Synthèse SPL_15072010

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Synthèse SPL_15072010
Étude de faisabilité et de préfiguration d’un SPL
de la filière livre sur le NordNord-Est Parisien
Synthèse
Benoît Berthou - Université Paris 13 Nord - LABSIC
En collaboration avec Fontaine O Livres et en partenariat avec la Mairie de Paris (DPVI)
Janvier 2010
Repères
Le Nord-Est parisien : 9e, 10e, 11e, 18e, 19e, 20e arrondissements de Paris ainsi
que la Seine Saint-Denis
Le poids de sa filière livre :
-
2257 emplois en 2008.
253 établissements dont :
o 116 éditeurs
o 108 librairies
o 29 bibliothèques
Un « territoire du livre » en devenir
-
-
Une situation de décrochage par rapport au reste de la capitale :
o baisse de la main-d'œuvre salariée dans la filière livre du Nord-Est
parisien : -26,34% (2003-2008)
o baisse de la main d’œuvre salariée dans le 5e, 6e, 15e et 17e
arrondissements (2003-2008) : -3,96%
807 emplois perdus entre 2003 et 2008.
Un avenir à construire
-
Une sous-représentation des maisons d’édition.
Une librairie dynamique.
Une bibliothèque très active.
Benoît Berthou, université Paris 13, LABSIC
Synthèse : Faisabilité et préfiguration d’un SPL du livre dans le Nord-Est parisien/
Quelles formes pourrait prendre une coopération entre acteurs de la filière
livre au sein du Nord-Est parisien ? Telle peut être résumée la question à
laquelle répond cette étude. Menée à l’initiative de la Délégation à la Politique de
la Ville et à l’Intégration de la Mairie de Paris, elle entend donc faire du
rapprochement d’acteurs économiques l’instrument du renforcement d’un secteur
d’activité, position qui nous place face à un double problème : voir dans quelle
mesure semblable modèle de développement est pertinent dans le cadre de la
« filière livre », et esquisser des pistes d'action susceptibles d’asseoir le cadre de
cette politique et de garantir son efficacité.
1. Adopter un modèle de développement économique : le « cluster »
Ce modèle de développement économique semble être au fondement de
plusieurs dispositifs dont on trouve trace au sein des politiques publiques
françaises et européennes : pôle de compétitivité, Système Productif Local,
grappes d’entreprises… Même si ces diverses appellations renvoient à des modes
d’action présentant des différences parfois significatives (notamment quant au
rôle de l’État et à la forme de ses relations avec les différents acteurs
économiques), elles semblent reposer sur la mise en œuvre d’une même
hypothèse : un rapprochement entre des entreprises évoluant au sein d’une
même aire géographique permet l’acquisition d’avantages compétitifs significatifs
aux niveaux nationaux et internationaux.
Telle est la position qu’adopte l’économiste américain Michael
Porter lorsqu’il fait remarquer que la concentration au sein d’un territoire
d’activités ayant trait à une même filière peut avoir des effets bénéfiques sur
l’ensemble des acteurs économiques concernés. S’appuyant sur les exemples de la
Silicon Valley, du « district californien du vin », ou du travail du cuir à Milan, il
propose ainsi de penser un territoire sur le mode de la compétence, à travers
l’ensemble des apports qu’une implantation locale d’acteurs opérant dans la
même filière sont à même de fournir : main-d'œuvre disponible (car implantée
localement) et qualifiée (car opérant dans un ensemble bien précis d’activités), ou
encore d’un réseau de sous-traitants couvrant l’ensemble des besoins de la filière
et avec lesquels il est possible de nouer des relations de proximité…
Le modèle du « cluster » montre ainsi qu’une certaine structuration
géographique est pertinente sur le plan économique. Il semble avoir reçu un
accueil très favorable de la part de pouvoirs publics, notamment en Europe, à
travers plusieurs dispositifs tel le Système Productif Local que la DATAR définit
comme « une organisation productive particulière localisée sur un territoire
correspondant généralement à un bassin d'emploi. Cette organisation fonctionne
comme un réseau d'interdépendances constituées d'unités productives ayant des
activités similaires ou complémentaires qui se divisent le travail (entreprises de
production ou de services, centres de recherche, organismes de formation, centres
de transfert et de veille technologique, etc.) »1
Insistant sur un ancrage local et une complémentarité économique,
semblable structure peut toutefois poser problème, car la notion
d’« interdépendance » laisse en effet penser qu’est valorisée la capacité des
1
DATAR, Les systèmes productifs locaux, La Documentation française, Paris, 2002
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différents acteurs à nouer des relations plus qu’à exercer une autonomie
financière. Le Système Productif Local semble donc être concurrencé par un
autre modèle, la « grappe d’entreprise », faisant l’objet d’une définition plus
précise (évoquant des « réseaux d’entreprises » plus que des « unités
productives ») et mettant l’accent sur le potentiel économique de la démarche qui
a « un important impact sur les activités, l’emploi et la création de richesse »2.
