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WEEK•END DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 72E ANNÉE - NO 22139 2,40 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO 2,40 € « L’ÉPOQUE », NOUVEAU SUPPLÉMENT HEBDOMADAIRE Comment Salah Abdeslam a été débusqué La France va demander l’extradition du dixième terroriste du 13 novembre, interpellé vendredi à Bruxelles I l était l’homme le plus recherché d’Europe. Le seul des dix terroristes ayant semé la mort à Paris la nuit du 13 novembre 2015 à avoir survécu. Les enquêteurs ont un temps cru qu’il s’était envolé pour la Turquie, depuis Amsterdam, le lendemain des attentats. La chaîne d’informations CNN l’avait même envoyé en Syrie. Un témoin l’a plus modestement aperçu à Bordeaux, un autre à Aubervilliers. Salah Abdeslam n’a en réalité peut-être jamais quitté Bruxelles. Après quatre mois de traque, il a été interpellé, vendredi 18 mars, dans le quartier de son enfance, à Molenbeek. Comme nombre de cavales, celle de Salah Abdeslam s’est achevée en bas de chez lui, près des siens, le lendemain de l’inhumation dans un cimetière bruxellois de son frère Brahim, qui s’était fait exploser le 13 novembre sous la véranda du Comptoir Voltaire à Paris. Blessé au genou, il a été interpellé vers 16 h 40 à l’issue d’un assaut des forces d’interven- tion belges contre un appartement de la rue des Quatre-Vents, à moins de 2 kilomètres du café Les Béguines, qu’il a un temps géré avec Brahim, et à 700 mètres du domicile de leurs parents. soren seelow et jean-pierre stroobants (à bruxelles) → LIR E L A S U IT E PAGE 6 Migrants : le pacte controversé de l’UE avec la Turquie ▶ Ankara a ▶ Selon ce compro- ▶ Bruxelles attend ▶ La Grèce parle conclu, vendredi, un accord avec l’UE, en vue d’un échange de réfugiés transitant par la Grèce mis, pour un Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien sera accueilli en Europe d’Ankara le respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales de « victoire diplomatique » mais est sceptique sur la mise en pratique ▶ Le rôle encore flou de ce flambeur devenu terroriste ▶ Mohamed Belkaid, logisticien des attentats LIR E PAGE S 6 - 8 1 ÉD ITO R IAL LES LIMITES DE LA REALPOLITIK FACE À ANKARA LI R E P A G E 24 IINTERNATIONAL – LIRE PAGE 2 ISABELLE HUPPERT, PHÈDRE MODERNE Distribution Darty préfère Conforama à la Fnac THÉÂTRE LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 ▶ La comédienne retrouve la scène Commémoration La guerre d’Algérie enfièvre le débat politique à l’Odéon-Théâtre de l’Europe → L IRE PAG ES 14-15 LIR E PAGE 5 International La visite historique d’Obama à Cuba Le président américain devait se rendre à La Havane, du 20 au 22 mars, une première depuis l’arrivée au pouvoir du régime communiste dans l’île. L’historien afrocubain Manuel Cuesta Morua, figure de l’opposition intérieure, explique au Monde les espoirs énormes suscités dans la population par cette venue. « Les Cubains attendent Obama comme le Messie », assure-t-il. LIRE NOS INFORMATIONS P. 3 ET L’ENTRETIEN P. 13 PASCAL VICTOR/ARTCOMART Par JACQUES TESTART Le biologiste répond à René Frydman et à 130 médecins qui demandaient, dans Le Monde du 18 mars, un assouplissement de la loi française sur la procréation médicalement assistée. Il redoute un « eugénisme mou ». DÉBATS –LIR E PAGE 2 2 Par MATTHIEU GOAR P our l’instant, c’est une petite musique qui se fredonne mezza voce. Soucieuse de ne pas fâcher ses électeurs avant la primaire, la droite ne le claironne pas, mais une partie de ses dirigeants a un fantasme : et si 2017 était l’année de la recomposition politique ? Et si le contexte politique – montée du Front national, angoisse terroriste, écartèlement de la gauche – offrait l’occasion de constituer une majorité franchement ouverte au centre, mais aussi aux personnalités sociales-libérales de la gauche ? Ces idées font écho aux propos du premier ministre, Manuel Valls, sur une « maison commune de tous les progressistes ». Elles ravivent l’éternel combat de François Bayrou et d’une grande partie des centristes. « Au soir du premier tour de la présidentielle, celui qui sera face à Marine Le Pen – ce qui est la probabilité la plus forte – aura la responsabilité historique de faire émerger cette force politique centrale regroupant tous les modernes dans un même parti politique », affirme de son côté Hervé Morin. Persuadée qu’elle reprendra le pouvoir en 2017, la droite se demande comment elle devra gouverner, surtout en cas de victoire face à Mme Le Pen. → LIR E L A S U IT E PAGE 9 Géopolitique La filière américaine des colonies en Cisjordanie Près de 60 000 des 380 000 juifs implantés illégalement en Cisjordanie sont originaires des EtatsUnis. Reportage à Esh Kodesh, où des Américains expliquent leur engagement, parfois violent, entre idéal de vie commune et sionisme religieux. !#..95 8 : *#3$ ),/' Gare aux simplifications sur la PMA France A droite, le fantasme de la « recomposition » 6(2+#--# 8 "7(91# 4(..#-$ 0%& ),/' %* )0#" ! (% &.1&/#, '$%+ !"#&%$ LIR E PAGE S 1 0 - 1 1 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2| INTERNATIONAL 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le président de la Commission, Jean-Claude Junker (de gauche à droite), le 17 mars, à Bruxelles. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE » Migrants : pacte sans gloire entre l’UE et Ankara Le compromis avantage moins la Turquie que le projet du 7 mars, mais sa mise en œuvre suscite des doutes bruxelles - bureau européen L a scène est d’une virulence inédite. Ahmet Davutoglu, le premier ministre turc, vient de signer un accord avec les 28 pays de l’Union européenne pour reprendre tous les migrants arrivant en Grèce, y compris les Syriens. La soirée est déjà avancée, ce vendredi 18 mars à Bruxelles, les dirigeants ont négocié toute la journée. La conférence de presse finale va commencer. Dans l’assistance, Belges et Français sont rivés à leurs smartphones, tentant d’en savoir davantage sur la traque de Salah Abdeslam. La torpeur habituelle de fin de conseil européen gagne les esprits. M. Davutoglu réveille d’un coup la salle : en réponse à la question d’un journaliste citant les propos de son président, Recep Tayyip Erdogan, le matin même, accusant l’Europe de complaisance envers la rébellion kurde, il attaque : « Nous avons 78 millions de Turcs en deuil [à la suite de l’attentat du 13 mars à Ankara] et nous voyons des drapeaux de cette organisation, ici [en Belgique]. Je demande qu’on respecte la douleur de mon peuple, il n’y a pas de différence entre Daech et le PKK. Erdogan a évoqué une facette de l’Europe, et moi, je suis ici pour évoquer la deuxième facette de l’Europe. » Mesure « temporaire » Donald Tusk, le président du Conseil européen, à sa gauche, réplique aussitôt : « Nous sommes ici parce que l’Europe est la destination définitive des réfugiés, parce que nous sommes le continent le plus tolérant du monde. » JeanClaude Juncker, à la tête de la Commission, ajoute : « Je récuse de toutes mes forces ces propos excessifs contre la Belgique, un pays honorable et une grande nation… » Un jour « historique » pour l’Europe ? En tout cas, pas un moment très glorieux. Car l’Union, empêtrée dans une crise des migrants qu’elle n’a jusqu’à présent pas réussi à résoudre collectivement, a dû, une fois de plus, se résoudre à un pacte avec Ankara, « un partenaire difficile » de l’aveu de nombreux diplomates. Pas tendre en négociation, même si, au final, M. Davutoglu a surtout décroché des avancées symboliques. Même s’il reste controversé, l’accord a été sérieusement « rééquilibré » par rapport à la copie proposée le 7 mars par M. Davutoglu, avec le soutien de la chancelière Angela Merkel et du premier ministre néerlandais Mark Rutte. A partir du dimanche 20 mars, tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce pourront être refoulés en Turquie. Ils pourront, certes, faire une demande d’asile en Grèce. Mais, Athènes s’engageant à reconnaître la Turquie comme « pays tiers sûr », cette requête pourra être refusée par les juges, particulièrement pour les Syriens, au motif que la Turquie leur offre des « Nous sommes le continent le plus tolérant du monde » DONALD TUSK président du Conseil européen conditions de sécurité équivalentes à celles protégeant des réfugiés. Cette mesure « temporaire et extraordinaire » vise, selon les conclusions du conseil de vendredi, à « casser le modèle économique des migrants » et à « en finir avec la souffrance humaine ». Par ailleurs, pour un Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien, resté dans les camps de réfugiés en Turquie, sera envoyé en Europe grâce à un corridor humanitaire. L’échange sera plafonné à 72 000 personnes, la Hongrie et d’autres pays européens s’oppo- La Grèce sceptique sur la mise en œuvre de l’échange de réfugiés le premier ministre grec, Alexis Tsipras, parle certes de l’accord signé, vendredi 18 mars, entre l’Union européenne (UE) et la Turquie comme d’une « victoire diplomatique », mais sans sous-estimer les difficultés que pose sa mise en œuvre pour son pays. La philosophie générale du compromis est de renvoyer, à partir du 20 mars, vers la Turquie tous les réfugiés et migrants n’ayant pas formulé une demande d’asile en Grèce ou ne pouvant pas bénéficier de protection internationale. « Comme le régime change le 20, nous devons d’abord absolument vider les camps des îles des 7 500 personnes déjà présentes », explique une source proche du dossier. Trois navires sont mobilisés pour multiplier les rotations sur quatre îles de mer Egée dans les prochaines quarante-huit heures. Direction le continent dans de nouveaux camps temporaires en cours de construction. « Si cela ne suffit pas, nous utiliserons les ferries comme hôtels flottants », dit notre source. Une fois les îles vidées, le défi sera de multiplier les points d’enregistrement de demandes d’asile. « Nous ne pouvons pas en quarante-huit heures équiper nos hotspots de centaines de bureaux d’asile. Il faut du personnel, des machines, des locaux… qui n’existent pas », explique un policier chargé des opérations dans l’un de ces fameux centres d’enregistrement et de tri des îles. Réduire le temps d’examen L’Europe a promis d’envoyer 4 000 agents en renfort, dont 2 300 très rapidement. Des traducteurs, des avocats spécialistes du droit d’asile, des policiers, etc. Le dispositif devrait coûter entre 280 et 300 millions d’euros sur six mois, pris en charge par l’Union européenne. L’idée est de pouvoir réduire le temps d’examen d’une demande d’asile à moins de vingt-quatre heures, recours compris. « Il n’y a ni juges ni avocats en nombre suffisant sur les îles, comment imaginent-ils gérer le volume de demandes qui va nous tomber dessus dès que les réfugiés vont comprendre que c’est soit l’asile en Grèce soit le retour en Turquie ? », s’interroge un avocat athénien actif sur ces questions. Autre question : qui va s’occuper de renvoyer en Turquie les candidats déboutés ? Jusqu’à présent, les Marocains, Algériens ou Pakistanais refoulés devaient d’abord transiter par les centres de rétention du continent et étaient renvoyés en Turquie via un poste frontière terrestre situé dans le nord-est de la Grèce. A l’avenir, les renvois se feront-ils directement en bateau depuis les îles ? L’accord prévoit que l’UE prendra en charge et financera ces renvois, mais les modalités pratiques restent floues. Dernier point très sensible en Grèce : que faire des quelque 45 000 réfugiés déjà présents sur l’ensemble du territoire, dans des conditions sanitaires scandaleuses ? p adéa guillot (athènes, correspondance) sant à en accueillir plus. Ces réinstallations doivent commencer le jour où démarreront les premiers renvois en Turquie, « nous ne voulons pas devenir la prison à réfugiés de l’Union », a lancé M. Davotoglu à ses partenaires. En échange de ce mécanisme « Syrien contre Syrien », Ankara a obtenu une accélération du processus d’adhésion à l’UE, avec l’ouverture d’un chapitre de négociation, le 33e (dispositions budgétaires). Sans gros enjeux, il avait été bloqué par le président Sarkozy. L’Europe versera 3 milliards d’euros, en plus des 3 milliards agréés fin 2015, pour aider les Syriens de Turquie. Et elle a promis une levée accélérée du régime des visas pour les Turcs, d’ici à la fin juin. A condition qu’Ankara respecte scrupuleusement les 72 critères identifiés par la Commission. « Nous avons fait un pas très important vers une solution durable », s’est félicitée Mme Merkel, principale promotrice de l’accord. « C’est une avancée majeure pour l’UE », a dit Alexis Tsipras, autre partisan d’un accord supposé soulager son pays, devenu un vaste « piège à migrants » depuis la fermeture de la route des Balkans vers l’Europe. Mais cette « sous-traitance » à la Turquie de la crise migratoire continuait de susciter les critiques, vendredi. La garantie du droit d’asile doit être prioritaire dans la mise en œuvre de l’accord, a plaidé le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés. De fait, la légalité du « refoulement » de tous les Syriens reste douteuse. Les diplomates européens ne se font pas d’illusions : ils s’attendent à des recours auprès des Cours de Strasbourg et de Luxembourg. Mais, « le temps que ces juridictions se prononcent, on aura eu l’effet escompté, en dissuadant les réfugiés de prendre la mer », veut croire l’un d’eux. Si « personne n’est très fier de cet accord », selon un autre diplomate de haut rang, c’est aussi en raison des gros doutes sur sa mise en œuvre. Tout repose sur la Grèce, son Etat désargenté et son administration défaillante… Pour que les renvois puissent commencer dès le 4 avril, comme le souhaite Angela Merkel, il faudra recruter, dans l’urgence, des juges, des traducteurs… Jusqu’à 4 000 personnes pour un coût avoisinant les 300 millions d’euros pour six mois. Selon nos informations, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui doute de la légalité du renvoi vers la Turquie, ne devrait pas participer à ce mécanisme. « Tout le monde est très sceptique », reconnaissait un dirigeant européen, vendredi soir. C’est « herculéen », a avoué M. Juncker. « Pas la solution magique » D’autres pointaient des risques de défaillances. Selon l’accord, des policiers turcs sont censés travailler dans les îles grecques, alors que les deux pays, pour des raisons historiques, restent à couteaux tirés. L’apparition de nouvelles voies d’accès vers l’Europe, en passant par l’Albanie ou la Libye, inquiète aussi. François Hollande, Angela Merkel et le premier ministre italien, Matteo Renzi, se sont vus vendredi pour en parler. Cet accord avec la Turquie, « ce n’est pas la solution magique, juste un élément du dispositif, avec la route des Balkans fermée, et le renforcement à venir de notre frontière extérieure », répètent les diplomates. Toute petite revanche des valeurs européennes, vendredi. Dans les conclusions du conseil, les Vingt-Huit ont rappelé attendre « de la Turquie qu’elle respecte les normes les plus élevées qui soient en ce qui concerne la démocratie, l’Etat de droit et le respect des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression ». Lors du sommet « spécial migrants » du 7 mars, ils s’étaient contentés d’un modeste : « Nous avons discuté de la situation des médias en Turquie. » p cécile ducourtieux international | 3 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Obama à Cuba pour rendre le rapprochement « irréversible » Le président des Etats-Unis sera reçu par son homologue cubain, Raul Castro, lundi, à La Havane D eux hommes écriront une nouvelle page d’histoire, lundi 21 mars à La Havane. En se rendant sur l’île longtemps rebelle, où il sera reçu par son homologue Raul Castro, Barack Obama entend ancrer plus solidement le rapprochement opéré spectaculairement entre les EtatsUnis et Cuba le 17 décembre 2014. Malgré une succession de mesures significatives pour améliorer notamment les échanges entre les deux pays, comme le rétablissement des services postaux à la veille du départ du président américain, beaucoup reste à faire et, après un demi-siècle de bruit et de fureur, le temps est compté. Inégaux en âges, les deux présidents n’en parviennent pas moins lentement au terme de leurs pouvoirs respectifs. Le président américain, âgé de 54 ans, quittera ses fonctions le 20 janvier 2017, et M. Castro, de trente ans son aîné, fera de même un an plus tard. Le conseiller diplomatique du président américain, Ben Rhodes, ne le cache guère : cette visite à Cuba, qui se prolongera par une seconde étape également significative en Argentine, a pour objectif de rendre la normalisation des relations américano-cubaines « irréversible », imperméable aux aléas politiques. Nids-de-poule M. Obama aurait certainement préféré que le régime castriste accompagne ces retrouvailles de mesures symboliques concernant les droits de l’homme, qui devraient rester longtemps encore un sujet de divergences entre les deux pays. La rigidité de Cuba a contrarié ces espoirs. La Havane a bien ravalé des façades, bouché des nids-de-poule et recueilli les mendiants et sans-domicile-fixe de la vieille ville coloniale que M. Obama, qui sera accompagné par sa femme et ses deux filles, compte découvrir dès son arrivée sur l’île dimanche après-midi, mais il n’est pas encore question de ripolinage pour le parti unique au pouvoir qui tiendra son congrès dans quelques semaines. Pour qui en aurait douté, un éditorial de Granma, l’organe du comité central du Parti communiste de Cuba, daté du 9 mars, l’a confirmé. « Les profondes différences de conception entre Cuba et les Etats-Unis sur les modèles politiques, la démocratie, l’exercice des droits humains, la justice sociale, les relations internationales, la paix et la stabilité mondiale, entre autres, persisteront », a-t-il martelé. L’article, aussi long que ceux qu’écrivait jadis l’ancien « Lider Maximo », Fidel Castro, précise qu’il n’y aura pas de « normalisation » entre les deux pays sans la levée de l’embargo américain, qui dépend du Congrès, et le départ des Américains de la base militaire de Guantanamo. Granma ajoute d’autres exigences : Washington « doit abandonner la prétention de fabriquer une opposition politique interne avec l’argent des contribuables américains » et « mettre un terme aux agressions radiophoniques et télévisées contre Cuba », c’est-à-dire les émissions élaborées en Floride à destination de l’île. Averti de ces résistances, M. Obama fait sans doute un pari à long terme enjambant son second mandat et le départ de Raul Castro. C’est la thèse défendue notamment par deux experts de la Brookings Institution, Ted Piccone et Richard Feinberg. La visite à Cuba s’inscrirait alors dans la quête d’une autre irréversibilité : celle introduite par le soft power américain, la multiplication des liens et des échanges nourrissant un appétit de réformes auxquelles le régime ne pourra que se résoudre. Washington a en effet Au Brésil, la « magie Lula » affaiblie mais toujours vivante De nombreux manifestants ont soutenu, vendredi, l’ex-président dont l’entrée au gouvernement pourrait être suspendue par la justice sao paulo - correspondante I l y a quinze jours à peine, il était en larmes, humilié par l’affront d’un juge le soupçonnant d’avoir été mêlé à un réseau de corruption tentaculaire. Vendredi 18 mars, Luiz Inacio Lula da Silva, « Lula », président quasi mythique du Brésil de 2003 à 2010, a un temps abandonné le rôle de persécuté pour endosser celui de réconciliateur d’une société brésilienne déchirée. La nuit était déjà tombée ce vendredi quand l’ancien métallo a pris la parole devant la foule de manifestants venus sur l’avenida Paulista à Sao Paulo, pour le soutenir, lui et sa protégée, l’actuelle présidente Dilma Rousseff, menacée de destitution. « Il n’y aura pas de coup d’Etat », at-il lancé, évoquant l’impeachment. A ses ennemis qui, selon lui, n’ont jamais accepté l’issue de la présidentielle de 2014, donnant victoire à la candidate du Parti des travailleurs (PT, gauche), il a promis de « faire comprendre que la démocratie est le résultat du vote du peuple brésilien. » « Ne nous traitons pas comme des ennemis », at-il ajouté. Lula a abandonné son costume de « guerrier du peuple » contre les élites pour s’ériger en homme providentiel, capable de sauver le pays de la tourmente. L’ex-syndicaliste a mis de côté les critiques formulées ces derniers jours contre les médias et les méthodes du juge Sergio Moro, chargé de l’enquête « Lava Jato » portant sur le scandale de corruption impliquant le groupe pétrolier Petrobras, des entreprises du BTP et de nombreux dirigeants politiques. Vendredi, il n’était question que de « paix et d’amour ». Ils étaient 95 000 à Sao Paulo, selon l’institut Datafolha (500 000 « Tout le monde est corrompu. Ce n’est pas en retirant la présidente qu’on en finira » EVALDO SERAFIM COELHO métallurgiste et manifestant selon le PT), et plus de 267 000 (1,2 million selon les organisateurs) dans 55 villes du Brésil à être venus « pour la démocratie ». Score honorable bien que nettement inférieur aux 3 millions de manifestants qui appelaient, le 13 mars, à la destitution de la présidente et à l’emprisonnement de Lula. « Restaurer son prestige » La mobilisation de vendredi démontre que la « magie Lula », bien qu’abîmée, n’a pas disparu. Des cars entiers de militants ont débarqué faisant taire un temps leurs critiques envers la politique de rigueur de Dilma Rousseff. José dos Santos, « métallo », a parcouru plus de 150 kilomètres depuis Rio Claro. Il a fallu aussi une heure et demie à Evaldo Serafim Coelho, 46 ans, vendeur ambulant de torchons, pour rejoindre l’avenue Paulista, depuis Capao Redondo dans la périphérie de Sao Paulo. Tous deux ignorent si Lula est honnête, mais peu importe. « Tout le monde est corrompu au Brésil. Ce n’est pas en retirant Dilma du pouvoir qu’on en finira avec ça, souffle Evaldo Serafim Coelho. Lula nous aidera. » Dans un pays au bord du chaos, l’ancien syndicaliste incarne les belles années du Brésil, la prospé- rité du début des années 2000. C’est pour reproduire ce passé enchanté, redresser le pays, faire en sorte « que Dilma ait le sourire dix fois par jour », a expliqué Lula, et non pour échapper à la justice qu’il entend devenir ministre de la « Casa Civil », sorte de superpremier ministre de Dilma Rousseff. Un « ministre de l’espoir », selon Rui Falcao, président du PT. « Le pays n’a pas d’autre option », argue Celso Marcondes, de l’institut Lula. Les manifestants qui réclament la destitution de Dilma Rousseff partagent une colère mais pas de solution. Si l’impeachement intervenait demain, la plupart ne seraient guère satisfaits, dit-il. Michel Temer, viceprésident censé remplacer la présidente, est aussi menacé par les affaires. « S’il était apparu dimanche, il se serait fait lyncher, assure M. Marcondes. Lula n’a plus la même force qu’avant mais, s’il peut exercer son pouvoir, il saura dialoguer avec les partis et restaurer son prestige. » Pour l’heure, le miracle qu’est censé accomplir Lula est entravé par la justice. Gilmar Mendes, juge de la Cour suprême, a ratifié vendredi la décision d’un juge fédéral demandant de suspendre la nomination de Lula au poste de ministre de la Casa Civil, au motif d’entrave à la justice. Cette décision devra être confirmée par un vote collégial de la Cour suprême. L’ancien président est suspecté de vouloir devenir ministre afin d’échapper à la ténacité du juge Moro, préférant répondre de ses actes devant la Cour suprême. Une manœuvre qui, selon l’éditorialiste de la Folha de Sao Paulo, Clovis Rossi, a transformé le Brésil en « République bananière ». p claire gatinois Les droits de l’homme devraient encore rester longtemps un sujet de divergence entre les deux pays tout intérêt à un atterrissage en douceur de Cuba, pour éviter un chaos à ses frontières autant et sinon plus que pour s’ouvrir un nouveau marché. Tribunes A La Havane, M. Obama ne s’en tiendra d’ailleurs pas à un tête-àtête avec un président vieillissant. Prenant le contre-pied du président français, François Hollande, et d’autres responsables politiques européens ou religieux, il a exclu par ailleurs de son agenda une visite à Fidel Castro. Outre la rencontre traditionnelle avec les membres de la société civile (nom de code pour les dissidents), M. Obama s’entretiendra en revanche avec le cardinal Jaime Ortega, chef de l’Eglise catholique cubaine, qui a joué un rôle important dans les libérations de prisonniers politiques. Mais le président s’adressera aussi et surtout directement aux Cubains, lors d’un discours prononcé mardi au Grand Théâtre de La Havane, qui doit être retransmis en direct à la télévision cubaine. Une occasion unique de plaider à sa manière pour une plus grande ouverture. Le même jour, il assistera enfin à un match de baseball, le sport national, entre une équipe locale et celle des Tampa Bay Rays, venue de la Floride voisine. Sachant que les Cubains ne s’expriment sans retenue qu’au stade et que la popularité de M. Obama dépasse celle des dirigeants castristes, le spectacle pourrait se trouver dans les tribunes. L’ambivalence entre les attentes du rapprochement et ses résultats concrets explique l’accueil contrasté que les Cubains réservent à ce président dans la force de l’âge, et dont les racines mêlées reflètent la diversité démographique cubaine. Car ce déplacement ne fait pas l’unanimité au sein de l’opposition dans l’île. L’ancien prisonnier politique José Daniel Ferrer, dirigeant de l’Union patriotique de Cuba, organisation qui progresse actuellement en province, soutient le rapprochement avec les Etats-Unis, « comme l’immense majorité de la population ». Selon l’artiste plasticienne Tania Bruguera, « le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis est très positif pour les familles cubaines et surtout pour l’élargissement des espaces de liberté collective et individuelle des Cubains ». En revanche, Berta Soler, porteparole des Dames en blanc, l’association des épouses de prisonniers politiques, a rappelé que « le président Obama avait promis de se rendre à Cuba uniquement s’il y avait des avancées en matière de droits de l’homme, ce qui n’est pas le cas ». Loin de se sentir embarrassé, l’intéressé lui a fait porter, le 10 mars, une lettre que Mme Soler s’est empressée de diffuser. Le président y qualifie les Dames en blanc d’« inspiration pour le mouvement des droits de l’homme dans le monde ». Il n’aura plus besoin désormais de l’assistance de l’ambassade américaine pour prolonger cette correspondance. p paulo a. paranagua et gilles paris (washington, correspondant) LES DATES JANVIER 1928 Dans sa dernière année au pouvoir, le président américain Calvin Coolidge se rend à La Havane, sur fond de fort ressentiment contre l’interventionnisme des Etats-Unis en Amérique latine. 1ER JANVIER 1959 Après trois ans de guérilla, Fidel Castro et ses « barbudos » s’installent au pouvoir. Quelques mois plus tard, les castristes lancent une vaste campagne de nationalisation de biens américains. Le président Dwight Eisenhower réagit en coupant les relations diplomatiques. 1961-1962 Montée des tensions à la suite du débarquement d’une troupe anticastriste soutenue par la CIA dans la baie des Cochons, débâcle dont le président Kennedy assume la responsabilité. Après la découverte de rampes de lancement de missiles soviétiques, la crise est à deux doigts de dégénérer en conflit nucléaire mondial. 1977 Le président démocrate Jimmy Carter amorce une parenthèse de détente en levant certaines restrictions au voyage, rétablies par Ronald Reagan en 1982. 17 DÉCEMBRE 2014 Barack Obama annonce l’ouverture d’un « nouveau chapitre », constatant l’échec d’un demisiècle d’isolement. 4 | international 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Le retour en Algérie de Chakib Khelil, l’ami exilé du président Bouteflika L’ex-ministre de l’énergie a été blanchi des accusations de corruption lancées contre lui alger - correspondance L’ ancien ministre algérien de l’énergie Chakib Khelil, ami personnel du président Abdelaziz Bouteflika, en « cavale » aux Etats-Unis à la suite d’accusations de corruption, est rentré en Algérie jeudi 17 mars via Oran, sur un vol en provenance de Paris. « Un dispositif d’accueil digne du personnage » a été mis en place, a tenu à préciser la chaîne de télévision Ennahar, très proche du cercle présidentiel, qui a eu la primeur de l’information. Sur le site Internet d’Ennahar, on a pu voir une photo de l’ancien ministre dans le salon d’honneur de l’aéroport d’Oran en compagnie de représentants du wali (préfet) d’Oran. Ce retour avec les honneurs avait été préparé depuis plusieurs semaines après une campagne menée par le secrétaire général du FLN, Amar Saïdani, appelant à la « réhabilitation » de M. Khelil, qui serait, selon lui, victime d’une « machination » des officiers du département du renseignement et de la sécurité (DRS, service de renseignement militaire). L’ancien tout-puissant ministre de l’énergie est rentré au pays après avoir été blanchi des accusations de corruption lancées contre lui. « Les contre-enquêtes ordonnées par le président Abdelaziz Bouteflika n’ont pas permis de confirmer son implication dans les affaires de corruption qui ont touché le secteur de l’énergie », affirme Ennahar, qui accuse les officiers des services d’avoir fabriqué des « rapports mensongers ». Chakib Khelil a subi une « campagne de dénigrement organisée qui l’a ciblée ». « Elle a ciblé également le président Bouteflika personnellement », ajoute Ennahar. Le puissant ministre de l’énergie avait été déstabilisé en janvier 2010 par une enquête sur des affaires de corruption qui avait entraîné des poursuites judiciaires, et le retrait de hauts dirigeants du groupe pétrolier public Sonatrach. Le président Bouteflika a continué à protéger son ami et lui a évité un limogeage immédiat. Son départ a eu lieu en mai 2010, dans le cadre d’un remaniement ministériel. En mars 2013, M. Khelil a quitté précipitamment le pays après des perquisitions effectuées à son domicile. Ce départ avait été encouragé par la révélation, un peu plus tôt par la justice italienne, du versement de pots-devin de 198 millions de dollars (175 millions d’euros) par Saipem, filiale ingénierie du groupe parapétrolier italien ENI, à des responsables algériens en contrepartie de contrats d’une valeur globale de 8 milliards d’euros. L’affaire sera instruite par la justice algérienne sous le nom de « Sonatrach II », et conduire à l’émission d’un mandat international contre Chakib Khelil. Un mandat annulé ensuite pour vice de procédure. « Victoire d’un clan sur l’autre » M. Khelil revient dans une Algérie où ses « ennemis » au sein du régime sont en pleine débandade. Le général Mohamed Médiène, alias Toufik, qui a dirigé les services de renseignement pendant vingtcinq ans au point d’être surnommé le rab dzayer (« le Dieu de l’Algérie »), a été limogé en septembre 2015. Le DRS, après un long processus de marginalisation, a été en définitive dissous fin janvier et remplacé par trois directions rattachées à la présidence : la Direction générale de la sécurité intérieure, la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure et la Direction générale du renseignement technique. Une victoire totale pour M. Khelil. Car, comme le note l’avocat Khaled Bourayou dans une déclaration au site d’information Tout sur l’Algérie, le juge qui a instruit l’affaire a été muté, le procureur général limogé tandis que Chakib Khelil « recouvre son innocence sans que la justice ne se prononce sur son cas : c’est la victoire d’un clan sur un autre. Et le clan perdant, le DRS, est en train de payer ». p amir akef R USSI E 62 morts dans le crash d’un avion provenant de Dubaï Un Boeing 737 en provenance de Dubaï s’est écrasé dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 mars, à l’aéroport de Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie, faisant 62 morts. L’appareil de la compagnie aérienne à bas coûts Flydubai « s’est écrasé en tentant d’atterrir » dans des conditions de mauvaise visibilité, a indiqué le comité d’enquête russe chargé des enquêtes pénales dans le pays. Les 55 passagers du vol étaient des ressortissants russes. – (AFP.) F O N D É E N 17 0 7 Ventes de prestige 19 – 21 avril Tableaux de maîtres anciens Tableaux du 19ème siècle Antiquités, joaillerie Palais Dorotheum Vienne Paris, Joëlle Thomas +33-6 65 17 69 37 [email protected] www.dorotheum.com Hans Memling (1430/40–1494) Atelier, Nativité, huile sur bois, 99,2 x 72,5 cm, vente le 19 avril Embarquement sur un ferry, à Banjul, la capitale de la Gambie. JON GAMBRELL/AP Les Gambiens se méfient de « leur » République islamique Le plus petit pays d’Afrique continentale vit depuis trois mois sous la férule de la charia. Pourtant, rien ne semble avoir changé depuis REPORTAGE A banjul - envoyée spéciale u Happy Corner ce soir, à Banjul, la capitale gambienne, c’est rumbam et pas question de charia. « Il ne peut pas nous faire ça. Le tourisme, nous n’avons que ça ! », s’exclame Lamine (tous les prénoms ont été modifiés), le serveur, chemise blanche et large sourire, en prenant à témoin la terrasse du restaurant remplie d’Anglais venus tromper le froid de février en s’offrant des vacances dans l’ancienne colonie britannique. Musique sous les palmiers, alcool, sexe bon marché pour quinquagénaires esseulé(e)s. Le long de l’océan, où se concentrent hôtels de luxe et villas sécurisées, dans la toute nouvelle République islamique proclamée en décembre 2015 par l’homme fort du régime Yahya Jammeh, rien ne semble avoir changé. « Regardez, je ne suis pas voilée. Ici, ce n’est pas l’Egypte, veut rassurer Amie, une vendeuse de colliers, en montrant ses bras nus. Même les fonctionnaires, elles sont pas obligées. » « L’alcool est en vente libre » Quelques semaines après avoir fait basculer la Gambie dans les rangs des Etats régis par les lois de l’islam, celui qui briguera un cinquième mandat en décembre avait aussi décrété le port du voile obligatoire dans les administrations. Avant de se raviser. « Je suis musulman, ma sœur est chrétienne. Des chrétiens occupent des postes importants dans les ministères, au gouvernement. Allonsnous couper les familles en deux ? Allons-nous les renvoyer ? C’est impossible », tranche Sarjo au volant de son taxi vert réservé aux touristes qui veulent aller à Banjul, la capitale, ou visiter les parcs alentour peuplés de singes et de crocodiles apprivoisés. A vrai dire, nul ne connaît avec certitude le dessein de Yahya Jammeh. L’ancien lieutenant, qui cultive son image de bon musulman en s’affichant en public un coran et un chapelet à la main, a donné pour seule explication que « les musulmans forment la majorité en Gambie ». Les bailleurs qui maintiennent sous perfusion le plus petit Etat d’Afrique continentale – moins de 2 millions d’habitants concentrés sur une étroite bande de terre taillée dans le Sénégal – et l’un des plus pauvres aussi sont aux aguets. Et si à la misère et à la violation des droits civiques devait s’ajouter la formation d’un nouveau point d’ancrage pour l’islam radical en Afrique ? « Pour l’instant, nous n’avons constaté aucun changement, mais nous restons vigilants », reconnaît Ade Mamonyane Lekoetje, la représentante du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), dont l’immeuble à Cape Point regroupe derrière des barbelés la plupart des agences onusiennes présentes dans le pays. Pour éteindre l’incendie déclenché par l’injonction d’un président connu pour ses déclarations imprévisibles, ministres et hauts fonctionnaires s’efforcent de délivrer un message rassurant. « Ici, nous n’avons aucune tolérance pour les terroristes. Les chrétiens vont à l’école avec les musulmans. L’alcool est en vente libre », énumère Pa Ousman Jarju, le jeune ministre de l’environnement, derrière son bureau rouge acajou, un coran à portée de main. Pas suffisant toutefois pour convaincre la communauté chrétienne. Dans la cathédrale SainteMarie, juste séparée du palais présidentiel par une pelouse qui sert à la parade et aux rassemble- Le regain de foi du président Jammeh a été interprété par certains comme un appel du pied aux riches monarchies du Golfe SÉNÉGAL Banjul OCÉAN ATLANTIQUE 100 km GAMBIE GUINÉE-BISSAU GUINÉE ments officiels, le père Jacob, avec d’autres représentants des Eglises gambiennes, « dialogue » avec les autorités depuis la mi-décembre 2015. « Nous redoutons le fondamentalisme. La Gambie est un Etat laïc et doit le rester. Le président ne peut en décider autrement sans consulter le Parlement ni changer la Constitution », a-t-il plaidé à plusieurs reprises devant la vice-présidente, Isatou Njie Saidy. « Les élections sont truquées » Le long de la quatre-voies qui relie Banjul aux villes côtières, d’immenses portraits du leader, toujours vêtu d’un boubou blanc, vantent ses qualités de « vrai frère » ou remercient pour les vingt années écoulées qui permettent aux Gambiens de dire « nous sommes mieux maintenant ». A intervalles réguliers, des militaires lourdement armés contrôlent les véhicules, pour « veiller à la sécurité ». Les habitants, exaspérés, s’y plient avec fatalité. Dire ce qu’ils pensent est trop risqué. « Ici, il n’y a ni liberté ni démocratie. Les élections sont truquées. Ceux qui osent critiquer le président vont en prison, sont torturés, quand ils ne sont pas tout simplement liquidés. Des centaines de personnes sont mortes comme cela », lâche Kemo en faisant promettre de ne pas révéler son identité. Lui a toutefois la chance d’avoir un emploi et d’être fonctionnaire. C’est loin d’être la panacée, mais avec sa vieille Mercedes et son costume mal coupé, il fait encore partie des privilégiés. Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. La sécheresse de 2014 a plombé les récoltes et Ebola, même si la Gambie n’a pas été directement touchée par l’épidémie, a donné un coup d’arrêt à l’activité touristique qui commençait seulement à redémarrer. Les caisses de l’Etat se sont vidées. Pour couvrir la paie des fonctionnaires, le service de la dette et quelques dépenses « extraordinaires » comme une généreuse distribution de 4 × 4 épinglée par le Fonds monétaire international en septembre 2015, le gouvernement a fait fonctionner la planche à billets et émis à tout va des bons du Trésor. Jusqu’à étouffer l’activité. Avec des taux d’intérêt supérieurs à 20 %, plus personne n’a les moyens d’emprunter. Quant aux priorités de développement affichées par Banjul, il y a longtemps que leur financement est tributaire du bon vouloir des créanciers étrangers. Le regain de foi affiché par M. Jammeh a été interprété par certains comme un appel du pied aux riches monarchies du golfe Persique, moins sourcilleuses sur le respect des droits de l’homme en général et sur ceux des homosexuels en particulier. Homosexuels que le leader gambien, dans une récente déclaration, menaçait d’égorger. Dans cette « prison à ciel ouvert », la jeunesse regarde plus que jamais au-delà des frontières. Quel qu’en soit le prix à payer. En 2015, près de 8 500 Gambiens sont parvenus à rejoindre les côtes italiennes après un périple long de 5 000 km passant par le Sahara, la Libye puis la traversée de la Méditerranée. A quelques pas du Happy Corner, Dembo, 20 ans, les yeux rivés sur son téléphone portable, montre à qui veut la page Facebook de son meilleur ami : « Lui a réussi ! » Sur son compte, le migrant, qui a trouvé asile en Allemagne, a posté une photo sur laquelle il pose crânement dans le canot qui lui a ouvert les portes de l’Europe. Une sorte de défi. p laurence caramel FRANCE La guerre d’Algérie enfièvre le débat politique |5 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 La commémoration du 19 mars 1962 par M. Hollande suscite l’indignation de la droite et de l’extrême droite I l souhaitait conclure la « paix des mémoires ». François Hollande a en réalité rallumé une brûlante controverse historico-politique. A dessein ? Premier président de la République à se rendre au Mémorial du quai Branly, à Paris, samedi 19 mars, à l’occasion de la Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, selon l’intitulé officiel de cette cérémonie, M. Hollande s’est attiré les foudres de plusieurs associations de harkis et de rapatriés d’Algérie pour son initiative, mais aussi de la droite et de l’extrême droite. « Non à la commémoration de la honte et du déshonneur », se sont insurgées plusieurs associations de rapatriés, qui ont signé une pétition lancée par le très droitier hebdomadaire Valeurs actuelles, dans laquelle elles estiment que « la décision du chef de l’Etat de célébrer le 19 mars est un coup de poignard porté aux pieds-noirs et harkis ». Ces associations considèrent que la date du 19 mars ne constitue pas la fin de la guerre d’Algérie, mais plutôt le point de départ de l’exode et de nombreux massacres perpétrés contre les pieds-noirs et les harkis. « Pour notre communauté, commémorer cette date, c’est commémorer un acte d’abandon », explique au Monde Mohamed Otsmani, délégué régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur du comité national de liaison des harkis, la plus importante association représentative en France. Invitées samedi au pied de la Tour Eiffel, comme les représentants diplomatiques des pays concernés, les associations nationales « porteuses de ces différentes mémoires », selon l’Elysée, ne répondront donc pas toutes présent, loin de là. « Les mémoires continuent de saigner, de s’affronter, portées notamment par certaines associations d’expatriés, estime l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie et conseiller du président sur certaines questions mémorielles, également président du conseil d’orientation du Musée de l’immigration. Il y a là une certaine continuité dans le refus des accords d’Evian et l’antigaullisme viscéral de l’extrême droite. Peut-être que les partisans du général devraient se manifester. On les a assez peu entendus. » De fait, Les Républicains (LR), quoique se réclamant du gaullisme, ne prennent pas ce chemin. A commencer par leur président, De manière surprenante, c’est Marine Le Pen qui a emboîté le pas à Nicolas Sarkozy Nicolas Sarkozy, qui a accusé François Hollande, dans une tribune publiée dans Le Figaro, de réactiver la « guerre des mémoires ». Le prédécesseur de M. Hollande s’en prend vivement à ce dernier : « Pour qu’une commémoration soit commune, il faut que la date célébrée soit acceptée par tous. Or, chacun sait qu’il n’en est rien, le 19 mars reste au cœur d’un débat douloureux ». Une charge motivée par « des raisons politiciennes », a fustigé le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, pointant une volonté de courtiser pieds-noirs et harkis dans l’optique de la primaire de la droite et de la présidentielle. Repositionnement de la droite Plusieurs élus LR du Sud-Est, où les rapatriés d’Algérie sont nombreux, ont aussi pris leur défense. Les députés des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti et Christian Estrosi, ont tous deux dénoncé « une provocation » à l’encontre des rapatriés et des harkis. Le maire de Nice a même prévenu qu’« aucune cérémonie » ne serait organisée dans sa ville, samedi. Cette passe d’armes en dit long sur le repositionnement de la droite d’obédience gaulliste. Dans leur livre consacrée à Patrick Buisson, Le Mauvais Génie (Fayard, 2015), les journalistes du Monde Ariane Chemin et Vanessa Schneider avaient révélé que, lors de la campagne présidentielle de 2012, l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy « Les mémoires continuent de saigner, portées notamment par des associations d’expatriés » BENJAMIN STORA historien – venu de l’extrême droite – avait convaincu ce dernier de dénoncer les accords d’Evian. Une initiative à laquelle M. Sarkozy avait finalement renoncé. Détail significatif : Alain Juppé, qui se réclame de l’héritage gaulliste, ne s’est pas exprimé sur le sujet. Mais son porteparole, Benoist Apparu, dénonce lui aussi le choix présidentiel : « François Hollande a tort d’ouvrir cette page de notre histoire car les mémoires sont trop vives et cela reste un sujet de controverse, émotionnel, qui génère de fortes tensions en France. » De manière surprenante, sur ce sujet qui a toujours été un marqueur fort pour le Front national, c’est Marine Le Pen qui a emboîté le pas à Nicolas Sarkozy. La présidente du parti d’extrême droite a attendu la matinée de vendredi pour s’émouvoir du fait que, selon elle, M. Hollande « viole la mémoire des anciens combattants, harkis et rapatriés morts pour la France lors du conflit algérien ». « Honorer cette date, c’est aussi mépriser les centaines de milliers de nos compatriotes harkis et rapatriés qui ont vécu et qui vivent avec ces souvenirs tragiques », a estimé la députée européenne dans un communiqué. Une position classique pour un parti qui a notamment été fondé, en 1972, par des nostalgiques de l’Algérie française et d’anciens membres de l’OAS. Des rues débaptisées Le relatif retard à l’allumage de la présidente du FN peut s’expliquer par une répartition implicite des tâches au sein de sa formation : c’est son compagnon, Louis Aliot, fils d’une mère pied-noir et d’un père mobilisé en Algérie, qui est intervenu le premier sur la question, dès mercredi, avec virulence. « Cette date n’est pas celle de la paix, mais celle du déchaînement de la violence et d’un génocide », a dénoncé le député européen, qui ne manque jamais une occasion de choyer les rapatriés et les harkis, très présents à Perpignan, sa terre d’élection. A Béziers (Hérault) et Beaucaire (Gard), les maires frontistes ou assimilés, Robert Ménard et Julien Sanchez, n’ont pas hésité à débaptiser des rues ou des places du 19mars-1962 pour les remplacer par le nom du général putschiste Hélie de Saint Marc (1922-2013) ou la date du 5 juillet 1962, marquée par le massacre d’Européens à Oran. Si l’on ne s’attendait pas, à l’Elysée, à une charge si violente de la part de M. Sarkozy, on n’est pas loin de s’en féliciter. « C’est le choix du chef de l’opposition, qui a décidé de s’exprimer avec une certaine violence, cible un conseiller du président. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’il tourne le dos à l’héritage gaulliste. M. Sarkozy estimet-il qu’il n’est plus gaulliste ? » La commémoration est certes organisée à des fins d’apaisement et de consensus mémoriel mais son objectif politique se révèle nettement plus clivant. Il s’agit pour M. Hollande de redorer quelque peu son blason à gauche après l’épisode dévastateur de la déchéance de nationalité, voire de tenter de se réconcilier avec l’électorat d’origine maghrébine. « Hollande veut évidemment séduire la communauté algérienne vivant en France dans l’optique de 2017 », juge d’ailleurs un sarkozyste. Au-delà, cet épisode dessine la stratégie qu’il caresse depuis plus d’un an en vue de 2017 : lui, le rassembleur, contre les autres, les diviseurs de la droite extrême et de l’extrême droite, qui chassent sur les mêmes terres. « Ça n’était pas l’objectif, mais cette commémoration agit comme un révélateur, reconnaît un proche du chef de l’Etat. D’autres sont dans quelque chose de moins consensuel et de plus brutal. » Derrière l’affrontement mémoriel s’en profile un autre, très présidentiel. p olivier faye, alexandre lemarié et david revault d’allonnes 6 | france 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 L E S AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E La traque hasardeuse d’Abdeslam Après avoir échappé à une perquisition, le fugitif a été arrêté grâce à une dénonciation, et sera jugé suite de la première page Lorsque les policiers belges ont pénétré l’appartement où il avait trouvé refuge, le terroriste, vraisemblablement à court d’armes, en partie abandonnées au cours de sa cavale, s’est écrié : « Je suis Salah Abdeslam. » Il a été délogé en quelques minutes et est apparu furtivement, vêtu d’un survêtement, capuche sur la tête, claudiquant entre les membres des unités spéciales qui l’encadraient et pointaient leurs armes vers les toits de ce quartier populaire où il a grandi. Son identification formelle n’interviendra qu’en fin de journée, vers 19 heures, après la comparaison de ses empreintes digitales. Dans « le bunker », la salle de presse du 16, rue de la Loi, le cabinet du premier ministre belge, Charles Michel, tient dans la foulée une conférence de presse au côté de François Hollande et d’une brochette de ministres. A 20 h 33, le chef du gouvernement belge confirme l’information tant attendue, qui a perturbé la fin du sommet Union européenne-Turquie auquel participaient les deux dirigeants : « Nous avons arrêté Salah Abdeslam. » Le fugitif n’est pas le seul suspect des attentats de Paris à avoir été interpellé vendredi. Un autre homme, lui aussi blessé à la jambe, a été appréhendé dans le même appartement par les forces d’intervention belges, mais son identité reste floue. Deux pièces d’identité falsifiées portant sa photo – un passeport syrien au nom de Monir Ahmed Alaaj, et une carte d’identité belge au nom d’Amine Choukri – avaient été retrouvées mardi lors d’une perquisition dans un appartement de Forest, une autre municipalité bruxelloise. Cet homme à l’identité incertaine est arrivé en Europe par l’île grecque de Leros, comme deux des kamikazes du Stade de France. Il a ensuite passé la nuit du 2 au 3 octobre dans une Des policiers bouclent la rue des QuatreVents, à Molenbeek après l’arrestation de Salah Abdeslam, le 18 mars. CE QU’IL FAUT SAVOIR Interpellation Salah Abdeslam, seul membre des commandos du 13 novembre à avoir survécu, a été interpellé à Bruxelles, le 18 mars, après quatre mois de cavale. VIRGINIE NGUYEN HOANG/ HANSLUCAS POUR « LE MONDE » Mandat d’arrêt M. Hollande a appelé de ses vœux sa remise rapide à la justice française dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen. Procès Salah Abdeslam est susceptible d’être renvoyé devant une cour d’assises spéciale, uniquement composée de magistrats, et encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Victimes En quête de justice, les associations de victimes sont soulagées qu’il ait été capturé vivant. Complice L’homme tué mardi par la police belge lors d’une perquisition a été identifié comme étant Mohamed Belkaid. Il apparaît comme un acteur central des attaques de Paris. chambre d’hôtel réservée à Ulm, en Allemagne, où Salah Abdeslam lui a rendu visite. Mandat d’arrêt européen Trois autres personnes ont été interpellées lors de l’opération de vendredi : un des amis de Salah Abdeslam, Abid A., la mère de ce dernier, Sihane A., et sa compagne, Djemila M. Ils sont soupçonnés d’avoir hébergé le fugitif dans l’appartement de la rue des Quatre-Vents. Les porte-parole du parquet belge ont souligné que les enquêtes n’étaient pas terminées, sous-entendant qu’une partie du groupe était toujours acti- vement recherchée. « Ils sont plus nombreux que ce que nous avions pensé », a indiqué vendredi François Hollande. Seul auteur des attentats du 13 novembre présent dans les rues de Paris cette nuit-là à avoir été interpellé vivant, Salah Abdeslam pourrait être rapidement remis à la justice française. C’est en tout cas le vœu qu’a formulé vendredi soir le président français, lors de sa conférence de presse avec le premier ministre belge : « Je ne doute pas que les autorités judiciaires françaises vont adresser très vite une demande d’extradition » et « que les autorités belges y Lorsque les policiers belges ont pénétré dans l’appartement, le terroriste, sans doute à court d’armes, s’est écrié : « Je suis Salah Abdeslam » répondront le plus favorablement possible, le plus rapidement possible », a-t-il déclaré. A l’issue de sa garde à vue – limitée à vingt-quatre heures en Belgique, contre six jours en France en matière terroriste –, Salah Abdeslam sera dans un premier temps présenté à un juge belge. Dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires françaises, il pourrait être remis aux magistrats français chargés de l’enquête. Au terme de l’instruction, il est susceptible d’être renvoyé devant une cour d’assises spéciale, uniquement composée de magistrats, et encourt la réclusion criminelle à perpétuité. C’est à la faveur d’un heureux hasard – et d’un curieux manque de flair – que les enquêteurs ont fortuitement découvert, trois jours avant l’assaut de vendredi, la planque de Salah Abdeslam et de ses complices. Mardi 15 mars, quatre membres de la section antiterroriste de la police fédérale, accompagnés par deux officiers de liaison français dans le cadre d’une équipe commune d’enquête, se présentent vers 14 h 15 rue du Dries, à Forest, une municipalité de Bruxelles, pour une simple vérification de domicile. Mohamed Belkaid, logisticien des attentats de Paris L’Algérien tué par la police belge, mardi 15 mars, en protégeant la fuite d’Abdeslam, avait coordonné les attaques par SMS depuis Bruxelles L’ homme tué mardi 15 mars par la police belge lors de la perquisition d’un appartement de Forest, une municipalité de Bruxelles, au cours de laquelle Salah Abdeslam était parvenu à s’enfuir, a été identifié comme étant Mohamed Belkaid. Le nom de cet Algérien de 35 ans, inconnu des services antiterroristes, n’apparaissait pas dans l’enquête sur les attentats du 13 novembre 2015. C’est en comparant son visage avec des photos que les enquêteurs ont pu établir qu’il était, selon les mots du parquet belge vendredi 18 mars, « plus que vraisemblablement » un acteur central des attaques de Paris, sous l’identité d’emprunt de Samir Bouzid. Dans le dossier d’instruction, Samir Bouzid apparaît comme un des hommes suspectés d’avoir coordonné, depuis Bruxelles, les attentats de Paris et Saint-Denis. Au fil de leurs investigations, les enquêteurs ont trouvé une première trace de son passage un mois avant les attentats. Le 9 septembre 2015, Salah Abdeslam est Le 17 novembre, sa fausse carte d’identité est utilisée afin d’effectuer un virement pour Abaaoud contrôlé en Autriche à bord d’une Mercedes de location, en compagnie de deux hommes porteurs de fausses cartes d’identité belges au nom de Samir Bouzid et Soufiane Kayal. La trace de Samir Bouzid sera retrouvée dans une poubelle le lendemain des attentats. Dans un téléphone portable jeté en face du Bataclan, les enquêteurs découvrent un SMS envoyé par les terroristes à 21 h 42 : « On est parti, on commence. » Le destinataire du message se trouve en Belgique. Un autre numéro belge, qui a appelé dans la soirée Abdelhamid Abaaoud, a émis exactement au même endroit, à Bruxelles. Les enquêteurs en déduisent qu’un ou deux hommes ont coordonné les attaques depuis la Belgique. Leurs investigations les conduiront à suspecter Samir Bouzid et Soufiane Kayal, les compagnons de voyage de Salah Abdeslam en Autriche. Le nom de Samir Bouzid n’apparaît réellement dans le dossier que le 17 novembre, quatre jours après les attentats. Ce jour-là, vers 18 heures, sa fausse carte d’identité est utilisée pour effectuer un virement dans une agence Western Union de Bruxelles. La somme, 750 euros, est destinée à Hasna Aït Boulahcen, la cousine d’Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attentats, qui cherche une planque. Une caméra de vidéosurveillance permettra aux enquêteurs d’avoir une trace de son passage. Les policiers, qui ont placé Hasna Aït Boulahcen sur écoute, interceptent ses communications avec Mohamed Belkaid, alias Samir Bouzid. Le 17 novembre, ce dernier lui demande de récupérer le virement qu’il vient d’effectuer pour Abaaoud. A 17 h 57, Hasna discute avec le généreux donateur tout en faisant la queue pour récupérer le mandat. Le terroriste et la jeune femme, peu au fait des pratiques bancaires, se heurtent à la logique implacable de La Poste. Hasna : « Aleykoum Salam. Je suis en train de faire la queue là. Je suis… Attends, attends, deux secondes. » Elle parle à la guichetière : « Bonjour, en fait c’est pour un mandat cash. En fait, on m’a envoyé de l’argent de la Belgique. » A Belkaid : « C’est quoi, c’est un Western Union ? – Western Union, oui, répond Mohamed Belkaid. – C’est quand que tu l’as envoyé ? – J’ai envoyé ça il y a une petite heure. 750 euros. – 750, ouais mais c’est quoi. Il faut un code, elle a dit la dame. – Un code ? – Attends, je te passe la dame. » L’employée de La Poste prend le téléphone : « Allô ? – Oui, bonjour (…) En fait, j’ai envoyé un mandat. – D’accord. Quel genre de mandat ? – Un Western Union, j’ai envoyé 750 euros. On m’a dit que je dois donner des numéros. – Voilà, il y a un code à donner. – Donc euh 59… – Euh, je vous la repasse. C’est elle qui va… », répond la guichetière. Hasna reprend le téléphone : « OK merci. Attends, reste avec moi s’il te plaît. Ouais, tu m’avais dit qu’il n’y avait pas de code. – Non. C’est juste les chiffres. Je n’avais pas vu. Donc je te donne les chiffres. Donc 529… – Attends, attends. » Hasna parle à la guichetière : « Ah c’est mort ? Pourquoi ? Ah c’est 18 heures. » A Belkaid : « Ils ont dit que c’est mort pour aujourd’hui, c’est 18 heures, il faut que j’y aille demain. – Y retourner demain. Mais il est 18 heures », répond Belkaid. « Mais il est 18 heures, madame, répète la jeune femme. Il doit y avoir une exception. Monsieur, je suis venue avant 18 heures, ça se fait pas, comme même, je suis venue de loin. Je suis venue avant 18 heures. Bah là, il est 59, monsieur, il reste une minute. Voilà, donc je suis désolée. Je suis venue avant 18 heures, j’ai fait la queue, la dame euh… Ouais, mais là, je suis chez vous, monsieur, je vais vous donner le code et vous me donnez l’argent. Je n’ai jamais vu ça de ma vie. La vie de ma mère. Non, je ne m’énerve pas, mais c’est n’importe quoi. Moi, je suis venue de loin et voilà. Non, OK, il y a pas de souci. » Hasna Aït Boulahcen récupérera finalement son virement. Sur les consignes de Mohamed Belkaid, elle achètera un téléphone pour son cousin et lui trouvera un logement à Saint-Denis. Elle sera tuée à ses côtés lors de l’assaut lancé par le RAID le lendemain, 18 novembre. Mohamed Belkaid trouvera la mort quatre mois plus tard dans des circonstances similaires, en tirant sur des policiers pour couvrir la fuite de Salah Abdeslam, lors de la perquisition de l’appartement de Forest. p so. s. france | 7 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 aaa « Il a terminé son parcours là où il avait des dernières possibilités de se cacher » A Molenbeek, durant l’opération policière, les habitants témoignent de leur consternation REPORTAGE molenbeek - envoyé spécial Opération précipitée Curieusement, son nom ne figurait pas dans les fichiers belges des personnes liées au terrorisme islamiste. Il apparaissait, en revanche, sur les listes des membres de l’Etat islamique en possession de la chaîne britannique Sky News. Il y était répertorié comme l’un des candidats à un possible attentat-suicide et aurait, semblet-il, combattu en Syrie à partir d’avril 2014. Si l’opération de police de mardi à Forest, largement sous-dimensionnée, se conclut par la mort de Mohamed Belkaid, elle permet également à deux hommes de prendre la fuite par les toits. L’échec est cuisant. Les enquêteurs l’ignorent encore : parmi les deux fugitifs se trouve Salah Abdeslam. Sa présence dans l’appartement ne sera confirmée que deux jours plus tard par la découverte de son empreinte digitale sur un verre. Mais c’est un appel téléphonique, quelques heures après cette opération ratée, qui va mettre les policiers belges sur la trace du fugitif et confirmer sa présence à Bruxelles. Au bout du fil, un ami de Salah Abdeslam leur apprend que ce dernier lui a demandé de l’aider à trouver une planque. Les enquêteurs belges ne peuvent plus attendre : ils ont déjà raté à Deux acteurs introuvables Les deux principaux fugitifs des attentats du 13 novembre, Abdelhamid Abaaoud et Salah Abdeslam, n’auront été localisés que grâce à un geste citoyen, symptôme des limites des services de renseignement des deux pays. La planque d’Abdelhamid Abaaoud, tué le 18 novembre lors d’un assaut du RAID, avait été fournie aux enquêteurs français par le témoignage spontané d’une jeune femme proche de sa cousine, Hasna Aït Boulahcen. Celle de Salah Abdeslam n’aura été découverte que grâce au coup de téléphone d’un de ses amis. Il aura fallu plus de quatre mois pour découvrir que l’homme le plus recherché d’Europe n’avait peut-être jamais quitté sa ville. « Quatre mois, c’est long, et le travail n’est pas fini », a commenté François Hollande, qui a annoncé dans la foulée la tenue, samedi, d’un Conseil de défense. « Il devra y avoir d’autres arrestations », at-il poursuivi. Après ce coup de filet, deux acteurs majeurs des attentats du 13 novembre restent introuvables. Le premier, Mohamed Abrini, avait loué avec Salah Adbeslam les appartements où les commandos ont passé leur dernière nuit en banlieue parisienne et les a accompagnés à Paris le 12 novembre, avant de se volatiliser à Bruxelles. Le second n’est connu que sous une identité d’emprunt, Soufiane Kayal. Il est soupçonné d’avoir coordonné les attentats à distance depuis Bruxelles avec Mohamed Belkaid, alias Samir Bouzid, tué mardi à Forest. Deux soutiens logistiques des auteurs des tueries du 13 novembre sont par ailleurs toujours recherchés : il s’agit des frères Khalid et Ibrahim El Bakraoui. L’un d’eux, Khalid, avait loué l’appartement de Forest visé par la perquisition de mardi et celui de Charleroi. L’arrestation de Salah Abdeslam marque-t-elle la fin des tensions entre Paris et Bruxelles, assez vives depuis que M. Hollande a évoqué en novembre des attaques « préparées » depuis la Belgique ? Le gouvernement de M. Michel se sentait mis en accusation, d’autant que des lacunes dans la surveillance des milieux radicaux par les autorités avaient été illustrées de diverses manières. « Il n’y a pas d’autres tensions que celles du drame, nous sommes liés et solidaires », a déclaré vendredi François Hollande en félicitant les autorités belges. p soren seelow et jean-pierre stroobants (bruxelles, correspondant) « Ce n’est pas une banlieue » Cette fois, les habitants connaissent le film. La plupart répondent d’avance aux questions que les premiers journalistes arrivés sur place ne leur ont pas encore posées, sur leur ville et leur religion. Une femme voilée portant un enfant défend Molenbeek : « Ce n’est pas une banlieue, c’est une commune ; les banlieues, c’est à Paris. » Un homme d’une cinquantaine d’années fulmine : « Ceux qui ont fait ça à Paris, ce ne sont pas des musulmans, ce sont des crétins ! L’islam, c’est la paix. » La nuit commence à tomber. Les opérations policières semblent presque achevées. Derrière les cordons de sécurité, la curiosité a remplacé l’inquiétude. Les habitants s’installent et commentent les événements. « C’est Abdeslam ? Il est blessé ? Ils l’ont tué ? Ils étaient combien ? » Les locaux questionnent les journalistes, qui les interrogent en retour. « Qui a vu quoi ? Qui a entendu quelque chose ? » Les rumeurs commencent à circuler. Le même assure qu’il sait « par Facebook » que Salah Abdeslam s’est échappé de l’hôpital. Un autre, âgé d’une quarantaine d’années, tente de convaincre un plus jeune que le 13 novembre n’était que mise en scène. « Ce ne sont pas des terroristes, ils n’ont tué personne, ils se sont fait sauter dans des ruelles désertes », explique-t-il. « Mais ils ont tué en tirant quand même », tente l’autre, légèrement dubitatif. « Non. Ça, c’est les services secrets… et les sionistes », rétorque le premier. Argument massue. L’autre se rembrunit : « Oui, je sais que ce sont les sionistes. » La présence de Salah Abdeslam à Molenbeek n’étonne pas vraiment. « Il y a une forme de logique, il a terminé son parcours là où il avait des dernières possibilités de se cacher », explique l’ancien bourgmestre socialiste de la ville, Philippe Moureaux, qui espère que la cellule terroriste est vraiment neutralisée. Pour les habitants, il s’agirait presque d’une malédiction. « On a le climat de terreur, et en plus notre ville et notre religion sont stigmatisées », explique Elias, 26 ans, la barbe bien taillée et le costume soigné. Il ajoute d’un air de dépit : « C’est la double peine. » p nicolas chapuis les plus grands spectacles du monde entier, chez vous ! OPÉRAS | CONCERTS | DANSE | JAZZ À LA TÉLÉVISION : © GTG/Gregory Batardon L’appartement visé par la perquisition est alors considéré comme « froid » : il semble inoccupé, l’eau et l’électricité ayant été coupées depuis plusieurs semaines. Les enquêteurs le suspectent d’avoir été loué sous une fausse identité par un certain Khalid El Bakraoui, à ce jour introuvable. C’est sous une identité d’emprunt similaire qu’avait été loué quatre mois plus tôt un appartement à Charleroi, où avaient fait halte durant quelques heures les membres des commandos, le 12 novembre, tandis qu’ils cheminaient en convoi de Bruxelles vers Paris. Les policiers n’y sont pas préparés, mais la planque est toujours active. Ils essuient dès leur arrivée des tirs nourris à l’arme lourde. Quatre policiers sont blessés. Un suspect est tué : Mohamed Belkaid, un Algérien en séjour illégal inconnu des services antiterroristes. La comparaison de son visage avec des photos en possession des enquêteurs permet de l’identifier avec une quasi-certitude comme étant l’un des membres actifs des attentats de Paris. Cet homme, qui voyageait sous la fausse identité de Samir Bouzid, a coordonné en direct les attaques du 13 novembre par SMS depuis Bruxelles. Il est le destinataire du dernier texto envoyé par les kamikazes du Bataclan avant que ces derniers ne pénètrent dans la salle de spectacle : « On est parti, on commence. » Au lendemain des attaques, il a assisté Abdelhamid Abaaoud dans sa quête d’une planque à Saint-Denis, et a aidé Salah Abdeslam durant sa cavale. C PHOTO Les deux principaux fugitifs n’ont été localisés que grâce à un geste citoyen, symptôme des limites des services deux reprises Salah Abdeslam, à Molenbeek et à Schaerbeek, où ses empreintes avaient déjà été retrouvées, le 10 décembre. En travaillant sur le numéro à partir duquel Salah Abdeslam a appelé le témoin, puis sur ses contacts, les enquêteurs belges parviennent à localiser le terroriste dans un appartement de Molenbeek. Vendredi, la police fédérale décide de hâter ses opérations – trois perquisitions à Molenbeek et à Jette, autre municipalité de la ville région – en raison d’une fuite dans la presse parisienne. A la fureur du parquet fédéral belge, qui avait obtenu le silence des médias nationaux, L’Obs révèle que des traces d’ADN et des empreintes digitales appartenant à Salah Abdeslam ont été retrouvées dans l’appartement de Forest visé par la perquisition de mardi. omme une désagréable impression de déjà-vu, celle d’être pour quelques heures au centre du viseur. La ville belge de Molenbeek, où Salah Abdeslam, l’un des auteurs présumés des attentats du 13 novembre, a été arrêté vendredi 18 mars, a connu une nouvelle fois l’angoisse d’une journée d’opérations antiterroristes. Rues bouclées, sirènes de police incessantes, détonations… La dernière fois que la petite commune populaire avait vu pareille agitation, c’était quelques jours après les attaques de Paris. Salah Abdeslam y avait été repéré. L’information ajoutée au pedigree de la ville – Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats abattu dans l’assaut de Saint-Denis, a grandi à Molenbeek, qui a aussi vu de nombreux départs vers la Syrie – avait attiré les journalistes du monde entier. La ville, inconnue quelques jours auparavant, était devenue le symbole international de la radicalisation islamiste. ABONNEZ-VOUS RENSEIGNEMENTS AUPRÈS DE VOTRE OPÉRATEUR ET SUR WWW.MEZZO.TV 8 | france 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 L E S AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E Salah Abdeslam, le djihadiste qui « ne priait jamais à l’heure » Son rôle lors des attentats de Paris est encore flou C PORTRAIT omme tous les fugitifs, son portrait avait fini par se résumer à son avis de recherche. Sorte de demi-démon réduit à un visage au teint blafard, une mensuration (1m75), la couleur de ses yeux (marron) et une date de naissance (15 septembre 1989). Salah Abdeslam, le 10e homme du commando djihadiste qui a ensanglanté Paris, le 13 novembre 2015, ne se résumait pas à sa seule synthèse policière. Caïd insaisissable, l’homme le plus recherché d’Europe aura tenu 125 jours de cavale avant d’être arrêté le 18 mars à Bruxelles. C’est à une adresse comme baptisée pour lui qu’il s’est fait rattraper : 76 rue des Quatre-Vents. Son rôle lors des attentats est encore flou. L’enquête a démontré qu’il a réservé véhicules et chambres d’hôtel en banlieue parisienne en son nom. On sait aussi qu’il a déposé trois terroristes au Stade de France ; puis qu’il s’est rendu dans le 18e arrondissement. Des interrogations demeurent : devait-il commettre un autre attentat ? A-t-il renoncé à mourir en kamikaze ? Ou sa ceinture d’explosifs n’a-t-elle pas fonctionné ? Avant de faire allégeance à l’organisation Etat islamique (EI), le jeune homme de 26 ans, fils d’un conducteur du tramway bruxellois, était un trafiquant notoire. L’un de ces types « injoignables », comme le décrit un de ses amis aujourd’hui en prison. Sans Facebook officiel. Jamais avec le même numéro de téléphone. Toujours un peu pressé. Mais parfaitement serviable. Ami de débauche d’Abaaoud Pour espérer attraper Salah Abdeslam, fausses allures de dandy et cheveux gominés, il faut alors plutôt parier sur Les Béguines, un bar qu’il a tenu de 2013 au 4 novembre 2015 avec son frère Brahim, 31 ans, à Molenbeek, ghetto pauvre au cœur de Bruxelles. Derrière ce nom donné autrefois en Belgique à ces femmes seules ayant fait vœu de vie religieuse, ce bar est un repère de dealers de shit. La vie de Salah ressemble à celle de tous ceux qui sont aujourd’hui soupçonnés de l’avoir aidé dans sa fuite. Une dizaine d’hommes, aux confins de la petite et moyenne délinquance. A l’instar d’Hamza A., qui assurait le service de « vendeur » de cannabis aux Béguines. Photo de Salah Abdelslam diffusée par la police fédérale belge. AP Mais surtout comme Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur principal des attaques à Paris, mort dans l’assaut de Saint-Denis, le 18 novembre. Un des meilleurs amis de débauche de Salah Abdeslam depuis l’enfance. Jusqu’au braquage raté d’un garage qui les envoie tous les deux en prison, en 2010. Salah Abdeslam est un « fêtard » qui ne se cache pas. On lui prête des talents de grand séducteur. Un tiercé « bières-shit-filles » qui détourne partiellement l’attention des services de renseignement. Les enquêteurs ont retrouvé la trace de plusieurs de ses virées au Golden Palace, un grand casino du centre-ville de Bruxelles. Il y a même été repéré avec son ami Ahmed Dahmani, boxeur amateur à ses heures, interpellé fin novembre 2015 en Turquie. Ce dernier aurait fait des repérages à Paris en amont des attentats. Chez les Abdeslam, l’arbre généalogique est aussi un brouilleur Ce dimanche à 12h10 HERVÉ LADSOUS Secrétaire Général adjoint de l’ONU répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde). Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr 0123 Abdeslam est un fêtard. Le tiercé « bières-shitfilles » détourne l’attention des services de renseignement de pistes à lui seul. Le père, Abderrahmane, est né à Oran, en 1949, en Algérie, tout comme Yamina, la mère. Ils sont ensuite allés vivre au Maroc mais ont pu garder la nationalité française. Nationalité qu’ils ont transmise à leurs cinq enfants quand ils ont émigré en Belgique. Comme ses trois frères (Yazid, 33 ans, Brahim, 31 ans, Mohamed, 29 ans) et sa sœur (Myriam, 22 ans) Salah Abdeslam est né à Bruxelles mais il n’a qu’une carte de résident permanent. Il n’a jamais vécu en France. Chaque été, les vacances se passent en famille, au Maroc, dans cette petite ville de Bouyafar, 15 000 habitants, tout près de l’enclave espagnole de Melilla. Un de ces coins du Rif qu’ont vidé les vagues de départs vers la France, les Pays-Bas, la Belgique… « Mais vous savez, moi maître, je suis Français ! », répétait souvent Brahim, le frère de Salah, à son avocat, Me Olivier Martins, lors des quelques déboires qu’il a eus avec la justice. Son attrait pour l’idéologie djihadiste, Salah Abdeslam l’a tou- jours dissimulé du mieux possible. On soupçonne qu’il a effectué un court séjour en Syrie en 2015, mais on n’en connaît pas précisément les dates. Ses excès d’alcool et boîtes de nuit relevaient-ils de la « taqiya » : une pratique particulière de l’islam visant à cacher volontairement sa foi pour ne pas éveiller de soupçons ? Ou sa radicalisation a-t-elle été si rapide que personne ne l’a vue venir ? Salah Abdeslam a bien été entendu par les services belges en février 2015. Ils le soupçonnent alors d’avoir les mêmes velléités que Brahim, son frère, parti en Syrie. Mais ils ne le jugent pas menaçant. Les premiers signes d’assagissement du turbulent caïd n’apparaissent vraiment qu’à partir de l’été 2015. Salah Abdeslam profite du Ramadan pour arrêter de boire et de fumer. En réalité, la seule qui sait, alors, les vraies envies de Salah, c’est Yasmina, 23 ans, sa petite amie. Folle amoureuse de lui depuis ses 16 ans, elle entretient une relation semi-clandestine avec ce voyou qui déplaît tant à ses parents. Salah aurait commencé à évoquer ses projets de Syrie dès décembre 2014. « Il pensait aller là-bas pour aider (…) il voulait même que je l’accompagne », a-t-elle raconté aux enquêteurs. Mais à l’époque elle peine à le prendre au sérieux. Sa religiosité lui paraît aussi baroque que sa vie de caïd. Salah priait, dit-elle, mais un peu comme aux quatre-vents, « jamais à l’heure ». p élise vincent « Jusqu’ici, ils n’étaient que des ombres » « C’est une surprise inespérée de voir Salah Abdeslam arrêté au bout de quatre mois de cavale. (…) Il en sait long sur les attaques et les commanditaires », a déclaré Georges Salines, le président de Treize novembre - Fraternité et vérité, une association de victimes des attentats, dont la fille a été tuée au Bataclan. Pour Caroline Langlade, membre du public du Bataclan et vice-présidente de Life for Paris, « ça change complètement la donne du procès, qu’il y ait un être vivant dans le box des accusés ». Chloé De Bacco, 29 ans, blessée au Bataclan, est « contente mais remuée » : « Jusqu’ici, ces terroristes n’étaient que des ombres dans une salle, maintenant on a en face de nous un être humain. Salah Abdeslam a deux ans de moins que moi. Comment peut-on avoir tant de haine à cet âge ? » Le procès d’Edouard Louis, leçon de droit Le juge a étrillé les avocats qui attaquent l’écrivain pour atteinte à la vie privée U n passionnant débat juridico-littéraire devait opposer, vendredi 18 mars, l’écrivain Edouard Louis, alias Eddy Bellegueule, à celui qui l’accuse d’atteinte à la vie privée et à la présomption d’innocence, Riadh B., alias « Reda », le personnage décrit dans Histoire de la violence (Seuil) comme ayant violé et tenté d’étrangler l’écrivain une nuit de décembre 2012. Le jeune Marocain, sans papiers, interpellé en janvier dans une autre affaire, a depuis été mis en examen pour « viol » et « tentative d’homicide », son ADN correspondant à celui prélevé chez Edouard Louis, qui avait porté plainte. En l’absence des deux hommes, représentés par leurs avocats, le seul vrai personnage de cette audience a été le juge Alain Bourla. La leçon de droit s’est abattue avec férocité sur les deux jeunes conseils du plaignant, dont une présomption d’inexpérience justifierait qu’ils bénéficient du même anonymat que leur client. Le juge observe d’abord que, dans une lettre adressée au Seuil avant les poursuites, les défenseurs de Riadh B. ont tenté d’obtenir l’insertion d’un encart dans l’ouvrage, mentionnant que ce récit « porte atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée de… ». Suivaient le nom et le prénom du plaignant. « Donc, si Le Seuil avait obtempéré, le public aurait été informé du nom de votre client », s’étonne le juge. Les deux avocats baissent la tête. « C’est une erreur de plume », plaident-ils. Le juge poursuit en relevant que, lors de son arrestation, Riadh B. a donné aux enquêteurs quatre alias distincts et que ses avocats évoquent eux-mêmes deux identités différentes. « Je m’interroge : qui est véritablement votre client ? » Me Emmanuel Pierrat, l’avocat d’Edouard Louis, renchérit : « Comment un livre pourrait-il rendre identifiable quelqu’un dont même ses avocats ignorent la véritable identité ? » Jeu de massacre Le juge Bourla se saisit ensuite des quatre attestations versées par les avocats à l’appui de la plainte. Elles sont tapées à la machine alors qu’elles devraient être manuscrites et aucune ne comporte la mention obligatoire sur le risque encouru en cas de faux témoignage. Exit donc les attestations. Le juge en vient aux demandes de réparation : 50 000 euros de dommages et intérêts, modification du prénom et insertion d’un encart. « Vous écrivez que l’encart est “la seule possibilité de faire cesser les atteintes manifestes à ses droits”. En quoi la teneur de cet encart peut-elle faire cesser les atteintes ? » Les deux avocats bafouillent. « Eh bien, le lecteur lira ce livre de façon différente… » Quand vient le débat au fond, le jeu de massacre continue. Les avocats relèvent que, comme « Reda », le plaignant a des fossettes, des yeux marron, des sourcils noirs, un type maghrébin, il est homosexuel, consomme du cannabis, travaille de temps à autre comme plombier au noir, fréquente la place de la République. La défense a beau jeu de souligner qu’une telle description est susceptible de concerner bien du monde. Jugement le 15 avril. p pascale robert-diard Lille : fin du mystère de la momie lille - correspondance U ne maison au cœur du quartier chic du Vieux-Lille et, au premier étage, un corps momifié. Le 19 octobre 2012, Lille est sous le choc. Un agent municipal des « Immeubles menaçant ruine » vient de découvrir le squelette d’un homme d’origine espagnole, décédé depuis quinze ans. Qui était-il ? De quoi est-il mort ? Le mystère de la momie aura duré plus de trois ans. Il vient d’être définitivement résolu. Dans quelques jours, Alberto Rodriguez va enfin pouvoir être incinéré. C’est un article paru dans Le Monde en 2012, traduit dans El Pais, qui a permis à la famille espagnole du défunt de le reconnaître, de dévoiler sa véritable identité et sa ville natale. A partir de son acte de naissance, puis de tests ADN, les enquêteurs ont remonté le fil de sa vie. Le substitut du procureur au tribunal de grande instance Christophe Amunzateguy a délivré le permis d’inhumer. « C’est une vraie satisfaction, confie-t-il. On a réussi à lui trouver une histoire, une famille et bientôt une sépulture. » Ce peintre en bâtiment, né en 1921, arrivé « ON A RÉUSSI À LUI chez les Ch’tis en 1942, a laissé derrière TROUVER UNE HISlui son pays. « Traumatisé par la guerre il a fui Franco, brouillé les TOIRE, UNE FAMILLE » d’Espagne, pistes, changé de prénom (Mamerto deCHRISTOPHE AMUNZATEGUY vient Alberto) et coupé les liens avec sa substitut du procureur famille », raconte Pierre Kerlévéo, généalogiste successoral. Il rencontre dans les années 1950 Lucie Chanat, une veuve de trente ans son aînée, descendante d’une famille de tripiers. Quelle est la nature de leur relation ? Mystère. Mais à son décès, en 1971, elle lui lègue trois maisons, dont la bâtisse du XVIIIe siècle de la rue Saint-Jacques. Depuis trois ans, de folles rumeurs couraient sur sa richesse, et une vingtaine de supposés héritiers s’étaient déclarés. Mais Alberto a dû vendre deux maisons pour payer les frais de succession. Ce bonhomme peu bavard, colombophile, s’est éteint chez lui, dans son petit lit, d’une mort naturelle… et sans fortune. L’ADN a confirmé le lien avec deux neveux, une nièce et un petit-neveu espagnols. « Ils sont heureux de pouvoir procéder aux funérailles, explique l’avocate lilloise des neveux, MariaRosa Garcia. Quand on a eu l’autorisation d’inhumer, l’émotion était forte. » A-t-il laissé un testament ? Pour le savoir, il faudra interroger le fichier, accessible à partir de l’acte de décès, enfin signé par la ville de Lille. Sa maison, souvent photographiée pour sa façade Arts déco, sera probablement vendue. Quant à son squelette, il est encore à l’institut médico-légal. Ses héritiers pourraient accepter que ses cendres rejoignent le caveau de Lucie Chanat. p laurie moniez france | 9 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 A droite, le fantasme de la «recomposition» J UST I C E Une partie de l’opposition n’exclut plus de gouverner avec le centre gauche en 2017 Le gendarme qui a tiré la grenade présumée responsable de la mort du militant écologiste Rémi Fraisse, en 2014, à Sivens (Tarn), a été placé vendredi 18 mars sous le statut de témoin assisté, ce qui écarte en l’état son renvoi devant un tribunal. suite de la première page Réélu en 2002 face à Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac n’avait pas ouvert sa majorité. A droite, certains pensent qu’il avait raté une opportunité et s’était condamné à un second quinquennat frileux. Pour mener à bien les réformes futures, la tentation de recomposer est réelle, notamment chez Alain Juppé. Dès janvier 2015, le candidat à la primaire le laissait entendre dans le Point : « Il faudra peut-être songer un jour à couper les deux bouts de l’omelette pour que les gens raisonnables gouvernent ensemble et laissent de côté les deux extrêmes, de droite comme de gauche, qui n’ont rien compris au monde. » Dans l’entourage de M. Juppé, nombreux sont des contempteurs du clivage gauche-droite. Au lendemain des régionales, Jean-Pierre Raffarin, un des principaux soutiens du maire de Bordeaux, s’est prononcé en faveur d’un « pacte républicain pour l’emploi », envisageable si la droite et la gauche travaillent ensemble. « Il nous faut combattre l’impuissance politique. Pour cela, le PS devrait rompre d’abord avec le Front de gauche puis avec ses frondeurs pour devenir un vrai parti social-démocrate. De notre côté, nous devrions regagner la confiance des électeurs en abandonnant les promesses intenables et les dérives populistes », expliquait alors au Monde l’ancien premier ministre. « Tous rassemblés pour en finir avec le chômage ! OK avec JeanPierre Raffarin », lui avait répondu M. Valls. Cette velléité d’union nationale est restée lettre morte. Le porte-parole de M. Juppé, Benoist Apparu, avait pour sa part demandé à M. Hollande, en avril 2013, de constituer un gouvernement d’union nationale « pendant dix-huit mois afin de mener dix réformes majeures ». Depuis son entretien au Point, Alain Juppé n’a plus jamais évoqué – du moins publiquement – la possibilité d’une recomposition. Avec la perspective de la primaire, il a au contraire durci son discours pour attirer l’électorat de droite. De meetings en déclarations fracassantes contre le voile à l’université, M. Sarkozy défend une ligne dure « S’il y a bien un moment où [l’ouverture] aurait du sens, c’est maintenant » CHRISTIAN ESTROSI président de la région PACA L’escapade québécoise de Marine Le Pen La présidente du FN part pour une semaine au Canada et à Saint-Pierre-et-Miquelon M arine Le Pen a promis de partir « à la rencontre des Français ». Y compris ceux installés de l’autre côté de l’Atlantique. La présidente du FN s’est envolée, vendredi 18 mars, pour un voyage de près d’une semaine, direction le Québec et Saint-Pierre-et-Miquelon. Au Canada, la députée européenne doit notamment rencontrer la communauté française, tenir une conférence de presse à l’occasion de la Journée de la francophonie, visiter une usine du constructeur aéronautique Bombardier, assister à un match de hockey et conduire un traîneau à chiens. Le déplacement a été préparé dans le plus grand secret. Mme Le Pen garde un mauvais souvenir de son voyage à New York, en 2011, durant lequel elle avait joué au chat et à la souris avec les médias, et peiné à rencontrer des personnalités politiques et diplomatiques de premier plan. Depuis, elle voyage à l’étranger sans journaliste. Une exception a été faite cette fois, puisque Paris Match a été invité à suivre la présidente du FN, qui est accompagnée par son compagnon Louis Aliot. Pas sûr pour autant que ce dispositif léger lui permette d’être reçue par des responsables politiques locaux : selon l’AFP, aucun élu ou parti politique n’a accepté de la rencontrer. A Saint-Pierre-et-Miquelon, Mme Le Pen va par ailleurs entamer une tournée des collectivités d’outre-mer qu’elle espère pouvoir mener à bien d’ici à la présidentielle. Si les dirigeants du FN se félicitent du fait que leurs scores décollent enfin dans certains départements, comme à La Réunion, ils reconnaissent que d’autres constituent encore de véritables terres de mission. Mme Le Pen, comme son père, n’a jamais posé un pied en Guadeloupe ou en Martinique dans le cadre de ses fonctions à la tête du FN. « Il y a un malentendu sur la question du racisme. Nous avons un chantier important à mener en amont d’un déplacement », assuret-on au FN. Avec ses 6 000 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon, au large du Canada, ne représente en cela qu’un échauffement. p olivier faye censée lui permettre de reconquérir ses électeurs d’autrefois récupérés depuis par le FN. Pourtant, au milieu des nombreux mea culpa exprimés dans son livre La France pour la vie (Plon, 264 p., 18,90 euros), il se félicite d’avoir pratiqué l’ouverture en 2007. « Si c’était à refaire, je referais le choix du rassemblement, car je crois sincèrement qu’il y va de l’intérêt de la France que le président ne se laisse enfermer ni par son parti ni par ses amis », écrit-il. « Débauchage » Entre ses déclarations moqueuses sur Emmanuel Macron et son inimitié avec François Bayrou, l’ancien chef de l’Etat ne se positionne toutefois pas vraiment comme un apôtre du rassemblement. Cela n’empêche pas ses plus proches amis de s’interroger. « J’essaie de le convaincre d’un certain nombre de choses. Il a été à un moment le chantre de l’ouverture en 2007. Et s’il y a bien un moment de la vie politique française où cela aurait du sens, c’est maintenant », détaille M. Estrosi, qui cite des personnalités comme M. Macron ou JeanYves Le Drian, « à 3 000 kilomètres de Cécile Duflot et à 3,5 m de nous ». Reste que cette tentation n’est pour le moment qu’une illusion, un rêve impossible à concrétiser avec les institutions de la Ve Répu- Les projets de loi Macron et El Khomri auraient pu être soutenus par LR, mais le jeu des appareils a imposé ses règles blique. Depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier, le président élu doit en effet rassembler son camp dès le soir du second tour. « Les législatives sont trop proches et la moindre concession au programme adverse serait sanctionnée comme une trahison de la campagne électorale, analyse Patrick Devedjian, député LR des Hauts-de-Seine. La seule solution est de faire du débauchage de personnalités qui n’est qu’un casting gouvernemental ou de découpler les législatives de la présidentielle. » Le clivage d’une Assemblée constituée sur une majorité présidentielle reprend vite le dessus. Récemment, les projets de loi Macron et El Khomri auraient ainsi pu être soutenus par LR, mais le jeu des appareils a imposé ses règles. Dans son livre, Et si on arrêtait les conneries (avec Hervé Algalarrondo, Fayard, 198 p., 17 euros), Da- niel Cohn-Bendit estime que le salut se trouve dans l’instauration de la proportionnelle. « Le second tour se fera face à Marine Le Pen. Le président élu n’aura pas une majorité positive mais une majorité contre le FN, comme François Hollande l’avait eue contre Nicolas Sarkozy. Il lui faudra donc accepter de trouver une majorité en dehors de sa famille politique. Et ce n’est possible qu’avec la proportionnelle, qui oblige à des compromis », affirme au Monde le député européen. L’équipe de M. Juppé reste totalement opposée à une modification du scrutin législatif. M. Apparu imagine plutôt des désistements mutuels en cas de triangulaires face au FN. L’abandon du « ni-ni » pourrait amener, selon lui, de meilleures relations à l’Assemblée. « Ça peut générer quelque chose », plaide-t-il. Au-delà des institutions, reste l’éternelle faille politique de l’ouverture. « La vraie difficulté dans l’idée d’une telle recomposition est que vous instituez le fait que le FN est la seule alternance possible. Nous avons besoin d’un combat idéologique face au PS et leur tropisme libéral n’est pas une bonne nouvelle pour nous », conclut Gérald Darmanin, vice-président du Conseil régional de NordPas-de-Calais-Picardie. p m. gr Sivens : le gendarme placé sous le statut de témoin assisté Un bailleur social condamné pour discrimination raciale Le bailleur social d’Ile-deFrance, Logirep, a été condamné, vendredi 18 mars, en appel à Versailles, pour « fichage ethnique » de ses locataires et discrimination raciale à l’encontre d’un candidat qui s’était vu refuser un appartement au motif qu’il était noir. Il a été condamné à 20 000 euros d’amende pour « fichage ethnique » et à 25 000 euros pour « discrimination », un délit pour lequel il avait été relaxé en première instance. Calais : l’incendie du centre juridique, un acte « criminel » Selon le bâtonnier de Lille, Vincent Potié, l’incendie du centre juridique situé dans la « jungle » de Calais et qui avait été épargné par le démantèlement est un acte « criminel » : « On a un témoin qui a vu un monsieur s’approcher, jeter quelque chose et partir en courant. » – (AFP.) L’UDI et Les Républicains en instance de divorce Jean-Christophe Lagarde a demandé aux adhérents de son parti, qui tient son congrès dimanche à Versailles, de refuser de participer à la primaire de la droite et du centre Q uand le parti Les Républicains (LR) s’est accordé sur le principe d’une primaire ouverte pour désigner son candidat à la présidentielle, il allait de soi que le processus devait intégrer les centristes, afin qu’un seul candidat se présente en 2017 pour ne pas risquer une élimination dès le premier tour face au FN et au PS. D’où l’appellation de « primaire de la droite et du centre ». Mais pour l’instant, la primaire ne concerne que la droite car l’UDI refuse de participer au scrutin des 20 et 27 novembre. Le président du parti centriste, Jean-Christophe Lagarde, a appelé les militants de son mouvement à se prononcer en faveur du boycottage de la primaire tant qu’un accord programmatique, gouvernemental et législatif ne sera pas conclu avec LR. Pour une fois, Hervé Morin se situe sur la même ligne que son rival interne. « Il est naturel et normal que l’UDI refuse – pour l’instant – de participer à la primaire », déclare le président du Nouveau centre, une des composantes de l’UDI, dans un entretien au Monde.fr. La position des dirigeants centristes devrait être sui- vie par les 23 000 adhérents de l’UDI, qui votent de mardi à samedi soir sur Internet. Les résultats seront proclamés lors du congrès du parti centriste, dimanche 20 mars, à Versailles. LR en ordre dispersé Dans un courrier envoyé le 18 janvier à Nicolas Sarkozy et à des personnalités LR, notamment Alain Juppé, M. Lagarde réclamait que les deux partis signent un accord sur des priorités communes (Europe, réduction de la dette), un accord de gouvernement (indépendance idéologique de l’UDI dans la future majorité) et un accord sur les investitures pour les législatives de l’ordre de ce qui avait été négocié sur les listes des régionales (entre 25 % et 35 %). Mais M. Lagarde n’a toujours pas obtenu de réponse de la part de M. Sarkozy et estime qu’il subit depuis des semaines les divergences de la droite : « C’est chez eux qu’il y a le bordel. Je ne peux pas gérer leurs difficultés. » Il a en partie raison. Tiraillée par les ambitions présidentielles, LR a avancé en ordre dispersé. S’il ne veut surtout pas d’une alliance programmatique avant la « Je ne fermerai jamais la porte à la discussion, mais je la fermerai toujours à la soumission » JEAN-CHRISTOPHE LAGARDE président de l’UDI primaire, M. Sarkozy était en revanche prêt à avancer sur la question des investitures. Mais il devait prendre en compte les réticences des candidats à la primaire, qui ne souhaitent pas que les investitures soient attribuées avant l’été. Le 7 mars, M. Juppé s’est dit disposé à nouer un accord programmatique mais refuse que les investitures soient avancées car il estime que le vainqueur de la primaire constituera sa future majorité. « Juppé n’a pas envie de se retrouver avec 30 ou 40 députés frondeurs, comme c’est le cas pour Hollande », explique un proche du maire de Bordeaux. Reste qu’un vote négatif des adhérents de l’UDI n’enterrerait pas définitivement la possibilité d’un accord. « Je ne fermerai jamais la porte à la discussion mais je la fermerai toujours à la soumission », confie M. Lagarde, précisant que les adhérents de son parti pourraient être amenés à revoter si jamais LR retend la main. L’autre option est d’attendre l’issue de la primaire et de commencer à négocier avec le vainqueur à la fin de l’année. « La messe n’est pas dite, juge M. Morin. Nous avons largement le temps de trouver un accord avec LR. » D’autant que la perspective de voir un candidat UDI se lancer dans l’élection présidentielle n’enchante personne à droite. Surtout M. Sarkozy, qui devra déjà composer avec la concurrence de François Bayrou – allié avec M. Juppé – s’il remporte la primaire. « Les centristes doivent bien réfléchir avant de prendre ce risque, prévient le député sarkozyste Daniel Fasquelle. Tout le monde a en tête ce qu’il s’est passé en 2002 à gauche, quand Jospin n’avait pas passé le premier tour à cause de Christiane Taubira. » p matthieu goar et alexandre lemarié 10 | GÉOPOLITIQUE 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Israël La filière américaine des colonies piotr smolar jérusalem - correspondant E lle avance pieds nus sur le sol glacial de son mobil-home, indifférente au vent qui rabat la porte d’entrée. Elle enlace ses enfants puis les laisse partir. Ils s’éloignent sous un ciel orangé, d’une profondeur presque inquiétante, pour rejoindre des amis. On fête un anniversaire. Matti Blumberg, 27 ans, prépare du thé. Le générateur bourdonne, un chien aboie, au loin. Le Massachusetts, où la jeune Américaine est née, semble si loin. Les vignes étendent leurs pieds sur les coteaux. Sur la colline d’Esh Kodesh, la nature domine les hommes. Mais les maisons en dur sortent peu à peu de la terre rocailleuse. Nous sommes sur l’un des cent avant-postes juifs en Cisjordanie, près de la colonie de Shilo. Les tensions sont fréquentes avec les villageois palestiniens voisins. Un avantposte, c’est de l’illégalité au carré. Même le gouvernement israélien ne reconnaît pas ces communautés sauvages qui croissent autour d’une poignée de caravanes ou d’habitations de fortune, tout en les aidant souvent sur le plan matériel. Au milieu d’Esh Kodesh, il y a une tour. Des soldats israéliens y font le guet, jour et nuit, symbole d’une duplicité d’Etat. Ne pas voir les colons, refuser de les écouter et d’examiner les bornes de leur circuit idéologique fermé, c’est l’assurance de ne pas comprendre la mutation d’Israël. Lorsque Yitzhak Rabin a été assassiné en 1995, ils étaient 140 000. « Un cancer », estimait déjà en privé le premier ministre, visionnaire, en 1977. Ils sont aujourd’hui près de 380 000, sans compter ceux de Jérusalem-Est. Leur poids politique – notamment dans le gouvernement actuel, le plus à droite de l’histoire du pays –, leurs relais, leur influence financière sont sans précédent. Personne, excepté une partie ultra-minoritaire de la gauche, n’envisage l’éviction de cette population. Fait remarquable : parmi eux, environ 15 % viennent des Etats-Unis, premier allié d’Israël, protecteur militaire, parapluie diplomatique. Soit des dizaines de milliers de personnes qui participent à la colonisation de la Cisjordanie, projet illégal au regard du droit international, compromettant toute solution politique au conflit. Matti Blumberg semble étrangère à tout questionnement culpabilisant. Fille d’une prof de karaté et d’un cadre du high-tech, elle Parmi les 380 000 juifs implantés illégalement en Cisjordanie, 60 000 viendraient des Etats-Unis. Si ces colons ont traversé l’Atlantique avec un idéal de vie commun, certains ont basculé dans la violence et le sionisme religieux n’a que 8 ans lorsque la famille fait son alya. Les débuts sont pénibles. « Je me sentais différente, décalée. On se moquait de mon accent », se souvient-elle. A 17 ans, elle décide de se marier avec un ami de son frère. Ils ont trois enfants, se séparent. Il y a quatre ans, la jeune femme s’installe à Esh Kodesh. « Il n’y avait alors que douze familles, il fallait faire grandir la communauté, dit-elle. C’est notre idéologie, notre mission, la croyance que Dieu nous a donné cette terre et qu’on doit la cultiver. » « TERRORISME JUIF » CONTRAIREMENT AUX JUIFS EUROPÉENS, QUI FUIENT LA MONTÉE DE L’ANTISÉMITISME, LES JUIFS AMÉRICAINS FONT UN CHOIX QUI RELÈVE DE L’ENGAGEMENT Petite femme menue au piercing dans le nez, Matti Blumberg fait des études de psychologie dans la colonie d’Ariel. Elle s’occupe aussi des questions administratives à Esh Kodesh. Elle est divorcée ; une rareté, dans ce milieu conservateur et religieux. Elle a demandé un permis de port d’arme pour se sentir plus en sécurité. « On me l’a refusé. On doit croire que je suis trop à droite », rit-elle. Les Palestiniens ? « Ils veulent nous tuer, pas obtenir un Etat. Ils ont déjà eu tellement d’occasions de l’avoir ! On a gagné la guerre, cette terre nous appartient. Pourquoi ne dit-on pas clairement que nous avons conquis la Judée-Samarie [appellation biblique de la Cisjordanie] ? Si un Etat arabe veut les accueillir, on devrait les aider à déménager. » « Terrorisme juif » : elle ne cille pas quand on prononce ces mots. « Il n’y a pas tant de terreur israélienne. Je peux comprendre d’où elle vient. » La jeunesse des collines radicalisée, ces dizaines de jeunes juifs en rupture totale, ne reconnaissant même pas l’Etat israélien ? « Ils ne dérangent personne, c’est comme une cabane d’enfants dans un arbre, assure-t-elle. Les autorités ne devraient pas les considérer comme des ennemis. » Le 31 juillet 2015, dans le village de Douma, près de Naplouse, le foyer d’une famille palestinienne a été volontairement incendié. Un bébé de 18 mois est mort, ses parents aussi. Amiram Ben-Uliel, 21 ans, a été inculpé pour les trois meurtres. Un mineur de 17 ans a été accusé de complicité et de conspiration. Il a la nationalité américaine. Deux jours après l’incendie, les autorités ont également arrêté Meir Ettinger, idéologue de la « jeunesse des collines », mouvance messianique extrémiste. A 24 ans, il est le petit-fils du rabbin américain Meir Kahane, fondateur du mouvement raciste Kach (interdit en Israël en 1994). Depuis le mois d’août, le jeune homme est en détention administrative, un régime habituellement réservé aux Palestiniens. La presse israélienne s’est interrogée sur la proportion d’Anglo-Saxons parmi ces extrémistes juifs violents. Ce n’est pas la première fois que des Américains apparaissent dans cette rubrique. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon né à Brooklyn, massacra 29 Palestiniens dans le caveau des Patriarches, à Hébron. Dès les années 1980, le Jewish Underground, organisation terroriste juive issue du mouvement des colons, avait organisé des attentats à la voiture piégée contre deux maires palestiniens. L’un de ses membres était américain. C’est à cette époque que le professeur Chaim Waxman s’intéressa aux colons d’outre-Atlantique. Il voulait vérifier la réalité de leur réputation, qui les associait souvent à la violence. Le professeur sillonna la Cisjordanie et la bande de Gaza, pénétra dans plus de cent foyers. Il découvrit une réalité bien plus nuancée. « Dans une très grande majorité, ces Américains étaient venus pour des raisons sociales et non politiques, dit-il. Ils cherchaient une communauté homogène, religieuse, pour élever leurs enfants. Je leur demandais systématiquement : si une telle communauté existait à l’intérieur de la ligne verte [ligne de démarcation de 1949], y vivriez-vous ? A une écrasante majorité, c’était oui. » Chaim Waxman souligne qu’à l’époque, la direction du Goush Emounim, le mouvement messianique parti Le financement, un tabou politique absolu combien coûtent les colonies chaque année ? Personne ne le sait, et le gouvernement israélien s’en félicite. Leur financement profite d’une opacité jalousement entretenue. Elle concerne à la fois les fonds publics, qui transitent par la division des colonies au sein de l’Organisation sioniste mondiale (OSM), et l’argent privé transféré par des fondations et des instituts sis outre-Atlantique. Sur le premier point, une députée travailliste, Stav Shaffir, a œuvré pour plus de transparence. Des progrès ont été accomplis. « L’OSM, organisme semi-public, a un budget officiel de seulement 52 millions de shekels [12 millions d’euros] pour développer les communautés dans les périphéries défavorisées, dit-elle. En fait, j’ai découvert que 74 % des fonds allaient dans les colonies, y compris les avant-postes. Les sommes réellement à disposition sont bien plus considérables. Par les transferts budgétaires décidés en commission des finances à la Knesset, ils ont en réalité un demi-milliard de shekels [115 millions d’euros] par an. Les colons, avec l’aide du gouvernement, ont créé des voies secrètes et illégales pour détourner l’argent des contribuables. » Concernant les financements en provenance des Etats-Unis, la pression monte pour mettre un terme aux privilèges fiscaux dont bénéficient les donateurs. A la mi-décembre 2015, une plainte a été déposée contre l’administration fiscale par trois binationaux. Le Trésor est accusé d’avoir « fermé les yeux sur la conduite criminelle » de 150 organisations impliquées dans le financement des colonies, et responsables à ce titre d’expropriations, de destructions, de meurtres et d’incendies volontaires. Selon la plainte, 1 milliard de dollars (900 millions d’euros) seraient ainsi rassemblés chaque année, dont un dixième destiné à l’armée israélienne. Des chiffres invérifiables. Une autre plainte a été déposée, le 7 mars, réclamant 34,5 milliards de dollars aux financiers des colonies. Ces démarches, dont les chances de succès paraissent faibles, posent néanmoins des questions embarrassantes. Les Etats-Unis ont plusieurs fois déclaré les colonisations illégales et obstacle majeur à la paix. Cela n’a pas empêché le ministère de la défense israélien d’annoncer, le 15 mars, quelques jours après la visite du vice-président américain Joe Biden, avoir saisi 234 hectares de terrain « déclarés terre d’Israël », dans la vallée du Jourdain, soit l’une des plus importantes prises de possession dans cette région stratégique de Cisjordanie. Des fonds en augmentation En Israël comme aux Etats-Unis, ce sujet reste un tabou politique absolu. Du 20 au 22 mars a lieu la conférence annuelle de l’Aipac (American Israel Public Affairs Committee), lobby pro-israélien qui veille aux rapports étroits entre les deux pays. C’est un rendez-vous politique incontournable. En 2010, le New York Times avait identifié 40 groupes ayant récolté plus de 200 millions de dollars en dix ans pour financer les colonies, en bénéficiant de déductions fiscales. Dans une enquête publiée début décembre 2015, le quotidien Haaretz a établi qu’entre 2009 et 2013, plus de 280 millions de dollars ont été levés aux Etats-Unis par 50 organisations pour financer les activités des colonies. Construction de synagogues et d’écoles religieuses, de routes et de terrains de jeux, mais aussi rachat de maisons palestiniennes dans des quartiers arabes de Jérusalem-Est, ou soutien aux familles d’extrémistes juifs : chaque année, depuis 2009, les fonds levés ont augmenté. Or ces organismes dits de charité ont bénéficié de déductions fiscales. Les colonies ne figurent pas sur la liste noire des causes auxquelles il est interdit de donner. Haaretz rappelle que l’administration américaine ne dispose pas d’informations complètes sur la destination des fonds. Les organisations se contentent d’écrire « Moyen-Orient » dans les formulaires. C’est ainsi qu’émerge un paradoxe étonnant : le contribuable américain finance indirectement les colonies, que les présidents successifs, démocrates et républicains, dénoncent sur le principe depuis des décennies. p p. sm. (jérusalem, correspondant) à la conquête de la « Judée-Samarie », « tenait les colons américains à l’écart, car ils étaient considérés comme trop ouverts, pas assez idéologiques et dédiés à la cause ». Chaim Waxman fut le premier à affirmer que ces Américains représentaient 15 % de la population des colons. Aujourd’hui, une jeune chercheuse, Sara Hirschhorn, de l’université d’Oxford, s’apprête à publier un livre sur l’histoire de ces immigrants depuis 1967 en Cisjordanie. Elle estime leur nombre à 60 000. Elle dit s’appuyer sur plusieurs sources, dont le consulat américain à Jérusalem. Contacté, celui-ci se refuse à confirmer le moindre chiffre. Les Français, eux, sont 9 000 à être enregistrés. Comme Chaim Waxman, Sara Hirschhorn veut écarter « les stéréotypes sur les colons américains, qui brûleraient des oliviers et se baladeraient avec des AK-47. La vraie histoire est plus complexe ». Selon la chercheuse, la première génération des arrivants était « à 95 % démocrate. Ils soutenaient le mouvement pour les droits civiques aux EtatsUnis, s’opposaient à la guerre au Vietnam. Ils étaient plus proches des hippies que des néoconservateurs. Aujourd’hui, ils viennent avec des familles plus larges et sont plus religieux ». L’adhésion massive au camp républicain ne daterait que de la dernière décennie. REGARDER LA FINALE DU SUPER BOWL Contrairement aux juifs européens, qui fuient souvent la montée de l’antisémitisme, les juifs américains font un choix positif, qui relève de l’engagement. L’esprit pionnier, du Far West au Middle East, et le sionisme religieux se nourrissent mutuellement. « Ce sont des personnes fortement idéologisées, explique Sara Hirschhorn. Alors que de nombreux colons israéliens sont d’abord motivés par un logement moins cher, eux franchissent l’océan parce qu’ils cherchent un mode de vie, une forme de communauté. » Beaucoup pourtant essaient de retrouver un environnement familier. Ils s’installent à la sortie de Jérusalem, dans le bloc de colonies du Goush Etzion, et notamment à Efrat, créée par un rabbin orthodoxe de New York, Shlomo Riskin. La proximité de la Ville sainte, les grands axes routiers, les centres commerciaux, le décor de banlieue aux allées soignées : un confort à prix raisonnable, en somme, malgré les attaques palestiniennes régulières. David Goel, 34 ans, est un grand barbu affable. S’il connaissait le rugby, il serait troisièmeligne. Lui se lève la nuit pour regarder le Super Bowl, la finale du championnat de football américain. Sa casquette est devenue son signe distinctif, qu’il arbore par tous les temps. David est arrivé en Israël après le lycée avec un ami. Ils cherchaient l’aventure, fuyaient la normalité. La période était sombre. La seconde Intifada commençait. Ils échappent de peu à l’explosion d’un bus, pensent à repartir. Et puis les deux jeunes hommes, qui ne parlent pas un mot d’hébreu, se rendent dans un poste de police. « Donnez-nous une arme ! » Ils veulent se porter volontaires. Refus. Motivés, ils intègrent une école religieuse dans la colonie de Shilo, avec un programme militaire, puis font leur service. « Il n’y avait pas de volontaires américains. On nous regardait comme des cinglés, surtout les laïques. » Un bref retour aux Etats-Unis convainc David : sa vie sera en Israël. Il y rencontre sa femme, étudie l’architecture. Il s’installe à Shilo, où il commence à travailler comme agent de sécurité. Aujourd’hui, il dirige le centre de géopolitique | 11 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Esh Kodesh, un avant-poste de la colonie de Shilo, en Cisjordanie. Matti Blumberg, 27 ans, avec l’un de ses enfants. Cette Américaine, née dans le Massachusetts, est arrivée en Israël à l’âge de 8 ans. Matti Blumberg vit avec ses trois enfants dans ce mobil-home d’Esh Kodesh. La jeune divorcée s’est installée ici, il y a quatre ans, pour « faire grandir la communauté ». commandement pour toute la région de Benyamin. Les appels d’urgence passent par ici. Un mur d’écrans et d’ordinateurs permet de surveiller les axes stratégiques. En cas de crise, David Goel coordonne la réponse avec les militaires et les ambulances. Son équipe a créé une application inédite pour portables, servant à repérer à tout moment l’emplacement des abonnés sur la route ou ailleurs. « PATRIOTE ISRAÉLIEN » « Je suis très patriote, dit-il. Mon patriotisme américain m’a aidé à devenir patriote israélien. Dans le Sud, où j’ai grandi, la Constitution est comme un texte saint. » David Goel est un colon comme un autre : il ne croit pas à la solution de deux Etats, avec les Palestiniens. « Si vous me disiez : demain, il y a une solution pour qu’aucun juif ne meure, je déménagerais à Haïfa ou à Tel-Aviv. Mais c’est impossible. Les Palestiniens devraient devenir citoyens israéliens avec le droit de vote. Comme américain, je considère qu’il n’y a pas de taxation sans représentation. Il faut leur donner leurs droits. » Mais pas d’Etat. Tellement divers, les colons américains n’ont pas de porte-parole particulier dans la sphère publique. Naftali Bennett, le leader du parti extrémiste le Foyer juif, né de parents américains, est évidemment un relais important. On retrouve aussi des binationaux auprès des institutions qui représentent les colons : ils sont la voix avenante et polyglotte d’un projet niant les droits palestiniens sur la terre. Mais, dans l’ensemble, cette communauté américaine se fond dans la masse des colons, sans chercher à faire entendre une partition décalée. David Ben-Meir en est un bon exemple. Né à Chicago dans un foyer très religieux, d’un père enseignant, survivant de la Shoah, et d’une mère déportée en Sibérie, il décide de partir en Israël après le lycée. « J’ai grandi aux EtatsUnis, mais je ne me sentais pas américain. Je suis très reconnaissant à ce pays de m’avoir accueilli. Je n’avais jamais été en Israël avant mon arrivée, en 1975. Je me suis senti chez moi, malgré la différence culturelle. C’était ma façon de vivre mes croyances, plutôt que d’être un idéologue dans une chaise à bascule. » Arrivé avec sa femme, rencontrée au lycée, il déménage souvent, avant de finir par s’installer dans la colonie d’Elie (3 800 habitants), il y a onze ans. David Ben-Meir est chargé de la formation religieuse des jeunes colons qui ont fini l’armée : l’apprentissage du Talmud et la discussion de son sens. Dans la grande salle d’études, les têtes sont inclinées devant des rangées de livres. Certains psalmodient dans un murmure, d’autres s’isolent avec des écouteurs d’iPhone. Le rabbin ne part jamais en vacances, n’a pas de voiture et revendique comme seule richesse ses neuf enfants et ses livres. Il a une passion pour la guerre civile américaine. Doté d’un solide sens de l’humour – il pose un instant pour la photographe du Monde en mettant les bras en croix –, c’est d’abord un promoteur redoutable des colonies, jonglant avec l’Histoire et les références religieuses. « Il y aura à la fin un seul Etat ici, Israël. Les Arabes seront une minorité avec au départ le titre de résident, le droit de vote aux élections locales. La citoyenneté se mérite, se demande, on ne peut la donner à celui qui veut nous détruire. » L’expropriation des terres palestiniennes ? Un malentendu juridique, à l’en croire. « On a pris la terre qui était sans définition. » « UNE EXISTENCE JUIVE PLUS INTENSE » David Ben-Meir n’a jamais voté aux élections américaines. Il ne se sent pas engagé par le destin de ce pays. Ses enfants n’ont pas appris l’anglais. Elie Pieprz, lui, serait l’exemple inverse. Son hébreu est balbutiant. Il continue à travailler entre les Etats-Unis et Israël, tout en vivant dans la colonie d’Alon Shvout, dans le bloc du Goush Etzion. Elie Pieprz a été jusqu’en 2015 porte-parole du conseil de Yesha, l’instance représentant les colons. Sa trajectoire professionnelle, aux Etats-Unis, l’a conduit à faire du lobbying et du conseil. Par exemple, cite-t-il, auprès du maire de New York, Rudolph Giuliani, lors de sa première élection. Puis il a emménagé à Seattle, où il s’est familiarisé avec le secteur de l’immobilier et a travaillé pour Microsoft. Son départ Mer Méditerranée Naplouse CISJORDANIE Ariel Tel-Aviv Shilo Esh Ramallah Jérusalem Kodesh Efrat GAZA Hébron ISRAËL Mer Morte JORDANIE Tanya Habjouqa Membre fondateur du collectif Rawiya, qui regroupe six femmes photographes basées au Moyen-Orient, Tanya Habjouqa, née en 1975 en Jordanie, a couvert les conflits irakien et libanais ainsi que la guerre au Darfour. Elle a reçu, en 2014, un World Press Award pour sa série « Occupied Pleasures » retraçant des moments particuliers de la vie quotidienne à Jérusalem, à Gaza et en Cisjordanie. « J’aime travailler sur le long terme, dit-elle, je soutiens que les bons journalistes sont aussi de bons anthropologues. » Depuis 2009, elle habite Jérusalem-Est. Jourd ain PHOTOS : TANYA HABJOUQA POUR « LE MONDE » 15 km vers Israël correspond au désir d’« avoir une existence juive plus intense ». Elie Pieprz est maintenant consultant. Il aide des organisations américaines et des entrepreneurs privés à monter des séjours de travail en Israël. La politique israélienne, promis, il n’y touche pas. Mais en 2012, la presse israélienne a parlé de lui en raison de la campagne « I Vote Israel », dont il fut l’animateur. Il s’agissait de recenser et de mobiliser les électeurs binationaux pour la présidentielle américaine et de désigner le maximum d’élus pro-Israéliens au Congrès. L’opacité du financement fut telle que beaucoup y ont vu une opération républicaine, ce que nie Elie Pieprz. Il a pourtant des liens étroits avec la droite américaine, sans s’impliquer toutefois cette année dans une opération similaire. « On voulait que ces citoyens américains gardent une connexion avec les Etats-Unis, assure-t-il, car c’est bon pour les relations bilatérales. En ayant beaucoup d’électeurs dans certains districts, comme à New York ou dans le New Jersey, Israël n’est plus une question de politique étrangère mais de politique intérieure. » L’idée principale, ici comme dans son pays d’origine, est de défendre le droit des juifs à vivre et à construire partout. « Considérer notre présence comme un obstacle à la paix est ridicule, dit-il, en dépit de l’évidence contraire. Il n’y avait pratiquement rien avant que les juifs n’arrivent en Judée-Samarie. » p 12 | géopolitique 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Une journée ordinaire sur la route des Balkans Le 14 mars 2016 Chaque jour, des milliers de réfugiés tentent de rallier l’Europe occidentale, passant par de nouveaux chemins au gré des vicissitudes politiques. Instantané en date du lundi 14 mars 50 000 MIGRANTS ENGAGÉS DANS UNE ODYSSÉE PÉRILLEUSE... La route des Balkans, principal couloir migratoire toléré par les Etats, dont portion considérée comme fermée depuis mars 2016 XX Migrants entrés dans le pays, ayant traversé la frontière E S P A C E S C H E N G E N ALLEMAGNE Destination privilégiée des migrants, l’Allemagne a été priée par l’Autriche d’instaurer à son tour des quotas de réfugiés pour les dissuader de se lancer sur la route des Balkans Risques (bulletin météorologique du 14 mars) de noyade, forts vents et mer très agitée d’hypothermie, basses températures fortes pluies, rivières en crue à traverser sanitaires, forte concentration humaine Vers l’Allemagne et les pays scandinaves ... BLOQUÉS PAR DES ÉTATS QUI ONT VERROUILLÉ LEURS FRONTIÈRES... Frontière fermée aux migrants depuis mars 2016, sauf exception « humanitaire » et demandeurs d’asile dans le pays concerné AUTRICHE 211 HONGRIE 384 Barrière anti-migrants construite depuis août 2015 0 Barrière envisagée 51 SLOVÉNIE ROUMANIE Barrière installée avant 2015 XX Pays instaurant des quotas journaliers de migrants autorisés à passer 267 CROATIE 0 HONGRIE - SLOVÉNIE SERBIE NOMBRE DE MIGRANTS ENTRÉS, PAR JOUR, EN MILLIERS Route migratoire alternative, peu empruntée, pouvant enregistrer un report massif des flux détournés de la route des Balkans 2 000 BOSNIEHERZÉGOVINE ... ET PIÉGÉS EN GRÈCE Iles grecques situées à quelques kilomètres de la Turquie, premiers points d’entrée dans l’espace européen 15 2 1 Hongrie Slovénie BULGARIE 0 MONTÉNÉGRO MACÉDOINE 3 5 4 24 AOÛT 2015 14 MARS 2016 Confrontée durant l’été à un afflux migratoire majeur, la Hongrie décide de fermer sa frontière avec la Serbie (1), ce qui entraîne un report du flux vers la Croatie, avant de bloquer également sa frontière avec ce pays. Les arrivées chutent en Hongrie. Les migrants se dirigent alors massivement vers la Slovénie (2). Lorsque l’Autriche décide d’appliquer des quotas journaliers, la Slovénie, qui craint de devenir le goulot d’étranglement de la route des Balkans, fixe à son tour des quotas (3). Elle décide ensuite de verrouiller sa frontière (4), sauf pour les cas « humanitaires » et pour ceux qui souhaitent lui demander l’asile. Idomeni, village frontalier accueillant un camp de fortune, goulot d’étranglement 1 345 0 267 Istanbul Idomeni ITALIE 0 Frontière de l’espace Schengen de libre circulation des personnes 79 migrants renvoyés en Macédoine par la Serbie KOSOVO 10 Mer Noire Migrants présents dans le pays, en attente de poursuivre leur route ALBANIE Pouilles Mer Egée GRÈCE E S P A C E S C H E N G E N AUTRICHE NOMBRE DE MIGRANTS ENTRÉS, PAR JOUR, EN MILLIERS 1 LESBOS 44 500 TURQUIE CHIO Plus de 12 000 migrants attendent de poursuivre leur route dans un camp de fortune surpeuplé. Ce 14 mars, plusieurs centaines d’entre eux tentent de contourner le blocus mis en place par la Macédoine. 1 500 y parviennent avant d’être interceptés et refoulés en Grèce. Trois Afghans meurent noyés sans une rivière gonflée par les fortes pluies. AthènesLe Pirée En provenance d’Irak, d’Afghanistan, d’Iran 4 228 SAMOS COS 661 migrants interceptés ou secourus SYRIE 15 2 LIBAN 10 Mer Méditerranée 5 3 JORDANIE 0 24 AOÛT 2015 14 MARS 2016 Après avoir accueilli, à l’instar de l’Allemagne, des milliers de migrants et avoir connu des afflux record (1), Vienne durcit le ton. D’abord en rétablissant (2) les contrôles à ses frontières, puis en fixant un quota d’entrées (3). Une décision qui entraîne une réaction en chaîne en Slovénie, Croatie, Serbie et Macédoine. L e nom sonne comme une réminiscence des années 1990, celles de l’exil forcé de centaines de milliers de civils yougoslaves fuyant les guerres de la région. Vingt ans plus tard, les familles syriennes ou afghanes portant enfants et bagages les ont remplacés. La route des Balkans est à nouveau synonyme d’exil et d’incertitudes. Dans la foulée des « printemps arabes », en 2011, l’Europe a les yeux braqués sur la Méditerranée du Sud et les drames qui se jouent à Melilla ou au large de Lampedusa. Les noms d’Idomeni, Lesbos ou Keleti, la gare de Budapest, ne sont pas encore devenus les symboles de l’immense crise migratoire à venir. Pourtant, quelques centaines de personnes empruntent déjà la route des Balkans. Venus du Maghreb ou du Moyen-Orient, les migrants En provenance d’Afrique subsaharienne 100 km SOURCES : UNHCR ; AFP ; LE MONDE rallient Istanbul, avant de traverser le fleuve Evros, frontière naturelle entre la Turquie et la Grèce, et de s’éparpiller sur les voies conduisant à l’Europe occidentale. Ils s’y mêlent aux Albanais et aux Kosovars, depuis longtemps familiers de ces passages. SE DÉBARRASSER DES INTRUS Les Etats balkaniques n’ont alors qu’un objectif : se débarrasser, vite et discrètement, des intrus. En Macédoine, les transports publics sont interdits aux migrants, désormais contraints de se déplacer à pied, mais les refoulements à la frontière et les arrestations restent rares. L’afflux de réfugiés venus de Syrie change la donne. Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, 856 723 migrants ont débarqué en 2015 sur les côtes grecques – Syriens à 55,2 %, Afghans à 24,7 % et Irakiens à 10,8 %. Les naufrages en mer Egée sont quotidiens, des camps de fortune éclosent dans les Balkans. Le problème devient européen, et la route des Balkans va subir le contrecoup des politiques successives adoptées par les pays de destination. En septembre 2015, quand l’Allemagne ouvre ses portes, jusqu’à 20 000 personnes transitent chaque jour par les Balkans, en bus ou dans des trains spéciaux. A l’inverse, la décision de l’Autriche, en février 2016, de n’accueillir que 80 personnes par jour et de n’en laisser passer que 3 200 provoque un engorgement dans le sud-est de l’Europe. Au gré de ces revirements, la route se fait entonnoir ou cul-de-sac. Quand, fin août 2015, la Hongrie ferme sa frontière avec la Serbie et y érige une clôture, les migrants se reportent sur le passage par la Croatie. Puis c’est au tour de la Slovénie de faire face à l’afflux. Le 9 mars, celle-ci ferme ses portes. Dans le même temps, les Etats des Balkans s’accordent pour bloquer presque intégralement la frontière gréco-macédonienne. C’est désormais à la seule Grèce, où près de 50 000 personnes se retrouvent piégées, d’assumer le fardeau. En attendant une solution européenne qui tarde à venir. Des anciens passages ont depuis rouvert : Bulgarie, Roumanie, Albanie…, voire le passage par mer vers les Pouilles. Cette perspective inquiète l’Italien Matteo Renzi ou le Bulgare Boïko Borissov. Ce dernier a prévenu la presse, avec une candeur déconcertante : « Si vous continuez à leur demander s’ils comptent passer par la Bulgarie, évidemment qu’ils finiront par venir ! » p benoît vitkine carte : francesca fattori, véronique malécot et delphine papin géopolitique | 13 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Manuel Cuesta Morua «Obama est plus populaire parmi les Cubains que les Castro» Le président américain est attendu à Cuba du 20 au 22 mars. A l’occasion de cet événement historique chargé d’espoir, le chef du parti dissident Arc progressiste explore les perspectives politiques et économiques du pays KCHO ESTUDIO COURTESY GALERIE LOUIS CARRÉ & CIE ENTRETIEN propos recueillis par paulo a. paranagua L’ historien afro-cubain Manuel Cuesta Morua, 54 ans, est le dirigeant du parti social-démocrate Arc progressiste et l’une des références de l’opposition intérieure à Cuba. Lors du sommet des Amériques, au Panama, en avril 2015, il fut l’un des deux représentants de la société civile cubaine, encore embryonnaire, reçus par Barack Obama. Nous avons pu le joindre au téléphone à La Havane, où il réside. Quelle attente suscite la visite du président américain à Cuba, du 20 au 22 mars ? La visite de Barack Obama a une énorme portée symbolique : les Etats-Unis cessent d’être l’ennemi historique dénoncé dans les médias et le système éducatif de Cuba depuis cinquante-six ans. Dans la population, l’attente est immense. Les Cubains attendent Obama comme le Messie, quelqu’un qui a redonné du sens à l’espoir. Comme l’avait demandé le pape Jean Paul II [en 1998], les Etats-Unis se sont ouverts à Cuba, et réciproquement. Obama est plus populaire parmi les Cubains que leurs propres dirigeants, Raul Castro [84 ans], ou même Fidel Castro [89 ans]. Les expectatives vont de la solution des problèmes de la vie quotidienne jusqu’à la pleine réconciliation avec les Etats-Unis, où vit un Cubain sur cinq. Notre société civile estime que le dégel favorise le débat interne sur les réformes nécessaires. L’embargo américain doit être levé sans contrepartie. Mais cette levée embarrasserait le gouvernement cubain, dont l’action manque de profondeur et de cohérence. Sans l’excuse d’une pression extérieure, il serait obligé de reformuler son modèle économique. JOE RAEDLE/AFP Depuis le 17 décembre 2014, date de l’annonce du rapprochement entre les deux voisins ennemis de la guerre froide, qu’est-ce qui a changé à Cuba ? L’ambiance est plus détendue, la peur recule, les gens n’hésitent plus à exprimer leurs opinions en public, même si nous sommes encore loin d’avoir une opinion publique digne de ce nom. La mise en œuvre des changements annoncés est extrêmement lente. Ainsi, à peine 11 contrats d’investissement étranger ont été approuvés par le gouvernement, sur 400 sollicitations, pourtant considérées comme des priorités. On est loin du compte en matière de sécurité juridique, droit de propriété, liberté d’embauche, règlement des litiges. La microentreprise bénéficie d’une ouverture, avec la multiplication de restaurants, l’hébergement de touristes à domicile, les services informatiques, la téléphonie mobile ou encore les taxis privés. Mais les autoentrepreneurs et les travailleurs indépendants souffrent de la pression d’impôts confiscatoires, qui limitent l’initiative privée. Dans les périphéries urbaines, ces opportunités n’existent pas. Faute de voitures ou de logements pour les touristes, la communauté afro-cubaine est la grande perdante de l’ouverture. Les vendeurs ambulants, souvent noirs, sont harcelés par les policiers. Le bien-être croissant d’une minorité s’accompagne de plus de pauvreté pour la majorité, surtout pour les populations vulnérables comme celle des retraités. Cela signifie davantage d’inégalités. Depuis que Raul Castro a pris le relais de Fidel Castro, en 2006, quels sont les changements positifs ? L’achat et la vente autorisés dans l’immobilier ont un impact sur les droits civiques et sur l’économie, car ils génèrent de la richesse. De même, l’achat et la vente de voitures, après des décennies d’attributions discrétionnaires et de restrictions. La liberté pour les Cubains d’entrer et sortir du pays, ainsi que l’extension à deux ans du permis de résidence à l’étranger, est une autre avancée. Tout comme l’autorisation de s’établir à son compte, élargie à 187 activités, même si cette possibilité reste fermée aux professions libérales : médecins, avocats, architectes, ingénieurs, enseignants universitaires, scientifiques, en dépit de leur fort potentiel de dynamisme économique. Et les aspects négatifs ? Malgré ces changements, nous avons vécu une décennie perdue. La remise de terres en usufruit n’a pas eu les résultats escomptés, car la production agricole bute sur des prix et des marchés insuffisants. Comme il n’y a pas de réformes structurelles, la stabilité économique et sociale est toujours absente. « Monumento final » (2016), sculpture en bois, de Kcho. Kcho Le parcours de ce diplômé de l’Ecole des arts plastiques de La Havane révèle un double engagement : celui de Kcho, l’artiste, et celui d’Alexis Leyva Machado (son vrai nom), l’homme politique cubain. Il est en effet député de l’île de la Jeunesse (municipalité spéciale de Cuba), où il est né en 1970. Au centre des créations de l’artiste, le thème de la mer. « Elle est la frontière invisible, ditil. Je sais aussi à quel point elle compte pour tous les Cubains, avec toutes les histoires qu’elle recèle. » Une exposition est consacrée aux œuvres de Kcho, à la galerie Louis Carré & Cie, à Paris, du 20 mai au 2 juillet. L’institutionnalisation promise par Raul Castro à travers le Parti communiste de Cuba [PCC, parti unique] et l’Assemblée nationale n’a pas eu lieu. Certains changements ne respectent même pas la Constitution. Faute de consensus sur la redistribution des richesses, la visibilité et la permissivité dont jouit l’élite au pouvoir constituent un scandale. Cuba se « latino-américanise ». En même temps, la société civile subit une répression accrue. La Commission cubaine pour les droits de l’homme et la réconciliation nationale [affiliée à la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, FIDH] a enregistré 8 616 interpellations d’opposants en 2015. Fidel Castro frappait plus fort, certes, mais de manière plus ciblée, car il avait confiance en son pouvoir. Maintenant, les autorités ne respectent ni la loi ni les institutions. Que faut-il attendre du 7e congrès du PCC, au mois d’avril ? Le congrès devra déterminer les formes de la succession en 2018, échéance à laquelle Raul Castro s’est engagé à céder la place. Il a reconnu ainsi qu’il n’avait pas les conditions idéologiques et physiques pour mener à son terme les réformes nécessaires. Il faut donc un autre leadership. On a évoqué une nouvelle loi électorale, qui devrait institutionnaliser la succession et séparer le PCC du gouvernement, mais on ne sait encore rien sur le sujet. A peine 21 % des résolutions du précédent congrès de 2011 ont été appliquées : autant dire que les délégués devront décider d’aller plus loin ou pas, ce qui implique une discussion sur les orientations économiques. Enfin, comment gérer la normalisation des relations avec les Etats-Unis ? Obama offre davantage d’ouverture, mais il ne reçoit aucune réponse positive. On parle d’une multiplication des vols entre les deux pays, mais à La Havane prédomine l’immobilisme, en attendant 2018. Le successeur désigné est le vice-président Miguel Diaz-Canel, 55 ans. Raul Castro restera-t-il en retrait, comme son frère aîné Fidel ? Je ne le pense pas, car le général Raul Castro, ministre des forces armées durant un demi-siècle, a la main sur le principal soutien du pouvoir : les militaires. Des officiers supérieurs contrôlent le bureau politique du PCC. Outre le pouvoir politique, ce sont des militaires qui dirigent l’économie, à travers les secteurs stratégiques comme le tourisme, le port de Mariel, la corporation Cimex, etc. Diaz-Canel sera juste le nouveau visage du pouvoir. Raul Castro restera une sorte de grand électeur, qu’on consultera sur l’essentiel, même s’il n’occupe plus le devant de la scène. La « génération historique », arrivée au pouvoir en 1959, fera-t-elle un pas de côté ? Les dirigeants émergents, plus jeunes, exercent le pouvoir à l’échelle municipale ou provinciale, mais ils n’ont pas d’autonomie de décision. Raul Castro a toujours le dernier mot. José Ramon Machado Ventura [85 ans] tient encore le PCC. Je dirais que la vieille génération se retire lentement. La relève générationnelle sera graduelle. Mais il ne faut pas oublier que, à Cuba, depuis 1959, le vrai pouvoir est derrière le rideau. Pensez-vous qu’il y aura une transition négociée vers la démocratie ? La question se posera sans doute après 2018. Pour l’instant, il est trop tôt, les conditions ne sont pas réunies pour un débat plus ouvert. Je ne crois pas à une révolution, et je ne la souhaite pas. Le gouvernement fera inévitablement partie de la discussion sur la transition, qui sera à mon avis progressive, institutionnelle. Je suis convaincu des vertus du dialogue et de la négociation. Mais à l’heure actuelle, les autorités ont pour objectif de liquider l’opposition, même si elles n’en ont pas les moyens. La dissidence n’est-elle pas dépendante de l’argent de l’étranger et notamment des Etats-Unis, comme le dit le régime ? L’aide internationale à la société civile fait partie de l’histoire des démocratisations à travers le monde. Cuba tout entière dépend de l’extérieur. La Havane sollicite l’investissement étranger pour remettre sur pied une économie exsangue. Le gouvernement cubain n’a aucune légitimité pour invoquer la souveraineté à ce propos, puisqu’il a une longue tradition d’ingérence dans les affaires d’autres pays, y compris par des voies violentes. L’opposition est-elle condamnée au simple rôle de témoignage sur les violations des droits de l’homme et l’absence de libertés ? Nous avons désormais davantage de visibilité, nos propositions sont prises en compte dans les forums de débats. Internet, les réseaux sociaux, les téléphones portables compensent un peu la censure des médias officiels, seuls autorisés. L’opposition, regroupée autour d’une Table de l’unité d’action démocratique, tente de surmonter ses divisions. Nous avons créé une plate-forme pour un Autre 2018 (#Otro18), qui proposera des candidatures indépendantes du PCC pour les prochaines législatives. Nous prônons une réforme de la législation électorale et de la loi des associations. Nous voulons des élections libres, plurielles, démocratiques, avec des observateurs internationaux, ouvertes à la diversité politique, car la Constitution n’interdit pas l’existence d’autres partis. Cet objectif rejoint celui de nombreux Cubains. La Cuba officielle ne reflète pas la Cuba réelle. p CULTURE 14 | 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 THÉÂTRE Huppert : « Le théâtre, c’est un hold-up » La comédienne retrouve la scène de l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris pour deux mois. Un exercice qui, dit-elle, « vous prend tout, le corps et le cerveau » ENTRETIEN A u fil des ans, l’Odéon-Théâtre de l’Europe est devenu le théâtre d’Isabelle Huppert. C’est là qu’elle a joué la plupart de ses grands rôles, avec Peter Zadek, Bob Wilson, Luc Bondy ou Krzysztof Warlikowski. En ce printemps 2016, elle retrouve le metteur en scène polonais, qui l’avait dirigée dans Un tramway, d’après Un tramway nommé désir, de Tennessee Williams, en 2010. Après avoir été Blanche DuBois, elle devient « Phèdre(s) ». Une Phèdre plurielle, où se croisent les écritures contemporaines de Wajdi Mouawad, Sarah Kane et J. M. Coetzee. Qui sont ces trois Phèdre ? Celle de Wajdi Mouawad, qui s’est inspiré de Sénèque et de Sophocle, est une Phèdre émigrée, confrontée aux massacres de son temps ; une Phèdre géopolitique, en somme, qui vit dans les souvenirs de son déracinement, de visions d’horreur de l’humanité. La Phèdre de Sarah Kane est totalement différente : uniquement chevillée à son désir fou, son désir sexuel, jusqu’à en mourir. Celle de Coetzee, extraite du roman Elizabeth Costello, est une intellectuelle qui discourt sur le désir féminin ; elle a appris à tenir le sien à distance, et à s’y perdre aussi, mais pas au point d’en mourir ; elle ne subit plus ses pulsions, qu’elle a réussi à analyser. Quel est leur point commun sur l’amour entre Phèdre et Hippolyte, son beau-fils ? Dès le départ, cet amour est décrété comme invivable, et vécu par tout le monde comme un interdit absolu, quelque chose de scandaleux et d’irrépressible. Mais ce que l’on éprouve surtout, à travers les différentes écritures de la pièce, c’est la brûlure du désir. Cette version à trois voix ne revient pas tellement sur les circonstances qui entourent l’amour de Phèdre et Hippolyte. Elle montre avant tout la force d’un amour impossible à vivre. Cette situation est vieille comme le monde. On la connaît depuis toujours, mais là, elle est racontée différemment. C’est cela qui est intéressant. L’écriture de Wajdi Mouawad n’a rien à voir avec celle de Sarah Kane, qui n’a rien à voir avec celle de Coetzee. Elles ne fabriquent pas de sentiments différents, mais des sensations différentes, et, partant de là, des modes de jeu différents, des expressions différentes. Pour une fois, il y a un regard de femme sur Phèdre, celui de Sarah Kane… Absolument. Et ce regard, ce qui n’est pas pour nous étonner de la part de Sarah Kane, est le plus violent. Il donne à voir ce qu’il y a de plus inavouable dans cet amour. Inavouable parce qu’incestueux ? C’est un inceste symbolique. Phèdre trahit l’amour pour son mari, Thésée, en aimant Hippolyte. Elle vit son amour sous le signe d’un interdit social, dont elle se défend et qu’elle revendique, dans la pièce de Wajdi Mouawad. Quand on lui dit : « C’est le fils de ton mari », elle répond à chaque fois : « Ce n’est pas mon fils. » Elle soulève la question et essaye de se censurer de cette manière. Mais en même temps, elle dit : « Même si c’était mon propre fils, j’agirais de la même manière. » Elle est capable d’opposer ses arguments, mais cela ne la soulage pas pour autant. Elle vit son amour de la façon la plus tragique qui soit. « WARLIKOWSKI DEMANDE D’ALLER CHERCHER DES CHOSES TRÈS LOIN, DES CHOSES INAVOUABLES, QU’ON NE FAIT JAMAIS, QU’ON NE DIT JAMAIS » ISABELLE HUPPERT comédienne Médée, Blanche DuBois, Phèdre, toutes sont sur des chemins qui mènent vers l’impossible. Quand on est comédienne, à quoi cela oblige-t-il de jouer de tels rôles ? Je crois que ça n’oblige à rien. Au contraire, ça autorise. Je ne vois pas ces rôles sous l’angle de fardeaux. C’est plutôt libérateur et assez excitant d’avoir à montrer des sentiments aussi extrêmes. Quand on les joue, on ne pense pas tellement au fait que Médée tue ses enfants et que Phèdre aime son beau-fils. Cela devient de l’anecdote, si je peux dire, par rapport à ce que l’on veut traduire : une émotion indicible. L’émotion d’être au monde, tout simplement. C’est ce que le théâtre donne à voir, pas la plupart du temps, mais quand il cherche à nous émouvoir, à nous perturber. Phèdre représente le tiraillement constant entre deux pôles, deux extrêmes, l’amour et la mort, Eros et Thanatos, comme le dit Coetzee, que nous subissons et qui nous portent. C’est une histoire et un rôle formidables pour exprimer et nous aider à supporter ce tiraillement constant. Surtout dans la mise en scène de Warlikowski. Est-ce lui qui est à l’origine du projet, ou vous ? C’est lui. Je ne pensais pas à Phèdre d’une manière précise. J’y pensais de loin, je ne l’excluais pas du tout. Mais Racine n’était pas forcément au premier plan des auteurs que j’espérais jouer. Peut-être parce que je pensais que je ne pouvais pas l’aborder, ou parce que son théâtre est empreint d’un classicisme et d’une convention dont on pense qu’il est vraiment difficile de s’affranchir. Finalement, Phèdre est arrivée sous cette forme, très particulière, choisie par Warlikowski. Cela faisait un moment qu’il voulait monter ces Phèdre, au pluriel. Il n’a jamais été question avec lui de jouer une Phèdre. Comme il l’avait fait avec Blanche DuBois dans Un tramway, il part d’une figure que l’on connaît, puis il nous mène vers des confins éloignés, afin de mieux nous ramener à cette figure. Au moins, avec lui, on est sûr de s’affranchir de la convention. Qu’aimez-vous particulièrement dans le travail avec ce metteur en scène ? D’abord, ce qui me plaît, c’est de travailler de nouveau avec lui. C’est toujours très agréable et réjouissant de recommencer avec un metteur en scène qu’on connaît. Et, dans son cas, ce qui m’a plu la première fois, avec Un tramway, me plaît plus encore la deuxième : Warlikowski est « no limit », il a une liberté incroyable, aucun tabou. Il demande, et donne la possibilité, d’aller chercher des choses très loin, des choses inavouables, qu’on ne fait jamais, qu’on ne dit jamais, surtout au début du travail. On peut s’en débarrasser, à un moment ou à un autre, mais on part de là. Warlikowski est-il directif ? Pas du tout. Il n’indique rien de précis, mais il a besoin de voir des images, très vite, avec des détails. Il aime visualiser ce que vont être les personnages, que ce soit moi ou ceux qui m’entourent dans Phèdre(s), où il y a plusieurs Hippolyte, la fille de Phèdre et d’autres encore, mais je ne veux pas tout dévoiler. Dès le début, Warlikowski aime connaître des détails pratiques, comme le rouge Une Phèdre d’aujourd’hui, plurielle et unique Furie, pute, épouse royale, migrante, belle-mère, mère… Isabelle Huppert bouleverse dans la pièce mise en scène par Krzysztof Warlikowski Q THÉÂTRE ui peut, dans la même soirée, impressionner avec Wajdi Mouawad, déchirer avec Sarah Kane, appeler des larmes avec Racine, et faire rire avec J. M. Coetzee ? Isabelle Huppert. Les dieux du théâtre se sont penchés sur son berceau de comédienne, on le sait. Mais là, dans Phèdre(s), qu’elle joue sous la direction de Krzysztof Warlikowski, elle atteint au prodige, en étant une et multiple, en s’offrant nue, en devenant furie, pute de luxe, épouse royale, migrante jetée sur les routes, intellectuelle dans un congrès, belle-mère et mère, meurtrière, suicidée, pendue, violée. Quand elle a tout traversé, tout épuisé, tout consumé, elle regarde la salle et dit en souriant : « Je vous remercie de votre attention. » Le noir tombe d’un coup : c’en est fini de Phèdre(s). Que l’on ait tout compris de ce qui vient de se jouer, ce n’est pas certain. Que l’on ait été saisi, ému, bouleversé, renversé, c’est une évidence. Et c’est à cette évidence que la représentation mène à s’abandonner, comme Phèdre s’abandonne au désir qu’elle éprouve pour Hippolyte, le fils de son mari, Thésée. Une Phèdre(s) d’aujourd’hui, que Krzysztof Warlikowski a voulue écrite par des auteurs contemporains, Wajdi Mouawad, Sarah Kane et J. M. Coetzee. Auxquels s’ajoute Racine, dont Isabelle Huppert joue un extrait de la scène 5 de l’acte II. En prenant le texte, jeudi 17 mars, soir de la première, où elle a eu un trou de mémoire. Mais même de ce trou, elle a fait du théâtre. Et elle a dit les mots de Phèdre à la manière de Rachel, qui, la première, a joué la tragédie selon le sens, et non la versification. « Je brûle » : combien de fois l’entend-on ? C’est le verbe fait chair de cette Phèdre(s). L’explosion du désir, sa naissance, sa reconnaissance, son aveu, sa consommation, sa crucifixion. Krzysztof Warlikowski l’exalte, l’explore et l’implore, dans une mise en scène qui ouvre sur une danse orientale torride (de Rosalba Torres Guerrero) et un chant arabe dément de Norah Krief, que l’on retrouve en- suite en Œnone, la confidente de Phèdre. Puis Isabelle Huppert apparaît, avec ses lunettes noires et sa perruque blonde : elle est Aphrodite, déesse de l’amour peutêtre, mais d’abord « pute de luxe, chienne en chaleur, une salope », comme elle le dit. Une mise à nu totale Le ton est donné : ce sera celui du sexe qui crie, du ventre qui réclame, de la faim inextinguible de l’union des corps. Que celle-ci soit contre nature, selon les convenances sociales, dans le cas de Phèdre et Hippolyte, importe moins que sa nécessité, qui fait trembler d’une fureur froide, glaciale ou hurlante la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. L’enfer et la magnificence reposent là, dans cette pièce aux hauts murs, la boîte blanche du désir, avec un lit, une douche et un lavabo, dans laquelle glisse parfois une chambre aux murs vitrés (décor de Malgorzata Szczesniak). Peep-show, show off : aucune absolution, la mise à nu sera totale, définitive, éclairée (par Felice Ross) d’orangés, de fuchsias ou de diaphanes rares au théâtre. On y verra Thésée, Strophe, Œnone, deux Hippolyte, un chien, un médecin, un prêtre, un maître de conférences. Une distribution multiculturelle de haut vol qui réunit Alex Descas, Agata Buzek, Gaël Kamilindi, Norah Krief. Chacun a sa force, sa partition, son poids de chair. Krzysztof Warlikowski ne les laisse pas sur le côté. Ils existent sur un plateau qui est un Olympe pour Isabelle Huppert. Elle se métamorphose à la vitesse de la lumière, elle est phénoménale quand elle joue Sarah Kane. Plurielle et unique : une femme, et toutes les Phèdre(s) sont là. Elle restera, et elles resteront pour longtemps dans le souvenir. p b. sa. Phèdre(s), de Wajdi Mouawad, Sarah Kane, J. M. Coetzee. