D`un(e) prof à l`autre

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D`un(e) prof à l`autre
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D’un(e)
’un(e) prof … à l’autre
La lettre mensuelle
N u m é ro 6 3
Janvier 2014
des élèves actifs,
intéressés, gentils, travailleurs, ….
Au sommaire ce mois-ci :
p. 2
p. 2
p. 6
p. 10
• Editorial
• FLES : lire un récit court
• Ceci n’est pas un poème
• On vous informe :
- Proposition de sujets de stage en 1re année
- PISA : les écarts se creusent !
p. 13 • Lu dernièrement
N.B. : Ce document est
conçu pour pouvoir être
imprimé : n’hésitez pas à le
montrer à vos collègues.
D’un(e) prof … à l’autre
La lettre du régendat en français de HELMo Sainte-Croix
61, Hors-Château - 4000 Liège
Comité de rédaction : Sylvie Bougelet, Aurélie Cintori, Pierre-Yves Duchâteau, Jean Kattus
Abonnement/courrier : [email protected]
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D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre
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Editorial
Quel professeur n’a pas souhaité, au moins une fois dans sa vie,
avoir face à lui pendant toute une année scolaire une classe
d’élèves idéaux ? Eh non, même pas en rêve ! Mais pourquoi ?
Parce que ce qui fait sans doute la beauté du métier d’enseignant et pour certains l’assimile
même à un art, c’est justement qu’un des paramètres de la situation d’enseignementapprentissage demeure hors de portée du pouvoir de celui qui enseigne : l’élève. C’est lui qui
apprend et le verbe apprendre ne se conjugue pas à l’impératif !
Professeur
?
Elève
Compétences
?
Souhaitons-nous donc mutuellement de nous épanouir en 2014 dans la recherche
constamment renouvelée de ce qui adaptera le mieux notre enseignement aux élèves qui nous
sont confiés !
Bonne année 2014 !
: lire un récit court
Il n’est pas toujours simple d’aborder en FLES des textes écrits. Comment en effet en vérifier
la compréhension, quels objectifs poursuivre, que vont en retenir les élèves, que vont-ils
apprendre ? Et puis, que vont en comprendre les élèves s’ils n’en connaissent pas le
vocabulaire ?
Lors d’une visite de stage, j’ai pu assister à la lecture de ce récit dans une classe de FLES :
Antoine entre en courant dans la classe. Il est en retard, comme d’habitude.
- Monsieur, Monsieur ! crie-t-il encore tout essoufflé, cette nuit j’ai vu un loup-garou.
- A la télé ? demande Céline.
- Mais non, en vrai.
- Oh, arrête tes conneries, dit Fabien.
- Il veut faire l’intéressant, dit Valérie.
- Hou… hou… hou… loup-garou ! hurle Damien, pour rire.
Le maitre, lui, enfonce son bonnet sur ses oreilles.
- Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était habillé comme un homme, mais j’ai vu ses pattes
toutes poilues avec des griffes longues comme ça !
- Et il avait du vernis sur ses ongles ? demande Aline en se tordant de rire.
Toute la classe s’esclaffe bruyamment. Le maitre, lui, de ses mains gantées de noir, redresse
le col de son manteau.
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Antoine s’énerve :
- Puisque je vous dis que je l’ai vu ! Même qu’il avait des oreilles pointues et deux grandes
dents, là, comme un loup. Et ses yeux ! Tout rouges, comme du feu ! J’ai eu une de ces
trouilles quand il m’a couru après ! Je me demande comment j’ai pu lui échapper…
Mais plus personne ne l’écoute. Il attend un instant, puis s’assied, déçu, à sa place.
- Taisez-vous ! crie le maitre d’une voix rauque, animale.
Les yeux cachés derrière d’épaisses lunettes noires, il regarde Antoine fixement et marmonne
entre ses dents :
- Toi, la prochaine fois, je ne te louperai pas !
Bernard FRIOT, Nouvelles histoires pressées. Milan, 2007.
