Lumières sur un métier de l`ombre
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Lumières sur un métier de l`ombre
12 CULTURE LE COURRIER MARDI 29 SEPTEMBRE 2015 FESTIVAL ASSEMBLAGE, TROINEX voltige Lumières sur un métier de l’ombre Humour, et poésie JUBILÉ • Le Collège de traducteurs Looren fête ses 10 ans avec «Ponts du diable», un spectacle musico-littéraire qui tourne en Suisse. A voir jeudi à Vidy-Lausanne. PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE PITTELOUD Perché sur les hauteurs du lac de Zurich, le lieu est idyllique et les dix chambres de la maison ne désemplissent pas: chaque année, le Collège de traducteurs Looren offre à une centaine de traducteurs du monde entier la tranquillité nécessaire pour y travailler quelques semaines. A l’heure où il célèbre ses 10ans, plus de 1000 traductions en une trentaine de langues ont pris forme entre ses murs et viennent enrichir sa bibliothèque de 8000 titres. Résidences, bourses, ateliers, rencontres professionnelles, coopération avec les écoles, journées portes ouvertes: cette structure unique en Suisse, soutenue en majorité par des fonds privés, contribue à la visibilité d’un métier de l’ombre essentiel à la circulation des langues et des cultures. Pour son jubilé, le Collège de traducteurs Looren est en tournée suisse avec le spectacle Ponts du diable. Signé Claudia Carigiet et Jürg Kienberger d’après L’Analphabète d’Agota Kristof, il fait escale jeudi au Théâtre Vidy-Lausanne. Gabriela Stöckli, directrice de Looren, évoque avec enthousiasme le travail développé depuis dix ans. Comment est né le Collège Looren? Gabriela Stöckli: Les propriétaires de cette maison cherchaient un projet pour transmettre le lieu: l’idée d’une institution pour traducteurs s’est imposée, elle faisait sens dans une Suisse plurilingue. Nous sommes partenaires de lieux analogues en Europe via le Réseau européen des centres internationaux de traducteurs littéraires. Je pense notamment au Collège de traducteurs de Straelen, en Allemagne, centre pionnier créé en 1978 et qui nous a inspiré, ou encore à celui d’Arles. Le Centre Looren est très ouvert: nous accueillons n’importe quelle combinaison linguistique, pourvu qu’il y ait un contrat entre le traducteur et un éditeur. L’œuvre travaillée doit en effet pouvoir exister ensuite. Encouragez-vous aussi la relève? Nous offrons des bourses pour des premières traductions. Le Message culture 2016-2019 de la Confédération alloue davantage de moyens à la relève dans notre domaine: nous allons développer des mentorats pour les jeunes traducteurs. En termes de formation, nous ne pouvons malheureusement plus prendre part aux programmes de l’Union européenne Dans Ponts du diable, les comédiens voyagent sur la piste de traductrices et d’écrivains. DANIEL KELLENBERGER Et de quatre. Dans le sud du canton, la petite commune genevoise de Troinex accueille dès jeudi le quatrième Festival Assemblages, une manifestation qui entend faire connaître des artistes rarement vus à Genève. Cirque, musique, théâtre et humour seront à nouveau à l’affiche de la salle des fêtes troinésienne. A signaler, une modification du programme, samedi 3 octobre. La violoniste Iris Siegfried étant souffrante, le concert Salut Salon est remplacé par le one man show de Marc Donnet-Monay. Entre autres événements, le public pourra écouter la chanson rebelle de Yoanna vendredi (21h45) à l’occasion de la sortie de son nouvel album. Mais ce sont deux clowns du canton du Tessin qui ouvriront les feux jeudi 1er octobre (20h30), un show rare, difficile à concrétiser en raison de la hauteur requise sur la scène. Bref, Camilla Pessi et Simone Frassari, qui forment le duo Baccalà Clown, mêleront mime et cascades. Précisons qu’ils ont reçu un prix du Cirque du Soleil. Quant au spectacle intitulé Carrousel des moutons, à découvrir vendredi à 20h, il alliera voltige, poésie et musique, un cocktail né du travail de Fien Van Herwegen et Dirk Van Boxelaere, alias D’Irque et Fien, un show aux performances techniques hors pair. MARC-OLIVIER PARLATANO (Culture créative et Erasmus+), depuis la votation du 9 février. D’où viennent les traducteurs accueillis à Looren? De partout, sauf d’Australie et d’Afrique, où le contexte éditorial est très difficile. La plupart viennent d’Europe – beaucoup d’Europe de l’Est – et d’Amérique. Nous avons lancé un programme spécial pour l’Amérique latine où existe un marché du livre en pleine croissance et un bon niveau professionnel malgré de grandes disparités