Quintessence : 2 Promenade avec robot Désordres

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Quintessence : 2 Promenade avec robot Désordres
Horizon zéro : Horizon deux : Imiter : septembre 2002
« Ce que nous semblons être n’est pas ce que nous sommes,
mais ce que nous pensons être. »
Quintessence : 2
Promenade avec robot
Désordres en cascade
Je crois t’avoir aimé plus que moi-même…
Es-tu humain ?
Ou prétends-tu l’être ?
— Goldfrapp, Human
Petits animaux format robot
Afin de préparer cette chronique, j’ai fait quelque chose d’un peu inhabituel. J’ai emmené
ma vieille chatte de quatorze livres, qui est sourde comme un pot, faire une promenade,
en la portant dans mes bras. J’ai imaginé que j’étais sa prothèse et son propulseur. Nous
étions les deux parties de la même entité, un cyborg pas tout à fait humain ni tout à fait
machine ou animal. Pendant plus d’une heure, nous avons marché au delà de la rivière,
le long des routes de campagne de Canmore, franchi plusieurs ponts, puis traversé la
forêt. Au début, ma chatte tremblait, et je pouvais sentir sa peur et son excitation,
éveillées par les odeurs et le milieu environnant. Après un certain temps, elle s’est enfin
détendue et s’est mise à regarder autour d’elle avec une grande fascination. Plusieurs
personnes et plusieurs chiens se sont arrêtés pour nous saluer.
Ma chatte est un cyborg, un prolongement de la personne que je suis. Elle a absorbé
certains aspects de ma personnalité et vice-versa. Elle est l’objet de mes rêves. Sa vie
se prolonge parce que nous vivons sous le même toit. Parfois, je lui prépare du foie de
poulet pour lui flatter le palais. Ses manières, atténuées par la domestication, relèvent
du comportement humain.
Qui étions-nous durant notre promenade ?
Questions pour les robots guerriers
Qu’est-ce que la guerre ?
Êtes-vous stupides ou simplement artificiels ?
Est-ce que la mort vous fait peur ?
Des applications qui tuent
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Cette symbiose idyllique entre humain et animal constitue seulement un des aspects
possibles de l’existence du cyborg. Le cyborg réalise pleinement son côté obscur lorsqu’il
s’adonne à la violence. Le robot — cet organisme frustré, moitié être vivant, moitié
conscience — exprime souvent le trouble psychologique et les traumatismes associés à la
vie humaine.
Le monde est en guerre, et nos machines y participent. Les applications concrètes
de nos découvertes technologiques sont souvent utilisées pour poser des actes violents
et, cependant, elles échappent au champ de bataille en remplissant des fonctions
pacifiques, après avoir été soumises à diverses formes de démantèlement, de recyclage
et de reconfiguration. Les militaires continuent de perfectionner l’armure des robots à
des fins guerrières. Cela dit, les robots sont des instruments maladroits de destruction
Horizon zéro : Horizon deux : Imiter : septembre 2002
« Ce que nous semblons être n’est pas ce que nous sommes,
mais ce que nous pensons être. »
massive. L’image que représente un détachement de robots marchant lourdement et
implacablement est absurde. Afin d’être aptes à tuer, les robots doivent être purement
fonctionnels, ainsi ils seront capables de jeter ma chatte par terre et de l’écraser.
Les soldats humains ne sont pas des machines, mais on veut qu’ils le soient ; on veut
également voir en eux des manifestations séduisantes de pouvoir ayant le potentiel de
rendre la guerre, à tout jamais, inhumaine. Bien entendu, plusieurs médias contemporains
les représentent déjà comme tels, et ce, sans grand investissement dans la robotique. Je
suis de l’opinion que tout ce qui se rend sur les champs de bataille et en revient est
humain.
Questions pour les militants robots
Pensez-vous qu’il est possible de créer une utopie ?
Désirez-vous une révolution ?
Est-ce que les gens qui commettent des erreurs sont stupides ?
Proprioception utopique
Il n’y a pas que les tueurs qui parcourent les no man’s land de la terre : l’Afghan Explorer,
de Chris Csikszentmihalyi, est le premier correspondant de guerre entièrement robotisé
capable de s’aventurer dans les zones qui sont interdites aux journalistes. Le robotjournaliste rassemble les faits et les retransmet, garantissant ainsi la liberté de la presse et
assurant le monde que les droits de la personne sont respectés. Les machines ne risquent
rien en étant honnêtes — n’est-ce pas ? « Oh ! oh ! qui a coupé le courant ? »
Je fais ces commentaires au sujet de la nature anthropomorphique du psyché
robotique tout en sachant très bien que certains robots ressemblent à des parties
complexes et améliorées du corps humain. Par exemple, le bras spatial canadien
(Canadarm), part importante de la navette spatiale de la NASA, est une technologie cool,
capable de manœuvrer là où aucun homme n’est jamais allé.
