ELE PREV-EDP 8010

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ELE PREV-EDP 8010
L’ENTRETIEN MOTIVATIONNEL
Henri-Jean Aubin
L’entretien motivationnel, développé dans les années 1980 par les psychologues
William Miller et Stephen Rollnick (2) est, plus qu’une technique, un style
relationnel, ou un état d’esprit, qui s’oppose au style confrontationnel. Parallèlement
à la formulation de ce style psychothérapeutique, deux autres psychologues, James
Prochaska et Carlo DiClemente (1), ont développé le modèle transthéorique de
changement, décrivant le parcours motivationnel des sujets souffrant de conduites
addictives.
L’entretien motivationnel est l’intervention thérapeutique qui semble aujourd’hui la
plus efficace pour faire progresser les patients souffrant d’addiction dans les stades
de changement, jusqu’à la solution de leurs problèmes.
Le modèle transthéorique de changement
Le modèle transthéorique de changement (1) postule l’existence de 6 stades de
changement, par lesquels passent habituellement les sujets souffrant de conduites
addictives (figure 1). Les sujets passent d’un stade à l’autre, habituellement de façon
cyclique, mais parfois de façon anarchique (3). Au stade indétermination, le sujet n’a pas
conscience de l’existence d’un problème de conduite addictive, ou alors le considère sans
importance. Au stade intention, le sujet reconnaît l’existence d’un problème, reconnaît
qu’il serait sans doute utile de faire quelque chose, mais repousse l’idée d’un changement
dans un futur nébuleux. Au cours du stade préparation, le sujet commence à planifier un
changement, par exemple en prenant des conseils ou en consultant. Au cours du stade
action, le sujet met effectivement en œuvre le changement de comportement, par exemple
l’arrêt de la consommation. Le stade d’action est caractérisé par la mise en acte du
changement, et non pas par des seules déclarations d’intention. Le stade de consolidation
caractérise le travail de prévention de la rechute. Enfin, le stade de rechute ramène le sujet
vers un stade antérieur, le plus souvent celui d’intention.
Selon ce modèle, le thérapeute doit adapter sa stratégie thérapeutique au stade de
changement où se trouve le patient. Ainsi, il serait sans doute inapproprié de proposer
directement une stratégie de sevrage à un patient qui serait au stade d’indétermination ou
d’intention. Au stade d’indétermination, le thérapeute s’attache plutôt à essayer de faire
percevoir les risques et les problèmes liés à la conduite addictive, et d’ainsi faire
apparaître un doute. Au stage d’intention, le travail consiste essentiellement à explorer
l’ambivalence, en aidant le patient à exprimer l’éventail de raisons en faveur du
changement, ainsi que les risques encourus à ne pas changer. Il faut également augmenter
la confiance du sujet en sa capacité à changer de comportement. Au stade de préparation,
il s’agit plutôt de proposer un choix de stratégies de changement et de lever les derniers
obstacles. Au stade action, le thérapeute accompagne le patient dans le processus de
changement de comportement, par exemple le sevrage. L’encouragement est ici essentiel.
Tout changement effectif, même incomplet, est à valoriser. Au stade de consolidation, le
thérapeute propose des stratégies de prévention de la rechute et explore régulièrement
l’ambivalence, afin de lever d’éventuels doutes sur l’intérêt du changement effectué. Au
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stade de rechute, il s’agit de dédramatiser la situation et de pousser le patient à s’engager
à nouveau rapidement dans les processus d’intention, de préparation et d’action.
Résistance et motivation au changement
La résistance au changement n’est pas une caractéristique intrinsèque au patient, elle est
plutôt le produit d’interactions successives entre celui-ci et ses proches et/ou son
thérapeute. De même, la motivation au changement va dépendre de la qualité des échanges
entre le patient et son entourage et, notamment, son thérapeute. Le patient se sentira prêt à
changer s’il perçoit l’importance du problème, en l’occurrence les conséquences de son
tabagisme et s’il a une confiance suffisante en sa capacité à mettre en œuvre le
changement. Ainsi, un patient percevant très bien les conséquences de son tabagisme et les
bénéfices de l’arrêt ne s’engagera pas dans un changement de comportement s’il n’a
aucune confiance dans sa capacité à réussir. Inversement, un patient ayant une bonne
confiance dans sa capacité à changer de comportement, ne s’engagera pas plus dans ce
changement s’il n’en perçoit pas l’importance.
