Le Monde - entree

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Le Monde - entree
WEEK•END
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
72E ANNÉE - NO 22139
2,40 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
2,40 €
« L’ÉPOQUE », NOUVEAU SUPPLÉMENT HEBDOMADAIRE
Comment Salah Abdeslam a été débusqué
La France va demander l’extradition du dixième terroriste du 13 novembre, interpellé vendredi à Bruxelles
I
l était l’homme le plus recherché
d’Europe. Le seul des dix terroristes
ayant semé la mort à Paris la nuit du
13 novembre 2015 à avoir survécu. Les
enquêteurs ont un temps cru qu’il s’était
envolé pour la Turquie, depuis Amsterdam, le lendemain des attentats. La
chaîne d’informations CNN l’avait
même envoyé en Syrie. Un témoin l’a
plus modestement aperçu à Bordeaux,
un autre à Aubervilliers. Salah Abdeslam n’a en réalité peut-être jamais quitté
Bruxelles. Après quatre mois de traque,
il a été interpellé, vendredi 18 mars, dans
le quartier de son enfance, à Molenbeek.
Comme nombre de cavales, celle de
Salah Abdeslam s’est achevée en bas de
chez lui, près des siens, le lendemain de
l’inhumation dans un cimetière bruxellois de son frère Brahim, qui s’était fait
exploser le 13 novembre sous la véranda
du Comptoir Voltaire à Paris. Blessé au
genou, il a été interpellé vers 16 h 40 à
l’issue d’un assaut des forces d’interven-
tion belges contre un appartement de la
rue des Quatre-Vents, à moins de 2 kilomètres du café Les Béguines, qu’il a un
temps géré avec Brahim, et à 700 mètres
du domicile de leurs parents.
soren seelow et jean-pierre
stroobants (à bruxelles)
→ LIR E L A S U IT E PAGE 6
Migrants : le pacte controversé de l’UE avec la Turquie
▶ Ankara a
▶ Selon ce compro-
▶ Bruxelles attend
▶ La Grèce parle
conclu, vendredi,
un accord avec l’UE,
en vue d’un échange
de réfugiés transitant par la Grèce
mis, pour un
Syrien renvoyé
en Turquie, un
autre Syrien sera
accueilli en Europe
d’Ankara le respect
de la démocratie,
de l’Etat de droit
et des libertés
fondamentales
de « victoire diplomatique » mais
est sceptique sur
la mise en pratique
▶ Le rôle encore flou de
ce flambeur devenu terroriste
▶ Mohamed Belkaid,
logisticien des attentats
LIR E PAGE S 6 - 8
1
ÉD ITO R IAL
LES LIMITES
DE LA REALPOLITIK
FACE À ANKARA
LI R E P A G E 24
IINTERNATIONAL – LIRE PAGE 2
ISABELLE HUPPERT,
PHÈDRE MODERNE
Distribution
Darty préfère
Conforama
à la Fnac
THÉÂTRE
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3
▶ La comédienne retrouve la scène
Commémoration
La guerre d’Algérie
enfièvre
le débat politique
à l’Odéon-Théâtre de l’Europe
→ L IRE
PAG ES 14-15
LIR E PAGE 5
International
La visite
historique
d’Obama à Cuba
Le président américain
devait se rendre à La
Havane, du 20 au 22 mars,
une première depuis
l’arrivée au pouvoir du
régime communiste dans
l’île. L’historien afrocubain Manuel Cuesta
Morua, figure de l’opposition intérieure, explique
au Monde les espoirs
énormes suscités dans la
population par cette venue. « Les Cubains attendent Obama comme le
Messie », assure-t-il.
LIRE NOS INFORMATIONS P. 3
ET L’ENTRETIEN P. 13
PASCAL VICTOR/ARTCOMART
Par JACQUES TESTART
Le biologiste répond
à René Frydman et à
130 médecins qui demandaient, dans Le Monde
du 18 mars, un assouplissement de la loi française
sur la procréation médicalement assistée. Il redoute
un « eugénisme mou ».
DÉBATS –LIR E PAGE 2 2
Par MATTHIEU GOAR
P
our l’instant, c’est une petite musique qui se fredonne mezza voce. Soucieuse de ne pas fâcher ses électeurs avant la primaire, la droite
ne le claironne pas, mais une
partie de ses dirigeants a un fantasme : et si 2017 était l’année de
la recomposition politique ? Et si
le contexte politique – montée
du Front national, angoisse terroriste, écartèlement de la gauche – offrait l’occasion de constituer une majorité franchement
ouverte au centre, mais aussi
aux personnalités sociales-libérales de la gauche ?
Ces idées font écho aux propos
du premier ministre, Manuel
Valls, sur une « maison commune de tous les progressistes ».
Elles ravivent l’éternel combat
de François Bayrou et d’une
grande partie des centristes.
« Au soir du premier tour de la
présidentielle, celui qui sera face
à Marine Le Pen – ce qui est la
probabilité la plus forte – aura la
responsabilité historique de faire
émerger cette force politique centrale regroupant tous les modernes dans un même parti politique », affirme de son côté Hervé
Morin.
Persuadée qu’elle reprendra le
pouvoir en 2017, la droite se demande comment elle devra gouverner, surtout en cas de victoire face à Mme Le Pen.
→ LIR E
L A S U IT E PAGE 9
Géopolitique
La filière
américaine
des colonies
en Cisjordanie
Près de 60 000 des
380 000 juifs implantés illégalement en Cisjordanie
sont originaires des EtatsUnis. Reportage à Esh Kodesh, où des Américains
expliquent leur engagement, parfois violent, entre idéal de vie commune
et sionisme religieux.
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Gare aux
simplifications
sur la PMA
France A droite, le fantasme
de la « recomposition »
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LIR E PAGE S 1 0 - 1 1
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2|
INTERNATIONAL
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Le premier ministre turc,
Ahmet Davutoglu, le président
du Conseil européen, Donald Tusk,
et le président de la Commission,
Jean-Claude Junker (de gauche
à droite), le 17 mars, à Bruxelles.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS
POUR « LE MONDE »
Migrants : pacte sans gloire entre l’UE et Ankara
Le compromis avantage moins la Turquie que le projet du 7 mars, mais sa mise en œuvre suscite des doutes
bruxelles - bureau européen
L
a scène est d’une virulence inédite. Ahmet Davutoglu, le premier ministre turc, vient de signer un
accord avec les 28 pays de l’Union
européenne pour reprendre tous
les migrants arrivant en Grèce, y
compris les Syriens. La soirée est
déjà avancée, ce vendredi 18 mars à
Bruxelles, les dirigeants ont négocié toute la journée. La conférence
de presse finale va commencer.
Dans l’assistance, Belges et Français sont rivés à leurs smartphones, tentant d’en savoir davantage
sur la traque de Salah Abdeslam. La
torpeur habituelle de fin de
conseil européen gagne les esprits.
M. Davutoglu réveille d’un coup
la salle : en réponse à la question
d’un journaliste citant les propos
de son président, Recep Tayyip Erdogan, le matin même, accusant
l’Europe de complaisance envers
la rébellion kurde, il attaque :
« Nous avons 78 millions de Turcs
en deuil [à la suite de l’attentat du
13 mars à Ankara] et nous voyons
des drapeaux de cette organisation, ici [en Belgique]. Je demande
qu’on respecte la douleur de mon
peuple, il n’y a pas de différence entre Daech et le PKK. Erdogan a évoqué une facette de l’Europe, et moi,
je suis ici pour évoquer la
deuxième facette de l’Europe. »
Mesure « temporaire »
Donald Tusk, le président du
Conseil européen, à sa gauche, réplique aussitôt : « Nous sommes ici
parce que l’Europe est la destination définitive des réfugiés, parce
que nous sommes le continent le
plus tolérant du monde. » JeanClaude Juncker, à la tête de la
Commission, ajoute : « Je récuse de
toutes mes forces ces propos excessifs contre la Belgique, un pays honorable et une grande nation… »
Un jour « historique » pour l’Europe ? En tout cas, pas un moment
très glorieux. Car l’Union, empêtrée dans une crise des migrants
qu’elle n’a jusqu’à présent pas
réussi à résoudre collectivement,
a dû, une fois de plus, se résoudre
à un pacte avec Ankara, « un partenaire difficile » de l’aveu de nombreux diplomates. Pas tendre en
négociation, même si, au final,
M. Davutoglu a surtout décroché
des avancées symboliques. Même
s’il reste controversé, l’accord a
été sérieusement « rééquilibré »
par rapport à la copie proposée le
7 mars par M. Davutoglu, avec le
soutien de la chancelière Angela
Merkel et du premier ministre
néerlandais Mark Rutte.
A partir du dimanche 20 mars,
tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce pourront être refoulés en Turquie. Ils
pourront, certes, faire une demande d’asile en Grèce. Mais,
Athènes s’engageant à reconnaître
la Turquie comme « pays tiers
sûr », cette requête pourra être refusée par les juges, particulièrement pour les Syriens, au motif
que la Turquie leur offre des
« Nous sommes
le continent
le plus tolérant
du monde »
DONALD TUSK
président du Conseil
européen
conditions de sécurité équivalentes à celles protégeant des réfugiés.
Cette mesure « temporaire et extraordinaire » vise, selon les
conclusions du conseil de vendredi, à « casser le modèle économique des migrants » et à « en finir
avec la souffrance humaine ». Par
ailleurs, pour un Syrien renvoyé
en Turquie, un autre Syrien, resté
dans les camps de réfugiés en
Turquie, sera envoyé en Europe
grâce à un corridor humanitaire.
L’échange sera plafonné à
72 000 personnes, la Hongrie et
d’autres pays européens s’oppo-
La Grèce sceptique sur la mise en œuvre de l’échange de réfugiés
le premier ministre grec, Alexis Tsipras, parle certes de l’accord signé, vendredi 18 mars, entre l’Union européenne
(UE) et la Turquie comme d’une « victoire
diplomatique », mais sans sous-estimer les
difficultés que pose sa mise en œuvre pour
son pays. La philosophie générale du compromis est de renvoyer, à partir du
20 mars, vers la Turquie tous les réfugiés et
migrants n’ayant pas formulé une demande d’asile en Grèce ou ne pouvant pas
bénéficier de protection internationale.
« Comme le régime change le 20, nous devons d’abord absolument vider les camps des
îles des 7 500 personnes déjà présentes », explique une source proche du dossier. Trois
navires sont mobilisés pour multiplier les
rotations sur quatre îles de mer Egée dans
les prochaines quarante-huit heures. Direction le continent dans de nouveaux camps
temporaires en cours de construction. « Si
cela ne suffit pas, nous utiliserons les ferries
comme hôtels flottants », dit notre source.
Une fois les îles vidées, le défi sera de multiplier les points d’enregistrement de demandes d’asile. « Nous ne pouvons pas en
quarante-huit heures équiper nos hotspots
de centaines de bureaux d’asile. Il faut du
personnel, des machines, des locaux… qui
n’existent pas », explique un policier chargé
des opérations dans l’un de ces fameux
centres d’enregistrement et de tri des îles.
Réduire le temps d’examen
L’Europe a promis d’envoyer 4 000 agents
en renfort, dont 2 300 très rapidement. Des
traducteurs, des avocats spécialistes du
droit d’asile, des policiers, etc. Le dispositif
devrait coûter entre 280 et 300 millions
d’euros sur six mois, pris en charge par
l’Union européenne.
L’idée est de pouvoir réduire le temps
d’examen d’une demande d’asile à moins
de vingt-quatre heures, recours compris.
« Il n’y a ni juges ni avocats en nombre suffisant sur les îles, comment imaginent-ils
gérer le volume de demandes qui va nous
tomber dessus dès que les réfugiés vont
comprendre que c’est soit l’asile en Grèce
soit le retour en Turquie ? », s’interroge un
avocat athénien actif sur ces questions.
Autre question : qui va s’occuper de renvoyer en Turquie les candidats déboutés ?
Jusqu’à présent, les Marocains, Algériens
ou Pakistanais refoulés devaient d’abord
transiter par les centres de rétention du
continent et étaient renvoyés en Turquie
via un poste frontière terrestre situé dans le
nord-est de la Grèce. A l’avenir, les renvois
se feront-ils directement en bateau depuis
les îles ? L’accord prévoit que l’UE prendra
en charge et financera ces renvois, mais les
modalités pratiques restent floues. Dernier
point très sensible en Grèce : que faire des
quelque 45 000 réfugiés déjà présents sur
l’ensemble du territoire, dans des conditions sanitaires scandaleuses ? p
adéa guillot
(athènes, correspondance)
sant à en accueillir plus. Ces réinstallations doivent commencer le
jour où démarreront les premiers
renvois en Turquie, « nous ne voulons pas devenir la prison à réfugiés de l’Union », a lancé M. Davotoglu à ses partenaires.
En échange de ce mécanisme
« Syrien contre Syrien », Ankara a
obtenu une accélération du processus d’adhésion à l’UE, avec
l’ouverture d’un chapitre de négociation, le 33e (dispositions budgétaires). Sans gros enjeux, il avait été
bloqué par le président Sarkozy.
L’Europe versera 3 milliards
d’euros, en plus des 3 milliards
agréés fin 2015, pour aider les Syriens de Turquie. Et elle a promis
une levée accélérée du régime des
visas pour les Turcs, d’ici à la fin
juin. A condition qu’Ankara respecte scrupuleusement les 72 critères identifiés par la Commission.
« Nous avons fait un pas très important vers une solution durable »,
s’est félicitée Mme Merkel, principale promotrice de l’accord. « C’est
une avancée majeure pour l’UE », a
dit Alexis Tsipras, autre partisan
d’un accord supposé soulager son
pays, devenu un vaste « piège à migrants » depuis la fermeture de la
route des Balkans vers l’Europe.
Mais cette « sous-traitance » à la
Turquie de la crise migratoire continuait de susciter les critiques,
vendredi. La garantie du droit
d’asile doit être prioritaire dans la
mise en œuvre de l’accord, a plaidé
le Haut-Commissariat de l’ONU
pour les réfugiés. De fait, la légalité
du « refoulement » de tous les Syriens reste douteuse. Les diplomates européens ne se font pas d’illusions : ils s’attendent à des recours
auprès des Cours de Strasbourg et
de Luxembourg. Mais, « le temps
que ces juridictions se prononcent,
on aura eu l’effet escompté, en dissuadant les réfugiés de prendre la
mer », veut croire l’un d’eux.
Si « personne n’est très fier de cet
accord », selon un autre diplomate de haut rang, c’est aussi en
raison des gros doutes sur sa mise
en œuvre. Tout repose sur la
Grèce, son Etat désargenté et son
administration défaillante… Pour
que les renvois puissent commencer dès le 4 avril, comme le
souhaite Angela Merkel, il faudra
recruter, dans l’urgence, des juges,
des traducteurs… Jusqu’à 4 000
personnes pour un coût avoisinant les 300 millions d’euros
pour six mois. Selon nos informations, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui doute de la légalité du
renvoi vers la Turquie, ne devrait
pas participer à ce mécanisme.
« Tout le monde est très sceptique », reconnaissait un dirigeant
européen, vendredi soir. C’est
« herculéen », a avoué M. Juncker.
« Pas la solution magique »
D’autres pointaient des risques de
défaillances. Selon l’accord, des
policiers turcs sont censés travailler dans les îles grecques, alors
que les deux pays, pour des raisons
historiques, restent à couteaux tirés. L’apparition de nouvelles
voies d’accès vers l’Europe, en passant par l’Albanie ou la Libye, inquiète aussi. François Hollande,
Angela Merkel et le premier ministre italien, Matteo Renzi, se sont
vus vendredi pour en parler. Cet
accord avec la Turquie, « ce n’est
pas la solution magique, juste un
élément du dispositif, avec la route
des Balkans fermée, et le renforcement à venir de notre frontière extérieure », répètent les diplomates.
Toute petite revanche des valeurs européennes, vendredi.
Dans les conclusions du conseil,
les Vingt-Huit ont rappelé attendre « de la Turquie qu’elle respecte
les normes les plus élevées qui
soient en ce qui concerne la démocratie, l’Etat de droit et le respect des
libertés fondamentales, dont la liberté d’expression ». Lors du sommet « spécial migrants » du 7 mars,
ils s’étaient contentés d’un modeste : « Nous avons discuté de la situation des médias en Turquie. » p
cécile ducourtieux
international | 3
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Obama à Cuba
pour rendre le
rapprochement
« irréversible »
Le président des Etats-Unis sera
reçu par son homologue cubain,
Raul Castro, lundi, à La Havane
D
eux hommes écriront
une nouvelle page
d’histoire,
lundi
21 mars à La Havane.
En se rendant sur l’île longtemps
rebelle, où il sera reçu par son homologue Raul Castro, Barack
Obama entend ancrer plus solidement le rapprochement opéré
spectaculairement entre les EtatsUnis et Cuba le 17 décembre 2014.
Malgré une succession de mesures significatives pour améliorer
notamment les échanges entre
les deux pays, comme le rétablissement des services postaux à la
veille du départ du président
américain, beaucoup reste à faire
et, après un demi-siècle de bruit et
de fureur, le temps est compté.
Inégaux en âges, les deux présidents n’en parviennent pas
moins lentement au terme de
leurs pouvoirs respectifs. Le président américain, âgé de 54 ans,
quittera ses fonctions le 20 janvier 2017, et M. Castro, de trente
ans son aîné, fera de même un an
plus tard. Le conseiller diplomatique du président américain, Ben
Rhodes, ne le cache guère : cette
visite à Cuba, qui se prolongera
par une seconde étape également
significative en Argentine, a pour
objectif de rendre la normalisation des relations américano-cubaines « irréversible », imperméable aux aléas politiques.
Nids-de-poule
M. Obama aurait certainement
préféré que le régime castriste accompagne ces retrouvailles de
mesures symboliques concernant les droits de l’homme, qui
devraient rester longtemps encore un sujet de divergences entre
les deux pays. La rigidité de Cuba a
contrarié ces espoirs. La Havane a
bien ravalé des façades, bouché
des nids-de-poule et recueilli les
mendiants et sans-domicile-fixe
de la vieille ville coloniale que
M. Obama, qui sera accompagné
par sa femme et ses deux filles,
compte découvrir dès son arrivée
sur l’île dimanche après-midi,
mais il n’est pas encore question
de ripolinage pour le parti unique
au pouvoir qui tiendra son congrès dans quelques semaines.
Pour qui en aurait douté, un éditorial de Granma, l’organe du comité central du Parti communiste
de Cuba, daté du 9 mars, l’a confirmé. « Les profondes différences
de conception entre Cuba et les
Etats-Unis sur les modèles politiques, la démocratie, l’exercice des
droits humains, la justice sociale,
les relations internationales, la paix
et la stabilité mondiale, entre
autres, persisteront », a-t-il martelé.
L’article, aussi long que ceux
qu’écrivait jadis l’ancien « Lider
Maximo », Fidel Castro, précise
qu’il n’y aura pas de « normalisation » entre les deux pays sans la
levée de l’embargo américain, qui
dépend du Congrès, et le départ
des Américains de la base militaire de Guantanamo. Granma
ajoute
d’autres
exigences :
Washington « doit abandonner la
prétention de fabriquer une opposition politique interne avec l’argent des contribuables américains » et « mettre un terme aux
agressions radiophoniques et télévisées contre Cuba », c’est-à-dire
les émissions élaborées en Floride
à destination de l’île.
Averti de ces résistances,
M. Obama fait sans doute un pari
à long terme enjambant son second mandat et le départ de Raul
Castro. C’est la thèse défendue notamment par deux experts de la
Brookings Institution, Ted Piccone et Richard Feinberg. La visite
à Cuba s’inscrirait alors dans la
quête d’une autre irréversibilité :
celle introduite par le soft power
américain, la multiplication des
liens et des échanges nourrissant
un appétit de réformes auxquelles le régime ne pourra que se résoudre. Washington a en effet
Au Brésil, la « magie Lula »
affaiblie mais toujours vivante
De nombreux manifestants ont soutenu, vendredi, l’ex-président
dont l’entrée au gouvernement pourrait être suspendue par la justice
sao paulo - correspondante
I
l y a quinze jours à peine, il
était en larmes, humilié par
l’affront d’un juge le soupçonnant d’avoir été mêlé à un réseau
de corruption tentaculaire. Vendredi 18 mars, Luiz Inacio Lula da
Silva, « Lula », président quasi mythique du Brésil de 2003 à 2010, a
un temps abandonné le rôle de
persécuté pour endosser celui de
réconciliateur d’une société brésilienne déchirée. La nuit était déjà
tombée ce vendredi quand l’ancien métallo a pris la parole devant
la foule de manifestants venus sur
l’avenida Paulista à Sao Paulo,
pour le soutenir, lui et sa protégée,
l’actuelle présidente Dilma Rousseff, menacée de destitution.
« Il n’y aura pas de coup d’Etat », at-il lancé, évoquant l’impeachment. A ses ennemis qui, selon lui,
n’ont jamais accepté l’issue de la
présidentielle de 2014, donnant
victoire à la candidate du Parti des
travailleurs (PT, gauche), il a promis de « faire comprendre que la
démocratie est le résultat du vote
du peuple brésilien. » « Ne nous traitons pas comme des ennemis », at-il ajouté. Lula a abandonné son
costume de « guerrier du peuple »
contre les élites pour s’ériger en
homme providentiel, capable de
sauver le pays de la tourmente.
L’ex-syndicaliste a mis de côté les
critiques formulées ces derniers
jours contre les médias et les méthodes du juge Sergio Moro,
chargé de l’enquête « Lava Jato »
portant sur le scandale de corruption impliquant le groupe pétrolier Petrobras, des entreprises du
BTP et de nombreux dirigeants politiques. Vendredi, il n’était question que de « paix et d’amour ».
Ils étaient 95 000 à Sao Paulo,
selon l’institut Datafolha (500 000
« Tout le monde
est corrompu.
Ce n’est pas
en retirant
la présidente
qu’on en finira »
EVALDO SERAFIM COELHO
métallurgiste et manifestant
selon le PT), et plus de 267 000
(1,2 million selon les organisateurs) dans 55 villes du Brésil à être
venus « pour la démocratie ». Score
honorable bien que nettement inférieur aux 3 millions de manifestants qui appelaient, le 13 mars, à la
destitution de la présidente et à
l’emprisonnement de Lula.
« Restaurer son prestige »
La mobilisation de vendredi démontre que la « magie Lula », bien
qu’abîmée, n’a pas disparu. Des
cars entiers de militants ont débarqué faisant taire un temps
leurs critiques envers la politique
de rigueur de Dilma Rousseff.
José dos Santos, « métallo », a
parcouru plus de 150 kilomètres
depuis Rio Claro. Il a fallu aussi
une heure et demie à Evaldo Serafim Coelho, 46 ans, vendeur ambulant de torchons, pour rejoindre l’avenue Paulista, depuis
Capao Redondo dans la périphérie de Sao Paulo. Tous deux ignorent si Lula est honnête, mais peu
importe. « Tout le monde est corrompu au Brésil. Ce n’est pas en retirant Dilma du pouvoir qu’on en
finira avec ça, souffle Evaldo Serafim Coelho. Lula nous aidera. »
Dans un pays au bord du chaos,
l’ancien syndicaliste incarne les
belles années du Brésil, la prospé-
rité du début des années 2000.
C’est pour reproduire ce passé enchanté, redresser le pays, faire en
sorte « que Dilma ait le sourire dix
fois par jour », a expliqué Lula, et
non pour échapper à la justice
qu’il entend devenir ministre de
la « Casa Civil », sorte de superpremier ministre de Dilma Rousseff. Un « ministre de l’espoir », selon Rui Falcao, président du PT.
« Le pays n’a pas d’autre option »,
argue Celso Marcondes, de l’institut Lula. Les manifestants qui réclament la destitution de Dilma
Rousseff partagent une colère
mais pas de solution. Si l’impeachement intervenait demain, la
plupart ne seraient guère satisfaits, dit-il. Michel Temer, viceprésident censé remplacer la présidente, est aussi menacé par les
affaires. « S’il était apparu dimanche, il se serait fait lyncher, assure
M. Marcondes. Lula n’a plus la
même force qu’avant mais, s’il
peut exercer son pouvoir, il saura
dialoguer avec les partis et restaurer son prestige. »
Pour l’heure, le miracle qu’est
censé accomplir Lula est entravé
par la justice. Gilmar Mendes,
juge de la Cour suprême, a ratifié
vendredi la décision d’un juge fédéral demandant de suspendre la
nomination de Lula au poste de
ministre de la Casa Civil, au motif
d’entrave à la justice. Cette décision devra être confirmée par un
vote collégial de la Cour suprême.
L’ancien président est suspecté de
vouloir devenir ministre afin
d’échapper à la ténacité du juge
Moro, préférant répondre de ses
actes devant la Cour suprême.
Une manœuvre qui, selon l’éditorialiste de la Folha de Sao Paulo,
Clovis Rossi, a transformé le Brésil
en « République bananière ». p
claire gatinois
Les droits
de l’homme
devraient encore
rester longtemps
un sujet de
divergence entre
les deux pays
tout intérêt à un atterrissage en
douceur de Cuba, pour éviter un
chaos à ses frontières autant et sinon plus que pour s’ouvrir un
nouveau marché.
Tribunes
A La Havane, M. Obama ne s’en
tiendra d’ailleurs pas à un tête-àtête avec un président vieillissant.
Prenant le contre-pied du président français, François Hollande,
et d’autres responsables politiques européens ou religieux, il a
exclu par ailleurs de son agenda
une visite à Fidel Castro. Outre la
rencontre traditionnelle avec les
membres de la société civile (nom
de code pour les dissidents),
M. Obama s’entretiendra en
revanche avec le cardinal Jaime
Ortega, chef de l’Eglise catholique
cubaine, qui a joué un rôle important dans les libérations de prisonniers politiques.
Mais le président s’adressera
aussi et surtout directement aux
Cubains, lors d’un discours prononcé mardi au Grand Théâtre de
La Havane, qui doit être retransmis en direct à la télévision cubaine. Une occasion unique de
plaider à sa manière pour une plus
grande ouverture. Le même jour, il
assistera enfin à un match de baseball, le sport national, entre une
équipe locale et celle des Tampa
Bay Rays, venue de la Floride voisine. Sachant que les Cubains ne
s’expriment sans retenue qu’au
stade et que la popularité de
M. Obama dépasse celle des dirigeants castristes, le spectacle pourrait se trouver dans les tribunes.
L’ambivalence entre les attentes
du rapprochement et ses résultats
concrets explique l’accueil contrasté que les Cubains réservent à
ce président dans la force de l’âge,
et dont les racines mêlées reflètent la diversité démographique
cubaine. Car ce déplacement ne
fait pas l’unanimité au sein de
l’opposition dans l’île.
L’ancien prisonnier politique
José Daniel Ferrer, dirigeant de
l’Union patriotique de Cuba, organisation qui progresse actuellement en province, soutient le rapprochement avec les Etats-Unis,
« comme l’immense majorité de la
population ». Selon l’artiste plasticienne Tania Bruguera, « le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis
est très positif pour les familles cubaines et surtout pour l’élargissement des espaces de liberté collective et individuelle des Cubains ».
En revanche, Berta Soler, porteparole des Dames en blanc, l’association des épouses de prisonniers politiques, a rappelé que « le
président Obama avait promis de
se rendre à Cuba uniquement s’il y
avait des avancées en matière de
droits de l’homme, ce qui n’est pas
le cas ». Loin de se sentir embarrassé, l’intéressé lui a fait porter, le
10 mars, une lettre que Mme Soler
s’est empressée de diffuser. Le président y qualifie les Dames en
blanc d’« inspiration pour le mouvement des droits de l’homme
dans le monde ». Il n’aura plus besoin désormais de l’assistance de
l’ambassade américaine pour prolonger cette correspondance. p
paulo a. paranagua
et gilles paris
(washington, correspondant)
LES DATES
JANVIER 1928
Dans sa dernière année au pouvoir, le président américain Calvin Coolidge se rend à La Havane,
sur fond de fort ressentiment
contre l’interventionnisme des
Etats-Unis en Amérique latine.
1ER JANVIER 1959
Après trois ans de guérilla, Fidel
Castro et ses « barbudos » s’installent au pouvoir. Quelques
mois plus tard, les castristes
lancent une vaste campagne de
nationalisation de biens américains. Le président Dwight Eisenhower réagit en coupant les relations diplomatiques.
1961-1962
Montée des tensions à la suite du
débarquement d’une troupe anticastriste soutenue par la CIA dans
la baie des Cochons, débâcle
dont le président Kennedy
assume la responsabilité. Après la
découverte de rampes de lancement de missiles soviétiques, la
crise est à deux doigts de dégénérer en conflit nucléaire mondial.
1977
Le président démocrate Jimmy
Carter amorce une parenthèse
de détente en levant certaines
restrictions au voyage, rétablies
par Ronald Reagan en 1982.
17 DÉCEMBRE 2014
Barack Obama annonce l’ouverture d’un « nouveau chapitre »,
constatant l’échec d’un demisiècle d’isolement.
4 | international
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Le retour en Algérie de
Chakib Khelil, l’ami exilé
du président Bouteflika
L’ex-ministre de l’énergie a été blanchi des
accusations de corruption lancées contre lui
alger - correspondance
L’
ancien ministre algérien
de l’énergie Chakib Khelil,
ami personnel du président Abdelaziz Bouteflika, en « cavale » aux Etats-Unis à la suite d’accusations de corruption, est rentré
en Algérie jeudi 17 mars via Oran,
sur un vol en provenance de Paris.
« Un dispositif d’accueil digne du
personnage » a été mis en place, a
tenu à préciser la chaîne de télévision Ennahar, très proche du cercle
présidentiel, qui a eu la primeur de
l’information. Sur le site Internet
d’Ennahar, on a pu voir une photo
de l’ancien ministre dans le salon
d’honneur de l’aéroport d’Oran en
compagnie de représentants du
wali (préfet) d’Oran.
Ce retour avec les honneurs
avait été préparé depuis plusieurs
semaines après une campagne
menée par le secrétaire général
du FLN, Amar Saïdani, appelant à
la « réhabilitation » de M. Khelil,
qui serait, selon lui, victime d’une
« machination » des officiers du
département du renseignement
et de la sécurité (DRS, service de
renseignement militaire). L’ancien tout-puissant ministre de
l’énergie est rentré au pays après
avoir été blanchi des accusations
de corruption lancées contre lui.
« Les contre-enquêtes ordonnées
par le président Abdelaziz
Bouteflika n’ont pas permis de
confirmer son implication dans les
affaires de corruption qui ont touché le secteur de l’énergie », affirme
Ennahar, qui accuse les officiers
des services d’avoir fabriqué des
« rapports mensongers ». Chakib
Khelil a subi une « campagne de
dénigrement organisée qui l’a ciblée ». « Elle a ciblé également le
président Bouteflika personnellement », ajoute Ennahar.
Le puissant ministre de l’énergie
avait été déstabilisé en janvier
2010 par une enquête sur des affaires de corruption qui avait entraîné des poursuites judiciaires,
et le retrait de hauts dirigeants du
groupe pétrolier public Sonatrach. Le président Bouteflika a
continué à protéger son ami et lui
a évité un limogeage immédiat.
Son départ a eu lieu en mai 2010,
dans le cadre d’un remaniement
ministériel. En mars 2013, M. Khelil a quitté précipitamment le pays
après des perquisitions effectuées
à son domicile. Ce départ avait été
encouragé par la révélation, un
peu plus tôt par la justice italienne, du versement de pots-devin de 198 millions de dollars
(175 millions d’euros) par Saipem,
filiale ingénierie du groupe parapétrolier italien ENI, à des responsables algériens en contrepartie
de contrats d’une valeur globale
de 8 milliards d’euros. L’affaire
sera instruite par la justice algérienne sous le nom de « Sonatrach II », et conduire à l’émission
d’un mandat international contre
Chakib Khelil. Un mandat annulé
ensuite pour vice de procédure.
« Victoire d’un clan sur l’autre »
M. Khelil revient dans une Algérie
où ses « ennemis » au sein du régime sont en pleine débandade. Le
général Mohamed Médiène, alias
Toufik, qui a dirigé les services de
renseignement pendant vingtcinq ans au point d’être surnommé le rab dzayer (« le Dieu de
l’Algérie »), a été limogé en septembre 2015. Le DRS, après un long
processus de marginalisation, a
été en définitive dissous fin janvier et remplacé par trois directions rattachées à la présidence : la
Direction générale de la sécurité
intérieure, la Direction générale de
la documentation et de la sécurité
extérieure et la Direction générale
du renseignement technique.
Une victoire totale pour M. Khelil. Car, comme le note l’avocat
Khaled Bourayou dans une déclaration au site d’information Tout
sur l’Algérie, le juge qui a instruit
l’affaire a été muté, le procureur
général limogé tandis que Chakib
Khelil « recouvre son innocence
sans que la justice ne se prononce
sur son cas : c’est la victoire d’un
clan sur un autre. Et le clan perdant,
le DRS, est en train de payer ». p
amir akef
R USSI E
62 morts dans le crash
d’un avion provenant
de Dubaï
Un Boeing 737 en provenance
de Dubaï s’est écrasé dans la
nuit du vendredi 18 au samedi
19 mars, à l’aéroport de Rostov-sur-le-Don, dans le sud de
la Russie, faisant 62 morts.
L’appareil de la compagnie
aérienne à bas coûts Flydubai
« s’est écrasé en tentant d’atterrir » dans des conditions de
mauvaise visibilité, a indiqué
le comité d’enquête russe
chargé des enquêtes pénales
dans le pays. Les 55 passagers
du vol étaient des ressortissants russes. – (AFP.)
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Embarquement sur un ferry, à Banjul, la capitale de la Gambie. JON GAMBRELL/AP
Les Gambiens se méfient
de « leur » République islamique
Le plus petit pays d’Afrique continentale vit depuis trois mois sous
la férule de la charia. Pourtant, rien ne semble avoir changé depuis
REPORTAGE
A
banjul - envoyée spéciale
u Happy Corner ce soir,
à Banjul, la capitale
gambienne, c’est rumbam et pas question de
charia. « Il ne peut pas nous faire
ça. Le tourisme, nous n’avons que
ça ! », s’exclame Lamine (tous les
prénoms ont été modifiés), le
serveur, chemise blanche et large
sourire, en prenant à témoin la
terrasse du restaurant remplie
d’Anglais venus tromper le froid
de février en s’offrant des
vacances dans l’ancienne colonie
britannique.
Musique sous les palmiers, alcool, sexe bon marché pour quinquagénaires esseulé(e)s. Le long
de l’océan, où se concentrent hôtels de luxe et villas sécurisées,
dans la toute nouvelle République
islamique proclamée en décembre 2015 par l’homme fort du régime Yahya Jammeh, rien ne semble avoir changé. « Regardez, je ne
suis pas voilée. Ici, ce n’est pas
l’Egypte, veut rassurer Amie, une
vendeuse de colliers, en montrant
ses bras nus. Même les fonctionnaires, elles sont pas obligées. »
« L’alcool est en vente libre »
Quelques semaines après avoir
fait basculer la Gambie dans les
rangs des Etats régis par les lois de
l’islam, celui qui briguera un cinquième mandat en décembre
avait aussi décrété le port du voile
obligatoire dans les administrations. Avant de se raviser. « Je suis
musulman, ma sœur est chrétienne. Des chrétiens occupent des
postes importants dans les ministères, au gouvernement. Allonsnous couper les familles en deux ?
Allons-nous les renvoyer ? C’est impossible », tranche Sarjo au volant
de son taxi vert réservé aux touristes qui veulent aller à Banjul, la
capitale, ou visiter les parcs alentour peuplés de singes et de crocodiles apprivoisés.
A vrai dire, nul ne connaît avec
certitude le dessein de Yahya Jammeh. L’ancien lieutenant, qui cultive son image de bon musulman
en s’affichant en public un coran
et un chapelet à la main, a donné
pour seule explication que « les
musulmans forment la majorité
en Gambie ». Les bailleurs qui
maintiennent sous perfusion le
plus petit Etat d’Afrique continentale – moins de 2 millions d’habitants concentrés sur une étroite
bande de terre taillée dans le Sénégal – et l’un des plus pauvres
aussi sont aux aguets.
Et si à la misère et à la violation
des droits civiques devait s’ajouter la formation d’un nouveau
point d’ancrage pour l’islam radical en Afrique ? « Pour l’instant,
nous n’avons constaté aucun
changement, mais nous restons vigilants », reconnaît Ade Mamonyane Lekoetje, la représentante
du Programme des Nations unies
pour le développement (PNUD),
dont l’immeuble à Cape Point regroupe derrière des barbelés la
plupart des agences onusiennes
présentes dans le pays.
Pour éteindre l’incendie déclenché par l’injonction d’un président connu pour ses déclarations
imprévisibles, ministres et hauts
fonctionnaires s’efforcent de délivrer un message rassurant. « Ici,
nous n’avons aucune tolérance
pour les terroristes. Les chrétiens
vont à l’école avec les musulmans.
L’alcool est en vente libre », énumère Pa Ousman Jarju, le jeune
ministre de l’environnement, derrière son bureau rouge acajou, un
coran à portée de main.
Pas suffisant toutefois pour
convaincre la communauté chrétienne. Dans la cathédrale SainteMarie, juste séparée du palais présidentiel par une pelouse qui sert
à la parade et aux rassemble-
Le regain de foi
du président
Jammeh a été
interprété par
certains comme
un appel du pied
aux riches
monarchies
du Golfe
SÉNÉGAL
Banjul
OCÉAN
ATLANTIQUE
100 km
GAMBIE
GUINÉE-BISSAU
GUINÉE
ments officiels, le père Jacob, avec
d’autres représentants des Eglises
gambiennes, « dialogue » avec les
autorités depuis la mi-décembre 2015. « Nous redoutons le
fondamentalisme. La Gambie est
un Etat laïc et doit le rester. Le
président ne peut en décider
autrement sans consulter le
Parlement ni changer la Constitution », a-t-il plaidé à plusieurs reprises devant la vice-présidente,
Isatou Njie Saidy.
« Les élections sont truquées »
Le long de la quatre-voies qui relie
Banjul aux villes côtières, d’immenses portraits du leader, toujours vêtu d’un boubou blanc,
vantent ses qualités de « vrai
frère » ou remercient pour les
vingt années écoulées qui permettent aux Gambiens de dire
« nous sommes mieux maintenant ». A intervalles réguliers, des
militaires lourdement armés
contrôlent les véhicules, pour
« veiller à la sécurité ».
Les habitants, exaspérés, s’y
plient avec fatalité. Dire ce qu’ils
pensent est trop risqué. « Ici, il n’y
a ni liberté ni démocratie. Les élections sont truquées. Ceux qui osent
critiquer le président vont en prison, sont torturés, quand ils ne
sont pas tout simplement liquidés.
Des centaines de personnes sont
mortes comme cela », lâche Kemo
en faisant promettre de ne pas
révéler son identité.
Lui a toutefois la chance d’avoir
un emploi et d’être fonctionnaire.
C’est loin d’être la panacée, mais
avec sa vieille Mercedes et son
costume mal coupé, il fait encore
partie des privilégiés. Près de la
moitié de la population vit sous le
seuil de pauvreté. La sécheresse
de 2014 a plombé les récoltes et
Ebola, même si la Gambie n’a pas
été directement touchée par l’épidémie, a donné un coup d’arrêt à
l’activité touristique qui commençait seulement à redémarrer.
Les caisses de l’Etat se sont
vidées. Pour couvrir la paie des
fonctionnaires, le service de la
dette et quelques dépenses « extraordinaires » comme une généreuse distribution de 4 × 4 épinglée par le Fonds monétaire international en septembre 2015, le
gouvernement a fait fonctionner
la planche à billets et émis à tout
va des bons du Trésor. Jusqu’à
étouffer l’activité.
Avec des taux d’intérêt supérieurs à 20 %, plus personne n’a
les moyens d’emprunter. Quant
aux priorités de développement
affichées par Banjul, il y a longtemps que leur financement est
tributaire du bon vouloir des
créanciers étrangers. Le regain de
foi affiché par M. Jammeh a été
interprété par certains comme un
appel du pied aux riches monarchies du golfe Persique, moins
sourcilleuses sur le respect des
droits de l’homme en général et
sur ceux des homosexuels en particulier. Homosexuels que le leader gambien, dans une récente
déclaration, menaçait d’égorger.
Dans cette « prison à ciel
ouvert », la jeunesse regarde plus
que jamais au-delà des frontières.
Quel qu’en soit le prix à payer.
En 2015, près de 8 500 Gambiens
sont parvenus à rejoindre les
côtes italiennes après un périple
long de 5 000 km passant par le
Sahara, la Libye puis la traversée
de la Méditerranée.
A quelques pas du Happy Corner, Dembo, 20 ans, les yeux rivés
sur son téléphone portable, montre à qui veut la page Facebook de
son meilleur ami : « Lui a réussi ! »
Sur son compte, le migrant, qui a
trouvé asile en Allemagne, a posté
une photo sur laquelle il pose crânement dans le canot qui lui a
ouvert les portes de l’Europe. Une
sorte de défi. p
laurence caramel
FRANCE
La guerre d’Algérie enfièvre le débat politique
|5
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
La commémoration du 19 mars 1962 par M. Hollande suscite l’indignation de la droite et de l’extrême droite
I
l souhaitait conclure la « paix
des mémoires ». François
Hollande a en réalité rallumé une brûlante controverse historico-politique. A dessein ? Premier président de la République à se rendre au Mémorial
du quai Branly, à Paris, samedi
19 mars, à l’occasion de la Journée
nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la
guerre d’Algérie et des combats en
Tunisie et au Maroc, selon l’intitulé officiel de cette cérémonie,
M. Hollande s’est attiré les foudres de plusieurs associations de
harkis et de rapatriés d’Algérie
pour son initiative, mais aussi de
la droite et de l’extrême droite.
« Non à la commémoration de la
honte et du déshonneur », se sont
insurgées plusieurs associations
de rapatriés, qui ont signé une pétition lancée par le très droitier
hebdomadaire Valeurs actuelles,
dans laquelle elles estiment que
« la décision du chef de l’Etat de célébrer le 19 mars est un coup de
poignard porté aux pieds-noirs et
harkis ».
Ces associations considèrent
que la date du 19 mars ne constitue pas la fin de la guerre d’Algérie,
mais plutôt le point de départ de
l’exode et de nombreux massacres
perpétrés contre les pieds-noirs et
les harkis. « Pour notre communauté, commémorer cette date,
c’est commémorer un acte d’abandon », explique au Monde Mohamed Otsmani, délégué régional en
Provence-Alpes-Côte d’Azur du comité national de liaison des harkis, la plus importante association
représentative en France.
Invitées samedi au pied de la
Tour Eiffel, comme les représentants diplomatiques des pays concernés, les associations nationales
« porteuses de ces différentes mémoires », selon l’Elysée, ne répondront donc pas toutes présent,
loin de là. « Les mémoires continuent de saigner, de s’affronter,
portées notamment par certaines
associations d’expatriés, estime
l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie et conseiller du
président sur certaines questions
mémorielles, également président du conseil d’orientation du
Musée de l’immigration. Il y a là
une certaine continuité dans le refus des accords d’Evian et l’antigaullisme viscéral de l’extrême
droite. Peut-être que les partisans
du général devraient se manifester.
On les a assez peu entendus. »
De fait, Les Républicains (LR),
quoique se réclamant du gaullisme, ne prennent pas ce chemin.
A commencer par leur président,
De manière
surprenante,
c’est Marine
Le Pen qui
a emboîté le pas
à Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy, qui a accusé François Hollande, dans une tribune
publiée dans Le Figaro, de réactiver la « guerre des mémoires ».
Le prédécesseur de M. Hollande
s’en prend vivement à ce dernier :
« Pour qu’une commémoration
soit commune, il faut que la date
célébrée soit acceptée par tous. Or,
chacun sait qu’il n’en est rien, le
19 mars reste au cœur d’un débat
douloureux ». Une charge motivée
par « des raisons politiciennes », a
fustigé le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marc
Todeschini, pointant une volonté
de courtiser pieds-noirs et harkis
dans l’optique de la primaire de la
droite et de la présidentielle.
Repositionnement de la droite
Plusieurs élus LR du Sud-Est, où
les rapatriés d’Algérie sont nombreux, ont aussi pris leur défense.
Les députés des Alpes-Maritimes,
Eric Ciotti et Christian Estrosi, ont
tous deux dénoncé « une provocation » à l’encontre des rapatriés et
des harkis. Le maire de Nice a
même prévenu qu’« aucune cérémonie » ne serait organisée dans
sa ville, samedi.
Cette passe d’armes en dit long
sur le repositionnement de la
droite d’obédience gaulliste. Dans
leur livre consacrée à Patrick Buisson, Le Mauvais Génie (Fayard,
2015), les journalistes du Monde
Ariane Chemin et Vanessa Schneider avaient révélé que, lors de la
campagne présidentielle de 2012,
l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy
« Les mémoires
continuent de
saigner, portées
notamment par
des associations
d’expatriés »
BENJAMIN STORA
historien
– venu de l’extrême droite – avait
convaincu ce dernier de dénoncer
les accords d’Evian. Une initiative
à laquelle M. Sarkozy avait finalement renoncé. Détail significatif :
Alain Juppé, qui se réclame de l’héritage gaulliste, ne s’est pas exprimé sur le sujet. Mais son porteparole, Benoist Apparu, dénonce
lui aussi le choix présidentiel :
« François Hollande a tort d’ouvrir
cette page de notre histoire car les
mémoires sont trop vives et cela
reste un sujet de controverse, émotionnel, qui génère de fortes tensions en France. »
De manière surprenante, sur ce
sujet qui a toujours été un marqueur fort pour le Front national,
c’est Marine Le Pen qui a emboîté
le pas à Nicolas Sarkozy. La présidente du parti d’extrême droite a
attendu la matinée de vendredi
pour s’émouvoir du fait que, selon
elle, M. Hollande « viole la mémoire des anciens combattants,
harkis et rapatriés morts pour la
France lors du conflit algérien ».
« Honorer cette date, c’est aussi
mépriser les centaines de milliers
de nos compatriotes harkis et rapatriés qui ont vécu et qui vivent avec
ces souvenirs tragiques », a estimé
la députée européenne dans un
communiqué. Une position classique pour un parti qui a notamment été fondé, en 1972, par des
nostalgiques de l’Algérie française
et d’anciens membres de l’OAS.
Des rues débaptisées
Le relatif retard à l’allumage de la
présidente du FN peut s’expliquer
par une répartition implicite des
tâches au sein de sa formation :
c’est son compagnon, Louis Aliot,
fils d’une mère pied-noir et d’un
père mobilisé en Algérie, qui est
intervenu le premier sur la question, dès mercredi, avec virulence.
« Cette date n’est pas celle de la
paix, mais celle du déchaînement
de la violence et d’un génocide », a
dénoncé le député européen, qui
ne manque jamais une occasion
de choyer les rapatriés et les
harkis, très présents à Perpignan,
sa terre d’élection.
A Béziers (Hérault) et Beaucaire
(Gard), les maires frontistes ou assimilés, Robert Ménard et Julien
Sanchez, n’ont pas hésité à débaptiser des rues ou des places du 19mars-1962 pour les remplacer par
le nom du général putschiste Hélie de Saint Marc (1922-2013) ou la
date du 5 juillet 1962, marquée par
le massacre d’Européens à Oran.
Si l’on ne s’attendait pas, à l’Elysée, à une charge si violente de la
part de M. Sarkozy, on n’est pas
loin de s’en féliciter. « C’est le choix
du chef de l’opposition, qui a décidé
de s’exprimer avec une certaine violence, cible un conseiller du président. Il est d’ailleurs intéressant de
constater qu’il tourne le dos à l’héritage gaulliste. M. Sarkozy estimet-il qu’il n’est plus gaulliste ? »
La commémoration est certes
organisée à des fins d’apaisement
et de consensus mémoriel mais
son objectif politique se révèle
nettement plus clivant. Il s’agit
pour M. Hollande de redorer quelque peu son blason à gauche après
l’épisode dévastateur de la déchéance de nationalité, voire de
tenter de se réconcilier avec l’électorat d’origine maghrébine. « Hollande veut évidemment séduire la
communauté algérienne vivant en
France dans l’optique de 2017 »,
juge d’ailleurs un sarkozyste.
Au-delà, cet épisode dessine la
stratégie qu’il caresse depuis plus
d’un an en vue de 2017 : lui, le rassembleur, contre les autres, les diviseurs de la droite extrême et de
l’extrême droite, qui chassent sur
les mêmes terres. « Ça n’était pas
l’objectif, mais cette commémoration agit comme un révélateur, reconnaît un proche du chef de
l’Etat. D’autres sont dans quelque
chose de moins consensuel et de
plus brutal. » Derrière l’affrontement mémoriel s’en profile un
autre, très présidentiel. p
olivier faye,
alexandre lemarié
et david revault d’allonnes
6 | france
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
L E S AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E
La traque hasardeuse d’Abdeslam
Après avoir échappé à une perquisition, le fugitif a été arrêté grâce à une dénonciation, et sera jugé
suite de la première page
Lorsque les policiers belges ont
pénétré l’appartement où il avait
trouvé refuge, le terroriste, vraisemblablement à court d’armes,
en partie abandonnées au cours
de sa cavale, s’est écrié : « Je suis
Salah Abdeslam. » Il a été délogé
en quelques minutes et est apparu furtivement, vêtu d’un survêtement, capuche sur la tête,
claudiquant entre les membres
des unités spéciales qui l’encadraient et pointaient leurs armes
vers les toits de ce quartier populaire où il a grandi. Son identification formelle n’interviendra
qu’en fin de journée, vers 19 heures, après la comparaison de ses
empreintes digitales.
