Droit à l`oubli
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Droit à l`oubli
1 - Droit à l’oubli quand la télé remue le couteau dans la plaie Publié le 17/01/2012. TELERAMA. Tel “Faites entrer l'accusé”, nombre d’émissions stigmatisent les justiciables, détenus ou libérés. Une double peine qui les marque à vie. Appelons-la « Mme X ». Elle vit en province. En 1998, Mme X est condamnée à une lourde peine de prison pour assassinat. Dans les années 2000, Faites entrer l'accusé, sur France 2, consacre un numéro à son affaire. Gros succès dans l'établissement pénitentiaire où elle est, à l'époque, encore incarcérée. « Ça a été infernal pour elle, s'indigne son avocat. Dans les semaines qui ont suivi la diffusion, ma cliente a subi des brimades, des insultes de la part de ses codétenues. » Il y a quelques mois, sur la TNT, une émission s'empare à son tour de cette télégénique histoire, exhume le nom de la femme et les détails les plus croustillants du crime. Désormais libre, Mme X change d'employeur. Certains amis lui demandent d'« oublier » leur numéro de téléphone. Et son père reçoit, depuis, des appels anonymes. « Combien de temps va-t-on me renvoyer mon passé à la figure ? s'interroge-t-elle aujourd'hui. On a jugé que je n'étais plus dangereuse pour la société. S'il faut en permanence payer cette liberté, pourquoi m'avoir sortie de prison ? J'ai le sentiment de subir une double peine. » Son exemple n'est pas isolé. Depuis quelques années, des associations militent pour que soit reconnu un « droit à l'oubli » pour les détenus et les personnes en voie de réinsertion. Avec difficulté car, les procès étant publics, rien n'interdit d'en évoquer la matière. En cause, les magazines de faits divers, accusés de représenter « une justice parallèle » et d'appliquer une « peine de mort sociale ». En 2009, Ban public, un organisme d'information sur les prisons, sensibilise l'opinion au cas de Jean-Marc D. Devenu un « détenu modèle », ce condamné à perpétuité a subi des violences en prison après la diffusion de deux émissions (Faites entrer l'accusé puisEnquêtes criminelles). La même année, des aumôniers de prison écrivent à Christophe Hondelatte et au CSA pour dénoncer les conséquences d'un Faites entrer l'accusé – consacré au réseau pédophile d'Angers – sur les protagonistes et leurs familles. « En détention, ces émissions sont extrêmement regardées et créent des abus, confirme Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Il arrive que des détenus se fassent frapper pendant les promenades. Ou que des surveillants complaisants ouvrent les cellules à des codétenus, qui vont venir tailler quelqu'un en pièces ! » Hors du milieu carcéral, la stigmatisation continue. « Nous recevons des plaintes de personnes qui, à la suite d'une émission, ont été obligées de déménager, ou qui ont subi des pressions pour quitter leur emploi, déplore Stéphanie Djian, codirectrice de l'Observatoire international des prisons (OIP). Même s'ils ont évolué, s'ils sont passés à autre chose, les ex-condamnés sont étiquetés à vie, ainsi que leurs familles ! » En s'emparant des histoires criminelles, parfois des années après les faits, les magazines figent une histoire. « On replace les personnes dans un contexte de tension, on réactive ce qu'ils étaient à un moment donné, la manière dont ils ont pu apparaître et parler lors de leur procès », explique Marie Crétenot, de l'OIP. “Le droit à l'oubli n'existe pas dans la législation. Les affaires criminelles ayant été jugées de manière publique, on considère qu'elles le seront toujours.” Henri de Beauregard, avocat La pression s'accroît d'autant plus que, ces dernières années, les émissions de faits divers se sont multipliées. Enquêtes criminelles (W9), Non élucidé (France 2), Les faits Karl Zéro (13ème Rue), Présumé innocent (Direct 8)… on ne compte plus les rendez-vous dédiés au crime, tous plus ou moins inspirés de Faites entrer l'accusé, créée en 2000. « Les émissions se pillent les unes les autres, reprennent les mêmes affaires », constate l'avocat Henri de Beauregard. Diffusés et rediffusés en boucle, notamment sur les chaînes thématiques, les magazines exhument les noms, les visages, les crimes, au gré d'un agenda qu'eux seuls maîtrisent. « Lorsqu'on parle de vous à un moment donné, vous ne savez jamais combien de temps ça va durer », déplore Mme X. Régulièrement, les personnes incriminées ou leurs proches tentent d'intervenir. Envoient des courriers aux productions, engagent des actions en référé pour s'opposer aux rediffusions, ou demander au moins l'anonymat. Généralement, rien n'aboutit. « Le droit à l'oubli n'existe pas dans la législation, explique maître de Beauregard. Et, dans ce type de cas, agir sur le fondement du droit à l'image ou de la vie privée ne sert à rien. Les affaires criminelles ayant été jugées de manière publique, on considère qu'elles le seront toujours. » Côté télévision, on se défend de tout abus. « Nous ne donnons aucune indication sur la vie présente des personnes condamnées, et il peut nous arriver, dans de très rares cas, de ne pas donner les noms, explique Christian Gerin, le producteur de Faites entrer l'accusé. Mais à partir du moment où nous ne sortons pas de ce qui a été dit au procès, j'estime que nous n'avons pas à faire plus que ce que demande la loi ! Surtout dans une société où les informations circulent sur le Net sans aucune précaution ! » Matrice des émissions de faits divers – et à ce titre régulièrement pointée du doigt –, Faites entrer l'accusé oppose surtout au droit à l'oubli le devoir de