Ces deux dispositifs reposent quoi qu’il en soit sur un même maître mot :
« réseau ». Ils constituent donc un mode d’organisation reposant sur des échanges
opérés entre différentes entités économiques opérant au sein d’un même secteur
d’activité et reposent ainsi sur trois notions centrales autour desquelles nous
avons choisi d’organiser notre étude.
1. Concentration
Cette notion renvoie à la présence au sein d’une même aire spatiale d’un
certain nombre d’acteurs économiques présentant une homogénéité en
terme de production. Cette notion a son importance puisqu’elle peut servir
à construire le « territoire » d’un Système Productif Local, cette notion
devant être entendue comme un espace de proximité groupant des
compétences susceptibles de fonctionner en réseau.
Le « territoire » est dès lors quelque chose qu’il s’agit de déterminer et qui
ne correspond pas forcément à une circonscription administrative ou à une
entité géographique donnée. Telle est la position que semble avoir adoptée
la mairie de Paris en nous proposant d’envisager notre action dans le cadre
du « Nord-Est parisien ». Cet espace demandera à être précisé à l’aide de
données et à être défini de façon pertinente, travail que nous n’avons
malheureusement pas pu fournir ainsi que nous l’expliciterons plus loin.
2. Spécialisation
Cette notion renvoie à une inscription dans un secteur d’activité donné (en
l’occurrence, le livre), mais également à un ensemble de métiers, c’est-àdire à la prise en charge d’un certain nombre de tâches et de fonctions dans
le cadre de ce système économique. Ce deuxième niveau de spécialisation
possède une importance non négligeable puisqu’il définit la nature du
réseau de compétences qu’il est possible de construire selon que l’ensemble
de ces métiers couvre l’ensemble des activités de la filière (modèle du
« cluster » de Michael Porter) ou non.
Cette spécialisation par métier peut de plus donner lieu à un troisième
niveau de spécialisation s’appuyant sur le type de production de chaque
acteur. Dans le monde du livre, ceux-ci s’inscrivent volontiers dans un
certain « secteur éditorial » (littérature générale, bande dessinée, jeunesse,
sciences humaines, pratique, essais et documents…) et ces derniers
donnent lieu à des demandes de relation pouvant parfois être extrêmement
précises (la publication de beaux livres faisant ainsi un large usage de la
coédition ou de la vente de droits étrangers).
2
URL : http://www.datar.gouv.fr/fr_1/amenagement_du_territoire_655/grappes_entreprises_798/ (page
consultée le 10 avril 2010).
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3. Coopérations
Coopérations
Elles désignent l’ensemble des initiatives collectives permettant d’obtenir
les « avantages compétitifs » qu’évoque Michael Porter et constituent donc
le but de toute création d’un Système Productif Local ou d’une « grappe
d’entreprises ». Mais cet objectif nous place face à un véritable paradoxe
économique : proposer à des entreprises qui sont en compétition parfois
directe de nouer des relations débouchant sur des coopérations. Cette
ambiguïté semble constituer la fragilité du modèle du « cluster ».
Il s’agit donc de penser très soigneusement la forme que doit prendre la
mise en réseau des compétences et cet état de fait illustre bien la difficulté
inhérente à toute action de coopération de ce type : promouvoir des actions
permettant de passer outre les lois de la concurrence. Cette ambition
rejoint à certains égards celle des organismes professionnels de la filière
(comme, par exemple, le Syndicat de la Librairie Française qui est
actuellement engagé dans la construction d’un « portail des libraires »). Il
s’agit donc de la repenser en fonction d’une échelle locale plus que
nationale afin de faire valoir une autre approche d’un ensemble de métiers.
