Les relations entre l`UE et la Chine : un équilibre juste est

Transcription

Les relations entre l`UE et la Chine : un équilibre juste est
 Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
Introduction :
L’Union Européenne et la Chine doivent, dans leur intérêt commun, développer une relation
équilibrée. Cette nécessité, depuis longtemps admise en Europe, l’est de plus en plus largement en
Chine. En atteste la déclaration du Président Hu Jintao au Sommet du G20 le 1er novembre 2011 : « la
Chine entend, de concert avec l’Europe […], construire un partenariat d’égal à égal basé sur le respect
mutuel, l’amitié et la confiance réciproque, un partenariat de coopération marqué par les avantages
mutuels, le gagnant-gagnant et le développement commun […]. ». L’Europe, en effet, est le premier
partenaire commercial de la Chine, et représente à ce titre un moteur majeur de la croissance chinoise,
tirée par les exportations vers les pays industrialisés. Cette croissance est ouvertement considérée par
les autorités chinoises comme la condition de la stabilité et de « l’harmonie » sociales. Ainsi,
l’amélioration du niveau de vie des classes moyennes constitue le ciment de la politique interne et
commerciale chinoise. En ce sens, la vitalité du partenariat économique avec l’Union est cruciale pour
la Chine.
Cependant, les relations entre la Chine et l’Europe sont déséquilibrées par le poids grandissant
de la Chine dans l’économie mondiale, ainsi que par une asymétrie concurrentielle persistante.
Cette asymétrie est engendrée par des restrictions fortes en matière d’accès au marché chinois, et par
des exportations subventionnées directement par l’Etat chinois, ou indirectement par la sous-évaluation
de la monnaie chinoise, le yuan (ou renminbi, RMB).
De surcroit, ce déséquilibre entre la Chine et l’Union s’explique également par la relative
faiblesse diplomatique de cette dernière. Les positions de l’UE au sujet des nombreuses questions
de société qui se posent à la Chine (droits des minorités ethniques et des migrants internes, censure,
contrôle des dissidents, corruption, etc.) sont trop souvent peu audibles voire inexistantes, d’une part à
cause de la prééminence des relations économiques, mais aussi faute de positions consensuelles entre
les Etats membres. Par ailleurs, la diplomatie communautaire est encore trop peu structurée pour peser
sur ces questions, de surcroît au regard de l’importance qu’accorde la Chine à la non-ingérence dans
ses affaires internes.
L’Europe, dans ses relations avec la Chine, fait donc face à un double déséquilibre :
-­‐ un déséquilibre économique renforcé par les mesures anticoncurrentielles des autorités chinoises ;
-­‐
un déséquilibre diplomatique dû au manque de structuration des institutions européennes en
charge des affaires étrangères.
Dans cette perspective, cette note propose de :
-­‐ dresser un constat succinct du rapport UE-Chine d’un point de vue économique, sociétal et
diplomatique ;
-­‐ proposer des pistes pour rééquilibrer les échanges économiques sino-européens sur la base d’une
concurrence équitable et pour développer une diplomatie européenne audible, notamment sur les
questions de société qui se posent à la Chine.
A. Une relation essentiellement déséquilibrée par la prééminence des considérations
économiques et la faiblesse diplomatique de l’Europe :
1. L’incontournable puissance économique chinoise explique en grande partie la
relative faiblesse de la parole européenne :
•
•
La Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale en 2010, après une
trentaine d’années de croissance annuelle proche de 10%. Suivant cette dynamique, de
nombreuses études considèrent que la Chine deviendra la première économie du monde à la moitié
du 21ème siècle.
Cette puissance chinoise est d’abord commerciale. En effet, la Chine est le premier exportateur
mondial depuis 2009 (9.6% des exportations mondiales), devant l’Allemagne et les Etats-Unis1,
ainsi qu’un gigantesque importateur de matières premières.
•
La Chine est d’ores et déjà le deuxième partenaire commercial de l’Union. Les échanges
entre les deux parties se sont fortement développés depuis l’accord de coopération UE-Chine de
1985, pour atteindre 395 milliards d’euros d’échanges en 2010. L’Union est la première destination
des exportations chinoises et la première source d’importations de la Chine, devant le Japon, ce
qui stimule fortement la croissance des Etats de l’Union orientés vers l’exportation, et notamment
l’Allemagne.
•
Cependant, le contenu de la Chine dans la valeur ajoutée de ses exportations est limité,
même s’il est difficile d’obtenir des chiffres précis à ce sujet. En outre, 85% des exportations
de produits assemblés en Chine est le fruit d’entreprises à capitaux étrangers (dont une part
significative, il est vrai, consiste en des capitaux chinois « réinvestis » depuis Hong Kong pour
bénéficier d’une fiscalité avantageuse). Les entreprises étrangères, et notamment européennes,
ont donc largement contribué à l’explosion des exportations chinoises, en investissant lourdement
dans des capacités de production en Chine.