mémoire : « Nous offrons la possibilité aux victimes, aux parties civiles, qui parfois n'ont pas eu le sentiment d'être entendues au procès, de mettre des mots sur leur douleur et de digérer leur histoire », explique Isabelle Clairac, la rédactrice en chef de l'émission. “L'idée de reconnaître un droit à l'oubli me paraît aberrante. Qu'est-ce que cela signifie ? Que les réalisateurs, les journalistes ne devraient plus s'emparer des grandes histoires criminelles ?” Isabelle Clairac, rédactrice en chef de “Faites entrer l'accusé” Est-il pour autant légitime de considérer que, face au droit à l'image, certains protagonistes sont « moins égaux que d'autres » ? « Lorsqu'on choisit de traiter un dossier, on ne se dit pas : “Ce type, quelle ordure, on va lui mettre une heure vingt sur le dos !” se justifie Isabelle Clairac. Ce qui nous intéresse dans une affaire, c'est ce qu'elle dit de la société, du fonctionnement de la justice, des hommes. Dans cette optique, l'idée de reconnaître un droit à l'oubli me paraît aberrante. Qu'est-ce que cela signifie ? Que les réalisateurs, les journalistes ne devraient plus s'emparer des grandes histoires criminelles ? » L'argument tient lorsqu'il s'agit d'évoquer les crimes les plus médiatiques. Mais, comme le rappelle Benoît David, l'avocat de Ban public, « tous les faits divers ne représentent pas des faits d'Histoire ». Obligées de renouveler leurs sommaires, les émissions regorgent de viols et de meurtres spectaculaires dont les protagonistes sont totalement inconnus du grand public. « Je me souviens d'une cliente dont l'affaire a été évoquée dans la presse locale, mais n'a eu aucun écho dans la presse nationale, plaide maître de Beauregard. C'est la télévision qui a attiré l'attention sur elle ! Dans ce cas précis, je ne vois pas ce qu'apporte la mention de son patronyme. » Légalement inattaquables, les méthodes des magazines n'en soulèvent pas moins des questions déontologiques. « Il arrive que des avocats témoignent sans le consentement de leur client », explique Benoît David. Ou, plus ubuesque, que ce consentement soit donné faute de réelle alternative. « Je me suis retrouvé dans cette position, aberrante, d'attaquer Faites entrer l'accusé… puis d'y participer, explique maître de Beauregard. C'est une logique en deux temps : d'abord, on se dit que c'est dégueulasse d'y apparaître, dans la mesure où l'on revendique justement le droit à l'oubli. Et puis on réalise que si l'on ne défend pas son client, l'émission ne le fera pas à votre place ! » Quel que soit le niveau d'objectivité ou de neutralité revendiqué par les émissions, le crime y est abordé comme un spectacle. Quel que soit le niveau d'objectivité ou de neutralité revendiqué par les émissions, le crime y est abordé comme un spectacle. On ne se contente pas d'exhumer le passé, on le revisite. Par l'habillage, d'abord : même les émissions les plus scrupuleuses mettent le paquet sur les effets de mise en scène, sur des reconstitutions dramatisantes… Ensuite, par le commentaire : invités à retracer les faits, plusieurs années après, les acteurs du dossier (juges, avocats, experts psychiatres) s'égarent parfois en interprétations intempestives, dépassant le cadre de leurs compétences. Quitte à sortir des clous : en 2010, le tribunal correctionnel de Paris condamnait France Télévisions pour injure publique, après la diffusion d'un Faites entrer l'accusé où un condamné était qualifié de « pourri » par un commandant de police… Régulièrement saisi de plaintes de détenus ou d'associations, le CSA a rappelé France Télévisions à l'ordre en mars 2010. Tout en reconnaissant aux médias « une grande latitude pour relater les faits tirés d'affaires judiciaires jugées », il demande aux magazines qui exhument des événements qu'« aucune actualité récente ne vient nécessairement éclairer » d'assurer « la protection de l'image de la personne par tout moyen adapté, y compris, si nécessaire, la transformation de la voix de l'intéressé », le tout « afin de préserver les possibilités de réinsertion des personnes condamnées ». En août dernier, le même CSA a signé une convention avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté, afin de recenser les atteintes à l'image des détenus à la télévision et de leur assurer une meilleure protection… Les magazines ont beau faire la sourde oreille, la question du droit à l'oubli commence à irriguer le milieu télévisuel. A l'heure où les caméras entrent de plus en plus régulièrement dans les prétoires, certains documentaristes s'engagent à limiter dans le temps les possibilités de rediffusion, ou conditionnent celles-ci à la renégociation des autorisations obtenues auprès des protagonistes. Dans un univers médiatique en expansion, où les traces du passé sont de plus en plus difficiles à effacer, la loi seule ne suffit pas toujours à assurer la protection de la vie privée. Le défi, aujourd'hui ? Imaginer de nouvelles règles déontologiques permettant de concilier les impératifs de la liberté d'expression avec ceux d'un droit à l'image dont la reconnaissance est trop souvent soumise à l'arbitraire des appréciations personnelles. Afin de permettre aux individus – comme les y autorisent les tribunaux eux-mêmes – de pouvoir, un jour, tourner la page. http://television.telerama.fr/television/droit-a-l-oubli-quand-la-tele-remue-le-couteau-dans-la-plaie,76655.php 2 - Le droit à l’oubli de Florence Rey Publié le 28 novembre 2013 dans Droit et justice Florence Rey, dont on parle à nouveau à l’occasion de « l’affaire Dehkar », et qui a payé sa dette, peut-elle