2. Un territoire en devenir
Aborder le territoire du Nord-Est parisien en terme de concentration nous
place d’emblée face à un problème : un métier du livre, l’édition, y est clairement
sous-représenté. La comparaison avec d’autres quartiers de la capitale est
éclairante puisque le 6e arrondissement qui regroupe à lui seul 21,85% des
établissements parisiens, soit un nombre plus important que l’ensemble des
arrondissements entrant dans le cadre du « Nord-Est parisien » (c’est-à-dire les
9e, 10e, 11e, 18e, 19e et 20e). Cette situation est d’autant plus étrange que notre
territoire regroupe un nombre conséquent d’activités connexes à l’édition : prépresse, studio de graphisme, centres de distribution…
Des obstacles structurels peuvent expliquer cet état de fait : faiblesse des
capitaux de départ mobilisables par ces acteurs économiques, difficultés d’accès
aux ressources (auteurs, organes de presse…), manque d’encadrement des projets
d’entreprise… Le futur Système Productif Local devra proposer des solutions visà-vis de ces obstacles afin d’épauler des structures en devenir qui figurent parmi
les plus dyanmiques de la capitale et afin de s’inscrire dans la dynamique
territoriale propre à la capitale. Le centre de Paris fait en effet l’objet d’un
véritable exode, les maisons d’édition semblant vouloir gagner d’autres territoires
tels Flammarion (déménagement du 8e au 13e arrondissement) ou Le Seuil (du 6e
au 15e).
La situation de notre territoire évolue de plus sensiblement si l’on prend en
compte l’ensemble de la « filière livre ». Les autres métiers du livre semblent en
effet ne pas relever de semblable organisation, comme dans le cas de la librairie.
Si le 6e arrondissement renferme 13,28% des établissements parisiens, le 11e
arrondissement regroupe pour sa part 7,25% de ces commerces. Et les six
arrondissements qui nous intéressent comprennent au final 238 établissements,
soit 23,27% des librairies parisiennes. Loin d’être négligeable, cet ensemble est de
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plus harmonieusement réparti entre les différents arrondissements, démontre
qu’une demande est présente sur l’ensemble du Nord-Est parisien.
Vis-à-vis de cette activité, notre territoire semble nettement plus
dynamique que le cœur de Paris. Alors que le Quartier Latin s’engage dans un
programme de sauvegarde de ses librairies, un réseau comme Libr’Est (dont tous
les membres sont implantés dans le Nord-Est parisien) ne cesse de se développer
à travers le rachat d’un outil de distribution (la Générale du Livre) et l’ouverture
d’un gros site de vente en ligne. Semblable situation esquisse une tout autre
perception du territoire parisien que viennent de plus corroborer les données de
la lecture publique fournies par le bureau des bibliothèques de la Ville de Paris.
Ceux-ci montrent en effet que les établissements présents sur notre
territoire sont parfaitement intégrés dans les réseaux de lecture publique de la
capitale puisqu’un espace (constitué par les six arrondissements cités ci-dessus)
renfermant 39,7% de la population parisienne fournit 39,17% des emprunteurs
actifs. Le rapport au livre, et plus largement à la culture, n’est ainsi pas plus
lâche qu’ailleurs et cette situation esquisse d’ailleurs une toute autre forme de
concentration puisque des bibliothèques implantées sur seulement 26,1% de la
superficie de la capitale traitent 40,69% des prêts de documents de la ville de
Paris.
De ces analyses, nous pouvons tirer un enseignement : il est nécessaire
pour le futur Système Productif Local d’opérer à l’échelle de la « filière livre »
puisque c’est à travers plusieurs métiers (et non la seule édition) que sont
sensibles tous les signes d’émergence d’un véritable cluster. Les coopérations que
nous devons penser doivent ainsi également concerner la bibliothèque : même si
celles-ci n’ont bien sûr pas vocation à permettre à la bibliothèque de se
développer, celle-ci doit jouer pleinement le rôle d’un acteur public, c’est-à-dire
participer de la construction d’un ensemble et créer du lien entre entrepreneurs
du livre.
3. Penser une action à l’échelle de la « filière livre »
Ces analyses nous invitent ainsi à recommander l’adoption d’un
positionnement clair : les actions du futur Système Productif Local doivent
concerner l’ensemble de la chaîne du livre et à ne pas se focaliser sur l’un de ses
maillons. Il ne nous semble pas du tout pertinent, pour notre projet, d’adopter la
logique qui semble présider à la construction du futur « labo de l’édition » du 5e
arrondissement, structure qui semble devoir regrouper éditeurs et spécialistes du
numérique. Notre positionnement ne va cependant pas sans poser problème
puisque les diverses activités du monde du livre constituent des structures fort
différentes ne relevant pas des mêmes logiques économiques.