Ce texte m’a paru riche à plusieurs égards : les évènements se déroulent dans une classe, lieu
coutumier des élèves ; il est court : on peut le lire en 2-3 minutes ; il présente un vocabulaire
intéressant : souvent courant, parfois plus recherché, quelquefois familier ; enfin,
caractéristique particulièrement « exploitable », il s’agit d’un texte à chute : il s’achève de
façon surprenante.
Lorsqu’on présente un texte à des apprenants de français langue étrangère et seconde, on a
naturellement tendance à le lire en entier puis phrase par phrase (l’enseignant ou/et les
apprenants le lisent à voix haute) et à en expliquer tout le vocabulaire. Ensuite, pour autant
qu’il reste un peu de temps et que l’on y pense, on demande à l’apprenant de reformuler le
texte lu, afin d’en vérifier la bonne compréhension.
Outre que cette démarche est lente, fastidieuse et risque d’oblitérer l’intérêt du texte, elle ne
garantit pas une compréhension globale du document lu. D’une part, le sens global d’un texte
ne résulte évidemment pas de la simple addition du sens de mots supposés compliqués ; il
s’agit plutôt d’un réseau plus ou moins complexe mais toujours cohérent de significations
tantôt explicites (données par les mots du texte), tantôt implicites (inférées à partir des mots
du texte et/ou de connaissances du monde).
De plus, menée un peu machinalement par l’enseignant de l’explication d’un mot compliqué à
l’explication d’un autre mot compliqué, la mémoire vive de l’apprenant n’a pas le loisir
d’insérer ces nouvelles significations dans des unités de sens plus complexes ni à fortiori
d’agencer ces unités en réseaux pour établir le sens global du texte. Pour grossir le trait, le
texte apparait vite à l’apprenant comme une suite de mots difficiles qu’aucune
« macrostructure » ne relie les uns aux autres.
La démarche inverse, qui consiste à partir du sens global pour ensuite expliquer les mots plus
compliqués, me semble nettement plus fructueuse. Le sens global est établi d’emblée sur la
base de mots courants, puis pourra s’enrichir pas la suite, à mesure que le vocabulaire plus
spécifique sera abordé.
Comment s’y prendre ? Dans la mesure où ce texte s’y prête, je propose de le présenter par
fragments, ainsi que le prescrit la méthodologie de la lecture à dévoilement progressif. La
première unité présentée aux élèves s’interrompt après « Le maitre » :
Antoine entre en courant dans la classe. Il est en retard, comme d’habitude.
- Monsieur, Monsieur ! crie-t-il encore tout essoufflé, cette nuit j’ai vu un loup-garou.
- A la télé ? demande Céline.
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- Mais non, en vrai.
- Oh, arrête tes conneries, dit Fabien.
- Il veut faire l’intéressant, dit Valérie.
- Hou… hou… hou… loup-garou ! hurle Damien, pour rire.
Le maitre…
Le professeur lit ce premier extrait deux ou trois fois avec expressivité. Il pose ensuite des
questions assez simples :
Qui sont Antoine, Céline, Fabien, Valérie et Damien ? Ce sont des élèves.
Où sont-ils ? Ils sont dans leur classe.
Que font-ils ? Ils parlent, ils discutent.
Que s’est-il passé ? Antoine a vu un loup-garou la nuit.
A votre avis, que va faire le maitre ? Il va peut-être demander aux élèves de se taire…
Le professeur exige des phrases complètes en guise de réponses. Il n’aborde pas encore le
vocabulaire compliqué ou familier afin de ne pas ralentir le rythme de
lecture. Pour expliquer ce qu’est un loup-garou, les « hou » de Damien
devraient suffire dans un premier temps, du moins pour expliquer ce
qu’est un loup. Sinon, une image fera l’affaire. Au fil du texte, l’ensemble
« loup-garou » fera sens pour l’élève.
Les élèves découvrent la suite silencieusement, sans dictionnaire, sans interruption.
Le maitre, lui, enfonce son bonnet sur ses oreilles.
- Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était habillé comme un homme, mais j’ai vu ses pattes
toutes poilues avec des griffes longues comme ça !
- Et il avait du vernis sur ses ongles ? demande Aline en se tordant de rire.
Toute la classe s’esclaffe bruyamment. Le maitre, lui, de ses mains gantées de noir, redresse
le col de son manteau.