•
La croissance chinoise a eu et continue d’avoir des conséquences mitigées pour les pays
européens. Le mouvement de délocalisation des capitaux et des moyens de production de
l’Europe vers la Chine continue d’avoir un impact nuisible sur l’emploi en Europe, avec un chômage
1
http://www.wto.org/french/news_f/pres10_f/pr598_f.htm
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
2 grandissant sur des segments à faible valeur ajoutée où l’Europe ne parvient plus à être
compétitive. Cependant, le corollaire positif de cette situation consiste en la baisse des coûts de
production des biens de consommation produits en Chine, baisse qui est telle que, même en
incluant le coût du transport de ces produits vers l’Europe, de nombreux ménages européens à
faible revenu ont pu accéder à ces biens jusqu’alors trop chers. Ce phénomène est particulièrement
notable pour l’électronique assemblée en Chine. Ainsi, ce modèle de production a contribué à
juguler l’inflation en Europe. Il importe donc de ne pas considérer la Chine comme la source de tous
les problèmes européens de chômage et de déficit commercial (systématique avec la Chine depuis
1997).
•
La position de premier partenaire commercial que tient l’Europe vis-à-vis de la Chine ne peut
toutefois pas être considérée comme un acquis. En effet, la Chine cherche à diversifier ses
partenaires commerciaux et à limiter la sensibilité de son économie aux exportations vers les pays
industrialisés. Ainsi, la Chine et l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-est) ont
inauguré, le 1er janvier 2010, la plus grande zone de libre échange du monde entre des pays en
développement, avec la suppression progressive des droits de douane sur de nombreux produits.
Dans le cadre de la crise de la dette et d’une stagnation, voire d’une baisse de la consommation
aux Etats-Unis et en Europe, cet accord vise notamment à renforcer les débouchés alternatifs pour
les produits fabriqués ou assemblés en Chine.
•
Accompagnant la montée en puissance commerciale de la Chine, celle-ci devient peu à peu
une puissance financière. Détenant les plus importantes réserves de change au monde (3240
milliards de dollars à fin juin 20122), la Chine dispose ainsi d’une capacité d’investissement
inégalée.
•
La Chine utilise ses réserves de change notamment pour se procurer les matières premières
et l’énergie dont elle a besoin et pour s’implanter dans d’autres marchés émergents. Ainsi,
les investissements chinois en Amérique Latine, en Asie du Sud-est et en Afrique s’intensifient,
suivant fréquemment une logique d’échange « infrastructures contre matières premières ». C’est
notamment le cas dans plusieurs pays africains, où de nombreux travailleurs chinois construisent
des routes, des ports, des logements, ou encore des hôpitaux en échange d’un accès privilégié aux
ressources minières.
•
La Chine investit également dans l’achat d’obligations européennes. Ses réserves de change
contiennent donc une part significative de dettes souveraines des pays membres de la zone euro.
Ceci renforce significativement ses capacités de négociation, notamment au sujet de la sousévaluation du yuan. Cette part de dette européenne détenue par la Chine n’est toutefois pas
précisément quantifiée à ce jour, faute d’instruments de mesure adéquats au sein de l’Union.
•
Un autre aspect de cette puissance financière grandissante concerne l’internationalisation
progressive du yuan. Les autorités chinoises utilisent Hong Kong, « ville entrepôt » par laquelle
2
http://www.romandie.com/news/n/Chine_reserves_de_change_en_baisse_a_3240_mrd_USD_fin_juin56120720121200.asp
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
3 transitent la majorité des produits fabriqués dans les zones franches du sud de la Chine (Canton
(Guangzhou), Shenzhen, Shantou, Zhuhai, etc.), comme plateforme d’expérimentation en ce sens :
les premières obligations libellées en yuan y ont été émises et les puissantes banques
hongkongaises, qui financent une grande partie des exportations chinoises, peuvent opérer depuis
peu en yuan. Par ailleurs, plusieurs échanges entre la Chine et d’autres économies émergentes ont
été libellés en yuan, notamment en Amérique Latine, où l’Argentine a signé un accord de swap de
devises avec la Chine, et où un fonds souverain d’une valeur d’un milliard de dollars a été créé pour
investir, en yuan, dans le continent3.
•
Enfin, la Chine représente un marché potentiel énorme. En effet, le pouvoir d’achat de
nombreux Chinois s’est fortement développé, avec aujourd’hui près de 200 millions de personnes
ayant des revenus proches de la moyenne européenne4. On peut donc raisonnablement parler
d’une classe moyenne chinoise, classe moyenne qui croît rapidement et qui aspire de plus en plus
au confort de vie occidental. Les nouvelles générations, notamment, consomment plus, poussées
par internet et une plus grande accessibilité des produits de consommation dans les villes. La
politique de l’enfant unique, bien que partiellement appliquée, constitue également un facteur
soutenant le pouvoir d’achat des foyers et le comportement consommateur des nouvelles
générations « d’enfants rois » (wang haizi). De plus, les autorités chinoises tentent depuis quelques
années de réorienter, en partie, la croissance du pays sur la consommation intérieure, ainsi que le
recommandent de nombreuses organisations internationales5. L’Union doit donc encourager les
entreprises européennes à se positionner rapidement sur ce marché à fort potentiel.
•
On le voit, la Chine s’est aujourd’hui affirmée comme une puissance commerciale et
financière incontournable, tant et si bien que les considérations économiques ont pris le pas
face aux considérations diplomatiques ou sociétales. Si, dans l’absolu, la Chine dépend autant
de l’Europe que l’Europe de la Chine, il n’en reste pas moins que les structures de production des
grandes entreprises européennes et le pouvoir d’achat des citoyens européens dépendent
directement de décisions prises à Pékin, et que l’inverse n’est que partiellement vrai. Le potentiel de
croissance du marché intérieur chinois vient renforcer cette perception de dépendance
déséquilibrée. Cette prééminence de l’économique dans les relations sino-européennes explique en
grande partie la difficulté que connait l’Union à influer sur les choix des autorités chinoises,
notamment en matière de politique intérieure.