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski. Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. : 01-44-85-40-40. Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures. Durée : 3 h 10 avec entracte. Jusqu’au 13 mai. culture | 15 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 « D’UNE BEAUTÉ À COUPER LE SOUFFLE ! » Isabelle Huppert dans « Phèdre(s) », jeudi 17 mars, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris. PASCAL VICTOR/ARTCOMART LE FIGARO CINQ RÔLES-CLÉS « SOMPTUEUX. » LE POINT 1991 Pour ses premiers pas sur le plateau de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Isabelle Huppert est Isabelle, la novice qui implore la grâce pour son frère, condamné à mort pour avoir fait un enfant à sa fiancée, dans Mesure pour mesure, de Shakespeare. Complexe, perverse, hyperthéâtrale et orgueilleusement désinvolte, la mise en scène de l’Allemand Peter Zadek (1926-2009) offre à l’actrice une formidable occasion de suivre les méandres d’un rôle dans lequel elle peut donner libre cours à sa drôlerie. 1993-1995 D’abord, il y eut la création, au Théâtre de Vidy-Lausanne. Puis l’Odéon-Théâtre de l’Europe, suivi d’une tournée internationale. C’était Orlando, de Virginia Woolf, mis en scène par Bob Wilson, l’homme qui invente sur les scènes « un monde où tout aurait commencé depuis longtemps et où rien ne s’arrêterait jamais », comme l’écrit Isabelle Huppert. Orlando, c’est elle, évidemment, avec sa voix qui semble porter un message de l’au-delà, un audelà de l’amour, et sa gestuelle qui dessine des lignes en apesanteur, au-delà du temps. « CHEF D’ŒUVRE ! » POSITIF « MAGIQUE ! » LES INROCKS « SPLENDIDE. » !!! « UNE PREMIÈRE MERVEILLE.» LE MONDE « UNE ÉLÉGANCE FOLLE.» VOGUE « GRANDIOSE ! » TRANSFUGE « UNE ÉPOPÉE SUBLIME.» LA CROIX JUILLET 2000 à lèvres ou les talons hauts. Cette vision pratique lui permet de préciser sa propre vision de la pièce, pour la développer ou l’emmener dans une autre direction. Sinon, il dit souvent le texte à la place des acteurs, comme le font beaucoup plus les metteurs en scène de théâtre que de cinéma. Mais sur le fond, il n’impose rien. Que cherche-t-il à atteindre ? Warlikowski aime montrer l’être humain dans sa violence et sa perdition permanente. Cette fragilité qui l’attire vers la passion, pour laquelle il est très peu armé, pour toutes sortes de raisons. C’est en tout cas comme ça que je le ressens. Les personnages qu’il met en scène dans Phèdre(s) se débattent dans un monde en crise, le monde dans lequel on vit, et qu’il rend vraiment palpable. On sent chez lui, comme on le sentait chez Peter Zadek, à quel point le poids de son vécu est essentiel dans son travail. Je n’en sais pas tant que ça sur lui, mais cette dimension existentielle est évidente dans la manière dont il fait du théâtre. On m’objectera que ça devrait l’être pour tous les metteurs en scène, mais ça ne l’est pas. Il y en a qui travaillent d’une manière plus mécanique : ils règlent la circulation, en somme. Lui met son histoire en jeu, Zadek le faisait également. Quand on travaille avec des metteurs en scène comme eux, je ne dis pas que la pièce qu’ils ont choisie devient accessoire, mais leur façon d’être s’impose comme la matrice fondamentale de la relation que l’on a avec eux dans le travail. Jouer pendant deux mois, comme vous le faites pour « Phèdre(s) », est-ce un confort ou une contrainte ? C’est le minimum. J’aime beaucoup jouer longtemps, et j’insiste toujours pour jouer le plus longtemps possible. Dans les théâtres subventionnés, on ne joue pas assez longtemps, la plupart du temps. Les spectateurs n’ont pas le temps de se retourner et les représentations sont déjà finies. En deux mois, leurs possibilités de venir sont déjà plus nombreuses. Pour les acteurs, jouer longtemps permet de faire évoluer les choses, d’un soir à l’autre. La pièce ne sera pas fondamentalement différente, à la fin des repré- sentations, mais elle aura bougé, et c’est intéressant, même si c’est un puits sans fond, aussi. Quand les représentations s’arrêtent trop vite, on n’a pas le temps de trouver ce plaisir-là et de le rendre perceptible. « Phèdre(s) » est sonorisée, comme le sont quasiment toutes les pièces aujourd’hui. Qu’apporte la sonorisation à l’acteur de théâtre ? Elle introduit une autre manière de jouer. C’est à l’évidence un avantage. La sonorisation peut faire accéder à ce qu’on imagine être l’intimité du gros plan au cinéma, mais il n’empêche que ce n’est pas du gros plan, au théâtre. Cela demande donc d’être prudent, de respecter un seuil au-dessous duquel il ne faut pas tomber. La grande différence, pour un acteur, c’est qu’avant la sonorisation le premier obstacle qu’il fallait franchir était de se faire entendre. Aujourd’hui, on ne se pose plus la question de la même manière, et ça modifie énormément le jeu. Rien n’est déclamé, rien n’est proclamé. On peut entrer dans une pensée intérieure, intime. Cela rend-il le travail plus facile ? Non. De toute façon, c’est difficile de faire du théâtre. Le théâtre, c’est un hold-up, ça vous prend tout, le corps, le cerveau. C’est sauvage, le théâtre. Il ne me viendrait jamais à l’idée de dire la même chose du cinéma. Le cinéma ne vous laisse pas exsangue, comme ça, sur le bord de la route. Je ne comprends même pas quand on me pose des questions sur la difficulté d’un rôle à l’écran ; ça me paraît d’une incongruité totale. A quoi tient ce fossé entre le théâtre et le cinéma ? A la fragilité du théâtre. Je crois qu’en fait on sait très bien ce vers quoi on veut aller, ce à quoi on tend. Mais c’est compliqué de le faire advenir, et une fois qu’on l’a trouvé, il faut le réinventer tout le temps, et on n’y arrive pas forcément. On doit être à la fois sûr et jamais sûr de ce que l’on fait. On cherche une chose fugace, c’est cela qui est difficile et douloureux. Douloureux et merveilleux, à la fois. p propos recueillis par brigitte salino Pour la première fois, Isabelle Huppert affronte la Cour d’honneur du Palais des papes. Elle joue Médée, d’Euripide, qui, dans la mise en scène de Jacques Lassalle, s’annonce par un cri rauque, animal, sorti de la caverne où l’errante a trouvé refuge. Barbare et savante, amante et mère, sorcière et femme, cette Médée en robe blanche impose la force indestructible d’un destin et d’une présence qui défient jusqu’au ciel. C’est ainsi que naissent les mythologies, à Avignon. OCTOBRE 2002 Jamais le Théâtre des Bouffes du Nord n’a entendu une telle voix : celle de « l’enfant de la négation », la Britannique Sarah Kane, qui a écrit 4.48 Psychose avant de se pendre, à l’âge de 28 ans, en 1999. Cette voix, Isabelle Huppert l’a faite sienne, sous la direction de Claude Régy. Deux heures durant, elle se tient immobile, les pieds ancrés dans le sol, les poings fermés sur les cuisses. En jean et tee-shirt, elle offre les dernières paroles de Sarah Kane. Chacune d’elles est une larme, et l’actrice, leur dépositaire. 2014 Louis Garrel en Dorante est l’objet de son désir. Mais il est pauvre, et elle est riche. Elle, c’est Araminte, que joue Isabelle Huppert dans Les Fausses Confidences, de Marivaux, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Cette ultime mise en scène de Luc Bondy (19482015) voit l’actrice en femme guerrière et fragile, qui finit par s’abandonner à son amour, mais trop tard pour ne pas s’y briser. Sa voix dépèce les mots cruels, son regard tranche et flanche, son corps avoue ce qu’elle ne s’avoue pas, et le théâtre frissonne. ACTUELLEMENT 16 | culture 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Numéro de cirque mystique au Mont-Saint-Michel Un jongleur et une trapéziste lancent l’opération« Monuments en mouvement » dans le site normand REPORTAGE L’ mont-saint-michel église abbatiale du Mont-Saint-Michel est plongée dans la nuit. Vertige des murailles percées de vitraux, silence sépulcral, froid polaire. Pieds nus sur les pierres de la croisée du transept posée en équilibre sur la pointe de l’énorme rocher, le jongleur Clément Dazin projette ses balles blanches comme autant d’appels lumineux explosant sur une hauteur de vingt-sept mètres. Modestie paradoxale des jets qui déclenchent un accord magique avec cet espace millénaire. Cette performance irréelle intitulée Bruit de couloir est une première. Aucun spectacle vivant n’a jamais été programmé dans ce lieu grandiose qui accueille des messes chaque jour. Elle a lancé, vendredi 18 mars, la deuxième édition de « Monuments en mouvement », pilotée par le Centre des monuments nationaux (CMN), qui a lieu jusqu’en septembre dans neuf sites patrimoniaux dont l’abbaye du Mont-Saint-Michel, deuxième site des Monuments nationaux les plus visités de France (1,2 million de visiteurs) après l’Arc de triomphe. Présenter du cirque, en liaison avec le festival Spring, basé à Cherbourg, n’est pas une mince affaire dans le contexte de ce trésor historique et religieux. « C’est même plutôt audacieux, s’enflamme Xavier Bailly, administrateur de l’abbaye du Mont-SaintMichel-CMN. Dans le contexte actuel où la notion de religion est exacerbée, l’abbaye devient un lieu quasi intouchable, à manipuler avec beaucoup de précautions. Il s’agit de conjuguer la présence d’une communauté monastique à la laïcité à la française. Nous avons une mission culturelle vis-à-vis des habitants de la baie. On ne peut pas se contenter de programmer des concerts classiques, non ? » Pour dégager une voie pacifique à cette opération très inhabituelle, Xavier Bailly a démarché les fraternités présentes. Parallèlement à la dizaine d’habitants qui vivent au quotidien au Mont-Saint-Michel, sept moniales et quatre moines occupent les locaux loués par le CMN. « Ils sont très réticents à la présentation de spectacles, précise Xavier Bailly. Et il est difficile de les convaincre qu’on ne trahit pas le lieu en y programmant du cirque. » « Mais pourquoi s’interdirait-on Avec « Bruit de couloir », le jongleur Clément Dazin introduit le spectacle vivant au coeur de l’abbaye du Mont-SaintMichel. LA BRÈCHE l’abbaye ?, appuie Philippe Bélaval, président du CMN. C’est un site très fort qui se suffit à lui-même mais pourquoi se refuser le plaisir de lui donner un relief particulier ? » Réticences Pas si simple tout de même ! Depuis un an, en dialogue avec Yveline Rapeau, directrice de Spring, Xavier Bailly a minutieusement élaboré la venue de deux artistes : le jongleur Clément Dazin et la trapéziste Chloé Moglia. « Associer l’art populaire qu’est le cirque avec ce trésor national qu’est le Mont-Saint-Michel est une aubaine incroyable, jubile Yveline Rapeau. La résonance des gestes de chacun des artistes avec la dimension sacrée du lieu est superbe. » Clément Dazin, sous le choc de « l’atmosphère mystique qui rappelle que le jongleur envoie ses bal- « La résonance des gestes des artistes avec la dimension sacrée du lieu est superbe » YVELINE RAPEAU directrice de Spring les au ciel », a choisi l’abbaye. Chloé Moglia a préféré l’ancien réfectoire des moines pour y installer la barre de son solo Opus corpus. Suspendue à quelques centimètres au-dessus du sol, elle dilate une bulle de contemplation, d’écoute et d’empathie. Rêverie sur la matière, cette performance lente rassemble une commu- nauté de spectateurs dans une même attention. « Aucune provocation, insiste Xavier Bailly. Ils jouent tous les deux avec les notions d’apesanteur et d’élévation. C’est un cadeau pour le site. » Et aussi pour les performers, emballés par cette proposition. « Des conditions extrêmes » Lorsque Chloé Moglia a été sollicitée pour cette opération, elle a illico été partante. Elle s’enflamme en évoquant le lien entre l’abbaye et « son cheminement sur une ligne, son travail sur le fil à plomb et la notion de gouffre, son tissage des fils de la verticale et de l’horizontale proche du symbolisme de la croix au sens large ». Elle a déjà investi l’église Saint-Eustache à Paris, une médersa, ancienne école coranique à Salé, au Maroc, un temple protestant à Marseille. « Je me souviens que le pasteur était d’abord contre ma présence, confie-t-elle. Réalisant que je travaille autour de l’épure et de la verticalité, évidemment d’un point de vue profane, il a finalement été convaincu. » « Je pense aussi qu’il est important en tant que femme d’être présente dans ces lieux, poursuit-elle. Nous vivons une époque où la question du féminin est malmenée. » Les conditions de travail et de présentation in situ sont loin du confort d’un théâtre. L’adaptation des lumières et du son entraîne aussi un traitement minimaliste. Les artistes n’ont pu répéter qu’une fois après la fermeture publique de l’abbaye à 18 heures. « Ce sont des conditions extrêmes, glisse Clément Dazin. L’espace est vertigineux. C’est comme escalader un pic monta- gneux. C’est difficile, douloureux, mais après, quel sentiment de plénitude ! » Il a fallu cinq heures pour monter par treuil le matériel nécessaire à sa performance. En revanche, dix minutes à peine ont suffi, mardi 15 mars, à enlever par hélicoptère la statue de l’archange saint Michel située sur la flèche de l’abbaye pour l’emporter dans un atelier de restauration. Entre ciel et terre, le rocher en mode majeur. p rosita boisseau Monuments en mouvement. Jusqu’au 19 septembre. www.monuments-nationaux.fr Spring. La Brèche, Cherbourg, Elboeuf. Jusqu’au 2 avril. Tél. : 02-33-88-33-99. Clément Dazin, Rencontres des jonglages. La Courneuve (SeineSaint-Denis). Tél. : 01-49-92-60-54. Jannis Kounellis fait sa révolution de palais A la Monnaie de Paris, l’artiste de l’arte povera joue le contraste entre ses œuvres violentes et le décor de boiseries et moulures L’ ART hôtel de la Monnaie a été bâti à Paris par JacquesDenis Antoine entre 1765 et 1775, sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. Il s’élève à proximité du Pont-Neuf, orné de la statue équestre d’Henri IV, et le Louvre, palais royal, lui fait face, de l’autre côté de la Seine. On peut supposer que Jannis Kounellis avait ces faits historiques et géographiques présents à l’esprit quand, invité à exposer à la Monnaie, il a décidé des œuvres qu’il voulait y placer. Dans les salles XVIIIe du premier étage, parmi les glaces, boiseries et moulures, il a disposé des lits de camp sur lesquels gisent des cylindres de fer déchirés de coups et partiellement enveloppés de couvertures militaires, une cage dans laquelle vivent des rats, et deux poissons rouges qui nagent autour d’un couteau à cran d’arrêt. Sur des chaises de salon, deux poutrelles métalliques semblent menacer de les écraser. Dans des vitrines courbes, des dizaines de couteaux à viande sont suspendus à des crocs de boucher, lames et crocs que l’on retrouve à plusieurs autres endroits. Des sacs de jute décousus sont étalés sur les parquets. Au terme du parcours, sur le dernier mur, est accrochée une plaque de fer devant laquelle brûle une bougie. Sur la plaque, à la craie, cette inscription en italien que l’on traduit : « La Liberté ou la Mort. Vive Marat, Vive Robespierre ». Il est difficile d’être plus explicite. La pièce date de 1969, de même que celle aux rats vivants. A cette date, Kounellis, qui est né en Grèce en 1936, était l’un des héros du mouvement que le critique italien Germano Celant venait de nommer arte povera. Dans le contexte de Mai 68 et de la guerre du Viet- nam, il en était l’un des membres les plus vivement politiques, avec Michelangelo Pistoletto ou Mario Merz – bien plus politiques que Giuseppe Penone ou Giulio Paolini. La révolution idéologique était supposée aller de pair avec la révolution des formes plastiques, et Kounellis était peut-être le plus radical de tous, le moins soucieux de définir un style. Ses matériaux étaient des animaux vivants – chevaux, rats, poissons, perroquet –, des matériaux industriels – houille, fer, bois de construction –, ou encore le feu d’une bougie ou d’une réaction chimique. Il en est de même aujourd’hui, si ce n’est que Kounellis, au fil des décennies, a ajouté à son vocabulaire des objets ordinaires et désagréables tels que longs couteaux et clous de charpentier. Ce pourrait être des instruments de torture, ce que les allusions militaires confirment. Les A son vocabulaire, Kounellis a ajouté couteaux et clous de charpentier. Le regard est mis à rude épreuve références à l’iconographie chrétienne ne se dissimulent pas plus : clous de la crucifixion, sabres des bourreaux. Même observation à propos des manteaux découpés et des débris de bateau. Le regard et le corps sont mis à rude épreuve. Le contraste avec le décor est extrême. A la différence d’artistes qui, tel Jeff Koons au château de Versailles, se sont efforcés de trouver des accommodements avec les lieux, Kounellis prend le parti de l’affrontement. C’est celui des surfaces : le métal sombre et froid contre les bois peints et cirés, les vilaines couvertures kaki et les sacs noirâtres contre les tons tendres des peintures murales et plafonnantes. C’est celui des formats : la plupart des pièces sont comme à l’étroit et gênent le passage. Le point culminant de cette dispute se trouve dès l’entrée : huit chevalets de fer faits de poutres soudées portent autant de rectangles de métal. Les chevalets font 5ou6x mètres de haut et les rectangles près de deux mètres de long. Leur dimension, leur poids, leur noirceur ont quelque chose de guerrier, que ne dissipe pas l’allusion à la peinture. Sur ce point, comme sur les autres, cohérence et continuité sont flagrantes. Kounellis peut réactiver des dispositifs dont l’idée lui était venue il y a près d’un de- mi-siècle et les associer à des créations vieilles de quelques mois sans rompre l’unité de la présentation. Mieux : les pièces les plus anciennes, les plus connues, échappent ainsi à la muséification et retrouvent l’intensité que leur célébrité risquerait de leur faire perdre. Kounellis ne s’autocommémore pas, il continue le combat, pour reprendre une formule qui date, elle aussi, des années 1960. C’est la marque des obsessionnels, probablement, et il faut en déduire que rien n’est plus profitable à la création artistique qu’une obsession qui ne perd à aucun moment son intensité native. p philippe dagen « Brut(e) », Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, Paris 6e. Monnaiedeparis.fr. Tous les jours de 11 heures à 19 heures, le jeudi jusqu’à 22 heures. Entrée de 8 € à 12 €. Jusqu’au 30 mars. culture | 17 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Kendrick Lamar met Kanye West K.-O. Par ses audaces et sa musicalité, le nouveau disque du rappeur écrase la concurrence S É L E C T I O N J OHAN N ES BRAHMS L’Œuvre pour piano seul Geoffroy Couteau (piano) « Aimez-vous Brahms ? » Geoffroy Couteau ne laisse pas le loisir à l’auditeur de se poser la question tout au long des six heures que dure cette intégrale de haut vol. Un mot pourrait résumer la performance du jeune pianiste : attention. Pour l’exclamation face à la prouesse comme pour le suivi de la finesse. Chaque plage est abordée avec fraîcheur, comme s’il s’agissait d’une première prise. Couteau va toujours à l’essentiel avec simplicité. Son art de la vie renouvelée à chaque instant fait merveille dans le corpus brahmsien qui, sous l’angle de la modernité, passe pour une succession de « moments » au sens que leur a conféré un Karlheinz Stockhausen ou un Wolfgang Rihm, allemands eux aussi. p pierre gervasoni 1 coffret de 6 CD La Dolce Volta/Harmonia Mundi. YAN OWSKI La Passe interdite Avant d’être un disque, La Passe interdite a été un spectacle que le chanteur Yanowski a présenté à partir de janvier 2014. Haute silhouette, voix vibrante, il donne vie à des personnages au sein du duo Le Cirque des mirages, fondé, début 2000, avec le pianiste Fred Parker Aliotti. Le voici en solo, textes et musiques de sa main, pour la plupart des chansons – une dizaine et trois histoires. Tout comme avec Le Cirque des mirages, si l’aspect visuel Affranchi du gangsta rap L’un des meilleurs morceaux de l’album, Untitled 6, une bossanova psyché, a ainsi été enregistré avec Ali Shaheed Muhammad, le DJ d’A Tribe Called Quest (ATCQ), dans le studio d’Adrian Younge (compositeur, entre autres, pour Bilal et Ghostface Killah). Pour leur album commun, The Midnight Hour, à sortir durant l’été 2016, les deux producteurs travaillaient avec leurs musiciens, le batteur David Henderson et le guitariste Jack Waterson, sur une maquette pour le chanteur de Gnarls Barkley : « Le jour où on a reçu les voix de CeeLo Green sur est primordial, les disques du duo comme ce solo de Yanowski tiennent de manière autonome par la force des chansons et de leur interprétation. Dans La Passe interdite, les chansons sont plutôt tournées vers le réalisme poétique, la tendresse mélancolique, davantage dans l’intime que le répertoire du Cirque des mirages. Les trois contes, parlés et chantés, vont plus vers l’halluciné. Musiques d’Europe de l’Est et tango dominent, avec violon, piano et contrebasse. Une voix expressive, précise, rare dans la chanson française actuelle. Un univers prenant, lui aussi d’une grande originalité. p sylvain siclier Il prend des risques, en introduisant des instruments peu présents dans le rap, comme les flûtes « Late Show » de Stephen Colbert : il était alors accompagné de musiciens de la scène jazz angelena – les saxophonistes Terrace Martin et Kamasi Washington, le bassiste Thundercat. Lamar a pris l’habitude d’aller les écouter dans les jam-sessions de Leimert Park, bastion afroaméricain où se concentrent salles de concert et boîtes de jazz. Untitled 2, nouvelle ode de Lamar à Compton, avait lui été interprété dès janvier sur le plateau du « Tonight Show » de Jimmy Fallon. Sur le jazz d’Untitled 5, Kendrick Lamar invite la chanteuse Anna Wise et ses collègues du label TDE (Top Dawg Entertainment), le rappeur de Watts Jay Rock et un des patrons, Terrence « Punch » Henderson. Habité et possédé, Kendrick Lamar en est encore à culpabiliser sur le morceau introductif d’avoir survécu à la guerre des gangs de Compton. Mais il est aussi capable de bravades et de piques envers ses concurrents du rap, se vantant de pouvoir « les mettre sous assistance respiratoire, ce qui ne serait pas beau à voir ». p notre maquette, raconte Adrian Younge, joint au téléphone, Kendrick Lamar nous rendait visite. Il a adoré le morceau et le voulait pour l’album To Pimp a Butterly. Finalement, il nous a prévenus une semaine avant la sortie d’Untitled Unmastered qu’il serait sur celui-là. J’en suis très content car, pour moi, Kendrick surpasse tout le monde. Il a remis au goût du jour la vraie nature d’un artiste, celui qui parle au cœur et à la tête. » C’est du côté des Native Tongues, collectif du début des années 1990 mené par ATCQ , Jungle Brothers ou De La Soul, qu’il faut trouver les racines du rap de Lamar, qui mêle conscience politique et musique organique, affranchie des codes du gangsta rap. Les fans de Lamar auront remarqué qu’il avait testé les rimes du morceau Untitled 3 sur le plateau du L I V R E A L B U M S ans le hip-hop américain, il y a actuellement deux écoles. Celle de Kanye West, qui consiste à se proclamer « génie » et faire grand bruit de sa prochaine « œuvre d’art » pour finalement ne la rendre accessible qu’à une poignée d’initiés. Ou celle de Kendrick Lamar, qui teste ses expériences en live, de préférence dans de grandes émissions télévisées, avant de les rassembler sur un disque diffusé en libre accès. A ce petit jeu, c’est le rappeur de Compton qui remporte le match. Vendredi 4 mars, tout juste auréolé de cinq Grammy Awards, Lamar publiait huit nouvelles chansons sur toutes les plates-formes numériques dans un format qui ne ressemble ni à un album, ni à un EP (Extended Play), ni à une « mixtape ». Untitled Unmastered (« sans titre, sans mastering ») sort sur support physique en France le 18 mars. Le disque est un recueil de sessions de studio non retenues pour l’album To Pimp a Butterfly – qui, en 2015, consacrait le rappeur comme le plus talentueux de sa génération. Au lieu d’un titre, chaque morceau fait figurer sa date d’enregistrement. Soit entre mai 2013 et septembre 2014, sauf pour Untitled 7, achevé début 2016 : le morceau aurait été cocomposé par Egypt, 5 ans, fils d’Alicia Keys et de Swizz Beatz, rappeur-producteur (qui s’en est ouvert sur Twitter). Très inspiré par les jams jazz, Untitled Unmastered démontre une nouvelle fois l’élasticité du flow de Kendrick Lamar. Il confirme aussi sa capacité à prendre des risques, en introduisant des instruments peu présents dans le rap, comme les flûtes, et à explorer sa culture afro-américaine, en s’associant à des artistes de Los Angeles. stéphanie binet Untitled Unmastered, 1 CD, Polydor. Les pixels ont-ils une âme ? EN SEMBLE MARAN I Un petit livre vert d’eau. On y entre avec trois pages qui illustrent, façon folioscope, le retour de Hulk à sa forme humaine – dégonflée, émouvante, vulnérable –, à mesure qu’une jeune femme avance vers lui, descendant lentement les marches de l’escalier qui les sépare. Le mouvement de ce récit élastique, dense, qui aspire dans le tunnel étroit d’un flux de conscience la mythologie bigger than life des films de super-héros, prend son élan dans ces images pixelisées dont jaillit une émotion à vif. Précipité de chimie numérique à l’état pur, ses vapeurs se diffusent dans un rêve éveillé aux contours ductiles, que l’on peut lire comme le monologue intérieur d’une créature numérique en liberté, monceau de pixels glissant à l’envie d’un état à l’autre – de l’animal à la machine, du liquide au gazeux, de la guerre à l’amour… A moins qu’il s’agisse de la voix hallucinée d’un spectateur de blockbuster en état de transe. Portée par un narrateur égotiste qui semble échappé d’un roman d’Olivier Cadiot, cette odyssée onirico-ludique pioche ses mots et ses images chez Ovide et dans Matrix, chez Bashung et dans Iron Man, chez Chevillard et dans Terminator, etc. En réagençant cette matière à sa guise, Patrice Blouin pose une des grandes questions du siècle : les pixels ont-ils une âme ? p isabelle regnier Polyphonies de Géorgie Magie industrielle, de Patrice Blouin. Helium, 88 p., 12,90 € 1 CD Arties Records/Harmonia Mundi. Formé, à Paris, de chanteurs français et géorgiens, ce chœur masculin s’est construit un répertoire de haute tenue, avec des chants peu ou jamais enregistrés, collectés en Géorgie, appris de maîtres invités en France ou bien au travers d’enregistrements anciens. Entre chants de procession de Noël, cantiques, chants d’amour, de travail ou de table, l’ensemble Marani témoigne avec maestria de la richesse et de la diversité de la polyphonie géorgienne. Petit par sa taille, la Géorgie est un très grand pays de polyphonie. Celle-ci a une saveur qui lui est propre, saisissante, surprenante même, parfois, riche de mélismes, d’ornementations gambadant au-dessus d’une note basse en bourdon, intégrant clameur jaillissante, dissonances et voix yodlée. p patrick labesse 1 CD Buda Records/Universal. K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde. fr G A L E R I E S D HIP-HOP ÉT I EN N E- MART IN HER OES Galerie Bernard Bouche Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois En dépit de la rétrospective que le Musée des beaux-arts de Lyon lui a consacrée en 2011 et de la présence de quelques œuvres dans les salles du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, EtienneMartin (1913-1995) n’est pas assez largement reconnu pour ce qu’il est : l’un des principaux sculpteurs de la seconde moitié du XXe siècle, aussi intéressant qu’Alberto Giacometti. En voici de nouvelles preuves : des plâtres, des constructions en fil de fer et des œuvres qui associent les deux matériaux avec une liberté qui ne s’embarrasse d’aucune précaution. On y reconnaît des corps, des têtes, des mains et des architectures. C’est un monde de ruines et de spectres, ce qui fait de cette œuvre l’une des plus proches de la réalité que l’on puisse voir aujourd’hui. La grande Nageuse céleste de 1958 est simplement admirable. Celle du même titre, et plus réduite, faite d’un dessin de fil de fer tordu et torsadé, ne l’est pas moins. p philippe dagen « Plâtres & fils de fer », galerie Bernard Bouche, à Paris 3e. Tél. : 01-42-72-60-03. Du mardi au samedi, de 14 heures à 19 heures. Jusqu’au 2 avril. Une exposition qui donne à sourire et à rire, c’est plutôt rare. Conçue par les fondatrices de la revue The Drawer, consacrée, comme son nom l’indique, au dessin actuel sous toutes ses formes, celle-ci répond à trois principes : des travaux qui tiennent à peu près tous d’une forme de dessin ou d’écriture, des héros anciens ou actuels et le rire de la dérision, du sacrilège ou de la parodie. Parmi les invités, des célèbres : Richard Prince ou Paul McCarthy, qui se moquent du sérieux du monde de l’art. Il en est de moins connus, qui jouent du détail absurde et perturbant, tel le pigeon que Julien Berthier voit se poser sur de dignes sculptures. Theo Michael gâche délibérément des images qui seraient sublimes, en écrivant et en dessinant par-dessus. Lucie Picandet fait apparaître un monde sens dessus dessous. Un Papou nain, de Gilles Barbier, attend le visiteur pour le percer de traits. p ph. d. « Heroes », Galerie GeorgesPhilippe et Nathalie Vallois, à Paris-6e. Tél. : 01-46-34-61-07. Du lundi au samedi, de 10 h 30 à 13 heures et de 14 heures à 19 heures. Jusqu’au 2 avril. PREMIERE LE FIGARO “Un ilm qui vous prend au cœur et aux tripes” STUDIO CINÉ LIVE 18 | télévisions 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Le Français Yoann Huget et le Britannique Mike Brown, lors du match France Angleterre du Tournoi des six nations. Le 1er février 2014 au Stade de France ARGUEYROLLES LAURENT / L’ÉQUIPE Les chaînes entrent en mêlée Du Tournoi au Top 14 en passant par la Coupe du monde, le rugby est devenu un produit d’appel majeur D ENQUÊTE e la sueur, sans doute du sang, peut-être des larmes… et des audiences qui s’annoncent élevées ! En programmant samedi 19 mars à la suite et en direct trois rencontres du Tournoi des six nations, France 2 joue à fond la carte rugby. De Cardiff (pays de Galles Italie à 15 h 20) à Saint-Denis (France - Angleterre à 20 h 50) en passant par Dublin (Irlande Ecosse à 17 h 50), France 2 est en terrain conquis. Car depuis 1975, le Tournoi (des cinq puis des six nations depuis 2000) est diffusé sur France Télévisions. Un mariage d’amour qui va continuer quelques temps... « Nous venons d’obtenir les droits de diffusion pour la période 2018-2021 », souligne Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions. C’est une évidence dans un paysage télévisuel de plus en plus encombré, France Télévisions n’est de fait plus seul au monde : il y a vingt ans, l’offre de programmes sportifs était visible sur sept chaînes établies en France, dont quatre gratuites. Aujourd’hui, le sport est diffusé sur une trentaine de chaînes ! Et, au milieu de cet émiettement général, certaines disciplines sont plus demandées que d’autres. TF1 absente du paysage C’est le cas du rugby, devenu un produit d’appel majeur pour lequel certains groupes sont prêts à faire des folies. Exemple le plus frappant : les droits payés par Canal+ pour diffuser en exclusivité le Top 14, autrement dit le championnat de France, sont passés d’une vingtaine de millions d’euros par saison, il y a une douzaine d’années, à 74 millions aujourd’hui ! Avec de telles sommes, même si l’on reste loin de celles atteintes par les droits du football, on entre, de fait, dans l’univers des droits dits premium. On s’arrache donc le rugby, et de nombreuses chaînes semblent y trouver leur bonheur. TF1, absente du paysage rugbystique, se réveille tous les quatre ans pour doper ses audiences avec les droits de diffusion de la Coupe du monde, compétition devenue « un véritable événement familial et fédérateur », estime Christian Jeanpierre, habituel commentateur de foot qui se mue, tous les quatre ans, en voix du rugby. Traditionnellement dépendante des bons résultats de l’équipe de France, TF1 a montré que même en cas d’élimination prématurée des Bleus, ses audiences restent élevées. En 2015, par exemple, si le quart de finale Nouvelle-Zélande - France a fidélisé 12,3 millions de fans (record absolu de l’année, tous programmes confondus), des rencontres comme Australie - Argentine (7 millions) ou NouvelleZélande - Australie (8,5 millions avec un pic à 11 millions en fin de match) ont attiré un public très nombreux. France Télévisions fait généralement un tabac avec ses audiences du Tournoi qui attire en plein après-midi entre deux et cinq millions et demi de fidèles, selon l’affiche. Un France - Angleterre diffusé en soirée – ce qui est le cas samedi 19 mars – peut espérer tutoyer les sommets, même si le record de cette affiche (18,3 millions de téléspectateurs pour la demi-finale de Coupe du monde 2007 sur TF1) n’est pas près d’être battu. Outre le produit phare qu’est le Tournoi, le service public milite pour une large exposition rugbystique en diffusant, sur France 4, les compétitions internationales féminines et celles des moins de 20 ans. « En 2012, lorsque nous avons programmé ces compétitions, personne ne s’y intéressait. J’insiste pour que ces rencontres soient diffusées la veille du Tournoi, car il y a un effet d’entraînement. Et les audiences sont remarquables », souligne Daniel Bilalian. Remarquables sur la TNT, cela signifie des scores avoisinant les 500 000 fidè- les. De quoi placer le match de rugby en question en tête des audiences de toutes les chaînes de la TNT. TF1 adore donc la Coupe du monde, France 2 le Tournoi et Canal+ n’investit pas autant d’argent dans le Top 14 par hasard. De fait, depuis 2003, la chaîne privée est devenue « la » véritable chaîne du rugby en appliquant au Top 14 des recettes similaires à celles de la Ligue 1 de foot : moyens humains et techniques considérables, augmentation régulière des retransmissions en direct, magazines en plateau, innovations technologiques. Bref, en « feuilletonnant » un championnat qui, avant les années 2000, n’intéressait pas grand monde en dehors des fiefs traditionnels de l’Ovalie. Les grandes chaînes veulent du rugby, les plus petites aussi, puisque les audiences sont au rendez-vous. Une fois les grandes compétitions achetées à prix Les matchs du Tournoi des six nations attirent, en plein après-midi, sur France Télévisions entre 2 et 5 millions et demi de fidèles d’or, il reste des miettes. Mais suffisantes pour satisfaire les appétits. Une partie de la Pro D2 est ainsi visible sur Eurosport et le championnat anglais sur Ma Chaîne Sport. « Rugbymania » télévisuelle Quant à BeIN Sports, qui depuis son arrivée en France en 2012 a raflé de nombreuses compétitions majeures, notamment concernant le football étranger, le rugby ne le laisse évidemment pas indifférent. N’ayant pu mettre la main sur le Top 14, le groupe propose à ses abonnés la Champions Cup et la Challenge Cup, compétitions de haut niveau. « Nous diffusons l’intégralité des deux Coupes d’Europe, avec notamment la présence de nombreux clubs français. Mais également vingt-quatre rencontres par saison de la Guinness Pro 12, le championnat regroupant les meilleurs clubs écossais, irlandais, gallois et italiens », sou- ligne Florent Houzot, directeur de la rédaction de BeIN. Les raisons de cette rugbymania télévisuelle sont multiples : « Le rugby a toujours été un sport télévisuellement attractif mais longtemps limité au Tournoi. Ce qui en a fait un produit d’appel majeur, c’est à la fois sa professionnalisation, la naissance de la Coupe du monde en 1987 et la mise en scène façon feuilleton du Top 14 par Canal+ depuis 2003 », estime Philippe Bailly, observateur averti et président du cabinet NPA Conseil. « Il me semble qu’aujourd’hui l’équilibre télévisuel entre le bloc gratuit et le bloc payant est assez efficace en matière de rugby. Le feuilleton Top 14 de Canal, payant, est de fait valorisé par les retransmissions ponctuelles de TF1 et France Télévisions. Pour garder le lien avec le grand public, le rugby a besoin de conserver une exposition gratuite. » p alain constant Le crunch, l’autre guerre de Cent Ans inutile de se leurrer : plus encore que la victoire dans le Tournoi, l’enjeu réel de chaque printemps, pour tout amateur de rugby, est la rencontre au sommet entre la nation qui a inventé ce sport et celle qui lui conteste le plus férocement la suprématie européenne depuis un demi-siècle. France-Angleterre ! L’affiche a des allures de rendez-vous historique. L’écho des rivalités entre Capétiens et Plantagenêts, de la guerre de Cent Ans, des affrontements coloniaux et des guerres napoléoniennes n’est pas tout à fait éteint, même si le XXe siècle est censé avoir fait de la perfide Albion une alliée… L’affrontement a juste troqué le champ de bataille pour le pré, où trente gaillards prêts à en découdre rejouent les duels médiévaux. Ainsi s’écrit une moderne chanson de geste qui a naturellement ses héros : l’ailier Emile Lesieur (1885-1985) ; Adolphe Jauréguy (1898-1977) ; Robert Soro (1922-2013) ; Philippe Bernat-Salles… Cette geste a aussi ses icônes, à suivre les choix de Félicien Taris, qui, après la parution de son bel album France-Angleterre, le crunch (Ramsay, 2015), revisite, en un documentaire enthousiaste, un affrontement désormais séculaire. William Webb Ellis (1806-1872), bien sûr, qui, collégien de la Rugby School, en novembre 1823, lors d’un match de football, traverse, ballon en mains, le terrain pour l’aplatir dans l’enbut adverse et invente un sport nouveau. L’homme est le premier de ces champions de légende à incarner la dualité franco-anglaise. « Moment crucial » Suivront Jean Prat (1923-2005), qui réconcilie, par son panache, les amateurs des deux côtés du Channel ; Jean Gachassin, d’une heureuse modestie, comme le trois-quarts centre Will Carling, capitaine anglais dont l’élégant « good game », en fin de rencontre, semblait une gifle aux Bleus vaincus ; Serge Blanco ; Dimitri Yachvili, en état de grâce, en 2004, quand la France châtie les champions du monde et s’adjuge le grand chelem… Mais c’est un Anglais encore, après Webb Ellis, qui incarne le mieux l’esprit du crunch, ce « moment crucial », qui a pris sa pleine dimension depuis les années 1980. Moins Clive Woodward, dont le septennat de sélectionneur a été couronné du sacre mondial et qui, « trop passionné », se sent « moins anglais que français »…, mais Jonny Wilkinson, demi d’ouverture de génie, artiste majuscule qui réconcilie tous les amoureux de l’ovale par sa maestria et son humilité. Traité à hauteur d’hommes, privilégiant sur le siècle les inflexions d’un choc dont les éclats éblouissent encore, ce documentaire néglige juste les confrontations des Coupes du monde. Choix du duel pour la suprématie européenne ? Problème de coût des images des rendez-vous mondiaux ? Qu’importe ! Cette célébration généreuse est la meilleure introduction au premier rendez-vous de Guy Novès avec le crunch. p philippe-jean catinchi Le Crunch, toute une histoire, de Félicien Taris (Fr., 2016, 55 min). Diffusé samedi 19 mars, à 14 heures, sur France 2. télévisions | 19 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Lucas Menget, d’un front à l’autre Après avoir couvert les conflits du Proche et du Moyen-Orient, le journaliste impose des formats longs sur i-Télé A vec son crâne presque rasé, sa carrure de rugbyman et sa voix grave et douce, Lucas Menget ne passe pas inaperçu sur les plateaux d’i-Télé. Le rédacteur en chef du reportage se retrouve de plus en plus régulièrement devant les caméras pour présenter « Le Document » : un format de 8 minutes, soit une éternité pour un canal dédié au « hard news ». « Il est bon de s’arrêter afin de prendre le temps d’enquêter », explique-t-il. Appelé à la fin du printemps 2012 par Céline Pigalle, alors directrice de la rédaction de la chaîne du groupe Canal+, Lucas Menget avait pour mission de développer le reportage. Une tâche dont il s’est largement acquitté, non sans rencontrer plus de difficultés que prévu. Il n’est guère aisé, en effet, d’endosser l’habit de rédacteur en chef quand on a été habitué aux terrains de guerre pendant près de dix ans. « J’ai fait un certain nombre d’erreurs quand je suis arrivé. Ma première année n’a pas été simple du tout. J’étais beaucoup trop dur, en raison de la carapace forgée au fil des conflits que j’avais couverts, comme en Irak. Après cette expérience, rien ne vous semble grave, et on ne comprend pas pourquoi il faut quinze réunions pour décider de quelque chose », reconnaît-il avec franchise. Correspondant à Bagdad Journaliste depuis 1990, Lucas Menget aura passé une bonne partie de sa carrière professionnelle hors de France. A New York, pendant quelques mois, comme correspondant de France Info, puis sur la plupart des conflits du Proche et du Moyen-Orient. Ce licencié en histoire a, raconte-il, « toujours été passionné par les épopées royales de la Mésopotamie ancienne et du monde prébiblique ». Il a vu dans ces guerres modernes un prolongement des batailles survenues il y a des milliers d’années. Par son père, ethnologue qui a travaillé pendant quarante ans en Amazonie, et sa mère, professeur de littérature américaine, Lucas Menget a toujours eu les yeux tournés vers l’étranger, avec une prédilection pour les zones les plus agitées. « Dans les guerres, on perçoit des étincelles d’humanité que l’on ne trouve pas toujours ailleurs », confie-t-il. Pendant plus de dix ans, Lucas Menget est envoyé dans les ré- D IM AN CH E 20 M ARS TF1 20.55 Contrebande Thriller de Baltasar Kormàkur (EU 2012, 130 min). 23.05 Esprits criminels Série (saison 3, ép. 7 et 19/20). France 2 20.55 Possessions Drame d’Eric Guirado. Avec Julie Depardieu (Fr., 2011, 95 min). 22.30 Faites entrer l’accusé Combat pour Angélique Présenté par Frédérique Lantieri. France 3 20.55 Les Enquêtes de Vera Série. Avec Brenda Blethyn (GB, 2014, 185 min). 0.20 Intrigues en Orient Film. Raoul Walsh (EU, 1943, 85 min). Canal+ 21.00 Football 31e journée. Ligue 1 : PSG - Monaco. 23.15 L’Equipe du dimanche Présenté par Karim Bennani. France 5 20.40 Lunettes, juste une mise au point Documentaire de Mélanie van der Ende (Fr., 2016, 50 min). 