Antoine s’énerve :
- Puisque je vous dis que je l’ai vu ! Même qu’il avait des oreilles pointues et deux grandes
dents, là, comme un loup. Et ses yeux ! Tout rouges, comme du feu ! J’ai eu une de ces
trouilles quand il m’a couru après ! Je me demande comment j’ai pu lui échapper…
Mais plus personne ne l’écoute. Il attend un instant, puis s’assied, déçu, à sa place.
- Taisez-vous ! crie le maitre…
Votre hypothèse était-elle juste ? Non.
Que fait le maitre ? Il ne dit rien. Il tire son bonnet sur ses oreilles (dessin d’un
bonnet).
Comment le maitre est-il habillé ? (Question facultative, qui risque de mettre le
lecteur sur la voie de la chute.)
Dessinez le loup-garou. A quoi ressemble-t-il ? Ses yeux sont rouges, il a des oreilles
pointues, des griffes, deux longues dents, ses pattes sont poilues.
Pourquoi Aline rit-elle ? Elle se moque d’Antoine : son histoire est vraiment incroyable !
Que va faire le maitre maintenant ? Les élèves émettent des hypothèses.
Suite du texte, lue en silence :
- Taisez-vous ! crie le maitre d’une voix rauque, animale. Les yeux cachés derrière
d’épaisses lunettes noires, il regarde Antoine fixement et marmonne entre ses dents :
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Que pensez-vous du maitre ? Il est bizarre avec ses lunettes noires, son manteau, son
bonnet…
Que fait-il ? Il regarde Antoine.
Que va-t-il dire à Antoine ? Ecrivez-le.
Les répliques imaginées par les apprenants sont lues par eux et appréciées par la classe. Puis
la fin imaginée par l’auteur est dévoilée :
- Toi, la prochaine fois, je ne te louperai pas !
Vous comprenez cette phrase ? Que fera le maitre « la prochaine fois » ? Qui est le
maitre, en réalité ?
Nous expliquerons ensuite le mot « trouille » dans un exemple qui permette à l’apprenant de
l’utiliser par la suite : « J’ai vraiment eu la trouille ! » Le mime pourra être utilisé si
l’apprenant ne parvient pas à expliquer ce terme. On lui fournira, s’il l’ignore, le synonyme
« peur » et on n’omettra pas d’ajouter que « trouille » s’utilise uniquement entre amis : c’est
un terme familier.
Pour l’étude du reste du vocabulaire, on pourrait concevoir un petit exercice qui consisterait
pour l’apprenant à rechercher dans le texte des mots qui lui permettront de compléter des
phrases données. Cela l’amènera à relire le texte dans le but d’y rechercher des ressources
utilisables par ailleurs, compétence profitable à qui apprend une langue. Voici une ébauche
d’un tel exercice :
Complète les phrases suivantes au moyen de mots du texte :
1. Ce matin, je suis arrivée ________________ à l’école à cause de la grève des bus.
2. Comme j’avais froid aux oreilles, j’ai mis mon _____________________________.
3. Quand mon papa regarde la télé et que nous faisons du bruit, il nous crie :
« ___________________ ! »
4. Au cours de sciences, nous avons regardé un reportage vraiment très
_______________ sur les loups.
5. Lorsque le professeur entre dans la classe, je suis debout. Puis, à son signal, je
m’____________ sur ma chaise.
6. Mon chat a abimé les fauteuils avec ses ____________________.
7. …
Comme prolongement possible, on pourra demander à l’apprenant de raconter (oralement
et/ou par écrit) une rencontre (imaginaire ou réelle) qui lui a fait peur, en lui fournissant les
images ci-dessous.
ou…
Un chien immense
une chauve-souris
un crocodile
Pierre-Yves DUCHATEAU
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Strophe
Décasyllabe
Assonance
Vers
Alexandrin
Rimes
plates
Rime
Rimes
embrassées
Ode
Allitération
Hémistiche
Rythme
Tercet
Quatrain
Rimes
croisées
Ceci n’est pas un poème
En visite de stage, j’assiste ce matin à la première leçon d’une séquence qui sera consacrée à
la poésie dans une classe de 1re année. Un dossier très attractif est d’emblée distribué aux
élèves. Il débute par un bain de textes, quatre poèmes adaptés à l’âge des élèves et bien
choisis car simples, courts et variés : deux poèmes de forme classique, plus un calligramme et
un acrostiche. Tout est conforme aux instructions reçues à l’école normale : une séquence
d’apprentissage débute en effet classiquement par un bain de textes représentatifs du genre
travaillé.