2. Dans un tel contexte de prééminence de l’économique sur le sociétal, la diplomatie
européenne, par ailleurs encore peu structurée, peine à se faire entendre :
3
http://www.ft.com/cms/s/0/0bba4d10-9065-11e0-9227-00144feab49a.html#axzz23R5h40PX
4
http://afpc.asso.fr/wp-content/uploads/2011/12/ETAT-DU-CHINOIS-dec-2011.pdf
5
http://www.challenges.fr/monde/20110721.CHA2203/le-fmi-demande-a-la-chine-de-revoir-son-modele-de-croissance.html
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
4 i. La position de l’Europe sur la question des minorités ethniques et des
migrations internes en Chine :
•
La Chine a connu, ces dernières années, plusieurs épisodes de tensions internes avec des
minorités régionales. Le pays est composé de 55 « groupes ethniques », dont les Han
représentent l’écrasante majorité (92%). Parmi les groupes minoritaires, deux sont au cœur de
conflits fréquents avec les autorités chinoises : les Ouïghours, turcophones musulmans vivant dans
la province (région administrative) du Xinjiang (Nord-ouest), et les Tibétains, répartis entre cinq
provinces du Sud-ouest montagneux : le Yunnan, le Sichuan, le Gansu, le Qinghai et la « Région
autonome du Tibet ». Des conflits de vaste ampleur ont eu lieu au Tibet et au Sichuan en 2008, et
au Xinjiang en 2009. Loin de la présentation médiatique occidentale de ces conflits comme
l’expression de velléités indépendantistes face à l’hégémonie des Han, il s’agit plutôt de
revendications pour plus d’autonomie administrative et culturelle et pour une meilleure distribution
des fruits de la croissance économique. Il faut en effet reconnaitre que les Han polarisent la
majorité des postes à responsabilités dans les entreprises et les administrations de ces provinces,
et que les cultures locales sont menacées par l’afflux de milliers de Han dans les villes ouïghoures
et tibétaines et par l’imposition du mandarin comme langue d’usage.
•
L’Union doit se positionner de manière précautionneuse sur ces questions. Lors des émeutes
tibétaines en 2008, l’Europe et la France avaient fortement dénoncé la répression menée par les
autorités chinoises, ce qui fut critiqué voire sanctionné par Pékin, sous la forme, notamment,
d’appels à boycotter des supermarchés européens. Le Xinjiang et le Tibet sont, pour la Chine, des
sujets hautement sensibles, non seulement du fait de la stricte politique de non-ingérence dans les
affaires intérieures que Pékin défend, mais également pour des raisons géopolitiques (l’Himalaya
tibétain s’interposant entre la Chine et l’Inde) et économiques (ces régions contenant d’importantes
ressources minières et hydriques). Il s’agit donc, pour l’Union, d’aborder ces questions internes
avec précaution, ce qu’elle a su faire lors de la crise du Xinjiang en 2009. Plus largement, l’Europe
doit être attentive, tout en défendant la préservation des cultures et des droits des minorités, à ne
pas appliquer à la Chine (dont la fin de la politique autarcique date d’à peine 1978, avec les
réformes de Deng Xiaoping, et dont l’histoire impériale structure presque deux millénaires de
centralisation des pouvoirs) un prisme démocratique occidental, dont on ne peut par ailleurs pas
affirmer qu’il est désiré par la population chinoise.
•
Concernant les migrants internes, force est de constater que l’Europe reste relativement
silencieuse, alors qu’il s’agit d’une question centrale pour l’amélioration des droits de
l’homme en Chine. Afin de contrôler l’urbanisation galopante du pays (selon le Bureau national
des statistiques6, 2011 a été l’année « pivot » qui a vu le nombre de Chinois vivant en ville
dépasser celui des Chinois vivant à la campagne), les autorités ont mis en place le système du
hukou, qui est une forme de passeport interne nécessaire au déplacement d’une province à l’autre.
En conséquence, de nombreux travailleurs illégaux venant des provinces centrales et de l’Ouest
peuplent les quartiers pauvres ou en construction des grandes villes côtières, sans droits à
l’éducation ou à la santé. Ce sujet, largement oublié des pays occidentaux, mériterait une prise de
6
http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20120117trib000678618/la-chine-compte-desormais-plus-de-citadins-que-de-ruraux.html
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
5 position de l’Union, là encore avec tact et en reconnaissant la nécessité d’un contrôle de
l’urbanisation en Chine, en faveur des droits des migrants internes.
ii. La position de l’Europe sur le contrôle des « dissidents », la censure, et la
corruption en Chine :
•
L’UE doit s’opposer systématiquement à tout emprisonnement arbitraire et à tout acte de
torture. Des cas toujours plus nombreux d’emprisonnements arbitraires de dissidents chinois sont
portés à la connaissance des médias européens. Certains dissidents ont raconté la persistance de
« camps de rééducation par le travail » (laogai) dans les provinces de l’Ouest. Si l’Europe a trouvé
le ton juste pour critiquer ce contrôle exercé par les autorités chinoises, il est à déplorer qu’elle
semble se focaliser uniquement sur quelques figures célèbres de dissidents (Cheng Guangcheng,
Hu Jia, Ai Weiwei…), et reste silencieuse sur de nombreux autres cas.
