Art and Icon, Essays on Early Art - Académie des Inscriptions et

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Art and Icon, Essays on Early Art - Académie des Inscriptions et
Sélection d’ouvrages présentés en hommage
lors des séances 2015 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie,
de la part de son auteur, l’ouvrage intitulé Art and Icon,
Essays on Early Art, un recueil d’articles de l’historienne
de l’art indien, Devangana Desai, publié en 2013 par
Aryan Books International, Delhi, xxv & 310 pages. Ce
volume regroupe seize des articles les plus importants
que Mme Devangana Desai a consacré à l’art en Inde.
Elle a de 1978 à 2011 parcouru l’histoire de l’art indien
des débuts de l’histoire au Moyen Âge par de
nombreuses publications et sous de multiples
approches. Ces articles, qui apparaissent être les plus
représentatifs de ses recherches innovantes, sont
classés sous six rubriques : approche de l’art, l’art de la
terre cuite, l’iconographie, l’iconologie et la
signification en art, l’art et l’érotisme, l’art narratif.
Sous le titre « Social Dimensions of Art in Early India » l’auteur met l’évolution de l’art
indien en relation avec celle des structures économiques et socioculturelles. Elle
propose sur cette base une périodisation des types de manifestations artistiques. Un
article reprend le même thème de l’évolution de l’économie, de la société en relation
avec l’art de la terre cuite, art mineur reflétant la culture populaire. La représentation de
la déesse dans l’art de la terre cuite est un sujet remontant à la préhistoire qui méritait
d’être traité à part et a fait l’objet d’une remarquable synthèse.
Un article méthodologique fondamental, « Textual Sources in the Study of Temple Art » a
l’intérêt de montrer la nécessité de ne pas séparer sources écrites et documentation
monumentale. Cela est illustré par l’exemple des temples de Khajuraho et des
recherches que l’auteur a faites pour élucider par les textes des concepts qui ont dû
présider à la conception, à la fabrication et au placement des images dans des
architectures complexes. Elle aborde à cette occasion des problèmes d’identification
difficiles, tels que la statue de Sadāśiva, identifiée sous ce nom par une inscription sur
son socle, image d’un dieu assis avec deux rangs de trois têtes visibles et quatre jambes.
Elle y voit la conjonction du concept de la manifestation divine portant ce nom et les
textes sacrés révélés par lui en quatre sections appelées aussi pāda « pied ».
Viennent ensuite quatre contributions originales à l’iconographie. Celle de Gaṇeśa, le
dieu à corps d’enfant et tête d’éléphant, est étudiée dans les poses de danse. On connait
la passion indienne pour la danse, l’abondance, la diversité, la richesse des significations
et des représentations de la danse du dieu Śiva. L’article de Mme Devangana Desai révèle
les mêmes qualités pour Gaṇeśa que l’on voit danser à partir du VIe siècle, d’abord parmi
les troupes (gaṇa) de diablotins et dans la cohorte des Sept Mères qui accompagnent
Śiva, puis indépendamment dans de splendides sculptures, comme les sveltes et
élégantes images de Khajuraho. Une étude est consacrée à des représentations
archaïques de la déesse en relation avec un partenaire masculin à sa dévotion. Une autre
porte sur une image de Śiva debout devant le Liṅga, objet unique dont on ne connait plus
que des photographies anciennes, photographies montrant des différences, et qui ont
soulevé la question de savoir s’il s’agit d’une même statue soumise à des dégradations
ou des représentations d’un même thème iconographique ancien. Ce serait l’image de
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Śiva-Maheśa ithyphallique, plaçant lui-même sur sa tête une couronne florale
d’investiture dans la souveraineté suprême sur l’univers, dans un culte LākulīśaPāśupata courant à Mathura vers le IIe siècle de notre ère. Une autre étude est menée
avec précision sur huit statuettes de bronze disposées dans un écrin circulaire en pierre
dans les points cardinaux à Sopara, site d’un stupa bouddhique du IIe siècle de notre ère.
Ce serait des représentations de Sept Buddha-s du passé et du Buddha futur Maitreya.
Sous le nom d’iconologie l’auteur cherche à aller plus loin que l’identification
iconographique de divinités individuelles et vise à restituer des concepts théologiques
qui règlent l’ordonnance des représentations divines dans un temple. Cela est tout à fait
légitime en Inde où le temple hindou est conçu comme une représentation cosmique.
Avec sa connaissance intime des quelque vingt-cinq temples sur le site de Khajuraho et
de son riche musée Mme Devangana Desai a tenté une synthèse à la fois philosophique et
iconographique sur le concept du temple, « The temple as an Ordered Whole – The
Iconic Scheme at Khajuraho ». Le cosmos tel qu’il est conçu par les théologiens du
Śaivasiddhānta ou du Pañcarātra, fait de multiples manifestations divines sur plusieurs
plans, est matérialisé dans la complexité architecturale et la multitude des images.
Parmi elles figurent de nombreuses représentations de la beauté féminine liée à l’arbre.