Un élève se propose pour lire le premier poème (cicontre) à voix haute, et il ne s’en sort pas trop mal1.
Puis un autre s’amuse à déchiffrer le calligramme, un
troisième se charge de l’acrostiche et un dernier lit le
quatrième poème.
Voilà, c’est fait : on a « lu » les textes ! On va donc
pouvoir passer au travail sérieux, à leur autopsie : vers
(octo/décasyllabes, alexandrins), rimes (plates,
croisées, embrassées – pauvres, suffisantes, riches –
masculines ou féminines), strophes (distiques, tercets,
quatrains), assonances et allitérations, hémistiche et
enjambement… tout y est : on en a la preuve, les
textes qu’on vient de découper en petits morceaux
étaient bien des poèmes !
L’artiste
Il voulut peindre une rivière ;
Elle coula hors du tableau.
Il peignit une pie grièche ;
Elle s’envola aussitôt.
Il dessina une dorade ;
D’un bond, elle brisa le cadre.
Il peignit ensuite une étoile ;
Elle mit le feu à la toile.
Alors, il peignit une porte
Au milieu même du tableau.
Elle s’ouvrit sur d’autres portes,
Et il entra dans le château.
Maurice Carême
1
On sait qu’il vaut mieux ne pas demander aux élèves d’oraliser un texte qu’ils n’ont pas lu préalablement. En
effet, comment jouer correctement (au minimum) et agréablement (au mieux) des ressources de la voix pour
faire passer un texte aux auditeurs, alors que soi-même, on n’en a pas encore construit le sens ? Il faut pour cela
être un lecteur confirmé, ce que la plupart des élèves ne sont pas encore.
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Etaient…, car ils sont morts,
maintenant. De mort violente : ils
n’ont pas eu l’occasion de voir ce qui allait leur
arriver, le professeur-légiste psychopathe a de nouveau frappé
avant qu’ils aient pu dire quoi que ce soit aux lecteurs. Le
professeur n’a pas pris le temps d’en construire le sens avec
ses élèves (De quoi chaque poème parle-t-il ? Comment le dit-il ? Ce poème te parle-t-il à
toi ? Etc.) Autrement dit, au lieu d’emmener ses élèves en voyage sur les ailes de la poésie, il
les a conduits directement à la morgue de la littérature…
Mais que s’est-il donc passé dans la tête du professeurstagiaire pour l’amener à poser un tel geste ? Menons
l’enquête et ne négligeons aucune piste !
Elle la réduit au silence puis
la coupe en morceaux !
1. Le stagiaire n’a pas saisi que le verbe « lire » possède en français deux sens très différents :
1. Lire = lire à voix haute, oraliser.
2. Lire = construire le(s) sens du texte.
Cette seconde acception signifie que l’enseignant, grâce à un questionnement adéquat,
pousse d’abord les élèves à reformuler les informations données explicitement par le
poème (= sens littéral). A cette occasion, il précise éventuellement le sens de certains mots
de vocabulaire.
Il les amène aussi à construire le sens inférentiel du texte, c’est-à-dire à en mettre à jour
l’implicite, à en découvrir le sens global, à réfléchir sur l’intention de l’auteur, etc. Il prend
pour cela appui sur les indices que le poème lui fournit, et notamment des éléments
formels.
Une fois cette étape achevée, qui, n’en doutons pas, aura permis à la plupart des élèves de
progresser dans leur compréhension du texte, il les incite à exprimer leurs ressentis, la
façon dont ils intègrent personnellement le poème à leurs connaissances et leurs
expériences ( = sens personnel).
Amalgamant les deux sens du verbe « lire », le stagiaire pense sans doute qu’ayant lu les
poèmes à voix haute, les élèves les ont naturellement compris.