entre pays. L’Argentine, le Brésil, le Mexique possèdent des centres culturels majeurs, mais il leur manque les réseaux et la reconnaissance professionnelle des traducteurs. Nous développons des partenariats avec les institutions sur place et cofinançons des ateliers. Looren s’engage de manière générale pour la reconnaissance du métier. C’est le deuxième angle de notre action, et nous collaborons pour cela avec des associations qui s’engagent pour valoriser la profession. Elle est reconnue en Suisse, en France et en Allemagne, alors qu’elle est perçue dans beaucoup de pays comme un hobby et est peu, voire pas du tout, rémunérée. En Italie et en Espagne par exemple, où les conditions de travail n’étaient déjà pas extraordinaires, c’est devenu catastrophique. Quels liens tissent les traducteurs entre eux pendant leurs semaines à Looren? Dans une maison partagée par une dizaine de personnes se crée une dynamique géniale. Un important apprentissage mutuel se fait de façon informelle, à travers les rencontres et les discussions. Certaines débouchent sur des amitiés et des relations de travail durables bien après la résidence. Looren lui aussi a tissé de multiples réseaux en dix ans... Nous sommes petits, et il faut être plusieurs pour faire bouger les choses. Nous avons trouvé ou créé des coopérations intelligentes. Financières, bien sûr – Pro Helvetia soutient 50% de la somme des bourses pour traduire de la littérature suisse –, mais aussi autour de projets. «Laboratorio italiano», par exemple, est élaboré en coopération avec la Fondazione Garbald, dans le Val Bregaglia (Grisons): nous y avons ouvert une antenne pour proposer deux ateliers par an aux traducteurs de l’italien, pour lesquels il n’existait aucune offre de formation – hormis quelques workshops onéreux. En Suisse romande, notre collaboration avec le Centre de traduction littéraire de Lausanne est essentielle. Quels auteurs romands sont traduits en ce moment à Looren? Ils sont trois, par des traducteurs lauréats des Bourses Looren 2015. Le Milieu de l’horizon de Roland Buti est traduit en letton par Inese Petersone, Stase Banionyte-Gerviene transpose Le Mineur et le canari de Catherine Safonoff en lituanien, et Violeta Tauragiene L’Ogre de Chessex, en lituanien toujours. Les deux premiers auteurs et leurs traductrices seront présents à Vidy. Le spectacle Ponts du diable se présente comme un hommage aux traducteurs. De quelle manière? La comédienne Claudia Carigiet joue le rôle de la traductrice de L’Analphabète vers le sursilvan et lit de larges passages de ce texte où Agota Kristof, Hongroise réfugiée à Neuchâtel, évoque le déracinement de l’exil et de la langue étrangère. Claudia s’inspire des traductions existantes, tente de trouver des correspondances. A côté de ce fil rouge intervient Jürg Kienberger, Prix suisse de la scène 2014, très connu en Suisse alémanique pour son jeu qui flirte avec le clown et est d’une grande vulnérabilité. Il est très émouvant de voir à quel point L’Analphabète entre en résonance avec l’actualité. Ce texte fait voir avec profondeur à quel point l’âme elle-même devient autre quand elle change de langue. I Ponts du diable, je 2 octobre à 19h, entrée libre, rés. www.vidy.ch/ponts-du-diable ou www.looren.net/fr/jubile Contrechamps accroche Zorn et Zappa MUSIQUE CONTEMPORAINE • Des noms bien connus des amateurs de jazz exploratoire et de rock grinçant ouvrent ce soir à l’Alhambra la saison de l’Ensemble Contrechamps. BENOÎT PERRIER Amérique et pop. C’est avec un programme peu académique que l’ensemble de musique contemporaine Contrechamps débute sa saison, ce soir à l’Alhambra. On y entendra des œuvres de feu le guitariste et compositeur Frank Zappa (1940-1993) et du saxophoniste, compositeur et perpétuel défricheur John Zorn (né en 1953), bien vivant lui. Dans les deux cas, il s’agit d’un versant écrit de leur travail «souvent ignoré» par leurs aficionados, juge le directeur artistique de la formation Brice Pauset. La question du dialogue entre la musique savante et son homologue populaire se posera toute la soirée. John Zorn ouvre les feux avec For Your Eyes Only, une symphonie de chambre, collage frénétique de citations où Stravinsky le dispute à la musique de cartoon. Dans cette œuvre exigeante pour les interprètes, le New-Yorkais a écrit chaque note, expliquait-il lors de sa création en 1989. Pas question d’improviser. Frank Zappa, lui, a vu sa musique reconnue – en partie du moins – par le milieu «savant» dans les années 1980. Pierre