Il est ainsi nécessaire de décomposer le mode d’organisation complexe que
constitue une chaîne du livre mobilisant un ensemble de métiers que l’on peut
regrouper en trois « sphères », c’est-à-dire en sous-ensembles d’activités
homogènes quant à leurs dispositifs techniques et financiers :
-
La « sphère technique » concerne des activités de type industriel (telles
que l’imprimerie et la distribution prenant en charge les aspects
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logistiques du commerce du livre). Ces métiers nécessitent des capitaux
importants et des outils complexes mobilisant parfois une main-d'œuvre
conséquente, et il est à noter qu’ils sont très présents sur notre
territoire. Celui-ci renferme en effet 41,3% des activités de « prépresse » implantées dans la capitale, ainsi que 7 imprimeurs, 11
distributeurs et 2 distributeurs numériques.
La « sphère publique » regroupe des activités visant à présenter le livre
à un potentiel lectorat (comme la librairie, la bibliothèque ou des
services de diffusion menant une action commerciale portant sur la
production d’un éditeur). Ces métiers supposent des compétences fort
diverses qui esquissent des besoins réels de la part des acteurs : analyse
des attentes du lectorat, capacité d’expertise quant à une production
éditoriale, capacité à nouer des relations avec des prescripteurs
(journalistes, bloggers…).
La « sphère graphique » regroupe des activités prenant en charge la
conception et l’élaboration du livre lui-même (c’est-à-dire le cœur de ce
que l’on a coutume de nommer « édition »). Elle mobilise ainsi des outils
relativement « légers » sur le plan technique et financier et repose
avant tout sur la valorisation de compétences « immatérielles » :
affirmer la singularité d’une production vis-à-vis d’un lectorat,
esquisser une pertinence vis-à-vis d’un mode d’expression… Il est à
noter que, sauf en ce qui concerne l’activité d’édition, il est
extrêmement difficile de trouver une trace statistique des activités que
nous venons de décrire. Celles-ci constituent par contre un enjeu en
terme d’emploi, comme en témoignent les données fournies par
l’assurance chômage.
L’ensemble de ces activités nouent des liens formant ce que l’on a coutume
de nommer la « chaîne du livre » et ces partenariats s’inscrivent volontiers dans
le temps en prenant la forme de divers types de relation (intégration à des
ensembles économiques, sous-traitance…). Tout l’enjeu de notre étude, et de la
construction d’un Système Productif Local, est alors de proposer des modes de
coopération pertinents vis-à-vis de cet ensemble, ce qui suppose de mener une
réflexion afin de dégager les déficiences structurelles d’une filière (et donc les
attentes des acteurs vis-à-vis d’une structure de ce type).
Cette tâche est d’autant moins évidente qu’il ne semble pas exister dans
les métiers du livre de fonctions constituant un axe fort de mutualisation, car
gagnant presque instantanément à être partagés entre divers acteurs. Sur ce
point, le livre diffère de la musique et du jeu vidéo pour lesquels un
environnement technologique semble inviter au lien. Les Systèmes Productifs
Locaux « Paris Mix » et « Capital Games », à la création desquels la DPVI fut
associée, font ainsi preuve d’une ambition claire : mutualiser « des instruments
de recherche et développement privés et publics permettent à Capital Games de
développer la filière régionale en consolidant et ainsi de se positionner dans la
compétition mondiale » et de permettre aux membres de Paris Mix « de consolider
leurs activités et d'affronter les nouveaux défis liés à l'innovation numérique et à
la dématérialisation de la musique sur Internet ».
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Ces « nouveaux défis » ne semblent toutefois pas entraîner l’adhésion d’une
majorité d’acteurs de notre territoire, ainsi que le démontre notre enquête.
Semblable état de fait nous semble s’expliquer par un problème économique, des
maisons d’édition fragiles hésitant logiquement à investir dans une production ne
bénéficiant pas pour l’instant d’un marché important. Il nous semble donc
judicieux d’abandonner, dans le cadre de notre projet, cet axe de convergence et
de proposer au futur Système Productif Local de se rapprocher du « labo de
l’édition » soutenu par la Mairie de Paris et faisant une large place à ces
technologies numériques.