Les objectifs de l’entretien motivationnel
L’objectif ultime des entretiens motivationnels est d’amener un patient à mettre en œuvre
et à maintenir un changement de comportement. Pour atteindre cet objectif, le thérapeute
va adopter des objectifs intermédiaires, dépendants du stade de changement selon le
modèle transthéorique.
Ainsi, il serait sans doute inapproprié de proposer directement une stratégie de sevrage à
un patient qui serait au stade d’indétermination ou d’intention. Au stade
d’indétermination, le thérapeute s’attache plutôt à essayer de faire percevoir les risques et
les problèmes liés à la conduite addictive, et d’ainsi faire apparaître un doute. Au stage
d’intention, le travail consiste essentiellement à explorer l’ambivalence, en aidant le
patient à exprimer l’éventail de raisons en faveur du changement, ainsi que les risques
encourus à ne pas changer. Il faut également augmenter la confiance du sujet en sa
capacité à changer de comportement. Au stade de préparation, il s’agit plutôt de proposer
un choix de stratégies de changement et de lever les derniers obstacles. Au stade action, le
thérapeute accompagne le patient dans le processus de changement de comportement, par
exemple le sevrage. L’encouragement est ici essentiel. Tout changement effectif, même
incomplet, est à valoriser. Au stade de consolidation, le thérapeute propose des stratégies
de prévention de la rechute et explore régulièrement l’ambivalence, afin de lever
d’éventuels doutes sur l’intérêt du changement effectué. Au stade de rechute, il s’agit de
dédramatiser la situation et de pousser le patient à s’engager à nouveau rapidement dans
les processus d’intention, de préparation et d’action.
Les principes des interventions motivationnelles
-
Ces principes sont :
Manifester de l’empathie : c’est montrer au patient qu’on parvient à se figurer ce qu’il pense
et ressent, qu’on lui reconnaît ce droit, qu’on l’accepte, sans nécessairement approuver.
Mettre le doigt sur des contradictions.
Eviter l’affrontement.
Ne pas forcer la résistance. La résistance du patient peut se repérer essentiellement par
quatre types d’attitude du patient : rejet de l’expertise du thérapeute, interruption
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défensive du discours du thérapeute, déni du problème, désintérêt face au discours du
thérapeute.
- Renforcer le sentiment de liberté de choix. La « réactance » psychologique se traduit par le
fait qu’entraver le sentiment de liberté de choix et d’actions entraîne un état de motivation
particulier qui pousse à rétablir cette liberté. C’est une excellente façon de mettre en place
des résistances chez les patients.
- Renforcer le sentiment d’efficacité personnel, qui est la confiance que le patient a en sa
capacité à gérer correctement certaines situations. On a vu à quel point cette confiance était
un élément fondamental de la motivation.
Les pièges motivationnels
-
-
-
Certains pièges, dans la relation avec le patient, induisent facilement des résistances :
Le piège des questions/réponses, avec une succession de questions fermées. Les questions
fermées invitent à une réponse brève, oui/non/un nombre, alors que les questions ouvertes
invitent l’interlocuteur à développer un point de vue. Exemple de question fermée :
« quand avez-vous prévu d’arrêter de fumer ? », de question ouverte : «que pensez-vous
faire pour votre consommation de cigarettes ? ».
Le piège de la confrontation. Le style confrontationnel renforce les résistances. Notamment
les attitudes comme expliquer, démontrer, prouver, éduquer, impressionner, faire réfléchir,
persuader, vont avoir pour effet de renforcer la résistance si elles précèdent la demande du
patient.
Le piège de l’expert : « on a les réponses à votre problème, on sait ce qu’il faut faire ».
Le piège de l’étiquette diagnostique. « Vous êtes dépendant du tabac, comme un
toxicomane ».
Le piège de la focalisation d’emblée sur le problème.
Le piège du jugement.