22.25 Cachemire, au cœur d’une poudrière Documentaire d’Anne Poiret et Fabrice Launay (Fr., 2015, 55 min). Lucas Menget. DR gions les plus dangereuses. « Je n’ai pas le sentiment d’être une tête brûlée ni un fanatique du danger, j’ai peur », précise ce journaliste, qui a refusé de couvrir pour RFI la guerre d’Irak, protégé par les troupes américaines. Rentré à Paris en 2006 afin de travailler aux côtés de Benoît Duquesne sur « Complément d’enquête », le reporter n’hésitera pas une seconde quand France 24 lui proposera de devenir correspondant à Bagdad, malgré l’admiration qu’il porte au journaliste de France 2 disparu. La capitale irakienne connaît alors des attentats quotidiens qui font des milliers de victimes. Le journaliste découvre au petit matin des cadavres jonchant les rues. Il apprend la patience quand son fixeur l’oblige à rester calfeutré dans son hôtel. Ce temps libre, il le met à profit en entretenant une correspondance avec ses proches, où il décrit sa vie quotidienne. Celle-ci donnera lieu à un livre, Lettres de Bagdad, publié en 2013 aux éditions Thierry Marchaisse. Fatigué de ce rythme, le reporter « Ma première année n’a pas été simple. J’étais beaucoup trop dur, en raison de la carapace forgée au fil des conflits que j’avais couverts » LUCAS MENGET rédacteur en chef du reportage sur i-Télé finira par rejoindre l’équipe du magazine « Envoyé spécial » : « Une chance inouïe », indique-t-il. Désormais éloigné des lignes de front, Lucas Menget semble apprécier sa nouvelle situation. « J’aime beaucoup guider et décider quelle est la bonne histoire », avoue-t-il. Et d’ajouter : « J’ai connu l’époque où l’on partait relativement facilement à Gaza, en Irak ou en Afghanistan sans craindre d’être pris en otage. Aujourd’hui, je passe des nuits blanches avant de décider d’envoyer une équipe dans ces régions. » Un rendez-vous attendu Le virus du terrain ne l’a pas complètement quitté ; en décembre, il est retourné en Irak pour tourner un documentaire, Bagdad, chronique d’une ville emmurée, inspiré de son livre et qui doit être diffusé par Arte fin mai. Malgré cela, Lucas Menget jure de « ne jamais reprendre un rythme de reporter de chaîne info à l’international ». Surtout, il se dit fier, avec « Le Document », d’avoir pu imposer sur une chaîne info un rendez-vous, certes irrégulier, de reportages. « Au début, je rencontrais beaucoup de résistances de la part des gens de l’antenne. Les présentateurs ou le responsable de tranche horaire se demandaient ce qu’on allait faire s’il se passait quelque chose au cours de la diffusion. Aujourd’hui, ils me demandent quand sera diffusé le prochain », assure-t-il. « L’information est dans le quotidien des gens. Ils se branchent sur les chaînes info dès qu’un événement intervient. Cependant, tout cela va tellement vite qu’ils ont aussi besoin que l’on s’arrête sur un sujet, une histoire. C’est un exercice qu’il faut perfectionner et systématiser », martèle-t-il. La nouvelle direction d’i-Télé n’a pas remis en cause cette orientation voulue par Céline Pigalle, désormais à la tête de LCI. D’ailleurs, « Le Document », qui affiche déjà 26 numéros, devrait revenir de façon plus régulière à l’antenne. p joël morio Les bonnes ondes de Guillaume Gallienne Le succès de « Ça peut pas faire de mal » repose avant tout sur une équipe soudée, la même depuis bientôt sept ans Ç a peut pas faire de mal » vit sa septième saison – la première émission a été diffusée le 1er septembre 2009. Tous les samedis, de 18 h 10 à 19 heures, sur France Inter, Guillaume Gallienne lit, défend la littérature, et ses auditeurs sont toujours plus nombreux. Presque un million désormais, et de plus en plus de jeunes. Certains écoutent les émissions en podcast pour préparer le bac de français. Guillaume Gallienne ne répète pas, il découvre les textes en arrivant et ne surjoue jamais. C’est si agréable à entendre qu’on n’imagine pas tout le travail accompli en amont. On pense que Gallienne lit d’une traite son texte, qu’on le met en ondes ensuite avec un habillage sonore. Bref, que tout cela se fait très vite. En réalité, ce qu’on entend, et qui semble si facile, est une œuvre collective. Et Guillaume Gallienne, qui sait que l’auditeur se méprend VOS SOIRÉES TÉLÉ sur la réalité du travail, avait envie de faire prendre conscience de celui-ci. Une petite équipe soudée, la même depuis le début, réalise « Ça peut pas faire de mal ». En amont, Estelle Gapp et Laura El Makki lisent plusieurs livres par semaine pour faire un choix. « Cela peut être un seul auteur ou plusieurs semaines avec le même auteur, explique Estelle Gapp. Par exemple, le 19 mars, au moment du Salon du livre de Paris, nous avons choisi de rendre hommage à Michel Tournier, avec des variations sur le thème de l’ogre. Ensuite, à partir du 26 mars, c’est une série de trois émissions sur Balzac, avec La Peau de chagrin, Les Illusions perdues et La Femme de trente ans. Ensuite, nous entamerons un cycle de polars avec Fred Vargas, Harlan Coben et Arnaldur Indridason. » Laura El Makki et Estelle Gapp sélectionnent les textes, font un montage, bâtissent une dramaturgie. Parfois, Guillaume Gal- lienne déplace les choses. Comme il ne connaît pas le texte à l’avance, « il arrive que l’émotion le prenne par surprise », relève le réalisateur, Xavier Pestuggia. Celui-ci insiste sur « la liberté totale » qu’il a pour réaliser cette émission : « J’ai rarement eu ça à Radio France. » Toute l’équipe – Guillaume Gallienne, Laura El Makki, Estelle Gapp, Xavier Pestuggia et le technicien, Bernard Lagnel – dit le plaisir qu’elle a à composer et mettre en ondes « Ça peut pas faire de mal ». Un important travail de montage Le travail technique est considérable. Car, contrairement à ce qu’on suppose en entendant le résultat à l’antenne, Guillaume Gallienne ne lit pas en continu. Dès qu’il ne « sent » pas la phrase qu’il vient de prononcer, il la reprend immédiatement, une fois, voire deux ou trois. A entendre la manière dont il se reprend, on sait vite s’il est en train de lire un grand écrivain – Balzac – ou un auteur de polar qui manque d’oreille… Ensuite, il faudra choisir la meilleure version, « pour que tout apparaisse comme fluide », indique Xavier Pestuggia. « On fait généralement trois cents à quatre cents coupes, précise-t-il. On enregistre 50 minutes, il en reste 35. Ensuite, on fait la mise en ondes, on ajoute la musique. Parfois, Guillaume la suggère ; parfois, je la choisis. Il arrive aussi que ce qu’on avait décidé ensemble ne « C’est une voix malléable, qui sait se faire oublier pour mettre en valeur le texte » LAURA EL MAKKI attachée de production fonctionne pas au final, donc je change. J’écoute souvent une cinquantaine de musiques pour trouver ce qui ira vraiment avec le texte. En tout, le montage prend une journée. » Il s’agit de mettre en valeur le texte et la voix de Guillaume Gallienne. « C’est sa façon d’interpréter qui commande la mise en ondes », rappelle Xavier Pestuggia. Une voix qui a changé entre la première émission, consacrée à Proust, et aujourd’hui. Elle est plus grave. Pour Laura El Makki, « c’est une voix malléable, qui sait se faire oublier pour mettre en valeur le texte ». Une équipe unie, qui souligne « le côté ludique » de son travail et affirme « s’amuser » : voilà une chose suffisamment rare pour qu’on ait envie de le faire remarquer. p josyane savigneau « Ça peut pas faire de mal », tous les samedis à 18 h 10, sur France Inter. Arte 20.45 Pas de printemps pour Marnie Drame d’Alfred Hitchcock. Avec Tippi Hedren (EU, 1964, 124 min). 22.50 Code(s) polar Documentaire de Stéphane Bergouhnioux et Jean-Marie Nizan [2/3] (Fr., 2015, 55 min). M6 20.55 Zone interdite Greffe : cette inconnue qui m’a sauvé la vie Présenté par Wendy Bouchard. 23.00 Enquête exclusive New York capitale du monde Présenté par Bernard de La Villardière. LUN D I 21 M ARS TF1 20.55 Clem Téléfilm. Avec Victoria Abril (Fr., 2015, 90 min). 22.50 New York, unité spéciale Série (S16, ép. 22/23 ; S15, ép. 19/24). France 2 20.55 Rizzoli & Isles. Série (S5, ép. 3 et 4/18 ; S2, ép. 9/15). 23.05 Alcaline, le Mag Kool Shen France 3 20.55 Johnny Documentaire de Grégory Draï (Fr., 2016, 122 min). 23.40 Nous, ouvriers Documentaire [2/3] (Fr., 2016). Canal+ 21.00 Tunnel Série (Fr. - GB, 2016, S2, ép. 5 et 6/8). 22.35 Spécial investigation Aides aux entreprises : le grand bluff Présenté par Stéphane Haumant. France 5 20.40 Françoise Sagan Téléfilm biographique de Diane Kurys [2/2] (Fr., 2008, 90 min). 22.30 C dans l’air Magazine présenté par Yves Calvi. Arte 20.55 Opération jupons Comédie de Blake Edwards (EU, 1959, 124 min). 22.50 Tony Curtis, le gamin du Bronx Documentaire de Ian Ayres (EU, 2011, 55 min). M6 20.55 Top Chef Présenté par Stéphane Rotenberg. 23.10 Top Chef, les secrets des grands chefs 20 | télévisions 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 TOUR N AGE Au pays des animaux, la vie à tout prix Deux documentaires évoquent les stratégies de défense des espèces face aux menaces FRANCE 2 DIMANCHES 20 ET 27 MARS 16 H 25 DOCUMENTAIRES L a survie de l’animal en forêt : tel est le thème que déclinent les deux documentaires programmés les 20 et 27 mars dans la case « Grandeurs nature » de France 2. Le premier, d’Emma Baus, qui se concentre – hélas, avec un regard un peu trop candide et une mise en scène sans relief – sur les stratégies mises en place par le monde animal pour résister à l’envahissement de l’homme sur leur territoire, ne retient guère l’attention. En revanche, le second, de Frédéric Lepage et JeanMarie Cornuel, qui montre la façon dont luttent les espèces sauvages face à une catastrophe naturelle, est captivant. Les deux réalisateurs ont en effet tout saisi de ce moment où le fleuve Amazone qui traverse l’immense forêt équatoriale dort encore paisiblement, avant que ne s’abattent soudain des trombes d’eau, entraînant en quelques mois la montée du fleuve à hauteur d’un immeuble de dix étages, recouvrant la forêt et détruisant l’habitat de tous ses animaux. Contraints de s’en sortir face à cet environnement devenu hostile et instable, tous – le paresseux très vulnérable, l’aigle harpie féroce, l’un des plus grands du monde, ou encore le saïmiri, petit singe acrobate – vont mener leur propre combat. Angoissant huis clos Impressionnantes, les images de La Forêt engloutie frappent d’emblée par leurs couleurs. Forcés de filmer de nombreuses séquences sous l’eau, les deux réalisateurs sont parvenus à nous délivrer une large gamme de nuances, de l’eau trouble orangée au coucher de soleil en passant par le vert phosphorescent des profondeurs du fleuve. Tour à tour enragée et sombre, dévorée par le vent et les eaux pendant le déluge ; calme, ensoleillée et méconnaissable lors des accalmies, la forêt offre, elle aussi, un spectacle changeant qui fascine. De leur côté, les animaux apparaissent totalement confiants face à la caméra qui les filme de près durant de longues séquences, dévoilant ainsi patiemment Face à un environnement devenu hostile, en Amazonie, le singe saïmiri lutte pour sa survie. FL CONCEPT leur quotidien bousculé par le déchaînement des éléments. Du paresseux qui cherche désespérément sa nourriture disparue au tatou chassé de son terrier inondé, il n’y a au fond nulle différence, chacun étant mu par une seule et même ambition : rester en vie au prix de toute l’énergie qui les habite. « Comme eux, nous avons tous été pris à la gorge à un moment ou à un autre, avec la sensation que l’eau monte et que nous allons nous noyer. Ici, la vérité de la nature reflète une métaphore qui parle des hommes », explique Frédéric Le- page, qui revendique la dimension dramaturgique du documentaire. « Rien n’est exagéré, ni déformé, j’ai seulement repris la réalité et j’ai montré ce huis clos angoissant. » D’où la construction chronologique qui rythme le film et accroche le spectateur jusqu’à la dernière seconde : plus le niveau de l’eau monte, plus le danger et l’angoisse qu’il suscite grandissent. Une mise en scène efficace que renforce la musique originale de Carolin Petit à laquelle les réalisateurs ont souhaité accorder une place prépondérante. « La Forêt engloutie fut aussi une expérience musicale particulière, je voulais qu’il y ait quelque chose qui rappelle l’étrangeté, le mystère, la magie, sans envolées mélodiques », précise Frédéric Lepage. Presque une tragédie débarrassée de toute fioriture que les auteurs ont voulu élever à hauteur d’« histoire universelle ». p mathilde pujol A côté, dans nos forêts, d’Emma Baus (Fr., 2016, 51 min), diffusé le 20 mars ; La Forêt engloutie, de Frédéric Lepage et Jean-Marie Cornuel (Fr., 2016, 52 min), diffusé le 27 mars. Tony Curtis, du Bronx à Hollywood Retour sur la carrière d’un gamin frondeur qui sut construire sa légende ARTE LUNDI 21 - 22 H 50 DOCUMENTAIRE T ourné un an avant sa mort, le 29 septembre 2010, ce documentaire consacré à la vie de Tony Curtis bénéficie des commentaires de l’acteur qui, dans sa maison de Las Vegas, raconte avec passion les étapes de sa vie, qui fut plutôt mouvementée. Avec sa coiffure de rebelle qui a inspiré Elvis Presley et James Dean, ses yeux langoureux et un corps qu’il n’hésitait pas à exhiber dans les films, Curtis fut l’un des sexsymbols d’Hollywood dans les années 1950 qui, avec une ambiguïté sexuelle assumée, séduisait les femmes comme les hommes. Né dans le Bronx dans une famille juive hongroise sans le sou, Tony Curtis, né Bernard Schwartz, a, dès son enfance, joué de son charme pour échapper à la misère. Un père tailleur sans envergure, une mère schizophrène qui le tyrannise, un frère placé dans un établissement psychiatrique et un autre petit frère, Julius, que Tony prend sous son aile mais qui trouve la mort à l’âge de 9 ans, renversé par un camion, ne favorisent ni la légèreté ni la gaieté. Le jeune Tony se réfugie alors dans les salles de cinéma pour y voir ses héros, comme Errol Flynn, dans les films de cape et d’épée. Il s’engage ensuite comme volontaire dans la marine pour combattre le nazisme. Entré dans une école d’art dramatique pour ses services rendus à l’armée, il est rapidement repéré par le studio Universal, qui l’envoie à Hollywood pour sept ans où, sous le nom d’Anthony Curtis, il commence sa carrière d’acteur avec des films de série B. Homme à femmes, c’est là qu’il rencontre une petite starlette encore inconnue nommée Marilyn Monroe, et surtout Janet Leigh, une des grandes stars de la MGM, avec qui il se marie. Dès lors, Tony Curtis devient une vedette que l’on voit en haut de l’affiche aux côtés de James Stewart, Burt Lancaster ou Kirk Douglas. Fort de sa célébrité, Curtis n’hésite pas à tourner La Chaîne (1958), un film contre la ségrégation avec son ami Sidney Poitier. Mais on retiendra surtout son rôle dans Cer- tains l’aiment chaud (1959), de Billy Wilder, où il interprète un rôle de femme aux côtés de Marilyn Monroe et de Jack Lemmon. Après une traversée du désert, il renouera avec la notoriété grâce à la série « Amicalement vôtre ». Ce documentaire bien construit montre, comme le dit Tony Curtis à la fin de Certains l’aiment chaud, que « Personne n’est parfait ! » p daniel psenny Tony Curtis, le gamin du Bronx, d’Ian Ayres (Etats-Unis, 2011, 56 min). Une saison 3 pour la série « Kaboul Kitchen » La création originale de Canal+ vient d’annoncer le tournage de la nouvelle saison de « Kaboul Kitchen » (12 × 30 minutes), qui se déroulera au Maroc, du 21 mars au 17 juin. Créée, en 2012, par Marc Victor, Allan Mauduit et Jean-Patrick Benes, cette série, qui raconte les péripéties d’un restaurant en Afghanistan, havre de détente en tous genres pour Occidentaux expatriés, met en scène Simon Abkarian et Stéphane de Groodt, Stéphanie Pasterkamp, Benjamin Bellecour, Marc Citti et Alexis Michalik. La fête, au milieu du champagne et du fric qui coulent à flots, des filles que l’on drague et des magouilles qui se fomentent, continue. RAD IO « Migrants : une route africaine » sur RFI La route des Balkans, qui mobilise aujourd’hui l’attention internationale, est la plus récente route d’exode… D’autres, plus anciennes, continuent, cependant, à être empruntées par des milliers de migrants chaque année. C’est le cas de la route qui passe par l’Afrique du Nord, que RFI a choisi de suivre avec ses correspondants, dans une série de cinq reportages que la station a choisi de diffuser, du 21 au 25 mars, à 4 h 48 et 6 h 51. Au programme : La décision du départ (21 mars) ; Les préparatifs du voyage (22 mars) ; Agadez, la ville carrefour (23 mars) ; Le traumatisme des sables (24 mars) ; La mémoire des disparus (25 mars). D É COUVE RTE Clovis Cornillac en « Terre inconnue » Le comédien Clovis Cornillac a accepté de suivre Frédéric Lopez vers une nouvelle terre inconnue : la province du Guizhou, dans le sud de la Chine pour une rencontre avec une communauté Miao. La diffusion de ce 18e épisode de « Rendez-vous en terre inconnue », réalisé par Christian Gaume, est prévue très prochainement sur France 2. 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 068 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 067 HORIZONTALEMENT I. Sans conteste. II. Edicule. Peut. III. Mac. Baisai. IV. Ipéca. Gaînée. V. Oter. Secrets. VI. La. Ion. Saï. VII. Otoscopie. Il. VIII. Gins. Bosse. IX. Iodèrent. Pro. X. Energéticien. VERTICALEMENT 1. Sémiologie. 2. Adaptation. 3. Nicée. Onde. 4. Sc. Cris- ser. 5. Cuba. Oc. Rg. 6. Ola. Snobée. 7. Neige. Pont. 8. Sacristi. 9. Epair. Es. 10. Seines. Epi. 11. Tu. Etai. Ré. 12. Etrésillon. I. S’arrange pour qu’il y ait toujours des restes. II. A la tête bien faite et bien pleine. Peut tout faire péter. III. Douce et agréable dans les feuilles. IV. Coulisse pour prendre les bonnes mesures. Grecque. Prépare les techniciens de demain. V. Désagréables en bouche. Attaché à son titre. VI. Le bel Ernesto. Vache par amour. Colmater au foyer. VII. A franchir pour aller plus loin. Dressée pour ne pas oublier. VIII. Piégé. Appréciation en marge. Enzyme. Petit patron du calendrier. IX. Travaillait sur la pièce. Changeai de timbre. X. Rattrape en partie la faute. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 SUDOKU N°16-068 VERTICALEMENT 1. Fait de grosses réductions dans les déchets. 2. Plutôt diicile de lui résister. 3. Restent en bordure. Presque cent à Rome. 4. Les Amours chantent sa passion pour Corinne. Donne de l’intensité. 5. Un copain de la nana. Sur la portée. Couleur de robe. 6. Au cœur de l’uraète. Pose des problèmes. Planté au cimetière. 7. Station balnéaire en Crimée. A fait sa tournée en tournant. 8. Evitent discussions et procédures. 9. A la bonne heure. Théologien musulman. 10. A grand besoin de récupérer. Bas de gamme. 11. Prisent en douce. Ouvre le journal. Singe barbu. 12. Que l’on verra à plusieurs reprises. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 Chaque jeudi, l’essentiel de la presse étrangère CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») carnet | 21 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Merry-la-Vallée (Yonne). Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissances Anne-Julie MARTINON et Marc-Antoine RICHARD-KOWIENSKI. ont la joie d’annoncer la naissance de Louise, le 31 janvier 2016, à Paris. Laurence et Roger RAMBERT, Karin et Jean-Claude TOLEDANO, ont la joie de faire part de la naissance de Olympe, François et Marie-Grâce, Dominique et Nausicaa, ses enfants, Lorédane et Rafaella, ses petits-enfants Ainsi que toute la famille, font part du rappel à Dieu de M. Pierre BOURIOT, dans sa quatre-vingt-huitième année. La cérémonie religieuse sera célébrée le mercedi 23 mars 2016, à 10 heures, en l’église de Merry-la-Vallée, où l’on se réunira. Condoléances sur registre. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. PF. Prats, Joigny-Aillant-sur-Tholon. Claudine Cerf, son épouse, Nicole Bourgery, sa sœur, Nadine et Philippe Bensussan, Marianne Cerf et Thierry Doré, ses enfants, Matthieu, Guillaume, Elodie, Hugo et Adèle, ses petits-enfants, Les familles Cerf, Fauré et Bourgery, ont la grande tristesse de faire part du décès du professeur Marc CERF, ancien chef du Service de gastroentérologie de l’hôpital Louis Mourier, survenu le 17 mars 2016. La cérémonie de crémation aura lieu le mercredi 23 mars, à 11 h 45, au crématorium du Mont-Valérien, rue du Calvaire, à Nanterre. Sa famille remercie très sincèrement l’équipe soignante du service de cardiologie de l’hôpital Foch. le 11 mars 2016, Cet avis tient lieu de faire-part. chez 15, rue des Gâte-Ceps, 92210 Saint-Cloud. Simon et Muriel. Mariage Gilles ALAYRAC, conseiller spécial du secrétaire d’Etat aux sports, Lionel GINESTET, directeur de service clients, sont heureux de faire part de leur mariage, le samedi 26 mars 2016, à 12 h 15, à la mairie du 12e arrondissement de Paris. Décès Genève (Suisse). Françoise Berdal Strub, son épouse, Andrea, Maxine et Viane, ses illes, Claude et Annie Berdal, ses parents, Sylvain et Frédérique Benoît, son beau-frère et sa sœur, Emma et Théo Benoît, ses neveux, Gisèle Strub, sa belle-mère, Benoît et Laurence Strub, son beau-frère et sa belle-sœur, Kevin, Tanguy et Thibault Strub, ses neveux, Les familles parentes et alliées, Ses amis, Ses collègues, ont l’immense tristesse de faire part du décès de M. Arnaud BERDAL, survenu accidentellement le dimanche 13 mars 2016, à l’âge de quarante-et-un ans. La cérémonie religieuse sera célébrée le lundi 21 mars, à 10 heures, en l’église Saint-Joseph, place des Eaux-Vives, à Genève. Cet avis tient lieu de faire-part. Beyrouth. Copenhague. Melle. Niort. Saint-Paul-de-Vence. Daniel DEVREESE, 1946-2016, professeur de philosophie, est décédé. « De quels maux as-tu souffert ? Dans quels mots as-tu cherché la paix ? » Ses ils Et ses élèves, ne l’oublieront pas. [email protected] Nicole Bacot, Jacques, Marie-Hélène et Angèle Bacot, Jean-François Bacot et Elyane Borowski, éprouvent la grande douleur de faire part du décès de Mme Huguette Di GIACOMO, survenu le 15 mars 2016. Huguette aurait tant aimé traverser son quatre-vingt-onzième printemps. « O Maman, ma jeunesse perdue. Complaintes, appels de ma jeunesse sur l’autre rive. » Albert Cohen, Le livre de ma mère. Les obsèques ont été célébrées à Aixles-Bains, le 19 mars. Le Savoy, 6 avenue des Fleurs, 73100 Aix-les-Bains. # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- Biviers. M Michèle Kampf, son épouse, Mme Martine Kampf, sa ille, Jean-Bastien et Maxence Dussart, Thimoté et Naomi Boullet, ses petits-enfants, Ses parents Et amis, me ont la tristesse de faire part du décès de M. Serge KAMPF, survenu à l’âge de quatre-vingt-un ans. La cérémonie sera célébrée le lundi 21 mars 2016, à 14 heures, en la cathédrale Notre-Dame de Grenoble. (Le Monde du 18 mars.) Claudie Labie, sa belle-sœur, Gilles et Hélène Ravelo de Tovar, Marie-Anne et Jean-Pierre Camescasse, Antoine et Isabelle Ravelo de Tovar, Emmanuel Ravelo de Tovar, Denis et Catherine Fayein, Vincent et Hélène Fayein, Laurent et Clarisse Fayein, Patrice Labie, Anne-Françoise et Laurent Leurquin-Labie, ses neveux et nièces, Ses petits-neveux et petites-nièces, ont la tristesse de faire part du rappel à Dieu du docteur Dominique LABIE, directeur de recherche honoraire à l’INSERM, chevalier de l’ordre national du Mérite, à Paris, le 9 mars 2016. La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 1 er avril, à 10 heures, au couvent Saint-Jacques, 20, rue des Tanneries, Paris 13e. L’inhumation se déroulera dans la stricte intimité familiale. Betoule Fekkar Lambiotte, son épouse, Hamdane et Salima, leurs enfants, Sylvie Lambiotte, Nadine Schmitt, France Lambiotte, ses sœurs Et leurs familles respectives, ont la douleur de faire part du décès de Maurice LAMBIOTTE, directeur de recherches au CNRS (er), survenu le 15 mars 2016. Les obsèques auront lieu le mardi 22 mars, à 11 h 30, au cimetière du PèreLachaise, Paris 20e. Ni leurs ni couronnes. B. Fekkar Lambiotte, 28, rue Le Regrattier, 75004 Paris. Elisabeth Widemann, sa compagne, Jean-Christophe et Isabelle Lebeaux, Aurélie et Alexandre Mayaud, ses enfants, Manon,Valentin, Eva, Gabriel, ses petits-enfants, Mireille Lebeaux, Ses frères et sœurs et leurs familles Ainsi que tous ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de M. Lucien LEBEAUX, ingénieur civil des Mines, promotion 1965, survenu le 17 mars 2016, à Neuilly-sur-Seine. La cérémonie religieuse sera célébrée le mercredi 23 mars, en l’église SaintJustin, place d’Estienne-d’Orves, à Levallois-Perret, où l’on se réunira à 14 h 30. L’inhumation aura lieu au cimetière de Levallois-Perret, 101, rue Baudin. 48, avenue de la Porte-de-Villiers, 92300 Levallois-Perret. Limoges. Saint-Léonard-de-Noblat. Josette, Marc et Yolande, Jacques et Colette (†) Peyrichou, ses frères, sœur et belle-sœur, Ses neveux Peyrichou, Dupont, Erard et leurs enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Louis Michel PEYRICHOU, ingénieur agronome, Grignon promotion 1950, survenu le 15 mars 2016, à Limoges, dans sa quatre-vingt-septième année. Ses obsèques auront lieu le samedi 19 mars, à 14 h 30, en la collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat. Le présent avis tient lieu de faire-part. Famille Peyrichou, 15, rue du Vieux-Pont, 87400 Saint-Léonard-de-Noblat. Laurence Avril, Dominique PluotSigwalt, Isabelle Dérens, Carole Pluot, ses illes, Hadrien Dérens et Elisa Ortega, leur ils, Métélis, Laure et François Bonnerot, leurs illes, Mila et Cléo, Charlotte Avril, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, ont le chagrin d’annoncer le décès de Jacqueline PLUOT, née LEPORT, survenu le 17 mars 2016, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Une messe sera célébrée en la chapelle des Sœurs-Augustines, le mardi 22 mars, à 10 heures, 29, rue de la Santé, Paris 13e, suivie de l’inhumation dans l’intimité familiale, au cimetière de Bagneux (Marne). Maxime et François, ses ils, Pierre, son petit-ils, Patrick et Dominique Simon, ses neveu et nièce, Lynda et Mouida, ses amies, ont la douleur de faire part du décès de Jean PRODROMIDÈS, membre de l’Institut (Académie des beaux-arts), oficier de la Légion d’honneur, oficier de l’ordre national du Mérite, commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres. La cérémonie aura lieu à Paris, en l’église Sainte-Etienne-du-Mont, Paris 5e, le mardi 22 mars 2016, à 10 h 30 et l’inhumation au cimetière de La Celle (près Brignoles), mercredi 23 mars, à 15 heures, où il rejoindra son épouse, Floria. M. Erik Desmazières, président, M. Arnaud d’Hauterives, secrétaire perpétuel Et tous les membres de l’Académie des beaux-arts, ont la tristesse de faire part du décès de leur confrère 24, bd Edgar-Quinet 75014 PARIS Tél. : 01 43 20 74 52 www.maison-cahen.fr A votre écoute dans le respect de vos souhaits et de vos valeurs. PRÉVOIR • Une anticipation des étapes et des droits ORGANISER • Une prise en main des démarches ACCOMPAGNER • Un suivi au-delà des funérailles Anniversaires de décès Le 21 mars 2015, Micheline MAUS, née FRANCK, nous quittait. Duos et Débats Carme Pinós versus Marc Barani, jeudi 31 mars 2016, 18 h 30 à 20 h 30. Modération : Philippe Trétiack. Ses enfants, Ses petits-enfants. Le 20 mars 1989, disparassait France POUMIRAU. Souvent, nous pensons à elle. « Tu sais comment les amandiers leurissent. » Rainer Maria Rilke. Colloque « Georges Pompidou et le bonheur » 30 et 31 mars 2016, Centre Pompidou - Paris. L’Institut Georges Pompidou organise un colloque sur la France des années 1960-1970 : était-ce une France heureuse ? En présence de Yves Cannac, Michèle Cotta, Hervé Gaymard, Philippe d’Iribarne. Renseignement et réservation : Tél. : 01 44 78 41 22. http://www.georges-pompidou.org/ Conférence Jean PRODROMIDÈS, membre de la section de Composition musicale de l’Académie des beaux-arts, membre de l’Institut, oficier de la Légion d’honneur, oficier dans l’ordre national du Mérite, commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres, survenu le jeudi 17 mars 2016, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Les obsèques seront célébrées le mardi 22 mars, à 10 h 30, en l’église SaintEtienne-du-Mont, place Sainte-Geneviève, Paris 5e. L’inhumation aura lieu le mercredi 23 mars, à 15 heures, au cimetière de La Celle (Var). Cet avis tient lieu de faire-part. Académie des beaux-arts, 23, quai de Conti, 75270 Paris Cedex 06. Les Mardis de Sévigné « Ethique, politique et esthétique : pensée et pratique des rites confucianistes dans la Chine ancienne » Conférence donnée par Wenjie Zhang, doctorante en études culturelles chinoises et enseignante de classique chinois pour l’Association Sino-Lettres. Mardi 22 mars 2016, de 18 h 30 à 20 h 30, Collège Sévigné, 28, rue Pierre Nicole, Paris 5e. Tél. : 01 53 10 14 14. www.collegesevigne.org Communications diverses L’artiste peintre Lise RANCILLAC, dite « LISERAN », s’est éteinte le mercredi 16 mars 2016. Ses enfants, Ses petits-enfants Et ses amis, lui rendront un dernier hommage au crématorium du cimetière du PèreLachaise, le 23 mars, à 16 heures. Remerciements Aubervilliers. Evelyne Yonnet-Salvator, son épouse, Alexandra et Xavier, ses enfants, Josef et Benoît, ses petits-enfants, Maurice et Martine Salvator, son frère et sa belle-sœur, Hélène et Jean Salvator-Pastré, Laurence et Nicolas Salvator-Laurent, ses nièces et neveux, Gabrielle, Ariane et Lucie, ses petites-nièces, très touchés par les nombreuses marques d’affection, d’amitié et de sympathie qui leur ont été témoignées lors du décès de leur regretté M. Jacques SALVATOR, ancien maire d’Aubervilliers, chevalier de la Légion d’honneur, survenu le 11 mars 2016, à l’âge de soixante-sept ans. remercient sincèrement tous ceux qui se sont associés à leur douleur par leur présence, leurs messages de sympathie, leurs envois de fleurs, leur affection, ou leur amitié. Plateforme de la création architecturale Assises pédagogiques les 26 et 27 mars 2016, au Mémorial de la Shoah Dans le cadre de la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme L’histoire de la Shoah face aux déis de l’enseignement. Deux journées d’échanges sur les pratiques pédagogiques, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et la DILCRA. Samedi 26 mars 2016, 10 h 30 - 12 h 30 : « Enseigner la Shoah, un enseignement disciplinaire et pluridisciplinaire ? » 14 heures -16 heures : « D’une histoire locale à une histoire européenne, comment mieux inscrire l’histoire de la Shoah dans l’espace et le temps ? » 16 heures : « Psychanalyse, Antisémitisme et Shoah », Dimanche 27 mars, 10 heures -12 h 30 : « L’enseignement de l’histoire de la Shoah, à l’épreuve des pédagogies innovantes (internet, réseaux sociaux, pédagogie inversée) ». 14 heures - 16 heures : « Comment lier un enseignement théorique et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ». 16 heures : Conclusion. Entrée libre sur inscription : www.memorialdelashoah.org Les Entretiens de Chaillot Takaharu Tezuka, Tokyo Beyond architecture, lundi 4 avril 2016, à 19 heures. Les Rendez-vous Métropolitains Ivry-sur-Seine, entre voie luviale et voies ferrées, jeudi 7 avril, à 19 heures. Les Rendez-vous critiques Tribune de la critique architecturale sur des questions d’actualité animée par Francis Rambert avec Frédéric Edelmann, Richard Scofier, Sophie Trelcat et Philippe Trétiack, jeudi 14 avril, à 19 heures. Entrée libre inscription citechaillot.fr PAIX ET MIGRATION Penser le monde autrement 20 conférences, débats, tables rondes et projections les 31 mars, 1er et 2 avril 2016, à la Cité internationale universitaire de Paris. Dans l’esprit de sa vocation au service du rapprochement entre les peuples, la Cité internationale organise l’Université de la Paix sur le thème « Paix et migration : penser le monde autrement ». Cette manifestation a pour objet de permettre à chacun d’approfondir sa rélexion sur les phénomènes de migrations avec l’appui de personnalités et d’experts de haut niveau. Conférence-débat « Les migrations menacent-elles la stabilité des frontières interétatiques, principe majeur de l’ordre international ? » 31 mars à 10 heures, Maison de Norvège, Philippe Moreau Defarges, chercheur à l’IFRI, Enrico Letta, ancien président du conseil d’Italie. Modération : Jean-Marie Colombani. Conférence « Les populations en mouvement au 21e siècle », 31 mars, à 20 heures, Maison Heinrich Heine, António Guterres, ancien haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Modération : Daniel Vernet. Table ronde, « Aspects culturels et religieux », er 1 avril, à 11 heures, Maison de l’Italie, Pierre Manent, directeur d’études à l’EHESS, Miriam Schader, chercheuse au Centre de théologie islamique de l’université de Münster, Hatem M’Rad, professeur de science politique à l’université de Carthage. Modération : Sabine Choquet. Conférence-débat, « Gestion des lux migratoires, politique migratoire », 1er avril, à 14 h 30, Maison du Canada, Pierre Vimont, ancien chef du service de coopération extérieure de l’Union européenne, Pascal Brice, directeur général de l’Ofpra. Modération : Virginie Guiraudon. Témoignages, « Les voix inaudibles de la crise migratoire : témoignages des résidents de la Cité internationale », 2 avril, à 11 h 30, Maison de Norvège. Conférence, « Penser le monde autrement : l’expérience de la Colombie », 2 avril, à 16 h 30, Fondation Biermans-Lapôtre, Juan Carlos Henao Perez, recteur de l’université Externado de Bogota et négociateur de la paix en Colombie. Programme complet et inscription : www.ciup.fr/universite-paix Cité internationale universitaire de Paris 17, boulevard Jourdan, Paris 14e. RER B, T3a : Cité Universitaire. 22 | DÉBATS & ANALYSES 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Gare aux simplifications des enjeux liés à la procréation assistée Emploi d’avenir | par selçuk Dans une récente tribune, 130 médecins prenaient position en faveur d’un assouplissement des règles sur l’aide à la procréation. Mais attention à ne pas verser dans l’eugénisme Par JACQUES TESTART L Cessons de ressasser les mémoires meurtries de la guerre d’Algérie ! Le refus de Nicolas Sarkozy d’accepter que le 19 mars soit la Journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de cette guerre est révélateur de la difficulté encore actuelle de la France à regarder en face la page coloniale de son passé Par MOHAMMED HARBI ET GILLES MANCERON D epuis décembre 2012, la Journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie a été fixée au 19 mars. La date est celle du cessez-le-feu, décidé la veille par les accords d’Evian, qui a rendu possibles après plus de sept ans de guerre, en 1962, la fin du conflit et l’indépendance du pays. Le fait qu’il y eut encore des victimes dans les mois qui ont suivi, notamment parmi les pieds-noirs et les harkis, est indiscutable. Cela s’explique en grande partie par le fait qu’une partie de ceux qui avaient soutenu en 1958 le retour au pouvoir du général de Gaulle se sont opposés à sa volonté, lorsqu’il a constaté le ralliement massif de la grande majorité des Algériens à l’idée d’indépendance de leur pays, de trouver une solution politique qui mette fin au conflit et permette cette indépendance. Cette politique a été approuvée, lors du référendum du 8 janvier 1961, par 75,25 % de oui en métropole – et 69,09 % en Algérie, malgré le vote non très majoritaire des quartiers européens. Mais ceux qui la désapprouvaient et ne voulaient pas reconnaître ce ralliement de la majorité de la population et la victoire politique et diplomatique du FLN ont cherché à s’y opposer par tous les moyens. Les jusqu’au-boutistes de l’Algérie française ont constitué, dans l’Espagne du général Franco, une organisation, l’OAS, qui a voulu empêcher cette issue en pratiquant une violence terroriste qui, au lendemain des accords d’Evian, a été redoublée. Jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, en juillet 1962, l’OAS a tué près de 3 000 personnes : plus de 2 500 Algériens et environ 400 personnes parmi les militaires, policiers et fonctionnaires français, et AUCUN CONFLIT NE S’EST ARRÊTÉ INSTANTANÉMENT À PARTIR DE LA DATE QUI EN ANNONÇAIT IRRÉMÉDIABLEMENT LA FIN parmi les Européens d’Algérie qui n’étaient pas d’accord avec elle. Cette violence, qui s’est étendue à la France – où elle a fait 71 morts et 394 blessés, et choqué profondément l’opinion publique –, explique en grande partie que le cessezle-feu n’ait pas marqué en Algérie l’arrêt immédiat des affrontements. Un processus de transition graduelle vers l’indépendance était prévu par les Accords d’Evian. Un « Exécutif provisoire » comportant des européens d’Algérie, disposant d’une « Force locale » composée à la fois de militants nationalistes et d’anciens militaires et supplétifs algériens (les harkis) de l’armée française, devaient favoriser une période transitoire jusqu’à l’établissement d’une République algérienne. La violence de l’OAS, comme les débordements au sein de la Résistance algérienne, où la maîtrise des évènements a échappé aux négociateurs d’Evian, ont rendu ce scénario impossible. DISCOURS CONTRADICTOIRES De fait, de nombreuses victimes sont intervenues après le 19 mars. Mais aucun conflit ne s’est arrêté instantanément à partir de la date qui en annonçait irrémédiablement la fin. La première guerre mondiale a continué sur le front d’Orient au-delà du 11 novembre 1918, provoquant dans les Balkans la disparition de militaires français officiellement reconnus comme « morts pour la France » durant ce conflit. Après la date du 8 mai 1945, commémorée comme la fin de la seconde guerre mondiale, le conflit s’est poursuivi dans le Pacifique, faisant de nombreux morts et déportés français jusqu’à l’effondrement du Japon. L’argument contestant la date du 19 mars au nom du fait qu’elle n’a pas mis fin à la longue série des victimes de ce conflit n’est qu’un prétexte. Il cache le plus souvent une hostilité à la politique choisie alors par le gouvernement de la République, une sympathie ou une indulgence pour ceux qui, comme les membres de l’OAS, en s’opposant par tous les moyens à la fin de cette guerre, quitte à accroître le nombre de ses victimes, auraient été des « résistants ». Le refus d’accepter que le 19 mars soit la Journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de cette guerre est révélateur des difficultés de la France à regarder en face la page coloniale de son passé. Des discours contradictoires ont été tenus depuis plus de cinquante ans sur cette question par les plus hautes autorités de la République. Aucun président de la République jusqu’à 2012 n’a voulu consacrer la date du 19 mars. Au sein de la droite, le courant gaulliste favorable à la décolonisation n’a cessé de régresser jusqu’à disparaître pratiquement, tandis que l’extrême droite nostalgique de l’Algérie française n’a cessé de reprendre de la vigueur et a influencé sur ces sujets la principale force politique de la droite républicaine. François Mitterrand s’est gardé d’accéder à la demande de commémoration, le 19 mars, de la fin de la guerre d’Algérie, pour ne pas rompre avec certains de ses soutiens, y compris les militaires putschistes vis-à-vis desquels il a pris l’une des premières mesures de son premier septennat, suscitant l’incompréhension de sa majorité parlementaire. Jacques Chirac a décidé en 2002 de l’installation du mémorial du quai Branly et d’une date de commémoration, celle du 5 décembre, qui était vide de toute référence ou signification historique. Pendant sa présidence, Nicolas Sarkozy n’a cessé, dans un but électoral, de faire des clins d’œil aux nostalgiques de l’Algérie française regroupés à l’extrême droite. Après la loi de 2005 évoquant le « rôle positif » de la colonisation, il a fait du « refus de la repentance » l’un de ses thèmes de prédilection. Rien n’a été fait durant les cinquante-quatre ans après la signature des accords d’Evian pour solder le « contentieux historique » entre l’Algérie et la France. Depuis un demi-siècle, une guerre des mémoires s’est poursuivie. On a assisté à la résurgence de haines anciennes. Ce n’est pas le choix de la date du 19 mars qui entretient la guerre des mémoires, c’est le fait que ce choix ne soit pas intervenu plus tôt. Cette question n’intéresse pas seulement les historiens, elle concerne aussi le présent et l’avenir de toute la société, les préjugés et les stéréotypes qui y produisent les principales discriminations. Pour progresser vers une perception apaisée du passé, il faut dépasser ce ressassement des mémoires meurtries, il faut accepter la libre recherche historique et entendre toutes les mémoires, à l’écart de toutes les instrumentalisations officielles. Afin qu’une connaissance se développe sur la base des regards croisés des historiens des différents pays. p ¶ Mohammed Harbi est historien. Ancien membre dirigeant du FLN et conseiller de la délégation algérienne lors des négociations d’Evian, il a notamment publié « Une vie debout. Mémoires politiques » (La Découverte, 2001) et « La Guerre d’Algérie » (en collaboration avec Benjamin Stora, Robert Laffont, 2004). Gilles Manceron est historien, auteur notamment de « Marianne et les colonies » (La Découverte, 2003) et de « 1885 : le tournant colonial de la République » (La Découverte, 2007). ¶ Jacques Testart est biologiste, pionnier de l’assistance médicale à la procréation. Il est notamment l’auteur de « Faire des enfants demain » (Seuil, 2014) es signataires du manifeste contre la loi encadrant l’assistance médicale à la procréation évoquent quatre situations où ils auraient été obligés de ne pas respecter cette loi (Le Monde du 18 mars). Ils ne disent pas si des documents ont été falsifiés pour obtenir le remboursement des actes prohibés, ni les complicités qu’ils ont pu établir depuis longtemps avec des praticiens à l’étranger, et ils évitent d’évoquer la contribution de certains d’entre eux à des pratiques que d’autres désapprouvent (comme la location d’utérus). Leur démarche reflète un authentique malaise dans la profession et leur frustration au regard de ce qui est possible ailleurs, mais les signataires simplifient à l’extrême les enjeux bioéthiques pour les réduire à une supposée obligation de répondre à toutes les demandes présentées par des patients. L’escalade des exigences est argumentée comme une course sans limite. Parce que c’est possible dans d’autres pays (argument utilisé pour trois exigences parmi les quatre exprimées), ou dans l’autre sexe (conservation d’ovocytes), ou que cela conduit à un statut familial autorisé (assistance médicale à la procréation pour femmes seules). Aucune interrogation sur le nouveau rôle que s’attribue la biomédecine pour résoudre des situations d’origine sociale plutôt que médicale, sur la nature complexe du « désir d’enfant », sur l’efficacité des actes revendiqués (chaque ovocyte conservé n’a que trois chances sur cent de devenir un enfant), sur les coûts induits pour la collectivité, ou sur le caractère vétérinaire de certaines pratiques. Ainsi, les banques de sperme procèdent à « l’appariement de couples reproducteurs » dans un souci de qualité génétique de l’enfant, tout en maintenant de manière définitive l’anonymat du donneur, au mépris du questionnement de la personne conçue sur ses origines. Surtout, l’escalade technologique est sensible pour le diagnostic préimplantatoire (DPI) de l’embryon. Le caryotype (formule chromosomique) est revendiqué par les signataires du manifeste en complément du dépistage de mutations géniques. Ce nouvel examen de l’embryon ouvre le DPI à tous les patients qui réalisent une fécondation in vitro (FIV). L’ÉVITEMENT DES ÉCARTS À LA NORME En recherchant, avec le généticien Bernard Sèle, récemment disparu, une limitation effective de l’eugénisme que construit le DPI, nous avions avancé, dès 1999, qu’il serait acceptable de réaliser le caryotype à l’occasion d’un DPI, mais c’était dans l’hypothèse définitive d’associer ce caryotype avec la recherche d’une seule mutation de gène pour tous les embryons d’un couple. Ici, le caryotype est proposé comme une marche de plus, supposée répondre à un risque démontré, comme si tout couple n’était pas à risque d’anomalie chromosomique – ainsi, dans l’émission « Les Maternelles » qui sera diffusée sur France 5 le 28 mars et à laquelle j’ai participé, l’un des signataires du manifeste demande, en complément au DPI, de pouvoir dépister la trisomie 21, une anomalie sans facteur de risque déterminant. Pourquoi, nous dira-t-on dès que ce DPI chromosomique sera légalisé, le limiter à des situations de fausses couches répétées alors que les anomalies chromosomiques sont presque toujours imprévisibles ? Et pourquoi les couples réalisant une FIV pour stérilité ne demanderaient-ils pas le bénéfice du DPI, en revendiquant l’égalité de tous les patients vis-à-vis des risques génétiques ? Et puisque « nos » patients vont à l’étranger pour concevoir un enfant du sexe préféré ou indemne de strabisme et garanti contre de multiples aléas, comment tolérer de ne pas disposer de ces services en France ? Selon les exigences médicales, le DPI s’élargira jusqu’à l’évitement de tous les écarts à la norme, ce qui deviendra techniquement possible dès que les embryons seront produits par centaines et que la fivete ne sera plus un parcours du combattant. Cette situation sera propice à la réalisation d’un véritable eugénisme mou et démocratique. Le manifeste rappelle que la bioéthique est l’art de poser des limites. p débats & analyses | 23 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Médiateur | PAR FRAN C K N O U C H I Le commentateur et le modérateur V ous êtes nombreux à m’écrire à propos de la manière dont sont modérés les commentaires postés sur les différents supports du Monde. Les uns veulent savoir comment fonctionne ce dispositif. D’autres se plaignent d’être régulièrement censurés. Certains, enfin, expriment un profond malaise à la lecture de certaines réactions. Voici par exemple un courriel significatif. Il m’avait été adressé par Agnès Goubin (Paris) à la suite de la publication d’un article intitulé « Contrôle d’identité au faciès : L’Etat se pourvoit en cassation » (Le Monde du 17 octobre 2015). « Rien à redire sur cet article », écrivait cette lectrice, avant d’ajouter ceci : « Les réactions des abonnés du Monde sont d’une autre teneur et ce n’est pas la première fois que je suis frappée par les propos démagogues et racistes que j’y lis (…). Je trouve que ce type de forums, sans modération, ressemble à un café du commerce. La lepénisation des idées est partout, merci de ne pas y participer. Vous avez un rôle à jouer en tant que grand quotidien d’information. » Contrairement à ce que semble croire notre lectrice, le site du Monde fait l’objet d’une modération. Clément Martel, qui, au Monde.fr, exerce la fonction de social media editor (SME), nous en détaille le fonctionnement. « Comme dans la plupart des titres de presse hexagonaux, explique-t-il, c’est une entreprise spécialisée, Netino, qui est chargée de modérer au quotidien les commentaires. Se relayant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une quinzaine de personnes de cette société travaillent de manière étroite avec les équipes du Monde. » Au total, au cours de l’année 2015, l’équipe de modération du Monde.fr a traité plus de 4 millions de commentaires, tous supports confondus. Selon Netino, 71 % de ces commentaires avaient été postés sur les pages Facebook du Monde, 17 % sur notre site et 12 % sur les blogs que nous hébergeons. Sur près de 3 millions de commentaires postés sur nos différentes pages Facebook, le taux de rejet (c’est-à-dire de suppression des commentaires qui ne respectent pas notre charte de modération) est de 21,5 %. Sur le site, ce taux est de 16 %. RESPONSABILITÉ LÉGALE Dès lors, direz-vous, pour quelles raisons, et sur la base de quels critères, tel ou tel commentaire est-il supprimé ? « Nous sommes légalement responsables des propos publiés sur notre site, explique Clément Martel. Ces propos incluent les commentaires en pied d’article et, par capillarité, ceux publiés sur notre page Facebook. Par conséquent, comme le précise notre charte de modération, “les modérateurs suppriment les messages qu’ils jugent hors su- jet, diffamants, insultants, ou s’attaquant de manière virulente et injustifiée au travail de notre rédaction ou à d’autres membres de notre communauté”. » « Nous cherchons à favoriser des discussions constructives et de qualité, poursuit Clément Martel. Et, pour ce faire, il nous arrive de supprimer des commentaires qui, s’ils ne vont pas à l’encontre de la loi, laissent planer suffisamment de doutes quant à leurs sous-entendus. Très souvent, ils sont le fait de “trolls” rompus à l’exercice du commentaire “borderline”. » Il arrive toutefois que certains commentaires choquants restent en ligne, alors même qu’ils ne respectent pas notre charte de modération. « Notre modération se fait a posteriori, explique Clément Martel. Sur Facebook, certains commentaires sont automatiquement supprimés s’ils contiennent des mots entrants dans notre “black list” (“connards”, “salauds” ou “pouffiasse” en font partie, parmi bien d’autres). Mais, en règle générale, une intervention humaine est nécessaire pour qu’un commentaire soit supprimé. Au vu de la masse de commentaires à gérer – près de 11 000 chaque jour, tous supports confondus –, il arrive donc que certaines réactions, susceptibles de choquer, demeurent quelques minutes en ligne. » Impossible, ici, de mentionner tous les cas de commentaires supprimés par… erreur. Il y en a, vous m’en faites part quotidiennement, et sachez, pour peu qu’ils respectent la charte de modération, que leur suppression ne répond à aucune consigne spécifique de censure. Enfin, si plusieurs d’entre vous regrettent que les commentaires soient réservés aux abonnés (au Monde, seuls les blogs et les articles publiés dans la rubrique « Big Browser » sont « ouverts » à tous les internautes), d’autres, au