•
Quant à la censure, largement utilisée par les autorités chinoises, et notamment au niveau
d’internet et des réseaux sociaux (avec le « Grand FireWall de Chine »), il s’agit pour l’Union
de promouvoir des avancées dans ce domaine, afin d’améliorer la liberté d’expression et
d’information en Chine. Les Etats-Unis, sous l’impulsion d’Hillary Clinton et dans le contexte du
transfert des serveurs chinois de Google vers Hong Kong, en ont fait un des leviers majeurs de la
promotion de la démocratie ; l’Europe, à l’inverse, est encore trop peu audible à ce sujet. L’Union se
doit également de promouvoir un accès libre et équitable au marché chinois pour les entreprises
occidentales dans ce domaine. Elle peut également, à l’image des Etats-Unis, favoriser le
développement de proxies gratuits à l’étranger pour permettre un accès non-censuré à internet à la
population chinoise.
•
Au sujet de la corruption enfin, elle est encore largement répandue dans le monde des
affaires et dans l’administration en Chine. Ainsi, l’Indice de Perception de la Corruption (IPC)
2011 de Transparency International classe la Chine 75ème sur 182 pays7. Le système judiciaire
chinois manque notamment de transparence et d’uniformité, et ne parvient pas à faire respecter
systématiquement les obligations contractuelles et les règles régissant les investissements. Il est
donc dans l’intérêt de l’Europe de demander des garanties quant au respect des contrats que ses
entreprises signent en Chine et une lutte plus engagée contre la corruption, notamment au niveau
des marchés publics. Il serait également pertinent d’encourager la Chine à signer la convention de
l’OCDE sur la lutte contre la corruption.
iii. Une marginalisation de la diplomatie européenne :
7
http://www.transparence-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2011.php
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
6 •
Cette faible influence de l’Union sur les sujets de société en Chine s’explique notamment par
le manque persistant de coordination de la politique étrangère au sein de l’UE. A en juger par
la rareté des prises de position de la « diplomatie européenne », il apparait que Catherine Ashton,
Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à la tête du
Service européen pour l'action extérieure (SEAE), n’a pas encore su structurer un appareil
diplomatique fédéral ou interétatique efficace. Ainsi, les relations diplomatiques entre l’UE et la
Chine sont pilotées par de nombreuses structures dont les objectifs se recoupent parfois.
Parallèlement, les Etats membres, les régions, ainsi que certaines grandes villes entretiennent tous
des relations avec la Chine, mais souvent sans coordination. Un effort au niveau européen et local
est donc nécessaire pour, d’une part, être plus audible sur les sujets économiques et de société qui
se posent aux relations sino-européennes et, d’autre part, présenter un front uni plutôt que
plusieurs positions discordantes.
•
Un symptôme de cette relative faiblesse diplomatique de l’Europe est visible au regard des
négociations climatiques. Les échecs répétés des conférences onusiennes sur le climat, de
Copenhague à Rio en passant par Bonn et Durban, illustrent l’incapacité d’une Union pourtant très
ambitieuse sur le sujet à entraîner les autres pays industrialisés dans une dynamique de réduction
des émissions de gaz à effet de serre importante, pré-condition légitime des pays émergents pour
mettre en place des politiques de réduction à leur tour. Les efforts du précédent président français,
Nicolas Sarkozy, avant la conférence de Copenhague, bien que tout à fait louables, illustrent
également l’échec d’une stratégie d’influence coordonnée au niveau européen. Il est dès lors
naturellement difficile de tenter de convaincre la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de
serre depuis 2006, de l’urgence de réformes ambitieuses de sa politique environnementale.
B. Sur la base de ce constat, comment trouver un équilibre dans les relations sinoeuropéennes ?
1. Par un rééquilibrage des règles commerciales et un développement des partenariats
économiques, scientifiques et culturels :
Ø Rééquilibrer les échanges et défendre les principes de réciprocité et d’équité
concurrentielle.
• L’accession de la Chine à l’OMC en 2001 a indéniablement favorisé les exportations
chinoises. Cependant, de trop nombreuses entorses aux règles de la libre concurrence et à
l’ouverture du marché subsistent du côté chinois. Celles-ci prennent notamment la forme de
lourdes barrières tarifaires dans le secteur bancaire, les assurances, les télécommunications, et les
secteurs industriels dans lesquels la Chine veut encore préserver le monopole de ses entreprises,
dont beaucoup sont totalement ou partiellement contrôlées par l’Etat. En outre, certaines
subventions ne sont pas directement notifiées à l’OMC, contrairement à l’accord sur les subventions
et mesures compensatoires (ASMC), ainsi que le fait remarquer Marielle de Sarnez, rapporteure
auprès de la Commission du commerce internationale du Parlement européen d’un rapport sur les
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
7 relations sino-européennes8. Cependant, il faut également noter que de nombreuses critiques ont
été émises par les autorités chinoises concernant les subventions de la PAC et la persistance de
barrières à l’investissement étranger dans certains Etats membres de l’Union.
