D`un(e) prof à l`autre
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D`un(e) prof à l`autre
1 D’un(e) ’un(e) prof … à l’autre La lettre mensuelle N u m é ro 6 3 Janvier 2014 des élèves actifs, intéressés, gentils, travailleurs, …. Au sommaire ce mois-ci : p. 2 p. 2 p. 6 p. 10 • Editorial • FLES : lire un récit court • Ceci n’est pas un poème • On vous informe : - Proposition de sujets de stage en 1re année - PISA : les écarts se creusent ! p. 13 • Lu dernièrement N.B. : Ce document est conçu pour pouvoir être imprimé : n’hésitez pas à le montrer à vos collègues. D’un(e) prof … à l’autre La lettre du régendat en français de HELMo Sainte-Croix 61, Hors-Château - 4000 Liège Comité de rédaction : Sylvie Bougelet, Aurélie Cintori, Pierre-Yves Duchâteau, Jean Kattus Abonnement/courrier : [email protected] Numéros précédents et index actualisé disponibles sur www.yahoo.fr Connexion | nom d’utilisateur : dupala1 - mot de passe : franrelfle Connexion Mail Boite de réception D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 2 Editorial Quel professeur n’a pas souhaité, au moins une fois dans sa vie, avoir face à lui pendant toute une année scolaire une classe d’élèves idéaux ? Eh non, même pas en rêve ! Mais pourquoi ? Parce que ce qui fait sans doute la beauté du métier d’enseignant et pour certains l’assimile même à un art, c’est justement qu’un des paramètres de la situation d’enseignementapprentissage demeure hors de portée du pouvoir de celui qui enseigne : l’élève. C’est lui qui apprend et le verbe apprendre ne se conjugue pas à l’impératif ! Professeur ? Elève Compétences ? Souhaitons-nous donc mutuellement de nous épanouir en 2014 dans la recherche constamment renouvelée de ce qui adaptera le mieux notre enseignement aux élèves qui nous sont confiés ! Bonne année 2014 ! : lire un récit court Il n’est pas toujours simple d’aborder en FLES des textes écrits. Comment en effet en vérifier la compréhension, quels objectifs poursuivre, que vont en retenir les élèves, que vont-ils apprendre ? Et puis, que vont en comprendre les élèves s’ils n’en connaissent pas le vocabulaire ? Lors d’une visite de stage, j’ai pu assister à la lecture de ce récit dans une classe de FLES : Antoine entre en courant dans la classe. Il est en retard, comme d’habitude. - Monsieur, Monsieur ! crie-t-il encore tout essoufflé, cette nuit j’ai vu un loup-garou. - A la télé ? demande Céline. - Mais non, en vrai. - Oh, arrête tes conneries, dit Fabien. - Il veut faire l’intéressant, dit Valérie. - Hou… hou… hou… loup-garou ! hurle Damien, pour rire. Le maitre, lui, enfonce son bonnet sur ses oreilles. - Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était habillé comme un homme, mais j’ai vu ses pattes toutes poilues avec des griffes longues comme ça ! - Et il avait du vernis sur ses ongles ? demande Aline en se tordant de rire. Toute la classe s’esclaffe bruyamment. Le maitre, lui, de ses mains gantées de noir, redresse le col de son manteau. D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 3 Antoine s’énerve : - Puisque je vous dis que je l’ai vu ! Même qu’il avait des oreilles pointues et deux grandes dents, là, comme un loup. Et ses yeux ! Tout rouges, comme du feu ! J’ai eu une de ces trouilles quand il m’a couru après ! Je me demande comment j’ai pu lui échapper… Mais plus personne ne l’écoute. Il attend un instant, puis s’assied, déçu, à sa place. - Taisez-vous ! crie le maitre d’une voix rauque, animale. Les yeux cachés derrière d’épaisses lunettes noires, il regarde Antoine fixement et marmonne entre ses dents : - Toi, la prochaine fois, je ne te louperai pas ! Bernard FRIOT, Nouvelles histoires pressées. Milan, 2007. Ce texte m’a paru riche à plusieurs égards : les évènements se déroulent dans une classe, lieu coutumier des élèves ; il est court : on peut le lire en 2-3 minutes ; il présente un vocabulaire intéressant : souvent courant, parfois plus recherché, quelquefois