revendiquer un droit à l’oubli ? Par Roseline Letteron. Le 20 novembre 2013, Abdelhakim Dekhar était arrêté dans un parking à Bois-Colombes. Il est aujourd’hui mis en examen, soupçonné d’être l’auteur des tirs qui ont gravement blessé un photographe de Libération. Dans cette affaire, la justice doit donc désormais suivre son cours, avec sérénité. Le problème est que l’affaire Dekhar renvoie à une affaire antérieure dont elle ravive le souvenir, et que les médias rappellent largement. Abdelhakim Dekhar avait été condamné en 1998 à quatre années pour association de malfaiteurs, dans le cadre de l’affaire « Florence Rey – Audry Maupin ». En octobre 1994, ces deux jeunes gens, respectivement âgés de dix-neuf et vingt-deux ans, prenaient en otage un chauffeur de taxi et son passager, et entamaient une course poursuite qui se terminait Place de la Nation, après avoir fait cinq victimes. Si Audry Maupin a été tué par la police, Florence Rey est toujours vivante. Elle a été condamnée à vingt ans de prison en 1998, libérée en 2009 après avoir été incarcérée durant quinze ans. Depuis 2009, personne n’a entendu parler d’elle, et son avocat fait savoir qu’elle mène une vie discrète, qu’elle travaille habituellement, même si elle est actuellement à Pôle Emploi. Par son intermédiaire, elle déclare qu’elle n’a plus aucun lien avec Dekhar, et elle le qualifie de « sinistre personnage« . Certes, il n’est pas question de remettre en cause les crimes commis par Florence Rey. Ils sont extrêmement graves, et sa condamnation était parfaitement proportionnée à ses actes. Il n’empêche qu’elle a, selon la formule consacrée, « payé sa dette », et qu’elle est aujourd’hui titulaire des mêmes droits que n’importe quel citoyen. Dans le cas présent, la question posée est donc de savoir si elle peut revendiquer un droit à l’oubli. Droit à l’oubli numérique et droit à l’oubli dans la presse La consécration d’un droit à l’oubli numérique, auquel se réfère notamment le droit de l’Union européenne, a permis, si l’on ose dire, de faire sortir de l’oubli le droit à l’oubli. Il confère aujourd’hui à l’individu le droit d’exiger la suppression définitive de données personnelles le concernant. Cette approche récente du droit à l’oubli numérique a eu pour effet de faire passer au second plan son application la plus ancienne, en matière de presse. L’oubli imposé par la loi La loi peut certes imposer le silence à la presse en matière de condamnations pénales. C’est précisément l’objet des lois d’amnistie, qui interviennent généralement dans le but d’imposer une réconciliation après un conflit, et l’on songe aux amnisties intervenues après la Commune ou la guerre d’Algérie. Dans ce cas, le rappel par la presse d’une condamnation amnistiée est toujours fautif (par exemple : Crim. 15 mars 1988). Les effets sont identiques en matière de réhabilitation, procédure qui permet à un condamné qui a purgé sa peine de bénéficier de l’effacement de sa condamnation, et donc du droit à l’oubli, s’il n’a pas fait l’objet d’une nouvelle condamnation pendant un certain délai (art. 133-12 c. pén.). Inutile de dire que, compte tenu de la gravité de ses crimes, Florence Rey n’a été ni amnistiée ni réhabilité. L’oubli imposé par la jurisprudence Se voit-elle pour autant refuser tout droit à l’oubli ? Certainement pas car l’essentiel du droit à l’oubli a une origine jurisprudentielle. Plus précisément, il apparaît avec la très célèbre affaire Landru, en 1965, sous la plume très critique du Professeur Gérard Lyon-Caen. À l’époque, l’ancienne maîtresse du célèbre criminel demandait, devant le juge civil, réparation du préjudice que lui causait la sortie d’un film de Claude Chabrol, relatant une période de sa vie qu’elle aurait préféré enfouir dans le passé. Le juge a alors évoqué une « prescription du silence« , pour finalement rejeter la demande au motif que la requérante avait elle-même publié ses mémoires, et que le film reprenait des faits relatés dans des chroniques judiciaires parfaitement accessibles (TGI Seine, 14 octobre 1965. Mme S. c. Soc. Rome Paris Film, confirmé en appel : CA Paris 15 mars 1967). Le terme de « prescription du silence » était l’objet même de la critique de Gérard Lyon-Caen, car elle laissait supposer une certaine automaticité. Or, le juge apprécie ce type d’affaire au cas par cas, en fonction des intérêts en cause, et de la réelle volonté de discrétion affirmée par l’intéressé. C’est sans doute pour cette raison que le TGI de Paris, dans une décision Madame M. c. Filipacchi et Cogedipresse du 20 avril 1983, va finalement consacrer la notion nouvelle : « Attendu que toute personne qui a été mêlée à des évènements publics peut, le temps passant, revendiquer le droit à l’oubli (…) ; Attendu que ce que droit à l’oubli qui s’impose à tous, y compris aux journalistes, doit également profiter à tous, y compris aux condamnés qui ont payé leur dette à la société et tentent de s’y réinsérer« . Le droit à l’oubli a donc intégré le droit positif il y a déjà plusieurs décennies, par la voie de la responsabilité civile. Rien n’interdit cependant à l’intéressé d’invoquer devant le juge pénal son droit à l’oubli, dès lors qu’il est constitutif d’une violation de la vie privée, voire d’une diffamation. Tel serait le cas, par exemple, si la presse, rappelant le passé de Florence Rey, révélait des informations permettant d’identifier le lieu où elle réside. C’est le sens de la décision du CSA du 10 janvier 2010, qui rappelle à France 2 que l’émission « Faites entrer l’accusé » doit s’abstenir de donner à l’antenne des