Boulez l’a ainsi fait jouer par l’Ensemble intercontemporain et a même enregistré un disque de ses œuvres. En 1992, ce processus culmine, juste avant la mort du musicien, avec la création de The Yellow Shark par l’Ensemble Modern de Francfort. On entendra ce soir des extraits de cette composition. Sans révolutionner par son écriture, elle se révèle diablement efficace. Mais voir dans Zappa un musicien pop qui aurait formalisé et sophistiqué sa musique jusqu’à mériter l’étiquette «contemporaine» est bien loin du compte, selon Brice Pauset. «Pour Zappa, dès l’adolescence, la découverte d’Edgar Varèse et Stravinsky a été une révélation. Or, aux Etats-Unis, si l’on n’a pas d’argent – et c’était le cas de sa famille –, on ne fait pas d’études. Presque toute sa vie, il a porté la frustration de ne pas pouvoir écrire la musique qu’il désirait.» Autre jalon de la soirée, la création mondiale avec le violoniste français David Grimal d’une nouvelle œuvre de l’Australienne Liza Lim commandée par l’Ensemble. Là, le dialogue entre les traditions «est un pont qu’on traverse dans l’autre sens. Liza Lim est décidément du côté académique de la musique mais sa pensée musicale est portée par la proximité avec des traditions non écrites, en particulier aborigènes ou d’Extrême Orient.» Beaucoup à entendre et à penser au confluent du populaire et du savant, donc. Estce qu’on ne tiendrait pas là un programme plus immédiat qu’à l’accoutumée à Contrechamps? «Non!, s’insurge en riant le directeur artistique, parce que c’est un réflexe pavlovien de considérer que la musique contemporaine est difficile d’accès.» Quant à Zappa, ajoute-t-il, lorsqu’il «se lâche et donne tout ce qu’il a», on est loin de la bluette immédiate. Pour nourrir encore la réflexion, Brice Pauset donne une conférence avant le concert. Est-ce la musique populaire qui «nourrit la musique savante par capillarité»? Ou alors la musique populaire qui «récupère et actualise de manière plus immédiate des ‘sous-produits’ de la musique savante»? Réponse ce soir à 18h45, à l’Alhambra. I «La face cachée des icônes», ma 29 septembre, 20h, Alhambra, conférence de Brice Pauset à 18h45. Rés. www.contrechamps.ch Du 1er au 4octobre à Troinex, programme complet sur www.assemblages.ch FESTIVAL MOS ESPA, GENÈVE A l’écoute des arbres Pour sa 8e édition, la manifestation méditative en chaussettes Mos Espa explorera dès demain soir (19h) «les liens entre la vieille Europe et la forêt primaire en associant librement expériences chamaniques et expérimentations sonores». A Motel Campo, à la Praille (Genève), au fil de quatre soirées, il s’agira de répondre à la question: «Qu’est-ce que les arbres ont à nous apprendre?» Après une soirée dédiée à la parole et à la bouche, avec récits, conférences, performances et expériences culinaires – en compagnie de Jeremy Narby, Jérémie Gindre, François Barras ou Franz Treichler –, on se plongera dans l’obscurité pour une carte blanche à la Cave12, jeudi, avant de revoir lumière et couleurs vendredi, à l’occasion d’une soirée autour du label berlinois Polychromsounds. Enfin, samedi, place à la cérémonie de clôture et sa célébration des duos, par transe et danse, en hommage à la Pachamama et au Padre Sol. Le tout dans un environnement végétalisé tout confort. SSG Motel Campo, 13 rte des Jeunes, Carouge, me à sa, horaires variables, programme: www.motelcampo.ch EN BREF CRÉATION LITTÉRAIRE, LAUSANNE David Bosc lauréat La première Bourse à la création de la ville de Lausanne revient à l’écrivain David Bosc, 42 ans, pour son projet «Mourir et puis sauter à cheval». Dotée de 10000 francs, elle vise à encourager les auteurs durant la phase de création, indique la municipalité. Origine de Carcassonne (F), David Bosc travaille dans l’édition à Lausanne et a publié trois romans: Sang lié, Milo et La Claire Fontaine (lire Le Courrier du 2 novembre 2013). Il a été choisi parmi 18 projets d’auteurs âgés entre 24 et 71 ans, précise le communiqué. ATS MUSIQUE Pierre Lautomne à Meyrin Alliant rock, poésie et ballades, le chanteur Pierre Lautomne donnera un concert à la salle Antoine Verchère de Meyrin vendredi, à l’occasion de la sortie de son nouveau disque La Friche. Un vernissage du CD est prévu après le concert. Pierre Lautomne est né le 21 septembre 1965 à Genève. En 2008, il a obtenu avec ses chansons le prix du Coup de Cœur francophone de l’Académie Charles Cros. MOP Ve 2octobre à 20h (portes 19h) à Meyrin, salle Antoine Verchère, 297 rte de Meyrin, bar et petite restauration.