Les principales stratégies de l’intervention motivationnelle
- Utiliser autant que possible des questions ouvertes. Une façon d’éviter les questions fermées,
souvent utiles dans les premiers entretiens pour obtenir des renseignements précis du
patient, sont les auto-questionnaires. Eviter d’emblée les questions fermées permet de
montrer d’emblée au patient qu’on attend de lui d’exposer systématiquement son propre
point de vue et de s’engager systématiquement dans une exploration personnelle de ses
motivations.
- L’écoute en écho. Il s’agit de la reformulation du discours du patient. A chaque fois qu’un
patient exprime un propos, notamment motivationnel, le thérapeute s’efforce d’en
rechercher la signification la plus vraisemblable et de la reformuler sur un ton affirmatif.
Ceci permet au patient d’entendre, de la bouche du thérapeute, les propos motivationnels
qu’il a lui-même formulés. Le fait de l’entendre deux fois, d’abord de sa bouche, puis de
celle du thérapeute, finit par donner du poids à ce type de propos. Les reformulations,
placées judicieusement, permettent d’orienter le discours du patient dans les domaines
susceptibles d’accroître la motivation.
- Inciter les déclarations motivationnelles, par des questions ouvertes invitant le patient à
s’exprimer sur les conséquences de son tabagisme, sur son inquiétude vis-à-vis de celles-ci,
sur son intention de changement, et sur la confiance qu'il a en sa capacité à mettre en œuvre
ce changement.
- Résumer : il est utile de faire régulièrement un résumé des différents éléments, notamment
motivationnels, du discours du patient. Ce résumé se fait à plusieurs reprises tout au long
d’une séance, et plus encore à la fin d’une séance et au début de la séance suivante.
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Ainsi, l’utilisation de ces techniques permet de pousser sans cesse le patient vers la prise de
conscience du problème et la décision de changement.
Conclusion
Au delà de la technique, l’entretien motivationnel est un style relationnel et un état d’esprit,
centré sur le patient, caractérisé par l’importance de l’empathie, la reconnaissance et le
respect des résistances, la notion de choix donné au patient, et de renforcement de
l’efficacité personnelle. En plus d’un effet direct sur la motivation et l’efficacité
thérapeutique, l’entretien motivationnel permet une amélioration de la compliance au
traitement.
Références
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change : stages of change and addictive behaviors. In : Miller WR, Heather N, editors.
Treating addictive behaviors, 1998 : 3-24.
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behaviors. The Guilford Press - New York ; 1991.
3. Rollnick S, Mason P, Butler C. Health behavior change. Chruchill Livingstone –
Edinburgh ; 1999.
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Figure 1 : les stades de changement selon le modèle transthéorique de Prochaska et DiClemente
(d’après 3 )
Indétermination
Progrès
s
Intention
Rechute
Préparation
Action
Consolidation
333
REFERENCES
1.
Work group on nicotine dependence. Practice guideline for the treatment of
patients with nicotine dependence. Am J Psychiatry 1996 ; 153 : 1-31
2. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental
disorders. 4th ed. Washington DC : American Psychiatric Association 1994.
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consommation du tabac. Editions E.D.K. – Paris ; 1998.
4. Monti PM, Abrams DB, Kadden RM, Cooney NL. Treating alcohol dependence.
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5. Beck AT, Wright FD, Newman CF, Liese BS. Cognitive therapy of substance
abuse. The Guilford Press - New York ; 1993.
6. Lando HA. Formal quit smoking treatments. In : Orleans CT, Slade J, editors.
Nicotine addiction. Principles and management, 1993 : 221-244.
7. Morgan TJ. Behavioral treatment techniques for psychoactive substance use
disorders. In : Rotgers F, Keller DS, Morgenstern J, editors. Treating substance
abuse, 1996 : 202-240.
8. Liese BS, Najavits LM. Cognitive and behavioral therapies. In : Lowinson JH,
Ruiz P, Millman RB, Langrod JG, editors. Substance Abuse, A Comprehensive
Textbook, 1997 : 467-478.
9. Daley DC, Marlatt GA. Relapse prevention. In : Lowinson JH, Ruiz P, Millman
RB, Langrod JG, editors. Substance Abuse, A Comprehensive Textbook, 1997 :
458-467.