Les axes de coopération entre acteurs du livre n’ont ainsi rien d’évident et
restent à inventer. C’est pourquoi nous avons émis trois hypothèses et organisé
avec Fontaine O Livres une enquête auprès de ses adhérents et des autres
professionnels du territoire. Ce dispositif possédait un double objectif : esquisser
le réseau des membres du futur Système Productif Local en collectant des
informations sur les « répondants » et vérifier ou affiner ces propositions. Nous
avons ainsi pu mesurer une réelle demande en terme de coopérations, l’ensemble
des acteurs interrogés affirmant rechercher de plus amples contacts avec d’autres
acteurs du livre du territoire. Ceci s’explique par des raisons structurelles : les
« répondants » sont en majorité des structures jeunes, se heurtant à des obstacles
certains (en terme de moyens humains et financiers) pour poursuivre leur
développement. Il semble que le futur Système Productif Local puisse donc
compter sur un certain nombre d’adhérents s’inscrivant durablement dans un
projet collectif.
Les liens recherchés semblent être essentiellement de nature
interprofessionnelle, c’est-à-dire tournés vers d’autres métiers. Éditeurs et
libraires sont ainsi en demande de relations plus étroites avec les bibliothèques
et semblent peiner à comprendre leurs activités (constat récurrent au sein d’une
chaîne du livre dans laquelle ces trois activités relèvent de logiques différentes).
De son côté, la bibliothèque constitue un vecteur de coopération extrêmement fort
puisque les établissements interrogés déclarent vouloir solliciter le concours de
tous les autres maillons de la chaîne du livre présents sur le territoire. Cela
démontre que, même si elles ne sauraient être les acteurs centraux d’un tel
projet, les bibliothèques doivent être intégrées dans le réseau à construire et
jouer un rôle qui reste à définir.
Il existe donc de réelles pistes de coopérations qui semblent pouvoir
prendre trois formes.
1. La formation
Elle constitue un lieu de rencontre par excellence et quasiment le seul
dispositif où l’ensemble des métiers du livre parvient à former une réelle
communauté et à construire une compréhension globale du monde du livre.
Aujourd’hui majoritairement assumée par l’université, la formation aux
métiers du livre souffre d’une coupure entre l’offre « initiale »
(professionnalisant les entrants sur le marché du travail) et « continue »
(concernant les acteurs eux-mêmes).
Les propositions concernant cette dernière semblent nettement
insuffisantes alors qu’elles semblent pourtant pouvoir rencontrer une
réelle demande puisque les « répondants » de notre enquête déclarent
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vouloir y consacrer un temps fort conséquent compris entre 3 et 10 jours
par an (il est d’autre part à noter que les bibliothèques de la ville de Paris,
qui ne disposent pas de Centre de Formation aux Carrières des
Bibliothèques, pourraient témoigner d’un réel intérêt).
Cette demande s’explique peut-être par les difficultés d’accès à des
informations portant sur les nouvelles formes de prescriptions culturelles
(réseaux sociaux etc.), l’évolution des publics (attentes, pratiques de
lecture…) ou l’évolution des modèles éditoriaux… Éditeurs et libraires du
territoire, qui sont parfois dans une situation marginale au sein de la
chaîne du livre, n’ont pas forcément accès aux études et données portant
sur ces sujets au même titre que certains de leurs collègues.
2. Le numérique
Le terme de « numérique » semble aujourd’hui constituer un « fourre tout »,
mais désigne avant tout un ensemble de technologies proposant de
nouveaux modes de conception et de circulation du livre.
Commercialisation, prêt, voire forme des produits culturels (comme dans le
cas des livres proposant des contenus multimédias) sont susceptibles de
prendre de nouvelles formes et l’ensemble des métiers du livre est ainsi
concerné.
Ces technologies posent en effet directement le problème de leurs
coopérations : les relations entre éditeur et auteur (prépublication
d’œuvres diffusées ultérieurement), libraire et critique (les blogs devenant
un espace d’expression à part entière ou éditeurs et lecteurs (forums,
réseaux sociaux…) sont ainsi susceptibles d’être reconfigurés. Et les
traditionnelles instances de prescription (telle la presse) semblent faire
place à de nouveaux acteurs, ce qui ne va pas sans créer certains
problèmes vis-à-vis de la chaîne du livre.
Il est à noter que la maîtrise de ces technologies nécessite des
investissements parfois conséquents, la réalisation d’un simple site
Internet pouvant osciller entre 10 000 et 500 000 euros en fonction de ses
ambitions. Le « numérique » produit ainsi une forme de fracture entre
acteurs du livre : un éditeur comme l’Association, pourtant l’un des plus
dynamique de notre territoire, ne dispose ainsi toujours pas de vitrine
numérique.
