Edwin Campion Vaughan (1897

Transcription

Edwin Campion Vaughan (1897
Edwin Campion Vaughan (1897-1931)
Né dans une famille nombreuse d’origine irlandaise,
Edwin Vaughan vient de terminer ses études au collège
jésuite de Saint-Ignace, à Londres, quand il s’enrôle dans les
Artists Rifles en 1915. Après une période de formation au
camp Hare Hall, en Essex, il devient sous-lieutenant dans le
régiment du Royal Warwickshire en juin 1916 et part pour la
France en janvier 1917.
En août et septembre 1917, il prend part à la bataille de
Passchendaele et tient un journal de bord. Remplaçant
quelques heures son capitaine tombé sous le feu de l’ennemi, il sera promu à ce
même rang en octobre. Son unité rejoint ensuite le front italien, avant de revenir
en France, où il décroche la Croix Militaire à Landrecies pour s’être emparé d’un
pont sur la Sambre le 4 novembre 1918. Ce même jour, le poète Wilfrid Owen est
tué en essayant de traverser le canal Sambre-Oise à quelques kilomètres de là.
Après la guerre, le retour à la vie civile est particulièrement difficile pour
Edwin Vaughan. Il s’engage à nouveau dans l’armée en 1922 et devient pilote
dans la R.A.F., mais doit renoncer à voler en 1928 en raison de problèmes de
santé. Il meurt en 1931, suite à une erreur de médication, laissant derrière lui une
veuve et quatre orphelins.
Son journal de guerre est découvert en 1940 et ne sera publié qu’en 1981 sous
le titre de Some Desperate Glory. Il retrace les quelques mois de 1917 où il a
combattu sur le front occidental, avant d'être envoyé sur le front italien. Ce journal
est d'un grand intérêt dans la mesure où l'auteur parle en toute franchise de choses
que les combattants préfèrent d'habitude passer sous silence. Le ton est direct,
empreint parfois d’une certaine candeur. On n'y trouve aucune mention de
stratégie ou de tactique militaire. Il s’agit du compte rendu d’un jeune officier
dont les ingrédients sont la lassitude, la peur et les blagues entre camarades. Une
juxtaposition de faits épars, qui témoignent du quotidien de la guerre et de son
horreur aussi : les cris des soldats blessés qui se noient dans la boue de la Flandre
belge et le chaos qu’est devenu ce secteur où le nombre de mètres gagnés sur
l’ennemi se compte en centaines de milliers de morts. Some Desperate Glory
prouve que les simples journaux de bord peuvent être d’une lecture passionnante
malgré leur absence de travail élaboré sur le style.
Dans la dernière page du journal, Vaughan écrit, le 28 août : Ainsi, c’était la
fin de la compagnie D. Je me sentais seul et j’avais envie de vomir en rentrant
dans ma tente pour remplir le formulaire d’état des pertes. Au lieu d’écrire les
noms, je me suis assis sur le sol et j’ai bu whisky sur whisky tout en regardant
vers l’avenir, qui n’était que vide et noir.
12 août. Dimanche. Un peu avant midi, nous avons tout à coup reçu l'ordre de nous
rapprocher des premières lignes. Après avoir fait notre paquetage en toute hâte, nous
nous sommes mis en route à deux heures et demie. Direction Pop (1) puis la route
d'Ypres. J'avais les nerfs à vif, incapable de parler parce que trop nerveux, enivré par
l'authentique atmosphère de la guerre. Nous faisions désormais partie du flot
incessant qui s'en allait gonfler l'immense réservoir situé derrière Ypres, en attendant
d'être lâchés en bloc, hommes, canons et obus, sur les lignes ennemies.
Haut dans le ciel, de petites formations d'aéroplanes décrivaient des cercles au milieu
des jolies fumées roses des shrapnels. De chaque côté de la route, ce n'était que
peupliers brisés et champs dévastés, et venant à notre rencontre des files traînantes
d'ambulances et de troupes fatiguées. Après un peu plus d'un kilomètre, nous avons
pris à gauche vers Dirty Bucket Corner, où nous avons fait une brève halte devant le
bois qui abritait notre camp. C'était un camp miteux composé de bivouacs, de tentes,
de baraques et d'abris bâchés où les hommes s'entassaient du mieux qu'ils pouvaient.
Notre mess, qui était également l'endroit où nous dormions, était situé dans une petite
cahute où il y avait seulement une table et quelques banquettes. L'endroit était sinistre
avec ses trous d'obus et ses arbres déchiquetés, témoignages de l'attention que nous
portaient les artilleurs allemands. Parmi les arbres, il y avait une grande concentration
de chars, et le nom du camp n'était autre que Slaughter Wood ! (2)
(1) Poperinghe
(2) Le bois du carnage.
13 août. Nous avons appris ce matin que nous allions regagner la ligne demain et que
le 16 nous épaulerions un bataillon d'Irish Rifles à Saint-Julien. L'imminence de
l'attaque m'a d'abord rempli de frayeur. Je tremblais comme une feuille, incapable
dans un premier temps de participer à la moindre discussion avec mes hommes. Mais
après avoir examiné un peu la carte et transmis les renseignements à ma section, je
suis redevenu calme. Avant que n'arrive midi, nous avons pris connaissance de tous
les détails du terrain et reçu, par erreur, des tenues de seconde classe. (...)
15 août Cette nuit, je n'ai pas réussi à dormir, je pensais sans cesse à l'attaque qui
viendrait sous peu, m'imaginant déchiqueté par un obus ou gravement blessé en plein
milieu des barbelés. J'ai dû attendre l'aube pour plonger dans le sommeil. J’ai ainsi
dormi par intermittence jusqu'à neuf heures.
La journée a été bien remplie : inspection des masques à gaz, fusils, mitrailleuses
Lewis, pansements individuels, vivres de réserve, plaques d'identité, etc. Nous nous
efforcions de plaisanter avec les hommes malgré l'appréhension qui rongeait et
paralysait nos esprits. En début de soirée, j'ai enfilé mon uniforme de Tommy et j'ai
préparé ce qu'il fallait pour pouvoir faire face à toute éventualité : lacets de rechange et
ficelle dans une poche, crayons dans une autre, ciseaux dans la pochette de
pansement, vivres et cigarettes dans mon havresac, cartes et plans codés camouflés
dans la sacoche du masque respiratoire ainsi qu'une poignée de balles pour mon
revolver. Je me suis assuré que mon chapelet était bien cousu à l'intérieur de ma
tunique avec la pièce d'un souverain que Mary m'avait donnée comme porte-bonheur
et j'ai également vérifié que mes médailles religieuses, ainsi que ma plaque d'identité,
étaient bien attachées à mes bretelles. Nous avons donné notre argent et nos beaux
étuis à cigarettes au sergent-major Braham pour que les Allemands ne puissent pas en
profiter s'il nous arrivait quelque chose. Puis nous nous sommes mêlés aux hommes et
nous avons parlé avec désinvolture de la grande affaire du lendemain.