RH les apports de la psychologie du travail
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RH les apports de la psychologie du travail
Lévy-Leboyer-2005 Page 17 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16 Avant-Propos Avant-Propos De la théorie à la pratique et de la pratique à la théorie CLAUDE LÉVY-LEBOYER, CLAUDE LOUCHE, JEAN-PIERRE ROLLAND © Groupe Eyrolles La mondialisation de l’économie ainsi que la rapidité des progrès techniques ont donné une importance accrue aux ressources humaines. Leur gestion efficace, ainsi que le développement et la mobilisation des compétences dont disposent les individus faisant partie d’une entreprise sont devenus un des éléments clés de la compétitivité. Ce qui a eu une série de conséquences qui mérite l’attention. Tout d’abord, ces nouvelles attentes ont suscité une forte demande de la part des responsables de ce domaine dans les entreprises, demande très diversifiée, puisqu’elle concerne aussi bien l’évaluation des potentiels individuels que la solution de problèmes plus spécifiques comme la gestion de la motivation, les interventions relatives au stress, la composition des équipes de projet, le développement des carrières, l’établissement de plans de formation, la gestion prévisionnelle des emplois, les effets de l’image de l’entreprise sur les candidatures, le développement de la « qualité des services », le suivi du moral des expatriés, la gestion des différences de styles résultant de l’internationalisation des équipes... pour ne citer que quelques exemples. La réponse à ces besoins ne s’est pas fait attendre et on a assisté à une multiplication des offres faites sur le marché par les créateurs de méthodes, de programmes, d’interventions, de coaching... offres parfois bien-fondées, mais trop souvent soutenues par un marketing efficace, par un 17 Lévy-Leboyer-2005 Page 18 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16 RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL recours séduisant aux nouvelles technologies, sans données scientifiques vérifiées, et sans preuves objectives de leur efficacité et de leur validité. De nombreuses recherches ont été conduites dans ces divers domaines et beaucoup d’entre elles ont apporté des résultats notables. Citons, par exemple, la démonstration de la validité de certains types d’entretien, la structure des habiletés motrices, l’identification des dimensions fondamentales de la personnalité et la mise en évidence, très longtemps controversée, de leur validité, les preuves de la validité générale des tests d’intelligence, l’identification des facteurs de la motivation au travail. En outre, dans le domaine de la formation, il a été clairement montré qu’il était possible de procéder à une évaluation expérimentale des effets recherchés et que cette évaluation permettait non seulement le choix de méthodes pertinentes, mais aussi qu’elle fournissait des indications pour infléchir dans un sens favorable les pratiques courantes. C’est ainsi que les travaux portant sur l’évaluation des méthodes destinées à développer des compétences cognitives générales (méthodes de remédiation cognitive comme le PEI ou les Ateliers de raisonnement logique) ont montré qu’il était préférable de faire procéder à des apprentissages sur des contenus significatifs plutôt que sur des contenus quelconques et pauvres. Autre conséquence : les Universités, conscientes des possibilités d’emploi offertes dans les entreprises aux étudiants formés dans ce domaine, ont créé de nouveaux cursus destinés à faciliter aux jeunes diplômés l’entrée dans les 18 © Groupe Eyrolles Il faut rappeler que les périodes caractérisées par des problèmes cruciaux et urgents de recrutement, d’orientation et de formation ont toujours fait progresser la psychologie du travail. La Guerre de 14-18 a vu se développer les méthodes de sélection, la dépression des années 30, les activités de conseil et d’orientation professionnelle, la Seconde Guerre mondiale, des avances importantes concernant les méthodes d’évaluation indépendantes de la culture, et l’appréciation des qualités de leader. A l’heure actuelle, la globalisation de l’économie et l’importance de la compétition en même temps que l’apparition de nouvelles formes de travail ont mis l’accent sur la formation, l’employabilité des non-qualifiés, l’évaluation et le développement des compétences, la gestion des