contraire, défendent l’idée qu’il serait plus « sain » de supprimer purement et simplement la pratique des commentaires. Soulignant que la situation actuelle « n’est pas satisfaisante », Nabil Wakim, le directeur de l’innovation éditoriale, note que la qualité globale des commentaires est bien meilleure sur certains blogs, comme, par exemple, ceux de Pascale Robert-Diard ou de Pierre Barthélémy. Le fait que ces confrères prennent le temps de répondre à leurs lecteurs n’y est sans doute pas pour rien. « Ce débat important ne fait que commencer », poursuit Nabil Wakim. Dans les prochains mois, avec ses équipes, il compte aller à votre rencontre afin de connaître vos opinions sur ces questions cruciales. Il en va de la qualité et de la dignité du débat public. p EN 2015, L’ÉQUIPE DE MODÉRATION DU MONDE.FR A TRAITÉ PLUS DE 4 MILLIONS DE COMMENTAIRES, TOUS SUPPORTS CONFONDUS [email protected] Vladimir Poutine évite le bourbier syrien, Aux origines de la guerre de Corée pas l’enlisement ukrainien LE GRAND LEADER ET LE PILOTE, Analyse isabelle mandraud moscou - correspondance L’ « ÉCHANGER LA SYRIE CONTRE LE DONBASS A ÉCHOUÉ. LA RUSSIE RESTE SOUS SANCTIONS ET SOUS LE POIDS DE LA RESPONSABILITÉ DU CONFLIT UKRAINIEN », SELON LE JOURNAL RUSSE « VEDOMOSTI » intervention militaire russe en Syrie puis, six mois plus tard, le retrait tout aussi soudain de la « majeure partie » de ses forces sur le terrain ont permis à la Russie de sortir partiellement de l’isolement créé par son implication dans le conflit ukrainien. Peu importe les critiques sur des opérations lancées depuis Moscou qui ont davantage visé les opposants de Bachar Al-Assad que les groupes djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) ou de Jabhat AlNosra affilié à Al-Qaida, l’essentiel pour Vladimir Poutine était de reprendre une place qu’il estime devoir lui revenir sur l’échiquier mondial. Mais si le président russe a su s’imposer comme un partenaire majeur au Moyen-Orient et contourner habilement le risque d’un « bourbier afghan », comme certains le lui prédisaient en retirant ses forces au moment propice – une trêve, négociée comme au bon vieux temps avec les Etats-Unis, et plus ou moins respectée, hors l’EI et Jabhat Al-Nosra, par les parties syriennes belligérantes –, l’enlisement ukrainien, lui, est bien réel. Deux ans tout juste après son annexion, ratifiée officiellement le 18 mars 2014 par le Parlement russe, la Crimée reste une pomme de discorde. Les accords de Minsk signés en février 2015 dans la capitale biélorusse, censés mettre fin au conflit meurtrier dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine, patinent. Et l’Union européenne a prolongé les sanctions contre la Russie. Début mars, la réunion à Paris des quatre pays parrains de ces accords (Allemagne, France, Russie et Ukraine) s’est achevée sur un désaccord concernant l’organisation d’élections locales prévues dans les textes, Kiev et Moscou se rejetant mutuellement la responsabilité. En attendant, même si les combats ont perdu de leur intensité, des accrochages opposent quotidiennement l’armée ukrainienne aux séparatistes prorusses. Ces derniers, installés dans la République autonome autoproclamée de Donetsk, dans le Donbass, continuent leurs provocations en mettant en circulation des « passeports » en tous points semblables à ceux de Russie. De l’autre côté, le spectaculaire bras d’honneur de la pilote ukrainienne Nadejda Savtchenko adressé à un tribunal russe est en passe de devenir un symbole de résistance à Kiev, où l’ambassade russe a récemment été la cible de manifestants en colère. Jugée sur le territoire russe où elle affirme avoir été « enlevée », cette femme de 34 ans, devenue députée dans son pays alors qu’elle se trouvait en détention, poursuivie malgré ses dénégations pour complicité après la mort de deux journalistes russes dans le Donbass en juillet 2014, encourt vingt-trois ans de réclusion. Les appels à sa libération, en Europe et aux Etats-Unis, se multiplient, à l’approche du verdict prévu les 21 et 22 mars. En apparence, le théâtre des opérations en Syrie a peu à voir avec celui en Ukraine. En réalité, ils sont liés. Grâce au dossier syrien, Moscou a réintégré une place prépondérante sur la scène diplomatique internationale mais la méfiance créée par la crise ukrainienne reste de mise. « En Ukraine, nous avons déjà vu la Russie parler d’un retrait et ça s’est avéré être une simple relève de troupes, a lancé le ministre des affaires étrangères britannique, Philip Hammond. On a déjà entendu le ministre russe de la défense [Sergueï] Choïgou dire que les bombardements contre les terroristes – ce qui veut dire tous les opposants au régime, dans le langage russe – allaient continuer, alors attendons de voir ce qui se passe vraiment. » LA MÉFIANCE RESTE DE MISE Comme le notait, le 16 mars, le journal russe Vedomosti, « il semble que Moscou a considéré que l’objectif principal de sortir de son isolement international a été accompli ». Mais, ajoutait férocement l’éditorial du quotidien, « le problème est que cette sortie d’isolement risque de rester locale. (…) Echanger la Syrie contre le Donbass a échoué. La Russie reste sous sanctions et sous le poids de la responsabilité du conflit ukrainien ». Agacé, impatient de récolter les dividendes de l’opération syrienne présentée comme une contribution à la lutte internationale contre le terrorisme, Poutine a lui-même établi un trait d’union avec l’autre dossier resté sur sa table lorsqu’il a annoncé par téléphone, au soir du 14 mars, à Barack Obama sa décision de passer à un volet plus diplomatique que militaire. « Les dirigeants, a rapporté le Kremlin dans un communiqué, ont confirmé leur intention de continuer à travailler avec les parties en conflit dans le but de régler ce dernier. » Il ne s’agissait pas de la Syrie, mais bel et bien de l’Ukraine. La poursuite du dialogue russo-américain paraît conditionnée à cette impérieuse nécessité de sortir par le haut d’une crise qui a coûté très cher à la Russie – bien plus que l’effort de guerre en Syrie, évalué par le journal russe RBK Daily à 38 milliards de roubles (près de 500 millions d’euros). « Bien sûr, nous, du côté russe, sommes toujours prêts à discuter sur la Syrie de notre coordination et à joindre nos efforts pour trouver une solution pacifique », a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, en confirmant la venue à Moscou, peutêtre le 24 mars, du secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Mais, a-t-il ajouté, en laissant entendre qu’une rencontre avec le président Poutine était en débat, « Moscou est aussitôt prêt à échanger nos opinions sur l’application, ou la non-application, des accords de Minsk par la partie ukrainienne ». Vis-à-vis des Européens, Moscou multiplie aussi, en ce moment, les démarches auprès des chancelleries. Les émissaires sont tous porteurs du même message : ce n’est pas la faute de la Russie si les accords de Minsk piétinent, c’est Kiev qui ne respecte pas ses engagements. Kiev qui reste une entrave aux rêves de grandeur de Poutine. p de Blaine Harden Belfond, 288 pages, 20 € LE LIVRE P éninsule coréenne, à partir du milieu des années 1940. La seconde guerre mondiale s’achève par des bombardements d’une puissance inédite sur Hiroshima et Nagasaki, au Japon. Après avoir mené des troupes pendant la résistance contre l’occupant japonais sur le sol chinois, Kim Il-sung rentre à Pyongyang dans l’ombre. Pour les Soviétiques, nouveaux parrains du Nord, il est loin d’être le dirigeant le plus évident. Ils lui auraient préféré Cho Mansik, plus populaire, mais celui-ci n’appréciait pas l’idée que son pays vive dans l’orbite de Moscou. Staline misera donc sur le pion Kim Il-sung. De son côté, la famille No a accepté la présence japonaise. C’est un groupe nippon qui emploie le père, qui a poussé son fils à apprendre la langue. Il incite également No Kum-sok à se mettre à l’anglais et les livres qu’il lit l’inspirent : à 13 ans, il pense déjà à l’Amérique. Le journaliste Blaine Harden, ancien chef de bureau du Washington Post à Tokyo, mêle ici le récit historique à la narration journalistique de la vie de ce jeune homme. L’auteur avait déjà coécrit Rescapé du camp 14 (Belfond, 2012), sur la vie de Shin Dong-hyuk qui, dans le sinistre des témoignages de réfugiés issus du Nord, se démarquait car il passa toute son existence dans un camp de travail, sans jamais connaître la liberté avant sa grande fuite. Shin avait d’ailleurs par la suite dû reconnaître avoir noirci certains éléments de cette vie d’esclave. DÉROUTE Cette fois, Blaine Harden se plonge dans les deux destins de Kim Il-sung et No Kum-sok, qui se croisent dans une péninsule bientôt plongée dans le premier conflit chaud de la guerre froide. Les ambitions démesurées et les imprudences du « Grand Leader » vont conduire à la guerre de Corée. Malgré les réticences initiales de la Russie et de la Chine, Kim est persuadé de pouvoir emporter la bataille en un temps record, convaincu que les Etats-Unis n’y mettront pas leur nez et que des sympathisants communistes se rallieront à l’arrivée de ses troupes. L’Histoire en décide autrement. Les bombardiers B-29 de l’US Air Force rasent les centres urbains nord-coréens au napalm, le Nord n’a pas les chasseurs qui les en empêcheraient et n’a pas attendu les livraisons de chars russes. C’est la déroute. Au constat de cet échec, la Chine envoie ses troupes et Moscou livre ses Mig, des avions de chasse à la manœuvre dangereuse. Pour la seule raison qu’il n’a pas le tournis lorsque ses supérieurs lui font passer le test de la rotation sur luimême, No Kum-sok deviendra pilote de cette nouvelle aviation du Nord. Mais son cœur n’a jamais été de ce côté, la propagande et le culte de la personnalité qui déjà s’imposent dans son camp n’ont pas de prise sur son esprit et, bientôt, No est le premier et seul pilote du Nord à faire défection en atterrissant sur une base du Sud. p harold thibault 24 | 0123 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 par sylvie kauffmann Russie, le retour E fficace, le mot a claqué à la « une » des médias russes ces derniers jours : « Doma ! » « Doma », littéralement, signifie « à la maison ». En gros titre au-dessus de la photo d’un pilote de chasse, encore coiffé de son casque, porté en triomphe à sa descente d’avion, cela veut dire « de retour ! ». Et la Russie, ce week-end, fête un double retour : celui de ses troupes envoyées en Syrie il y a cinq mois et demi, et le deuxième anniversaire de l’annexion de la Crimée, formellement reprise à l’Ukraine le 18 mars 2014. Le premier est triomphal, le second un peu moins. Mais cumulés, pour l’opinion publique russe, ils signent un troisième retour, celui de la puissance Russie. C’est une nouvelle réalité, probablement durable, que les Occidentaux doivent prendre en compte. Le retour de Syrie, d’abord, n’est pas un retrait. Annoncé le 14 mars à la télévision par le président Poutine, de manière aussi imprévue que l’expédition du contingent russe le 30 septembre 2015, il porte sur le gros des avions de combat – une cinquantaine – et du corps expéditionnaire, évalué de 4 000 à 6 000 hommes. La Russie, cependant, garde sa base navale de Tartous et sa toute nouvelle base aérienne de Hmeimim. Le système de défense antiaérienne reste en place, assurant à la Russie le contrôle de l’espace aérien syrien. Vladimir Poutine a luimême averti : ses avions referont le voyage « en quelques heures » si nécessaire, et les experts militaires ont observé ces derniers jours, à la faveur de la rotation, le déploiement en Syrie de nouveaux hélicoptères russes, sans doute chargés de veiller au grain. En Syrie, « objectifs remplis » Joli succès pour le Kremlin. Pour marquer le coup, M. Poutine s’est payé le luxe d’un coup de fil à Barack Obama le soir même, histoire de parler d’égal à égal des affaires du monde, de grande puissance à grande puissance. Instruit par les aventures de ses prédécesseurs soviétiques en Afghanistan et celles de George W. Bush en Irak, le président russe s’épargne les mises en scène hollywoodiennes de type « Mission accomplie » ; quelques belles images d’avions volant en escadrille vers la mère patrie dans un ciel azuréen et de touchantes retrouvailles familiales « doma » feront l’affaire. « Les objectifs des forces armées russes sont remplis », assure sobrement le président : on ferme le ban, sans préciser lesquels. Au départ, M. Poutine avait justifié son intervention en Syrie par la volonté de « stabiliser » le régime syrien et de « combattre les terroristes ». Le premier objectif est incontestablement atteint. Le second dépend de ce que l’on entend par « terroristes ». Les Occidentaux ont vite compris qu’il s’agissait essentiellement de leurs alliés, qu’ils appellent, eux, « opposition modérée ». Mais le directeur de cabinet du président, Sergueï Ivanov, avait bien parlé, lui de « l’Etat islamique » comme cible. De ce point de vue, l’objectif À LA TÉLÉVISION, IL N’EST QUESTION QUE DE GLOIRE ET DE VICTOIRES, MAIS LORSQU’ON SE LÈVE POUR OUVRIR LE FRIGO, IL EST VIDE C’EST UNE NOUVELLE RÉALITÉ QUE LES OCCIDENTAUX DOIVENT PRENDRE EN COMPTE n’est pas rempli – sauf si le véritable but était de détruire tout ce qui se tenait entre le régime Assad et l’EI, de manière à n’avoir plus que l’EI comme ennemi. Cette opération syrienne a fourni une vitrine de rêve à l’industrie russe de la défense, deuxième exportatrice d’armes au monde, et aux militaires russes l’occasion d’opérer conjointement avec des forces locales. D’autres éléments, pourtant, trahissent une mission inachevée : il y a un cessez-le-feu et des pourparlers, mais pas de solution en vue. Les relations entre Moscou et Ankara, acteur-clé dans la région, sont au plus bas. Dans la grande fracture chiites-sunnites, Moscou a choisi les chiites, alors que les musulmans de Russie sont sunnites. « Comme au restaurant, l’addition finit toujours par arriver, avertit un diplomate musulman de haut rang. Les Russes ont fait un bon déjeuner, alors que les Américains se sont contentés du café. La différence se verra dans l’addition. » « Nous avons perdu l’Ukraine » Le retour de la Russie dans le concert des puissances est plus difficile à opérer sur la crise ukrainienne. Là, l’armée russe n’était pas invitée, elle a même dû se déguiser. Deux ans après l’invasion de la Crimée, suivie de l’intervention dans le Donbass, les accords de Minsk censés régler le conflit sous l’égide de Berlin et Paris sont dans l’impasse, Moscou et Kiev s’en rejetant mutuellement la faute. Même s’ils ne l’admettent qu’officieusement, les dirigeants russes vivent très mal les sanctions occidentales, qui portent atteinte à leur économie et à leur dignité. « Nous avons perdu l’Ukraine, reconnaît en privé un responsable russe, mais nous voulons protéger les minorités russes et garder notre influence dans le Donbass, c’est naturel. » Ils gardent aussi la Crimée, « valise sans poignée », ironisent les rares opposants à Moscou. Le conflit est gelé, mais il est gelé pour tout le monde. Le citoyen russe moyen ne connaît de l’Ukraine et de la Syrie que le tableau fantasmé que lui sert, jour après jour, la propagande télévisée. Il constate que l’économie russe est en récession et que son niveau de vie en baisse, mais il en absout bien volontiers son président : c’est la faute des cours du pétrole et des sanctions. « Jamais dans l’histoire de la Russie il n’y a eu un tel consensus entre le peuple et son leader », dit un sociologue du Centre Levada. Aucune réforme économique sérieuse n’est entreprise, mais qu’importe, puisque la Russie, de nouveau, est grande. Les spécialistes de l’opinion publique russe aiment comparer le « facteur télé » et le « facteur frigo ». A la télévision, il n’est question que de gloire et de victoires, mais lorsqu’on se lève pour ouvrir le frigo, il est vide. Quel facteur l’emporte dans l’esprit des Russes ? Pour l’instant, miraculeusement, c’est la télé. Il reste juste à Vladimir Poutine à garantir le spectacle jusqu’à la prochaine élection présidentielle, en 2018. p [email protected] Tirage du Monde daté samedi 19 mars : 280 837 exemplaires LES LIMITES DE LA REALPOLITIK FACE À LA TURQUIE L a forteresse Europe a confié très officiellement à Ankara le soin de tarir le flux des réfugiés. L’accord conclu avec la Turquie, vendredi 18 mars, après des semaines de psychodrames, n’a rien de glorieux : le continent accepte en effet le renvoi vers la Turquie des réfugiés syriens parvenus en Grèce et va organiser des départs légaux vers les capitales européennes, selon le principe assez cynique du « 1 contre 1 » – un réfugié syrien officiellement accepté en Europe pour un Syrien refoulé de Grèce. Si le compromis écorne un certain nombre de principes humanistes qui fondent les valeurs de l’Union européenne, il améliore un peu les points les plus discutables esquissés le 7 mars à Bruxelles, entre l’UE et la Turquie, sous la pression de la chancelière allemande, Angela Merkel. Le message est clair et empreint de peu de générosité : « Tous les nouveaux migrants irréguliers [se rendant dans les îles grecques par la Turquie] seront, à partir du 20 mars, renvoyés en Turquie. » Ils ont été 850 000 en 2015 et plus de 140 000 depuis le début de l’année. Les Européens, Mme Merkel en tête, disent aujourd’hui en chœur : ça suffit ! Par rapport au texte du 7 mars, l’accord prévoit tout de même de mieux encadrer les procédures, en excluant les renvois collectifs et en examinant les demandes d’asile individuellement. Mais des zones d’ombre subsistent, et un principe essentiel est mis à mal : comment un Syrien éligible au droit d’asile en Europe, en raison de la guerre dans son pays, peut-il être renvoyé vers la Turquie, pays que les Européens sont incapables de considérer collectivement comme « sûr » ? Si l’Europe s’attaque comme jamais aux passeurs, les îles grecques risquent néanmoins de se transformer en vastes camps humanitaires. Les centres d’enregistrement, qui ont bien du mal à fonctionner, devront prendre en charge les migrants économiques avant leur retour en Turquie, mais aussi les réfugiés, dans l’attente de leur demande d’asile ou du résultat des recours qu’ils auront déposés. La Grèce, tou- IRAN DE LA PERSE D’HIER jours exsangue, n’y est pas prête. La Commission européenne prévoit de recruter 4 000 personnes pour faire face à l’urgence. Cela suffira-t-il ? Et comment cela se passera-t-il en Turquie lors du retour des migrants ? « L’accueil et les autres dispositifs doivent être prêts en Turquie avant que quiconque soit renvoyé depuis la Grèce », a prévenu, vendredi, le Haut-Commissariat aux réfugiés. Rien n’est moins sûr. L’attitude imprévisible du gouvernement turc reste un gros sujet d’inquiétude. Le président du pays, Recep Tayyip Erdogan, a multiplié les provocations dans un jeu de surenchère permanent. L’Europe a préféré fermer les yeux sur les atteintes à l’Etat de droit en Turquie. Le projet du 7 mars passait ainsi sous silence les attaques contre la presse et, en proposant l’ouverture de chapitres de négociation d’adhésion à l’UE, il faisait fi de l’opposition de Chypre, un Etat non reconnu par la Turquie – qui occupe toujours la moitié nord de l’île. Dans l’accord final, les intérêts de Chypre ont été ménagés et des exigences à l’égard d’Ankara ont été réaffirmées, sans que la Turquie claque la porte. Les Européens ont ainsi affirmé qu’ils ne transigeraient pas sur les critères à remplir pour accélérer la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs. Signe que l’Europe, même en position de faiblesse, ne doit pas tout à fait renoncer à ses principes fondateurs. p En partenariat avec À L’IRAN D’AUJOURD’HUI Du 7 au 18 ou 21 novembre 2016 ou du 27 février au 10 ou 13 mars 2017 VOYAGES 12 ou 15 jours à partir de 3 190 € UN VOYAGE D’EXCEPTION... Dans l’Antiquité, les Achéménides, les Parthes et les Sassanides firent jaillir un brillant empire, la Perse. Au XVe siècle, le chiisme fondé par les partisans d’Ali devint religion d’État. Les Safavides couvrirent les villes de mosquées de faïence bleue, de palais aux boiseries précieuses et de « Jardins de Paradis ». Venez découvrir les réalités religieuse, économique et sociale de ce pays et mesurer la place qu’il peut tenir dans le concert des nations. ITINÉRAIRE TEHERAN–QOM–KASHAN–ISPAHAN–YADZ–PASAGARDES NAIN – PERSEPOLIS – CHIRAZ – En option, LES OASIS DU DÉSERT : Neyriz – Kerman – Mahan – Rayen – Bam ... EN COMPAGNIE DE JEAN-CLAUDE VOISIN Docteur en histoire et en archéologie, il a dirigé l’Institut français de Téhéran de 2008 à 2012. Auteur en 2015 de L’Iran si loin si proche, de la méfiance à la fascination, Jean-Claude Voisin travaille aujourd’hui au renforcement des liens entre les entreprises iraniennes et françaises. Lic 075 95 05 05 - © Matyas Rehak, Günter Gräfenhain/Sime/Photononstop : Mauritius/Photononstop; Taranis-iuppiter, Ggia L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE Demandez la documentation gratuite par téléphone au 01 53 63 86 53 par mail à : [email protected] par courrier, en retournant le bon ci-dessous, à : La Maison des Orientalistes - 76, rue Bonaparte - 75006 Paris ✂ Nom. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél. LeMde 190x272 Courriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . @ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je désire recevoir gratuitement, sans engagement, la documentation détaillée des voyages en Iran proposés par Le Monde en partenariat avec La Vie, en novembre 2016 et mars 2017. Conformément à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification de vos données vous concernant. Bataille pour Darty : Conforama prend l’avantage sur la Fnac Facebook va-t-il avaler les médias ? ▶ L’enseigne d’électroménager a accepté l’offre de rachat émanant de Conforama, éconduisant « l’agitateur culturel » D eux petites semaines de réflexion auront suffi. Les administrateurs de Darty et de Conforama ont annoncé, vendredi 18 mars, avoir « trouvé un accord » en vue de leur rapprochement. Au grand dam de la Fnac, qui, en novembre 2015, avait obtenu l’accord du conseil de Darty pour un rachat lors d’une opération combinant échange d’actions et versements en liquide. C’était compter sans Christo Wiese. Deuxième fortune d’Afrique du Sud, ce self-made-man de 74 ans est l’actionnaire principal de Steinhoff International, un conglomérat sud-africain de la distribution. Le groupe aux 9,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires est connu pour sa voracité. En mars 2011, il avait racheté l’enseigne d’ameublement Conforama au groupe PPR (devenu Kering), détenu par la famille de François Pinault. Le SudAfricain avait alors déboursé 1,2 milliard d’euros. Cette fois, pour emporter Darty, numéro un de l’électroménager en France, le groupe Steinhoff propose de lancer une offre publique d’achat (OPA) en cash au prix de 125 pences par action. L’opération valorise ce fleuron de la distribu- tion française à un montant de 865 millions d’euros, c’est-à-dire quelques petits millions de plus que ce que proposait la Fnac (859 millions environ). De toute évidence, M. Wiese a su trouver les mots justes pour convaincre les actionnaires représentés au conseil de Darty. juliette garnier → LIR E L A S U IT E PAGE 3 La disgrâce d’une icône du business indien ▶ Ancien « baron de la bière », le flamboyant Vijay Mallya doit 1 milliard de dollars aux banques indiennes ▶ Arun Jaitley, le ministre des finances de l’Inde, a promis, jeudi 17 mars, de récupérer « chaque penny » prêté au milliardaire déchu, parti à Londres → LIR E L es réseaux sociaux ne sont plus seulement un canal complémentaire de distribution pour les médias : ils deviennent peu à peu le cœur d’un nouvel écosystème dans lequel les contenus parviennent aux utilisateurs, principalement par l’intermédiaire de quelques grandes plates-formes comme Facebook, Twitter ou encore Snapchat. Concomitant de l’avènement du Web mobile, ce nouveau système de distribution constitue une rupture majeure dans la relation entre les médias et leur public, selon Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism à l’université de Columbia, à New York. Dans un entretien au Monde, Mme Bell revient sur la tribune qu’elle a récemment publiée dans la Columbia Journalism Review, intitulée « La fin du monde tel que nous le connaissons : comment Facebook a avalé le journalisme ». A l’appui de sa thèse, elle développe le constat selon lequel les contenus éditoriaux, atomisés en « milliards de pages Web », sont « réintermédiés » par ces nouvelles plates-formes, « façonnées par un code informatique qui n’est pas intelligible ». Les grands réseaux sociaux acquièrent de fait une forme de responsabilité éditoriale qu’ils « n’avaient pas forcément anticipée », selon Mme Bell. p → LIR E PAGE 8 1,59 PAGE 4 MILLIARD C’EST LE NOMBRE D’UTILISATEURS ACTIFS DE FACEBOOK DANS LE MONDE Vijay Mallya, le 21 décembre 2013, à Bombay. AFP PLEIN CADRE LA STRATÉGIE DE NIKE POUR RESTER LE CHAMPION DE LA BASKET → LIR E PAGE 2 CONFISERIE « TÊTES BRÛLÉES », L’INCROYABLE SUCCÈS D’UN BONBON QUI « ARRACHE LA TÊTE » → LIR E PAGE 3 j OR | 1255 $ L’ONCE j PÉTROLE | 41,20 $ LE BARIL j EURO-DOLLAR | 1,1270 J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,874 % J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,55 % VALEURS AU 19 MARS - 7 H 00 VU DE SAO PAULO Le Brésil n’est pas dans son assiette L e gouvernement brésilien est dans la tourmente, la corruption gangrène le pays, l’économie est en chute libre, le chômage s’envole. En ces temps difficiles, les classes populaires se serrent la ceinture, et le plat traditionnel, incontournable, riche et relativement équilibré, s’impose sur toutes les tables : « arroz e feijao » (riz et haricots noirs), à tous les repas. Seul hic, le riz et le haricot noir pourraient venir à manquer. Selon les dernières prévisions de la Compagnie nationale d’approvisionnement (Conab), la production de riz pourrait chuter de 10 % cette année. En cause, « les fortes pluies liées au phénomène El Niño, qui ont retardé les semis et les récoltes », explique Patricio Mendez del Villar, grand spécialiste de cette céréale au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Selon les données de la Conab, après les récoltes, les stocks de riz du Brésil s’établiraient à 283 000 tonnes. De quoi subvenir à dix jours de consommation ! C’est tout aussi préoccupant avec le feijao, avec un total de 87 000 tonnes, suffisant pour tenir neuf jours au mieux. Un drame national. En dépit du développement du pays et de la diversification alimentaire, au Brésil, un jour sans « arroz e feijao » reste triste comme un jour sans pain. Parfois utilisé comme un accompagnement, le plat est un totem, un héritage de l’histoire. La légende veut que le riz soit arrivé au Brésil dans les cuves des bateaux des colons portugais se mêlant naturellement avec le haricot noir, « plat du pauvre » riche en protéines. Il est encore le plat de base des gens modestes comme celui du bourgeois. Selon l’Institut national de la géographie et de la statistique, les Brésiliens engloutissent en moyenne 26,5 kg de riz par personne et par an et 9,1 kg de haricots noirs (12,3 kg dans le Nordeste). Inflation des cours Pour faire face à la baisse des récoltes, le pays devra donc importer. Mais, en pleine débandade politique, économique et morale, la monnaie brésilienne, le real, s’est effondrée de plus d’un tiers depuis le début de l’année 2015. De quoi contribuer à l’inflation de la céréale amidonnée et du haricot, déjà affectés par la hausse du coût des engrais, souvent libellés en dollars. Avec une devise américaine qui s’échange environ à 4 reais, le prix du sac de riz de 5 kg, aujourd’hui vendu entre 11,5 et 12 reais (entre 2,70 et 2,80 euros), pourrait grimper à 14 et 15 reais, calculait le quotidien Folha de Sao Paulo. Le sac de 60 kg de feijao se vend, lui, désormais 203 reais, contre 142 reais en 2015, indique le ministère de l’agriculture. Une hausse de plus de 40 % ! « Avec le jeu des importations et des exportations, cette situation n’aura pas d’incidence sur la sécurité alimentaire, mais les prix risquent d’être tendus cette année », résume M. Mendez del Villar. Et de conclure, préférant voir l’assiette à moitié pleine : « La situation est gênante mais pas préoccupante. » p claire gatinois Cahier du « Monde » No 22139 daté Dimanche 20 - Lundi 21 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT ÉDITION 2015 Un hors-série 188 pages - 12 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Le PDG de Nike, Mark Parker, lors de la convention de la marque à New York, mercredi 16 mars. NIKE L’équipementier sportif veut atteindre 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020, contre 30 milliards actuellement Nike, la barre toujours plus haut new york D u grand cinéma pour des baskets. La convention Nike, la grand-messe de l’équipementier sportif qui s’est tenue à New York mercredi 16 et jeudi 17 mars, a été l’occasion pour la marque de présenter dix nouvelles chaussures de sport. Le modèle le plus attendu, le premier à laçage automatique, baptisé HyperAdapt 1.0, est un clin d’œil à celui, déjà dessiné par Tinker Hatfield, le designer star de Nike, aperçu dans le deuxième opus de Retour vers le futur de Robert Zemeckis (1989). Comme pour les baskets portées par le jeune Marty McFly incarné par Michael J. Fox, des capteurs situés au niveau du talon activent le laçage une fois le pied dans la chaussure et, grâce à un petit moteur à piles, deux boutons situés sur le côté permettent d’ajuster le serrage. Gadget, chaussures pour feignants ou nouvelle mode ? Ce spécimen très cinématographique sera commercialisé cet été, d’abord sur Internet. Dans une ambiance de boîte de nuit, le groupe américain, soutenu par une brochette de sportifs de son écurie, a également fait la démonstration d’une chaussure de foot dont la semelle en polymère hydrophile est censée se débarrasser automatiquement de la boue. Pour les basketteurs, la semelle de nouvelles chaussures devrait permettre de bondir plus haut… DES BREVETS DÉPOSÉS À TOUR DE BRAS Mark Parker, le PDG de Nike, numéro un mondial des chaussures et vêtements de sport, a l’ambition d’un sprinter. Il s’est donné l’an dernier pour objectif d’atteindre 50 milliards de dollars (44 milliards d’euros) de chiffre d’affaires en 2020, contre 30 milliards en 2014-2015, afin de creuser un vrai gouffre entre lui ses concurrents. Le cœur de sa politique passe par la recherche et l’innovation. Mais la stratégie est plus large. Elle consiste à établir une constellation de priorités : le design, la technologie, mais aussi Internet et l’attention portée aux communautés d’adeptes du sport, sans oublier les opportunités offertes par les Jeux Olympiques ou l’Euro de football. Autant d’éléments qui doivent l’emporter sur les difficultés auxquelles Nike est confronté : la force du dollar, qui pénalise les industriels adeptes du « made in Asia » puisque les prix y sont calculés dans cette monnaie ; la concurrence plus sévère des américains comme Under Armour, qui a supplanté Adidas aux EtatsUnis ; la faiblesse de l’internationalisation de Nike et surtout l’image ternie des héros du sport. Entre dopage des athlètes sponsorisés à prix d’or comme la joueuse de tennis Maria Sharapova – la dernière en date – et soupçons de corruption dans certaines fédérations. Le credo de Mark Parker se veut limpide : « Le plus important est d’avoir de bons produits, utiles, convaincants, esthétiques pour les athlètes, mais aussi pour les athlètes de tous les jours. Le produit, c’est la clé », assure-t-il au Monde. Si tout un chacun est sportif, alors tout le monde peut s’habiller chez Nike. Pas seulement sur un stade, mais au bureau ou à la maison. « Le style de vie devient plus actif, les gens veulent du confort, se sentir bien. Ce n’est pas juste une tendance », cela procède « d’un mouvement culturel », assure M. Parker. Les chiffres lui donnent raison : en sept ans, le marché mondial de l’équipement sportif a progressé de 40 % selon Morgan Stanley. Il devrait atteindre 350 milliards de dollars en 2020. La planète marche en baskets… C’est sans doute le rêve de Mark Parker, ancien coureur professionnel qui, à 60 ans, fait partie des historiques de Nike. Il a rejoint l’entreprise en 1979 pour dessiner des chaussures. Il a d’ailleurs suivi de très près, depuis quatre ans, l’élaboration de celles à laçage automatique. En trente-sept ans de maison, il s’est imposé au plus haut niveau. Soutenu par le cofondateur, Phil Knight, M. Parker a été nommé troisième PDG de Nike en 2006. Si son bureau de Portland (Oregon, nord-ouest des Etats-Unis) reste, comme celui d’un adolescent, décoré de dizaines de sculptures de héros de BD et de mangas, il collectionne « DEPUIS DEUX OU TROIS ANS, NOTRE BUDGET DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT A DOUBLÉ. C’EST LE COMBUSTIBLE DE LA CROISSANCE DE LA SOCIÉTÉ » MARK PARKER PDG de Nike aussi de façon méthodique des artistes de renom, comme Andy Warhol, Haruki Murakami ou Mark Ryden. Sa poigne pour tenir Nike n’est en rien hésitante, même s’il est bien plus affable et courtois que Phil Knight. Le conseil d’administration de Nike peut se féliciter de son choix : en dix ans, Mark Parker a doublé les ventes ; la capitalisation atteint 108,4 milliards de dollars et le cours s’est encore envolé de 29,5 % au cours des douze derniers mois. Si bien que ce même conseil lui accorde sans sourciller de conséquents bonus : 3,5 millions de dollars d’actions par an ces trois dernières années. Et 30 millions de dollars en actions dans cinq ans s’il continue à bien travailler pour le groupe et obtient les résultats prévus. Très rentable (le résultat net représente 11 % du chiffre d’affaires), Nike investit donc massivement dans l’innovation et dépose des brevets à tour de bras. M. Parker assure que « depuis deux-trois ans, le budget de recherche et développement a doublé. C’est le combustible de la croissance de la société. » A Portland, siège social de Nike, vient d’ouvrir « un nouveau centre de création avancée où tout est axé sur la révolution de la fabrication », dit-il. Un immeuble est réservé à la révolution de la production, aux nouvelles méthodes de fabrication, à l’édition en 3D, au numérique, à l’élaboration des prototypes… De quoi permettre, selon le PDG, « aux ingénieurs de créer de nouveaux produits » et « donner aussi aux designers davantage d’outils pour innover ». Avec la volonté d’atteindre plus rapidement le consommateur et personnaliser davantage les produits. Depuis près de trois ans, les prototypes de chaussures comme celles que les athlètes porteront aux JO de Rio sont réalisés grâce à des imprimantes 3D. Autre pari ambitieux : multiplier les ventes sur Internet par sept dans les cinq ans. La nouvelle application Nike Plus, qui sera disponible en juin, surfe sur cette vague. Elle proposera « une expérience plus agréable ». « Nous vous connaissons personnellement. Nous connaissons vos besoins, l’entraînement que vous voulez faire, nous pouvons rechercher vos partenaires et aussi vous trouver les produits adéquats. Plus nous vous connaissons, plus nous pouvons interagir », affirme le PDG, dans un élan orwellien. Depuis dix ans, Nike a créé des communautés autour de la marque, avec des entraîneurs maison, des programmes de coaching personnalisés pour mieux vendre aussi, à portée de clic, l’équipement adapté à chaque client. Sur ce point, la compétition avec Under Armour aux Etats-Unis est rude. Celui-ci a investi un milliard de dollars en trois ans dans des applications téléphoniques sur le sport et la santé, qui comptent aujourd’hui quelque 150 millions d’adeptes. Nike veut donc vendre davantage en ligne mais aussi en dehors des Etats-Unis, qui représentent encore 45 % du chiffre d’affaires. « La dépense par habitant est bien plus élevée en Amérique du Nord que dans d’autres parties du monde, mais cela montre qu’il existe ailleurs de colossales opportunités de croissance », estime M. Parker qui souhaite se renforcer dans tous les grands pays, « même les pays en développement ». « Il est important de comprendre la culture de ces pays, d’interpréter la façon dont nos produits peuvent avoir du sens pour ces consommateurs », ajoute-t-il. ACHAT À PRIX D’OR D’ « AMBASSADEURS » L’accord transatlantique, en cours de ratification, devrait alléger les droits de douane, notamment avec le Vietnam – où est fabriqué un tiers de la production de chaussures Nike – et permettre de relocaliser une partie de la production aux Etats-Unis. « Cela pourrait créer plus de 10 000 emplois directs en dix ans et de 20 000 à plus de 30 000 emplois indirects », assure M. Parker. « Le Tafta [Transatlantic Free Trade Agreement] a accéléré notre calendrier d’innovation dans la fabrication.» Fortement affecté par le dollar fort, Nike doit aussi s’adapter à la hausse des salaires dans les pays asiatiques, notamment en Chine. Afin d’y faire face, le groupe investit « dans la révolution de la production pour imaginer de nouvelles façons de créer des produits » en s’approvisionnant « localement dans le monde entier ». « Ce sera une tendance de plus en plus lourde de l’industrie », assure M. Parker. Peut-être pour robotiser des lignes de fabrication autonomes près des boutiques, à l’instar de ce que compte faire Adidas. Pour profiter à plein des grands événements sportifs mondiaux, Nike doit mettre chaque année davantage au pot pour devenir le sponsor exclusif des plus grands sportifs. Les enchères avec Adidas, Under Armour et Puma s’envolent pour l’achat d’« ambassadeurs ». Nike est la seule marque à avoir conclu un contrat à vie avec le basketteur LeBron James. En tout cas, dès que l’image de Nike risque d’être entachée par une question de dopage, l’heure n’est pas aux états d’âme. Maria Sharapova l’a appris à ses dépens, même si Mark Parker assure que Nike a seulement suspendu sa relation en attendant les conclusions de l’enquête. Les investisseurs, eux, s’inquiètent pour la réputation de la marque, régulièrement entachée, qu’il s’agisse des déclarations homophobes du boxeur Manny Pacquiao ou des déboires judiciaires d’Oscar Pistorius. p nicole vulser economie & entreprise | 3 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 Darty préfère se marier avec Conforama La Fnac, aussi sur les rangs pour acheter l’enseigne d’électroménager, réfléchit à ses « options » suite de la première page Il est vrai qu’encaisser un chèque est beaucoup plus sûr que détenir des actions Fnac. Certes, l’enseigne hexagonale a réussi son parcours boursier depuis son introduction en 2013, au prix de 22 euros – à la clôture, vendredi, son titre valait 56,97 euros. Mais son activité (3,8 milliards d’euros de ventes en 2015) reste fragilisée par la dématérialisation des produits culturels et le développement d’Amazon. « Détenir des titres Fnac est un investissement trop volatil », pointe un spécialiste de la distribution. L’argument de la monnaie sonnante et trébuchante a clairement résonné à l’oreille d’Alan Parker, président du conseil d’administration de Darty. Ce dernier pointe, bien qu’elle soit maigre, « la prime que constitue l’offre de Steinhoff par rapport à celle de la Fnac ». Il souligne aussi « les 54 % [de plus] » que représente cette proposition par rapport au dernier cours de clôture du titre Darty, avant que la moindre proposition ne soit faite par les deux soupirants. Résultat : « A moins d’une offre plus favorable tant sur le plan financier qu’au regard de sa certitude d’exécution », la Fnac se retrouve hors jeu. Et maintenant, que va faire le premier libraire de France ? Pour l’heure, l’enseigne détenue à hauteur de 38,8 % par la famille Pinault feint de ne voir dans cette annonce qu’un non-événement. « Elle n’est que la confirmation de ce qui était public depuis plusieurs jours », précise son porte-parole, en référence à la contre-offre formulée le 2 mars par Steinhoff International. Faute de solide trésorerie, l’enseigne avait obtenu des lignes de crédit pour financer son projet à 100 %. Peut-elle surenchérir ? Alexandre Bompard, son PDG, fait savoir que la Fnac se réserve la possibilité de poursuivre l’aventure en explorant « différentes options ». Son adversaire semble être, lui, dans une position plus confortable. La capitalisation boursière de Steinhoff dépasse les 20 milliards d’euros. A la tête d’une trésorerie nette de 1,5 milliard d’euros, le groupe sud-africain a abandonné, vendredi, le projet L’argument de la monnaie sonnante et trébuchante a résonné à l’oreille des administrateurs de Darty L’enseigne d’ameublement Conforama a été achetée en 2011 par le groupe sud-africain Steinhoff International. PASCAL SITTLER/REA de contre-offre sur Home Retail Group, un spécialiste du meuble d’outre-Manche. Il a donc toute la puissance de feu nécessaire pour s’emparer de Darty et de ses 3,5 milliards d’euros d’activité. D’autant qu’il a obtenu des assurances : le fonds Schroder (14,14 % du capital de Darty) lui apportera ses titres. Reste à convaincre son homologue new-yorkais Knight Vinke, qui détient 24 % de l’enseigne, selon Bloomberg. Vendredi, dans la soirée, il ne s’était pas prononcé. « Mais, lui aussi, ce qu’il veut, c’est du cash », assure un ex-responsable de Darty. Le cash, ce n’est pas le seul argument du projet, plaide in fine Conforama. Tout tiendrait aussi à « la qualité de l’offre et au projet industriel », souligne Alexandre Nodale, son PDG. « [Il] s’agit d’assurer un développement de Darty en l’adossant à Conforama et à sa maison mère Steinhoff, avec des moyens. » En creux, ces arguments pointent les failles du projet de la Têtes brûlées, le bonbon vedette de la confiserie familiale Verquin La sucrerie acidulée séduit les enfants et tire la croissance de la société L a notoriété ne contribue pas à inverser les rapports de force entre industriels et grande distribution. Et la société Verquin Confiseur en connaît quelque chose avec le succès fulgurant de ses bonbons Têtes brûlées . « Même quand on a du succès, c’est compliqué », lance François Boissinot, son directeur commercial et marketing. En forme de billes enrobées d’une couche très acide, ces friandises qui font fureur dans les cours de récréation auprès des enfants depuis plus de deux ans pourraient sortir tout droit d’une grande multinationale. Il n’en est rien. Derrière cette friandise se cache une confiserie familiale française qui a réalisé 50 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015. Issue du développement d’une boulangerie créée en 1912 à Neuville, dans le nord de la France, cette entreprise avait pour fonds de commerce depuis des années la fabrication de bonbons sous marque de distributeur (MDD), en plus de ses quelques spécialités historiques comme la pastille du mineur. Victime du succès des friandises acidulées, la confiserie familiale a même été dépassée dans un premier temps par le phénomène des Têtes brûlées, avec des difficultés d’approvisionnement de la grande distribution début 2014. « On ne s’attendait pas à un tel engouement », se souvient Luc-Pierre Verquin, le PDG. Depuis, elle a investi dans des lignes de fabrication, et ses deux usines françaises (à Neuville et à Tourcoing) produisent à Fnac. L’offre de Steinhoff n’est assortie d’aucune condition, à part évidement l’obtention du feu vert de l’Autorité de la concurrence. Complémentarité La proposition de son rival est évidemment suspendue à ce même aval mais en plus les dirigeants de l’enseigne française avaient précisé que les suites données au rapprochement dépendraient de la teneur des sacrifices qui leur seraient demandés. Le rapprochement de Darty (263 magasins) et de la Fnac (116 points de vente) exige que l’enseigne cède plusieurs pas-deporte pour éviter toute position dominante, notamment à Paris et à Lyon. Combien ? Dix ? Vingt ? L’incertitude inquiète toujours la Bourse. Le projet de Steinhoff « offre aux actionnaires de Darty une probabilité de réalisation plus importante », tranche M. Parker. Le rapprochement de Conforama et de Darty soulève moins de difficultés, à en croire plusieurs spécialistes du droit de la concurrence. Le spécialiste du meuble réalise près de 40 % de son activité (3,2 milliards d’euros) avec la vente de télévisions, de lave-vaisselle et d’autres appareils électroménagers, spécialités de Darty. Mais ses 204 magasins sont surtout situés dans des zones commerciales de périphérie, loin des Darty présents surtout en centre-ville et en centre commercial. « Les deux sont très complémentaires par l’implantation géographique de leur réseau et de leur offre. Avec peu de risques de chevauchement », résume Laurence-Anne Parent, directrice associée du cabinet de conseil Advancy. Dès lors, Steinhoff s’expose peu aux foudres de l’Autorité de la concurrence. Le groupe sud-africain joue aussi la carte sociale. Il n’entend pas toucher aux effectifs pour réduire le coût de fonctionnement de l’enseigne, manière de rassurer les salariés de Darty alors que le projet de la Fnac a pour objectif de dégager « 85 millions d’euros de synergies ». p juliette garnier 0123 Nouvelle orthographe ce qui change et pourquoi plein régime, 45 millions de sachets de bonbons par an. « De 200 000 sachets de Têtes brûlées vendus dans la grande distribution en 2012, on est passé à 8,3 millions », indique M. Boissinot. Et de deux produits en rayons dans les hypermarchés, l’entreprise est passée à dix en 2015, puis à quatorze références cette année. Avec des nouveautés, comme les Têtes brûlées Star qui colorent la bouche à la manière d’un rouge à lèvres, KiFlash apportant « un éclair d’hyperacidité » ou encore Dynamite « qui explose la tête ». L’objectif de l’entreprise est de développer la part de marché de la marque de 14 % à 20 % d’ici à 2017. Des envies d’international La cible initiale des 8-14 ans s’est même élargie. « Les billes sont fortement appréciées des petits car ils ont une sensation immédiate, alors que les adultes et les adolescents préfèrent des textures plus tendres, gélifiées », explique Lucie Kosmalski, chef de produits. M. Verquin n’aurait jamais pu imaginer un tel engouement. Lorsqu’il récupère en 2008 la marque Têtes brûlées, en rachetant la Société européenne de confiserie, une société du Nord, ces bonbons se vendent à la pièce en boulangerie depuis une dizaine d’années. Une communication en télévision démarrée en septembre 2013, un développement sur les réseaux sociaux, des partenariats avec NRJ ou le fabricant de jouet Nerf accompagnent un repositionnement marketing audacieux. Le slogan – « le bonbon qui te tient tête » – devient aux mains de Verquin « le bonbon qui t’arrache la tête », contribuant à développer l’image d’une sucrerie à sensation. « Nous sommes bien conscients de participer à la paupérisation de la langue française, mais nous avons même eu des hypothèses nettement plus subversives que nous n’avons pas osé mettre sur les sachets », sourit M. Boissinot. Si la langue française n’y a rien gagné, la croissance du groupe, elle, a explosé. « En 2012, les Têtes brûlées étaient quasi inexistantes de notre portefeuille. En 2015, elles en font 60 % de son chiffre d’affaires », précise M. Boissinot. Aujourd’hui, 50 % des recettes proviennent des marques, le reste des MDD. Des projets de développement à l’international sont prévus sous le nom « Head bangers », notamment en Suisse et au Royaume-Uni. Verquin réalise 20 % de son chiffre d’affaires à l’export. La société a décliné les demandes de la grande distribution de réaliser les Têtes brûlées sous marque de distributeur, car « lorsque les consommateurs achètent des Têtes brûlées, ils cherchent le pouvoir de la marque », explique Mme Kosmalski. Jusqu’à présent seul sur ce marché, Verquin doit composer avec Lutti qui a lancé en 2015 des bonbons en forme de bille hyperacides. « On m’a toujours dit que, quand on n’est pas les plus gros, il faut être les plus rapides et les plus audacieux », conclut M. Verquin. p cécile prudhomme 3 € seulement Le Monde et Flammarion vous proposent un guide complet qui explique la rectification de l’orthographe, ses origines, et sa raison d’être ; découvrez aussi l’ensemble des règles et la liste des mots qui évoluent. L’ouvrage indispensable pour tout comprendre. EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR NOTRE BOUTIQUE EN LIGNE : WWW.LEMONDE.FR/BOUTIQUE 4 | economie & entreprise AÉR ON AU T I QU E Airbus cède son électronique de défense Airbus Group a franchi une étape majeure dans son recentrage sur l’aérospatiale en annonçant, vendredi 18 mars, la vente de son électronique de défense au fonds KKR pour 1,1 milliard d’euros. Airbus Group précise qu’il pourrait conserver une participation minoritaire dans ce pôle, qui emploie environ 4 000 personnes dans le monde. – (Reuters.) T RAN SPORTS Jean-Pierre Farandou serait proposé à la tête de SNCF Réseau La lettre professionnelle Mobilettre a annoncé, vendredi 18 mars, la prochaine désignation de Jean-Pierre Farandou, actuel PDG de Keolis et président de l’Union des transports publics, comme candidat à la présidence de SNCF Réseau, vacante depuis le départ de Jacques Rapoport en février. Cette nomination est soumise à avis de l’autorité de régulation et du Parlement. ÉD I T I ON Francis Esménard reste à la barre d’Albin Michel Francis Esménard a fait savoir, mercredi 16 mars, qu’il restait président du directoire d’Albin Michel et président du holding familial SHP. Il dément nos informations, publiées le 7 mars, selon lesquelles il quitterait ses fonctions « d’ici à la fin de l’année », mais il rappelle que vu son âge (80 ans), « il [lui] faudra bien transmettre un jour prochain les clés de la maison (…) à Guillaume Dervieux », actuel vice-président. 