10. Covey LS. A psychotherapeutic approach for smoking cessation counseling. In :
Seidman DF, Covey LS, editors. Helping the hard-core smoker, 1999 : 175-193.
11. Heatherton TF, Kozlowski LT, Frecker RC, Fagerström KO. The Fagerström test
for nicotine dependence : a revision of the Fagerström tolerance questionnaire. Br
J Addiction 1991 ; 86 : 1119-27.
334
Relations entre les dépendances à l’alcool et au tabac
Henri-Jean AUBIN
Le tabagisme des alcooliques
Il existe une corrélation positive entre les consommations d'alcool et de tabac dans la
population générale (Bien and Burge, 1990, Friedman et al, 1991). Cette association est
dose dépendante : les gros fumeurs boivent plus que les petits fumeurs et, inversement,
les gros buveurs fument plus que les petits buveurs. Enfin, les anciens fumeurs ont une
consommation alcoolique intermédiaire entre les fumeurs et les non fumeurs (Carmody
et al, 1985).
Cette relation entre l'alcool et le tabac est beaucoup plus marquée chez les
alcooliques en traitement, où la prévalence du tabagisme se situe généralement au
dessus de 80 % (Aubin et al, 1995). Cette prévalence du tabagisme est probablement
plus faible chez les alcooliques de la population générale (Hughes, 1995), qui sont peutêtre moins sévèrement atteints. Dans la population générale des USA, la prévalence de
la dépendance alcoolique est multipliée par 2 chez les fumeurs de moins de 20 cigarettes
par jour, et par 3 chez ceux qui fument plus de 20 cigarettes par jour (Hughes, 1995)
Ainsi, la prévalence de la dépendance alcoolique varie de 15% (alcoolisme actuel) à
35% (antécédent d’alcoolisme) chez les gros fumeurs. Non seulement la prévalence du
tabagisme est plus élevée chez les alcooliques, mais leur consommation et leur degré de
dépendance tabagiques sont plus importants (Hurt et al, 1995, Marks et al, 1997).
Le tabagisme des alcooliques prend un éclairage dramatique quand on analyse les
causes de décès des alcooliques qui ont eu recours, à un moment donné, à des soins
alcoologiques : dans une étude de suivi sur 10 à 20 ans, le tabac a été responsable de
51% des décès, contre 34% des décès attribués à l’alcool (Hurt et al, 1996).
Faut-il proposer un sevrage tabagique aux alcooliques ?
Alors que, de toute évidence, la population des alcooliques devrait être concernée au
premier chef par les actions d’aide à l’arrêt du tabac, les structures de soins pour
alcooliques ne sont encore que très peu actives dans ce domaine, et, inversement, les
tabacologues se sentent bien souvent mal à l’aise avec les consommateurs excessifs
d’alcool. Cette réticence est probablement liée à différents obstacles, justifiés ou non :
1. les alcooliques désirent-ils cesser de fumer ? La proportion d’alcooliques en
traitement, interessés par l’arrêt du tabac, est classiquement de l’odre de la moitié
(Hughes, 1995). Dans une étude récente des stades de changement concernant l’arrêt du
tabac chez 575 alcooliques en traitement (Bobo et al, 1998), 63% des alcooliques
fumeurs étaient au stade « précontemplation » (aucune intention de changement), 24%
étaient en « contemplation » (conscience du problème, intention imprécise de
changement) et 14% étaient dans les stades « préparation » (intention d’arrêter dans le
mois suivant) ou « action » (tentative d’arrêt en cours). Ainsi, une proportion
significative d’alcooliques devraient être réceptifs à une proposition d’aide à l’arrêt du
tabac.