Cet exemple met peut-être en évidence une problématique immanente au
territoire en son entier car notre enquête a permis de mesurer une
demande en terme de communication. L’intégration à l’environnement
numérique semble constituer un problème pour éditeurs ou libraires, la
fabrication ou la conception de livres numériques (e-book) ne semblant les
intéresser qu’en second lieu.
3. L’action culturelle
Ce terme désigne un ensemble d’activités favorisant le contact entre un
public et un milieu et des pratiques culturelles. Celles-ci peuvent prendre
la forme d’expositions, d’animations à destination de certains publics (et
notamment les enfants) ou de rencontres et constituent donc clairement
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une interface entre métiers du livre. Elles mobilisent en effet des auteurs
ou des illustrateurs, sollicitent le concours d’éditeurs ou de libraires dans
le cadre de salons, et sont en majorité organisées par des bibliothèques qui
construisent d’ambitieux programme d’action culturelle (certaines d’entre
elles s’en faisant même une spécialité, comme dans le cas de la Seine
Saint-Denis).
Ces activités sont donc pleinement structurantes puisqu’elles concernent
l’ensemble de la chaîne du livre et notre enquête laisse apparaître une
réelle communauté entre métiers. Ceux-ci se déclarent tous engagés dans
ce type d’activités à des degrés divers, mais déplorent également un
manque d’information et de concertation : nombre d’éditeurs se disent ainsi
un peu laissés de côté alors que les librairies aimeraient pouvoir
développer leur proposition en terme d’action culturelle. D’où une demande
de coopération très forte émanant notamment d’un acteur : la bibliothèque.
4. Construire un Système Productif Local : « Paris Livre »
Ces analyses, que nous présentons ici de façon synthétique, nous
permettent d’établir un certain nombre de recommandations quant à la
construction du futur Système Productif Local. Celui-ci pourrait prendre le nom
de « Paris Livre » et devrait selon nous adopter une organisation et s’engager
dans des actions prenant en compte les pistes que nous avons dégagées dans les
réflexions présentées ci-dessus.
4.1. Structure et mode de gouvernance
La première question à laquelle que nous pensons devoir examiner est :
comment susciter et encadrer des coopérations telles que celles que nous avons
esquissées ci-dessus ?
4.1.1. S’appuyer sur Fontaine O Livres
Cette association nous semble en effet constituer la structure la mieux à
même de mener à bien ce projet, et ce tout d’abord car elle est déjà (mais à un
degré moindre) engagée dans des actions de ce type prenant la forme de
rencontres professionnelles, de formations ou de mise en relation de ses
adhérents.
Elle possède donc ainsi une expérience et des liens certains avec les
acteurs du territoire comme en témoigne le bon taux de réponse à notre enquête
et le fait que la récente embauche d’une personne supplémentaire en charge du
« réseau » ait presque immédiatement débouché sur une montée en puissance de
celui-ci à travers 10 nouvelles adhésions et la mise en place d’une newsletter
mensuelle favorisant le trafic sur le site Internet de l’association.
Ceci démontre que Fontaine O Livres possède une perception pertinente
des acteurs opérant sur le territoire, que ses actions correspondent à une réelle
demande et que l’association commence à avoir une certaine notoriété auprès des
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acteurs du Nord-Est parisien. Il est donc selon nous nécessaire de la doter de
moyens lui permettant de mener à bien son activité, ce qui suppose : de réduire
un endettement qui limite ses capacités d’action, de pérenniser ses emplois, voire
d’accroître ses moyens humains.
4.1.2. Clarifier les missions de Fontaine O Livres
Semblable soutien ne devra toutefois être accordé qu’à la condition que
l’équipe de Fontaine O Livres adhère pleinement au projet de Système Productif
Local. Celui-ci suppose en effet de clarifier les missions et activités de
l’association qui sont au nombre de trois, comme présentées sur son site
Internet : « L’accompagnement à la création d’entreprise et à l’implantation sur le
quartier », « L’animation d’un réseau d’entreprises des métiers du livre », « La
promotion des professionnels et des métiers du livre »3.