informations relatives à la vie présente de la personne condamnée. Lorsque celle-ci s’exprime dans l’émission, elle doit également pouvoir obtenir le floutage de son image et la transformation de sa voix. Étendue du droit à l’oubli Quelles seraient les chances de succès de Florence Rey, si elle saisissait le juge pour atteinte au droit à l’oubli ? Pour le moment, il faut bien le reconnaître, elles sont assez limitées, car la jurisprudence considère que la violation du droit à l’oubli n’est constituée que si la publication ne peut être justifiée par « aucune nécessité évidente de l’information immédiate ou de la culture historique des lecteurs » (TGI Paris 20 avril 1983, Mme M. c. Kern). Dans le cas de Florence Rey, il est clair que « la nécessité évidente de l’information » existait dans les jours qui ont suivi l’arrestation d’Abdelhakim Dekhar. La nécessité est cependant de moins en moins évidente au fur et à mesure que les jours passent. Quant à la « culture historique », elle n’entre pas en ligne de compte, dès lors que le nom de Florence Rey est prononcé uniquement en liaison avec un fait divers tristement actuel. Le juge s’efforce donc de trouver un équilibre entre le droit légitime à l’information et le droit à l’oubli de celui ou celle dont le nom est de nouveau stigmatisé dans la presse. Il appartient donc aux journaux de se montrer responsables, et de ne pas chercher à faire de Florence Rey un objet de curiosité médiatique. Dans le cas contraire, celle-ci serait bientôt fondée à invoquer son droit à l’oubli et à obtenir réparation. Considéré sous cet angle, le droit à l’oubli est aussi un moyen de ne pas transformer la coupable en victime. http://www.contrepoints.org/2013/11/28/147879-le-droit-a-loubli-de-florence-rey 3 - Droit à l'oubli : la Cour de cassation fait de la résistance 12/12/2014 Fabrice LORVO avocat Le recours au droit pour assurer l'oubli d'une information est une technique ancienne. Il y est fait de nouveau recours suite à l'évolution récente des technologies. Ce droit à l'oubli ne doit cependant pas être général ou absolu et c'est très justement que la Cour de cassation en limite la portée. Une technique ancienne redevenue d'actualité sous l'impulsion d'Internet Historiquement, le droit est souvent intervenu pour qu'un fait ou une information ne soit plus visible dans le présent. Au plan pénal, d'abord, l'oubli a conduit à supprimer certaines pratiques (le passeport jaune du forçat) et à instaurer des lois d'amnistie. Au plan civil, on peut citer d'une part la prescription extinctive (qui fait que l'écoulement du temps entraine la disparition d'un fait) et d'autre part, la prescription acquisitive (qui fait que l'écoulement du temps permet l'acquisition d'un droit). On peut trouver une autre forme de droit à l'oubli dans les interdictions de publier certaines informations. Par exemple, la publication par voie de presse de l'identité de mineurs délinquants est une infraction pénale (amende de 15 000 €). De même, la publication par voie de presse de l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle est une infraction pénale (amende de 15 000 €). Outre l'intervention du droit, autrefois et jusqu'à récemment, l'écoulement du temps faisait son office. L'oubli était automatiquement régulé, soit par la disparition des supports de l'information (désagrégation du papier journal), soit par l'enfouissement de l'information sous les supports (un journal succède à un autre journal). A l'heure d'Internet, du fait de la dématérialisation des supports de l'information, cette dernière devient indestructible. De plus, grâce aux moteurs de recherche, elle devient immédiatement accessible. Internet a donc créé un trouble en faisant disparaître le passé puisqu'il instaure une sorte de présent permanent où l'oubli devient beaucoup plus difficile. Le droit se devait donc de nouveau d'intervenir pour limiter les effets pervers de cette disparition. Le droit à l'oubli est nécessaire mais il ne doit être ni général ni absolu Le droit à l'oubli consiste dans la possibilité de modifier ou supprimer toute information concernant chacun d'entre nous et ce afin de garder le contrôle sur sa vie privée. Le droit à l'oubli a d'abord vocation à concerner les informations publiques et accessibles sur Internet. En novembre 2013, le Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné à Google de retirer et de faire cesser l'affichage, sur son moteur de recherche Google Images, de neuf clichés montrant un individu (à l'époque Président de la Fédération Internationale de l'Automobile) revêtu d'un costume nazi en train de se prêter à des jeux sadomasochistes avec des prostituées. En mai 2014, la CJUE a ordonné la désindexation de certaines informations afin que "l'information relative à (une) personne ne soit plus, au stade actuel, liée à son nom par une liste de résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom". Cependant, jusqu'où le droit doit-il faire disparaître du présent un événement passé ? Au-delà des liens informatiques vers l'information, faut-il aussi faire disparaître le support informatique de l'information ? un article de journal qui était toujours en ligne sur Internet mentionnait une condamnation pénale d'une personne. Cette condamnation avait été annulée en appel. L'information, exacte au moment de sa publication, était devenue obsolète postérieurement du fait de l'arrêt d'appel. Devait-on pour autant supprimer l'article de presse des archives d'Internet ? Les tribunaux ont refusé car cela aurait conduit à réécrire l'histoire. Les juges