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 En Inde, la chute d’une icône des affaires Accusé de banqueroute, l’ancien milliardaire de la bière Vijay Mallya est parti à Londres new delhi - correspondance C’ est une faillite qui en dit long sur les rapports incestueux entre les milieux d’affaires et les hommes politiques en Inde. Dans sa chute, le flamboyant Vijay Mallya laisse une ardoise d’un milliard de dollars (886 millions d’euros) aux banques publiques indiennes et de nombreuses questions en suspens. Jeudi 17 mars, le ministre indien des finances, Arun Jaitley, s’est bien engagé, dans les termes les plus fermes, à récupérer « chaque penny » prêté à l’homme d’affaires, parti à Londres. « L’affaire Mallya a terni la réputation de notre pays et de son secteur bancaire », a reconnu M. Jaitley. Mais comment des banquiers ont-ils pu continuer à lui prêter de l’argent alors que sa compagnie aérienne accumulait les pertes ? Et comment a-t-il pu quitter l’Inde si facilement ? La descente aux enfers de l’exmilliardaire, chroniquée depuis des mois dans la presse locale, s’est accélérée récemment. Le 1er mars, la Chambre haute du Parlement débat d’une taxe d’importation sur l’huile de palme, puis du problème de l’expropriation des agriculteurs. Vijay Mallya, qui ne siège que rarement, y assiste. Diamant à l’oreille, l’homme se fait discret ; il ne porte ni lunettes aux verres fumés ni costume aux couleurs bariolées. Au temps de sa gloire, l’entrepreneur était surnommé le « roi du bon temps », « En prêtant de l’argent à M. Mallya, les banquiers accédaient au pouvoir et au glamour » SHEKAR GUPTA journaliste à cause des fêtes légendaires organisées dans ses villas. Contre lui s’est constitué un consortium de dix-sept établissements bancaires, dirigé par la State Bank of India, qui cherche à recouvrer plus d’un milliard de dollars de dettes. Tous craignent de le voir s’échapper, depuis qu’il a annoncé vouloir se rapprocher de ses enfants au Royaume-Uni. Les banques passent alors à l’offensive, le 2 mars, en demandant à un tribunal de Bangalore de confisquer son passeport. Trop tard. Vijay Mallya a pris l’avion le jour même pour Londres. Même s’il a écrit, sur son compte Twitter, qu’il n’était pas un « fugitif », et qu’il reviendra, l’ancien milliardaire est vilipendé. Il symbolise les largesses, voire les dérives, du système bancaire indien dont ont bénéficié certains capitaines d’industrie, avec la complicité du pouvoir politique. Lorsque Vijay Mallya hisse le groupe de spiritueux, dont il a hérité à l’âge de 28 ans, au niveau d’un empire contrôlant la moitié du marché local de la bière et quand il s’empare de l’écossais Whyte & Mackay en 2007 pour 1,2 milliard de dollars, l’Inde est subjuguée. Il symbolise alors la richesse décomplexée, dans un pays qui a connu des décennies de règles étatiques. Il voyage en jet privé, s’achète des villas luxueuses, se fait prendre en photo avec des actrices de Bollywood en maillot de bain, investit dans une écurie de formule 1, achète des voitures de collection. Sa réussite se mesure en milliards de roupies. Acteurs, industriels et hommes politiques se pressent à ses soirées pour être de cette Inde qui brille. « En prêtant de l’argent à M. Mallya, les banquiers accédaient au pouvoir et au glamour, se souvient le journaliste Shekhar Gupta dans le quotidien Business Standard, et M. Mallya leur faisait une faveur en leur contractant un emprunt. » Cette vie de paillettes sera un parfait camouflage. Car pendant que les médias comptent le nombre d’invités à ses soirées, personne ne se penche sur les comptes de ses entreprises. Or, en 2005, Vijay Mallya a fondé la compagnie Kingfisher Airlines alors que le secteur aérien était déjà fragilisé par les surcapacités et le cours élevé du pétrole. Malgré l’accumulation des pertes, les banques, surtout publiques, l’ont suivi. « Les contacts et les réseaux importaient davantage que les bilans financiers », se souvient Shekhar Gupta. Puis le vent tourne en 2012. Etouffée par des dettes évaluées à 2,5 milliards de dollars, la compagnie doit cesser ses activités. Les hôtesses, celles-là même que Vijay Mallya se félicitait d’avoir « personnellement choisies », descendent dans la rue pour exiger d’être payées. Le mythe s’effondre et avec lui tout un empire. Débiteur intentionnel Le baron de la bière cède le contrôle d’United Breweries à Heineken et celui d’United Spirits à Diageo. En 2015, Reserve Bank of India (RBI, banque centrale) le déclare wilful defaulter (débiteur intentionnel), un statut désignant les débiteurs en défaut de paiement mais qui ont les moyens de rembourser leurs dettes. Un mois après cette annonce, Vijay Mallya organise une fête pour son soixantième anniversaire dans sa villa de Goa, et offre à ses invités un concert privé de l’artiste espagnol Enrique Iglesias. Le gouverneur de la RBI, Raghuram Rajan, se fend alors d’une phrase cinglante, encore inimaginable quelques années plus tôt : « Si vous exhibez votre yacht, que vous organisez de somptueuses soirées alors que vous devez beaucoup Le « capitalisme de connivence » menace l’Inde. Les créances douteuses sont à un niveau élevé d’argent, cela suggère que vous vous en fichez. Je pense que c’est le mauvais message à envoyer. » Le cas Vijay Mallya n’est pas isolé. Le nombre de wilful defaulters a été multiplié par neuf au cours des treize dernières années et ils doivent au total 84 milliards de dollars aux établissements de crédit. « Les banques publiques font face à d’énormes pressions de la part des députés. Ces derniers les exhortent à prêter de l’argent aux entreprises. Le réseau d’entente entre les hommes politiques, les fonctionnaires et les entreprises est très puissant », a confié au site d’information Newslaundry.com Sanat Dutta, un avocat qui aide les banques d’Etat à recouvrer leurs emprunts. Malgré la libéralisation économique du pays engagée au début des années 1990, certaines habitudes et l’étroitesse des liens entre les entrepreneurs et les responsables politiques demeurent. Ce « capitalisme de connivence » menace l’économie de l’Inde. La RBI s’inquiète du niveau élevé de créances douteuses ; elles constitueraient 11 % de l’encours total, dont une majorité dans les établissements publics. Le milliard de dollars dû par Vijay Mallya « appartient » en quasi totalité à des banques publiques. Les Indiens réalisent que c’est, en partie, avec l’argent de leurs impôts que Vijay Mallya a pu s’offrir les villas, les yachts et les voitures de collection qui faisaient tant rêver. Un réveil avec la gueule de bois. p julien bouissou De nouveau dans la tourmente, Toshiba poursuit sa restructuration Le groupe japonais, visé par une enquête des autorités américaines, espère renouer avec les bénéfices au prochain exercice tokyo - correspondance L Nicolas, 19 ans, étudiant, Bordeaux Inscriptions jusqu’au 28 mars lemonde.fr/academie 0123 es déboires de Toshiba paraissent sans fin. Et, une nouvelle fois, c’est de la comptabilité du groupe que viennent les problèmes. Vendredi 18 mars, le groupe de Tokyo a dû admettre qu’il était l’objet d’investigations aux Etats-Unis. « Certaines filiales américaines ont reçu des demandes d’information du département américain de la justice et de la commission des échanges et des titres au sujet de leurs pratiques comptables », a indiqué Toshiba. Le groupe ne précise pas les noms des entreprises visées mais les activités nucléaires de Westinghouse, acquises en 2006, seraient concernées. En novembre 2015, Westinghouse avait admis avoir dû passer dans ses comptes des dépréciations totalisant 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) au cours des exercices 2012 et 2013. L’entreprise nippone ne les aurait pas mentionnées dans ses résultats consolidés. Elle ne le jugeait pas nécessaire compte tenu des règles comptables appliquées. Cependant, peut-être parce que les enquêteurs américains semblent douter du bien-fondé des méthodes de calcul de Toshiba, le groupe pourrait finalement changer d’avis. D’après le quotidien Asahi, le conglomérat étudierait la possibilité d’enregistrer dès l’exercice en cours une dépréciation d’actifs sur Westinghouse. L’Asahi cite la somme de 200 milliards de yens (1,6 milliard d’euros). Ces révélations tombent au plus mal puisqu’elles viennent parasiter les annonces de Toshiba sur son plan de redressement, très attendu après les révélations en juillet 2015 des malversations comptables menées pendant sept ans pour un total de 151,8 milliards de yens (1,2 milliard d’euros). Nommé à la tête de Toshiba à la suite de cette affaire, Masashi Muromachi a reconnu la difficulté de « retrouver rapidement la confiance et la valeur du groupe, perdues à cause du scandale ». Cessions dans l’électroménager Toshiba, qui s’est développé à la fin du XIXe siècle autour de la production de matériel électrique, veut désormais concentrer ses activités autour de trois piliers, à commencer par les semi-conducteurs, et plus spécifiquement les mémoires flash NAND. Numéro deux mondial derrière le sud-coréen Samsung dans ce domaine, Toshiba va y investir 860 milliards de yens (6,8 milliards d’euros) d’ici à 2018. Deuxième pilier, l’énergie, principalement autour du nucléaire, pour lequel Westinghouse joue un rôle essentiel. Le groupe se concentre sur les exportations et table sur 45 commandes de réacteurs d’ici à 2030, notamment en Grande-Bretagne et en Inde. Enfin, Toshiba veut se développer dans les infrastructures, notamment les ascenseurs, les systè- Le groupe nippon aurait omis de mentionner certaines dépréciations d’actifs dans ses résultats consolidés mes d’air conditionné ou encore les aménagements pour la prévention des catastrophes. Le projet table sur un retour aux bénéfices dès l’exercice 2016. Les profits devraient atteindre 40 milliards de yens (318 millions d’euros) et les ventes 4 900 milliards de yens (39 milliards d’euros). Le redressement devrait donc être spectaculaire puisque, pour l’exercice clos fin mars 2016, Toshiba attend un chiffre d’affaires à 6 200 milliards de yens (50 milliards d’euros) et des pertes de 710 milliards de yens (5,6 milliards d’euros). Pour tenir ces engagements, le groupe s’est lancé dans une sévère restructuration. Le 17 mars, l’entreprise a ainsi annoncé un accord prévoyant la cession au chinois Midea – partenaire de Toshiba depuis une vingtaine d’années – de la majorité de ses parts dans sa filiale chargée de l’électroménager. Le montant de la transaction n’est pas encore fixé mais la marque Toshiba restera utilisée. Le même jour, le groupe nippon a confirmé la vente de son activité d’appareils médicaux à son rival japonais Canon pour 665,5 milliards de yens (5,3 milliards d’euros). Dans les ordinateurs personnels, des négociations seraient toujours en cours pour un rapprochement avec Fujitsu et Vaio. Ces opérations, accompagnées d’une forte réduction des dépenses, permettent d’améliorer l’assise financière du groupe mais se traduisent par une baisse des effectifs. Fin mars, Toshiba devrait employer 183 000 personnes dans le monde, contre 202 000 il y a un an. La décision de réduire les rémunérations des dirigeants est maintenue. p philippe mesmer VÊTEMENTS Costumes modulables avec 1 ou 2 pantalons de 300 € à 438 € Vestes de 200 € à 295 € NOUVEAU CONCEPT " )%"" " (!! ' !' % "" %!" !% '! &#*& Kpxkvcvkqp cw eqphqtv Et toujours : Digel, LES CHEMISES,Alain Gauthier et Jupiter, LES PULLS, Enzo Lorenzo et Guy de Bérac, LES PARKAS, MANTEAUX et IMPERS, Bugatti, LES PANTALONS, Bernard Zins, SOUS-VÊTEMENTS et PYJAMAS, Eminence, CHAUSSETTES, Eminence et DD. Du mardi au samedi de 10 h 15 à 13 heures - 14 h 30 à 19 heures 53, rue d’Avron - 75020 PARIS - Tél. : 01.43.73.21.03 ANTIQUITÉS ,-&. !*&. ''& * '* &*" $, %, ,* /(+# &* &'# ACHAT AU DESSUS 000$+!##%$% ')' !. .+ $ % +.+ #& (, %. !/+! 1" '' 1 1 +% (( %. !/+! 1" 1 1- "1 # %. !/+! 1" '" %!%& +& (1 %. !/+! 1" '" %&& ! 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Outre-Atlantique, les principaux indices – Dow Jones et S & P500 – sont à leurs plus hauts de l’année, comme au début du mois de janvier. Même les places chinoises ont vivement rebondi cette semaine. Les Bourses de Shanghaï et Shenzen ont progressé respectivement de 5,15 % et 9,02 %, dopés par les propos du premier ministre, Li Keqiang, qui a assuré, mercredi 16 mars, en clôture de la session annuelle du Parlement chinois, que l’économie du pays ne connaîtrait pas d’« atterrissage brutal ». Et pourtant… entre les difficultés à décrypter la communication des autorités chinoises, le commerce mondial à la peine, les questionnements sur la solidité de la reprise américaine et le niveau dangereusement bas de l’inflation en Europe, les investisseurs demeurent nerveux. Sur la semaine du lundi 14 au vendredi 18 mars, le CAC 40 a cédé 0,67 %, tandis que le Dax progressait de 1,22 %. La hausse a été plus marquée outreAtlantique, le Dow Jones rebondissant de 2,26 %. Cette valse-hésitation traduit les signaux contradictoires qui agitent actuellement les marchés. Ainsi, les derniers jours ont été plutôt favorables aux investisseurs. Après l’impressionnant arsenal déployé par Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), Même pas peur du « Brexit » ? Le fondateur de l’une des principales maisons de courtage britanniques, Hargreaves Lansdown, s’est dit, vendredi 18 mars, confiant dans la capacité du Royaume-Uni à prospérer en dehors de l’Union européenne (UE). « On lève de l’argent pour les Russes, on lève de l’argent partout dans le monde, a-t-il argué. Londres peut lever des milliards en quelques coups de fil. » Les Britanniques voteront le 23 juin pour rester ou quitter l’UE, mais la perspective d’un « Brexit » inquiète de nombreux poids lourds du secteur financier. Les entreprises britanniques sont globalement favorables au maintien dans l’UE. La principale organisation patronale du Royaume-Uni, la CBI, a annoncé, mardi 15 mars, que 80 % de ses adhérents étaient de cet avis. lors de la dernière réunion de l’institut monétaire le 10 mars, la Fed (Réserve fédérale, banque centrale américaine) a pris le relais, mardi 15 et jeudi 16 mars. A l’inverse de M. Draghi, sa présidente, Janet Yellen, a choisi l’immobilisme. C’est ce qui a séduit les marchés. Non seulement la Fed n’a pas procédé à un nouveau relèvement d’un quart de point de ses taux directeurs, après le premier mouvement initié en décembre 2015, mais elle a également laissé entendre qu’elle revoyait à la baisse ses ambitions initiales, et ne prévoyait plus que deux hausses de taux supplémentaires d’ici à la fin de l’année, contre quatre initialement. Presque un record à Wall Street Mme Yellen a lié sa décision à la fragilité de l’économie mondiale, mais celle-ci a été plutôt appréciée des investisseurs outre-Atlantique, qui y ont vu une prudence bienvenue. En revanche, cet arbitrage a poussé le dollar à la baisse, renchérissant l’euro et pénalisant de facto les valeurs européennes. En tout état de cause, la volatilité qui secoue les places boursières depuis des mois ne semble pas près de se dissiper. En témoignent les mouvements du VIX, le fameux « indice de la peur », qui mesure la volatilité à venir du marché à travers les options d’achat ou de vente placées sur le S & P500. Il évolue en moyenne à un niveau supérieur de Les difficultés du commerce mondial et le niveau dangereusement bas de l’inflation en Europe inquiètent les investisseurs 32 % à celui de la même période de 2015. « Le S & P500 a terminé en hausse ou en baisse d’au moins 1 % sur 26 des 48 séances de Bourse de l’année », soulignaient en début de semaine les analystes de Bloomberg. Si ces embardées devaient continuer au même rythme toute l’année, elles feraient de 2016 l’année la plus volatile à Wall Street depuis… 1938 ! Un phénomène renforcé, vendredi 18 mars, par la séance dite « des quatre sorcières » – une journée de Bourse traditionnellement chahutée, car les intervenants y soldent leurs positions sur quatre produits dérivés, chaque troisième vendredi de mars, de juin, de septembre et de décembre. Ces incertitudes se retrouvent sur le marché des fusions-acquisitions, reflet des humeurs de la planète finance. Après une année 2015 record, avec dix opérations supérieures à 50 milliards de dollars (44,3 milliards d’euros) et soixante-neuf au-dessus de 10 milliards, l’activité en matière de fusions-acquisitions devrait rester soutenue en 2016, mais sujette à des aléas, selon une étude publiée jeudi 17 mars par le cabinet d’audit Deloitte. Soutenue, parce qu’il s’agit encore de la meilleure façon de créer de la richesse dans un monde englué dans une croissance molle, ont en substance expliqué les experts. En 2015, la principale opération a été le mariage entre les géants américains de la pharmacie Pfizer et Allergan pour 160 milliards de dollars, la deuxième plus importante opération jamais réalisée dans le monde, selon les calculs de Dealogic. Pour 2016, les moteurs de 2015 restent d’actualité, à commencer par des liquidités toujours abondantes et des taux d’emprunt bas. Néanmoins, la forte volatilité à l’œuvre sur les marchés depuis quelques mois pourrait peser sur l’activité des « fusacq », surtout à partir du second semestre. En cause, un ensemble d’incertitudes politiques, comme le référendum britannique sur la sortie de l’Union européenne, prévu le 23 juin, ou la présidentielle aux Etats-Unis en fin d’année, a prévenu Deloitte. p audrey tonnelier MATIÈRES PREMIÈRES TAUX & CHANGES Taxe « light » pour l’huile de palme La solitude de Mario Draghi N ouvelle taxe, mais allégée, pour l’huile de palme. Les députés ont ployé. L’Assemblée nationale a décidé, jeudi 17 mars, d’alléger la surtaxation qui devait s’appliquer à l’huile de cet arbre conquérant. Alors que le Sénat, à l’initiative des écologistes, avait adopté une contribution additionnelle en forte progression passant à 300 euros la tonne en 2017 pour atteindre, par paliers, 900 euros en 2020, elle l’a réduite à 90 euros. Les députés ont même voté l’exonération pour l’huile de palme « durable ». La fameuse « taxe Nutella » était donc à nouveau au menu des élus. On se souvient que le débat ouvert fin 2012 avait provoqué une polémique sur la recette de la pâte à tartiner du puissant groupe transalpin Ferrero. L’enjeu était la santé publique. Les promoteurs de la taxe s’interrogeaient : pourquoi l’impôt sur l’huile d’olive est-il de 190 euros la tonne, quand celui sur l’huile de palme est de 104 euros ? D’autant que le fruit du palmiste a la redoutable propriété d’être le plus riche en acides gras saturés. Battu seulement sur ce terrain lourd par l’huile de coprah. David Douillet en soutien Cette fois, c’est l’argument écologique qui était sur la table. Les élus Europe Ecologie-Les Verts ont inscrit leur proposition de surtaxation dans le projet de loi biodiversité, évoquant les « effets dévastateurs de la culture industrielle du palmier à huile sur la biodiversité ». Mais l’huile de palme a le soutien d’« huiles » plus ou moins lourdes. A l’Assemblée, l’ex-judoka David Douillet (Yvelines, Les Républicains) a lutté pour Ferrero. L’en- Rattrapage COURS DE L’HUILE DE PALME, EN RINGGITS (DEVISE MALAISIENNE) LA TONNE À KUALA LUMPUR 2 543 2 261 2 JANVIER 2015 17 MARS 2016 SOURCE : BLOOMBERG treprise italienne, gourmande d’une matière grasse moins chère et facile à mitonner est en tête de la lutte. Elle a déjà obtenu que Ségolène Royal, ministre de l’environnement, s’excuse après avoir incité en juin 2015 les Français à limiter la consommation de pâte à tartiner. Surtout la Malaisie et l’Indonésie ont fait pression en faveur de l’huile de palme. Les deux pays représentent 86 % de la production mondiale avec des acteurs puissants comme les groupes Felda, Sime Darby ou Wilmar. Ce sont eux qui poussent les feux des plantations dans le Sud-Est asiatique. Détruisant les forêts et grignotant les champs de manioc et de cacao. Au point de devoir gérer la surproduction. Entraîné par le volume des récoltes, le cours de l’huile de palme a glissé à partir de juin 2014. Il est passé sous la barre des 2 000 ringgits la tonne (433 euros) à la Bourse de Kuala Lumpur. Soit un cours divisé de moitié en dix-huit mois. La tendance s’est inversée courant 2015. Le phénomène El Niño a affecté les récoltes en Asie du Sud-Est. De plus, l’Indonésie a décidé d’accroître le taux d’incorporation de l’huile de palme dans les biocarburants, de 15 % à 20 %, pour réduire les stocks. Résultat, le cours a terminé 2015 sur une progression de 9,7 %. La tendance s’est poursuivie début 2016. Vendredi 18 mars, la tonne se négociait à 2 543 ringgits. La suite se joue dans l’assiette des Européens. p laurence girard L ui arrive-t-il d’avoir envie de jeter l’éponge ? D’abandonner la partie, de filer se réfugier sur une île déserte ? Ne se lasse-t-il jamais de ce combat que d’aucuns jugeraient harassant, beckettien, pour ne pas dire perdu d’avance ? Selon Bloomberg, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a rencontré les leaders européens, jeudi 17 mars, à Bruxelles. Objet de cet entretien à huis clos, selon l’agence de presse : convaincre les chefs d’Etat d’agir pour clarifier le futur de la zone euro, tout en renforçant sa croissance. En commençant par solidifier le troisième pilier de l’union bancaire, à savoir la garantie commune des dépôts. Ou encore, en prenant des mesures structurelles et budgétaires susceptibles de doper les créations d’emplois et l’activité. Résultat ? La chancelière allemande, Angela Merkel, aurait envoyé M. Draghi dans les cordes. Vendre une assurance commune des dépôts à ses électeurs alors qu’elle lutte pour les convaincre du bienfondé de sa politique migratoire ? Hors de propos. Sans parler des discussions houleuses avec la Turquie à propos de la gestion des réfugiés. Bref, Mme Merkel a d’autres soucis. Et elle n’est pas la seule. Débordé par la fronde au sein du Parti socialiste, François Hollande, lui, s’embourbe dans les ratés de la loi El Khomri sur la réforme du marché du travail. En Italie, le président du conseil, Matteo Renzi, s’inquiète de la montée de l’organisation Etat islamique (EI) en Libye. L’Espagne, elle, se cherche toujours un gouvernement. Oui. Ils ont d’autres chats à fouetter, les politiques. Tellement qu’ils en perdent parfois de vue l’essentiel. Ils se fourvoient dans la gestion de l’urgence, si bien qu’ils ne voient plus venir le mur. La zone euro, comme l’Union européenne, va mal. La croissance n’est pas suffisamment solide pour régler rapidement le problème du chômage, en particulier des jeunes. La crise des migrants met à bas la solidarité déjà bien maigre entre les Etats membres. Les eurosceptiques font leur grain du mécontentement qui partout gronde. Clarifier le futur de l’union monétaire Pire encore, peut-être : la zone euro n’a pas de cap. C’est le message que Mario Draghi tente d’envoyer à ses dirigeants lorsqu’il leur demande de clarifier le futur de l’union monétaire. Lorsqu’un navire s’égare en plein océan, sans vivres, sans eau, l’équipage ne peut tenir que s’il sait que son capitaine a une destination en tête et qu’il saura les y mener. Dans le cas contraire, les marins cesseront le combat et les plus désespérés quitteront le bateau sur une embarcation de fortune pour tenter leur chance en solo. Mario Draghi ne peut pas être le capitaine de la zone euro – il est seulement chargé de la politique monétaire. Il ne peut pas définir sa destination – il n’a pas la légitimité des urnes. Il fait en revanche partie des lucides ; ceux qui voient que sans projet commun fort, et sans leader pour le porter, la zone euro n’a guère lieu d’être. La monnaie unique n’est pas une fin. Elle est un moyen, mais pour aller où ? Sans réponse claire, les peuples éreintés finiront peut-être par choisir l’option du désespoir : quitter le navire pour tenter leur chance en solo. p marie charrel LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE » 0,54€ COURS DE L’ACTION VENDREDI 18 MARS Société des lecteurs du « Monde » 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-25-01 - [email protected] argent & placements | 7 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 CLIGNOTANT Conflit familial ? Pensez à la médiation Mieux qu’une action en justice, le dialogue débouche sur un accord dans six cas sur dix I MMOBI LI ER P Intéressante sur le papier, l’une des dispositions de la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, qui permet à un emprunteur de changer d’assurance sur son prêt immobilier dans l’année de la signature, reste méconnue. « Cela ne concerne que 15 % des demandes d’assurance emprunteur sur notre site, dit Maël Bernier, chez Meilleurtaux.com. Or, l’économie peut être substantielle. Un couple de cadres de 40 ans paie une assurance de 0,40 % du capital emprunté dans sa banque, tandis qu’il peut facilement trouver un taux de 0,15 % chez un concurrent. » En cause, une méconnaissance des particuliers, qui se focalisent notamment sur le taux du crédit. aris, 12e arrondissement, rue Claude-Decaen. Une journée comme les autres à l’Espace famille médiation : dans ce discret rez-de-chaussée sur jardin, les familles se succèdent dans des salles à l’ambiance feutrée pour des séances de médiation. « Ici, on renoue le dialogue pour résoudre des conflits », résume Nathalie Béziat-Langlois, médiatrice. Couples en séparation, fratries déchirées, jeunes adultes brouillés avec leurs parents, seniors qui voudraient revoir leurs petits-enfants… L’an dernier, 310 familles ont été accueillies par cette structure. Succès isolé ? Pas vraiment : « 18 200 médiations se sont déroulées en France en 2014, soit 30 % de plus qu’en 2010 », recense Maud Bonvel, conseillère en politique familiale et sociale à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Dans 90 % des cas, cette médiation intervient après une séparation. Compromis mieux respecté Si ce mode de résolution des conflits est devenu populaire, c’est qu’il fonctionne. Un accord est trouvé dans 60 % des sollicitations, selon la CAF. L’arme secrète des médiateurs ? La « triangulation » : « Au début, les personnes ne se parlent pas directement. Chacune à leur tour, elles nous expliquent la manière dont elles vivent la situation. Ensuite, le médiateur reformule », raconte Mme Beziat-Langlois, diplômée d’Etat depuis dix ans (la qualification de « médiateur familial » a été créée en 2003). « Après quelques heures, c’est le déclic : les gens se tournent l’un vers l’autre, et la communication reprend », complète Patricia Raffin-Peyloz, médiatrice à la Maison de la Médiation, à Paris. Autres raisons du succès ? « Contrairement à ce qui peut être ressenti au tribunal, il n’y a ni perdant ni gagnant, simplement un accord, bâti à plusieurs. » Les familles apprécient aussi la souplesse des solutions, pratiques ou financières. Illustration avec la garde des enfants : « Le juge aux affaires familiales (JAF) n’a pas le temps pour les détails. Il opte pour des mesures classiques : une semaine sur deux, par exemple, pour une garde alternée. Ici, les couples peuvent imaginer du sur-mesure : trois nuits chez l’un, puis dix nuits chez l’autre, par exemple », explique Mme Beziat-Langlois. Sans surprise, le compromis trouvé est ensuite mieux respecté qu’un jugement classique. « Un atout, sachant que pour cinq divorces prononcés, trois couples retournent en justice pour rediscuter les mesures ou pour se plaindre de leur mauvaise exécution ! », s’enthousiasme Sophie Lassalle, secrétaire générale de la Fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux (Fenamef). Dans 20 % des cas, l’accord reste informel. « Préférez un écrit, et faites-le homologuer au tribunal pour Coût variable selon vos ressources La plupart des médiations se déroulent par l’intermédiaire d’une association conventionnée (contactez la Fenamef pour connaître la structure la plus proche de chez vous). Les particuliers paient un tarif qui dépend de leurs revenus, et les associations sont subventionnées par la Caisse d’allocations familiales. Dans ce cadre, le médiateur est forcément diplômé d’Etat, et un entretien gratuit d’information de quarante-cinq minutes est réalisé (en général, les parties s’y rendent séparément). Ensuite, comptez entre deux et huit séances d’une heure trente, moyennant 2 à 131 euros par personne et par cession, selon vos ressources (15 euros pour 1 200 euros de revenus mensuels, 32 euros pour 2 200 euros, etc.). Certains médiateurs exercent aussi de façon indépendante, avec des tarifs libres (de 40 à 80 euros la séance). Si vos revenus sont élevés, l’alternative ne coûte pas forcément plus cher, mais vérifiez que le médiateur est bien diplômé. Changer d’assurance emprunteur reste peu courant lui donner force de preuve. La procédure est simple et rapide, et votre médiateur pourra vous épauler », précise Lise Bellet, médiatrice et avocate au barreau de Paris. Vous disposerez d’un document officiel. Utile, par exemple, si on vous demande un justificatif de ressources alors que vous touchez une pension alimentaire d’un exconcubin. Depuis mars 2015, il faut lors de la saisie d’une juridiction mentionner les modes de « résolution amiable » tentés en amont. « Bien entendu, si on a n’a rien fait, aucune sanction n’est prévue. Mais selon le contexte, le juge peut vous renvoyer en médiation avant d’examiner la requête », précise Mme Bonvel. QUESTION À UN EXPERT jean dugor, notaire à Auray (Morbihan) Moins coûteuse, plus rapide Côté pratique, une médiation reste toujours moins coûteuse qu’un procès et nettement plus rapide. Les médiateurs savent se rendre disponibles et peuvent fixer des rendez-vous le soir alors qu’il faut patienter trois à dix mois pour une audience avec le juge aux affaires familiales. Evidemment, pour un divorce, saisir le juge avec un avocat reste obligatoire. Mais si vous avez déjà dessiné les modalités pratiques et financières lors d’une médiation (garde des enfants, partage des biens, prestation compensatoire, pensions alimentaires…), la procédure sera ensuite plus rapide, et les honoraires allégés. Pour les autres conflits familiaux – séparations entre pacsés ou concubins, droit de visite des grands-parents aux petitsenfants, successions compliquées… –, la médiation permet souvent d’éviter de passer par la case justice. En tout cas, vous n’avez rien à perdre : « Après l’échec d’une médiation, les juges constatent au moins que les audiences sont apaisées », conclut Sophie Lassalle. p caroline racapé VILLES EN MUE Alternative à la tutelle, comment fonctionne l’habilitation familiale ? Pour les enfants, demander la mise sous tutelle ou curatelle de leur père ou de leur mère peut s’avérer psychologiquement difficile et compliqué à mettre en œuvre. L’habilitation familiale, en vigueur le 1er janvier, est plus souple et plus pratique que la tutelle, car elle permet de représenter son proche dès que celui-ci n’est plus en capacité d’exercer ses propres volontés. Ce mode judiciaire de représentation est hybride, car son fonctionnement est emprunté à la tutelle et au mandat de protection future. Le juge peut ordonner l’habilitation au profit d’un ou plusieurs proches d’une personne hors d’état de manifester sa volonté, afin de la représenter pour prendre certaines décisions de gestion en son nom. L’étendue de cette habilitation est déterminée par le juge. Elle peut porter sur une ou plusieurs décisions de gestion administratives (conclusion ou renouvellement d’un bail de moins de 9 ans), de disposition des biens (vente d’un bien immobilier, où ne vit pas – bien sûr – la personne vulnérable) et sur des actes relatifs à la personne (à l’occasion de soins médicaux, par exemple). L’habilitation peut même être générale, elle est dans ce cas mentionnée en marge de l’acte de naissance. Elément essentiel : la personne visée par l’habilitation conserve l’exercice de ses droits sur tous les actes qui ne sont pas précisés dans la décision du juge. p 69 FORMULE INTÉGRALE Un nouvel hippodrome pour Longchamp € Un coût de 125 millions d’euros Le coût de la restructuration de ce lieu mythique des courses, propriété de la Mairie de Paris, s’élève à plus de 125 millions d’euros. Avec une forme inclinée à la façon d’un pur-sang au galop, le futur bâtiment imaginé par l’architecte Dominique Perrault jouera sur les transparences et les perspectives. Dans ce site où la tribune du Pavillon et les écuries seront conservées et réhabilitées, la future réalisation n’aura volontairement ni devant ni derrière. « Ce bâtiment de verre proposera des plateaux traversants, des ouvertures de tous les côtés. Les circulations ont été conçues pour permettre aux spectateurs de faire des allers-retours entre les emplacements pour regarder la course et le rond de présentation, lieu central de l’hippodrome », indique M. Perrault. Pour répondre à une fréquentation qui peut aller de quelques milliers de personnes par jour, en semaine, à 60 000 spectateurs lors du prix de l’Arc-de-Triomphe, France Galop a choisi de disposer d’une tribune unique permanente de près de 10 000 places, qui sera complétée d’une seconde, provisoire, spécialement montée pour cet événement hippique mondial. Grâce à cette solution, la tribune en « dur » sera plus compacte et moins imposante qu’auparavant. « On va gagner 100 mètres en longueur pour un bâtiment qui ne dépassera pas 20 mètres de haut », indique l’architecte. A la proue de ce navire, le dernier étage proposera des loges, un restaurant et une terrasse panoramique, avec une vue à 360 degrés sur Paris, la Seine, la tour Eiffel et, évidemment, sur le champ de course. p laurence boccara Avec une forme inclinée, le futur bâtiment jouera sur les transparences et les perspectives. BULLETIN D’ABONNEMENT DOMINIQUE PERRAULT EAUX 2 NOUV ENTS M SUPPLÉ Epoque Idées et L’ 161EMQADCV A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9 ARCHITECTE-L’AUTRE OUI, je m’abonne à la FORMULE INTÉGRALE du Monde pendant 3 mois pour 69€ au lieu de 210,60€ (prix de vente en kiosque) soit : 6 quotidiens + tous les suppléments + M le magazine du Monde + l’accès à l’Edition abonnés du Monde.fr 7 jours/7. J’ÉCONOMISE AINSI 141,60€ IMAGE-ADAGP *Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse L’ hippodrome de Longchamp, qui occupe 55 hectares au sein du bois de Boulogne, à Paris, connaît une réhabilitation immobilière d’envergure. Dans ce temple des courses de galop, fermé depuis octobre 2015, le chantier bat son plein. La démolition des 71 000 mètres carrés de tribune est achevée. Place à la reconstruction. La première pierre a été posée le 14 mars. « Dessiné par Jean-Charles Alphand en 1857, et déjà rénové deux fois, cet hippodrome avait besoin d’être restructuré, afin de proposer des équipements modernes pour tous les publics et pour les professionnels du monde hippique. Il y aura, finalement, plus de construction que de rénovation », explique Edouard de Rothschild, président de France Galop, société gestionnaire du site et locataire des lieux jusqu’en 2056. Je règle par : Chèque bancaire à l’ordre de la Société éditrice du Monde Carte bancaire : Carte Bleue Visa Mastercard N° : Expire fin : Nom : Prénom : Adresse : Code postal : Localité : E-mail : @ Date et signature obligatoires Notez les 3 derniers chifres figurant au verso de votre carte : J’accepte de recevoir des ofres du Monde ou de ses partenaires OUI OUI NON NON Tél. : IMPORTANT : VOTRE JOURNAL LIVRÉ CHEZ VOUS PAR PORTEUR* Maison individuelle Immeuble Digicode N° Interphone : oui non Boîte aux lettres : Nominative Collective Dépôt chez le gardien/accueil Bât. N° Escalier N° Dépôt spécifique le week-end SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 80, BOULEVARD AUGUSTE-BLANQUI - 75013 PARIS - 433 891 850 RCS Paris - Capital de 94 610 348,70€. Ofre réservée aux nouveaux abonnés et valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2016. En application des articles 38, 39 et 40 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de radiation des informations vous concernant en vous adressant à notre siège. 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016 « Les réseaux sociaux sont plus puissants que les médias » Ils sont sur ce point plus puissants que les médias. Pour ces derniers, il est difficile de se rabattre sur le modèle payant par abonnement, qui nécessite un avantage compétitif très clair et un contenu très original. Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism, met en garde les éditeurs de presse L ENTRETIEN ors d’une intervention à l’Université de Cambridge et dans une tribune parue début mars dans la Columbia Journalism Review intitulée « La fin du monde tel que nous le connaissons : comment Facebook a avalé le journalisme », Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism, à New York, et ancienne patronne des activités numériques du quotidien britannique The Guardian, met en garde les médias. Elle dénonce l’essor des réseaux sociaux comme intermédiaires de distribution. L’écosystème des médias a-t-il vraiment davantage changé en cinq ans qu’en cinq cents ans ? L’avènement du Web social sur mobile est un bouleversement majeur quand on pense à la lenteur avec laquelle les médias se sont développés jusqu’ici, de l’invention des caractères d’imprimerie aux rotatives industrielles, etc. Les systèmes passés associaient « Les platesformes ont le pouvoir de sous-exposer ou de surreprésenter tel ou tel type de contenu » un émetteur à de nombreux lecteurs ou spectateurs. Les éditeurs étaient locaux et proches de leur public. Il existait un lien direct. Ce n’est plus le cas. Soudain, toute la façon dont l’information était distribuée a changé. Et ce phénomène est global. Jusqu’ici, il existait bien des intermédiaires, comme les kiosques, ou des régulateurs comme le CSA en France ? Les nouvelles plates-formes sont numériques, donc façonnées par un code informatique qui n’est pas intelligible. Avant, les systèmes étaient plus simples et clairs, et les distributeurs étaient soumis à une certaine transparence, alors que désormais, les algorithmes sont plus opaques. L’autre différence est l’échelle : on est passé de centaines de chaînes de télévisions et de journaux à des milliards de pages Web de contenus. Ces derniers sont « réintermédiés », c’est-à-dire réagencés avec une méthode qui dépend uniquement de la plateforme de distribution : il n’y a plus d’ensemble produit par le média, comme un journal ou une chaîne. Et Facebook, Snapchat ou Twitter touchent l’Inde ou les Etats-Unis. Il y a une différence de nature et d’échelle. Selon vous, la concentration inédite des pouvoirs de distribution menace le pluralisme mais il y a plus de sources disponibles que jamais… SILVIA MORARA/CORBIS Il y a moins de pluralité dans la distribution, avec seulement quelques grands réseaux sociaux dans le monde. Paradoxalement, il existe une grande diversité de contenus et peu de barrières pour s’exprimer, sauf dans les pays où les libertés sont restreintes. Conserver l’égalité entre les producteurs d’information n’est pas possible. C’est pour cela que les plates-formes trient le contenu : Twitter distingue les utilisateurs authentifiés ou pas, Facebook a des relations privilégiées avec les médias professionnels… Les plates-formes ont le pouvoir de sous-exposer ou de surreprésenter tel ou tel type de contenu. Les réseaux sociaux ne touchent-ils pas un lectorat plus jeune ? Quand le Wall Street Journal va sur Snapchat, c’est pour trouver des 15-24 ans intéressés par son information. Il y a là une opportunité de toucher des personnes de 15 ans, qui ont grandi sans télé et avec le haut débit mobile, ce qui n’est pas le cas des personnes de 25 ans. Les éditeurs n’ont pas le choix : ils doivent être présents sur les plates-formes. Mais ils abandonnent une part du contrôle sur leur distribution… C’est un pari risqué. En quoi les grandes plates-formes menacent-elles l’économie d’un média ? Les géants technologiques peuvent rendre un business déficitaire. D’abord, l’espace publicitaire numérique disponible est immense. Et les grands réseaux sociaux ont la capacité d’aider les annonceurs à cibler les lecteurs. Le site Buzzfeed ne vend de la publicité que sous la forme de contenus texte ou vidéo, il se déploie sur les réseaux sociaux et il est rentable. Est-ce la solution ? D’abord, Buzzfeed a reçu des investissements en capital de médias traditionnels, comme le groupe audiovisuel NBC Universal. La philosophie de cet éditeur a certes du sens, économiquement : il concurrence l’activité des agences de publicité en produisant des contenus pour les annonceurs. Mais Buzzfeed n’est pas immunisé contre les risques de baisse des prix des publicités, même s’il a jusqu’ici réussi à vendre les siennes plutôt cher. Selon Buzzfeed, il y a assez de diversité dans les réseaux sociaux disponibles pour réduire la dépendance envers eux. Il n’empêche que les plates-formes importantes comme Facebook peuvent changer votre modèle en modifiant leur algorithme. S’appuyer sur elles reste une stratégie risquée. Et faire du contenu de marque pour les annonceurs n’est pas forcément adapté à tous les médias. Ces derniers, pour la plupart, cherchent plutôt à trouver une ou plusieurs sources de revenus alternatives à la publicité : contenus payant, diversification, conférences, etc. La question de fond est celle de la pérennité des médias. Il y a dix ans, un éditeur bénéficiaire pouvait avoir quelques certitudes sur son avenir, c’est moins le cas aujourd’hui. p propos recueillis par alexandre piquard Une collection En quoi est-ce un problème ? Comment décide-t-on quels types d’articles sont favorisés ? Y at-il transparence sur les critères ? Qui est responsable ? Les grands réseaux sociaux n’avaient pas forcément anticipé leur responsabilité dans la distribution de l’information. Ils doivent s’adapter, en étant notamment plus transparents. APPRENDRE à Rythm, la start-up qui veut libérer les Français des troubles du sommeil PHILOSOPHER ÉTHIQUE, LIBERTÉ, JUSTICE « Pensez le monde autrement avec les grands philosophes » La société, qui teste auprès de 500 personnes un casque facilitant l’endormissement, démarche des investisseurs de la Silicon Valley Des scénarios personnalisés La période d’essai doit permettre de tester et d’affiner les algorithmes informatiques. « Nous avons encore beaucoup à apprendre », concède M. Mercier. A terme, la start-up espère aussi se constituer une gigantesque base de données afin de « créer une véritable intelligence artificielle capable de comprendre le sommeil », poursuit cet ancien de l’Ecole polytechnique. La plate-forme serait alors capable de proposer des scénarios personnalisés pour chaque utilisateur. Fondée en 2014, Rythm compte déjà une cinquantaine d’employés, dont une dizaine à San Francisco, où elle a ouvert un bureau destiné au marketing et au design. La recherche et le développement sont toujours réalisés à Paris. Pour se financer, la jeune pousse a procédé à plusieurs le- vées de fonds, auprès notamment de Xavier Niel, le patron d’Iliad et actionnaire à titre individuel du Monde, et Laurent Alexandre, fondateur du site Doctissimo. La start-up, qui a aussi recueilli 3,5 millions d’euros de fonds publics en France, démarche désormais les investisseurs de la Silicon Valley. « Nous sommes en discussion avec les grands fonds de capital-risque de la Valley », assure son directeur général, qui reconnaît que sa société « consomme beaucoup de liquidités car nous finançons aussi de la recherche fondamentale ». La start-up espère notamment trouver une solution aux difficultés d’endormissement. En attendant, Rythm envisage déjà d’utiliser sa technologie dans d’autres domaines. Par exemple, la réalité virtuelle pour rendre l’expérience encore plus immersive en fonction de l’activité cérébrale de l’utilisateur. Ou encore, l’éducation pour adapter l’apprentissage. Autre piste : l’interface personnemachine. « Pourquoi ne pas contrôler un ordinateur grâce à l’activité cérébrale ? », imagine déjà le jeune entrepreneur. p jérôme marin UNE COLLECTION QUI EXPLIQUE CLAIREMENT LES IDÉES DES GRANDS PHILOSOPHES Birnbaum.j © A di Crollalanza P our le tiers des Français qui souffrent de troubles du sommeil, la quête de la solution est incessante. Une brèche dans laquelle espère s’engouffrer Rythm. Cette start-up parisienne a conçu un casque à porter la nuit. Sa promesse : améliorer la qualité du sommeil. Jeudi 3 mars, elle a ouvert une première phase d’essai public, limitée à 500 personnes. Elle espère lancer, début 2017, une version commerciale, destinée au grand public. Baptisé Dreem, l’appareil, pour le moment vendu 350 euros, intègre trois électrodes placées sur l’arrière du crâne. Elles permettent de mesurer l’activité cérébrale en temps réel. Le casque sait ainsi dans quelle phase de sommeil se trouve l’utilisateur. Un algorithme informatique entre alors en action : il analyse les données et détermine à quel moment envoyer, par conduction osseuse, de petites stimulations sonores. « L’objectif est d’atteindre plus rapidement la phase du sommeil profond, le plus réparateur, puis d’y rester plus longtemps », indique Hugo Mercier, le jeune cofondateur et patron de la société. Si l’utilisateur a programmé une alarme, le casque préparera également son réveil pour s’assurer qu’il n’intervienne pas pendant la phase de sommeil profond, ce qui se traduirait par un sentiment de fatigue. Le volume 2 Une collection NIETZSCHE Présentée par Jean Birnbaum, essayiste, directeur du « Monde des Livres ». 