Ces trois axes posent un certain nombre de problèmes, à commencer par
l’échelle de ces actions : dans le cadre d’un Système Productif Local opérant sur le
Nord-Est parisien, celle-ci ne saurait bien évidemment être le quartier de la
Fontaine au Roi. Il nous semble également pertinent de se recentrer sur la
mission d’animation d’un réseau d’entreprise puisque celle-ci constitue le cœur de
la structure à construire. Tel n’est pas le cas de la troisième mission de
« promotion » qui devrait selon nous être abandonnée ou pensée à travers les
actions que nous présentons plus loin.
Par contre, le maintien d’une activité « d’accompagnement » et surtout
d’hébergement nous semble absolument essentiel. Ainsi que nous l’avons montré,
la faiblesse du tissu de maisons d’édition dans le Nord-Est parisien s’explique par
des raisons structurelles qu’une pépinière est à même de relativiser. De plus,
semblable dispositif est créateur d’emploi puisque, selon Fontaines O Livres, il a
permis de créer ou préserver 18 emplois parmi les entreprises hébergées, dont 6
emplois salariés créés depuis leur hébergement. Par contre, les capacités
d’accueil (entre 5 et 7 entreprises) sont par trop limitées pour mener une action
portant sur le Nord-Est parisien.
4.1.3. Réviser les statuts de Fontaine O Livres
Confier la mise en place d’un Système Productif Local à cette association
suppose une montée en puissance qu’il s’agit d’encadrer. Les missions (« déceler
et favoriser l’initiative créatrice d’emplois ») et moyens de Fontaine O Livres ne
correspondent que partiellement aux actions du futur Système Productif Local. Il
est donc nécessaire de réviser ces statuts (par exemple : « L’Association a pour
objet de favoriser les coopérations entre acteurs du livre afin de favoriser
l’initiative… ») et de se doter d’un mode de gouvernance adapté à une structure
opérant au niveau régional et à l’échelle de la filière livre. La Mairie de Paris, la
région Ile-de-France ainsi que des professionnels (de l’édition, de la librairie et de
3
URL : http://www.fontaineolivres.com/fontaine-o-livres-pr-sentation,0052.html
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la bibliothèque) doivent y être représentés en bonne place (et il serait judicieux
de leur confier la présidence de l’association).
Ce mode de gouvernance doit également faire une place à une activité de
veille portant tant sur le territoire que sur le mode d’organisation des métiers du
livre, points essentiels quant à l’émergence de nouveaux types de coopération. Il
serait sans doute sur ce point intéressant de s’appuyer sur les services du
MOTIF, et ce travail pourrait préparer l’éventuelle évolution du futur Système
Productif Local vers d’autres formes d’organisation : le statut de Société
Coopérative d’Intérêt Collectif serait ainsi pertinent si l’effort de mutualisation
entre acteurs se fait plus ambitieux (voir plus bas).
4.2. Actions de coopération infra-professionnelles
Le futur Système Productif Local doit s’engager dans des actions qui
concernent un métier du livre en particulier et inviter des acteurs partageant une
même activité à se rapprocher. Il nous semble judicieux de commencer par
élaborer un programme à destination des éditeurs puisque ceux-ci constituent à
la fois les entreprises les plus réactives (comme en témoigne notre enquête) et les
plus prometteuses en terme d’emplois créés.
4.2.1. Penser des mutualisations
Il s’agit d’esquisser de possibles « économies d’échelle » en regroupant des
postes budgétaires communs à l’ensemble de ces entreprises. Tel est par exemple
le cas de la comptabilité, activité absolument nécessaire, mais gourmande en
temps et en argent. Le partage d’un même employé ou d’un même service entre
des éditeurs pourrait alléger leurs frais fixes et dégager des moyens permettant
d’augmenter leur production ou leur communication.
À terme, la centralisation de tout le back-office (ou activités de soutien à
l’activité éditoriale) pourrait être envisagée puisque celles-ci pourraient
constituer le cœur d’un groupement d’employeurs. Devraient également être
considérées des négociations de tarifs préférentiels avec certains prestataires de
service (papetiers, imprimeurs, distributeurs « traditionnels » ou numériques,
attachés de presse…) du territoire.
4.2.2. Développer les coopérations entre éditeurs
Le futur Système Productif Local doit permettre de développer des
coopérations permettant de mieux exploiter le potentiel des outils de production.