familier ; enfin, caractéristique particulièrement « exploitable », il s’agit d’un texte à chute : il s’achève de façon surprenante. Lorsqu’on présente un texte à des apprenants de français langue étrangère et seconde, on a naturellement tendance à le lire en entier puis phrase par phrase (l’enseignant ou/et les apprenants le lisent à voix haute) et à en expliquer tout le vocabulaire. Ensuite, pour autant qu’il reste un peu de temps et que l’on y pense, on demande à l’apprenant de reformuler le texte lu, afin d’en vérifier la bonne compréhension. Outre que cette démarche est lente, fastidieuse et risque d’oblitérer l’intérêt du texte, elle ne garantit pas une compréhension globale du document lu. D’une part, le sens global d’un texte ne résulte évidemment pas de la simple addition du sens de mots supposés compliqués ; il s’agit plutôt d’un réseau plus ou moins complexe mais toujours cohérent de significations tantôt explicites (données par les mots du texte), tantôt implicites (inférées à partir des mots du texte et/ou de connaissances du monde). De plus, menée un peu machinalement par l’enseignant de l’explication d’un mot compliqué à l’explication d’un autre mot compliqué, la mémoire vive de l’apprenant n’a pas le loisir d’insérer ces nouvelles significations dans des unités de sens plus complexes ni à fortiori d’agencer ces unités en réseaux pour établir le sens global du texte. Pour grossir le trait, le texte apparait vite à l’apprenant comme une suite de mots difficiles qu’aucune « macrostructure » ne relie les uns aux autres. La démarche inverse, qui consiste à partir du sens global pour ensuite expliquer les mots plus compliqués, me semble nettement plus fructueuse. Le sens global est établi d’emblée sur la base de mots courants, puis pourra s’enrichir pas la suite, à mesure que le vocabulaire plus spécifique sera abordé. Comment s’y prendre ? Dans la mesure où ce texte s’y prête, je propose de le présenter par fragments, ainsi que le prescrit la méthodologie de la lecture à dévoilement progressif. La première unité présentée aux élèves s’interrompt après « Le maitre » : Antoine entre en courant dans la classe. Il est en retard, comme d’habitude. - Monsieur, Monsieur ! crie-t-il encore tout essoufflé, cette nuit j’ai vu un loup-garou. - A la télé ? demande Céline. D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 4 - Mais non, en vrai. - Oh, arrête tes conneries, dit Fabien. - Il veut faire l’intéressant, dit Valérie. - Hou… hou… hou… loup-garou ! hurle Damien, pour rire. Le maitre… Le professeur lit ce premier extrait deux ou trois fois avec expressivité. Il pose ensuite des questions assez simples : Qui sont Antoine, Céline, Fabien, Valérie et Damien ? Ce sont des élèves. Où sont-ils ? Ils sont dans leur classe. Que font-ils ? Ils parlent, ils discutent. Que s’est-il passé ? Antoine a vu un loup-garou la nuit. A votre avis, que va faire le maitre ? Il va peut-être demander aux élèves de se taire… Le professeur exige des phrases complètes en guise de réponses. Il n’aborde pas encore le vocabulaire compliqué ou familier afin de ne pas ralentir le rythme de lecture. Pour expliquer ce qu’est un loup-garou, les « hou » de Damien devraient suffire dans un premier temps, du moins pour expliquer ce qu’est un loup. Sinon, une image fera l’affaire. Au fil du texte, l’ensemble « loup-garou » fera sens pour l’élève. Les élèves découvrent la suite silencieusement, sans dictionnaire, sans interruption. Le maitre, lui, enfonce son bonnet sur ses oreilles. - Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était habillé comme un homme, mais j’ai vu ses pattes toutes poilues avec des griffes longues comme ça ! - Et il avait du vernis sur ses ongles ? demande Aline en se tordant de rire. Toute la classe s’esclaffe bruyamment. Le maitre, lui, de ses mains gantées de noir, redresse le col de son manteau. Antoine s’énerve : - Puisque je vous dis que je l’ai vu ! Même qu’il avait des oreilles pointues et deux grandes dents, là, comme un loup. Et ses yeux ! Tout rouges, comme du feu ! J’ai eu une de ces trouilles quand il m’a couru après ! Je me demande comment j’ai pu lui échapper… Mais plus personne ne l’écoute. Il attend un instant, puis s’assied, déçu, à sa place. - Taisez-vous ! crie le maitre… Votre hypothèse était-elle juste ? Non. Que fait le maitre ? Il ne dit rien. Il tire son bonnet sur ses oreilles (dessin d’un bonnet). Comment le maitre est-il habillé ? (Question facultative, qui risque de mettre le lecteur sur la voie de la chute.) Dessinez le loup-garou. A quoi ressemble-t-il ? Ses yeux sont rouges, il a des oreilles pointues, des griffes, deux longues dents, ses pattes sont poilues. Pourquoi Aline rit-elle ? Elle se moque d’Antoine : son histoire est vraiment incroyable ! Que va faire le maitre maintenant ? Les élèves émettent des hypothèses. Suite du texte, lue en silence : - Taisez-vous ! crie le maitre d’une voix rauque, animale. Les yeux cachés derrière d’épaisses lunettes noires, il regarde Antoine fixement et marmonne entre ses dents : D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 5 Que pensez-vous du maitre ? Il est bizarre avec ses lunettes noires, son manteau, son bonnet… Que fait-il ? Il regarde Antoine. Que va-t-il dire à Antoine ? Ecrivez-le. Les répliques imaginées par les apprenants sont lues par eux et appréciées par la classe. Puis la fin imaginée par l’auteur est dévoilée : - Toi, la prochaine fois, je ne te louperai pas ! Vous comprenez cette phrase ? Que fera le maitre « la prochaine fois » ? Qui est le maitre, en réalité ? Nous expliquerons ensuite le mot « trouille » dans un exemple qui permette à l’apprenant de l’utiliser par la suite : « J’ai vraiment eu la trouille ! » Le mime pourra être utilisé si l’apprenant ne parvient pas à expliquer ce terme. On lui fournira, s’il l’ignore, le synonyme « peur » et on n’omettra pas d’ajouter que « trouille » s’utilise uniquement entre amis : c’est un terme familier. Pour l’étude du reste du vocabulaire, on pourrait concevoir un petit exercice qui consisterait pour l’apprenant à rechercher dans le texte des mots qui lui permettront de compléter des phrases données. Cela l’amènera à relire le texte dans le but d’y rechercher des ressources utilisables par ailleurs, compétence profitable à qui apprend une langue. Voici une ébauche d’un tel exercice : Complète les phrases suivantes au moyen de mots du texte : 1. Ce matin, je suis arrivée ________________ à l’école à cause de la grève des bus. 2. Comme j’avais froid aux oreilles, j’ai mis mon _____________________________. 3. Quand mon papa regarde la télé et que nous faisons du bruit, il nous crie : « ___________________ ! » 4. Au cours de sciences, nous avons regardé un reportage vraiment très _______________ sur les loups. 5. Lorsque le professeur entre dans la classe, je suis debout. Puis, à son signal, je m’____________ sur ma chaise. 6. Mon chat a abimé les fauteuils avec ses ____________________. 7. … Comme prolongement possible, on pourra demander à l’apprenant de raconter (oralement et/ou par écrit) une rencontre (imaginaire ou réelle) qui lui a fait peur, en lui fournissant les images ci-dessous. ou… Un chien immense une chauve-souris un crocodile Pierre-Yves DUCHATEAU D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 6 Strophe Décasyllabe Assonance Vers Alexandrin Rimes plates Rime Rimes embrassées Ode Allitération Hémistiche Rythme Tercet Quatrain Rimes croisées Ceci n’est pas un poème En visite de stage, j’assiste ce matin à la première leçon d’une séquence qui sera consacrée à la poésie dans une classe de 1re année. Un dossier très attractif est d’emblée distribué aux élèves. Il débute par un bain de textes, quatre poèmes adaptés à l’âge des élèves et bien choisis car simples, courts et variés : deux poèmes de forme classique, plus un calligramme et un acrostiche. Tout est