9 € ,99 SEULEMENT! visuel non contractuel RCS B 533 671 095 san francisco - correspondance EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX www.CollectionPhiloLeMonde.fr 4 B UR EAU-TI CS Mon patron est sur Facebook 5 B I EN -ÊTR E Plaquez tout, devenez naturopathe 2 La tentation d’Adèle Cinéma, pub, mode, l’homosexualité féminine est devenue glamour. Du coup, certaines se laissent tenter. Pour une nuit ou pour la vie. FABRIQUÉ EN FRANCE Photo extraite de la série « Le baiser ». THIBAULT STIPAL E N QUÊ TE DIMAN C H E 20 - LU N DI 2 1 MARS 201 6 C AHI ER DU « M O N DE » N O 22139 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM EN T COSSE PHILIPPE NIGRO 0123 DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 M A R S 20 1 6 ENQUÊTE 2 Lesbienne pour voir Pour un soir ou pour la vie, elles « essayent » les filles. Victimes de la mode ou amoureuses sans frontières ? Elsa Fayner Coming out, séries, films : vingt ans de médiatisation 1997 > Coming out de l’actrice américaine Ellen DeGeneres, sur le plateau d’Oprah Winfrey et en « une » du Time. 1999 > A 19 ans, la tenniswoman Amélie Mauresmo révèle son homosexualité lors de l’Open d’Australie. 2003 > Madonna embrasse Britney Spears et Christina Aguilera aux MTV Video Music Awards. 2004 > Série américaine « The L Word » mettant en scène les amours d’un groupe de femmes lesbiennes et bi, près de Los Angeles. Photos extraites de la série « Le baiser ». THIBAULT STIPAL 2007 > Jodie Foster évoque sa compagne lors d’une remise de prix. 2008 > « I Kissed a Girl », single de Katy Perry. > L’actrice Lindsay Lohan, 22 ans, annonce sa relation avec la DJ Samantha Ronson. 2010 > « J’aime les femmes », déclare l’actrice Amber Heard, devenue, depuis, la compagne de Johnny Depp. 0123 D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 M A R S 20 1 6 L es fantasmes sont revenus à la naissance de son deuxième enfant. Aurélie avait 32 ans et « enfin du temps pour cogiter ». Du temps pour aller au cinéma, voir La Vie d’Adèle notamment. Littéraire, née dans une banlieue ouvrière, comme le personnage principal du film, la jeune femme s’est identifiée, troublée par ces scènes de sexe « magnifiques ». A cette période, son attirance pour les filles, qui lui faisait peur au lycée, a commencé à lui paraître « plutôt cool », « possible à assumer ». Rien de concret au début – une rêverie à ses heures perdues. Combien sont-elles, ces femmes, à avoir été troublées par le film d’Abdellatif Kechiche ? A avoir senti en elles vaciller une certitude, ressurgir un doute ? Il ne s’agit pas que de La Vie d’Adèle : les débats autour du mariage pour tous, la médiatisation d’histoires au féminin et la multiplication de films sur le sujet (récemment Carol ou Free Love) ont mis en avant des amours jusqu’ici peu montrées. Les lesbiennes sur grand écran, comme un miroir d’une époque plus ouverte sur les sexualités, plus « fluide ». Une époque où une jeune actrice, Adèle Haenel, recevant un premier César en 2014, déclare son amour pour sa compagne. Où un mannequin américain chouchou des magazines, Cara Delevingne, s’affiche indifféremment avec des hommes et des femmes. Myriam, qui, comme les autres femmes rencontrées, n’a pas souhaité révéler son identité, s’est « autorisée ce désir » après avoir lu Mes mauvaises pensées, de Nina Bouraoui (Stock, 2005). En cure de thalasso. « Ma mère m’avait offert un séjour pour mes 40 ans », sourit-elle, cigarette aux lèvres devant La Mutinerie, bar lesbien du 3e arrondissement parisien. Mariée, mère de deux enfants, provi- 2009 > « La Lesbienne invisible », one-woman-show d’Océanerosemarie, qui se joue pendant trois ans. 2013 > « Orange is the new black » série américaine, carcérale et lesbienne. > « La Vie d’Adèle» d’Abdellatif Kechiche. Désormais, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à déclarer avoir couché avec une personne de même sexe « Pour certaines, ce n’est pas une question de désir, mais d’image » Delphine Rafferty, 32 ans, mannequin Pendant une soirée de la fashion week, une fille mignonne au look hétéro s’assied à côté de moi et me dit : « Il est joli ton manteau… » Suivi d’un « toi aussi, t’es jolie ». Elle me fait du rentre dedans comme un homme. On finit par passer la nuit ensemble. Le lendemain, je n’en ai aucun doute : elle ne me rappellera pas, je ne l’intéresse pas réellement, elle ne veut pas sortir avec une fille. D’ailleurs, elle a sûrement un mec. Ce qu’elle voulait, c’est une histoire à raconter à ses copines, ce nou- 2014 > Coming out de l’actrice Ellen Page, 27 ans. > Adèle Haenel, lors de sa remise du César du meilleur second rôle, remercie seure en banlieue, elle n’avait « pas vu le temps filer ». Les questionnements du passé ont ressurgi, et Myriam s’est dit « qu’il était possible d’être une femme bien dans sa peau, jolie, tout en étant attirée par des femmes ». Depuis, la proviseure a décidé de divorcer. C’est à l’occasion d’un passage à Paris, où elle a rendez-vous avec son avocat, qu’elle franchit la porte de La Mut’, comme disent les deux étudiantes qui lui proposent un billard. Myriam n’a pas encore tenté l’expérience, elle est « work in progress », répète-t-elle, mais elle déplore déjà la difficulté à trouver des lieux de rencontre pour les femmes de son âge. « C’est une vraie démarche », confirme Camille, 37 ans, qui a passé un an « dans le milieu lesbien » : « On se fait rarement draguer par une fille au quotidien, il faut se rendre dans quelques bars, ou sur des sites de rencontre. Ce n’est pas toujours simple. » Pourtant, le nombre de femmes ayant une expérience sexuelle au moins une fois dans leur vie avec une autre femme ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui, près de 7 % des femmes de 25-50 ans déclarent avoir essayé, selon l’étude des parcours individuels et conjugaux INED-Insee. Elles étaient 3 % en 1992 et 4 % en 2006. Désormais, elles sont plus nombreuses que les hommes à déclarer avoir couché avec une personne de même sexe, alors que, jusqu’à présent, elles se disaient être seulement « attirées ». Pour Wilfried Rault, sociologue à l’INED, ces pratiques sont à la fois plus nombreuses et plus déclarées. Pour une même raison : l’environnement est « moins hostile à l’homosexualité ». Camille, longs cheveux blonds sur tenue noire, n’a pas attendu la sortie de la Vie d’Adèle ou de La Belle Saison. Encore moins le coming-out bi de célébrités. Il y a vingt ans, alors qu’elle était au lycée, la Bordelaise s’est 3 sa compagne – « parce que je l’aime ». > Chaleur humaine, album de Christine and the Queens, qui se définit comme « pansexuelle ». 2015 > Le mannequin Cara Delevingne affirme au HuffPost que sa bisexualité n’est « pas une phase ». passionnée pour Orlando, de Virginia Woolf, qui raconte l’histoire d’un jeune lord androgyne s’affranchissant « des barrières du genre ». Un roman paru en… 1928. « Une révélation », confie Camille, éditrice. Mais sans la « drague offensive » d’une collègue, elle n’aurait jamais imaginé « sauter le pas ». Lucile ne croit pas plus que la visibilité accrue des amours féminines change grandchose. Critique de cinéma, elle n’a pas été bouleversée par un film en particulier, « qui aurait tout déclenché », mais par « une rencontre », « avec une vraie lesbienne ». La précision a son importance. « Ça s’apprend de faire l’amour entre femmes. Les gestes, les attitudes, tout est différent », explique la trentenaire. Elle met d’ailleurs en garde : « Les magazines féminins disent qu’il faut avoir couché avec une femme pour ne pas avoir raté sa vie, mais ça relève du fantasme porno, du cliché hétéro. Des gamines peuvent se faire du mal en faisant ça. La sexualité entre filles n’est pas plus douce ou moins intrusive, pas du tout ! » Une double vie Lucile a vécu une double vie pendant six mois : d’un côté avec son mari, de l’autre avec sa nouvelle compagne, dans deux villes différentes, tous les protagonistes étant au courant. « Ils se sont même rencontrés, raconte-telle, ça se passait très bien. » La jeune femme a fini par quitter son amie, a eu un deuxième enfant, mais a compris que, pour elle, « ce n’était pas un fantasme ni pour faire plaisir à quelqu’un », qu’« émotionnellement, ça collait des deux côtés ». Elle en a conclu que le terme de « bisexuelle » lui convenait pour définir à la fois ses vies sexuelle et sentimentale. En matière de sexualité, la majorité des psys distinguent les « pratiques » de l’« orientation » : une femme peut ne se sentir bien qu’avec des hommes, se définir ainsi comme hétérosexuelle, tout en ayant des rapports avec des femmes. Elle peut éprouver des sentiments pour les hommes comme pour les femmes mais décider de n’avoir de relations sexuelles qu’avec les uns ou les autres. Comme Camille, l’éditrice bordelaise, qui a fini par quitter sa copine de bureau après quelques mois de passion. Le désir s’était asséché, les sentiments n’étaient pas là. « La relation me donnait une place qui ne me convenait pas », constate-t-elle. Camille n’a eu des relations qu’avec des hommes depuis. « Avec elle, je n’étais plus la seule à détenir la féminité, à apporter ce que j’avais à apporter. J’avais envie d’être la fille, je crois. » Aurélie, elle, n’a pas vraiment eu le temps d’y réfléchir. Troublée par le film d’Abdellatif Kechiche durant son congé maternité, elle s’est confiée à ses amies, et un soir, dans le taxi du retour, l’une d’elles l’a embrassée. Encore plus bouleversée, elle en a parlé à une veau statut social un peu coquin… Tout le monde nous a vues partir ensemble. Une question tourne en boucle dans ma tête : « Si ce soir-là, j’avais porté une grosse chemise à carreaux et un pantalon treillis, tu m’aurais parlé ? » La réponse est non, bien sûr. Coucher avec une femme, mais pas n’importe laquelle. Il lui fallait une lesbienne fashion, qui rentre dans des canons de mode, avec un physique androgyne et des vêtements de marque. Un logo couvert de logos, voilà ce qu’elle voulait. Pour ces filles, le sexe avec 2016 > Pour la première fois, Meetic intègre dans sa campagne de pub un couple de lesbiennes. collègue au bureau. « Elle hésitait à tromper son mec avec un autre, et moi j’avais décidé que je voulais coucher avec une femme… », raconte la jeune femme, rouge à lèvres et chemise sagement boutonnée. A l’époque, l’idée devient une obsession, presque une compétition ; c’est à qui mettra son projet à exécution la première. « Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais quand les vacances sont arrivées, nous nous sommes mises à nous draguer, par textos… C’est devenu torride. » Aurélie en est encore tout étonnée. Au retour des congés, elles louent une chambre d’hôtel et passent une nuit « très romantique ». Mais le lendemain, c’est la douche froide. Son amante « fait comme si de rien n’était », et Aurélie connaît son « premier chagrin d’amour », elle qui a rencontré son mari au lycée. « Je n’ai pas été jusqu’à envisager de tout plaquer, mais j’en ai bavé », dit-elle. Aujourd’hui, la jeune femme a « pris du recul ». Elle sait qu’elle peut être attirée par des femmes. Elle reconnaît qu’elle peut être « un peu “control freak” » et qu’elle a « eu besoin de mettre du désordre dans une vie très sage » pour réaliser qu’elle était « sûre de [ses] choix ». Myriam, de son côté, n’est pas repassée à La Mutinerie, mais elle compte bien y retourner. une fille, ce n’est pas une fin mais un moyen. Ce n’est pas une question de désir mais d’image. Passer la nuit avec une fille, c’est comme avoir le dernier sac à la mode. Tu veux surtout que tout le monde sache que tu as réussi à l’avoir. C’est presque la dixième fois qu’une expérience de ce genre m’arrive en un an. Un effet de tendance. La série télé américaine « The L Word » avait glamourisé le phénomène, l’avait rendu moins « ghettoïque ». Mais aujourd’hui, le milieu de la mode s’est accaparé cette esthétique queer : dans tous les castings, je vois des filles qui me ressemblent, des garçons manqués au crâne rasé, soudain devenues des canons de beauté pour le grand public. Il y a un peu plus d’un an, j’ai commencé à m’intéresser à la mode, puis à défiler, et soudain, je suis entrée dans une case cool. Ces filles te repèrent pour ton look, te forcent un peu la main en soirée, persuadées que tu vas automatiquement rentrer avec elles. C’est un vieux cliché que ton fantasme est forcément de « détourner » une fille qui aime les garçons. Et le pire, c’est que leur mec s’en fiche, au contraire, c’est un peu excitant pour lui. Et jamais sérieux. Propos recueillis par Alice Pfeiffer HAU T E DÉF I N I T I O N Fluidité sexuelle C’est la capacité de chacun à voir ses préférences sexuelles évoluer au cours de sa vie, de la position pendant l’amour au choix du partenaire. Les femmes qui font l’amour avec des femmes seraient plus « fluides » que les autres. Plus narcissiques aussi, suggère Joëlle Mignot, psychologue clinicienne : « On peut penser qu’elles sont à la recherche du “même”, dans la curiosité inconsciente d’aller observer leur propre jouissance dans le miroir. » 4 0123 DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 M A R S 20 1 6 Oups, mon boss m’invite sur Facebook Nicolas Santolaria U n jour, votre boss a découvert que Facebook existait et vous a envoyé une invitation « en ami ». Pour vous comme pour vos collègues, l’arrivée inopinée de votre patron sur le réseau social de Mark Zuckerberg colore d’une teinte menaçante cet écosystème numérique jusqu’alors caractérisé par sa frivolité relationnelle. En termes d’état d’esprit, vous voilà telle une bande de gnous qui riait gaiement aux abords d’un point d’eau et qui voit soudain débarquer un superprédateur à la canine étincelante. Un interminable « oh, noooooonnnnnn » résonne alors dans ce piton de la fournaise qu’est devenu votre cerveau. Votre temps d’hébétude ne doit pas dépasser le millième de seconde, car il faut vite évaluer le niveau du risque et mettre en place des stratégies de survie. La première d’entre elles consiste à différer votre réponse et à faire disparaître fissa ces photos de vous en train de nager le crawl dans une flaque de bière. Si cette demande d’amitié vous fait à ce point violence, c’est qu’elle bouleverse en profondeur votre système de valeurs. Même si vous n’avez rien de personnel contre lui, votre chef a toujours été là pour que vous puissiez le détester. Cristalliser le ressentiment, incarner à lui seul le dysfonctionnement structurel de l’entreprise, porter sur ses épaules le poids de l’absurdité kafkaïenne du monde du travail : telle a toujours été la fonction cachée – mais non moins essentielle – du chef. Or, l’ergonomie de Facebook entre radicalement en contradiction avec cette structuration classique de la relation. En faisant de tout un chacun un « ami » potentiel, elle sonne la fin du grand Autre, cette figure de l’altérité au sens lacanien du terme dont votre chef était l’incarnation la plus manifeste. Vos photos « food porn » de gratins de pâtes immortalisés à la cantine et vos aphorismes définitifs sur la marche du monde n’avaient finalement de sens que parce que l’Autre n’y avait pas accès. Une fois que vous avez accepté cette demande d’amitié hiérarchique, c’est toute votre vie numérique qui se recompose, nécessitant une discipline inédite. Le premier danger qui vous guette est ce que l’on pourrait nommer le syndrome Serge Aurier – du nom de ce footballeur du PSG qui a insulté son patron sur le service de livestream Periscope. N’oubliez jamais que tous vos épanchements sont publics. A cela s’ajoutent les périls liés aux fonctionnalités du site. Alors que vous devriez être en train de travailler sur un dossier urgent, le bouton « discussion instantanée », véritable mouchard, s’allume et trahit votre inclination à la dispersion numérique. Il est donc impératif de le désactiver. Le pire, c’est quand votre patron publie un mème hyperéculé où Batman met une grosse claque à Robin et, dans la foulée, « like » une de vos photos de burgers. Comment réagir ? Liker vous ferait passer pour un horrible courtisan. Mais ne pas liker risquerait de congeler votre carrière. Dans le doute, vous décidez de vous remettre à communiquer « in real life » et distillez vos aphorismes en tête-à-tête à la machine à café. L’heure du bilan a sonné : depuis que votre boss est sur Facebook, vous y êtes beaucoup moins et avez pris conscience que vos post pouvaient être lourds de conséquences. En résumé, vous avez ouvert les yeux sur la nature réelle du réseau social. Alors merci qui ? Merci patron ! Ne pas paniquer si votre patron publie un mème hyperéculé où Batman met une grosse claque à Robin N O S J O U R S A R EU H Siri, tu gardes le petit ? Clara Georges Dieu que c’est émouvant. L’enfant est parvenu à déverrouiller l’iPhone. Et dire qu’il y a un an à peine ils se découvraient. L’un accrochait ses petits yeux à la lumière mouvante de l’écran, tandis que l’autre emmagasinait les premiers clichés surexposés desdits yeux. J’ai tout de suite compris : au grenier, le « Laurence Pernoud ». Aux oubliettes, la préoccupation maternelle primaire, cette attention continue aux besoins du bébé. Winnicott, te voilà supplanté par Winny et ses potes sur YouTube. Quel soulagement. Pas besoin de bercer le nourrisson, Deezer a un bien meilleur flow que moi, et sa lecture est moins aléatoire que ma voix. Tenir mon enfant par la main ? Impossible, puisque ses deux menottes sont fermement agrippées au rectangle noir. Le jour où il a marché à quatre pattes, j’ai écrit à Tim Cook. Cette avancée spectaculaire, nous ne la devons qu’au téléphone posé deux mètres plus loin. C’est infiniment pratique. Le papa et moi sommes délestés de nos missions ancestrales. Siri est un père hors pair. Lorsque l’enfant lui mordille les haut-parleurs en bavant, il se contente d’un « Que puis-je faire pour vous ? » Ses gazouillis sont accueillis sans emphase excessive. « Voulez-vous que je cherche “dada” sur Internet ? » Et l’angoisse de séparation ? Réglée ! Toute sa vie, l’enfant vivra avec le substitut maternel niché au creux de sa poche. La peur de l’inconnu ? Enterrée ! Personne ne serait effrayé par un nouvel iOS. Je propose aux psychologues d’intégrer à leurs travaux théoriques le concept de la carte mère parfaite. Ou, tout au moins, suffisamment bonne : on n’est jamais à l’abri que le stockage soit saturé. INTERVIEW B U R EA U - T I CS Kyan Khojandi : « Je jette mes piles dans la mer » Le créateur de « Bref » à la moulinette du portrait chinois de « l’Epoque » Sandrine Blanchard une blague, c’est très proche. Cela demande beaucoup de préparation et de répétition. Vous êtes un complot ou une fausse rumeur. La rumeur qui dit que j’ai perdu mes cheveux. Ça fait beaucoup rire mon coiffeur et moi. Vous êtes une application mobile idéale. Une application qui permet de se téléporter. J’espère que les chauffeurs Uber et les taxis ne s’allieront pas contre ce nouveau concurrent. Vous êtes un réseau social. Un réseau social qui marche sans électricité. On se retrouve à table, on mange et on discute. Ça pourrait cartonner. Vous êtes un geste pas écolo. Il faut vraiment que j’arrête de jeter mes piles usagées dans la mer. Vous êtes un mot à la mode insupportable. Solutionner. Vous êtes un smiley. Le fantôme qui tire la langue. Vous êtes fast ou slow food ? Je peux passer une heure à cuisiner un truc que je vais manger en deux minutes. Vous êtes made in France ou tout à 10 euros ? Il y a un nouveau label qui apparaît en plus du made in France, c’est « cette société paye ses impôts en France ». Ça, je soutiens. Vous êtes Tinder ou fin de soirée arrosée ? J’ai essayé Tinder, je me faisais engueuler par les filles parce que j’utilisais le profil de Kyan Khojandi pour draguer. JEFF PACHOUD/AFP P endant deux ans, il a fait le printemps au « Grand Journal » avec sa minisérie « Bref ». Aujourd’hui, Kyan Khojandi remonte sur scène, son premier métier. « J’ai choisi de prendre du temps pour moi et pour ma famille, et de m’ennuyer parce que l’ennui est le fournisseur officiel de l’imagination, explique ce comédien d’origine iranienne. J’ai gagné dix ans de psychanalyse. » Résultat : un one-man-show intitulé Pulsions, parce qu’on en a tous, lui le premier. Le 23 mars, il sera à l’affiche de Rosalie Blum, de Julien Rappeneau, où il interprète un coiffeur de province dont le quotidien va être bouleversé par une femme mystérieuse… Mais, dans la vraie vie, il est comment, Kyan Khojandi ? Vous êtes un tweet en 140 caractères. Un jour, je suis né. Depuis, j’improvise. Vous êtes un hashtag. #TousEnNezRouge Vous êtes une photo qui disparaît une fois consultée. Snapchat a complètement pompé le concept de la photo de famille de Marty McFly dans Retour vers le futur. Vous êtes la fonction d’un robot intelligent. La fonction pour faire des gâteaux. J’apprends la pâtisserie en ce moment. C’est de la chimie de haute précision. Créer Vous êtes un néologisme. J’avoue, j’ai regardé dans le dico pour néologisme. Je dirais : courriel. « Tu as pris le temps de lire mon courriel ou tu passes ta journée à surfer ? Internaute, va. » Avec une phrase comme ça, je suis en plein dans la nouveauté. « Pulsions », du 10 mars au 30 avril, du jeudi au samedi à 20 heures, à L’Européen, 5, rue Biot, Paris 17e. « J’AI ESSAYÉ TINDER, JE ME FAISAIS ENGUEULER PAR LES FILLES » 0123 D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 M A R S 20 1 6 « France, April 2013 », de la série « Sleep Elevation XIV ». MAIA FLORE/AGENCE VU > COMMENT ÇA MARCHE ? Une consultation dure entre 1 heure et 1 h 30 et son prix est généralement compris entre 60 € et 90 €. Elle n’est pas remboursée par la Sécurité sociale, mais certaines mutuelles proposent une prise en charge forfaitaire. > COMMENT SE FORMER ? Dans des structures privées, sur un an à temps plein ou sur trois ans le soir ou le week-end. Le diplôme et la profession ne sont pas reconnus en France. Six écoles garantes du contenu de l’enseignement sont affiliées à la Fédération française des écoles de naturopathie (www.fenahman.eu). B O U LO T Changer de vie... ou pas BIEN-ÊTRE T u vas devenir gourou. » Il y a cinq ans, quand Patrick Perez a commencé à envisager une reconversion professionnelle, il n’a pas échappé aux sarcasmes. Il faut dire que le virage avait de quoi surprendre : le quinquagénaire était pilote de ligne dans une grande compagnie aérienne – plutôt un bon job. Alors pourquoi ? Pourquoi quitter le kérosène pour les huiles essentielles ?, ont semblé railler beaucoup de ses proches et collègues. « Sans doute un peu le regret de n’avoir pas fait une carrière en lien avec la santé, mais surtout l’expérience d’une longue maladie qui m’a fait changer, moi l’ancien pilote de chasse à l’esprit bien formaté. » Depuis janvier, il suit un cursus à la faculté de naturopathie de Dijon. Longtemps reléguée au rang de toquade pour écolos, voire de repaire de charlatans, la discipline a désormais la cote. En ville comme aux champs, on s’échange les noms de ces spécialistes du bien-être, qui seraient environ 2 000 en France, alors que la profession n’est pas reconnue. Pour nombre d’aspirants à une nouvelle vie, la « naturo » est devenue une filière de reconversion séduisante. Mais qu’est-ce, au juste, que la naturopathie ? « Un ensemble de méthodes de soins visant à renforcer les défenses de l’organisme par des moyens considérés comme naturels et biologiques », définit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui la classe parmi les médecines traditionnelles mondiales. Et encore ? Ni médecin, ni kinésithérapeute, ni diététicien, le naturopathe ne fait pas de diagnostic mais propose des conseils sur l’alimentation, la gestion du stress et l’activité physique. Le tout en ayant recours à des techniques dites naturelles, à base de compléments nutritionnels, de soins par les plantes ou les huiles essentielles, de « massages bien-être » et d’exercices de relaxation. A la tête de l’école Euronature, trente-quatre ans d’existence, Bernadette Rachou a vu monter l’engouement pour la « voie de la nature » depuis deux ans. Sur ses cinq campus (Pantin, Lille, Toulouse, Aix, Lyon), les réunions d’information font le plein et les inscriptions s’envolent. Elle a ouvert cette année deux classes supplémentaires à Lyon et à Toulouse. Ni les quelque 10 000 euros de frais d’inscription (le tarif moyen pratiqué par toutes les écoles) ni les 1 500 heures de formation n’effraient les quadras et quinquas en quête d’une nouvelle aventure professionnelle. « La majorité de nos stagiaires, essentiellement des cadres, ne viennent pas du secteur médical ou paramédical, explique cette ancienne assistante commerciale. Dans les dernières promotions, il y avait un styliste, une avocate, une directrice des ressources humaines, des fiscalistes, un danseur professionnel… » Lara Maisonhaute-Libourg, 40 ans, fait partie de ces nouveaux convertis. Gérante d’un magasin spécialisé dans les petites voitures de collection en Normandie, la jeune femme voulait évoluer vers le secteur plus porteur de l’alimentation bio. « Pour pouvoir mieux conseiller [ses] futurs clients », elle suit en 2014 une formation en « naturo » qu’elle arrive à faire financer dans le ca- > COMMENT CONSULTER ? La liste des 700 membres de l’Organisation de la médecine naturelle et de l’éducation sanitaire, gage d’une bonne pratique, est consultable sur www.naturopathe.net. QUATRE RECONVERSIONS RISQUÉES Quitte gros salaire pour huile essentielle Pilote de ligne, pharmacienne, danseur… Ils ont tout plaqué pour se former à la naturopathie. Une « profession » devenue une véritable filière de reconversion Catherine Rollot dre de la formation professionnelle. En octobre 2015, la Normande ouvre son cabinet à Gravigny, dans l’Eure. Pour celle qui était « un peu homéopathie », s’alimentait sainement sans être « une obsédée de la chasse aux acides gras saturés » et n’avait jamais consulté un naturopathe, l’« envie de se lancer à fond » s’est faite au fur et à mesure des cours. Clarisse Gilbert, 38 ans, a tourné la page de son métier de monteuse dont elle « vivait très bien » à la suite d’un bilan de compétences. Conseillère santé à temps partiel dans une enseigne alimentaire bio en région parisienne depuis quelques mois, elle commence à développer une activité libérale. « Plus que le métier, c’est le fait d’avoir réussi à sauter le pas qui fascine », explique cette mère de deux jeunes enfants, heureuse d’avoir trouvé une profession « ancrée dans le quotidien, où les qualités d’écoute, d’empathie, sont primordiales ». Le métier attire des salariés qui ne trouvent plus de sens dans leur ancienne profession. « Cet engouement, côté client comme côté professionnel, reflète notre époque, assure Frédéric Boukobza, président de la Fédération française des écoles de naturopathie. Tous ceux qui s’engagent dans ce métier ont envie d’être bien et de faire du bien ». Les scandales médicaux, la défiance vis-à-vis des traitements médicamenteux, la malbouffe, mais aussi l’intérêt croissant du grand public pour les produits naturels profitent à ces nouveaux conseillers santé. Mais gare aux faux espoirs. « Compter au moins trois bonnes années pour pouvoir gagner l’équivalent d’un smic », avertit Jocelyne Perriot, qui cumule des missions d’intérim en tant qu’infirmière anesthésiste, son premier métier, avec des cours dans une école de naturopathie et des consultations en libéral. De quoi « décourager les opportunistes », juge Marie Aime-Dupuy, responsable de la formation Anindra à Nantes. Accidents de la vie, rupture professionnelle ou problèmes de santé servent souvent de déclencheur. Depuis janvier 2013, Marie-Laure Carlu, qui vit en Picardie, fait chaque jour une heure et demie de transport pour suivre > LA RESTAURATION Tous « Top Chef » ? Même si vos lasagnes font l’unanimité, réfléchissez-y à deux fois avant de tout plaquer. La restauration fait partie des métiers les plus idéalisés, mais une fois l’ivresse des cours de cuisine retombée, gare au seau d’eau froide de la plonge, aux journées à rallonge et à un horizon professionnel bouché. > LES MÉTIERS MANUELS L’ébénisterie, la dorure sur bois, la tapisserie… font rêver les salariés qui se voient à leur compte, dans l’odeur des copeaux et l’euphorie de la création. Mais l’atelier poussiéreux et savamment bohème n’est pas souvent au coin de la rue. Même pour les plus chanceux, les contraintes de l’artisan reviennent souvent au galop : cotisations, régime de retraite… > LE COACHING Toute votre vie, on vous a certifié que vous étiez un « fin psychologue », que vous saviez être « à l’écoute ». Qu’à cela ne tienne : après des années comme cadre dans une multinationale, le temps d’une formation et vous voilà coach en bien-être. Seulement, vous avez dépensé toutes vos économies et n’avez pas anticipé que vous quittiez le statut de salarié pour celui d’autoentrepreneur. Vous aviez misé sur vos qualités humaines évidentes pour trouver des clients sans avoir à les démarcher. Erreur. > LA CHAMBRE D’HÔTES La seconde vie au vert, loin du stress, à accueillir des hôtes forcément sympathiques, se transforme parfois en une existence rythmée par les changements de paires de draps et la confection de petits déjeuners à la chaîne. Et hors saison, la contemplation des chambres « lavande » ou « reine-des-prés » vides peut s’avérer bien déprimante. son cursus en banlieue parisienne. A 52 ans, cette cadre dans l’industrie pharmaceutique a voulu « comprendre une autre façon de soigner » après un licenciement économique. Intoxiqué au mercure dentaire, c’est d’abord comme patient que le pilote de ligne Patrick Perez a expérimenté la naturopathie. Dans un an, il espère pouvoir être de l’autre côté de la barrière. Naturopathe, et pilote de ligne à mi-temps. 5 6 0123 DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 M A R S 20 1 6 QUENTIN BERTOUX CUISINE POUR « LE MONDE » On ne coupe pas au bol Bols de sarrasin et cresson au haddock Les assiettes plates sont détrônées sur nos tables par leurs voisins de placard, ronds et généreux… Avec des recettes qui changent — pour 4personnes — Stéphanie Noblet D ans l’enfance, il était de chocolat chaud, avec moustaEt ce n’est pas tout. Garni de recettes moins exotiques et touches gourmandes assumées, ou de soupe – et au lit ! – jours souples (salade composée, soupe complète…), cet accessoire parles soirs de fièvre ou d’exaspération parentale. Vite ticipe au « grand mouvement de simplification des repas et d’individuaavalé dans un coin de la cuisine. Rarement, il faisait lisation des pratiques » observé par le sociologue de l’alimentation une incursion à table, à l’occasion du cassoulet annuel Jean-Pierre Poulain. Avec un atout majeur : l’usage mobile que l’on ou, un jour d’exception, pour accueillir un intrigant peut en faire, par sa bonne préhension en main, ici à table, là devant minestrone, comble de l’exotisme culinaire dans la France septenun écran, avec un couvert unique le plus souvent. trionale de l’ère giscardienne. Autre avantage, en ces temps où concevoir un menu compatiEn 2016, le bol a gagné nombre de tables, des plus raffinées ble pour dix copains relève parfois de l’exploit, ce type de récipient aux humbles cantines de quartier. Le bol, ou plutôt son avatar permet de masquer des contenus discrètement diversifiés – sans glucontemporain, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’austère moten ou végétarien, notamment –, sous un même décor consensuel : on dèle de réfectoire, en verre ou porcelaine blanche, tout concocte un savant maquis d’herbes, pousses et juste bon pour les foires à tout… Appelé aussi coupe ou ADRESSE graines, ça fait joli, ça camoufle l’ensemble et, coupelle, il a pris du ventre et de la hauteur, lâché deux sans distinction, tout le monde se régale. crans à sa ceinture pour offrir un diamètre généreux, di- > LES BOLS DE JEAN Alors, tout rond tout bon, le bol va-t-il régne d’accueillir les plats tout-en-un de tous horizons qui Les créations originales gner sans partage ? Son aspect pratique et génél’ont rendu incontournable. reux peut séduire toutes les générations. Mais proposées depuis avec un répertoire culinaire circonscrit : il lui En apparence anodin, ce changement de vaisselle li- l’automne par le chef Jean faut du prêt-à-manger, du calibré, tranché, convre quelques indices sur l’évolution de nos modes alimen- Imbert font leur effet : des cassé, ciselé, voire mixé, de l’émincé, effiloché, taires. Comment le dissocier du succès durable rencontré bols comestibles en bon émietté, effeuillé… Ce qui implique un patient en France depuis vingt ans par les recettes asiatiques, au pain (signé Eric Kayser) boulot de découpe en amont ! Plus simples à resto d’abord, mais aussi désormais à domicile ? Les bobun toasté à l’huile d’olive et préparer, les céréales et pasta de tout calibre y (vietnamiens), soupe de nouilles (chinoises), tom yam garnis de recettes de quaseront toujours à leur aise, bien au chaud dans (thaïlandais), bibimbap (coréen) et autres chirashi ou lité (curry, au poisson, tout donburi (japonais) se sont inscrits à nos menus sans se dé- végétal…). Bols de 8 € à 13 € leur sauce et faciles à mélanger. Que les carnivores frustrés par de minà emporter (de 8,50 € partir de leur récipient creux… et de leurs baguettes ! ces lamelles se rassurent : le bol dans le vent ne à 13,50 € sur place). saurait tout emporter. A jamais incompatible 2, rue de Choiseul, Paris 2e. avec une entrecôte, un osso buco ou un gigot – excepté, peut-être, celui qui a mitonné sept heures… A quoi bon se compliquer la tâche et prendre le risque de contorsions grotesques, coudes en l’air, dans une pitoyable danse des canards, quand ces plats carnés réclamant fourchette et bonne lame ne s’offriront jamais mieux qu’en position allongée (planche ou assiette) pour être découpés et dégustés ? Rincez et essorez une botte de cresson ; éliminez les plus grosses tiges. Faites pocher 400 g de filets de haddock 10 min dans un mélange d’eau et de lait sans sel. Otez la peau et les arêtes et émiettez-le. Faites cuire 160 g de sarrasin kasha grillé (en magasin bio) à l’eau bouillante salée 5 min, puis égouttez-le. Faites blondir 2 échalotes dans une petite casserole avec une noix de beurre, 1 cuillère à café de curcuma et 1 autre de curry, sel et poivre ; déglacez avec 10 cl de vin blanc et 20 cl de crème liquide (classique ou végétale) ; laissez réduire à feu doux 5 min. Répartissez les ingrédients dans de grands bols et arrosez avec la sauce ; dégustez tiède ou à température ambiante. J A R DI N Escargots : les dents de la terre Muriel Gilbert P ar une gazouillante aube de printemps, tu promènes au-dessus de ton café fumant un œil chiffonné d’oreiller sur les fleurettes qui multicolorent ton microjardin de banlieue, les considérant avec une tendresse d’autant plus maternelle que tu sens encore dans la moelle de tes lombaires l’effort accompli dimanche dernier pour les planter dans la bouillasse entre deux averses glacées. Soudain, horreur : dans le coin, là, près du mur, quelqu’un a avalé tes bébés plantes ! Ça, c’est signé Gastéropode. Gastéropode, du grec « l’estomac dans les talons », souffre, comme son étymologie l’indique, d’un féroce appétit. Bon. Comment le lui couper sans répandre ces vilaines granules bleues qui te vaudraient une nuit chez SOS-Véto s’il prenait au matou l’envie d’y goûter ? « Tu peux mettre de la cendre ou des coquilles d’œuf autour des plantes », conseille Fernando, mon voisin, ses deux grosses mains de ceinture noire de la patate et du poi- Aquarelle de Shasai (détail). VICTORIA reau solidement appuyées l’une sur AND ALBERT MUSEUM, LONDRES/RMN-GRAND PALAIS l’autre au bout du manche de sa bêche, « après elles viendront plus, les limaces ». « Mais moi, c’est des escargots, Fernando. – L’escargot, les limaces, tout pareil. » J’ai pas de cheminée, et des coquilles d’œuf entre mes fleurettes, pardon, mais ça fait vide-ordures… « Tu peux aussi mettre une tasse de bière. » Les gastéropodes picolant sans aucune modération, apprends-je, ils se soûlent et se noient dedans. Le matin, tu récoltes, beurk. Sans compter GASTÉROPODE, DU GREC « L’ESTOMAC DANS LES TALONS », SOUFFRE, COMME SON ÉTYMOLOGIE L’INDIQUE, D’UN FÉROCE APPÉTIT que ça gâche de la bière. « L’autre truc, précise le spécialiste, c’est que des fois ça attire les limaces des voisins. » Laisse tombez la bibine. On peut aussi poser un carton ou une planche près de ses corolles chéries, les mollusques adorant se réfugier dessous la nuit. Le matin, tu récoltes. « Et j’en fais quoi ? » « Ben tu les écrases ou tu les noies. » Je crois que je vais pas pouvoir. Et si j’allais les libérer au parc, plutôt ? 0123 Des brocolis et du poisson au petit dej, et puis quoi encore ? Je suis rugbyman, moi… Je pèse 103 kilos pour 1,82 m. Quand je jouais à Worcester, un nutritionniste m’avait suggéré ce menu. Je lui ai dit qu’il n’en était pas question. De toute ma carrière, je n’ai jamais fait attention à ce que je mangeais. Je ne connais pas mon indice de masse grasse et ça m’est complètement égal. Pendant ces quinze années au plus haut niveau, y compris international, j’ai su me reposer et profiter de la vie. Quand j’ai décidé de prendre ma retraite, en août 2015, à 34 ans, j’étais vraiment content. C’est devenu un truc tellement sérieux, le rugby. Avant, il y avait plein de personnages, des gars impayables. Les jours de match, ils donnaient tout ce qu’ils avaient, mais ils faisaient aussi la fête et s’amusaient. A mes débuts, en 1998 – deux ans après le passage au professionnalisme –, j’étais chez les Leicester Tigers, la meilleure équipe d’Angleterre à l’époque. Il n’y avait pas de nutritionniste, et un seul entraîneur physique. Maintenant ils sont sept ou huit. Bref, la vie de rugbyman professionnel est beaucoup moins détendue. Pourtant j’y suis revenu en janvier, avec mes kilos superflus. En décembre 2015, j’étais en train de promener mon chien quand j’ai reçu un appel de Dean Richards, l’ancien entraîneur de Leicester aujourd’hui directeur du rugby à Newcastle. Il m’a demandé si je voulais sortir de ma retraite pour remplacer l’un de leurs joueurs blessés. J’ai d’abord rigolé de sa proposition. Et puis, je me suis dit pourquoi pas ? Quand je suis revenu sur les terrains, en janvier, je ne m’étais entraîné que deux semaines. Je n’étais évidemment pas au sommet de ma forme ! Depuis, j’y travaille, à ma façon. Tous les matins, en arrivant au club, on doit remplir un formulaire, en se donnant des notes sur 10 : combien d’heures a-t-on dormi ? Quelle était la qualité de notre sommeil ? Quel est notre niveau d’énergie ? Quelle était la qualité nutritionnelle de notre alimentation au Andy Goode 35 ans, joueur de rugby à Newcastle, vit à Londres. Avec une petite bedaine et des kilos superflus, il a un profil inhabituel dans ce sport aujourd’hui très professionnel. Trop professionnel à son goût cours des dernières vingt-quatre heures ? Je me mets toujours 10 pour l’alimentation parce que je suis toujours content de ce que je mange ! Le mercredi, c’est jour de repos, sans entraînement. Mais plein de joueurs en profitent pour aller lever de la fonte. Je ne les comprends pas. L’idée, c’est de se reposer : si la seule chose à laquelle on pense, c’est le rugby, on finit par craquer. Moi, j’ai ma fille, Grace. Le matin, je l’emmène à l’école. Grace est née quand j’étais encore très jeune. Elle a 12 ans aujourd’hui et c’est elle qui a dicté ma vie en dehors du rugby. Ça m’a toujours aidé d’avoir une autre priorité. Au Royaume-Uni, les joueurs sont beaucoup plus cadrés qu’en France, que je connais pour avoir joué à Brive pendant deux ans (de 2008 à 2010). Résultat, il y a un manque total de leadership parce qu’on a toujours contrôlé leurs moindres faits et gestes. En France, c’est le contraire, les joueurs font ce qu’ils veulent. Ce qu’il faudrait, c’est un équilibre entre les deux. Je crois que le rugby a dévié de ses origines, aujourd’hui le sport est beaucoup trop concentré sur la force pure. Il y a plein de gym monkeys (des monstres de salles de gym), des types ultraforts, dont la compréhension du jeu est parfois limitée. Ils ont d’énormes pectoraux et des épaules larges, mais il faut quand même qu’ils se passent le ballon et l’attrapent. Dans le jeu tel qu’on le pratique désormais, on mesure les données de chaque joueur : son rythme cardiaque, sa distance parcourue sur le terrain, tout est enregistré, mesuré, décortiqué… C’est sûrement très utile, mais je crois que cela porte atteinte à la sensation et à la compréhension du jeu. On se base trop sur les chiffres. Moi, je refuse de porter un GPS sur mon maillot. Comme je joue demi d’ouverture, numéro 10, mon job consiste à organiser les stratégies, privilégier tantôt le jeu de passes, tantôt la force physique ou des coups de pied de déplacement, selon les circonstances. A ce poste, il s’agit surtout de bien se positionner sur le terrain, de TOC-TOC TÉMOIGNAGE D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 M A R S 20 1 6 savoir anticiper, imaginer ce qu’il pourrait se passer deux ou trois passes plus tard. Bref, remporter la bataille tactique. C’est ce que j’essaie d’appliquer avec les Newcastle Falcons. Je ne fais pas des sprints permanents. Pendant un match, je passe beaucoup de temps à l’arrière du terrain, à regarder comment se déroule le jeu. Pour ça, pas besoin de courir d’un côté à l’autre du terrain comme un fou. Et pour l’instant, il n’y a pas d’appareil qui mesure l’activité du cerveau ! Quand on a gagné notre premier match à Newcastle, en janvier, on a fêté la victoire. J’ai regardé l’entraîneur : « Mais où est la bière ? » Il a compris, il est allé chercher un fût au bar. C’est important de partager une pinte au sein de l’équipe. Beaucoup de joueurs ne veulent plus boire parce qu’ils s’inquiètent du qu’en-dira-t-on, de ce qu’en pensera l’entraîneur. Je suis complètement en désaccord avec ça. Il faut souder les joueurs, sinon, on se retrouve dans un environnement stérile. D’ailleurs, Eddie Jones, le nouveau sélectionneur du XV d’Angleterre, a dit qu’il voulait voir les joueurs boire ensemble. Avec Stuart Lancaster, son prédécesseur, c’était impossible, il était tellement strict. Je crois que ça a joué un rôle dans l’élimination précoce des Anglais lors de la Coupe du monde de 2015. Quand j’étais à Leicester et qu’on gagnait un match à l’extérieur, Martin Johnson, le capitaine, allait acheter des fish and chips et des bières pour tout le monde. Sur le chemin du retour, on s’arrêtait dans un pub et après, on continuait à boire dans le bus. Créer un bon environnement entre les joueurs, c’est primordial. Je suis de la vieille école : pour célébrer une victoire, il faut des bières ! Propos recueillis par Eric Albert 7 TROP BELLE POUR TOI Magali Cartigny ne Barbie moche. C’est pour qu’on puisse s’identifier, dit-on. Parce que certaines râlaient : trop belle, trop blonde, trop mince, si ça se trouve elle vote même républicain. Mais moi, enfant, ça me valorisait de me dire qu’une fille, si canon fût-elle, menait une existence morne et placide, dont le point culminant était de faire toiletter son berger allemand. Et je parle même pas de son mec. Va-t-il falloir que j’explique à la prunelle de mes yeux pochés – plus branchée Charlotte Corday que charlotte aux fraises – que désormais elle devra jouer à la guillotine avec le clone d’Ugly Betty ? Barbie, même prognathe, continuera à passer le plus clair de son temps à faire du shopping, du cheval et du shopping. Elle ne sera jamais astronaute ou ministre du travail, faut pas rêver. L’hôtesse de l’air, même avec des cors aux pieds, n’est pas près d’être éjectée. Peut-être devrait-on commercialiser Barbie Bipolaire, avec son pilulier à paillettes où elle pourrait ranger son Prozac trop mignon (t’as vu, maman, ma poupée te ressemble, elle s’effondre en pleurs dans la salle de bains quand y a plus de dentifrice). Ou un Ken hispter/barbu. Un jour chez le barbier, le lendemain à la mosquée. Il pourrait inviter Barbie Relou à dîner ; elle mettrait trois plombes à s’habiller avant de l ’envoyer valser. Finalement, la normalité, c’est fantastique du moment que ça reste en plastique. U L’ A PPLI DE LA SEMA I N E DesLettres, les plumes plutôt que l’épée Marlène Duretz Lettres d’amour, d’amitié, de rupture ou d’insultes. Chaque jour, où que vous soyez, dans le métro ou à une terrasse de café, DesLettres vous envoie un courrier. Mais pas écrit par n’importe qui. Lettre d’Elsa Wolinski à son père, d’Einstein à sa future femme, d’Hugo à Lamartine, l’appli (prolongement du site DesLettres créé en 2013) offre à l’amateur (in)discret d’entrer dans l’intimité de personnalités qui ont marqué la littérature, la culture ou l’histoire de ces trois derniers siècles à travers leurs plus intimes confessions, traits d’esprit ou maux d’amour. Loin des tiroirs et des rayons des librairies où il vient à sommeiller, ce patrimoine littéraire niché dans nos smartphones offre une renaissance à ces missives. Les parcourir, c’est découvrir une autre facette de ces écrivains, peintres ou philosophes et approcher au plus près leurs états d’âme. En plus du courrier adressé chaque jour, le e-lecteur est avisé de son contexte et du temps de lecture, soit une à six minutes. Les favoris seront conservés dans « Ma bibliothèque » ou partagés sur les réseaux sociaux. On en vient à regretter que le courriel ait supplanté la lettre de papier et que rares sont les missives – et leurs effusions – qui s’invitent désormais dans notre boîte aux lettres. Comment ne pas jalouser la passionnelle « Notre première nuit, c’était une nuit de carnaval », de Victor Hugo à sa Juliette (1841), la complice « Ton charme vivant qui sait si bien me plaire », de Marcel Proust à Jean Cocteau (1911), jusqu’à la cinglante « Mon domaine à moi, ce n’est pas le génie. C’est la vie. Vous en avez entendu parler ? » de Françoise Giroud à Jean-Paul Sartre (1960) ? Appli gratuite, iOS et Android.