2. Le stagiaire éprouve lui-même des difficultés à comprendre finement les textes, comme
devrait pourtant en être capable le lecteur expert qu’est un professeur de français. Il arrive
difficilement à apprécier les trouvailles de l’auteur comme par exemple, dans le cas de la
poésie qui nous occupe, la valeur des images que le poète propose pour faire passer sa vision
de ce qu’est un artiste. Que signifient en effet une rivière qui coule hors du tableau, une étoile
qui met le feu à la toile, un peintre qui entre dans son tableau par la porte qu’il y a lui-même
dessinée et pénètre ainsi dans un château ? Qu’est-ce que ce château ? En quoi et comment le
texte parle-t-il de l’artiste ?2
3. Le stagiaire a reçu du maitre de stage un sujet à traiter qu’il ne maitrise pas suffisamment.
Ne lisant lui-même pas de poésie, il n’en a probablement pas une expérience personnelle et
n’a pas fait les recherches nécessaires pour approfondir sa connaissance du sujet : il en a donc
une approche superficielle et se sent relativement mal à l’aise. Et s’il y réfléchissait avec ses
élèves, par exemple en utilisant les quelques documents suivants, ou en leur proposant aussi
un poème en prose (pas de risque alors d’assimiler poésie et versification) ?
2
Suggestion méthodologique : fournir aux élèves le texte sans son titre, et les amener à l’inférer : qui est « il » ?
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-
Qu’est-ce qu’un poète ?
Celui qui rêve et fait rêver.
Jean-Claude Lalanne Cassou
Un poème est un texte court qui,
par un jeu de langue (rythme,
sonorités, figures de style)
présente une vision originale et
créative du thème qu’il aborde.
Manuel Repérages 1, Van In, 2005
La poésie est émotion.
Le poète allongé, CHAGALL
Pierre REVERDY
4. Le stagiaire est du type « formaliste » : pour lui, enseigner le français, c’est enseigner la
langue, au sens où l’entendait Ferdinand DE SAUSSURE, à savoir un système de signes. Il
choisit donc d’enseigner la versification et non la poésie, le système et non l’appropriation de
ce système par les poètes au service de leur parole, de la vision du monde qu’ils tentent de
donner à entendre à travers leurs textes (« parole » toujours au sens de Saussure, à savoir la
mise en œuvre de la langue au service d’un projet de communication qui fait sens).
Si c’est le cas, il a 20 ans de retard…, puisque c’est depuis 1994 que les programmes des
cours de français dans le secondaire nous enjoignent de mettre la langue au service des
textes, et non l’inverse. C’est l’A.P.C., l’approche par compétences. Ce fut une révolution
copernicienne, à tel point qu’aujourd’hui encore, certains n’ont pas intégré que c’est bien la
Terre qui tourne autour du Soleil, et non l’inverse (traduction : que les règles - de
versification, de grammaire, etc. - sont au service du sens des textes, et non l’inverse) !
AVANT COPERNIC =
AVANT 1994
APRES COPERNIC =
APRES 1994
Sens des textes / compétences de lecture
Grammaire, règles, lois…
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Mais soyons justes : nombre d’enseignants n’ont pas attendu les réformes de la fin du siècle
dernier pour amener leurs élèves à se servir des ressources de la langue afin de découvrir et
apprécier le sens des textes.
5. Le stagiaire manque de confiance en lui face aux élèves. Il a bien compris que l’essentiel,
c’est de faire apprécier la poésie et que cela passe par la compréhension du sens des textes.
Oui, mais… gérer les interactions avec la classe, la relation pédagogique, ça, c’est dur !