conforme aux instructions reçues à l’école normale : une séquence d’apprentissage débute en effet classiquement par un bain de textes représentatifs du genre travaillé. Un élève se propose pour lire le premier poème (cicontre) à voix haute, et il ne s’en sort pas trop mal1. Puis un autre s’amuse à déchiffrer le calligramme, un troisième se charge de l’acrostiche et un dernier lit le quatrième poème. Voilà, c’est fait : on a « lu » les textes ! On va donc pouvoir passer au travail sérieux, à leur autopsie : vers (octo/décasyllabes, alexandrins), rimes (plates, croisées, embrassées – pauvres, suffisantes, riches – masculines ou féminines), strophes (distiques, tercets, quatrains), assonances et allitérations, hémistiche et enjambement… tout y est : on en a la preuve, les textes qu’on vient de découper en petits morceaux étaient bien des poèmes ! L’artiste Il voulut peindre une rivière ; Elle coula hors du tableau. Il peignit une pie grièche ; Elle s’envola aussitôt. Il dessina une dorade ; D’un bond, elle brisa le cadre. Il peignit ensuite une étoile ; Elle mit le feu à la toile. Alors, il peignit une porte Au milieu même du tableau. Elle s’ouvrit sur d’autres portes, Et il entra dans le château. Maurice Carême 1 On sait qu’il vaut mieux ne pas demander aux élèves d’oraliser un texte qu’ils n’ont pas lu préalablement. En effet, comment jouer correctement (au minimum) et agréablement (au mieux) des ressources de la voix pour faire passer un texte aux auditeurs, alors que soi-même, on n’en a pas encore construit le sens ? Il faut pour cela être un lecteur confirmé, ce que la plupart des élèves ne sont pas encore. D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 7 Etaient…, car ils sont morts, maintenant. De mort violente : ils n’ont pas eu l’occasion de voir ce qui allait leur arriver, le professeur-légiste psychopathe a de nouveau frappé avant qu’ils aient pu dire quoi que ce soit aux lecteurs. Le professeur n’a pas pris le temps d’en construire le sens avec ses élèves (De quoi chaque poème parle-t-il ? Comment le dit-il ? Ce poème te parle-t-il à toi ? Etc.) Autrement dit, au lieu d’emmener ses élèves en voyage sur les ailes de la poésie, il les a conduits directement à la morgue de la littérature… Mais que s’est-il donc passé dans la tête du professeurstagiaire pour l’amener à poser un tel geste ? Menons l’enquête et ne négligeons aucune piste ! Elle la réduit au silence puis la coupe en morceaux ! 1. Le stagiaire n’a pas saisi que le verbe « lire » possède en français deux sens très différents : 1. Lire = lire à voix haute, oraliser. 2. Lire = construire le(s) sens du texte. Cette seconde acception signifie que l’enseignant, grâce à un questionnement adéquat, pousse d’abord les élèves à reformuler les informations données explicitement par le poème (= sens littéral). A cette occasion, il précise éventuellement le sens de certains mots de vocabulaire. Il les amène aussi à construire le sens inférentiel du texte, c’est-à-dire à en mettre à jour l’implicite, à en découvrir le sens global, à réfléchir sur l’intention de l’auteur, etc. Il prend pour cela appui sur les indices que le poème lui fournit, et notamment des éléments formels. Une fois cette étape achevée, qui, n’en doutons pas, aura permis à la plupart des élèves de progresser dans leur compréhension du texte, il les incite à exprimer leurs ressentis, la façon dont ils intègrent personnellement le poème à leurs connaissances et leurs expériences ( = sens personnel). Amalgamant les deux sens du verbe « lire », le stagiaire pense sans doute qu’ayant lu les poèmes à voix haute, les élèves les ont naturellement compris. 