Dans « le bunker », la salle de
presse du 16, rue de la Loi, le cabinet du premier ministre belge,
Charles Michel, tient dans la foulée une conférence de presse au
côté de François Hollande et
d’une brochette de ministres. A
20 h 33, le chef du gouvernement
belge confirme l’information tant
attendue, qui a perturbé la fin du
sommet Union européenne-Turquie auquel participaient les deux
dirigeants : « Nous avons arrêté
Salah Abdeslam. »
Le fugitif n’est pas le seul suspect des attentats de Paris à avoir
été interpellé vendredi. Un autre
homme, lui aussi blessé à la
jambe, a été appréhendé dans le
même appartement par les forces
d’intervention belges, mais son
identité reste floue. Deux pièces
d’identité falsifiées portant sa
photo – un passeport syrien au
nom de Monir Ahmed Alaaj, et
une carte d’identité belge au nom
d’Amine Choukri – avaient été retrouvées mardi lors d’une perquisition dans un appartement de
Forest, une autre municipalité
bruxelloise. Cet homme à l’identité incertaine est arrivé en Europe par l’île grecque de Leros,
comme deux des kamikazes du
Stade de France. Il a ensuite passé
la nuit du 2 au 3 octobre dans une
Des policiers bouclent
la rue des QuatreVents, à Molenbeek
après l’arrestation
de Salah Abdeslam,
le 18 mars.
CE QU’IL
FAUT SAVOIR
Interpellation Salah Abdeslam,
seul membre des commandos
du 13 novembre à avoir survécu,
a été interpellé à Bruxelles,
le 18 mars, après quatre mois
de cavale.
VIRGINIE NGUYEN HOANG/
HANSLUCAS POUR « LE MONDE »
Mandat d’arrêt M. Hollande
a appelé de ses vœux sa remise rapide à la justice française
dans le cadre d’un mandat
d’arrêt européen.
Procès Salah Abdeslam est susceptible d’être renvoyé devant
une cour d’assises spéciale, uniquement composée de magistrats, et encourt la réclusion
criminelle à perpétuité.
Victimes En quête de justice, les
associations de victimes sont soulagées qu’il ait été capturé vivant.
Complice L’homme tué mardi
par la police belge lors d’une perquisition a été identifié comme
étant Mohamed Belkaid. Il apparaît comme un acteur central
des attaques de Paris.
chambre d’hôtel réservée à Ulm,
en Allemagne, où Salah Abdeslam
lui a rendu visite.
Mandat d’arrêt européen
Trois autres personnes ont été interpellées lors de l’opération de
vendredi : un des amis de Salah
Abdeslam, Abid A., la mère de ce
dernier, Sihane A., et sa compagne, Djemila M. Ils sont soupçonnés d’avoir hébergé le fugitif dans
l’appartement de la rue des Quatre-Vents. Les porte-parole du
parquet belge ont souligné que
les enquêtes n’étaient pas terminées, sous-entendant qu’une partie du groupe était toujours acti-
vement recherchée. « Ils sont plus
nombreux que ce que nous avions
pensé », a indiqué vendredi François Hollande.
Seul auteur des attentats du
13 novembre présent dans les rues
de Paris cette nuit-là à avoir été interpellé vivant, Salah Abdeslam
pourrait être rapidement remis à
la justice française. C’est en tout
cas le vœu qu’a formulé vendredi
soir le président français, lors de
sa conférence de presse avec le
premier ministre belge : « Je ne
doute pas que les autorités judiciaires françaises vont adresser
très vite une demande d’extradition » et « que les autorités belges y
Lorsque les
policiers belges
ont pénétré dans
l’appartement,
le terroriste, sans
doute à court
d’armes, s’est
écrié : « Je suis
Salah Abdeslam »
répondront le plus favorablement
possible, le plus rapidement possible », a-t-il déclaré.
A l’issue de sa garde à vue – limitée à vingt-quatre heures en
Belgique, contre six jours en
France en matière terroriste –, Salah Abdeslam sera dans un premier temps présenté à un juge
belge. Dans le cadre d’un mandat
d’arrêt européen émis par les
autorités judiciaires françaises, il
pourrait être remis aux magistrats français chargés de l’enquête. Au terme de l’instruction,
il est susceptible d’être renvoyé
devant une cour d’assises spéciale, uniquement composée de
magistrats, et encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
C’est à la faveur d’un heureux
hasard – et d’un curieux manque
de flair – que les enquêteurs ont
fortuitement découvert, trois
jours avant l’assaut de vendredi,
la planque de Salah Abdeslam et
de ses complices. Mardi 15 mars,
quatre membres de la section antiterroriste de la police fédérale,
accompagnés par deux officiers
de liaison français dans le cadre
d’une équipe commune d’enquête, se présentent vers 14 h 15
rue du Dries, à Forest, une municipalité de Bruxelles, pour une simple vérification de domicile.
Mohamed Belkaid, logisticien des attentats de Paris
L’Algérien tué par la police belge, mardi 15 mars, en protégeant la fuite d’Abdeslam, avait coordonné les attaques par SMS depuis Bruxelles
L’
homme tué mardi 15 mars
par la police belge lors de la
perquisition d’un appartement de Forest, une municipalité
de Bruxelles, au cours de laquelle
Salah Abdeslam était parvenu à
s’enfuir, a été identifié comme
étant Mohamed Belkaid. Le nom
de cet Algérien de 35 ans, inconnu
des services antiterroristes, n’apparaissait pas dans l’enquête sur
les attentats du 13 novembre 2015.
C’est en comparant son visage
avec des photos que les enquêteurs ont pu établir qu’il était,
selon les mots du parquet belge
vendredi 18 mars, « plus que vraisemblablement » un acteur central
des attaques de Paris, sous l’identité d’emprunt de Samir Bouzid.
Dans le dossier d’instruction,
Samir Bouzid apparaît comme un
des hommes suspectés d’avoir
coordonné, depuis Bruxelles, les
attentats de Paris et Saint-Denis.
Au fil de leurs investigations, les
enquêteurs ont trouvé une première trace de son passage un
mois avant les attentats. Le 9 septembre 2015, Salah Abdeslam est
Le 17 novembre,
sa fausse carte
d’identité
est utilisée
afin d’effectuer
un virement
pour Abaaoud
contrôlé en Autriche à bord d’une
Mercedes de location, en compagnie de deux hommes porteurs
de fausses cartes d’identité belges
au nom de Samir Bouzid et
Soufiane Kayal.
La trace de Samir Bouzid sera retrouvée dans une poubelle le lendemain des attentats. Dans un téléphone portable jeté en face du
Bataclan, les enquêteurs découvrent un SMS envoyé par les terroristes à 21 h 42 : « On est parti, on
commence. » Le destinataire du
message se trouve en Belgique.
Un autre numéro belge, qui a appelé dans la soirée Abdelhamid
Abaaoud, a émis exactement au
même endroit, à Bruxelles. Les
enquêteurs en déduisent qu’un
ou deux hommes ont coordonné
les attaques depuis la Belgique.
Leurs investigations les conduiront à suspecter Samir Bouzid et
Soufiane Kayal, les compagnons
de voyage de Salah Abdeslam en
Autriche.
Le nom de Samir Bouzid n’apparaît réellement dans le dossier
que le 17 novembre, quatre jours
après les attentats. Ce jour-là, vers
18 heures, sa fausse carte d’identité est utilisée pour effectuer un
virement dans une agence Western Union de Bruxelles. La
somme, 750 euros, est destinée à
Hasna Aït Boulahcen, la cousine
d’Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attentats, qui
cherche une planque. Une caméra
de vidéosurveillance permettra
aux enquêteurs d’avoir une trace
de son passage.
Les policiers, qui ont placé
Hasna Aït Boulahcen sur écoute,
interceptent ses communications
avec Mohamed Belkaid, alias
Samir Bouzid. Le 17 novembre, ce
dernier lui demande de récupérer
le virement qu’il vient d’effectuer
pour Abaaoud. A 17 h 57, Hasna
discute avec le généreux donateur tout en faisant la queue pour
récupérer le mandat. Le terroriste
et la jeune femme, peu au fait des
pratiques bancaires, se heurtent à
la logique implacable de La Poste.
Hasna : « Aleykoum Salam. Je suis
en train de faire la queue là. Je
suis… Attends, attends, deux secondes. » Elle parle à la guichetière : « Bonjour, en fait c’est pour
un mandat cash. En fait, on m’a envoyé de l’argent de la Belgique. » A
Belkaid : « C’est quoi, c’est un Western Union ?
– Western Union, oui, répond
Mohamed Belkaid.
– C’est quand que tu l’as envoyé ?
– J’ai envoyé ça il y a une petite
heure. 750 euros.
– 750, ouais mais c’est quoi. Il faut
un code, elle a dit la dame.
– Un code ?
– Attends, je te passe la dame. »
L’employée de La Poste prend le
téléphone : « Allô ?
– Oui, bonjour (…) En fait, j’ai envoyé un mandat.
– D’accord. Quel genre de mandat ?
– Un Western Union, j’ai envoyé
750 euros. On m’a dit que je dois
donner des numéros.
– Voilà, il y a un code à donner.
– Donc euh 59…
– Euh, je vous la repasse. C’est elle
qui va… », répond la guichetière.
Hasna reprend le téléphone :
« OK merci. Attends, reste avec moi
s’il te plaît. Ouais, tu m’avais dit
qu’il n’y avait pas de code.
– Non. C’est juste les chiffres. Je
n’avais pas vu. Donc je te donne les
chiffres. Donc 529…
– Attends, attends. » Hasna parle
à la guichetière : « Ah c’est mort ?
Pourquoi ? Ah c’est 18 heures. » A
Belkaid : « Ils ont dit que c’est mort
pour aujourd’hui, c’est 18 heures, il
faut que j’y aille demain.
– Y retourner demain. Mais il est
18 heures », répond Belkaid.
« Mais il est 18 heures, madame,
répète la jeune femme. Il doit y
avoir une exception. Monsieur, je
suis venue avant 18 heures, ça se
fait pas, comme même, je suis venue de loin. Je suis venue avant
18 heures. Bah là, il est 59, monsieur, il reste une minute. Voilà,
donc je suis désolée. Je suis venue
avant 18 heures, j’ai fait la queue, la
dame euh… Ouais, mais là, je suis
chez vous, monsieur, je vais vous
donner le code et vous me donnez
l’argent. Je n’ai jamais vu ça de ma
vie. La vie de ma mère. Non, je ne
m’énerve pas, mais c’est n’importe
quoi. Moi, je suis venue de loin et
voilà. Non, OK, il y a pas de souci. »
Hasna Aït Boulahcen récupérera
finalement son virement. Sur les
consignes de Mohamed Belkaid,
elle achètera un téléphone pour
son cousin et lui trouvera un logement à Saint-Denis. Elle sera tuée à
ses côtés lors de l’assaut lancé par
le RAID le lendemain, 18 novembre. Mohamed Belkaid trouvera la
mort quatre mois plus tard dans
des circonstances similaires, en
tirant sur des policiers pour couvrir la fuite de Salah Abdeslam,
lors de la perquisition de l’appartement de Forest. p
so. s.
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0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
aaa
« Il a terminé son parcours là où il avait
des dernières possibilités de se cacher »
A Molenbeek, durant l’opération policière, les habitants témoignent de leur consternation
REPORTAGE
molenbeek - envoyé spécial
Opération précipitée
Curieusement, son nom ne figurait pas dans les fichiers belges
des personnes liées au terrorisme
islamiste. Il apparaissait, en revanche, sur les listes des membres de l’Etat islamique en possession de la chaîne britannique Sky
News. Il y était répertorié comme
l’un des candidats à un possible
attentat-suicide et aurait, semblet-il, combattu en Syrie à partir
d’avril 2014.
Si l’opération de police de mardi
à Forest, largement sous-dimensionnée, se conclut par la mort de
Mohamed Belkaid, elle permet
également à deux hommes de
prendre la fuite par les toits.
L’échec est cuisant. Les enquêteurs l’ignorent encore : parmi les
deux fugitifs se trouve Salah Abdeslam. Sa présence dans l’appartement ne sera confirmée que
deux jours plus tard par la découverte de son empreinte digitale
sur un verre.
Mais c’est un appel téléphonique, quelques heures après cette
opération ratée, qui va mettre les
policiers belges sur la trace du fugitif et confirmer sa présence à
Bruxelles. Au bout du fil, un ami
de Salah Abdeslam leur apprend
que ce dernier lui a demandé de
l’aider à trouver une planque. Les
enquêteurs belges ne peuvent
plus attendre : ils ont déjà raté à
Deux acteurs introuvables
Les deux principaux fugitifs des
attentats du 13 novembre, Abdelhamid Abaaoud et Salah Abdeslam, n’auront été localisés que
grâce à un geste citoyen, symptôme des limites des services de
renseignement des deux pays. La
planque d’Abdelhamid Abaaoud,
tué le 18 novembre lors d’un assaut du RAID, avait été fournie
aux enquêteurs français par le témoignage spontané d’une jeune
femme proche de sa cousine,
Hasna Aït Boulahcen. Celle de Salah Abdeslam n’aura été découverte que grâce au coup de téléphone d’un de ses amis.
Il aura fallu plus de quatre mois
pour découvrir que l’homme le
plus recherché d’Europe n’avait
peut-être jamais quitté sa ville.
« Quatre mois, c’est long, et le travail n’est pas fini », a commenté
François Hollande, qui a annoncé
dans la foulée la tenue, samedi,
d’un Conseil de défense. « Il devra
y avoir d’autres arrestations », at-il poursuivi.
Après ce coup de filet, deux acteurs majeurs des attentats du
13 novembre restent introuvables.
Le premier, Mohamed Abrini,
avait loué avec Salah Adbeslam les
appartements où les commandos
ont passé leur dernière nuit en
banlieue parisienne et les a accompagnés à Paris le 12 novembre, avant de se volatiliser à
Bruxelles. Le second n’est connu
que sous une identité d’emprunt,
Soufiane Kayal. Il est soupçonné
d’avoir coordonné les attentats à
distance depuis Bruxelles avec
Mohamed Belkaid, alias Samir
Bouzid, tué mardi à Forest.
Deux soutiens logistiques des
auteurs des tueries du 13 novembre sont par ailleurs toujours recherchés : il s’agit des frères Khalid
et Ibrahim El Bakraoui. L’un d’eux,
Khalid, avait loué l’appartement
de Forest visé par la perquisition
de mardi et celui de Charleroi.
L’arrestation de Salah Abdeslam
marque-t-elle la fin des tensions
entre Paris et Bruxelles, assez vives depuis que M. Hollande a évoqué en novembre des attaques
« préparées » depuis la Belgique ?
Le gouvernement de M. Michel se
sentait mis en accusation,
d’autant que des lacunes dans la
surveillance des milieux radicaux
par les autorités avaient été illustrées de diverses manières. « Il n’y
a pas d’autres tensions que celles
du drame, nous sommes liés et solidaires », a déclaré vendredi François Hollande en félicitant les
autorités belges. p
soren seelow
et jean-pierre stroobants
(bruxelles, correspondant)
« Ce n’est pas une banlieue »
Cette fois, les habitants connaissent le film. La plupart répondent
d’avance aux questions que les
premiers journalistes arrivés sur
place ne leur ont pas encore posées, sur leur ville et leur religion.
Une femme voilée portant un enfant défend Molenbeek : « Ce n’est
pas une banlieue, c’est une commune ; les banlieues, c’est à Paris. »
Un homme d’une cinquantaine
d’années fulmine : « Ceux qui ont
fait ça à Paris, ce ne sont pas des
musulmans, ce sont des crétins !
L’islam, c’est la paix. »
La nuit commence à tomber. Les
opérations policières semblent
presque achevées. Derrière les cordons de sécurité, la curiosité a remplacé l’inquiétude. Les habitants
s’installent et commentent les
événements. « C’est Abdeslam ? Il
est blessé ? Ils l’ont tué ? Ils étaient
combien ? » Les locaux questionnent les journalistes, qui les interrogent en retour. « Qui a vu quoi ?
Qui a entendu quelque chose ? »
Les rumeurs commencent à circuler. Le même assure qu’il sait
« par Facebook » que Salah Abdeslam s’est échappé de l’hôpital. Un
autre, âgé d’une quarantaine d’années, tente de convaincre un plus
jeune que le 13 novembre n’était
que mise en scène. « Ce ne sont pas
des terroristes, ils n’ont tué personne, ils se sont fait sauter dans
des ruelles désertes », explique-t-il.
« Mais ils ont tué en tirant quand
même », tente l’autre, légèrement
dubitatif. « Non. Ça, c’est les services
secrets… et les sionistes », rétorque
le premier. Argument massue.
L’autre se rembrunit : « Oui, je sais
que ce sont les sionistes. »
La présence de Salah Abdeslam à
Molenbeek n’étonne pas vraiment. « Il y a une forme de logique,
il a terminé son parcours là où il
avait des dernières possibilités de se
cacher », explique l’ancien bourgmestre socialiste de la ville, Philippe Moureaux, qui espère que la
cellule terroriste est vraiment neutralisée. Pour les habitants, il s’agirait presque d’une malédiction.
« On a le climat de terreur, et en plus
notre ville et notre religion sont
stigmatisées », explique Elias,
26 ans, la barbe bien taillée et le
costume soigné. Il ajoute d’un air
de dépit : « C’est la double peine. » p
nicolas chapuis
les plus grands spectacles
du monde entier,
chez vous !
OPÉRAS | CONCERTS |
DANSE | JAZZ À LA TÉLÉVISION
: © GTG/Gregory Batardon
L’appartement visé par la perquisition est alors considéré
comme « froid » : il semble inoccupé, l’eau et l’électricité ayant
été coupées depuis plusieurs semaines. Les enquêteurs le suspectent d’avoir été loué sous une
fausse identité par un certain
Khalid El Bakraoui, à ce jour introuvable. C’est sous une identité
d’emprunt similaire qu’avait été
loué quatre mois plus tôt un appartement à Charleroi, où
avaient fait halte durant quelques heures les membres des
commandos, le 12 novembre,
tandis qu’ils cheminaient en convoi de Bruxelles vers Paris.
Les policiers n’y sont pas préparés, mais la planque est toujours
active. Ils essuient dès leur arrivée
des tirs nourris à l’arme lourde.
Quatre policiers sont blessés. Un
suspect est tué : Mohamed Belkaid, un Algérien en séjour illégal
inconnu des services antiterroristes. La comparaison de son visage
avec des photos en possession des
enquêteurs permet de l’identifier
avec une quasi-certitude comme
étant l’un des membres actifs des
attentats de Paris.
Cet homme, qui voyageait sous
la fausse identité de Samir Bouzid,
a coordonné en direct les attaques
du 13 novembre par SMS depuis
Bruxelles. Il est le destinataire du
dernier texto envoyé par les kamikazes du Bataclan avant que ces
derniers ne pénètrent dans la
salle de spectacle : « On est parti,
on commence. » Au lendemain
des attaques, il a assisté Abdelhamid Abaaoud dans sa quête d’une
planque à Saint-Denis, et a aidé
Salah Abdeslam durant sa cavale.
C
PHOTO
Les deux
principaux fugitifs
n’ont été localisés
que grâce à
un geste citoyen,
symptôme
des limites
des services
deux reprises Salah Abdeslam, à
Molenbeek et à Schaerbeek, où
ses empreintes avaient déjà été retrouvées, le 10 décembre. En travaillant sur le numéro à partir duquel Salah Abdeslam a appelé le
témoin, puis sur ses contacts, les
enquêteurs belges parviennent à
localiser le terroriste dans un appartement de Molenbeek.
Vendredi, la police fédérale décide de hâter ses opérations – trois
perquisitions à Molenbeek et à
Jette, autre municipalité de la ville
région – en raison d’une fuite
dans la presse parisienne. A la fureur du parquet fédéral belge, qui
avait obtenu le silence des médias
nationaux, L’Obs révèle que des
traces d’ADN et des empreintes digitales appartenant à Salah Abdeslam ont été retrouvées dans
l’appartement de Forest visé par
la perquisition de mardi.
omme une désagréable
impression de déjà-vu,
celle d’être pour quelques
heures au centre du viseur. La ville
belge de Molenbeek, où Salah Abdeslam, l’un des auteurs présumés
des attentats du 13 novembre, a été
arrêté vendredi 18 mars, a connu
une nouvelle fois l’angoisse d’une
journée d’opérations antiterroristes. Rues bouclées, sirènes de police incessantes, détonations…
La dernière fois que la petite
commune populaire avait vu pareille agitation, c’était quelques
jours après les attaques de Paris.
Salah Abdeslam y avait été repéré.
L’information ajoutée au pedigree
de la ville – Abdelhamid Abaaoud,
le cerveau des attentats abattu
dans l’assaut de Saint-Denis, a
grandi à Molenbeek, qui a aussi vu
de nombreux départs vers la Syrie – avait attiré les journalistes du
monde entier. La ville, inconnue
quelques jours auparavant, était
devenue le symbole international
de la radicalisation islamiste.
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
L E S AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E
Salah Abdeslam, le djihadiste
qui « ne priait jamais à l’heure »
Son rôle lors des attentats de Paris est encore flou
C
PORTRAIT
omme tous les fugitifs,
son portrait avait fini
par se résumer à son avis
de recherche. Sorte de
demi-démon réduit à un visage au
teint blafard, une mensuration
(1m75), la couleur de ses yeux
(marron) et une date de naissance
(15 septembre 1989). Salah Abdeslam, le 10e homme du commando
djihadiste qui a ensanglanté Paris,
le 13 novembre 2015, ne se résumait pas à sa seule synthèse policière. Caïd insaisissable, l’homme
le plus recherché d’Europe aura
tenu 125 jours de cavale avant
d’être arrêté le 18 mars à Bruxelles.
C’est à une adresse comme baptisée pour lui qu’il s’est fait rattraper : 76 rue des Quatre-Vents.
Son rôle lors des attentats est encore flou. L’enquête a démontré
qu’il a réservé véhicules et chambres d’hôtel en banlieue parisienne en son nom. On sait aussi
qu’il a déposé trois terroristes au
Stade de France ; puis qu’il s’est
rendu dans le 18e arrondissement.
Des interrogations demeurent :
devait-il commettre un autre attentat ? A-t-il renoncé à mourir en
kamikaze ? Ou sa ceinture d’explosifs n’a-t-elle pas fonctionné ?
Avant de faire allégeance à l’organisation Etat islamique (EI), le
jeune homme de 26 ans, fils d’un
conducteur du tramway bruxellois, était un trafiquant notoire.
L’un de ces types « injoignables »,
comme le décrit un de ses amis
aujourd’hui en prison. Sans Facebook officiel. Jamais avec le
même numéro de téléphone.
Toujours un peu pressé. Mais parfaitement serviable.
Ami de débauche d’Abaaoud
Pour espérer attraper Salah Abdeslam, fausses allures de dandy et
cheveux gominés, il faut alors plutôt parier sur Les Béguines, un bar
qu’il a tenu de 2013 au 4 novembre 2015 avec son frère Brahim,
31 ans, à Molenbeek, ghetto pauvre
au cœur de Bruxelles. Derrière ce
nom donné autrefois en Belgique
à ces femmes seules ayant fait
vœu de vie religieuse, ce bar est un
repère de dealers de shit.
La vie de Salah ressemble à celle
de tous ceux qui sont aujourd’hui
soupçonnés de l’avoir aidé dans sa
fuite. Une dizaine d’hommes, aux
confins de la petite et moyenne délinquance. A l’instar d’Hamza A.,
qui assurait le service de « vendeur » de cannabis aux Béguines.
Photo de Salah
Abdelslam
diffusée par la
police fédérale
belge. AP
Mais surtout comme Abdelhamid
Abaaoud, le coordinateur principal des attaques à Paris, mort dans
l’assaut de Saint-Denis, le 18 novembre. Un des meilleurs amis de
débauche de Salah Abdeslam depuis l’enfance. Jusqu’au braquage
raté d’un garage qui les envoie tous
les deux en prison, en 2010.
Salah Abdeslam est un « fêtard »
qui ne se cache pas. On lui prête
des talents de grand séducteur. Un
tiercé « bières-shit-filles » qui détourne partiellement l’attention
des services de renseignement.
Les enquêteurs ont retrouvé la
trace de plusieurs de ses virées au
Golden Palace, un grand casino du
centre-ville de Bruxelles. Il y a
même été repéré avec son ami Ahmed Dahmani, boxeur amateur à
ses heures, interpellé fin novembre 2015 en Turquie. Ce dernier
aurait fait des repérages à Paris en
amont des attentats.
Chez les Abdeslam, l’arbre généalogique est aussi un brouilleur
Ce dimanche à 12h10
HERVÉ LADSOUS
Secrétaire Général adjoint de l’ONU
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde).
Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
0123
Abdeslam est un
fêtard. Le tiercé
« bières-shitfilles » détourne
l’attention
des services de
renseignement
de pistes à lui seul. Le père, Abderrahmane, est né à Oran, en 1949,
en Algérie, tout comme Yamina,
la mère. Ils sont ensuite allés vivre
au Maroc mais ont pu garder la
nationalité française. Nationalité
qu’ils ont transmise à leurs cinq
enfants quand ils ont émigré en
Belgique. Comme ses trois frères
(Yazid, 33 ans, Brahim, 31 ans, Mohamed, 29 ans) et sa sœur (Myriam, 22 ans) Salah Abdeslam est
né à Bruxelles mais il n’a qu’une
carte de résident permanent. Il
n’a jamais vécu en France.
Chaque été, les vacances se passent en famille, au Maroc, dans
cette petite ville de Bouyafar,
15 000 habitants, tout près de l’enclave espagnole de Melilla. Un de
ces coins du Rif qu’ont vidé les vagues de départs vers la France, les
Pays-Bas, la Belgique… « Mais vous
savez, moi maître, je suis Français ! », répétait souvent Brahim, le
frère de Salah, à son avocat, Me Olivier Martins, lors des quelques déboires qu’il a eus avec la justice.
Son attrait pour l’idéologie djihadiste, Salah Abdeslam l’a tou-
jours dissimulé du mieux possible. On soupçonne qu’il a effectué
un court séjour en Syrie en 2015,
mais on n’en connaît pas précisément les dates. Ses excès d’alcool
et boîtes de nuit relevaient-ils de
la « taqiya » : une pratique particulière de l’islam visant à cacher volontairement sa foi pour ne pas
éveiller de soupçons ? Ou sa radicalisation a-t-elle été si rapide que
personne ne l’a vue venir ?
Salah Abdeslam a bien été entendu par les services belges en
février 2015. Ils le soupçonnent
alors d’avoir les mêmes velléités
que Brahim, son frère, parti en Syrie. Mais ils ne le jugent pas menaçant. Les premiers signes d’assagissement du turbulent caïd n’apparaissent vraiment qu’à partir
de l’été 2015. Salah Abdeslam profite du Ramadan pour arrêter de
boire et de fumer.
En réalité, la seule qui sait, alors,
les vraies envies de Salah, c’est Yasmina, 23 ans, sa petite amie. Folle
amoureuse de lui depuis ses
16 ans, elle entretient une relation
semi-clandestine avec ce voyou
qui déplaît tant à ses parents. Salah
aurait commencé à évoquer ses
projets de Syrie dès décembre 2014. « Il pensait aller là-bas
pour aider (…) il voulait même que
je l’accompagne », a-t-elle raconté
aux enquêteurs. Mais à l’époque
elle peine à le prendre au sérieux.
Sa religiosité lui paraît aussi baroque que sa vie de caïd. Salah priait,
dit-elle, mais un peu comme aux
quatre-vents, « jamais à l’heure ». p
élise vincent
« Jusqu’ici, ils n’étaient que des ombres »
« C’est une surprise inespérée de voir Salah Abdeslam arrêté au
bout de quatre mois de cavale. (…) Il en sait long sur les attaques
et les commanditaires », a déclaré Georges Salines, le président de
Treize novembre - Fraternité et vérité, une association de victimes
des attentats, dont la fille a été tuée au Bataclan. Pour Caroline
Langlade, membre du public du Bataclan et vice-présidente de
Life for Paris, « ça change complètement la donne du procès, qu’il y
ait un être vivant dans le box des accusés ». Chloé De Bacco, 29 ans,
blessée au Bataclan, est « contente mais remuée » : « Jusqu’ici, ces
terroristes n’étaient que des ombres dans une salle, maintenant on
a en face de nous un être humain. Salah Abdeslam a deux ans de
moins que moi. Comment peut-on avoir tant de haine à cet âge ? »
Le procès d’Edouard
Louis, leçon de droit
Le juge a étrillé les avocats qui attaquent
l’écrivain pour atteinte à la vie privée
U
n passionnant débat
juridico-littéraire devait
opposer,
vendredi
18 mars, l’écrivain Edouard Louis,
alias Eddy Bellegueule, à celui qui
l’accuse d’atteinte à la vie privée
et à la présomption d’innocence,
Riadh B., alias « Reda », le personnage décrit dans Histoire de la violence (Seuil) comme ayant violé et
tenté d’étrangler l’écrivain une
nuit de décembre 2012. Le jeune
Marocain, sans papiers, interpellé
en janvier dans une autre affaire,
a depuis été mis en examen pour
« viol » et « tentative d’homicide »,
son ADN correspondant à celui
prélevé chez Edouard Louis, qui
avait porté plainte.
En l’absence des deux hommes,
représentés par leurs avocats, le
seul vrai personnage de cette
audience a été le juge Alain
Bourla. La leçon de droit s’est
abattue avec férocité sur les deux
jeunes conseils du plaignant,
dont une présomption d’inexpérience justifierait qu’ils bénéficient du même anonymat que
leur client.
Le juge observe d’abord que,
dans une lettre adressée au Seuil
avant les poursuites, les défenseurs de Riadh B. ont tenté d’obtenir l’insertion d’un encart dans
l’ouvrage, mentionnant que ce récit « porte atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée
de… ». Suivaient le nom et le prénom du plaignant. « Donc, si Le
Seuil avait obtempéré, le public
aurait été informé du nom de votre
client », s’étonne le juge. Les deux
avocats baissent la tête. « C’est une
erreur de plume », plaident-ils.
Le juge poursuit en relevant que,
lors de son arrestation, Riadh B. a
donné aux enquêteurs quatre
alias distincts et que ses avocats
évoquent eux-mêmes deux identités différentes. « Je m’interroge :
qui est véritablement votre
client ? » Me Emmanuel Pierrat,
l’avocat d’Edouard Louis, renchérit : « Comment un livre pourrait-il
rendre identifiable quelqu’un dont
même ses avocats ignorent la véritable identité ? »
Jeu de massacre
Le juge Bourla se saisit ensuite des
quatre attestations versées par les
avocats à l’appui de la plainte. Elles
sont tapées à la machine alors
qu’elles devraient être manuscrites et aucune ne comporte la mention obligatoire sur le risque encouru en cas de faux témoignage.
Exit donc les attestations.
Le juge en vient aux demandes
de réparation : 50 000 euros de
dommages et intérêts, modification du prénom et insertion d’un
encart. « Vous écrivez que l’encart
est “la seule possibilité de faire cesser les atteintes manifestes à ses
droits”. En quoi la teneur de cet encart peut-elle faire cesser les atteintes ? » Les deux avocats bafouillent. « Eh bien, le lecteur lira ce
livre de façon différente… »
Quand vient le débat au fond, le
jeu de massacre continue. Les
avocats relèvent que, comme
« Reda », le plaignant a des fossettes, des yeux marron, des sourcils
noirs, un type maghrébin, il est
homosexuel, consomme du cannabis, travaille de temps à autre
comme plombier au noir, fréquente la place de la République.
La défense a beau jeu de souligner
qu’une telle description est susceptible de concerner bien du
monde. Jugement le 15 avril. p
pascale robert-diard
Lille : fin du mystère de la momie
lille - correspondance
U
ne maison au cœur du quartier chic du Vieux-Lille et,
au premier étage, un corps momifié. Le 19 octobre 2012, Lille est sous le choc. Un agent municipal des
« Immeubles menaçant ruine » vient de découvrir le squelette
d’un homme d’origine espagnole, décédé depuis quinze ans.
Qui était-il ? De quoi est-il mort ? Le mystère de la momie aura
duré plus de trois ans. Il vient d’être définitivement résolu.
Dans quelques jours, Alberto Rodriguez va enfin pouvoir être
incinéré. C’est un article paru dans Le Monde en 2012, traduit
dans El Pais, qui a permis à la famille espagnole du défunt de le
reconnaître, de dévoiler sa véritable identité et sa ville natale.
A partir de son acte de naissance, puis de tests ADN, les enquêteurs ont remonté le fil de sa vie. Le substitut du procureur au
tribunal de grande instance Christophe Amunzateguy a délivré
le permis d’inhumer. « C’est une vraie satisfaction, confie-t-il. On
a réussi à lui trouver une histoire, une
famille et bientôt une sépulture. » Ce
peintre en bâtiment, né en 1921, arrivé
« ON A RÉUSSI À LUI
chez les Ch’tis en 1942, a laissé derrière
TROUVER UNE HISlui son pays. « Traumatisé par la guerre
il a fui Franco, brouillé les
TOIRE, UNE FAMILLE » d’Espagne,
pistes, changé de prénom (Mamerto deCHRISTOPHE AMUNZATEGUY
vient Alberto) et coupé les liens avec sa
substitut du procureur
famille », raconte Pierre Kerlévéo, généalogiste successoral. Il rencontre
dans les années 1950 Lucie Chanat, une veuve de trente ans son
aînée, descendante d’une famille de tripiers. Quelle est la nature de leur relation ? Mystère. Mais à son décès, en 1971, elle lui
lègue trois maisons, dont la bâtisse du XVIIIe siècle de la rue
Saint-Jacques.
Depuis trois ans, de folles rumeurs couraient sur sa richesse, et
une vingtaine de supposés héritiers s’étaient déclarés. Mais
Alberto a dû vendre deux maisons pour payer les frais de succession. Ce bonhomme peu bavard, colombophile, s’est éteint chez
lui, dans son petit lit, d’une mort naturelle… et sans fortune.
L’ADN a confirmé le lien avec deux neveux, une nièce et un
petit-neveu espagnols. « Ils sont heureux de pouvoir procéder
aux funérailles, explique l’avocate lilloise des neveux, MariaRosa Garcia. Quand on a eu l’autorisation d’inhumer, l’émotion
était forte. » A-t-il laissé un testament ? Pour le savoir, il faudra
interroger le fichier, accessible à partir de l’acte de décès, enfin
signé par la ville de Lille. Sa maison, souvent photographiée
pour sa façade Arts déco, sera probablement vendue. Quant à
son squelette, il est encore à l’institut médico-légal. Ses héritiers pourraient accepter que ses cendres rejoignent le caveau
de Lucie Chanat. p
laurie moniez
france | 9
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
A droite, le fantasme de la «recomposition»
J UST I C E
Une partie de l’opposition n’exclut plus de gouverner avec le centre gauche en 2017
Le gendarme qui a tiré la grenade présumée responsable
de la mort du militant écologiste Rémi Fraisse, en 2014, à
Sivens (Tarn), a été placé vendredi 18 mars sous le statut
de témoin assisté, ce qui
écarte en l’état son renvoi
devant un tribunal.
suite de la première page
Réélu en 2002 face à Jean-Marie Le
Pen, Jacques Chirac n’avait pas
ouvert sa majorité. A droite, certains pensent qu’il avait raté une
opportunité et s’était condamné à
un second quinquennat frileux.
Pour mener à bien les réformes
futures, la tentation de recomposer est réelle, notamment chez
Alain Juppé.
Dès janvier 2015, le candidat à la
primaire le laissait entendre dans
le Point : « Il faudra peut-être songer un jour à couper les deux bouts
de l’omelette pour que les gens raisonnables gouvernent ensemble et
laissent de côté les deux extrêmes,
de droite comme de gauche, qui
n’ont rien compris au monde. »
Dans l’entourage de M. Juppé,
nombreux sont des contempteurs
du clivage gauche-droite. Au lendemain des régionales, Jean-Pierre
Raffarin, un des principaux soutiens du maire de Bordeaux, s’est
prononcé en faveur d’un « pacte républicain pour l’emploi », envisageable si la droite et la gauche travaillent ensemble. « Il nous faut
combattre l’impuissance politique.
Pour cela, le PS devrait rompre
d’abord avec le Front de gauche
puis avec ses frondeurs pour devenir un vrai parti social-démocrate.
De notre côté, nous devrions regagner la confiance des électeurs en
abandonnant les promesses intenables et les dérives populistes », expliquait alors au Monde l’ancien
premier ministre.
« Tous rassemblés pour en finir
avec le chômage ! OK avec JeanPierre Raffarin », lui avait répondu
M. Valls. Cette velléité d’union nationale est restée lettre morte. Le
porte-parole de M. Juppé, Benoist
Apparu, avait pour sa part demandé à M. Hollande, en
avril 2013, de constituer un gouvernement d’union nationale
« pendant dix-huit mois afin de mener dix réformes majeures ».
Depuis son entretien au Point,
Alain Juppé n’a plus jamais évoqué
– du moins publiquement – la possibilité d’une recomposition. Avec
la perspective de la primaire, il a au
contraire durci son discours pour
attirer l’électorat de droite. De
meetings en déclarations fracassantes contre le voile à l’université,
M. Sarkozy défend une ligne dure
« S’il y a bien
un moment
où [l’ouverture]
aurait du sens,
c’est maintenant »
CHRISTIAN ESTROSI
président de la région PACA
L’escapade québécoise
de Marine Le Pen
La présidente du FN part pour une semaine
au Canada et à Saint-Pierre-et-Miquelon
M
arine Le Pen a promis
de partir « à la rencontre des Français ». Y
compris ceux installés de l’autre
côté de l’Atlantique. La présidente
du FN s’est envolée, vendredi
18 mars, pour un voyage de près
d’une semaine, direction le Québec et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Au Canada, la députée européenne doit notamment rencontrer la communauté française, tenir une conférence de presse à
l’occasion de la Journée de la francophonie, visiter une usine du
constructeur aéronautique Bombardier, assister à un match de
hockey et conduire un traîneau à
chiens.
Le déplacement a été préparé
dans le plus grand secret. Mme Le
Pen garde un mauvais souvenir de
son voyage à New York, en 2011,
durant lequel elle avait joué au
chat et à la souris avec les médias,
et peiné à rencontrer des personnalités politiques et diplomatiques de premier plan. Depuis, elle
voyage à l’étranger sans journaliste. Une exception a été faite
cette fois, puisque Paris Match a
été invité à suivre la présidente du
FN, qui est accompagnée par son
compagnon Louis Aliot. Pas sûr
pour autant que ce dispositif léger
lui permette d’être reçue par des
responsables politiques locaux :
selon l’AFP, aucun élu ou parti politique n’a accepté de la rencontrer.
A
Saint-Pierre-et-Miquelon,
Mme Le Pen va par ailleurs entamer une tournée des collectivités
d’outre-mer qu’elle espère pouvoir mener à bien d’ici à la présidentielle. Si les dirigeants du FN se
félicitent du fait que leurs scores
décollent enfin dans certains départements, comme à La Réunion, ils reconnaissent que
d’autres constituent encore de véritables terres de mission.
Mme Le Pen, comme son père, n’a
jamais posé un pied en Guadeloupe ou en Martinique dans le cadre de ses fonctions à la tête du FN.
« Il y a un malentendu sur la question du racisme. Nous avons un
chantier important à mener en
amont d’un déplacement », assuret-on au FN. Avec ses 6 000 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon, au
large du Canada, ne représente en
cela qu’un échauffement. p
olivier faye
censée lui permettre de reconquérir ses électeurs d’autrefois récupérés depuis par le FN. Pourtant, au
milieu des nombreux mea culpa
exprimés dans son livre La France
pour la vie (Plon, 264 p., 18,90
euros), il se félicite d’avoir pratiqué
l’ouverture en 2007. « Si c’était à refaire, je referais le choix du rassemblement, car je crois sincèrement
qu’il y va de l’intérêt de la France
que le président ne se laisse enfermer ni par son parti ni par ses
amis », écrit-il.
« Débauchage »
Entre ses déclarations moqueuses
sur Emmanuel Macron et son inimitié avec François Bayrou, l’ancien chef de l’Etat ne se positionne
toutefois pas vraiment comme un
apôtre du rassemblement. Cela
n’empêche pas ses plus proches
amis de s’interroger. « J’essaie de le
convaincre d’un certain nombre de
choses. Il a été à un moment le
chantre de l’ouverture en 2007. Et
s’il y a bien un moment de la vie politique française où cela aurait du
sens, c’est maintenant », détaille
M. Estrosi, qui cite des personnalités comme M. Macron ou JeanYves Le Drian, « à 3 000 kilomètres
de Cécile Duflot et à 3,5 m de nous ».
Reste que cette tentation n’est
pour le moment qu’une illusion,
un rêve impossible à concrétiser
avec les institutions de la Ve Répu-
Les projets de loi
Macron et
El Khomri auraient
pu être soutenus
par LR, mais le jeu
des appareils a
imposé ses règles
blique. Depuis l’instauration du
quinquennat et l’inversion du calendrier, le président élu doit en effet rassembler son camp dès le soir
du second tour. « Les législatives
sont trop proches et la moindre
concession au programme adverse
serait sanctionnée comme une trahison de la campagne électorale,
analyse Patrick Devedjian, député
LR des Hauts-de-Seine. La seule solution est de faire du débauchage
de personnalités qui n’est qu’un casting gouvernemental ou de découpler les législatives de la présidentielle. » Le clivage d’une Assemblée
constituée sur une majorité présidentielle reprend vite le dessus.
Récemment, les projets de loi
Macron et El Khomri auraient
ainsi pu être soutenus par LR, mais
le jeu des appareils a imposé ses règles. Dans son livre, Et si on arrêtait
les conneries (avec Hervé Algalarrondo, Fayard, 198 p., 17 euros), Da-
niel Cohn-Bendit estime que le salut se trouve dans l’instauration de
la proportionnelle. « Le second
tour se fera face à Marine Le Pen. Le
président élu n’aura pas une majorité positive mais une majorité contre le FN, comme François Hollande
l’avait eue contre Nicolas Sarkozy. Il
lui faudra donc accepter de trouver
une majorité en dehors de sa famille politique. Et ce n’est possible
qu’avec la proportionnelle, qui
oblige à des compromis », affirme
au Monde le député européen.
L’équipe de M. Juppé reste totalement opposée à une modification du scrutin législatif. M. Apparu imagine plutôt des désistements mutuels en cas de triangulaires face au FN. L’abandon du
« ni-ni » pourrait amener, selon
lui, de meilleures relations à l’Assemblée. « Ça peut générer quelque chose », plaide-t-il.
Au-delà des institutions, reste
l’éternelle faille politique de
l’ouverture. « La vraie difficulté
dans l’idée d’une telle recomposition est que vous instituez le fait
que le FN est la seule alternance
possible. Nous avons besoin d’un
combat idéologique face au PS et
leur tropisme libéral n’est pas une
bonne nouvelle pour nous », conclut Gérald Darmanin, vice-président du Conseil régional de NordPas-de-Calais-Picardie. p
m. gr
Sivens : le gendarme
placé sous le statut
de témoin assisté
Un bailleur social
condamné pour
discrimination raciale
Le bailleur social d’Ile-deFrance, Logirep, a été condamné, vendredi 18 mars,
en appel à Versailles, pour
« fichage ethnique » de ses
locataires et discrimination
raciale à l’encontre d’un candidat qui s’était vu refuser un
appartement au motif qu’il
était noir. Il a été condamné
à 20 000 euros d’amende
pour « fichage ethnique » et à
25 000 euros pour « discrimination », un délit pour lequel
il avait été relaxé en première
instance.
Calais : l’incendie
du centre juridique,
un acte « criminel »
Selon le bâtonnier de Lille,
Vincent Potié, l’incendie du
centre juridique situé dans la
« jungle » de Calais et qui
avait été épargné par le démantèlement est un acte
« criminel » : « On a un témoin
qui a vu un monsieur s’approcher, jeter quelque chose et
partir en courant. » – (AFP.)
L’UDI et Les Républicains en instance de divorce
Jean-Christophe Lagarde a demandé aux adhérents de son parti, qui tient son congrès
dimanche à Versailles, de refuser de participer à la primaire de la droite et du centre
Q
uand le parti Les Républicains (LR) s’est accordé
sur le principe d’une primaire ouverte pour désigner son candidat à la présidentielle, il allait de soi que le processus devait intégrer les centristes,
afin qu’un seul candidat se présente en 2017 pour ne pas risquer
une élimination dès le premier
tour face au FN et au PS. D’où l’appellation de « primaire de la
droite et du centre ». Mais pour
l’instant, la primaire ne concerne
que la droite car l’UDI refuse de
participer au scrutin des 20 et
27 novembre.
Le président du parti centriste,
Jean-Christophe Lagarde, a appelé
les militants de son mouvement
à se prononcer en faveur du boycottage de la primaire tant qu’un
accord programmatique, gouvernemental et législatif ne sera pas
conclu avec LR. Pour une fois,
Hervé Morin se situe sur la même
ligne que son rival interne. « Il est
naturel et normal que l’UDI refuse
– pour l’instant – de participer à la
primaire », déclare le président du
Nouveau centre, une des composantes de l’UDI, dans un entretien
au Monde.fr. La position des dirigeants centristes devrait être sui-
vie par les 23 000 adhérents de
l’UDI, qui votent de mardi à samedi soir sur Internet. Les résultats seront proclamés lors du congrès du parti centriste, dimanche
20 mars, à Versailles.
LR en ordre dispersé
Dans un courrier envoyé le 18 janvier à Nicolas Sarkozy et à des personnalités LR, notamment Alain
Juppé, M. Lagarde réclamait que
les deux partis signent un accord
sur des priorités communes (Europe, réduction de la dette), un accord de gouvernement (indépendance idéologique de l’UDI dans
la future majorité) et un accord
sur les investitures pour les législatives de l’ordre de ce qui avait
été négocié sur les listes des régionales (entre 25 % et 35 %).
Mais M. Lagarde n’a toujours
pas obtenu de réponse de la part
de M. Sarkozy et estime qu’il subit depuis des semaines les divergences de la droite : « C’est chez
eux qu’il y a le bordel. Je ne peux
pas gérer leurs difficultés. » Il a en
partie raison. Tiraillée par les ambitions présidentielles, LR a
avancé en ordre dispersé.
S’il ne veut surtout pas d’une alliance programmatique avant la
« Je ne fermerai
jamais la porte
à la discussion,
mais je la
fermerai toujours
à la soumission »
JEAN-CHRISTOPHE LAGARDE
président de l’UDI
primaire, M. Sarkozy était en revanche prêt à avancer sur la question des investitures. Mais il devait prendre en compte les réticences des candidats à la primaire, qui ne souhaitent pas que
les investitures soient attribuées
avant l’été. Le 7 mars, M. Juppé
s’est dit disposé à nouer un accord programmatique mais refuse que les investitures soient
avancées car il estime que le vainqueur de la primaire constituera
sa future majorité. « Juppé n’a
pas envie de se retrouver avec
30 ou 40 députés frondeurs,
comme c’est le cas pour Hollande », explique un proche du
maire de Bordeaux.
Reste qu’un vote négatif des adhérents de l’UDI n’enterrerait pas
définitivement la possibilité
d’un accord. « Je ne fermerai jamais la porte à la discussion mais
je la fermerai toujours à la soumission », confie M. Lagarde, précisant que les adhérents de son
parti pourraient être amenés à
revoter si jamais LR retend la
main. L’autre option est d’attendre l’issue de la primaire et de
commencer à négocier avec le
vainqueur à la fin de l’année.
« La messe n’est pas dite, juge
M. Morin. Nous avons largement
le temps de trouver un accord
avec LR. »
D’autant que la perspective de
voir un candidat UDI se lancer
dans l’élection présidentielle
n’enchante personne à droite.
Surtout M. Sarkozy, qui devra déjà
composer avec la concurrence de
François Bayrou – allié avec
M. Juppé – s’il remporte la primaire. « Les centristes doivent bien
réfléchir avant de prendre ce risque, prévient le député sarkozyste
Daniel Fasquelle. Tout le monde a
en tête ce qu’il s’est passé en 2002 à
gauche, quand Jospin n’avait pas
passé le premier tour à cause de
Christiane Taubira. » p
matthieu goar
et alexandre lemarié
10 |
GÉOPOLITIQUE
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Israël
La filière américaine
des colonies
piotr smolar
jérusalem - correspondant
E
lle avance pieds nus sur le sol
glacial de son mobil-home, indifférente au vent qui rabat la
porte d’entrée. Elle enlace ses
enfants puis les laisse partir. Ils
s’éloignent sous un ciel orangé,
d’une profondeur presque inquiétante, pour
rejoindre des amis. On fête un anniversaire.
Matti Blumberg, 27 ans, prépare du thé. Le
générateur bourdonne, un chien aboie, au
loin. Le Massachusetts, où la jeune Américaine est née, semble si loin. Les vignes étendent leurs pieds sur les coteaux. Sur la colline
d’Esh Kodesh, la nature domine les hommes.
Mais les maisons en dur sortent peu à peu de
la terre rocailleuse.
