Celui qui ne veut pas savoir ne fait pas non plus d`autotest
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Celui qui ne veut pas savoir ne fait pas non plus d`autotest
M É D E C I N E Celui qui ne veut pas savoir ne fait pas non plus d’autotest Les Etats-Unis, la France et l’Angleterre ont récemment légalisé les autotests VIH, autrement dit les tests de dépistage du VIH que l’on réalise et que l’on interprète soi-même à domicile. En revanche, la Commission fédérale pour la santé sexuelle que vous présidez les déconseille. Pourquoi, Monsieur Vernazza? Le Professeur Pietro Vernazza, infectiologue et médecin-chef à la Clinique des maladies infectieuses et d’hygiène hospitalière de l’Hôpital cantonal de St-Gall, est président de la Commission fédérale pour la santé sexuelle CFSS. A titre de commission extraparlementaire, celle-ci sert d’organe consultatif au Conseil fédéral et à l’Office fédéral de la santé publique pour toute question en relation avec le VIH/sida. Nous nous intéressons avant tout à leur apport éventuel à la prévention. Or, nous n’y voyons actuellement aucune utilité. Nous disposons par ailleurs depuis de nombreuses années d’une stratégie performante où dépistage et conseil par des professionnels occupent un rôle clé. Nous n’allons pas la mettre en jeu à la légère. C’est très simple: si l’on veut changer un système qui fonctionne bien, il faut d’abord apporter la preuve que le changement entraînera une amélioration. Avec l’autotest, les pays précités entendent inciter au test les personnes qui ne se rendraient pas dans un centre de dépistage, mais qui s’exposent à des risques élevés. Cette problématique n’existe-t-elle pas en Suisse? Si, il y a des groupes qui ne font pas le test alors que cela aurait tout son sens. C’est le cas notamment des hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, mais ne l’acceptent pas comme une réalité, par exemple parce qu’ils ont une identité hétérosexuelle et qu’ils sont mariés avec une femme. Bon nombre d’entre eux refusent de penser aux risques qu’ils prennent et ne se font pas dépister. Nous nous sommes également demandé si ces personnes changeraient d’attitude avec les autotests. A ce jour, nous n’avons aucun indice dans ce sens. Si quelqu’un dit: «Je ne veux pas savoir», il ne fait pas non plus d’autotest. De plus, les expériences réalisées jusqu’ici 10 Swiss Aids News 2 | juillet 2014 aux Etats-Unis et dans d’autres pays ne révèlent pas que les autotests inciteraient tout à coup un grand nombre de ces personnes à se faire dépister. Il existe bel et bien un marché pour ce type de tests, mais il est essentiellement composé de personnes pour qui, du point de vue de la prévention, il n’y a pas de nécessité d’agir. Mais même si cela ne concerne qu’un nombre réduit d’individus, tout diagnostic supplémentaire de VIH est néanmoins utile, tant pour ces personnes que pour la prévention. Il faut mettre l’utilité potentielle en regard des risques potentiels. Et s’il n’y a jusqu’ici aucune preuve de l’utilité, et j’insiste là-dessus, en revanche les risques sont clairement établis. Quels sont ces risques? Pour nous, l’élément déterminant est la sensibilité des autotests qui n’atteint que 92 pour cent, en d’autres termes ils ne détectent pas une infection à VIH sur douze. Comparé aux valeurs que nous atteignons dans les centres de dépistage et les laboratoires, ça n’est pas acceptable et c’est à notre avis dangereux. Les autotests sont donc de mauvaise qualité? La sensibilité est clairement réduite. Les 92 pour cent indiqués se réfèrent aux tests admis aux Etats-Unis qui sont réalisés par le profane. Ce pourcentage monte à 96 lorsque ces mêmes tests sont effectués par du personnel formé, mais ce n’est toujours pas comparable avec nos tests. En dépit de l’interdiction suisse, un particulier peut commander des autotests à l’étranger. Ces tests se répandent-ils indépendamment du fait que leur vente en Suisse soit légale ou non? Rien ne semble l’indiquer pour l’instant. Et c’est une chance, car nous avons, dans le cadre de notre examen, commandé aussi toutes sortes d’autotests sur Internet et il y a réellement de gros problèmes de qualité. On vend même des tests à réaliser avec de l’urine! Dans ce cas, le diagnostic tourne à la loterie. Et de nombreux tests ne contenaient ni mode d’emploi ni information relative à des services de conseil et ne mentionnaient pas que le résultat, positif ou négatif, n’est pas sûr. «Si l’on veut changer un système qui fonctionne bien, il faut d’abord apporter la preuve que le changement entraînera une amélioration.» Mais alors si l’on peut de toute manière commander des tests à l’étranger, qui plus est de mauvaise qualité, ne vaudrait-il pas mieux avoir un commerce réglementé en Suisse avec des produits de qualité? Comme je l’ai dit, pour le moment, nous ne voyons pas que l’on commande énormément de tests à l’étranger. Si cela devait changer, il conviendrait d’envisager d’autres mesures. L’Allemagne connaît une situation légale analogue à la nôtre et l’Aide Allemande contre le Sida rejette également les autotests, mais elle propose néanmoins des conseils et des informations explicitement pour les personnes qui pratiquent un autotest. Ne serait-ce pas une démarche utile en Suisse aussi? Oui, ce que nous voulons en fin de compte, c’est offrir des conseils et des informations à grande échelle, et tout le monde y a droit. Mais l’élaboration de matériel de conseil n’est pas prioritairement du ressort de notre commission. des personnes qui ne recourent pas aux services de dépistage existants bien qu’elles s’exposent à des risques de VIH élevés. Si les autotests ne constituent pas une alternative, comment pourrait-elle se présenter? Cette problématique me préoccupe depuis longtemps, elle est connue depuis vingt ou trente ans. Il serait temps de mieux étudier ces groupes et de mettre au point des interventions appropriées. Et au lieu de renoncer précipitamment à la stratégie existante, nous ferions mieux de mettre l’accent là où nous pourrions vraiment obtenir des résultats. A quoi pensez-vous concrètement? Je pense avant tout au dépistage du VIH par les médecins de famille. Ceux-ci ont souvent trop de retenue face au test. Nous estimons que la moitié environ de toutes les personnes diagnostiquées à un stade ultérieur ont déjà consulté un médecin peu après la contamination avec des symptômes d’une infection aiguë, mais que celui-ci n’a pas fait de test VIH. Si nous arrivons à ce que les médecins de famille fassent systématiquement un test de dépistage du VIH en présence de signes non spécifiques d’une affection virale, un grand nombre de ces infections très récentes seraient diagnostiquées dans la phase où elles sont le plus contagieuses. Et je pense qu’il faut traiter plus en profondeur des sujets comme l’identité et la diversité sexuelles à l’école obligatoire, car la peur de la discrimination est une des principales raisons pour lesquelles les gens ne font pas de test, ni dans un centre de dépistage ni à la maison. «Et je pense qu’il faut traiter plus en profondeur des sujets comme l’identité et la diversité sexuelles à l’école obligatoire, car la peur de la discrimination est une des principales raisons pour lesquelles les gens ne font pas de test, ni dans un centre de dépistage ni à la maison.» Monsieur Vernazza, merci de cet entretien. L’entretien a été réalisé par Stéphane Praz. Vous avez dit qu’il y a, en Suisse aussi, Swiss Aids News 2 | juillet 2014 11