ont suggéré qu'il convenait uniquement de faire une mention, sur l'article de l'époque, de l'infirmation de la décision par la cour d'appel. Il a été demandé à la justice d'aller encore plus loin en faisant disparaitre le support physique d'une information non publique. En effet, une personne ayant renié son baptême a demandé que la mention de celui-ci soit effacée des registres de l'Eglise. La particularité de la démarche de l'intéressé était d'abord que l'information en cause n'était pas publique. En effet, la Cour de cassation a relevé que "la consultation du registre qui portait mention du baptême n'était ouverte, l'intéressé mis à part, qu'aux ministres du culte, eux-mêmes tenus au secret, et que la seule publicité donnée à cet événement et à son reniement émanait de M. X.. (l'intéressé)." Pour rejeter ladite demande, dans son arrêt du 19 novembre 2014, la Cour de cassation ne s'est pas placée sur le terrain du caractère non public de l'information. Elle a jugé que "l'arrêt relève que les représentants légaux de M. X... avaient pris l'initiative de le faire baptiser et, par là-même, donné leur consentement à la relation de cet événement sur le registre des baptêmes et constate qu'à la demande de l'intéressé, la mention « a renié son baptême par lettre datée du 31 mai 2001" a été inscrite sur ce registre le 6 juin 2001 en regard de son nom ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a justement retenu que, dès le jour de son administration et en dépit de son reniement, le baptême constituait un fait dont la réalité historique ne pouvait être contestée, a décidé, à bon droit, qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner l'effacement de sa mention du registre." La Cour de cassation a donc résisté à la tentation d'un oubli intégral et maintenu une frontière. Qui a-t-il au-delà de cette frontière ? probablement la possibilité de réécrire notre histoire pour qu'elle ressemble, non pas à ce que l'on a été, mais à ce que l'on aurait voulu être. Une telle réécriture serait de nature à fausser les faits historiques. Qu'en sera-t-il alors pour les hommes de demain qui étudieront un passé falsifié notamment pour tenter de comprendre l'état de leur société ? La Cour de cassation nous rappelle qu'un homme sans histoire n'a pas d'avenir. En conséquence, il faut saluer la vigilance de la Cour de cassation qui résiste à toute demande tendant à réécrire histoire. http://www.huffingtonpost.fr/fabrice-lorvo/droit-a-loubli--la-cour-de-cassation-fait-de-la-resistance_b_6307738.html 4 - Emissions traitant d’affaires judiciaires et droit à l’oubli IRIS 2013-3:1/14 Légipresse - Amélie Blocman La 17e chambre du TGI de Paris ainsi que le CSA ont été tour à tour saisis de la question de l’utilisation et la diffusion de l’image des personnes détenues, au regard de leur vie privée et d’un droit à l’oubli invoqué par ces dernières. Dans le cadre de l’émission « Enquêtes criminelles », diffusée sur la chaîne W9, avait été présenté un reportage retraçant une célèbre affaire dans laquelle quatre militaires ont été condamnés en 1991 à la réclusion criminelle à perpétuité pour viols et meurtres avec actes de barbarie. L’un des condamnés, incarcéré depuis plus de 21 ans, et qui poursuit un doctorat en informatique et est salarié d’une société de services informatiques, a fait citer en justice la société de production ainsi que la chaîne de télévision, pour demander réparation du préjudice subi au titre de l’atteinte à son droit à l’image et à la vie privée. Il demandait en outre l’interdiction de la rediffusion de l’émission ou, à tout le moins, l’anonymisation du programme. Il soutenait en effet que les images le représentant avaient été diffusées dans son autorisation, en violation de l’article 9 du Code civil qui consacre le droit à la vie privée. Le tribunal rappelle le principe selon lequel la protection instaurée par l’article 9 du Code civil peut céder devant la liberté d’informer sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, justifié par certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général, et qu’il appartient donc au juge de rechercher leur équilibre et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Or, l’image du demandeur apparaît dans le documentaire litigieux soit au moyen de photographies d’identité prises dans le cadre de ses fonctions militaires, soit sur les clichés et films pris lors du procès d’assises. Ces documents sont jugés constituer une illustration pertinente d’un sujet d’intérêt général, s’agissant de relater une affaire judiciaire ayant pris à l’époque le caractère d’un événement public ayant contribué à relancer le débat sur la peine de mort. Le tribunal juge qu’aucune atteinte au droit à l’image du demandeur n’a été commise. Examinant la prétendue atteinte à la vie privée du demandeur, le tribunal constate que les faits criminels et le contexte de l’affaire ont été licitement révélés par les comptes rendus judiciaires. Le fait qu’ils soient à nouveau relatés ne peut être considéré comme illégitime, même s’ils ne se rattachent pas directement à un fait d’actualité. En outre, le reportage ne révèle aucun élément de la vie actuelle du demandeur. Enfin, le tribunal juge que ce dernier ne saurait invoquer un droit à l’oubli qui n’est consacré par aucun texte et qui, en l’espèce, ne peut prévaloir sur le droit du public à une information libre, complète et objective sur une affaire pénale, dès lors que le reportage litigieux révèle à la connaissance du public des faits qui ont donné lieu à un débat judiciaire puis à une