Nous sommes sur l’un des cent avant-postes juifs en Cisjordanie, près de la colonie de
Shilo. Les tensions sont fréquentes avec les
villageois palestiniens voisins. Un avantposte, c’est de l’illégalité au carré. Même le
gouvernement israélien ne reconnaît pas ces
communautés sauvages qui croissent autour
d’une poignée de caravanes ou d’habitations
de fortune, tout en les aidant souvent sur le
plan matériel. Au milieu d’Esh Kodesh, il y a
une tour. Des soldats israéliens y font le guet,
jour et nuit, symbole d’une duplicité d’Etat.
Ne pas voir les colons, refuser de les écouter
et d’examiner les bornes de leur circuit idéologique fermé, c’est l’assurance de ne pas
comprendre la mutation d’Israël. Lorsque
Yitzhak Rabin a été assassiné en 1995, ils
étaient 140 000. « Un cancer », estimait déjà
en privé le premier ministre, visionnaire,
en 1977. Ils sont aujourd’hui près de 380 000,
sans compter ceux de Jérusalem-Est. Leur
poids politique – notamment dans le gouvernement actuel, le plus à droite de l’histoire
du pays –, leurs relais, leur influence financière sont sans précédent. Personne, excepté
une partie ultra-minoritaire de la gauche,
n’envisage l’éviction de cette population. Fait
remarquable : parmi eux, environ 15 % viennent des Etats-Unis, premier allié d’Israël,
protecteur militaire, parapluie diplomatique. Soit des dizaines de milliers de personnes qui participent à la colonisation de la
Cisjordanie, projet illégal au regard du droit
international, compromettant toute solution politique au conflit.
Matti Blumberg semble étrangère à tout
questionnement culpabilisant. Fille d’une
prof de karaté et d’un cadre du high-tech, elle
Parmi les 380 000 juifs implantés illégalement en Cisjordanie,
60 000 viendraient des Etats-Unis. Si ces colons ont traversé
l’Atlantique avec un idéal de vie commun, certains ont basculé
dans la violence et le sionisme religieux
n’a que 8 ans lorsque la famille fait son alya.
Les débuts sont pénibles. « Je me sentais différente, décalée. On se moquait de mon accent »,
se souvient-elle. A 17 ans, elle décide de se
marier avec un ami de son frère. Ils ont trois
enfants, se séparent. Il y a quatre ans, la jeune
femme s’installe à Esh Kodesh. « Il n’y avait
alors que douze familles, il fallait faire grandir
la communauté, dit-elle. C’est notre idéologie,
notre mission, la croyance que Dieu nous a
donné cette terre et qu’on doit la cultiver. »
« TERRORISME JUIF »
CONTRAIREMENT
AUX JUIFS
EUROPÉENS, QUI
FUIENT LA MONTÉE
DE L’ANTISÉMITISME,
LES JUIFS
AMÉRICAINS FONT
UN CHOIX
QUI RELÈVE
DE L’ENGAGEMENT
Petite femme menue au piercing dans le nez,
Matti Blumberg fait des études de psychologie dans la colonie d’Ariel. Elle s’occupe aussi
des questions administratives à Esh Kodesh.
Elle est divorcée ; une rareté, dans ce milieu
conservateur et religieux. Elle a demandé un
permis de port d’arme pour se sentir plus en
sécurité. « On me l’a refusé. On doit croire que
je suis trop à droite », rit-elle. Les Palestiniens ? « Ils veulent nous tuer, pas obtenir un
Etat. Ils ont déjà eu tellement d’occasions de
l’avoir ! On a gagné la guerre, cette terre nous
appartient. Pourquoi ne dit-on pas clairement
que nous avons conquis la Judée-Samarie
[appellation biblique de la Cisjordanie] ? Si un
Etat arabe veut les accueillir, on devrait les
aider à déménager. »
« Terrorisme juif » : elle ne cille pas quand
on prononce ces mots. « Il n’y a pas tant de terreur israélienne. Je peux comprendre d’où elle
vient. » La jeunesse des collines radicalisée,
ces dizaines de jeunes juifs en rupture totale,
ne reconnaissant même pas l’Etat israélien ?
« Ils ne dérangent personne, c’est comme une
cabane d’enfants dans un arbre, assure-t-elle.
Les autorités ne devraient pas les considérer
comme des ennemis. » Le 31 juillet 2015, dans
le village de Douma, près de Naplouse, le
foyer d’une famille palestinienne a été volontairement incendié. Un bébé de 18 mois est
mort, ses parents aussi. Amiram Ben-Uliel,
21 ans, a été inculpé pour les trois meurtres.
Un mineur de 17 ans a été accusé de
complicité et de conspiration. Il a la nationalité américaine. Deux jours après l’incendie,
les autorités ont également arrêté Meir Ettinger, idéologue de la « jeunesse des collines »,
mouvance messianique extrémiste. A 24 ans,
il est le petit-fils du rabbin américain Meir
Kahane, fondateur du mouvement raciste
Kach (interdit en Israël en 1994). Depuis le
mois d’août, le jeune homme est en détention administrative, un régime habituellement réservé aux Palestiniens.
La presse israélienne s’est interrogée sur la
proportion d’Anglo-Saxons parmi ces extrémistes juifs violents. Ce n’est pas la première
fois que des Américains apparaissent dans
cette rubrique. Le 25 février 1994, Baruch
Goldstein, un colon né à Brooklyn, massacra
29 Palestiniens dans le caveau des Patriarches, à Hébron. Dès les années 1980, le
Jewish Underground, organisation terroriste
juive issue du mouvement des colons, avait
organisé des attentats à la voiture piégée
contre deux maires palestiniens. L’un de ses
membres était américain.
C’est à cette époque que le professeur Chaim
Waxman s’intéressa aux colons d’outre-Atlantique. Il voulait vérifier la réalité de leur réputation, qui les associait souvent à la violence. Le professeur sillonna la Cisjordanie et
la bande de Gaza, pénétra dans plus de cent
foyers. Il découvrit une réalité bien plus nuancée. « Dans une très grande majorité, ces Américains étaient venus pour des raisons sociales
et non politiques, dit-il. Ils cherchaient une
communauté homogène, religieuse, pour élever leurs enfants. Je leur demandais systématiquement : si une telle communauté existait à
l’intérieur de la ligne verte [ligne de démarcation de 1949], y vivriez-vous ? A une écrasante
majorité, c’était oui. » Chaim Waxman souligne qu’à l’époque, la direction du Goush
Emounim, le mouvement messianique parti
Le financement, un tabou politique absolu
combien coûtent les colonies
chaque année ? Personne ne le sait, et
le gouvernement israélien s’en félicite. Leur financement profite d’une
opacité jalousement entretenue. Elle
concerne à la fois les fonds publics,
qui transitent par la division des
colonies au sein de l’Organisation
sioniste mondiale (OSM), et l’argent
privé transféré par des fondations et
des instituts sis outre-Atlantique.
Sur le premier point, une députée
travailliste, Stav Shaffir, a œuvré
pour plus de transparence. Des
progrès ont été accomplis. « L’OSM,
organisme semi-public, a un budget
officiel de seulement 52 millions de
shekels [12 millions d’euros] pour développer les communautés dans les
périphéries défavorisées, dit-elle. En
fait, j’ai découvert que 74 % des fonds
allaient dans les colonies, y compris
les avant-postes. Les sommes réellement à disposition sont bien plus
considérables. Par les transferts budgétaires décidés en commission des
finances à la Knesset, ils ont en réalité
un demi-milliard de shekels [115 millions d’euros] par an. Les colons, avec
l’aide du gouvernement, ont créé des
voies secrètes et illégales pour détourner l’argent des contribuables. »
Concernant les financements en
provenance des Etats-Unis, la pression monte pour mettre un terme
aux privilèges fiscaux dont bénéficient les donateurs. A la mi-décembre 2015, une plainte a été déposée
contre l’administration fiscale par
trois binationaux. Le Trésor est accusé d’avoir « fermé les yeux sur la
conduite criminelle » de 150 organisations impliquées dans le financement des colonies, et responsables à
ce titre d’expropriations, de destructions, de meurtres et d’incendies volontaires. Selon la plainte, 1 milliard
de dollars (900 millions d’euros)
seraient ainsi rassemblés chaque année, dont un dixième destiné à l’armée israélienne. Des chiffres invérifiables. Une autre plainte a été déposée, le 7 mars, réclamant 34,5 milliards de dollars aux financiers des
colonies. Ces démarches, dont les
chances de succès paraissent faibles,
posent néanmoins des questions
embarrassantes. Les Etats-Unis ont
plusieurs fois déclaré les colonisations illégales et obstacle majeur à la
paix. Cela n’a pas empêché le ministère de la défense israélien d’annoncer, le 15 mars, quelques jours après
la visite du vice-président américain Joe Biden, avoir saisi 234 hectares de terrain « déclarés terre
d’Israël », dans la vallée du Jourdain,
soit l’une des plus importantes prises de possession dans cette région
stratégique de Cisjordanie.
Des fonds en augmentation
En Israël comme aux Etats-Unis, ce
sujet reste un tabou politique absolu.
Du 20 au 22 mars a lieu la conférence
annuelle de l’Aipac (American Israel
Public Affairs Committee), lobby
pro-israélien qui veille aux rapports
étroits entre les deux pays. C’est un
rendez-vous politique incontournable. En 2010, le New York Times
avait identifié 40 groupes ayant récolté plus de 200 millions de dollars
en dix ans pour financer les colonies, en bénéficiant de déductions
fiscales. Dans une enquête publiée
début décembre 2015, le quotidien
Haaretz a établi qu’entre 2009 et 2013,
plus de 280 millions de dollars ont été
levés aux Etats-Unis par 50 organisations pour financer les activités des
colonies. Construction de synagogues
et d’écoles religieuses, de routes et de
terrains de jeux, mais aussi rachat de
maisons palestiniennes dans des
quartiers arabes de Jérusalem-Est, ou
soutien aux familles d’extrémistes
juifs : chaque année, depuis 2009, les
fonds levés ont augmenté.
Or ces organismes dits de charité
ont bénéficié de déductions fiscales.
Les colonies ne figurent pas sur la liste
noire des causes auxquelles il est interdit de donner. Haaretz rappelle que
l’administration américaine ne dispose pas d’informations complètes
sur la destination des fonds. Les organisations se contentent d’écrire
« Moyen-Orient » dans les formulaires.
C’est ainsi qu’émerge un paradoxe
étonnant : le contribuable américain
finance indirectement les colonies,
que les présidents successifs, démocrates et républicains, dénoncent sur
le principe depuis des décennies. p
p. sm. (jérusalem, correspondant)
à la conquête de la « Judée-Samarie », « tenait
les colons américains à l’écart, car ils étaient
considérés comme trop ouverts, pas assez
idéologiques et dédiés à la cause ».
Chaim Waxman fut le premier à affirmer
que ces Américains représentaient 15 % de la
population des colons. Aujourd’hui, une
jeune chercheuse, Sara Hirschhorn, de l’université d’Oxford, s’apprête à publier un livre
sur l’histoire de ces immigrants depuis 1967
en Cisjordanie. Elle estime leur nombre à
60 000. Elle dit s’appuyer sur plusieurs sources, dont le consulat américain à Jérusalem.
Contacté, celui-ci se refuse à confirmer le
moindre chiffre. Les Français, eux, sont 9 000
à être enregistrés. Comme Chaim Waxman,
Sara Hirschhorn veut écarter « les stéréotypes
sur les colons américains, qui brûleraient des
oliviers et se baladeraient avec des AK-47. La
vraie histoire est plus complexe ». Selon la chercheuse, la première génération des arrivants
était « à 95 % démocrate. Ils soutenaient le
mouvement pour les droits civiques aux EtatsUnis, s’opposaient à la guerre au Vietnam. Ils
étaient plus proches des hippies que des néoconservateurs. Aujourd’hui, ils viennent avec
des familles plus larges et sont plus religieux ».
L’adhésion massive au camp républicain ne
daterait que de la dernière décennie.
REGARDER LA FINALE DU SUPER BOWL
Contrairement aux juifs européens, qui fuient
souvent la montée de l’antisémitisme, les
juifs américains font un choix positif, qui relève de l’engagement. L’esprit pionnier, du
Far West au Middle East, et le sionisme religieux se nourrissent mutuellement. « Ce sont
des personnes fortement idéologisées, explique Sara Hirschhorn. Alors que de nombreux
colons israéliens sont d’abord motivés par un
logement moins cher, eux franchissent l’océan
parce qu’ils cherchent un mode de vie, une
forme de communauté. » Beaucoup pourtant
essaient de retrouver un environnement familier. Ils s’installent à la sortie de Jérusalem,
dans le bloc de colonies du Goush Etzion, et
notamment à Efrat, créée par un rabbin orthodoxe de New York, Shlomo Riskin. La
proximité de la Ville sainte, les grands axes
routiers, les centres commerciaux, le décor
de banlieue aux allées soignées : un confort à
prix raisonnable, en somme, malgré les attaques palestiniennes régulières.
David Goel, 34 ans, est un grand barbu affable. S’il connaissait le rugby, il serait troisièmeligne. Lui se lève la nuit pour regarder le Super
Bowl, la finale du championnat de football
américain. Sa casquette est devenue son signe
distinctif, qu’il arbore par tous les temps.
David est arrivé en Israël après le lycée avec un
ami. Ils cherchaient l’aventure, fuyaient la
normalité. La période était sombre. La seconde Intifada commençait. Ils échappent de
peu à l’explosion d’un bus, pensent à repartir.
Et puis les deux jeunes hommes, qui ne
parlent pas un mot d’hébreu, se rendent dans
un poste de police. « Donnez-nous une arme ! »
Ils veulent se porter volontaires. Refus.
Motivés, ils intègrent une école religieuse
dans la colonie de Shilo, avec un programme
militaire, puis font leur service. « Il n’y avait
pas de volontaires américains. On nous regardait comme des cinglés, surtout les laïques. »
Un bref retour aux Etats-Unis convainc David :
sa vie sera en Israël. Il y rencontre sa femme,
étudie l’architecture. Il s’installe à Shilo, où il
commence à travailler comme agent de sécurité. Aujourd’hui, il dirige le centre de
géopolitique | 11
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Esh Kodesh, un avant-poste de la colonie de Shilo, en Cisjordanie.
Matti Blumberg, 27 ans, avec l’un de ses enfants. Cette Américaine,
née dans le Massachusetts, est arrivée en Israël à l’âge de 8 ans.
Matti Blumberg vit avec ses trois enfants dans ce mobil-home d’Esh Kodesh. La jeune divorcée s’est installée ici, il y a quatre ans,
pour « faire grandir la communauté ».
commandement pour toute la région de
Benyamin. Les appels d’urgence passent par
ici. Un mur d’écrans et d’ordinateurs permet
de surveiller les axes stratégiques. En cas de
crise, David Goel coordonne la réponse avec
les militaires et les ambulances. Son équipe a
créé une application inédite pour portables,
servant à repérer à tout moment l’emplacement des abonnés sur la route ou ailleurs.
« PATRIOTE ISRAÉLIEN »
« Je suis très patriote, dit-il. Mon patriotisme
américain m’a aidé à devenir patriote israélien. Dans le Sud, où j’ai grandi, la Constitution est comme un texte saint. » David Goel
est un colon comme un autre : il ne croit pas
à la solution de deux Etats, avec les Palestiniens. « Si vous me disiez : demain, il y a une
solution pour qu’aucun juif ne meure, je déménagerais à Haïfa ou à Tel-Aviv. Mais c’est
impossible. Les Palestiniens devraient devenir
citoyens israéliens avec le droit de vote.
Comme américain, je considère qu’il n’y a pas
de taxation sans représentation. Il faut leur
donner leurs droits. » Mais pas d’Etat.
Tellement divers, les colons américains n’ont
pas de porte-parole particulier dans la sphère
publique. Naftali Bennett, le leader du parti extrémiste le Foyer juif, né de parents américains, est évidemment un relais important. On
retrouve aussi des binationaux auprès des institutions qui représentent les colons : ils sont
la voix avenante et polyglotte d’un projet niant
les droits palestiniens sur la terre. Mais, dans
l’ensemble, cette communauté américaine se
fond dans la masse des colons, sans chercher à
faire entendre une partition décalée.
David Ben-Meir en est un bon exemple. Né à
Chicago dans un foyer très religieux, d’un père
enseignant, survivant de la Shoah, et d’une
mère déportée en Sibérie, il décide de partir
en Israël après le lycée. « J’ai grandi aux EtatsUnis, mais je ne me sentais pas américain. Je
suis très reconnaissant à ce pays de m’avoir accueilli. Je n’avais jamais été en Israël avant mon
arrivée, en 1975. Je me suis senti chez moi, malgré la différence culturelle. C’était ma façon de
vivre mes croyances, plutôt que d’être un idéologue dans une chaise à bascule. »
Arrivé avec sa femme, rencontrée au lycée,
il déménage souvent, avant de finir par s’installer dans la colonie d’Elie (3 800 habitants),
il y a onze ans. David Ben-Meir est chargé de
la formation religieuse des jeunes colons qui
ont fini l’armée : l’apprentissage du Talmud
et la discussion de son sens. Dans la grande
salle d’études, les têtes sont inclinées devant
des rangées de livres. Certains psalmodient
dans un murmure, d’autres s’isolent avec des
écouteurs d’iPhone.
Le rabbin ne part jamais en vacances, n’a
pas de voiture et revendique comme seule richesse ses neuf enfants et ses livres. Il a une
passion pour la guerre civile américaine.
Doté d’un solide sens de l’humour – il pose un
instant pour la photographe du Monde en
mettant les bras en croix –, c’est d’abord un
promoteur redoutable des colonies, jonglant
avec l’Histoire et les références religieuses. « Il
y aura à la fin un seul Etat ici, Israël. Les Arabes
seront une minorité avec au départ le titre de
résident, le droit de vote aux élections locales.
La citoyenneté se mérite, se demande, on ne
peut la donner à celui qui veut nous détruire. »
L’expropriation des terres palestiniennes ? Un
malentendu juridique, à l’en croire. « On a pris
la terre qui était sans définition. »
« UNE EXISTENCE JUIVE PLUS INTENSE »
David Ben-Meir n’a jamais voté aux élections
américaines. Il ne se sent pas engagé par le
destin de ce pays. Ses enfants n’ont pas appris
l’anglais. Elie Pieprz, lui, serait l’exemple inverse. Son hébreu est balbutiant. Il continue
à travailler entre les Etats-Unis et Israël, tout
en vivant dans la colonie d’Alon Shvout, dans
le bloc du Goush Etzion. Elie Pieprz a été jusqu’en 2015 porte-parole du conseil de Yesha,
l’instance représentant les colons. Sa trajectoire professionnelle, aux Etats-Unis, l’a
conduit à faire du lobbying et du conseil. Par
exemple, cite-t-il, auprès du maire de New
York, Rudolph Giuliani, lors de sa première
élection. Puis il a emménagé à Seattle, où il
s’est familiarisé avec le secteur de l’immobilier et a travaillé pour Microsoft. Son départ
Mer
Méditerranée
Naplouse
CISJORDANIE
Ariel
Tel-Aviv
Shilo
Esh
Ramallah
Jérusalem
Kodesh
Efrat
GAZA
Hébron
ISRAËL
Mer
Morte
JORDANIE
Tanya Habjouqa
Membre fondateur
du collectif Rawiya,
qui regroupe
six femmes
photographes basées
au Moyen-Orient,
Tanya Habjouqa, née
en 1975 en Jordanie, a
couvert les conflits
irakien et libanais
ainsi que la guerre au
Darfour. Elle a reçu,
en 2014, un World
Press Award pour
sa série « Occupied
Pleasures » retraçant
des moments
particuliers de la vie
quotidienne à
Jérusalem, à Gaza
et en Cisjordanie.
« J’aime travailler sur
le long terme, dit-elle,
je soutiens que
les bons journalistes
sont aussi de bons
anthropologues. »
Depuis 2009, elle
habite Jérusalem-Est.
Jourd ain
PHOTOS : TANYA HABJOUQA POUR « LE MONDE »
15 km
vers Israël correspond au désir d’« avoir une
existence juive plus intense ».
Elie Pieprz est maintenant consultant. Il
aide des organisations américaines et des entrepreneurs privés à monter des séjours de
travail en Israël. La politique israélienne, promis, il n’y touche pas. Mais en 2012, la presse
israélienne a parlé de lui en raison de la campagne « I Vote Israel », dont il fut l’animateur.
Il s’agissait de recenser et de mobiliser les
électeurs binationaux pour la présidentielle
américaine et de désigner le maximum
d’élus pro-Israéliens au Congrès. L’opacité du
financement fut telle que beaucoup y ont vu
une opération républicaine, ce que nie Elie
Pieprz. Il a pourtant des liens étroits avec la
droite américaine, sans s’impliquer toutefois
cette année dans une opération similaire.
« On voulait que ces citoyens américains gardent une connexion avec les Etats-Unis, assure-t-il, car c’est bon pour les relations bilatérales. En ayant beaucoup d’électeurs dans certains districts, comme à New York ou dans le
New Jersey, Israël n’est plus une question de politique étrangère mais de politique intérieure. »
L’idée principale, ici comme dans son pays
d’origine, est de défendre le droit des juifs à
vivre et à construire partout. « Considérer notre présence comme un obstacle à la paix est
ridicule, dit-il, en dépit de l’évidence contraire. Il n’y avait pratiquement rien avant que les
juifs n’arrivent en Judée-Samarie. » p
12 | géopolitique
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Une journée ordinaire
sur la route des Balkans
Le 14 mars 2016
Chaque jour, des milliers de réfugiés tentent de rallier l’Europe
occidentale, passant par de nouveaux chemins au gré
des vicissitudes politiques. Instantané en date du lundi 14 mars
50 000 MIGRANTS ENGAGÉS
DANS UNE ODYSSÉE PÉRILLEUSE...
La route des Balkans, principal couloir
migratoire toléré par les Etats,
dont portion considérée comme fermée depuis
mars 2016
XX Migrants entrés dans le pays, ayant traversé
la frontière
E S P A C E
S C H E N G E N
ALLEMAGNE
Destination privilégiée des
migrants, l’Allemagne a été priée
par l’Autriche d’instaurer à son tour
des quotas de réfugiés
pour les dissuader de se lancer
sur la route des Balkans
Risques (bulletin météorologique du 14 mars)
de noyade, forts vents et mer très agitée
d’hypothermie, basses températures
fortes pluies, rivières en crue à traverser
sanitaires, forte concentration humaine
Vers l’Allemagne
et les pays scandinaves
... BLOQUÉS PAR DES ÉTATS QUI ONT
VERROUILLÉ LEURS FRONTIÈRES...
Frontière fermée aux migrants depuis mars
2016, sauf exception « humanitaire » et
demandeurs d’asile dans le pays concerné
AUTRICHE
211
HONGRIE
384
Barrière anti-migrants construite depuis
août 2015
0
Barrière envisagée
51
SLOVÉNIE
ROUMANIE
Barrière installée avant 2015
XX Pays instaurant des quotas journaliers
de migrants autorisés à passer
267
CROATIE
0
HONGRIE - SLOVÉNIE
SERBIE
NOMBRE DE MIGRANTS ENTRÉS,
PAR JOUR, EN MILLIERS
Route migratoire alternative, peu empruntée,
pouvant enregistrer un report massif des flux
détournés de la route des Balkans
2 000
BOSNIEHERZÉGOVINE
... ET PIÉGÉS EN GRÈCE
Iles grecques situées à quelques kilomètres
de la Turquie, premiers points d’entrée
dans l’espace européen
15
2
1
Hongrie
Slovénie
BULGARIE
0
MONTÉNÉGRO
MACÉDOINE
3
5
4
24 AOÛT 2015
14 MARS 2016
Confrontée durant l’été à un afflux migratoire
majeur, la Hongrie décide de fermer
sa frontière avec la Serbie (1), ce qui entraîne
un report du flux vers la Croatie, avant
de bloquer également sa frontière avec
ce pays. Les arrivées chutent en Hongrie.
Les migrants se dirigent alors massivement
vers la Slovénie (2). Lorsque l’Autriche décide
d’appliquer des quotas journaliers,
la Slovénie, qui craint de devenir le goulot
d’étranglement de la route des Balkans, fixe
à son tour des quotas (3). Elle décide ensuite
de verrouiller sa frontière (4), sauf pour les cas
« humanitaires » et pour ceux qui souhaitent
lui demander l’asile.
Idomeni, village frontalier accueillant un camp
de fortune, goulot d’étranglement
1 345
0
267
Istanbul
Idomeni
ITALIE
0
Frontière de l’espace Schengen de libre
circulation des personnes
79 migrants
renvoyés en Macédoine
par la Serbie
KOSOVO
10
Mer Noire
Migrants présents dans le pays, en attente
de poursuivre leur route
ALBANIE
Pouilles
Mer
Egée
GRÈCE
E S P A C E
S C H E N G E N
AUTRICHE
NOMBRE DE MIGRANTS ENTRÉS,
PAR JOUR, EN MILLIERS
1
LESBOS
44 500
TURQUIE
CHIO
Plus de 12 000 migrants attendent
de poursuivre leur route dans un
camp de fortune surpeuplé.
Ce 14 mars, plusieurs centaines
d’entre eux tentent de contourner
le blocus mis en place par
la Macédoine. 1 500 y parviennent
avant d’être interceptés et refoulés
en Grèce. Trois Afghans meurent
noyés sans une rivière gonflée
par les fortes pluies.
AthènesLe Pirée
En provenance d’Irak,
d’Afghanistan, d’Iran
4 228
SAMOS
COS
661 migrants
interceptés ou secourus
SYRIE
15
2
LIBAN
10
Mer Méditerranée
5
3
JORDANIE
0
24 AOÛT 2015
14 MARS 2016
Après avoir accueilli, à l’instar de l’Allemagne,
des milliers de migrants et avoir connu
des afflux record (1), Vienne durcit le ton.
D’abord en rétablissant (2) les contrôles
à ses frontières, puis en fixant un quota
d’entrées (3). Une décision qui entraîne
une réaction en chaîne en Slovénie, Croatie,
Serbie et Macédoine.
L
e nom sonne comme une réminiscence des années 1990, celles de
l’exil forcé de centaines de milliers
de civils yougoslaves fuyant les
guerres de la région. Vingt ans plus
tard, les familles syriennes ou
afghanes portant enfants et bagages les ont
remplacés. La route des Balkans est à nouveau
synonyme d’exil et d’incertitudes.
Dans la foulée des « printemps arabes »,
en 2011, l’Europe a les yeux braqués sur la Méditerranée du Sud et les drames qui se jouent à
Melilla ou au large de Lampedusa. Les noms
d’Idomeni, Lesbos ou Keleti, la gare de Budapest, ne sont pas encore devenus les symboles
de l’immense crise migratoire à venir.
Pourtant, quelques centaines de personnes
empruntent déjà la route des Balkans. Venus
du Maghreb ou du Moyen-Orient, les migrants
En provenance d’Afrique
subsaharienne
100 km
SOURCES : UNHCR ; AFP ; LE MONDE
rallient Istanbul, avant de traverser le fleuve
Evros, frontière naturelle entre la Turquie et la
Grèce, et de s’éparpiller sur les voies conduisant à l’Europe occidentale. Ils s’y mêlent aux
Albanais et aux Kosovars, depuis longtemps
familiers de ces passages.
SE DÉBARRASSER DES INTRUS
Les Etats balkaniques n’ont alors qu’un objectif : se débarrasser, vite et discrètement, des intrus. En Macédoine, les transports publics sont
interdits aux migrants, désormais contraints
de se déplacer à pied, mais les refoulements à
la frontière et les arrestations restent rares.
L’afflux de réfugiés venus de Syrie change la
donne. Selon l’Agence des Nations unies pour
les réfugiés, 856 723 migrants ont débarqué
en 2015 sur les côtes grecques – Syriens à
55,2 %, Afghans à 24,7 % et Irakiens à 10,8 %. Les
naufrages en mer Egée sont quotidiens, des
camps de fortune éclosent dans les Balkans.
Le problème devient européen, et la route
des Balkans va subir le contrecoup des politiques successives adoptées par les pays de
destination. En septembre 2015, quand l’Allemagne ouvre ses portes, jusqu’à 20 000 personnes transitent chaque jour par les Balkans,
en bus ou dans des trains spéciaux. A l’inverse, la décision de l’Autriche, en février 2016,
de n’accueillir que 80 personnes par jour et de
n’en laisser passer que 3 200 provoque un
engorgement dans le sud-est de l’Europe.
Au gré de ces revirements, la route se fait entonnoir ou cul-de-sac. Quand, fin août 2015, la
Hongrie ferme sa frontière avec la Serbie et y
érige une clôture, les migrants se reportent
sur le passage par la Croatie. Puis c’est au tour
de la Slovénie de faire face à l’afflux. Le 9 mars,
celle-ci ferme ses portes. Dans le même temps,
les Etats des Balkans s’accordent pour bloquer
presque intégralement la frontière gréco-macédonienne. C’est désormais à la seule Grèce,
où près de 50 000 personnes se retrouvent
piégées, d’assumer le fardeau. En attendant
une solution européenne qui tarde à venir.
Des anciens passages ont depuis rouvert :
Bulgarie, Roumanie, Albanie…, voire le passage par mer vers les Pouilles. Cette perspective inquiète l’Italien Matteo Renzi ou le
Bulgare Boïko Borissov. Ce dernier a prévenu
la presse, avec une candeur déconcertante :
« Si vous continuez à leur demander s’ils
comptent passer par la Bulgarie, évidemment
qu’ils finiront par venir ! » p
benoît vitkine
carte : francesca fattori,
véronique malécot et delphine papin
géopolitique | 13
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Manuel
Cuesta Morua
«Obama est plus
populaire parmi
les Cubains
que les Castro»
Le président américain
est attendu à Cuba du 20 au 22 mars.
A l’occasion de cet événement
historique chargé d’espoir, le chef
du parti dissident Arc progressiste
explore les perspectives politiques
et économiques du pays
KCHO ESTUDIO
COURTESY GALERIE
LOUIS CARRÉ & CIE
ENTRETIEN
propos recueillis par
paulo a. paranagua
L’
historien afro-cubain Manuel
Cuesta Morua, 54 ans, est le
dirigeant du parti social-démocrate Arc progressiste et
l’une des références de l’opposition intérieure à Cuba.
Lors du sommet des Amériques, au Panama,
en avril 2015, il fut l’un des deux représentants de la société civile cubaine, encore
embryonnaire, reçus par Barack Obama.
Nous avons pu le joindre au téléphone à
La Havane, où il réside.
Quelle attente suscite la visite du président américain à Cuba, du 20 au 22 mars ?
La visite de Barack Obama a une énorme
portée symbolique : les Etats-Unis cessent
d’être l’ennemi historique dénoncé dans les
médias et le système éducatif de Cuba depuis cinquante-six ans. Dans la population,
l’attente est immense. Les Cubains attendent Obama comme le Messie, quelqu’un
qui a redonné du sens à l’espoir. Comme
l’avait demandé le pape Jean Paul II [en 1998],
les Etats-Unis se sont ouverts à Cuba, et réciproquement. Obama est plus populaire
parmi les Cubains que leurs propres dirigeants, Raul Castro [84 ans], ou même Fidel
Castro [89 ans].
Les expectatives vont de la solution des
problèmes de la vie quotidienne jusqu’à la
pleine réconciliation avec les Etats-Unis, où
vit un Cubain sur cinq. Notre société civile
estime que le dégel favorise le débat interne
sur les réformes nécessaires. L’embargo
américain doit être levé sans contrepartie.
Mais cette levée embarrasserait le gouvernement cubain, dont l’action manque de
profondeur et de cohérence. Sans l’excuse
d’une pression extérieure, il serait obligé de
reformuler son modèle économique.
JOE RAEDLE/AFP
Depuis le 17 décembre 2014, date
de l’annonce du rapprochement entre
les deux voisins ennemis de la guerre
froide, qu’est-ce qui a changé à Cuba ?
L’ambiance est plus détendue, la peur recule, les gens n’hésitent plus à exprimer
leurs opinions en public, même si nous sommes encore loin d’avoir une opinion publique digne de ce nom. La mise en œuvre des
changements annoncés est extrêmement
lente. Ainsi, à peine 11 contrats d’investissement étranger ont été approuvés par le gouvernement, sur 400 sollicitations, pourtant
considérées comme des priorités. On est
loin du compte en matière de sécurité juridique, droit de propriété, liberté d’embauche,
règlement des litiges.
La microentreprise bénéficie d’une ouverture, avec la multiplication de restaurants,
l’hébergement de touristes à domicile, les
services informatiques, la téléphonie mobile ou encore les taxis privés. Mais les
autoentrepreneurs et les travailleurs indépendants souffrent de la pression d’impôts
confiscatoires, qui limitent l’initiative privée. Dans les périphéries urbaines, ces opportunités n’existent pas. Faute de voitures
ou de logements pour les touristes, la communauté afro-cubaine est la grande perdante de l’ouverture. Les vendeurs ambulants, souvent noirs, sont harcelés par les policiers. Le bien-être croissant d’une minorité
s’accompagne de plus de pauvreté pour la
majorité, surtout pour les populations
vulnérables comme celle des retraités. Cela
signifie davantage d’inégalités.
Depuis que Raul Castro a pris le relais
de Fidel Castro, en 2006, quels sont
les changements positifs ?
L’achat et la vente autorisés dans l’immobilier ont un impact sur les droits civiques et
sur l’économie, car ils génèrent de la richesse. De même, l’achat et la vente de voitures, après des décennies d’attributions discrétionnaires et de restrictions. La liberté
pour les Cubains d’entrer et sortir du pays,
ainsi que l’extension à deux ans du permis
de résidence à l’étranger, est une autre avancée. Tout comme l’autorisation de s’établir à
son compte, élargie à 187 activités, même si
cette possibilité reste fermée aux professions libérales : médecins, avocats, architectes, ingénieurs, enseignants universitaires,
scientifiques, en dépit de leur fort potentiel
de dynamisme économique.
Et les aspects négatifs ?
Malgré ces changements, nous avons vécu
une décennie perdue. La remise de terres en
usufruit n’a pas eu les résultats escomptés,
car la production agricole bute sur des prix
et des marchés insuffisants. Comme il n’y a
pas de réformes structurelles, la stabilité
économique et sociale est toujours absente.
« Monumento final » (2016),
sculpture en bois, de Kcho.
Kcho
Le parcours de ce diplômé
de l’Ecole des arts
plastiques de La Havane
révèle un double
engagement : celui
de Kcho, l’artiste, et celui
d’Alexis Leyva Machado
(son vrai nom), l’homme
politique cubain. Il est
en effet député de l’île de
la Jeunesse (municipalité
spéciale de Cuba), où il est
né en 1970. Au centre
des créations de l’artiste,
le thème de la mer. « Elle
est la frontière invisible, ditil. Je sais aussi à quel point
elle compte pour tous
les Cubains, avec toutes
les histoires qu’elle recèle. »
Une exposition est
consacrée aux œuvres
de Kcho, à la galerie
Louis Carré & Cie, à Paris,
du 20 mai au 2 juillet.
L’institutionnalisation promise par Raul
Castro à travers le Parti communiste de Cuba
[PCC, parti unique] et l’Assemblée nationale
n’a pas eu lieu. Certains changements ne respectent même pas la Constitution. Faute de
consensus sur la redistribution des richesses, la visibilité et la permissivité dont jouit
l’élite au pouvoir constituent un scandale.
Cuba se « latino-américanise ».
En même temps, la société civile subit une
répression accrue. La Commission cubaine
pour les droits de l’homme et la réconciliation nationale [affiliée à la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme,
FIDH] a enregistré 8 616 interpellations
d’opposants en 2015. Fidel Castro frappait
plus fort, certes, mais de manière plus ciblée, car il avait confiance en son pouvoir.
Maintenant, les autorités ne respectent ni la
loi ni les institutions.
Que faut-il attendre du 7e congrès du PCC,
au mois d’avril ?
Le congrès devra déterminer les formes de
la succession en 2018, échéance à laquelle
Raul Castro s’est engagé à céder la place. Il a
reconnu ainsi qu’il n’avait pas les conditions
idéologiques et physiques pour mener à son
terme les réformes nécessaires. Il faut donc
un autre leadership. On a évoqué une nouvelle loi électorale, qui devrait institutionnaliser la succession et séparer le PCC du
gouvernement, mais on ne sait encore rien
sur le sujet.
A peine 21 % des résolutions du précédent
congrès de 2011 ont été appliquées : autant
dire que les délégués devront décider d’aller
plus loin ou pas, ce qui implique une discussion sur les orientations économiques.
Enfin, comment gérer la normalisation des
relations avec les Etats-Unis ? Obama offre
davantage d’ouverture, mais il ne reçoit
aucune réponse positive. On parle d’une
multiplication des vols entre les deux pays,
mais à La Havane prédomine l’immobilisme,
en attendant 2018.
Le successeur désigné est le vice-président
Miguel Diaz-Canel, 55 ans. Raul Castro
restera-t-il en retrait, comme son frère
aîné Fidel ?
Je ne le pense pas, car le général Raul Castro, ministre des forces armées durant un
demi-siècle, a la main sur le principal soutien du pouvoir : les militaires. Des officiers
supérieurs contrôlent le bureau politique
du PCC. Outre le pouvoir politique, ce sont
des militaires qui dirigent l’économie, à
travers les secteurs stratégiques comme le
tourisme, le port de Mariel, la corporation
Cimex, etc. Diaz-Canel sera juste le nouveau
visage du pouvoir. Raul Castro restera une
sorte de grand électeur, qu’on consultera
sur l’essentiel, même s’il n’occupe plus le
devant de la scène.
La « génération historique », arrivée au
pouvoir en 1959, fera-t-elle un pas de côté ?
Les dirigeants émergents, plus jeunes,
exercent le pouvoir à l’échelle municipale ou
provinciale, mais ils n’ont pas d’autonomie
de décision. Raul Castro a toujours le dernier
mot. José Ramon Machado Ventura [85 ans]
tient encore le PCC. Je dirais que la vieille
génération se retire lentement. La relève
générationnelle sera graduelle. Mais il ne
faut pas oublier que, à Cuba, depuis 1959, le
vrai pouvoir est derrière le rideau.
Pensez-vous qu’il y aura une transition
négociée vers la démocratie ?
La question se posera sans doute après 2018.
Pour l’instant, il est trop tôt, les conditions ne
sont pas réunies pour un débat plus ouvert. Je
ne crois pas à une révolution, et je ne la souhaite pas. Le gouvernement fera inévitablement partie de la discussion sur la transition,
qui sera à mon avis progressive, institutionnelle. Je suis convaincu des vertus du dialogue
et de la négociation. Mais à l’heure actuelle, les
autorités ont pour objectif de liquider l’opposition, même si elles n’en ont pas les moyens.
La dissidence n’est-elle pas dépendante
de l’argent de l’étranger et notamment
des Etats-Unis, comme le dit le régime ?
L’aide internationale à la société civile fait
partie de l’histoire des démocratisations à travers le monde. Cuba tout entière dépend de
l’extérieur. La Havane sollicite l’investissement étranger pour remettre sur pied une
économie exsangue. Le gouvernement cubain
n’a aucune légitimité pour invoquer la souveraineté à ce propos, puisqu’il a une longue tradition d’ingérence dans les affaires d’autres
pays, y compris par des voies violentes.
L’opposition est-elle condamnée au simple
rôle de témoignage sur les violations des
droits de l’homme et l’absence de libertés ?
Nous avons désormais davantage de visibilité, nos propositions sont prises en compte
dans les forums de débats. Internet, les réseaux sociaux, les téléphones portables
compensent un peu la censure des médias
officiels, seuls autorisés. L’opposition, regroupée autour d’une Table de l’unité d’action démocratique, tente de surmonter ses
divisions. Nous avons créé une plate-forme
pour un Autre 2018 (#Otro18), qui proposera
des candidatures indépendantes du PCC
pour les prochaines législatives.
Nous prônons une réforme de la législation électorale et de la loi des associations.
Nous voulons des élections libres, plurielles,
démocratiques, avec des observateurs internationaux, ouvertes à la diversité politique,
car la Constitution n’interdit pas l’existence
d’autres partis. Cet objectif rejoint celui de
nombreux Cubains. La Cuba officielle ne
reflète pas la Cuba réelle. p
CULTURE
14 |
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
THÉÂTRE
Huppert : « Le théâtre,
c’est un hold-up »
La comédienne retrouve la scène de l’Odéon-Théâtre
de l’Europe à Paris pour deux mois. Un exercice qui,
dit-elle, « vous prend tout, le corps et le cerveau »
ENTRETIEN
A
u fil des ans, l’Odéon-Théâtre
de l’Europe est devenu le
théâtre d’Isabelle Huppert.
C’est là qu’elle a joué la plupart de ses grands rôles, avec
Peter Zadek, Bob Wilson, Luc
Bondy ou Krzysztof Warlikowski. En ce printemps 2016, elle retrouve le metteur en scène
polonais, qui l’avait dirigée dans Un tramway, d’après Un tramway nommé désir, de
Tennessee Williams, en 2010. Après avoir été
Blanche DuBois, elle devient « Phèdre(s) ».
Une Phèdre plurielle, où se croisent les écritures contemporaines de Wajdi Mouawad,
Sarah Kane et J. M. Coetzee.
Qui sont ces trois Phèdre ?
Celle de Wajdi Mouawad, qui s’est inspiré
de Sénèque et de Sophocle, est une Phèdre
émigrée, confrontée aux massacres de son
temps ; une Phèdre géopolitique, en somme,
qui vit dans les souvenirs de son déracinement, de visions d’horreur de l’humanité. La
Phèdre de Sarah Kane est totalement différente : uniquement chevillée à son désir fou,
son désir sexuel, jusqu’à en mourir. Celle de
Coetzee, extraite du roman Elizabeth Costello, est une intellectuelle qui discourt sur le
désir féminin ; elle a appris à tenir le sien à
distance, et à s’y perdre aussi, mais pas au
point d’en mourir ; elle ne subit plus ses pulsions, qu’elle a réussi à analyser.
Quel est leur point commun sur l’amour
entre Phèdre et Hippolyte, son beau-fils ?
Dès le départ, cet amour est décrété comme
invivable, et vécu par tout le monde comme
un interdit absolu, quelque chose de scandaleux et d’irrépressible. Mais ce que l’on
éprouve surtout, à travers les différentes écritures de la pièce, c’est la brûlure du désir. Cette
version à trois voix ne revient pas tellement
sur les circonstances qui entourent l’amour
de Phèdre et Hippolyte. Elle montre avant
tout la force d’un amour impossible à vivre.
Cette situation est vieille comme le monde.
On la connaît depuis toujours, mais là, elle est
racontée différemment. C’est cela qui est intéressant. L’écriture de Wajdi Mouawad n’a rien
à voir avec celle de Sarah Kane, qui n’a rien à
voir avec celle de Coetzee. Elles ne fabriquent
pas de sentiments différents, mais des sensations différentes, et, partant de là, des modes
de jeu différents, des expressions différentes.
Pour une fois, il y a un regard de femme
sur Phèdre, celui de Sarah Kane…
Absolument. Et ce regard, ce qui n’est pas
pour nous étonner de la part de Sarah Kane,
est le plus violent. Il donne à voir ce qu’il y a
de plus inavouable dans cet amour.
Inavouable parce qu’incestueux ?
C’est un inceste symbolique. Phèdre trahit
l’amour pour son mari, Thésée, en aimant
Hippolyte. Elle vit son amour sous le signe
d’un interdit social, dont elle se défend et
qu’elle revendique, dans la pièce de Wajdi
Mouawad. Quand on lui dit : « C’est le fils de
ton mari », elle répond à chaque fois : « Ce
n’est pas mon fils. » Elle soulève la question et
essaye de se censurer de cette manière. Mais
en même temps, elle dit : « Même si c’était
mon propre fils, j’agirais de la même manière. » Elle est capable d’opposer ses arguments, mais cela ne la soulage pas pour
autant. Elle vit son amour de la façon la plus
tragique qui soit.
« WARLIKOWSKI
DEMANDE D’ALLER
CHERCHER DES CHOSES
TRÈS LOIN, DES CHOSES
INAVOUABLES,
QU’ON NE FAIT JAMAIS,
QU’ON NE DIT JAMAIS »
ISABELLE HUPPERT
comédienne
Médée, Blanche DuBois, Phèdre,
toutes sont sur des chemins qui mènent
vers l’impossible. Quand on est
comédienne, à quoi cela oblige-t-il
de jouer de tels rôles ?
Je crois que ça n’oblige à rien. Au contraire,
ça autorise. Je ne vois pas ces rôles sous l’angle de fardeaux. C’est plutôt libérateur et assez excitant d’avoir à montrer des sentiments aussi extrêmes. Quand on les joue, on
ne pense pas tellement au fait que Médée tue
ses enfants et que Phèdre aime son beau-fils.
Cela devient de l’anecdote, si je peux dire, par
rapport à ce que l’on veut traduire : une émotion indicible. L’émotion d’être au monde,
tout simplement. C’est ce que le théâtre
donne à voir, pas la plupart du temps, mais
quand il cherche à nous émouvoir, à nous
perturber. Phèdre représente le tiraillement
constant entre deux pôles, deux extrêmes,
l’amour et la mort, Eros et Thanatos, comme
le dit Coetzee, que nous subissons et qui
nous portent. C’est une histoire et un rôle
formidables pour exprimer et nous aider à
supporter ce tiraillement constant. Surtout
dans la mise en scène de Warlikowski.
Est-ce lui qui est à l’origine du projet,
ou vous ?
C’est lui. Je ne pensais pas à Phèdre d’une
manière précise. J’y pensais de loin, je ne l’excluais pas du tout. Mais Racine n’était pas
forcément au premier plan des auteurs que
j’espérais jouer. Peut-être parce que je pensais que je ne pouvais pas l’aborder, ou parce
que son théâtre est empreint d’un classicisme et d’une convention dont on pense
qu’il est vraiment difficile de s’affranchir.
Finalement, Phèdre est arrivée sous cette
forme, très particulière, choisie par Warlikowski. Cela faisait un moment qu’il voulait monter ces Phèdre, au pluriel. Il n’a jamais été question avec lui de jouer une Phèdre. Comme il l’avait fait avec Blanche DuBois dans Un tramway, il part d’une figure
que l’on connaît, puis il nous mène vers des
confins éloignés, afin de mieux nous ramener à cette figure. Au moins, avec lui, on est
sûr de s’affranchir de la convention.
Qu’aimez-vous particulièrement
dans le travail avec ce metteur en scène ?
D’abord, ce qui me plaît, c’est de travailler
de nouveau avec lui. C’est toujours très
agréable et réjouissant de recommencer
avec un metteur en scène qu’on connaît. Et,
dans son cas, ce qui m’a plu la première fois,
avec Un tramway, me plaît plus encore la
deuxième : Warlikowski est « no limit », il a
une liberté incroyable, aucun tabou. Il demande, et donne la possibilité, d’aller chercher des choses très loin, des choses inavouables, qu’on ne fait jamais, qu’on ne dit
jamais, surtout au début du travail. On peut
s’en débarrasser, à un moment ou à un autre,
mais on part de là.
Warlikowski est-il directif ?
Pas du tout. Il n’indique rien de précis, mais
il a besoin de voir des images, très vite, avec
des détails. Il aime visualiser ce que vont être
les personnages, que ce soit moi ou ceux qui
m’entourent dans Phèdre(s), où il y a plusieurs Hippolyte, la fille de Phèdre et
d’autres encore, mais je ne veux pas tout dévoiler. Dès le début, Warlikowski aime connaître des détails pratiques, comme le rouge
Une Phèdre d’aujourd’hui, plurielle et unique
Furie, pute, épouse royale, migrante, belle-mère, mère… Isabelle Huppert bouleverse dans la pièce mise en scène par Krzysztof Warlikowski
Q
THÉÂTRE
ui peut, dans la même
soirée, impressionner
avec Wajdi Mouawad, déchirer avec Sarah Kane,
appeler des larmes avec Racine, et
faire rire avec J. M. Coetzee ? Isabelle Huppert. Les dieux du théâtre se sont penchés sur son berceau de comédienne, on le sait.
Mais là, dans Phèdre(s), qu’elle
joue sous la direction de Krzysztof
Warlikowski, elle atteint au prodige, en étant une et multiple, en
s’offrant nue, en devenant furie,
pute de luxe, épouse royale, migrante jetée sur les routes, intellectuelle dans un congrès, belle-mère
et mère, meurtrière, suicidée,
pendue, violée. Quand elle a tout
traversé, tout épuisé, tout consumé, elle regarde la salle et dit en
souriant : « Je vous remercie de votre attention. » Le noir tombe d’un
coup : c’en est fini de Phèdre(s).
Que l’on ait tout compris de ce
qui vient de se jouer, ce n’est pas
certain. Que l’on ait été saisi, ému,
bouleversé, renversé, c’est une évidence. Et c’est à cette évidence que
la représentation mène à s’abandonner, comme Phèdre s’abandonne au désir qu’elle éprouve
pour Hippolyte, le fils de son mari,
Thésée.
Une Phèdre(s) d’aujourd’hui, que
Krzysztof Warlikowski a voulue
écrite par des auteurs contemporains, Wajdi Mouawad, Sarah Kane
et J. M. Coetzee. Auxquels s’ajoute
Racine, dont Isabelle Huppert
joue un extrait de la scène 5 de
l’acte II. En prenant le texte, jeudi
17 mars, soir de la première, où elle
a eu un trou de mémoire. Mais
même de ce trou, elle a fait du
théâtre. Et elle a dit les mots de
Phèdre à la manière de Rachel, qui,
la première, a joué la tragédie selon le sens, et non la versification.
