Sport miroir : se regarder faire du sport … Corpus de
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Sport miroir : se regarder faire du sport … Corpus de textes sur le thème au programme Document 1 : présentation commerciale d’un livre sur un site marchand. Document 2 : une confession ( ?) sur un site de psychologie ( ?) Document 3 : un extrait de l’Encyclopédia Universalis, article CORPS. Document 4 : un article du Monde diplomatique, Femmes sportives, corps désirables. DOCUMENT 1 : PRESENTATION COMMERCIALE D’UN LIVRE SUR UN SITE MARCHAND Les héros sont fatigués : Sport, narcissisme et dépression, Patrick Bauche, éditions Payot, 22 avril 2005, Collection Essais. Descriptions du produit Présentation de l'éditeur Pourquoi fait-on du sport ? Comment devient-on un « drogué » de l’activité physique ? Quel est exactement le rôle de l’entourage ou de l’entraîneur ? Que se passe-t-il lorsque, après une blessure ou une mise à l’écart, on cesse un certain temps de faire du sport, ou pire, que l’on doit « raccrocher » définitivement ? Et pourquoi certains athlètes « retraités » continuent-ils de se doper ? Pour Patrick Bauche, le sport, dans la mesure où il oblige le sportif à se focaliser sur l’action, peut être un moyen de lutte contre des tendances dépressives. Exemples à l’appui, du simple jogger à l’athlète de compétition, il explore la psychologie du sportif, sa quête risquée de la performance où le dopage, physique mais aussi mental, joue un rôle prépondérant. Patrick Bauche s’interroge ainsi sur le rapport très particulier qu’un sportif entretient avec son corps, devenu le pivot de son identité, et sur la nécessité pour lui d’effectuer un véritable travail de deuil quand il arrête sa pratique, sous peine d’être brutalement confronté à ce qu’il essayait de fuir : un moi vide. L'auteur vu par l'éditeur Patrick Bauche, ancien judoka, docteur en psychologie clinique et pathologique, exerce à Bordeaux en tant que psychologue et psychanalyste. Il est également maître de conférences en sciences et techniques des activités physiques et sportives à l’université du Maine. (Le Mans). (http://www.amazon.fr/h%C3%A9ros-sont-fatigu%C3%A9s-narcissisme-d%C3%A9pression/dp/2228897213 ) DOCUMENT 2 : UNE CONFESSION (ANONYME : JUJU13 ?) SUR UN SITE DE PSYCHOLOGIE( ?) : PSYCHOLOGIES.COM Sujet : Sport et narcissisme J'ai toujours été un enfant replié depuis toute petite. Depuis 4 ans et demi j'ai entrepris une psychothérapie analytique. Je m'entends bien avec mon psy, malheureusement la thérapie enchaine entre des phases où je n'avance pas et je vais bien , et des phases où j'avance mais mes problèmes émergent à la surface, je me sens très mal, je ne désire rien, un rien me fait souffrir et je reste des jours cloitrée chez moi. Si je me force à être dynamique je le paie au prix fort dans les jours qui suivent et je dors très mal. Mais ce n'est pas là le sujet. Avec mon psy on commence à découvrir pourquoi j'allais si mal. Mon père me hurlait dessus et parfois pour rien, il était terrifiant. Je suis fille unique et ma mère a perdu la sienne alors qu'elle était enceinte de moi de six mois. Revenons au présent. je suis une jeune fille douée en anglais, en maths, en français, en physique... Mais j'ai toujours été la dernière de la classe dans tous les sports, du collège au lycée. Pourquoi donc ? Comment pouvons-nous être bons ou pas dans un domaine ? Est-ce réversible ? je veux dire il faut de la pratique mais pourquoi certains progressent-ils trois fois plus vite que l'autre ? Est-ce que grâce à l'analyse je peux remonter aux sources et m'améliorer grandement ? J'ai fait plusieurs sports petite. Je progressais. Mais pas vite du tout. Et j'étais toujours rattrapée par mon manque d'équilibre, de souplesse... Aujourd'hui je suis prête à me payer un coach même si ça doit me coûter les yeux de la tête. Je voudrais faire une remarque. Mine de rien, la faiblesse en sport est une faille narcissique beaucoup plus grande que les autres. Un enfant nul en maths ou en anglais, personne se moquera de lui. Au pire ses parents lui passeront des savons. Par contre courir vite, sauter haut.... nous donne tout de suite le respect de nos petits camarades. Et dès l'âge de 6 ans l'enfant se considèrera différemment selon les capacités de son corps. Purée, c'est déterminé