problèmes sociaux posés par les retraites anticipées, les conséquences des fusions et des changements structurels qui les accompagnent sur la communication et sur la coopération de salariés issus de cultures très diverses, les effets des restructurations sur le moral et l’implication dans l’entreprise ... Lévy-Leboyer-2005 Page 19 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16 Avant-Propos © Groupe Eyrolles services de ressources humaines et dans les organismes de formation et de conseil en ressources humaines. A l’heure actuelle, dans les Universités Françaises, 30 Masters professionnels de psychologie du travail et des organisations ou encore des Masters à orientation « Gestion des Ressources Humaines », avec une orientation vers la psychologie du travail, regroupent environ 700 étudiants chaque année. Ce qui a forcément entraîné d’abord l’ouverture de postes d’enseignants-chercheurs capables de répondre à ces nouveaux besoins de formation, puis le développement de thèses et d’activités de recherche qui étaient rares en France voici une dizaine d’années, ainsi que des progrès notables dans la connaissance des travaux internationaux par ces nouveaux spécialistes. On aurait pu espérer que ces progrès soient pris en compte par les gestionnaires des ressources humaines, précisément en raison de l’accroissement de la demande. Et que les psychologues du travail jouent un rôle efficace dans les entreprises, comme l’avaient fait, au début du siècle dernier les précurseurs qu’ont été en France J.M. Lahy et S. Pacaud, à la SNCF et à la RATP, R. Bonnardel chez Peugeot et Michelin... Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Le développement des recherches fondamentales, appuyé par la maîtrise des avancées théoriques dans ce domaine, ne s’est pas traduit par une égale avancée des pratiques de terrain. Force est de constater qu’il reste difficile pour un gestionnaire de ressources humaines, confronté à un problème pratique et à la nécessité de mettre rapidement en œuvre une solution réaliste, de faire la différence entre un consultant compétent et un amateur éloquent, entre une bonne méthode et un produit non fondé mais bien promu. D’autant plus que la presse spécialisée est à la recherche de nouveaux concepts pour les mettre en vedette, ce qui a trop souvent pour effet de transformer des approches parfaitement justifiées en gadgets, plus souvent utilisés parce que c’est la mode que pour répondre à un besoin précis. Un exemple récent concerne les démarches dites à « 360° » parce qu’elles consistent à faire décrire les compétences d’un cadre par lui-même et par ceux qui travaillent avec lui, supérieur, mais aussi collègues et collaborateurs, – ceci pour définir et mettre en œuvre un plan de développement des compétences. Faire noter un cadre par ses subordonnés a d’abord paru inconciliable avec la culture des entreprises françaises. Puis les premiers essais ayant montré que ces nouvelles informations étaient à la fois bien reçues par les cadres concernés et utiles à l’organisation, on assiste actuellement à deux dérives. D’une part, certaines entreprises veulent essayer ce nouveau « gadget » seulement parce que d’autres organisations l’utilisent, donc sans avoir un objectif précis, et sans créer les conditions du succès 19 Lévy-Leboyer-2005 Page 20 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16 RH, LES APPORTS DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL d’une activité de développement des compétences. D’autre part, les questionnaires à 360° se multiplient sans le souci nécessaire de vérifier leurs qualités métriques. Ceux qui font l’essai de questionnaires mal construits et qui, en outre, le font sans bien savoir à quoi cette démarche peut servir, n’en retirent pas les bénéfices attendus et, selon l’expression consacrée, « jettent le bébé avec l’eau du bain », condamnant la méthode parce qu’ils n’ont pas su la mettre en œuvre. En d’autres termes, il existe un problème de communication entre praticiens et chercheurs. Quelles en sont les causes ? Quels remèdes y apporter ? • La première est un véritable problème d’identité. La psychologie est un vaste domaine avec des corpus de connaissances couvrant des champs bien différents les uns des autres, qui vont du pathologique au normal, du diagnostic à l’intervention, au développement et à l’évaluation, et, également, qui se développent