« Je brûle » : combien de fois l’entend-on ? C’est le verbe fait chair
de cette Phèdre(s). L’explosion du
désir, sa naissance, sa reconnaissance, son aveu, sa consommation, sa crucifixion. Krzysztof
Warlikowski l’exalte, l’explore et
l’implore, dans une mise en scène
qui ouvre sur une danse orientale
torride (de Rosalba Torres Guerrero) et un chant arabe dément de
Norah Krief, que l’on retrouve en-
suite en Œnone, la confidente de
Phèdre. Puis Isabelle Huppert apparaît, avec ses lunettes noires et
sa perruque blonde : elle est Aphrodite, déesse de l’amour peutêtre, mais d’abord « pute de luxe,
chienne en chaleur, une salope »,
comme elle le dit.
Une mise à nu totale
Le ton est donné : ce sera celui du
sexe qui crie, du ventre qui réclame, de la faim inextinguible de
l’union des corps. Que celle-ci soit
contre nature, selon les convenances sociales, dans le cas de Phèdre
et Hippolyte, importe moins que
sa nécessité, qui fait trembler
d’une fureur froide, glaciale ou
hurlante la mise en scène de
Krzysztof Warlikowski. L’enfer et
la magnificence reposent là, dans
cette pièce aux hauts murs, la
boîte blanche du désir, avec un lit,
une douche et un lavabo, dans laquelle glisse parfois une chambre
aux murs vitrés (décor de Malgorzata Szczesniak).
Peep-show, show off : aucune absolution, la mise à nu sera totale,
définitive, éclairée (par Felice
Ross) d’orangés, de fuchsias ou de
diaphanes rares au théâtre. On y
verra Thésée, Strophe, Œnone,
deux Hippolyte, un chien, un médecin, un prêtre, un maître de conférences. Une distribution multiculturelle de haut vol qui réunit
Alex Descas, Agata Buzek, Gaël Kamilindi, Norah Krief. Chacun a sa
force, sa partition, son poids de
chair. Krzysztof Warlikowski ne
les laisse pas sur le côté. Ils existent sur un plateau qui est un
Olympe pour Isabelle Huppert.
Elle se métamorphose à la vitesse
de la lumière, elle est phénoménale quand elle joue Sarah Kane.
Plurielle et unique : une femme, et
toutes les Phèdre(s) sont là. Elle
restera, et elles resteront pour
longtemps dans le souvenir. p
b. sa.
Phèdre(s), de Wajdi Mouawad,
Sarah Kane, J. M. Coetzee. Mise
en scène : Krzysztof Warlikowski.
Odéon-Théâtre de l’Europe,
place de l’Odéon, Paris 6e.
Tél. : 01-44-85-40-40. Du mardi
au samedi à 20 heures, dimanche
à 15 heures. Durée : 3 h 10
avec entracte. Jusqu’au 13 mai.
culture | 15
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
« D’UNE BEAUTÉ
À COUPER LE SOUFFLE ! »
Isabelle Huppert dans « Phèdre(s) »,
jeudi 17 mars, à l’Odéon-Théâtre
de l’Europe, à Paris. PASCAL VICTOR/ARTCOMART
LE FIGARO
CINQ RÔLES-CLÉS
« SOMPTUEUX. »
LE POINT
1991
Pour ses premiers pas sur le
plateau de l’Odéon-Théâtre
de l’Europe, Isabelle Huppert
est Isabelle, la novice qui implore la grâce pour son frère,
condamné à mort pour avoir
fait un enfant à sa fiancée,
dans Mesure pour mesure, de
Shakespeare. Complexe, perverse, hyperthéâtrale et orgueilleusement désinvolte, la
mise en scène de l’Allemand
Peter Zadek (1926-2009) offre
à l’actrice une formidable occasion de suivre les méandres
d’un rôle dans lequel elle
peut donner libre cours à sa
drôlerie.
1993-1995
D’abord, il y eut la création,
au Théâtre de Vidy-Lausanne.
Puis l’Odéon-Théâtre de l’Europe, suivi d’une tournée internationale. C’était Orlando,
de Virginia Woolf, mis en
scène par Bob Wilson,
l’homme qui invente sur les
scènes « un monde où tout
aurait commencé depuis longtemps et où rien ne s’arrêterait
jamais », comme l’écrit Isabelle Huppert. Orlando, c’est
elle, évidemment, avec sa
voix qui semble porter un
message de l’au-delà, un audelà de l’amour, et sa gestuelle qui dessine des lignes
en apesanteur, au-delà du
temps.
« CHEF
D’ŒUVRE ! »
POSITIF
« MAGIQUE ! »
LES INROCKS
« SPLENDIDE. »
!!!
« UNE
PREMIÈRE
MERVEILLE.»
LE MONDE
« UNE ÉLÉGANCE FOLLE.»
VOGUE
« GRANDIOSE ! »
TRANSFUGE
« UNE ÉPOPÉE SUBLIME.»
LA CROIX
JUILLET 2000
à lèvres ou les talons hauts. Cette vision pratique lui permet de préciser sa propre vision
de la pièce, pour la développer ou l’emmener
dans une autre direction. Sinon, il dit souvent le texte à la place des acteurs, comme le
font beaucoup plus les metteurs en scène de
théâtre que de cinéma. Mais sur le fond, il
n’impose rien.
Que cherche-t-il à atteindre ?
Warlikowski aime montrer l’être humain
dans sa violence et sa perdition permanente.
Cette fragilité qui l’attire vers la passion,
pour laquelle il est très peu armé, pour toutes sortes de raisons. C’est en tout cas
comme ça que je le ressens. Les personnages
qu’il met en scène dans Phèdre(s) se débattent dans un monde en crise, le monde dans
lequel on vit, et qu’il rend vraiment palpable.
On sent chez lui, comme on le sentait chez
Peter Zadek, à quel point le poids de son vécu
est essentiel dans son travail. Je n’en sais pas
tant que ça sur lui, mais cette dimension
existentielle est évidente dans la manière
dont il fait du théâtre. On m’objectera que ça
devrait l’être pour tous les metteurs en
scène, mais ça ne l’est pas. Il y en a qui travaillent d’une manière plus mécanique : ils
règlent la circulation, en somme. Lui met
son histoire en jeu, Zadek le faisait également. Quand on travaille avec des metteurs
en scène comme eux, je ne dis pas que la
pièce qu’ils ont choisie devient accessoire,
mais leur façon d’être s’impose comme la
matrice fondamentale de la relation que l’on
a avec eux dans le travail.
Jouer pendant deux mois, comme vous
le faites pour « Phèdre(s) », est-ce un
confort ou une contrainte ?
C’est le minimum. J’aime beaucoup jouer
longtemps, et j’insiste toujours pour jouer le
plus longtemps possible. Dans les théâtres
subventionnés, on ne joue pas assez longtemps, la plupart du temps. Les spectateurs
n’ont pas le temps de se retourner et les représentations sont déjà finies. En deux mois,
leurs possibilités de venir sont déjà plus
nombreuses. Pour les acteurs, jouer longtemps permet de faire évoluer les choses,
d’un soir à l’autre. La pièce ne sera pas fondamentalement différente, à la fin des repré-
sentations, mais elle aura bougé, et c’est intéressant, même si c’est un puits sans fond,
aussi. Quand les représentations s’arrêtent
trop vite, on n’a pas le temps de trouver ce
plaisir-là et de le rendre perceptible.
« Phèdre(s) » est sonorisée, comme le
sont quasiment toutes les pièces
aujourd’hui. Qu’apporte la sonorisation
à l’acteur de théâtre ?
Elle introduit une autre manière de jouer.
C’est à l’évidence un avantage. La sonorisation peut faire accéder à ce qu’on imagine
être l’intimité du gros plan au cinéma, mais
il n’empêche que ce n’est pas du gros plan, au
théâtre. Cela demande donc d’être prudent,
de respecter un seuil au-dessous duquel il ne
faut pas tomber. La grande différence, pour
un acteur, c’est qu’avant la sonorisation le
premier obstacle qu’il fallait franchir était de
se faire entendre. Aujourd’hui, on ne se pose
plus la question de la même manière, et ça
modifie énormément le jeu. Rien n’est déclamé, rien n’est proclamé. On peut entrer
dans une pensée intérieure, intime.
Cela rend-il le travail plus facile ?
Non. De toute façon, c’est difficile de faire
du théâtre. Le théâtre, c’est un hold-up, ça
vous prend tout, le corps, le cerveau. C’est
sauvage, le théâtre. Il ne me viendrait jamais
à l’idée de dire la même chose du cinéma. Le
cinéma ne vous laisse pas exsangue, comme
ça, sur le bord de la route. Je ne comprends
même pas quand on me pose des questions
sur la difficulté d’un rôle à l’écran ; ça me paraît d’une incongruité totale.
A quoi tient ce fossé entre le théâtre
et le cinéma ?
A la fragilité du théâtre. Je crois qu’en fait
on sait très bien ce vers quoi on veut aller, ce
à quoi on tend. Mais c’est compliqué de le
faire advenir, et une fois qu’on l’a trouvé, il
faut le réinventer tout le temps, et on n’y arrive pas forcément. On doit être à la fois sûr
et jamais sûr de ce que l’on fait. On cherche
une chose fugace, c’est cela qui est difficile et
douloureux. Douloureux et merveilleux, à
la fois. p
propos recueillis par
brigitte salino
Pour la première fois, Isabelle
Huppert affronte la Cour
d’honneur du Palais des papes. Elle joue Médée, d’Euripide, qui, dans la mise en
scène de Jacques Lassalle,
s’annonce par un cri rauque,
animal, sorti de la caverne où
l’errante a trouvé refuge. Barbare et savante, amante et
mère, sorcière et femme,
cette Médée en robe blanche
impose la force indestructible
d’un destin et d’une présence
qui défient jusqu’au ciel. C’est
ainsi que naissent les mythologies, à Avignon.
OCTOBRE 2002
Jamais le Théâtre des Bouffes
du Nord n’a entendu une telle
voix : celle de « l’enfant de la
négation », la Britannique Sarah Kane, qui a écrit 4.48 Psychose avant de se pendre, à
l’âge de 28 ans, en 1999. Cette
voix, Isabelle Huppert l’a faite
sienne, sous la direction de
Claude Régy. Deux heures durant, elle se tient immobile,
les pieds ancrés dans le sol,
les poings fermés sur les cuisses. En jean et tee-shirt, elle
offre les dernières paroles de
Sarah Kane. Chacune d’elles
est une larme, et l’actrice,
leur dépositaire.
2014
Louis Garrel en Dorante est
l’objet de son désir. Mais il est
pauvre, et elle est riche. Elle,
c’est Araminte, que joue Isabelle Huppert dans Les Fausses Confidences, de Marivaux,
à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Cette ultime mise en
scène de Luc Bondy (19482015) voit l’actrice en femme
guerrière et fragile, qui finit
par s’abandonner à son
amour, mais trop tard pour
ne pas s’y briser. Sa voix dépèce les mots cruels, son regard tranche et flanche, son
corps avoue ce qu’elle ne
s’avoue pas, et le théâtre frissonne.
ACTUELLEMENT
16 | culture
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Numéro de cirque mystique au Mont-Saint-Michel
Un jongleur et une trapéziste lancent l’opération« Monuments en mouvement » dans le site normand
REPORTAGE
L’
mont-saint-michel
église abbatiale du
Mont-Saint-Michel est
plongée dans la nuit.
Vertige des murailles
percées de vitraux, silence sépulcral, froid polaire. Pieds nus sur
les pierres de la croisée du transept posée en équilibre sur la
pointe de l’énorme rocher, le jongleur Clément Dazin projette ses
balles blanches comme autant
d’appels lumineux explosant sur
une hauteur de vingt-sept mètres.
Modestie paradoxale des jets qui
déclenchent un accord magique
avec cet espace millénaire.
Cette performance irréelle intitulée Bruit de couloir est une première. Aucun spectacle vivant n’a
jamais été programmé dans ce
lieu grandiose qui accueille des
messes chaque jour. Elle a lancé,
vendredi 18 mars, la deuxième
édition de « Monuments en mouvement », pilotée par le Centre des
monuments nationaux (CMN),
qui a lieu jusqu’en septembre
dans neuf sites patrimoniaux
dont l’abbaye du Mont-Saint-Michel, deuxième site des Monuments nationaux les plus visités
de France (1,2 million de visiteurs)
après l’Arc de triomphe.
Présenter du cirque, en liaison
avec le festival Spring, basé à
Cherbourg, n’est pas une mince
affaire dans le contexte de ce trésor historique et religieux. « C’est
même plutôt audacieux, s’enflamme Xavier Bailly, administrateur de l’abbaye du Mont-SaintMichel-CMN. Dans le contexte actuel où la notion de religion est
exacerbée, l’abbaye devient un lieu
quasi intouchable, à manipuler
avec beaucoup de précautions. Il
s’agit de conjuguer la présence
d’une communauté monastique à
la laïcité à la française. Nous avons
une mission culturelle vis-à-vis des
habitants de la baie. On ne peut
pas se contenter de programmer
des concerts classiques, non ? »
Pour dégager une voie pacifique
à cette opération très inhabituelle,
Xavier Bailly a démarché les fraternités présentes. Parallèlement à la
dizaine d’habitants qui vivent au
quotidien au Mont-Saint-Michel,
sept moniales et quatre moines
occupent les locaux loués par le
CMN. « Ils sont très réticents à la
présentation de spectacles, précise
Xavier Bailly. Et il est difficile de les
convaincre qu’on ne trahit pas le
lieu en y programmant du cirque. »
« Mais pourquoi s’interdirait-on
Avec « Bruit
de couloir »,
le jongleur
Clément Dazin
introduit
le spectacle
vivant au coeur
de l’abbaye
du Mont-SaintMichel. LA BRÈCHE
l’abbaye ?, appuie Philippe Bélaval,
président du CMN. C’est un site très
fort qui se suffit à lui-même mais
pourquoi se refuser le plaisir de lui
donner un relief particulier ? »
Réticences
Pas si simple tout de même !
Depuis un an, en dialogue avec
Yveline Rapeau, directrice de
Spring, Xavier Bailly a minutieusement élaboré la venue de deux artistes : le jongleur Clément Dazin
et la trapéziste Chloé Moglia. « Associer l’art populaire qu’est le cirque
avec ce trésor national qu’est le
Mont-Saint-Michel est une aubaine
incroyable, jubile Yveline Rapeau.
La résonance des gestes de chacun
des artistes avec la dimension sacrée du lieu est superbe. »
Clément Dazin, sous le choc de
« l’atmosphère mystique qui rappelle que le jongleur envoie ses bal-
« La résonance
des gestes
des artistes avec
la dimension
sacrée du lieu
est superbe »
YVELINE RAPEAU
directrice de Spring
les au ciel », a choisi l’abbaye.
Chloé Moglia a préféré l’ancien réfectoire des moines pour y installer la barre de son solo Opus corpus. Suspendue à quelques centimètres au-dessus du sol, elle dilate une bulle de contemplation,
d’écoute et d’empathie. Rêverie
sur la matière, cette performance
lente rassemble une commu-
nauté de spectateurs dans une
même attention. « Aucune provocation, insiste Xavier Bailly. Ils
jouent tous les deux avec les notions d’apesanteur et d’élévation.
C’est un cadeau pour le site. » Et
aussi pour les performers, emballés par cette proposition.
« Des conditions extrêmes »
Lorsque Chloé Moglia a été sollicitée pour cette opération, elle a illico été partante. Elle s’enflamme
en évoquant le lien entre l’abbaye
et « son cheminement sur une ligne, son travail sur le fil à plomb et
la notion de gouffre, son tissage
des fils de la verticale et de l’horizontale proche du symbolisme de
la croix au sens large ». Elle a déjà
investi l’église Saint-Eustache à
Paris, une médersa, ancienne
école coranique à Salé, au Maroc,
un temple protestant à Marseille.
« Je me souviens que le pasteur
était d’abord contre ma présence,
confie-t-elle. Réalisant que je travaille autour de l’épure et de la verticalité, évidemment d’un point de
vue profane, il a finalement été
convaincu. » « Je pense aussi qu’il
est important en tant que femme
d’être présente dans ces lieux,
poursuit-elle. Nous vivons une
époque où la question du féminin
est malmenée. »
Les conditions de travail et de
présentation in situ sont loin du
confort d’un théâtre. L’adaptation des lumières et du son entraîne aussi un traitement minimaliste. Les artistes n’ont pu répéter qu’une fois après la fermeture publique de l’abbaye à
18 heures. « Ce sont des conditions
extrêmes, glisse Clément Dazin.
L’espace est vertigineux. C’est
comme escalader un pic monta-
gneux. C’est difficile, douloureux,
mais après, quel sentiment de plénitude ! »
Il a fallu cinq heures pour monter par treuil le matériel nécessaire
à sa performance. En revanche, dix
minutes à peine ont suffi, mardi
15 mars, à enlever par hélicoptère
la statue de l’archange saint Michel située sur la flèche de l’abbaye
pour l’emporter dans un atelier de
restauration. Entre ciel et terre, le
rocher en mode majeur. p
rosita boisseau
Monuments en mouvement.
Jusqu’au 19 septembre.
www.monuments-nationaux.fr
Spring. La Brèche, Cherbourg,
Elboeuf. Jusqu’au 2 avril.
Tél. : 02-33-88-33-99.
Clément Dazin, Rencontres des
jonglages. La Courneuve (SeineSaint-Denis). Tél. : 01-49-92-60-54.
Jannis Kounellis fait sa révolution de palais
A la Monnaie de Paris, l’artiste de l’arte povera joue le contraste entre ses œuvres violentes et le décor de boiseries et moulures
L’
ART
hôtel de la Monnaie a été
bâti à Paris par JacquesDenis Antoine entre 1765
et 1775, sous les règnes de
Louis XV et de Louis XVI. Il s’élève
à proximité du Pont-Neuf, orné de
la statue équestre d’Henri IV, et le
Louvre, palais royal, lui fait face,
de l’autre côté de la Seine. On peut
supposer que Jannis Kounellis
avait ces faits historiques et géographiques présents à l’esprit
quand, invité à exposer à la Monnaie, il a décidé des œuvres qu’il
voulait y placer. Dans les salles
XVIIIe du premier étage, parmi les
glaces, boiseries et moulures, il a
disposé des lits de camp sur lesquels gisent des cylindres de fer
déchirés de coups et partiellement enveloppés de couvertures
militaires, une cage dans laquelle
vivent des rats, et deux poissons
rouges qui nagent autour d’un
couteau à cran d’arrêt. Sur des
chaises de salon, deux poutrelles
métalliques semblent menacer de
les écraser. Dans des vitrines courbes, des dizaines de couteaux à
viande sont suspendus à des crocs
de boucher, lames et crocs que
l’on retrouve à plusieurs autres
endroits. Des sacs de jute décousus sont étalés sur les parquets. Au
terme du parcours, sur le dernier
mur, est accrochée une plaque de
fer devant laquelle brûle une bougie. Sur la plaque, à la craie, cette
inscription en italien que l’on traduit : « La Liberté ou la Mort. Vive
Marat, Vive Robespierre ». Il est difficile d’être plus explicite.
La pièce date de 1969, de même
que celle aux rats vivants. A cette
date, Kounellis, qui est né en Grèce
en 1936, était l’un des héros du
mouvement que le critique italien
Germano Celant venait de nommer arte povera. Dans le contexte
de Mai 68 et de la guerre du Viet-
nam, il en était l’un des membres
les plus vivement politiques, avec
Michelangelo Pistoletto ou Mario
Merz – bien plus politiques que
Giuseppe Penone ou Giulio Paolini. La révolution idéologique
était supposée aller de pair avec la
révolution des formes plastiques,
et Kounellis était peut-être le plus
radical de tous, le moins soucieux
de définir un style.
Ses matériaux étaient des animaux vivants – chevaux, rats,
poissons, perroquet –, des matériaux industriels – houille, fer, bois
de construction –, ou encore le feu
d’une bougie ou d’une réaction
chimique. Il en est de même
aujourd’hui, si ce n’est que Kounellis, au fil des décennies, a ajouté à
son vocabulaire des objets ordinaires et désagréables tels que
longs couteaux et clous de charpentier. Ce pourrait être des instruments de torture, ce que les allusions militaires confirment. Les
A son
vocabulaire,
Kounellis
a ajouté
couteaux et clous
de charpentier.
Le regard est mis
à rude épreuve
références à l’iconographie chrétienne ne se dissimulent pas plus :
clous de la crucifixion, sabres des
bourreaux. Même observation à
propos des manteaux découpés et
des débris de bateau. Le regard et le
corps sont mis à rude épreuve.
Le contraste avec le décor est extrême. A la différence d’artistes
qui, tel Jeff Koons au château de
Versailles, se sont efforcés de
trouver des accommodements
avec les lieux, Kounellis prend le
parti de l’affrontement. C’est celui
des surfaces : le métal sombre et
froid contre les bois peints et cirés, les vilaines couvertures kaki
et les sacs noirâtres contre les
tons tendres des peintures murales et plafonnantes. C’est celui des
formats : la plupart des pièces
sont comme à l’étroit et gênent le
passage. Le point culminant de
cette dispute se trouve dès l’entrée : huit chevalets de fer faits de
poutres soudées portent autant
de rectangles de métal. Les chevalets font 5ou6x mètres de haut et
les rectangles près de deux mètres de long. Leur dimension, leur
poids, leur noirceur ont quelque
chose de guerrier, que ne dissipe
pas l’allusion à la peinture.
Sur ce point, comme sur les
autres, cohérence et continuité
sont flagrantes. Kounellis peut
réactiver des dispositifs dont l’idée
lui était venue il y a près d’un de-
mi-siècle et les associer à des créations vieilles de quelques mois
sans rompre l’unité de la présentation. Mieux : les pièces les plus anciennes, les plus connues, échappent ainsi à la muséification et retrouvent l’intensité que leur célébrité risquerait de leur faire perdre.
Kounellis ne s’autocommémore
pas, il continue le combat, pour reprendre une formule qui date, elle
aussi, des années 1960. C’est la
marque des obsessionnels, probablement, et il faut en déduire que
rien n’est plus profitable à la création artistique qu’une obsession
qui ne perd à aucun moment son
intensité native. p
philippe dagen
« Brut(e) », Monnaie de Paris,
11, quai de Conti, Paris 6e.
Monnaiedeparis.fr. Tous les jours
de 11 heures à 19 heures, le jeudi
jusqu’à 22 heures. Entrée de 8 € à
12 €. Jusqu’au 30 mars.
culture | 17
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Kendrick Lamar met Kanye West K.-O.
Par ses audaces et sa musicalité, le nouveau disque du rappeur écrase la concurrence
S É L E C T I O N
J OHAN N ES BRAHMS
L’Œuvre pour piano seul
Geoffroy Couteau (piano)
« Aimez-vous Brahms ? »
Geoffroy Couteau ne laisse
pas le loisir à l’auditeur de
se poser la question tout
au long des six heures que
dure cette intégrale de haut
vol. Un mot pourrait résumer la performance du
jeune pianiste : attention.
Pour l’exclamation face à la
prouesse comme pour le
suivi de la finesse. Chaque
plage est abordée avec fraîcheur, comme s’il s’agissait
d’une première prise. Couteau va toujours à l’essentiel
avec simplicité. Son art de la
vie renouvelée à chaque instant fait merveille dans le
corpus brahmsien qui, sous
l’angle de la modernité,
passe pour une succession
de « moments » au sens que
leur a conféré un Karlheinz
Stockhausen ou un Wolfgang Rihm, allemands eux
aussi. p pierre gervasoni
1 coffret de 6 CD La Dolce
Volta/Harmonia Mundi.
YAN OWSKI
La Passe interdite
Avant d’être un disque,
La Passe interdite a été un
spectacle que le chanteur
Yanowski a présenté à partir
de janvier 2014. Haute
silhouette, voix vibrante,
il donne vie à des personnages au sein du duo Le Cirque des mirages, fondé, début 2000, avec le pianiste
Fred Parker Aliotti. Le voici
en solo, textes et musiques
de sa main, pour la plupart
des chansons – une dizaine
et trois histoires. Tout
comme avec Le Cirque des
mirages, si l’aspect visuel
Affranchi du gangsta rap
L’un des meilleurs morceaux de
l’album, Untitled 6, une bossanova psyché, a ainsi été enregistré
avec Ali Shaheed Muhammad, le
DJ d’A Tribe Called Quest (ATCQ),
dans le studio d’Adrian Younge
(compositeur, entre autres, pour
Bilal et Ghostface Killah). Pour
leur album commun, The Midnight Hour, à sortir durant l’été
2016, les deux producteurs travaillaient avec leurs musiciens, le
batteur David Henderson et le
guitariste Jack Waterson, sur une
maquette pour le chanteur de
Gnarls Barkley : « Le jour où on a
reçu les voix de CeeLo Green sur
est primordial, les disques
du duo comme ce solo de
Yanowski tiennent de manière autonome par la force
des chansons et de leur interprétation. Dans La Passe
interdite, les chansons sont
plutôt tournées vers le réalisme poétique, la tendresse
mélancolique, davantage
dans l’intime que le répertoire du Cirque des mirages.
Les trois contes, parlés et
chantés, vont plus vers
l’halluciné. Musiques d’Europe de l’Est et tango dominent, avec violon, piano et
contrebasse. Une voix expressive, précise, rare dans
la chanson française actuelle. Un univers prenant,
lui aussi d’une grande originalité. p sylvain siclier
Il prend
des risques,
en introduisant
des instruments
peu présents
dans le rap,
comme les flûtes
« Late Show » de Stephen Colbert :
il était alors accompagné de musiciens de la scène jazz angelena –
les saxophonistes Terrace Martin
et Kamasi Washington, le bassiste
Thundercat.
Lamar a pris l’habitude d’aller
les écouter dans les jam-sessions
de Leimert Park, bastion afroaméricain où se concentrent salles de concert et boîtes de jazz. Untitled 2, nouvelle ode de Lamar à
Compton, avait lui été interprété
dès janvier sur le plateau du « Tonight Show » de Jimmy Fallon. Sur
le jazz d’Untitled 5, Kendrick Lamar invite la chanteuse Anna
Wise et ses collègues du label TDE
(Top Dawg Entertainment), le rappeur de Watts Jay Rock et un des
patrons, Terrence « Punch »
Henderson.
Habité et possédé, Kendrick
Lamar en est encore à culpabiliser
sur le morceau introductif d’avoir
survécu à la guerre des gangs de
Compton. Mais il est aussi capable
de bravades et de piques envers ses
concurrents du rap, se vantant de
pouvoir « les mettre sous assistance respiratoire, ce qui ne serait
pas beau à voir ». p
notre maquette, raconte Adrian
Younge, joint au téléphone, Kendrick Lamar nous rendait visite. Il a
adoré le morceau et le voulait pour
l’album To Pimp a Butterly. Finalement, il nous a prévenus une semaine avant la sortie d’Untitled
Unmastered qu’il serait sur celui-là. J’en suis très content car,
pour moi, Kendrick surpasse tout
le monde. Il a remis au goût du jour
la vraie nature d’un artiste, celui
qui parle au cœur et à la tête. »
C’est du côté des Native Tongues, collectif du début des années 1990 mené par ATCQ , Jungle
Brothers ou De La Soul, qu’il faut
trouver les racines du rap de Lamar, qui mêle conscience politique et musique organique, affranchie des codes du gangsta rap. Les
fans de Lamar auront remarqué
qu’il avait testé les rimes du morceau Untitled 3 sur le plateau du
L I V R E
A L B U M S
ans le hip-hop américain,
il y a actuellement deux
écoles. Celle de Kanye
West, qui consiste à se proclamer
« génie » et faire grand bruit de sa
prochaine « œuvre d’art » pour finalement ne la rendre accessible
qu’à une poignée d’initiés. Ou celle
de Kendrick Lamar, qui teste ses
expériences en live, de préférence
dans de grandes émissions télévisées, avant de les rassembler sur
un disque diffusé en libre accès.
A ce petit jeu, c’est le rappeur de
Compton qui remporte le match.
Vendredi 4 mars, tout juste auréolé
de cinq Grammy Awards, Lamar
publiait huit nouvelles chansons
sur toutes les plates-formes numériques dans un format qui ne ressemble ni à un album, ni à un EP
(Extended Play), ni à une « mixtape ». Untitled Unmastered (« sans
titre, sans mastering ») sort sur
support physique en France le
18 mars. Le disque est un recueil de
sessions de studio non retenues
pour l’album To Pimp a Butterfly
– qui, en 2015, consacrait le rappeur comme le plus talentueux de
sa génération.
Au lieu d’un titre, chaque morceau fait figurer sa date d’enregistrement. Soit entre mai 2013 et
septembre 2014, sauf pour Untitled 7, achevé début 2016 : le morceau aurait été cocomposé par
Egypt, 5 ans, fils d’Alicia Keys et de
Swizz Beatz, rappeur-producteur
(qui s’en est ouvert sur Twitter).
Très inspiré par les jams jazz, Untitled Unmastered démontre une
nouvelle fois l’élasticité du flow
de Kendrick Lamar. Il confirme
aussi sa capacité à prendre des
risques, en introduisant des instruments peu présents dans le
rap, comme les flûtes, et à explorer sa culture afro-américaine, en
s’associant à des artistes de Los
Angeles.
stéphanie binet
Untitled Unmastered, 1 CD,
Polydor.
Les pixels ont-ils une âme ?
EN SEMBLE MARAN I
Un petit livre vert d’eau. On y entre
avec trois pages qui illustrent, façon folioscope, le retour de Hulk à
sa forme humaine – dégonflée,
émouvante, vulnérable –, à mesure
qu’une jeune femme avance vers
lui, descendant lentement les marches de l’escalier qui les sépare. Le
mouvement de ce récit élastique,
dense, qui aspire dans le tunnel étroit d’un flux de conscience
la mythologie bigger than life des films de super-héros, prend
son élan dans ces images pixelisées dont jaillit une émotion à
vif. Précipité de chimie numérique à l’état pur, ses vapeurs se
diffusent dans un rêve éveillé aux contours ductiles, que l’on
peut lire comme le monologue intérieur d’une créature numérique en liberté, monceau de pixels glissant à l’envie d’un état à
l’autre – de l’animal à la machine, du liquide au gazeux, de la
guerre à l’amour… A moins qu’il s’agisse de la voix hallucinée
d’un spectateur de blockbuster en état de transe. Portée par un
narrateur égotiste qui semble échappé d’un roman d’Olivier Cadiot, cette odyssée onirico-ludique pioche ses mots et ses images chez Ovide et dans Matrix, chez Bashung et dans Iron Man,
chez Chevillard et dans Terminator, etc. En réagençant cette
matière à sa guise, Patrice Blouin pose une des grandes questions du siècle : les pixels ont-ils une âme ? p isabelle regnier
Polyphonies de Géorgie
Magie industrielle, de Patrice Blouin. Helium, 88 p., 12,90 €
1 CD Arties Records/Harmonia
Mundi.
Formé, à Paris, de chanteurs
français et géorgiens, ce
chœur masculin s’est construit un répertoire de haute
tenue, avec des chants peu
ou jamais enregistrés, collectés en Géorgie, appris de
maîtres invités en France
ou bien au travers d’enregistrements anciens. Entre
chants de procession de
Noël, cantiques, chants
d’amour, de travail ou de
table, l’ensemble Marani témoigne avec maestria de la
richesse et de la diversité de
la polyphonie géorgienne.
Petit par sa taille, la Géorgie
est un très grand pays de
polyphonie. Celle-ci a une
saveur qui lui est propre,
saisissante, surprenante
même, parfois, riche de mélismes, d’ornementations
gambadant au-dessus d’une
note basse en bourdon, intégrant clameur jaillissante,
dissonances et voix yodlée. p patrick labesse
1 CD Buda Records/Universal.
K Retrouvez
l’intégralité des critiques
sur Lemonde. fr
G A L E R I E S
D
HIP-HOP
ÉT I EN N E- MART IN
HER OES
Galerie Bernard Bouche
Galerie Georges-Philippe
et Nathalie Vallois
En dépit de la rétrospective
que le Musée des beaux-arts
de Lyon lui a consacrée
en 2011 et de la présence de
quelques œuvres dans les salles du Musée d’art moderne
de la Ville de Paris, EtienneMartin (1913-1995) n’est pas assez largement reconnu pour
ce qu’il est : l’un des principaux sculpteurs de la seconde
moitié du XXe siècle, aussi
intéressant qu’Alberto Giacometti. En voici de nouvelles
preuves : des plâtres, des constructions en fil de fer et des
œuvres qui associent les deux
matériaux avec une liberté qui
ne s’embarrasse d’aucune précaution. On y reconnaît des
corps, des têtes, des mains et
des architectures. C’est un
monde de ruines et de spectres, ce qui fait de cette œuvre
l’une des plus proches de la
réalité que l’on puisse voir
aujourd’hui. La grande
Nageuse céleste de 1958 est
simplement admirable. Celle
du même titre, et plus réduite,
faite d’un dessin de fil de fer
tordu et torsadé, ne l’est pas
moins. p philippe dagen
« Plâtres & fils de fer », galerie
Bernard Bouche, à Paris 3e.
Tél. : 01-42-72-60-03. Du mardi au
samedi, de 14 heures à 19 heures.
Jusqu’au 2 avril.
Une exposition qui donne à
sourire et à rire, c’est plutôt
rare. Conçue par les fondatrices de la revue The Drawer,
consacrée, comme son nom
l’indique, au dessin actuel
sous toutes ses formes, celle-ci
répond à trois principes : des
travaux qui tiennent à peu
près tous d’une forme de dessin ou d’écriture, des héros anciens ou actuels et le rire de la
dérision, du sacrilège ou de la
parodie. Parmi les invités, des
célèbres : Richard Prince ou
Paul McCarthy, qui se moquent du sérieux du monde
de l’art. Il en est de moins connus, qui jouent du détail absurde et perturbant, tel le pigeon que Julien Berthier voit
se poser sur de dignes sculptures. Theo Michael gâche délibérément des images qui seraient sublimes, en écrivant et
en dessinant par-dessus. Lucie
Picandet fait apparaître un
monde sens dessus dessous.
Un Papou nain, de Gilles Barbier, attend le visiteur pour le
percer de traits. p ph. d.
« Heroes », Galerie GeorgesPhilippe et Nathalie Vallois,
à Paris-6e. Tél. : 01-46-34-61-07.
Du lundi au samedi, de 10 h 30
à 13 heures et de 14 heures
à 19 heures. Jusqu’au 2 avril.
PREMIERE
LE FIGARO
“Un ilm qui vous prend
au cœur et aux tripes”
STUDIO CINÉ LIVE
18 |
télévisions
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Le Français
Yoann Huget
et le Britannique
Mike Brown, lors
du match France Angleterre du
Tournoi
des six nations.
Le 1er février 2014
au Stade de
France ARGUEYROLLES
LAURENT / L’ÉQUIPE
Les chaînes entrent en mêlée
Du Tournoi au Top 14 en passant par la Coupe du monde, le rugby est devenu un produit d’appel majeur
D
ENQUÊTE
e la sueur, sans doute
du sang, peut-être des
larmes… et des audiences qui s’annoncent
élevées ! En programmant samedi
19 mars à la suite et en direct trois
rencontres du Tournoi des six nations, France 2 joue à fond la carte
rugby. De Cardiff (pays de Galles Italie à 15 h 20) à Saint-Denis
(France - Angleterre à 20 h 50) en
passant par Dublin (Irlande Ecosse à 17 h 50), France 2 est en
terrain conquis. Car depuis 1975, le
Tournoi (des cinq puis des six nations depuis 2000) est diffusé sur
France Télévisions. Un mariage
d’amour qui va continuer quelques temps... « Nous venons d’obtenir les droits de diffusion pour la
période 2018-2021 », souligne Daniel Bilalian, directeur des sports
de France Télévisions.
C’est une évidence dans un paysage télévisuel de plus en plus encombré, France Télévisions n’est
de fait plus seul au monde : il y a
vingt ans, l’offre de programmes
sportifs était visible sur sept chaînes établies en France, dont quatre gratuites. Aujourd’hui, le sport
est diffusé sur une trentaine de
chaînes ! Et, au milieu de cet
émiettement général, certaines
disciplines sont plus demandées
que d’autres.
TF1 absente du paysage
C’est le cas du rugby, devenu un
produit d’appel majeur pour lequel certains groupes sont prêts à
faire des folies. Exemple le plus
frappant : les droits payés par Canal+ pour diffuser en exclusivité
le Top 14, autrement dit le championnat de France, sont passés
d’une vingtaine de millions
d’euros par saison, il y a une douzaine d’années, à 74 millions
aujourd’hui ! Avec de telles sommes, même si l’on reste loin de celles atteintes par les droits du football, on entre, de fait, dans l’univers des droits dits premium.
On s’arrache donc le rugby, et de
nombreuses chaînes semblent y
trouver leur bonheur. TF1, absente du paysage rugbystique, se
réveille tous les quatre ans pour
doper ses audiences avec les
droits de diffusion de la Coupe du
monde, compétition devenue
« un véritable événement familial
et fédérateur », estime Christian
Jeanpierre, habituel commentateur de foot qui se mue, tous les
quatre ans, en voix du rugby.
Traditionnellement
dépendante des bons résultats de
l’équipe de France, TF1 a montré
que même en cas d’élimination
prématurée des Bleus, ses audiences restent élevées. En 2015, par
exemple, si le quart de finale
Nouvelle-Zélande - France a fidélisé 12,3 millions de fans (record
absolu de l’année, tous programmes confondus), des rencontres
comme Australie - Argentine
(7 millions) ou NouvelleZélande - Australie (8,5 millions
avec un pic à 11 millions en fin de
match) ont attiré un public très
nombreux.
France Télévisions fait généralement un tabac avec ses audiences
du Tournoi qui attire en plein
après-midi entre deux et cinq millions et demi de fidèles, selon l’affiche. Un France - Angleterre diffusé en soirée – ce qui est le cas samedi 19 mars – peut espérer tutoyer les sommets, même si le
record de cette affiche (18,3 millions de téléspectateurs pour la
demi-finale de Coupe du monde
2007 sur TF1) n’est pas près d’être
battu. Outre le produit phare
qu’est le Tournoi, le service public
milite pour une large exposition
rugbystique en diffusant, sur
France 4, les compétitions internationales féminines et celles des
moins de 20 ans.
« En 2012, lorsque nous avons programmé ces compétitions, personne ne s’y intéressait. J’insiste
pour que ces rencontres soient diffusées la veille du Tournoi, car il y a
un effet d’entraînement. Et les
audiences sont remarquables »,
souligne Daniel Bilalian. Remarquables sur la TNT, cela signifie des
scores avoisinant les 500 000 fidè-
les. De quoi placer le match de
rugby en question en tête des
audiences de toutes les chaînes de
la TNT.
TF1 adore donc la Coupe du
monde, France 2 le Tournoi et Canal+ n’investit pas autant d’argent
dans le Top 14 par hasard. De fait,
depuis 2003, la chaîne privée est
devenue « la » véritable chaîne du
rugby en appliquant au Top 14 des
recettes similaires à celles de la Ligue 1 de foot : moyens humains et
techniques considérables, augmentation régulière des retransmissions en direct, magazines en
plateau, innovations technologiques. Bref, en « feuilletonnant » un
championnat qui, avant les années 2000, n’intéressait pas grand
monde en dehors des fiefs traditionnels de l’Ovalie.
Les grandes chaînes veulent du
rugby, les plus petites aussi, puisque les audiences sont au rendez-vous. Une fois les grandes
compétitions achetées à prix
Les matchs
du Tournoi
des six nations
attirent, en plein
après-midi,
sur France
Télévisions
entre 2 et
5 millions
et demi
de fidèles
d’or, il reste des miettes. Mais
suffisantes pour satisfaire les appétits. Une partie de la Pro D2 est
ainsi visible sur Eurosport et le
championnat anglais sur Ma
Chaîne Sport.
« Rugbymania » télévisuelle
Quant à BeIN Sports, qui depuis
son arrivée en France en 2012 a raflé de nombreuses compétitions
majeures, notamment concernant le football étranger, le rugby
ne le laisse évidemment pas indifférent. N’ayant pu mettre la
main sur le Top 14, le groupe propose à ses abonnés la Champions
Cup et la Challenge Cup, compétitions de haut niveau. « Nous diffusons l’intégralité des deux Coupes
d’Europe, avec notamment la présence de nombreux clubs français.
Mais également vingt-quatre rencontres par saison de la Guinness
Pro 12, le championnat regroupant les meilleurs clubs écossais,
irlandais, gallois et italiens », sou-
ligne Florent Houzot, directeur
de la rédaction de BeIN.
Les raisons de cette rugbymania
télévisuelle sont multiples : « Le
rugby a toujours été un sport télévisuellement attractif mais longtemps limité au Tournoi. Ce qui en
a fait un produit d’appel majeur,
c’est à la fois sa professionnalisation, la naissance de la Coupe du
monde en 1987 et la mise en scène
façon feuilleton du Top 14 par Canal+ depuis 2003 », estime Philippe Bailly, observateur averti et
président du cabinet NPA Conseil.
« Il me semble qu’aujourd’hui
l’équilibre télévisuel entre le bloc
gratuit et le bloc payant est assez
efficace en matière de rugby. Le
feuilleton Top 14 de Canal, payant,
est de fait valorisé par les retransmissions ponctuelles de TF1 et
France Télévisions. Pour garder le
lien avec le grand public, le rugby a
besoin de conserver une exposition gratuite. » p
alain constant
Le crunch, l’autre guerre de Cent Ans
inutile de se leurrer : plus encore que
la victoire dans le Tournoi, l’enjeu réel de
chaque printemps, pour tout amateur de
rugby, est la rencontre au sommet entre la
nation qui a inventé ce sport et celle qui
lui conteste le plus férocement la suprématie européenne depuis un demi-siècle.
France-Angleterre ! L’affiche a des allures
de rendez-vous historique. L’écho des rivalités entre Capétiens et Plantagenêts, de la
guerre de Cent Ans, des affrontements coloniaux et des guerres napoléoniennes
n’est pas tout à fait éteint, même si le
XXe siècle est censé avoir fait de la perfide
Albion une alliée…
L’affrontement a juste troqué le champ de
bataille pour le pré, où trente gaillards prêts
à en découdre rejouent les duels médiévaux. Ainsi s’écrit une moderne chanson de
geste qui a naturellement ses héros : l’ailier
Emile Lesieur (1885-1985) ; Adolphe Jauréguy (1898-1977) ; Robert Soro (1922-2013) ;
Philippe Bernat-Salles…
Cette geste a aussi ses icônes, à suivre les
choix de Félicien Taris, qui, après la parution de son bel album France-Angleterre, le
crunch (Ramsay, 2015), revisite, en un documentaire enthousiaste, un affrontement
désormais séculaire. William Webb Ellis
(1806-1872), bien sûr, qui, collégien de la
Rugby School, en novembre 1823, lors d’un
match de football, traverse, ballon en
mains, le terrain pour l’aplatir dans l’enbut adverse et invente un sport nouveau.
L’homme est le premier de ces champions
de légende à incarner la dualité franco-anglaise.
« Moment crucial »
Suivront Jean Prat (1923-2005), qui réconcilie, par son panache, les amateurs des deux
côtés du Channel ; Jean Gachassin, d’une
heureuse modestie, comme le trois-quarts
centre Will Carling, capitaine anglais dont
l’élégant « good game », en fin de rencontre,
semblait une gifle aux Bleus vaincus ; Serge
Blanco ; Dimitri Yachvili, en état de grâce,
en 2004, quand la France châtie les champions du monde et s’adjuge le grand chelem…
Mais c’est un Anglais encore, après Webb
Ellis, qui incarne le mieux l’esprit du
crunch, ce « moment crucial », qui a pris sa
pleine dimension depuis les années 1980.
Moins Clive Woodward, dont le septennat
de sélectionneur a été couronné du sacre
mondial et qui, « trop passionné », se sent
« moins anglais que français »…, mais Jonny
Wilkinson, demi d’ouverture de génie, artiste majuscule qui réconcilie tous les
amoureux de l’ovale par sa maestria et son
humilité.
Traité à hauteur d’hommes, privilégiant
sur le siècle les inflexions d’un choc dont
les éclats éblouissent encore, ce documentaire néglige juste les confrontations des
Coupes du monde. Choix du duel pour la
suprématie européenne ? Problème de
coût des images des rendez-vous mondiaux ? Qu’importe ! Cette célébration généreuse est la meilleure introduction au
premier rendez-vous de Guy Novès avec le
crunch. p
philippe-jean catinchi
Le Crunch, toute une histoire,
de Félicien Taris (Fr., 2016, 55 min). Diffusé
samedi 19 mars, à 14 heures, sur France 2.
télévisions | 19
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Lucas Menget, d’un front à l’autre
Après avoir couvert les conflits du Proche et du Moyen-Orient, le journaliste impose des formats longs sur i-Télé
A
vec son crâne presque
rasé, sa carrure de rugbyman et sa voix grave
et douce, Lucas Menget
ne passe pas inaperçu sur les plateaux d’i-Télé. Le rédacteur en chef
du reportage se retrouve de plus
en plus régulièrement devant les
caméras pour présenter « Le Document » : un format de 8 minutes, soit une éternité pour un canal dédié au « hard news ». « Il est
bon de s’arrêter afin de prendre le
temps d’enquêter », explique-t-il.
Appelé à la fin du printemps 2012 par Céline Pigalle,
alors directrice de la rédaction de
la chaîne du groupe Canal+, Lucas
Menget avait pour mission de développer le reportage. Une tâche
dont il s’est largement acquitté,
non sans rencontrer plus de difficultés que prévu.
Il n’est guère aisé, en effet, d’endosser l’habit de rédacteur en
chef quand on a été habitué aux
terrains de guerre pendant près
de dix ans. « J’ai fait un certain
nombre d’erreurs quand je suis arrivé. Ma première année n’a pas été
simple du tout. J’étais beaucoup
trop dur, en raison de la carapace
forgée au fil des conflits que j’avais
couverts, comme en Irak. Après
cette expérience, rien ne vous semble grave, et on ne comprend pas
pourquoi il faut quinze réunions
pour décider de quelque chose »,
reconnaît-il avec franchise.
Correspondant à Bagdad
Journaliste depuis 1990, Lucas
Menget aura passé une bonne
partie de sa carrière professionnelle hors de France. A New York,
pendant quelques mois, comme
correspondant de France Info,
puis sur la plupart des conflits du
Proche et du Moyen-Orient. Ce licencié en histoire a, raconte-il,
« toujours été passionné par les
épopées royales de la Mésopotamie ancienne et du monde prébiblique ». Il a vu dans ces guerres
modernes un prolongement des
batailles survenues il y a des milliers d’années.
Par son père, ethnologue qui a
travaillé pendant quarante ans en
Amazonie, et sa mère, professeur
de littérature américaine, Lucas
Menget a toujours eu les yeux
tournés vers l’étranger, avec une
prédilection pour les zones les
plus agitées. « Dans les guerres, on
perçoit des étincelles d’humanité
que l’on ne trouve pas toujours
ailleurs », confie-t-il.
Pendant plus de dix ans, Lucas
Menget est envoyé dans les ré-
D IM AN CH E 20 M ARS
TF1
20.55 Contrebande
Thriller de Baltasar Kormàkur
(EU 2012, 130 min).
23.05 Esprits criminels
Série (saison 3, ép. 7 et 19/20).
France 2
20.55 Possessions
Drame d’Eric Guirado. Avec Julie
Depardieu (Fr., 2011, 95 min).
22.30 Faites entrer l’accusé
Combat pour Angélique
Présenté par Frédérique Lantieri.
France 3
20.55 Les Enquêtes de Vera
Série. Avec Brenda Blethyn
(GB, 2014, 185 min).
0.20 Intrigues en Orient
Film. Raoul Walsh (EU, 1943, 85 min).
Canal+
21.00 Football
31e journée. Ligue 1 : PSG - Monaco.
23.15 L’Equipe du dimanche
Présenté par Karim Bennani.
France 5
20.40 Lunettes,
juste une mise au point
Documentaire de Mélanie
van der Ende (Fr., 2016, 50 min).
22.25 Cachemire,
au cœur d’une poudrière
Documentaire d’Anne Poiret et
Fabrice Launay (Fr., 2015, 55 min).
Lucas Menget. DR
gions les plus dangereuses. « Je
n’ai pas le sentiment d’être une tête
brûlée ni un fanatique du danger,
j’ai peur », précise ce journaliste,
qui a refusé de couvrir pour RFI la
guerre d’Irak, protégé par les troupes américaines. Rentré à Paris
en 2006 afin de travailler aux côtés de Benoît Duquesne sur
« Complément d’enquête », le reporter n’hésitera pas une seconde
quand France 24 lui proposera de
devenir correspondant à Bagdad,
malgré l’admiration qu’il porte au
journaliste de France 2 disparu.
La capitale irakienne connaît
alors des attentats quotidiens qui
font des milliers de victimes. Le
journaliste découvre au petit matin des cadavres jonchant les rues.
Il apprend la patience quand son
fixeur l’oblige à rester calfeutré
dans son hôtel. Ce temps libre, il le
met à profit en entretenant une
correspondance avec ses proches,
où il décrit sa vie quotidienne.
Celle-ci donnera lieu à un livre,
Lettres de Bagdad, publié en 2013
aux éditions Thierry Marchaisse.
Fatigué de ce rythme, le reporter
« Ma première
année n’a pas été
simple. J’étais
beaucoup trop
dur, en raison
de la carapace
forgée au fil
des conflits que
j’avais couverts »
LUCAS MENGET
rédacteur en chef
du reportage sur i-Télé
finira par rejoindre l’équipe du
magazine « Envoyé spécial » :
« Une chance inouïe », indique-t-il.
