L`ambassadrice des mannequins - federation suisse de mannequins

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L`ambassadrice des mannequins - federation suisse de mannequins
22 | Migros Magazine 49, 30 novembre 2009
L’ambassadrice
des mannequins
Ancien modèle vedette chez Dior, puis fondatrice d’une école à
Lausanne, Geneviève de Marcy se désole du sort réservé à cette
profession. Elle propose la création d’un comité d’éthique.
C’
était au temps où les mannequins étaient encore «minces mais pas maigres».
C’était il y a… longtemps. Inutile
d’insister, Geneviève de Marcy ne
donnera pas de date. Tout juste précisera-t-elle être arrivée il y a trente
et un ans à Lausanne, poussée par
les hasards de la vie. Dans la capitale
vaudoise, elle ouvre une école de
mannequins, après avoir été ellemême modèle vedette à Paris, dans
des maisons comme Christian Dior
ou Lanvin.
Elle se souvient qu’à ses débuts
comme doublure chez un «très
grand couturier», Jacques Fath, elle
avait 15 ans et qu’elle mesurait «déjà un mètre soixante et onze», la
taille standard alors. Le prêt-à-porter n’existait pas.
Aujourd’hui, quand elle parle du
métier, elle dit que ça l’«attriste»,
que ça la «désole»: «La prostitution, la drogue, les stylistes qui font
venir des filles de 13 ans des pays de
l’Est.» Sans parler de l’anorexie. Le
seul nom de Lagerfeld la fait sortir
de ses gonds, «lui qui prétend ne
vouloir que des mannequins anorexiques parce que sur elles les vêtements tomberaient mieux. Mais
les clientes qui paient très cher les
modèles griffés sont de toutes les
tailles. Ça va tomber comment sur
elles, ces habits créés uniquement
sur des fils de fer?»
Elle prône la création d’un comité éthique international, elle
s’agite dans ce sens, écrit à Sarkozy,
a convaincu quelques juristes. En
arrivant en Suisse, elle avait été stupéfaite de constater que le métier
n’y était pas protégé. «Le boucher
du coin pouvait ouvrir son école de
mannequins si ça lui chantait.»
Après avoir créé la Fédération
suisse des mannequins et fait fermer
près de quarante écoles dans le pays,
elle obtient de la Berne fédérale des
règlements plus contraignants.
La santé mise
à l’épreuve
Geneviève de Marcy ne goûte pas
non plus aujourd’hui cette habitude
des reines de concours de beauté de
s’improviser modèle d’un jour à
l’autre. Elle dit: «Mannequin, ce
n’est pas simplement tortiller du popotin.» Elle s’interrompt un instant,
pour tousser. Elle s’excuse, expliquant que les bronches, c’est le point
faible de tous les anciens mannequins. Forcément, pour les collections d’été, on les faisait poser début
janvier, en plein hiver. «Place de la
Concorde, je me rappelle, l’eau de la
fontaine était gelée et on était en
petite robe d’été ajourée, qu’est-ce
qu’on attrapait comme bronchites,
qu’on traîne ensuite toute la vie.»
Les grands couturiers alors
étaient très nombreux. Avec chacun
une «cabine» de dix mannequins en
titre qui «passaient» la collection
tous les jours, de 15 à 17 heures. «On
ne pouvait pas commencer comme
mannequin en titre, il fallait gravir
les échelons.»
Autrement dit, en devenant doublure, lors d’une sélection –«on ne
disait pas casting, on parlait encore
français» – qui avait lieu deux fois
l’an, avant la présentation des collections printemps-été, puis automnehiver. «Dans chaque maison il y avait
un portier, un fleuriste, tout le
monde se respectait. Les ouvrières
nous respectaient parce qu’on souffrait pendant des heures.»
Mannequin, c’est ce que Geneviève de Marcy a toujours voulu
faire. Sa mère était une «élégante
de la Côte d’Azur» qui avait par
exemple lancé en «1900 je-ne-saisplus-combien la mode des pyjamas
en soie». C’était à Juan-les-Pins, où
depuis toute petite Geneviève de
Marcy est habituée à se montrer
devant les amis de la famille, parce
que sa mère l’«habillait joliment».
On lui disait, «montre-toi, tournetoi à gauche, à droite», l’habitude
est prise. Mais quand, à 15 ans, elle
annonce à ses parents qu’elle veut
devenir mannequin, eux soudain ne
veulent plus. Elle passe outre.
entier assister à la collection. Pas
question de présenter des modèles
sur mesure sur des corps pas exactement pareils. Alors il nous arrivait
de présenter une collection avec 3940 de fièvre.»
Ensuite, Geneviève de Marcy
passe la sélection chez Christian
Dior, comme mannequin en titre,
où elle présente la collection pendant six mois. «Il y avait une cheffe
de cabine qui était un adjudant.
Non, pire qu’un adjudant. Mais
même le couturier la respectait,
parce qu’il savait combien c’était dur
de maintenir l’ordre avec dix filles.»
La discrétion est de rigueur, concurrence oblige: «On n’avait pas le droit
de parler de la collection, même en
famille. Mais on était respectées
comme des étoiles de ballet.»
Un apprentissage
par mimétisme
L’après-midi, tapies dans les coulisses, les doublures observent leurs
aînées qui défilent: «La profession
se transmettait comme ça, par mimétisme. Personne ne nous montrait.» Avec bientôt une sévère sélection naturelle: «Il y avait celles
qui se décourageaient parce qu’on
était mal payées, celles qui se faisaient mettre à la porte et une minorité qui s’accrochaient.»
Geneviève de Marcy n’a pas
oublié ce jour de présentation de la
collection Jacques Fath. «Il y avait
des photographes partout.» Panique
à bord, on s’aperçoit soudain qu’il
manque un mannequin. «On m’attrape et on me dit tu passes à sa
place… on m’habille, j’écarte les rideaux, j’avais peur de me prendre les
pieds dans les courroies des photographes assis par terre. On m’a poussée, j’ai entendu les premiers applaudissements, ça m’a rassurée.»
Dès lors, voilà Geneviève de
Marcy mannequin en titre grâce à
une fille qui était en retard, une
faute d’autant plus impardonnable
que rare dans le milieu: «Les meilleures clientes venaient du monde
Geneviève de Marcy portant une
création de Guy Laroche.
Elle se présente ensuite chez
Lanvin. Bingo: leur mannequin vedette s’en va pour épouser Jean Gabin et Geneviève de Marcy la remplace. Vient enfin le mariage, «un
peu de vie de famille», et un nouveau statut dans la profession: mannequin volante, intervenant au pied
levé, dans toutes les maisons
connues pour suppléer une fille défaillante.
Aujourd’hui, quand elle parle de
ses élèves, de ceux surtout auxquels
elle vient de confier les destinées de
son école, elle dit: «Un vrai mannequin, c’est indémodable. Ça traverse
le temps. Comme la musique classique. Il n’y a pas trente-six façons
d’avoir une belle démarche. Il n’y a
pas trente-six façons d’être distinguée.»
Laurent Nicolet
Photo Loan Nguyen et LDD
RÉCIT MODE
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«Mannequin,
ce n’est pas
simplement
tortiller
du popotin»
Pour Geneviève
de Marcy, un vrai
mannequin est
indémodable. Il
traverse le
temps. Comme la
musique
classique.