2. les alcooliques sont-ils capables d’arrêter de fumer ? Plusieurs publications ont
bien montré qu’il était possible de développer des programmes d’aide à l’arrêt du tabac
chez les alcooliques (Hurt et al, 1994, Hurt et al, 1995, Saxon et al, 1997, Bobo et al,
335
1998). L’implantation d’un programme d’aide à l’arrêt du tabac dans une structure de
soins pour alcooliques augmente en général la fréquence des arrêts durables du tabac,
bien que, au décours d’une tentative de sevrage, les fumeurs ayant un antécédent
d’alcoolisme, comparés aux fumeurs non alcooliques, aient des chances de succès qui
varient du tiers à l’équivalence, selon les études. Indépendemment de toute proposition
thérapeutique, les alcooliques abstinents de l’alcool depuis moins d’un an ont 60%
moins de chances de cesser de fumeur que les non alcooliques (Breslau et al, 1996).
Cette différence avec les non alcooliques disparaît quand la durée de l’abstinence
alcoolique dépasse 1 an.
3. l’arrêt du tabac risque-t-il de compromettre l’abstinence alcoolique ? Cette
question a longtemps découragé les alcoologues d’intervenir sur le tabac chez leurs
patients. L’hypothèse la plus souvent soutenue était que l’usage du tabac aidait à mieux
résister dans les situations à haut risque de boire. Il semble bien aujourd’hui que, au
contraire, l’arrêt du tabac ne peut que renforcer l’abstinence alcoolique (Bobo et al,
1998). Ainsi, la poursuite du tabagisme pourrait être un facteur précipitant la rechute
alcoolique.
Y a-t-il des modalités spécifiques d’aide à l’arrêt du tabac chez les alcooliques ?
Aucune publication ne permet aujourd’hui de recommander une approche
thérapeutique particulière chez les alcooliques. Cependant, la consommation et la
dépendance tabagiques (Hurt et al, 1995, Marks et al, 1997), ainsi que le syndrome de
sevrage (Marks et al,1997) étant en général plus importants, le recours aux traitements
de substitution nicotinique devrait être plus fréquemment nécessaire, et les doses de
nicotine plus élevées (Hughes, 1995).
La question du moment de l’arrêt du tabac par rapport au sevrage d’alcool n’est pas
résolue. Bien que certains alcooliques réussissent leur sevrage tabagique avant celui de
l’alcool, cette séquence paraît intuitivement peu recommandable. L’arrêt du tabac doit-il
être concommittant ou consécutif à celui de l’alcool ? En l’absence de données
déterminantes, le mieux semble être de respecter la préférence du patient.
Faut-il recommander une limitation de la consommation d’alcool après l’arrêt
du tabac chez les consommateurs d’alcool non alcooliques ?
La consommation d’alcool augmente l’envie de fumer (Burton and Tiffany, 1997,
Gulliver et al, 1995) et est fréquemment à l’origine des rechutes tabagiques, et ce
d’autant plus qu’on s’éloigne de la date du sevrage (Shiffman, 1995). La
recommandation d’une limitation de la consommation d’alcool après l’arrêt du
tabac semble donc justifiée.
Références
1. Aubin HJ, Tilikete S, Roullet-Volmi MC, Barrucand D. Interrelations entre les dépendances
alcoolique et tabagique. Alcoologie 1995; 17:281-286.
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smoking cessation counseling on recovery from alcoholism: findings from a
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337
Alcoolodépendance, tabagisme et dépression
Henri-Jean AUBIN
L’intérêt des psychiatres pour le tabagisme date du début des années 1990. L’un des
travaux fondateurs de ce nouveau mouvement publié par Glassman en 1990 (5), a repris
secondairement des données issues de la grande enquête ECA (étude épidémiologique
avec des entretiens structurés diagnostiques en population générale réalisée début 80)
qui avait montré que la prévalence de l’épisode dépressif majeur sur la vie entière était
de 5 % (critère DSM III) et a travaillé autour de la variable « a déjà fumé dans sa vie ».
Il a séparé ceux qui n’avaient jamais fumé et ceux qui avaient déjà fumé au moins un
mois et a montré que la prévalence de la dépression dans le groupe 1 est beaucoup plus
faible avec une différence significative par rapport au groupe 2. Ainsi, les sujets qui ont
déjà fumé font plus fréquemment des épisodes dépressifs majeurs que les autres.