Désormais éloigné des lignes de
front, Lucas Menget semble apprécier sa nouvelle situation.
« J’aime beaucoup guider et décider quelle est la bonne histoire »,
avoue-t-il. Et d’ajouter : « J’ai
connu l’époque où l’on partait relativement facilement à Gaza, en
Irak ou en Afghanistan sans craindre d’être pris en otage.
Aujourd’hui, je passe des nuits
blanches avant de décider d’envoyer une équipe dans ces régions. »
Un rendez-vous attendu
Le virus du terrain ne l’a pas complètement quitté ; en décembre, il
est retourné en Irak pour tourner
un documentaire, Bagdad, chronique d’une ville emmurée, inspiré
de son livre et qui doit être diffusé
par Arte fin mai.
Malgré cela, Lucas Menget jure
de « ne jamais reprendre un
rythme de reporter de chaîne info
à l’international ». Surtout, il se dit
fier, avec « Le Document », d’avoir
pu imposer sur une chaîne info
un rendez-vous, certes irrégulier,
de reportages. « Au début, je rencontrais beaucoup de résistances
de la part des gens de l’antenne. Les
présentateurs ou le responsable de
tranche horaire se demandaient ce
qu’on allait faire s’il se passait quelque chose au cours de la diffusion.
Aujourd’hui, ils me demandent
quand sera diffusé le prochain »,
assure-t-il.
« L’information est dans le quotidien des gens. Ils se branchent sur
les chaînes info dès qu’un événement intervient. Cependant, tout
cela va tellement vite qu’ils ont
aussi besoin que l’on s’arrête sur un
sujet, une histoire. C’est un exercice
qu’il faut perfectionner et systématiser », martèle-t-il. La nouvelle direction d’i-Télé n’a pas remis en
cause cette orientation voulue
par Céline Pigalle, désormais à la
tête de LCI. D’ailleurs, « Le Document », qui affiche déjà 26 numéros, devrait revenir de façon plus
régulière à l’antenne. p
joël morio
Les bonnes ondes de Guillaume Gallienne
Le succès de « Ça peut pas faire de mal » repose avant tout sur une équipe soudée, la même depuis bientôt sept ans
Ç
a peut pas faire de mal »
vit sa septième saison – la
première émission a été
diffusée le 1er septembre 2009. Tous les samedis, de
18 h 10 à 19 heures, sur France Inter, Guillaume Gallienne lit, défend la littérature, et ses auditeurs sont toujours plus nombreux. Presque un million désormais, et de plus en plus de jeunes.
Certains écoutent les émissions
en podcast pour préparer le bac
de français.
Guillaume Gallienne ne répète
pas, il découvre les textes en arrivant et ne surjoue jamais. C’est si
agréable à entendre qu’on n’imagine pas tout le travail accompli
en amont. On pense que Gallienne lit d’une traite son texte,
qu’on le met en ondes ensuite
avec un habillage sonore. Bref,
que tout cela se fait très vite.
En réalité, ce qu’on entend, et qui
semble si facile, est une œuvre collective. Et Guillaume Gallienne,
qui sait que l’auditeur se méprend
VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
sur la réalité du travail, avait envie
de faire prendre conscience de celui-ci. Une petite équipe soudée, la
même depuis le début, réalise « Ça
peut pas faire de mal ». En amont,
Estelle Gapp et Laura El Makki lisent plusieurs livres par semaine
pour faire un choix.
« Cela peut être un seul auteur ou
plusieurs semaines avec le même
auteur, explique Estelle Gapp. Par
exemple, le 19 mars, au moment
du Salon du livre de Paris, nous
avons choisi de rendre hommage
à Michel Tournier, avec des variations sur le thème de l’ogre. Ensuite, à partir du 26 mars, c’est une
série de trois émissions sur Balzac,
avec La Peau de chagrin, Les Illusions perdues et La Femme de
trente ans. Ensuite, nous entamerons un cycle de polars avec Fred
Vargas, Harlan Coben et Arnaldur
Indridason. »
Laura El Makki et Estelle Gapp
sélectionnent les textes, font un
montage, bâtissent une dramaturgie. Parfois, Guillaume Gal-
lienne déplace les choses.
Comme il ne connaît pas le texte
à l’avance, « il arrive que l’émotion
le prenne par surprise », relève le
réalisateur, Xavier Pestuggia. Celui-ci insiste sur « la liberté totale » qu’il a pour réaliser cette
émission : « J’ai rarement eu ça à
Radio France. » Toute l’équipe –
Guillaume Gallienne, Laura El
Makki, Estelle Gapp, Xavier Pestuggia et le technicien, Bernard
Lagnel – dit le plaisir qu’elle a à
composer et mettre en ondes « Ça
peut pas faire de mal ».
Un important travail de montage
Le travail technique est considérable. Car, contrairement à ce qu’on
suppose en entendant le résultat
à l’antenne, Guillaume Gallienne
ne lit pas en continu. Dès qu’il ne
« sent » pas la phrase qu’il vient de
prononcer, il la reprend immédiatement, une fois, voire deux ou
trois. A entendre la manière dont
il se reprend, on sait vite s’il est en
train de lire un grand écrivain –
Balzac – ou un auteur de polar qui
manque d’oreille…
Ensuite, il faudra choisir la
meilleure version, « pour que tout
apparaisse comme fluide », indique Xavier Pestuggia. « On fait généralement trois cents à quatre
cents coupes, précise-t-il. On enregistre 50 minutes, il en reste 35. Ensuite, on fait la mise en ondes, on
ajoute la musique. Parfois,
Guillaume la suggère ; parfois, je
la choisis. Il arrive aussi que ce
qu’on avait décidé ensemble ne
« C’est une voix
malléable,
qui sait se faire
oublier pour
mettre en valeur
le texte »
LAURA EL MAKKI
attachée de production
fonctionne pas au final, donc je
change. J’écoute souvent une cinquantaine de musiques pour trouver ce qui ira vraiment avec le
texte. En tout, le montage prend
une journée. »
Il s’agit de mettre en valeur le
texte et la voix de Guillaume Gallienne. « C’est sa façon d’interpréter qui commande la mise en ondes », rappelle Xavier Pestuggia.
Une voix qui a changé entre la
première émission, consacrée à
Proust, et aujourd’hui. Elle est
plus grave. Pour Laura El Makki,
« c’est une voix malléable, qui sait
se faire oublier pour mettre en valeur le texte ». Une équipe unie, qui
souligne « le côté ludique » de son
travail et affirme « s’amuser » :
voilà une chose suffisamment
rare pour qu’on ait envie de le
faire remarquer. p
josyane savigneau
« Ça peut pas faire de mal »,
tous les samedis à 18 h 10,
sur France Inter.
Arte
20.45 Pas de printemps
pour Marnie
Drame d’Alfred Hitchcock. Avec
Tippi Hedren (EU, 1964, 124 min).
22.50 Code(s) polar
Documentaire de Stéphane
Bergouhnioux et Jean-Marie Nizan
[2/3] (Fr., 2015, 55 min).
M6
20.55 Zone interdite
Greffe : cette inconnue
qui m’a sauvé la vie
Présenté par Wendy Bouchard.
23.00 Enquête exclusive
New York capitale du monde
Présenté par Bernard de La Villardière.
LUN D I 21 M ARS
TF1
20.55 Clem
Téléfilm. Avec Victoria Abril
(Fr., 2015, 90 min).
22.50 New York, unité spéciale
Série (S16, ép. 22/23 ; S15, ép. 19/24).
France 2
20.55 Rizzoli & Isles.
Série (S5, ép. 3 et 4/18 ; S2, ép. 9/15).
23.05 Alcaline, le Mag
Kool Shen
France 3
20.55 Johnny
Documentaire de Grégory Draï
(Fr., 2016, 122 min).
23.40 Nous, ouvriers
Documentaire [2/3] (Fr., 2016).
Canal+
21.00 Tunnel
Série (Fr. - GB, 2016, S2, ép. 5 et 6/8).
22.35 Spécial investigation
Aides aux entreprises : le grand bluff
Présenté par Stéphane Haumant.
France 5
20.40 Françoise Sagan
Téléfilm biographique de Diane
Kurys [2/2] (Fr., 2008, 90 min).
22.30 C dans l’air
Magazine présenté par Yves Calvi.
Arte
20.55 Opération jupons
Comédie de Blake Edwards
(EU, 1959, 124 min).
22.50 Tony Curtis,
le gamin du Bronx
Documentaire de Ian Ayres
(EU, 2011, 55 min).
M6
20.55 Top Chef
Présenté par Stéphane Rotenberg.
23.10 Top Chef, les secrets
des grands chefs
20 | télévisions
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
TOUR N AGE
Au pays des animaux,
la vie à tout prix
Deux documentaires évoquent les stratégies
de défense des espèces face aux menaces
FRANCE 2
DIMANCHES 20 ET 27 MARS
16 H 25
DOCUMENTAIRES
L
a survie de l’animal en forêt : tel est le thème que
déclinent les deux documentaires programmés
les 20 et 27 mars dans la case
« Grandeurs nature » de France 2.
Le premier, d’Emma Baus, qui se
concentre – hélas, avec un regard
un peu trop candide et une mise
en scène sans relief – sur les stratégies mises en place par le
monde animal pour résister à
l’envahissement de l’homme sur
leur territoire, ne retient guère
l’attention. En revanche, le second, de Frédéric Lepage et JeanMarie Cornuel, qui montre la façon dont luttent les espèces sauvages face à une catastrophe naturelle, est captivant.
Les deux réalisateurs ont en effet tout saisi de ce moment où le
fleuve Amazone qui traverse
l’immense forêt équatoriale dort
encore paisiblement, avant que
ne s’abattent soudain des trombes d’eau, entraînant en quelques mois la montée du fleuve à
hauteur d’un immeuble de dix
étages, recouvrant la forêt et détruisant l’habitat de tous ses animaux. Contraints de s’en sortir
face à cet environnement devenu
hostile et instable, tous – le paresseux très vulnérable, l’aigle harpie féroce, l’un des plus grands
du monde, ou encore le saïmiri,
petit singe acrobate – vont mener
leur propre combat.
Angoissant huis clos
Impressionnantes, les images de
La Forêt engloutie frappent d’emblée par leurs couleurs. Forcés de
filmer de nombreuses séquences
sous l’eau, les deux réalisateurs
sont parvenus à nous délivrer une
large gamme de nuances, de l’eau
trouble orangée au coucher de soleil en passant par le vert phosphorescent des profondeurs du
fleuve. Tour à tour enragée et
sombre, dévorée par le vent et les
eaux pendant le déluge ; calme,
ensoleillée et méconnaissable
lors des accalmies, la forêt offre,
elle aussi, un spectacle changeant
qui fascine.
De leur côté, les animaux apparaissent totalement confiants
face à la caméra qui les filme de
près durant de longues séquences, dévoilant ainsi patiemment
Face à un environnement devenu hostile, en Amazonie, le singe saïmiri lutte pour sa survie. FL CONCEPT
leur quotidien bousculé par le déchaînement des éléments. Du paresseux qui cherche désespérément sa nourriture disparue au
tatou chassé de son terrier
inondé, il n’y a au fond nulle différence, chacun étant mu par une
seule et même ambition : rester
en vie au prix de toute l’énergie
qui les habite.
« Comme eux, nous avons tous
été pris à la gorge à un moment ou
à un autre, avec la sensation que
l’eau monte et que nous allons
nous noyer. Ici, la vérité de la nature
reflète une métaphore qui parle des
hommes », explique Frédéric Le-
page, qui revendique la dimension
dramaturgique du documentaire.
« Rien n’est exagéré, ni déformé, j’ai
seulement repris la réalité et j’ai
montré ce huis clos angoissant. »
D’où la construction chronologique qui rythme le film et accroche le spectateur jusqu’à la dernière seconde : plus le niveau de
l’eau monte, plus le danger et l’angoisse qu’il suscite grandissent.
Une mise en scène efficace que
renforce la musique originale de
Carolin Petit à laquelle les réalisateurs ont souhaité accorder une
place prépondérante. « La Forêt
engloutie fut aussi une expérience
musicale particulière, je voulais
qu’il y ait quelque chose qui rappelle l’étrangeté, le mystère, la magie, sans envolées mélodiques »,
précise Frédéric Lepage. Presque
une tragédie débarrassée de toute
fioriture que les auteurs ont
voulu élever à hauteur d’« histoire
universelle ». p
mathilde pujol
A côté, dans nos forêts, d’Emma
Baus (Fr., 2016, 51 min), diffusé le
20 mars ; La Forêt engloutie, de
Frédéric Lepage et Jean-Marie
Cornuel (Fr., 2016, 52 min), diffusé
le 27 mars.
Tony Curtis, du Bronx à Hollywood
Retour sur la carrière d’un gamin frondeur qui sut construire sa légende
ARTE
LUNDI 21 - 22 H 50
DOCUMENTAIRE
T
ourné un an avant sa mort,
le 29 septembre 2010, ce
documentaire consacré à la
vie de Tony Curtis bénéficie des
commentaires de l’acteur qui,
dans sa maison de Las Vegas, raconte avec passion les étapes de sa
vie, qui fut plutôt mouvementée.
Avec sa coiffure de rebelle qui a
inspiré Elvis Presley et James Dean,
ses yeux langoureux et un corps
qu’il n’hésitait pas à exhiber dans
les films, Curtis fut l’un des sexsymbols d’Hollywood dans les années 1950 qui, avec une ambiguïté
sexuelle assumée, séduisait les
femmes comme les hommes.
Né dans le Bronx dans une famille juive hongroise sans le sou,
Tony Curtis, né Bernard Schwartz,
a, dès son enfance, joué de son
charme pour échapper à la misère.
Un père tailleur sans envergure,
une mère schizophrène qui le tyrannise, un frère placé dans un
établissement psychiatrique et un
autre petit frère, Julius, que Tony
prend sous son aile mais qui
trouve la mort à l’âge de 9 ans, renversé par un camion, ne favorisent
ni la légèreté ni la gaieté.
Le jeune Tony se réfugie alors
dans les salles de cinéma pour y
voir ses héros, comme Errol Flynn,
dans les films de cape et d’épée. Il
s’engage ensuite comme volontaire dans la marine pour combattre le nazisme. Entré dans une
école d’art dramatique pour ses
services rendus à l’armée, il est rapidement repéré par le studio Universal, qui l’envoie à Hollywood
pour sept ans où, sous le nom
d’Anthony Curtis, il commence sa
carrière d’acteur avec des films de
série B. Homme à femmes, c’est là
qu’il rencontre une petite starlette
encore inconnue nommée Marilyn Monroe, et surtout Janet
Leigh, une des grandes stars de la
MGM, avec qui il se marie. Dès lors,
Tony Curtis devient une vedette
que l’on voit en haut de l’affiche
aux côtés de James Stewart, Burt
Lancaster ou Kirk Douglas.
Fort de sa célébrité, Curtis n’hésite pas à tourner La Chaîne (1958),
un film contre la ségrégation avec
son ami Sidney Poitier. Mais on retiendra surtout son rôle dans Cer-
tains l’aiment chaud (1959), de Billy
Wilder, où il interprète un rôle de
femme aux côtés de Marilyn Monroe et de Jack Lemmon. Après une
traversée du désert, il renouera
avec la notoriété grâce à la série
« Amicalement vôtre ».
Ce documentaire bien construit
montre, comme le dit Tony Curtis
à la fin de Certains l’aiment chaud,
que « Personne n’est parfait ! » p
daniel psenny
Tony Curtis, le gamin
du Bronx, d’Ian Ayres
(Etats-Unis, 2011, 56 min).
Une saison 3 pour la série
« Kaboul Kitchen »
La création originale de Canal+ vient
d’annoncer le tournage de la
nouvelle saison de « Kaboul
Kitchen » (12 × 30 minutes), qui se
déroulera au Maroc, du 21 mars au
17 juin. Créée, en 2012, par Marc
Victor, Allan Mauduit et Jean-Patrick
Benes, cette série, qui raconte les
péripéties d’un restaurant en
Afghanistan, havre de détente en
tous genres pour Occidentaux
expatriés, met en scène Simon
Abkarian et Stéphane de Groodt,
Stéphanie Pasterkamp, Benjamin
Bellecour, Marc Citti et Alexis
Michalik. La fête, au milieu du
champagne et du fric qui coulent à
flots, des filles que l’on drague et des
magouilles qui se fomentent,
continue.
RAD IO
« Migrants : une route
africaine » sur RFI
La route des Balkans, qui mobilise
aujourd’hui l’attention
internationale, est la plus récente
route d’exode… D’autres, plus
anciennes, continuent, cependant, à
être empruntées par des milliers de
migrants chaque année. C’est le cas
de la route qui passe par l’Afrique du
Nord, que RFI a choisi de suivre avec
ses correspondants, dans une série
de cinq reportages que la station a
choisi de diffuser, du 21 au 25 mars, à
4 h 48 et 6 h 51.
Au programme : La décision du
départ (21 mars) ; Les préparatifs du
voyage (22 mars) ; Agadez, la ville
carrefour (23 mars) ; Le traumatisme
des sables (24 mars) ; La mémoire
des disparus (25 mars).
D É COUVE RTE
Clovis Cornillac
en « Terre inconnue »
Le comédien Clovis Cornillac a
accepté de suivre Frédéric Lopez vers
une nouvelle terre inconnue : la
province du Guizhou, dans le sud de
la Chine pour une rencontre avec
une communauté Miao. La diffusion
de ce 18e épisode de « Rendez-vous
en terre inconnue », réalisé par
Christian Gaume, est prévue très
prochainement sur France 2.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 068
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 067
HORIZONTALEMENT I. Sans conteste. II. Edicule. Peut. III. Mac. Baisai.
IV. Ipéca. Gaînée. V. Oter. Secrets. VI. La. Ion. Saï. VII. Otoscopie. Il.
VIII. Gins. Bosse. IX. Iodèrent. Pro. X. Energéticien.
VERTICALEMENT 1. Sémiologie. 2. Adaptation. 3. Nicée. Onde. 4. Sc. Cris-
ser. 5. Cuba. Oc. Rg. 6. Ola. Snobée. 7. Neige. Pont. 8. Sacristi. 9. Epair.
Es. 10. Seines. Epi. 11. Tu. Etai. Ré. 12. Etrésillon.
I. S’arrange pour qu’il y ait toujours
des restes. II. A la tête bien faite et
bien pleine. Peut tout faire péter.
III. Douce et agréable dans les feuilles.
IV. Coulisse pour prendre les bonnes
mesures. Grecque. Prépare les techniciens de demain. V. Désagréables en
bouche. Attaché à son titre. VI. Le bel
Ernesto. Vache par amour. Colmater
au foyer. VII. A franchir pour aller
plus loin. Dressée pour ne pas oublier. VIII. Piégé. Appréciation en
marge. Enzyme. Petit patron du calendrier. IX. Travaillait sur la pièce.
Changeai de timbre. X. Rattrape en
partie la faute.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
par courrier électronique :
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;
Par courrier électronique :
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Médiateur : [email protected]
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Finances : http://inance.lemonde.fr ;
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Immobilier : http://immo.lemonde.fr
Documentation : http ://archives.lemonde.fr
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-068
VERTICALEMENT
1. Fait de grosses réductions dans les
déchets. 2. Plutôt diicile de lui résister. 3. Restent en bordure. Presque
cent à Rome. 4. Les Amours chantent
sa passion pour Corinne. Donne de
l’intensité. 5. Un copain de la nana.
Sur la portée. Couleur de robe. 6. Au
cœur de l’uraète. Pose des problèmes.
Planté au cimetière. 7. Station balnéaire en Crimée. A fait sa tournée en
tournant. 8. Evitent discussions et
procédures. 9. A la bonne heure.
Théologien musulman. 10. A grand
besoin de récupérer. Bas de gamme.
11. Prisent en douce. Ouvre le journal. Singe barbu. 12. Que l’on verra à
plusieurs reprises.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
Chaque jeudi,
l’essentiel
de la presse
étrangère
CHEZ VOTRE MARCHAND
DE JOURNAUX
Présidente :
Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
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Tél : 01-57-28-39-00
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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
carnet | 21
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Merry-la-Vallée (Yonne).
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissances
Anne-Julie MARTINON
et
Marc-Antoine
RICHARD-KOWIENSKI.
ont la joie d’annoncer la naissance de
Louise,
le 31 janvier 2016, à Paris.
Laurence et Roger RAMBERT,
Karin et Jean-Claude TOLEDANO,
ont la joie de faire part de la naissance de
Olympe,
François et Marie-Grâce,
Dominique et Nausicaa,
ses enfants,
Lorédane et Rafaella,
ses petits-enfants
Ainsi que toute la famille,
font part du rappel à Dieu de
M. Pierre BOURIOT,
dans sa quatre-vingt-huitième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercedi 23 mars 2016, à 10 heures,
en l’église de Merry-la-Vallée, où l’on
se réunira.
Condoléances sur registre.
Cet avis tient lieu de faire-part et de
remerciements.
PF. Prats, Joigny-Aillant-sur-Tholon.
Claudine Cerf,
son épouse,
Nicole Bourgery,
sa sœur,
Nadine et Philippe Bensussan,
Marianne Cerf et Thierry Doré,
ses enfants,
Matthieu, Guillaume, Elodie, Hugo
et Adèle,
ses petits-enfants,
Les familles Cerf, Fauré et Bourgery,
ont la grande tristesse de faire part
du décès du
professeur Marc CERF,
ancien chef
du Service de gastroentérologie
de l’hôpital Louis Mourier,
survenu le 17 mars 2016.
La cérémonie de crémation aura
lieu le mercredi 23 mars, à 11 h 45,
au crématorium du Mont-Valérien,
rue du Calvaire, à Nanterre.
Sa famille remercie très sincèrement
l’équipe soignante du service de
cardiologie de l’hôpital Foch.
le 11 mars 2016,
Cet avis tient lieu de faire-part.
chez
15, rue des Gâte-Ceps,
92210 Saint-Cloud.
Simon et Muriel.
Mariage
Gilles ALAYRAC,
conseiller spécial
du secrétaire d’Etat aux sports,
Lionel GINESTET,
directeur de service clients,
sont heureux de faire part
de leur mariage, le samedi 26 mars 2016,
à 12 h 15, à la mairie du 12e arrondissement
de Paris.
Décès
Genève (Suisse).
Françoise Berdal Strub,
son épouse,
Andrea, Maxine et Viane,
ses illes,
Claude et Annie Berdal,
ses parents,
Sylvain et Frédérique Benoît,
son beau-frère et sa sœur,
Emma et Théo Benoît,
ses neveux,
Gisèle Strub,
sa belle-mère,
Benoît et Laurence Strub,
son beau-frère et sa belle-sœur,
Kevin, Tanguy et Thibault Strub,
ses neveux,
Les familles parentes et alliées,
Ses amis,
Ses collègues,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
M. Arnaud BERDAL,
survenu accidentellement
le dimanche 13 mars 2016,
à l’âge de quarante-et-un ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le lundi 21 mars, à 10 heures, en l’église
Saint-Joseph, place des Eaux-Vives,
à Genève.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Beyrouth. Copenhague. Melle.
Niort. Saint-Paul-de-Vence.
Daniel DEVREESE,
1946-2016,
professeur de philosophie,
est décédé.
« De quels maux as-tu souffert ?
Dans quels mots as-tu cherché la paix ? »
Ses ils
Et ses élèves,
ne l’oublieront pas.
[email protected]
Nicole Bacot,
Jacques, Marie-Hélène et Angèle
Bacot,
Jean-François Bacot et Elyane
Borowski,
éprouvent la grande douleur de faire part
du décès de
Mme Huguette Di GIACOMO,
survenu le 15 mars 2016.
Huguette aurait tant aimé traverser
son quatre-vingt-onzième printemps.
« O Maman, ma jeunesse perdue.
Complaintes, appels de ma jeunesse
sur l’autre rive. »
Albert Cohen,
Le livre de ma mère.
Les obsèques ont été célébrées à Aixles-Bains, le 19 mars.
Le Savoy,
6 avenue des Fleurs,
73100 Aix-les-Bains.
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Biviers.
M Michèle Kampf,
son épouse,
Mme Martine Kampf,
sa ille,
Jean-Bastien et Maxence Dussart,
Thimoté et Naomi Boullet,
ses petits-enfants,
Ses parents
Et amis,
me
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Serge KAMPF,
survenu à l’âge de quatre-vingt-un ans.
La cérémonie sera célébrée le lundi
21 mars 2016, à 14 heures, en la cathédrale
Notre-Dame de Grenoble.
(Le Monde du 18 mars.)
Claudie Labie,
sa belle-sœur,
Gilles et Hélène Ravelo de Tovar,
Marie-Anne et Jean-Pierre
Camescasse,
Antoine et Isabelle Ravelo de Tovar,
Emmanuel Ravelo de Tovar,
Denis et Catherine Fayein,
Vincent et Hélène Fayein,
Laurent et Clarisse Fayein,
Patrice Labie,
Anne-Françoise et Laurent
Leurquin-Labie,
ses neveux et nièces,
Ses petits-neveux et petites-nièces,
ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu du
docteur Dominique LABIE,
directeur de recherche honoraire
à l’INSERM,
chevalier de l’ordre national du Mérite,
à Paris, le 9 mars 2016.
La cérémonie religieuse aura lieu
le vendredi 1 er avril, à 10 heures, au
couvent Saint-Jacques, 20, rue des
Tanneries, Paris 13e.
L’inhumation se déroulera dans la
stricte intimité familiale.
Betoule Fekkar Lambiotte,
son épouse,
Hamdane et Salima,
leurs enfants,
Sylvie Lambiotte, Nadine Schmitt,
France Lambiotte,
ses sœurs
Et leurs familles respectives,
ont la douleur de faire part du décès de
Maurice LAMBIOTTE,
directeur de recherches au CNRS (er),
survenu le 15 mars 2016.
Les obsèques auront lieu le mardi
22 mars, à 11 h 30, au cimetière du PèreLachaise, Paris 20e.
Ni leurs ni couronnes.
B. Fekkar Lambiotte,
28, rue Le Regrattier,
75004 Paris.
Elisabeth Widemann,
sa compagne,
Jean-Christophe et Isabelle Lebeaux,
Aurélie et Alexandre Mayaud,
ses enfants,
Manon,Valentin, Eva, Gabriel,
ses petits-enfants,
Mireille Lebeaux,
Ses frères et sœurs
et leurs familles
Ainsi que tous ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Lucien LEBEAUX,
ingénieur civil des Mines,
promotion 1965,
survenu le 17 mars 2016,
à Neuilly-sur-Seine.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercredi 23 mars, en l’église SaintJustin, place d’Estienne-d’Orves,
à Levallois-Perret, où l’on se réunira
à 14 h 30.
L’inhumation aura lieu au cimetière
de Levallois-Perret, 101, rue Baudin.
48, avenue de la Porte-de-Villiers,
92300 Levallois-Perret.
Limoges. Saint-Léonard-de-Noblat.
Josette, Marc et Yolande,
Jacques et Colette (†) Peyrichou,
ses frères, sœur et belle-sœur,
Ses neveux Peyrichou, Dupont, Erard
et leurs enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Louis Michel PEYRICHOU,
ingénieur agronome,
Grignon promotion 1950,
survenu le 15 mars 2016, à Limoges,
dans sa quatre-vingt-septième année.
Ses obsèques auront lieu le samedi
19 mars, à 14 h 30, en la collégiale
de Saint-Léonard-de-Noblat.
Le présent avis tient lieu de faire-part.
Famille Peyrichou,
15, rue du Vieux-Pont,
87400 Saint-Léonard-de-Noblat.
Laurence Avril, Dominique PluotSigwalt, Isabelle Dérens, Carole Pluot,
ses illes,
Hadrien Dérens et Elisa Ortega,
leur ils, Métélis,
Laure et François Bonnerot,
leurs illes, Mila et Cléo,
Charlotte Avril,
ses petits-enfants et arrière-petits-enfants,
ont le chagrin d’annoncer le décès de
Jacqueline PLUOT,
née LEPORT,
survenu le 17 mars 2016,
dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année.
Une messe sera célébrée en la chapelle
des Sœurs-Augustines, le mardi 22 mars,
à 10 heures, 29, rue de la Santé, Paris 13e,
suivie de l’inhumation dans l’intimité
familiale, au cimetière de Bagneux
(Marne).
Maxime et François,
ses ils,
Pierre,
son petit-ils,
Patrick et Dominique Simon,
ses neveu et nièce,
Lynda et Mouida,
ses amies,
ont la douleur de faire part du décès de
Jean PRODROMIDÈS,
membre de l’Institut
(Académie des beaux-arts),
oficier de la Légion d’honneur,
oficier de l’ordre national du Mérite,
commandeur
de l’ordre des Arts et des Lettres.
La cérémonie aura lieu à Paris, en
l’église Sainte-Etienne-du-Mont, Paris 5e,
le mardi 22 mars 2016, à 10 h 30 et
l’inhumation au cimetière de La Celle
(près Brignoles), mercredi 23 mars,
à 15 heures, où il rejoindra son épouse,
Floria.
M. Erik Desmazières,
président,
M. Arnaud d’Hauterives,
secrétaire perpétuel
Et tous les membres
de l’Académie des beaux-arts,
ont la tristesse de faire part du décès
de leur confrère
24, bd Edgar-Quinet
75014 PARIS
Tél. : 01 43 20 74 52
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A votre écoute dans le respect
de vos souhaits et de vos valeurs.
PRÉVOIR • Une anticipation des étapes et des droits
ORGANISER • Une prise en main des démarches
ACCOMPAGNER • Un suivi au-delà des funérailles
Anniversaires de décès
Le 21 mars 2015,
Micheline MAUS,
née FRANCK,
nous quittait.
Duos et Débats
Carme Pinós versus Marc Barani,
jeudi 31 mars 2016, 18 h 30 à 20 h 30.
Modération : Philippe Trétiack.
Ses enfants,
Ses petits-enfants.
Le 20 mars 1989, disparassait
France POUMIRAU.
Souvent, nous pensons à elle.
« Tu sais comment les amandiers
leurissent. »
Rainer Maria Rilke.
Colloque
« Georges Pompidou et le bonheur »
30 et 31 mars 2016,
Centre Pompidou - Paris.
L’Institut Georges Pompidou
organise un colloque sur la France
des années 1960-1970 :
était-ce une France heureuse ?
En présence de
Yves Cannac, Michèle Cotta,
Hervé Gaymard, Philippe d’Iribarne.
Renseignement et réservation :
Tél. : 01 44 78 41 22.
http://www.georges-pompidou.org/
Conférence
Jean PRODROMIDÈS,
membre de la section
de Composition musicale
de l’Académie des beaux-arts,
membre de l’Institut,
oficier de la Légion d’honneur,
oficier dans l’ordre national du Mérite,
commandeur
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le jeudi 17 mars 2016,
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Les obsèques seront célébrées le mardi
22 mars, à 10 h 30, en l’église SaintEtienne-du-Mont, place Sainte-Geneviève,
Paris 5e.
L’inhumation aura lieu le mercredi
23 mars, à 15 heures, au cimetière de
La Celle (Var).
Cet avis tient lieu de faire-part.
Académie des beaux-arts,
23, quai de Conti,
75270 Paris Cedex 06.
Les Mardis de Sévigné
« Ethique, politique et esthétique :
pensée et pratique des rites confucianistes
dans la Chine ancienne »
Conférence donnée par Wenjie Zhang,
doctorante en études culturelles chinoises
et enseignante de classique chinois
pour l’Association Sino-Lettres.
Mardi 22 mars 2016,
de 18 h 30 à 20 h 30,
Collège Sévigné,
28, rue Pierre Nicole, Paris 5e.
Tél. : 01 53 10 14 14.
www.collegesevigne.org
Communications diverses
L’artiste peintre
Lise RANCILLAC,
dite « LISERAN »,
s’est éteinte le mercredi 16 mars 2016.
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses amis,
lui rendront un dernier hommage
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, le 23 mars, à 16 heures.
Remerciements
Aubervilliers.
Evelyne Yonnet-Salvator,
son épouse,
Alexandra et Xavier,
ses enfants,
Josef et Benoît,
ses petits-enfants,
Maurice et Martine Salvator,
son frère et sa belle-sœur,
Hélène et Jean Salvator-Pastré,
Laurence et Nicolas Salvator-Laurent,
ses nièces et neveux,
Gabrielle, Ariane et Lucie,
ses petites-nièces,
très touchés par les nombreuses marques
d’affection, d’amitié et de sympathie qui
leur ont été témoignées lors du décès de
leur regretté
M. Jacques SALVATOR,
ancien maire d’Aubervilliers,
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 11 mars 2016,
à l’âge de soixante-sept ans.
remercient sincèrement tous ceux qui
se sont associés à leur douleur par leur
présence, leurs messages de sympathie,
leurs envois de fleurs, leur affection,
ou leur amitié.
Plateforme de la création
architecturale
Assises pédagogiques
les 26 et 27 mars 2016,
au Mémorial de la Shoah
Dans le cadre de la Semaine d’éducation
et d’actions contre le racisme
et l’antisémitisme
L’histoire de la Shoah
face aux déis de l’enseignement.
Deux journées d’échanges
sur les pratiques pédagogiques,
en partenariat avec le ministère
de l’Éducation nationale et la DILCRA.
Samedi 26 mars 2016,
10 h 30 - 12 h 30 :
« Enseigner la Shoah,
un enseignement disciplinaire
et pluridisciplinaire ? »
14 heures -16 heures :
« D’une histoire locale à une histoire
européenne, comment mieux inscrire
l’histoire de la Shoah
dans l’espace et le temps ? »
16 heures :
« Psychanalyse,
Antisémitisme et Shoah »,
Dimanche 27 mars,
10 heures -12 h 30 :
« L’enseignement
de l’histoire de la Shoah, à l’épreuve
des pédagogies innovantes (internet,
réseaux sociaux, pédagogie inversée) ».
14 heures - 16 heures : « Comment lier
un enseignement théorique et la lutte
contre le racisme et l’antisémitisme ».
16 heures : Conclusion.
Entrée libre sur inscription :
www.memorialdelashoah.org
Les Entretiens de Chaillot
Takaharu Tezuka, Tokyo
Beyond architecture,
lundi 4 avril 2016, à 19 heures.
Les Rendez-vous
Métropolitains
Ivry-sur-Seine, entre voie luviale
et voies ferrées,
jeudi 7 avril, à 19 heures.
Les Rendez-vous critiques
Tribune de la critique architecturale
sur des questions d’actualité
animée par Francis Rambert
avec Frédéric Edelmann,
Richard Scofier, Sophie Trelcat
et Philippe Trétiack,
jeudi 14 avril, à 19 heures.
Entrée libre
inscription citechaillot.fr
PAIX ET MIGRATION
Penser le monde autrement
20 conférences, débats, tables rondes
et projections les 31 mars,
1er et 2 avril 2016,
à la Cité internationale
universitaire de Paris.
Dans l’esprit de sa vocation au service
du rapprochement entre les peuples,
la Cité internationale organise
l’Université de la Paix sur le thème
« Paix et migration :
penser le monde autrement ».
Cette manifestation a pour objet
de permettre à chacun d’approfondir
sa rélexion sur les phénomènes
de migrations avec l’appui
de personnalités et d’experts
de haut niveau.
Conférence-débat
« Les migrations menacent-elles
la stabilité des frontières
interétatiques, principe majeur
de l’ordre international ? »
31 mars à 10 heures,
Maison de Norvège,
Philippe Moreau Defarges,
chercheur à l’IFRI,
Enrico Letta,
ancien président du conseil d’Italie.
Modération : Jean-Marie Colombani.
Conférence
« Les populations en mouvement
au 21e siècle »,
31 mars, à 20 heures,
Maison Heinrich Heine,
António Guterres,
ancien haut-commissaire
des Nations Unies pour les réfugiés
(UNHCR).
Modération : Daniel Vernet.
Table ronde,
« Aspects culturels et religieux »,
er
1 avril, à 11 heures,
Maison de l’Italie,
Pierre Manent,
directeur d’études à l’EHESS,
Miriam Schader,
chercheuse au Centre de théologie
islamique de l’université de Münster,
Hatem M’Rad,
professeur de science politique
à l’université de Carthage.
Modération : Sabine Choquet.
Conférence-débat,
« Gestion des lux migratoires,
politique migratoire »,
1er avril, à 14 h 30, Maison du Canada,
Pierre Vimont,
ancien chef du service de coopération
extérieure de l’Union européenne,
Pascal Brice,
directeur général de l’Ofpra.
Modération : Virginie Guiraudon.
Témoignages,
« Les voix inaudibles de la crise
migratoire : témoignages des
résidents de la Cité internationale »,
2 avril, à 11 h 30, Maison de Norvège.
Conférence,
« Penser le monde autrement :
l’expérience de la Colombie »,
2 avril, à 16 h 30,
Fondation Biermans-Lapôtre,
Juan Carlos Henao Perez,
recteur de l’université Externado
de Bogota et négociateur
de la paix en Colombie.
Programme complet et inscription :
www.ciup.fr/universite-paix
Cité internationale
universitaire de Paris
17, boulevard Jourdan, Paris 14e.
RER B, T3a : Cité Universitaire.
22 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Gare aux
simplifications
des enjeux liés à la
procréation assistée
Emploi d’avenir | par selçuk
Dans une récente tribune, 130 médecins
prenaient position en faveur
d’un assouplissement des règles sur
l’aide à la procréation. Mais attention
à ne pas verser dans l’eugénisme
Par JACQUES TESTART
L
Cessons de ressasser les mémoires
meurtries de la guerre d’Algérie !
Le refus de Nicolas Sarkozy d’accepter que le 19 mars
soit la Journée nationale du souvenir des victimes civiles
et militaires de cette guerre est révélateur de la difficulté
encore actuelle de la France à regarder en face la page
coloniale de son passé
Par MOHAMMED HARBI
ET GILLES MANCERON
D
epuis décembre 2012, la Journée
nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de la
guerre d’Algérie a été fixée au 19 mars. La
date est celle du cessez-le-feu, décidé la
veille par les accords d’Evian, qui a rendu
possibles après plus de sept ans de guerre,
en 1962, la fin du conflit et l’indépendance
du pays. Le fait qu’il y eut encore des victimes dans les mois qui ont suivi, notamment parmi les pieds-noirs et les harkis,
est indiscutable.
Cela s’explique en grande partie par le
fait qu’une partie de ceux qui avaient soutenu en 1958 le retour au pouvoir du général de Gaulle se sont opposés à sa volonté,
lorsqu’il a constaté le ralliement massif de
la grande majorité des Algériens à l’idée
d’indépendance de leur pays, de trouver
une solution politique qui mette fin au
conflit et permette cette indépendance.
Cette politique a été approuvée, lors du
référendum du 8 janvier 1961, par 75,25 %
de oui en métropole – et 69,09 % en Algérie, malgré le vote non très majoritaire des
quartiers européens. Mais ceux qui la désapprouvaient et ne voulaient pas reconnaître ce ralliement de la majorité de la population et la victoire politique et diplomatique du FLN ont cherché à s’y opposer
par tous les moyens. Les jusqu’au-boutistes de l’Algérie française ont constitué,
dans l’Espagne du général Franco, une organisation, l’OAS, qui a voulu empêcher
cette issue en pratiquant une violence terroriste qui, au lendemain des accords
d’Evian, a été redoublée.
Jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, en
juillet 1962, l’OAS a tué près de 3 000 personnes : plus de 2 500 Algériens et environ 400 personnes parmi les militaires,
policiers et fonctionnaires français, et
AUCUN CONFLIT
NE S’EST ARRÊTÉ
INSTANTANÉMENT
À PARTIR DE LA DATE
QUI EN ANNONÇAIT
IRRÉMÉDIABLEMENT
LA FIN
parmi les Européens d’Algérie qui
n’étaient pas d’accord avec elle. Cette violence, qui s’est étendue à la France – où
elle a fait 71 morts et 394 blessés, et choqué profondément l’opinion publique –,
explique en grande partie que le cessezle-feu n’ait pas marqué en Algérie l’arrêt
immédiat des affrontements.
Un processus de transition graduelle
vers l’indépendance était prévu par les
Accords d’Evian. Un « Exécutif provisoire »
comportant des européens d’Algérie, disposant d’une « Force locale » composée à
la fois de militants nationalistes et d’anciens militaires et supplétifs algériens (les
harkis) de l’armée française, devaient favoriser une période transitoire jusqu’à l’établissement d’une République algérienne.
La violence de l’OAS, comme les débordements au sein de la Résistance algérienne,
où la maîtrise des évènements a échappé
aux négociateurs d’Evian, ont rendu ce
scénario impossible.
DISCOURS CONTRADICTOIRES
De fait, de nombreuses victimes sont intervenues après le 19 mars. Mais aucun
conflit ne s’est arrêté instantanément à
partir de la date qui en annonçait irrémédiablement la fin. La première guerre
mondiale a continué sur le front d’Orient
au-delà du 11 novembre 1918, provoquant
dans les Balkans la disparition de militaires français officiellement reconnus
comme « morts pour la France » durant ce
conflit.
Après la date du 8 mai 1945, commémorée comme la fin de la seconde guerre
mondiale, le conflit s’est poursuivi dans le
Pacifique, faisant de nombreux morts et
déportés français jusqu’à l’effondrement
du Japon. L’argument contestant la date
du 19 mars au nom du fait qu’elle n’a pas
mis fin à la longue série des victimes de ce
conflit n’est qu’un prétexte. Il cache le plus
souvent une hostilité à la politique choisie
alors par le gouvernement de la République, une sympathie ou une indulgence
pour ceux qui, comme les membres de
l’OAS, en s’opposant par tous les moyens à
la fin de cette guerre, quitte à accroître le
nombre de ses victimes, auraient été des
« résistants ».
Le refus d’accepter que le 19 mars soit la
Journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de cette guerre est
révélateur des difficultés de la France à regarder en face la page coloniale de son
passé. Des discours contradictoires ont été
tenus depuis plus de cinquante ans sur
cette question par les plus hautes autorités
de la République. Aucun président de la
République jusqu’à 2012 n’a voulu consacrer la date du 19 mars. Au sein de la droite,
le courant gaulliste favorable à la décolonisation n’a cessé de régresser jusqu’à disparaître pratiquement, tandis que l’extrême
droite nostalgique de l’Algérie française
n’a cessé de reprendre de la vigueur et a influencé sur ces sujets la principale force
politique de la droite républicaine.
François Mitterrand s’est gardé d’accéder
à la demande de commémoration, le
19 mars, de la fin de la guerre d’Algérie,
pour ne pas rompre avec certains de ses
soutiens, y compris les militaires putschistes vis-à-vis desquels il a pris l’une
des premières mesures de son premier
septennat, suscitant l’incompréhension
de sa majorité parlementaire. Jacques
Chirac a décidé en 2002 de l’installation du
mémorial du quai Branly et d’une date de
commémoration, celle du 5 décembre, qui
était vide de toute référence ou signification historique. Pendant sa présidence,
Nicolas Sarkozy n’a cessé, dans un but
électoral, de faire des clins d’œil aux nostalgiques de l’Algérie française regroupés à
l’extrême droite. Après la loi de 2005 évoquant le « rôle positif » de la colonisation,
il a fait du « refus de la repentance » l’un de
ses thèmes de prédilection. Rien n’a été
fait durant les cinquante-quatre ans après
la signature des accords d’Evian pour
solder le « contentieux historique » entre
l’Algérie et la France. Depuis un demi-siècle, une guerre des mémoires s’est poursuivie. On a assisté à la résurgence de haines anciennes. Ce n’est pas le choix de la
date du 19 mars qui entretient la guerre
des mémoires, c’est le fait que ce choix ne
soit pas intervenu plus tôt.
Cette question n’intéresse pas seulement les historiens, elle concerne aussi le
présent et l’avenir de toute la société, les
préjugés et les stéréotypes qui y produisent les principales discriminations. Pour
progresser vers une perception apaisée du
passé, il faut dépasser ce ressassement des
mémoires meurtries, il faut accepter la
libre recherche historique et entendre toutes les mémoires, à l’écart de toutes les
instrumentalisations officielles. Afin
qu’une connaissance se développe sur la
base des regards croisés des historiens des
différents pays. p
¶
Mohammed Harbi est historien. Ancien membre
dirigeant du FLN et conseiller de la délégation algérienne
lors des négociations d’Evian, il a notamment publié
« Une vie debout. Mémoires politiques » (La Découverte,
2001) et « La Guerre d’Algérie » (en collaboration
avec Benjamin Stora, Robert Laffont, 2004).
Gilles Manceron est historien, auteur notamment
de « Marianne et les colonies » (La Découverte, 2003)
et de « 1885 : le tournant colonial de la République »
(La Découverte, 2007).
¶
Jacques Testart
est biologiste,
pionnier
de l’assistance
médicale
à la procréation.
Il est notamment
l’auteur de « Faire
des enfants
demain »
(Seuil, 2014)
es signataires du manifeste contre la loi
encadrant l’assistance médicale à la
procréation évoquent quatre situations
où ils auraient été obligés de ne pas respecter
cette loi (Le Monde du 18 mars). Ils ne disent
pas si des documents ont été falsifiés pour obtenir le remboursement des actes prohibés, ni
les complicités qu’ils ont pu établir depuis
longtemps avec des praticiens à l’étranger, et
ils évitent d’évoquer la contribution de certains d’entre eux à des pratiques que d’autres
désapprouvent (comme la location d’utérus).
Leur démarche reflète un authentique malaise dans la profession et leur frustration au
regard de ce qui est possible ailleurs, mais les
signataires simplifient à l’extrême les enjeux
bioéthiques pour les réduire à une supposée
obligation de répondre à toutes les demandes
présentées par des patients. L’escalade des
exigences est argumentée comme une course
sans limite. Parce que c’est possible dans
d’autres pays (argument utilisé pour trois exigences parmi les quatre exprimées), ou dans
l’autre sexe (conservation d’ovocytes), ou que
cela conduit à un statut familial autorisé (assistance médicale à la procréation pour femmes seules).
Aucune interrogation sur le nouveau rôle
que s’attribue la biomédecine pour résoudre
des situations d’origine sociale plutôt que médicale, sur la nature complexe du « désir d’enfant », sur l’efficacité des actes revendiqués
(chaque ovocyte conservé n’a que trois chances sur cent de devenir un enfant), sur les coûts
induits pour la collectivité, ou sur le caractère
vétérinaire de certaines pratiques. Ainsi, les
banques de sperme procèdent à « l’appariement de couples reproducteurs » dans un
souci de qualité génétique de l’enfant, tout en
maintenant de manière définitive l’anonymat
du donneur, au mépris du questionnement de
la personne conçue sur ses origines. Surtout,
l’escalade technologique est sensible pour le
diagnostic préimplantatoire (DPI) de l’embryon. Le caryotype (formule chromosomique) est revendiqué par les signataires du manifeste en complément du dépistage de
mutations géniques. Ce nouvel examen de
l’embryon ouvre le DPI à tous les patients qui
réalisent une fécondation in vitro (FIV).
L’ÉVITEMENT DES ÉCARTS À LA NORME
En recherchant, avec le généticien Bernard Sèle,
récemment disparu, une limitation effective de
l’eugénisme que construit le DPI, nous avions
avancé, dès 1999, qu’il serait acceptable de réaliser le caryotype à l’occasion d’un DPI, mais
c’était dans l’hypothèse définitive d’associer ce
caryotype avec la recherche d’une seule mutation de gène pour tous les embryons d’un couple. Ici, le caryotype est proposé comme une
marche de plus, supposée répondre à un risque
démontré, comme si tout couple n’était pas à
risque d’anomalie chromosomique – ainsi,
dans l’émission « Les Maternelles » qui sera diffusée sur France 5 le 28 mars et à laquelle j’ai
participé, l’un des signataires du manifeste demande, en complément au DPI, de pouvoir dépister la trisomie 21, une anomalie sans facteur
de risque déterminant.
Pourquoi, nous dira-t-on dès que ce DPI chromosomique sera légalisé, le limiter à des situations de fausses couches répétées alors que les
anomalies chromosomiques sont presque toujours imprévisibles ? Et pourquoi les couples
réalisant une FIV pour stérilité ne demanderaient-ils pas le bénéfice du DPI, en revendiquant l’égalité de tous les patients vis-à-vis des
risques génétiques ? Et puisque « nos » patients
vont à l’étranger pour concevoir un enfant du
sexe préféré ou indemne de strabisme et garanti contre de multiples aléas, comment tolérer de ne pas disposer de ces services en France ?
Selon les exigences médicales, le DPI s’élargira jusqu’à l’évitement de tous les écarts à la
norme, ce qui deviendra techniquement possible dès que les embryons seront produits
par centaines et que la fivete ne sera plus un
parcours du combattant. Cette situation sera
propice à la réalisation d’un véritable eugénisme mou et démocratique. Le manifeste
rappelle que la bioéthique est l’art de poser
des limites. p
débats & analyses | 23
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Médiateur | PAR FRAN C K N O U C H I
Le commentateur et le modérateur
V
ous êtes nombreux à m’écrire à
propos de la manière dont sont
modérés les commentaires postés
sur les différents supports du
Monde. Les uns veulent savoir comment fonctionne ce dispositif. D’autres se plaignent
d’être régulièrement censurés. Certains, enfin, expriment un profond malaise à la lecture
de certaines réactions. Voici par exemple un
courriel significatif. Il m’avait été adressé par
Agnès Goubin (Paris) à la suite de la publication d’un article intitulé « Contrôle d’identité
au faciès : L’Etat se pourvoit en cassation »
(Le Monde du 17 octobre 2015).