2. Le stagiaire éprouve lui-même des difficultés à comprendre finement les textes, comme devrait pourtant en être capable le lecteur expert qu’est un professeur de français. Il arrive difficilement à apprécier les trouvailles de l’auteur comme par exemple, dans le cas de la poésie qui nous occupe, la valeur des images que le poète propose pour faire passer sa vision de ce qu’est un artiste. Que signifient en effet une rivière qui coule hors du tableau, une étoile qui met le feu à la toile, un peintre qui entre dans son tableau par la porte qu’il y a lui-même dessinée et pénètre ainsi dans un château ? Qu’est-ce que ce château ? En quoi et comment le texte parle-t-il de l’artiste ?2 3. Le stagiaire a reçu du maitre de stage un sujet à traiter qu’il ne maitrise pas suffisamment. Ne lisant lui-même pas de poésie, il n’en a probablement pas une expérience personnelle et n’a pas fait les recherches nécessaires pour approfondir sa connaissance du sujet : il en a donc une approche superficielle et se sent relativement mal à l’aise. Et s’il y réfléchissait avec ses élèves, par exemple en utilisant les quelques documents suivants, ou en leur proposant aussi un poème en prose (pas de risque alors d’assimiler poésie et versification) ? 2 Suggestion méthodologique : fournir aux élèves le texte sans son titre, et les amener à l’inférer : qui est « il » ? D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 8 - Qu’est-ce qu’un poète ? Celui qui rêve et fait rêver. Jean-Claude Lalanne Cassou Un poème est un texte court qui, par un jeu de langue (rythme, sonorités, figures de style) présente une vision originale et créative du thème qu’il aborde. Manuel Repérages 1, Van In, 2005 La poésie est émotion. Le poète allongé, CHAGALL Pierre REVERDY 4. Le stagiaire est du type « formaliste » : pour lui, enseigner le français, c’est enseigner la langue, au sens où l’entendait Ferdinand DE SAUSSURE, à savoir un système de signes. Il choisit donc d’enseigner la versification et non la poésie, le système et non l’appropriation de ce système par les poètes au service de leur parole, de la vision du monde qu’ils tentent de donner à entendre à travers leurs textes (« parole » toujours au sens de Saussure, à savoir la mise en œuvre de la langue au service d’un projet de communication qui fait sens). Si c’est le cas, il a 20 ans de retard…, puisque c’est depuis 1994 que les programmes des cours de français dans le secondaire nous enjoignent de mettre la langue au service des textes, et non l’inverse. C’est l’A.P.C., l’approche par compétences. Ce fut une révolution copernicienne, à tel point qu’aujourd’hui encore, certains n’ont pas intégré que c’est bien la Terre qui tourne autour du Soleil, et non l’inverse (traduction : que les règles - de versification, de grammaire, etc. - sont au service du sens des textes, et non l’inverse) ! AVANT COPERNIC = AVANT 1994 APRES COPERNIC = APRES 1994 Sens des textes / compétences de lecture Grammaire, règles, lois… D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 9 Mais soyons justes : nombre d’enseignants n’ont pas attendu les réformes de la fin du siècle dernier pour amener leurs élèves à se servir des ressources de la langue afin de découvrir et apprécier le sens des textes. 5. Le stagiaire manque de confiance en lui face aux élèves. Il a bien compris que l’essentiel, c’est de faire apprécier la poésie et que cela passe par la compréhension du sens des textes. Oui, mais… gérer les interactions avec la classe, la relation pédagogique, ça, c’est dur ! Comment poser les bonnes questions ? Comment refuser la réponse incorrecte d’un élève sans le démotiver ? Comment gérer une réponse imprécise, réorienter la réflexion de l’élève, tout cela sans perdre de vue l’ensemble du groupe, sans se faire monter sur la tête ? Et si les élèves ne comprennent pas ? Et s’ils comprennent mieux que moi ? Et s’ils sont amorphes ?