoindre
un point de cheminement donné, à une
altitude précise, en respectant un horaire
fixé – à dix secondes près. En 2012,
avec un Airbus reliant Toulouse à Malmö,
Thales a testé en vol son concept I4D
afin de démontrer ce niveau de précision.
C’est l’un des 100 projets SESAR sur
lesquels Thales planche actuellement.
Ces capacités nouvelles permettront
aux avions de voler plus efficacement,
en réduisant la charge de travail des
contrôleurs et des pilotes.
Grâce à la technologie ADS-B, Thales
a démontré la capacité de deux avions
à fusionner leurs trajectoires tout en
conservant entre eux une distance de
sécurité adéquate, sans intervention d’un
contrôleur au sol. Habituellement, les
contrôleurs sont chargés de la séparation
entre les avions. Mais si de nouveaux
systèmes de bord peuvent remplir la
même fonction, notamment dans les
zones éloignées ne bénéficiant pas d’une
couverture radar, c’est la sécurité des
vols qui se trouve renforcée, ainsi que
l’efficacité du trafic aérien.
On sait aujourd’hui que le trafic devrait
doubler, puis tripler, en Europe et aux
Etats-Unis. Et d’autres régions du monde
enregistrent une croissance encore plus
phénoménale. D’ici vingt ans, certaines
régions d’Asie pourraient connaître des
densités de trafic supérieures à celles d’une
Europe déjà passablement asphyxiée. A elle
seule, la Chine prévoit 70 nouveaux
aéroports d’ici à 2015.
Les systèmes existants ne peuvent faire
face à une telle explosion du trafic. Les
contrôleurs ne peuvent prendre en charge
plus d’avions qu’ils ne le font actuellement
dans les régions les plus encombrées.
Le nombre de vols n’est pas le seul facteur
à créer des problèmes nouveaux. Les
compagnies aériennes et les clients veulent
payer moins cher pour les services assurés par
le contrôle du trafic aérien, qui sont autant de
coûts d’exploitation supplémentaires grevant
chaque vol. La pression environnementale
joue également un rôle notable – les
compagnies aériennes veulent réduire les
coûts de carburant en empruntant des
itinéraires plus directs, ce qui permettrait
parallèlement de réduire les émissions de CO2.
Enfin, avec l’augmentation du nombre de
vols, les compagnies et leurs passagers
veulent aussi bénéficier d’améliorations
continues en matière de sécurité : trois fois
plus de trafic ne saurait se traduire par trois
fois plus d’accidents.
Les nouvelles installations du centre de
contrôle, à Swanwick, sont aussi futuristes
que les anciennes étaient délicieusement
rétro. Les contrôleurs sont assis devant des
terminaux à l’état de l’art, avec des écrans
radar à haute résolution, et des logiciels
sophistiqués permettant d’identifier les
problèmes à l’avance. Ces installations
ressemblent précisément à ce qu’on
imagine être l’un des centres de contrôle du
trafic aérien les plus chargés du monde –
moderne et efficace.
SESAR et NextGen
Le programme SESAR (Single European Sky
ATM Research Programme) en Europe, et son
homologue NextGen aux Etats-Unis, ont pour
but de transformer la gestion du trafic aérien et
d’assurer, à l’échelle d’un continent, le même
type d’efficacité induit par la technologie que
celui obtenu à l’échelle régionale avec le centre
de contrôle londonien.
SESAR devrait permettre de réduire de
50 % le coût de gestion du trafic pour les
compagnies aériennes, et réduire de 10 %
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D’ici vingt ans, certaines régions d’Asie
pourraient connaître des densités de trafic
supérieures à celles d’une Europe déjà
passablement asphyxiée. A elle seule, la Chine
prévoit 70 nouveaux aéroports d’ici à 2015.