Comment poser les bonnes questions ? Comment refuser la réponse incorrecte d’un élève sans
le démotiver ? Comment gérer une réponse imprécise, réorienter la réflexion de l’élève, tout
cela sans perdre de vue l’ensemble du groupe, sans se faire monter sur la tête ? Et si les élèves
ne comprennent pas ? Et s’ils comprennent mieux que moi ? Et s’ils sont amorphes ?… Pour
être sûr de garder le contrôle et de ne pas être déstabilisé, le mieux est certainement de
(télé)guider les élèves très strictement, selon un fil conducteur décidé à l’avance et ô combien
rassurant pour l’enseignant débutant : il élabore alors un dossier bien ficelé, composé
d’exercices et d’activités, qu’il suffira de suivre et de compléter au moment du cours…
Que s’est-il donc passé, nous demandions-nous, qu’est-ce qui peut expliquer ce qui a conduit
à ce massacre de la poésie ? Sans doute un peu de toutes les raisons potentielles détaillées cidessus, car enseigner est tellement complexe que les actes posés par les professeurs ne
peuvent jamais s’expliquer simplement.
Le jugement et la sentence après un tel crime ?
Vraiment, là n’est pas la question : chacun des stagiaires a le
droit à l’erreur et le mot formation ne rime pas (c’est le cas de
le dire) avec le mot tribunal. Ce qui importe ici, c’est de
répéter, sans se lasser, que c’est le SENS des textes qui
importe, qu’on les lise ou qu’on les écoute, qu’on les écrive ou
qu’on les dise. Comme professeurs de français, nous ne
sommes pas des technocrates passeurs de savoirs stériles, mais
nous sommes des guides qui équipons nos élèves des outils
nécessaires à la construction du sens des textes.
Un objectif de cet article, c’est donc de nous pousser, quel que soit notre rôle, à nous remettre
en question. Comme élèves, activons-nous nos capacités ou attendons-nous que les
apprentissages nous tombent tout cuits dans la bouche ? Comme enseignants, ne tombonsnous pas parfois dans l’ornière du formalisme stérile ? Comme étudiants, mettons-nous, sans
peur et sans reproche, toute notre énergie à nous former au service des élèves qui nous ont
confiés ? Comme formateurs d’enseignants, donnons-nous à nos étudiants les armes
suffisantes pour intégrer ce métier ô combien difficile de « professeurs d’intelligence » ?
Une seule chose est sure :
Jean KATTUS
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On vous informe !
Proposition de sujets de leçons pour les stages des étudiants de 1re année
Comme chaque année, nous proposons une liste de sujets aux maitres de stage qui
accueilleront dans leurs classes les étudiants de première année lors de leur premier stage
actif, au début du mois de février. Nous avons eu l’occasion de travailler et travaillerons
encore avec eux ces sujets, ce qui les aidera lors de leurs préparations.
Ce mode de fonctionnement présente plusieurs avantages. Premièrement, avoir déjà réfléchi
aux aspects didactiques et méthodologiques (objectifs poursuivis surtout en deuxième année)
permettra aux stagiaires de se concentrer davantage sur la relation avec les élèves et la gestion
du groupe (objectifs importants en première année).
Deuxièmement, nous savons qu’il existe toujours un risque de voir certains stagiaires donner
des leçons mal préparées. Ceux qui en pâtissent alors sont notamment vos élèves. Il y a fort à
parier qu’avec l’organisation proposée, ce risque peut être considérablement réduit.
Afin de faciliter la collaboration entre l’étudiant et le maitre de stage, un contrat précisant
entre autres le(s) sujet(s) des activités ou des séquences sera complété lors de la première
journée d’observation qui aura lieu le vendredi 17 janvier. Nous remercions déjà les
maitres de stage pour leur participation active à la formation des étudiants.
Sujets en français
1. Lire et écrire un conte du pourquoi
2. Conjuguer les verbes au passé simple
3. Ateliers d’écriture ludiques
4. Ecrire une fable ou une contrefable
5. Dire un texte littéraire à voix haute avec expression
6. Lire un texte selon la méthodologie du dévoilement progressif
7. Ecouter des chansons
Sujets en religion
1. Découvrir la culture et la foi juives au temps de Jésus (institutions, fêtes, organisation de
la vie religieuse, croyances, coutumes)
2. Jésus, homme libre
3. Découvrir l’« Année liturgique »
4. La tempête apaisée à partir de la peinture d’Eugène DELACROIX - I 33/9 2009
5. Respect de la nature, des animaux - I 31/4 2006 + ODER (manuel)
6. Le travail - I 35/8 2013
7. Et si l'on parlait d'amour ? - I 35/7 2013
8. L'art, la beauté - I 35/5 20123
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9. Habiter mon corps : Regards croisés
10. L'argent: Initiales 216
11. La symbolique de l'eau dans la bible - I 29/7
12. Parcours sur le corps, spécialement le visage - I 33/10
13. S'ouvrir à la beauté - I 3 1/9
14. Le pardon - I 34/6
15. Le Cantique des cantiques: une séquence de cours - I 35/7 2012
16. Accepter de vivre certaines tensions: la parabole du bon grain et des ivraies - Mt 13,24-30
N.B. "Informations" (I ci-dessus) = la revue des Professeurs de Religion de l'Officiel et du Libre.