« Rien à redire sur cet article », écrivait cette
lectrice, avant d’ajouter ceci : « Les réactions
des abonnés du Monde sont d’une autre teneur
et ce n’est pas la première fois que je suis frappée par les propos démagogues et racistes que
j’y lis (…). Je trouve que ce type de forums, sans
modération, ressemble à un café du commerce.
La lepénisation des idées est partout, merci de
ne pas y participer. Vous avez un rôle à jouer en
tant que grand quotidien d’information. »
Contrairement à ce que semble croire notre
lectrice, le site du Monde fait l’objet d’une modération. Clément Martel, qui, au Monde.fr,
exerce la fonction de social media editor
(SME), nous en détaille le fonctionnement.
« Comme dans la plupart des titres de presse
hexagonaux, explique-t-il, c’est une entreprise
spécialisée, Netino, qui est chargée de modérer
au quotidien les commentaires. Se relayant
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une quinzaine de personnes de cette société travaillent
de manière étroite avec les équipes du Monde. »
Au total, au cours de l’année 2015, l’équipe de
modération du Monde.fr a traité plus de 4 millions de commentaires, tous supports confondus. Selon Netino, 71 % de ces commentaires
avaient été postés sur les pages Facebook du
Monde, 17 % sur notre site et 12 % sur les blogs
que nous hébergeons. Sur près de 3 millions de
commentaires postés sur nos différentes pages Facebook, le taux de rejet (c’est-à-dire de
suppression des commentaires qui ne respectent pas notre charte de modération) est de
21,5 %. Sur le site, ce taux est de 16 %.
RESPONSABILITÉ LÉGALE
Dès lors, direz-vous, pour quelles raisons, et
sur la base de quels critères, tel ou tel commentaire est-il supprimé ? « Nous sommes légalement responsables des propos publiés sur
notre site, explique Clément Martel. Ces propos incluent les commentaires en pied d’article
et, par capillarité, ceux publiés sur notre page
Facebook. Par conséquent, comme le précise
notre charte de modération, “les modérateurs
suppriment les messages qu’ils jugent hors su-
jet, diffamants, insultants, ou s’attaquant de
manière virulente et injustifiée au travail de
notre rédaction ou à d’autres membres de notre communauté”. »
« Nous cherchons à favoriser des discussions
constructives et de qualité, poursuit Clément
Martel. Et, pour ce faire, il nous arrive de supprimer des commentaires qui, s’ils ne vont pas
à l’encontre de la loi, laissent planer suffisamment de doutes quant à leurs sous-entendus.
Très souvent, ils sont le fait de “trolls” rompus à
l’exercice du commentaire “borderline”. »
Il arrive toutefois que certains commentaires choquants restent en ligne, alors même
qu’ils ne respectent pas notre charte de modération. « Notre modération se fait a posteriori,
explique Clément Martel. Sur Facebook, certains commentaires sont automatiquement
supprimés s’ils contiennent des mots entrants
dans notre “black list” (“connards”, “salauds”
ou “pouffiasse” en font partie, parmi bien
d’autres). Mais, en règle générale, une intervention humaine est nécessaire pour qu’un commentaire soit supprimé. Au vu de la masse de
commentaires à gérer – près de 11 000 chaque
jour, tous supports confondus –, il arrive donc
que certaines réactions, susceptibles de choquer, demeurent quelques minutes en ligne. »
Impossible, ici, de mentionner tous les cas
de commentaires supprimés par… erreur. Il
y en a, vous m’en faites part quotidiennement, et sachez, pour peu qu’ils respectent
la charte de modération, que leur suppression ne répond à aucune consigne spécifique de censure.
Enfin, si plusieurs d’entre vous regrettent
que les commentaires soient réservés aux
abonnés (au Monde, seuls les blogs et les articles publiés dans la rubrique « Big Browser »
sont « ouverts » à tous les internautes),
d’autres, au contraire, défendent l’idée qu’il
serait plus « sain » de supprimer purement et
simplement la pratique des commentaires.
Soulignant que la situation actuelle « n’est
pas satisfaisante », Nabil Wakim, le directeur
de l’innovation éditoriale, note que la qualité
globale des commentaires est bien meilleure
sur certains blogs, comme, par exemple, ceux
de Pascale Robert-Diard ou de Pierre Barthélémy. Le fait que ces confrères prennent le
temps de répondre à leurs lecteurs n’y est
sans doute pas pour rien.
« Ce débat important ne fait que commencer », poursuit Nabil Wakim. Dans les prochains mois, avec ses équipes, il compte aller à
votre rencontre afin de connaître vos opinions sur ces questions cruciales. Il en va de la
qualité et de la dignité du débat public. p
EN 2015, L’ÉQUIPE
DE MODÉRATION
DU MONDE.FR
A TRAITÉ PLUS
DE 4 MILLIONS DE
COMMENTAIRES,
TOUS SUPPORTS
CONFONDUS
[email protected]
Vladimir Poutine évite le bourbier syrien, Aux origines de la
guerre de Corée
pas l’enlisement ukrainien
LE GRAND LEADER ET LE PILOTE,
Analyse
isabelle mandraud
moscou - correspondance
L’
« ÉCHANGER
LA SYRIE CONTRE
LE DONBASS
A ÉCHOUÉ.
LA RUSSIE RESTE
SOUS SANCTIONS
ET SOUS LE POIDS
DE LA
RESPONSABILITÉ
DU CONFLIT
UKRAINIEN »,
SELON LE
JOURNAL RUSSE
« VEDOMOSTI »
intervention militaire russe en Syrie puis, six mois plus tard, le retrait
tout aussi soudain de la « majeure
partie » de ses forces sur le terrain
ont permis à la Russie de sortir partiellement de l’isolement créé par
son implication dans le conflit ukrainien. Peu importe les critiques sur des opérations lancées depuis Moscou qui ont davantage visé les opposants
de Bachar Al-Assad que les groupes djihadistes de
l’organisation Etat islamique (EI) ou de Jabhat AlNosra affilié à Al-Qaida, l’essentiel pour Vladimir
Poutine était de reprendre une place qu’il estime
devoir lui revenir sur l’échiquier mondial.
Mais si le président russe a su s’imposer comme
un partenaire majeur au Moyen-Orient et contourner habilement le risque d’un « bourbier
afghan », comme certains le lui prédisaient en retirant ses forces au moment propice – une trêve,
négociée comme au bon vieux temps avec les
Etats-Unis, et plus ou moins respectée, hors l’EI et
Jabhat Al-Nosra, par les parties syriennes belligérantes –, l’enlisement ukrainien, lui, est bien réel.
Deux ans tout juste après son annexion, ratifiée
officiellement le 18 mars 2014 par le Parlement
russe, la Crimée reste une pomme de discorde. Les
accords de Minsk signés en février 2015 dans la capitale biélorusse, censés mettre fin au conflit
meurtrier dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine,
patinent. Et l’Union européenne a prolongé les
sanctions contre la Russie.
Début mars, la réunion à Paris des quatre pays
parrains de ces accords (Allemagne, France, Russie et Ukraine) s’est achevée sur un désaccord concernant l’organisation d’élections locales prévues
dans les textes, Kiev et Moscou se rejetant mutuellement la responsabilité. En attendant, même
si les combats ont perdu de leur intensité, des accrochages opposent quotidiennement l’armée
ukrainienne aux séparatistes prorusses. Ces derniers, installés dans la République autonome
autoproclamée de Donetsk, dans le Donbass, continuent leurs provocations en mettant en circulation des « passeports » en tous points semblables
à ceux de Russie.
De l’autre côté, le spectaculaire bras d’honneur
de la pilote ukrainienne Nadejda Savtchenko
adressé à un tribunal russe est en passe de devenir un symbole de résistance à Kiev, où l’ambassade russe a récemment été la cible de manifestants en colère. Jugée sur le territoire russe où
elle affirme avoir été « enlevée », cette femme de
34 ans, devenue députée dans son pays alors
qu’elle se trouvait en détention, poursuivie malgré ses dénégations pour complicité après la
mort de deux journalistes russes dans le Donbass en juillet 2014, encourt vingt-trois ans de
réclusion. Les appels à sa libération, en Europe et
aux Etats-Unis, se multiplient, à l’approche du
verdict prévu les 21 et 22 mars.
En apparence, le théâtre des opérations en Syrie
a peu à voir avec celui en Ukraine. En réalité, ils
sont liés. Grâce au dossier syrien, Moscou a réintégré une place prépondérante sur la scène diplomatique internationale mais la méfiance créée
par la crise ukrainienne reste de mise. « En
Ukraine, nous avons déjà vu la Russie parler d’un
retrait et ça s’est avéré être une simple relève de
troupes, a lancé le ministre des affaires étrangères britannique, Philip Hammond. On a déjà entendu le ministre russe de la défense [Sergueï]
Choïgou dire que les bombardements contre les
terroristes – ce qui veut dire tous les opposants au
régime, dans le langage russe – allaient continuer,
alors attendons de voir ce qui se passe vraiment. »
LA MÉFIANCE RESTE DE MISE
Comme le notait, le 16 mars, le journal russe Vedomosti, « il semble que Moscou a considéré que l’objectif principal de sortir de son isolement international a été accompli ». Mais, ajoutait férocement
l’éditorial du quotidien, « le problème est que cette
sortie d’isolement risque de rester locale. (…) Echanger la Syrie contre le Donbass a échoué. La Russie
reste sous sanctions et sous le poids de la responsabilité du conflit ukrainien ». Agacé, impatient de récolter les dividendes de l’opération syrienne présentée comme une contribution à la lutte internationale contre le terrorisme, Poutine a lui-même
établi un trait d’union avec l’autre dossier resté
sur sa table lorsqu’il a annoncé par téléphone, au
soir du 14 mars, à Barack Obama sa décision de
passer à un volet plus diplomatique que militaire.
« Les dirigeants, a rapporté le Kremlin dans un
communiqué, ont confirmé leur intention de continuer à travailler avec les parties en conflit dans le
but de régler ce dernier. » Il ne s’agissait pas de la Syrie, mais bel et bien de l’Ukraine. La poursuite du
dialogue russo-américain paraît conditionnée à
cette impérieuse nécessité de sortir par le haut
d’une crise qui a coûté très cher à la Russie – bien
plus que l’effort de guerre en Syrie, évalué par le
journal russe RBK Daily à 38 milliards de roubles
(près de 500 millions d’euros).
« Bien sûr, nous, du côté russe, sommes toujours
prêts à discuter sur la Syrie de notre coordination et
à joindre nos efforts pour trouver une solution pacifique », a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du
Kremlin, en confirmant la venue à Moscou, peutêtre le 24 mars, du secrétaire d’Etat américain,
John Kerry. Mais, a-t-il ajouté, en laissant entendre
qu’une rencontre avec le président Poutine était
en débat, « Moscou est aussitôt prêt à échanger nos
opinions sur l’application, ou la non-application,
des accords de Minsk par la partie ukrainienne ».
Vis-à-vis des Européens, Moscou multiplie aussi,
en ce moment, les démarches auprès des chancelleries. Les émissaires sont tous porteurs du même
message : ce n’est pas la faute de la Russie si les accords de Minsk piétinent, c’est Kiev qui ne respecte pas ses engagements. Kiev qui reste une entrave aux rêves de grandeur de Poutine. p
de Blaine Harden
Belfond, 288 pages, 20 €
LE LIVRE
P
éninsule coréenne, à partir du milieu des années 1940. La seconde guerre mondiale
s’achève par des bombardements d’une puissance inédite sur Hiroshima et Nagasaki, au Japon. Après avoir mené des troupes pendant la résistance contre l’occupant japonais sur le sol chinois, Kim
Il-sung rentre à Pyongyang dans l’ombre. Pour les Soviétiques, nouveaux parrains du Nord, il est loin d’être le dirigeant le plus évident. Ils lui auraient préféré Cho Mansik, plus populaire, mais celui-ci n’appréciait pas l’idée
que son pays vive dans l’orbite de Moscou. Staline misera donc sur le pion Kim Il-sung.
De son côté, la famille No a accepté la présence japonaise. C’est un groupe nippon qui emploie le père, qui a
poussé son fils à apprendre la langue. Il incite également No Kum-sok à se mettre à l’anglais et les livres
qu’il lit l’inspirent : à 13 ans, il pense déjà à l’Amérique.
Le journaliste Blaine Harden, ancien chef de bureau du
Washington Post à Tokyo, mêle ici le récit historique à la
narration journalistique de la vie de ce jeune homme.
L’auteur avait déjà coécrit Rescapé du camp 14 (Belfond,
2012), sur la vie de Shin Dong-hyuk qui, dans le sinistre
des témoignages de réfugiés issus du Nord, se démarquait car il passa toute son existence dans un camp de
travail, sans jamais connaître la liberté avant sa grande
fuite. Shin avait d’ailleurs par la suite dû reconnaître
avoir noirci certains éléments de cette vie d’esclave.
DÉROUTE
Cette fois, Blaine Harden se plonge dans les deux destins
de Kim Il-sung et No Kum-sok, qui se croisent dans une
péninsule bientôt plongée dans le premier conflit chaud
de la guerre froide. Les ambitions démesurées et les imprudences du « Grand Leader » vont conduire à la guerre
de Corée. Malgré les réticences initiales de la Russie et de
la Chine, Kim est persuadé de pouvoir emporter la bataille en un temps record, convaincu que les Etats-Unis
n’y mettront pas leur nez et que des sympathisants communistes se rallieront à l’arrivée de ses troupes.
L’Histoire en décide autrement. Les bombardiers B-29
de l’US Air Force rasent les centres urbains nord-coréens
au napalm, le Nord n’a pas les chasseurs qui les en empêcheraient et n’a pas attendu les livraisons de chars russes.
C’est la déroute. Au constat de cet échec, la Chine envoie
ses troupes et Moscou livre ses Mig, des avions de chasse
à la manœuvre dangereuse.
Pour la seule raison qu’il n’a pas le tournis lorsque ses
supérieurs lui font passer le test de la rotation sur luimême, No Kum-sok deviendra pilote de cette nouvelle
aviation du Nord. Mais son cœur n’a jamais été de ce côté,
la propagande et le culte de la personnalité qui déjà s’imposent dans son camp n’ont pas de prise sur son esprit et,
bientôt, No est le premier et seul pilote du Nord à faire défection en atterrissant sur une base du Sud. p
harold thibault
24 | 0123
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
par sylvie kauffmann
Russie, le retour
E
fficace, le mot a claqué à
la « une » des médias russes ces derniers jours :
« Doma ! » « Doma », littéralement, signifie « à la maison ».
En gros titre au-dessus de la photo
d’un pilote de chasse, encore
coiffé de son casque, porté en
triomphe à sa descente d’avion,
cela veut dire « de retour ! ». Et la
Russie, ce week-end, fête un double retour : celui de ses troupes
envoyées en Syrie il y a cinq mois
et demi, et le deuxième anniversaire de l’annexion de la Crimée,
formellement reprise à l’Ukraine
le 18 mars 2014.
Le premier est triomphal, le second un peu moins. Mais cumulés, pour l’opinion publique russe,
ils signent un troisième retour,
celui de la puissance Russie. C’est
une nouvelle réalité, probablement durable, que les Occidentaux doivent prendre en compte.
Le retour de Syrie, d’abord, n’est
pas un retrait. Annoncé le 14 mars
à la télévision par le président
Poutine, de manière aussi imprévue que l’expédition du contingent russe le 30 septembre 2015, il
porte sur le gros des avions de
combat – une cinquantaine – et
du corps expéditionnaire, évalué
de 4 000 à 6 000 hommes. La Russie, cependant, garde sa base navale de Tartous et sa toute nouvelle base aérienne de Hmeimim.
Le système de défense antiaérienne reste en place, assurant à la
Russie le contrôle de l’espace aérien syrien. Vladimir Poutine a luimême averti : ses avions referont
le voyage « en quelques heures » si
nécessaire, et les experts militaires ont observé ces derniers jours,
à la faveur de la rotation, le déploiement en Syrie de nouveaux
hélicoptères russes, sans doute
chargés de veiller au grain.
En Syrie, « objectifs remplis »
Joli succès pour le Kremlin. Pour
marquer le coup, M. Poutine s’est
payé le luxe d’un coup de fil à Barack Obama le soir même, histoire
de parler d’égal à égal des affaires
du monde, de grande puissance à
grande puissance. Instruit par les
aventures de ses prédécesseurs
soviétiques en Afghanistan et celles de George W. Bush en Irak, le
président russe s’épargne les mises en scène hollywoodiennes de
type « Mission accomplie » ; quelques belles images d’avions volant en escadrille vers la mère patrie dans un ciel azuréen et de touchantes retrouvailles familiales
« doma » feront l’affaire. « Les objectifs des forces armées russes sont
remplis », assure sobrement le président : on ferme le ban, sans préciser lesquels.
Au départ, M. Poutine avait justifié son intervention en Syrie par
la volonté de « stabiliser » le régime syrien et de « combattre les
terroristes ». Le premier objectif
est incontestablement atteint. Le
second dépend de ce que l’on entend par « terroristes ». Les Occidentaux ont vite compris qu’il
s’agissait essentiellement de
leurs alliés, qu’ils appellent, eux,
« opposition modérée ». Mais le directeur de cabinet du président,
Sergueï Ivanov, avait bien parlé,
lui de « l’Etat islamique » comme
cible. De ce point de vue, l’objectif
À LA TÉLÉVISION,
IL N’EST QUESTION
QUE DE GLOIRE
ET DE VICTOIRES,
MAIS LORSQU’ON
SE LÈVE POUR
OUVRIR LE FRIGO,
IL EST VIDE
C’EST UNE
NOUVELLE RÉALITÉ
QUE LES
OCCIDENTAUX
DOIVENT PRENDRE
EN COMPTE
n’est pas rempli – sauf si le véritable but était de détruire tout ce
qui se tenait entre le régime Assad et l’EI, de manière à n’avoir
plus que l’EI comme ennemi.
Cette opération syrienne a
fourni une vitrine de rêve à l’industrie russe de la défense,
deuxième exportatrice d’armes
au monde, et aux militaires russes
l’occasion d’opérer conjointement
avec des forces locales. D’autres
éléments, pourtant, trahissent
une mission inachevée : il y a un
cessez-le-feu et des pourparlers,
mais pas de solution en vue.
Les relations entre Moscou et
Ankara, acteur-clé dans la région,
sont au plus bas. Dans la grande
fracture chiites-sunnites, Moscou
a choisi les chiites, alors que les
musulmans de Russie sont sunnites. « Comme au restaurant, l’addition finit toujours par arriver,
avertit un diplomate musulman
de haut rang. Les Russes ont fait
un bon déjeuner, alors que les
Américains se sont contentés du
café. La différence se verra dans
l’addition. »
« Nous avons perdu l’Ukraine »
Le retour de la Russie dans le concert des puissances est plus difficile à opérer sur la crise ukrainienne. Là, l’armée russe n’était
pas invitée, elle a même dû se déguiser. Deux ans après l’invasion
de la Crimée, suivie de l’intervention dans le Donbass, les accords
de Minsk censés régler le conflit
sous l’égide de Berlin et Paris
sont dans l’impasse, Moscou et
Kiev s’en rejetant mutuellement
la faute.
Même s’ils ne l’admettent qu’officieusement, les dirigeants russes vivent très mal les sanctions
occidentales, qui portent atteinte
à leur économie et à leur dignité.
« Nous avons perdu l’Ukraine, reconnaît en privé un responsable
russe, mais nous voulons protéger
les minorités russes et garder notre
influence dans le Donbass, c’est
naturel. » Ils gardent aussi la Crimée, « valise sans poignée », ironisent les rares opposants à Moscou. Le conflit est gelé, mais il est
gelé pour tout le monde.
Le citoyen russe moyen ne connaît de l’Ukraine et de la Syrie que
le tableau fantasmé que lui sert,
jour après jour, la propagande télévisée. Il constate que l’économie russe est en récession et que
son niveau de vie en baisse, mais
il en absout bien volontiers son
président : c’est la faute des cours
du pétrole et des sanctions. « Jamais dans l’histoire de la Russie il
n’y a eu un tel consensus entre le
peuple et son leader », dit un sociologue du Centre Levada.
Aucune réforme économique sérieuse n’est entreprise, mais
qu’importe, puisque la Russie, de
nouveau, est grande.
Les spécialistes de l’opinion publique russe aiment comparer le
« facteur télé » et le « facteur
frigo ». A la télévision, il n’est question que de gloire et de victoires,
mais lorsqu’on se lève pour ouvrir
le frigo, il est vide. Quel facteur
l’emporte dans l’esprit des Russes ? Pour l’instant, miraculeusement, c’est la télé. Il reste juste à
Vladimir Poutine à garantir le
spectacle jusqu’à la prochaine
élection présidentielle, en 2018. p
[email protected]
Tirage du Monde daté samedi 19 mars : 280 837 exemplaires
LES LIMITES DE
LA REALPOLITIK
FACE À
LA TURQUIE
L
a forteresse Europe a confié très officiellement à Ankara le soin de tarir le
flux des réfugiés. L’accord conclu
avec la Turquie, vendredi 18 mars, après des
semaines de psychodrames, n’a rien de glorieux : le continent accepte en effet le renvoi vers la Turquie des réfugiés syriens parvenus en Grèce et va organiser des départs
légaux vers les capitales européennes, selon le principe assez cynique du « 1 contre
1 » – un réfugié syrien officiellement accepté en Europe pour un Syrien refoulé de
Grèce. Si le compromis écorne un certain
nombre de principes humanistes qui fondent les valeurs de l’Union européenne, il
améliore un peu les points les plus discutables esquissés le 7 mars à Bruxelles, entre
l’UE et la Turquie, sous la pression de la
chancelière allemande, Angela Merkel.
Le message est clair et empreint de peu
de générosité : « Tous les nouveaux migrants irréguliers [se rendant dans les îles
grecques par la Turquie] seront, à partir du
20 mars, renvoyés en Turquie. » Ils ont été
850 000 en 2015 et plus de 140 000 depuis
le début de l’année. Les Européens,
Mme Merkel en tête, disent aujourd’hui en
chœur : ça suffit ! Par rapport au texte du
7 mars, l’accord prévoit tout de même de
mieux encadrer les procédures, en excluant les renvois collectifs et en examinant les demandes d’asile individuellement. Mais des zones d’ombre subsistent,
et un principe essentiel est mis à mal :
comment un Syrien éligible au droit
d’asile en Europe, en raison de la guerre
dans son pays, peut-il être renvoyé vers la
Turquie, pays que les Européens sont incapables de considérer collectivement
comme « sûr » ?
Si l’Europe s’attaque comme jamais aux
passeurs, les îles grecques risquent néanmoins de se transformer en vastes camps
humanitaires. Les centres d’enregistrement, qui ont bien du mal à fonctionner,
devront prendre en charge les migrants
économiques avant leur retour en Turquie,
mais aussi les réfugiés, dans l’attente de
leur demande d’asile ou du résultat des recours qu’ils auront déposés. La Grèce, tou-
IRAN DE LA PERSE D’HIER
jours exsangue, n’y est pas prête. La Commission européenne prévoit de recruter
4 000 personnes pour faire face à l’urgence.
Cela suffira-t-il ? Et comment cela se passera-t-il en Turquie lors du retour des migrants ? « L’accueil et les autres dispositifs
doivent être prêts en Turquie avant que quiconque soit renvoyé depuis la Grèce », a prévenu, vendredi, le Haut-Commissariat aux
réfugiés. Rien n’est moins sûr.
L’attitude imprévisible du gouvernement
turc reste un gros sujet d’inquiétude. Le
président du pays, Recep Tayyip Erdogan, a
multiplié les provocations dans un jeu de
surenchère permanent. L’Europe a préféré
fermer les yeux sur les atteintes à l’Etat de
droit en Turquie. Le projet du 7 mars passait ainsi sous silence les attaques contre la
presse et, en proposant l’ouverture de chapitres de négociation d’adhésion à l’UE, il
faisait fi de l’opposition de Chypre, un Etat
non reconnu par la Turquie – qui occupe
toujours la moitié nord de l’île.
Dans l’accord final, les intérêts de Chypre
ont été ménagés et des exigences à l’égard
d’Ankara ont été réaffirmées, sans que la
Turquie claque la porte. Les Européens ont
ainsi affirmé qu’ils ne transigeraient pas
sur les critères à remplir pour accélérer la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs. Signe que l’Europe, même en
position de faiblesse, ne doit pas tout à fait
renoncer à ses principes fondateurs. p
En partenariat avec
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Docteur en histoire et en archéologie, il a dirigé l’Institut français de
Téhéran de 2008 à 2012. Auteur en 2015 de L’Iran si loin si proche, de
la méfiance à la fascination, Jean-Claude Voisin travaille aujourd’hui au
renforcement des liens entre les entreprises iraniennes et françaises.
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Bataille pour Darty : Conforama
prend l’avantage sur la Fnac
Facebook
va-t-il avaler
les médias ?
▶ L’enseigne d’électroménager a accepté l’offre de rachat émanant de Conforama, éconduisant « l’agitateur culturel »
D
eux petites semaines de réflexion auront suffi. Les administrateurs de Darty et de Conforama ont annoncé, vendredi 18 mars,
avoir « trouvé un accord » en vue de leur
rapprochement. Au grand dam de la Fnac,
qui, en novembre 2015, avait obtenu l’accord du conseil de Darty pour un rachat
lors d’une opération combinant échange
d’actions et versements en liquide.
C’était compter sans Christo Wiese.
Deuxième fortune d’Afrique du Sud, ce
self-made-man de 74 ans est l’actionnaire principal de Steinhoff International, un conglomérat sud-africain de la
distribution.
Le groupe aux 9,8 milliards d’euros de
chiffre d’affaires est connu pour sa voracité. En mars 2011, il avait racheté l’enseigne d’ameublement Conforama au
groupe PPR (devenu Kering), détenu par
la famille de François Pinault. Le SudAfricain avait alors déboursé 1,2 milliard d’euros.
Cette fois, pour emporter Darty, numéro un de l’électroménager en France,
le groupe Steinhoff propose de lancer
une offre publique d’achat (OPA) en cash
au prix de 125 pences par action. L’opération valorise ce fleuron de la distribu-
tion française à un montant de 865 millions d’euros, c’est-à-dire quelques petits
millions de plus que ce que proposait la
Fnac (859 millions environ).
De toute évidence, M. Wiese a su trouver les mots justes pour convaincre
les actionnaires représentés au conseil
de Darty.
juliette garnier
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
La disgrâce d’une icône du business indien
▶ Ancien « baron
de la bière »,
le flamboyant
Vijay Mallya
doit 1 milliard
de dollars aux
banques indiennes
▶ Arun Jaitley,
le ministre des
finances de l’Inde,
a promis, jeudi
17 mars, de
récupérer « chaque
penny » prêté au
milliardaire déchu,
parti à Londres
→ LIR E
L
es réseaux sociaux ne sont
plus seulement un canal
complémentaire de distribution pour les médias : ils deviennent peu à peu le cœur d’un
nouvel écosystème dans lequel
les contenus parviennent aux utilisateurs, principalement par l’intermédiaire de quelques grandes
plates-formes comme Facebook,
Twitter ou encore Snapchat.
Concomitant de l’avènement
du Web mobile, ce nouveau système de distribution constitue
une rupture majeure dans la relation entre les médias et leur
public, selon Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital
Journalism à l’université de Columbia, à New York.
Dans un entretien au Monde,
Mme Bell revient sur la tribune
qu’elle a récemment publiée dans
la Columbia Journalism Review,
intitulée « La fin du monde tel
que nous le connaissons : comment Facebook a avalé le journalisme ». A l’appui de sa thèse, elle
développe le constat selon lequel
les contenus éditoriaux, atomisés
en « milliards de pages Web », sont
« réintermédiés » par ces nouvelles plates-formes, « façonnées par
un code informatique qui n’est pas
intelligible ». Les grands réseaux
sociaux acquièrent de fait une
forme de responsabilité éditoriale qu’ils « n’avaient pas forcément anticipée », selon Mme Bell. p
→ LIR E PAGE 8
1,59
PAGE 4
MILLIARD
C’EST LE NOMBRE D’UTILISATEURS
ACTIFS DE FACEBOOK
DANS LE MONDE
Vijay Mallya,
le 21 décembre 2013,
à Bombay. AFP
PLEIN CADRE
LA STRATÉGIE DE NIKE
POUR RESTER LE
CHAMPION DE LA BASKET
→ LIR E PAGE 2
CONFISERIE
« TÊTES BRÛLÉES »,
L’INCROYABLE SUCCÈS
D’UN BONBON
QUI « ARRACHE LA TÊTE »
→ LIR E PAGE 3
j OR | 1255 $ L’ONCE
j PÉTROLE | 41,20 $ LE BARIL
j EURO-DOLLAR | 1,1270
J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,874 %
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,55 %
VALEURS AU 19 MARS - 7 H 00
VU DE SAO PAULO
Le Brésil n’est pas dans son assiette
L
e gouvernement brésilien est dans la
tourmente, la corruption gangrène le
pays, l’économie est en chute libre, le
chômage s’envole. En ces temps difficiles, les classes populaires se serrent la ceinture,
et le plat traditionnel, incontournable, riche et
relativement équilibré, s’impose sur toutes les
tables : « arroz e feijao » (riz et haricots noirs), à
tous les repas. Seul hic, le riz et le haricot noir
pourraient venir à manquer.
Selon les dernières prévisions de la Compagnie nationale d’approvisionnement (Conab),
la production de riz pourrait chuter de 10 %
cette année. En cause, « les fortes pluies liées au
phénomène El Niño, qui ont retardé les semis et
les récoltes », explique Patricio Mendez del Villar, grand spécialiste de cette céréale au Centre
de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (Cirad).
Selon les données de la Conab, après les récoltes, les stocks de riz du Brésil s’établiraient
à 283 000 tonnes. De quoi subvenir à dix jours
de consommation ! C’est tout aussi préoccupant avec le feijao, avec un total de 87 000 tonnes, suffisant pour tenir neuf jours au mieux.
Un drame national. En dépit du développement du pays et de la diversification alimentaire, au Brésil, un jour sans « arroz e feijao »
reste triste comme un jour sans pain. Parfois
utilisé comme un accompagnement, le plat est
un totem, un héritage de l’histoire.
La légende veut que le riz soit arrivé au Brésil
dans les cuves des bateaux des colons portugais
se mêlant naturellement avec le haricot noir,
« plat du pauvre » riche en protéines. Il est
encore le plat de base des gens modestes
comme celui du bourgeois. Selon l’Institut
national de la géographie et de la statistique, les
Brésiliens engloutissent en moyenne 26,5 kg de
riz par personne et par an et 9,1 kg de haricots
noirs (12,3 kg dans le Nordeste).
Inflation des cours
Pour faire face à la baisse des récoltes, le pays
devra donc importer. Mais, en pleine débandade politique, économique et morale, la monnaie brésilienne, le real, s’est effondrée de plus
d’un tiers depuis le début de l’année 2015. De
quoi contribuer à l’inflation de la céréale amidonnée et du haricot, déjà affectés par la hausse
du coût des engrais, souvent libellés en dollars.
Avec une devise américaine qui s’échange
environ à 4 reais, le prix du sac de riz de 5 kg,
aujourd’hui vendu entre 11,5 et 12 reais (entre
2,70 et 2,80 euros), pourrait grimper à 14 et
15 reais, calculait le quotidien Folha de Sao
Paulo. Le sac de 60 kg de feijao se vend, lui, désormais 203 reais, contre 142 reais en 2015, indique le ministère de l’agriculture. Une hausse
de plus de 40 % !
« Avec le jeu des importations et des exportations, cette situation n’aura pas d’incidence sur
la sécurité alimentaire, mais les prix risquent
d’être tendus cette année », résume M. Mendez
del Villar. Et de conclure, préférant voir
l’assiette à moitié pleine : « La situation est
gênante mais pas préoccupante. » p
claire gatinois
Cahier du « Monde » No 22139 daté Dimanche 20 - Lundi 21 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément
L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT
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2 | plein cadre
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Le PDG de Nike,
Mark Parker,
lors de la convention
de la marque à New York,
mercredi 16 mars. NIKE
L’équipementier sportif
veut atteindre 50 milliards
de dollars de chiffre d’affaires
en 2020, contre
30 milliards actuellement
Nike, la barre
toujours plus haut
new york
D
u grand cinéma pour des
baskets. La convention Nike,
la grand-messe de l’équipementier sportif qui s’est tenue à New York mercredi 16
et jeudi 17 mars, a été l’occasion pour la marque de présenter dix nouvelles chaussures de sport. Le modèle le plus attendu, le premier à laçage automatique, baptisé HyperAdapt 1.0, est un clin d’œil à celui,
déjà dessiné par Tinker Hatfield, le designer
star de Nike, aperçu dans le deuxième opus de
Retour vers le futur de Robert Zemeckis (1989).
Comme pour les baskets portées par le
jeune Marty McFly incarné par Michael
J. Fox, des capteurs situés au niveau du talon
activent le laçage une fois le pied dans la
chaussure et, grâce à un petit moteur à piles,
deux boutons situés sur le côté permettent
d’ajuster le serrage. Gadget, chaussures pour
feignants ou nouvelle mode ? Ce spécimen
très cinématographique sera commercialisé
cet été, d’abord sur Internet.
Dans une ambiance de boîte de nuit, le
groupe américain, soutenu par une brochette de sportifs de son écurie, a également
fait la démonstration d’une chaussure de
foot dont la semelle en polymère hydrophile
est censée se débarrasser automatiquement
de la boue. Pour les basketteurs, la semelle de
nouvelles chaussures devrait permettre de
bondir plus haut…
DES BREVETS DÉPOSÉS À TOUR DE BRAS
Mark Parker, le PDG de Nike, numéro un
mondial des chaussures et vêtements de
sport, a l’ambition d’un sprinter. Il s’est
donné l’an dernier pour objectif d’atteindre
50 milliards de dollars (44 milliards d’euros)
de chiffre d’affaires en 2020, contre 30 milliards en 2014-2015, afin de creuser un vrai
gouffre entre lui ses concurrents.
Le cœur de sa politique passe par la recherche et l’innovation. Mais la stratégie est plus
large. Elle consiste à établir une constellation
de priorités : le design, la technologie, mais
aussi Internet et l’attention portée aux communautés d’adeptes du sport, sans oublier
les opportunités offertes par les Jeux Olympiques ou l’Euro de football. Autant d’éléments qui doivent l’emporter sur les difficultés auxquelles Nike est confronté : la force du
dollar, qui pénalise les industriels adeptes du
« made in Asia » puisque les prix y sont calculés dans cette monnaie ; la concurrence plus
sévère des américains comme Under Armour, qui a supplanté Adidas aux EtatsUnis ; la faiblesse de l’internationalisation de
Nike et surtout l’image ternie des héros du
sport. Entre dopage des athlètes sponsorisés
à prix d’or comme la joueuse de tennis Maria
Sharapova – la dernière en date – et soupçons
de corruption dans certaines fédérations.
Le credo de Mark Parker se veut limpide :
« Le plus important est d’avoir de bons produits, utiles, convaincants, esthétiques pour les
athlètes, mais aussi pour les athlètes de tous les
jours. Le produit, c’est la clé », assure-t-il au
Monde. Si tout un chacun est sportif, alors
tout le monde peut s’habiller chez Nike. Pas
seulement sur un stade, mais au bureau ou à
la maison. « Le style de vie devient plus actif, les
gens veulent du confort, se sentir bien. Ce n’est
pas juste une tendance », cela procède « d’un
mouvement culturel », assure M. Parker. Les
chiffres lui donnent raison : en sept ans, le
marché mondial de l’équipement sportif a
progressé de 40 % selon Morgan Stanley. Il devrait atteindre 350 milliards de dollars
en 2020. La planète marche en baskets…
C’est sans doute le rêve de Mark Parker, ancien coureur professionnel qui, à 60 ans, fait
partie des historiques de Nike. Il a rejoint l’entreprise en 1979 pour dessiner des chaussures. Il a d’ailleurs suivi de très près, depuis
quatre ans, l’élaboration de celles à laçage
automatique.
En trente-sept ans de maison, il s’est imposé au plus haut niveau. Soutenu par le cofondateur, Phil Knight, M. Parker a été
nommé troisième PDG de Nike en 2006. Si
son bureau de Portland (Oregon, nord-ouest
des Etats-Unis) reste, comme celui d’un adolescent, décoré de dizaines de sculptures de
héros de BD et de mangas, il collectionne
« DEPUIS DEUX
OU TROIS ANS,
NOTRE BUDGET
DE RECHERCHE
ET DÉVELOPPEMENT
A DOUBLÉ. C’EST
LE COMBUSTIBLE
DE LA CROISSANCE
DE LA SOCIÉTÉ »
MARK PARKER
PDG de Nike
aussi de façon méthodique des artistes de renom, comme Andy Warhol, Haruki Murakami ou Mark Ryden. Sa poigne pour tenir
Nike n’est en rien hésitante, même s’il est
bien plus affable et courtois que Phil Knight.
Le conseil d’administration de Nike peut se
féliciter de son choix : en dix ans, Mark Parker a doublé les ventes ; la capitalisation atteint 108,4 milliards de dollars et le cours
s’est encore envolé de 29,5 % au cours des
douze derniers mois. Si bien que ce même
conseil lui accorde sans sourciller de conséquents bonus : 3,5 millions de dollars d’actions par an ces trois dernières années. Et
30 millions de dollars en actions dans cinq
ans s’il continue à bien travailler pour le
groupe et obtient les résultats prévus.
Très rentable (le résultat net représente 11 %
du chiffre d’affaires), Nike investit donc massivement dans l’innovation et dépose des
brevets à tour de bras. M. Parker assure que
« depuis deux-trois ans, le budget de recherche
et développement a doublé. C’est le combustible de la croissance de la société. »
A Portland, siège social de Nike, vient
d’ouvrir « un nouveau centre de création avancée où tout est axé sur la révolution de la fabrication », dit-il. Un immeuble est réservé à la révolution de la production, aux nouvelles méthodes de fabrication, à l’édition en 3D, au numérique, à l’élaboration des prototypes… De
quoi permettre, selon le PDG, « aux ingénieurs
de créer de nouveaux produits » et « donner
aussi aux designers davantage d’outils pour innover ». Avec la volonté d’atteindre plus rapidement le consommateur et personnaliser
davantage les produits. Depuis près de trois
ans, les prototypes de chaussures comme celles que les athlètes porteront aux JO de Rio
sont réalisés grâce à des imprimantes 3D.
Autre pari ambitieux : multiplier les ventes
sur Internet par sept dans les cinq ans. La
nouvelle application Nike Plus, qui sera disponible en juin, surfe sur cette vague. Elle
proposera « une expérience plus agréable ».
« Nous vous connaissons personnellement.
Nous connaissons vos besoins, l’entraînement
que vous voulez faire, nous pouvons rechercher vos partenaires et aussi vous trouver les
produits adéquats. Plus nous vous connaissons, plus nous pouvons interagir », affirme le
PDG, dans un élan orwellien. Depuis dix ans,
Nike a créé des communautés autour de la
marque, avec des entraîneurs maison, des
programmes de coaching personnalisés
pour mieux vendre aussi, à portée de clic,
l’équipement adapté à chaque client.
Sur ce point, la compétition avec Under Armour aux Etats-Unis est rude. Celui-ci a investi un milliard de dollars en trois ans dans
des applications téléphoniques sur le sport
et la santé, qui comptent aujourd’hui quelque 150 millions d’adeptes. Nike veut donc
vendre davantage en ligne mais aussi en dehors des Etats-Unis, qui représentent encore
45 % du chiffre d’affaires. « La dépense par habitant est bien plus élevée en Amérique du
Nord que dans d’autres parties du monde,
mais cela montre qu’il existe ailleurs de colossales opportunités de croissance », estime M.
Parker qui souhaite se renforcer dans tous les
grands pays, « même les pays en développement ». « Il est important de comprendre la
culture de ces pays, d’interpréter la façon dont
nos produits peuvent avoir du sens pour ces
consommateurs », ajoute-t-il.
ACHAT À PRIX D’OR D’ « AMBASSADEURS »
L’accord transatlantique, en cours de ratification, devrait alléger les droits de douane, notamment avec le Vietnam – où est fabriqué un
tiers de la production de chaussures Nike – et
permettre de relocaliser une partie de la production aux Etats-Unis. « Cela pourrait créer
plus de 10 000 emplois directs en dix ans et de
20 000 à plus de 30 000 emplois indirects », assure M. Parker. « Le Tafta [Transatlantic Free
Trade Agreement] a accéléré notre calendrier
d’innovation dans la fabrication.»
Fortement affecté par le dollar fort, Nike
doit aussi s’adapter à la hausse des salaires
dans les pays asiatiques, notamment en
Chine. Afin d’y faire face, le groupe investit
« dans la révolution de la production pour
imaginer de nouvelles façons de créer des produits » en s’approvisionnant « localement
dans le monde entier ». « Ce sera une tendance
de plus en plus lourde de l’industrie », assure
M. Parker. Peut-être pour robotiser des lignes
de fabrication autonomes près des boutiques, à l’instar de ce que compte faire Adidas.
Pour profiter à plein des grands événements sportifs mondiaux, Nike doit mettre
chaque année davantage au pot pour devenir
le sponsor exclusif des plus grands sportifs.
Les enchères avec Adidas, Under Armour et
Puma s’envolent pour l’achat d’« ambassadeurs ». Nike est la seule marque à avoir conclu un contrat à vie avec le basketteur LeBron
James. En tout cas, dès que l’image de Nike
risque d’être entachée par une question de
dopage, l’heure n’est pas aux états d’âme.
Maria Sharapova l’a appris à ses dépens,
même si Mark Parker assure que Nike a seulement suspendu sa relation en attendant les
conclusions de l’enquête. Les investisseurs,
eux, s’inquiètent pour la réputation de la
marque, régulièrement entachée, qu’il
s’agisse des déclarations homophobes du
boxeur Manny Pacquiao ou des déboires judiciaires d’Oscar Pistorius. p
nicole vulser
economie & entreprise | 3
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
Darty préfère
se marier avec
Conforama
La Fnac, aussi sur les rangs pour
acheter l’enseigne d’électroménager,
réfléchit à ses « options »
suite de la première page
Il est vrai qu’encaisser un chèque
est beaucoup plus sûr que détenir
des actions Fnac. Certes, l’enseigne hexagonale a réussi son parcours boursier depuis son introduction en 2013, au prix de
22 euros – à la clôture, vendredi,
son titre valait 56,97 euros. Mais
son activité (3,8 milliards d’euros
de ventes en 2015) reste fragilisée
par la dématérialisation des produits culturels et le développement d’Amazon. « Détenir des titres Fnac est un investissement
trop volatil », pointe un spécialiste
de la distribution.
L’argument de la monnaie sonnante et trébuchante a clairement
résonné à l’oreille d’Alan Parker,
président du conseil d’administration de Darty. Ce dernier
pointe, bien qu’elle soit maigre,
« la prime que constitue l’offre de
Steinhoff par rapport à celle de la
Fnac ». Il souligne aussi « les 54 %
[de plus] » que représente cette
proposition par rapport au dernier cours de clôture du titre
Darty, avant que la moindre proposition ne soit faite par les deux
soupirants. Résultat : « A moins
d’une offre plus favorable tant sur
le plan financier qu’au regard de sa
certitude d’exécution », la Fnac se
retrouve hors jeu.
Et maintenant, que va faire le premier libraire de France ? Pour
l’heure, l’enseigne détenue à hauteur de 38,8 % par la famille Pinault
feint de ne voir dans cette annonce
qu’un non-événement. « Elle n’est
que la confirmation de ce qui était
public depuis plusieurs jours », précise son porte-parole, en référence
à la contre-offre formulée le 2 mars
par Steinhoff International.
Faute de solide trésorerie, l’enseigne avait obtenu des lignes de crédit pour financer son projet
à 100 %. Peut-elle surenchérir ?
Alexandre Bompard, son PDG, fait
savoir que la Fnac se réserve la possibilité de poursuivre l’aventure en
explorant « différentes options ».
Son adversaire semble être, lui,
dans une position plus confortable. La capitalisation boursière
de Steinhoff dépasse les 20 milliards d’euros. A la tête d’une trésorerie nette de 1,5 milliard
d’euros, le groupe sud-africain a
abandonné, vendredi, le projet
L’argument
de la monnaie
sonnante
et trébuchante
a résonné
à l’oreille des
administrateurs
de Darty
L’enseigne
d’ameublement
Conforama
a été achetée
en 2011 par
le groupe
sud-africain
Steinhoff
International.
PASCAL SITTLER/REA
de contre-offre sur Home Retail
Group, un spécialiste du meuble
d’outre-Manche. Il a donc toute
la puissance de feu nécessaire
pour s’emparer de Darty et de ses
3,5 milliards d’euros d’activité.
D’autant qu’il a obtenu des assurances : le fonds Schroder (14,14 %
du capital de Darty) lui apportera
ses titres. Reste à convaincre son
homologue new-yorkais Knight
Vinke, qui détient 24 % de l’enseigne, selon Bloomberg. Vendredi,
dans la soirée, il ne s’était pas prononcé. « Mais, lui aussi, ce qu’il
veut, c’est du cash », assure un
ex-responsable de Darty.
Le cash, ce n’est pas le seul argument du projet, plaide in fine Conforama. Tout tiendrait aussi à « la
qualité de l’offre et au projet
industriel », souligne Alexandre
Nodale, son PDG. « [Il] s’agit d’assurer un développement de Darty en
l’adossant à Conforama et à sa maison mère Steinhoff, avec des
moyens. » En creux, ces arguments
pointent les failles du projet de la
Têtes brûlées, le bonbon vedette
de la confiserie familiale Verquin
La sucrerie acidulée séduit les enfants et tire la croissance de la société
L
a notoriété ne contribue pas
à inverser les rapports de
force entre industriels et
grande distribution. Et la société
Verquin Confiseur en connaît
quelque chose avec le succès fulgurant de ses bonbons Têtes brûlées . « Même quand on a du succès,
c’est compliqué », lance François
Boissinot, son directeur commercial et marketing.
En forme de billes enrobées
d’une couche très acide, ces friandises qui font fureur dans les cours
de récréation auprès des enfants
depuis plus de deux ans pourraient sortir tout droit d’une
grande multinationale. Il n’en est
rien. Derrière cette friandise se cache une confiserie familiale française qui a réalisé 50 millions
d’euros de chiffre d’affaires
en 2015. Issue du développement
d’une boulangerie créée en 1912 à
Neuville, dans le nord de la France,
cette entreprise avait pour fonds
de commerce depuis des années la
fabrication de bonbons sous marque de distributeur (MDD), en plus
de ses quelques spécialités historiques comme la pastille du mineur.
Victime du succès des friandises
acidulées, la confiserie familiale a
même été dépassée dans un premier temps par le phénomène des
Têtes brûlées, avec des difficultés
d’approvisionnement de la grande
distribution début 2014. « On ne
s’attendait pas à un tel engouement », se souvient Luc-Pierre Verquin, le PDG. Depuis, elle a investi
dans des lignes de fabrication, et
ses deux usines françaises (à Neuville et à Tourcoing) produisent à
Fnac. L’offre de Steinhoff n’est assortie d’aucune condition, à part
évidement l’obtention du feu vert
de l’Autorité de la concurrence.
Complémentarité
La proposition de son rival est évidemment suspendue à ce même
aval mais en plus les dirigeants de
l’enseigne française avaient précisé que les suites données au rapprochement dépendraient de la
teneur des sacrifices qui leur seraient demandés.
Le rapprochement de Darty
(263 magasins) et de la Fnac
(116 points de vente) exige que
l’enseigne cède plusieurs pas-deporte pour éviter toute position
dominante, notamment à Paris et
à Lyon. Combien ? Dix ? Vingt ?
L’incertitude inquiète toujours la
Bourse. Le projet de Steinhoff « offre aux actionnaires de Darty une
probabilité de réalisation plus importante », tranche M. Parker.
Le rapprochement de Conforama et de Darty soulève moins de
difficultés, à en croire plusieurs
spécialistes du droit de la concurrence. Le spécialiste du meuble
réalise près de 40 % de son activité
(3,2 milliards d’euros) avec la vente
de télévisions, de lave-vaisselle et
d’autres appareils électroménagers, spécialités de Darty. Mais ses
204 magasins sont surtout situés
dans des zones commerciales de
périphérie, loin des Darty présents surtout en centre-ville et en
centre commercial. « Les deux sont
très complémentaires par l’implantation géographique de leur réseau
et de leur offre. Avec peu de risques
de chevauchement », résume Laurence-Anne Parent, directrice associée du cabinet de conseil Advancy. Dès lors, Steinhoff s’expose
peu aux foudres de l’Autorité de la
concurrence.
Le groupe sud-africain joue
aussi la carte sociale. Il n’entend
pas toucher aux effectifs pour réduire le coût de fonctionnement
de l’enseigne, manière de rassurer
les salariés de Darty alors que le
projet de la Fnac a pour objectif de
dégager « 85 millions d’euros de synergies ». p
juliette garnier
0123
Nouvelle
orthographe
ce qui change et pourquoi
plein régime, 45 millions de sachets de bonbons par an.
« De 200 000 sachets de Têtes
brûlées vendus dans la grande distribution en 2012, on est passé à
8,3 millions », indique M. Boissinot.
Et de deux produits en rayons
dans les hypermarchés, l’entreprise est passée à dix en 2015, puis
à quatorze références cette année.