comment ? Génétiquement ? De 3 à 12 mois ? Est-ce que grâce à l'analyse je peux remonter à 12 mois pour corriger cette tare ? Est-ce que je suis en droit de dire que petite quelque chose m'empêche d'améliorer mes capacités sportives et que je peux les améliorer une fois le problème résolu ? J'ai peur parce que mine de rien, pour vous je suis peut être toute jeune mais chaque année le corps perd de son élasticité, de sa puissance, et déjà que je saute pas haut, cours pas vite, bah ça va empirer. (http://forum.psychologies.com/psychologiescom/psychanalyse/narcissisme-sport-sujet_261_1.htm ) DOCUMENT 3 : EXTRAIT DE L’ENCYCLOPEDIA UNIVERSALIS, ARTICLE CORPS, BERNARD ANDRIEU, 2008. Une nouvelle religion Le corps est devenu une nouvelle religion à travers ce que le psychologue Jean Maisonneuve a appelé le « corporéisme », et les sociologues Eliane Perrin et Pierre Baudry ont désigné à la même époque - les années 1980 -, par l’expression « cultes du corps ». Ce surinvestissement du corps trouve sa raison dans les aliénations socio-économiques ressenties par le sujet. L'impossibilité de transformer les rapports sociaux, le constat d'un déterminisme de la reproduction, l'échec de la démocratisation scolaire, les limites de l'intégration culturelle révèlent au sujet un pouvoir réel d'action illusoire. Le sujet se tourne alors vers son corps en l'investissant de toutes les possibilités de son imaginaire. La matière du corps dépend, malgré le déterminisme génétique, en grande partie de l'action du sujet sur elle : l'entretien, l'ascèse et la régulation produisent des effets réels sur la forme, le style de vie et la spécialisation de la matière corporelle. Cette plasticité de la matière corporelle aide le sujet à croire que le corps devient son corps. Les vertus de l'exercice volontaire tout comme l'habitus inconscient sont incorporées dans la matière même : amaigrissement, obésité, régime, musculation, cure, scoliose, fatigue…Le travail du corps par le sujet le modifie car le caractère indéterminé du corps le rend malléable à souhait. Pour autant en quoi le fait de croire en son corps serait-il aujourd'hui une croyance plus forte subjectivement que toutes les autres sortes de croyances politiques, religieuses et sociales ? Il semble que le corps, en procurant par ses propriétés sensitives un plaisir ou une douleur immédiate, instaurerait une addiction suffisante pour constituer un repère identitaire définitif pour le sujet. Le corps procure la drogue du sujet : le sujet s'éprend de son apparence par narcissisme, il entretient, améliore ou restaure son image par tous les moyens disponibles de séduction, et il s'entraîne indéfiniment pour améliorer ses performances. L'usure s'effacerait sous le plaisir renouvelé, l'augmentation des cadences, voire la prise de risque de plus en plus inconsidérée. La tentation du narcissisme Le culturisme ou body-building est l’une des pratiques principales qui, avec le fitness, le stretching, le cardiotraining, se sont développées depuis les années 1970 l’estime de soi par la remise en forme physique. Cette religion du corps repose sur une croyance performative qui ne relève plus de l’énoncé – « quand dire, c’est faire » selon la formule de John Austin –, mais de l’acte : quand faire, c’est dire. Le corps est de fait immanent au sujet et sa qualité paraît dépendre totalement des usages que ce dernier en tire. Pour peu que soit dépassée l'idolâtrie de l'apparence corporelle, la religion du corps reproduit les autres structures traditionnelles des attitudes de croyance : ainsi elle n'est plus aperçue comme telle par le sujet dès lors que ce dernier s'enferme dans sa matière, ses addictions et ses modes d'existence. Trouvant son corps de plus en plus performant et satisfaisant, cette illusion corporelle est vécue et affirmée par le sujet contemporain comme son invention, une façon nouvelle de se « dire ». Cette croyance performative est une illusion corporelle ou une invention subjective selon que l'on voudrait mettre l'accent sur l'aliénation ou sur la liberté acquise par le sujet. Dans un essai intitulé L’Ère du vide, Gilles Lipovetsky décrit la génération née dans les années 1980, qui coïncide avec une crise des idéologies traditionnelles, de la famille, de la vie, du lien social et de l’économie. L’individu est