Ces robots brillent des mille feux de la charge utopique du progrès et de la
colonisation, utilisés qu’ils sont pour briser la glace, la pierre de lune, la molécule ; pour
atteindre l’espace ; pour défricher le prochain territoire où les guerriers et les systèmes
de sécurité vont opérer ; pour aller au delà du monde connu par l’être humain. Tout cela
tel que l’avait prédit l’édition de la Science Desk Reference de la Bibliothèque publique de
New York en 1960 :
Il sera possible de construire des robots ayant la capacité de voir et d’entendre
à la place des humains. À titre d’exemple, une mission sans équipage sur Mars
serait en mesure d’employer un robot intelligent, qui aurait assez de « bon
sens » pour s’arrêter au bord d’une falaise — et cela, sans intervention humaine.
Des robots du même genre seraient utilisés dans les usines d’assemblage pour
manipuler des objets et prendre certaines décisions.
Questions pour les familles robots
Es-tu mon enfant ?
Ou suis-je le tien ?
Es-tu un androgyne ?
La famille cyborg
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Les robots sont souvent considérés comme entiers — des entités complètes qui sont
conçues, mises au monde, puis séparées de leurs « géniteurs » humains. À la lumière du
complexe œdipien, ce processus a démontré la nécessité de repenser les capacités de
l’humain. Il vient un temps où l’enfant prend la place du parent.
Horizon zéro : Horizon deux : Imiter : septembre 2002
« Ce que nous semblons être n’est pas ce que nous sommes,
mais ce que nous pensons être. »
Jusqu’à tout récemment, très peu de femmes de science (à l’exception de Mary
Shelley) se sont intéressées avec enthousiasme à la synthèse de la vie. Dans le
laboratoire de recherche, c’est trop souvent le père qui donne naissance à l’enfant, dans
un environnement où l’on retrouve de nombreuses contraintes et une intégration à la
vie sociale limitée. Le père oublie, absorbé par les tâches de son invention, le poids
symbolique de mettre au monde.
Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline ont mentionné, dans leur article bien connu,
Les cyborgs dans l’espace (Astronautics Journal, septembre 1960) :
A fi n d e s ’ a d a p t e r à s on n o u v e l e nv i ron n e m e n t , l e c y b org r assemble
délibérément les composantes exogènes qui élargissent les fonctions de contrôle
autorégulatrices de l’organisme. L’utilité d’un cyborg aussi bien que celle de
ses systèmes homéostatiques est de pourvoir une structure organisationnelle
dans laquelle ces difficultés « de robot » sont réglées automatiquement, laissant
l’humain libre pour explorer, créer, penser et sentir.
Le parent limite l’aspect humain de l’enfant mécanique. Les robots sont dissociés
de leurs émotions dès l’instant où ils prennent notre place. Ils sont conçus pour n’avoir
aucun désir individuel, pour ne pas ressentir la douleur ni la peur. Cependant, les robots
présents dans les œuvres de fiction et dans l’art apprennent souvent à exprimer ces
émotions, et se font détruire (voir Blade Runner) comme s’ils incarnaient simplement le
désir d’être objectif, désir réfuté par l’évidence d’une nouvelle vie.
Questions entre des amants robots
Qu’est-ce qui t’apporte le plus de joie ?
Est-ce que je te manque ?
Est-ce que tu m’aimes ?
Boutons de relecture pour les robots passion
Dans la fiction, les robots expriment un désir pour la liberté et la vie — ils sont des esclaves,
assujettis à leur maître, mais lui ressemblant cependant d’une manière inquiétante.
Les robots naissent épris de leurs maîtres. Ils en sont les serviteurs et n’ont aucun besoin
propre. Et puis soudain, en même temps qu’ils deviennent gâteux, ils dépérissent aussi. On s’en
débarrasse ou on les détruit. Quelle souffrance humaine !
Les robots sont victimes de leur potentiel. Ils sont capables d’emmagasiner, par exemple,
d’énormes quantités d’information sans en révéler le contenu. Ils ne sont pas enclin au
bavardage, mais parfois ils se trompent. Ultimement, on ne peut leur faire confiance.
De la même manière, lorsque les robots tombent en panne, ils souffrent soit d’une
rage psychotique ou meurtrière, soit d’une névrose obsessionnelle. On pousse le bouton
de relecture et on réentend de façon continuelle des sons discordants. Les robots
représentent l’atelier d’assemblage assimilé dans la mémoire de l’homme, puis mécanisé.
Ils renferment le spectre de Taylor.
Il est intéressant de noter que les artistes qui participent à l’exposition Circuits
sensibles (Sentient Circuitry) de la galerie Walter Philipps ont tous créé des robots
présentant des qualités humaines particulièrement affligeantes, de l’hystérie à l’humeur
purement grincheuse. Ce sont des attributs déplaisants quoique possibles, mais dont on
voudrait se défaire en les insérant dans la machine. Mais celle-ci revient tout de même
nous hanter, nous rappelant continuellement ses origines et l’endroit où elle cherchera
fort probablement l’amour ou quelque chose qui lui ressemble.
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Sara Diamond
Rédactrice en chef, Horizon zéro

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