Avec des nouveautés, comme les
Têtes brûlées Star qui colorent la
bouche à la manière d’un rouge à
lèvres, KiFlash apportant « un
éclair d’hyperacidité » ou encore
Dynamite « qui explose la tête ».
L’objectif de l’entreprise est de développer la part de marché de la
marque de 14 % à 20 % d’ici à 2017.
Des envies d’international
La cible initiale des 8-14 ans s’est
même élargie. « Les billes sont fortement appréciées des petits car ils
ont une sensation immédiate, alors
que les adultes et les adolescents
préfèrent des textures plus tendres,
gélifiées », explique Lucie Kosmalski, chef de produits.
M. Verquin n’aurait jamais pu
imaginer un tel engouement.
Lorsqu’il récupère en 2008 la marque Têtes brûlées, en rachetant la
Société européenne de confiserie,
une société du Nord, ces bonbons
se vendent à la pièce en boulangerie depuis une dizaine d’années.
Une communication en télévision
démarrée en septembre 2013, un
développement sur les réseaux sociaux, des partenariats avec NRJ ou
le fabricant de jouet Nerf accompagnent un repositionnement
marketing audacieux.
Le slogan – « le bonbon qui te tient
tête » – devient aux mains de Verquin « le bonbon qui t’arrache la
tête », contribuant à développer
l’image d’une sucrerie à sensation.
« Nous sommes bien conscients de
participer à la paupérisation de la
langue française, mais nous avons
même eu des hypothèses nettement plus subversives que nous
n’avons pas osé mettre sur les sachets », sourit M. Boissinot.
Si la langue française n’y a rien
gagné, la croissance du groupe,
elle, a explosé. « En 2012, les Têtes
brûlées étaient quasi inexistantes
de notre portefeuille. En 2015, elles
en font 60 % de son chiffre d’affaires », précise M. Boissinot.
Aujourd’hui, 50 % des recettes proviennent des marques, le reste des
MDD. Des projets de développement à l’international sont prévus
sous le nom « Head bangers », notamment en Suisse et au Royaume-Uni. Verquin réalise 20 % de
son chiffre d’affaires à l’export.
La société a décliné les demandes de la grande distribution de
réaliser les Têtes brûlées sous
marque de distributeur, car « lorsque les consommateurs achètent
des Têtes brûlées, ils cherchent le
pouvoir de la marque », explique
Mme Kosmalski. Jusqu’à présent
seul sur ce marché, Verquin doit
composer avec Lutti qui a lancé
en 2015 des bonbons en forme de
bille hyperacides. « On m’a toujours dit que, quand on n’est pas les
plus gros, il faut être les plus rapides et les plus audacieux », conclut
M. Verquin. p
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4 | economie & entreprise
AÉR ON AU T I QU E
Airbus cède son
électronique de défense
Airbus Group a franchi une
étape majeure dans son recentrage sur l’aérospatiale en
annonçant, vendredi 18 mars,
la vente de son électronique
de défense au fonds KKR
pour 1,1 milliard d’euros. Airbus Group précise qu’il pourrait conserver une participation minoritaire dans ce
pôle, qui emploie environ
4 000 personnes dans le
monde. – (Reuters.)
T RAN SPORTS
Jean-Pierre Farandou
serait proposé à la tête
de SNCF Réseau
La lettre professionnelle Mobilettre a annoncé, vendredi
18 mars, la prochaine désignation de Jean-Pierre Farandou,
actuel PDG de Keolis et président de l’Union des transports publics, comme candidat à la présidence de SNCF
Réseau, vacante depuis le départ de Jacques Rapoport en
février. Cette nomination est
soumise à avis de l’autorité de
régulation et du Parlement.
ÉD I T I ON
Francis Esménard
reste à la barre
d’Albin Michel
Francis Esménard a fait savoir,
mercredi 16 mars, qu’il restait
président du directoire d’Albin
Michel et président du holding familial SHP. Il dément
nos informations, publiées le
7 mars, selon lesquelles il quitterait ses fonctions « d’ici à la
fin de l’année », mais il rappelle
que vu son âge (80 ans), « il
[lui] faudra bien transmettre
un jour prochain les clés de la
maison (…) à Guillaume Dervieux », actuel vice-président.
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
En Inde, la chute d’une icône des affaires
Accusé de banqueroute, l’ancien milliardaire de la bière Vijay Mallya est parti à Londres
new delhi - correspondance
C’
est une faillite qui en
dit long sur les rapports incestueux entre les milieux d’affaires et les hommes politiques en
Inde. Dans sa chute, le flamboyant
Vijay Mallya laisse une ardoise
d’un milliard de dollars (886 millions d’euros) aux banques publiques indiennes et de nombreuses
questions en suspens.
Jeudi 17 mars, le ministre indien
des finances, Arun Jaitley, s’est
bien engagé, dans les termes les
plus fermes, à récupérer « chaque
penny » prêté à l’homme d’affaires, parti à Londres. « L’affaire Mallya a terni la réputation de notre
pays et de son secteur bancaire »,
a reconnu M. Jaitley. Mais comment des banquiers ont-ils pu
continuer à lui prêter de l’argent
alors que sa compagnie aérienne
accumulait les pertes ? Et comment a-t-il pu quitter l’Inde si facilement ?
La descente aux enfers de l’exmilliardaire, chroniquée depuis
des mois dans la presse locale,
s’est accélérée récemment. Le
1er mars, la Chambre haute du Parlement débat d’une taxe d’importation sur l’huile de palme, puis
du problème de l’expropriation
des agriculteurs. Vijay Mallya, qui
ne siège que rarement, y assiste.
Diamant à l’oreille, l’homme se
fait discret ; il ne porte ni lunettes
aux verres fumés ni costume aux
couleurs bariolées. Au temps de
sa gloire, l’entrepreneur était surnommé le « roi du bon temps »,
« En prêtant
de l’argent
à M. Mallya,
les banquiers
accédaient
au pouvoir
et au glamour »
SHEKAR GUPTA
journaliste
à cause des fêtes légendaires organisées dans ses villas.
Contre lui s’est constitué un
consortium de dix-sept établissements bancaires, dirigé par la
State Bank of India, qui cherche
à recouvrer plus d’un milliard de
dollars de dettes. Tous craignent
de le voir s’échapper, depuis qu’il
a annoncé vouloir se rapprocher
de ses enfants au Royaume-Uni.
Les banques passent alors à l’offensive, le 2 mars, en demandant à
un tribunal de Bangalore de confisquer son passeport. Trop tard.
Vijay Mallya a pris l’avion le jour
même pour Londres.
Même s’il a écrit, sur son compte
Twitter, qu’il n’était pas un « fugitif », et qu’il reviendra, l’ancien
milliardaire est vilipendé. Il symbolise les largesses, voire les dérives, du système bancaire indien
dont ont bénéficié certains capitaines d’industrie, avec la complicité du pouvoir politique.
Lorsque Vijay Mallya hisse le
groupe de spiritueux, dont il a hérité à l’âge de 28 ans, au niveau
d’un empire contrôlant la moitié
du marché local de la bière et
quand il s’empare de l’écossais
Whyte & Mackay en 2007 pour
1,2 milliard de dollars, l’Inde est
subjuguée. Il symbolise alors la richesse décomplexée, dans un pays
qui a connu des décennies de règles étatiques. Il voyage en jet
privé, s’achète des villas luxueuses, se fait prendre en photo avec
des actrices de Bollywood en
maillot de bain, investit dans une
écurie de formule 1, achète des voitures de collection. Sa réussite se
mesure en milliards de roupies.
Acteurs, industriels et hommes
politiques se pressent à ses soirées
pour être de cette Inde qui brille.
« En prêtant de l’argent à M. Mallya,
les banquiers accédaient au pouvoir et au glamour, se souvient le
journaliste Shekhar Gupta dans le
quotidien Business Standard, et M.
Mallya leur faisait une faveur en
leur contractant un emprunt. »
Cette vie de paillettes sera un
parfait camouflage. Car pendant
que les médias comptent le nombre d’invités à ses soirées, personne ne se penche sur les comptes de ses entreprises. Or, en 2005,
Vijay Mallya a fondé la compagnie
Kingfisher Airlines alors que le
secteur aérien était déjà fragilisé
par les surcapacités et le cours
élevé du pétrole. Malgré l’accumulation des pertes, les banques, surtout publiques, l’ont suivi. « Les
contacts et les réseaux importaient
davantage que les bilans financiers », se souvient Shekhar Gupta.
Puis le vent tourne en 2012.
Etouffée par des dettes évaluées à
2,5 milliards de dollars, la compagnie doit cesser ses activités. Les
hôtesses, celles-là même que Vijay Mallya se félicitait d’avoir
« personnellement choisies », descendent dans la rue pour exiger
d’être payées. Le mythe s’effondre
et avec lui tout un empire.
Débiteur intentionnel
Le baron de la bière cède le contrôle d’United Breweries à Heineken et celui d’United Spirits à Diageo. En 2015, Reserve Bank of India (RBI, banque centrale) le déclare wilful defaulter (débiteur
intentionnel), un statut désignant
les débiteurs en défaut de paiement mais qui ont les moyens de
rembourser leurs dettes.
Un mois après cette annonce, Vijay Mallya organise une fête pour
son soixantième anniversaire
dans sa villa de Goa, et offre à ses
invités un concert privé de l’artiste
espagnol Enrique Iglesias. Le gouverneur de la RBI, Raghuram Rajan, se fend alors d’une phrase cinglante, encore inimaginable quelques années plus tôt : « Si vous exhibez votre yacht, que vous
organisez de somptueuses soirées
alors que vous devez beaucoup
Le « capitalisme
de connivence »
menace l’Inde.
Les créances
douteuses sont
à un niveau élevé
d’argent, cela suggère que vous
vous en fichez. Je pense que c’est le
mauvais message à envoyer. »
Le cas Vijay Mallya n’est pas
isolé. Le nombre de wilful defaulters a été multiplié par neuf au
cours des treize dernières années
et ils doivent au total 84 milliards
de dollars aux établissements de
crédit.
« Les banques publiques font face
à d’énormes pressions de la part
des députés. Ces derniers les exhortent à prêter de l’argent aux entreprises. Le réseau d’entente entre les
hommes politiques, les fonctionnaires et les entreprises est très
puissant », a confié au site d’information Newslaundry.com Sanat
Dutta, un avocat qui aide les banques d’Etat à recouvrer leurs emprunts. Malgré la libéralisation
économique du pays engagée au
début des années 1990, certaines
habitudes et l’étroitesse des liens
entre les entrepreneurs et les responsables politiques demeurent.
Ce « capitalisme de connivence »
menace l’économie de l’Inde. La
RBI s’inquiète du niveau élevé de
créances douteuses ; elles constitueraient 11 % de l’encours total,
dont une majorité dans les établissements publics. Le milliard
de dollars dû par Vijay Mallya « appartient » en quasi totalité à des
banques publiques. Les Indiens
réalisent que c’est, en partie, avec
l’argent de leurs impôts que Vijay
Mallya a pu s’offrir les villas, les
yachts et les voitures de collection
qui faisaient tant rêver. Un réveil
avec la gueule de bois. p
julien bouissou
De nouveau dans la tourmente,
Toshiba poursuit sa restructuration
Le groupe japonais, visé par une enquête des autorités américaines,
espère renouer avec les bénéfices au prochain exercice
tokyo - correspondance
L
Nicolas, 19 ans, étudiant, Bordeaux
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lemonde.fr/academie
0123
es déboires de Toshiba paraissent sans fin. Et, une
nouvelle fois, c’est de la
comptabilité du groupe que viennent les problèmes. Vendredi
18 mars, le groupe de Tokyo a dû
admettre qu’il était l’objet d’investigations aux Etats-Unis. « Certaines filiales américaines ont reçu
des demandes d’information du
département américain de la justice et de la commission des échanges et des titres au sujet de leurs
pratiques comptables », a indiqué
Toshiba.
Le groupe ne précise pas les
noms des entreprises visées mais
les activités nucléaires de Westinghouse, acquises en 2006, seraient concernées. En novembre 2015, Westinghouse avait admis avoir dû passer dans ses
comptes des dépréciations totalisant 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) au cours des exercices 2012 et 2013. L’entreprise nippone ne les aurait pas mentionnées dans ses résultats
consolidés. Elle ne le jugeait pas
nécessaire compte tenu des règles
comptables appliquées.
Cependant, peut-être parce que
les enquêteurs américains semblent douter du bien-fondé des
méthodes de calcul de Toshiba, le
groupe pourrait finalement changer d’avis. D’après le quotidien
Asahi, le conglomérat étudierait la
possibilité d’enregistrer dès l’exercice en cours une dépréciation
d’actifs sur Westinghouse. L’Asahi
cite la somme de 200 milliards de
yens (1,6 milliard d’euros).
Ces révélations tombent au plus
mal puisqu’elles viennent parasiter les annonces de Toshiba sur
son plan de redressement, très attendu après les révélations en
juillet 2015 des malversations
comptables menées pendant sept
ans pour un total de 151,8 milliards
de yens (1,2 milliard d’euros).
Nommé à la tête de Toshiba à la
suite de cette affaire, Masashi Muromachi a reconnu la difficulté de
« retrouver rapidement la confiance et la valeur du groupe, perdues à cause du scandale ».
Cessions dans l’électroménager
Toshiba, qui s’est développé à la
fin du XIXe siècle autour de la production de matériel électrique,
veut désormais concentrer ses activités autour de trois piliers, à
commencer par les semi-conducteurs, et plus spécifiquement les
mémoires flash NAND. Numéro
deux mondial derrière le sud-coréen Samsung dans ce domaine,
Toshiba va y investir 860 milliards de yens (6,8 milliards
d’euros) d’ici à 2018.
Deuxième pilier, l’énergie, principalement autour du nucléaire,
pour lequel Westinghouse joue
un rôle essentiel. Le groupe se
concentre sur les exportations et
table sur 45 commandes de réacteurs d’ici à 2030, notamment en
Grande-Bretagne et en Inde.
Enfin, Toshiba veut se développer dans les infrastructures, notamment les ascenseurs, les systè-
Le groupe nippon
aurait omis
de mentionner
certaines
dépréciations
d’actifs
dans ses résultats
consolidés
mes d’air conditionné ou encore
les aménagements pour la prévention des catastrophes. Le projet table sur un retour aux bénéfices dès l’exercice 2016. Les profits
devraient atteindre 40 milliards
de yens (318 millions d’euros) et
les ventes 4 900 milliards de yens
(39 milliards d’euros). Le redressement devrait donc être spectaculaire puisque, pour l’exercice clos
fin mars 2016, Toshiba attend un
chiffre d’affaires à 6 200 milliards
de yens (50 milliards d’euros) et
des pertes de 710 milliards de
yens (5,6 milliards d’euros). Pour
tenir ces engagements, le groupe
s’est lancé dans une sévère restructuration.
Le 17 mars, l’entreprise a ainsi
annoncé un accord prévoyant la
cession au chinois Midea – partenaire de Toshiba depuis une vingtaine d’années – de la majorité de
ses parts dans sa filiale chargée de
l’électroménager. Le montant de
la transaction n’est pas encore
fixé mais la marque Toshiba restera utilisée.
Le même jour, le groupe nippon
a confirmé la vente de son activité
d’appareils médicaux à son rival
japonais Canon pour 665,5 milliards de yens (5,3 milliards
d’euros). Dans les ordinateurs personnels, des négociations seraient
toujours en cours pour un rapprochement avec Fujitsu et Vaio.
Ces opérations, accompagnées
d’une forte réduction des dépenses, permettent d’améliorer l’assise financière du groupe mais se
traduisent par une baisse des effectifs. Fin mars, Toshiba devrait
employer 183 000 personnes
dans le monde, contre 202 000 il y
a un an. La décision de réduire les
rémunérations des dirigeants est
maintenue. p
philippe mesmer
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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
LONDRES
– 0,67 %
EURO STOXX 50
NEW YORK
NASDAQ
TOKYO
– 0,46 %
– 1,26 %
NIKKEI
CAC 40
4 462,51 POINTS
+ 1,22 %
+ 0,81 %
+ 2,26 %
DAX 3 0
F TS E 10 0
DOW JONES
9 950,80 POINTS
6 189,64 POINTS
3 059,77 POINTS
17 602,30 POINTS
+ 0,99 %
4 795,65 POINTS
16 724,81 POINTS
Sur les marchés, la nervosité reste de mise
La valse-hésitation des indices traduit les signaux contradictoires qui agitent la finance, entre l’activisme de la BCE et la prudence de la Fed
E
n apparence, tout va bien. La
semaine qui s’est écoulée a
semblé calme sur les marchés. Le CAC 40 a brièvement dépassé en début de semaine le seuil
symbolique des 4 500 points, regagnant plus de 15 % depuis son point
bas de la mi-février. Outre-Atlantique, les principaux indices – Dow
Jones et S & P500 – sont à leurs plus
hauts de l’année, comme au début
du mois de janvier.
Même les places chinoises ont vivement rebondi cette semaine. Les
Bourses de Shanghaï et Shenzen
ont progressé respectivement de
5,15 % et 9,02 %, dopés par les propos du premier ministre, Li Keqiang, qui a assuré, mercredi
16 mars, en clôture de la session annuelle du Parlement chinois, que
l’économie du pays ne connaîtrait
pas d’« atterrissage brutal ».
Et pourtant… entre les difficultés
à décrypter la communication des
autorités chinoises, le commerce
mondial à la peine, les questionnements sur la solidité de la reprise
américaine et le niveau dangereusement bas de l’inflation en Europe, les investisseurs demeurent
nerveux. Sur la semaine du
lundi 14 au vendredi 18 mars, le
CAC 40 a cédé 0,67 %, tandis que le
Dax progressait de 1,22 %. La
hausse a été plus marquée outreAtlantique, le Dow Jones rebondissant de 2,26 %.
Cette valse-hésitation traduit les
signaux contradictoires qui agitent
actuellement les marchés. Ainsi,
les derniers jours ont été plutôt favorables aux investisseurs. Après
l’impressionnant arsenal déployé
par Mario Draghi, le patron de la
Banque centrale européenne (BCE),
Même pas peur du « Brexit » ?
Le fondateur de l’une des principales maisons de courtage
britanniques, Hargreaves Lansdown, s’est dit, vendredi
18 mars, confiant dans la capacité du Royaume-Uni à prospérer en dehors de l’Union européenne (UE). « On lève de
l’argent pour les Russes, on lève de l’argent partout dans le
monde, a-t-il argué. Londres peut lever des milliards en quelques coups de fil. » Les Britanniques voteront le 23 juin pour
rester ou quitter l’UE, mais la perspective d’un « Brexit » inquiète de nombreux poids lourds du secteur financier. Les
entreprises britanniques sont globalement favorables au
maintien dans l’UE. La principale organisation patronale du
Royaume-Uni, la CBI, a annoncé, mardi 15 mars, que 80 %
de ses adhérents étaient de cet avis.
lors de la dernière réunion de l’institut monétaire le 10 mars, la Fed
(Réserve fédérale, banque centrale
américaine) a pris le relais, mardi 15
et jeudi 16 mars. A l’inverse de M.
Draghi, sa présidente, Janet Yellen,
a choisi l’immobilisme.
C’est ce qui a séduit les marchés.
Non seulement la Fed n’a pas procédé à un nouveau relèvement d’un
quart de point de ses taux directeurs, après le premier mouvement
initié en décembre 2015, mais elle a
également laissé entendre qu’elle
revoyait à la baisse ses ambitions
initiales, et ne prévoyait plus que
deux hausses de taux supplémentaires d’ici à la fin de l’année, contre
quatre initialement.
Presque un record à Wall Street
Mme Yellen a lié sa décision à la fragilité de l’économie mondiale,
mais celle-ci a été plutôt appréciée
des investisseurs outre-Atlantique,
qui y ont vu une prudence bienvenue. En revanche, cet arbitrage a
poussé le dollar à la baisse, renchérissant l’euro et pénalisant de facto
les valeurs européennes.
En tout état de cause, la volatilité
qui secoue les places boursières depuis des mois ne semble pas près
de se dissiper. En témoignent les
mouvements du VIX, le fameux
« indice de la peur », qui mesure la
volatilité à venir du marché à travers les options d’achat ou de vente
placées sur le S & P500. Il évolue en
moyenne à un niveau supérieur de
Les difficultés
du commerce
mondial
et le niveau
dangereusement
bas de l’inflation
en Europe
inquiètent
les investisseurs
32 % à celui de la même période de
2015. « Le S & P500 a terminé en
hausse ou en baisse d’au moins 1 %
sur 26 des 48 séances de Bourse de
l’année », soulignaient en début de
semaine les analystes de Bloomberg. Si ces embardées devaient
continuer au même rythme toute
l’année, elles feraient de 2016 l’année la plus volatile à Wall Street depuis… 1938 !
Un phénomène renforcé, vendredi 18 mars, par la séance dite
« des quatre sorcières » – une journée de Bourse traditionnellement
chahutée, car les intervenants y
soldent leurs positions sur quatre
produits dérivés, chaque troisième
vendredi de mars, de juin, de septembre et de décembre.
Ces incertitudes se retrouvent
sur le marché des fusions-acquisitions, reflet des humeurs de la planète finance. Après une année
2015 record, avec dix opérations
supérieures à 50 milliards de dollars (44,3 milliards d’euros) et
soixante-neuf au-dessus de
10 milliards, l’activité en matière
de fusions-acquisitions devrait
rester soutenue en 2016, mais sujette à des aléas, selon une étude
publiée jeudi 17 mars par le cabinet
d’audit Deloitte. Soutenue, parce
qu’il s’agit encore de la meilleure
façon de créer de la richesse dans
un monde englué dans une croissance molle, ont en substance expliqué les experts.
En 2015, la principale opération a
été le mariage entre les géants
américains de la pharmacie Pfizer
et Allergan pour 160 milliards de
dollars, la deuxième plus importante opération jamais réalisée
dans le monde, selon les calculs de
Dealogic.
Pour 2016, les moteurs de 2015
restent d’actualité, à commencer
par des liquidités toujours abondantes et des taux d’emprunt bas.
Néanmoins, la forte volatilité à
l’œuvre sur les marchés depuis
quelques mois pourrait peser sur
l’activité des « fusacq », surtout à
partir du second semestre. En
cause, un ensemble d’incertitudes
politiques, comme le référendum
britannique sur la sortie de
l’Union européenne, prévu le
23 juin, ou la présidentielle aux
Etats-Unis en fin d’année, a prévenu Deloitte. p
audrey tonnelier
MATIÈRES PREMIÈRES
TAUX & CHANGES
Taxe « light » pour l’huile de palme
La solitude de Mario Draghi
N
ouvelle taxe, mais allégée, pour l’huile de
palme. Les députés ont
ployé. L’Assemblée nationale a décidé, jeudi 17 mars, d’alléger la surtaxation qui devait s’appliquer à
l’huile de cet arbre conquérant.
Alors que le Sénat, à l’initiative des
écologistes, avait adopté une contribution additionnelle en forte
progression passant à 300 euros la
tonne en 2017 pour atteindre, par
paliers, 900 euros en 2020, elle l’a
réduite à 90 euros. Les députés ont
même voté l’exonération pour
l’huile de palme « durable ».
La fameuse « taxe Nutella » était
donc à nouveau au menu des élus.
On se souvient que le débat ouvert
fin 2012 avait provoqué une polémique sur la recette de la pâte à tartiner du puissant groupe transalpin Ferrero. L’enjeu était la santé
publique. Les promoteurs de la
taxe s’interrogeaient : pourquoi
l’impôt sur l’huile d’olive est-il de
190 euros la tonne, quand celui sur
l’huile de palme est de 104 euros ?
D’autant que le fruit du palmiste
a la redoutable propriété d’être le
plus riche en acides gras saturés.
Battu seulement sur ce terrain
lourd par l’huile de coprah.
David Douillet en soutien
Cette fois, c’est l’argument écologique qui était sur la table. Les élus
Europe Ecologie-Les Verts ont inscrit leur proposition de surtaxation dans le projet de loi biodiversité, évoquant les « effets dévastateurs de la culture industrielle du
palmier à huile sur la biodiversité ».
Mais l’huile de palme a le soutien d’« huiles » plus ou moins
lourdes. A l’Assemblée, l’ex-judoka
David Douillet (Yvelines, Les Républicains) a lutté pour Ferrero. L’en-
Rattrapage
COURS DE L’HUILE DE PALME, EN RINGGITS (DEVISE MALAISIENNE)
LA TONNE À KUALA LUMPUR
2 543
2 261
2 JANVIER 2015
17 MARS 2016
SOURCE : BLOOMBERG
treprise italienne, gourmande
d’une matière grasse moins chère
et facile à mitonner est en tête de
la lutte. Elle a déjà obtenu que Ségolène Royal, ministre de l’environnement, s’excuse après avoir
incité en juin 2015 les Français à limiter la consommation de pâte à
tartiner.
Surtout la Malaisie et l’Indonésie ont fait pression en faveur de
l’huile de palme. Les deux pays représentent 86 % de la production
mondiale avec des acteurs puissants comme les groupes Felda,
Sime Darby ou Wilmar. Ce sont
eux qui poussent les feux des
plantations dans le Sud-Est asiatique. Détruisant les forêts et grignotant les champs de manioc et
de cacao. Au point de devoir gérer
la surproduction.
Entraîné par le volume des récoltes, le cours de l’huile de palme
a glissé à partir de juin 2014. Il est
passé sous la barre des 2 000 ringgits la tonne (433 euros) à la Bourse
de Kuala Lumpur. Soit un cours divisé de moitié en dix-huit mois.
La tendance s’est inversée courant 2015. Le phénomène El Niño
a affecté les récoltes en Asie du
Sud-Est. De plus, l’Indonésie a décidé d’accroître le taux d’incorporation de l’huile de palme dans les
biocarburants, de 15 % à 20 %, pour
réduire les stocks. Résultat, le
cours a terminé 2015 sur une progression de 9,7 %. La tendance s’est
poursuivie début 2016. Vendredi
18 mars, la tonne se négociait
à 2 543 ringgits. La suite se joue
dans l’assiette des Européens. p
laurence girard
L
ui arrive-t-il d’avoir envie de jeter
l’éponge ? D’abandonner la partie, de
filer se réfugier sur une île déserte ?
Ne se lasse-t-il jamais de ce combat que
d’aucuns jugeraient harassant, beckettien,
pour ne pas dire perdu d’avance ?
Selon Bloomberg, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne
(BCE), a rencontré les leaders européens,
jeudi 17 mars, à Bruxelles. Objet de cet entretien à huis clos, selon l’agence de presse :
convaincre les chefs d’Etat d’agir pour clarifier le futur de la zone euro, tout en renforçant sa croissance. En commençant par solidifier le troisième pilier de l’union
bancaire, à savoir la garantie commune des
dépôts. Ou encore, en prenant des mesures
structurelles et budgétaires susceptibles de
doper les créations d’emplois et l’activité.
Résultat ? La chancelière allemande, Angela Merkel, aurait envoyé M. Draghi dans
les cordes. Vendre une assurance commune des dépôts à ses électeurs alors
qu’elle lutte pour les convaincre du bienfondé de sa politique migratoire ? Hors de
propos. Sans parler des discussions houleuses avec la Turquie à propos de la gestion
des réfugiés. Bref, Mme Merkel a d’autres
soucis. Et elle n’est pas la seule. Débordé par
la fronde au sein du Parti socialiste, François Hollande, lui, s’embourbe dans les ratés de la loi El Khomri sur la réforme du
marché du travail. En Italie, le président du
conseil, Matteo Renzi, s’inquiète de la montée de l’organisation Etat islamique (EI) en
Libye. L’Espagne, elle, se cherche toujours
un gouvernement.
Oui. Ils ont d’autres chats à fouetter, les
politiques. Tellement qu’ils en perdent parfois de vue l’essentiel. Ils se fourvoient dans
la gestion de l’urgence, si bien qu’ils ne
voient plus venir le mur. La zone euro,
comme l’Union européenne, va mal. La
croissance n’est pas suffisamment solide
pour régler rapidement le problème du
chômage, en particulier des jeunes. La crise
des migrants met à bas la solidarité déjà
bien maigre entre les Etats membres. Les
eurosceptiques font leur grain du mécontentement qui partout gronde.
Clarifier le futur de l’union monétaire
Pire encore, peut-être : la zone euro n’a pas
de cap. C’est le message que Mario Draghi
tente d’envoyer à ses dirigeants lorsqu’il
leur demande de clarifier le futur de
l’union monétaire. Lorsqu’un navire s’égare
en plein océan, sans vivres, sans eau, l’équipage ne peut tenir que s’il sait que son capitaine a une destination en tête et qu’il
saura les y mener. Dans le cas contraire, les
marins cesseront le combat et les plus désespérés quitteront le bateau sur une embarcation de fortune pour tenter leur
chance en solo.
Mario Draghi ne peut pas être le capitaine
de la zone euro – il est seulement chargé de
la politique monétaire. Il ne peut pas définir sa destination – il n’a pas la légitimité
des urnes. Il fait en revanche partie des lucides ; ceux qui voient que sans projet commun fort, et sans leader pour le porter, la
zone euro n’a guère lieu d’être. La monnaie
unique n’est pas une fin. Elle est un moyen,
mais pour aller où ?
Sans réponse claire, les peuples éreintés
finiront peut-être par choisir l’option du
désespoir : quitter le navire pour tenter leur
chance en solo. p
marie charrel
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0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
CLIGNOTANT
Conflit familial ? Pensez à la médiation
Mieux qu’une action en justice, le dialogue débouche sur un accord dans six cas sur dix
I MMOBI LI ER
P
Intéressante sur le papier, l’une des dispositions de la loi
relative à la consommation du 17 mars 2014, qui permet
à un emprunteur de changer d’assurance sur son prêt
immobilier dans l’année de la signature, reste méconnue. « Cela ne concerne que 15 % des demandes d’assurance emprunteur sur notre site, dit Maël Bernier, chez
Meilleurtaux.com. Or, l’économie peut être substantielle.
Un couple de cadres de 40 ans paie une assurance de
0,40 % du capital emprunté dans sa banque, tandis qu’il
peut facilement trouver un taux de 0,15 % chez un concurrent. » En cause, une méconnaissance des particuliers, qui se focalisent notamment sur le taux du crédit.
aris, 12e arrondissement, rue
Claude-Decaen. Une journée
comme les autres à l’Espace famille médiation : dans ce discret
rez-de-chaussée sur jardin, les familles se
succèdent dans des salles à l’ambiance
feutrée pour des séances de médiation.
« Ici, on renoue le dialogue pour résoudre
des conflits », résume Nathalie Béziat-Langlois, médiatrice. Couples en séparation,
fratries déchirées, jeunes adultes brouillés
avec leurs parents, seniors qui voudraient
revoir leurs petits-enfants… L’an dernier,
310 familles ont été accueillies par cette
structure.
Succès isolé ? Pas vraiment : « 18 200 médiations se sont déroulées en France
en 2014, soit 30 % de plus qu’en 2010 », recense Maud Bonvel, conseillère en politique familiale et sociale à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Dans 90 % des cas, cette médiation intervient après une séparation.
Compromis mieux respecté
Si ce mode de résolution des conflits est
devenu populaire, c’est qu’il fonctionne.
Un accord est trouvé dans 60 % des sollicitations, selon la CAF. L’arme secrète des
médiateurs ? La « triangulation » : « Au début, les personnes ne se parlent pas directement. Chacune à leur tour, elles nous expliquent la manière dont elles vivent la situation. Ensuite, le médiateur reformule »,
raconte Mme Beziat-Langlois, diplômée
d’Etat depuis dix ans (la qualification de
« médiateur familial » a été créée en 2003).
« Après quelques heures, c’est le déclic : les
gens se tournent l’un vers l’autre, et la communication reprend », complète Patricia
Raffin-Peyloz, médiatrice à la Maison de la
Médiation, à Paris.
Autres raisons du succès ? « Contrairement à ce qui peut être ressenti au tribunal,
il n’y a ni perdant ni gagnant, simplement
un accord, bâti à plusieurs. » Les familles
apprécient aussi la souplesse des solutions, pratiques ou financières. Illustration avec la garde des enfants : « Le juge
aux affaires familiales (JAF) n’a pas le
temps pour les détails. Il opte pour des mesures classiques : une semaine sur deux,
par exemple, pour une garde alternée. Ici,
les couples peuvent imaginer du sur-mesure : trois nuits chez l’un, puis dix nuits
chez l’autre, par exemple », explique
Mme Beziat-Langlois.
Sans surprise, le compromis trouvé est
ensuite mieux respecté qu’un jugement
classique. « Un atout, sachant que pour
cinq divorces prononcés, trois couples retournent en justice pour rediscuter les mesures ou pour se plaindre de leur mauvaise
exécution ! », s’enthousiasme Sophie Lassalle, secrétaire générale de la Fédération
nationale de la médiation et des espaces
familiaux (Fenamef). Dans 20 % des cas,
l’accord reste informel. « Préférez un écrit,
et faites-le homologuer au tribunal pour
Coût variable selon vos ressources
La plupart des médiations se déroulent par l’intermédiaire d’une association conventionnée (contactez la
Fenamef pour connaître la structure la plus proche de
chez vous). Les particuliers paient un tarif qui dépend de
leurs revenus, et les associations sont subventionnées par
la Caisse d’allocations familiales. Dans ce cadre, le médiateur est forcément diplômé d’Etat, et un entretien gratuit
d’information de quarante-cinq minutes est réalisé (en général, les parties s’y rendent séparément).
Ensuite, comptez entre deux et huit séances d’une heure
trente, moyennant 2 à 131 euros par personne et par cession, selon vos ressources (15 euros pour 1 200 euros de
revenus mensuels, 32 euros pour 2 200 euros, etc.). Certains médiateurs exercent aussi de façon indépendante,
avec des tarifs libres (de 40 à 80 euros la séance). Si vos
revenus sont élevés, l’alternative ne coûte pas forcément
plus cher, mais vérifiez que le médiateur est bien diplômé.
Changer d’assurance emprunteur
reste peu courant
lui donner force de preuve. La procédure est
simple et rapide, et votre médiateur pourra
vous épauler », précise Lise Bellet, médiatrice et avocate au barreau de Paris. Vous
disposerez d’un document officiel. Utile,
par exemple, si on vous demande un justificatif de ressources alors que vous touchez une pension alimentaire d’un exconcubin.
Depuis mars 2015, il faut lors de la saisie
d’une juridiction mentionner les modes
de « résolution amiable » tentés en amont.
« Bien entendu, si on a n’a rien fait, aucune
sanction n’est prévue. Mais selon le contexte, le juge peut vous renvoyer en médiation avant d’examiner la requête », précise
Mme Bonvel.
QUESTION À UN EXPERT
jean dugor, notaire à Auray (Morbihan)
Moins coûteuse, plus rapide
Côté pratique, une médiation reste toujours moins coûteuse qu’un procès et nettement plus rapide. Les médiateurs savent se rendre disponibles et peuvent
fixer des rendez-vous le soir alors qu’il
faut patienter trois à dix mois pour une
audience avec le juge aux affaires familiales. Evidemment, pour un divorce, saisir le
juge avec un avocat reste obligatoire. Mais
si vous avez déjà dessiné les modalités
pratiques et financières lors d’une médiation (garde des enfants, partage des biens,
prestation compensatoire, pensions alimentaires…), la procédure sera ensuite
plus rapide, et les honoraires allégés.
Pour les autres conflits familiaux – séparations entre pacsés ou concubins, droit
de visite des grands-parents aux petitsenfants, successions compliquées… –, la
médiation permet souvent d’éviter de
passer par la case justice. En tout cas, vous
n’avez rien à perdre : « Après l’échec d’une
médiation, les juges constatent au moins
que les audiences sont apaisées », conclut
Sophie Lassalle. p
caroline racapé
VILLES EN MUE
Alternative à la tutelle, comment
fonctionne l’habilitation familiale ?
Pour les enfants, demander la mise sous tutelle ou curatelle de leur
père ou de leur mère peut s’avérer psychologiquement difficile et compliqué à mettre en œuvre. L’habilitation familiale, en vigueur le 1er janvier, est plus souple et plus pratique que la tutelle, car elle permet de
représenter son proche dès que celui-ci n’est plus en capacité d’exercer
ses propres volontés. Ce mode judiciaire de représentation est hybride, car son fonctionnement est emprunté à la tutelle et au mandat
de protection future.
Le juge peut ordonner l’habilitation au profit d’un ou plusieurs proches
d’une personne hors d’état de manifester sa volonté, afin de la représenter pour prendre certaines décisions de gestion en son nom.
L’étendue de cette habilitation est déterminée par le juge. Elle peut
porter sur une ou plusieurs décisions de gestion administratives (conclusion ou renouvellement d’un bail de moins de 9 ans), de disposition
des biens (vente d’un bien immobilier, où ne vit pas – bien sûr – la personne vulnérable) et sur des actes relatifs à la personne (à l’occasion
de soins médicaux, par exemple). L’habilitation peut même être générale, elle est dans ce cas mentionnée en marge de l’acte de naissance.
Elément essentiel : la personne visée par l’habilitation conserve l’exercice de ses droits sur tous les actes qui ne sont pas précisés dans la
décision du juge. p
69
FORMULE INTÉGRALE
Un nouvel hippodrome pour Longchamp
€
Un coût de 125 millions d’euros
Le coût de la restructuration de ce lieu mythique des courses, propriété de la Mairie
de Paris, s’élève à plus de 125 millions
d’euros. Avec une forme inclinée à la façon
d’un pur-sang au galop, le futur bâtiment
imaginé par l’architecte Dominique Perrault jouera sur les transparences et les
perspectives. Dans ce site où la tribune du
Pavillon et les écuries seront conservées et
réhabilitées, la future réalisation n’aura volontairement ni devant ni derrière. « Ce bâtiment de verre proposera des plateaux traversants, des ouvertures de tous les côtés.
Les circulations ont été conçues pour permettre aux spectateurs de faire des allers-retours entre les emplacements pour regarder
la course et le rond de présentation, lieu central de l’hippodrome », indique M. Perrault.
Pour répondre à une fréquentation qui
peut aller de quelques milliers de personnes par jour, en semaine, à 60 000 spectateurs lors du prix de l’Arc-de-Triomphe,
France Galop a choisi de disposer d’une tribune unique permanente de près de
10 000 places, qui sera complétée d’une seconde, provisoire, spécialement montée
pour cet événement hippique mondial.
Grâce à cette solution, la tribune en
« dur » sera plus compacte et moins imposante qu’auparavant. « On va gagner 100
mètres en longueur pour un bâtiment qui
ne dépassera pas 20 mètres de haut », indique l’architecte. A la proue de ce navire, le
dernier étage proposera des loges, un restaurant et une terrasse panoramique, avec
une vue à 360 degrés sur Paris, la Seine, la
tour Eiffel et, évidemment, sur le champ
de course. p
laurence boccara
Avec une
forme
inclinée,
le futur
bâtiment
jouera sur les
transparences
et les
perspectives.
BULLETIN D’ABONNEMENT
DOMINIQUE PERRAULT
EAUX
2 NOUV ENTS
M
SUPPLÉ Epoque
Idées et L’
161EMQADCV
A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
ARCHITECTE-L’AUTRE
OUI,
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*Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse
L’
hippodrome de Longchamp, qui
occupe 55 hectares au sein du bois
de Boulogne, à Paris, connaît une
réhabilitation immobilière d’envergure.
Dans ce temple des courses de galop, fermé
depuis octobre 2015, le chantier bat son
plein. La démolition des 71 000 mètres carrés de tribune est achevée. Place à la reconstruction. La première pierre a été posée le
14 mars. « Dessiné par Jean-Charles Alphand
en 1857, et déjà rénové deux fois, cet hippodrome avait besoin d’être restructuré, afin de
proposer des équipements modernes pour
tous les publics et pour les professionnels du
monde hippique. Il y aura, finalement, plus
de construction que de rénovation », explique Edouard de Rothschild, président de
France Galop, société gestionnaire du site et
locataire des lieux jusqu’en 2056.
Je règle par :
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1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de radiation des informations vous concernant en vous adressant à notre siège.
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
DIMANCHE 20 - LUNDI 21 MARS 2016
« Les réseaux
sociaux sont
plus puissants
que les médias »
Ils sont sur ce point plus puissants que les médias. Pour ces derniers, il est difficile de se rabattre
sur le modèle payant par abonnement, qui nécessite un avantage
compétitif très clair et un contenu
très original.
Emily Bell, directrice du Tow
Center for Digital Journalism,
met en garde les éditeurs de presse
L
ENTRETIEN
ors d’une intervention à
l’Université de Cambridge
et dans une tribune parue
début mars dans la
Columbia Journalism Review intitulée « La fin du monde tel que
nous le connaissons : comment
Facebook a avalé le journalisme »,
Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism, à New
York, et ancienne patronne des activités numériques du quotidien
britannique The Guardian, met en
garde les médias. Elle dénonce l’essor des réseaux sociaux comme
intermédiaires de distribution.
L’écosystème des médias a-t-il
vraiment davantage changé en
cinq ans qu’en cinq cents ans ?
L’avènement du Web social sur
mobile est un bouleversement
majeur quand on pense à la lenteur avec laquelle les médias se
sont développés jusqu’ici, de l’invention des caractères d’imprimerie aux rotatives industrielles, etc.
Les systèmes passés associaient
« Les platesformes ont
le pouvoir de
sous-exposer ou
de surreprésenter
tel ou tel type
de contenu »
un émetteur à de nombreux lecteurs ou spectateurs. Les éditeurs
étaient locaux et proches de leur
public. Il existait un lien direct. Ce
n’est plus le cas. Soudain, toute la
façon dont l’information était distribuée a changé. Et ce phénomène est global.
Jusqu’ici, il existait bien des
intermédiaires, comme les
kiosques, ou des régulateurs
comme le CSA en France ?
Les nouvelles plates-formes
sont numériques, donc façonnées par un code informatique
qui n’est pas intelligible. Avant, les
systèmes étaient plus simples et
clairs, et les distributeurs étaient
soumis à une certaine transparence, alors que désormais, les algorithmes sont plus opaques.
L’autre différence est l’échelle :
on est passé de centaines de chaînes de télévisions et de journaux
à des milliards de pages Web de
contenus. Ces derniers sont
« réintermédiés », c’est-à-dire réagencés avec une méthode qui dépend uniquement de la plateforme de distribution : il n’y a plus
d’ensemble produit par le média,
comme un journal ou une chaîne.
Et Facebook, Snapchat ou Twitter
touchent l’Inde ou les Etats-Unis.
Il y a une différence de nature et
d’échelle.
Selon vous, la concentration
inédite des pouvoirs de distribution menace le pluralisme
mais il y a plus de sources
disponibles que jamais…
SILVIA MORARA/CORBIS
Il y a moins de pluralité dans la
distribution, avec seulement
quelques grands réseaux sociaux
dans le monde. Paradoxalement,
il existe une grande diversité de
contenus et peu de barrières pour
s’exprimer, sauf dans les pays où
les libertés sont restreintes.
Conserver l’égalité entre les producteurs d’information n’est pas
possible. C’est pour cela que les
plates-formes trient le contenu :
Twitter distingue les utilisateurs
authentifiés ou pas, Facebook a
des relations privilégiées avec les
médias professionnels… Les
plates-formes ont le pouvoir de
sous-exposer ou de surreprésenter tel ou tel type de contenu.
Les réseaux sociaux
ne touchent-ils pas un lectorat
plus jeune ?
Quand le Wall Street Journal va
sur Snapchat, c’est pour trouver
des 15-24 ans intéressés par son
information. Il y a là une opportunité de toucher des personnes de
15 ans, qui ont grandi sans télé et
avec le haut débit mobile, ce qui
n’est pas le cas des personnes de
25 ans. Les éditeurs n’ont pas le
choix : ils doivent être présents
sur les plates-formes. Mais ils
abandonnent une part du contrôle sur leur distribution… C’est
un pari risqué.
En quoi les grandes plates-formes menacent-elles l’économie d’un média ?
Les géants technologiques peuvent rendre un business déficitaire. D’abord, l’espace publicitaire numérique disponible est
immense. Et les grands réseaux
sociaux ont la capacité d’aider les
annonceurs à cibler les lecteurs.
Le site Buzzfeed ne vend de la
publicité que sous la forme de
contenus texte ou vidéo, il se déploie sur les réseaux sociaux et
il est rentable. Est-ce la solution ?
D’abord, Buzzfeed a reçu des investissements en capital de médias traditionnels, comme le
groupe audiovisuel NBC Universal. La philosophie de cet éditeur a
certes du sens, économiquement : il concurrence l’activité
des agences de publicité en produisant des contenus pour les annonceurs. Mais Buzzfeed n’est pas
immunisé contre les risques de
baisse des prix des publicités,
même s’il a jusqu’ici réussi à vendre les siennes plutôt cher.
Selon Buzzfeed, il y a assez de diversité dans les réseaux sociaux
disponibles pour réduire la dépendance envers eux. Il n’empêche
que les plates-formes importantes
comme Facebook peuvent changer votre modèle en modifiant
leur algorithme. S’appuyer sur elles reste une stratégie risquée. Et
faire du contenu de marque pour
les annonceurs n’est pas forcément adapté à tous les médias. Ces
derniers, pour la plupart, cherchent plutôt à trouver une ou plusieurs sources de revenus alternatives à la publicité : contenus
payant, diversification, conférences, etc. La question de fond est
celle de la pérennité des médias. Il
y a dix ans, un éditeur bénéficiaire
pouvait avoir quelques certitudes
sur son avenir, c’est moins le cas
aujourd’hui. p
propos recueillis par
alexandre piquard
Une collection
En quoi est-ce un problème ?
Comment décide-t-on quels
types d’articles sont favorisés ? Y at-il transparence sur les critères ?
Qui est responsable ? Les grands réseaux sociaux n’avaient pas forcément anticipé leur responsabilité
dans la distribution de l’information. Ils doivent s’adapter, en étant
notamment plus transparents.
APPRENDRE
à
Rythm, la start-up qui veut libérer
les Français des troubles du sommeil
PHILOSOPHER
ÉTHIQUE, LIBERTÉ, JUSTICE
« Pensez le monde autrement
avec les grands philosophes »
La société, qui teste auprès de 500 personnes un casque facilitant
l’endormissement, démarche des investisseurs de la Silicon Valley
Des scénarios personnalisés
La période d’essai doit permettre
de tester et d’affiner les algorithmes informatiques. « Nous avons
encore beaucoup à apprendre »,
concède M. Mercier. A terme, la
start-up espère aussi se constituer
une gigantesque base de données
afin de « créer une véritable intelligence artificielle capable de comprendre le sommeil », poursuit cet
ancien de l’Ecole polytechnique. La
plate-forme serait alors capable de
proposer des scénarios personnalisés pour chaque utilisateur.
Fondée en 2014, Rythm compte
déjà une cinquantaine d’employés, dont une dizaine à San
Francisco, où elle a ouvert un bureau destiné au marketing et au
design. La recherche et le développement sont toujours réalisés à
Paris. Pour se financer, la jeune
pousse a procédé à plusieurs le-
vées de fonds, auprès notamment
de Xavier Niel, le patron d’Iliad et
actionnaire à titre individuel du
Monde, et Laurent Alexandre, fondateur du site Doctissimo.
La start-up, qui a aussi recueilli
3,5 millions d’euros de fonds publics en France, démarche désormais les investisseurs de la Silicon
Valley. « Nous sommes en discussion avec les grands fonds de capital-risque de la Valley », assure son
directeur général, qui reconnaît
que sa société « consomme beaucoup de liquidités car nous finançons aussi de la recherche fondamentale ». La start-up espère notamment trouver une solution
aux difficultés d’endormissement.
En attendant, Rythm envisage
déjà d’utiliser sa technologie dans
d’autres domaines. Par exemple, la
réalité virtuelle pour rendre l’expérience encore plus immersive
en fonction de l’activité cérébrale
de l’utilisateur. Ou encore, l’éducation pour adapter l’apprentissage.
Autre piste : l’interface personnemachine. « Pourquoi ne pas contrôler un ordinateur grâce à l’activité
cérébrale ? », imagine déjà le jeune
entrepreneur. p
jérôme marin
UNE COLLECTION QUI EXPLIQUE CLAIREMENT
LES IDÉES DES GRANDS PHILOSOPHES
Birnbaum.j © A di Crollalanza
P
our le tiers des Français qui
souffrent de troubles du
sommeil, la quête de la solution est incessante. Une brèche
dans laquelle espère s’engouffrer
Rythm. Cette start-up parisienne a
conçu un casque à porter la nuit.
Sa promesse : améliorer la qualité
du sommeil. Jeudi 3 mars, elle a
ouvert une première phase d’essai
public, limitée à 500 personnes.
Elle espère lancer, début 2017, une
version commerciale, destinée au
grand public.
Baptisé Dreem, l’appareil, pour le
moment vendu 350 euros, intègre
trois électrodes placées sur l’arrière du crâne. Elles permettent de
mesurer l’activité cérébrale en
temps réel. Le casque sait ainsi
dans quelle phase de sommeil se
trouve l’utilisateur. Un algorithme
informatique entre alors en action : il analyse les données et détermine à quel moment envoyer,
par conduction osseuse, de petites
stimulations sonores.
« L’objectif est d’atteindre plus rapidement la phase du sommeil profond, le plus réparateur, puis d’y rester plus longtemps », indique Hugo
Mercier, le jeune cofondateur et
patron de la société. Si l’utilisateur
a programmé une alarme, le casque préparera également son réveil pour s’assurer qu’il n’intervienne pas pendant la phase de
sommeil profond, ce qui se traduirait par un sentiment de fatigue.