… Pour être sûr de garder le contrôle et de ne pas être déstabilisé, le mieux est certainement de (télé)guider les élèves très strictement, selon un fil conducteur décidé à l’avance et ô combien rassurant pour l’enseignant débutant : il élabore alors un dossier bien ficelé, composé d’exercices et d’activités, qu’il suffira de suivre et de compléter au moment du cours… Que s’est-il donc passé, nous demandions-nous, qu’est-ce qui peut expliquer ce qui a conduit à ce massacre de la poésie ? Sans doute un peu de toutes les raisons potentielles détaillées cidessus, car enseigner est tellement complexe que les actes posés par les professeurs ne peuvent jamais s’expliquer simplement. Le jugement et la sentence après un tel crime ? Vraiment, là n’est pas la question : chacun des stagiaires a le droit à l’erreur et le mot formation ne rime pas (c’est le cas de le dire) avec le mot tribunal. Ce qui importe ici, c’est de répéter, sans se lasser, que c’est le SENS des textes qui importe, qu’on les lise ou qu’on les écoute, qu’on les écrive ou qu’on les dise. Comme professeurs de français, nous ne sommes pas des technocrates passeurs de savoirs stériles, mais nous sommes des guides qui équipons nos élèves des outils nécessaires à la construction du sens des textes. Un objectif de cet article, c’est donc de nous pousser, quel que soit notre rôle, à nous remettre en question. Comme élèves, activons-nous nos capacités ou attendons-nous que les apprentissages nous tombent tout cuits dans la bouche ? Comme enseignants, ne tombonsnous pas parfois dans l’ornière du formalisme stérile ? Comme étudiants, mettons-nous, sans peur et sans reproche, toute notre énergie à nous former au service des élèves qui nous ont confiés ? Comme formateurs d’enseignants, donnons-nous à nos étudiants les armes suffisantes pour intégrer ce métier ô combien difficile de « professeurs d’intelligence » ? Une seule chose est sure : Jean KATTUS D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 10 On vous informe ! Proposition de sujets de leçons pour les stages des étudiants de 1re année Comme chaque année, nous proposons une liste de sujets aux maitres de stage qui accueilleront dans leurs classes les étudiants de première année lors de leur premier stage actif, au début du mois de février. Nous avons eu l’occasion de travailler et travaillerons encore avec eux ces sujets, ce qui les aidera lors de leurs préparations. Ce mode de fonctionnement présente plusieurs avantages. Premièrement, avoir déjà réfléchi aux aspects didactiques et méthodologiques (objectifs poursuivis surtout en deuxième année) permettra aux stagiaires de se concentrer davantage sur la relation avec les élèves et la gestion du groupe (objectifs importants en première année). Deuxièmement, nous savons qu’il existe toujours un risque de voir certains stagiaires donner des leçons mal préparées. Ceux qui en pâtissent alors sont notamment vos élèves. Il y a fort à parier qu’avec l’organisation proposée, ce risque peut être considérablement réduit. Afin de faciliter la collaboration entre l’étudiant et le maitre de stage, un contrat précisant entre autres le(s) sujet(s) des activités ou des séquences sera complété lors de la première journée d’observation qui aura lieu le vendredi 17 janvier. Nous remercions déjà les maitres de stage pour leur participation active à la formation des étudiants. Sujets en français 1. Lire et écrire un conte du pourquoi 2. Conjuguer les verbes au passé simple 3. Ateliers d’écriture ludiques 4. Ecrire une fable ou une contrefable 5. Dire un texte littéraire à voix haute avec expression 6. Lire un texte selon la méthodologie du dévoilement progressif 7. Ecouter des chansons Sujets en religion 1. Découvrir la culture et la foi juives au temps de Jésus (institutions, fêtes, organisation de la vie religieuse, croyances, coutumes) 2. Jésus, homme libre 3. Découvrir l’« Année liturgique » 4. La tempête apaisée à partir de la peinture d’Eugène DELACROIX - I 33/9 2009 5. Respect de la nature, des animaux - I 31/4 2006 + ODER (manuel) 6. Le travail - I 35/8 2013 7. Et si l'on parlait d'amour ? - I 35/7 2013 8. L'art, la beauté - I 35/5 20123 D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 11 9. Habiter mon corps : Regards croisés 