•
Une entorse notable de la Chine aux règles de l’OMC concerne le maintien de quotas
d’exportations de terres rares. A ce jour, la Chine produit plus de 95% des terres rares utilisées
dans le monde9. Ces matières premières sont fondamentales pour l’industrie de pointe et pour de
nombreuses entreprises européennes. L’exploitation de ces ressources en Chine, hors
considération de leur lieu d’utilisation, est aujourd’hui systématiquement attribuée à des entreprises
chinoises, et leur exportation est fortement limitée, ce qui va à l’encontre des règles de l’OMC. Il
faut aller au bout des procédures ouvertes à ce sujet dans le cadre de l’Organe de Règlement des
Différends (ORD). D’ores et déjà, la Chine a été condamnée en appel par l’OMC le 5 juillet 2011
pour restrictions à l’exportation de certaines terres rares, suite à une plainte déposée par l’UE, les
Etats-Unis et le Mexique en 2009.
•
De plus, de nombreuses entraves à l’accès au marché chinois persistent à cause d’un
manque de protection de la propriété intellectuelle, et de nombreux obstacles normatifs et
techniques comme le système chinois de certification obligatoire (CCC). Concernant le
respect des droits de propriété intellectuelle (DPI) et la lutte contre la contrefaçon, le piratage et
l’espionnage industriel, de nombreux progrès restent à réaliser. En témoigne le fait que 85% des
produits suspectés d’enfreindre les DPI saisis par l’Union à ses frontières en 2010 proviennent de
Chine. Il serait donc pertinent d’encourager la Chine à joindre les négociations en cours au sujet de
l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA), dont il faut cependant noter que la ratification est
actuellement bloquée dans plusieurs pays signataires. Par ailleurs, une meilleure protection des
DPI est dans l’intérêt de la Chine, car elle inciterait les entreprises étrangères à participer à la
modernisation technologique du pays. De plus, un meilleur marquage de l’origine des produits
importés en Europe permettrait de lutter plus efficacement contre la contrefaçon. Enfin, il faut
également renforcer la coopération européenne en matière de brevets et de DPI communautaires ;
en ce sens, l’instauration d’un brevet unique européen, annoncée le 29 juin 2012 par Herman Van
Rompuy, est encourageante.
•
Il s’agit également de s’assurer du respect des normes de santé (notamment celles de
l’OMS) et de sécurité des produits importés de Chine. A titre d’exemple, le fabricant de jouets
américain Mattel a rappelé, en 2007, plus de 18 millions de jouets fabriqués en Chine et vendus
dans le monde entier car la peinture dont ils étaient recouverts contenait du plomb. Il faudrait à
l’avenir anticiper ces erreurs avant l’exportation par un contrôle accru du respect des normes de
santé. Plus largement, un conditionnement des investissements directs européens dans des usines
chinoises au respect de normes internationales en matière d’environnement, de droit du travail
(telles que définies par les conventions de l’OIT, notamment sur le travail forcé et le travail des
8 Rapport sur l’UE et la Chine : l’échange inégal ? (2010/2301(INI)), Parlement européen, Commission du commerce international, 20/04/2012, rapporteure :
Marielle de Sarnez.
9
http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/03/14/pourquoi-la-chine-restreint-ses-exportations-de-terres-rares_1667656_3244.html
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
8 enfants) et de RSE est envisageable sans pour autant grever les relations sino-européennes. En ce
sens, l’exemple de l’audit conduit par Apple dans les usines de son sous-traitant Foxconn en Chine,
et les mesures d’amélioration des conditions de travail qui s’en sont suivies, est positif. Par ailleurs,
il faut encourager une participation accrue de la Chine dans les instances qui définissent ces
normes (et notamment l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO)) et une participation de
l’Union au sein des instances chinoises correspondantes.
•
L’Union doit également se joindre aux Etats-Unis pour tenter de faire bouger les lignes sur la
sous-évaluation et la non-convertibilité du yuan, véritable dumping monétaire qui crée un
avantage commercial artificiel pour la Chine. Cet avantage monétaire a par ailleurs permis à la
Chine d’accumuler 3240 milliards de dollars de réserves de change, et ainsi de développer une
capacité d’investissement à l’étranger importante et d’acheter une partie des dettes souveraines
européennes. L’Europe doit demander au Fonds monétaire international (FMI) de jouer un rôle plus
actif dans le suivi des déséquilibres de change, qui fait partie de ses missions. L’Europe peut
également arguer que la flexibilisation des taux de change va dans le sens de l’internationalisation
du yuan souhaitée par les autorités chinoises, et qu’un contrôle en faveur d’une appréciation
progressive du yuan permettrait de limiter son impact négatif sur les capacités d’exportation. Par
ailleurs, une telle appréciation permettrait un rééquilibrage de la croissance chinoise par une
hausse de la consommation intérieure, et diminuerait ainsi la vulnérabilité de la Chine aux
fluctuations des marchés destinataires de ses exportations. Sur ce sujet, la marge de négociation
de l’Europe ne saurait être limitée par le fait que la Chine détient une partie significative de la dette
souveraine européenne.
Ø Attirer les investissements chinois en Europe.
• Il est dans l’intérêt de la Chine et l’Union d’intensifier leurs investissements croisés. En 2010,
les investissements directs étrangers (FDI) sont restés déséquilibrés entre la Chine et l’Europe : 4.9
milliards d’euros de FDI de l’UE vers la Chine, contre 0.9 milliards de la Chine vers l’UE. Dès lors,
attirer les investissements chinois en Europe est fondamental, non seulement pour ralentir la fuite
des capitaux de l’Union, mais aussi pour stimuler la croissance dont l’Europe a tant besoin. Ces
investissements chinois en Europe doivent évidemment se faire dans le respect de la législation
européenne et du pays d’accueil, notamment en ce qui concerne le respect des DPI, et ont vocation
à être suivis par un organisme chargé d’évaluer les investissements stratégiques étrangers (sur le
modèle du Comité pour l’investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS)).