Numérisation de la circulation au sol :
Thales met actuellement en œuvre une
fonction baptisée Digital Taxi, qui fournit aux
pilotes une idée précise de leur position sur
l’aéroport, et leur donne des instructions de
roulage entre l’aire de stationnement et la
piste (et inversement), à l’instar d’un GPS
dans une voiture. La circulation au sol est
une phase à haut risque du transport
aérien, avec danger de collision, erreurs de
cheminement et incursions involontaires
sur les pistes. Remplacer les instructions
radio et les cartes papier par des cartes
numériques et des consignes exactes, ne
peut qu’améliorer la sécurité.
l’impact environnemental, en maintenant
les mêmes niveaux de sécurité.
Trois innovations technologiques joueront
un rôle majeur pour concrétiser ces ambitieux
objectifs. D’abord, un nouveau type de
transpondeur, l’ADS-B (Automatic Dependent
Surveillance – Broadcast) qui permet aux
avions de transmettre leur position et leur
trajectoire au sol, mais aussi aux autres
aéronefs, même en dehors de la couverture
radar conventionnelle.
En Australie, l’ADS-B offre déjà aux
contrôleurs des options supplémentaires
pour diriger les avions venant d’Asie, les
appareils n’ayant pas besoin de suivre des
routes aériennes rigides d’une radio-balise à
l’autre. Aux Etats-Unis, un millier de stations
de base ADS-B seront la garantie d’une
surveillance à l’échelle du continent. Ce
système permet également aux avions de
communiquer leur position entre eux,
permettant une séparation automatique
dans les zones où les contrôleurs du trafic
aérien ne peuvent normalement pas voir les
appareils, par exemple au milieu de l’océan.
La deuxième innovation, porte sur
l’amélioration des liaisons de données
entre les contrôleurs au sol et les pilotes.
Au lieu d’échanges radio trop longs et
sujets à erreurs, les contrôleurs et les pilotes
seront en mesure d’échanger des clairances
en utilisant des communications de type
CPDLC (Controller Pilot Data Link
Communications).
Le poste de pilotage lui-même
accueille le troisième groupe de
changements. La navigation par satellite
permet aux avions de voler avec une
précision toujours plus grande. Sur certains
aéroports, par exemple, les avions
empruntent des couloirs d’approche d’à
peine 800 m de large pour éviter le relief ou
réduire les nuisances sonores. En
combinaison avec des pilotes automatiques
et des systèmes avancés de gestion du vol,
les avions peuvent aussi suivre des profils
4D sophistiqués avec grande précision –
autrement dit, ils peuvent suivre un parcours
spécifique en trois dimensions et se
présenter au-dessus des points de
cheminement selon un timing spécifique.
Les contrôleurs du trafic aérien du
monde entier émettront beaucoup moins
d’instructions radio qu’auparavant. Les
instructions de routine encore fournies
aujourd’hui seront remplacées par des
conversations de planification et par les
liaisons de données.
Ces avancées permettront aux contrôleurs
de disposer de plus de temps pour planifier et
prendre en charge un plus grand nombre
d’avions. La gestion du trafic aérien est
appelée à abandonner progressivement un
modèle de « contrôle » pour s’orienter vers
un modèle d’ « optimisation ».
Progrès pour les passagers
Tous ces changements vont faciliter la vie
des voyageurs. Le transport aérien sera
plus sûr, plus économique et plus efficace,
même avec l’augmentation du trafic.
L’horaire d’arrivée des avions sera de mieux
en mieux respecté, avec moins
d’encombrements au sol, et moins de
temps passé dans un circuit d’attente
au-dessus de l’aéroport. Des itinéraires
plus efficaces et des trajectoires plus
précises permettront de réduire les temps
de vol, les coûts et la pollution.
L’aviation a déjà réalisé des progrès
considérables et les vingt prochaines années
devraient encore nous surprendre. Certes,
les sandwiches servis à bord sont parfois
spongieux, et le café à peine tiède, mais la
technologie, souvent méconnue, qui fait
voler les avions mérite à n’en pas douter
ses trois étoiles.