condamnation définitive des protagonistes. De plus, le tribunal relève que le réalisateur n’a pas manqué à ses devoirs de prudence et d’objectivité dans la relation des faits commis par le demandeur et dans la description qu’il fait de ce dernier, lequel au demeurant ne conteste pas la réalité des informations contenues dans l’émission. Dès lors, aucune atteinte invoquée n’est retenue et le demandeur est intégralement débouté de ses demandes. Le CSA a été quant à lui amené à se prononcer sur l’émission Faites entrer l’accusé, qui retrace les grandes affaires criminelles françaises, diffusée sur France 2. Il a invité la chaîne à concilier l’information du public avec la protection des personnes et de leur entourage, et a préconisé de faire en sorte que ne soient pas reconnaissables les éléments liés à l’affaire qui ne sont pas strictement nécessaires à l’information du public. Il a également écrit à l’ensemble des éditeurs qui diffusent des émissions traitant d’affaires judiciaires passées ou en cours, afin de leur rappeler leurs obligations et leur faire part de ces mêmes préconisations. références TGI de Paris, 17e ch. Civ., 14 janvier 2013 - T. El Borgi c. Métropole Télévision et a. ■ http://merlin.obs.coe.int/iris/2013/3/article14.fr.html 5 - Consécration des droits à l'oubli et à l’anonymisation des décisions de justice sur Internet Article juridique publié le 12/10/2011 Auteur : MAITRE ANTHONY BEM Pour la première fois, le 12 juillet 2011, la formation contentieuse de la CNIL a sanctionner un site internet pour pratiques attentatoires au respect de la vie privée des personnes et au droit à l'oubli numérique pour avoir diffuser des décisions de justice non anonymisées. J'envisagerai ci-après les points suivants : - la décision du 12 juillet 2011 de la formation contentieuse de la CNIL (1) ; - le conflit entre le principe de publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée des personnes (2) ; - la Consécration d’un droit à l'oubli sur internet (3). 1) La décision du 12 juillet 2011 de la formation contentieuse de la CNIL En l’espèce, l'association LEXEEK a pour objet de : « En un mot, tout mettre en œuvre pour permettre l'accès public et gratuit aux ressources juridiques ». Cette association publiait des décisions de justice non anonymisées sur son site Internet. Ainsi, des particuliers ont découvert que des décisions de justice les désignant nommément étaient publiées sur le site Internet de LEXEEK. Mais le libre accès aux décisions de justice nominatives sur Internet peut être source de préjudices personnel, moral, psychologique, professionnel, matériel, etc … A titre d’exemple, la CNIL rapporte que l’un des plaignants s'est vu refuser un poste après que son potentiel employeur ait, via une recherche sur le moteur de GOOGLE, consulté une vieille décision judiciaire le concernant sur le site de LEXEEK. En vain, les plaignants avaient sollicité l'anonymisation de ces décisions auprès du responsable de l'association. C’est dans ce contexte que la CNIL a été saisie de diverses plaintes. En effet, par une recommandation du 29 novembre 2001, relative à la diffusion des données personnelles sur Internet, la CNIL préconisait que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles s'abstiennent d'y faire figurer le nom et l'adresse des parties ou témoins au procès, quels que soient l'ordre et le degré de juridiction ainsi que la nature du contentieux. Le 12 juillet 2011, la formation contentieuse de la CNIL a sanctionné LEXEEK en la condamnant à : - payer une amende de 10.000 euros ; - cesser la diffusion sur Internet de décisions de justices non anonymisées ; - publier la décision par voie de presse. Enfin, la CNIL a dénoncé ces faits au Procureur de la République afin que des poursuites pénales puissent éventuellement être engagées à l'encontre de l'association. Selon le communiqué de la CNIL « cette décision de sanction traduit la ferme volonté de la CNIL de faire respecter cette recommandation protectrice de la vie privée des personnes et de garantir un véritable droit à l'oubli sur internet ». Cette décision présente cependant un conflit entre le principe de publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée des personnes. 2) Le conflit entre le principe de publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée des personnes Il existe un conflit entre, d’une part, le principe de publicité des décisions de justice et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée des personnes En effet, il convient de rappeler que les articles 433 et 451 du code de procédure civile disposent respectivement que : « Les débats sont publics sauf les cas où la loi exige qu'ils aient lieu en chambre du conseil ». « Les décisions contentieuses sont prononcées en audience publique … » En matière criminelle, l’article 306 du code de procédure pénale dispose que : « Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les moeurs… » En matière correctionnelle, l’article 400 du code de procédure pénale dispose que : « Les audiences sont publiques. Néanmoins, le tribunal peut, en constatant dans son jugement que la publicité est dangereuse pour l'ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d'un tiers, ordonner, par jugement rendu en audience publique, que les débats auront lieu à huis clos… Le jugement sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique ». D’autre part, le droit au respect de la vie privée des personnes est un principe rappelé dans de nombreux textes tel que l’article 9 du code civil. De plus, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 prévoit que : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». Cette décision donne donc sa préférence au droit au respect de la vie privée des personnes sur Internet et instaure ainsi un véritable droit à l’oubli numérique. 