aussi bien dans le cadre d’un laboratoire de recherche fondamentale que sur des terrains variés. On admet facilement qu’un spécialiste de chimie organique ne soit ni concerné, ni compétent, en chimie des colorants, par exemple, donc qu’il existe des spécialités très hétérogènes au sein du vaste champ de connaissances et d’applications que regroupe le terme de « chimie ». Mais la représentation de la psychologie est très souvent dominée par ses applications cliniques, alors que les connaissances scientifiquement établies en psychologie s’appliquent également à des cas qui ne ressortent pas d’une approche diagnostique ou thérapeutique, et ceci dans des domaines très différents, – l’école, le travail, la vie sociale, notamment. L’image de la psychologie et des psychologues du travail est encore fortement dominée par ses applications cliniques et correspond trop souvent à une représentation simpliste du psychologuepsychanalyste, sondant... les « replis cachés de la personnalité ». Cette représentation fait peur, à tel point que les psychologues qualifiés hésitent parfois à afficher leur titre lorsqu’ils travaillent dans une entreprise, que les spécialistes qui utilisent, dans une organisation, les connaissances faisant partie de la psychologie n’utilisent que rarement le mot de « psychologue » dans l’intitulé de leurs fonctions, et que les éditeurs spécialistes du monde du travail reculent devant les titres d’ouvrage comportant le mot de « psychologie ». Mieux identifier le domaine, les méthodes de la psychologie du travail, les compétences des professionnels qualifiés, donc les services que 20 © Groupe Eyrolles Trois causes fondamentales expliquent cette situation. Lévy-Leboyer-2005 Page 21 Lundi, 12. décembre 2005 4:27 16 Avant-Propos © Groupe Eyrolles peut et doit rendre la psychologie du travail à la gestion des ressources humaines, les différencier clairement des autres champs qui font partie de cette discipline, contribuerait certainement à construire une idée plus claire du rôle de la psychologie du travail sur le terrain et à une plus large diffusion des résultats des recherches faites dans ce domaine. • La seconde cause est, en quelque sorte, le symétrique de la première. Chercheurs et enseignants en psychologie du travail appartiennent à des organisations universitaires ou à des services de recherche publique qui les incitent peu à se préoccuper de la dissémination de leurs idées, de leurs concepts et de leurs résultats dans le monde du travail. Ils publient dans des revues spécialisées, destinées à d’autres chercheurs, et sans toujours se soucier de préciser les conséquences pratiques des avancées de connaissance qu’ils exposent. En outre, il s’est développé au fil des années un vocabulaire technique qui semble souvent hermétique au praticien de terrain. De fait, la carrière de ces enseignants chercheurs dépend précisément du nombre de publications faites dans des revues spécialisées, destinées à des spécialistes, et très peu de leur impact dans le monde du travail. Rien d’étonnant donc si abondent les exemples de recherches n’ayant pas de retombées pratiques alors que celles-ci paraissent pourtant assez évidentes. Il est vrai, et la psychologie sociale l’a montré dans de nombreux cas, comme le port de ceintures de sécurité, l’alcool au volant, l’utilité des vaccinations, et, plus récemment, le réchauffement de la planète, que les données scientifiques n’entraînent pas automatiquement un changement de comportement. L’habitude, la conviction intime que les procédures et les comportements actuels sont efficaces fait obstacle aux changements les mieux fondés. Dans le domaine des applications de la psychologie du travail, il y a nombre d’exemples où des conclusions sont bien démontrées mais peu appliquées. C’est ainsi que les recherches concernant les entretiens comme source d’informations en vue d’une décision de recrutement, tels qu’ils sont couramment pratiqués, ont montré clairement que la validité prédictive de cette approche est très faible, et que les opinions, forcément subjectives, qu’on élabore au cours d’un entretien sont fortement dominées par la première impression. Le recruteur d’une grande entreprise nationale disait récemment à l’un d’entre nous qu’il était souvent gêné parce qu’il avait le sentiment que la décision aurait été différente si son voisin de bureau avait mené l’entretien... 21