Ø Développer les partenariats économiques, scientifiques et culturels.
• Le développement de partenariats entre des entreprises chinoises et européennes est
bénéfique aux deux parties. Comme nous l’avons vu plus haut, la Chine est d’ores et déjà le
deuxième partenaire commercial de l’Union. Cependant, de nombreux partenariats restent à
développer. En ce sens, l’établissement d’une joint-venture (coentreprise) est la forme
administrativement la plus simple d’implantation pour une entreprise étrangère en Chine, et Pékin
les encourage activement dans les secteurs où la Chine a un retard technologique à combler avec
les pays occidentaux et pour le développement d’infrastructures, notamment énergétiques et de
transport. S’il faut bien évidemment se prémunir contre des transferts incontrôlés de technologies et
contre les violations des DPI, à l’image du contentieux qui a agité la coentreprise Danone-Wahaha
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
9 entre 2006 et 200910, l’Union doit malgré tout encourager les entreprises européennes à établir de
tels partenariats en Chine, au risque de voir ces opportunités captées par d’autres pays. Des
structures de conseil et de soutien aux entreprises européennes désirant se développer en Chine
doivent être développées par l’Union, en s’appuyant sur les représentations de l’UE dans le pays.
•
En plus des partenariats entre entreprises, il s’agit d’encourager le développement de la
coopération sino-européenne dans la recherche et la multiplication des échanges
scientifiques. Les relations sino-européennes iront ainsi vers une logique de partenariats plutôt
que de rester dans une logique de compétition et d’espionnage industriel et académique. La Chine
est notamment demandeuse de partenariats de recherche dans les domaines de la sécurité des
produits, de la santé, ou encore des nanotechnologies, sur lesquels elle compte beaucoup pour son
développement futur. L’Europe, dont de nombreuses entreprises et institutions de recherche sont à
la pointe de ces secteurs, pourrait en retour bénéficier d’un vivier d’étudiants hautement diplômés et
de chercheurs souvent enclins à travailler à l’étranger, d’avantages commerciaux et d’un meilleur
contrôle sur les transferts de technologies.
•
Enfin, il est dans l’intérêt des deux parties de développer leurs échanges culturels et
académiques. En ce sens, l’apprentissage du mandarin en Europe et des langues européennes en
Chine, via les institutions culturelles européennes et des Etats membres (Instituts Confucius,
Alliance Française, Institut Cervantès, Institut Goethe, etc.) permet de multiplier les échanges
culturels, mais aussi scientifiques et économiques.
•
Il est possible d’impulser une telle logique de partenariats gagnant-gagnant par plusieurs
actions concrètes :
o En menant à terme les négociations sur un accord global de partenariat et de
coopération dans le domaine des échanges économiques et des investissements,
entamées par la Commission européenne en janvier 2007, suite à l’adoption de sa
« stratégie politique majeure sur la Chine » en 2006.
o En définissant des secteurs prioritaires de partenariat en fonction des priorités définies
par la Chine dans son 12ème plan quinquennal (2011-2015) (énergie, construction,
transports, services).
o En mettant en place une politique industrielle volontariste au niveau européen, avec
des regroupements ad hoc d’entreprises européennes par secteur, par exemple dans le
secteur de l’énergie et des technologies vertes, sur le modèle d’EADS. Cela permettrait par
ailleurs d’éviter le phénomène de cannibalisation concurrentielle entre entreprises
européennes, au profit de clusters coréens, américains ou japonais. Par ailleurs, face au
manque de compétitivité du bas et moyen de gamme qui nuit à l’emploi, il convient de
mettre en place une stratégie de montée en gamme coordonnée et commercialement
offensive. Les difficultés du secteur automobile français moyen de gamme, et la santé
persistante du haut de gamme allemand le démontrent : l’Europe ne peut plus rivaliser sur
le bas et moyen de gamme ; il faut donc s’orienter vers des produits avec la plus forte
valeur ajoutée possible.
10
http://french.china.org.cn/business/txt/2009-06/29/content_18033773.htm
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
10 o En redéfinissant une politique européenne ambitieuse en matière de recherche et
d’innovation. Dans cette optique, il sera nécessaire d’identifier des financements
innovants, à l’image des emprunts obligataires communautaires pour le financement de
projets (project bonds).
o En soutenant, éventuellement financièrement, au moins administrativement, les PME
européennes désirant investir et se développer en Chine. En ce sens, le Centre de l’UE
en faveur des PME, ouvert en 2011 à Pékin et visant à aider les entreprises européennes
dans leurs premières démarches en Chine, pourrait être dupliqué dans d’autres villes
chinoises. A ce titre, les activités de la Chambre de commerce de l’Union européenne en
Chine sont également louables.
o En invitant la Commission à négocier un accord d’investissement bilatéral ambitieux
pour augmenter les flux de capitaux réciproques, sécuriser les investissements, et assurer
la transparence de la gouvernance des entreprises concernées.