PISA : les écarts se creusent !
Les résultats de l’enquête PISA viennent de faire une fois de plus la une de la
presse. Nous vous proposons ici la lecture critique que Jacques Liesenborghs
(enseignant, directeur, professeur d’école normale, sénateur) fait de cette
enquête qui souffle le chaud et le froid sur notre enseignement.
Cet article provient du blog de Jacques Liesenborghs
http://blogs.politique.eu.org/PISA-les-ecarts-se-creusent
Tous les 3 ans, 3.500 élèves de 15 ans passent des épreuves « externes » en mathématique,
science et lecture. Des épreuves conçues par des experts de l’OCDE, soit par une
organisation internationale de développement économique. C’est donc cette dimension qui
domine. Aussi les classements, avec une cotation par points très précise, font les choux gras
des médias et polarisent les commentaires. Nos écoles, nos élèves obtiennent-ils la
« moyenne » ? Retour au vieux mythe des moyennes qu’on croyait à jamais banni ! Et bien
sûr, comment nous situons-nous par rapport à la Flandre ? Cette culture du chiffre, des
classements (dits objectifs), des moyennes a de nombreuses limites et elle camoufle les
réalités les plus significatives.
Les résultats ? Attendez. Précision que (presque) personne ne souligne : les résultats ne
portent que sur une petite partie des missions assignées aux écoles. Si on se réfère au texte de
la loi, on aurait envie de dire que ces épreuves ne touchent pas à l’essentiel : développer la
confiance en soi de tous les enfants, les langages du corps et des arts, l’histoire et les sciences
humaines, assurer l’émancipation sociale de tous les élèves, développer l’esprit critique, la
pensée autonome, la créativité, … Redisons-le : l’approche est très limitée. Instrumentale.
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Les vainqueurs ? Shanghai (613 points), Singapour (573), Hong-Kong (561), Corée (554),
Macao (538), Japon (536), … Communauté flamande (529). On sait que les enfants des villes
et pays d’Asie nominés sont soumis à un drill scolaire et extra-scolaire harassant. Est-ce cela
que nous voulons pour nos enfants ? Et pourquoi avoir introduit ces « pays » dans le
classement ? Pour nous inviter à nous inspirer de ces modèles de société ? L’OCDE ne le dit
pas ouvertement. Mais un de ses bons conseillers, Mac Kinsey, prétend que 40 points-Pisa en
plus, cela équivaut à 1% de PIB en sus. Voilà, la route est tracée !
Encourageant ? C’est le qualificatif choisi par la Ministre pour parler des résultats en
Fédération Wallonie-Bruxelles (493). Correct si on s’en tient à la moyenne des pays OCDE.
Nos écoles et nos élèves sont enfin « dans la moyenne ». Donc en léger progrès. Et comme
certains pays voisins (la France en particulier) chutent, notre classement est plus honorable
que par le passé. Mais nous savons que les moyennes cachent l’essentiel….
Alarmant ! Car l’essentiel, tant en Flandre qu’en France et en Communauté française, c’est
que les écarts se creusent. Entre élèves les plus favorisés et leurs camarades les moins
favorisés, l’écart est important et en hausse ! C’est pire encore entre les écoles : un écart de
181 points entre les écoles les plus « performantes » et les moins « performantes ». Un fossé
qui confirme, si besoin, à quel point notre marché scolaire est profondément inégalitaire.
C’est D. Lafontaine (spécialiste du sujet, ULG) qui le dit et l’écrit. Ce n’est hélas pas ce que
l’opinion et les politiques retiennent.