Ceci est un thème littéraire et artistique dont la signification est le simple bon augure.
Une scène que poètes et auteurs de théâtre ont privilégiée est celle où une jeune fille
provoque une floraison instantanée d’un arbre en le frappant de son pied gauche. La
représentation ancienne en sculpture est celle de la jeune fille s’accrochant à des
branches d’un arbre de ses deux bras et enlaçant le tronc d’une jambe. À partir de cette
image Mme Devangana Desai suit les représentations de la beauté féminine, qu’elle soit
humaine ou céleste, yakṣī ou apsaras, à toute époque, dans diverses régions de l’Inde, et
au-delà jusqu’à Angkor.
Dans la mythologie indienne le support du cosmos est la tortue. On en voit souvent des
représentations à la base d’édifices. La tortue est aussi une incarnation de Viṣṇu se
prêtant comme support pour soutenir une montagne qui sert à baratter la mer de lait
pour en extraire la liqueur d’immortalité. La tortue qui se rétracte dans sa carapace est
enfin un symbole du sage maître de ses sens. Tous ces aspects sont représentés dans la
pierre, le dernier dans des amulettes.
Trois articles abordent le problème de la signification des images érotiques figurant
souvent sur les murs extérieurs de temples du Xe au XIVe siècle, principalement dans le
centre et l’est de l’Inde. L’auteur confronte ces images avec la littérature érotique
sanskrite, ou avec la littérature dite tantrique dans des sections traitant de rites
paroxystiques. Il est noté que des ascètes sont souvent présents dans des scènes
d’accouplement, ce qui s’expliquerait par l’influence de rites extrêmes. Cependant le fait
que ces scènes soient exposées vient s’opposer au caractère secret, ésotérique de ces
pratiques. La religion pratiquée à Khajuraho était plutôt celle inspirée par la littérature
smārta-purāṇique non-sectaire. À ce propos on signalera que Jean Filliozat avait déjà
rapproché ces représentations de la légende purāṇique de Śiva prenant la forme de
Bhikṣāṭana, le beau mendiant nu, ou créant Mohinī qui tous deux incitent à la licence
sexuelle femmes et ascètes pour leur montrer qu’ils n’ont pas maîtrisé leurs sens par
absence de dévotion à son égard (J. Filliozat, « Les images d’un jeu de Śiva à Khajuraho »,
Artibus Asiae, G. Coedès Felicitation Volume, 1961, p. 283-294). Mais le rapprochement le
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plus intéressant est la lecture de la pièce de théâtre allégorique, le Prabodhacandrodaya
« Le lever de lune de l’éveil » que Mme Devangana Desai a faite sur une composition de
multiples figures dans un retrait du mur sud du temple de Lakṣmaṇa à Khajuraho :
l’enlacement de Mahāmoha « Grand égarement » et Mithyādṛṣṭi « Vue fausse » ; puis audessus l’union du roi Viveka « Discrimination » et Upaniṣad « Méditation sacrée » ; au
sommet Puruṣa « Conscience suprême » de la non-dualité, ce qui est représenté par
l’image d’un sage renonçant seul.
Le volume d’articles se poursuit avec une étude des représentations de la mise à mort de
Vālī par Rāma, un épisode de l’épopée du Rāmāyaṇa aussi populaire dans l’art que dans
la littérature. Il s’achève par l’identification d’un très beau panneau sculpté dans la niche
axiale supérieure sur la façade ouest du temple de Lakṣmaṇa à Khajuraho, longtemps
resté énigmatique et que Mme Devangana Desai a brillamment reconnu, à partir de rares
sources textuelles, le Nārāyaṇīya du Mahābhārata, etc., comme la représentation de
Nārāyaṇa adoré par les résidents du Śvetadvīpa, un monde où il n’est pas visible aux
hommes. Cela confirme que ce temple dédié à Vaikuṇṭha relève des Tantra-s du
Pañcarātra. Les écoles tantriques ont coutume d’interdire la divulgation de la doctrine et
des rites. Une image du dieu portant l’index devant ses lèvres traduit cette
recommandation du silence pour garder le secret.
L’érudition en matière d’histoire de l’art indien de Mme Devangana Desai apparait sans
limites, que ce soit dans les œuvres d’art, dans les sources textuelles ou les ouvrages
secondaires. Elle semble avoir tout vu, tout lu. On apprécie ses capacités d’observation,
d’analyse et de synthèse. Ce volume d’articles est un livre de science et aussi un livre
d’art. Car il est entièrement illustré de photographies en noir et blanc d’une bonne
qualité. Muni d’un glossaire, d’une longue bibliographie toujours proche du sujet, d’un
index, réunissant un faisceau d’articles quelquefois difficiles à trouver, ce volume vient
heureusement accompagner l’autre grand ouvrage qu’elle a consacré à l’imagerie
religieuse de Khajuraho (Mumbai, 1996) et permet de mesurer les grands progrès
accomplis en histoire de l’art de l’Inde durant les cinquante dernières années.
Pierre-Sylvain FILLIOZAT
Le13 mars 2015
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