D’autres études ont confirmé ces résultats comme celle publiée par N. Breslau (3) en
1995. Cette étude, dans laquelle ont été recherchés les critères de dépendance tabagique,
montre qu’en ce qui concerne la dépression et l’anxiété, il y a une relation de
comorbidité spécifique nette et significative avec la dépendance tabagique, mais pas
avec le tabagisme sans dépendance ; alors que pour les abus et dépendances de
substances, alcool et drogues, il y a une relation de comorbidité aussi bien avec la
dépendance tabagique qu’avec le tabagisme sans dépendance.
Trois hypothèses peuvent être faites sur la nature de la comorbidité entre dépression
et dépendance tabagique :
- La dépression induit la dépendance tabagique
- Le tabagisme induit la dépression
- Il existe des facteurs environnementaux et/ou génétiques qui induisent à la fois la
dépression et la dépendance tabagique.
Les éléments de la littérature vont plutôt dans le sens de la troisième hypothèse, avec
des facteurs communs essentiellement de nature génétique (9).
Y a-t-il une relation entre dépression et arrêt du tabac ?
)Dans l’étude de Glassman (5), on observe que chez les sujets ayant un antécédent
dépressif, il existe beaucoup moins d’ex-fumeurs (alors qu’il y a beaucoup plus de
fumeurs). Il y a donc bien une relation entre dépression et arrêt du tabac : quand le sujet
a une histoire dépressive, il a beaucoup moins de chances de s’arrêter de fumer.
Dans une étude relative à l’effet de la clonidine versus placebo dans l’arrêt du tabac,
réalisée en milieu psychiatrique (4), et dans laquelle avaient été exclus les patients ayant
un diagnostic de dépression à l’inclusion (et non ceux ayant un antécédent de dépression
majeure), on constate dans le groupe placebo qu’il existe une relation significative entre
le fait d’avoir un antécédent dépressif et le fait d’arrêter de fumer. En effet les sujets
ayant un antécédent dépressif ont bien plus souvent un échec dans leur tentative d’arrêt
(8 semaines de traitement par placebo). L’analyse de l’intensité des symptômes de
sevrage une semaine après l’arrêt montre une différence significative entre les sujets qui
avaient autrefois déprimé et qui faisaient un syndrome de sevrage plus intense que les
autres. En analysant critère par critère, seule l’humeur dépressive sortait de façon
significative chez les sujets ayant un antécédent d’épisode dépressif majeur. Il y a donc
un lien significatif entre l’humeur dépressive une semaine après le sevrage et le taux de
succès : les sujets qui ont réussi à rester abstinents au terme de ces 8 semaines de
traitement par placebo avaient au début du traitement une humeur dépressive bien moins
élevée que ceux qui ont eu un échec.
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Un certain nombre d’études ont été réalisées pour évaluer l’efficacité des
antidépresseurs sur l’aide à l’arrêt du tabac. Deux essais en particulier réalisés avec le
bupropion (inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine) (7, 8) aux
Etats Unis ont montré un effet très significatif de ce médicament, dose dépendant versus
placebo et versus patch nicotinique.
La nortriptyline (inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine) (6,
10) a également prouvé son efficacité dans l’aide à l’arrêt du tabac.
Le moclobémide (2) semble également avoir une certaine efficacité dans l’aide à
l’arrêt du tabac.
Une autre étude (1) réalisée avec la fluvoxamine chez des alcooliques abstinents très
dépendants du tabac a montré, non pas un effet sur l’aide à l’arrêt du tabac, mais sur la
prévention des symptômes anxieux et dépressifs survenant après l’arrêt du tabac.
Références :
1. Aubin et al, Alcohol Clin Exp Res 1998
2. Berlin et al, Clin Pharmacol Ther 1995
3. Breslau et al, Behav Genet 1995
4. Covey et al, compr Psychiat 1990
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6. Hall et al, Arch Gen Psychiatry 1998
7. Hurt et al, N Engl J Med 1997
8. Jorenby et al, N Engl J Med 1999
9. Kendler et al, Arch Gen Psychiat 1993
10. Prochazka et al, Arch Intern Med 1998
Ref.
http://formation.tabacologie.globalink.org/2005/Tome%20II/28.%2029%20%20Aubin%20Entretien%20motivationnel.%20Alcool%2004.doc
05/10/2006
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