Attention ! Si tout n’est donc pas à rejeter dans les résultats de ces enquêtes (obtenus au prix
fort), il faut répéter que l’approche de l’OCDE est très réductrice. C’est d’autant plus
préoccupant que l’organisation internationale occupe le terrain et qu’elle impose, au fil des
années, une approche exclusivement utilitariste des missions de l’école. Les politiques et
les médias y sont très sensibles. Or, on ne peut s’en tenir à cette approche quantitative pour
juger un système éducatif. Il faut même aller plus loin et dénoncer cet impérialisme des
indicateurs quantitatifs dans notre société. En matière d’enseignement, des indicateurs
qualitatifs devraient s’attacher à observer dans quelle mesure des missions comme la capacité
de travailler en équipe, d’argumenter, de développer une pensée autonome, de créativité, …
sont remplies.
Vigilance. Si les résultats de ces enquêtes deviennent (ou restent) la principale boussole pour
orienter nos politiques éducatives, ne parlons plus d’éducation. C’est une entreprise de
formatage au service du marché et de la compétition économique qui se met en place à
l’insu de la plupart des citoyens.
Jacques Liesenborghs – 9 décembre 2013
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Lu dernièrement
Nancy HUSTON, Danse noire. Actes Sud, 2013.
Nancy HUSTON maitrise parfaitement l’art d’entremêler les récits de la
vie de ses personnages qui s’éclairent alors mutuellement: l’aïeul, Neil
Kerrigan, émigré irlandais au Canada, Awinita Johnson, la mère
indienne et Milo Noirlac, acteur et danseur de capoeira, qui s’éteint
doucement sur son lit d’hôpital. A son chevet, son ami réalisateur qui
imagine le film qu’ils pourraient tourner ensemble à partir de
l’incroyable parcours de Milo. Le roman prend donc la forme d’un projet
de scénario et se lit en quelque sorte comme un film en V.O. sous-titré.
Les dialogues en anglais, par exemple, sont traduits en québécois en bas
de page, ce qui confère au texte non seulement la force de la réalité, mais
aussi beaucoup de charme : on « voit » véritablement les personnages
dialoguer. Mené sur le rythme de la capoeira, la narration couvre 100 ans
(de 1910 à 2010) de l’histoire des personnages et du monde qui les a
façonnés.
Michel PASTOUREAU et Dominique SIMONNET, Le petit livre des couleurs. Points Histoire,
2005.
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Hélène GREMILLON, La garçonnière. Flammarion, 2013.
Il faut un peu de temps pour s’y retrouver dans ce deuxième roman
d’Hélène Grémillon, pour situer les personnages les uns par rapport
aux autres et saisir le fil de l’action. Raison pour laquelle il est sans
doute préférable d’avoir du temps devant soi pour en lire d’une traite les 50 ou 60 premières
pages.
Mais à partir de ce moment-là, les multiples pièces du patchwork s’ordonnent autour de
l’énigme de Lisandra, retrouvée morte au bas de son immeuble. On ne peut alors plus
abandonner le livre, non seulement parce que l’on veut connaitre la vérité qui ne se dévoile
qu’à la fin de manière surprenante, après un suspense parfaitement maitrisé, mais aussi parce
que les « documents » convoqués par l’auteure pour éclairer l’enquête sont extrêmement forts
et interpellants. Ils lèvent un coin du voile sur de ce qui s’est passé en Argentine pendant et
juste après la dictature de la junte, mais aussi sur ce qui peut se passer dans l’intimité du
cabinet d’un psychanalyste. Le tout rythme par la sensualité sauvage du tango.
Sylvain MAZAS, Ce livre devrait me permettre de résoudre
le conflit au Proche-Orient, d’avoir mon diplôme, et de
trouver une femme. Coll. Autoblographie, Vraoum,
2012. www.vraoum.eu
Sylvain MAZAS, graphiste, décide de passer quelques mois
au Liban. Dans ce petit livre illustré, il explique, avec
beaucoup d’autodérision, ses expériences et sa philosophie
de la vie. C’est hyper-logique et vraiment très drôle !
Jean KATTUS
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