2. Par le développement d’une diplomatie européenne audible, adoptant des prises de
position concordantes :
•
L’Union ne peut faire l’économie d’une structuration de son mécanisme de prise de position
diplomatique si elle veut avoir la moindre influence sur les politiques commerciales et
sociales chinoises. Les enjeux diplomatiques, économiques et militaires majeurs du 21ème siècle
se centrent de plus en plus sur le Pacifique, avec deux blocs que l’on pourrait définir ainsi :
l’Organisation de Coopération de Shanghai d’une part, qui regroupe la Chine, la Russie et les pays
d’Asie Centrale, et une entente hétéroclite pilotée par les Etats-Unis et qui regroupe, en contrepoids
de la puissance chinoise, l’Inde, Singapour, le Vietnam, le Japon et l’Australie11, entente qui est
renforcée par la nouvelle stratégie militaire impulsée par Barack Obama et l’établissement, annoncé
le 16 novembre 2011, d’une base américaine en Australie12. Dans un tel contexte, l’Europe se doit,
si elle veut éviter d’être marginalisée dans ses relations avec la Chine, de structurer sa diplomatie
pour renforcer son influence.
•
Il faut d’abord que la Commission s’attèle à coordonner les prises de positions au sein des
instances européennes elles-mêmes, puis entre les différents Etats et collectivités
territoriales qui sont en relation avec la Chine. En effet, il est hautement souhaitable que le
Conseil de l’Union et la Commission coordonnent leurs prises de position d’une part, et que la
Commission et les Etats membres coopèrent pour la définition de leurs politiques commerciales et
de leurs relations diplomatiques avec la Chine d’autre part, afin d’éviter que des partenariats
bilatéraux n’affaiblissent la position de l’Union. En ce sens, la création d’une structure ad hoc pour
piloter les relations sino-européennes, éventuellement dans le cadre du Service européen pour
l'action extérieure (SEAE), pourrait être envisagée.
11
Robert Kagan, The Return of History and the End of Dreams, avril 2008
12
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/11/16/pour-contrer-la-chine-l-armee-americaine-renforce-sa-presence-en-australie_1604429_3216.html
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
11 •
Par ailleurs, la diplomatie européenne ne devrait prendre position que sur les sujets où un
consensus a été obtenu. Ces consensus sont potentiellement nombreux à l’égard de la Chine,
comme nous l’avons vu au sujet du respect des règles de l’OMC. L’Union peut également
promouvoir une adoption par la Chine des normes internationales en matière de respect de
l’environnement, des droits de l’homme, de gouvernance, ou encore des droits du travail. En ce
sens, l’UE se doit d’encourager les entreprises chinoises, qui dissocient souvent les questions des
droits de l’homme et les considérations économiques lors de leurs décisions d’investissements, à
adopter ces normes et à privilégier l’emploi de main d’œuvre locale dans le cadre de ses
investissements à l’étranger. Dans cette logique, l’UE peut et doit condamner les investissements
chinois dans les pays où des violations systématiques des droits de l’homme sont constatées
(l’exemple des investissements chinois pour le pétrole soudanais est à cet égard frappant).
•
Même sur des questions purement diplomatiques, un consensus européen peut être trouvé.
Par exemple, il faudrait affirmer une position européenne commune et ferme sur les revendications
territoriales chinoises dans le Pacifique Ouest. La Chine revendique notamment la souveraineté sur
les îles japonaises de Senkaku et sur les îles Spratleys et Paracel, contestées par le Vietnam et les
Philippines, et où une nouvelle préfecture chinoise nommée Sansha a été créée le 17 juillet 2012.
Ces îles presqu’inhabitées sont sources de grandes tensions à cause de leurs importantes
ressources halieutiques et pétro-gazières. L’Europe se doit de critiquer les provocations et la
politique du fait accompli que représente l’établissement de cette nouvelle préfecture, ainsi que de
promouvoir un règlement pacifique de ces tensions. Quant à la question du positionnement de l’UE
vis-à-vis des revendications de la Chine continentale sur Taïwan, sujet d’une grande sensibilité, il
est dans l’intérêt de l’Union de défendre le statu quo en promouvant l’autodétermination et en
évitant un conflit frontal avec la Chine sur la question de l’adhésion de Taïwan à l’ONU.
•
Mais la coordination des prises de position n’est pas tout ; encore faut-il avoir de l’influence.
Pour augmenter la sienne vis-à-vis de la Chine, l’UE peut notamment jouer sur cinq leviers :
o L’obtention par la Chine du statut d’économie de marché (l’OMC a fixé une évaluation
des progrès accomplis en vue de l’obtention du statut en 2016). Il serait possible d’adopter,
au niveau du Parlement européen, des mesures transitoires d’ici à 2016 en échange de
progrès significatifs dans l’application des règles de libre-concurrence.
o L’accession de la Chine à l’Accord plurilatéral sur les Marchés Publics (AMP) qui
régit, sous l’égide de l’OMC, les règles de libre concurrence pour les achats des
organismes publics des pays membres. Si la Chine ne remplit pas l’ensemble des critères
définis par l’AMP, il conviendrait d’encourager les instances européennes à mettre en place
des mesures pour assurer la réciprocité concurrentielle dans le domaine des marchés
publics.
o L’activation, face à des entorses évidentes à l’accord ayant conduit à l’accession de
la Chine au sein de l’OMC, d’instruments de défense commerciale conformes aux
règles de l’OMC, comme des mesures antidumping ou antisubventions, et la saisie du
mécanisme de règlement des différends.
o S’appuyer sur le fait que la Chine a reçu environ 224 millions d’euros au titre de
l’assistance au développement de l’Union pour la période 2007-2013, et sur l’octroi à la
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
12 Chine par la Commission, en mars 2011, de 20 millions d’euros au titre de l’assistance liée
au commerce avec l’Union.
o La réforme de la gouvernance mondiale pour une meilleure représentation des pays
émergents au sein d’institutions comme le FMI, la Banque mondiale et le Conseil de
sécurité de l’ONU.