Les éditeurs pourraient ainsi mettre en avant les compétences qu’ils pourraient
mettre au service de leurs collègues (recherche iconographique dont est
coutumier un éditeur d’art, lettrage dans le cas de la bande dessinée). Il serait
ainsi possible de profiter d’une proximité entre commanditaire et prestataire
facilitant le transfert d’information et d’inscrire dans le temps des collaborations
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Benoît Berthou, université Paris 13, LABSIC
Synthèse : Faisabilité et préfiguration d’un SPL du livre dans le Nord-Est parisien/
épisodiques permettant de maintenir une activité durant toute l’année. Mettre en
place de semblables liens suppose l’usage d’un outil numérique relativement
simple, comparable à un forum et pouvant être hébergé sur le site de Fontaine O
Livres.
4.3. Actions de coopération inter-professionnelles
D’autres formes de coopérations engagent plusieurs métiers et privilégient
donc la formation d’une communauté entre éditeurs, bibliothécaires et libraires.
Ces actions, présentant des convergences totales ou partielles entre logiques
différentes, peuvent selon nous être pensées selon trois axes.
4.3.1. Établir un programme de formation
Notre enquête a en effet clairement mis en évidence une forte demande visà-vis d’une activité qui mobilise de nombreux professionnels de la filière
(libraires, éditeurs, auteurs…) et permet de fédérer une communauté. La
formation constitue un lieu de rencontre par excellence et peut même être
utilisée pour « tester » d’éventuelles actions ou initier des coopérations
susceptibles de devenir par la suite structurantes.
Le programme de formations à imaginer doit être organisé en plusieurs
phases. Doivent être privilégiées des formations permettant l’acquisition de
compétences exploitables dans le conseil au client (librairie), la politique
d’acquisition (bibliothèque) ou la construction d’un catalogue d’éditeurs, telles
que celles qui portent sur certains secteurs éditoriaux et permettent de se
familiariser avec certains domaines culturels méconnus (fantasy, bande
dessinée…). Viennent ensuite des formations portant sur le paysage éditorial,
l’évolution de la chaîne du Livre ou les technologies numériques.
Il nous semble également important, pour garantir l’efficacité, l’actualité et
la pertinence de ces formations, de s’appuyer sur des ressources solides, à
commencer par l’université Paris 13, qui appartient au Nord-Est parisien et
dispose de plusieurs laboratoires menant des recherches sur l’économie du livre.
La présence d’une université partenaire est également un atout indéniable, voire
un réquisit, dans le cadre des appels à projet de la DATAR destinés aux « grappes
d’entreprise ».
4.3.2. Penser une action culturelle concertée
L’engagement de la « filière livre » en son entier dans des activités de
médiation est on ne peut plus fructueux, comme en témoigne le déroulement du
Salon de Montreuil. Le futur Système Productif Local pourrait s’inscrire dans la
lignée de semblable initiative et mettre en place une structure de coordination
qui soit à même de proposer aux divers acteurs du livre une forme
d’harmonisation (thématique commune débouchant sur des événements,
répartition
dans
le
temps
des
divers
12/13
événements
afin
d’éviter
tout
Benoît Berthou, université Paris 13, LABSIC
Synthèse : Faisabilité et préfiguration d’un SPL du livre dans le Nord-Est parisien/
engorgement…). Semblable coordination est à élaborer avec l’acteur du livre le
plus investi dans l’action culturelle : une bibliothèque qui dispose en la matière
de réelles compétences, conçoit d’ores et déjà ses actions en réseau et semble donc
pouvoir accepter une maîtrise d’œuvre partagée de son action culturelle. Des
établissements publics pourraient ainsi jouer un rôle de coordination entre
acteurs économiques. Le bureau des bibliothèques de la ville de Paris devrait être
associé à cette démarche.
4.3.3. Penser une communication territoriale
Il serait intéressant d’œuvrer à la visibilité des acteurs du territoire dans
l’environnement numérique, c’est-à-dire de f aire en sorte que les éditeurs
membres du Système Productif Local disposent d’un espace présentant en ligne
leur production dans de bonnes conditions d’ergonomie ou de référencement, que
les libraires (voire les bibliothécaires) disposent de vitrines numériques efficaces
et que les programmes d’action culturelle soient présentés de façon à profiter à
l’ensemble de ces partenaires. Cette valorisation d’un territoire et de ceux qui y
opèrent pourrait ainsi suivre deux modèles : celui du site Lekti-ecriture.com et
celui de l’ALMA4, qui constituent des entreprises de communication réussies. Il
nous semble donc primordial d’acquérir au plus vite la technologie nécessaire et
de mettre en place un échéancier permettant de planifier cette action
particulièrement gourmande en temps.
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URL : http://www.librairiesmontauban.fr/
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