3) Consécration d’un droit à l'oubli sur internet En tout état de cause, cette décision marque une évolution fondamentale vers la consécration d’un droit à l'oubli sur internet. En effet, le « droit à l’oubli » sur Internet apparait comme une garantie essentielle des libertés et du respect de la vie privée au regard du nombre d’informations personnelles accessibles sur la toile. Le 27 novembre 2009, le Secrétaire général de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) appelait de ses vœux la consécration d’un droit à l’oubli sur Internet. Or, la diffusion d’informations personnelles sur Internet est susceptible d’entrainer des conséquences dommageables car outre l’entourage de nombreux professionnels en ressources humaines, entreprises ou compagnies d’assurances utilisent ces données pour vérifier, compléter ou valider des dossiers de candidats, de salariés ou de clients. Comment gérer les conséquences sur sa vie personnelle ou professionnelle d’une condamnation judiciaire reprise sur un site Internet, sans limitation de durée, alors même qu’une publication par voie papier n’aurait eu qu’un effet ponctuel et que le casier judiciaire prévoit l’effacement, au bout d’un certain temps, des condamnations ? Ou encore, comment éviter qu’un bailleur refuse de louer un appartement à un jeune professionnel quand il aura trouvé sur lui des preuves d’une vie étudiante agitée, mais révolue ? Autant d’exemples qui démontrent pourquoi il serait impossible d’envisager que l’information mise en ligne sur une personne ait vocation à demeurer, alors que la nature humaine implique que les individus changent, se contredisent, bref, évoluent tout naturellement. Dans ce contexte, la consécration d’un droit à l’oubli sur Internet permet de garantir la protection de la liberté d’expression et de la liberté de pensée mais aussi du droit de changer d’avis, de religion, d’opinion politique, la possibilité de commettre des erreurs de jeunesse, puis de changer de vie. Conscient de cette nécessité impérieuse, le 13 octobre 2010, la Secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique a convoqué les grandes entreprises du Net, acteurs des réseaux sociaux, blogs, moteurs de recherche et associations de protection de l'enfance, afin de signer une charte pour faciliter la gestion par les internautes de leurs données personnelles, dans le cadre d'un futur « droit à l'oubli » numérique. Invités, Facebook et Google ont refusé de signer cette charte. La charte tend à « améliorer la transparence de l'exploitation des données publiées intentionnellement » par les internautes et à « faciliter la possibilité pour une personne de gérer les données qu'elle a publiées et qui concernent sa vie privée ». Cette charte sur le droit à l’oubli, signée par les entreprises du Net (Microsoft France, les Pages jaunes, Copains d'avant, trombi.com, Skyrock.com, l'Unaf, Action innocence et e-enfance etc …), annonçait le début d’une reconnaissance de ce droit en devenir. Ces sociétés se sont engagées à mettre en place un service de suppression des comptes et des données. A l’heure où la réputation de chacun sur Internet est devenue primordiale, la consécration légale d’un droit à l’oubli s’impose. Au travers de la décision précitée, la CNIL confirme sa volonté de faire respecter un nouveau droit sur Internet : celui de l’oubli numérique. http://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/consecration-droits-oubli-anonymisationdecisions-6655.htm#.VfFtyxHtmko 6 - Pas de loi, pas de droit à l’oubli ! Par Fabien Pinard, Juriste. - mardi 18 mars 2014 La Cour d’appel de Paris a récemment eu à juger d’une affaire relative au droit à l’oubli. Dans cette affaire, les juges privilégient avec force, dans un arrêt très pédagogique, le droit à l’information, estimant que " le droit à l’oubli (…) n’a aucune reconnaissance légale et ne saurait prévaloir sur le droit du public à l’information exhaustive et objective". C’est également l’occasion de rappeler une règle d’origine jurisprudentielle selon laquelle "la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée" (CA PARIS, Pôle 2 – Chambre 7, 26 février 2014, RG 13/01241). http://www.village-justice.com/articles/local/cache-vignettes/L200xH200/auton23835-a7120.jpg Les faits d’espèce étaient relativement classiques en matière de droit à l’oubli puisque l’on retrouve le schéma d’un individu condamné plusieurs années auparavant, repenti depuis, souhaitant à tout prix tirer un trait sur ce passé. Plus précisément, il s’agissait d’un documentaire tourné sous la forme de « docufiction » intitulé ‘Virée criminelle’, diffusé par la chaîne de télévision W9 le 2 mars 2011, relatant le dossier judiciaire de l’affaire dite ‘des paras de FRANZACAL’ dans laquelle l’individu avait été impliqué et condamné à la peine de la réclusion criminelle à perpétuité. Les juges de première instance n’ont pas accueilli les demandes de condamnation des sociétés ayant préparé et diffusé le documentaire. Le demandeur a donc été débouté de ses demandes et condamné au paiement des dépens de l’instance Déterminé à obtenir l’interdiction de la rediffusion de l’émission sur le réseau de diffusion de la société EDI TV ainsi que l’interdiction par la société CAPA de la cession de l’émission litigieuse, ce dernier a donc exercé un recours