Conclusion :
Au-delà de l’influence que l’Europe peut jouer pour une meilleure inclusion de la Chine dans les
règles du commerce international et pour un renforcement de l’Etat de droit, un optimisme
prudent permet d’avancer que la Chine évoluera également « naturellement » dans cette
direction, sous l’influence conjuguée d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse et aisée, d’une
politisation croissante des jeunes générations, d’un accès de plus en plus large aux médias et aux
moyens de contournement de la censure, et d’une conscience qu’ont les politiques chinois (dont les
probables futur président Xi Jinping et futur premier ministre Li Keqiang) de la nécessité d’une
ouverture.
Trois menaces pèsent cependant sur ce scénario optimiste :
• Une perte de vitesse de la croissance de l’économie chinoise. Ainsi, même si la croissance des
trois dernières décennies a permis à un demi-milliard de personnes de sortir de la pauvreté, la
Banque mondiale estime qu’il y a encore environ 207 millions de Chinois, principalement des
migrants internes illégaux et des ruraux, vivant sous le seuil de pauvreté. La Chine a donc encore
besoin d’une croissance très importante, ne serait-ce que pour maintenir le plein-emploi (le seuil de
8%/an est souvent mentionné13). Pour 2012, la prévision de croissance annuelle de la Chine est de
8.2% selon le FMI, et 8.5% pour 201314.
•
Un conflit social qui se généraliserait, pour plusieurs raisons possibles : une inflation incontrôlée
(notamment dans le secteur du logement), des scandales de corruption systémique, une
augmentation du chômage et des revendications en matière de droits du travail, des scandales
sanitaires (comme celui du lait frelaté), des expulsions arbitraires (à l’image de celles qu’a entraîné
la construction du barrage des Trois Gorges), etc.
•
Une radicalisation des dirigeants chinois, misant sur un patriotisme encore virulent dans la
société chinoise, notamment sur des sujets considérés comme internes ou sur les questions
diplomatiques sensibles que représentent Taïwan, les îles du Pacifique Ouest, et la frontière avec
l’Inde et le Pakistan (notamment concernant les régions de l’Aksai Chin et de l’Arunachal Pradesh).
13
http://www.lefigaro.fr/economie/2009/01/23/04001-20090123ARTFIG00348-la-croissance-chinoise-est-tombee-a-fin-.php
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2009/04/16/ralentissement-de-la-croissance-en-chine-touchee-par-la-crise_1181279_3216.html
14
http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20120716.REU1265/le-fmi-abaisse-ses-previsions-de-croissance.html
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
13 Evidemment, il n’est pas dans l’intérêt de l’Union Européenne que ces risques se concrétisent,
car l’effondrement ou une radicalisation de la Chine auraient des conséquences d’une portée
inimaginable dans le monde contemporain. Il faut au contraire souhaiter une évolution progressive
de la Chine vers l’Etat de droit. Cette évolution ne pourra se faire, à l’échelle d’un pays aussi vaste,
hétéroclite et peuplé, de manière immédiate et radicale. C’est d’une croissance économique pérenne et
d’un développement de la classe moyenne chinoise que le progrès démocratique peut venir. Il faut donc
sortir d’une logique de confrontation civilisationnelle trop souvent mise en avant par les tenants d’une
diplomatie néoconservatrice craignant la montée en puissance de la Chine, pour adopter à l’inverse une
approche de partenariat privilégié. L’Europe a, à cet égard, une carte à jouer, de surcroît au regard des
relations souvent tendues entre les Etats-Unis et la Chine.
Cependant, si l’Europe peut se distinguer en cherchant à établir une logique de partenariat
durable avec la Chine, plusieurs obstacles doivent encore être surmontés. Le rééquilibrage des
règles commerciales n’est pas le moindre, et l’OMC et les organisations financières internationales ont
à cet égard un rôle crucial à jouer, notamment en termes de politique douanière, de flexibilisation des
taux de change, et de limitation des subventions. Les partenariats économiques entre entreprises
européennes et chinoises doivent aussi être développés, éventuellement par la mise en place d’un
fonds d’investissement dédié et de facilités de financement. Il faut également sortir de la crainte
grandissante des investissements chinois en Europe : ils permettent au contraire de stimuler l’économie
de notre continent.
Enfin et surtout, un tel partenariat privilégié, qui est tant dans l’intérêt de l’Europe que dans celui
de la Chine, ne peut être développé qu’à deux conditions : que le Vieux Continent se dote d’une
diplomatie commune capable de s’exprimer de concert sur les relations sino-européennes, et que
l’Europe réduise le poids de sa dette afin de retrouver aux yeux de la Chine la crédibilité nécessaire à
l’établissement d’un partenariat économique solide.
Les relations entre l’UE et la Chine : un équilibre juste est-il possible ?
Rapporteur : Stéphane Cossé
14