10. L'argent: Initiales 216 11. La symbolique de l'eau dans la bible - I 29/7 12. Parcours sur le corps, spécialement le visage - I 33/10 13. S'ouvrir à la beauté - I 3 1/9 14. Le pardon - I 34/6 15. Le Cantique des cantiques: une séquence de cours - I 35/7 2012 16. Accepter de vivre certaines tensions: la parabole du bon grain et des ivraies - Mt 13,24-30 N.B. "Informations" (I ci-dessus) = la revue des Professeurs de Religion de l'Officiel et du Libre. PISA : les écarts se creusent ! Les résultats de l’enquête PISA viennent de faire une fois de plus la une de la presse. Nous vous proposons ici la lecture critique que Jacques Liesenborghs (enseignant, directeur, professeur d’école normale, sénateur) fait de cette enquête qui souffle le chaud et le froid sur notre enseignement. Cet article provient du blog de Jacques Liesenborghs http://blogs.politique.eu.org/PISA-les-ecarts-se-creusent Tous les 3 ans, 3.500 élèves de 15 ans passent des épreuves « externes » en mathématique, science et lecture. Des épreuves conçues par des experts de l’OCDE, soit par une organisation internationale de développement économique. C’est donc cette dimension qui domine. Aussi les classements, avec une cotation par points très précise, font les choux gras des médias et polarisent les commentaires. Nos écoles, nos élèves obtiennent-ils la « moyenne » ? Retour au vieux mythe des moyennes qu’on croyait à jamais banni ! Et bien sûr, comment nous situons-nous par rapport à la Flandre ? Cette culture du chiffre, des classements (dits objectifs), des moyennes a de nombreuses limites et elle camoufle les réalités les plus significatives. Les résultats ? Attendez. Précision que (presque) personne ne souligne : les résultats ne portent que sur une petite partie des missions assignées aux écoles. Si on se réfère au texte de la loi, on aurait envie de dire que ces épreuves ne touchent pas à l’essentiel : développer la confiance en soi de tous les enfants, les langages du corps et des arts, l’histoire et les sciences humaines, assurer l’émancipation sociale de tous les élèves, développer l’esprit critique, la pensée autonome, la créativité, … Redisons-le : l’approche est très limitée. Instrumentale. D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 12 Les vainqueurs ? Shanghai (613 points), Singapour (573), Hong-Kong (561), Corée (554), Macao (538), Japon (536), … Communauté flamande (529). On sait que les enfants des villes et pays d’Asie nominés sont soumis à un drill scolaire et extra-scolaire harassant. Est-ce cela que nous voulons pour nos enfants ? Et pourquoi avoir introduit ces « pays » dans le classement ? Pour nous inviter à nous inspirer de ces modèles de société ? L’OCDE ne le dit pas ouvertement. Mais un de ses bons conseillers, Mac Kinsey, prétend que 40 points-Pisa en plus, cela équivaut à 1% de PIB en sus. Voilà, la route est tracée ! Encourageant ? C’est le qualificatif choisi par la Ministre pour parler des résultats en Fédération Wallonie-Bruxelles (493). Correct si on s’en tient à la moyenne des pays OCDE. Nos écoles et nos élèves sont enfin « dans la moyenne ». Donc en léger progrès. Et comme certains pays voisins (la France en particulier) chutent, notre classement est plus honorable que par le passé. Mais nous savons que les moyennes cachent l’essentiel…. Alarmant ! Car l’essentiel, tant en Flandre qu’en France et en Communauté française, c’est que les écarts se creusent. Entre élèves les plus favorisés et leurs camarades les moins favorisés, l’écart est important et en hausse ! C’est pire encore entre les écoles : un écart de 181 points entre les écoles les plus « performantes » et les moins « performantes ». Un fossé qui confirme, si besoin, à quel point notre marché scolaire est profondément inégalitaire. C’est D. Lafontaine (spécialiste du sujet, ULG) qui le dit et l’écrit. Ce n’est hélas pas ce que l’opinion et les politiques retiennent. Attention ! Si tout n’est donc pas