isolé dans les grands ensembles, il a l’impression d’être inutile socialement au point de trouver dans son corps son seul lieu identitaire. Pour conserver leur liberté de création, leur liberté d’opinion, on voit alors de plus en plus d’individus se réfugiant dans l’espace privé ou dans la vie associative thématique transversale (club, sport, musique, jeu de rôle…). Bientôt pointe l’idée que le corps n’aurait plus de devoirs, mais seulement des droits, L’hyper-individualisme. Le chacun pour soi et le culte de la réussite individuelle, si possible en écrasant l’autre, marquent cet ultra-libéralisme des années 1990. Il entraîne un affaiblissement, un rejet, voire une négation des valeurs de justice sociale, de solidarité, de toute règle collective, opposable à tous, comme en témoigne le dopage dans le sport ou l’isolement social des malades, des chômeurs et des personnes âgées. Dans la société d’hyper-consommation, l’individu tire toute son impression d’exister grâce au modèle du selfservice et de sa logique, en parfait accord avec le capitalisme. Recherchant une existence à la carte, il se construit une identité par la consommation, aujourd’hui caractérisée par la surmultiplication du choix. Baudrillard a décrit comment l’impression d’avoir le choix des objets est un moyen pour le moi de se construire. Cette existence à la carte définit le corps par les produits qu’il consomme, que ce soit par ingestion (aliments, médicaments, « alicaments », drogues), absorption (bains, teintures, onguents, crèmes, UV), intégration (greffes, implants), altération (tatouages, piercing, scarifications). Tous ces self-services sont fondés sur la séduction/répulsion en survalorisant le look, l’apparence, le flash afin de rendre l’individu remarquable par les autres. Les recherches et les expériences des nombreux artistes du courant body-art, tels que Orlan et ses opérations-performances, expriment cette tendance profonde qui fait du corps le premier support de mise en scène d’une écriture individuelle. Dans ce mouvement général et volontaire de somatisation, chacun et chacune veut se composer un « corps à soi ». Un corps à soi signifie la possibilité de se construire une identité en utilisant en particulier tous les progrès technoscientifiques qui transforment les données naturelles. C’est pourquoi on peut parler d’hybridation pour désigner le résultat de tous les procédés consistant à introduire dans son corps des produits, des outils, des machines censés conférer une nouvelle identité : cette « identité hybridée » n’est plus l’ « identité naturelle » dont nous avons héritée de nos parents… ce nouveau corps est d’identité composite, mélangée comme en témoigneraient non seulement les piercings, les prothèses et les implants, mais aussi, et comme par contagion, les rôles sociaux, les genres et les postures…Tous ces hybrides ne sont pas à comprendre comme extérieurs au corps, ils sont incorporés en nous par nos savoir-faire, nos habitudes et nos techniques du corps. Ils font désormais partie intégrante de la représentation d’un corps amélioré, choisi et individuel. Document relevé dans une étude de l’Université de Nancy. (http://www.staps.uhp-nancy.fr/bernard/docpdf/corps_cultes_site.pdf ) DOCUMENT 4 : ARTICLE DU MONDE DIPLOMATIQUE, OCTOBRE 2000, PAR CATHERINE LOUVEAU, FEMMES SPORTIVES, CORPS DESIRABLES. Au-delà des Jeux olympiques de Sydney. Femmes sportives, corps désirables Une femme est-elle libre de pratiquer le sport de son choix ? Dans les pays occidentaux, cela ne prête guère à discussion : si les femmes s’investissent majoritairement dans les disciplines « gracieuses » et répugnent aux sports « virils », c’est que tel est leur choix. A y regarder de près, pourtant, cette propension n’est qu’une construction sociale, qui réglemente les représentations et les pratiques « acceptables » du corps, et perpétue la division des rôles. Aux hommes le « faire », aux femmes le « plaire ». Par Catherine Louveau Sur les terrains de sport, les femmes ne sont plus jugées comme inconvenantes ou incapables. De plus en plus d’entre elles pratiquent une activité physique régulière (64 % des femmes de 14 à 65 ans, et 72 % des hommes) et tous les sports leur sont en théorie ouverts. Mais les pratiques sportives, comme on peut le constater à Sydney à l’occasion des