devant la Cour d’appel de Paris. Sa ligne d’attaque était divisée en deux volets : l’atteinte de ses droits à l’image et l’atteinte à sa vie privée. Sur l’atteinte aux droits à l’image Sur ce premier volet, il se fondait sur l’article 41 de la loi nº 2009-1436 du 24 novembre 2009 selon lequel « les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification ». Les juges évincent rapidement cet argument au motif que les clichés diffusés ont été pris avant l’incarcération et hors tout cadre pénitentiaire et qu’en l’occurrence « aucune image du demandeur prise en détention ne figure dans le reportage et celles qui sont diffusées sont une pertinente illustration du propos du réalisateur qui traite d’un sujet général car est évoquée une affaire judiciaire, dont les caractéristiques furent celle d’un événement public, et abordée la mise en cause de l’armée française confrontée à des investigations conduite en son sein par l’autorité judiciaire ». Sur l’atteinte à la vie privée Le second volet relatif à l’atteinte à la vie privée forme quant à lui le creux de la vague. Le demandeur à l’appel faisait en l’espèce valoir que le fait de « faire état des péripéties de sa vie familiale et de sa filiation, bafouait sa vie privée » et que « le respect de son droit à l’oubli, qui est ‘une composante de sa vie privée, avait été méconnu car l’image présentée de lui ne pouvait être que négative et nuire à sa vie privée ainsi qu’à sa vie sécurité’ ». Enfin, et surtout « que cette émission était un nouveau procès et une nouvelle condamnation ». C’est dans ce dernier argument que réside le nerf de la guerre, le douloureux rappel au public d’un passé lourd de conséquences. Les juges vont adopter face à ces prétentions un raisonnement didactique intéressant. Premièrement, ils commencent par vérifier la véracité des faits à la base du documentaire et il ne fait ici aucun doute « qu’il est établi que les faits criminels, leur contexte, et la personnalité du demandeur ont été licitement révélés au public par les comptes rendus judiciaires ». De ce constat, ils rappellent le principe selon lequel la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée. Si cette solution est aujourd’hui acquise, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, les juges du Quai de l’horloge ont d’abord estimé qu’il était possible pour les victimes de s’opposer à une redivulgation dans la mesure où cette dernière était présentée de manière à toucher un nouveau public [1]. En 2002, la Cour d’appel de Paris ira même jusqu’à considérer, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, qu’une redivulgation puisse être considérée comme « une intrusion grave et même une ingérence dans la vie familiale dont les souvenirs, même anecdotiques, des bons comme des mauvais jours, constituent le substrat et appartiennent au patrimoine de l’individu » [2]. Une partie de la doctrine s’est d’ailleurs accordée pour dire qu’il s’agissait d’une première reconnaissance d’un droit à l’oubli. Que nenni. D’ailleurs cette jurisprudence aura valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, cette dernière estimant que « les informations, une fois portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-même, cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles » [3]. Dans un arrêt de principe du 3 juin 2004, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect de sa vie privée » [4]. Aujourd’hui, la Cour d’appel de Paris semble bien avoir gardé en mémoire cet arrêt qui avait été rendu, à l’époque, à son encontre, et en rappelle avec force la substance. Seconde partie du raisonnement, les juges de la Cour d’appel rappellent que « la liberté d’expression et le droit du public à l’information, qui en est le corollaire, justifient que les médias puissent évoquer les faits divers ou les affaires judiciaires dès lors que les faits ne sont pas dénaturés et que la relation qui en est faite répond à l’exigence de prudence que doit dicter le respect du droit à la réputation d’ autrui ». Voici donc un joli rappel du mode d’emploi à destination des médias qui veulent traiter d’affaires judiciaires passées sans être inquiété. S’en suit une application stricto sensu de la règle de droit précitée aux faits d’espèce dans laquelle les juges constatent qu’ « aucun élément de la vie actuelle du demandeur n’est révélé », que « la partie de l’émission, (un débat), où est évoquée la situation du demandeur, alors détenu, n’est pas poursuivie par le demandeur qui (…) ne remet pas en cause la réalité des informations divulguées », et que « le réalisateur n’a pas manqué à son devoir de prudence en révélant sans dénaturation ni extrapolation le contenu d’une affaire judiciaire présentant les caractéristiques d’un sujet d’intérêt général » . Les juges finissent cette démonstration en établissant sans ambiguïté que « le droit à l’oubli, contrairement à ce que soutient le demandeur, n’a aucune reconnaissance légale et ne saurait prévaloir sur le droit du public à l’information exhaustive et objective comme au cas d’espèce ». C’est clair et précis, au regard des juges du fond, le droit à l’oubli n’a aujourd’hui, et en la matière, aucune consistance lui permettant d’être invoquée devant les prétoires. Dès lors "que les faits ne sont pas dénaturés et que la relation qui en est faite répond à l’exigence de prudence que doit dicter le respect du droit à la réputation d’autrui" le droit de savoir du public prime sur le droit à la vie privée. http://www.village-justice.com/articles/Pas-loi-pas-droit-oubli,16474.html#IY3EP8RQIbG1wCO3.99