Le volume 2
Une collection
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Présentée par Jean Birnbaum,
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La tentation
d’Adèle
Cinéma, pub, mode,
l’homosexualité
féminine est
devenue glamour.
Du coup, certaines
se laissent tenter.
Pour une nuit
ou pour la vie.
FABRIQUÉ EN FRANCE
Photo extraite de la série « Le baiser ». THIBAULT STIPAL
E N QUÊ TE
DIMAN C H E 20 - LU N DI 2 1 MARS 201 6 C AHI ER DU « M O N DE » N O 22139 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM EN T
COSSE PHILIPPE NIGRO
0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 M A R S 20 1 6
ENQUÊTE
2
Lesbienne pour voir
Pour un soir ou pour la vie,
elles « essayent » les filles.
Victimes de la mode ou
amoureuses sans frontières ?
Elsa Fayner
Coming out, séries,
films : vingt ans
de médiatisation
1997
> Coming out
de l’actrice
américaine Ellen
DeGeneres, sur le
plateau d’Oprah
Winfrey et en
« une » du Time.
1999
> A 19 ans, la
tenniswoman
Amélie Mauresmo
révèle son homosexualité lors de
l’Open d’Australie.
2003
> Madonna
embrasse Britney
Spears et Christina
Aguilera aux
MTV Video Music
Awards.
2004
> Série américaine
« The L Word »
mettant en scène
les amours d’un
groupe de femmes
lesbiennes
et bi, près de
Los Angeles.
Photos extraites
de la série
« Le baiser ».
THIBAULT STIPAL
2007
> Jodie Foster
évoque sa
compagne lors
d’une remise
de prix.
2008
> « I Kissed a Girl »,
single de Katy
Perry.
> L’actrice Lindsay
Lohan, 22 ans,
annonce sa
relation avec la DJ
Samantha Ronson.
2010
> « J’aime les
femmes », déclare
l’actrice Amber
Heard, devenue,
depuis, la
compagne de
Johnny Depp.
0123
D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 M A R S 20 1 6
L
es fantasmes sont revenus à la
naissance de son deuxième enfant. Aurélie avait 32 ans et « enfin
du temps pour cogiter ». Du temps
pour aller au cinéma, voir La Vie
d’Adèle notamment. Littéraire, née
dans une banlieue ouvrière, comme le personnage principal du film, la jeune femme
s’est identifiée, troublée par ces scènes de
sexe « magnifiques ». A cette période, son attirance pour les filles, qui lui faisait peur au lycée, a commencé à lui paraître « plutôt cool »,
« possible à assumer ». Rien de concret au début – une rêverie à ses heures perdues.
Combien sont-elles, ces femmes, à
avoir été troublées par le film d’Abdellatif Kechiche ? A avoir senti en elles vaciller une certitude, ressurgir un doute ? Il ne s’agit pas que
de La Vie d’Adèle : les débats autour du mariage pour tous, la médiatisation d’histoires
au féminin et la multiplication de films sur le
sujet (récemment Carol ou Free Love) ont mis
en avant des amours jusqu’ici peu montrées.
Les lesbiennes sur grand écran,
comme un miroir d’une époque plus ouverte
sur les sexualités, plus « fluide ». Une époque
où une jeune actrice, Adèle Haenel, recevant
un premier César en 2014, déclare son amour
pour sa compagne. Où un mannequin américain chouchou des magazines, Cara Delevingne, s’affiche indifféremment avec des hommes et des femmes.
Myriam, qui, comme les autres femmes rencontrées, n’a pas souhaité révéler son
identité, s’est « autorisée ce désir » après avoir
lu Mes mauvaises pensées, de Nina Bouraoui
(Stock, 2005). En cure de thalasso. « Ma mère
m’avait offert un séjour pour mes 40 ans »,
sourit-elle, cigarette aux lèvres devant La Mutinerie, bar lesbien du 3e arrondissement parisien. Mariée, mère de deux enfants, provi-
2009
> « La Lesbienne
invisible »,
one-woman-show
d’Océanerosemarie, qui se joue
pendant trois ans.
2013
> « Orange is the
new black »
série américaine,
carcérale et
lesbienne.
> « La Vie d’Adèle»
d’Abdellatif
Kechiche.
Désormais,
les femmes sont
plus nombreuses
que les hommes
à déclarer avoir
couché avec
une personne
de même sexe
« Pour certaines,
ce n’est pas une question de désir,
mais d’image »
Delphine Rafferty, 32 ans,
mannequin
Pendant une soirée de la fashion
week, une fille mignonne au look
hétéro s’assied à côté de moi et me
dit : « Il est joli ton manteau… » Suivi
d’un « toi aussi, t’es jolie ». Elle me
fait du rentre dedans comme un
homme. On finit par passer la nuit
ensemble. Le lendemain, je n’en ai
aucun doute : elle ne me rappellera
pas, je ne l’intéresse pas réellement,
elle ne veut pas sortir avec une fille.
D’ailleurs, elle a sûrement un mec.
Ce qu’elle voulait, c’est une histoire
à raconter à ses copines, ce nou-
2014
> Coming out
de l’actrice
Ellen Page, 27 ans.
> Adèle Haenel,
lors de sa remise
du César du
meilleur second
rôle, remercie
seure en banlieue, elle n’avait « pas vu le
temps filer ». Les questionnements du passé
ont ressurgi, et Myriam s’est dit « qu’il était
possible d’être une femme bien dans sa peau,
jolie, tout en étant attirée par des femmes ».
Depuis, la proviseure a décidé de divorcer. C’est à l’occasion d’un passage à Paris,
où elle a rendez-vous avec son avocat, qu’elle
franchit la porte de La Mut’, comme disent les
deux étudiantes qui lui proposent un billard.
Myriam n’a pas encore tenté l’expérience, elle
est « work in progress », répète-t-elle, mais elle
déplore déjà la difficulté à trouver des lieux
de rencontre pour les femmes de son âge.
« C’est une vraie démarche », confirme Camille, 37 ans, qui a passé un an « dans le milieu
lesbien » : « On se fait rarement draguer par
une fille au quotidien, il faut se rendre dans quelques
bars, ou sur des sites de rencontre. Ce
n’est pas toujours
simple. »
Pourtant, le
nombre de femmes ayant une expérience sexuelle
au moins une fois
dans leur vie avec
une autre femme
ne cesse d’augmenter.
Aujourd’hui, près
de 7 % des femmes
de 25-50 ans déclarent avoir essayé,
selon l’étude des parcours individuels et conjugaux INED-Insee. Elles étaient 3 % en 1992
et 4 % en 2006. Désormais, elles sont plus
nombreuses que les hommes à déclarer
avoir couché avec une personne de même
sexe, alors que, jusqu’à présent, elles se disaient être seulement « attirées ». Pour Wilfried Rault, sociologue à l’INED, ces pratiques
sont à la fois plus nombreuses et plus déclarées. Pour une même raison : l’environnement est « moins hostile à l’homosexualité ».
Camille, longs cheveux blonds sur tenue noire, n’a pas attendu la sortie de la Vie
d’Adèle ou de La Belle Saison. Encore moins le
coming-out bi de célébrités. Il y a vingt ans,
alors qu’elle était au lycée, la Bordelaise s’est
3
sa compagne
– « parce que
je l’aime ».
> Chaleur
humaine, album
de Christine and
the Queens, qui
se définit comme
« pansexuelle ».
2015
> Le mannequin
Cara Delevingne
affirme au
HuffPost que sa
bisexualité n’est
« pas une phase ».
passionnée pour Orlando, de Virginia Woolf,
qui raconte l’histoire d’un jeune lord androgyne s’affranchissant « des barrières du
genre ». Un roman paru en… 1928. « Une révélation », confie Camille, éditrice. Mais sans
la « drague offensive » d’une collègue, elle
n’aurait jamais imaginé « sauter le pas ».
Lucile ne croit pas plus que la visibilité
accrue des amours féminines change grandchose. Critique de cinéma, elle n’a pas été
bouleversée par un film en particulier, « qui
aurait tout déclenché », mais par « une rencontre », « avec une vraie lesbienne ». La précision
a son importance. « Ça s’apprend de faire
l’amour entre femmes. Les gestes, les attitudes,
tout est différent », explique la trentenaire.
Elle met d’ailleurs en garde : « Les magazines féminins disent qu’il faut avoir couché
avec une femme pour ne pas avoir raté sa vie,
mais ça relève du fantasme porno, du cliché hétéro. Des gamines peuvent se faire du mal en
faisant ça. La sexualité entre filles n’est pas plus
douce ou moins intrusive, pas du tout ! »
Une double vie
Lucile a vécu une double vie pendant six
mois : d’un côté avec son mari, de l’autre avec
sa nouvelle compagne, dans deux villes différentes, tous les protagonistes étant au courant. « Ils se sont même rencontrés, raconte-telle, ça se passait très bien. » La jeune femme a
fini par quitter son amie, a eu un deuxième
enfant, mais a compris que, pour elle, « ce
n’était pas un fantasme ni pour faire plaisir à
quelqu’un », qu’« émotionnellement, ça collait
des deux côtés ». Elle en a conclu que le terme
de « bisexuelle » lui convenait pour définir à la
fois ses vies sexuelle et sentimentale. En matière de sexualité, la majorité des psys distinguent les « pratiques » de l’« orientation » : une
femme peut ne se sentir bien qu’avec des
hommes, se définir ainsi comme hétérosexuelle, tout en ayant des rapports avec des
femmes. Elle peut éprouver des sentiments
pour les hommes comme pour les femmes
mais décider de n’avoir de relations sexuelles
qu’avec les uns ou les autres.
Comme Camille, l’éditrice bordelaise,
qui a fini par quitter sa copine de bureau
après quelques mois de passion. Le désir
s’était asséché, les sentiments n’étaient pas là.
« La relation me donnait une place qui ne me
convenait pas », constate-t-elle. Camille n’a eu
des relations qu’avec des hommes depuis.
« Avec elle, je n’étais plus la seule à détenir la féminité, à apporter ce que j’avais à apporter.
J’avais envie d’être la fille, je crois. »
Aurélie, elle, n’a pas vraiment eu le
temps d’y réfléchir. Troublée par le film d’Abdellatif Kechiche durant son congé maternité,
elle s’est confiée à ses amies, et un soir, dans le
taxi du retour, l’une d’elles l’a embrassée. Encore plus bouleversée, elle en a parlé à une
veau statut social un peu coquin…
Tout le monde nous a vues partir
ensemble.
Une question tourne en boucle
dans ma tête : « Si ce soir-là, j’avais
porté une grosse chemise à carreaux
et un pantalon treillis, tu m’aurais
parlé ? » La réponse est non, bien
sûr. Coucher avec une femme,
mais pas n’importe laquelle. Il lui
fallait une lesbienne fashion, qui
rentre dans des canons de mode,
avec un physique androgyne et des
vêtements de marque. Un logo
couvert de logos, voilà ce qu’elle
voulait. Pour ces filles, le sexe avec
2016
> Pour la première
fois, Meetic
intègre dans sa
campagne de pub
un couple
de lesbiennes.
collègue au bureau. « Elle hésitait à tromper
son mec avec un autre, et moi j’avais décidé
que je voulais coucher avec une femme… », raconte la jeune femme, rouge à lèvres et chemise sagement boutonnée. A l’époque, l’idée
devient une obsession, presque une compétition ; c’est à qui mettra son projet à exécution
la première. « Je ne sais pas ce qui s’est passé,
mais quand les vacances sont arrivées, nous
nous sommes mises à nous draguer, par textos… C’est devenu torride. » Aurélie en est encore tout étonnée. Au retour des congés, elles
louent une chambre d’hôtel et passent une
nuit « très romantique ». Mais le lendemain,
c’est la douche froide.
Son amante « fait comme si de rien
n’était », et Aurélie connaît son « premier chagrin d’amour », elle qui a rencontré son mari
au lycée. « Je n’ai pas été jusqu’à envisager de
tout plaquer, mais j’en ai bavé », dit-elle.
Aujourd’hui, la jeune femme a « pris du recul ».
Elle sait qu’elle peut être attirée par des femmes. Elle reconnaît qu’elle peut être « un peu
“control freak” » et qu’elle a « eu besoin de mettre du désordre dans une vie très sage » pour
réaliser qu’elle était « sûre de [ses] choix ». Myriam, de son côté, n’est pas repassée à La Mutinerie, mais elle compte bien y retourner.
une fille, ce n’est pas une fin mais
un moyen. Ce n’est pas une question de désir mais d’image. Passer
la nuit avec une fille, c’est comme
avoir le dernier sac à la mode. Tu
veux surtout que tout le monde
sache que tu as réussi à l’avoir.
C’est presque la dixième fois
qu’une expérience de ce genre
m’arrive en un an. Un effet de tendance. La série télé américaine
« The L Word » avait glamourisé le
phénomène, l’avait rendu moins
« ghettoïque ». Mais aujourd’hui, le
milieu de la mode s’est accaparé
cette esthétique queer : dans tous
les castings, je vois des filles qui me
ressemblent, des garçons manqués
au crâne rasé, soudain devenues
des canons de beauté pour le
grand public.
Il y a un peu plus d’un an, j’ai commencé à m’intéresser à la mode,
puis à défiler, et soudain, je suis
entrée dans une case cool. Ces
filles te repèrent pour ton look, te
forcent un peu la main en soirée,
persuadées que tu vas automatiquement rentrer avec elles.
C’est un vieux cliché que ton fantasme est forcément de « détourner » une fille qui aime les garçons.
Et le pire, c’est que leur mec s’en
fiche, au contraire, c’est un peu
excitant pour lui. Et jamais sérieux.
Propos recueillis par Alice Pfeiffer
HAU T E DÉF I N I T I O N
Fluidité sexuelle
C’est la capacité de chacun à voir ses préférences sexuelles évoluer au cours de sa
vie, de la position pendant l’amour au
choix du partenaire. Les femmes qui font
l’amour avec des femmes seraient plus
« fluides » que les autres. Plus narcissiques
aussi, suggère Joëlle Mignot, psychologue
clinicienne : « On peut penser qu’elles
sont à la recherche du “même”, dans la
curiosité inconsciente d’aller observer
leur propre jouissance dans le miroir. »
4
0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 M A R S 20 1 6
Oups, mon boss
m’invite
sur Facebook
Nicolas Santolaria
U
n jour, votre boss a découvert que Facebook existait et
vous a envoyé une invitation « en ami ». Pour vous
comme pour vos collègues, l’arrivée inopinée de votre
patron sur le réseau social de Mark Zuckerberg colore d’une
teinte menaçante cet écosystème numérique jusqu’alors caractérisé par sa frivolité relationnelle. En termes d’état d’esprit,
vous voilà telle une bande de gnous qui riait gaiement aux
abords d’un point d’eau et qui voit soudain débarquer un superprédateur à la canine étincelante. Un interminable « oh,
noooooonnnnnn » résonne alors dans ce piton de la fournaise
qu’est devenu votre cerveau. Votre temps d’hébétude ne doit
pas dépasser le millième de seconde, car il faut vite évaluer le
niveau du risque et mettre en place des stratégies de survie.
La première d’entre elles consiste à différer votre réponse et à faire disparaître fissa ces photos de vous en train de
nager le crawl dans une flaque de bière. Si cette demande
d’amitié vous fait à ce point violence, c’est qu’elle bouleverse en
profondeur votre système de valeurs. Même si vous n’avez rien
de personnel contre lui, votre chef a toujours été là pour que
vous puissiez le détester. Cristalliser le ressentiment, incarner
à lui seul le dysfonctionnement
structurel de l’entreprise, porter
sur ses épaules le poids de l’absurdité kafkaïenne du monde du
travail : telle a toujours été la
fonction cachée – mais non
moins essentielle – du chef.
Or, l’ergonomie de Facebook entre radicalement en
contradiction avec cette structuration classique de la relation. En faisant de tout un chacun un « ami » potentiel, elle
sonne la fin du grand Autre,
cette figure de l’altérité au sens
lacanien du terme dont votre
chef était l’incarnation la plus manifeste. Vos photos « food
porn » de gratins de pâtes immortalisés à la cantine et vos
aphorismes définitifs sur la marche du monde n’avaient
finalement de sens que parce que l’Autre n’y avait pas accès.
Une fois que vous avez accepté cette demande d’amitié hiérarchique, c’est toute votre vie numérique qui se recompose,
nécessitant une discipline inédite.
Le premier danger qui vous guette est ce que l’on pourrait nommer le syndrome Serge Aurier – du nom de ce footballeur du PSG qui a insulté son patron sur le service de livestream Periscope. N’oubliez jamais que tous vos épanchements sont publics. A cela s’ajoutent les périls liés aux
fonctionnalités du site. Alors que vous devriez être en train de
travailler sur un dossier urgent, le bouton « discussion instantanée », véritable mouchard, s’allume et trahit votre inclination à la dispersion numérique. Il est donc impératif de le désactiver. Le pire, c’est quand votre patron publie un mème
hyperéculé où Batman met une grosse claque à Robin et, dans
la foulée, « like » une de vos photos de burgers. Comment réagir ? Liker vous ferait passer pour un horrible courtisan. Mais
ne pas liker risquerait de congeler votre carrière.
Dans le doute, vous décidez de vous remettre à communiquer « in real life » et distillez vos aphorismes en tête-à-tête à
la machine à café. L’heure du bilan a sonné : depuis que votre
boss est sur Facebook, vous y êtes beaucoup moins et avez pris
conscience que vos post pouvaient être lourds de conséquences. En résumé, vous avez ouvert les yeux sur la nature réelle
du réseau social. Alors merci qui ? Merci patron !
Ne pas paniquer si
votre patron publie
un mème hyperéculé où Batman
met une grosse
claque à Robin
N O S J O U R S A R EU H
Siri, tu gardes le petit ?
Clara Georges
Dieu que c’est émouvant. L’enfant est parvenu à déverrouiller l’iPhone. Et dire qu’il y a un an à peine ils se découvraient. L’un accrochait ses petits yeux à la lumière
mouvante de l’écran, tandis que l’autre emmagasinait les
premiers clichés surexposés desdits yeux. J’ai tout de suite
compris : au grenier, le « Laurence Pernoud ». Aux oubliettes,
la préoccupation maternelle primaire, cette attention continue aux besoins du bébé. Winnicott, te voilà supplanté par
Winny et ses potes sur YouTube.
Quel soulagement. Pas besoin de bercer le nourrisson, Deezer a un bien meilleur flow que moi, et sa lecture est
moins aléatoire que ma voix. Tenir mon enfant par la main ?
Impossible, puisque ses deux menottes sont fermement
agrippées au rectangle noir. Le jour où il a marché à quatre
pattes, j’ai écrit à Tim Cook. Cette avancée spectaculaire,
nous ne la devons qu’au téléphone posé deux mètres plus
loin. C’est infiniment pratique. Le papa et moi sommes délestés de nos missions ancestrales. Siri est un père hors pair.
Lorsque l’enfant lui mordille les haut-parleurs en bavant, il se
contente d’un « Que puis-je faire pour vous ? » Ses gazouillis
sont accueillis sans emphase excessive. « Voulez-vous que je
cherche “dada” sur Internet ? »
Et l’angoisse de séparation ? Réglée ! Toute sa vie,
l’enfant vivra avec le substitut maternel niché au creux de sa
poche. La peur de l’inconnu ? Enterrée ! Personne ne serait
effrayé par un nouvel iOS. Je propose aux psychologues
d’intégrer à leurs travaux théoriques le concept de la carte
mère parfaite. Ou, tout au moins, suffisamment bonne : on
n’est jamais à l’abri que le stockage soit saturé.
INTERVIEW
B U R EA U - T I CS
Kyan
Khojandi :
« Je jette mes
piles dans
la mer »
Le créateur de « Bref »
à la moulinette du portrait
chinois de « l’Epoque »
Sandrine Blanchard
une blague, c’est très proche.
Cela demande beaucoup de
préparation et de répétition.
Vous êtes un complot ou
une fausse rumeur.
La rumeur qui dit que j’ai
perdu mes cheveux. Ça fait
beaucoup rire mon coiffeur
et moi.
Vous êtes une application
mobile idéale.
Une application qui permet
de se téléporter. J’espère
que les chauffeurs Uber et les
taxis ne s’allieront pas contre
ce nouveau concurrent.
Vous êtes un réseau social.
Un réseau social qui marche
sans électricité. On se retrouve
à table, on mange et on discute.
Ça pourrait cartonner.
Vous êtes un geste pas écolo.
Il faut vraiment que j’arrête
de jeter mes piles usagées
dans la mer.
Vous êtes un mot à la mode
insupportable.
Solutionner.
Vous êtes un smiley.
Le fantôme qui tire la langue.
Vous êtes fast ou slow food ?
Je peux passer une heure
à cuisiner un truc que je vais
manger en deux minutes.
Vous êtes made in France
ou tout à 10 euros ?
Il y a un nouveau label qui apparaît en plus du made in
France, c’est « cette société paye
ses impôts en France ». Ça, je
soutiens.
Vous êtes Tinder ou fin
de soirée arrosée ?
J’ai essayé Tinder, je me faisais
engueuler par les filles parce
que j’utilisais le profil de Kyan
Khojandi pour draguer.
JEFF PACHOUD/AFP
P
endant deux ans, il a fait le printemps au
« Grand Journal » avec sa minisérie « Bref ».
Aujourd’hui, Kyan Khojandi remonte sur
scène, son premier métier. « J’ai choisi de
prendre du temps pour moi et pour ma famille,
et de m’ennuyer parce que l’ennui est le fournisseur officiel de l’imagination, explique ce comédien
d’origine iranienne. J’ai gagné dix ans de psychanalyse. »
Résultat : un one-man-show intitulé Pulsions, parce qu’on
en a tous, lui le premier. Le 23 mars, il sera à l’affiche de
Rosalie Blum, de Julien Rappeneau, où il interprète un
coiffeur de province dont le quotidien va être bouleversé
par une femme mystérieuse… Mais, dans la vraie vie, il est
comment, Kyan Khojandi ?
Vous êtes un tweet
en 140 caractères.
Un jour, je suis né. Depuis,
j’improvise.
Vous êtes un hashtag.
#TousEnNezRouge
Vous êtes une photo qui
disparaît une fois consultée.
Snapchat a complètement
pompé le concept de la photo
de famille de Marty McFly
dans Retour vers le futur.
Vous êtes la fonction
d’un robot intelligent.
La fonction pour faire des gâteaux. J’apprends la pâtisserie
en ce moment. C’est de la chimie de haute précision. Créer
Vous êtes un néologisme.
J’avoue, j’ai regardé dans le dico
pour néologisme. Je dirais :
courriel. « Tu as pris le temps
de lire mon courriel ou tu
passes ta journée à surfer ?
Internaute, va. » Avec une
phrase comme ça, je suis en
plein dans la nouveauté.
« Pulsions », du 10 mars au 30 avril,
du jeudi au samedi à 20 heures,
à L’Européen, 5, rue Biot, Paris 17e.
« J’AI ESSAYÉ
TINDER,
JE ME FAISAIS
ENGUEULER
PAR LES FILLES »
0123
D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 M A R S 20 1 6
« France, April 2013 »,
de la série « Sleep
Elevation XIV ».
MAIA FLORE/AGENCE VU
> COMMENT
ÇA MARCHE ?
Une consultation dure
entre 1 heure et 1 h 30
et son prix est généralement compris entre
60 € et 90 €. Elle n’est
pas remboursée par la
Sécurité sociale, mais
certaines mutuelles
proposent une prise en
charge forfaitaire.
> COMMENT
SE FORMER ?
Dans des structures privées, sur un an à temps
plein ou sur trois ans le
soir ou le week-end. Le
diplôme et la profession ne sont pas reconnus en France. Six écoles garantes du contenu de l’enseignement
sont affiliées à la Fédération française des
écoles de naturopathie
(www.fenahman.eu).
B O U LO T
Changer de
vie... ou pas
BIEN-ÊTRE
T
u vas devenir gourou. » Il y a cinq ans,
quand Patrick Perez a
commencé à envisager une reconversion
professionnelle, il
n’a pas échappé aux sarcasmes.
Il faut dire que le virage avait de
quoi surprendre : le quinquagénaire était pilote de ligne dans
une grande compagnie aérienne
– plutôt un bon job. Alors pourquoi ? Pourquoi quitter le kérosène pour les huiles essentielles ?, ont semblé railler beaucoup
de ses proches et collègues.
« Sans doute un peu le regret de
n’avoir pas fait une carrière en
lien avec la santé, mais surtout
l’expérience d’une longue maladie qui m’a fait changer, moi l’ancien pilote de chasse à l’esprit bien
formaté. » Depuis janvier, il suit
un cursus à la faculté de naturopathie de Dijon.
Longtemps reléguée au
rang de toquade pour écolos,
voire de repaire de charlatans,
la discipline a désormais la cote.
En ville comme aux champs, on
s’échange les noms de ces spécialistes du bien-être, qui seraient
environ 2 000 en France, alors
que la profession n’est pas reconnue. Pour nombre d’aspirants à
une nouvelle vie, la « naturo » est
devenue une filière de reconversion séduisante.
Mais qu’est-ce, au juste,
que la naturopathie ? « Un ensemble de méthodes de soins visant à
renforcer les défenses de l’organisme par des moyens considérés
comme naturels et biologiques »,
définit l’Organisation mondiale
de la santé (OMS), qui la classe
parmi les médecines traditionnelles mondiales. Et encore ? Ni
médecin, ni kinésithérapeute, ni
diététicien, le naturopathe ne fait
pas de diagnostic mais propose
des conseils sur l’alimentation, la
gestion du stress et l’activité
physique. Le tout en ayant
recours à des techniques dites
naturelles, à base de compléments nutritionnels, de soins par
les plantes ou les huiles essentielles, de « massages bien-être »
et d’exercices de relaxation.
A la tête de l’école Euronature, trente-quatre ans d’existence, Bernadette Rachou a vu
monter l’engouement pour la
« voie de la nature » depuis deux
ans. Sur ses cinq campus (Pantin,
Lille, Toulouse, Aix, Lyon), les réunions d’information font le plein
et les inscriptions s’envolent. Elle
a ouvert cette année deux classes
supplémentaires à Lyon et à Toulouse. Ni les quelque 10 000 euros
de frais d’inscription (le tarif
moyen pratiqué par toutes les
écoles) ni les 1 500 heures de formation n’effraient les quadras et
quinquas en quête d’une nouvelle aventure professionnelle.
« La majorité de nos stagiaires, essentiellement des cadres, ne viennent pas du secteur médical ou
paramédical, explique cette ancienne assistante commerciale.
Dans les dernières promotions, il y
avait un styliste, une avocate, une
directrice des ressources humaines, des fiscalistes, un danseur
professionnel… »
Lara Maisonhaute-Libourg,
40 ans, fait partie de ces nouveaux convertis. Gérante d’un
magasin spécialisé dans les petites voitures de collection en Normandie, la jeune femme voulait
évoluer vers le secteur plus porteur de l’alimentation bio. « Pour
pouvoir mieux conseiller [ses] futurs clients », elle suit en 2014 une
formation en « naturo » qu’elle
arrive à faire financer dans le ca-
> COMMENT
CONSULTER ?
La liste des 700 membres de l’Organisation
de la médecine naturelle et de l’éducation
sanitaire, gage d’une
bonne pratique, est
consultable sur
www.naturopathe.net.
QUATRE RECONVERSIONS
RISQUÉES
Quitte gros
salaire pour
huile essentielle
Pilote de ligne, pharmacienne, danseur…
Ils ont tout plaqué pour se former à la
naturopathie. Une « profession » devenue
une véritable filière de reconversion
Catherine Rollot
dre de la formation professionnelle. En octobre 2015, la Normande ouvre son cabinet à Gravigny, dans l’Eure. Pour celle qui
était « un peu homéopathie »,
s’alimentait sainement sans être
« une obsédée de la chasse aux acides gras saturés » et n’avait jamais
consulté un naturopathe, l’« envie
de se lancer à fond » s’est faite au
fur et à mesure des cours.
Clarisse Gilbert, 38 ans, a
tourné la page de son métier de
monteuse dont elle « vivait très
bien » à la suite d’un bilan de
compétences. Conseillère santé à
temps partiel dans une enseigne
alimentaire bio en région parisienne depuis quelques mois, elle
commence à développer une activité libérale. « Plus que le métier,
c’est le fait d’avoir réussi à sauter le
pas qui fascine », explique cette
mère de deux jeunes enfants,
heureuse d’avoir trouvé une profession « ancrée dans le quotidien,
où les qualités d’écoute, d’empathie, sont primordiales ».
Le métier attire des salariés qui ne trouvent plus de sens
dans leur ancienne profession.
« Cet engouement, côté client
comme côté professionnel, reflète
notre époque, assure Frédéric
Boukobza, président de la Fédération française des écoles de naturopathie. Tous ceux qui s’engagent dans ce métier ont envie
d’être bien et de faire du bien ».
Les scandales médicaux,
la défiance vis-à-vis des traitements médicamenteux, la malbouffe, mais aussi l’intérêt croissant du grand public pour les produits naturels profitent à ces
nouveaux conseillers santé. Mais
gare aux faux espoirs. « Compter
au moins trois bonnes années
pour pouvoir gagner l’équivalent
d’un smic », avertit Jocelyne Perriot, qui cumule des missions
d’intérim en tant qu’infirmière
anesthésiste, son premier métier,
avec des cours dans une école de
naturopathie et des consultations en libéral. De quoi « décourager les opportunistes », juge Marie Aime-Dupuy, responsable de
la formation Anindra à Nantes.
Accidents de la vie, rupture professionnelle ou problèmes de santé servent souvent de
déclencheur. Depuis janvier 2013,
Marie-Laure Carlu, qui vit en Picardie, fait chaque jour une heure
et demie de transport pour suivre
> LA RESTAURATION
Tous « Top Chef » ? Même si vos lasagnes
font l’unanimité, réfléchissez-y à deux fois avant
de tout plaquer. La restauration fait partie des
métiers les plus idéalisés, mais une fois l’ivresse
des cours de cuisine retombée, gare au seau
d’eau froide de la plonge, aux journées à rallonge et à un horizon professionnel bouché.
> LES MÉTIERS MANUELS
L’ébénisterie, la dorure sur bois, la tapisserie… font rêver les salariés qui se voient à leur
compte, dans l’odeur des copeaux et l’euphorie de la création. Mais l’atelier poussiéreux et
savamment bohème n’est pas souvent au coin
de la rue. Même pour les plus chanceux, les
contraintes de l’artisan reviennent souvent au
galop : cotisations, régime de retraite…
> LE COACHING
Toute votre vie, on vous a certifié que
vous étiez un « fin psychologue », que vous saviez
être « à l’écoute ». Qu’à cela ne tienne : après des
années comme cadre dans une multinationale,
le temps d’une formation et vous voilà coach en
bien-être. Seulement, vous avez dépensé toutes
vos économies et n’avez pas anticipé que vous
quittiez le statut de salarié pour celui d’autoentrepreneur. Vous aviez misé sur vos qualités
humaines évidentes pour trouver des clients sans
avoir à les démarcher. Erreur.
> LA CHAMBRE D’HÔTES
La seconde vie au vert, loin du stress, à
accueillir des hôtes forcément sympathiques, se
transforme parfois en une existence rythmée par
les changements de paires de draps et la confection de petits déjeuners à la chaîne. Et hors
saison, la contemplation des chambres « lavande » ou « reine-des-prés » vides peut s’avérer
bien déprimante.
son cursus en banlieue parisienne. A 52 ans, cette cadre dans
l’industrie pharmaceutique a
voulu « comprendre une autre façon de soigner » après un licenciement économique. Intoxiqué au
mercure dentaire, c’est d’abord
comme patient que le pilote de ligne Patrick Perez a expérimenté
la naturopathie. Dans un an, il espère pouvoir être de l’autre côté
de la barrière. Naturopathe, et pilote de ligne à mi-temps.
5
6
0123
DIM A N C HE 20 - L UN DI 21 M A R S 20 1 6
QUENTIN BERTOUX
CUISINE
POUR « LE MONDE »
On ne coupe
pas au bol
Bols de
sarrasin et
cresson au
haddock
Les assiettes plates sont détrônées sur
nos tables par leurs voisins de placard,
ronds et généreux…
Avec des recettes qui changent
— pour 4personnes —
Stéphanie Noblet
D
ans l’enfance, il était de chocolat chaud, avec moustaEt ce n’est pas tout. Garni de recettes moins exotiques et touches gourmandes assumées, ou de soupe – et au lit ! –
jours souples (salade composée, soupe complète…), cet accessoire parles soirs de fièvre ou d’exaspération parentale. Vite
ticipe au « grand mouvement de simplification des repas et d’individuaavalé dans un coin de la cuisine. Rarement, il faisait
lisation des pratiques » observé par le sociologue de l’alimentation
une incursion à table, à l’occasion du cassoulet annuel
Jean-Pierre Poulain. Avec un atout majeur : l’usage mobile que l’on
ou, un jour d’exception, pour accueillir un intrigant
peut en faire, par sa bonne préhension en main, ici à table, là devant
minestrone, comble de l’exotisme culinaire dans la France septenun écran, avec un couvert unique le plus souvent.
trionale de l’ère giscardienne.
Autre avantage, en ces temps où concevoir un menu compatiEn 2016, le bol a gagné nombre de tables, des plus raffinées
ble pour dix copains relève parfois de l’exploit, ce type de récipient
aux humbles cantines de quartier. Le bol, ou plutôt son avatar
permet de masquer des contenus discrètement diversifiés – sans glucontemporain, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’austère moten ou végétarien, notamment –, sous un même décor consensuel : on
dèle de réfectoire, en verre ou porcelaine blanche, tout
concocte un savant maquis d’herbes, pousses et
juste bon pour les foires à tout… Appelé aussi coupe ou ADRESSE
graines, ça fait joli, ça camoufle l’ensemble et,
coupelle, il a pris du ventre et de la hauteur, lâché deux
sans distinction, tout le monde se régale.
crans à sa ceinture pour offrir un diamètre généreux, di- > LES BOLS DE JEAN
Alors, tout rond tout bon, le bol va-t-il régne d’accueillir les plats tout-en-un de tous horizons qui Les créations originales
gner sans partage ? Son aspect pratique et génél’ont rendu incontournable.
reux peut séduire toutes les générations. Mais
proposées depuis
avec un répertoire culinaire circonscrit : il lui
En apparence anodin, ce changement de vaisselle li- l’automne par le chef Jean
faut du prêt-à-manger, du calibré, tranché, convre quelques indices sur l’évolution de nos modes alimen- Imbert font leur effet : des
cassé, ciselé, voire mixé, de l’émincé, effiloché,
taires. Comment le dissocier du succès durable rencontré bols comestibles en bon
émietté, effeuillé… Ce qui implique un patient
en France depuis vingt ans par les recettes asiatiques, au pain (signé Eric Kayser)
boulot de découpe en amont ! Plus simples à
resto d’abord, mais aussi désormais à domicile ? Les bobun toasté à l’huile d’olive et
préparer, les céréales et pasta de tout calibre y
(vietnamiens), soupe de nouilles (chinoises), tom yam garnis de recettes de quaseront toujours à leur aise, bien au chaud dans
(thaïlandais), bibimbap (coréen) et autres chirashi ou lité (curry, au poisson, tout
donburi (japonais) se sont inscrits à nos menus sans se dé- végétal…). Bols de 8 € à 13 € leur sauce et faciles à mélanger.
Que les carnivores frustrés par de minà emporter (de 8,50 €
partir de leur récipient creux… et de leurs baguettes !
ces lamelles se rassurent : le bol dans le vent ne
à 13,50 € sur place).
saurait tout emporter. A jamais incompatible
2, rue de Choiseul, Paris 2e.
avec une entrecôte, un osso buco ou un gigot
– excepté, peut-être, celui qui a mitonné sept heures… A quoi bon se
compliquer la tâche et prendre le risque de contorsions grotesques,
coudes en l’air, dans une pitoyable danse des canards, quand ces
plats carnés réclamant fourchette et bonne lame ne s’offriront jamais mieux qu’en position allongée (planche ou assiette) pour être
découpés et dégustés ?
Rincez et essorez une
botte de cresson ; éliminez les plus grosses
tiges. Faites pocher
400 g de filets de
haddock 10 min dans
un mélange d’eau et
de lait sans sel. Otez
la peau et les arêtes
et émiettez-le. Faites
cuire 160 g de sarrasin
kasha grillé (en
magasin bio) à l’eau
bouillante salée 5 min,
puis égouttez-le.
Faites blondir 2 échalotes dans une petite
casserole avec une
noix de beurre,
1 cuillère à café de
curcuma et 1 autre
de curry, sel et poivre ;
déglacez avec 10 cl de
vin blanc et 20 cl de
crème liquide (classique ou végétale) ;
laissez réduire à feu
doux 5 min.
Répartissez les ingrédients dans de grands
bols et arrosez avec
la sauce ; dégustez
tiède ou à température ambiante.
J A R DI N
Escargots :
les dents
de la terre
Muriel Gilbert
P
ar une gazouillante aube de printemps, tu promènes
au-dessus de ton café fumant un œil chiffonné
d’oreiller sur les fleurettes qui multicolorent ton
microjardin de banlieue, les considérant avec une tendresse
d’autant plus maternelle que tu sens encore dans la moelle
de tes lombaires l’effort accompli dimanche dernier pour
les planter dans la bouillasse entre deux averses glacées.
Soudain, horreur : dans le coin, là, près du mur, quelqu’un a
avalé tes bébés plantes !
Ça, c’est signé Gastéropode. Gastéropode, du grec
« l’estomac dans les talons », souffre, comme son étymologie l’indique, d’un féroce appétit. Bon. Comment le lui
couper sans répandre ces vilaines
granules bleues qui te vaudraient
une nuit chez SOS-Véto s’il prenait
au matou l’envie d’y goûter ?
« Tu peux mettre de la cendre
ou des coquilles d’œuf autour des
plantes », conseille Fernando, mon
voisin, ses deux grosses mains de
ceinture noire de la patate et du poi- Aquarelle de Shasai (détail). VICTORIA
reau solidement appuyées l’une sur AND ALBERT MUSEUM, LONDRES/RMN-GRAND PALAIS
l’autre au bout du manche de sa bêche, « après elles viendront plus, les limaces ».
« Mais moi, c’est des escargots, Fernando.
– L’escargot, les limaces, tout pareil. »
J’ai pas de cheminée, et des coquilles d’œuf entre
mes fleurettes, pardon, mais ça fait vide-ordures… « Tu peux
aussi mettre une tasse de bière. » Les gastéropodes picolant
sans aucune modération, apprends-je, ils se soûlent et se
noient dedans. Le matin, tu récoltes, beurk. Sans compter
GASTÉROPODE, DU
GREC « L’ESTOMAC
DANS LES TALONS »,
SOUFFRE, COMME
SON ÉTYMOLOGIE
L’INDIQUE, D’UN
FÉROCE APPÉTIT
que ça gâche de la bière. « L’autre truc, précise le spécialiste,
c’est que des fois ça attire les limaces des voisins. » Laisse
tombez la bibine.
On peut aussi poser un carton ou une planche près de
ses corolles chéries, les mollusques adorant se réfugier dessous la nuit. Le matin, tu récoltes. « Et j’en fais quoi ? » « Ben tu
les écrases ou tu les noies. » Je crois que je vais pas pouvoir. Et si
j’allais les libérer au parc, plutôt ?
0123
Des brocolis
et du poisson
au petit dej,
et puis quoi encore ?
Je suis rugbyman,
moi…
Je pèse 103 kilos pour
1,82 m. Quand je jouais
à Worcester, un nutritionniste m’avait suggéré ce menu. Je lui ai
dit qu’il n’en était pas
question. De toute ma carrière, je n’ai jamais fait attention à ce que je mangeais.
Je ne connais pas mon indice de masse
grasse et ça m’est complètement égal.
Pendant ces quinze années au plus haut
niveau, y compris international, j’ai su
me reposer et profiter de la vie.
Quand j’ai décidé de prendre ma
retraite, en août 2015, à 34 ans, j’étais vraiment content. C’est devenu un truc tellement sérieux, le rugby. Avant, il y avait
plein de personnages, des gars impayables. Les jours de match, ils donnaient
tout ce qu’ils avaient, mais ils faisaient
aussi la fête et s’amusaient. A mes débuts, en 1998 – deux ans après le passage
au professionnalisme –, j’étais chez les
Leicester Tigers, la meilleure équipe
d’Angleterre à l’époque. Il n’y avait pas de
nutritionniste, et un seul entraîneur
physique. Maintenant ils sont sept ou
huit. Bref, la vie de rugbyman professionnel est beaucoup moins détendue.
Pourtant j’y suis revenu en janvier, avec
mes kilos superflus.
En décembre 2015, j’étais en
train de promener mon chien quand j’ai
reçu un appel de Dean Richards, l’ancien entraîneur de Leicester aujourd’hui
directeur du rugby à Newcastle. Il m’a
demandé si je voulais sortir de ma retraite pour remplacer l’un de leurs
joueurs blessés. J’ai d’abord rigolé de sa
proposition. Et puis, je me suis dit pourquoi pas ? Quand je suis revenu sur les
terrains, en janvier, je ne m’étais entraîné que deux semaines. Je n’étais évidemment pas au sommet de ma forme !
Depuis, j’y travaille, à ma façon.
Tous les matins, en arrivant au
club, on doit remplir un formulaire, en se
donnant des notes sur 10 : combien
d’heures a-t-on dormi ? Quelle était la
qualité de notre sommeil ? Quel est notre
niveau d’énergie ? Quelle était la qualité
nutritionnelle de notre alimentation au
Andy Goode
35 ans, joueur de rugby
à Newcastle, vit à Londres.
Avec une petite bedaine
et des kilos superflus, il a
un profil inhabituel dans
ce sport aujourd’hui très
professionnel. Trop
professionnel à son goût
cours des dernières vingt-quatre heures ?
Je me mets toujours 10 pour l’alimentation parce que je suis toujours content de
ce que je mange !
Le mercredi, c’est jour de repos,
sans entraînement. Mais plein de
joueurs en profitent pour aller lever de la
fonte. Je ne les comprends pas. L’idée,
c’est de se reposer : si la seule chose à laquelle on pense, c’est le rugby, on finit
par craquer. Moi, j’ai ma fille, Grace. Le
matin, je l’emmène à l’école. Grace est
née quand j’étais encore très jeune. Elle a
12 ans aujourd’hui et c’est elle qui a dicté
ma vie en dehors du rugby. Ça m’a toujours aidé d’avoir une autre priorité.
Au Royaume-Uni, les joueurs
sont beaucoup plus cadrés qu’en France,
que je connais pour avoir joué à Brive
pendant deux ans (de 2008 à 2010).
Résultat, il y a un manque total de leadership parce qu’on a toujours contrôlé
leurs moindres faits et gestes. En France,
c’est le contraire, les joueurs font ce qu’ils
veulent. Ce qu’il faudrait, c’est un équilibre entre les deux.
Je crois que le rugby a dévié de ses
origines, aujourd’hui le sport est beaucoup trop concentré sur la force pure. Il y
a plein de gym monkeys (des monstres
de salles de gym), des types ultraforts,
dont la compréhension du jeu est parfois
limitée. Ils ont d’énormes pectoraux et
des épaules larges, mais il faut quand
même qu’ils se passent le ballon et l’attrapent. Dans le jeu tel qu’on le pratique
désormais, on mesure les données de
chaque joueur : son rythme cardiaque, sa
distance parcourue sur le terrain, tout est
enregistré, mesuré, décortiqué… C’est sûrement très utile, mais je crois que cela
porte atteinte à la sensation et à la compréhension du jeu. On se base trop sur
les chiffres. Moi, je refuse de porter un
GPS sur mon maillot.
Comme je joue demi d’ouverture,
numéro 10, mon job consiste à organiser
les stratégies, privilégier tantôt le jeu de
passes, tantôt la force physique ou des
coups de pied de déplacement, selon les
circonstances. A ce poste, il s’agit surtout
de bien se positionner sur le terrain, de
TOC-TOC
TÉMOIGNAGE
D IM A N C HE 20 - L UN D I 21 M A R S 20 1 6
savoir anticiper, imaginer ce qu’il pourrait se passer deux ou trois passes plus
tard. Bref, remporter la bataille tactique.
C’est ce que j’essaie d’appliquer avec les
Newcastle Falcons. Je ne fais pas des
sprints permanents. Pendant un match,
je passe beaucoup de temps à l’arrière du
terrain, à regarder comment se déroule
le jeu. Pour ça, pas besoin de courir d’un
côté à l’autre du terrain comme un fou.
Et pour l’instant, il n’y a pas d’appareil
qui mesure l’activité du cerveau !
Quand on a gagné notre premier
match à Newcastle, en janvier, on a fêté la
victoire. J’ai regardé l’entraîneur : « Mais
où est la bière ? » Il a compris, il est allé
chercher un fût au bar. C’est important
de partager une pinte au sein de l’équipe.
Beaucoup de joueurs ne veulent
plus boire parce qu’ils s’inquiètent du
qu’en-dira-t-on, de ce qu’en pensera l’entraîneur. Je suis complètement en désaccord avec ça. Il faut souder les
joueurs, sinon, on se retrouve dans un
environnement stérile. D’ailleurs, Eddie
Jones, le nouveau sélectionneur du
XV d’Angleterre, a dit qu’il voulait voir
les joueurs boire ensemble. Avec Stuart
Lancaster, son prédécesseur, c’était impossible, il était tellement strict. Je crois
que ça a joué un rôle dans l’élimination
précoce des Anglais lors de la Coupe du
monde de 2015.
Quand j’étais à Leicester et
qu’on gagnait un match à l’extérieur,
Martin Johnson, le capitaine, allait
acheter des fish and chips et des bières
pour tout le monde. Sur le chemin du
retour, on s’arrêtait dans un pub et
après, on continuait à boire dans le bus.
Créer un bon environnement entre les
joueurs, c’est primordial. Je suis de la
vieille école : pour célébrer une victoire, il faut des bières !
Propos recueillis
par Eric Albert
7
TROP BELLE
POUR TOI
Magali Cartigny
ne Barbie moche.
C’est pour qu’on
puisse s’identifier,
dit-on. Parce que certaines
râlaient : trop belle, trop
blonde, trop mince, si ça
se trouve elle vote même
républicain. Mais moi,
enfant, ça me valorisait
de me dire qu’une fille, si
canon fût-elle, menait une
existence morne et placide,
dont le point culminant
était de faire toiletter son
berger allemand. Et je parle
même pas de son mec.
Va-t-il falloir que j’explique
à la prunelle de mes yeux
pochés – plus branchée
Charlotte Corday que
charlotte aux fraises – que
désormais elle devra jouer
à la guillotine avec le clone
d’Ugly Betty ?
Barbie, même prognathe,
continuera à passer le plus
clair de son temps à faire
du shopping, du cheval et
du shopping. Elle ne sera
jamais astronaute ou
ministre du travail, faut pas
rêver. L’hôtesse de l’air,
même avec des cors
aux pieds, n’est pas près
d’être éjectée. Peut-être
devrait-on commercialiser
Barbie Bipolaire, avec son
pilulier à paillettes où elle
pourrait ranger son Prozac
trop mignon (t’as vu,
maman, ma poupée te
ressemble, elle s’effondre
en pleurs dans la salle de
bains quand y a plus de
dentifrice).
Ou un Ken hispter/barbu.
Un jour chez le barbier,
le lendemain à la mosquée.
Il pourrait inviter
Barbie Relou à dîner ;
elle mettrait trois plombes
à s’habiller avant de l
’envoyer valser. Finalement,
la normalité, c’est
fantastique du moment
que ça reste en plastique.
U
L’ A PPLI DE LA SEMA I N E
DesLettres, les plumes plutôt que l’épée
Marlène Duretz
Lettres d’amour, d’amitié, de rupture ou d’insultes. Chaque
jour, où que vous soyez, dans le métro ou à une terrasse de café,
DesLettres vous envoie un courrier. Mais pas écrit par n’importe qui.
Lettre d’Elsa Wolinski à son père, d’Einstein à sa future femme,
d’Hugo à Lamartine, l’appli (prolongement du site DesLettres créé
en 2013) offre à l’amateur (in)discret d’entrer dans l’intimité de personnalités qui ont marqué la littérature, la culture ou l’histoire de
ces trois derniers siècles à travers leurs plus intimes confessions,
traits d’esprit ou maux d’amour.
Loin des tiroirs et des rayons des librairies où il vient à sommeiller,
ce patrimoine littéraire niché dans nos smartphones offre une
renaissance à ces missives. Les parcourir, c’est découvrir une autre
facette de ces écrivains, peintres ou philosophes et approcher au plus
près leurs états d’âme. En plus du courrier adressé chaque jour, le
e-lecteur est avisé de son contexte et du temps de lecture, soit une à
six minutes. Les favoris seront conservés dans « Ma bibliothèque »
ou partagés sur les réseaux sociaux.
On en vient à regretter que le courriel ait supplanté la lettre de papier
et que rares sont les missives – et leurs effusions – qui s’invitent désormais dans notre boîte aux lettres. Comment ne pas jalouser la passionnelle « Notre première nuit, c’était une nuit de carnaval », de Victor Hugo
à sa Juliette (1841), la complice « Ton charme vivant qui sait si bien me
plaire », de Marcel Proust à Jean Cocteau (1911), jusqu’à la cinglante
« Mon domaine à moi, ce n’est pas le génie. C’est la vie. Vous en avez
entendu parler ? » de Françoise Giroud à Jean-Paul Sartre (1960) ?
Appli gratuite, iOS et Android.

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