Jeux olympiques, restent des territoires sexués. Dès l’enfance, les filles manifestent un intérêt moindre que les garçons pour les situations d’affrontement et de rivalité, et à se mesurer aux autres. Modalités majoritaires de la pratique masculine du sport : technique, entraînement, attachement aux valeurs traditionnellement instituées du succès (performances, classements), collectif, solidaire. Pour les femmes, en revanche, le jeu, l’entretien physique, l’attachement aux finalités personnelles ou aux aspects relationnels sont prépondérants, dans une pratique individuelle, voire solitaire. Comme si ce devait être plus volontiers sport pour eux et corps pour elles. On ne saurait laisser les attributs de son sexe au vestiaire. Les modes d’engagement sportif des hommes et des femmes traduisent en effet la façon qu’ils ont d’investir l’espace et le monde. Les représentations « permises » dans le sport sont les mêmes que les métiers « autorisés » aux femmes. Montrer ou exercer sa force, se livrer à un combat, porter ou recevoir des coups, prendre des risques corporels sont autant d’attributs que les femmes semblent ne pas pouvoir faire leurs et qui appartiendraient donc, en propre, à la masculinité. Conservatoire de la virilité En prêtant attention à ce que les femmes font, à ce qu’on montre d’elles, à ce qui est dit d’elles (et à ce qui n’est ni dit ni vu), on voit se dessiner des normes d’apparence corporelle : une prescription de féminité. Les femmes sportives posent (malgré elles) la question du corps et de la féminité conformes à la désirabilité sociale. Les femmes sont quasi absentes de l’information (1) et, quand elles y sont présentes, c’est de manière stéréotypée : rapportés à la sphère affective ou sexuelle, à la famille, aux enfants. Alors que l’ensemble de la profession de journaliste compte un tiers de femmes, elles sont quasiment absentes du journalisme sportif (90 femmes sur 1 800 journalistes affiliés à l’USJSF). Lors des Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, on ne comptait que 10 % de femmes parmi les journalistes français accrédités. Conséquence ? Si les femmes représentent en France 30 % des sportifs de haut niveau, elles ne sont plus que 10 % des athlètes cités dans les médias (2). Pour se frayer un chemin dans les pages des magazines, les sportives doivent impérativement gagner. Le sport féminin représente en moyenne 16 % du volume occupé par les pages sportives..., qui ne comptent que pour 1 % des pages dans la presse « féminine ». La télévision française, en 1997, a consacré les deux tiers de ses retransmissions aux sports les plus masculins (football, cyclisme, rugby, sports mécaniques, boxe). Le tennis, l’athlétisme et le golf, où figurent quelques sportives, n’ont représenté que 17 % du temps total... restaient les 25 heures (1,2 % du total) de patinage, un sport assurément féminin. Où il est question de « grâce » des gestuels et des figures, où les apparences sont travaillées à travers les tenues et le maquillage, où le corps productif, en fin de compte, importe moins que le corps esthétique : là sont les sports féminins qui retiennent l’attention, l’audience. Ecoutons les journalistes sportifs : l’homme est décrit dans ce qu’il fait ; lorsqu’il s’agit de la femme, impossible d’échapper à une appréciation esthétique. Lorsque la sportive paraît, cherchez la femme : « La toujours belle et toujours aussi rapide Florence Griffith Joyner », ou l’alpiniste Catherine Destivelle, qui, « tranquillement redoutable derrière son joli sourire, arrive toujours au sommet ». L’Equipe magazine (3) n’avait pas hésité à opposer, sur la question de la « féminité », la cycliste Jeannie Longo à Muriel Hermine (natation synchronisée). En légendant une photographie de cette dernière (« belle et féminine »), le journaliste indiquait : « La faute à qui si Longo rime avec macho et Hermine avec féminine ? » L’une était conforme au référent normatif de la « féminité », l’autre non. La pratiquante de natation synchronisée, la danseuse, la gymnaste ou la patineuse représentent le « modèle » de la femme sportive. On le perçoit bien lorsque les femmes s’adonnent à des sports « de tradition masculine », ou quand elles ont des morphologies différentes de cette femme « canon ». Ainsi en cyclisme : « L’ascension sur Morzine, en