à rejeter dans les résultats de ces enquêtes (obtenus au prix fort), il faut répéter que l’approche de l’OCDE est très réductrice. C’est d’autant plus préoccupant que l’organisation internationale occupe le terrain et qu’elle impose, au fil des années, une approche exclusivement utilitariste des missions de l’école. Les politiques et les médias y sont très sensibles. Or, on ne peut s’en tenir à cette approche quantitative pour juger un système éducatif. Il faut même aller plus loin et dénoncer cet impérialisme des indicateurs quantitatifs dans notre société. En matière d’enseignement, des indicateurs qualitatifs devraient s’attacher à observer dans quelle mesure des missions comme la capacité de travailler en équipe, d’argumenter, de développer une pensée autonome, de créativité, … sont remplies. Vigilance. Si les résultats de ces enquêtes deviennent (ou restent) la principale boussole pour orienter nos politiques éducatives, ne parlons plus d’éducation. C’est une entreprise de formatage au service du marché et de la compétition économique qui se met en place à l’insu de la plupart des citoyens. Jacques Liesenborghs – 9 décembre 2013 D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 13 Lu dernièrement Nancy HUSTON, Danse noire. Actes Sud, 2013. Nancy HUSTON maitrise parfaitement l’art d’entremêler les récits de la vie de ses personnages qui s’éclairent alors mutuellement: l’aïeul, Neil Kerrigan, émigré irlandais au Canada, Awinita Johnson, la mère indienne et Milo Noirlac, acteur et danseur de capoeira, qui s’éteint doucement sur son lit d’hôpital. A son chevet, son ami réalisateur qui imagine le film qu’ils pourraient tourner ensemble à partir de l’incroyable parcours de Milo. Le roman prend donc la forme d’un projet de scénario et se lit en quelque sorte comme un film en V.O. sous-titré. Les dialogues en anglais, par exemple, sont traduits en québécois en bas de page, ce qui confère au texte non seulement la force de la réalité, mais aussi beaucoup de charme : on « voit » véritablement les personnages dialoguer. Mené sur le rythme de la capoeira, la narration couvre 100 ans (de 1910 à 2010) de l’histoire des personnages et du monde qui les a façonnés. Michel PASTOUREAU et Dominique SIMONNET, Le petit livre des couleurs. Points Histoire, 2005. D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre 14 Hélène GREMILLON, La garçonnière. Flammarion, 2013. Il faut un peu de temps pour s’y retrouver dans ce deuxième roman d’Hélène Grémillon, pour situer les personnages les uns par rapport aux autres et saisir le fil de l’action. Raison pour laquelle il est sans doute préférable d’avoir du temps devant soi pour en lire d’une traite les 50 ou 60 premières pages. Mais à partir de ce moment-là, les multiples pièces du patchwork s’ordonnent autour de l’énigme de Lisandra, retrouvée morte au bas de son immeuble. On ne peut alors plus abandonner le livre, non seulement parce que l’on veut connaitre la vérité qui ne se dévoile qu’à la fin de manière surprenante, après un suspense parfaitement maitrisé, mais aussi parce que les « documents » convoqués par l’auteure pour éclairer l’enquête sont extrêmement forts et interpellants. Ils lèvent un coin du voile sur de ce qui s’est passé en Argentine pendant et juste après la dictature de la junte, mais aussi sur ce qui peut se passer dans l’intimité du cabinet d’un psychanalyste. Le tout rythme par la sensualité sauvage du tango. Sylvain MAZAS, Ce livre devrait me permettre de résoudre le conflit au Proche-Orient, d’avoir mon diplôme, et de trouver une femme. Coll. Autoblographie, Vraoum, 2012. www.vraoum.eu Sylvain MAZAS, graphiste, décide de passer quelques mois au Liban. Dans ce petit livre illustré, il explique, avec beaucoup d’autodérision, ses expériences et sa philosophie de la vie. C’est hyper-logique et vraiment très drôle ! Jean KATTUS D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre D’un(e) prof … à l’autre