particulier, permet de convaincre les milliers de spectateurs présents que les filles, elles aussi, savaient tenir sur un vélo. Certes, il serait plus féminin de les imaginer actrices ou mannequins, mais il serait bon que l’homme, en 1985, comprenne enfin que la femme n’a pas pour rôle permanent d’être féminine afin de séduire le mâle. Quelques filles du peloton d’ailleurs [nous soulignons] n’ont pas grand-chose à envier question physique aux modèles de Play-boy. Enlevez leur cuissard, maquillez-les et vous ne serez pas déçu (4). » Sous le maillot, comme sous ces propos ambigus, c’est bien LA femme que l’on cherche... et que l’on exige. Les sportives des pays de l’Est n’étaient-elles pas décrites, à la fin des années 80, comme des « erreurs de la nature » et des « monstres (5) » ? Le sport se pose à la fois en conservatoire d’une excellence féminine stéréotypée et en conservatoire des vertus viriles. La diversité des morphologies appartient à des concevables masculins ; on imagine mal qu’un sauteur en hauteur puisse avoir la même corpulence qu’un lanceur de poids. Mais on voudrait des sportives qu’elles soient toutes semblables, minces et longilignes, comme si, pour elles, l’efficacité gestuelle et technique pouvait être indépendante des capacités physiques et des pré-requis morphologiques. « Le sport menace-t-il leur beauté ? », question récurrente se conjuguant exclusivement au féminin : « Il n’y a rien de plus beau au monde qu’une Mary Decker qui court. Ses adorables jambes, qui eurent à juste titre les honneurs d’un grand magazine américain, engendrent une foulée qui demeure sans cesse élégante et racée, même [nous soulignons] au plus profond de l’effort (6). » La sportive est tenue de faire la démonstration (sinon la preuve) de son identité en usant des artifices propres aux femmes : cheveux mis en forme, bijoux, maquillage ou ongles vernis (comme ce fut demandé à toutes les participantes de la Grande Boucle - le Tour de France féminin en 1999). Par ces signes, de surface, mais donnés comme constitutifs de la féminité, les sportives peuvent espérer être perçues pour ce qu’elles sont et aussi pour ce qu’elles font. Manqueraient-ils, que se déchaînent volontiers la suspicion, l’inquiétude et une violence verbale à peine contenue. A bien regarder les marginalités tolérées et celles qui ne le sont pas, deux terrains d’expression de la virilité se dégagent : l’un fait de connaissances et de savoir-faire, l’autre, plus « personnel », fait d’usages et d’images du corps - l’un et l’autre caractérisant l’homme dans son rapport aux autres, aux objets, au monde extérieur. Les femmes peuvent, sans trop déroger, s’approprier certaines prérogatives du premier (voir la reconnaissance de Florence Arthaud, Michèle Mouton, Catherine Destivelle), mais elles violent un tabou quand elles s’arrogent certains aspects du second (boxeuses, lutteuses, joueuses de rugby demeurent invisibles dans les médias). Elles subissent alors un procès de virilisation, qui demeure d’actualité dans le sport quand ailleurs il est tombé en désuétude. Comme les écrivaines et artistes d’autrefois, dès que des femmes sortent des espaces et des rôles qui leur sont strictement assignés, elles sont désignées comme masculines, « viriles », voire asexuées. Rompant avec le rôle imparti aux femmes, elles ne peuvent que se masculiniser. Les « affaires » de doute quant au sexe réel des athlètes sont anciennes. Dans la première moitié du XXe siècle, il est commun de penser que le sport virilise les femmes. Ce « trop de virilité » amènera à la mise en place du test de féminité comme à la suspicion de la prise d’hormones mâles par les sportives dans les années 60. Au fil du temps, les morphotypes des sportives se sont, de fait, rapprochés de ceux des sportifs : gestuels et efficacité technique se ressemblent, tout comme les corps, dans leur apparence comme au plan fonctionnel. Le physique avantageux des sportives, du fait de la nature, de l’entraînement ou de l’absorption d’androgènes, est indistinctement rapporté à ce procès récurrent. Leur virilisation « naturelle » ou « artificielle » et la suspicion quant à leur féminité se confondent durablement dans l’histoire. Comme on a pu le remarquer avec Amélie Mauresmo, l’homosexualité (déclarée ou présumée) amène à ce même procès : sont-elles de vraies femmes ? Le sport réclame de « vraies » femmes et de « vrais » hommes au sens le plus classique. Or la pratique sportive amène la question de la ressemblance voire de la confusion entre hommes et femmes. Ici, le corps n’est jamais évacué. Il est le vecteur premier où s’inscrit l’identité de chacun. Le corps du sportif est agissant, donné à voir, vu et perçu. A travers cette représentation des corps, le sport devient le lieu où se joue l’imaginaire de l’Autre. Une masculinité et une féminité dessinées par leurs différences les plus accusées s’y expriment et s’y mettent en scène. Le sport veut et forge des femmes idéales, belles pour (le) séduire, de même que des hommes idéalement virils, c’est-à-dire forts ou courageux pour (la) conquérir. Les pratiques, les images et les discours du sport ont ce point commun : c’est l’image qu’elle donne à voir d’elle-même qui fait la femme, comme c’est l’action qui fait l’homme. Aux balbutiements du sport féminin, le baron Pierre de Coubertin traçait les limites de l’acceptable : « Techniquement, les footballeuses ou les boxeuses qu’on a déjà tenté d’exhiber çà et là ne présentent aucun intérêt, ce seront toujours d’imparfaites doublures. (...) si les femmes sportives sont soigneusement dégagées de l’élément spectacle, il n’y a aucune raison de les proscrire. On verra ce qui en résulte (7). » Et l’on dira des gymnastes, dans les années 40, qu’« elles ne devraient jamais donner, aux barres parallèles, le spectacle de visages grimaçants, de contractions douloureuses en cours d’exercices, de chutes pénibles ». Au cœur de l’effort Les images de sportives saisies au cœur de l’effort restent minoritaires, quand elles ne sont pas montrées comme contre-exemples. Ainsi, lors du premier marathon olympique féminin, en 1984 à Los Angeles, les caméras restèrent longuement braquées sur l’arrivée de cette concurrente grimaçante et titubante... L’image, maintes fois rediffusée, de Florence Griffith Joyner remportant le 100 mètres olympique de Séoul, en 1988, fut bien celle non de son ultime effort avant la ligne d’arrivée, mais de son sourire une fois qu’elle l’eut franchie. A travers une sportive qui n’est femme que gracieuse, souriante ou parée, les prescriptions ne s’adressent-elles pas à une seule et même femme - celle qu’on ne peut s’empêcher, fantasmatiquement au moins, de vouloir physiquement posséder, celle qui doit réserver certains de ses visages (comme celui de la souffrance) à l’intimité et à un seul homme ? Dans Les Olympiques (1954), Henry de Montherlant écrit : « En aurai-je vu, de ces jeunes sportives, offrir au regard des curieux, sous l’œil de leurs mères, ce dernier secret que lâche une face défigurée, ce spasme de douleur où l’époux seul jadis avait le droit de se perdre en étant le créateur et le maître. » La sportive souriante, dont on vante la « féminité », et la sportive dite trop musclée, anguleuse, « masculine », sont ainsi les deux faces d’une même icône. Comment s’étonner alors que les représentations traditionnelles se reproduisent sur les terrains de sport, sur les lieux (et à l’âge) de la découverte de son corps en transformation, quand se dessinent les contours de la masculinité et de la féminité (8) ? Dès le plus jeune âge, on fait jouer les garçons et les filles sur des terrains différents. Les pratiques qu’on leur propose (ou impose) à l’école ou au club sont aussi à repenser : que viendraient faire les filles dans un club si elles ne se reconnaissent pas dans les modalités de compétition qui y sont à l’œuvre ? Catherine Louveau. (1) Enquête « Mediawatch », cf. Virginie Barré, Sylvie Debras, Natacha Henry, Monique Trancart, Dites-le avec des femmes. Le sexisme ordinaire dans les médias, CFD / AFJ 1999. (2) « Mediawatch », op. cit. (3) L’Equipe Magazine, 6 novembre 1987. (4) L’Equipe, 29 juin 1985. (5) Dossier « La fin des emmerdeuses », L’Equipe Magazine, 10 septembre 1989. (6) Marcel Hansenne, « Ça suffit les machos », L’Equipe Magazine, 28 novembre 1983. (7) Pierre de Coubertin. Pédagogie sportive, Paris, 1912, rééd. Vrin, 1972. (8) Lire aussi, Le sport, elles en parlent, Editions Lunes, préface de Marie-George Buffet, 2000. Du 14 au 16 novembre, l’Insep organise un colloque sur ce thème : [email protected] http://www.monde-diplomatique.fr/2000/10/LOUVEAU/14322